mercredi 4 février 2015

VIE DU SAINT PRETRE
NICOLAS PLANAS
Par MARTHE LA MONIALE
Traduction de Presbytéra Anna
EDITIONS DE LA FRATERNITE ORTHODOXE
SAINT GREGOIRE PALAMAS
30 BOULEVARD SEBASTOPOL
75004 PARIS




IN MEMORIAM
du PAPA NICOLAS PLANAS
(1851-1932)


Note : Le mot papas, papa, est une appellation usuelle du prêtre en Grèce.
Avant de publier les pages qui suivent sur le Saint Père Nicolas Planas, nous avons beaucoup hésité, dans la crainte qu’une telle vie ne fût incomprise et ridiculisée par l’homme d’aujourd’hui, pour qui la simplicité qui a caractérisé notre Saint n’est pas une vertu.
Lors d’un passage en Grèce, nous avons vénéré son tombeau et connu Marthe la moniale, sa plus ancienne fille spirituelle, qui a écrit sa vie. C’est alors que nous nous sommes dit : « Mais pourquoi, à cause de ce « monde », priver nos Fidèles de l’exemple d’une Vie en Christ, qui illustre et confirme la présence du Saint Esprit dans l’Eglise ?
Quelqu’un nous disait un jour que nous manquions de penseurs. Nous ne partageons pas, du moins complètement, ce point de vue. Ce qui manque aujourd’hui, ce sont des hommes de l’envergure spirituelle des « pêcheurs de la Galilée ». Notre Saint est de ce type. Dieu n’en a jamais privé Son Eglise. Dieu a aussi les siens, même en plein XXème siècle et Il nous les indique, quand Il voit qu’on les cherche. L’humilité aime à se cacher ; elle ne fait pas de bruit ; elle n’est pas spectaculaire…
Les lignes ci-dessus ont été écrites, il y a quelques années, pour présenter des extraits de la Vie du Saint Père Nicolas dans la CATECHESE ORTHODOXE, rédigée par nos soins. Depuis, Marthe la Moniale a quitté ce monde pour le pays où les Justes reposent, où il n’y a ni maux, ni peines, ni soupirs…Quelques semaines avant sa mort, nous l’avons visitée et lui avons promis de publier, en français, la Vie de son Père spirituel. En remerciement, elle nous a donné quelques objets ayant appartenu au Père Nicolas.
Nous sommes heureux d’accomplir, aujourd’hui, notre promesse. Que le Nom du Seigneur soit béni ! Que les prières du Saint Père Nicolas accompagnent le lecteur qui lira, en toute simplicité, ce livre.
Nous cédons la place à l’inoubliable Photios Kondoglou, qui a bien connu le saint homme et qui a écrit l’introduction ci-après.


Père Ambroise Fontrier




INTRODUCTION
de PHOTIOS KONDOGLOU.




La bouche toute sainte et plus que douce, qui n’a dit que la vérité, a aussi prononcé ces paroles qui donnent au cœur de chaque homme le repos :
« Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. Bienheureux les pacificateurs, car ils seront appelés Fils de Dieu ». Bienheureux en effet est celui dont il est parlé dans ce petit livre ; bienheureux son auteur ; bienheureux le lecteur qui se délectera de sa simplicité bénie. Simple fut l’homme. Simple fut son historien. Simple doit être le lecteur. Pour ne pas troubler cette harmonie, entre le saint homme, sa pieuse disciple, qui a écrit tout ce qu’elle avait retenu de cette Vie agréable à Dieu, et le lecteur, il faut que les trois aient vécu avec simplicité de cœur. Que le cœur malicieux et incrédule s’abstienne d’ouvrir ce livre.
Si l’homme pervers et méchant est épuisant, l’homme bon et pieux est reposant. Le prophète David a dit du premier « Sous sa langue, il n’y a que malédiction, tromperies et fraudes » ( Psaume 9,7-8). Les Grecs anciens appelaient avec juste raison l’homme mauvais : « pervers ». Un tel homme n’est pas seulement épuisant pour les autres ; il est lui-même épuisé par ses perversités. Tandis que celui dont l’âme est simple et bonne est reposant. C’est pour cela que le Seigneur a dit : « Venez à moi, vous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos ». (Matt.11,28). Par ces paroles, Iln’a pas appelé auprès de Lui que ceux qui étaient fatigués par les afflictions et les malheurs de la vie ; mais Il a aussi appelé ceux qui étaient fatigués et chargés de vaines connaissances, des vains tracas et des mensonges qui jettent l’homme dans le désespoir et l’incrédulité.
La conversation de l’homme bon repose et donne la paix ; elle est droite, simple, sincère, et notre âme, semblable au voyageur du désert qui se désaltère de l’eau fraîche d’une source, prend plaisir à l’écouter.
Reposant et plein de paix est ce livre, écrit par une âme simple, mais remplie de cette sagesse humble que Dieu donne aux hommes qui L’aiment par-dessus tout. Le monde marche « sur la voie spacieuse qui mène à la perdition » ( Matt.7, 13).Ceux qui s’en écartent vivent cachés du monde, méprisés, ridiculisés, mais possédant l’espérance bienheureuse et pleine d’immortalité. C’est pour cel que ce bienheureux prêtre, dont la vie est décrite ici, a vécu joyeux comme un enfant, malgré les amertumes qui furent les siennes. Il possédait en lui le Saint Esprit qu’on appelle Consolateur. Celui que l’Esprit éclaire possède la consolation qui triomphe de toutes les amertumes et fait resplendir le visage. IL accepte avec joie le mépris et la pauvreté, et les privations lui deviennent une richesse. Le mépris se change en honneur, la haine en amour, le désespoir en bienheureuse espérance, la tristesse en joie.
Bénis et bienheureux sont en vérité ceux qui ont vite compris l’amertume qui se cache derrière les joies de ce monde, et qui se sont réfugiés auprès du Christ, qui a proclamé « bienheureux » les pauvres en esprit, les affligés, les doux, les miséricordieux, les purs de cœur, les pacificateurs.
Les hommes dont la pensée est charnelle les considèrent comme malheureux, méprisés, rejetés, asociables, incultes, arriérés, douloureux. Mais ces bienheureux ont reçu du Seigneur le don merveilleux de transformer le deuil en joie, les larmes en allégresse, et en tout ce que nous avons dit plus haut. En eux s’accomplit le mystère de cet état merveilleux que les Pères appellent le « deuil joyeux ». Les dons du Saint Esprit sont tels que l’homme charnel ne peut les comprendre. C’est pourquoi l’on use de nouvelles expressions comme « deuil joyeux ». Voilà les langues nouvelles dont le Christ a dit que tous ceux qui croiraient en Lui les parleraient. « Ils parleront des langues nouvelles ». ( Marc 16, 17).
Les hommes de Dieu scandalisent les impies par la simplicité de leur cœur ; leurs paroles semblent étranges, on les croit vides de sens. L’impie est sans expérience spirituelle, car il n’a pas goûté à la Grâce de Dieu, dont le prophète a dit : « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux ».
Saint Isaac le Syrien écrit beaucoup de choses à propos du « deuil joyeux », entre autres ceci : « Nul ne connaît la consolation qui vient des larmes, si ce n’est celui qui a livré son âme à cette œuvre ». Et Saint Syméon le Nouveau Théologien : « De toutes les vertus chrétiennes, la première, c’est l’humilité. Elle en est le commencement, et le fondement. La seconde, c’est le deuil et la source des larmes. Sur elles, j’aurais beaucoup à dire, mais je ne trouve pas assez de mots pour m’exprimer comme il le faudrait. C’est un miracle inexprimable ! Comment les larmes coulent-elles des yeux et lavent-elles spirituellement l’âme de la souillure du péché ? O larmes qui jaillissez de l’illumination divine et me procurez la consolation de Dieu ! Par la douceur que je ressens et le désir qui me presse, je répète toujours la même chose : là où les larmes sont abondantes et la connaissance vraie, là est l’éclat de la Lumière Divine. Là est la Lumière Divine. Là est l’empreinte du sceau du Saint Esprit, de qui viennent tous les fruits de la vie : la beauté, la paix, l’aumône, la douceur, la bonté, la foi, la continence. Des larmes, viennent l’amour pour ses ennemis et la prière en leur faveur ; la joie dans les épreuves ; de faire siens les péchés des autres et de les pleurer ».
Tous ces dons célestes, le Père Nicolas les avait reçus de Dieu. Tous ces diamants impérissables paraient ce petit vieillard pauvrement vêtu, humble parmi les humbles. Aussi la Grâce divine l’a habité, selon la parole de l’Ecriture qui dit : « Sur qui porterai-je mes regards ? Sur celui qui est humble et tranquille, et qui tremble à mes paroles ». (Is.66, 21).
Quel prince, quel riche, a vécu comme le Père Nicolas, qui n’avait pas même où reposer sa tête ? Quel homme glorieux a été aimé autant que lui, qui se cachait pour n’être vu de personne ? Quel orateur a été plus éloquent que le Père Nicolas, qui ne savait que balbutier comme un petit enfant ? Qui, en vérité, a été plus riche que ce vieillard sanctifié, qui possédait tout et ne gardait jamais un sou dans sa poche ?
Il a vécu comme ces hommes bénis dont parle l’Apôtre Paul, « qui n’avaient rien et qui possédaient tout ». Il a cherché tout d’abord le Royaume de Dieu, et tout le reste lui a été donné par surcroît (Marc 4, 24). La plus petite pièce de monnaie ne restait pas jusqu’au soir dans sa poche, car, comme le dit Saint Syméon le Nouveau Théologien : « Celui qui amasse l’argent ne peut croire en Dieu, ni placer en Lui son espérance ». Et cela est bien vrai, car le Christ notre Dieu a dit aussi : « Là où est votre trésor, là sera aussi votre cœur ». ( Matt. 6, 21).
C’est un grand exemple, bienfaisant pour nos âmes, que la vie d’un tel homme, surtout en nos jours où le péché surabonde, où les hommes se livrent à toutes sortes de dérèglements et sont devenus insensibles. De nos jours obscurs, où la face lumineuse de Dieu est voilée à nos regards, la bonté divine a manifesté l’existence parmi nous d’un « envoyé » qui, par sa Vie, a affermi notre Foi, même s’il n’a pas beaucoup parlé. Cet envoyé a été le Père Nicolas Planas qui ne savait pas lire, et dont la parole n’était pas aisée, contrairement à ceux que le monde appelle « théologiens », qui étudient dans les Universités et les Ecoles, et en sortent diplômés.
Un des signes distinctifs de l’Orthodoxie, c’est la simplicité du cœur porteur de la Foi. Et, là où se trouve la Foi véritable et inébranlable, là se manifestent tous les charismes spirituels et les dons de Dieu.
Notre Peuple Orthodoxe vit spirituellement par sa vie liturgique. Ce n’est pas de théories et de systèmes philosophiques qu’il a besoin, mais de Sainteté. Il aime à voir des clercs sanctifiés, même s’ils sont moins instruits que lui. Plus ils sont illettrés et simples, plus il les respecte et les aime, et va vers eux comme vers un refuge. Le désir du peuple de voir de nos jours un Saint est tel qu’il suffit qu’un clerc soit seulement vertueux pour qu’il le proclame Saint.
Pour le Chrétien, il n’est pas d’enseignement plus efficace que la lecture de la Vie d’un Saint, surtout d’un homme contemporain manifesté comme Saint, sans publicité, sans tapage officiel. Considéré comme Saint, Papa Nicolas Planas apparaissait comme tel par tous ses actes, par toutes ses paroles. Il n’avait aucune idée de sa Sainteté. Il pleurait ses péchés, et tâchait de vivre caché et isolé, « comme l’oiseau solitaire sur le toit ».
Sa joie, c’était de servir Dieu jour et nuit, de célébrer des liturgies, des veillées, des vêpres, des offices d’intercession, de bénir des maisons, de faire des onctions d’huile aux malades, de prier pour les défunts. Hors de ces choses, il n’y avait pour le Père Nicolas ni vie, ni bonheur, comme David le dit : « Je voudrais habiter toute ma vie dans la maison du Seigneur, pour contempler la magnificence du Seigneur » (Ps 26, 4). Dans sa soif inextinguible de célébrer le Seigneur, il entraînait avec lui, non seulement sa suite d’âmes simples, mais aussi des indifférents, et des impénitents, et les amenait au Christ. Sa compagnie, c’étaient ses enfants, les fils et les filles du Christ, compagnie bénie dont ce vieillard était le centre, le guide, le bon berger. Il faisait paître ses brebis dans les verts pâturages de l’Orthodoxie. Tout le souci de ce vieillard, toute sa préoccupation, c’était le salut de ses brebis. Il les aimait, car il n’était pas le mercenaire qui abandonne ses brebis et prend la fuite.
Il n’était pas un mercenaire. Toute sa vie, passée sans avoir jamais rien possédé, l’a montré. Il n’avait aucun lien avec l’argent, comme on l’a déjà dit. Tout ce qu’on lui donnait pour ses liturgies ou encore pour les services funèbres, il le prenait d’une main et le donnait de l’autre. Il ne pensait qu’à soulager ses brebis, et il lui importait peu d’avoir lui-même faim, soif, d’être fatigué, d’avoir la gorge sèche à la suite des milliers de noms qu’il commémorait. Depuis des années, il traînait avec lui des paquets de papiers jaunis sur lesquels étaient inscrits des noms innombrables de défunts.
Quelle simplicité ! Quelle incroyable bonté ! Bienheureux les défunts dont les noms furent commémorés par un tel prêtre !
Voici ce qu’écrit, pour le Père Nicolas, un des plus remarquables poètes Grecs contemporains, et parfait Chrétien Orthodoxe, Papadiamantis : « Parmi les prêtres, il y en a beaucoup qui sont vertueux et bons, tant dans les villes que dans les campagnes. Ce sont des personnages populaires, bienfaisants, respectables. Ils ne prononcent pas de discours, mais ils connaissent une autre manière d’enseigner leur troupeau. Je connais un prêtre à Athènes. Il est le plus humble des prêtres, et le plus simple des hommes. Pour n’importe quel service liturgique, si tu lui donnes une drachme, ou cinquante sous, il les accepte. Si tu ne lui donnes rien, il ne demande rien. Pour trois drachmes, il célèbre un service qui dure toute la nuit, liturgie, complies, vêpres, mâtines, heures, et le tout dure neuf heures. Si tu lui offres deux drachmes seulement, il ne se plaint pas. Si on lui apporte des noms de défunts sur un papier avec une offrande de deux drachmes, il les gardera pour toujours. Pendant deux ou trois ans, il continue à commémorer les mêmes noms. A chaque prothèse, il mentionne deux à trois mille noms. Il ne se fatigue jamais. La prothèse peut durer deux heures, la liturgie deux autres. A la fin de la liturgie, tous les pains des offrandes, il les distribue à tous les présents. Il ne garde rien pour lui.
Une fois, il se trouvait devoir une petite somme. Il voulait la payer. Il possédait alors dix ou quinze drachmes en menue monnaie. Pendant des heures, il comptait et recomptait sans trouver ce qu’il avait. Il est un peu bègue, et surtout illettré. Dans les prières, il dit correctement la plupart des mots, mais il lit l’Evangile avec des fautes. Peut-être direz-vous : mais pourquoi ce contraste. C’est que les paroles de la liturgie, il les dit chaque jour, tandis que telle péricope de l’Evangile, il ne la lit qu’une ou deux fois l’an. Les fautes qu’il fait au cours des lectures sont souvent comiques. Et cependant, nul parmi les auditeurs ne rit. Pourquoi ? Nous y sommes habitués et cela nous plaît ainsi. Le papa Planas est digne de tout amour. Il est simple et vertueux. Il est digne de la première Béatitude du Sauveur.
Supposez maintenant le même prêtre sortant d’un séminaire ancien ou moderne. Serait-il meilleur ? Il serait enduit de quelques lettres médiocres, confuses, mal assimilées, et rempli d’orgueil et de prétention ».
Et, dans une de ses plus belles « Chansons de Dieu », Papadiamantis parle encore du Père Nicolas, en indiquant cette fois son nom : « Après trois jours, nous accompagnâmes la petite Koula au tombeau. Les prêtres et les chantres professionnels chantaient selon la coutume, à partir de : « Bienheureux ceux qui sont intègres dans leur voie », jusqu’au « Venez, frères, et donnons un dernier baiser au défunt ». Seul, le Père Nicolas le Naxiote semblait chanter à part l’office. Il le murmurait en lui-même et les larmes baignaient ses yeux. « Que murmures-tu, petit Père ? lui dis-je par-dessus la stalle où il était appuyé. –Je récite en moi l’Office des Enfants, répondit-il. En effet, à cet être sans malice convenait l’Office des Enfants ».
Une telle Vie, seul un biographe tel que fut la respectable moniale Marthe pouvait l’écrire. Elle avait vieilli aux pieds de Nicolas le simple. Elle avait été son ombre. Elle n’avait omis ni un froncement secret de sourcils, ni un de ces coups d’oeil rapides et inaperçus, ni une parole, fût-elle sans importance, ni un mouvement qu’elle n’ait inscrit profondément dans son âme. Tout ce qu’elle a pu écrire, elle l’a fait simplement, sans artifice…
Elle est aussi une de ces âmes qui ont vécu dans la crainte et l’amour du Seigneur, comme Anne la fille de Phanuel. Elle a passé sa vie dans le temple, allumant les cierges qui l’éclairaient, tels des esprits, et elle se réjouissait de l’encens agréable qui, comme un nuage, s’élevait de l’encensoir du Père Nicolas, le nouveau Syméon.
C’est une bénédiction de Dieu que de l’avoir encore vivante parmi nous, et d’entendre sa conversation, recueillie, mais combien joyeuse et intelligente. C’est une poétesse de l’Orthodoxie, sana avoir jamais rien écrit, si ce n’est ces notes en mémoire de son père vénéré et qui sont imprimées dans ce livre. Je lui demande de me pardonner ce que j’écris sur elle.
Gloire à Dieu de ce qu’on trouve encore des âmes humbles, qui aiment le service de Dieu, et qui vivent en s’abreuvant à la source inépuisable de notre Orthodoxie.
Bienheureux ceux qui sont intègres dans leur voie, et qui marchent selon la loi du Seigneur. Heureux ceux qui méditent ses préceptes, et qui Le cherchent de tout leur cœur.




I
LA VIE DU PERE NICOLAS PLANAS




Ce prêtre pieux et admirable est né à Naxos. Ses parents étaient aisés. Ils possédaient des terres et dans leur propriété se dressait une chapelle dédiée à Saint Nicolas. Enfant, il y allait à n’importe quelle heure, se revêtait d’un drap, et chantait tout ce qu’il savait.
Le Père Nicolas racontait souvent des anecdotes de son enfance. Il nous disait qu’un soir d’hiver, alors que la famille était rassemblée près de l’âtre et se chauffait, il dit à son père : « Père, à cet instant, notre bateau « l’Annonciation » fait naufrage au large du port ». Son père, effrayé, dit à sa mère : « Femme, que dit l’enfant ? » En effet, le bateau avait bien fait naufrage à ce moment-là…
Et pour cacher son saint charisme, il ajoutait que tous les petits enfants possédaient le don de voir à l’avance.




SON ORDINATION




Son père mourut jeune, le laissant orphelin à quatorze ans. Sa mère le prit et partit avec lui à Athènes. Elle le maria à l’âge de dix-sept ans. Il vécut peu de temps avec sa femme, qui mourut lui laissant un fils. Il fut ordonné diacre le 28 juillet 1879. Cinq ans après, en 1884, il fut ordonné prêtre. Après son ordination, il partagea avec sa sœur l’héritage paternel. Un de ses compatriotes, menacé de faillite, le supplia de l’aider. Pour sauver son ami, le Père Nicolas se porta garant, et perdit ainsi son héritage, mais trouva la paix. Délivré des soucis de ce monde, il se livra corps et âme à la vie des grands ascètes du désert, en pleine ville agitée d’Athènes.




LA VISION DE SAINT PANTELEIMON




Tout au début, il fut nommé prêtre de l’église de Saint Pantéléimon, au « Nouveau Monde ». Sa paroisse comptait treize familles. Au cours de son service, un prêtre sans paroisse le visita et lui demanda de concélébrer avec lui. De toute son âme, il accepta, car il était simple et bon. Mais le « confrère » alla ensuite trouver le Conseil de la paroisse et s’entendit avec lui. Le Père Nicolas fut chassé, et envoyé dans une autre paroisse formée de huit familles, l’église Saint Jean le Chasseur. Son traitement consistait en un morceau de viande pour le Carnaval et en un autre pour Noël. Cela ne lui faisait rien, car il avait fait du jeûne sa règle. Il lui suffisait d’avoir une église pour y célébrer.
Son renvoi de Saint Pantéléimon avait cependant beaucoup affligé son âme. Un soir, en quittant Saint Jean pour aller chez lui, il pleurait en chemin. Tout-à-coup, il vit un jeune homme qui lui dit : « Pourquoi pleures-tu, petit Père ? » « Je pleure, mon enfant, parce qu’on m’a chassé de Saint Pantéléimon. – Ne t’en afflige pas, petit Père : je serai toujours avec toi. – Mais qui es-tu, mon enfant ? – Je suis Pantéléimon ; j’habite à l’église du quartier du Nouveau Monde ». Et aussitôt, il disparut. Cette vision, le Père Nicolas l’a racontée, telle quelle, à l’une de ses filles spirituelles.
Chaque année, pour la fête de Saint Pantéléimon, il se rendait à l’église du Saint pour y célébrer l’office la nuit entière. Une année – il l’a raconté lui-même -, il était malade et avait beaucoup de fièvre. Ses proches voulaient l’empêcher de célébrer l’office toute la nuit. Mais lui, dans son amour ardent pour le Saint, alla quand même célébrer à l’église.
« La nuit, après la litie, épuisé, je me suis appuyé sur le bord de l’autel. Dans le feu de la fièvre, je vis devant moi le Saint, jeune, tenant à la main une coupe remplie d’un remède, et il me dit : « Bois, petit Père, et tu guériras ». Je la pris de ses mains, et je la bus. La fièvre me quitta et je fus complètement guéri. Toute la semaine durant, j’en gardai dans la bouche le goût d’une douceur suave…Je considérai comme une ingratitude, un péché, de garder le silence. Je sortis alors des portes royales, et je dis : « Mes enfants, j’étais très malade ce soir. Saint Pantéléimon vient à l’instant de me donner un remède. Je l’ai bu et je suis guéri ». Tous crurent, s’agenouillèrent, et glorifièrent le Saint.




SES LITURGIES




Pendant cinquante années consécutives, il célébra chaque jour la liturgie, qui durait de huit heures du matin à trois heures de l’après-midi, par tous les temps, et quelles que furent les circonstances. Même lors de l’occupation des Anglo-Français en 1917, il n’interrompit pas le cours de ses liturgies. Dans les chapelles des rues étroites de l’Acropole, brûlantes sous l’ardeur du soleil de juillet, en plein midi, il célébrait dans des églises qui n’avaient qu’une porte, par où pénétrait le soleil ; ses vêtements liturgiques ruisselaient de la sueur écumante de ce véritable ouvrier de la vigne du Seigneur.




SES JEÛNES




Il ne mangeait que le soir. Durant les carêmes, il ne consommait même pas d’huile.
Pour la Croix, il commençait le jeûne le premier septembre, et le poursuivait jusqu’au quatorze du même mois. Pour les Saints Archanges, en novembre, il jeûnait les huit premiers jours du mois. Lors des grandes fêtes, il chantait l’office de consolation jusqu’au temps du renvoi.
Père confesseur, sur l’abstinence, il n’était pas exigeant pour les autres, mais il l’était pour lui-même, se soumettant aux jeûnes les plus sévères. Un jour que nous étions venus lui apporter quelques chocolats, nous lui donnions l’assurance qu’il pouvait sans peine les consommer en carême. Il les prit et, après qu’il les eut attentivement examinés : « Reprenez-les, dit-il, ce sera plus sûr ».




SES « FACTURES ET SES CONTRATS »




Des heures durant, il commémorait à la proscomédie tous et toutes. D’abord venaient les défunts, Patriarches, Métropolites, prêtres, diacres, puis les fidèles, habitants de Naxos et d’Athènes. Les noms qui lui étaient remis, il les commémorait des mois et des mois durant. Désireux de lui épargner cette peine, ses enfants spirituels venaient à son insu lui dérober, pour les déchirer, les vieux dyptiques, qu’il traînait avec lui en quelque église qu’il allât. C’est à cet effet d’ailleurs qu’il les serrait dans deux grands mouchoirs qu’il nouait en forme de besaces et qu’il plaçait sur son cœur au risque d’étouffer. Et lorsqu’enfin de retour chez lui, sur le coup de cinq heures du soir, il parvenait à se défaire du fardeau qui lui pesait sur la poitrine – car outre ces deux petites besaces, il avait encore une petite boîte qui renfermait de saintes reliques- nous lui disions : « Qu’est-ce donc que ces deux petites besaces ? –Mes factures et mes contrats », répondait-il, de crainte qu’on ne lui déchire les noms inscrits sur ses petits papiers.
Il avait cette simplicité extrême qui ne se rencontre point hors de la petite enfance. Et cependant, c’était le même être qui faisait des réponses plus pertinentes qu’un philosophe.
On lui disait parfois : « Mais n’êtes-vous pas fatigué, Père ? Quand donc prendrez-vous quelque repos ? » Avec une grande humilité, il croisait les mains : « Je chanterai mon Dieu tant que je vivrai », répondait-il, citant le verset du Psaume 103.
Il n’était point de ces bavards qui jacassent à tort et à travers. Un autre encore lui faisait cette question : « Mais pourquoi donc restez-vous si longtemps dans l’église ? » - « Quand tu ouvres ta boutique, n’y restes-tu pas tout le jour ? L’Eglise, c’est pour moi la même chose. »
Comme il célébrait tous les jours, il changeait souvent d’église, mais il avait quelque préférence pour celle du prophète Elisée de la rue Arèos, qui n’existe plus aujourd’hui. Des mains impies l’ont abattue, sans penser qu’elle fournissait aux monastères de la Sainte Montagne et de toute la Grèce des hommes vertueux et, pour les couvents de femmes, de pieuses moniales. Les offices célébrés là duraient la nuit entière, avec des chantres de premier ordre comme Alexandre Papadiamantis – celui-là même qui, dans ses « chansons de Dieu », célèbre cet ouvrier digne du sacerdoce que fut le Père Nicolas- comme aussi Alexandre Moraïtidis qui fut plus tard moine sous le nom d’Andronikos. Toute la nuit, le Père Nicolas veillait avec l’inoubliable Papa Antoni, le prêtre de Saint Nicolas des Pencades. Le Père Nicolas arrivait le soir, à neuf heures et demie, quand il avait pris un peu de repos après la liturgie du jour. A peine était-il entré dans l’église qu’on se bousculait pour l’y recevoir. C’était à qui lui baiserait les mains, la soutane, la tête même, car il était de petite taille. Quelles veillées inoubliables ! Et comme le Papa Planas aimait cette église du Prophète Elisée ! C’était là qu’il se tenait le plus souvent. Il fallait une fête pour qu’il célébrât dans sa paroisse.




LA VISION DE L’AVOCAT




Un avocat nommé Dallas, originaire d’Athènes, le révérait à l’égal d’un Saint. A une certaine époque, la famille de l’homme de loi s’en fut en Allemagne. Peu après, l’avocat reçut des siens une lettre désagréable. Il en conçut un si vif chagrin que, dans son désarroi, il ne pouvait plus trouver le sommeil. Aussi songea-t-il à se rendre à Saint Jean. Là-bas, il en avait la certitude, il trouverait Papa Nicolas occupé à veiller.
Il y alla donc, et se haussa jusqu’à la fenêtre de l’église pour regarder à l’intérieur. Là, que vit-il ? Papa Nicolas assis sur le banc avec, à sa droite, vêtu d’une tunique de peau, un homme maigre, d’apparence ascétique, en tous points semblable à Saint Jean le Précurseur.
Stupéfait, il courut chez madame Simina, la sacristaine. « Réveille-toi, lui dit-il, et ouvre-moi la porte pour que je puisse rejoindre l’Ancien ». –Mais, lui dit-elle, le Géronda n’est pas ici ce soir ! –Que dis-tu là ? Je viens de le voir dans l’église. Laisse-moi entrer, je voudrais le voir ». Elle ouvrit la porte ; il entra, et resta cloué sur place : dans l’église, il n’y avait personne…
Par la suite, c’était toujours avec la même stupeur que l’avocat racontait cette histoire.




