mercredi 26 avril 2017
Vie de Saint Païssus Velichkovsky
MICHEL AUBRY
SAINT PAÏSSIUS VELICHKOVSKY
Ed. L'AGE D'HOMME COLLECTION LA LUMIERE DU THABOR LE STARETS PAÏSSIUS VELICHKOVSKY ET LA TRADITION PATRISTIQUE DE L'EGLISE ORTHODOXE
Païssius Vélichkovsky, le Saint Starets de Niamets et de Dragomirna, est connu pour avoir cherché de toute son âme et de tout son cœur la prière qui unit à Dieu, la prière qui, dans le cœur des saints, devient perpétuelle et leur permet d'accomplir le commandement du Seigneur : « Priez sans cesse » ( Matt. 25, 13 ; Marc 13, 33-37 ; Luc 12, 37-40 ; Thess. 5, 17 ; Ephes. 6, 18). Le Saint Starets Païssius, témoin de la tradition hésychaste, est donc de ceux pour lesquels il est écrit : « celui qui demande reçoit, celui qui cherche trouve, et l'on ouvre à celui qui frappe ». (Matt. 7,8). Cette forme de prière a reçu plusieurs noms. On la trouve appelée tantôt « prière du coeur », tantôt « prière de Jésus, prière au nom de Jésus », parce que c'est le nom de son Christ que le chrétien invoque (Jn 16, 24), tantôt encore « la prière » , parce qu'elle est la prière par excellence. Les autres formes de prières qu'on trouve dans l'Eglise, dans le culte public ou privé, reçoivent le nom générique de « psalmodie » et sont considérées comme préparatoires à la prière qui a lieu dans le cœur et inférieures à cette dernière. La tradition de la prière du cœur transmise d'un ancien à un disciple, et qui passe par les trois stades de la purification, de l'illumination, pour atteindre, dans le Saint Esprit, la glorification, la vision de Dieu, n'est pas une pratique tardive, qui aurait été théorisée au XIVème siècle dans les milieux hésychastes, comme on le croit encore parfois en Occident. Cette prière est profondément biblique et apostolique. Dans son petit livre sur la prière du cœur, Ignace Brianchaninov – l'évêque Ignace ou Ignatius Brianchaninov ( 1807-1867) eut pour Père spirituel Léon d'Optina, de la lignée spirituelle de Païssius. Pratiquant la prière du cœur, connaissant parfaitement aussi la mentalité occidentale, il a expliqué pour les modernes le sens des écrits spirituels des hésychastes – a, sur ce point, résumé l'essentiel de l'enseignement de l'Evangile : « La prière du nom de Jésus est d'institution divine. Elle n'a pas été instituée par l'entremise d'un apôtre ou celle d'un ange ; mais par le Fils de Dieu et Dieu en personne. Après la Cène mystique, parmi d'autres préceptes et commandements ultimes et sublimes, le Seigneur Jésus Christ a institué la prière en Son nom. Il offrit cette manière de prier comme un don nouveau, extraordinaire, un don d'une infinie valeur. Les Apôtres connaissaient déjà en partie la puissance du nom de Jésus ; par ce nom, ils avaient guéri des maladies incurables, par ce nom ils avaient réduit les démons à l'obéissance et les avaient vaincus, enchaînés et expulsés ; Par ce nom très fort et merveilleux, le Seigneur nous commande de prier avec lui. Il a promis qu'une telle prière serait spécialement efficace. « Tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, disait-il à ses saints Apôtres, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. Quoi que vous demandiez en mon nom, je le ferai ». (Jn 14, 13». « En vérité, en vérité je vous le dis, si vous demandez quelque chose au Père en mon nom, Il vous l'accordera. Jusqu'à présent vous n'avez rien demandé en mon nom ; demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit parfaite » (Jn 15,23). Quel don merveilleux ! Il donne l'assurance d'une infinité de bénédictions sans limite! Il est venu des lèvres du Dieu illimité, qui s'est limité en revêtant l'humanité et s'est fait appeler du nom humain du Sauveur. - Sauveur, en Hébreu, Jésus (Mtt. 1, 21). Le nom, dans sa forme extérieure, est limité, mais il représente un objet infini, Dieu, de qui il reçoit une valeur ou une puissance divine et infinie : le pouvoir et les propriétés de Dieu » (Ignace Brianchaninov : Sur la prière de Jésus). L'origine scripturaire de la prière par excellence a été voilée,en Occident,par des interprétations de l'Ecriture qui n'étaient plus fondées sur la Tradition. C'est pourquoi, lorsqu'au XIV ème siècle, Barlaam le calabrais, nourri de scolastique, est arrivé au Mont Athos, il s'est étonné de voir les moines adonnés à cette répétition incessante du nom de Jésus, et plus encore de les entendre dire que certains d'entre eux voyaient la lumière incréée. De même l'Occident s'étonne, en lisant la Philocalie, cette encyclopédie sur la prière, comme devant un continent inconnu. Pourtant,il suffit de lire les Pères pour voir que cette prière est une clé de toute l'Ecriture Sainte, d'une part ; et que d'autre part, elle a été le « pain quotidien » de toutes les générations chrétiennes. Toutefois, comme un ruisseau, qui tantôt coule sur terre et tantôt s'enfuit, puis resurgit, le fil ininterrompu de la vraie prière, de la prière révélée, a été plus ou moins visible. Il n'est que plus profitable de le suivre, pour décrypter « l'envers de l'Histoire » du monde, c'est-à-dire la véritable Histoire de l'Eglise, du Corps du Dieu-Homme. La prière au Nom du Christ est comme le levain qui fait lever « toute la pâte » de l'humanité. Le fil d'or de la prière dans l'histoire de l'Eglise a) Des temps apostoliques aux Pères de la Philocalie. Il serait d'abord possible de trouver de nombreux témoignages sur cette prière dans les temps apostoliques. Le Christ, dans la « prière sacerdotale » ou « surnaturelle » - ce passage de Saint Jean auquel fait allusion le texte d'Ignace Brianchaninov que nous venons de citer – a promis à ses disciples que l'Esprit Saint les guiderait dans toute la vérité et que Lui-même reviendrait vers eux : « Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus ; et puis encore un peu de temps, et vous me verrez, parce que je vais au Père...je vous reverrai, et votre cœur se réjouira » (Jn 16, 16 et 22). Cette promesse ne se limite pas aux temps apostoliques : « Ce n'est pas pour eux seulement que je prie, mais encore pour ceux qui croiront en moi par leur parole, afin que tous soient un, comme toi, Père, tu es moi, et comme je suis en toi, afin qu'eux aussi soient un en nous...Père, je veux que là où je suis ceux que tu m'as donnés soient aussi avec moi, afin qu'ils voient (théorôsi) ma gloire, la gloire que tu m'as donnée, parce que tu m'as aimé avant la fondation du monde (Jn 17, 20-24). ( Le verbe employé par l'évangéliste, théorein, signifie voir, contempler. Les Pères emploieront le même verbe, ou le nom correspondant, théoria, pour désigner l'expérience de la glorification. Lorsque les Pères parlent de « contemplation », c'est toujours à cette promesse du Christ et à ce passage de Jean qu'ils se réfèrent. Il s'agit toujours pour eux d'une contemplation du Christ, expérience qui n'a rien à voir avec la contemplation platonicienne.) Loin de limiter ces promesses et ces annonces du Christ aux « apparitions du Christ après sa Résurrection » et à « l'existence béatifiée des saints dans le Ciel », les Pères de l'Eglise les ont interprétées d'après la foi et l'expérience, nous dirions aujourd'hui d'après le vécu de l'Eglise primitive. Ce que le Christ annonce dans ces paroles, en effet, c'est qu'il aura un nouveau mode de présence, après son ascension ( « je vais au Père », par lequel il sera présent au cœur de chacun de ses disciples, actuels et futurs, et par lequel aussi tous ces disciples ne feront plus qu'un. Pour les Pères, c'est au jour de la Pentecôte que cette promesse a été accomplie. Ce jour-là, le Saint Esprit, descendant sous forme de langues de feu, a conduit effectivement les disciples dans toute la vérité, non en leur apportant une « somme de théologie » ou un catalogue de dogmes, mais en les baignant de sa lumière incréée.Il leur a donné la glorification, la déification, les préparant à recevoir, dans leur cœur, ce que le Seigneur leur avait promis, c'est-à-dire, Lui-même. A partir de la Pentecôte, les apôtres ont été « avec le Seigneur », ayant sans cesse, cachée dans leur cœur, la lumière de la face du Christ ( 2 Cor. 4,6), achevant dans leur chair « ce qui manquait aux souffrances du Christ (Col. 1, 24), portant toujours, dit l'Apôtre Paul, « avec nous dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre corps » (2 Cor. 4,10). Il ne s'agit pas là de métaphores, mais d'expérience concrète. Car ces choses n'ont pas été dites par Saint Paul seulement, ou éprouvées par les seuls Apôtres : elles ont été confirmées par toutes les vies des saints qui ont fait cette expérience et qui ont commenté, à partir d'elle, les préceptes de l'Evangile et les descriptions des Epîtres. Tout le christianisme apostolique et patristique s'est nourri, abreuvé, vêtu, de cette parole fondamentale du Christ : « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera ; nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure en lui » (Jn 14, 23), « le Saint Esprit s'y trouvant déjà », complète Saint Jean Chrysostome, résumant l'expérience des saints sur cette inhabitation, en chacun, de la Trinité. Cette présence de l'Esprit, su Père et du Fils, est évoquée de multiples fois chez Saint Paul : « Dieu, écrit-il aux Galates, a envoyé dans vos cœurs l'Esprit de Son Fils, lequel crie : Abba, Père » (Gal. 4, 6-7). Cette présence de l'Esprit dans le cœur s'appelle aussi « foi » dans les textes apostoliques ( Ac.6,5 ; 11, 24). Celui qui a cette foi intérieure n'est pas ce que nous appelons aujourd'hui un croyant – qui a simplement une foi extérieure au cœur – c'est un véritable fidèle, dans le cœur de qui le Saint Esprit parle continuellement « en des soupirs qu'on ne peut pas exprimer « humainement ( Rom. 8, 15 et 26). La fameuse « prière en langues » dont parle Saint Paul au chapitre quatorze de sa première lettre aux Corinthiens a fait couler de l'encre chez les modernes, parce qu'ils ne comprenaient pas que cette prière était avant tout la prière du cœur. Comme telle, elle n'est pas une particularité limitée aux seuls temps apostoliques. Elle ne se confond pas non plus avec le « miracle des langues » du jour de la Pentecôte. Cette prière n'est pas entendue de ceux qui n'ont pas reçu l'illumination ( 1 Cor. 14 : 6,16 et 23). En revanche, les hommes de Dieu entendent cette glorification silencieuse, comme les Apôtres entendaient Corneille et ses compagnons, ces païens que le Saint Esprit avaient éclairés (Actes 10, 44-47). Comme l'explique Saint Paul, « parler en langues », c'est prier, mais prier par l'Esprit, et non pas avec son intelligence. La prière de l'intelligence est la psalmodie que l'homme commence et fait cesser selon sa volonté. Elle dépend de l'homme. La prière par l'Esprit est ce que l'Esprit dit dans le cœur de ceux qui se sont purifiés, et celle-là est permanente (Eph. 5, 18-20 ; 1 Thess. 5, 16-21). Elle manifeste la synergie de l'homme avec Dieu. Elle est en « langues nouvelles », que Dieu seul entend (1 Cor. 14, 2). Tout le chapitre quatorze de l'Epître aux Corinthiens s'adresse à ceux qui avaient ce don de la prière perpétuelle ou illumination. L'Apôtre leur reproche d'avoir voulu instituer cette forme de prière comme culte public dans l'église, ce qui avait pour conséquence de rendre ce culte inintelligible à ceux qui n'avaient pas atteint le même niveau spirituel. Pour le christianisme orthodoxe, l'organe essentiel de la connaissance qui sauve n'est pas l'intelligence du cerveau, mais le cœur. Lorsque les pèlerins d'Emmaüs constatent la disparition du Seigneur, ils disent : « Notre cœur ne brûlait-il pas au-dedans de nous, lorsqu'il nous parlait en chemin et nous expliquait les Ecritures ? » (Luc 24, 32). Le Christ, que leurs yeux n'avaient pas reconnu, que leur raison n'avait pas saisi tout en comprenant les Ecritures, leur cœur, lui, le savait présent. Rendre le cœur capable de recevoir le Saint Esprit, de devenir l'habitation de Dieu, telle est la tâche de l'Eglise, hier comme aujourd'hui. « Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ». Les chrétiens visent donc d'abord la purification du cœur, cherchant à remplacer l'égoïsme, qui s'est enraciné en nous depuis la chute, par l'amour désintéressé de Dieu, par la charité qui ne cherche pas son intérêt. C'est la pratique des commandements évangéliques qui rend le cœur capable de recevoir la révélation divine. Saint Grégoire de Nysse, interprétant la béatitude que nous venons de citer, compare le cœur pur à un miroir. Bienheureux les cœurs purs, parce qu'en regardant leur cœur, ils voient Dieu. (Saint Grégoire de Nysse, Homélies sur les Béatitudes). Que le cœur soit bien le centre de cette connaissance de Dieu appelée prière du cœur, cela ressort aussi des écrits et des vies des martyrs et des confesseurs de l'Eglise primitive. Un exemple pourrait être pris dans la vie de Saint Ignace le « théophore », « le porteur de Dieu », disciple de l'Apôtre Jean et couronné à Rome de la mort du martyre. Les Actes de son martyre enseignent que : « Lorsqu'ils ( les païens) le prirent pour le faire dévorer par les bêtes et virent qu'il avait constamment le nom de Jésus sur les lèvres, les païens lui demandèrent pourquoi il mentionnait ce nom sans cesse. Le saint répondit que le nom de Jésus-Christ était écrit dans son cœur, et qu'il confessait de la bouche Celui qu'il portait en tout temps dans son cœur. Après que le Saint eut été dévoré par les bêtes, il arriva par la volonté de Dieu que son cœur resta intact au milieu de ses os. Les impies le découvrirent et se souvinrent de ce que Saint Ignace avait déclaré. Ils coupèrent donc en deux parties son cœur, pour voir si ce qu'on leur avait dit était vrai. A l'intérieur, sur les deux moitiés du cœur partagé, ils trouvèrent écrit en lettres d'or : Jésus-Christ. Ainsi, Saint Ignace était, de nom et d'acte, un « porteur de Dieu » (« théophore »), puisqu'il portait toujours, dans son cœur, le Christ notre Dieu, qu'il y avait écrit par l'application de l'intellect comme avec un calame. » (Actes du Martyre de Saint Ignace. Voir les Synaxaires au 20 décembre. Cité aussi dans I. Brianchaninov). Ajoutons encore un témoignage, pris en Occident – celui de Saint Jean Cassien, dont les Conférences roulent en grande partie sur la prière intérieure incessante que l'auteur appelle « prière pure ». L'instituteur du monachisme dans les Gaules écrit, dans sa Dixième Conférence, que le moine doit choisir une courte formule, un verset du psautier, et le redire dans toutes les épreuves : « Tout moine qui vise au souvenir continuel de Dieu doit s'accoutumer à méditer sans cesse (cette formule) et, pour cela, chasser toute autre pensée : car il ne pourra la retenir que s'il s'affranchit entièrement des soucis et des sollicitudes du corps. C'est un secret que les rares survivants des Pères du premier âge nous ont appris, et nous ne le livrons de même qu'au petit nombre des âmes qui ont vraiment soif de le connaître. Afin donc de vous tenir toujours dans la pensée de Dieu, vous devrez continuellement vous proposer cette formule de piété : « O Dieu, viens à mon aide, hâte-toi de me secourir »...Oui, que l'âme retienne incessamment cette parole, tant que, à force de la redire et de la méditer sans trêve, elle ait acquis la fermeté de refuser et de rejeter loin d'elle les richesses et les biens abondants de toutes les autres pensées ; et que réduite ainsi à la pauvreté de ce petit verset, elle parvienne par un chemin léger à cette première béatitude qui précède toutes les autres : « Bienheureux les pauvres en Esprit, car le Royaume des Cieux est à eux » (Conférences 10, 10 et 11). Tout l'enseignement de l'Eglise sur la prière du cœur, qui découle de cette expérience apostolique, continuée tout au long de l'Histoire,a été réuni par Saint Nicodème l'Hagiorite et Saint Macaire de Corinthe, dans la Philocalie, ou Amour de la beauté, dont la première édition date de 1782. Saint Nicodème et Saint Macaire, en assemblant, dans un ordre pédagogique, les textes patristiques sur la prière du cœur, entendaient donner à tout fidèle, moine ou laïc, les moyens de faire, dans son propre cœur, l'expérience de cette grâce. b) L'origine biblique de la prière du cœur et sa signification. Ce qu'il faut surtout comprendre ici, en effet, c'est le but de cette prière pure et révélée par Dieu. Ce but est l'union à Dieu, c'est-à-dire la vision (théoria) de la gloire divine. Cette vision, en effet, est appelée aussi dans la théologie orthodoxe glorification ou déification. Telle fut l'expérience des prophètes. La prière du cœur les y conduisit. Tel est le sens de la réponse de Job à Dieu. A la fin du Livre de Job, en effet, Dieu se manifeste au patriarche et lui dépeint les merveilles de son œuvre de créateur. Job alors s'exclame : « Mon oreille avait entendu parler de toi ; mais maintenant mon œil t'a vu » (Job 42, 5). Hors de toute connaissance intellectuelle de Dieu, couché sur son fumier, il avait rencontré, dans une expérience ineffable, le Dieu vivant. La mission des plus grands prophètes, comme Elie ou Moïse, est pleine, à cet égard, d'enseignements remarquables. Elie rencontre Dieu, non pas dans le vent qui déchire les montagnes, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu, mais dans une douce brise : « un murmure doux et léger » (1 Rois 19). Nos catégories ne sont pas celles de Dieu. Moïse, appelé ordinairement par les Pères « Celui qui a vu Dieu », est considéré comme le modèle même du théologien, c'est-à-dire de celui qui s'est purifié pour Dieu avant de recevoir la révélation qui sauve et de pouvoir enseigner le peuple. Or la clé de la figure si haute de Moïse, c'est la prière du cœur, comme l'expose Saint Grégoire Palamas dans son Homélie sur la Croix. Il y a, dit Saint Grégoire, deux aspects du mystère de la Croix : « Que dit la voix divine lorsqu'elle se fait entendre à Moïse pour la première fois, après sa fuite hors d'Egypte et son ascension de la Montagne ? 'Détache la sandale de tes pieds'...'Oui, quoique tu sois sorti d'Egypte et que tu aies quitté le service de Pharaon...il te manque encore quelque chose... Détache la sandale de tes pieds, rejette les tuniques de peau que tu as revêtues et dans lesquelles agit le péché qui te retient loin de la terre sainte'... « Le premier mystère de la Croix, c'est la fuite hors du monde et la séparation d'avec les parents selon la chair...voilà comment le monde est crucifié pour nous, ainsi que le péché, quand nous fuyons loin d'eux. Dans le second mystère de la Croix, c'est nous-mêmes qui sommes crucifiés au monde et aux passions, lesquels dès lors nous fuient. Or il est impossible que le monde et les passions nous fuient parfaitement et cessent d'opérer en nous par les pensées, tant que nous n'avons pas accédé à la vision de Dieu. En effet quand, par la pratique des commandements ( praxis) nous atteignons la vision (théoria), quand nous ornons de vertu notre homme intérieur et le purifions intégralement, scrutant le trésor divin caché en nous et contemplant le règne de Dieu au-dedans de nous, alors nous sommes nous-mêmes crucifiés au monde et aux passions. Cet exercice fait naître dans le cœur une chaleur qui chasse les mauvaises pensées comme des mouches, implante dans l'âme paix et consolation spirituelles et donne au corps la chasteté, selon celui qui a dit : 'Mon cœur est devenu brûlant au-dedans de moi et dans ma méditation le feu s'embrasera'...Ainsi, les passions mauvaises et le monde du péché ne peuvent fuir loin de nous de façon parfaite et cesser d'agir en nous par les pensées, tant que nous ne sommes pas dans la vision de Dieu et c'est pour cette raison qu'existent le mystère de la Croix et sa contemplation, qui crucifie le monde pour ceux qui s'en sont rendus dignes. » (Saint Grégoire Palamas, Homélie sur la Croix, Migne PG 151, 125 sqq. (Homélie 11) ; trad. La Lumière du Thabor 27, Paris, 1990, p.19 sqq.) Moïse a donc connu, dans le second mystère de la Croix, l'illumination de la prière intérieure. C'est ici un hésychaste qui fait ce que, seul, il pouvait faire : retracer l'itinéraire de Moïse, non pas sur une carte de géographie, mais sur une table de chair, sur le cœur. Et le Grand Canon de Saint André de Crète distingue les mêmes étapes : après avoir frappé à mort « l'esprit égyptien » et avoir fui le péché, l'âme doit habiter le désert et se détacher de tout par la prière, pour pouvoir contempler dans la théophanie du Buisson le Dieu manifesté, c'est-à-dire le Verbe asarkos (sans-la-chair) avant son Incarnation (Grand Canon de Saint André de Crète, Ode 5, mardi de la Première Semaine du Grand Carême). La plus haute expérience de glorification que fit Moïse fut celle du Sinaï, où il resta durant quarante jours dans l'état de déification, recevant de Dieu la Loi. Les Apôtres bien-aimés du Seigneur connurent le même état de gloire lors de la Transfiguration, comme l'exprime le tropaire de la fête : « O Christ Notre Dieu, quand tu t'es transfiguré sur la Montagne, tu as montré à tes disciples ta gloire, autant qu'ils pouvaient la supporter... » Fidèles en tout à la Bible, les Pères ont appelé cette gloire Royaume, selon le mot même du Christ : « Je vous le dis en vérité, quelques-uns de ceux qui sont ici ne mourront point qu'ils n'aient vu le Royaume de Dieu. Environ huit jours après qu'il eut dit ces paroles, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il monta sur la montagne pour prier. Pendant qu'il priait, l'aspect de son visage changea, et son vêtement devint d'une éclatante blancheur » (Luc 9, 27-29). Cet état que les Pères nomment Palais, Royaume ou Règne de Dieu (Basiléia a tous ces sens) est le plus élevé que l'homme puisse obtenir – cet état dynamique où l'on va de gloire en gloire dans l'infini divin est tout pour l'homme, et c'est pourquoi Pierre dit ceci : « Dressons trois tentes », car il désirait rester toujours ainsi. Cette expérience de la vision de Dieu et de la participation à sa gloire a été faite au plus haut degré le jour de la Pentecôte. Elle a transformé les Apôtres en porteurs du Saint Esprit. A chaque fois qu'un saint arrive à la vision de Dieu, il fait la même expérience, selon, bien sûr, les caractères de sa personnalité propre. Cette rencontre personnelle entre le Dieu libre et l'homme libre ne saurait évidemment se répéter comme une mécanique. c) L'Eglise et son histoire à la lumière de la prière. Les quelques notions que nous venons de rappeler expliquent l'Eglise et justifient la « hiérarchie » de l'ecclésiologie orthodoxe. L'Eglise existe, en effet, pour être le lieu de cette expérience. Une Eglise qui nierait ou empêcherait une telle expérience ne serait pas celle du Christ. Le sens de la « hiérarchie » s'éclaire : le peuple et les Anciens s'entendaient pour confier à l'un des Anciens, à l'un de ceux qui avaient atteint la vision de Dieu, en fuyant l'Egypte spirituelle de ce monde. Réalité spirituelle ou charismatique et réalité ecclésiastique se recoupaient. C'est ainsi qu'un Saint Ambroise ou qu'un Saint Photios, le premier à Milan dans le Vème siècle, le second à Constantinple dans le IX7me, furent élevés à l'épiscopat très rapidement, franchissant en quelques jours tous les degrés de la hiérarchie. (Voir la Vie de Saint Photios par le Père Justin Popovic, publiée en français dans Saint Photios, Oeuvres Trinitaires I, Paris, Ed. de la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas, 1989, 25-27). Pourquoi cet apparent oubli des coutumes et des canons ? Parce que, dans ces deux hommes, le peuple fidèle avait reconnu la présence du Saint Esprit et l'effectivité de la Grâce divine de l'illumination. Dès lors, ils étaient déjà, selon la belle expression d'un Saint, « ordonnés par le Saint Esprit » et leur consécration épiscopale sanctionnait une réalité déjà présente. Le sens des sacrements – baptême, prêtrise, épiscopat- apparaît dès lors, dans le contexte synergique. Ils ne peuvent évidemment pas fabriquer le Grâce dans un indigne, pas plus qu'une condamnation injuste ne rend coupable celui qui la subit ou qu'un diagnostic ne change un état de santé ; Comme Saint Corneille dans les Actes des Apôtres, qui avait reçu la Grâce avant d'être baptisé (Actes 10, 44-47),le sacre épiscopal constate et confirme la venue de la Grâce divine. ( L'Eglise est en danger dès qu'un simulateur, qui feint d'avoir la Grâce, se fait ordonner et entend gouverner le troupeau. C'est un loup-pasteur, semeur d'hérésie – et contre ce danger, les Pères ne cessent de mettre les fidèles en garde). Il est intéressant de noter que, jusque dans le langage des Chrétiens de certains pays orthodoxes, on trouve des manières de dire qui montrent que le peuple est imprégné de cette mentalité qui remonte aux temps apostoliques. Par exemple, à Chios, cette « île de tous les monastères », appelée parfois le second Athos, un fidèle a récemment dit à un prêtre de mes amis : « Quelle chance vous avez d'être prêtre ! Car cela prouve que vous avez la prière du cœur ! » Citons encore la coutume russe de ne donner que très tard aux moines le grand schème ou grand habit monastique. Cette coutume des deux « habits » qui répondent à deux ascèses, s'explique par la tradition charismatique du monaschisme : le moine du petit schème est celui qui lutte pour acquérir la vision de Dieu, le moine du grand habit est celui qui a vu Dieu, qui a été glorifié ; Le grand habit sur lequel est cousue la Croix manifeste ce « second mystère » de la Croix dont parle Saint Grégoire Palamas, la crucifixion du monde et l'atteinte de la paix divine. L'autorité charismatique des évêques dans l'Eglise orthodoxe est une tradition sans laquelle l'histoire de l'Eglise ne serait pas intelligible. Le rôle de certains Saints, dans les conciles oecuméniques ou dans certaines périodes critiques de l'histoire de l'Eglise, ne devient clair que si l'on comprend quelle autorité prophétique était attachée à leur nom. Saint Athanase, au Ier concile oecuménique, Saint Cyrille dans le troisième, Saint Maxime le Confesseur, dans la crise monothélite, ont été suivis par ceux qui avaient du discernement spirituel. Ici, il faut bien distinguer les capacités intellectuelles des capacités spirituelles. On suggère parfois, en Occident, l'idée que le peuple se soucie peu des dogmes et que les différences entre l'hérésie et la vérité lui demeurent imperceptibles. Les illettrés auraient du mal à comprendre, dit-on, les subtilités d'un Saint Maxime le Confesseur. La conclusion qu'on voudrait en tirer revient à ceci : le Salut ne saurait, contrairement à ce qu'affirme toute l'orthodoxie, dépendre de la préservation « au iota près » des enseignements de l'Eglise. Un tel raisonnement, toutefois, oublie que les critères dogmatiques n'existent pas seuls dans l'Eglise orthodoxe ; les critères spirituels vont de pair avec eux. Le peuple qui accourait prendre la bénédiction de Saint Maxime le Confesseur, et refusait la communion avec les monothélites, savait parfaitement ce qu'il faisait, même si l'expression philosophique et la réfutation des ruses sophistiques des hérésies demandaient des qualités intellectuelles et spirituelles hors du commun. Le peuple Chrétien n'a jamais eu besoin de guides savants en dialectique car, comme le disait Saint Ignace : « Mes archives, c'est la Croix du Christ ». ( Epître d'Ignace aux Philadelphiens, 8). C'est donc à partir de cette réalité spirituelle qu'il faut lire l'histoire, quelquefois si tragique, de l'Eglise. La remarque vaut pour la période de la turcocratie : après la chute de Constantinople, il y eut des évêques déifiés, qui se révélèrent capables de conduire le peuple des « rayas » ( sujets vaincus » vers les sommets de la déification. Les iconographes se mirent alors à peindre l'icône qui montre le Christ entrant dans le tombeau : la douleur et l'humiliation de la turcocratie étaient vécues par les Chrétiens comme le prélude à la Résurrection en gloire. Il y eut enfin des moments où la structure officielle de l'Eglise se trouva vidée de substance, de réalité spirituelle. La hiérarchie nominale était constituée de loups déguisés en pasteurs, incapables de guider le peuple. On vit alors le courant prophétique de l'Eglise relever l'ardeur des vrais Chrétiens, même si, au sein d'une majorité tiède, ils étaient devenus la minorité – la minorité selon le monde, car il va de soi que ceux qui sont avec Dieu forment toujours, selon le mot de Saint Théodore le Studite, la majorité. Ce fut le cas notamment à l'époque de Saint Maxime le Confesseur, que nous venons d'évoquer, et où tous les Patriarcats – Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem – appelés d'ordinaire « les cinq sens de l'Eglise », communièrent un moment dans l'hérésie monothélite. Sous l'iconoclasme, certains peuples orthodoxes connurent les mêmes drames. Que signifie, spirituellement, l'hérésie ? L'impossibilité radicale d'atteindre à l'illumination véritable. Toutefois, à chaque période de grande crise dogmatique et spirituelle, il y eut des justes qui, tels Noé, préservèrent l'Eglise d'être engloutie sous les flots et permirent aux Chrétiens de retrouver la tradition authentique. Ces Saints sont les vrais hésychastes, entrés dans le repos divin, et devenus trônes de Dieu : ils peuvent se croire seuls pendant un temps ; mais Dieu leur donne ensuite, comme il l'avait fait pour Elie, « sept mille hommes qui n'ont pas plié le genou devant Baal » (3 Rois 19,18) – sept, le chiffre de l'Eglise... Les Pères, à travers l'histoire, jouent donc non seulement le rôle de confesseurs de la vérité, mais encore celui de prédicateurs, de missionnaires, de guides spirituels, de pédagogues de la foi évangélique et apostolique.Prenons l'exemple de la Russie. Les évêques hésychastes et la Russie Le rôle de l'hésychasme et des évêques hésychastes dans la direction spirituelle des slaves du Sud et des Russes a été mis en évidence par certains érudits. L'exemple par excellence, pour les Slaves du Sud, et pour la Serbie en particulier, est celui de Saint Savva (1175-1236) qui, au Mont Athos, fut initié à la grande tradition de la prière pure et devint pour tout son peuple un nouveau Moïse. Le Mont Athos était, au XIIème siècle et dans la suite, le phare du monachisme orthodoxe et le centre d'importants échanges culturels entre les moines venus de tous les horizons. Partageant la même foi, et la même nationalité romaine, puisque l'Athos était dans l'orbite de la Seconde Rome, les divers groupes – grec, bulgare, russe, serbe, géorgien- se distinguaient non comme des nations ou des ethnies ( ethné), mais comme des langues (glossai). Les grands monastères, comme Vatopédi ou Chilandar, jouèrent un rôle considérable dans la diffusion de la spiritualité hésychaste à travers le monde, par deux moyens : les traductions -ainsi, au monastère serbe de Chilandar, un grand nombre de textes ascétiques furent traduits du grec en slavon – et les voyages, parce que les moines formés à l'Athos, rentrant dans leur contrée d'origine, y répandaient ce qu'ils avaient appris et méritaient le nom d'illuminateurs. Saint Savva alluma ainsi dans sa Serbie, à partir du monastère de Studenica, le flambeau de l'hésychasme athonite. Les successeurs de Saint Savva entretinrent avec l'Athos des liens tout aussi étroits que ceux qu'il avait eux avec les Pères athonites de son temps. Ainsi, l'archevêque Jacques de Serbie était un disciple de Saint Grégoire le Sinaïte, qui fut le maître de Saint Grégoire Palamas. Le roi serbe Stephan Douchan (+1347), au quatorzième siècle, offrit des villes entières à Saint Grégoire Palamas, qui déclina cette offre. La Serbie s'imprégna donc profondément de l'héritage hésychaste. On peut dire que la culture serbe, du XIIème au XIVème siècle, est fondée sur la prière du cœur. D'où le caractère mystérieux de son art, qui rayonne à partir de cette illumination intérieure, secrète, que le monde ne peut pas voir ni recevoir. De Serbie, la tradition hésychaste passa facilement en Russie du Sud, parce que les contacts entre les deux pays étaient nombreux. Au regard de la spiritualité russe, Saint Savva revêt donc une importance décisive. (Voir Obolensky, Six Byzantine Portraits, Oxford, 1988, p.115-172). Les relations de la Russie avec le monde orthodoxe byzantin et serbe se voient particulièrement dans l'art, fondé sur la théologie, dans les règlements monastiques, dans les relations des hiérarques russes avec les grands hésychastes des autres pays. Reprenons ces trois points dans l'ordre. ( Nous suivons l'excellente présentation de I.M. Kontzevitch, The Acquisition of the Holy Spirit in Ancient Russia, St Herman of Alaska Brotherhood, Platina, Californie, 1988, p. 123 sqq.) L'iconographie russe du XIVème siècle, notamment la décoration des églises de Moscou, Pskov et Novgorod, révèle une communauté d'inspiration avec l'école serbo-macédonienne. Les icônes ornant les livres religieux sont elles-mêmes éloquentes : elles transcrivent les enseignements de Saint Grégoire Palamas et de tous les Pères orthodoxes sur la Transfiguration ; elles récapitulent toute la spiritualité hésychaste. L'hésychasme n'est donc pas arrivé après coup en Russie, comme quelque chose d'accidentel. La Russie a reçu tout son enseignement chrétien de ces êtres « porteurs de Dieu » qu'étaient les Saints hésychastes. On appelle cette tradition « byzantine » parce que les Slaves et les Russes d'alors la reçurent surtout par Constantinople. On pourrait l'appeler aussi bien « biblique », « apostolique », « patristique », ou serbe ou russe, puisque c'est en elle que chacun façonne son vrai visage, à la ressemblance du Christ. Saint Païssius, renouant avec l'hésychasme, n'introduisait donc aucune nouveauté, mais revenait aux sources. La règle monastique du monastère de Saint Savvas de Palestine, situé près de Jérusalem, fut rapportée par Saint Savva le Serbe lors d'un de ses voyages en Terre Sainte, et elle s'implanta en Serbie, dans les Balkans, et finalement en Russie, grâce aux efforts de Saint Serge de Radonège (1314-1392). On voit, sur cet exemple, comment les traditions se répandent dans l'Eglise, comme un sang qui parcourt et unit tout le corps, sans décision émanée d'aucun centre visible. Selon l'Evêque Siméon de Thessalonique, cette règle de Saint Savva le Sanctifié, de Palestine, l'a emporté sur les autres en Grèce durant la première moitié du XIIIème siècle. Traduite en slavon au début du XIVème siècle par l'Archevêque Nicodème de Serbie, elle fut approuvée officiellement pour la Russie par le métropolite Cyprien de Kiev et Moscou (1330-1406). Les relations étroites des hiérarques russes avec les hésychastes de Constantinople témoignent aussi de cette identité spirituelle parfaite. Saint Théognoste le Grec ( 1327-1353), métropolite de Moscou, soutint Saint Grégoire Palamas et signa le Tome ou résumé dogmatique du Concile de 1341, qui affirmait que la théologie de Saint Grégoire Palamas était celle de l'Eglise et condamnait celle de ses adversaires comme une hérésie anti-biblique. Saint Alexis, le successeur de Saint Théognoste, fut l'ami personnel du Patriarche Philothée de Constantinople, l'auteur de l'Office et du discours à la louange de Saint Grégoire Palamas qui sont une source fondamentale pour connaître la vie du grand hésychaste et la façon dont le voit l'Eglise. Saint Serge de Radonège reçut de ce même Philothée la bénédiction pour établir une communauté cénobitique au monastère de la Sainte Trinité. Saint Serge et Saint Alexis sont à l'origine de la grande floraison monastique de la Russie du nord-est . Saint Cyprien, – Voir, pour tout ce qui suit, D. Obolensky, Six Byzantine Portraits, Oxford, 1988, p. 173-200- métropolite de Kiev et de Moscou, est, dans ses tribulations mêmes, l'exemple de cette liaison vivante et « internationale », dirions-nous aujourd'hui, qui unissait les hésychastes dans tout le monde orthodoxe. Né en Bulgarie, et formé sur l'Athos, il se trouva mêlé aux querelles qui divisaient alors, politiquement, la Lithuanie de la Russie moscovite. Kiev se trouvait dans le territoire du Grand Duc de Lithuanie, rival du Prince de Moscou ; et le métropolite Alexis, résidant à Moscou, et théoriquement nommé pour toute la Russie, n'agissait vraiment que dans le territoire du Prince de Moscou. Philothée, pour satisfaire aux instances du Grand Duc sans trop froisser le Prince, consacra Cyprien comme métropolite de Kiev, avec mission de s'occuper des Lithuaniens et de réunir de nouveau, à la mort d'Alexis, toute l'Eglise russe sous sa houlette. Innombrables furent les difficultés que lui valut cette tâche, et la Vie de Saint Pierre, métropolite de Moscou ( 1308-1326) qu'il écrivit en slavon, dépeint, dans les humiliations de Pierre, certaines de celles que souffrit l'auteur. Expulsé de Russie, désavoué par les successeurs immédiats de Philothée, en péril sur la mer, Cyprien n'obtint son siège définitivement qu'en 1390, après un synode réuni sous le Patriarche Antoine IV. Son rôle historique et religieux n'en brille que davantage : hésychaste, Cyprien fut soutenu par une sorte de « parti hésychaste » - en Moscovie par Saint Serge de Radonège et par son neveu Théodore, higoumène du monastère de Simonov, et à Constantinople par Théophane de Nicée, qui avait contribué, sous Philothée, à restaurer la communion entre Constantinople et l'Eglise serbe. L'oeuvre unificatrice de Cyprien se fondait, en effet, sur la foi et la tradition de la prière. Il agissait,certes, en homme politique, quand il cherchait des fonds pour aider Constantinople ; mais son principal souci était d'ordre spirituel. D'une part, en effet, le métropolite Cyprien sauvegarda l'orthodoxie dans une Lithuanie pourtant politiquement liée, désormais, à la Pologne ; d'autre part, il traduisit du grec en slavon le Psautier, l'Echelle Sainte de Saint Jean Climaque et Denys l'Aréopagite, et fit inclure dans le Synodikon russe – Texte lu solennellement dans les églises le premier dimanche du Carême, et qui acclame les champions de la foi et condamne toutes les hérésies- les articles concernant l'hésychasme et la condamnation de l'augustinisme de Barlaam. C'est probablement à cette époque aussi que l'Eglise russe reçut la canonisation de Saint Grégoire Palamas, dont les doctrines étaient considérées comme la quintessence de la foi apostolique. Saint Cyprien et Saint Athanase de Vysotsk ( + après 1401), qui l'accompagna à Constantinople, sont des témoins vivants, des maillons de la chaîne de l'hésychasme. Saint Cyprien fut davantage qu'un éditeur. Il implanta la foi dans la puissance de la prière, lorsqu'en 1375 il fit transporter à Moscou l'icône de la Mère de Dieu de Vladimir, qui délivra la ville de la menace de Tamerlan. Témoignent également des liens qu'entretenaient la Russie avec l'Orient orthodoxe les ascètes comme Saint Lazare de Murom (1286-1391) ou Saint Serge de Nurma (1421), venus s'établir en Russie et autour desquels se rassemblèrent des âmes éprises de Dieu. De nombreux russes aussi voyageaient dans l'Orient orthodoxe, tel Saint Théodore, neveu de Saint Serge de Radonège et archevêque de Rostov, qui copia beaucoup de textes patristiques. A la suite de Cyprien de Kiev et de Moscou, un grand nombre de hiérarques et d'higoumènes ont continué la tradition hésychaste et sont allés s'abreuver à la source athonite ou orientale. Saint Arsène de Konevits ( + 1447) et Saint Savvas de Vichera (+ 1460) ont vécu sur l'Athos au moment où les enseignements de Saint Grégoire Palamas y florissaient. La recherche d'un modèle spirituel se manifeste dans la vie de Saint Euphrosynus de Tolva (1385-1481) qui, après avoir visité les ermites des environs de Constantinople, ne put se satisfaire plus longtemps du monastère où il avait vécu en Russie et, de retour au pays, fonda celui de Tolva, où il fit, entre autres, copier les œuvres de Saint Isaac le Syrien. Saint Denys, archevêque de Rostov, au milieu du Xvème siècle, grec d'origine, apprit la prière sur l'Athos et fut à l'origine d'un important mouvement monastique en Russie du Nord-Est. Saint Nil de la Sora (+ 1508) appartient à la même lignée, puisqu'il visita les monastères d'Orient d'où il tira des leçons et des exemples, avant de devenir lui-même une lumière véridique pour ses contemporains et pour Païssius Vélichkovsky. Toutefois, la lignée des saints starets a pu connaître certaines éclipses ; de même, les relations spirituelles entre les pays orthodoxes ne se sont pas toujours fondées sur l'unité spirituelle. Ces deux phénomènes résultent d'une évolution intérieure : l'oubli, la mise en veilleuse du seul savoir véritable, de la seule lampe à toujours laisser allumée, celle de la prière de l'intellect au nom de Jésus-Christ. Se produit alors, pour les peuples, ce qui arrive parfois aux individus : la crise de leur identité chrétienne. Saint Païssius ne dit-il pas que la perte de la mémoire est l'une des trois passions à l'origine de tout péché, colère et ignorance étant les deux autres ? La crise de la théologie russe. a) Le projet du Père Georges Florovsky L'effort du Père Georges Florovsky, dans ses Voies de la théologie russe, a consisté à montrer que la crise que connaît la Russie avant même le XVIIIème siècle et le règne de Pierre le Grand, est due à un éloignement progressif à l'égard de la tradition dogmatique, spirituelle et intellectuelle de Byzance. Le livre n'a malheureusement pas été bien compris par l'intelligentsia russe de Paris, qui a considéré les dures critiques de Florovsky à l'égard des errances théologiques russes comme des jugements hâtifs et impertinents. En réalité, dans l'esprit de l'auteur, cette remontée de la mémoire vers la source d'où la Russie avait reçu la foi, n'était pas négative. Ce livre est une vraie métanoïa, un vrai retour : Florovsky préparait l'avenir. Et il ne le pouvait qu'en dénonçant, et en condamnant, fermement, les chemins qui s'écartaient loin de la vie. Car il n'y a qu'une seule voie, qui n'est pas une doctrine ni un système, mais une personne concrète et vivante, la Personne du Dieu-Homme, qui dit : « Je suis la Voie » et : « Je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie ». Le Père Georges Florovsky présente ainsi son projet : « L'étude du passé de la Russie m'a amené, et m'a toujours affermi, dans la conviction que le théologien orthodoxe, de nos jours, ne peut trouver pour lui-même la vraie mesure et la source vivante de l'inspiration créatrice ailleurs que dans la tradition patristique. Je suis persuadé que la rupture, dans les idées, d'avec la tradition patristique et byzantine a été la cause principale de toutes les cassures et de tous les échecs dans le développement de la Russie. Ce livre dit l'histoire de ces échecs. Toutes les réalisations authentiques de la théologie russe ont toujours été liées à un retour créateur aux sources patristiques. Que l'étroit sentier de la théologie des Pères constitue la seule vraie voie, cela ressort avec une clarté particulière de la perspective historique. Cependant, le retour aux Pères ne saurait être simplement intellectuel ou historique, il doi se faire en esprit et en prière, pour être une recréation vivante, une auto-restauration de la plénitude de l'Eglise dans la plénitude de la tradition sacrée. » ( G. Florovsky, Ways of Russian Theology, Part One, vol.5, in the « Collected Works », ed. R.S. Haugh, Belmont ( Mass.), Nordland, 1979, p. XVII. Approuvée, révisée et complétée par l'auteur, cette traduction anglaise doit désormais être citée, de préférence au texte russe de l'édition de Paris, 1937). Se tromperait-on beaucoup en voyant dans cette dernière phrase un rappel des recommandations de Saint Grégoire de Naziance et de tous les Pères hésychastes ? Qui invitent à se purifier pour Dieu plutôt qu'à parler de Dieu – à moins parler de Dieu et à prier davantage. Sans faire du Père Georges un « hésychaste », nous suivrons donc son analyse de la crise de la théologie russe. b) Développement de l'influence occidentale Florovsky commence par montrer que la Russie ancienne, au moins depuis le XVIème siècle, ne dépendait pas culturellement de la seule Byzance : « L'antique Russ n'a jamais été complètement coupée de l'Occident... L'influence byzantine prévalait certes, mais elle ne fut jamais la seule. On doit noter, dès le XVIème siècle, un affaiblissement de cette influence, une crise du byzantinisme russe ». L'influence de Novgorod fut déterminante : par elle, tous les courants issus d'occident pouvaient irriguer la Russie. Un nom symbolise à lui seul toute la période du XVIème siècle, pour le meilleur comme pour le pire. Il s'agit de Maxime le Grec (1470- vers 1560), ce Grec né à Arta, élevé à Corfou, qui connut la Renaissance italienne, avant de connaître la Renaissance paléologue. En effet, passant de l'humanisme florentin au théo-humanisme orthodoxe, il devint moine sur l'Athos et fut initié à la prière. Son monastère l'envoya ensuite au Prince de Moscou qui demandait un traducteur pour réaliser une version slavonne de textes bibliques et patristiques. Maxime avait, certes, étudié à Florence, mais c'est à l' université de la prière, c'est au Mont Athos, qu'il avait été formé à la vie en Christ. Il joua, dans Moscou, le rôle d'un guide et d'un guetteur spirituel, réprimandant tous ceux qui s'écartaient de la « voie étroite ». Il agit comme le faisaient les anciens prophètes d'Israël, et avec le même succès qu'eux, puisque, en butte à la colère d'une fraction du clergé et de la société, il fut condamné et emprisonné dans divers monastères, ne retrouvant un peu de liberté que sur la fin de sa vie. Au-delà des incidences politiques de son destin, - la Russie, tournant le dos à Byzance, s'alliait alors avec les Mongols, et accusait Maxime de trahison, parce qu'il dénonçait cette attitude comme anti-byzantine et anti-orthodoxe. Pour toute l'histoire de Saint Maxime et son intervention au sein des querelles théologiques de son temps, voir G. Florovsky, op ; cit., p.24-26 ; D. Obolensky, op. cit., p.201-219.