LE CHATIMENT DE LA SACRISTAINE




Il s’était naguère trouvé à l’église Saint Jean une jeune sacristaine, Marie, que le Malin tourmentait au point de lui faire longtemps concevoir de l’aversion pour le Géronda. Un jour que le prêtre entrait dans l’église, elle fit à son adresse un geste insultant. Lui, cependant, ne parut pas même s’en apercevoir.
Cette nuit-là, la sacristaine fit un rêve. Saint jean lui apparut, et lui dit : « Que t’a fait mon serviteur pour que tu l’insultes de la sorte ? » Là-dessus, il lui administra un soufflet, dont, au matin, elle portait encore la marque. Car lorsqu’elle s’éveilla, sa joue était noire.
Le lendemain, quand le prêtre vint à l’église comme chaque jour, la sacristaine courut à sa rencontre et, se jetant à ses pieds, implora son pardon, en le conjurant aussi de lui piétiner les mains. Mais lui, qui était doux et paisible, s’écartait pour n’en rien faire. Elle criait : « Piétine-les, mon Père ! » Dans sa simplicité, il demandait : « Mais pourquoi les piétinerais-je ? »
Cela dura assez de temps, lui refusant de les piétiner, elle insistant toujours. Il lui pardonna cet incident auquel il n’avait pas même pris garde.
Peu après cette vision, la sacristaine se fit moniale, et reçut le nom de Matrona.




SA PATIENCE ET SA LONGANIMITE




Sa patience et sa longanimité étaient sans limites.
Il avait, pour l’assister, un chantre qui le suivait partout afin de psalmodier lorsque personne d’autre n’était là pour le faire. Son nom était Michel.
Bien qu’il aimât le Père Nicolas, il le persécutait et l’assourdissait de ses glapissements.
Les jours de gel ou de neige, lorsque tous les petits vieux se serraient frileusement près de leurs poêles, il fallait encore que ce Michel se trouve à ses côtés dans l’église. Il frappait dans les paumes de ses mains pour les réchauffer et, au Père Nicolas qui commémorait les fidèles, il criait : « Allez, viens Papa-a-a-a-a ! Allons, c’est ça, tu fais tout pour arracher les morts à l’enfer et pour nous enterrer de froid ! »
Et, de plus belle, il battait des mains et des pieds pour se réchauffer, tandis qu'au dehors la neige continuait de tomber...
Une autre fois - c'était en été- il célébrait à l'Institut du boulevard du Roi Georges, qui abritait une petite église dédiée à Sainte Anne. Là, au sortir de la liturgie, sur le coup de trois heures de l'après-midi, le Géronda s'était enfin assis, en plein air devant l'église, sur un siège de fortune où il s'endormit. Sous prétexte de lui témoigner sa sollicitude, Michel accourut et le heurta brutalement, bousculant sa chaise en viciférant : "Tu vas prendre froid, Papa!"
Il avait bu, en effet, comme ilfaisait toujours à la première occasion dès la fin de la liturgie.
Ces réveils en sursaut étaient toujours, pour le Père Nicolas, qui était si fatigué, une cause de terreur. Mais avec son humilité, qui n'était pas feinte, il nous dit :"Ne le grondez pas. Il m'aime, mais il ne me le montre pas." Ces paroles nous confondirent; nous ne savions que répondre.
Les petits enfants ont aussi leurs humeurs, et leur égoïsme. Lui n'avait jamais su ce qu'étaient l'égoïsme ni la colère. Une seule chose l'attristait : c'était qu'on l'interrompît dans sa prière; il s'assombrissait alors.
Il arriva que ce même Michel ne lui permit pas de faire après la liturgie une paraclèse - un office d'intercession- à la Mère de Dieu. Tout le jour, lePapa eut un air sombre, et en lui-même il se répétait :"Et dire qu'il ne m'a pas laissé faire la paraclèse!"
Lorsqu'un jour à Saint Jean une querelle éclata entre les marguilliers, il se cacha au fond du sanctuaire pour ne pas y prendre part. Un autre jour, à l'heure de la sieste, il conseillait à une de ses filles spirituelles une méthode pour retenir sa colère :"Crois-tu, mon enfant, lui disait-il, que je ne sache pas parler moi aussi? Je sais parler, mais je songe aux suites malheureuses qu'auraient mes paroles, et alors je me tais."




LE CALENDRIER




Un jour, Panaghiotis Tomis, le chantre des grandes vigiles,lui fit cette question: "Pour quel calendrier es-tu donc, Père?" "Par conviction, répondit le Papa Nicolas, pour l'Ancien; et, par contrainte, pour le Nouveau".
La réponse ne parut pas satisfaire le chantre, qui s'en alla.
Le Papa Planas resta néanmoins fidèle à l'Ancien Calendrier en actes comme en paroles, ce qui lui valut des ennuis avec la hiérarchie officielle. Il fut même convoqué par l'Evêque Chrysostome Papadopoulos. Voici comment l'Evêque Germanos racontait cette étonnante entrevue:
Convoqué par l'Archevêque,Papa Nicolas devenait de plus en plus inquiet, et s'effrayait comme un enfant d'avoir à le rencontrer. Ilne cessait de répéter : "Que me veut-il? Que peut-il bien me vouloir?" Quand il se rendit chez l'Archevêque, l'on aurait dit un élève envoyé au bureau du proviseur. Etre d'une douceur exemplaire, Papa Nicolas détestait ce genre de comparution. Il n'aimait pas non plus se trouver mêlé à des disputes. Quoi qu'il en soit, quand il entra dans le bureau de l'Archevêque, celui-ci se leva pour l'accueillir. Il le reçut très aimablement et lui offrit un siège. Papa Nicolas prit place, toujours sur les charbons ardents. D'un air grave, l'Archevêque commenca :"Père Nicolas, nous avons pour toi, tu le sais, beaucoup d'amour et de respect. Toutefois, j'entends dire que tu es un Ancien Calendariste et que, nonobstant les décisions de l'Encyclique de notre Saint Synode, tu célèbres les fêtes de l'Eglise selon l'ancien comput et non selon le calendrier corrigé de la récente réforme?" Alors, dans sa candeur d'enfant, le papa Nicolas répondit :"Oh! Seulement la nuit, Monseigneur! Seulement la nuit!" Réponse qui laissa l'Archevêque pantois.




LECON AU COCHER




Une fois, il prit un fiacre pour se rendre à Saint Jean, sa paroisse. Près des Portes d'Adrien, pour je ne sais quelle faute du cheval, le cocher se mit à jurer.
Le prêtre lui dit aussitôt :"Arrête-toi, mon fils, pour que je descende", tout en lui payant le prix convenu. "Mais je ne t'ai pas conduit jusqu'à ton église", dit le cocher. " Je le sais, mon fils, mais je ne puis rester dans ton fiacre, parce que tu insultes Celui que je sers".
Le cocher ne sut que répondre, et qui sait s'il jura de nouveau...




LA VISION D'UN PETIT GARCON




Mme K.M. alla un jour avec son enfant à l'église du Prophète Elisée où célébrait le Père Nicolas.
Pendant toute la liturgie, l'enfant était dans le sanctuaire. Tout-à-coup, sa mère le vit sortir, blême, et venir à elle en disant :" Maman! Le Père Nicolas est comme çà au-dessus du sol!", et il montrait de sa main la moitié d'un mètre.
L'enfant avait huit ans. Sa mère lui dit :" N'aie pas peur, mon enfant. Tous les prêtres s'élèvent au-dessus de la terre quand ils célèbrent".
L'enfant la crut et se calma.




LA LUMIERE AU-DESSUS DE SA TETE




Une fois, il voulut aller célébrer la fête annuelle, le 8 juin, jour des Saints Théodores, dans la petite église des champs du Vieux Phalère, dédiée aux Saints Théodores.
La veille au soir, il se rendit dans une famille amie, une famille très pieuse, pour y dormir, afin d'être de très bonne heure à l'église. Très tôt,il se coucha dans la chambre qu'on lui avait réservée, et à l'autre extrémité de la maison s'installa son chantre, soeur Victoria, une âme sanctifiée.
Afin d'accompagner le lendemain le Père Nicolas à l'église, la maîtresse de maison prépara le repas dès le soir même. Pendant qu'elle cuisinait les fenêtres ouvertes - c'était l'été- elle vit une lumière venir du plafond, aller jusqu'à la tête du Père Nicolas, puis sur celle de son chantre, et revenir sur le Père Nicolas.
Effrayée, elle appela son époux et lui dit : "Photi, viens voir!" Les époux se signèrent en voyant le phénomène. Avec beaucoup d'émotion, la dame nous raconta la chose, le matin, tandis que nous rendions à l'église. Le Père Nicolas n'en sut jamais rien...




PETIT PERE, N'ETEINS PAS LA LUMIERE




Une personne, qui plus tard devait devenir sa bru, hébergeait un vieillard indigent,malade et abandonné. Le Père Nicolas le visitait deux fois par semaine, et l'avait, en somme, pris en charge.
Un soir - le soleil s'était déjà couché -, la jeune fille sortit sur son balcon. Elle vit de loin une lumière. La nuit tombait, et elle ne put discerner exactement ce que c'était. Peut-être la lanterne d'un fiacre? - Cela se passait il y a plus de cinquante ans-. Quand la lumière fut proche, elle reconnut le Père Nicolas précédé de la lumière. Il pénétra dans la cour. La jeune fille sortit et lui cria :"Père, n'éteins pas la lumière, je vais descendre pour allumer ma lampe." "Mais, mon enfant, je n'ai pas de lumière!" lui répondit-il. "Maismoi, je t'ai vu venir de loin avec la lumière!" -"Non, non, mon enfant, répéta-t-il, je n'ai pas de lumière".
Chose inexplicable pour les incrédules, et pour tous ceux qui n'ont pas connu le Père Nicolas et la Grâce qui était sur lui...




SON DETACHEMENT




Quelle que fût la tâche dont il s'acquittait, le Papa Planas ne demandait pas le moindre argent, car il avait des biens matériels un mépris sans pareil.
Un jour, alors qu'il lisait un office d'intercession à l'intention d'un certain Georges Stellas, ce dernier tint à lui témoigner sa reconnaissance. Il lui remit donc une enveloppe cachetée, dans laquelle il avait glissé une somme coquette. Mais le Papa Planas ne la prit que pour la donner à une pauvre femme qui se tenait là, attendant que finît la paraclèse - l'office d'intercession-. Il n'avait aucunement cherché à l'ouvrir. Le donateur suffoquait, assez choqué. "Ah! s'eclama-t-il, quand je pense que cet homme béni n'a pas même jeté un regard sur ce que je lui donnais!"




JE NE VEUX PAS D'ARGENT
TA BENEDICTION ME SUFFIT




Le Père Nicolas tenait l'une de ses filles spirituelles en estime particulière. AUssi n'était-il pas rare qu'il lui fît des confidences. Un jour - c'était durant les heures chaudes de l'après-midi - pleines de paix et de sérénité, il lui avoua qu'il s'était trouvé jusqu'à onze familles de veuves et d'orphelins auxquelles il versait des pensions. Ilne se cacha pas de l'avoir fait aussi pour de très jeunes veuves, car, disait-il, la misère pousse à la perdition. Des années durant, il continuait de verser ces sommes, et il nous arriva de voir leurs enfants devenus grands - ils pouvaient avoir près de quatorze ou quinze ans - venir à l'église pour y chercher leur subsistance.
Il lui passait beaucoup d'argent entre les mains, qu'il distribuait tout aussitôt en aumônes. Il n'était pas jusqu'aux jeunes diacres auxquels il n'offrît des études. Que de fois ne se trouva-t-il pas sans le sou! Mais il n'y prenait garde.
C'est ainsi qu'il emprunta quelque jour un fiacre pour se rendre dans une maison qu'il devait visiter. Lorsqu'arrivé à destination, il voulut payer, il sortit sa petite sacoche de toile bise pour y chercher de l'argent, fouilla, fouilla encore, mais ne put rien trouver. Il se trouva fort gêné.
"Mais, lui demanda le cocher, ne serais-tu pas le curé de Saint Jean, le Papa Nicolas?" "Oui, mon enfant, c'est bien moi". "Eh, fit l'autre, je ne veux pas d'argent! Ta bénédiction me suffit!"
Il lui arriva un jour de monter à Saint Jean dans une voiture de transport public pour descendre en ville. Il était accompagné de ses enfants spirituels. Ceux-ci coururent acheter leurs billets. Mais le contrôleur les arrêta. "Non, dit-il, le propriétaire de la compagnie m'a défendu de prendre de l'argent au Papa Nicolas ou aux membres de sa compagnie, s'il leur advenait de monter en voiture". Pour le Papa Nicolas, on le voit, il n'était rien qui ne fût acquitté d'avance.
Un dimanche matin, le Père Nicolas sortait d'unemaison pourse rendre à Saint Jean. A quelques pas de là, en face, se trouvait une station de fiacres. Quand les cochers l'aperçurent, tous, d'un même élan s'abattirent sur lui comme unenuée : c'était à qui reviendrait l'honneur de le conduire. Lorsque l'un d'eux,enfin l'eut emporté, les passants s'enquirent auprès des autres de ce qui causait tout ce beau tumulte.
"C'est, leur dirent-ils, une chose bien connue des cochers, que si l'un de nous prend le Père dans son fiacre, il en reçoit beaucoup de profit dans son travail, car le Père le couvre de sa bénédiction." La même chose se produisit encore devant l'église du Prophète Elisée. Et l'on était bien loin des gestes d'insultes dont l'on voyait et dont l'on voit encore les prêtres salis...




UNE DAME LE MET A L'EPREUVE




Une dame, de celles qui ont la tentation diabolique d'éprouver les Saints, et trouvent toujours prétexte pour médire des prêtres, entendit parler des vertus du Père Nicolas et décida de le mettre à l'épreuve. Elle alla un jour à l'église et lui dit :" Père, tu viendras chez moi pour me faire une quarantaine d'offices, car j'ai beaucoup d'ennuis de famille. Je t'attendrai tous les après-midi". "Avec joie, mon enfant", fut sa réponse.
Il prit l'adresse et s'y rendit dès le lendemain. Il fit l'office d'intercession, et, à la fin, la dame lui donna dix sous qu'il accepta sans rien dire. Il repartit. "A demain", dit-elle. -"Avec joie", répondit-il.
Le lendemain, il revint, épuisé de fatigue, comme d'habitude, car il était déjà vieux. Il célébra le même office et reçut encore dix sous. Simple et innocent, il les accepta.
Ce jeu dura quarante jours. A la fin, elle se jeta à ses pieds, contrite, lui demanda pardon, et lui dit :" Tu es le prêtre modèle de la patience et du devoir!"




IL BOIT DU POISON SANS DOMMAGE




A une époque où il était épuisé par les longues veilles et par les liturgies, un de ses fils spirituels, un jeune pharmacien, lui prépara un fortifiant : c'était du vin mêlé de différents toniques et d'une certaine dose d'arsenic. Chaque soir, il devait en boire un verre à liqueur. Sa famille spirituelle s'était chargée de lui administrer le remède.
Deux jours s'étaient à peine passés quand, un beau matin, il se leva très tôt pour aller célébrer la liturgie. Dans sa prière - il priait dès qu'il ouvrait les yeux- et par distraction, au lieu de prendre la bouteille de vin, il prit celle qui contenait le remède. Il se rendit à l'église, célébra la liturgie et consomma le tout, s'en trouva en parfait état et rentra chez lui.
Quand on voulut lui donner son remède, on chercha partout la fiole sans la trouver. Voyant l'inquiétude de son entourage, il sortit de sa poche la fiole qui portait l'étiquette. Voyant la chose, tous furent troublés. Ils lui demandèrent :"Ne sens-tu rien? " "Ne vous en faites pas, leur répondit-il, le Seigneur n'a-t-il pas dit : Même si vous buvez un poison mortel, il ne vous fera aucun mal?"
Tout au contraire, il trouva bien doux le remède amer...




LA GUERISON DU PERE DIMITRI




Nous évoquerons à présent un de ses miracles, et cela pour la goire de Dieu!
Un prêtre de la région de Marathon revenait chez lui, dans l'après-midi d'un jour de fête. Dès qu'il fut rentré, il commença, très gêné, de tirailler ses manches avec insistance, comme pour se défaire de quelque chose qui le gênait. Sa femme lui demanda ce qu'il avait. Il lui dit qu'en route, alors qu'il revenait, des malfaiteurs l'avaient arrêté et chargé de chaînes. Il tentait, pendant son récit, de se défaire de ses chaînes imaginaires! On l'amena sur-le-champ dans une clinique de la capitale. La science décréta que cela proveniat d'un empoisonnement du sang, à la suite d'une longue insomnie...Il y demeura quarante jours et son état s'aggrava. On décida alors de l'amener à l'église du Papa Planas, ce petit havre tranquille où se réfugiaient les âmes que ballottaient les vagues déchaînées de la vie. On l'y porta un soir. Un office de longue veille devait être célébré à son intention. Deux personnes l'accompagnèrent pour le garder : sa femme et son fils âgé de dix-neuf ans.
Quand la compagnie du Père Nicolas, composée de cinq à six personnes, le vit, elle prit peur. Enfin, on commença l'office. Le Père Dimitri fit beaucoup de bruit : il voulait monter sur les stalles, sortir en sautant par la fenêtre, à lquelle, heureusement, il y avait des barreaux de fer. Il voulait quitter sa place pour aller battre les religieuses qui chantaient. Son fils le menaçait avec une corde qu'il tenait à la main. Sa femme le sermonnait. Il répondait :"Je veux tuer le prêtre! Je veux brûler ces femmes!" en montrant les soeurs qui psalmodiaient.
Au bout d'un moment, il échappa à sa garde et alla dans le choeur où les soeurs chantaient avec le Père Nicolas. Le prêtre malade se mit à chanter avec beaucoup de contrition, mais à contretemps, le tropaire de Saint Nicolas. Le Père Nicolas dit aux soeurs : "Ne l'interrompez pas, laissez-le le chanter en entier".
Puis, le possédé retourna à sa place et, quand le jour se leva, calmé, il déclara qu'il était guéri, et qu'il allait dormir, dormir longtemps, car il y avait quarante jours, prétendait-il, qu'il n'avait pas fermé l'oeil. Il faisait peur à voir, par suite de son insomnie: ses yeux étaient gonglés et rougis et son air sauvage. Il rentra chez lui, dormit trente heures, et se réveilla en parfaite santé.
Dans la semaine qui suivit sa guérison, il alla à l'église du Prophète Elisée, et participa comme chantre à la liturgie du Père Nicolas. Les soeurs eurent de la peine à retenir leurs larmes, surtout quand elles allèrent, après la liturgie, lui baiser la main.
Quand ce prêtre venait à Athènes, il se rendait d'abord chez le Père Nicolas, recevait sa bénédiction, puis allait à ses affaires.
Combien de miracles le Père Nicolas a-t-il encore à son actif! Mais je les tairai, de crainte de passer pour bavarde.




APPARITION DE SAINT JEAN
ET DE SAINT PANTELEIMON




Au cours del'année 1923, l'un de ses enfants spirituels qu'il chérissait tout particulièrement, homme resplendissant de santé et qui manifestait toujours une activité débordante, se trouva soudain atteint d'une typhite. Il ne lui resta bientôt plus que huit jours à vivre. Ce peu de jours-là, on eût dit que le Père Nicolas faisait descendre le Ciel sur la terre, tant l'on sentait, de son coeur, monter la prière, droite, brûlante, ininterrompue. Il suppliait que son enfant spirituel bien-aimé vécût.
Mais, un soir, il rentra chez lui l'air abattu, la mine défaite: "Elie va mourir, annonça-t-il péniblement aux siens, Saint Jean et Saint Pantéléimon me l'ont dit."
Et c'est vérité que son enfant bien-aimé s'en alla, celui qu'il ne saluait jamais que dans une étreinte.
Trois mois se passèrent avant que la soeur du mort, dont la douleur ne peut se peindre, fût en état de demander au Père Nicolas une relation plus détaillée de sa vision.
"C'était, lui dit-il, à l'heure où je célébrais. Tout-à-coup, face à moi, derrière la Sainte Table, je vis Saint Jean et Saint Pantéléimon. - " Nous avons transmis ta requête au Christ notre Maître,m'expliquèrent-ils, mais Il nous a répondu qu'il ne se pouvait faire qu'il ne mourût. Ils ajoutèrent qu'ainsi en avait disposé le Dieu Très Haut."
Et nous hochâmes la tête, quelque peu consolés...




APPARITION D'UN ANGE




Une fois, alors qu'il n'était pas encore très vieux, il se mit en route, seul, pour se rendre à une chapelle perdue dans la campagne de Péristéri, où devait avoir lieu un office. Au bout d'un moment cependant, il s'égara, et s'engagea dans les champs, sur des sentiers, sans savoir où il allait. Ennuyé, il avançait en priant. Tout-à-coup, un jeune homme surgit devant lui, et lui dit :"Tu as perdu ton chemin, petit Père? Je vais te guider."
Le Père Nicolas suivit le jeune homme, et tous deux parvinrent à l'église. Ici, c'est le Père Nicolas qui raconte :" Dès que nous fûmes devant la porte et que je me retournai pour le remercier, il resplendit dans une lumière éclatante et disparut."




DANS LE MONDE,
LOIN DU MONDE




Lorsque la liturgie avait pris fin - c'était ordinairement, nous l'avons dit, aux alentours de deux, trois heures de l'après-midi, car il fallait dire une foule d'offices d'intercession, et commémorer une litanie interminable de noms, ce qui doublait toujours le temps de l'office - l'excès de fatigue faisait du Papa Nicolas une loque. Aussi, quand il fallait encore visiter de proches amis, prenait-il quelque repos dans un fauteuil, où ilne tardait pas à s'endormir.
Autour de lui cependant, tout son petit monde, qui constituait comme une synodie, et qui à cette heure se trouvait assemblé là, devisait, et l'on échangeait mutuellement des opinions.
Or, un jour, il arriva que l'on prit aussi l'avis du Père Nicolas: "Et vous, mon Père, avez-vous entendu ce que nous disions à l'instant? Qu'en pensez-vous?"
Et, bien qu'il lui coûtât de s'arracher aux profondes pensées où il était plongé, il ne voulait point les décevoir et s'efforça de parler à son tour. Nous l'entendîmes demander alors :" Qui gouverne actuellement?" Car il ignorait jusqu'au nom du premier ministre! Aussi, ce jour-là, tous ceux qui se trouvaient à ses côtés s'empressèrent-ils de lui caresser la tête, de lui baiser les mains, et de le laisser à son hésychia.
Quand il sortait de chez nous pour aller à l'église,les femmes du voisinage se signaient en signe de respect, et les passants, dans leur vénération pour lui, suspendaient leur marche. Qui donc faut-il blâmer aujourd'hui de l'irrespect don témoigne le monde envers les prêtres? Ne voit-on pas le zèle que ces mêmes gens mettent à chercher un prêtre vertueux, et qu'ils le respectent si quelque part il en surgit un? Suur-le-champ, ils s'enquièrent de l'endroit où il prêche, comme du lieu où il célèbre la liturgie, tant est grande leur hâte d'aller l'entendre.




QUEL IL ETAIT AVEC LES RICHES ET AVEC LES PAUVRES




Du Papa Planas, cette personnalité, cet homme admirable, l'on pouvait attendre qu'il ne fît pas acception de la condition sociale. Et il en allait bien ainsi : pour tous, il était le même. Sophie Tricoupis, d'éternelle mémoire, était au nombre de ses connaissances, et elle avait pour lui une grande vénération. A cette époque, madame Zlatane venait, en grand équipage, le visiter également. Que de fois ne s'était-il pas rendu à l'hôtel particulier qu'elle habitait alors, pour y bénir les eaux! Et il n'était pas rare que cette eau bénite fût portée à la reine, chez qui madame Zlatane était admise. Mais, au sortir de l'hôtel, il allait de ce pas s'acquitter du même office chez une pauvre Chrétienne qui occupait un misérable taudis perdu dans un lacis d'étroites ruelles au pied de l'Acropole. Cette pauvre femme avait pour unique gagne-pain un plateau de caramels, avec quoi elle tâchait de survivre. Lorsque la bénédiction était achevée, éperdue de reconnaissance pour un prêtre si compatissant, la petite femme au grand coeur lui offrait quelques-uns de ses bonbons. Lui, cependant, n'en prenait pas. Ce n"était pas faute de les aimer pourtant!
"Pourquoi, Père, lui disait-elle, ne prends-tu pas de caramels?" Il trouvait difficilement à répondre, mais à la fin, avec une simplicité candide, il lui disait :"Mais, pour ne pas te léser!"
Sa fille spirituelle demeurait stupéfaite, elle qui, tout-à-l'heure l'avait aidé à gravir les escaliers de l'étroite rue escarpée: non content de ne pas lui prendre d'argent, il refusait encore, pour ne pas la léser, les deux ou trois bonbons qu'elle lui tendait!
Toute sa vie témoignait ainsi de la noblesse de ses sentiments, à laquelle se mêlait une enfantine simplicité.




COMBIEN SES LITURGIES ETAIENT MAJESTUEUSES




Lorsqu'il célébrait, il voulait que tout concourût à la magnificence du service. C'est ainsi que, lors de " la petite entrée" par exemple, il ne voulait pas un petit cierge pour précéder l'Evangile, mais un grand. Et il en voulait aussi devant les Portes Royales. La nuit, lorsqu'il disait l'office à la Sainte Trinité, c'était une multitude de cierges qu'il allumait devant l'icône du Christ. Il avait passé sa chasuble, et il se tenait là, hiératique. Et il mettait dans ses chants une telle contrition qu'une nuit parmi les nombreuses nuits où il s'était trouvé à psalmodier dans la nef de Saint Jean, il netendit, dans la chapelle adjacente dédiée à Saint Basile, les Anges qui l'accompagnaient. S'interrompant alors, le Père Nicolas saisit par la main sa fille spirituelle qui l'assistait alors :" Entends-tu, Marie, lui dit-il, entends-tu les Anges?" "Je ne les entends pas, fit-elle".
Tout aussitôt alors, il se repentit d'avoir parlé et il marmonnait en lui-même :"Je n'aurais pas dû parler, je n'aurais pas dû parler..."
Au petit matin, la moniale qui s'était trouvée à ses côtés conta l'histoire à ses soeurs qui étaient absentes cette nuit-là.
Il avait d'autres visions, dont il ne s'ouvrait qu'à son compagnon du moment. Si, plus tard, d'autres lui posaient des questions, il ne soufflait mot, disant seulement :"Je n'ai rien vu".
Mais les autres couraient apprendre la vérité du chantre qui se tenait toujours à ses côtés.