- il faut noter que Maxime se heurtait à des adversaires enclins à remplacer le culte intérieur – dont la prière du cœur est le sommet- par le culte extérieur et la pompe des cérémonies. Quoique condamné de son vivant, Maxime avait fait entendre des avertissements qui, longtemps après sa mort, continuèrent de résonner dans les âmes bien disposées, et c'est ce qui explique sa canonisation au XVIIème siècle. L'histoire que raconte le Père Georges Florovsky apparaît donc comme particulièrement difficile à écrire. Deux courants s'y entrecroisent ; mais l'un des deux, privé de tout moyen d'expression, dénué, comme on dirait aujourd'hui, d'accès aux médias, reste souvent souterrain et invisible. Il fallait de l'amour pour l'orthodoxie pour discerner, dans l'histoire des influences occidentales et des chutes spirituelles, comme la Réforme de Pierre le Grand, un conflit sourd, profond, avec la vraie tradition sacrée de la Russie, qui fit résurgence avec Saint Païssius, puis avec la lignée des starets d'Optina et avec Saint Jean de Cronstadt. L'influence de l'Europe se fit sentir à partir de la Pologne et de la Lithuanie. L'orthodoxie fut déformée, inconsciemment souvent. La théologie de la Réforme, puis le catholicisme romain imprégnèrent les théologiens russes, quoiqu'ils fussent souvent hostiles aux Eglises étrangères : le cas le plus typique est celui du métropolite de Kiev Pierre Moghila qui, tout en luttant contre l'uniatisme, se montra, en théologie, plus catholique romain qu'orthodoxe. - Voir G. Florovsky, op. Cit., p. 64-74-. c) La Réforme de Pierre le Grand Dans cette réforme culmine l'esprit anti-hésychaste et anti-patristique du courant occidentalisant. Elle s'est manifestée dans deux domaines principaux : I) Domaine ecclésiastique Les canons apostoliques, qui règlent la structure de l'Eglise, prévoient une synergie, un accord, entre la hiérarchie et le peuple : les évêques représentent dans l'Eglise la volonté divine du Christ, et le peuple représente la volonté humaine du Christ. En vertu de cette règle, aucune consécration épiscopale n'est valable sans l'assentiment des fidèles qui, au jour de la consécration, crient « Axios », « Il est digne » - sous-entendu : de l'épiscopat. Si les fidèles ne criaient pas Axios, la consécration, quoique conférée selon les rites, par deux ou trois évêques, serait nulle et non avenue. D'autre part, les mêmes canons apostoliques prévoient que les évêques institués par l'autorité civile doivent être déposés : il ne saurait y avoir confusion entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel. La conscience de la réalité synergique de l'Eglise – coopération entre hiérarchie et fidèles, image et effet de l'accord des volontés humaine et divine dans le Dieu-Homme – cette conscience a limité les abus que contenaient la réforme de Pierre le Grand. Pierre le Grand, admirateur de l'organisation des Eglises dans le monde protestant, avait conçu l'Eglise comme un organisme d'Etat sur le modèle des autres administrations – armée, finances, etc...( Sur la Réforme de Pierre le Grand voir l'excellent livre de James Cracraft, The Church Reform of Peter the Great, Stanford University Press, Stanford, California, 1971. Nous suivons sa présentation ainsi que celle de Florovsky, op. Cit., chap. 4, 114-161.) Théophane Procopovitch rédigea une Règle ecclésiastique qui annulait le Patriarcat, et remplaçait le patriarche, considéré comme un rival potentiel du Monarque, par un collège appelé Très Saint Synode dirigeant. Nommé par le souverain, le synode était aux affaires ecclésiastiques ce que le Sénat était aux affaires civiles : l'instrument de la puissance autocratique. Les prêtres devaient, aux termes de la même règle, dénoncer les éventuels complots contre le tsar et prêcher sur le respect dû aux autorités et surtout à la « suprême autorité du tsar ». Il y avait là une ingérence de l'Etat, (- Il faut toutefois noter que le Synode ne s'occupait pas de dogme, mais seulement d'administration. Le tsar ne pouvait décider ni en matière de foi, ni en matière de discipline. C'est comme représentant de la totalité du peuple qu'il intervenait dans la nomination des évêques. Comme l'ont bien noté les historiens, lescatéchismes les plus officiels de l'Eglise russe – ceux de Platon et de Philarète- appellent les tsars « principaux curateurs et protecteurs de l'Eglise ». Ils restent très en-deçà du chapitre « des devoirs envers l'Empereur » du catéchisme de Napoléon Ier, par exemple. Les autres Eglises autocéphales orthodoxes ne rompirent pas la communion avec l'Eglise russe, quoique les Vieux-croyants l'eussent rompue, en particulier pour ces innovations anti-canoniques ; Voir sur ces points A. Leroy-Beaulieu, L'Empire des Tsars et les Russes, Paris, 1888, réed. L'Age d'Homme, Lausanne, 1988, t.3, notamment p.187 et suiv., qui note : « Il n'en est point de l'Eglise russe comme de l'Eglise anglicane, comme des Eglises luthériennes ou évangéliques de l'Allemagne et des pays scandinaves...jamais l'autocratie tsarienne n'a élevé les mêmes prétentions...que la couronne d'Angleterre...Ni Moscou ni Pétersbourg n'ont entendu les juristes ou les théologiens revendiquer pour le prince, en matière ecclésiastique, la suprême autorité que lui déféraient si volontiers juristes et théologiens dans l'Allemagne protestante » (p.196-197) -) Il y avait donc là une ingérence de l'Etat qui ébranlait la structure canonique de l'Eglise, laquelle seule lui permet de « glorifier dans la concorde la Père, le Fils et le Saint Esprit ». II) Domaine théologique. La conception de la vie spirituelle ayant changé et les idées de l'Occident ayant prévalu, l'Eglise devait se mettre au service du monde, du « bien commun ». Dès lors, le « souci sans souci » de l'hésychaste n'avait aucune place dans le système de Pierre le Grand. Le monachisme, jugé inutile, fut persécuté ; les monastères, privés de leurs biens et de tout moyen de subsister, fermèrent ou périclitèrent. Les opposants furent muselés : le hiérarque Arsène Matsiévitch, métropolite de Rostov, qui avait osé protester, fut déposé, privé de son état de moine (sic), et mis en prison jusqu'à sa mort en 1772 – l'Eglise le commémore désormais le 28 février. (- Cf Kontzevitch, op. Cit., p.266. Remarquons 1) qu'il est impossible de priver quiconque du monachisme, qui est l'habit de la pénitence ; déposer un moine est aussi absurde que de vouloir ôter d'un baptisé son baptême 2) Arsène Matsiévitch fait partie des ascètes et hiérarques récents qui ont brillé par leur vie mais n'ont pas été encore canonisés. L'Eglise recommande de prier pour leur mémoire).- Le monastère d'Optina fut fermé en 1724. Les décrets de Pierre le Grand se trouvèrent aggravés par celui de Catherine II en 1764. Sur le modèle du séminaire de Kiev, des écoles théologiques furent implantées dans la Grande Russie, pour élever le niveau des connaissances en matière de dogme et de culture. Malheureusement, l'enseignement, délivré en latin, était imbu de théologie occidentale et il n'aboutit qu'à une « pseudo-morphose » de l'orthodoxie:on essayait d'exprimer la foi des Pères en la plaçant dans le « lit de Procuste » des catégories propres aux confessions occidentales. Ces catégories de pensée, issues de la philosophie, les Pères les avaient rejetées comme inadéquates et étrangères à leur expérience de la foi. Elaborées de nouveau par la scolastique, puis par les systèmes métaphysiques de l'Occident, elles venaient se plaquer, en Russie, sur une vie chrétienne qui n'avait rien à voir avec elles. C'est pourquoi le Père Georges Florovsky parle de « théologie sur pilotis » - cette théologie ne pouvait être qu'un édifice intellectuel artificiel. (- Voir, sur tout ce que nous disons des écoles théologiques, l'article de G. Florovsky, « Les influences occidentales dans la théologie russe », paru en allemand dans les « Procès verbaux du Ier Congrès de Théologie Orthodoxe », Athènes, 1939 et dans « Kyrios 2 », n°1, Berlin, 1937, p. 1-22. Traduction française dans La Lumière du Thabor n°24, Paris 1989, p.55-79-). La conséquence de cette réforme sur la hiérarchie fut la formation d'un clergé d'Etat, coupé du peuple auquel il ne pouvait servir la nourriture spirituelle. La théologie intellectuelle des hiérarques formés dans les écoles ne répondait pas au besoin de leur troupeau : « La nouvelle érudition théologique apparue en Russie...se servait toujours d'un langage spécial, étranger au peuple et qui n'était ni celui de la vie courante, ni celui de la prière. Bref, ce fut toujours un corps étranger au sein de la structure de l'Eglise...La pensée théologique finit peu à peu par ne plus entendre le battement du cœur de l'Eglise, et ainsi par perdre la « voie » qui l'aurait conduite à ce coeur ». (- Florovsky, art. Cit., Lumière du Thabor 24, p.75-). Selon certains auteurs, cette théologie errante et la « captivité spirituelle » de l'Eglise russe qui en a résulté, sont les origines véritables de la Révolution Russe. d) Limites de la réforme Quoique la réforme de Pierre-le-Grand recélât, comme l'écrit le Père Georges Florovsky, « une très grave menace », (- Id., Ibid., p.76), la portée s'en trouva cependant limitée par plusieurs facteurs. La première limite vient du caractère même de cette réforme, qui n'affecta que superficiellement le peuple, et de la vie de prière de l'ensemble des chrétiens, qui en était la négation pratique : »Au profond de la prière, la Foi antique est restée, demeurant « la Foi apostolique et patristique », celle de l'orthodoxie ancienne, de l'Orient orthodoxe, de Byzance ». (-Ibid.-). En second lieu, à la frontière entre cette vie de prière et la pensée scolastique, quelques figures d'exception développèrent une théologie fondée non sur la philosophie mais sur une connaissance, une reconnaissance, une réappropriation de l'histoire de l'Eglise. Ainsi, le métropolite Philarète de Moscou (1782-1867) inaugura le retour aux Pères de l'Eglise. (-Ibid., p.70). La troisième limite invisible qui empêcha le naufrage de la vraie spiritualité et prépara secrètement sa résurrection, fut le monachisme intérieur. On pouvait fermer les bâtiments conventuels, non les cœurs amoureux de Dieu. Quelques figures remarquables, comme celles de l'Ancien Dosithée du monastère des Grottes de Kiev (- Née en 1721, elle s'endormit dans le Seigneur le 25 septembre 1776. Voir Kontzévitch, op. Cit., p.266-268-), qui était en réalité une femme, et son homonyme, la recluse Dosithéa de Moscou (- On estime qu'il s'agit de la princesse Augusta Tarakanova, fille légitime de l'impératrice Elisabeth. Catherine II la força de prendre le voile monastique en 1785. Elle s'endormit dans le Seigneur le 4 février 1810. Voir Kontzévitch, op ; cit., p. 268 -), atteignirent le sommet de la déification et préparèrent la régénération de la vie spirituelle. Ces deux femmes ont illustré l'anavathme du quatrième ton que l'Eglise chante lors de toutes les grandes fêtes : « Toute âme est vivifiée par le Saint Esprit et par la purification s'élève, mystérieusement illuminée par la monade Trinité ». Les mots que nous soulignons correspondent à l'adverbe hiérokruphios, déjà employé par Saint Denys l'Aréopagyte pour décrire le caractère de l'illumination accordée par l'Esprit à ceux qui en sont dignes. Cachée dans le cœur, elle ne se manifeste pas au grand jour, mais restaure l'homme intérieur. De même, c'est au fond de leur réclusion que les deux Dosithée ont gardé le flambeau sacré:la première, celle de Kiev, envoya Théophane, un de ses disciples, en Moldavie, au monastère de Saint Païssius Vélichkovsky, et ce fut elle aussi qui bénit Saint Séraphim pour qu'il allât à Sarov ; la seconde envoya Moïse, higoumène d'Optina, auprès de l'archimandrite Philarète et du hiéromoine Alexandre de Novospassky, deux disciples du même Païssius, dont il nous faut maintenant parler. Le Starets Païssius Le mouvement de décadence spirituelle de l'Eglise Russe fut inversé grâce au zèle d'une âme amoureuse de Dieu : le moine Païssius qui se rendit à la Sainte Montagne et qui, devenu théodidacte ( enseigné par Dieu), réunit les textes des Pères sur la prière, les traduisit et leur redonna vie en les mettant en pratique. Son rôle a été décisif dans la transmission et le renouveau de la spiritualité patristique en Russie, en Roumanie, et même dans l'apparition du grand mouvement orthodoxe des Kollyvades en Grèce. Né en 1722, Pierre Vélichkovsky, après avoir étudié à l'école théologique de Kiev, se mit avec passion à chercher la tradition de la prière. Il vécut d'abord dans des monastères proches de Kiev puis, toujours en quête de la prière pure, dans des skites en Valachie, avant de gagner le Mont Athos. Ce fut là, sur la Sainte Montagne, que l'Ancien Basile le tonsura comme moine sous le nom de Païssius. Il apprit des Anciens athonites la tradition vivante dont son âme avait soif et, ordonné prêtre, fonda sur l'Athos la skite du Prophète Elie. De retour en terre moldave, il dirigea les monastères de Sékoul et de Niamets. Sa quête infatigable des textes sur la prière le conduisit à publier, en 1793, une anthologie de textes traduits en slavon qui correspond à la Philocalie grecque parue en 1782. L'audience de cet ouvrage fut immense. De même, les « fleurs des champs », ces instructions simples et profondes, que Païssius répandait sur les âmes affamées d'amour divin, comptent parmi les textes décisifs de la tradition hésychaste : ils sont un maillon de cette chaîne d'or qui, souvent invisible, traverse néanmoins l'Histoire, depuis Abraham le croyant jusqu'à nos jours. C'est cette vie et ce sont ces écrits que Michel Aubry présente aujourd'hui au lecteur français. Il définit ainsi ses sources et sa méthode : « Pour écrire le résumé de la vie du starets Païssius Vélichkovsky, nous avons puisé à deux sources : d'une part l'Autobiographie de Païssius, rédigée vers la fin de sa vie, qui constitue un document unique en son genre dans la littérature orthodoxe de l'époque, (- Nous gardons le titre usuel, mais il faut prendre garde au fait que l'intention de Païssius n'était nullement de rédiger l'histoire de sa vie, mais d'expliquer les origines et l'histoire de sa communauté de Sékoul et de Niamets, et cela, pour défendre ses enfants spirituels contre certaines critiques. L'autobiographie, comme genre littéraire, tourne à l'auto-apologie, et ne saurait exister pour un starets prêt, à l'imitation du Christ, le grand pasteur, à donner sa vie pour son troupeau. Le teste placé en tête du manuscrit, et que nous citons ci-après, manifeste ce caractère conciliaire et non individualiste qui marque toute la vie de l'Eglise-) et, d'autre part, les récits et biographies successives rédigées par des moines qui ont vécu et travaillé auprès du starets, d'abord à la Sainte Montagne, puis dans les monastères de Moldavie. Les biographies ont, en fait, été publiées avant l'Autobiographie. Vingt ans environ après le rappel à Dieu du starets, les moines du monastère de Niamets chargèrent le moine Métrophane, bon copiste , d'écrire une biographie de leur père spirituel. Métrophane rédigea une première version, en russe, complétée par le moine Isaac qui en donna aussi une version roumaine. L'ensemble fut revu et condensé par le futur métropolite de Moldavie, le moine Grégoire, qui produisit en 1817, sur les presses de Niamets, en roumain, son Abrégé de la Vie de notre Saint Père Païssius. Cette première biographie fut repris ultérieurement par le moine Paul, un autre copiste du starets, et une nouvelle édition sortit des presses de Niamets en 1836, comportant version roumaine et version russe du texte. Cette dernière édition, abondamment diffusée hors des murs du monastère, connut un grand succès en Russie. Elle fut donc reprise, mais en russe seulement, par le monastère d'Optina en 1847, augmentée d'extraits des écrits de Païssius. C'est cette édition de 1847 que la Fraternité Saint Germain d'Alaska de Platina ( Californie)a traduit en anglais et publiée en 1976, augmentée de notes, d'une bibliographie et d'une riche illustration. Ce n'est qu'en 1906 que le savant russe A. Yatsimisky découvrit à la Bibliothèque de l'Académie Impériale un manuscrit inconnu qui contenait l'Autobiographie originale de Païssius. Les biographes cités ci-dessus avaient évidemment connaissance de cette autobiographie, et ils l'utilisaient. S'ils n'en firent pas mention explicitement, c'est que Païssius l'avait précisément écrite à l'intention de ses moines et qu'eux-mêmes concevaient leurs écrits, au moins initialement, pour le seul usage des monastères. Ils n'avaient donc aucun souci de citation de sources, car, notes écrites ou remémorations des enseignements du starets, elles n'avaient pour seul but que de contribuer à l'instruction des frères. D »ailleurs, Païssius n'a pas donné de titre à son Autobiographie. Il l'a simplement ouverte par cette adresse : « Histoire de la sainte communauté des pères et frères, mes enfants spirituels, très aimés dans le Seigneur, qui, au nom du Christ, se sont rassemblés autour de l'indigne que je suis et qui, par la Grâce de Dieu et pour le Salut de leur âme, résident dans ces monastères : au saint et grand monastère de l'Ascension de Notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus-Christ, à Niamets, et au saint monastère du vénérable et glorieux prophète, précurseur et baptiste du Seigneur, Jean, à Sékoul : comment et pour quelle raison cette sainte communauté s'est rassemblée autour de moi, indigne pécheur ». Il s'agit clairement, pour Païssius, de transmettre à ses frères une description détaillée des évènements qui ont marqué son existence, afin de protéger ce qu'il appelle le « cercle » de ses frères de toute attaque et calomnies que pourraient susciter ses travaux. Le texte de l'autobiographie s'arrête en 1746, au moment où Païssius gagne l'Athos. Les évènements essentiels qui suivent ont été racontés par les biographes de Païssius à partir de différentes sources. Le moine Métrophane, son premier biographe, avait utilisé ses souvenirs personnels pour la période qui va de 1767 – moment où il entra dans la communauté moldave de Païssius – jusqu'à la mort de son starets en 1794. En revanche, pour la période athonite, de 1746 à 1767, et en particulier pour les détails de la création de la première communauté dirigée par Païssius sur l'Athos, Métrophane s'appuya sur les récits des disciples du grand starets, et son texte fut complété par les réviseurs qui préparèrent l'édition d'Optina et mirent d'autres sources à contribution, dont, peut-être, la correspondance de Païssius. Il existe en effet des lettres de sa main, dont certaines – comme celles à Nicéphore Théotokis et à Dorothée Voulismas – ont été partiellement publiées. Le texte intégral de l'autobiographie de Païssius a été récemment édité, en version anglaise, par le Professeur J/M/E. Featherstone, dans un volume intitulé The Life of Paisij Velyckovskyj. Edité à Harvard en 1989, ce volume comprend également la version initiale de la Biographie de Païssius par le moine Métrophane. Les éléments de l'édition d'Optina venaient de cette Biographie, mais elle a l'attrait irremplaçable d'un ton personnel, qui la rend plus émouvante que les versions qu'elle a suscitées. A ces trois sources principales, il convient d'ajouter la biographie du Père Serge Chetverikov, d'abord publiée en russe en 1938, puis en version anglaise, abrégée, à Belmont en 1980. Cette biographie se fonde sur toutes les sources encore accessibles avant la dernière guerre. Elle inclut également un grand nombre de textes de la main même de Païssius, notamment des extraits de ses lettres. Nous y avons abondamment puisé. Less Fleurs des champs, écrits spirituels de Païssius, ont été publiées en russe à Odessa en 1905 par l'Ancien Théodose des Karoulia de la Sainte Montagne. Dans l'Introduction ( anonyme) qu'il écrivit à cette occasion, l'Ancien Théodose raconte que, vers 1810, le manuscrit fut donné par le calligraphe Platon de Niamets à un jeune moine nommé Sophronius, venu s'établir à la skite du Prophète Elie sur la Sainte Montagne. Cette skite, fondée par le starets Païssius, devait conserver le manuscrit après le rappel à Dieu de Sophronius et c'est par un autre Ancien de la même skite que Théodose en prit connaissance. Une version anglaise, intitulée Field Flowers, or Lilies of the Field Gathered from the Divine Scripture, Concerning God's Commandments and the Holy Virtues, fut éditée par la Fraternité Saint Germain d'Alaska dans sa revue The Orthodox Word. (- Cette traduction occupe les numéros suivants : n° 60, janv-fév. 1975 ; n° 61, mars-avril 1975 ; n° 112, sept-oct. 1983 ; n° 113, nov-déc. 1983 ; n°114, janv-fév. 1984 ; n°116, mai-juin 1984 ; n° 117, juill-août 1984 ; n° 119, nov-déc. 1984 ; n° 120, janv-fév. 1985-). Toutes nos traductions des écrits ou de la correspondance du starets Païssius ont été effectuées à partir des versions anglaises mentionnées plus haut ». L'influence du Starets Païssius « Acquiers seulement la paix intérieure, dit Saint Isaac le Syrien, et des milliers, autour de toi, trouveront le Salut ». L'influence de Saint Païssius fut durable dans le monde orthodoxe, qu'il avait puissamment contribué à régénérer, comme l'avait fait autrefois un Saint Syméon le Nouveau Théologien. On peut, suivant un aphorisme des Pères, comparer cette influence de Païssius à la flamme qu allume plusieurs lampes sans perdre de son éclat. Dans trois régions surtout, (- Sur les fruits de l'oeuvre de Païssius, voir en particulier S. Chetverikov, Starets Païsii Velichkovskii, Nordland, Belmon (Mass), 1980, p. 283-322. L'auteur dresse, pour la Russie, une liste, qu'il avoue incomplète, des monastères inspirés par les disciples de Païssius : elle compte cent-sept noms, qui touchent à trente-cinq diocèses)-, les lampes se sont allumées à la torche de Païssius : a) au Mont Athos. Le patriarche Séraphim, retiré au Monastère du Pantocrator, visita fréquemment Païssius à la skite du Prophète Elie. Beaucoup d'autres moines athonites l'avaient pris pour confesseur. Après son départ pour la Moldavie, ses disciples gardèrent ses traditions, et au XIXème siècle, forment une chaîne de moines grands-schèmes qui, soit à la skite du Prophète Elie, soit au monastère de Saint Pantéléimon, jouèrent sur l'Athos un rôle important de directeurs spirituels, tel le hiéromoine du Grand-Habit Iéronim ou l'archimandrite Macaire. b) en Roumanie. Païssius comptait bon nombre de Roumains parmi ses plus proches disciples. Le Père Bessarion, le premier membre de sa communauté, était d'origine roumaine, comme Ilarion, qui fut l'higoumène du monastère de Sékoul après la mort de Païssius, et comme Sophron, Dorothée, Ioann et Silvestre, qui remplirent successivement la même charge au monastère de Niamets. Il est particulièrement intéressant de voir qu'un grand nombre de ces disciples roumains de Païssius ont été fondateurs ou higoumènes de grands monastères. Les mêmes furent d'infatigables copistes, traducteurs et écrivains. La grande impulsion donnée par Païssius et ses disciples à la vie spirituelle en Roumanie ne s'est pas arrêtée. En notre siècle encore, l'une des plus extraordinaires figures du monachisme érémitique, Saint Jean le Roumain, apparaît comme un surgeon de l'oeuvre de Païssius. Saint Jean le Roumain a vécu dans une grotte de Palestine et après sa mort, son corps, qui avait été laissé sans sépulture un certain temps, est resté intact. C'est le signe de la guérison parfaite qu'il avait atteinte et de la présence en lui du Saint Esprit. Outre son exemple, ce Saint a également légué aux générations futures ses poèmes, fruits de sa méditation éthique et théologique, dont nous espérons pouvoir un jour faire connaître la richesse au lecteur français. c) En Russie. Un grand nombre d'élèves et de disciples de Saint Païssius allèrent en Russie, provoquant un renouveau de la vie spirituelle dans les monastères et un regain d'intérêt pour la quête et la copie des textes patristiques. Beaucoup d'higoumènes et d'Evêques suivirent les préceptes de Païssius sur la prière, préceptes qui suscitèrent aussi dans le peuple russe de nombreuses vocations au monachisme. De son vivant, Païssius entretenait des relations épistolaires avec les higoumènes russes. Les centaines de monastères qui ont suivi les règles et l'exemple de Saint Païssius se répartissent dans toute la Russie. Citons seulement Valaam, dans le nord, le monastère de Briansk et l'ermitage d'Optina dans le centre, et enfin celui de Glinsk dans le sud du pays. Le hiéromoine du Grand-Habit Théophane apporta les règles de Païssius au monastère de Solovki, cependant que l'Evêque Gabriel de Novgorod faisait éditer la Philocalie de Païssius à Saint-Pétersbourg. Dans son entourage, on trouve plusieurs disciples de Païssius, futurs higoumènes ou starets de grands monastères. Les starets du Grand Habit Théodore, Cléopas, hiéromoine, et leur disciple le moine Léonide, tous disciples de Païssius, vécurent dans des monastères retirés du diocèse d'Orel, puis passèrent plusieurs années à Valaam, où ils implantèrent les traditions hésychastes et où Cléopas s'endormit dans le Seigneur. Théodore et léonide continuèrent leur tâche au monastère d'Alexandre de Svir, où Théodore s'endormit à son tour, laissant Léonide gagner avec ses disciples l'ermitage d'Optina où il resta jusqu'à l'achèvement de sa course terrestre. On voit comment se dissémina l'enseignement de Saint Païssius ; Quelques figures d'exception le faisaient rayonner toujours plus loin ; Ainsi, le hiéromoine Philarète du monastère de Novopasski, confesseur de Natalia Pétrovna Kireevskaïa, femme du philosophe Ivan Vassilevich, suscita, grâce à elle, l'intérêt de son mari pour la vie spirituelle orthodoxe, et contribua à le rapprocher des startsy d'Optina. Le même Philarète fut le guide spirituel de la moniale Dosithéa du Couvent d'Ivanov à Moscou, dont nous avons déjà parlé. (- Pour être complet, il faudrait mentionner bien d'autres pays. C'est le monde entier qui est redevable à Païssius. Saint Germain d'Alaska, patron de la terre américaine, était lié étroitement à des disciples de Païssius et partit pour l'Alaska avec un exemplaire de la Philocalie. Son disciple Serge, rentrant en Russie, se rendit à Optina).- La réalisation la plus mémorable est peut-être celle d'Optina, ce monastère restauré par le métropolite Platon de Moscou, lui-même admirateur de Païssius. La lignée des starets (ou startsy) d'Optina a gardé immaculé et a fait croître le dépôt de la Grâce que les disciples directs de Païssus y avaient placé. « A peine avait-on franchi le seuil du monastère en pèlerin, écrit le Père Serge Chetvérikov, qu'on sentait la proximité de Dieu, la bénédiction spéciale qui imprégnait son atmosphère spirituelle, et qu'on s'élevait sans effort vers Dieu, en se revêtant soudain d'une humeur joyeuse et radieuse. L'ermitage d'Optina conserva ces traits spirituels et sa féconde influence pendant plus d'une centaine d'années, jusqu'à la Révolution. » (- Chetvérikov, op. cit., p.304). Non seulement le monastère d'Optina fut une pépinière de strarets – Macaire, Antoine, Ambroise et Joseph d'Optina eurent un rôle considérable -, non seulement son exemple guida une multitude d'autres monastères, comme l'ermitage de Chamordino, dédié à Notre Dame de Kazan ; mais encore il reçut la visite de nombreux laïcs, qui s'entretinrent aussi par écrit avec les starets et en reçurent les conseils spirituels nécessaires pour pratiquer la prière du cœur. L'Histoire a retenu les noms des grands intellectuels, philosophes ou écrivains qui, tel Gogol, Kirievski ou Dostoïevski, connurent et fréquentèrent avec joie Optina. « Car où Ta lumière aurait-elle pu briller, sinon chez ceux qui étaient dans les ténèbres ? » D'une façon plus significative, il faut dire qu'Optina et les autres centres spirituels érigés par les prières de Saint Païssius, furent le levain de « toute la pâte », c'est-à-dire du peuple chrétien de Russie sur lequel allait s'abattre la tourmente. En effet, ce qui a confirmé tant de milliers de martyrs, morts pour la foien Christ après la Révolution de 1917, ce qui leur a donné la force de « résister dans le mauvais jour », de confesser jusqu'au bout et passer par l'épreuve de tant de tourments, qu'est-ce donc ? sinon la tradition biblique et patristique de la prière incluse dans le cœur : la prière nous unit à Dieu. « Le Seigneur est ma lumière et mon Salut, de qui aurais-je crainte ? » P. Patric Ranson VIE DE PAISSIUS VELICHKOVSKY I L'appel de la prière Païssius Vélichkovsky est né le 21 décembre 1722, jour de la fête de Saint Pierre métropolite, à Poltava, ville de l'Ukraine située sur la rive gauche du Dniepr. Il est le onzième d'une famille de douze enfants. En l'honneur du saint métropolite de Kiev, le nom de Pierre lui est donné par ses parents ; La famille de Pierre est d'origine cosaque du côté paternel et d'origine juive du côté maternel. Son père, comme son grand-père et son arrière grand-père avant lui, a été protopresbytre à la cathédrale de Poltava. Du côté maternel, c'est son grand-père, riche marchand de Poltava, qui s'est fait baptiser avec toute sa famille en l'église de la Transfiguration. Le jeune Pierre est élevé dans une de ces familles pieuses qui peuplent l'Ukraine au début du XVIIIème siècle, alors que la guerre de libération contre les polonais est juste achevée. Ces communautés ferventes assument l'éducation des enfants, hébergent et soignent les nécessiteux, accueillent voyageurs et pèlerins. Poltava, qui compte environ quatre mille habitants, est située aux marches sud de la petite Russie, face aux steppes où commencent les territoires des Tatars et des Turcs. C'est à la fois une place forte et un centre de commerce vers la Turquie, la Crimée, la Pologne, la Perse et Moscou. Les livres se trouvent aussi en abondance à Poltava, en provenance de Kiev et de Moscou. ci) Comme Pierre est âgé de quatre ans, son père meurt. C'est Jean, le fils aîné, qui est nommé pour le remplacer comme protopresbytre à la cathédrale. Très jeune, aidé par son frère Jean, Pierre apprend à écrire et à lire dans le Livre des Heures et le Psautier. Outre les classes à l'école de Poltava, il consacre son temps à lire la Bible, les Vies des Saints, les Homélies de Saint Jean Chrysostome et de Saint Ephrem le Syrien, livres qui se trouvent dans la maison familiale et à la bibliothèque de la cathédrale. Pierre enfant est d'un caractère paisible, doux et sérieux. Mais ce qui frappe surtout, c'est son silence, comme si l'humilité l'empêchait de parler aux adultes. Même sa mère ne l'entend que très peu. Il ne participe pas aux jeux des enfants ; très tôt, Pierre sent un attrait pour la vie monastique, né intérieurement de ses lectures, mais aussi de l'exemple de sa famille et des visites des pèlerins. Aux offices, il fait preuve d'une attention extrême. Chez lui, il est silencieux et se retire le plus souvent dans sa chambre pour lire et prier. Sur son visage rayonne la joie des humbles. En 1734, comme Pierre est âgé de douze ans, son frère Jean meurt subitement. Sa mère émet alors le souhait que Pierre lui succède comme protopresbytre, afin que soit respectée la tradition familiale. L'archevêque de Kiev, Mgr Raphaël Zaborovsky, qui reçoit Pierre accompagné de sa mère et d'un oncle, est impressionné par le comportement et les connaissances du jeune garçon et se déclare favorable à la succession. Mais avant, l'Archevêque impose à Pierre de venir étudier à l'Ecole de la Fraternité de l'Académie de Kiev. Kiev. L'Académie L'Ecole de la Fraternité est située dans le monastère de la Théophanie. Les jeunes gens qui y sont admis pour étudier, toutes origines sociales confondues, reçoivent une éducation classique. Le niveau est réputé identique à celui des meilleurs établissements d'Europe. Les étudiants vivent en communauté, mais ne sont pas dans la clôture du monastère. Outre leurs travaux d'étude, ils participent aux offices religieux dans les églises de Kiev, assurant les lectures et chantant dans les choeurs. Pour recevoir quelque argent, ils chantent aussi en ville des hymnes de leur composition. Pendant les vacances d'été, les mêmes groupes parcourent à pied la campagne, chantant des hymnes dans les villages où ils sont accueillis et hébergés. A Kiev, Pierre ressent peu d'attrait pour la vie intellectuelle de l'Ecole. Son désir de devenir moine ne cesse de croître. Il se consacre à la lecture des livres saints et à la prière dans les églises de Kiev : Sainte-Sophie, où sont les reliques de Saint Macaire, le monastère Saint- Michel où sont les reliques de la sainte Martyre Barbara et surtout les Laures des Grottes de Kiev. Une fois même, Pierre et quelques amis de l'Ecole, qui ont tous fait le même vœu de renoncer au monde et de vivre dans la pauvreté, font une escapade à la skite de Kitavsky à proximité de Kiev où ils résident plusieurs jours : ils sont bouleversés par l'allure ascétique des moines et la beauté de leurs chants. Bien que Pierre n'aspire qu'à y rester, à la pensée de sa mère qui le croit étudiant studieux, il quitte la skite après trois jours de vie monastique et retourne à l'Ecole. Lors d'une autre visite de Pierre à la skite, c'est le Supérieur qui le renvoie étudier, après l'avoir interrogé avec amour et lui avoir conseillé l'humilité et l'obéissance plutôt que l'obstination. A la lecture des Evangiles et des écrits des Pères, Pierre comprend que la foi seule n'est rien si elle ne se concrétise pas dans les actes de la vie quotidienne. Afin de s'aider à suivre les commandements du Seigneur, Pierre établit donc, pour sa vie à l'Ecole, les trois règles suivantes : 1) Ne pas juger ceux qui m'entourent, bien qu'ils soient ostensiblement pécheurs ; porter jugement c'est se mettre à la place de Dieu. 2) N'avoir aucune haine pour quiconque. 3) Pardonner du fond du cœur affront et insulte, afin que mes propres péchés me soient pardonnés. Comme Pierre manifeste de moins en moins d'assiduité à ses études, il est convoqué par le Préfet de l'Ecole qui le somme de lui donner des explications sur son comportement. Pierre lui répond avec une parfaite assurance, qui contraste avec sa timidité naturelle. « La première raison est la suivante : comme je veux être moine et que je suis conscient que la mort peut intervenir à tout moment, je voudrais me rendre le plus tôt possible là où, grâce à Dieu, je pourrai être tonsuré. Une autre raison est que je ne trouve rien de bon pour l'âme dans ces études : à entendre sans cesse les noms des dieux grecs et de leurs poètes, j'en suis venu à détester ces études du plus profond de mon âme... Comme on n'apprend pas aux étudiants à raisonner avec la sagesse spirituelle inspirée du Saint Esprit mais avec Aristote, Cicéron, Platon et les autres philosophes païens, ils deviennent aveugles et s'écartent du chemin du Salut.Ils apprennent à faire de beaux discours, mais au fond d'eux-mêmes il n'y a que ténèbres et mélancolie. Ainsi donc, comme je ne vois aucun bénéfice à ces études et que je crains qu'elles ne me corrompent, j'ai décidé de les abandonner. Enfin, quand j'observe l'effet de cet enseignement chez certains moines, je m'aperçois qu'ils ne se comportent pas autrement que les hommes du monde, dans la gloire et les honneurs, parés des vêtements les plus chers, paradant sur de magnifiques montures ou dans les plus beaux équipages. Je ne porte pas de jugement en disant cela. Je crains en tremblant que quand je serai moine une même science ne me fasse tomber dans une infirmité encore pire, ayant une âme très faible ». Ne réussissant pas à faire changer d'avis Pierre, le Préfet le soumet à toutes sortes de brimades, ainsi que l'autorise le règlement de l'Ecole. Pour les vacances d'été, Pierre retourne près de sa mère à Poltava, et lui dévoile peu à peu son intention de quitter l'Académie de Kiev afin de devenir moine. Celle-ci apprend la nouvelle avec tristesse, car elle nourrit toujours en elle le désir de voir Pierre, le seul survivant de ses douze enfants, succéder à son père comme protopresbytre à la cathédrale de Poltava. Afin de l'apaiser, il accepte finalement de retourner à Kiev pour y finir sa scolarité. Quand il quitte Poltava en septembre 1788 pour entamer sa quatrième année, il sait qu'il ne reverra plus sa mère dans ce monde. Il semble que c'est au cours de cette dernière année d'étude que Pierre a la joie de recevoir la bénédiction du métropolite Antoine de Moldavie en visite auprès de l'archevêque de Kiev, alors que la guerre russo-turque vient de prendre fin. Pierre est très impressionné lorsqu'il entend le métropolite Antoine célébrer la Divine Liturgie en langue moldave. Il est aussi empli de joie à voir les moines et les diacres qui accompagnent le métropolite, tous imprégnés de douceur et d'humilité. Dès lors, l'âme de Pierre s'enflamme du désir de devenir moine dans cette terre étrangère de Moldavie qui depuis le XIVème siècle tient ferme dans la foi orthodoxe, face aux pressions exercées par les Germains, les Hongrois et les Turcs. Débuts monastiques Dans ses prières Pierre invoque avec ferveur Saint Alexis qui plaçait en Dieu toute sa confiance – et Dieu en effet ne l'abandonna pas. Le désir de devenir moine est devenu si ferme chez Pierre qu'il laisse derrière lui ses amis – qui cherchent à retarder son départ – et quitte Kiev, pèlerin solitaire. Au terme d'un passage périlleux sur le Dniepr, il parvient au monastère de Lioubetch. Il est immédiatement accueilli comme novice par l'higoumène, qui lui donne la charge de gérer le magasin du monastère. Pierre, plein d'admiration pour la bonté et l'humilité de l'higoumène, s'applique du mieux qu'il peut à sa tâche. Pour son élévation spirituelle, l'higoumène conseille aussi à Pierre la lecture de l'Echelle Sainte de Saint Jean Climaque que la nuit il recopie pour lui-même. Au réfectoire, Pierre est chargé de la lecture des vies des Saints. Le ton de sa voix est si émouvant que les moines interrompent leur repas pour se rassembler autour de lui en pleurs. Après trois mois, un nouvel higoumène est nommé à Lioubetch, qui se comporte avec autorité et brutalité. Pierre souffre d'un tel comportement et à l'issue d'une nuit de prières, décide de quitter le monastère. Ayant repassé le Dniepr, Pierre pénètre en Ukraine, dans une région soumise aux persécutions des uniates. Prêtres et fidèles sont menacés, s'ils ne renoncent pas à la foi orthodoxe. Les monastères sont investis et mis sous séquestre par les troupes polonaises, et les moines sont contraints de se disperser. Cette situation dissuade Pierre de se rendre plus à l'Ouest, en Moldavie, comme il en avait d'abord l'intention ; Durant quelque temps, il vit auprès d'un ermite très pieux, Isaac, isolé sur une île du Dniepr. Pierre croit avoir trouvé en lui le père spirituel auprès de qui il pourra vivre selon les commandements du Seigneur et approfondir sa connaissance des Saintes Ecritures. Car Isaac est un ascète qui fortifie son âme en lisant et en recopiant les écrits des Pères qu'il se procure dans les monastères d'alentour. Comme Pierre l'implore d'accepter qu'il reste auprès de lui, Isaac lui répond qu'étant lui-même pécheur et soumis aux passions, il ne peut accepter de disciple. Isaac ne cède pas, lui expliquant que telle est la volonté de Dieu qui seul connaît les cœurs ; mais Pierre reste à ses pieds, inondé de larmes. Après avoir conseillé à Pierre de s'en remettre à Dieu, qui n'ignorera pas ses larmes et le conduira sur la voie du Salut, il le confie à un moine de passage. Celui-ci conduit Pierre au monastère de Saint-Nicolas, situé sur une île du Tyasmin. Le hiéromoine Nicéphore, higoumène du monastère, accueille le novice avec bonté. Pierre est bientôt tonsuré et devient rasophore. Son nom est désormais Platon. Il est alors âgé de dix-neuf ans. Au monastère, Platon accomplit au mieux les tâches qui lui sont confiées. Il a une affection particulière pour l'Ancien Nicodème dont il voudrait faire son père spirituel. Comme Pierre lui demande une règle pour sa vie en cellule, Nicodème lui répond : « Mon frère, tu as déjà beaucoup lu et pour cette raison je ne veux pas te donner une telle règle ; que ta règle soit selon ce que Dieu t'enseignera ». Une semaine après la tonsure de Pierre, Nicodème quitte le monastère et personne ne sait où il est parti. En se remémorant cette période de sa vie, Païssius devait écrire plus tard : « J'étais en quelque sorte abandonné comme un agneau sans berger. Je ne trouvais aucun lieu où vivre dans l'obéissance sous la direction d'un père spirituel.Bien que depuis l'enfance mon âme inclinât à l'obéissance, je n'étais pas digne de recevoir un tel don de Dieu ». A son tour le monastère de Saint-Nicolas est bientôt victime des persécutions des uniates. Les soldats polonais qui ont pénétré dans le monastère rassemblent les moines et les exhortent à s'unir aux hérétiques. Devant leur refus, des scellés sont posés, et la vie des moines devient impossible. Pierre prend alors la résolution de ne jamais vivre dans un pays où la foi orthodoxe est persécutée par les adversaires de la sainte Eglise de Dieu. Comme tous les moines sont contraints de se disperser, Pierre songe bien sûr de nouveau à gagner la Moldavie, mais ne trouvant personne pour l'accompagner et craignant les exactions des polonais, il doit renoncer. En compagnie de plusieurs moines de Saint-Nicolas, Pierre rejoint donc le monastère des Laures de Kiev, où il est accueilli par l'archimandrite, ami d'enfance de son père. Celui-ci le confie au hiéromoine Macaire. Il est affecté à l'imprimerie du monastère où il apprend la gravure sur cuivre. Ainsi entouré de moines très pieux auprès de qui il est toute obéissance, Pierre a enfin l'âme en paix. A l'église, comme il ne sait pas chanter, il fait bientôt toutes les lectures. C'est alors que lui parviennent des nouvelles de sa mère, par l'intermédiaire de sa belle-soeur, femme de son frère Jean défunt, venue avec son père et son oncle en pèlerinage aux Laures. Ils lui font le récit de la tristesse de sa mère après son départ de Kiev, des épreuves et des tourments qu'elle a connus, désirant la mort, jusqu'à ce qu'un ange de Dieu lui apparaisse, lui disant : « Comment peux-tu aimer ton fils plus que le Christ ton Seigneur ? Ton fils est parti pour suivre la volonté de Dieu, afin de devenir moine. Plutôt que de te lamenter, loue-le et suis son exemple ». Ayant entendu ces paroles la mère de Pierre s'en remet à la volonté de Dieu. Aussitôt ses tourments l'abandonnent et, après avoir recouvré ses forces, elle