LA PROSPHORE DE L'ANGE




Pendant un demi-siècle, où il célébra sans interruption chaque jour la liturgie, jamais ilne manqua de prosphore, ce pain marqué de croix et de symboles et destiné à devenir l'agneau liturgique. S'il n'en avait pas chez lui, il s'en procurait facilement chez un boulanger du voisinage.
Un jour que l'office des mâtines était très avancé, il n'y avait nulle part de prosphore. Il dépêcha deux femmes de sa suite chez lez boulangers et chez les pieuses maîtresses de maison qui, d'ordinaire, en ont chez elles. Il fouilla les armoires du sanctuaire pour voir si un autre prêtre n'en avait pas laissé. Rien. On n'en trouva nulle part. Après une telle suite de liturgies, souffrir de ce manque! Il en fut affligé jusqu'aux larmes...
C'est alors qu'on le vit sortir des Portes sacrées, tenant une prosphore toute fraîche. Il venait de la trouver sur l'autel! Bouleversé de joie, il nous dit :" Voyez, mes enfants, quel signe Dieu vient de me faire!"
Tous les miracles, il les appelait "signes"; D'ailleurs, il ne s'attardait pas à ces phénomènes, qu'il considérait comme normaux. Ilne les commentait pas non plus, pour ne pas se donner de l'importance. Comme dans la Vie des Saints, où un ange sert les ascètes dans le désert par des révélations et des secours surnaturels, ainsi en était-il pour le Père Nicolas.
Pourquoi le même Ange n'aurait-il pas secouru cet être qui était dans le monde et hors du monde à la fois? Ce véritable serviteur du Seigneur, cet ascète, sur lequel des journaux publièrent des articles tels que celui intitulé :"Un ascète dans Athènes, où ils louaient sa piété exceptionnelle et ses vertus.
En vérité, tout est possible à celui qui croit.




C'EST PHOCAS L'EVEQUE MARTYR!




On était à la veille de la fête de Saint Phocas, l'évêque martyr.
Il faisait nuit encore, lorsque les soeurs s'étaient toutes assemblées à l'église pour y chanter mâtines. A la droite du Père Nicolas, proche à le toucher, se trouvait une de ses filles spirituelles. Mais voici que, l'espace d'un instant, prise d'un léger sommeil, celle-ci s'endormit debout. Et voici ce qu'elle vit alors.
Derrière le Père Nicolas se tenait, attentif à suivre l'office, un prêtre à la mise splendide, coiffé comme un Evêque! Sur-le-champ, elle revint à elle :"Père, souffla-t-elle au Père Nicolas, là, derrière vous, se tient un prêtre magnifiquement mis...Il s'applique à observer comment nous chantons l'office..."
"Chut! fit le Père en mettant un doigt sur ses lèvres, c'est Phocas, le Saint Evêque Martyr!"
Et il se tut, de crainte que les autres ne l'entendissent.
Autant qu'il était en lui, il taisait ces choses-là. Mais c'était un commerce des plus intimes qu'il entretenait avec les Saints. Que l'on pût les fréquenter lui paraissait chose très naturelle.




LA GUERISON MIRACULEUSE




Voici plus de quarante années déjà, une riche famille d'Athènes pressait le Père Nicolas de venir célébrer l'office de l'onction pour les malades. Le Père Nicolas accourut. A peine avait-il achevé l'office que la maîtresse de maison le priait de passer encore au chevet d'un malade à qui elle avait loué une des chambres de sa maison. Elle désirait que le prêtre fît à ce jeune homme la même onction qu'il venait de faire aux siens, car son état semblait désespéré.
Là encore, le Père s'exécuta. Après quoi, il s'assit à son chevet et, entre plusieurs questions qu'il lui fit, s'enquit aussi de son nom. Celui-ci lui dit s'appeler Jacques. "Ah, mon enfant, voilà qui est bien : Tu portes le nom du frère du Seigneur!" L'autre, cependant, qui était incrédule, lui rétorqua, sarcastique :"Ah, vraiment, le Christ avait donc des frères?"
Alors, lentement, posément, le Père Nicolas expliqua qu'avant de se fiancer à la Toute Sainte Mère de Dieu, Joseph avait eu, d'un premier mariage, cinq enfants légitimes, au nombre desquels était Jacques. Cet éclaircissement du Père Nicolas émut l'homme de compassion. "Ah, mon Père, supplia-t-il, implore donc Saint Jacques de me guérir! Pour moi, je fais le voeu de célébrer chaque année sa fête avec la plus grande magnificence qu'il se pourra."
Sur ces mots - car c'est lui-même qui s'ouvrit par la suite à l'une de ses filles spirituelles de toutes les choses que nous rapportons ici, le papa Planas poursuivit : "De retour chez moi, je fis mon devoir de prêtre..." Et certes, l'on peut douter si cette nuit-là, il songea, fût-ce un instant, à donner à ses paupières quelque repos! Cette nuit même, le malade vit en songe un hiérarque splendide, tenant à la main une cassette pleine d'un onguent miraculeux. "Tourne-toi sur le dos, lui enjoignit-il, que je te signe les épaules avec ce baume". Le malade s'était exécuté, et le hiérarque, avec le remède précieux, avait marqué ses épaules du signe de la Croix. "Qui es-tu?" avait interrogé le patient. "Je suis Jacques", lui avait répondu l'apparition. Après cette vision, loin que le malade guérît seulement da,s son corps, il fut aussi régénéré dans son âme; et dans sa joie, le jeune homme épousa la fille de ses hôtes. Dès lors, chaque année, en grande pompe, il faisait à Saint Jacques une fête très solennelle, et, à l'église Saint Jean, il faisait suivre la liturgie d'agapes fraternelles. Parfois même, il faisait venir un choeur, afin de donner à la cérémonie plus de magnificence encore. Et toujours, le Saint protégea sa famille.
Un jour qu'en présence du Papa Planas nous évoquions ce miracle, nous lui demandâmes quel métier exerçait le miraculé. Le Père Nicolas entreprit aussitôt de nous éclaircir : il était, selon lui, conseiller à la Cour d'Appel. Plus tard, nous apprîmes qu'il était en réalité à la tête d'un ministère!
Un colonel avait reçu un bienfait du Père Nicolas et venait régulièrement recevoir sa bénédiction. Ses enfants spirituels lui demandèrent un jour quel était le grade de l'officier en question, et le Père, qui ne s'intéressait pas aux affaires du monde, leur répondit :"On dit qu'il est capitaine."
L'on essaie de nos jours, devant le triste état de l'Eglise, de trouver des causes, et l'on prétend que les prêtres doivent recevoir une instruction théologique "érudite " et "scientifique". Toutefois, ce n'est que par leur zèle pour la piété, s'ils en ont, que le mal sera corrigé. Faites donc venir vos Métropolites des Saints Monastères, comme Saint Niphon, Patriarche de Constantinople, Saint Théonas, Archevêque de Thessalonique, et tant d'autres, qui sortirent de la Sainte Montagne. S'ils font des études à Genève, de quel profit cela sera-t-il pour l'Eglise? Ils en reviendront simplement imbus de notions protestantes. L'on suggère que notre Eglise a un siècle de retard. Puisse-t-elle avoir la piété d'il y a un siècle! Quatre cents ans de servitude sous le joug ottoman nous ont valu trente cinq mille Nouveaux Martyrs - pour la plupart illettrés. Une éducation culturelle et scientifique est une excellente chose si la piété l'accompagne. Toutefois, le prêtre dont nous parlons avait très peu de lettres, mais, à cause de sa piété sincère, il possédait toutes les Béatitudes.




LA VANITE FLETRIE




Le Père Nicolas savait convaincre, éclairer, redresser les âmes, sans discours éloquents. Sa vie, sa présence, à elles seules, suffisaient. Une dame, femme d'un industriel athénien, tomba malade. Une de ses cousines était arrivée d'Egypte pour la voir. Elle aussi était riche. Au cours de la conversation, elle lui dit :"Tu devrais faire venir le Père Nicolas, pour qu'il prie pour ta santé."
La fille de la malade tenait beaucoup aux apparences extérieures. Le Père Nicolas, qui célébrait tous les jours dans des chapelles poussiéreuses de la campagne, qui manipulait des cierges et de l'huile, ne pouvait être d'une propreté impeccable. Il était certes propre, mais pas assez au goût de la demoiselle.
Elle dit à sa tante :"Appelons un prêtre d'une grande paroisse, qui soit présentable, et non celui-là, couvert de la poussière des chapelles..."
Dans la nuit qui suivit, elle vit en songe le Père Nicolas, vêtu d'ornements d'or, qui lui dit :" Je te plais ainsi, mon enfant?" Effrayée, elle se réveilla. Elle fit appeler sa tante, et la pria de faire venir au plus vite le Père Nicolas. La tante dépêcha une de ses filleules, en lui disant :" Va vite dire de ma part au Père Nicoalas de venir à la maison, sitôt après la liturgie."
On amena le Père Nicolas chez la malade. Pendant qu'il montait l'escalier, la demoiselle alla au-devant de lui et s'inclina pour lui baiser la main. Alors, le Père Nicolas lui dit :" T'ai-je plu, mon enfant, tel que tu m'as vu?" L'émotion, la stupéfaction s'emparèrent de la jeune fille. Elle ne s'attendait pas à un tel blâme pour sa vanité.




LA COMMUNION DU LEPREUX




Un autre fait révèle sa foi et sa piété inégalables dans l'accomplissement de ses devoirs sacrés.
Dans une ruelle de sa paroisse se cachait un lépreux. La redoutable maladie lui avait dévoré les lèvres. Une fois, le Père Nicolas alla lui apporter la communion. Sa bouche, dévorée par le mal, ne put la recevoir, et le Saint Corps du Seigneur tomba à côy-b té. Sans aucune hésitation, le Père Nicolas se pencha sur le lépreux, posa sur lui ses lèvres, prit la "perle divine" qui était tombée, et la consomma! Que ceux qui éprouvent de la difficulté à communier, par crainte des microbes, réfléchissent!
Quel grand blasphème de penser que le Dieu des vivants et des morts, Créateur du Ciel et de la Terre, puisse être atteint par les microbes! Ce sont là des délires de ténébreux incrédules.
Le malade, découvert par la police, fut envoyé dans une léproserie avec sa fille qui avait été contaminée et qui avait perdu ses doigts. Le Père Nicolas resta indemne.




SON ZELE BRULANT, SA SAINTE PATIENCE




Durant les dix dernières années où il célébra, le petit Père Nicolas était plus que jamais un vieillard épuisé.Un jour qu'à l'église Saint Jean il avait célébré la liturgie, vers trois heures de l'après-midi, le service à peine achevé, il était complètement brisé de fatigue. Survint alors son co-célébrant, de beaucoup plus jeune que lui, frais et dispos, qui lui dit :"Géronda, telle famille a demandé que l'on porte la communion à l'un des siens, qui est mourant. Va donc lui porter la communion". Et, après avoir ainsi laissé ses ordres, il s'en alla.
Pour nous, notre sang se figea lorsque nous entendîmes qu'incombait encore au Père cette nouvelle course si fatigante. Mais lui n'eut pas un murmure. Sa sainte patience avait tout balayé, jusqu'à la moindre pensée mauvaise.
Avec le calice, il prit la sainte communion, et commença de marcher avec sa lenteur accoutumée. Deux soeurs de la synodie s'avisèrent de l'accompagner, afin qu'il pût prendre appui sur leurs bras.
Il s'agissait d'aller au "Nouveau Monde". A cette époque-là, cette banlieue était vierge de toute habitation. Partout ce n'étaient que des champs.
Lorsque, après avoir fait communier le malade, ils prirent le chemin du retour, le Père Nicolas et les deux petites soeurs offraient un spectacle bouleversant. Figurez-vous un petit vieillard se traînant, le saint calice entre les mains. Puis, au fur-et-à-mesure qu'aux approches de l'église ils avançaient sur cette route, tous les attelages, toutes les charrettes s'arrêtaient et les conducteurs en descendaient; la casquette au bout des doigts, ils inclinaient la tête en se signant, en un ultime hommage à la vertu du Père Nicolas.
Tel était le tableau qui offrait à tous les regards la piété jaillie du peuple. A n'en pas douter, ce jour-là, les Anges aussi devaient se réjouir de la victoire que la patience du Père Nicolas lui avait acquise.




CONSOLATION ET REFUGE




Dans toutes les petites églises où le Père Nicolas célébrait, il était la consolation et le refuge de beaucoup.
Un père de famille, depuis longtemps sans travail, s'était épuisé en démarches auprès des ministères, se tuant à gravir les degrés de marbre. Chaque fois, il s'y rendait, riche des promesses qui lui avaient été faites; et chaque fois, il était éconduit. Alors, trempé de sueur, rompu, désespéré,il regagnait son taudis. Là l'attendait sa femme avec leurs deux petits. Ce jour-là, comme les autres jours, ils poseraient sur lui leur regard, dans l'attente fiévreuse de ce qu'il leur dirait. Et ce searit encoreles mêmes mots : sans espoir!
Mais voici que sa femme lui dit :"Ne cède pas au découragement. Je vais aller chez ce petit Géronda qui est prêtre, et notre voeu sera exaucé." Elle donc voir le Père Nicolas à l'église. Elle lui donna leurs noms, et exposa sa peine. Lui l'écoutait avec attention, et d'un air de grande compassion. Il lui dit qu'il prierait, à cette condition qu'elle plierait aussi les genoux pour supplier avec sanglots la Mère des affligés de les protéger.
Lorsqu'elle quitta l'église, elle sentit que son âme était comme délivrée d'un poids. Le lendemain, son mari se voyait proposer un travail...
Une autre jeune femme, non moins infortunée, vint un jour à l'église du Prophète Elisée. Au travers de ses larmes, elle confessa qu'elle appartenait à un homme qui, depuis neuf ans, remettait le mariage de jour en jour.
Le Père Nicolas l'assura qu'il prierait beaucoup pour eux. "Mais, ajouta-t-il, tâche autant qu'il est en toi de me l'amener ici afin que je fasse sa connaissance.
Sitôt revenue à la maison, la femme enjôla si bien son compagnon et joignit à ses cajôleries tant de supplications qu'à la fin il se laissa conduire à l'église. Mais à peine eut-il aperçu le papa Planas, dont tout l'aspect inclinait à la vénération, que sur-le-champ, comme si tombaient les rêts invisibles par où le diable le retenait prisonnier, il fut ému de contrition. Et il ne savait que dire ces mots :"Père, je veux me marier".
Il ne s'était donc pas écoulé dix jours que l'on célébrait les noces. Alors les époux ressentirent une grande joie spirituelle. Leurs consciences étaient apaisées. Au-dessus de leur lit, ils placèrent le portrait du Père Nicolas. Comme ils nous l'apprirent eux-mêmes, le Père Nicolas leur avait fixé cette règle, à cause de leur ancien péché, de ne manger en carême et le mercredi et vendredi que des nourritures sèches, et de donner autant d'aumônes qu'il se pourrait. Tout cela, c'est avec une grande joie qu'ils l'accomplissaient pour l'amour de celui qu'ils n'appelaient jamais que "notre père". Et, très souvent, ils l'invitaient à dîner avec sa synodie.
A ce propos, nous rapportons ici une autre histoire, qui n'est pas sans rappeler la précédente. Certains jours où l'église était pleine, on pouvait y voir, outre les visages bien connus, certaines personnes tout-à-fait étrangères. Un de ces jours donc, survint une inconnue qui s'avisa de donner au Papa Planas une prosphore. Mais lui posa sur elle un long regard attentif, puis, après un silence, lui dit enfin :"Je ne puis l'accepter". "Et pourquoi cela?" fit la femme. "Parce que tu vis dans le péché." Alors seulement elle comprit le poids de sa faute. Elle avait offert la prosphore sans même imaginer qu'elle pût avoir le moindre reproche à se faire. Elle éclata en sanglots. Mais lui répétait toujours:" Que puis-je faire pour toi? Je pleure moi aussi avec toi, mais je ne puis accepter ton offrande."
Une amie à moi vivait elle aussi dans le péché. Et elle aussi entendit célébrer les merveilles accomplies par le Papa Planas. Alors, prenant avec elle une jeune fille de sa famille, elle se rendit à l'église. Là, elles demandèrent au Père sa bénédiction.
Cleui-ci laissa volontiers la jeune fille lui embrasser la main. Mais lorsque l'autre voulut à son tour y imprimer un baiser, il ne voulut point et la retira ostensiblement.
Tout en pleurs, elle vint me trouver, et m'avoua qu'elle vivait dans le péché. Mais, ajoutait-elle, le secret était si bien gardé que nul ne le connaissait. Et cependant, le Papa Planas, lui, savait, et l'avait blâmée sans avoir besoin pour cela de longs discours. La Grâce du Saint Esprit lui suffisait, dont il avait en abondance.




L'ENFANT PERDU, RETROUVE




Une famille athénienne avait un fils, disparu depuis trois ans au cours des péripéties de l'armée grecque en Russie. On ne savait pas s'il était vivant ou mort. L'on fit beaucoup de démarches pour le retrouver, mais elles furent vaines.
On leur parla alors du Père Nicolas, et on leur dit qu'il était en mesure de les éclairer. Ils allèrent donc à son église, et ils lui firent part de leur douleur. Il leur dit :"Revenez demain et je vous diraii..."
Dans de telles circonstances douloureuses, cela était connu, le Père Nicolas passait ses nuits en prière.
Le lendemain, ils revinrent, angoissés et pleins de crainte, pour entendre ce qu'il allait leur dire. "Votre fils, leur dit-il, est en vie, et le mois prochain vous le verrez revenir". Et cela en effet arriva comme il l'avait annoncé.
Toute la famille vint le remercier et l'invita à venir bénir la maison et à partager le repas qu'ils lui offraient. L'on dut, pour ce faire, l'emmener en le portant dans les bras.




QUELLE VENERATION ET QUEL AMOUR LUI PORTAIENT
SES PAROISSIENS




Ses paroissiens, comme d'ailleurs tous ceux qui le connaissaient, tenaient le Papa Planas en une estime particulière et le plaçaient fort au-dessus d'un prêtre ordinaire. Un jour que l'un d'eux, un bien pauvre homme au demeurant, et qui avait, de surcroît, beaucoup de bouches à nourrir, passait aux abords de l'église Saint Jean, il arrêta sa charrette pour en descendre. Il entra, et là, en même temps qu'il donnait les noms de tous les gens de sa famille afin que le Père Nicolas pût les commémorer à la liturgie, il s'avisa de lui donner aussi celui de son cheval! Cette naîveté nous fit sourire, et, cependant, quelques secondes de réflexion suffirent pour nous prouver que sa simplicité était tout-à-fait justifiée : en effet, son cheval et lui n'étaient-ils pas liés sous le même joug? N'était-ce pas ensemble que chaque jour ils peinaient pour rapporter aux siens leur pain?
Si je fais figurer ici cette histoire, c'est pour illustrer cette vérité que tous lui témoignaient une vénération sans égale, depuis l'homme le plus haut placé jusqu'au plus misérable, lequel ne lui baisait jamais la main sans s'être signé un nombre incalculable de fois.




COMMENT IL PRIA POUR QU'ON LE LAISSAT PRIER




A cette époque, nous avions pour Métropolite Mélétios Métaxakis, lequel interdisait les longues veilles à l'église. Nous ne pouvions saisir le sens de cette interdiction que l'on nous faisait. Par là, nous nous voyions dépouillés du plus beau soutien spirituel, de celui qui peut seul véritablement régénérer l'âme et la rafraîchir. Nous en avions conçu une profonde affliction.
L'église Saint Jean possédait à cette époque deux autels : elle était "dishypostate ", c'est-à-dire consacrée à deux Saints : outre Saint Jean, elle était également dédiée à Saint Basile.
Lorsqu'arriva la fête de ce dernier, le Père était au supplice : il ne lui serait même pas donné de célébrer l'office de nuit pour la fête de son Saint bien-aimé! Il souffrait dans son âme.
Le soir vint et, dans son désespoir, il dépêcha sa diaconesse, qui était illettrée, à la Métropole, pour supplier qu'on les laissât veiller. Celle-ci s'éloignait à peine que lui-même se cachait dans le sanctuaire...Lorsque la moniale revint, elle nous annonça la joyeuse nouvelle : nous pouvions rester toute la nuit à prier! Au même instant, le Papa Planas sortit du sanctuaire, bouleversé de joie :"J'ai prié de tout mon coeur jusqu'au retour d'Asemina pour que le métropolite nous laisse prier!"
Tout le monde prie pour demander à Dieu un bienfait matériel, pour réclamer un objet qui lui fait défaut. Lui priait pour qu'on le laissât prier la nuit entière! Sentiments rares, qui ne se rencontrent que dans les âmes devenues spirituelles et tout imprégnées de la Grâce du Saint Esprit...
Un certain temps passa, et le métropolite Métaxakis s'en alla. L'interdiction de célébrer les offices la nuit fut levée. C'est alors qu'intervint le changement de calendrier. Nouveaux tourments, nouvelles luttes pour le Papa Planas.
Les veilles de grandes fêtes, son tourment se faisait plus cruel encore. Au nombre de celles-ci figurait l'Annonciation. Que faire cette nuit-là? Au fond de la cour du Prophète Elisée, il y avait des chambres en assez grand nombre, qui ressemblaient plutôt à de petites excavations naturelles. L'une de ces grottes abritait une petite vieille, madame Martha. Elle était pauvre selon le monde, masi très riche de bonne volonté. Elle nous permit de nous réunir dans sa chambrette, si monastique d'allure.
Aussi, aux alentours de dix heures du soir, y étions nous tous présents. Le Père Nicolas était venu avec sa synodie, qui pouvait bien compter six ou sept membres. Il était à peu près onze heures du soir lorsque l'office des mâtines commença. Vers une heure du matin, nous étions prêts pour la liturgie. Nous descendîmes de la chambre haute, en craignant fort de voir l'escalier s'effondrer, tant il gémissait sous le poids de ceux qui l'empruntaient depuis des temps immémoriaux.
Nous nous étions faits le plus silencieux possible. Enfin se dessina devant nous l'église du Prophète. On y entrait par la porte du fond, une porte minuscule. A l'intérieur, point d'autre lumière que celle que dispensaient les veilleuses, éclairant les faces vénérables des Saints dont les regards semblaient indiquer qu'ils nous connaissaient. L'église était peinte toute entière de ces saintes icônes à stature humaine. Sur l'une d'elles se détachait Sainte Philothée. Comme on a défiguré ce petit édifice aujourd'hui! Ce n'est plus désormais qu'une vulgaire remise, sur le toit de laquelle viennent dormir les chats...Au contraire, l'on n'a point touché à d'autres bâtiments pourtant fort délabrés que l'on a laissés intacts. Quel but avait-on si ce n'est de détruire cette église? Quel démon a mis en mouvement les bras des hommes qui furent employés à dévaster un lieu béni qui, au milieu même d'Athènes, avait nourri tant de Saints? Mais voici qu'enfin nous allions commencerla Liturgie...
Ah! S'il vous avait été donné de voir avec quelle agilité insolite le Papa Planas s'essayait à dire les prières qu'on lit avant la communion, à embrasser les saintes icônes! L'on eût dit que toute la nuit nous avait été donnée pour remplir ce saint dessein.
Il était près de trois heures du matin lorsque nous achevâmes.
Inoubliable à jamais, cette liturgie d'une contrition et d'une sérénité sans pareilles. Le prêtre et sa synodie en sentirent couler dans leur intelligence et jusque dans leur âme les bienfaits spirituels! Cette nuit-là, les anges, à n'en point douter, mais aussi nos compagnons de veille qui déjà s'en étaient allés les rejoindre, tous durent prendre part à ce repas céleste. Tous, je veux dire Papadiamantis, Moraïtidis, et d'autres encore.
Tout doucement alors, nous regagnâmes la "chambre haute" pour achever les prières et dire la Paraclèse, les Heures etc...Là, chacune s'assit comme elle put, qui au bord d'un divan, qui sur un petit tabouret, selon ce qu'elle trouvait. Je m'assis moi aussi sur l'une des chaises. Le sommeil me gagna, et voici que devant moi se tenait une figure toute rayonnante de joie. La voix entrecoupée, elle haletait :" Nous avons entendu la Liturgie, nous avons entendu la Liturgie!" Alors, portant la main à son coeur, elle souffla son nom :"Philothée!"
Peu après, chacun rentrait chez soi. Le Père, de son côté, regagnait sa paroisse.




SES LITURGIES SECRETES




Lorsque c'était dimanche ou fête, le Papa Planas ne quittait pas sa paroisse, et cela même si, se reposant sur les deux prêtres qu'il avait pour l'assister, il ne participait point à la célébration de la liturgie. Un jour, l'on apprit à la Métropole qu'aux grandes fêtes le Père Nicolas célébrait en secret et que, de la même façon, les jours de la semaine, il faisait ce que bon lui semblait dans les chapelles de la campagne.
On le fit donc venir à la Métropole pour lui infliger un blâme. Sa synodie, dont faisait partie la moniale qui remplissait les fonctions de psalmiste, y alla comme toujours avec lui. Là, un certain archimandrite, qui plus tard fut fait évêque, entreprit de lui adresser des remontrances. Je tais son nom, car j'ignore s'il vit encore. Il lui parla très rudement. Le Père ne répondit pas même un mot. Les petites soeurs le ramenèrent à demi mort de peur, et le conduisirent chez moi. Tout cet après-midi là, il demeura sans voix. Les moniales s'étaient assises à côté de lui et tentaient vainement de le consoler. Mais lui s'enfermait toujours dans son mutisme. En de tels moments, il offrait à s'y méprendre l'image de ces petits enfants à la mamelle dont le Seigneur nous dit :" Si vous ne devenez pas comme les petits-enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des Cieux."
Cette aventure ne tarda pas à venir aux oreilles de l'archimandrite Polycarpe Kondoyioryakos, qui vivait alors à Saint Athanase de Psyrre, et qui, plus tard, fut attaché à la paroisse de Chrysospeliotissa. Dans son brûlant amour pour lui, il s'en alla tout droit chez le Père Nicolas, non sans s'être auparavant rendu chez cet archmandrite qu'il blâma hautement, comme il vint, très fier, nous en faire le récit. Et il répétait la substance du discours qu'il lui avait tenu :"As-tu idée de qui est la personne à qui tu as ainsi parlé? Sais-tu au moins que tu n'as rien fait d'autre que de donner des coups de poings à la lame d'un couteau tranchant?..." et mille autres reproches cinglants.
Au reste, cette situation irrégulière n'était pas sans tourmenter le Père Nicolas. Mais s'il avait cédé à la contrainte, toute sa synodie l'aurait abandonné. C'en êut été fait alors de la longue chaîne des liturgies que, depuis tant d'années, il s'attachait à ne pas rompre, lui, l'ouvrier infatigable qui se dépensait sans compter pour son apostolat, pour cette tâche sacrée, dont, prêtre, il aurait à répondre.
C'est ainsi que, lorsqu'on lui demandait pourquoi il n'était pas fatigué, il ne savait que redire, avec le Psalmiste :" Je célébrerai mon Dieu tant que je vivrai".




OU L'ON VOIT LE PAPA PLANAS SECOURIR
DES FIDELES DANS L'EMBARRAS




Les personnes pieuses d'Athènes tenaient le Père Nicolas en grande estime. Sa renommée s'était même étendue à diverses contrées étrangères. Une dame fort riche, originaire d'Egypte, nommée Hélène Vlachou, venait de temps à autre à Athènes. Quand elle y séjournait, elle passait le plus clair de son temps aux liturgies du petit Père Nicolas Planas.
Elle fiança sa fille en Egypte. Après quoi, les fiancés et elle firent tout exprès le voyage d'Athènes, à seule fin de faire bénir l'échange des anneaux par le Papa Planas. Des difficultés surgirent lorsqu'il fallut décider du lieu où l'on célébrerait l'office des fiançailles.
A l'hôtel? L'endroit ne leur parut pas convenir. A l'église? La chose était difficile. Or, il se trouvait qu'à l'époque le Papa Planas demeurait chez moi. J'offris donc mon salon.
C'est ainsi qu'un après-midi où le Père Nicolas était à la maison, nous vîmes venir, tout joyeux, la mère, la fille, le futur gendre et deux témoins. Le Père bénit donc les fiancés. Après l'office, j'offris quelques rafraîchissements à notre cher Papa Nicolas. Bientôt ils repartaient de leur côté.
Le jour suivant, mon frère s'avisa de l'inviter chez lui. Il le fit donc monter dans le tramway. Ah, quel beau tumulte ce fut lorsque les passagers aperçurent le Père Nicolas! Tous, d'un même élan, voulurent lui baiser la main. Tous, d'un même élan, voulurent lui offrir son billet. Il fallut quelque dix minutes avant que le calme fût rétabli.




L'ETONNEMENT DU COCHER




Un jour, nous prîmes un fiacre avec le Père Nicolas pour aller de l'église du Prophète Elie àla rue B. Quand nous y arrivâmes, nous demandâmes au cocher de s'approcher le plus près possible du trottoir pour permettre au Père Nicolas de descendre. Le cocher nous répondit : " Mais, je n'ai pas besoin de vos conseils! Savez-vous au moins à qui vous avez affaire? Savez-vous quel trésor c'est?"
Il descendit le Père Nicolas du fiacre comme il aurait descendu de saintes reliques. Ceux qui attendaient le Père Nicolas le firent entrer dans la maison, et alors le cocher nous raconta ce qui suit:
"Un jour, dans la banlieue du "Nouveau Monde", il y eut des noces. La famille du marié m'envoya chercher le Père Nicolas, qui habitait le quartier de Gargarette. J'y allai. Dès que le Père Nicolas apparut, mes chevaux le virent et s'emportèrent, se dressant sur leurs pattes de derrière, au point que je ne pouvais pas les maîtriser.
Je dis alors au Père Nicolas: "Père, il m'est impossible de te prendre à bord de mon véhicule, mes chevaux sont déchaînés. Je vais aller avertir ceux qui t'attendent, pour leur dire que je n'ai pas pu te prendre". "Cela ne fait rien, mon enfant, repartit le Père Nicolas, j'irai à pieds".
Grande fut la surprise qui m'attendait, car, en arrivant à la maison du marié, je vis le Père Nicolas, bien connu pour sa lenteur, sur le trottoir...
Et savez-vous quelle distance il y a entre Saint Jean de Gargaretta et le Nouveau Monde? Comment est-il arrivé à pieds avant moi?" Le cocher croyait vraiment qu'une force surnaturelle l'avait aidé. Nous aussi, nous le pensions et le croyions.




LES PRODIGES DE SA PATIENCE




Après avoir mis la dernière main au bâtiment, il ya de cela trente-cinq ans et plus, l'on s'apprêtait à consacrer l'église Saint Jean. Depuis trois heures de l'après-midi, les marguilliers et le concélébrant du Père Nicolas s'y tenaient en assemblée, occupés à débattre des arrangements que l'on ferait pour la Liturgie. De fait, à les entendre, l'on se préparait à accueillir la personne même du roi Constantin d'éternellemémoire! Mille soucis leur traversaient l'esprit. A l'issue de cette discussion, il fut décidé que le Papa Planas irait plus haut, à Saint Georges de Koukali, pour y célébrer. L'on regardait en effet les deux églises Saint Jean et Saint Georges comme une seule paroisse.
Tandis que nous lisions l'office, ils vinrent donc à Saint Jean lui dire :" Père Nicolas, toi, ce matin, tu iras là-haut à Saint Georges". "Avec joie, pour l'amour de vous", fut sa réponse.
L'office se poursuivit; une heure passa; le marguillier revint :" Père Nicolas, c'est toi qui célèbrera ici." La réponse fut identique :"Avec joie, pour l'amour de vous".
Une heure encore passa. A nouveau, ils revinrent, après une discussion tumultueuse, trouver le Papa Planas. "Père Nicolas, nous avons repensé à la chose, et nous sommes arrivés à la conclusion que tu serais mieux là-haut, à Saint Georges". La réponse arriva, immuable :"Avec joie, pour l'amour de vous". L'aube allait paraître; ils étaient de nouveau là :" père Nicolas, voici l'ultime décision: c'est ici que tu célèbreras". Il leur dit encore :"Que cela soit béni!" Nous qui entendions les marguilliers parler de la sorte, nous pensions mourir d'inquiétude. Si bien qu'à la fin, nous ne pûmes nous défendre d'une question : pourquoi donc ne pouvaient-ils se tenir à un unique avis, plutôt que d'éprouver ainsi la patience de granit du Père Nicolas? Enfin, comme celui-ci commençait à peine de revêtir ses habits, ils reparurent : "Allez, Papa Nicolas, tu vas là-haut".
Qu'il ne fût pas fatigué de ces tergiversations, qu'il n'en éprouvât aucune peine, cela ne se pouvait point. Il était homme après tout et, qui plus est, logé dans un petit corps que l'âge et la fatigue rendaient plus fragile encore. Malgré tout, cependant, il prit sans mot dire le chemin de Saint Georges, immanquablement accompagné de la même petite soeur à laquelle l'on avait assigné la tâche d'assister le Géronda.
Ils parvinrent enfin à Saint Georges, et là, à peine s'était-il habillé et s'apprêtait-il à commencer qu'un messager survint, ordonnant que le Père Nicolas descendît sur-le-champ célébrer à Saint Jean!
C'est que, sur ces entrefaites, une certaine Madame Zlatane était arrivée qui, à peine avait-elle posé le pied dans l'église, s'était mise en quête du Papa Planas. "Où donc est-il?" "Mais nous l'avons envoyé là-haut, pour servir à Saint Georges!" "Que dites-vous? Mais c'est pour lui que je suis venue! Allez le chercher immédiatement".
Et, dans le même moment, elle jetait sur le plateau un billet de mille drachmes, disant :" J'aurais volontiers envoyé mon cab, mais les chevaux sont frais; je craindrais qu'ils ne s'emballent et qu'il n'arrive quelque malheur". L'on dépêcha donc un homme pour le faire descendre.
Le Père Nicolas n'eut pas un mot. L'excès de fatigue lui faisait une mine défaite, un air loqueteux. Et néanmoins, l'on assista ce jour-là à la plus solennelle des liturgies. Est-il besoin de dire que ne parut pas ce jour-là l'ombre de Constantin?
Comment ne pas méditer après cela sur ce charisme qu'est la patience? L'on s'explique mieux aussi par là le conseil que le Papa Planas avait coutume de donner à l'une de ses filles spirituelles, lorsqu'il la reprenait :"Avec la patience, mon enfant, j'ai déjoué toutes les machinations ourdies contre moi." L'on eût dit alors qu'il percevait combien cette jeune fille qu'il admonestait, qui faisait semblant devant lui d'être bonne en tout point, était en réalité, si on la regardait vivre chaque jour, un être impatient et coléreux.
Il serait sans nul doute exagéré d'affirmer que le conseil des marguilliers ne témoignait au Père Nicolas ni respect ni amour.Non, il n'en était pas ainsi.Mais, pour une cérémonie officielle, il leur apparaissait comme un personnage de second plan. Son allure n'était point magnifique, et il n'avait pas précisément une belle voix. Mais il avait pour lui la vénération des foules. Comment n'auraut-il pas célébré dans sa propre paroisse, dans l'église qu'il avait lui-même édifiée?




SA LONGANIMITE DEVANT LE MEPRIS




Un soir que l'on annonçait à l'église de l'Ascension une veille qui devait durer jusqu'au matin, le Père Nicolas voulut lui aussi s'y rendre pour veiller toute la nuit. Pour ce qui est de la date exacte à laquelle cette histoire se passe, je ne me le rappelle pas. Je sais seulement que c'était peu de temps avant la grande persécution qui fit rage contre les Chrétiens d'Asie Mineure en 1922.
Tout aussitôt, plantant là son ouvrage, l'enfant spirituel qu'il aimait le fit monter en voiture avec une de ses filles. L'on entendit alors le chauffeur murmurer à un ami qui se trouvait là :"Comment ne servirais-je pas un serviteur qui jouit des faveurs du Roi des Cieux?"
Peu après, nous arrivions à l'église. Le Père Nicolas s'en alla s'asseoir dans un coin du sanctuaire.
Il était venu d'un monastère fameux deux ou trois hiéromoines qui, de toute la nuit, ne lui firent pas l'aumône d'un seul regard, quand lui-même avait fait le voyage dans le dessein de célébrer avec eux.
Sa disciple veillait là, elle aussi, avec d'autres Chrétiens. Vers minuit, elle fut prise d'un léger sommeil, et elle vit son Père lui secouer la main en disant :"Eh bien, nous ne sommes pas venus ici pour dormir, mais pour veiller!" La jeune fille sortit de sa torpeur, mécontente de s'être laissée aller à dormir. L'aube ne tarderait plus à poindre. Les gens allaient partir; le Papa Planas s'apprêtait à sortir. Qu'arriva-t-il alors?
Dans l'ancienne église telle qu'elle apparaissait à cette époque, se trouvait un petit escalier que l'on était forcé d'emprunter. Le Père Nicolas s'était donc avancé sur la première marche et allait descendre lorsque soudain les gens, les petites vieilles en partciculier qui formaient dans l'assemblée le plus grand nombre, se jetèrent à ses pieds, la face contre terre, en signe de vénération, attendant sa bénédiction. Et il y avait là presque tous les assistants.
A cette vue, nos fameux hiéromoines demeurèrent frappés de stupeur, les yeux écarquillés et la bouche ouverte. Qui pouvait bien être ce petit vieillard qu'ils avaient souverainement ignoré la nuit durant? Saint Ignace d'Antioche, que l'on fête le 24 décembre, nous a laissé cet apophtegme mémorable :" Un moine orgueilleux est un arbre sans fruits ni racines, qui n'a pas grand'chance de résister à l'assaut des vents. Et comme une bulle de savon qui éclate et s'évanouit, de même aussi la mémoire de l'orgueilleux après sa mort. De même que la prière de l'homme humblé fléchit Dieu, de même la supplication de l'orgueilleux irrite le Très-Haut."
Enfin, nous avions descendu ces quelques degrés. Alors, désignat les prêtres qui avaient célébré, le Papouli eut ces simples mots :"Pourtant,je leur ai dit bonjour, comme il se doit".
Et il n'ajouta rien. Nous arrivâmes bientôt à l'église Saint Lazare qui se trouvait en contrebas. A l'époque, ce n'était qu'une minuscule chapelle de campagne : le village tout autour ne s'était pas encore bâti. Nous vîmes le Père Nicolas y entrer. Il pénétra dans le sanctuaire, et nous l'entendîmes dire :"Béni soit notre Dieu, en tout temps, maintenant et toujours et aux siècles des siècles..." C'était le début des mâtines! Il poursuivit ensuite avec la Liturgie. Il avait supporté l'humiliation; il y avait répondu par l'humilité et la longanimité, et maintenant, il célébrait!
Peut-on imaginer combien cette Liturgie dut être devant notre Seigneur Jésus Christ en agréable odeur, combien d'anges durent assister le Père Nicolas dans son office et prendre part à ce divin service?




LE CHATIMENT DU PRETRE




Clea se passait il y a bien des années, du temps où l'église Saint Spyridon était encore debout. Un matin, le Papa Planas y alla pour célébrer la liturgie. C'était son habitude, en effet, de faire le tour de toutes les chapelles disséminées dans la campagne. Et, dans chacune, il avait laissé des ornements liturgiques, afin de n'avoir pas à les traîner de ci de là avec lui.
Il y alla donc. C'était durant la semaine. Lorsque le prêtre de la paroisse l'apprit, il accourut, éperdu, hors de lui :" Hors d'ici! Tu vas me prendre mes paroissiens!"
La mort dans l'âme, le Père Nicolas quitta la place. Il s'en fut célébrer à l'église du Prophète Elisée.
L'heure de midi approchait. Nous le regardions. Il était là, à nos côtés, et, tout en suivant l'office, il versait de grosses larmes silencieuses, comme un bébé que l'on a grondé. Je l'interrogeai :"Qu"as-tu, Père?" "Je pleure, me dit-il, parce qu'on m'a chassé. Sur-le-champ, je pensai en moi-même :" Mon Dieu, fais que ces larmes ne soient pas une punition pour le prêtre qui l'a chassé!"
Bientôt, il était environ une heure de l'après-midi, le prêtre de Saint Spyridon nous adressait une dépêche qui contenait ces mots :" Père Nicolas, je t'accorde absolument le droit et la parmission de venir célébrer à Saint Spyridon autant qu'il te plaira. Mon châtiment, en effet, ne s'est pas fait attendre. Je revenais en carriole du marché lorsque, parvenu à la hauteur de l'église, le cheval s'emporta. Je fus projeté à terre et, en tombant, j'allai heurter le mur du sanctuaire et me cassai la jambe. Je compris que, le jour même, le Saint me punissait. Je te demande donc de bien vouloir me pardonner."
Le Père Nicolas lut avec attention. " Voilà un signe, fit-il, voilà un signe!" A un évènement surnaturel quel qu'il fût, il donnait toujours le nom de "signe". Il était très simple de coeur, le Père Nicolas. De sa langue même, il ne connaissait que les rudiments. Aussi,lorsqu'un jour dans sa synodie quelqu'un l'interrogea au sujet des "Catavassia iambiques" de Noël, il répondit sur le ton le plus humble :" Mon enfant, je ne sais pas le français". Ecrits par Saint Jean Damascène en grec épique, ces textes lui paraissaient étrangers.




PRESENTS ET ABSENTS A LA LITURGIE




Un jour, nous prîmes un fiacre avec le Père Nicolas. En route, il nous dit :"Aujourd'hui, Chryssoula est venue à l'église." "Non, Père, elle n'est pas venue, elle n'était pas là". "Que dites-vous? Allons, je l'ai même encensée!" " Non, répétâmes-nous, elle n'était pas là". "Eh bien, nous dit-il, sans passion et avec assurance, elle était du moins là en esprit".
Nous fûmes émerveillés de sa réponse, et nous nous souvînmes que la même chose était arrivée dans un monastère, où le prêtre encensait la stalle inoccupée d'un diacre absent, et n'encensait pas un moine qui occupait la sienne. Le moine s'en étonna et s'en plaignit au prêtre. Il lui demanda pourquoi il ne l'encensait pas, et encensait la stalle vide. Le prêtre saisit alors l'occasion, et révéla les pensées des deux hommes au cours de la liturgie.
Nous demandâmes à la soeur Chrysoula à quoi elle pensait ce jour là. Elle nous dit, bien qu'illettrée et simple, que son esprit et son âme étaient à la divine liturgie. Ses mains travaillaient pendant que son esprit était tout à l'office. Voilà pourquoi le Père Nicolas l'avait vue et encensée et, sans hésiter, nous avait dit qu'elle était présente en esprit.
Veillons donc, nous aussi, quand nous sommes à l'église, à ce que notre esprit nous y accompagne. Par ses hymnes pleins de recueillement, l'Eglise nous invite à "déposer tous les soucis du monde"...
L'entendons-nous ou bien pensons-nous à des choses sans rapport avec le lieu où nous nous trouvons? Il est triste de constater que nous ne sommes pas maîtres de notre esprit, pour l'obliger à penser à la mystagogie céleste, à la descente du Seigneur lors de l'heure redoutable de la Liturgie...Alors qu'une âme simple, obligée de travailler, peut se trouver en esprit à la liturgie.






LE "FAUVE" APPRIVOISE




La cour d'une maison,où le Père Nicolas se rendait souvent, avait été louée à un cordonnier, communiste des plus virulents. Sa haine pour tout le monde, et surtout pour les prêtres, était implacable.
Pendant qu'il travaillait, il monologuait et disait qu'avec ses camarades, il commencerait par égorger les prêtres : "Tout d'abord, on tuera les prêtres de la Source Vivifiante". Et puis,il énumérait les autres...
Le Père Nicolas alla un jour près de lui, et lui dit :"Bonsoir, mon enfant". Le cordonnier, sans lever la tête de dessus son ouvrage, murmura quelque chose.
Le samedi suivant, le Père Nicolas revint : " Bonsoir, mon cher Luc". Le cordonnier, toujours sans lever la tête, lui répondit bonsoir.
Lors de la troisième visite, le Père Nicolas recommença : "Bonsoir, mon cher Luc, comment vas-tu, mon enfant?" Le cordonnier daigna cette fois répondre :"Bien, petit Père".
Le Père Nicolas le visita avec assiduité, jusqu'au jour où la glace fondit. Alors, il se leva et baisa avec respect la main du prêtre. Puis, s'adressant à tous, il dit :"Quand nous tuerons les prêtres, je dirai d'épargner le Père Nicolas. Non seulement je le dirai, mais je le protègerai.
Depis ce jour, dès que la Père Nicolas apparaissait, il se levait, allait au-devant de lui et lui baisait la main.
Le Père Nicolas ignorait les tendances du cordonnier, et n'avait même aucune idée de ce qu'est le communisme. Il ne semblait même pas - du moins le pensions -nous - s'apercevoir du changement qui s'opérait en cet homme. Mais qui sait comment il le voyait avec le discernement de son âme? De toute façon, rien n'aurait pu guérir l'âme aveuglée du communiste, quelles que fussent les prédications qu'il aurait entendues ou les conseils qu'il aurait reçus. Seule pouvait l'atteindre la bonté de ce petit vieillard, qui venait le voir chez lui et qui, à chacune de ses vistes, restait là, debout, indifférent au mépris dont l'autre le couvrait.
Mais bientôt, avec la prière du Père Nicolas, ce dernier se repentit. Et quand, peu de temps après, atteint d'une paralysie des membres inférieurs, il tomba malade et mourut à l'âge de trente ans, il s'endormit comme un bon Chrétien, et sans avoir tué personne. Telle était l'influence que le Papa Planas exerçait sur tous ceux aui le connaissaient. C'est pourquoi il n'avait aucun ennemi, si ce n'est Satan. Mais celui-là même, il le réduisait à rien par la Grâce du Saint Esprit qui habitait son âme.




COMMENT IL SE COMPORTAIT A L'EGARD DE SON CONCELEBRANT.




Il arriva qu'une petite vieille vint à Saint Jean pour y apporter une liste de noms à commémorer au cours de la liturgie qui allait suivre. Elle tendit donc son papier à l'une des moniales pour qu'elle la transmît au Géronda. Et, en même temps, elle exhiba une antique coupure de deux sous, datant de l'époque où l'on donnait encore aux billets la forme de timbres-poste.
"Cela ne fait rien, dit la soeur, donnez-moi les noms et gardez les deux sous". Mais elle insistait :"Non, prends aussi l'argent".
La moniale accepta donc avec la liste le billet déchiqueté. D'un air gentiment ironique, elle le tendit au Papa Planas. Il le reçut sans paraître même remarquer le sourire ironique de sa fille spirituelle.
Le jour suivant, une autre dame fit parvenir, par la même moniale, une autre liste, à laquelle étaient jointes cinq cents drachmes. La livre valant trente drachmes à l'époque, la somme était d'importance, et pouvait représenter quelque quinze livres-or. Triomphante alors, et consciente de la valeur de l'offrande, la moniale les tendit au Papouli. Mais lui, pas davantage que la fois précédente, ne se départit de l'air impassible avec lequel il avait déjà accepté les deux sous.
Cette attitude philosophe qu'il adoptait alors nous marquait au plus profonds de l'âme. Trente- cinq années ont passé depuis lors. Mais ces choses-là sont de celles qu'on n'oublie pas.
Il en allait donc ainsi quand il célébrait seul. Mais, quand son concélébrant, le Père Antoine d'éternelle mémoire, assistait avec lui aux vigiles, et qu'on venait à l'église du Prophète Elisée pour lui porter des noms, aussitôt il nous disait doucement :" Donnez-moi les noms, et remettez l'argent au Père Antoine". Et, au matin, il prenait sur ses maigres ressources pour payer un cab, qui conduisait d'abord le Père Antoine chez lui; ensuite seulement, le cab le déposait au seuil de sa maison.
Il n'était pas non plus dépourvu d'humour, lorsque la situation s'y prêtait. Ainsi, lorsqu'il se hissait dans le cab aux côtés de Père Antoine, il prenait plaisir à se railler lui-même :" Ah, voilà Paronaxia et Calamaï en voiture!" Ils étaient en effet originaires, l'un de Naxos, l'autre de Kalamas. L'on désigne parfois l'Evêque du nom de son diocèse. Comment le Père Antoine, tout prêtre qu'il fût, aurait-il pu s'offusquer des drôleries d'un tel concélébrant? Aussi, en guise d'adieu, Père Antoine lui baisait-il mille et mille fois le haut du crâne. Parce que, comme nous l'avons dit, Père Nicolas était de petite taille.




COMBIEN IL AVAIT SOIF DE PRIERE




Un jour que l'on célébrait la fête de Saint Marcellos, abbé du monastère des Acémètes, l'on donnait lecture de la vie du Saint lorsque, transporté d'enthousiasme, le Père Nicolas s'adressant à la diaconesse, s'écria : "Que dis-tu de cela, ma Victoire? Si nous faisions, nous aussi ce qu'a fait le Saint?"
Il parlait le plus sérieusement du monde. Car, porté par son amour de la prière, il comptait pour rien ses forces physiques.
"Que dis-tu, Père?" balbutia la petite. Mais Saint Marcellos s'adonnait à la Prière perpétuelle, et il avait aussi des moines pour lire chacun à son tour!"
Il hocha la tête sans mot dire. Ainsi, il avait donc atteint ces cimes, où l'on ne désire plus que la Prière perpétuelle...
Il ne sut pas, de cinquante années, ce qu'était un petit déjeuner du matin, ni une sieste l'après midi. Ce temps de l'après-dînée, où tout dort, ne serait-ce qu'une heure, il le passait à égrener en des litanies sans fin des noms de Chrétiens. Et, comme il ne suffisait plus à la tâche, il se reposait sur l'un de ses enfants spirituels du soin de noter les noms de toutes ces âmes et de les lui lire debout devant la porte du sanctuaire, tandis que lui-même, aussi longtemps que durait cette proscomidie - cette préparation des éléments avant la liturgie - sans se lasser, ponctuait chaque nom en disant : "Souviens-toi, Seigneur, souviens-toi!"
Les noms défilaient, si nombreux que la soeur qui les lisait finissait par en avoir mal à la gorge. Lui voyait bien qu'il nous fatiguait. Aussi, de temps à autre, nous disait-il : "Je vous tourmente, mes enfants, pardonnez-moi".
Un jour, gagnée par la lassitude, la soeur se laissa aller au mécontentement et se mit à penser que le Père Nicolas avait bien tort d'agir de la sorte, à s'épuiser lui-même et à faire peiner ses filles spirituelles. Elle songea aux prêches qui se donnaient alors à Athènes, aux différentes congrégations religieuses où des jeunes filles reposées disposaient agréablement de leur temps. Et elle se dit en elle-même :"Les jeunes femmes qui vont à ces entretiens religieux ressemblent aux cheveux fringants que l'on attelle à de légers cabriolets. - C'était l'époque où ces tilburys étaient à la mode. - Mais nous, malheureuses, nous sommes comme le cheval que l'on mène sur la rive hâler une remorque pleine de sable pour mieux juger de sa résistance!"
Et elle en vint naturellement à se dire qu'elle allait quitter la synodie du Père Nicolas. Mais Dieu ne l'abandonna pas, et lui fit la Grâce d'une vision. Comme ces pensées l'agitaient, en effet, elle se vit en compagnie d'une de ses soeurs; toutes deux, soutenant le Père Nicolas de leurs bras, faisaient route avec lui vers le stade d'Athènes, où il se rendait. Lorsqu'ils y arrivèrent, l'endroit était noir de monde. Comme ils empruntaient une rue, la soeur qui était à sa droite dit au Père : "Sais-tu, Père, que notre soeur veut nous quitter?"Il répondit, impassible :"Qu'elle aille où bon lui semble". Lorsqu'ils parurent à l'entrée du stade, la foule se dressa d'un seul élan : tout ce monde debout chantait à l'unisson un air mélodieux à la louange du Père Nicolas! Stupéfaite, celle qui voulait s'en aller se dit en elle-même : "Mais quels sont ces honneurs que l'on rend au Père Nicolas?" Au même instant une femme se présenta devant elle, et lui dit : "De telles marques d'honneur t'étonnent? Attends seulement de voir comment les surpasseront en gloire celles qui lui seront plus tard prodiguées!" Elle s'éveilla, et jamais depuis lors elle ne s'éloigna de lui.
Les soeurs de la synodie voyaient leur apparaître en rêve une foule de défunts, parents ou proches, suppliant de donner leur nom au Papa Planas. L'une d'elle avait une parente qu'une violente querelle avait de son vivant opposée à un prêtre. Ce dernier l'avai excommuniée. Après quoi tous deux étaient morts avant d'avoir pu se réconcilier. Une nuit, son rêve transporta la moniale dans l'église du Prophète Elisée. Là, un message lui fut remis, qui portait ces mots :" Je suis M., la défunte morte sans pardon. Je demeure dans les caves de l'ancienne caserne - c'était une prison qui servait toujours à l'époque-, et je suis lourdement condamnée. Dieu sait quelles peines j'ai prises pour t'envoyer cette lettre. Je t'en prie, rappelle mon nom au Père Nicolas,afin qu'il fasse mention de moi".
Depuis lors, le Papa Planas la commémora avec le prêtre qui l'avait excommuniée. De fait, le Père Nicolas considérait comme un péché, et un péché très lourd cette sentence d'excommunication. A supposer que le prêtre eût été lésé, il aurait pourtant dû faire preuve de longanimité. Et de ce moment, jusqu'au jour où il célébra pour la dernière fois, ces noms ne quittèrent pas les lèvres du Père Nicolas.




L'APPARITION DU PROPHETE ELISEE




A l'époque où sévissait la première persécution contre les Anciens Calendaristes, le Papa Planas voulut célébrer la fête du Prophète Elisée à la date que marquait le calendrier des Pères. Mais, la veille au soir, craignant que ne surgissent des obstacles inopinés - car il était interdit de célébrer selon le Calendrier traditionnel- il s'entendit avec la diaconesse pour célébrer la liturgie à Saint Spyridon de Mandouka. Au matin, le chantre alla donc l'y attendre. Cependant, l'heure passait, et point de Papa Planas. Elle était au désespoir. Craignant un incident fâcheux qui lui eût interdit de venir, elle s'en alla au Prophète Elisée - car on y allait toujours aux nouvelles, qui y convergeaient toutes- afin de s'enquérir du Papa Planas. Mais quel ne fut pas son étonnement de l'y trouver aussi, qui se préparait à célébrer! Elle lui fit d'amers reproches : pourquoi était-il ainsi revenu sur l'arrangement dont ils étaient convenus ensemble? Et n'avait-il pas craint de se rendre au beau milieu, et comme à l'avant-scène de la mêlée, quand au dehors la persécution faisait rage?
"Ne me gronde pas, lui dit-il, car aujourd'hui, ce matin même, j'ai vu le prophète; et il m'a enjoint de venir célébrer ici, m'assurant que je n'avais rien à craindre parce que lui veillerait sur moi". "Mais comment l'as-tu vu?", demanda la diaconesse. "Dès que je fus levé, répondit-il, je m'apprêtai pour aller à Saint Spyridon, puis je restai assis dans un fauteuil pendant qu'on allait chercher une voiture. A cet instant, je vis devant moi le Prophète Elysée qui me pria de venir à son église pour y célébrer!" Aussi, lorsque ses enfants lui eurent trouvé une voiture: "Dites au cocher de me conduire au Prophète!" leur dit-il. Et les siens de se récrier aussitôt : "Comment cela? Nous lui avons déjà indiqué Saint Spyridon". "C'est comme je vous le dit. Conduisez-moi au Prophète. Je l'ai vu devant moi, et il me l'a ordonné".
Ce jour-là, ils célébrèrent avec une paix et une contrition infinies. Le soir venu, le Papa Planas regagna comme à l'accoutumée la demeure des amis chez qui il allait toujours. La diaconesse glissa à la jeune fille de la maison :"Aujourd'hui, le Père a clairement vu le prophète". Et elle lui narra l'histoire. La jeune fille alors s'approcha de lui et tenta de le faire parler. Elle désirait l'entendre raconter lui-même comment il avait vu le prophète. Mais ce moment était justement l'un de ceux où il prenait garde de ne pas épancher son secret. "Je n'ai rien vu, je t'assure, c'est moi qui te le dis". Cependant ses enfants, de leur côté, nous confirmèrent ses premiers dires. Nous riions à la dérobée des soins qu'il prenait pour cacher sa vertu, qui n'en était pas moins éclatante pour cela, bien qu'il poncuât tous ses entretiens de cette phrase :"Je suis un prêtre indigne".