entre comme moniale au couvent de la Protection de la Mère de Dieu, proche de Poltava. Elle retrouve là sa propre mère et sa sœur, toutes deux moniales. Elle y restera plus de dix années, jusqu'à l'heure de son rappel à Dieu. Au monastère des Laures de Kiev, Platon rend grâce à Dieu de lui donner de vivre auprès de moines très pieux et très ascétiques. Il y a d'abord l'higoumène, le père Jean, qui est aussi son confesseur. Il a connu la vie érémitique avec le père Basile qui va bientôt faire preuve d'un si grand discernement à l'égard de Platon. Il y a aussi le père Paul qui fut missionnaire en Chine et le hiéromoine Théoctiste, peintre d'icônes. Dans des cellules isolées du monastère vivent le hiéromoine Hilaire, grand jeûneur et un autre grand ascète, moine du grand schème. Platon a une affection particulière pour le moine forgeron. Se trouver avec ces saints moines et partager leur vie est une source de grandes bénédictions. A l'église et dans les travaux du monastère, Platon accepte avec joie ces dons précieux que Dieu lui accorde, considérant qu'il est un pécheur indigne de mener la vie érémitique à laquelle il a désormais renoncé. Pourtant, un jour, le moine forgeron lui prédit qu'il va bientôt quitter le monastère pour se rendre en un autre lieu que Dieu lui désignera. Comme Platon proteste qu'il n'a nulle intention de quitter le monastère, le moine confirme seulement : « Sache, mon frère, que d'ici peu ce que je t'ai dit va se réaliser ; il n'en sera pas autrement et tu verras que j'ai dit la vérité ». Et en effet, peu de temps après cet entretien, Platon reçoit la visite d'un de ses anciens amis de l'Académie de Kiev, Dimitri, qui lui rappelle le vœu qu'ils avaient fait de devenir moines en terre étrangère, dans la pauvreté et la solitude, afin de pratiquer l'obéissance auprès d'un père spirituel. Dimitri propose à Platon de réaliser ce vœu avec lui. Platon loue l'amour spirituel dont Dimitri fait preuve et, s'en remettant à Dieu qui seul peut lire dans les cœurs, il accepte de se joindre à lui. Les deux jeunes gens sont inondés de larmes en rendant grâce à Dieu. Le starets Païssius racontera plus tard qu'il fut ensuite incapable de regarder le moine qui lui avait prédit son départ, honteux qu'il était de l'avoir contredit. C'est furtivement, sans lui avoir révélé le secret de son cœur, qu'il quittera le monastère. Guidés par un cousin de Dimitri, les deux amis passent en Ukraine polonaise. Cependant la famille de Dimitri, qui n'approuve pas son départ, le fait rentrer de force et Platon est contraint de poursuivre sa route seul. Après de longues journées de marche, Platon parvient au monastère de Matroninsky, au début du grand carême. Il est accueilli par l'higoumène, le hiéromoine du grand schème Michel, réputé pour sa haute spiritualité et sa connaissance des livres saints. Le starets Michel, qui a lui-même vécu comme ermite en Russie, en Moldavie et en Valachie, conseille à Platon de se rendre à la skyte de Saint-Nicolas de Tristeny où il a établi plusieurs disciples. Le jour de la Fête de la Résurrection du Seigneur, Platon prend la route avec trois compagnons après avoir reçu la bénédiction du starets. C'est avec grande joie qu'ils traversent la Moldavie, terre orthodoxe, jusqu'aux confins de la Valachie, faisant étape dans des ermitages où vivent dans la solitude des moines très pieux, tous disciples du vénérable père Basile. Dans les skites de Valachie Parvenus à l'ermitage de Tristeny, Platon et ses compagnons sont accueillis avec amour par l'higoumène, le hiéromoine Démétrius. Une vingtaine de moines vivent là, dans des skites solitaires au milieu des forêts, la paisible vie monastique selon la pure tradition de l'orthodoxie. Quand ils ne travaillent pas en forêt ou ne sont pas occupés à construire de nouvelles skites, les moines s'isolent dans leur cellule pour la prière et la lecture des Livres Saints et des écrits des Pères. Platon mène cette vie humble et recluse, et c'est là qu'il est initié à la pratique de la prière du cœur selon la méthode athonite. Le starets Michel instruit ses frères du nécessaire respect des commandements du Christ pour le Salut de leur âme. Il insiste sur l'importance qu'il y a de garder inchangés les canons, les traditions et les enseignements de la sainte Eglise Orthodoxe et de ses conciles, transmis par les Apôtres et les Pères, et aussi de respecter les Saintes Fêtes. Ces paroles raniment le cœur de Platon. Arrive un jour à Tristeny le père Onuphre établi avec quelques moines dans un ermitage isolé dans les montagnes proches de Kirkoul. A entendre le père Onuphre parler avec tant d'amour de la beauté du site, de la pureté de l'air et de l'abondance des fruits de la nature, du silence et de la paix qui y règnent, Platon ne peut imaginer un endroit plus propice à la vie monastique selon son cœur. Avec la bénédiction du starets Michel, il accompagne donc le père Onuphre quand celui-ci s'en retourne à Kirkoul. La règle à Kirkoul suit exactement celle des skites du Mont Athos. Les moines se réunissent seulement les dimanches et les jours de fêtes pour célébrer la divine Liturgie et prendre un repas en commun. Après le repas les moines parlent de leur vie spirituelle, se donnent des conseils et s'encouragent mutuellement à vaincre les épreuves du corps et de l'âme. Après les vêpres, ils se retirent solitaires dans leur cellule. De ses entretiens avec le père Onuphre, qui vit dans une skite isolée, Platon ressort toujours plus ardent à enrichir sa vie spirituelle. De même les explications d'un autre moine de Kirkoul, le père Alexis, sur les Livres Saints, sont pour Platon comme une inspiration divine. Grâce à sa douceur et à son humilité, le hiéromoine Alexis a acquis le don de prononcer les paroles justes qui peuvent consoler et réconforter l'âme de ses frères quand elle est affligée. Platon vécut ainsi trois ans dans les skites de Valachie, et il en profita pour apprendre la langue moldo-valaque. A Tristeny, comme à Kirkoul, il s'appliqua à accomplir avec obéissance les diverses tâches qui lui étaient assignées. Dans ses lectures de jeunesse, Platon avait commencé à apprendre ce qu'est l'amour de Dieu. Puis, au contact des Pères, il connut ce qu'est l'obéissance vraie d'où naît l'humilité vraie, celle qui permet la mortification de toute volonté et de tout désir de ce qui est dans le monde, préalable à l'entrée dans la vie monastique. A l'occasion d'une visite du vénérable Père Basile à ses frères de Tristeny, Platon fut sollicité pour être ordonné prêtre. Comme il refusait tout net, se considérant indigne d'une telle charge, le père Basile lui suggéra d'attendre qu'il eût atteint l'âge prescrit par l'Eglise pour la prêtrise. Mais Platon insista que même s'il devait être toujours en vie alors, il n'accepterait pas de devenir prêtre. Le starets Païssius racontera plus tard que, pour échapper à cette contrainte, il avait préféré se séparer de ses frères bien-aimés, et en particulier du père Basile qu'il vénérait comme un homme très saint et auprès de qui il avait souhaité vivre en disciple. C'est à la même époque que le désir de vivre au Mont Athos naît en Platon, au contact des moines de Valachie qui l'ont instruit dans les écrits des Saints Pères. Le starets Michel et le père Onuphre tentent de le retenir en vain. Ils le laissent finalement partir pour la Sainte Montagne avec leur bénédiction. Platon est alors âgé de vingt-quatre ans. II La Sainte Montagne Le voyage se fait dans des conditions très précaires, Platon et Triphon, le hiéromoine qui l'accompagne, n'ayant aucune ressource. Ils abordent finalement au Mont Athos le 4 juillet 1746 dans un état d'épuisement total. Ils sont d'abord accueillis et soignés au Monastère russe du Pantocrator. Hélas, Triphon ne se remet pas d'un mal contracté dans le voyage et il s'endort dans le Seigneur quelques jours après leur arrivée. A peine rétabli, Platon entreprend de visiter les ermitages et les skites alentour, à la recherche d'un père spirituel auprès de qui il puisse vivre en toute obéissance dans e silence et la pauvreté. Mais comme il n'en trouve aucun, il se résigne à mener seul la vie monastique à la skite de Kaparis. Agenouillé la plupart du temps, il récite les Psaumes et lit les Saintes Ecritures. Il ne se nourrit qu'une fois par jour de pain et d'eau, à l'exception des samedis, dimanches et des jours de Fêtes. Il ne possède que la soutane qui le couvre ; son lit est fait de planches. Platon vit ainsi dans une complète solitude pendant deux ans et demi, pratiquant la prière du cœur incessante et lisant les Livres Saints qui lui sont prêtés par les moines du monastère serbe de Chilandari. Le starets Païssius racontera lui-même plus tard : « Je n'ai pu survivre ainsi que grâce à la générosité de mes frères de la Sainte Montagne. En hiver, je me déplaçais pieds nus, avec rien d'autre que ma soutane pour me couvrir. J'étais si faible qu'au retour du monastère où on m'avait chargé d'aumônes, ou bien après être allé en forêt ramasser du bois, je devais rester allongé trois ou quatre jours pour récupérer ». Voeux monastiques Platon vit ainsi isolé dans sa skite de Kaparis, lorsqu'il reçoit la visite du vénérable Père Basile, celui-là même qui en Valachie voulait le faire prêtre. De la vie du très aimé Basile, nous savons très peu de choses ; mais il nous a laissé quatre textes en slavon, d'une grande profondeur : ce sont des introductions aux écrits de Saint Grégoire, de Saint Philothée du Sinaï, de Saint Hésychius et de Saint Nil de la Sora, dans lesquelles il explique aux hésychastes comment tirer profit de tels écrits. Saint Basile décrit les trois types de vie monastique : 1. Le monachisme cénobitique, ou en communauté. 2. Le monachisme semi-érémitique, dit royal : deux ou trois moines seulement partagent tout ce qu'ils possèdent et reçoivent tout en commun, prenant soin l'un de l'autre et renonçant à toute volonté propre dans l'obéissance mutuelle, la crainte de Dieu et l'amour. 3. Le monachisme des anachorètes solitaires : seul celui qui a atteint la perfection et la sainteté peut vivre en ermite dans le silence et la réclusion pour se consacrer à la prière du cœur. Le danger contre lequel l'Ancien Basile met en garde Platon c'est l'arbitraire du moine qui s'isole volontairement, sans avoir les ressources spirituelles pour trouver le Salut dans une telle vie. Saint Grégoire du Sinaï condamne cette déformation dite parfois idiorythmique – de la vie monastique et recommande plutôt la vie en communauté fraternelle qui permet à chacun de scruter ses péchés, de connaître sa mesure, de voir son infirmité, de se repentir et de recevoir chaque jour la Grâce du Seigneur dans la prière. Il est bien difficile en effet de reconnaître ses péchés quand on est seul et que la vanité pousse à tous les accommodements. Se laisser ainsi emporter rend aveugle, dit encore Saint Jean Climaque. Et Saint Barsanuphe ajoute qu'une existence solitaire prématurée est source de vanité. Après avoir ainsi instruit Platon, l'Ancien Basile le fait moine et lui donne le nom de Païssius. Il a alors vingt-huit ans. Basile s'en retourne peu après en Valachie. Bessarion Trois mois plus tard, un jeune moine de Valachie, nommé Bessarion, récemment arrivé à la Sainte Montagne, rend visite à Païssius dans sa skite de Kaparis. En écoutant Païssius, il est convaincu qu'il a trouvé en lui un guide pour le conduire vers le Salut de son âme. La demande de Bessarion trouble beaucoup Païssius. Après avoir beaucoup pleuré et prié et lui avoir avoué que lui-même a connu dans son cœur le même désir, pris de compassion pour Bessarion, il lui fait la réponse suivante : « Le Salut de l'âme, à propos de quoi tu m'interroges, ne peut être acquis sans l'aide d'un véritable guide spirituel, un être qui vit selon les commandements divins et suit les paroles du Seigneur qui nous instruit d'enseigner et de montrer l'exemple. Comment en effet conduire quelqu'un dans une voie que l'on n'aurait pas soi-même empruntée auparavant ? Il faut commencer par réprimer les passions de l'âme et du corps, afin de vaincre avec l'aide du Christ toute convoitise et toute colère et de libérer l'âme sensible de tout orgueil et de toute exaltation. « Dans le désert, jésus a repoussé le démon par le jeûne, l'humilité, la pauvreté, la veille et la prière, en lui opposant les Saintes Ecritures. Il nous enseigne et nous fait participer à sa victoire. Celui qui suit le Seigneur avec amour et humilité partout et toujours, celui-là seul reçoit le don d'apaiser les âmes et de leur faire connaître les saints commandements en réduisant toute passion à néant. Si cela est accompli par la Grâce de Dieu en l'un de nous, les dons du Saint Esprit rayonneront en lui et lui permettront de révéler à ses disciples les commandements du Christ et les vertus royales : l'humilité, la douceur et la pauvreté en Christ, la patience en toute chose, la piété par-dessus tout, l'amour fervent de Dieu et l'amour désintéressé pour les autres. De tout cela naît la véritable spiritualité intérieure et le discernement. Un tel guide peut alors apprendre aux autres à orienter leur vie selon les commandements du Christ et, avec l'aide de Dieu, les conduire au Salut. « Voilà le guide que nous recherchons toi et moi. Hélas, nous vivons des temps mauvais, que nos Pères théophores ont vus à l'avance dans le Saint Esprit ; Dans leur grande bonté, ils nous ont avertis et encouragés par leurs écrits. Voici ce que dit Saint Syméon le Nouveau Théologien : 'Ils sont peu nombreux, en particulier aujourd'hui, ceux qui sont capables de conduire le troupeau et de bien gouverner des âmes douées de raison. Car beaucoup, peut-être, ont prétendu aux vertus, ou même les ont effectivement acquises, et savent encore jeûner, veiller et montrer les apparences de la pété ; et ils peuvent aisément parler du fond du cœur et enseigner à multiplier les paroles ; mais bien rares sont ceux qui retranchent les passions par la sagesse dans l'humilité, par le deuil et les larmes ininterrompus, et qui obtiennent les vertus royales dans leur indivisible plénitude. Car celui qui veut se libérer de ses passions y parviendra dans la lamentation et celui qui veut acquérir les vertus y parviendra dans la lamentation et celui qui veut acquérir les vertus y parviendra dans les larmes'. « De même, plus près de nous, le vénérable Nil de Sora, conseille ainsi ses disciples : ' Il faut faire effort pour trouver un père spirituel qui ne puisse nous égarer. S'il ne s'en trouve pas, les Pères ordonnent de suivre les enseignements des Saintes Ecritures et des Saints Pères, comme le Seigneur lui-même nous l'a appris : Scrutez les Ecritures, et vous parviendrez à la vie éternelle (Jean 5:39).' « Il nous faut donc vivre, jour et nuit, dans les douleurs et les larmes, approfondir ensemble notre connaissance des Saintes Ecritures et des écrits des Pères, afin d'être instruits des commandements divins et suivre l'exemple de ces Saints. Ce n'est que par la Grâce de Dieu et en nous repentant de nos péchés que nous pourrons atteindre au Salut ». Bouleversé par ces paroles, Bessarion implore Platon de l'accepter comme disciple ; Platon refuse tout net, répétant qu'il ne veut être le supérieur de personne, et ne cherche qu'à suivre la règle de l'obéissance. L'insistance de Bessarion est telle que Platon finit par accepter qu'il reste auprès de lui, afin qu'ils vivent ensemble en frères, comme deux amis,un monachisme semi-érémitique. Bientôt Platon rend grâce à Dieu de lui avoir envoyé Bessarion : « N'ayant trouvé nulle part où suivre la règle de l'obéissance, écrit Païssius dans son Autobiographie, je pensais à entamer un monachisme semi-érémitique en compagnie d'un frère unique, en communion d'âme et d'esprit, avec, en lieu de père spirituel, Dieu et les enseignements des Pères, dans l'entraide et l'obéissance réciproque, faisant une seule âme et un seul cœur, attachés à l'élévation de notre vie commune, ainsi qu'il est écrit dans les livres des Saints Pères. Dieu m'ayant entendu, il arriva à la Sainte Montagne un moine possédant toutes ces qualités et il vécut auprès de moi comme si nous étions une seule âme.Par la Grâce du Christ, mon âme trouva consolation et apaisement, et moi, misérable créature, je pouvais enfin récolter le fruit de l'obéissance divine, que nous avions l'un pour l'autre en réprimant notre volonté propre. En l'absence de père spirituel, nous suivions l'enseignement des Pères et nous nous en remettions l'un à l'autre, dans l'amour de Dieu ». Platon et Bessarion vivent selon cette règle pendant un peu plus de quatre ans, jusqu'en 1754. Leur exemple attire bientôt d'autres moines qui à leur tour implorent Platon de les accepter comme disciples. Platon commence par refuser mais comme ils insistent et que Bessarion, dans sa bonté, l'encourage à ne pas les repousser,il consent à les accepter un par un, leur révélant le pouvoir de l'obéissance selon les Saintes Ecritures et les enseignements des Pères. Les moines nouvellement arrivés sont tous originaires de Russie, de Valachie ou de Moldavie. Comme ils sont bientôt douze et que la place manque, ils sont contraints d'aller s'installer das la skite voisine de Saint-Constantin. Skite de Saint-Constantin A Saint-Constantin, la liturgie est célébrée partiellement en slavon, et partiellement en moldave. Le cœur de Platon est tout réjoui de l'amour désintéressé dont ses frères font preuve les uns vis-à-vis des autres. Les conditions de vie à Saint-Constantin sont rigoureuses. Païssius raconte : « A l'approche de l'hiver, n'ayant nulle part où nous abriter, nous décidâmes de construire cinq cellules à Saint-Constantin. Qui peut imaginer ce que nous avons enduré pendant quatre mois d'hiver, pieds nus, avec juste nos soutanes pour vêtement, à creuser et amasser les pierres nécessaires à la construction ? Les dimanches et les jours de Fêtes, sans pouvoir prendre de repos, nous allions en guenilles d'un monastère à l'autre pour demander l'aumône, transis de froid. Le soir, certains rentraient dans un tel état d'épuisement qu'ils s'écroulaient comme morts et s'endormaient sans même manger. Dans un tel dénuement, la lecture des prières était souvent abrégée : au lieu des complies, je faisais lire le Psaume 50 : 'Aie pitié de moi, ô Dieu, selon ta grande miséricorde' et le credo, puis nous allions dormir. Mais même alors, nous ne manquions pas les Matines et nous lisions, selon l'état de nos forces, trois cathismes au moins. -( L'ensemble du psautier est divisé en vingt groupes de psaumes, appelés cathismes. On en lit généralement trois aux Matines. Durant le Carême, on lit d'autres cathismes aux heures, et les moines, ne pouvant dire les Heures, ajoutaient peut-être ces cathismes à ceux des Matines Nous tirons cette explication du livre de la Fraternité Saint Germain d'Alaska : Blessed Païssius Vélichkovsky, Platina, 1976, p.74)-. Au lieu des Heures nous lisions la paraclèse -(Office d'intercession adressé à la Mère de Dieu)- à la Très Sainte Mère de Dieu ; parfois nous lisions les Heures aussi. Que dire de plus ? Dans une telle misère, chacun de nous était tenté de mettre fin à cette vie en commun, et de tout quitter, mais le Christ notre Seigneur dans sa grande pitié nous a donné par Sa Grâce la force de l'humilité, de la patience, de l'amour de Dieu et du prochain, afin que nous puissions tout endurer selon ses commandements et vaincre toutes difficultés ». Platon est ordonné prêtre A Saint-Constantin, il est bientôt nécessaire d'avoir un prêtre à demeure. Réunis en assemblée, les moines décident de demander à Platon de devenir leur prêtre et confesseur. Aussitôt consulté, Platon refuse tout net, rappelant qu'il a quitté la Valachie pour échapper à cette charge ; Mais les frères insistent, usant de cet argument : « Quand nous nous confessons à d'autres pères, leurs conseils ou recommandations ne s'accordent pas forcément avec ceux que toi tu nous donnes, ce qui crée de la confusion dans nos âmes ». De plus, d'autres pères de la Sainte Montagne le pressent aussi d'accepter, le sentant digne et capable de mener au Seigneur les âmes qui s'en remettent à lui. En signe d'obéissance parfaite, Platon finit par accepter dans les larmes en disant : « Que la volonté de Dieu soit faite » . Platon est ordonné prêtre en 1758 à l'âge de trente-six ans. De nouveaux novices continuent d'arriver. Les moines en assemblée décident de demander au monastère du Pantocrator l'autorisation d'occuper la skite voisine dédiée au prophète Elie, afin de la rénover. Ils construisent là une église, un réfectoire, un four à pain, une hôtellerie et seize cellules, car Platon limite le nombre des moines à quinze. Pour les offices, les moines sont séparés selon la langue : slavon ou moldave. Le monastère vit selon les principes décrits par Platon dans une lettre à son ami et disciple le Père Dimitri, en mai 1766. Lettre sur le monachisme « Sache que le Saint Esprit a inspiré aux Saints Pères de diviser la vie monastique en trois rangs : le monachisme érémitique ou solitaire, le monachisme érémitique ou solitaire, le monachisme semi-érémitique ou semi-solitaire et le monachisme cénobitique ou en communauté. L'ermite est complètement retiré du monde, dans la solitude. De Dieu seul il attend de recevoir ce dont son corps et son âme ont besoin. Dans ses combats charnels et spirituels, Dieu seul peut lui venir en aide et le réconforter. Par amour de Dieu, il doit fuir toute consolation du monde. Les moines semi-érémitiques vivent en communauté de deux ou trois, sous la conduite d'un père instruit des Saintes Ecritures et ayant lui-même l'expérience de la vie spirituelle. Les disciples doivent être obéissants et dévoués à leur père spirituel pour tout ce qui touche à l'âme et au corps. Selon Saint Basile le Grand, les cénobites qui vivent en communauté mènent la vie simple et fraternelle que le Christ a menée avec ses douze Apôtres. Il leur faut s'entraider dans l'épreuve et faire preuve d'obéissance dans la crainte de Dieu. Ils doivent vivre en communauté sous l'autorité d'un higoumène qui est leur père spirituel. Ce