QUEL COURAGE LUI DONNAIT LA FOI




Une autre fois, durant cette même persécution contre les Anciens Calendaristes, il se trouva une poignée de Chrétiens pour le mener célébrer dans une petite chapelle écartée, non loin du terminus du bus d'Acharnes.
Parmi eux, cinq à six des plus jeunes s'étaient proposés pour faire le guet aux alentours de l'église, afin que l'on eût le temps, si besoin était, de cacher le Père Nicolas.
Vers minuit, pressentant un danger, ils lui proposèrent de le dissimuler dans une cachette afin de le mettre en sûreté. Lui demeura impavide et ne voulut point entendre parler de quitter ses vêtements. "Soyez sans crainte, dit-il seulement. Les garçons viendront, feront leurs dévotions et partiront".
Et, en effet, il vint huit policiers, et les fidèles entendirent leur chef dire :" Laissez les Chrétiens, ils ne font aucun mal". Ils embrassèrent l'icône posée sur un lutrin qui occupait le devant de l'église; après quoi, ils s'en allèrent.
Au matin, le Papa Nicolas demanda : "Les garçons sont venus?" On lui répondit qu'ils étaient venus, puis repartis. "Eh bien, ne vous avais-je pas dit de ne rien craindre, qu'ils viendraient faire acte de piété et s'en iraient?"
A ce sujet, il est une autre histoire qui trouve ici sa place. Durant les derniers temps de la persécution, il se trouvait au coeur des jardins d'Aigaléo une église où de nombreux Chrétiens s'assemblèrent pour fêter l'Entrée au Temple de la Mère de Dieu. Vers minuit passé, un capitaine de police fit irruption dans l'église, escorté de sa "garde". (Matt.27,65). Arrogant et furieux, il pénétra dans le sanctuaire où il s'adossa à la Sainte Table de la manière la plus impie. Ainsi campé, il ordonna à chacun de se disperser. Il fit emmener le prêtre au poste de police, établi dans un hall dont les fenêtres étaient brisées. Le prêtre parvint à confier sa soutane à quelqu'un avant que les fanatiques partisans de la Métropole ne s'en saisissent. La pièce en effet était entièrement pleine de chapeaux de prêtres et de soutanes, le butin de leurs exploits.
Aussi peu vêtu, dépouillé de sa soutane, le prêtre, en plein mois de novembre, gelait dans ce bureau. Le sort des fidèles n'était d'ailleurs guère plus enviable. Après s'être saisis du prêtre, les policiers auraient certes pu laisser les fidèles enfermés dans l'église jusqu'à l'aube. Ils auraient aussi pu venir le soir, sur le coup de dix ou onze heures, de manière que chacun pût rentrer chez soi. Car il y avait là des gens de partout, de Marousi, de Phalère, de Sainte Parascève. Mais non! Ils étaient arrivés à deux heures du matin, et s'étaient empressés d'éparpiller ces malheureux dans les champs. Pour ces êtres transis de froid, pour les femmes surtout, cette nuit-là, jusqu'à l'aube, fut une nuit de martyre.
Au matin, les policiers conduisirent à la Métropole ce prêtre si vénérable. Ils voulurent l'attacher sur sa chaise pour le raser. Il refusa. Ils le rasèrent malgré tout, lui mirent sur la tête un vieux chapeau, lui firent revêtir un vieux veston et un pantalon de velours élimé dont une jambe était plus courte que l'autre et, dans cet accoutrement, l'envoyèrent au procureur qui, dès qu'il le vit en si piteux état, l'acquitta aussitôt.
La ténèbre du péché qui aveuglait ces hommes ne leur laissa pas même voir combien, en se moquant du sacerdoce, ils se ridiculisaient et se condamnaient eux-mêmes.
D'autres ont raconté qu'à l'imitation des premiers Chrétiens certains Anciens Calendaristes allaient célébrer la liturgie dans une bourgade perdue au fin fond de l'Attique.




IL N'ACHOPPAIT POINT
AUX PIERRES D'ACHOPPEMENT




Voici un autre exemple pour montrer comment le Papa Planas s'élevait au-dessus des petits esprits.
Durant le Grand Carême, le Père Nicolas consacrait un agneau liturgique pour chaque jour de la semaine. C'est ainsi qu'il gardait pour sa paroisse celui du mercredi et celui du vendredi, tandis qu'il réservait pour le Prophète Elisée ceux du lundi, du mardi et du jeudi. Le 17 mars arriva, jour de la fête de Saint Alexis. C'était un lundi. Le Père alla donc au Prophète Elisée pour y dire les mâtines et y célébrer ensuite la liturgie. C'est alors que survint le marguillier de Saint Jean. Il était à vrai dire un peu rustre et ne savait pas le premier mot de l'ordonnance des offices. Prenant violemment à parti le Père Nicolas, il l'accusa de délaisser son église et de laisser perdre ainsi les recettes du jour.
La vérité était toute autre. Tout le temps que durait le Grand Carême, personne ne venait à Saint Jean en semaine, hormis le mercredi et le vendredi, qui étaient les deux jours où les gens avaient l'habitude de venir. Le Papa Planas mettait donc à profit cet état de choses pour aller, sans nuire à ses fidèles, desservir d'autres églises.
Mais l'autre cependant le pressait de regagner sa paroisse au plus vite. Mais que faire, maintenant qu'une liturgie devait à toute force avoir lieu, pour consommer l'agneau présanctifié? Le Père ne pouvait en effet la remettre, parce qu'il en restait encore un à consommer pour le lendemain, et qu'il n'était pas possible de célébrer avec deux agneaux au lieu d'un.
De plus, selon les saints canons de l'Eglise, une liturgie des présanctifiés ne peut avoir lieu que dans l'église même où les saints dons ont été consacrés et présanctifiés, et sur le même autel.
Le Papa Planas aurait certes pu lui expliquer la nécessité où il se trouvait de célébrer là où il était. Mais cet âne bâté pourrait-il comprendre quoi que ce soit aux subtilités des règles de l'Eglise?
Aussi, sans mot dire, le Père Nicolas s'en alla-t-il à la recherche d'une voiture. Il se fit conduire à Saint Jean où il lut tout l'office des mâtines. Après quoi, il s'en retourna au Prophète, où l'attendait une foule de fidèles. Il était midi passé lorsqu'il commença la liturgie : "Béni soit le règne du Père..." Il célébra avec une grande contrition. Il dit ensuite l'Acathiste et la Parclèse à Saint Alexis, dont il lut encore la Vie. Puis il enchaîna sur l'office de l'onction. A la fin, son expression rayonnait d'allégresse, tel celui qui sort victorieux d'une épreuve suscitée par le Malin.
Lorsque nous sortîmes de l'église, les lumières de la ville clignotaient déjà. Du matin jusqu'à la nuit, il s'était tenu debout sans rien prendre, occupé à lutter, comme nous dit l'Apôtre Paul "non contre la chair et le sang, mais contre les Principautés et les Puissances du monde des ténèbres". ( Ephes. 6, 12).




LE CHARRETIER SECOURU




C'est par ouï-dire que j'appris que, dans le quartier de Saint-Jean, le cheval d'un pauvre charretier était tombé à terre pour mourir. Le malheureux charretier se lamentait et pleurait : Il avait perdu son gagne-pain.
Par hasard, le Père Nicolas passait par là. Il prit en pitié le charretier et lui dit :"Calme-toi, mon enfant, ne te lamente pas ainsi; je vais bénir ton cheval et il guérira".
Il bénit l'animal, qui se releva et reprit sa route. Et le charretier secouru s'en allait raconter partout cette histoire.




SECOURS ET LUMIERE D'EN-HAUT




Une pieuse Chrétienne me dit qu' ils se rendaient un soir à l'office de nuit hors d'Athènes. A partir du quartier du Pantocrator il n'y avait plus d'éclairage public. C'était la nuit obscure et sans lune.
" Père Nicolas, où allons-nous dans cette obscurité?" lui demanda la soeur qui l'accompagnait. "Continue à réciter les Salutations à la Mère de Dieu, et ne t'en fais pas!" lui répondit-il.
La soeur vit alors une faible lumière qui éclaira le moindre petit caillou du chemin, et qui les conduisit jusqu'à l'église où ils se rendaient.
Comme on le voit, le Père Nicolas n'avait pas besoin du secours terrestre. Quand il pleuvait, la protection divine le couvrait, et empêchait les gouttes de pluie de le toucher. Quand l'obscurité le surprenait, la Lumière Céleste venait à son secours...Ainsi s'accomplissait le Psaume 90 : "Il a ordonné à Ses anges de te garder dans toutes tes voies..."




IMITATION DES SAINTS PERES




Bien qu'il vécût dans Athènes, son esprit était étranger à tout. Il tenait sa pensée sans cesse fixée sur les exploits des Saints Pères et avait pour unique souci de chercher à imiter leur conduite.
Les marguilliers de sa paroisse avaient honte de lui voir porter toujours les mêmes vêtements. "Père, lui dirent-ils un jour, nous allons te faire une soutane neuve; nous retiendrons l'argent sur tes appointements". "Soit, que cela soit béni", fut sa réponse. Ils la lui cousirent donc.
Un jour, deux jours, le Père Nicolas porta son nouveau rasso, jusqu'à ce qu'un de ses concélébrants s'en aperçût. Quelque temps après, ce dernier, sous prétexte d'aider à la célébration, entra dans le sanctuaire. A la première occasion qui s'offrit, il prit le nouveau rasso, en suspendit un vieux à la place, et s'en alla.
Le Père Nicolas le vit bien. Mais, comme il était noble, et que sa patience était infinie, il se garda de lui faire la moindre observation. Aussi, à la fin de la liturgie, ses enfants le virent-ils sortir du sanctuaire avec un vieux rasso. Ils le blâmèrent aussitôt de s'être laissé prendre le sien. Mais lui, silencieux, ne savait que sourire.
Et bien qu'il ne portât pas de vêtements neufs, il n'en était pas moins, lorsque nous montions dans le tramway, un objet d'admiration universelle. Tout le monde le dévisageait, tandis que lui, sous l'effet de l'immense fatigue qui le submergeait, paraissait dormir.




PAS MEME ASSEZ POUR SON FIACRE




Le Papa Planas ne s'encombrait jamais d'argent. Aussi, lorsqu'au Prophète Elisée il empruntait un fiacre jusqu'à Saint Jean, lui offrions-nous le prix de la course. Mais un jour, à l'église, l'une de ses filles spirituelles qui, justement, payait presque toujours pour lui, s'était assise à l'écart, en proie aux mauvaises pensées.
"C'est à peine croyable, songeait-elle, alors qu'il lui passe tant d'argent entre les mains, qu'il n'en garde pas même assez pour son fiacre!" Tels étaient les sentiments qui l'agitaient.
Le Père Nicolas, cependant, avait achevé l'office, et allait franchir le seuil pour sortir. Soudain, il suspendit sa marche et revint sur ses pas. Il s'approcha d'elle et, lui prenant la main, lui dit :"Pardonne-moi cette bizarrerie, je suis ainsi fait!" Et, faisant volte-face, il tourna les talons.
Bien d'autres encore virent de tels prodiges...




DE CE JOUR, TU NE SOUFFRIRAS PLUS...




J'étais assez intime avec une dame de grande famille. Elle vint un jour à l'église Saint Athanase Piliakis, en proie à de violentes douleurs. Elle était sujette à de terribles maux d'estomac. Mais, cette fois-ci, elle avoua au Père Nicolas souffrir plus atrocement que de coutume. Le Père la bénit, en disant :" De ce jour, tu ne souffriras plus!"
Avant même qu'elle ait pu comprendre le sens de ces mystérieuses paroles, les douleurs la quittèrent à jamais. Elle était complètement guérie! Désormais, cette femme bénie n'avait pas de soin plus pressé que d'aller clamer partout le miracle.
La même dame conta cette autre histoire.
Jamais, depuis le premier jour de ses noces, elle n'avait cessé de se disputer avec son mari. Alors, une nouvelle fois, elle se souvint du Papa Planas, qui n'était plus de ce monde. Elle songea à se procurer une de ses nombreuses manchettes de célébrant. Une foule d'ornements liturgiques lui avaient appartenu en effet. Pour n'avoir pas à les traîner partout avec lui, il avait, comme nous l'avons dit, déposé une boîte pleine de ces habits dans chacune des petites églises où il allait. Cette dame obtint ainsi, dans une de ces chapelles, une des manchettes du Père Nicolas.
Elle la rapporta chez elle, où elle la déposa dans l'écrin des couronnes du mariage qui se trouvait dans l'iconostase. Alors, sur-le-champ, -ô prodige inouï-, les querelles cessèrent, bientôt remplacées à jamais par la paix et l'amour tant désirés!
Une autre de ses filles spirituelles alla un jour vénérer la tombe du Père Nicolas. Elle vit une femme de la paroisse dont le Papa Planas avait naguère eu la charge. Elle était occupée à cueillir des fleurs. Elle dit à la soeur : "Pourquoi me dévisager ainsi? Ce lieu est le seul où je puisse trouver la consolation de mes peines. Dès que la discorde menace d'envahir la maison, je me hâte de venir ici pour y cueillir près de la tombe les fleurs dont j'embaume le logis. Je prie alors le Papouli de ramener l'entente dans le ménage, et, avec la concorde, la paix, la véritable paix ne tarde pas à venir".
Car, au sein de l'Eglise, c'est comme le fruit de ses entrailles que le Papouli avait chéri ses marguilliers, ses concélébrants et ses fidèles. Aussi n'était-il point absent du milieu de ceux avec qui il aimait être.




DIRIGE MES PAS DANS TES SENTIERS




Je me souviens ici d'une autre histoire. J'ai assisté ces jours derniers aux désaccords et aux querelles qui mettaient aux prises un journaliste et un hiérarque : ils s'injuriaient comme deux petites vieilles de village, se crêpant le chignon par-dessus la haie de broussailles et d'herbes sèches qui forment la clôture de leurs cours.
En regard, je revois ce saint vieillard, parvenu à l'âge de quatre-vingt-quatre ans: depuis sa jeunesse, il ne s'était
jamais trouvé personne pour le vilipender, ou pour rire, si peu que ce soit, à ses dépens. La raison en est simple. Jamais le PèreNicolas ne se mettait en route ni ne franchissait son seuil sans commencer à murmurer ces versets :
"Seigneur, affermis mes pas dans Ta parole,
Et ne laisse aucune iniquité dominer sur moi".
Un instant, il suspendait sa marche, et redressait sa taille toujours voûtée. Et, dans un chuchotement, assez fort cependant pour qu'on l'entendît, il poursuivait :
"Délivre-moi de l'oppression des hommes,
Afin que je garde Tes ordonnances.


Fais luire Ta Face sur Ton serviteur,
Et enseigne-moi Tes statuts.


Que ma bouche s'emplisse de Ta louange, Seigneur,
Pour que je loue Ta Gloire,
Et tout au long du jour Ta grandeur".
Il m'a paru ici superflu de reproduire dans leur intégralité des psaumes connus de tous. Et cependant...il se peut que, parmi les Chrétiens même, certains ne les sachent point. Aujourd'hui, hélas, les gens du monde se calomnient les uns les autres, car la prière et la crainte de Dieu sont lettre morte.
Joachim Spétsiéris, d'éternelle mémoire, que sa vertu a jusqu'à maintenant rendu illustre, nous confia un jour que, s'il était sollicité pour une visite ou pour une affaire, il ne se mettait jamais en route sans aller se prosterner devant l'icône de la Panaghia, afin de savoir si telle était bien la volonté divine. "Me bénis-tu, ma Panaghia, me laisses-tu aller?" Et, si la chose était bénie, il lui semblait recevoir en son âme les marques de l'assentiment divin. Si, au contraire, sa demande n'était pas agréée, il lui venait une grande hésitation.
Aujourd'hui, ces précautions peuvent apparaître comme des scrupules outranciers, tout juste bons pour les petits enfants. C'est ainsi que les gens se mettent en route sans balancer le moins du monde, en colère avant même de quitter leur maison. Où est la prière? Elle gît parmi les prétendus scrupules outranciers. Notre égoïsme démoniaque est toujours prompt à nous seriner aux oreilles que nous savons tout. Comme une imposture, on a écarté la Concorde, et il nous reste en partage la confusion spirituelle que l'on voit partout à l'oeuvre.




SES DERNIERS JOURS SUR LA TERRE




Puisque tout en ce monde corruptible a une fin, je parlerai des derniers jours de ce vénérable vieillard.
La fatigue et l'âge avancé du Père se révélèrent, un jour de la première décade de juin 1931, dans l'église du Prophète Elisée. Comme il venait de purifier le Saint Calice, il s'évanouit légèrement. On le transporta dans le narthex de l'église, et on fit venir le médecin. Pendant qu'on lui tenait une main pour lui faire une piqûre, il tendait l'autre vers l'icône du Christ, en disant :" Je n'en peux plus...mon Christ".
On l'emmena chez lui. Chaque jour, son assistante venait le visiter, et on lui lisait l'office complet des mâtines. Le jour de sa mort, seulement, il ne lut pas l'office. De juin au début d'octobre, il ne célébra pas la liturgie. Vint alors la fête de Saint Jacques, le 23 octobre, et celui que le Saint avait guéri, et dont l'on a parlé plus haut, vint pour lui demander de célébrer la fête.
Il rassembla toutes ses forces pour ne pas décevoir la piété du miraculé. L'on transporta le Père Nicolas à Saint Jean. Il y célébra la liturgie, au risque de la laisser inachevée. Ce fut son dernier acte sacerdotal, qu'il célébra parfaitement jusqu'au bout.
A partir du mois d'octobre jusqu'à la fin février, temps auquel il s'endormit, il dit ses prières chez lui. Un jour que nous l'avions mis au lit, parce qu'il était très mal, on lui lisait le service quotidien, tandis qu'il restait allongé. Le moment arriva où il devait dire :"O Dieu, sauve ton peuple..." et la suite. Il fit un effort pour se lever. Bien sûr, nous l'en empêchâmes, et il nous dit, vraiment affligé :"Mais...comment puis-je dire "O Dieu, sauve ton peuple" couché dans un lit?" Il percevait, en disant cela, la prière de façon très vive et sentait profondément le sens de ces mots. Et après plusieurs tentatives infructueuses pour se dresser, ce que nous ne lui laissions pas faire, il leva la main vers l'Infini et bénit...
Le jeudi qui précéda sa mort, et qui fut le seul jour où il garda complètement le lit, il ne demanda pas la récitation de l'office. Jusqu'au soir, sept heures, il refusa toute boisson et toute nourriture. Vers dix heures du soir, alors qu'on conversait, il toussa trois fois légèrement, et s'envola comme un petit oiseau.
On transporta la dépouille à Saint Jean, pour l'offrir à la vénération des fidèles. La suite ne peut se décrire. Trois jours durant, ce fut un défilé ininterrompu de fidèles. De toutes parts, il s'élevait dans Athènes des pleurs, des lamentations...L'église était pleine, comme pour un Vendredi Saint. Outre la paroisse Saint Jean, deux autres paroisses, pavillons en berne, sonnaient le glas : sa paroisse propre, à laquelle il avait été si longtemps attaché et celle de Saint Pantéléimon, qu'il avait auparavant desservie.
Le samedi vers douze heures arriva le Métropolite pour célébrer l'office des funérailles. Etonné à la vue d'une telle foule, il improvisa une oraison funèbre. Quand arriva l'heure de l'inhumation, chacun voulut faire passer la dépouille devant sa maison.
Enfin, l'ensevelissement eut lieu dans le jardin de l'église. Des discussions s'élevèrent pour savoir qui allait creuser la fosse, et l'on dut décider que chacun donnerait un coup de pioche.
Le cortège se mit enfin en route. Pour nous trouver avant les autres près de la fosse, nous prîmes un raccourci. Mais quelle ne fut pas notre surprise : les arbres, les toits, les bergeries, les rues, les places, tout était noir de monde. Il y avait des photographes partout. Enfin, vers cinq heures, le samedi des défunts, jour où l'homme se repose de ses oeuvres, la terre reçut le corps épuisé de cet homme de Dieu exceptionnel, auquel les arrhes de la Gloire Céleste avaient été données durant se vie, et étaient encore données au cours de ces trois journées. Le Saint était parti, plein de joie, d'espérance et de paix.
Puisse le Seigneur nous rendre dignes de le revoir dans les Cieux.




LA CAPITALE PASSERA PAR TOUTES SORTES DE
TRIBULATIONS...




A cela, j'ajouterai encore un détail que je sais de source sûre. Je la tiens des petites vieillles qui depuis tant d'années passaient leurs nuits à veiller au Prophète Elisée.
A cette époque vivait là une moniale du nom de Synclétique, qui s'était illustrée aux côtés du Père Nicolas dans leur commune quête de la vertu. A cette compagne d'ascèse, le Père avait fait cette prédiction :"Lorsque les mains du Père Nicolas cesseront de s'élever pour la prière, alors vous verrez combien de fléaux affreux fondront sur la capitale!"
Et quelles horreurs en effet ne vit-on pas survenir après sa dormition? N'assista-t-on pas durant l'occupation à toutes sortes d'exactions et de brigandages? Et, pis que tout cela, ne mena-t-on pas au supplice un nombre effrayant de martyrs?




SA DISCIPLE




Lorsqu'il se fut écoulé huit années après que le Père Nicolas eut quitté ce monde éphémère, il fut suivi dans l'éternel repos par celle qui avait été sa fidèle disciple et son inséparable compagne, celle qui avait partagé tous les labeurs de sa vie ascétique : je veux parler de la moniale Victoria, qui dans le monde avait d'abord répondu au nom de Vassiliki. Sans elle, il n'eût point été question pour le Papa Planas de liturgie quotidienne cinquante année durant. Son endurance tenait du prodige. Debout à ses côtés, elle lisait les offices et les Vies de tous les Saints. Et lui se tenait là à l'écouter. Durant les veilles de la nuit, du soir jusqu'au matin, c'était un miracle de voir comme elle restait sans s'asseoir. Dans l'austère ascèse du jeûne, il lui arrivait même de surpasser le Père Nicolas. AInsi, lorsque venait le grand carême, elle se contentait, le mardi et le jeudi, d'un simple croûton de pain, sans rien d'autre; et encore attendait-elle pour le manger que le soleil se fût couché. Et si, le samedi et le dimanche, elle rompait quelque peu le jeûne en consommant de l'huile, le mercredi et le vendredi en revanche étaient des jours de stricte abstinence et elle demeurait sans rien prendre.
Lorsqu'elle s'endormit, nous fumes trois ou quatre moniales à aller la veiller. Nous fîmes cercle autour de la morte. Epuisés, les siens se retirèrent. Nous lûmes le Psautier à son intention. La nuit avançait cependant. Recroquevillées dans nos fauteuils, nous nous assoupissions.
Quand la lecture fut achevée, la dernière s'endormit à son tour. Et voici, elle vit passer au-dessus du cercueil une sorte de blanche vapeur...Du milieu de la nuée, une voix se fit entendre, frémissante d'allégresse :" Ma soeur, lui criait-elle, j'ai trouvé le Père Nicolas!"
A ces mots, la soeur s'éveilla, et nous conta la vision qu'elle avait eue. Alors les paroles du divin Chrysstome nous revinrent à l'esprit. Voici, écoutez comment il nous entretient du commerce des âmes :" Il nous faut savoir, dit-il, que les Justes après la mort ont tous le désir de se connaître mutuellement. Ils aspirent à rencontrer tout à la fois les êtres qu'ils ont connus et ceux qu'ils n'ont jamais vus".
Le grand Athanase ne dit-il pas la même chose à ce sujet? " De Dieu, écrit-il, les Saints ont reçu le charisme de pouvoir se reconnaître les uns les autres et de se réjouir ensemble, tout comme dans le siècle présent. Mais il n'est pas jusqu'à cette jouissance même dont les pécheurs ne soient privés".
Puisse donc le Seigneur nous juger dignes nous aussi de voir dans le Ciel nos bien-aimés!
Ici s'arrête tout ce que je sais de la Sainteté du Papa Planas et ce que, portée par sa prière,il m'a été donné de rapporter ici. Et qui sait, sans doute faudrait-il conter bien plus encore...
Mais la Vie toute entière du Père Nicolas est une longue suite de prodiges. Aussi, j'en omets un grand nombre, pour ne pas verser dans le bavardage. Ces évènements que je relate, nous les avons vécus avec lui, durant les vingt années où nous avons marché sur ses pas. Si donc j'y ajoutais encore tout ce que j'ai entendu dire de lui, le plus épais des volumes n'y suffirait pas, quand bien même j'en noircirais toutes les pages.
De l'époque où nous vivions à ses côtés, j'omets aussi de peindre mille traits qui, s'ils étaient rapportés, paraîtraient autant de louanges à la gloire de son infinie patience, et de la vigilance subtile qui lui fit passer en vainqueur toutes les épreuves qui ne cessèrent jamais de l'assaillir au cours des cinquante années où il s'occupa sans faillir à servir l'Eglise.
Vie dont la pratique fut toute entière Chrétienne! Le Papa Planas n'avait-il pas étudié à l'université de la Vraie Foi, de la piété sincère et de la longanimité?




QUELQUES MIRACLES




Il est temps encore de noter ici trois ou quatre "petits" miracles qui survinrent après la dormition du Père Nicolas.
Un de ses parents souffrait de rhumatismes si aigus qu'il ne pouvait trouver de repos ni jour ni nuit. Et comme il était à l'agonie, là dans sa chambre de douleur, il se dressa sur son séant et, dans ses larmes, il supplia le Père Nicolas de lui porter secours. Dans le même temps, il demanda aux siens de lui apporter une soutane du Saint, ce qui fut fait aussitôt. Sans cesser ses invocations, il s'en revêtit. Et voici que les douleurs cessèrent! Le malade alors s'endormit. Peu de temps après, il s'en allait travailler. Jamais plus le mal ne revint.
Une femme, lointaine parente à lui, avait une fille lunatique qui, sitôt la nuit venue, désertait le toit paternel pour courir à ses folies. Ils l'enveloppèrent elle aussi dans une soutane du Papa Planas. Et tout aussitôt elle guérit.
A l'époque de la guerre civile, un logis fut réquisitionné pour des partisans. Les membres de la famille en question cherchèrent refuge dans l'intercession du Père Nicolas. Celui qu'ils invoquaient non sans crainte au travers de leurs larmes leur apparut durant leur sommeil. "Ne craignez rien, leur dit-il, ils viendront et, sans vous faire aucun mal, ils repartiront".
Puis, ils virent le Père Nicolas circuler de chambre en chambre. Il eut bientôt béni toutes les pièces de la maison.
Le lendemain, il vint six partisans qui passèrent la nuit étendus sur les divans du salon. Et, au matin, ils s'en allèrent tout penauds et se confondant en excuses pour les avoir importunés!
L'on nous disait à Saint Jean que bien des femmes qui avaient des querelles de ménage allaient sur sa tombe pour y cueillir des feuilles de buis, dont elles encensaient leur maison afin d'y faire revenir la concorde et la paix.




EPILOGUE




Dans l'épilogue du livre de Marthe la moniale, le Père Philothéos Z. a écrit :"Le Seigneur...qui a jeté les yeux sur l'humilité des Prophètes, des Apôtres, des Martyrs, des Saints, et en a fait des réceptacles de la Grâce du Saint Esprit, des Fils et des dieux, des thaumaturges riches de tous les donc célestes, a aussi jeté les yeux sur l'humilité du Père Nicolas Planas, et en a fait un innocent, un doux, un simple.
Les Pères théophores nous exhortent à acquérir la vertu de l'humilité qui élève. Ils en exaltent la valeur et les fruits. Abba Isaac appelle l'humilité l'ornement de la divinité. Saint Antoine enseigne que, par la seule humilité, nous nous sauverons des pièges de l'ennemi et que nous serons sauvés. Abba Isaïe dit également:"Frère, viens à l'humilité; en elle, tu trouveras la force, la joie, la patience, la longanimité, l'amour des frères, le recueillement, la charité. Celui qui possède l'humilité accomplit tous les commandements de Dieu". Et le divin Damascène :" L'humilité engendre la douceur, la douceur engendre le discernement, le discernement engendre la clairvoyance, la claivoyance élève l'homme à l'amour parfait de Dieu et du prochain".
J'évite de citer tous les autres Pères, et tout ce qu'ils disent sur la sainte humilité, que le Saint Père Nicolas avait acquise et dont il s'était revêtu. C'est pourquoi on ne l'a jamais vu se mettre en colère, s'emporter, insulter, calomnier, accuser, juger. Je ne l'ai jamais vu sombre, mélancolique, triste, morne. Il était toujours souriant, gai, joyeux. Et que dirai-je sur sa grande patience?...
Il possédait la Prière du Coeur, le deuil joyeux, les larmes abondantes, qui ont fait de lui un doux et un héritier de la terre des doux, du Royaume des Cieux.
Imitons donc, mes bien-aimés, dans la mesure du possible, l'humilité du Père Nicolas, pour que le Seigneur jette aussi sur nous les yeux et nous élève.
Imitons aussi sa douceur, afin que repose en nos coeurs l'Esprit du Seigneur. Imitons sa patience, établissons en elle nos âmes, afin d'hériter du Royaume céleste et éternel de Dieu.
Puissions-nous tous y parvenir, par la Grâce, la bonté, la miséricorde et l'amour pour l'homme de notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus Christ et les prières de Sa Mère Toute-Pure et de tous Ses Saints. Amen!




II
LETTRES DE MARTHE LA MONIALE




Je reçus, un certain dimanche après-midi, la visite d'un couple de gens très spirituels. Comme la conversation roulait sur diverse matières, ils en vinrent tout-à-coup à m'entretenir du Papa Baskia. Ce prêtre très vertueux fut originaire de Céphalonie, mais j'ignore dans quelle décade de ce siècle se situe son activité. J'appris à cette occasion que l'on avait publié un petit livret où étaient rapportés les hauts faits de sa vie. Ces jeunes gens me dirent encore à son sujet qu'un jour où il pleuvait, les gouttes de pluie ne l'avaient pas atteint. Cela me fit penser que le même prodige m'avait été conté à propos du Papa Nicolas. Je ne l'avais point encore consigné ici cependant, pour cette seule raison que je m'en étais tenue aux faits dont j'avais été le témoin oculaire ou qu'il m'avait été donné de vivre en personne. Je le livre néanmoins tel qu'il me fut rapporté :"C'était dans les premières années d'apostolat du Papa Nicolas. A cette époque l'église de Saint Jean se trouvait en un lieu écarté. Un jour que le Père Nicolas était en chemin pour descendre à la ville, une forte pluie se mit à tomber. Il avait dépassé les poudrières - Qui sait si elles existent encore aujourd'hui?- A quelques pas de là s'élevait une baraque en tôle ondulée, dont les fenêtres avaient été hâtivement garnies de papier huilé. Un petit vieux qui y avait cherché refuge ne tarda pas à apercevoir le Papa Nicolas marchant à pied sous la pluie. Il accourut vers lui :"Ah! mon petit Père!" s'écria-t-il. "Viens donc t'abriter un instant, pour n'être pas mouillé par l'averse!" Lui cependant, abîmé dans sa prière - car elle ne quittait jamais ses lèvres, et son coeur priait même la nuit au coeur du sommeil- lui, alors, de demander au vieillard :"Que dis-tu là? Il pleut? Ah, il pleut?" L'autre alors l'observa de plus près. Et - ô stupeur- que vit-il? Là, sur la soutane du Papa...Pas la moindre goutte de pluie! Ebahi, l'homme s'empressa d'aller partout publier le miracle...jusqu'au jour où il parvint à mes oreilles. Moi, qui habitais encore mon village natal, cette rumeur me fit accourir à la ville. Et je me précipitai dans Athènes pour y rencontrer le Papa Planas.
Un lundi, premier jour du grand carême, vers deux heures de l'après-midi, une dame "du beau monde"- pour reprendre le mot d'une époque déjà ancienne où les pauvres n'étaient pas, eux, du beau monde - vint trouver le Papas : elle voulait qu'il lui permît de communier aux Saints Dons le premier samedi du carême, jour des défunts. -"Mon enfant, interrogea-t-il, as-tu mangé de la viande la semaine dernière, celle des Laitages?" Elle, impudemment, répartit : "Mais aujourd'hui même, Père, j'en ai mangé!" Une telle inconscience confondit le Papas. Et bien qu'au-dehors il demeurât sans voix, au-dedans de son âme il s'élevait comme un cri de stupeur, et ce cri le transperçait. Manger de la viande ce lundi-là, quand sa synodie et lui-même marquaient l'entrée en carême par l'observation de trois jours de jeûne absolu, appelés "triméron", et durant lesquels ils n'auraient su avaler la moindre miette, boire la moindre goutte d'eau?- "Eh bien, mon Père? continua cette femme. Il eût donc mieux valu laisser perdre la nourriture?" - "Mon enfant, lui dit-il, tu as posé sur la balance la nourriture d'un côté et ton âme de l'autre, et la nourriture a pesé plus lourd? Va, mon enfant, va jeûner le carême entier, et à Pâques tu communieras".
Il y avait encore une femme que les biens matériels faisait moins riche que les spirituels. De perfides gens vinrent lui dire que son mari ne prenait plus d'intérêt pour elle. Et, à ce langage trompeur, ils joignirent mille fables de même acabit. Elle crut ces folies dont elle conçut un vif chagrin. A cette affaire les parents de son mari n'avaient pas peu contribué car, leur bru n'ayant point d'enfant, ces gens n'avaient de cesse de faire rompre cette union sous les prétextes les plus futiles. Elle alla donc trouver le Papa Planas et lui exposa sa peine. Lui l'écouta comme toujours les yeux fermés, ce qui lui donnait l'air de dormir. Quand la femme eut achevé sa confession, il releva la tête et lui dit : " Va, mon enfant, retourne chez toi et sois en paix. L'oeuf, lorsqu'on le fait durcir, se peint en dehors de toutes les couleurs qu'on veut bien lui donner, mais à l'intérieur il reste toujours blanc. De même aussi, quelque vulnérable aux calomnies que paraisse ton mari, au-dedans de lui demeure toujours son amour et son estime pour toi..." "Voilà, concluait-elle, quelle fut ma médecine". Depuis lors ces personnes vivent heureuses par l'effet merveilleux de la prière du Papa Planas.
Je voudrais encore rapporter ici le récit que me fit une pieuse Chrétienne, et qui montre combien la Grâce du Saint Esprit dont le Papa Planas était illuminé lui eût rendu inutile cette prétendue culture dont s'embarrassent les gens du monde. Car il avait le don de pénétrer les pensées d'un pénitent pour en ramener à la conscience claire le péché qui longtemps s'était tapi là sans que le sujet s'en fût aucunement douté. Voici quels furent les propos de cette pieuse femme dont je parlais à l'instant et dont je reproduis ici fidèlement les propos dans leurs termes mêmes: "Il arriva, il y a quarante ans, que je fus, de la part de parents à moi, l'objet d'une méprise et la victime de leurs calomnies. A tout cela je n'objectai pas un mot, ni même une injure. Quand nos deux familles se fixèrent à Athènes, nous ne fîmes qu'échanger les propos les plus banals. Plus tard, lorsque je me confessai au Père Nicolas, je lui dis toute l'affaire. Je lui avouai aussi que la seule idée de rendre visite à ces gens me faisait horreur - Une personne surtout ne quittait pas mon esprit:"Il est déjà bien beau, lui dis-je, que nous nous soyons saluées lors de notre dernière rencontre". Elle, mariée; elle, du monde, et moi qui menais aux côtés du Père Nicolas une toute autre vie. J'allais donc répétant que je n'avais rien à faire avec elle; du moins le croyais-je.
Un autre confesseur m'eût peut-être fait un discours de la sorte :"Eh bien, mon enfant, à ton gré. Que t'est-il besoin désormais d'être avec ta parente en relation d'amitié? " Et, pour moi, je n'imaginais point que le Père Nicolas pût me tenir un autre langage.
Lorsque, tout-à-coup, je l'entendis me dire : " Non, mon enfant, non. Il te faut aller chez elle manger à sa table, et s'il se peut même dormir quelque jour sous son toit. Car ce qui vit au-dedans de toi n'est autre chose que de la passion." La foudre, si elle était tombée sur moi, eût fait sur mon coeur une moindre impression. L'absorption du poison le plus âcre, le plus fétide m'eût causé moins de gêne que n'en comporatit l'obéissance à ce commandement. C'est alors - oh! avec quel effroi!- que je sentis toute la passion dont j'étais habitée, qui si longtemps s'était tenue tapie au-dedans de moi sans que j'y eusse pris garde. Hélas! Il fallait s'exécuter! Mes genoux se dérobaient sous moi tandis que je me rendais chez mon "ennemie". Fort heureusement, la prière du Père Nicolas les éclaira et son mari, sa mère et elle firent bonne figure. Nous convîmes donc de déjeuner ensemble à l'heure de midi. A table cependant, je ne pus me défendre de songer à part moi : "Ah! Diable de trio!" Le combat spirituel qui ce jour-là fut le mien ne peut se peindre. L'après-midi, nous dormîmes, elle et moi, dans la mêmechambre. A peine avais-je cédé au sommeil que je vis Satan se dresser tel un colosse à mes côtés. "Ainsi, écumait-il, tu es venue dormir ici, bête stupide? Que ne vas-tu plutôt au diable!" La jeune femme m'avoua bientôt avoir fait également un bien mauvais rêve. Et cependant...Ni je ne lui dis ce que j'avais vu, ni je ne la questionnais sur ce qu'elle avait vu. Il n'était point entre nous de ces familiarités. Depuis lors, nous sommes redevenues amies ainsi qu'aux premiers jours de notre entente, et nous nous portons, grâce à Dieu, une tendre et mutuelle amitié.
Le Père Nicolas vint un jour chez nous. Et, sur le soir, après qu'il eût goûté le premier repos de ses peines, il se tenait - selon un souhait qui lui était cher- assis dans le fauteuil de l'entrée d'où il embrassait d'un seul regard indéfiniment continué les paroisses Saint Georges et Saint Isidore qu'il aimait particulièrement à bénir du signe de la croix. De même, il ne pouvait se dispenser de bénir un monastère fort ancien de Nauplie - la "Fontaine de Vie", qui remonte, dit-on, au XIIème siècle- et son higoumène Cécilia qui, pour lui, serait toujours "Seisilia", car il avait comme un cheveu sur la langue. Et, lorsqu'il élevait, dans ce geste hiératique, sa petite main bénissante, le monde entier, j'en suis sûre, recevait la grâce de sa bénédiction. Ainsi faisait Saint Stéphane le Sinaïte, bénissant le monde du sommet du Sinaï.
C'était tout naturellement donc que le peuple souffrant se pressait vers la petite église du Prophète Elisée.
L'on vit un jour y arriver pour assister à la liturgie une petite femme éperdue qui, lorsque l'office eut pris fin, se dit en elle-même : "Voici que la petite barque naufragée a trouvé un grand port!"
De temps à autre venaient aussi des possédés. Une femme de Céphalonie en fut quelque jour frappée de stupeur : "L'on se croirait, dit-elle, dans l'église de Saint Gérasime..." Ce jour-là, en effet, il vint deux malades à la conduite déréglée. Et, dans leur démence, ils jetaient par intervalles des cris inarticulés de bêtes...
Le Papa Nicolas jugeait indigne, impie même, que ses tâches sacerdotales une fois accomplies, un prêtre demeurât tête nue. C'est ainsi qu'un après-midi où nous étions à la maison, nous le vîmes arrivé épuisé et tout transpirant. Je m'empressai donc à ses côtés. J'étais aux petits soins pour lui, et je m'apprêtai à lui retirer son chapeau de prêtre lorsqu'il m'arrêta, presque tremblant : "Le prêtre seul, me dit-il, a le droit d'ôter de sa tête son couvre-chef". Il l'enleva donc, et, aussitôt, tirant de son sein le bonnet brodé d'une croix que l'on nomme skouphia, il s'appliqua à la bien poser sur son front. Ah! Comme cela ajoutait à son air de sainteté! Il m'expliqua que les seuls moments où le prêtre pouvait rester tête nue étaient ceux où il s'acquittait de fonctions requises par son ministère - bénédiction, prières, port de la communion aux malades alités etc...- Tout le reste du temps cependant, il ne lui est pas permis d'aller tête nue. C'est manquer de respect à son habit sacerdotal. Si je rapporte ce propos, c'est que je vis un jour dans l'autobus, le chapeau sur les genoux, un diacre tranquillement assis, offrant aux regards des cheveux gominés de brillantine et peignés avec un art qui ne semblait rien ignorer des nouveautés de la mode...Ailleurs - c'était dans la salle d'attente d'un médecin- il m'arriva de croiser un prêtre nu-tête. J'en vis bien d'autres encore qu'il n'est point nécessaire que je mentionne ici. L'on m'opposera, certes, que les exigences du Papouli eussent paru bien excessives à d'autres. Mais quoi? A-t-on jamais vu un officier supérieur en uniforme circuler dans la rue tête nue? A-t-on jamais vu, que ce soit dans un défilé militaire, une parade, ou une réception au cercle, des soldats qui ne portent pas chacun leur coiffe distinctive? Le soleil ardent de l'été comme la neige hivernale ne les trouvent-ils pas rivés au poste, l'arme à la main? C'est que, bien sûr, le règlement le veut ainsi. Pourquoi donc juger exagérée cette habitude du Père Nicolas? Et pourquoi juger encore très naturel de voir, en voiture ou partout ailleurs, les prêtres dépouillés de cet insigne de leur ministère?
Je t'écris aussi pour te narrer les derniers instants du Père Nicolas, tels précisément que les décrivit sa chantre, la moniale Victoria.
"Le jeudi matin, qui était le premier jour où il consentait à s'étendre et où il ne demanda point qu'on lui lût l'office, il refusa jusqu'à sept heures du soir de goûter aucune nourriture. Vers neuf heures, comme on lui portait une collation, on lui demanda sa bénédiction. En la donnant il dit :"La divine Grâce puisse-t-elle vous la multiplier!" Sur le coup de dix heures du soir, tandis que les gens chuchotaient, il lui vint un petit accès de toux; par trois fois, il toussa et, tel un frêle oiseau, il s'en alla. Le soir même arrivait en hâte son concélébrant, le Père Lampropoulos, avec deux autres prêtres. Tous trois se mirent à lire l'Evangile pour le repos de l'âme du défunt. Au matin - c'était environ neuf heures- l'on mena sa dépouille jusqu'à l'église Saint Jean pour l'exposer à la vénération des fidèles. Ce qui advint ensuite ne peut se peindre. Trois jours durant, la procession des fidèles forma une longue file ininterrompue devant le corps du Saint; trois jours durant lesquels il n'y eut dans Athènes un lieu d'où il ne s'élevât un concert de pleurs et de lamentations. Comme pour des vigiles nocturnes, la vénération se poursuivit toute la nuit. Il y avait autant de monde que pour l'office de l'Ensevelissement: on se serait cru un Vendredi Saint. Trois églises faisaient sonner leurs cloches. C'étaient la paroisse où avait vécu le Papa Planas, l'église Saint Pantéléimon à laquelle il s'était un temps attaché, et l'église Saint Jean.
Vers midi, le samedi, le Métropolite arriva pour lire l'office des défunts. L'affluence était si grande qu'il en demeura d'abord stupéfait. Mais la vue de cette multitude l'incita bientôt à prononcer l'éloge du défunt. Enfin, ce fut le temps du "dernier adieu". L'on voulut soulever le corps pour l'emmener, mais la foule rendait toute manoeuvre impossible en voulant à toute force embrasser les saints restes dans une dernière étreinte. Aussi le Métropolite ne tarda-t-il pas à annoncer que l'ensevelissement n'aurait pas lieu avant quatre heures et demi de l'après-midi, de sorte que tous pussent donner au mort l'ultime baiser.
La suite passe tout ce que l'on en saurait dire : comme pour Saint Spyridon autrefois, l'on prit au cordeau les mesures du bienheureux. Il s'agit d'une coutume attestée par d'anciennes chroniques. Une relation du VIème siècle, celle du "pèlerin Piacenza" nous apprend qu'à Jérusalem les Chrétiens usaient de pièces de drap ou de rubans pour mesurer les empreintes des mains et des pieds de notre Sauveur, que l'on pouvait voir, miraculeusement imprimées sur les piliers auxquels Il fut lié et flagellé, ainsi que sur la large pierre de forme oblongue qui occupait la salle du prétoire où il comparut devant Pilate. Cette relation porte encore que les marques sont si nettes qu'il était possible à chacun d'en prendre les mesures. L'on avait coutume ensuite de porter autour du cou le cordon qui avait servi à les établir; par quoi l'on guérissait toutes sortes de maladies. De même, Saint Grégoire de Tours écrivit en l'année 585 que bien des croyants de cette époque se rendaient "au pied de la colonne de la flagellation. Là, ils déchiraient leurs vêtements pour les disposer autour de la base. Puis ils les emportaient avec eux comme autant de bénédictions promptes à les secourir dans la maladie". Une autre coutume consistait à prendre pour phylactère le fil de tissu dont on avait mesuré la tombe de notre Sauveur. Cette pratique se maintient jusqu'à nos jours : l"on songe à nombre de Reliquaires Orthodoxes et, entre beaucoup d'autres, à la châsse de Saint Jean le Russe, vénérée en Grèce dans l'île d'Eubée. Là aussi, les fidèles coupent une corde de la longueur exacte des Saintes Reliques et la rapportent ensuite chez eux comme une bénédiction du thaumaturge.
Puis on souleva légèrement le corps de Papa Planas; de manière que les petits enfants pussent passer par-dessous. Cette coutume est encore observée de nos jours en Grèce, lors de l'Ensevelissement du Vendredi Saint, où l'on voit les prêtres assistés de quelques enfants élever au-desus de leurs têtes l'Epitaphion qui figure le Saint Suaire; ou encore lors des processions des Saintes Icônes.
On s'arracha ensuite les fleurs qui, par centaines, couvraient le corps de notre Papa Planas. On manqua même s'entre-déchirer pour un minuscule pétale de jacinthe tombé de ses Saintes Reliques.
Tous étaient tenaillés par la faim, desséchés par la soif. Pas un cependant ne partit avant qu'il fût quatre heures et demi. Enfin arriva l'heure fixée pour l'ensevelissement. L'on vit alors s'élever une dispute parce que chacun des marguilliers désirait que le cortège passât devant chez lui. A la requête des paroissiens, le Papas fut enterré dans le jardin de l'église. Ce fut là matière à nouvelle affaire : c'était à qui donnerait, pour creuser la fosse, le premier coup de pioche. L'on décida, pour vider la querelle, que chacun enlèverait une pelletée de terre. Enfin, la procession s'ébranla. Nous étions deux ou trois moniales qui approchions ensemble de l'église quand l'une d'entre nous tout-à-coup suggéra : "Venez, coupons au plus court, pour nous trouver plus près de la tombe". Mais quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous vîmes que la place, le chemin, les arbres, les jardins, les murets, et jusqu'aux toits des maisons étaient entièrement noirs de monde? Cà et là on brandissait des appareils photographiques. Et tandis que là, sur la tombe, nous entendions de nouveaux discours, de tous côtés des lamentations s'élevaient, des frissons parcouraient l'assemblée entière. Enfin, vers cinq heures, en ce samedi des âmes, quand cessent pour l'homme les durs labeurs de la vie ascétique, la terre reçut le corps épuisé de cet homme de Dieu si rare auquel, durant ces trois jours de veille ininterrompue où, encore à l'état corporel, il avait commencé sa dormition, la foule des fidèles venue le vénérer avait offert comme les prémices de la gloire éternelle. Et lui, tout à sa joie, il s'en était allé, serein et riche d'espérance.
Puisse le Seigneur nous juger dignes du Ciel, et qu'il nous soit donné de l'y revoir un jour!




III
AUTRES TEMOIGNAGES
SUR LE PERE NICOLAS






Le journal Vespérie - Héspérini- du 6 mars 1932 a publié, après sa mort, une série de témoignages sur le Papa Nicolas Planas. Nous en reproduisons ici les principaux extraits.
"A Son service, le Dieu Très Haut ne compte qu'une poignée de minsitres intègres. De leur nombre est à coup sûr celui qu'hier, à l'âge de quatre-vingt -deux ans, Il rappela à Lui, le très Révérend Père Nicolas Planas.
Il était né en 1851 dans l'île de Naxos et, tout enfant, il s'était consacré aux choses divines et voué au service de l'Eglise. Dès l'âge de dix ans, il servait dans le sanctuaire, élevant lors du Chérubikon, à la liturgie, les saints hexaptères qui représentent les chérubins, veillant la nuit entière aux vigiles. Et, si jeune encore, il manifestait déjà à quel amour du prochain l'inclinait son esprit compatissant. La paix que lui donnait sa mère, il la partageait aux autres enfants de son village. Que de fois même ne leur avait-il pas donné jusqu'à son propre vêtement!
En 1879, on le fit diacre dans l'ancienne église Saint Pantéléimon. Puis, en 1884, on l'ordonna prêtre dans la petite chapelle du Prophète Elisée qui se trouve non loin de l'ancienne caserne. C'est là, on le sait, qu'Alexandre Papadiamantis, le célèbre auteur de nouvelles, venait chaque dimanche pour y chanter. Un certain temps, le nouveau Papas célébra dans l'église de la Transfiguration. Puis, on lui remit la charge d'une chapelle lointaine située en pleine campagne que le monastère du Mont Sinaï avait pour dépendance: c'était un petit ermitage dédié à Saint Jean le Précurseur.




1. Ses oeuvres.




Peu de temps après qu'il se fut installé à Saint Jean, le Papa Nicolas s'employa de toute son âme à servir la divinité et à nourrir dans la foi son fils unique.
Ce qu'était alors la paroisse Saint Jean, dite "le Chasseur", il est aisé de se l'imaginer. Au lieu où se rencontre aujourd'hui le quartier Saint Jean s'allongeaient à perte de vue des champs parsemés çà et là de rares vignes où s'en venaient chasser les Athéniens - c'est de là que le minuscule oratoire de caractère "byzantin" perdu sur ces terres immenses tirait son nom de Saint Jean Chasseur. Alentour, le village pouvait bien compter trois ou quatre feux tout au plus, sans compter les cabanes de bergers. Dans un tel cadre désertique, les ressources du Papa Nicolas étaient des plus maigres et ne suffisaient point à les faire vivre, son fils et lui.
Et cependant...Jamais le bon prêtre ne se plaignait. Il se contentait pour son ordinaire d'un morceau de pain et des herbes qu'il cueillait. Et, lorsque ce n'était point jeûne, il acceptait en outre le verre de lait dont quelque pâtre venait lui faire présent.
De longues années il vécut en ascète - modèle véritable des prêtres du Très-Haut. Confesseur admirable, être doux s'il en fut, personne au plus haut point aimable, il ne tarda pas à s'attirer l'affection, l'estime et l'admiration de tous.




2. Secours et protection des pauvres.




A la petite chapelle où le Père Nicolas célébrait régulièrement, l'on vit bientôt affluer, venue d'Athènes, une foule immense de fidèles. Aussi les ressources du prêtre s'accrurent-elles singulièrement. Le Papa Planas ne s'en émut pas : Il ne quitta point ses habitudes ni sa manière de vivre. Jamais il ne consommait d'huile le mercredi et le vendredi. A l'entrée de la Grande Semaine, il ne rompait point de trois jours l'austère jeûne que l'on nomme le "triméron". Le jour du Grand Vendredi, il ne buvait que du vinaigre. C'est à ce mode de vie frugal qu'il accoutumait son tout jeune fils. L'argent qu'il recevait, il le distribuait aux pauvres et aux indigents. S'il apprenait qu'une famille était dans la détresse, il employait toutes ses forces à lui procurer un substantiel secours : aussi le voyait-on se dépouiller pour ces personnes de tout ce qu'il avait. Il mariait les orphelines, aidait les étudiants pauvres, payait aux jeunes gens sans le sou beaucoup de livres et de cours. Et tout cela, c'était dans le secret qu'il le faisait, en fidèle observateur du précepte de l'Evangile :"Que ta droite ignore ce que fait ta gauche".
Bientôt, le Père Nicolas devint dans Athènes l'unique prêtre auquel l'on eût recours. A tout moment, on l'appelait aux quatre coins de la ville, qui pour un baptême, qui pour un mariage. Et lorsqu'on lui remettait une somme d'argent qui, dans la condition misérable où il était, lui paraissait toujours exorbitante, il ne manquait jamais de retourner ce bienfait à son auteur.
Cette vie d'ascèse que, jour après jour, il menait avait fait de lui, dès cette vie, un Saint. Son visage était celui d'un être sanctifié, tandis que, de sa peau lisse et comme diaphane s'exhalait ce doux parfum suave et embaumant à quoi l'on reconnaît l'odeur de sainteté.




3. Visions enfantines.




Depuis plus de vingt-cinq ans, les petits-enfants, à qui sont la candeur et l'innocence, à l'église ne le voyaient pas toucher terre.
Une femme pieuse, rencontrée aux funérailles de ce prêtre incomparable, me confia que, pour avoir vu la renommée de ce saint homme s'étendre jusqu'aux confins d'Athènes, elle s'était, une certaine veille de Noël, avisée de prendre ses petits enfants avec elle afin d'aller communier à Saint Jean. A l'époque, le lieu n'était encore qu'une vaste solitude. Quelque vingt maisons, des scorpions ici et là et, partout alentour, le désert, coupé seulement par intervalles de quelques champs cultivés. Naguère, l'église n'était qu'une minuscule chapelle byzantine aux murs bas qu'éclairait mal une lumière diffuse: une vraie miniature, un bouton de rose. Là, d'autres familles attendaient aussi, venues dans l'espoir que les jeunes enfants recevraient la communion des mains de ce saint homme. Et voici que lorsque dans l'encadrement des Portes Royales avait paru le Papa Nicolas tenant le saint calice et la patène, le petit-fils de cette vieille femme avait soudain crié :
"-Yaya, yaya - grand'mère, grand'mère!- Le papas marche en l'air!"
"-Tais-toi donc!" lui avait-elle dit. Et elle s'était signée. "Comment cela, "il marche en l'air"?
-"Moi aussi, s'était alors écrié un autre bambin, moi aussi, je le vois! Il ne touche pas terre!"
Bouleversées, les femmes de l'assistance avaient approché les petits enfants des Saints Mystères. Le Papa Nicolas, cependant, n'avait rien entendu ou, s'il avait entendu, n'y avait pas pris garde. De cette époque, l'aïeule n'alla plus communier nulle part ailleurs. Toujours elle venait là, et chaque fois, un concert de voix enfantines ne manquait pas de se faire entendre:
-"Le papas marche dans les airs!"...




4. Bienfaiteur de son église.




La paroisse Saint Jean lui était infiniment redevable. Elle avait aussi de grandes obligations envers un autre prêtre qui mettait à la servir tout son savoir, son zèle et son dévouement : c'était le Père Nicolas Lampropoulos.
Accourant au nom du Papa Planas, la foule déferlait sur la petite église. Au reste, semblable mouvement réclamait que son revenu s'accrût et que grandît aussi le nombre de ceux qui demeuraient dans ce quartier éloigné de la ville. Avec le temps donc, la paroisse ainsi formée devint immense. Mais son bien, s'il ne l'avait point tout entier distribué aux pauvres, le Papa Nicolas l'abandonnait à l'église. C'est ainsi qu'il avait acheté des icônes et donné pour plus de douze mille drachmes avant-guerre, et pour plus de quinze mille drachmes après-guerre.
Le Père Lampropoulos savait d'ailleurs persuader les fidèles de se montrer généreux et il recueillit bientôt assez d'aumônes pour que l'on érigeât la vaste église qui s'imposait.