dernier doit être capable de commenter les Saintes Ecritures et de guider sa communauté en paroles et en actions. Les cénobites doivent toute obéissance au Seigneur et à l'higoumène. Ils doivent repousser toute volonté ou toute pensée propre. Ils ne doivent pas s'opposer aux décisions de l'higoumène, à moins qu'elles ne soient contraires aux commandements du Christ ou aux enseignements des Pères. Sous chacune de ces formes de vie monastique, qui furent établies par le Saint Esprit, de nombreux pères ont atteint la perfection et ont été aimés de Dieu, rayonnant de lumière spirituelle et nous offrant leur exemple. Les trois formes de vie monastique sont clairement établies dans les Saintes Ecritures. Comment savoir quelle forme choisir ? Un grand guide de la vie monastique, Saint Jean Climaque, conseille à ceux qui veulent quitter le monde et devenir moine de ne pas choisir les formes extrêmes de la vie érémitique ou cénobitique, mais de commencer par la forme semi-érémitique. La retraite solitaire du monachisme érémitique requiert une force angélique qu'aucun novice ne possède. Le novice est porté aux passions spirituelles telles que la colère, la convoitise, la vanité ; il est dépourvu des forces requises pour mener la vie érémitique, et il peut sombrer très vite dans le délire mental. De même Saint Jean Climaque conseille au novice de ne pas entamer un monachisme cénobitique, non qu'il ne puisse lui être utile, mais parce qu'il requiert aussi une certaine forme d'endurance. La voie semi-érémitique menée en compagnie d'un petit groupe de moines sous la direction d'un père spirituel est celle qui convient le mieux au novice. Elle n'exige pas l'endurance requise par la règle cénobitique, et elle est moins pénible que la règle érémitique. Selon la règle semi-érémitique, les moines doivent obéissance à leur père spirituel et les uns aux autres. La règle cénobitique requiert l'obéissance de chacun à son père spirituel et à chaque membre de la communauté. Le novice doit être capable d'endurer les reproches et les excès les plus pénibles, de souffrir toutes sortes de tentations, d'être comme de la poussière foulée aux pieds, tel un esclave, de servir chacun avec humilité et dans la crainte de Dieu, sans réagir ni gémir. Il doit être capable d'endurer le manque, le dénuement, la faim et tous les maux que peut engendrer la vie en communauté. La combinaison de plusieurs aspects des trois formes de vie monastique et une conversion prématurée à l'érémitisme peuvent avoir les plus tristes conséquences. Quiconque rejette l'ordre établi par Dieu et quitte sa communauté pour soi-disant s'affermir dans la sainte obéissance et acquérir l'humilité et la délivrance de toutes passions en choisissant de mener la vie retirée et silencieuse, celui-là s'expose en fait lui-même à la colère divine. Tel un guerrier sans expérience qui est à l'opposé de la vie cénobitique. Comme il est ignorant, il est incapable de se forger des armes spirituelles. Ayant eu l'audace de se séparer des soldats éprouvés du Christ, pour affronter seul les forces démoniaques, Dieu tolère qu'il souffre la défaite. Il n'est pas seulement vaincu par l'ennemi, mais il est étouffé par lui. Tout cela est le résultat de la violation de l'ordre divin auquel le Seigneur lui-même a adhéré dans se très pure vie dans la chair. Au lieu de souffrir avec le Christ dans la communauté monastique, par sa fierté, un tel moine viole la Croix du Christ. Il n'est pas un ermite, mais un moine qui se fait lui-même arbitrairement ; en lui n'est pas manifesté le bien mais la séduction du diable. L'histoire du monachisme est pleine d'exemples de moines qui se font eux-mêmes avant de se détruire eux-mêmes. Toute différente est la vie de ceux qui adhèrent fermement et avec soumission à la divine règle du monachisme. A la base de cette règle vraie, il y a l'obéissance qui est l'arbre de vie. En goûtant à ces fruits, le novice encore vulnérable apprend l'humilité et le détachement de la volonté et de l'intelligence propres Il échappe ainsi à la mort et à toutes les séductions du Diable, à quoi ne peut échapper le moine qui s'est fait lui-même. Jésus-Christ a établi pour ses disciples, ici-bas, une communauté fondée sur l'obéissance et celle-ci sert de fondement à la vie monastique. Les douze Apôtres qui ont obéi aux divins commandements du Christ constituent l'exemple vivant d'une telle communauté. L'obéissance divine est la principale qualité des anges et elle est la marque de la sainteté des premiers hommes. Quand les premiers hommes ont désobéi, le Fils de Dieu dans sa grande bonté pour les hommes, a pris sur lui de restaurer l'obéissance en lui-même, en obéissant à son Père céleste, jusqu'à sa mort sur la Croix. Par son obéissance, le Christ a racheté notre désobéissance ; à tous ceux qui croient vraiment en lui et obéissent à ses commandements, il a ouvert les portes de son Royaume Céleste. Dans l'Eglise primitive, des milliers de chrétiens, suivant l'exemple du Christ, vivaient en communauté, renonçant à toute possession et partageant tout. Et cette vie leur a donné la richesse d'atteindre à l'unité du cœur et de l'esprit. Nos vénérables et anciens Pères ont mené partout la même vie communautaire dans les laures et les monastères, se guidant d'après les règles de Saint Basile le Grand dans un grand rayonnement de lumière. Seul le mode de vie cénobitique, dans l'obéissance, peut apporter une telle richesse à l'homme. Par l'humilité qui naît de la sainte obéissance, l'homme est restauré dans sa pureté originelle ; par le baptême, don divin, l'homme redevient semblable à Dieu. Une communauté cénobitique, rassemblée au nom du Christ, est unie par un tel lien d'amour réciproque que les moines ne constituent plus qu'un seul corps, chaque moine étant un membre, avec le Christ à leur tête. Les membres de ce corps du Christ se consument dans l'amour de Dieu et du prochain. Ils sont un seul esprit et une seule âme, ayant un but unique : respecter la volonté divine. Ils s'encouragent mutuellement dans ce but en suivant les commandements divins ; ils sont soumis mutuellement les uns aux autres et s'aident mutuellement à passer les épreuves ; chacun est maître de soi et dévoué aux autres. Au nom de cet amour vrai et saint, en un seul esprit, les moines imitent la vie du Christ lui-même et de ses douze Apôtres. En obéissant en tout à leur père spirituel, ils lui confient tous les secrets de leur cœur. Ils acceptent ses paroles et ses commandements comme s'ils venaient de la bouche même de Dieu. Ils rejettent toute volonté et toute pensée qui s'opposent à la sagesse de leur père spirituel ; ils les considèrent comme un linge sale, les condamnent, les rejettent et les fuient comme si c'étaient les feux de la géhenne, sans cesser de prier Dieu de les délivrer de ce fardeau et de les aider à revenir vers leur père. De tout leur cœur, ils supplient Dieu, comme des enfants leur mère, de leur donner de suivre leur père en toute chose, comme un agneau suit son pasteur, et de lui obéir comme l'oeuvre obéit à l'artisan, sans jamais dévier de leur propre gré. Cette divine obéissance, base de toutes les formes de la vie monastique, est au fond du monachisme cénobitique comme l'âme dans le corps. L'un ne peut exister sans l'autre. L'obéissance représente la voie la plus rapide et la plus sûre pour accéder au Royaume des Cieux car elle ne connaît qu'une chose : le renoncement à soi. Quiconque renonce à l'obéissance renonce du même coup à Dieu et au Ciel. Nos Saints et divins Père en ont témoigné ». Travaux de patristique Afin que ses moines puissent disposer autant que lui de la coopération et des instructions de la Grâce divine, Païssius s'emploie à rassembler les textes des Pères sur l'obéissance, la sobriété, la vigilance et la prière. Il recopie certains manuscrits empruntés ; il parvient même à en acquérir d'autres avec le peu d'argent dont il dispose. Ayant lu et relu ces textes au cours des années, Païssius bute régulièrement sur des obscurités ou sur des non-sens. Pour tenter de les éclaircir, il a l'idée de juxtaposer différentes versions en slavon des mêmes textes. Il recopie ainsi les écrits de Saint Hésychius de Jérusalem, Saint Philothée le Sinaïte, et Saint Théodore d'Edesse à partir de quatre manuscrits différents, mais en vain ! Païssius fait une autre tentative : après six semaines de travail jour et nuit ( il ne dort que trois heures), il tente de corriger les Homélies de Saint Isaac le Syrien en comparant son propre exemplaire à une édition censée correspondre à l'original grec. Le résultat est désastreux ; non seulement le texte n'est pas éclairé mais Païssius, l'amoureux des livres, se désole de voir son Saint Isaac complètement altéré : le texte d'après lequel il l'a corrigé se révèle moins bon que le sien ! Païssius conclut bientôt à l'évidente insuffisance des traductions des textes grecs en slavon. Comme il maîtrise désormais la langue grecque, il se met à la recherche des originaux grecs ; Il se rend successivement à la skite de Sainte-Anne de la Grande Laure, aux skites de Kapsokalivia, à la skite de saint-Démétrius de Vatopédi et dans de nombreux monastères ; il interroge les pères les plus anciens et les moines les plus pieux, mais nulle part il ne peut trouver un ouvrage reproduisant un texte original. Ce qui l'attriste plus encore, c'est qu'on semble ignorer désormais, sur la Sainte Montagne, jusqu'au nom des Saints Pères qu'il évoque ! Il demande à Dieu de l'éclairer, et il est exaucé. Un jour qu'il passe, avec deux moines, à proximité d'une skite dédiée au prophète Elie, à Karoulia, au sud de la Sainte Montagne, frappés par son grand isolement, ils décident de s'arrêter. Comme ils sont assis près de l'église, un moine les invite à y entrer pour vénérer les icônes, puis à se reposer dans sa cellule. Là, Païssius remarque sur la table un livre ouvert que le moine est en train de recopier : il s'agit d'un texte de Saint Pierre Damascène en grec. Transporté de joie, croyant voir un trésor céleste sur terre, Païssius demande au moine s'il possède d'autres livres des Saints Pères. Ecoutons-le raconter : « Il me répondit qu'il avait un autre livre de Saint Pierre, et vingt-quatre Homélies classées par ordre alphabétique ; Quand je lui demandai s'il avait des textes d'autres Pères, il dit qu'il possédait ceux de Saint Antoine le Grand, de Saint Grégoire le Sinaïte ( mais pas l'oeuvre intégrale), de Saint Philothée, de Saint Hésychius, de Saint Diadoque, de Saint Thalassius, l'homélie sur la prière de Saint Syméon le Nouveau Théologien et celle de Saint Nicéphore le moine, le livre de Saint Isaïe et quelques autres livres, mais seulement vingt-deux chapitres de Saint Nicétas Stéthatos ». On peut imaginer la joie de Païssius à entendre cette énumération. Le moine confirme que ces textes sont désormais oubliés dans la plupart des monastères de la Sainte Montagne. Lui et les autres frères de sa skite les connaissent pour en avoir entendu parler à Césarée de Cappadoce, leur pays d'origine. Une fois arrivés à la Sainte Montagne, ils sont parvenus, à grands frais et avec beaucoup de travail, à rassembler et à recopier les textes cités. Païssius obtient qu'un autre moine fasse pour lui et ses frères une copie de la plupart de ces textes. Païssius reçut ces présents avec immense joie, comme s'ils étaient un don de Dieu. Cette découverte eut lieu vers 1761, soit environ quinze ans après l'arrivée de Païssius à la Sainte Montagne. Retour en Moldavie Pendant ces années, le nombre de moines qui veulent se joindre à Platon ne cesse d'augmenter ; ils sont bientôt plus de cinquante. Dans leur désir de servir Dieu, ils sont attirés par l'ordre qui règne au cours des offices, par l'obéissance dont chacun fait preuve dans les travaux du monastère, et par l'amour désintéressé que chacun porte à son prochain. Des moines d'autres monastères se déplacent aussi pour venir se confesser au père Païssius qui est plein de compassion pour les âmes les plus faibles. Après des tentatives infructueuses pour s'établir dans un monastère plus grand, constatant le manque de place et les difficultés matérielles qui nuisent à la vie monastique, les moines en assemblée décident finalement de quitter la Sainte Montagne et d'aller s'établir en Moldavie. Longtemps après leur départ, la skite du prophète Elie conservera la tradition patristique ressuscitée par le père Païssius en continuant d'accueillir beaucoup de moines très pieux. III Le Père spirituel Païssius emmène avec lui soixante-quatre moines, répartis sur deux navires : il embarque avec les moines d'origine moldave ; Ils naviguent via Constantinople, jusqu' Galata, sur le Danube, en Valachie ; Ne trouvant où s'établir immédiatement, Platon se rend à Jassy, où il ets reçu par le métropolite Gabriel et le gouverneur très pieux Grégoire Callimachus. Ceux-ci confient à Platon le monastère du Saint Esprit à Dragomirna, ainsi que toutes ses dépendances. Dragomirna Le monastère de Dragomirna est situé aux confins de la Bucovine et de la Moldavie, dans une gorge du massif des Carpates, près de la ville de Sochava. Vu de l'extérieur, il a l'allure d'une forteresse, entouré de hauts murs et protégé par des tours : il a servi régulièrement de refuge aux habitants de Sochava fuyant les hordes tatares et les cosaques Zaporozhsky. Le monastère existe depuis au moins le début du XVIIème siècle. Quand Païssius s'y installe avec ses frères, il est dans un piteux état ; mais il a l'avantage d'être situé dans un endroit calme et retiré, à proximité de forêts et de riches terres. Très vite, grâce au travail des moines et à des dons généreux, il est remis en état. Païssius et ses frères rendent grâce à Dieu d'avoir attendri si généreusement le cœur de tous ceux qui les ont aidés, bien qu'ils fussent étrangers en cette terre de Moldavie. Dragomirna reçoit bientôt en visite le hiéromoine Alexis de la skite de Merlopolyani en Valachie, lui aussi disciple du vénérable Basile. Alexis est si impressionné par la piété de Païssius et l'attention qu'il porte à ses frères, qu'il décide de passer l'hiver avec eux au monastère. Comme tous deux sont disciples du même père spirituel, Païssius demande à Alexis de le revêtir du schème, ce qu'il fait sans changer le nom que lui avait donné Basile. Puis Alexis s'en retourne à Merlopolyani, après que Païssius et ses frères lui ont fait fête. Règle monastique A Dragomirna la vie monastique est fondée sur une règle rédigée par Païssius et inspirée des enseignements de Saint Basile le Grand et de ses disciples Saint Théodore le Grand et Saint Théodore le Studite, fondateurs du cénobitisme. Voici les principaux chapitres de cette règle, telle qu'elle est soumise par Païssius au synode de Moldavie, auquel il demande son approbation : 1) La première règle observée par tous dans notre monastère est qu'aucun moine ne possède rien en propre, fût-ce le plus petit objet. Tout est partagé. Afin que cette pratique soit effective, l'higoumène doit déterminer quels sont les besoins matériels de ses moines, tel un père avec ses enfants, donnant à chaque moine ce qui lui est nécessaire, sans préférence ni défaveur particulières. Telle est la tâche impartie à l'higoumène. (- Le texte dit : « Telle est l'obéissance de l'higoumène ». Il peut s'agir de l'obéissance due à l'higoumène, mais nous pensons qu'il s'agit plutôt de l'obéissance à laquelle il est lui-même astreint, vis-à-vis de la communauté des frères. Le mot obéissance a souvent, dans le langage des moines, le sens concret de : tâche effectuée par obéissance. « Une obéissance », c'est une diaconie, un service rempli-). Fondée sur ce principe, la communauté monastique peut se développer dans l'amour de Dieu et du prochain, dans l'humilité, la douceur, la paix, l'unité de l'âme et le détachement. Les moines sont sujets à l'obéissance non pas dans le but de faire une abstinence temporaire, de trouver la gloire, l'honneur, la tranquillité de la chair ou la considération des hommes, mais pour leur seul Salut. Dans l'unité du cœur et de l'esprit qui en découle, la convoitise, la haine, l'orgueil, la colère et tous les autres maux ne trouvent nulle place. La propriété privée et personnelle est source de mal et éloigne des commandements de Dieu. Tout moine est instruit fermement de cette règle selon les Saintes Ecritures, qu'il ne doit rien posséder à titre personnel sous quelque forme que ce soit, jusqu'à son rappel à Dieu. Tous les moines unanimes obéissent à cette règle. 2) L'obéissance est absolument essentielle à la vie monastique. Elle exige que l'on dédaigne et repousse toute volonté, toute pensée propre et tout arbitraire ; que l'on s'efforce de tout son cœur de suivre la volonté, les enseignements et le commandement de Dieu et de servir son prochain comme le Seigneur lui-même, ainsi que l'enseignent les Saintes Ecritures, dans la crainte de Dieu et l'humilité, jusqu'au dernier jour. 3) Quelles sont les charges et les responsabilités de l'higoumène? Il doit étudier les Saintes Ecritures et les écrits spirituels des Pères. Outre le témoignage qu'il doit ainsi porter, il lui faut, non transmettre ses propres enseignements et commandements à ses frères, mais les diriger toujours suivant la volonté de Dieu. Il doit se régler sur l'Ecriture dans toute tâche qu'il impose (- « Dans toute obéissance » dit le texte-), gardant à l'esprit que la parole de Dieu lui a été donnée, à lui et à ses frères, comme guide pour leur Salut ; Il doit être un exemple d'humilité, d'harmonie, d'unité spirituelle et faire preuve d'amour en toutes occasions. Il ne peut entreprendre aucune action sans l'avis de ceux de ses frères qui ont aussi l'expérience de la vie spirituelle et connaissent les Saintes Ecritures. Si un événement se produit qui doit être discuté devant l'assemblée de tous les frères, ceux-ci participent en pleine connaissance de cause et dans un esprit de conciliation. Ainsi sont maintenus la paix, l'unité dans l'esprit et l'amour désintéressé entre les frères. 4) La liturgie est fondée sur la règle générale : Vêpres, Complies, Office de Minuit, Mâtines, Heures et Divine Liturgie avec Vigiles et Lectures des Fêtes (- Il s'agit des prophéties de l'Ancien Testament annonçant les grands événements de l'Incarnation du Seigneur célébrés par les fêtes de l'Eglise-) pour tout le cycle des Fêtes du Seigneur, pour celles de la Très Sainte Mère de Dieu et pour celles des grands Saints. Pour les fêtes mineures : le polyéléos (- nom donné au chant solennel, dans l'église, du Psaume 135, dont le refrain porte : « Sa miséricorde (éléos, en grec) est éternelle »-) et la Doxologie (- prière des mâtines et des complies, commençant par « Gloire (doxa) à Dieu dans les hauteurs »-) avec les lectures, comme pour tous les autres offices liturgiques. La règle doit toujours être respectée par la communauté ainsi que nous la respections au Mont Athos, sans hâte et au temps qui convient. Tous les fondateurs et les bienfaiteurs du monastère, vivants et morts, doivent être commémorés aux services, ainsi que le prescrit la règle liturgique de la Sainte Eglise. L'higoumène et les frères doivent, selon la règle, être vêtus comme il sied à leur rang, c'est-à-dire avec la mandya, le rasso et le voile (- la mandya est la grande cape plissée du moine ; le rasso, le manteau qu'il porte sur la soutane. Le voile accompagne le chapeau ou klobouk-). Cette règle doit toujours être observée, sauf en cas de maladie ou de tâche obligatoire (- litt. « d'obéissance » -). 5) Les frères se rassemblent tous les jours au réfectoire avec l'higoumène, dans la fidélité aux règles et aux économies du monastère (- Aménagement particulier d'une règle de l'Eglise, en fonction des circonstances de temps et de lieu)-. Au réfectoire, chaque moine doit être vêtu selon son rang. Les frères écoutent, en silence et dans la crainte de Dieu, la lecture du jour, qu'il s'agisse d'extraits de Vies de Saints, d'écrits des Pères, ou d'instruction sur les règles de l'Eglise. La Panaghia (- la Toute Sainte ; c'est l'un des noms de la Mère de Dieu)- doit être vénérée sans faute tous les dimanches et jours de Fête du Seigneur, pour les grandes Fêtes, les Fêtes des Saints et, si possible, tous les autres jours. Le rite du réfectoire de notre monastère suit exactement celui qui est observé sur la Sainte Montagne. L'higoumène et ses frères ne doivent en aucune circonstance manger dans leur cellule, sauf en cas de maladie grave et d'extrême vieillesse. Tous les frères doivent manger la même nourriture. Seuls les malades, selon les Pères, sont autorisés à recevoir une nourriture spéciale pour aider à leur rétablissement ; mais cela est laissé à la discrétion de l'higoumène. Ils doivent néanmoins manger au réfectoire et non dans leur cellule. 6) Les frères doivent vivre en cellule dans la crainte de Dieu ; Suivant la tradition des Saints Pères, ils doivent préférer à tout travail ascétique la prière du cœur, puisque l'amour de Dieu, source de toute vertu, est oeuvré dans le cœur par l'esprit. Tel est l'enseignement de nombreux Pères théophores ; En plus de la prière,ils s'adonnent à la psalmodie et à la lecture réglée de l'Ancien et du Nouveau Testament, ainsi que des écrits patristiques ; Dans leur cellule comme en tous lieux, quelle que soit leur activité, les frères doivent avoir la pensée de la mort et se rappeler leurs péchés, le redoutable Jugement du Christ, les tourments éternels, le Royaume des Cieux et la contrition. Les frères doivent exercer le travail manuel qui leur est indiqué par l'higoumène. L'oisiveté n'est pas autorisée car elle est la source de tous les maux. Quitter trop tôt sa cellule et prendre part à une conversation inutile sont choses à fuir comme le poison. Pour s'exercer à la prière du cœur, il faut lire les Saints Pères : Saint Jean Chrysostome, le Patriarche Callixte II de Constantinople, le métropolite Syméon de Thessalonique, l'Evêque Diodore de cottica, Saint Hésychius de Jérusalem, Saint Nil du Sinaï, Saint Jean Climaque, Saint Maxime le Confesseur, Saint Pierre Damascène, Saint Syméon le Nouveau Théologien et Saint Grégoire du Sinaï. 