5. Où l'on voit que le Papa Planas ne portait pas d'argent sur soi.




Jamais le Père Nicolas ne portait d'argent sur soi. Tout ce qu'on lui donnait, il le distribuait aussitôt aux pauvres, aux veuves, aux orphelins. Lui avait-on le matin fait l'aumône de quelque argent? A midi, il n'avait pas trois sous. S'était-il vu l'après-midi accorder un bienfait? Le soir, il s'endormait pauvre comme Job.
Sans humeur ni malice, ne sachant rien refuser, il donnait à qui l'en priait. Aussi le Père Lampropoulos ne cachait-il point que des trompeurs le roulaient en lui racontant des histoires : Ils avaient prétendûment faim, ils étaient pauvres, ils étaient mal, et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il se fût dépouillé pour eux de sa dernière pièce.
Cent sous à la journée, c'était à ses yeux une fortune. Jamais il n'était plus riche. Le reste, il le partageait aux indigents.




6. La vision qu'il eut avant que de mourir.




Un dimanche après la liturgie, il avait éprouvé un malaise et s'était alité. Le voisinage le sut malade et accourut aux nouvelles de ce bon père.
-"Comment est-il?" demandait-on à sa belle-soeur.
-"Mal", répondait-elle invariablement. "C'est que, voyez-vous, il est sur ses vieux jours à présent".
-"Vous avez appelé le médecin?"
-"Il n'en veut pas, nous le lui avons bien proposé". "Le médecin, c'est Dieu" nous a-t-il répondu.
Trois jours durant, il garda le lit. Puis, comme un oiseau, il mourut. La veille de sa mort, il s'était tourné vers sa belle-soeur :
-"Maria, lui avait-il dit dans un souffle, quelle est donc cette lumière là-bas, ce soleil dans la maison? Mes yeux ne peuvent en soutenir l'éclat, ils sont tout éblouis". Elle avait fait "oui" de la tête - sans doute avait-il le délire?
-"Je vais fermer la fenêtre, père".
Le jour même de sa mort, qui se trouva être le jour anniversaire de son ordination - c'était un 2 mars-, il eut encore ce mot :
-"N'allez-vous pas m'ôter ce petit enfant de dessus la poitrine? Il me presse à m'étouffer". C'était la vision d'un ange qu'il avait eue en songe. Après qu'il eut toussé d'une légère toux, vers son Seigneur enfin il prit alors l'essor, tel l'oiseau de haut vol ennemi du frimas, que la migration rend à des cieux plus cléments. Et c'était en aigle désormais qu'il s'en allait soutenir les rayons du soleil.
L'on fit ses funérailles dans le jardin de l'église, ainsi que les paroissiens en avaient fait la demande à l'Evêque. Devant la dépouille de ce nouveau Saint Nicolas exposée durant trois jours, lentement défila la foule des pèlerins venus pour une ultime bénédiction baiser la main de celui qui s'en était allé.
L'on pria même un célèbre sculpteur, M. Georgandis, de tailler un buste du vénérable prêtre.
Et il y eut pour le mener à sa dernière demeure une foule innombrable de gens venus des lieux les plus reculés d'Athènes. Ce fut là, devant cette multitude, au premier rang de laquelle l'on pouvait reconnaître l'archevêqued'Athènes, que le Père Lampropoulos prononça un vibrant éloge du bienheureux Nicolas, où il retraçait la vie admirable qu'il avait menée sur cette terre.




AUTRES TEMOIGNAGES
I




En vérité! Le Père Nicolas, celui qui "possède la crainte du Seigneur", celui qui, sa vie entière, se conduisit "dans le monde...avec sainteté et pureté devant Dieu, non point avec une sagesse charnelle, mais avec la Grâce de Dieu" (2Cor. 1-12), lui l'homme "intègre et droit, craignant Dieu, et se détournant du mal" (Job, 2-3), oui, je vous le demande, à qui osera-t-on le comparer?
J'eus le bonheur de rencontrer ce saint homme et de m'attacher à lui des liens d'une étroite amitié lorsqu'en 1930, désireux de me confesser, - je n'étais encore que jeune diacre à cette époque-, je portai mes pas dans la petite église dédiée au prophète Elisée, dont l'histoire devait retenir le nom. C'est là, dans cette chapelle minuscule que, depuis de longues années déjà, célébrait le Papa Nicolas et que les pieux chantres Alexandre Papadiamantis et Alexandre Moraïtidis - au reste célèbres conteurs- chantaient et exaltaient par leurs hymnes le nom éternellement adorable du Seigneur.
Lorsque l'on se rendait là-bas, loin des bruits du monde, en ce lieu de bénédiction, écrin plus précieux qu'une miniature où tout paraissait touché de contrition, l'être se sentait soudain projeté dans les profondeurs de l'esprit et contemplait le gouffre insondable de son âme. Et c'était dans une telle disposition du coeur que, du sanctuaire, le visiteur voyait paraître la figure si vénérable du Papa Nicolas dont l'extrême simplicité rendait plus étonnante la richesse qu'abritait son âme divine.
Il était l'homme qui en toute chose s'est fait petit enfant, selon le précepte du Seigneur qui "ayant appelé un petit enfant le plaça au milieu de ses disciples et dit :"Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez pas et si vous ne devenez pas comme les petits enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des Cieux." (Matt. 18,2 sq). Salomon ne dit-il pas : "Ne chante pas un homme dans sa beauté...Petite est l'abeille parmi la gent ailée, mais son fruit surpasse toute douceur." (Sir. 11, 2-3).




***




Toute l'apparence de ce saint homme témoignait d'un monde intérieur vraiment céleste. Ecoutons encore Salomon : " Son habit, le rire de ses dents, et la démarche même de ses pas révèlent un homme. " (Sirach 19,30). Pour le Papa Planas, sa bonté sur tous épanchée, le sourire qui illuminait sans cesse son visage - un sourire si candide que l'on eût dit celui d'un tout petit enfant -, sa sainteté simple et sans airs, sa pauvrété manifeste, son amour du prochain, infini comme la miséricorde dont il usait envers ses pénitents, la sagesse enfin, tout cela laissait le visiteur pantois d'admiration. L'âme recevait cette révélation comme un choc élecrique: dans la sainte personne du Papa Planas l'on voyait accomplies toutes les promesses du Seigneur :"Les Justes vivent éternellement; leur récompense est auprès du Seigneur et leur recours est dans le Très Haut. A cause de cela ils recevront la couronne de la splendeur et le diadème de la beauté de la main du Seigneur : de Sa droite Il les couvrira et de Son bras Il combattra pour eux." (Sag.5, 16-1). "Tu désires la sagesse? Conserve les commandements et le Seigneur te la prodiguera; car sagesse et instruction sont dans la crainte du Seigneur, et Il met Son bon plaisir dans la Foi et la douceur" (Sir. 1, 26-27). "Regardez les oiseaux du Ciel; ils ne sèment ni ne moissonnent, et ils n'amassent rien dans les greniers; et votre Père céleste les nourrit...Cherchez premièrement le Royaume et la justice de Dieu; et toutes ces choses vous seront données par surcroît". ( Matt. 6, 26, 33).
Le Père Nicolas n'avair rien, mais il ne manquait non plus de rien comme les Apôtres qui "étaient regardés comme n'ayant rien et possédaient toute chose, comme pauvres et en enrichissaient plusieurs". (2 Cor.6, 10).
Le Papa Nicolas n'avait point fréquenté l'Université, il n'avait point étudié au lycée et il est même probable qu'il n'alla jamais à l'école, fût-ce dans les petites classes, comme le donne à penser une icône qui vient de sa famille. C'était un diptyque sur lequel étaient peints les Saints diacres Prochore, Nicanor et Parmenas d'un côté, Saint Hésychius et le diacre Timon de l'autre; l'on pouvait voir au dos, tracée de sa main, la croix surmontée des lettres
IC*XC
*****
NI*KA
Ce qui signifie à peu près : "Par ce signe Jésus Christ est vainqueur". Au-dessous figurait cette inscription en style naïf et dont l'orthographe délicieusement fantaisiste ne peut manquer de faire sourire :
"J'ai été ordonné à Athène à
l'église de la Transfiguration
à Placa le 28 juillet 1879.
En 1884 à l'église du Prophète Elisée j'ai été ordonné prêtre le 2 de mars.
Les Saints Apôtres sont fêtés le 28 julet. Saint Esychios est fêté le 2 mars".
Nicolas Planas prêtre de Naxos.
Oui, tel était le Père Nicolas. Et pourtant le même Père Nicolas possédait cette sagesse hors du commun que Dieu réserve aux plus avisés! Je songe à une direction spirituelle qui fut à mon âme des plus salutaires : j'étais venue à lui afin de confesser mes péchés. Lorsque j'eus fini, il s'efforça de me montrer que j'avais été le jouet d'une influence du Malin, faute de savoir qu'on doit toujours se garder de Satan. Et prenant cet accent qui n'était qu'à lui - car il bégayait un peu, et prononçait mal certaines lettres comme le "d", le "x", le "r", etc...: "Ecoute, mon enfant, me dit-il, le diable, ce malfaiteur, est semblable à un voleur. Tout comme le voleur vient frapper chez nous dans l'espérance de forcer notre porte, c'est de la même façon aussi que lui vient frapper. Tu me demandes ce qu'est la porte? Voici...voici...et voilà...- et tandis qu'il prononçait ces mots, levant l'index de sa main droite, il me montra tour à tour les yeux, les oreilles et la bouche, les mains et les pieds; oui, voici ses outils; voici sa cognée pour nous en asséner des coups; et voilà sa barre de fer pour achever la besogne. Et quoi? " Lorsque la mort a fait irruption par vos fenêtres, alors n'a-t-il pas surgi sur votre terre de quoi attirer hors du logis les bambins et détourner les gens de leur place?" Mais sois sans crainte! Aussi longtemps que tu n'ouvres pas la porte et que tu demeures barricadée dans la place, alors tu es en position de force, y eût-il même au-dehors une troupe entière de ces larrons. De tout ton coeur seulement, chéris notre Christ : car c'est Lui la porte sûre, Lui, les verrous de fer. "Je suis la porte", dit le Seigneur." ( Jn 10, 9).
Non, non, de ma vie entière je n'oublierai ces paroles sublimes qu'il me prodigua et qui sont de celles dont "nous parlons, non avec les discours qu'enseigne la sagesse humaine, mais avec ceux qu'enseigne l'Esprit". (1 Cor.2, 13), pour que soit accomplie la parole de Dieu qui dit :"Tel travaille, peine et se hâte, qui n'en est que plus démuni. Tel est faible, manquant d'aide, sans force et rassasié de misère; mais les yeux du Seigneur le regardent favorablement. Il le rétablit après son humiliation et relève sa tête, et ceux qui l'admirent sont nombreux." (Sir. 11, 11-13).
Sa Sainte Vie fut toute entière le cordeau avec lequel il traça le chemin qui mène infailliblement au Christ : il montra la seule Vérité, celle qu'un poète chrétien de nos contemporains célèbre en ces mots :
" Si tu l'aimes, ne montre point au peuple d'autre chemin,
Car ces voies sont celles qui bien loin, en arrière,
Laissent désolation, ruine et perdition.
Et d'où vient qu'il y eut en Galilée
De si sages pêcheurs,
Sinon de ce qu'ils servaient en vérité le Christ?"




OU L'ON RAPPORTE QUELQUES-UNS DE SES
MIRACLES




Lorsque, sous l'occupation,le propre fils du Papa Planas, dont l'affaire ne marchait plus guère, eut de graves soucis d'argent, il fut si fort affecté de la gêne en laquelle il était tombé, qu'il contracta un mal sévère qui lui donna la fièvre. On désespéra de pouvoir le guérir. Un jour qu'il était au bout de ses forces, le jeune homme revêtit un froc ajusté qui avait appartenu au Saint; et, s'adressant à la soutane comme s'il avait son père en face de lui, il dit :"Mon père, si tu m'aimes, prie pour ma guérison ou prends-moi avec toi". Aussitôt, du haut des Cieux le Papa Nicolas se mit en prière et répandit ses bénédictions sur la maison de son fils: il rendit la santé à son enfant. Ce soir-là, donc, il parut au malade que la fièvre était tombée. Et lorsque le lendemain arriva le médecin - le même qui, la veille, devant l'état de son patient, avait cru devoir alerter la famille-, lorsqu'il arriva, donc, quel ne fut pas son étonnement de ne point trouver un malade geignant mais un jeune homme reposé et serein! Force lui fut de constater que la fièvre était tombée comme par enchantement! Dès lors Jean commença de refaire ses forces, si bien qu'ensuite - par les effets conjugués de son mérite propre d'abord et des intercessions de son Saint Père au Ciel ensuite - le fils du Papa Planas ne fut jamais mieux portant qu'après sa terrible maladie.
De proches parents du Papa Planas avaient une fille qui souffrait d'une affection nerveuse. Et ce mal était si aigu qu'elle ne dormait quasiment plus depuis près de deux mois et se trouvait dans un état d'extrême faiblesse. La famille était fort inquiète. Un soir, enfin, l'on s'avisa d'aller chercher d'anciens vêtements du Papa Planas. On touva un paletot qui lui avait appartenu. La malade n'en eut pas plutôt été recouverte qu'elle sombra dans un profond sommeil. Depuis lors, jamais plus elle ne fut sujette aux insomnies. Bientôt elle recouvra la santé, se maria, et donna le jour à de beaux enfants robustes. De son ancienne maladie plus rien ne paraissait, et elle avait fort bien fait de ne pas écouter les médecins qui naguère, unanimes avaient tous défendu qu'elle se mariât. Et chaque jour désormais elle rendait gloire à Dieu, exaltant le nom du Très Haut et de Ses Saints dont l'ombre même suffit à guérir tous ceux qui les implorent (Ac. 5, 15).
La belle-soeur du Papa Planas avait un neveu qui, durant la guerre albanique servit comme soldat. Une nuit, le jeune Elie Dekoulakos - c'était son nom- fut requis d'aller au prix de sa vie poser des fils de fer barbelés. Mais bientôt, sans qu'il s'en fût du tout avisé, il se trouva pris au beau milieu d'une troupe d'Italiens qui...levèrent les mains en signe de reddition et tous - ils étaient au nombre de dix-sept!-se constituèrent prisonniers. Il les mena donc au lieu où séjournait sa garnison. Ses chefs demeurèrent ébahis. Qu'était-il donc advenu? Les parents du jeune homme avaient cousu sur sa vareuse une relique du Papa Nicolas : c'était un petit morceau qu'ils avaient pris à l'une de ses étoles. Et toujours, dans sa prière, Elie suppliait le Saint. C'est ce qui lui avait mérité la vie sauve.
Une autre fois, le Père Nicolas longeait le marché aux légumes en direction de l'église de la Sainte Trinité. En chemin, il rencontra un cab dont le cheval gisait à terre, demi-mort. Ivre de colère, le charretier - un rustre- rossait sans vergogne sa bête en lâchant des blasphèmes. Le Papa Nicolas approcha l'homme rendu plus furieux qu'une bête et, par ses paroles, cherchait à l'apaiser. Au reste, en Chrétien qu'il était, il prenait pour les dire l'air le plus doux et le plus accommodant du monde :"Pour l'animal, risqua-t-il poliment, il n'a rien et se remettra bientôt. Mais toi, mon enfant, ne blasphème donc pas de la sorte le nom de Dieu".
Hors de lui, l'autre tourna de son côté ses yeux injectés de sang:"Haro sur le vieux!" hurla-t-il au vénérable Ancien qui lui avait parlé si calmement. Allons! Si tu ne veux pas que je te prêche à mon tour, fiche-moi la paix!"
A ces paroles honteuses, le Papa Planas n'eut pas le moindre frémissement. Il ne se sentit même pas blessé dans son amour-propre - qui était bien la chose au monde dont il était le plus dépourvu. Il eût plutôt vu en l'égoïsme de cette sorte de gens un ver dévorant qui taraude l'âme - et il mettait au même rang l'orgueil de bien des clercs qui se targuent d'avoir lu trois ou quatre malheureux livres et s'en trouvent avoir les entrailles rongées par la vanité. Le Papa Planas approcha donc du cheval et lui flatta l'encolure; puis, le signant du signe de la croix, il fit une prière : tout aussitôt la bête se dressa sur ses pattes, plus robuste que jamais.
Depuis lors, le cocher devint un bon Chrétien. Et, s'étant lié avec le Père Nicolas d'étroite amitié, il le laissait utiliser son cab à volonté: aussi le voyait-on sans trêve ni repos escorter le Papa Planas dans les incessantes allées et venues qu'il faisait entre sa maison et l'église du Prophète Elisée.
A la mort du Père Nicolas, d'innombrables journaux exaltèrent sa mémoire. Ouvrons un journal au hasard : tous, comme ces lignes des Trois Hiérarques, parlent de "celui que parait toute vertu et qui fut l'ornement des clercs pieux entre les pieux, la vénération des Chrétiens et l'amour de ses fidèles".
Prions donc et supplions notre Saint Père Nicolas de guider chacun de nos pas sur la voie étroite de splendeur et de gloire que lui-même emprunta sans faillir jamais.




***
SOUVENIRS PIEUX RASSEMBLES PAR QUELQUES CHRETIENS QUI L'ONT CONNU DE SON VIVANT.




1. Un Saint Prêtre doué de diorasis
(discernement dans l'Esprit).




Entre autres charismes, Papa Planas avait des dons de prophétie, de clairvoyance et de guérison. Toute sa vie ne fut que jeûne, veille et prière. Aussi ne l'appelions-nous jamais que "le saint veilleur".
Deux jeunes fiancées allèrent lui demander sa bénédiction. Et s'adressant à celle qui était soeur du P. Titos :"Dieu bénisse ton couronnement", dit-il. Mais à l'autre, il ne dit rien. Elle finit par lui demander la raison de son silence :"C'est, lui répondit-il, que tes noces ne se feront pas". Et il advint comme il l'avait prédit.
M. Basile Bordas qui était alors marguillier à Saint Pantéléimon d'Ilissos assista quelque jour à une liturgie qui se prolongea fort avant dans l'après-midi. Tout-à-coup, au moment où le Papas paraissait tout près de succomber à la fatigue qui l'accablait, il crut voir un jeune homme lui porter à boire - dans un verre à liqueur, semblait-il. La divine liturgie s'achevait. Basile alla vers le Saint et s'enquit du jeune homme maintenant disparu. Où pouvait-il donc être à cette heure? " Le jeune homme?" fit le Papas. Et il laissa fuser un petit rire joyeux. "Ce n'est rien...Une personne qui, voyant ma fatigue, aura voulu me rafraîchir un peu".
La nuit était très noire et il faisait mauvais temps. Le Père Marc descendait la rue Byron lorsque soudain il vit monter de Macriyanni une lumière qui s'approchait toujours. Lorsqu'il fut auprès d'elle, il s'aperçut que c'était le Père Nicolas.
Quand ils se furent salués, le Papa Nicolas lui dit qu'il se rendait au Prophète Elysée pour une veille. Le Père Marc courut chez lui où l'attendait sa femme. "Sais-tu, cria-t-il à la papadia - à la femme du prêtre-, le Papa Nicolas...Sais-tu pourquoi il se promène sans mal dans la nuit? Dieu lui donne une lumière pour l'accompagner!"
Sa béatitude M.Titos, aujourd'hui Métropolite de Paramythie, fut autrefois le fils spirituel du Papa Nicolas. L'enfant n'avait pas dix ans lorsque le Père Nicolas prophétisa qu'il serait hiéromoine.




2. Inoubliable figure de Saint.




Un mari et sa femme content qu'ils étaient devant l'église Saint Jean Vouliagménos à attendre l'unique autobus qui desservait cette station quand ils virent le Papa Nicolas se diriger à pied vers Macriyannis qui était à l'époque le dernier arrêt de la ligne. Mais ne voilà-t-il pas qu'en descendant au terminus ils aperçurent de nouveau le Papa Nicolas...à quelques pas devant eux. Ebahis alors, ils ne surent que se signer.
Une année - ce devait être en 1928, ou peut-être en 1929- je voulus, moi aussi, comme tant d'autres, aller me confesser au Papas. Mais une fois devant lui, au lieu de l'Ancien que je m'attendais à rencontrer, quelle ne fut pas ma surprise de découvrir une physionomie aux traits encore si jeunes! Il tenait de tels propos qu'il était impossible de rien celer. Aussi avouai-je sans l'ombre d'une crainte tout ce que j'avais résolu de dire. Et lorsque vint l'heure de la séparation, je me sentis l'âme baignée de cette douceur secrète qui vient aux seules âmes pacifiées. De ma vie, je n'oublierai cela. Et désormais, où que je sois, quand j'entends parler de lui, je refais ce récit et, chaque fois, comme au premier jour, des frissons nouveaux me parcourent le corps et mes cheveux se dressent encore sur ma tête.




3. "Il ne touche pas terre".




Deux jeunes gens faisaient route ensemble quand, à un détour du chemin, ils aperçurent le Papa Nicolas. Des deux compagnons, l'un était assez simple et bon pour qu'autour de lui on ne l'appelât jamais que "benêt", ce qu'il n'était pas : il était seulement sans malice et d'une grande piété. L'autre cependant n'était qu'un méchant garnement.
Sur la route donc, où ils marchaient de compagnie, ils ne furent bientôt plus qu'à quelques pas du Papa Nicolas quand soudain le brave garçon s'écria :"Regarde donc là-bas pour voir! Le prêtre ne touche pas terre!" Mais, tandis que celui qui était bon demeurait bouche bée à la vue d'un Papa Planas planant à trente coudées au-dessus du sol, l'autre ne voyait rien qui n'avait pas les yeux pour voir.
Et lorsque chaque année revenait le Grand et Saint Vendredi, à l'heure où l'on chante ces sparoles sublimes dont les accents percent l'âme :
"Aujourd'hui est pendu sur le bois
Celui qui suspendit la terre sur les eaux",
quand, du sanctuaire jusque dans le milieu de l'église, il portait la croix en procession, quoiqu'elle lui pesât extrêmement et qu'il fût dans un âge fort avancé, faisant fi de sa fatigue, il ne voulait personne pour l'aider à porter le Corps souffrant de son Seigneur, mais, de ses yeux devenus fontaines, l'on voyait jaillir des larmes qui semblaient à jamais intarissables.
Il célébrait dans trois églises au moins : à Saint Jean Chasseur, à Saint Pantéléimon d'Ilissos et au Prophète Elysée, qui est auprès de l'ancienne caserne.
L'église Saint Pantéléimon était depuis si longtemps abandonnée que la végétation l'envahissait; aussi les bergers y menaient-ils paître leurs troupeaux. Mais le Papa Planas les chassa du lieu saint et ôta jusqu'à la dernière herbe folle. Et, après tant d'années, il fut le premier à y célébrer de nouveau.
Si l'on s'avisait de vouloir embrasser la main du Père Nicolas, il suffisait qu'on l'approchât d'une distance de cinquante mètres pour le sentir embaumer.
Au début de chaque mois, de grandes familles le pressaient de venir à Kolonaki pour y bénir leur maison. Et, généreuses, ces personnes récompensaient richement ses services. Mais lui n'avait pas plutôt regagné l'église où l'attendaient ses pauvres qu'il leur partageait tout jusqu'à la dernière pièce. Quant à lui, il ne gardait rien.
Il vivait dans le quartier Saint Jean où il occupait sur la rue Vouliagméni une chambrette minuscule et sans confort. Là, il n'avait pour l'aider aux soins du ménage qu'une petite vieille, nommée Asimina, qui, parce qu'elle avait fort à faire à la sacristie, ne venait que rarement.
Une vingtaine d'années après sa mort, l'on voulut faire passer une route à l'emplacement de Saint Jean Chasseur, sur le lieu même où il était enterré. On l'exhuma donc du sanctuaire pour le porter dans l'abside de la nouvelle église. Mais quand l'on ouvrit le cercueil, quelle ne fut pas la stupeur de tous les assistants, lorsqu'ils constatèrent que ses habits étaient absolument intacts et que ses ossements embaumaient!
Et si, lorsqu'il était encore de ce monde, il vous arrivait d'avoir égard à son grand âge et de l'aider à passer une flaque de boue ou à traverser une rue, loin d'avoir l'impression de lui rendre service, il semblait au contraire que ce fût lui qui vous soutînt.




4. Où l'on relate deux évènements miraculeux.




Cela se passait en l'année 1920 : l'on était à la veille de Noël. Le Papa Nicolas célébrait l'office de la Nativité à Saint Jean Vouliagménis. Lorsqu'arriva le moment de la communion, l'on vit s'avancer une jeune fille, bientôt suivie d'une mère tenant entre ses bras son nouveau-né qu'elle menait recevoir les Saints Mystères. Après quoi, la jeune femme désirant communier à son tour, il lui fallut confier l'enfant. Avisant Julia - c'était le nom de cette jeune fille qui pouvait avoir près de quinze ans - elle lui tendit son bébé. Mais, comme l'adolescente, les bras tendus, se retournait pour le prendre, son regard tomba soudain sur le prêtre : et voici qu'elle le vit debout sur une nuée. Elle étouffa un cri, et peu s'en fallut que, dans sa stupeur, elle laissât échapper l'enfant. "Attention! s'indigna la mère. Qu'as-tu donc? Tu as manqué de lâcher le bébé!" - "Le prêtre!...fit Julia...Là!...Je le vois...debout sur une nuée!"-"Chut! murmura son aînée. Garde-toi de rien dire maintenant!Nous risquerions de troubler l'ordonnance de la communion!"
Un autre jour - c'était, il m'en souvient, le 1er août de l'année 1928- je vis, de loin, venir le Père Nicolas. Lorsqu'il fut près de moi, il tourna la tête de mon côté et, jetant sur moi un regard profond :"Chrysanthe, me dit-il, tu es donc ici, fille bénie?" Et, de fait, tel était le nom que j'avais reçu à cette époque où je venais de devenir moniale rasophore. Mais lui, c'était sans l'avoir jamais appris de personne et comme mû par une inspiration divine qu'il m'avait appelée "Chrysanthe". "C'est aujourd'hui, selon le calendrier orthodoxe, poursuivit-il, le premier du mois". Moi, pour toute réponse, je balbutiai ces mots :" Ah! Pardon, Père!...Bénissez, mais..." - et je lui embrassai la main-. "Mais, continuai-je, quelle est donc cette querelle, Père, qui vient semer l'affliction entre nous? Faudra-t-il donc toujours que les uns soient en fête tandis que les autres jeûnent?" - Car telle est la conséquence de l'introduction du nouveau calendrier-. Il me semble entendre sa réponse:" Ne t'afflige donc pas ainsi! Car ce qui va à l'encontre des canons ne saurait durer éternellement!"