7) Afin d'encourager à l'humilité, l'obéissance et le détachement de toute volonté et de toute pensée, sur l'échelle qui monte au Royaume des Cieux, l'higoumène peut assigner à ses frères des tâches à la cuisine, au four à pain, au réfectoire ou à d'autres travaux du monastère. A l'exemple du Christ qui est toute obéissance et toute humilité, les frères doivent obéir à ce qui leur est demandé. Ils savent qu'en servant leur prochain non comme des hommes mais comme s'il s'agissait du Christ lui-même, avec humilité et dans la crainte de Dieu,ils atteindront le Royaume des Cieux. 8) L'higoumène doit avoir le même amour pour tous ses frères. Il doit faire en sorte que ceux-ci vivent dans le plus sincère amour désintéressé les uns pour les autres, en vrais disciples du Christ. Tout amour individuel, comme toute amitié isolée ne sont que source d'envie et détruisent l'amour véritable. Il faut les éliminer par tous les moyens. L'higoumène doit souffrir avec patience et amour paternel les fautes et les faiblesses de ses enfants spirituels, dans l'espoir qu'ils se repentiront et se corrigeront.Il doit les instruire en leur parlant avec l'esprit de douceur. Les frères pécheurs ne doivent pas être exclus ni éloignés de la communauté, surtout s'ils ne font aucun mal aux autres frères. Par contre, l'higoumène ne doit pas accepter l'arbitraire des frères qui suivent leur volonté et leur pensée propre, refusent le saint joug de l'obéissance et causent ainsi du mal aux autres frères. Si les avertissements et la persuasion privée ne suffisent pas, les frères réunis en assemblée doivent les séparer et les exclure de la communauté, même si cela est cause de grandes afflictions, car il ne faut pas que les autres frères soient touchés du même mal. Ceux qui reconnaissent leur péché et s'en repentent doivent être accueillis à nouveau avec joie. En toute charité, et en toute pitié, Dieu leur accorde le pardon dans la joie de tous. 9) Pour l'administration du monastère et de ses propriétés, l'higoumène désigne un frère expérimenté et compétent qui assume cette charge extérieure sans pour autant enfreindre les commandements de Dieu ni courir à sa ruine spirituelle ; Cette délégation est nécessaire afin que, libre d'agir comme il l'entend, l'higoumène puisse plus facilement s'occuper du Salut spirituel des frères et de la maintenance des biens de l'Eglise et de la communauté. De même, pour l'aider dans sa tâche spirituelle, l'higoumène doit nommer un frère assez clairvoyant pour le remplacer en son absence. Avant de partir en voyage, l'higoumène réunit, au son des cloches, l'assemblée des frères dans l'église et, après avoir vénéré les saintes icônes et entendu les prières du voyage, il doit exposer le but de son voyage à l'assemblée et demander humblement à tous de prier Dieu afin qu'il en revienne exaucé et en bonne santé. Ayant demandé le pardon de chacun et donné sa bénédiction, il peut se mettre en route. A son retour, au lieu de se rendre directement à sa cellule, il rassemble à nouveau tous les moines à l'église où ils rendent grâce à Dieu. Il les remercie de leurs prières et, après avoir fait connaître aux frères comment la pitié de Dieu s'est manifestée pour le bien de tous dans son voyage, alors seulement il se retire dans sa cellule. 10) Ce qui suit concerne l'accueil de nouveaux frères dans la communauté monastique. Un novice qui serait attiré par la vie monastique s'entretient d'abord avec l'higoumène. Celui-ci lui explique les règles de la vie monastique en communauté, de l'obéissance à Dieu et du détachement de toute volonté et de toute pensée, jusqu'au dernier jour. Si l'higoumène décèle en lui le désir sincère de devenir moine et d'être un zélé serviteur du Seigneur, il l'admet à la vie commune en lui rappelant devant l'assemblée des frères la règle d'obéissance. Il ne doit pas être tonsuré immédiatement, mais seulement après le délai prescrit par les canons. Il reste en habit civil pendant au moins six mois et jusqu'à trois ans, selon l'obéissance et le détachement dont il fait preuve. Quand il est tonsuré pour porter le rasso ou la mandya, il peut rejoindre ses frères. Si après une période d'essai de trois ans l'higoumène ne décèle en lui ni preuve d'obéissance, ni signe de détachement, il est renvoyé dans le monde sans être tonsuré afin qu'il ne crée pas de difficultés dans la communauté... Suivent plusieurs règles concernant la vie pratique du monastère : travaux manuels, hôtellerie, infirmerie (11-14). 15-16) Nous supplions Votre Grâce que les personnes du sexe féminin ne soient pas autorisées à entrer au monastère, sauf dans les cas d'extrême nécessité telles que les guerres. Que, par ailleurs, les skites dédiées à Saint Enoch, à Saint Elie et à Saint Jean ne soient jamais séparées du monastère. L'higoumène nommera ceux des frères du monastère qui y résideront ; leurs statuts seront prescrits par l'assemblée des frères. Tout ce dont ils auront besoin leur sera fourni par la communauté. Les moines errants et ceux qui cherchent tel ou tel secours ne seront autorisé à y résider sous aucun prétexte... 17) Après le rappel à Dieu de l'higoumène, son successeur doit être choisi au sein de la communauté. Il est élu par la communauté des frères, à l'unanimité. Il doit avoir joui de la confiance de l'higoumène disparu et recevoir la bénédiction de son Eminence le métropolite. Il doit surpasser tous ses frères dans la sagesse spirituelle et la connaissance des Saintes Ecritures et des règles de la communauté. Il doit aussi avoir toutes les qualités d'obéissance, de détachement, d'amour, d'humilité et de douceur qui servent d'exemple à ses frères dans ses paroles et ses actions. Il doit enfin être prêtre. Comme trois langues, le grec, le slavon et le moldave sont en usage dans la communauté, il doit les connaître toutes trois, ou au moins le slavon et le moldave... Après avoir insisté sur le fait que l'higoumène ne doit pas venir de l'extérieur, mais être désigné par la communauté, l'auteur conclut : 18) Ce monastère ne doit jamais devenir lieu de pèlerinage, ainsi que nous en avons fait le vœu solennel à la mémoire de son fondateur. S'il en allait autrement, la vie en communauté en serait détruite à jamais. Un monastère peut en effet exister avec la Grâce de Dieu sans être lieu de pèlerinage, et la vie des moines qui y vivent en communauté y demeure sûre et tranquille. Vie au monastère de Dragomirna Cette règle ayant été approuvée par le synode de l'Eglise Moldave, Païssius s'engage à restaurer à Dragomirna une vie monastique selon la tradition orthodoxe de la Sainte Montagne. En particulier les services divins s'y déroulent selon la tradition de l'Eglise d'Orient. Dans l'église, les frères sont rassemblés selon la langue : à droite on chante en slavon, et à gauche en moldave. Les règles de la vie communautaire énoncées par Païssius sont strictement suivies : aucune possession personnelle, repas pris en commun, travaux manuels effectués en silence favorisant la prière intérieure. Pendant la période des récoltes, les moines partent travailler plusieurs jours de suite dans les champs où Païssius les rejoint pour célébrer avec eux la Divine Liturgie. Il leur envoie aussi des messages pour les encourager et les exhorter à imiter dans leurs travaux les Saints Pères d'Egypte : « Gardez-vous de la convoitise, leur écrit-il, car là où il y a la convoitise, l'esprit de Dieu est absent. Contrôlez vos paroles, afin de ne pas proférer de vains propos Celui qui préserve sa langue, préserve aussi son âme de toute peine. De la langue procèdent la vie et la mort. Les Anciens doivent enseigner les plus jeunes et ceux qui sont sans expérience. Soyez tous imprégnés d'humilité, de douceur et d'amour. Fortifiez-vous dans la crainte de Dieu, en pensant à la mort et aux souffrances éternelles. Que chacun révèle ses pensées au starets chaque jour. Répétez sans cesse la prière de Jésus. Offrez à Dieu un sacrifice pur, sans tâche et de bonne odeur, ainsi que vous en avez fait la promesse en devenant chrétiens. Présentez comme un holocauste votre peine et votre sueur. Que la brûlure du soleil soit pour vous ce que les martyrs ont enduré ! » Au monastère, quand ils sont dans leur cellule, les frères sont instruits à lire les écrits des Pères et à pratiquer la prière du cœur dans les prosternations et les larmes. Tous les soirs, ils doivent confesser à leur père spirituel leurs pensées. La confession, surtout pour les plus jeunes, constitue la base de la vie spirituelle car elle accorde le Salut de l'âme à celui qui se repent sincèrement de ses péchés. Si une divergence de vue vient à s'instaurer entre les frères, il faut la résoudre au plus vite, comme le demande l'Apôtre Paul : « Que le soleil ne se couche pas avant que vous ne soyez réconciliés » ( Eph. 4, 26). Païssius sait consoler les jeunes qui en ont besoin et aussi se réjouir avec eux. Il n'est jamais affecté par les soucis de la vie matérielle. Il n'est vraiment affligé que lorsque les commandements de Dieu ne sont pas suivis. « Tout peut être détruit, dit-il, même notre corps. Mais les commandements de Dieu doivent être respectés ». Tous les soirs en hiver, sauf les jours de grandes Fêtes, les frères sont rassemblés au réfectoire où Païssius lit et commente les textes des Pères. La lecture est faite alternativement en slavon et en moldave ; simultanément les complies sont récitées par ceux des frères qui n'entendent pas la langue dans laquelle la lecture du soir est faite – ainsi jusqu'au samedi de Lazare. Dans ses commentaires, Païssius ne cesse d'exhorter ses frères à respecter les commandements de Dieu et à avoir le cœur meurtri et humble, car le temps qui nous est donné par Dieu doit être consacré au repentir. Et si les commandements ne sont pas strictement observés, c'est la vie de la communauté elle-même qui est en péril. Chacun des frères se confie quotidiennement à son père spirituel qui lui-même informe Païssius lorsqu'il ne parvient pas à apaiser l'un d'eux. Quand le frère entre dans la cellule de Païssius, celui-ci comprend très vite d'où vient le mal. Il lui donne sa bénédiction sans attendre et entreprend de lui parler sans se laisser interrompre. Par les mots pleins de douceur qu'il entend, le frère est vite consolé et sa peine oubliée. Bien sûr, Païssius adapte son discours à chacun, selon ce qu'il connaît des écrits des Pères, et aussi en observant les réactions de son visage et ses gestes. Toujours le frère s'en retourne l'âme en paix et rempli de joie, après avoir rendu grâce à Dieu et reçu la bénédiction de Païssius. Car jamais Païssius ne convoque un frère pour le réprimander ou lui faire des reproches, mais au contraire pour le consoler et lui rendre la paix de l'âme et du cœur. Jusqu'à la neuvième heure la porte de sa cellule est toujours ouverte à ceux qui ont besoin d'entendre ses paroles : il verse des larmes avec certains et les console tandis qu'il partage la joie avec d'autres comme s'il n'avait jamais connu de peine. L'âme de Païssius est innocente comme celle d'un enfant ne connaissant aucune passion. C'est vers 1766 que le père Bessarion, premier disciple de Païssius au Mont Athos est rappelé par le seigneur. Ayant beaucoup pleuré ce frère bien-aimé, Païssius ordonne qu'un service soit célébré tous les ans à sa mémoire par tous les frères présents, suivi d'un repas en commun. La sollicitude de Païssius ne se limite pas à ses frères de Dragomirna. Son conseil spirituel est souvent requis à l'extérieur et dans les réponses à ses correspondants il révèle ce qu'il a découvert chez les saints Pères et ne cesse d'enseigner à ses frères. Deux belles lettres au père Dimitri, son ami de Kiev, ont été conservées. Dimitri est maintenant marié avec des enfants, et pense à devenir moine. Païssius lui conseille la patience et, suivant l'Evangile, d'achever d'abord ce qu'il a entrepris. Puis il lui décrit en détail les voies ouvertes à quiconque souhaite devenir moine, l'avertissant des difficultés qu'il va rencontrer et des obstacles qu'il aura à surmonter, jusqu'à la dernière heure. En une autre occasion, les moines du monastère de Merlopolyani en Valachie lui demandent conseil pour l'élection de leur higoumène. Basile l'Ancien, avant son rappel à Dieu en 1767, avait désigné le père Théodore pour lui succéder. Or celui-ci est de santé fragile et n'est pas en mesure d'assurer la charge. Les moines pensent alors le remplacer par le père Alexis, disciple de Basile l'Ancien, celui-là même qui avait revêtu Païssius du schème peu de temps après son arrivée à Dragomirna. Le père Théodose lui-même propose le père Alexis. Certains, toutefois, hésitent, connaissant l 'humilité, la douceur et l'inexpérience de ce dernier : pourra-t-il assumer la fonction d'higoumène ? Païssius confirme que tant qu'Alexis est en vie, ils ne doivent lui préférer aucun autre pour higoumène. Après leur avoir décrit ses grandes qualités, il ajoute : « Même s'il ne souhaite pas et rejette la charge d'higoumène, alors suppliez-le, en toute humilité, d'accepter malgré lui. Afin de ménager sa santé, évitez de lui demander des tâches qu'il ne pourrait physiquement supporter. Accordez-lui en tout la tranquillité, car s'il venait à s'épuiser prématurément cela ne serait d'aucun profit à ses frères ». En concluant, pour aider le nouvel higoumène à assumer ses tâches administratives, Païssius envoie auprès du monastère de Merlopolyany deux frères de Dragomirna, le Père Matthieu et le Père Dionysius. Nouveaux travaux de patristique Tout le temps qu'il ne consacre pas à la sollicitude envers ses frères. Païssius travaille à corriger pour eux les versions en slavon des textes de patristique. La tâche est ardue malgré les quatre ans passés à l'académie de Kiev. Païssius s'avoue bien ignorant en grammaire, en orthographe, en rhétorique, en philosophie et même en théologie ! Il se désole de ne pas disposer non plus de lexique. Or il ne connaît que très partiellement le grec ancien dont la richesse l'émerveille, et il ne maîtrise pas parfaitement le slavon non plus. Conscient de ses limites, Païssius se sent bien incapable de proposer des traductions nouvelles en slavon. Par contre il s'attache à corriger et à compléter les traductions existantes, afin que ses frères puissent en tirer profit. Jamais toutefois, Païssius ne pense diffuser hors du monastère ses versions en slavon, du moins pas avant qu'un père plus savant que lui ne les relise. Dans son travail de correction Païssius utilise les versions moldaves des textes des Pères faites par le hiéromoine Macarius et par Hilarion le Didascalos, traductions commencées au Mont Athos. Utilisant comme référence les versions moldaves, Païssius corrige les versions slavones d'un grand nombre de textes originellement traduits du grec : Saint Hésychius, Saint Diadoque, le second livre de Saint Macaire, Saint Philothée, Saint Nil sur la prière, Saint Thalassius, Saint Grégoire le Sinaïte, Saint Syméon le Nouveau Théologien ( homélie sur la vigilance dans la prière), Saint Cassien le Romain et quelques autres. Certains textes sont repris et corrigés deux ou trois fois. Quand les textes de référence en langue moldave n'existent pas, Païssius tente de traduire directement du grec mais il est conscient que ces versions contiennent certainement des erreurs qui ne pourraient être corrigées qu'à l'aide du texte original en grec ancien. Païssius traduit ainsi les écrits de Saint Antoine le Grand, de Saint Isaïe l'Ermite, de Saint Pierre Damascène et de Saint Théodore le Studite. Pour la traduction en slavon des Homélies de Saint Isaac le Syrien, Païssius est grandement aidé par l'édition grecque faite en 1770 par Ephrem, Patriarche de Jérusalem. L'édition en slavon de Saint Isaac ne sera achevée qu'en 1787 au monastère de Niamets. Ayant reçu de la Sainte Montagne la vie de Saint Grégoire du Sinaï écrite en grec par son disciple Saint Callixte, Patriarche de Constantinople, Païssius constate qu'elle n'est pas complète ; néanmoins il en entreprend aussi la traduction en slavon. IV L'enseignement sur la prière du cœur A Dragomirna, comme déjà au Mont Athos, certains esprits s'en prennent violemment aux enseignements de Païssius touchant la prière du cœur. Certains, par jalousie, l'accusent d'innover et de modifier les règles de l'Eglise en restaurant la pratique de la prière du cœur. D'autres, inspirés par le démon, tentent de jeter le trouble en déclarant que les ouvrages des Pères traduits à Dragormina sont hérétiques. Craignant que certaines âmes ne se laissent convaincre par un tel blasphème, Païssius décide de réfuter ces allégations en implorant le Fils et Verbe de Dieu d'éclairer son esprit. Avant de lire l'épître de Païssius, rappelons-nous les mots simples : « Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, aie pitié de moi pécheur », qui répétés sans cesse guérissent l'âme des passions. Or la vie de l'âme se manifeste dans le cœur. L'intellect quant à lui, jouit de la conscience et de la liberté et c'est par lui que parvient jusqu'au cœur et agit en lui ce qui nous vient de Dieu. La prière du cœur consiste à faire ainsi descendre l'intellect dans le cœur. Dans cet état de vigilance, appelé neptique (- neptique vient du mot grec qui signifie sobriété, vigilance. Le titre de l'anthologie de Saint Macaire et de Saint Nicodème sur la prière du cœur est Philocalie des Pères neptiques, c'est-à-dire, qui ont atteint l'état d'attention spirituelle constante-), l'intellect veille sur les pensées du cœur et en chasse les mauvaises, celles qui éloignent de Dieu. Les Pères disent, en effet, que nous ne sommes pas responsables des pensées mauvaises, mais que nous le sommes de l'adhésion que nous y donnons. C'est aussi pourquoi l'invocation du nom de Dieu doit être incessante, même pendant la récitation des prières liturgiques, car Dieu connaît notre cœur et l'écoute. Lisons maintenant Païssius. Apologie de la prière du cœur « Il faut savoir que cette activité divine fut l'occupation constante des Saints Pères et qu'elle a brillé de ses rayons au désert, dans les monastères du Sinaï, dans les skites d'Egypte, au Mont Nitrie, à Jérusalem et dans les monastères des environs, à Constantinople et au Mont Athos, dans les îles grecques et plus récemment en Russie. Grâce à cet exercice mental de la sainte prière, beaucoup de nos Pères théophores ont brûlé du feu des séraphins par amour de Dieu et du prochain ; ils sont ainsi devenus les gardiens authentiques des commandements divins et ont été jugés dignes de recevoir l'Esprit Saint. La plupart d'entre eux, motivés par la plus profonde inspiration divine et suivant les Saintes Ecritures de l'Ancien et du Nouveau Testament, ont couché par écrit leurs enseignements inspirés de la sagesse du Saint Esprit. C'est Dieu qui les a inspirés afin que dans les temps à venir cette action divine ne soit pas oubliée(...)Le démon qui est la source de tous les maux et l'ennemi de toutes les vertus a bien vu que, dans cet exercice mental de la prière, l'armée des moines qu'il a choisi d'investir est assise aux pieds du Seigneur en signe de parfait amour et respect des commandements divins. Le démon a donc cherché à dissuader et à blasphémer cette action salvatrice afin si possible de l'effacer de la surface de la terre. Dans ce but il a détruit des livres et introduit l'ivraie parmi le blé du ciel. De ce fait, les hommes insensés, voyant ceux qui entreprennent cette activité de façon arbitraire et en s'exaltant tout seuls, récolter l'ivraie au lieu du blé et trouver la perte au lieu du Salut, blasphèment contre la sainte prière. Non content de cela, le démon a trouvé en Italie le serpent de Calabre, l'hérétique Barlaam qui, dans sa morgue, lui ressemblait totalement. Entrant en lui avec toute sa puissance, il l'incita à blasphémer contre notre foi orthodoxe et contre la sainte prière du cœur. Observez donc, mes amis, qui osez blasphémer contre la prière du cœur. Voulez-vous rejoindre cet hérétique et ceux qui le suivent ? Ne tremblez-vous pas dans votre âme à la pensée d'être anathématisés par l'Eglise, comme ils l'ont été, et de devenirs ainsi étrangers à Dieu ? Quelle véritable raison avez-vous de blasphémer contre cette chose trois fois sainte et sans tache ? Je ne peux le comprendre. Est-ce que l'invocation du nom de Jésus vous paraît inutile ? Or il n'est possible d'être sauvé par aucun autre nom que le nom de notre Seigneur Jésus-Christ ( Ac. 4, 12). Peut-être est-ce l'intellect oeuvrant à la prière qui est impur ? Mais cela est également impossible car Dieu a créé l'homme à son image et à sa ressemblance. L'image et la ressemblance de Dieu se retrouvent dans l'âme humaine créée par Dieu pure et sans tache, si bien que l'intellect, par quoi l'esprit se manifeste principalement, est lui aussi pur et sans tache. Mais peut-être est-ce le cœur qui a été l'occasion du blasphème – le cœur, cet autel sur lequel l'intellect offre à Dieu le sacrifice secret de la prière ? De nouveau, je réponds non, car le cœur est également une création de Dieu et comme le corps humain tout entier, il est très bon. Si donc l'invocation du nom de Jésus est source de Salut, et si l'intellect et le cœur de l'homme ont été créées de la main de Dieu, pourquoi serait-il néfaste d'adresser par l'intellect au doux Jésus une prière jaillie du cœur, et d'invoquer sa pitié ? Mais peut-être blasphémez-vous et rejetez-vous la prière du coeur parce que vous pensez que Dieu n'entend pas la prière adressée secrètement du fond du cœur, et qu'il n'existe que la prière prononcée par les lèvres. Mais cela aussi est sacrilège, car Dieu connaît tous les cœurs et il connaît les plus délicates pensées contenues dans chaque cœur comme celles qui ne sont pas encore nées. Il connaît tout, étant toute sagesse. Lui-même réclame cette prière secrète, jaillie des profondeurs du cœur, comme un sacrifice pur et sans tache, quand Il nous dit : « Pour toi, lorsque tu veux prier, retire-toi dans ta chambre, ferme la porte et prie ton Père qui habite dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra » (Mat. 6.6). Dans sa neuvième homélie sur l'Evangile de Saint Matthieu, Saint Jean Chrysostome, la bouche du Christ, la lumière du monde et le docteur de l'univers, déclare que ces paroles ne s'appliquent pas à la prière prononcée par les lèvres, mais à la prière très secrète et silencieuse jaillie du fond du cœur. Il nous instruit de la dire non seulement avec notre corps, par la bouche, mais aussi dans la plus grande attention, en toute quiétude et contrition de l'âme, dans les larmes intérieures et les douleurs de l'esprit, toutes portes de l'intellect étant fermées. Et pour justifier cette prière secrète, il cite les Saintes Ecritures, Moïse, celui qui a vu Dieu, Anne la Sainte et Abel le Juste et dit : « Vous souffrez en vous-mêmes et vous ne pouvez vous empêcher de crier ? Mais il est normal pour celui qui souffre avec une telle douleur, de prier et de supplier comme je l'ai dit. Car Moïse aussi a souffert et il a prié de cette manière et a été entendu ; ainsi Dieu lui demande : « Pourquoi cries-tu vers moi ? » ( Ex. 14, 15). Et Anne aussi, dont on n'entendait pas la voix, a vu l'accomplissement de ce qu'elle désirait quand son cœur a crié ( 1 Sam. 1.13). Abel n'a pas seulement prié en silence, il a continué quand la mort est venue et son sang versé poussait un cri plus clair que le son de la trompette ( Gen. 4 . 