5. Quelle sorte d'enfants spirituels
suscita le Papa Planas.




Le Papa Planas eut encore pour enfant spirituel un autre pieux Chrétien : il avait nom Stavros Pléménos. Cet homme, de sa profession, comptable à l'Université, avait vécu loin du regard de Dieu jusqu'à l'âge de trente huit ans. Mais ensuite, son coeur s'était converti. Devenu très pieux, il s'astreignait trois fois la semaine - le lundi, le mercredi et le vendredi- à un jeûne des plus sévères. Il observait étroitement tous les carêmes que marque l'Eglise. Enfin, il était assidû aux veilles du Prophète Elysée, que chantaient les deux Alexandre.
Il vivait en célibataire; et, sur ses appointements qui s'élevaient alors à quatre -cents drachmes - ce qui, pour l'époque, constituait une somme fort respectable- il ne retenait, pour mener une vie frugale, que cent drachmes, partageant le reste aux pauvres.
Il avait l'habitude de venir à Psyri aux Saints Anargyres pour y assister à la liturgie. Là, comme ailleurs, et bien qu'il ne parlât jamais de lui-même, sa vertu ne laissait pas d'être connue. Voici ce que me conta de lui son neveu, le chimiste Nicolas Spéléote, vieillard très pieux que, dans son enfance, le Papa Nicolas avait guéri de maux de dents d'une violence extrême - il me parla donc en ces termes:"Un dimanche, après la liturgie, nous nous attardions un peu dans l'église des Saints Anargyres de Psyri, lorsque nous vîmes surgir une femme éplorée qui criait et se lamentait : on lui avait, disait-elle, volé deux mille drachmes. Pléménos la plaignit d'abord puis, parce que c'était un être doué d'une grande abnégation, il promit en guise de consolation de lui donner l'équivalent de cette somme pour peu qu'elle cessât de pleurer. Il lui suffirait de se rendre à l'Université et de demander son bureau. C'est dire qu'à cette unique fin de lui remettre les deux mille drachmes, il avait déjà résolu de fournir un travail de près de six mois, durant lesquels, chaque fois, il ne retiendrait pour lui-même que cent drachmes pour l'indispensable.
Cette femme courut donc annoncer la nouvelle à son frère. Et voici que ce dernier - un fort méchant homme au demeurant - se mit dans l'idée que le voleur n'était autre que Pléménos. C'est ainsi du moins qu'il s'expliquait la générosité de son acte. Il se rendit donc à l'Université et demanda Pléménos. Et il lui tint sur un ton si coupant des propos si outrageants que ce dernier ne put que protester de son innocence et lui reprocher ses mauvais sentiments. Mais l'autre qui n'était qu'une canaille ne voulut jamais entendre raison. Il alla de ce pas le dénoncer à la police comme voleur, et l'innocent fut bientôt jeté en prison sans autre forme de procès.
Cela fit grand bruit. L'émoi gagna tous ceux qui n'ignoraient pas la vertu dont Pléménos faisait preuve. Enfin, l'Université même s'étant élevée hautement contre cette injustice, l'infortuné put bientôt recouvrer la liberté. Mais il n'en défendit pas moins que l'on poursuivît ses détracteurs.




6."Comme il est haut, le Pappas!"




C'était en 1908. Mon père d'éternelle mémoire Onuphre Mandila tenait, rue d'Athènes, un comptoir de tissus. Nous y attendions un jour le Papa Nicolas qui devait nous lire un office de bénédiction. Enfin, nous le vîmes arriver: il n'était plus qu'à cinquante mètres. Au même moment, des enfants débouchèrent dans la rue : ils se pressaient autour du Papas, les mains levées comme si le Papas évoluait dans les airs et qu'ils eussent voulu l'y attraper. Et c'éatit un beau tumulte de cris :" Oh là là! s'exclamaient-ils. Comme il est haut le prêtre! Il marche en l'air!" Nous prêtâmes attention aux cris et nous vîmes le Papa Nicolas bénir la tête des enfants. Lorsqu'enfin il entra dans le magasin, nous lui demandâmes ce qui était arrivé :"Ce sont les pitchounets! nous dit-il. Ils ont eu peur en me voyant et je leur ai dit de ne pas crier!"
Une autre bénédiction ramena parmi nous le Père Nicolas. Ce jour-là, il avait aux lèvres un étrange sourire. Je voulus savoir ce qui en était cause :"Celui-là, me dit-il, en désignat le coupeur de l'atelier, chaque jour appesantit un peu plus son estomac". Sur le moment, je ne prêtai guère attention à ces propos étranges. Mais, le lendemain, la curiosité fut la plus forte et, regardant par le trou de la serrure, je me mis à épier les allées-et-venues de l'employé de mon père; et, en moi-même, je m'interrogeai sur le sens mystérieux des paroles qu'avait prononcées le Papa Planas. Lorsque, soudain, je vis l'homme glisser à la dérobée entre son ventre et sa chemise une aune d'un tissu qu'il venait de couper. Après quoi, il s'en fut d'un pas pressé. Sur mon ordre, un autre employé se lança immédiatement à sa poursuite. Il le vit remettre le coupon à un revendeur dont mon père apprit par après, lorsqu'il y fut allé à son tour, qu'il avait depuis un an vendu pour plus de quarante aunes de tissu que l'autre, moyennant un bon prix, lui remettait en coupons. Quelques jours plus tard, le Père Nicolas revint au magasin. Je lui contai toute l'affaire et pris soin d'ajouter que le voleur serait chassé dès la fin du mois. Mais le Papa Nicolas eut ce même sourire que je lui avais déjà vu :" Fort bien, me dit-il, mais c'est la poste qui aura raison de lui". Qu'advint-il donc? Le lendemain même, notre homme recevait une dépêche qui lui apprenait la mort de sa femme. Ainsi partit le voleur pour ne plus revenir.




EPILOGUE
de l'archimandrite Philothéos Zervakos,
higoumène du monastère de Longovardos à Paros.




A l'époque où je servais sous les drapeaux - c'était dans les années 1905-1907- je me mis à fréquenter assidûment l'Ecole de musique byzantine Saint Jean Damascène, fondée par le musicologue d'éternelle mémoire André Tsikopoulos. C'était un compatriote, originaire de Monembasia. Il y avait là également un autre de nos compatriotes, un certain Jean Alexakis de Sycée en Laconie qui devint plus tard chantre. Il me dit un jour :"Laisse-moi donc te mener à la petite église du Prophète Elisée : tu assisteras à des veilles toutes de contrition. Tu y verras Papadiamantis, Moraïtidis, Tsoklis et d'autres encore, qui psalmodient les tons byzantins. Cela te sera d'un grand profit et t'éclairera utilement sur bien des notions indispensables pour acquérir la science sacrée de l'hymnographie."
J'allai donc à l'une de ces veilles : j'en fus si transporté d'aise et j'y ressentis une telle contrition que, toute la semaine, je n'eus l'esprit occupé que du jour et de l'heure bénie à laquelle il me serait donné, enfin, d'y retourner.
Et, lorsque ce fut le temps, tout comme la biche bondissante court vers les fontaines d'eau vive, joyeusement je me hâtai, brûlé du désir de goûter à cette eau qui s'élance dans la vie éternelle, d'en rafraîchir mon âme comme d'une douce rosée.
Oui, rosée en vérité et rosée fondue en jouissance et spirituelle allégresse, plus douces à mon palais que le miel et la cire ensemble, la Parole de Dieu, les hymnes, les doxologies, les stichères, les idiomèles, les canons, les tropaires tout de contrition chantés par les deux professeurs, cousins selon la chair, Alexandre Papadiamantis et Alexandre Moraïtidis d'éternelle mémoire: chez eux, point de ces voix de théâtre, mais l'intelligence, le recueillement, la crainte et le tremblement mêmes dont parle David : "Chantez avec intelligence, chantez au Seigneur dans la crainte et réjouissez-vous en lui avec tremblement".
C'est durant ces mêmes veilles que je fis encore la connaissance de deux prêtres admirables, Papa Antoine et Papa Nicolas, dont les églises Saint Nicolas de Pévikakié et Saint Jean Kynigos étaient les paroisses respectives; tous deux au reste infatigables, empressés à veiller, d'humeur toujours égale. Mais ce qui faisait se distinguer plus encore le Papa Planas, c'était sa simplicité et sa douceur, son caractère intègre et son naturel ingénu; de lui, toute malice et toute méchanceté, toute colère comme toute rancune étaient absentes. Et la seule vue de son air toujours serein, de son visage toujours avenant suffisait à vous donner de la joie. Parce que le Papa Nicolas était humble, le Seigneur, comme nous l'apprend le sage des Proverbes, jetait sur lui ses regards:" Sur qui jetterais-je mes regards, dit le Seigneur, sinon sur celui qui est doux et humble de coeur et qui tremble à mes paroles?" Et encore :" Dans le coeur des doux repose l'Esprit du Seigneur". Le Papa Nicolas n'était-il pas de la race de ceux que dans les Evangiles notre Seigneur Jésus Christ proclame bienheureux :" Bienheureux les doux parce qu'ils hériteront la terre"?
A ces veilles venait aussi un dénommé Alekos : c'était un ivrogne qui, lorsqu'il était pris de vin, chantait néanmoins avec de vraies larmes de contrition. Papadiamantis qui le connaissait, disait de lui :"Alekos a la contrition du vin"; et, souvent, il l'aurait bien chassé hors de l'église. Mais Papa Nicolas lui, s'interposait toujours, qui, dans sa simplicité et sa totale absence de malice, rappelait l'homme du proverbe :" L'homme sans malice croit tout ce qu'on dit" : "Mais non, protestait-il, il est brave cet Alekos, il est brave: il a de la contrition; il a la crainte de Dieu". Et il lui arrivait même après les vigiles de gratifier le drôle de quelque petit pourboire. Alekos vit là matière à se lier d'amitié avec le prêtre. Il en devint le familier, il ne s'en séparait plus. Bien sûr, nous poussâmes les hauts cris. J'étais jeune alors. Je pouvais avoir vingt-deux ou vingt-trois ans et, avec plusieurs de mes frères, il nous semblait trop bien connaître Alekos qui pour tous était devenu une occasion de scandale. Mais le Papa Nicolas ne se départait point de sa simplicité coutumière; et il ne savait que répéter encore et toujours ces mêmes mots : "Il est brave : Il aime l'Eglise, il chante bien". Tant et si bien qu'à la fin, l'audace d'Alekos s'accrut: il fouillait maintenant les poches du Papas et lui ôtait subrepticment l'argent que de pieux Chrétiens lui donnaient pour faire commémorer aux vigiles et à la liturgie les noms des êtres qui leur étaient chers, enfants, frères ou parents. Un jour que Papa Nicolas avait dans la poche en menue monnaie une somme assez coquette, Alekos tenta d'y glisser la main pour tout prendre. Cette fois-ci, le Papa Planas le prit sur le fait. Mais il lui dit seulement d'un ton empreint de mansuétude :" Là, tout doux, Alekos, tout doux; tout doux Alekos"; lequel Alekos n'en continua pas moins sans vergogne. Par la suite, il eut même le front de venir à plusieurs reprises jusqu'au saint autel; et là, il dépouillait le Papa Planas de tout ce qu'il possédait.
Souvent, le Papa Nicolas se voyait contraint après les vigiles de regagner sa paroisse, et force lui était bien, depuis l'église du prophète Elysée, d'emprunter un cab pour se rendre à Saint Jean. Or, un jour, comme à l'instant le cocher l'y déposait, il chercha dans sa poche de quoi payer la course : mais il n'y put trouver un sou vaillant. Sans doute le brave Alekos avait-il dû passer par là. "Aujourd'hui, dit-il au conducteur, je n'ai pas d'argent. Je te paierai donc une prochaine fois". "Hein? fit l'autre tout-à-coup furieux. Sur l'heure, oui, tu vas me payer!" - "Mais puisque je n'ai rien!" - "Si tu n'avais rien, il ne fallait pas demander à monter en voiture! Et si je veux, moi, que tu me paies? Ah! Tu n'as rien? Eh bien, je te prendrai ton manteau de prêtre!" Aussitôt, le Papa Nicolas se dépouilla de son vêtement et le lui céda de bn coeur. Après quoi, ils se séparèrent, le Papa Nicolas, sans manteau, pour aller à l'église, le cocher pour regagner sa maison. En chemin, il cherchait à qui il pourrait bien vendre le manteau afin d'en tirer sept fois son prix. Cinq minutes ne s'étaient pas écoulées cependant, que le cocher revenait à la hâte comme le Papa Nicolas pénétrait dans l'église :" Papa Nicolas, cria-t-il, reprends ton manteau! Et ne me donne pas non plus d'argent, je n'en veux pas!" Qui sait ce qui lui était advenu!
S'acheminant un jour sur la route, Papa Planas se traînait avec peine sur ses jambes enflées qui, usées par les longues stations debout et les veilles innombrables, refusaient maintenant de le porter. Soudain, il voit déboucher au grand galop, traînant une voiture, deux chevaux qui s'étaient emballés. Encore quelques instants et ils allaient l'entraîner sous eux, le piétiner et lui fracasser la tête! Le Papa Nicolas ne pouvait ni bouger ni fuir d'aucun côté. Il leva sa main droite alors et signa les chevaux du signe de la Croix. Tout aussitôt, ils s'arrêtèrent. Et ils demeuraient là, immobiles, leur fureur de bêtes folles changée en douceur inoffensive.
Fraîchement sorti de l'armée, je vins à Paros où je m'engageai de nouveau...Mais cette fois-ci, ce fut parmi les milices d'en haut que j'aspirais à m'enrôler sous l'habit des serviteurs du Roi des Cieux. Je fus donc fait moine, diacre, prêtre. Cinq ans plus tard, les affaires du monastère me ramenèrent dans Athènes. Là, le souvenir me revint des jours anciens et, avec eux, celui des veilles du Prophète Elisée où des amis très chers m'avaient invité à psalmodier. J'y retournai donc. J'y retrouvai les prêtres d'antan, Papa Antoine et Papa Nicolas. J'y revis aussi Georges Stellas le marguillier, Antoine Courtis l'allumeur de cierges, Moraïtidis, le professeur d'éternelle mémoire. Il y avait encore Nicolas Boukis, Panaghiotis Tamis, Georges Tsandilis, Georges Kalogeropoulos l'officier, Philothée Smyrniotopoulos le professeur, Sotirios Schinas le directeur du feuillet orthodoxe "Bibliothèque Aghiorite", ses compatriotes de Volos, les chantres Stéphane Zilis et Elie Maron, et combien d'autres encore! Parmi les anciens, certains s'étaient déjà endormis, comme Papadiamantis mon maître à qui je devais de connaître l'ordonnance des vigiles et des saints offices, et qui m'avait instruit dans le chant des canons, des polyéléos, des stichères, et des autres parties chantées. Mais ce dont je ne lui serai jamais assez reconnaissant, c'est de m'avoir montré que l'on ne devait point chanter sans y mettre le sentiment, l'intelligence, la joie, la crainte et le tremblement. Ses leçons admirables continuent jusqu'à aujourd'hui de porter leurs fruits - car cet art est si subtil que maintenant même je ne le possède point à la perfection.
Dès lors, aussi souvent que les affaires du monastère ou les confessions de mes enfants spirituels me ramenaient dans Athènes, je me rendais à la chapelle du Prophète Elisée pour y chanter ou y célébrer.
Le Papa Nicolas avait l'habitude, lorsqu'il célébrait, de lire trois ou quatre Evangiles. "Mais, lui disais-je, le typikon de l'Eglise ne prescrit la lecture que d'un seul Evangile; les monastères seuls font exception, et la règle permet que l'on en lise deux. Bien sûr, les Vigiles et les autres offices sont ici célébrés à la manière monastique, mais..." Toutes ces belles raisons ne pouvaient convaincre le Papa Nicolas: "Ah! soupirait-il. Lisons encore cet Evangile-ci pour ce Saint et puis cet Evangile-là pour cette autre Sainte! Comme ils vont être contents!" Aussi ne tardais-je pas à m'avouer vaincu.
Et la sainte Prothèse! - office de la préparation du pain et du vin liturgique, avec commémoration des vivants et des défunts pour qui l'on prie-. Avec lui, elle ne finissait jamais, car il ne se lassait pas de commémorer les fidèles, et les noms, interminablement, défilaient. A cette kyrielle s'en ajoutait une autre, qui était celle des Saints : le Papa Planas, s'il n'eût tenu qu'à lui, eût volontiers mentionné chaque jour, l'un après l'autre, lentement, tous les Saints et toutes les Saintes du Synaxaire. Et moi, qui voyais les heures s'ajouter aux heures, je ne pouvais me retenir de lui crier :"Mais, Papa Nicolas, tu n'as qu'à dire: "et en mémoire de tous Tes Saints!" Lui, cependant, demeurait sourd à mes paroles et, sans se troubler, poursuivait jusqu'au dernier nom l'épellation de son interminable liste.
Un jour que j'étais revenu du monastère pour voir le Papa Nicolas, je le trouvai bien comme je l'avais escompté, mais Alekos l'ivrogne, lui, avait disparu. Il y avait maintenant pour occuper sa place et pour assister le Papa Nicolas en lui tenant lieu d'officiant et de chantre, un jeune homme qui paraissait être novice ou qui, plutôt, se prétendait tel. Celui-ci ne buvait pas, mais il était hypocrite, menteur et fourbe. Il vint un jour trouver le Papa Nicolas :" Père Nicolas, lui dit-il, aujourd'hui même je vais être l'hôte d'une famille de très riches Chrétiens, qui figurent parmi les grands d'Athènes. Comment oserais-je cependant me présenter avec ce vieux rasso qui me fait honte?" Papa Nicolas, on le sait, étant droit, simple et sans malice :" Vas-y, vas-y!" lui dit-il. "Tiens, je te donne mon rasso!" "Mais, lui rétorqua ce faux-moine, le tien ne vaut guère mieux!"
Le Papa Nicolas n'avait pas souci d'orner l'homme extérieur. Son unique soin était d'orner l'homme intérieur. Aussi ses soutanes et son chapeau de prêtre, usés jusqu'à la corde, avaient piètre apparence. Souvent néanmoins, quelque pieux Chrétien - surtout parmi les femmes, assidues à ses veilles-, le voyant mis de la sorte, lui offrait une soutane. Mais le premier prêtre ou moine venu qui lui disait :"Papa Nicolas, je t'en prie, donne-moi ta soutane!" recevait aussitôt le nouvel habit.
"Puisque tu connais Papatheodoropoulos le tailleur de soutanes et que je ne le connais pas, moi, continua le fourbe, allons-y ensemble, et prie-le de me donner un bon rasso. Oh, je ne serai pas long, une demi-heure tout au plus; je le mets le temps de faire ma visite, et je le lui rapporte ensuite. J'en prendrai grand soin". Le Papa Nicolas se laissa faire. 'Allons-y, allons-y", murmurait-il. Ils y allèrent donc. Le Père Nicolas parla au couturier :" Tu vois ce moine qui est à l'obéissance? fit-il. Je t'en prie, donne-lui une belle soutane, une soutane toute neuve, parce qu'il s'en va en visite dans une grande maison.Il te la rendra." "Hmm, s'inquiéta Papathéodoropoulos, ça n'a pas l'air d'un homme sûr". "Mais si, voyons, répondit le Papa Nicolas, c'est un brave homme; il est bon, tu sais!" Parce que lui était bon, le Papa Planas estimait bonnes toutes les personnes du monde. Chacun ne mesure-t-il pas les autres d'après sa propre mesure? "Mais, objecta le couturier, s'il ne la rapporte pas, qui paiera?" "Moi, bien sûr, repartit le Papa Nicolas; moi, je la paierai". Le bon fourbe la prit, s'en revêtit, remercia la couturier,laissa sa guenille en gage et dit au Papa Nicolas :" Ne te presse pas de partir, attends-moi, je serai bien vite de retour!" Une heure se passa. Deux heures, trois heures se passèrent. Il ne réapparaissait pas. Midi arrivait; une heure sonna. Le couturier qui voulait fermer sa boutique, s'en prit au Papa Nicolas :"Où est donc ton moine, fit-il, celui qui est à l'obéissance, que tu disais si bon et dont tu te portais garant? Maintenant, il faut que tu paies!" " C'est qu'il l'apportera tantôt, répondit le Papa Nicolas. On l'aura retenu à déjeuner, lui qui est si pauvre. Il passera dans l'après-midi". Mais il ne parut point de toute l'après-midi, ni du lendemain, ni du surlendemain.
Désormais,le tailleur fulminait aussi contre le Papa Nicolas. Cinq à six jours après, il voulut lui réclamer le prix de la soutane, puisqu'il s'était porté garant du voleur. Il alla donc voir le marguillier de l'église Saint Elisée, le bienheureux Stellas, et s'enquit du prêtre :"Tu sauras peut-être me dire, interrogea-t-il, en quel lieu je puis trouver le Papa Nicolas?" La matinée tirait à sa fin: "Aujourd'hui, lui répondit Stellas, le Père célèbre une liturgie au Prophète Elisée". Comme l'on était aux alentours de midi, Papathéodoropoulos s'inquiéta :"L'heure du repas approche, le rassura Stellas. Va donc déjeuner et reviens chercher le Père à deux heures. Si la liturgie n'est pas terminée, elle sera sur le point de l'être". Les liturgies quotidiennes du Papa Planas commençaient tôt le matin et finissaient vers deux, trois et même parfois quatre heures de l'après-midi, à cause des commémorations et des trois ou quatre évangiles, dont il détachait chaque syllabe.
A deux heures sonnantes, la liturgie s'achevait à peine. Tout-à-coup, le tailleur avisa le moine, drapé dans sa soutane. Avec colère, il s'approcha de lui :"Fourbe, s'exclama-t-il, faux-dévot, hypocrite! Tu m'as menti! Ah! Tu devais la rapporter au bout d'une heure? Et cela fait maintenant une semaine passée! öte-la et plus vite que cela!" L'autre se confondit en excuses : un contre-temps l'avait empêché de la lui rendre, mais il la rendrait, pour sûr. Alors, Papathéodoropoulos lui allongea trois bonnes gifles. "Ote-la, criait-il, ou j'appelle la police et l'on t'emmène aussitôt!" Le bruit de la querelle parvint jusqu'aux oreilles du Papa Nicolas. Il sortit du sanctuaire et s'approcha d'eux :"Tout doux, leur dit-il, tout doux". Et s'adressant au fourbe :" Rends-la lui, supplia-t-il, rends-la lui, elle n'est pas à toi". Le "moine" se résolut enfin à enlever la soutane. Le couturier la prit, non sans marquer au Papa Nicolas qu'il lui faudrait passer au magasin pour la payer car, depuis tant de jours que le coquin la portait, elle était déjà hors d'usage. "Cela n'est rien, cela n'est rien, lui dit le Papa Nicolas, pardonne-lui, pardonne-lui". Ainsi finit la scène du menteur.
Sa simplicité, son absence de malice et son amour du prochain avaient incliné le Papa Planas à recevoir Alekos l'ivrogne et, ensuite, ce moine hypocrite, dans l'espoir de les sauver, tout comme le Christ accueillait, pour leur salut, les prostituées, les pécheurs et les publicains. Et de même que le Christ était en butte aux accusations des scribes et des pharisiens, qui le blâmaient publiquement de frayer avec les pécheurs, de la même façon aussi l'on flétrissait le Père Nicolas à cause de ces fréquentations. J'appris plus tard de ce Stellas dont j'ai parlé que l'ivrogne Alekos, parvenu au terme de sa vie, était tombé malade. Ayant fait pénitence, il se confessa et obtint le Salut. Son compagnon de misère fut sauvé de la même manière.
Heureusement, cependant, le Papa Nicolas avait aussi pour disciples des personnes de mérite, hommes ou femmes, mariés ou célibataires. Tous aimaient le Papa Nicolas comme un Starets, tous l'honoraient et le vénéraient comme un Saint. Plusieurs de ces enfants spirituels devinrent moines ou moniales. L'un de ses plus fidèles disciple était le bedeau du Prophète Elisée, Joachim Courtis, chargé d'allumer les cierges de l'église. Compatriote du Papa Nicolas - ils étaient tous deux originaires de Naxos- il cherchait avant tout à imiter son humilité, sa simplicité et son absence de malice. Avec quatre jeunes gens aussi valeureux que lui, il rejoignit le monastère de Longovardos dont je suis l'higoumène : tous y sont devenus des moines d'élite. Tous sont les fruits de ces veilles du Prophète Elisée auxquelles j'avais quelquefois pris part moi aussi. Tous avaient eu le Papa Nicolas pour Père spirituel.
Le Papa Nicolas avait deux grandes vertus : la patience et l'humilité. Et certes, au sein de la race méchante et adultère, dépravée et perverse du siècle d'aujourd'hui, ces vertus sont de celles que l'on ne rencontre plus guère. Et cependant...hors d'elles, il n'est point de salut. L'on peut bien posséder toutes les vertus : que manquent néanmoins la patience et l'humilité, et toutes les autres ne servent plus de rien. Le Pharisisen se parait de toutes les vertus : il jeûnait, il priait, il faisait l'aumône, il se montrait assidu à l'office, il ne commettait point l'injustice et il n'était pas adultère comme il voyait que sont bien d'autres hommes; mais il n'en fut pas moins condamné, pour n'avoir point eu la seule humilité. Le publicain, au contraire, avait beau se charger d'une multitude de péchés, il possédait, lui, cette humilité qui mène au repentir. Aussi fut-il acquitté et sauvé. "Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur et vous trouverez le repos pour vos âmes..." ( Matt. 11, 29).
Oui, tâchons de devenir humbles comme le Seigneur, et nous trouverons le repos pour nos âmes. "Amen, amen, je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez pas et si vous ne devenez pas comme les petits enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des Cieux. C'est pourquoi, quiconque se rendra humble comme ce petit enfant sera le plus grand dans le Royaume des Cieux". (Matt. 18, 3-4). "Par votre persévérance, vous sauverez vos âmes" (Luc 21, 19). Et : " Celui qui persévèrera jusqu'à la fin sera sauvé". (Matt. 24, 13). L'humilité est l'écrin qui renferme toutes les vertus. L'humilité est encore la mère de l'obéissance. "Notre Seigneur Jésus-Christ s'est humilié Lui-même, se rendant obéissant jusqu'à la mort, et la mort sur une croix. C'est pourquoi aussi Dieu l'a souverainement élevé et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom". (Phil. 2, 8). C'est par l'humilité qu'il est donné à l'homme d'imiter le Christ. Aussi le sage Isaac le Syrien appelle-t-il "ornement de la divinité" cette humilité qu'a revêtue le Fils et Verbe de Dieu et dont Il a daigné nous entretenir nous les hommes. Le Dieu Tout-Puissant Lui-même, le Roi des rois, le Seigneur des Seigneurs, l'auteur de ces paroles :"Qui regarderais-je, sinon celui qui est doux et humble de coeur" n'a-t-il pas regardé l'humilité de Sa servante la Vierge Marie et fait d'Elle la Mère de Dieu? Et celle qui, par une Grâce toute spirituelle, enfanta son propre Créateur est aussi, par l'effet de cette même Grâce, notre Mère spirituelle et la protection de tous les Chrétiens.
Que dirai-je de sa grande patience? La gêne me tient, l'admiration me saisit et me transporte lorsqu'il me faut songer que près de quinze heures durant, sans prendre aucun repos, tout incommodé qu'il était par diverses maladies, le Papa Nicolas se tenait droit sur ses jambes qui pourtant le faisaient beaucoup souffrir. Oui, il en était bien ainsi : chaque nuit, il restait debout les quelque dix à onze hzures que durait la veille. Et, lorsque blanchissait le jour, regagnant sa paroisse, il poursuivait la prière avec les mâtines et la liturgie, ce qui faisait encore quatre à cinq grandes heures. Comment eût-il pu supporter de rester debout si longtemps sans une infinie patience? Et cependant...quelque grande qu'ait été cette patience, elle n'eût pas suffi à elle seule...Non. Il était, pour porter Papa Nicolas, une autre force, une force étrangère, et cette force était la puissance de Dieu, la Grâce du Saint Esprit, qui guérit toute maladie et pare toute défaillance, celle par quoi se peut tout ce qui ne devrait pas se pouvoir. Dès lors, ne sied-il donc pas de dire qu'en Papa Planas ce n'était pas lui qui vivait, mais l'Esprit du Seigneur qui repose dans le coeur des doux? "Dans le coeur des doux, dit le sage des Proverbes, repose l'Esprit du Seigneur, mais un coeur troublé est le siège du démon". Jamais le Père Nicolas ne connut trouble ni colère, mais il aimait chaque être et priait pour tous.
"C'est bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de chose, je te confierai beaucoup. Entre dans la joie de ton Maître" ( Matt. 25, 21).




FIN







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