10). Vous aussi, criez comme ce Saint, je ne vous l'interdis pas. Le prophète l'a ordonné : « Déchirez votre cœur et non vos habits » ( Joël 2, 13). Des profondeurs, invoquez Dieu, car il est dit : « Des profondeurs, je crie vers toi ô Dieu » ( Ps. 130.1). Du fond de votre cœur, faites entendre votre voix, que votre prière soit mystère ». Et ailleurs le même Saint dit encore : « Car ce n'est pas aux hommes que vous adressez votre prière, mais à Dieu qui est partout présent, qui entend avant les paroles, et connaît les secrets de l'esprit. Si vous priez ainsi, vous serez grandement récompensés ». Et encore : « Comme il est lui-même invisible il souhaite que votre prière aussi soit invisible » ( Hom. 19.4). Vous le voyez donc, mes amis, le pilier insurpassable de l'orthodoxie en témoigne, il existe bien une autre prière que celle que les lèvres seules peuvent dire ; celle-là est secrète, invisible, sans voix et elle est adressée à Dieu du plus profond du cœur. Dieu l'accepte comme un sacrifice pur, comme l'arôme d'un parfum spirituel ; elle Le réjouit car il voit l'intellect tourné vers Lui comme il doit l'être et qui se joint à Lui par la prière. Je suis pris de crainte et de tremblement à la pensée de vos folles accusations ! Mais je voudrais encore vous demander ceci : blasphémez-vous contre la sainte prière après avoir vu ou entendu quelqu'un qui l'aurait pratiquée et qui aurait perdu la tête, aurait été affecté par telle ou telle illusion ou serait tombé spirituellement malade ? En auriez-vous conclu que la prière du cœur en est la cause ? Mais non ! La sainte prière du cœur, qui naît de la Grâce de Dieu, purifie l'homme de toutes les passions et le rend fort par le respect des commandements divins. Elle le rend invulnérable aux attaques de l'ennemi et à toute illusion. Si quelqu'un ose faire l'expérience de la prière du cœur de façon arbitraire, sans l'appui des enseignements des Pères et sans le conseil et l'aide d'un père spirituel, si un tel homme est, de plus, arrogant, passionné et faible dans sa foi, vivant sans être astreint à l'obéissance, peut-être même en ermite solitaire (…) - je déclare que celui-là tomberait vite dans les pièges du démon, sources de toutes les illusions. Pourquoi ? Cette prière pourrait-elle être source de telles illusions ? Jamais de la vie ! Si vous vous méfiez de la prière du cœur à cause de cela, vous pouvez tout autant vous méfier du couteau avec lequel un jeune enfant peut se blesser en jouant, dans son inconscience. Il faudrait alors interdire aux hommes de guerre de porter le glaive, de peur qu'un bretteur étourdi ne se perce de son arme. Mais, de même que ni le couteau ni le glaive ne sont coupables du mal qu'ils infligent, de même la sainte prière de l'intellect, qui est le glaive spirituel, est libre de tout reproche. Le péché réside dans l'arbitraire et dans l'orgueil de ceux qui se fient à eux-mêmes ; le résultat est l'égarement qui vient du démon et l'épreuve de toutes sortes de souffrances spirituelles. Mais pourquoi prendrais-je tant de peine à vous demander les raisons de votre blasphème sur la sainte prière ? Car je connais bien, mes amis, la cause primordiale de votre blasphème. Il y a d'abord votre lecture des Saintes Ecritures qui n'est pas faite selon les commandements du Christ, car vous ne les pratiquez pas ; il y a aussi votre dédain des enseignements des Saints Pères à propos de la prière du cœur ; il y a ensuite votre parfaite ignorance des écrits de ces Pères que vous n'avez peut-être même jamais fréquentés et dont vous n'avez en tout cas pas compris quel pouvoir a la parole, pleine de sagesse divine – là réside la cause de vos déclarations erronées. Si vous aviez lu les textes des Pères, qui contiennent toute la sagesse de la vie Evangélique et sont si essentiels à la vie spirituelle des moines et à la direction de leurs pensées, si dans la crainte de Dieu et avec grande attention, imprégnés de foi et d'humilité vous aviez lu diligemment ces textes, Dieu n'aurait jamais permis que vous tombiez dans les gouffres du blasphème. Il vous aurait tout au contraire fait participer au feu divin de sa Grâce et, par cette activité de la prière, tourné vers son amour inexprimable, si bien qu'avec l'Apôtre vous auriez pu vous exclamer : « Qui nous séparera de l'amour du Christ » ( Rom. 8.35). Et non seulement vous ne blasphémeriez plus mais vous lui présenteriez une âme très docile, ayant découvert en acte et par expérience les bienfaits inexprimables qu'elle retire de cette concentration spirituelle. Origine et preuves scripturaires de la prière du cœur Il faut savoir, continue Païssius, que chez les Pères il existe deux types de prière du cœur. L'une est pour ceux qui débutent et correspond à l'action ; l'autre est pour ceux qui ont atteint la perfection et correspond à la vision ( ou à la contemplation). L'une est le commencement et l'autre est la fin, car l'action permet d'accéder à la vision. Selon Saint Grégoire du Sinaï, il existe huit visions essentielles, qu'il énumère ainsi : « La première concerne Dieu qui est sans image et sans origine, non-créé, cause de tout, Unité Trine, Divinité suressentielle ; la seconde vision est l'ordre des puissances intellectives ; la troisième embrasse tout ce qui existe ; la quatrième vision est la descente pleine d'attention du Verbe ; la cinquième vision est la résurrection universelle ; la sixième vision est le Second et Redoutable Avènement du Christ ; la septième vision est la souffrance éternelle ; la huitième vision est le Royaume Céleste éternel ». Je vais maintenant tenter d'expliquer, si mon faible esprit le permet, comment il convient de comprendre l'action et la vision. Il faut savoir, et c'est vrai pour les simples moines comme moi-même, que tout le labeur monastique par lequel, avec l'aide de Dieu, on s'efforce d'atteindre l'amour de Dieu et du prochain, la douceur, l'humilité, la patience et le respect de tous les commandements, l'obéissance de l'âme et du corps afin de plaire à Dieu, le jeûne, la veille, les larmes, les prosternations et toutes les formes d'épreuves du corps, l'observation attentive des règles de l'église et de la cellule, l'exercice secret de la prière mentale, la lamentation et la contemplation de la mort – tout cet effort est dénommé action, tant que l'intellect est dirigé par le choix libre et souverain de l'homme. Il ne peut en aucun cas être appelé vision. Si, en certains endroits, les Pères ont pu appeler vision l'ascèse de la prière du cœur, ils se sont alors servi du langage courant, comme lorsque l'intellect, étant l'oeil de l'âme, est appelé vision. Si maintenant avec l'aide de Dieu dans la prière, quelqu'un purifie avec parfaite humilité son âme et son cœur des passions malignes de l'esprit et du corps, la Grâce de Dieu, mère de tous, prend l'intellect qu'elle a lavé comme un petit enfant par la main et lui fait gravir les degrés de la vision spirituelle qu'on vient d'énumérer. La Grâce de Dieu révèle à l'intellect, selon le degré de sa purification, les mystères divins indicibles et incompréhensibles ; c'est ce qu'on appelle une vision spirituelle véritable. Tel est, d'après Saint Isaac le Syrien, la prière pure, et d'elle viennent l'illumination et la vision. Il est impossible à quiconque d'accéder tout seul à de telles visions par son effort volontaire, si Dieu ne le visite pas et ne le conduit pas jusqu'à elles par sa Grâce. Si quelqu'un osait s'élever vers de telles visions sans la Grâce de la lumière divine, celui-là, nous dit Saint Grégoire du Sinaï, ne ferait que rêver et serait égaré par l'esprit de songerie. (…) Venons en maintenant à l'origine de la prière du cœur. Il faut savoir que selon le très sage et divin Père Nil, le Jeûneur du Sinaï, Dieu a donné lui-même au premier homme du Paradis la prière du cœur, celle qui convient à un homme parfait. Saint Nil dit : 'Après avoir prié, il faut vous attendre à tout recevoir ; mais restez fermes et gardez le fruit de votre prière. C'est à quoi vous êtes destinés depuis les premiers temps – à cultiver et à garder. Ayant cultivé, ne laissez pas ce que vous avez cultivé sans en assurer la garde. Si vous n'appliquez pas cela, vous ne trouverez aucun es pensées malignes qui peuvent suivre la prière. De même le vénérable Dorothée dit que le premier homme, quand il fut établi par Dieu au Paradis, restait constamment en prière. D'après ces témoignages, nous voyons que Dieu, qui a créé l'homme à son image et à sa ressemblance, l'a établi au Paradis des délices afin qu'il cultive les jardins de l'immortalité, que Saint Grégoire le Théologien appelle encore les pensées divines très pures, très hautes et parfaites. Car il était prescrit au premier homme, doté d'un cœur pur et d'une âme pure, de rester sans cesse dans la grâce de la prière-vision, dirigé par le seul intellect, dans la douce vision de Dieu, et de conserver précieusement cette activité céleste, comme la prunelle de l'oeil, afin qu'elle ne quitte jamais son âme et son cœur. Cette prière acquit une gloire incomparablement plus grande quand la Très Sainte Vierge, plus sainte et plus vénérable que les chérubins, et plus glorieuse incomparablement que les séraphins, résidant dans le Saint des Saint et ayant accédé grâce à la prière du cœur aux sommets de la vision divine, a été choisie pour être la vaste demeure de Dieu le Verbe, que la création entière ne saurait contenir. En témoigne Saint Grégoire Palamas, dans son Homélie sur l'Entrée au Temple de la Très Sainte Mère de Dieu. Etant restée dans le Saint des Saints, et ayant appris des Saintes Ecritures la déchéance fatale de la race des hommes, causée par la désobéissance, la Très Sainte Vierge fut pleine de compassion et adressa sa prière mentalement à Dieu afin qu'il accordât promptement son pardon et sauvât la race humaine. Voici ses propres paroles, qui valent autant que la sagesse des anges : Quand l'enfant divine vit et entendit ce qui se passait, elle fut prise d'une grande compassion pour la race des hommes et, cherchant, pour la guérir et la redresser, un moyen qui répondît à l'étendue de ses souffrances, il lui fut nécessaire de s'adresser directement à Dieu de tout son intellect, priant pour nous afin de contraindre Celui qui ne peut être contraint et de le conduire à nous, pour que lui-même annule la condamnation et qu'ayant guéri ce qui était affligé, Il établisse un lien avec la création'. Et plus loin : « Ne pouvant rien trouver de plus approprié à l'homme que cette prière et s'attachant fermement à prier de toutes ses forces, la Vierge acquit le silence sacré qui est très nécessaire à ceux qui prient. Toute autre vertu est comme une cure pour les afflictions spirituelles et les passions malignes nées de la lâcheté de l'âme, tandis que la vision de Dieu est le fruit d'une âme saine, qui atteint à la perfection ultime. Nous ne pouvons être déifiés par des paroles ou des actions visibles désirées et prévues, car tout cela est terrestre et humain ; nous pouvons l'être en maintenant le silence pour lequel nous rejetons ce qui est de ce monde et nous en délivrons, montant ainsi vers Dieu. Résidant sur les sommets d'une existence silencieuse, pratiquant patiemment, jour et nuit, la prière et l'adoration, nous nous approchons de l'inapprochable et sainte Essence. De cette manière, pratiquant patiemment la prière, éclairée de la lumière infiniment supérieure à l'intellect et aux sens, nous voyons Dieu en nous-mêmes comme en un miroir, ayant purifié notre cœur par le silence sacré'. Et encore : 'C'est pourquoi la Très Pure, ayant rejeté le monde et ses soucis, s'est éloignée de tout pour mener une vie recluse et cachée de tous, demeurant inaccessible. Arrivée à ce stade, ayant renoncé à tous biens matériels, à tout commerce humain et à tout attachement pour les choses, et ayant surmonté toute complaisance envers son corps, elle rassembla et unit en Lui son intellect, par l'application, l'attention et la prière divine ininterrompue. S'étant placée elle-même au-delà de toute vicissitude et de toute pensée grâce à la prière qui était en elle, elle ouvrit vers les cieux une voie nouvelle et indicible qui est, si je puis dire, le silence de la pensée. Se concentrant en Lui, elle surpasse mieux encore que Moïse toutes choses créées, voit la Gloire de Dieu, contemple la grâce divine qui n'est en aucune mesure sujette au pouvoir des sens. Elle participe ainsi à la vision joyeuse et sainte des âmes et des intellects non souillés et, y participant, elle est la nuée lumineuse de l'eau vive, l'aube du jour de l'intellect et le char embrasé du Verbe.' Lorsqu'elle résidait dans le Saint des Saints, la Très Sainte Vierge eut accès, grâce à la sainte prière, aux sommets où Dieu peut être contemplé ; elle-même est devenue l'exemple d'une vie toute attentive à l'homme intérieur. Elle y parvint en renonçant au monde pour le Salut du monde, en gardant le silence sacré de l'esprit et le silence de toutes les pensées, dans la prière incessante et la concentration de l'esprit, et enfin en s'élevant, par l'action, vers la vision de Dieu. De la sorte, tournant leur regard vers elle, ceux qui renoncent au monde peuvent entreprendre les mêmes efforts mentaux, s'efforçant de suivre son exemple grâce à ses prières. Et qui peut dignement glorifier la divine prière du cœur, que la Mère de Dieu elle-même a pratiquée, instruite et guidée par le Saint Esprit ? Néanmoins, afin que tous les sceptiques puissent avoir confirmation et vérifier ce qui précède, il est temps de révéler les preuves que l'on peut trouver dans les Saintes Ecritures, telles qu'elles sont citées par les Saints Pères qui ont écrit, guidés par la lumière de la Grâce de Dieu. La divine prière du cœur est fondée de façon inébranlable sur les paroles du Seigneur Jésus : 'Pour toi, lorsque tu veux prier, retire-toi dans ta chambre, ferme la porte et prie ton père qui habite dans le secret ; ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra'. (Mat.6.6). Comme nous l'avons déjà établi, Saint Jean Chrysostome explique que ces paroles font référence au silence et à la prière secrète qui s'élève du fond du cœur. Ecoutons Saint Basile le Grand, pilier flamboyant, bouche ardente du Saint Esprit et œil de l'Eglise, commenter ces paroles tirées des Saintes Ecritures : ' Je bénirai Dieu en tout temps ; sa louange sera toujours dans ma bouche' (Ps. 34.2). Il nous parle magnifiquement de la parole et de l'action qui sont toute pensée, c'est-à-dire de la prière du cœur. Je le cite : 'Sa louange sera toujours dans ma bouche. Ce que dit le prophète semble impossible : comment la louange de Dieu pourrait-elle être continuellement dans la bouche de l'homme ? A cela nous répondons qu'il existe dans l'homme intérieur une bouche qui est toute pensée, par laquelle il participe au Verbe vivifiant de Dieu, qui est le pain descendu des Cieux. Le prophète parle en ces termes de cette bouche : j'ouvre la bouche et je soupire ( Ps. 119. 131). Dieu lui aussi nous demande de garder cette bouche ouverte afin de recevoir la véritable nourriture : Ouvre ta bouche et je la remplirai ( Ps 81. 11). Une pensée sur Dieu, dès qu'elle est formée et imprimée dans l'intellect, est cette louange qui demeure continuellement dans l'âme. Et, d'après les paroles de l'Apôtre, l'homme diligent en vient à tout faire pour la gloire de Dieu. Car chaque activité, chaque mot, chaque réflexion possède la force de la glorification. Quiconque est vertueux, quand il mange, boit et fait toute chose, agit pour la gloire de Dieu. Même lorsqu'il est endormi, son cœur reste attentif.' Ces paroles de Saint Basile expliquent clairement qu'à côté de la bouche du corps il existe aussi une bouche de l'intellect et une glorification qui proviennent de l'homme intérieur. Le grand Macaire, dont le nom est synonyme de béatitude – Macaire, en grec Macarios, veut dire « bienheureux »- et qui est le soleil de l'Egypte ou plutôt de tout l'Univers, ayant surpassé le soleil en brillant de tous les dons du Saint Esprit, a dit à propos de la prière du cœur : ' Le chrétien doit toujours garder la mémoire de Dieu, car il est écrit : Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur' ( Mat. 6.21). Et le vénérable et théophore Saint Isaïe le Jeûneur cite ces paroles des Saintes Ecritures comme preuve de l'instruction intérieure, c'est-à-dire de la prière du cœur, pratiquée par l'intellect dans le cœur : ' Mon cœur brûlait au-dedans de moi ; tandis que je méditais, un feu me consumait.' ( Ps. 39.4). Le vénérable Syméon, qui a brillé comme le soleil dans la cité royale grâce à la prière du cœur et aux dons indicibles du Saint Esprit, qui lui ont valu, de la part de l'Eglise, le nom de Nouveau Théologien, a écrit dans son ouvrage sur les trois types de prières : ' Nos Saints Pères ont appris du Seigneur comment du cœur naissent les mauvaises pensées, le meurtre, l'adultère, l'impudicité, le vol, le faux témoignage, la calomnie et toutes choses qui souillent l'homme ( Mat. 23.19) ; ils ont aussi appris qu'il faut d'abord nettoyer l'intérieur de la coupe et du plat, afin que l'extérieur aussi devienne pur ( Mat. 23. 26). Ayant donc abandonné la pensée de toute autre activité, ils se sont appliqués à préserver leur cœur pur, conscients qu'ils sont que, par la garde du cœur, ils pourront accomplir aisément toutes choses, car sans un cœur pur, il n'y a pas de vertu durable'. Ces paroles du vénérable Syméon indiquent que pour les Pères, les paroles du Seigneur citées ci-dessus confirment et fondent même la garde du cœur, c'est-à-dire l'invocation mentale du nom de Jésus. Le même vénérable Syméon cite encore en preuve de la divine prière du cœur ces paroles des Saintes Ecritures : ' Jeune homme, réjouis-toi dans ta jeunesse, marche dans les voies de ton cœur et selon les regards de tes yeux(...). Bannis de ton cœur le chagrin' ( Eccl. 12.12). ' Si l'esprit de celui qui domine s'élève contre toi, ne quitte point ta place'. ( Eccl.12.12). ' Si l'esprit de celui qui domine s'élève contre toi, ne quitte point ta place'. ( Eccl. 10.4). L'Apôtre pierre dit : ' Soyez sobres, veillez. Votre adversaire, le diable, rôde comme un lion rugissant, cherchant qui il dévorera' . (1 Pi. 5.8). Et l'Apôtre Paul écrit aux Ephésiens, en se référant à la vigilance du cœur : ' Car nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres' ( Eph. 6.12). Le vénérable presbytre Hésychius, le théologien et maître de l'Eglise de Jérusalem, a écrit un livre en deux cents chapitres sur l'invocation du nom de Jésus dans le cœur. Il cite ces passages des Saintes Ecritures : « Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu ! » ( Mar. 5.8) et encore : ' Garde-toi, de crainte qu'il n'y ait une parole cachée dans ton cœur, une iniquité' ( Deut. 15.9). L'Apôtre dit : ' Priez constamment' ( 1 Thess.5.17) et le Seigneur lui-même dit : ' Celui qui demeure en moi et moi en lui porte beaucoup de fruit, car sans moi vous ne pouvez rien faire' ( Jn 15.5). Notre divin et théophore Père Jean Climaque tire des Saintes Ecritures la preuve suivante de la prière sainte et du véritable silence : ' Celui qui fut le plus grand dans l'accomplissement de la prière parfaite a dit : J'aime mieux dire cinq paroles avec mon intelligence, afin d'instruire aussi les autres, que dix mille paroles en langues ( 1 Cor. 14.19). Je dors, mais mon cœur veille ( Cant. 5.2) ; et encore : Je t'invoque de tout mon cœur. ( Ps. 119. 145). Notre père divin et théophore, Grégoire du Sinaï, qui s'est élevé à la vision suprême de Dieu dans la sainte prière, au Mont Athos et en d'autres lieux, a écrit avec l'aide de la sagesse divine des Hymnes trinitaires qui sont chantés toutes les semaines dans le monde entier ; il a aussi composé le Canon de la Vivifiante Croix et il cite à propos de la prière du cœur les Saintes Ecritures : ' Souviens-toi du Seigneur ton Dieu' ( Deut. 8.18) et : « Dès le matin sème ta semence et le soir ne laisse pas reposer ta main' ( Eccl. 11. 6). ' Car si je prie en langue, mon esprit est en prière, mais mon intelligence demeure stérile. Que faire donc ? Je prierai par l'esprit, mais je prierai aussi avec l'intelligence(...). J'aime mieux dire cinq paroles avec mon intelligence, afin d'instruire aussi les autres, que dix mille paroles en langues' ( 1 Cor. 14. 14-19). Pour preuve, il cite Saint Jean Climaque qui associe ces paroles à la prière du cœur. Le très saint, très sage et très érudit Marc, métropolite d'Ephèse, a suivi les pas des Apôtres ; il fut le pilier inébranlable de la foi orthodoxe et, au concile de Florence, détruisit, telle une toile d'araignée, les hérésies pneumatomaques des Latins au moyen de l'épée flamboyante de l'Esprit et du dogme orthodoxe de vérité. A propos de la prière du cœur, il s'écrie : « Il faudrait, selon le commandement, prier sans cesse et vénérer Dieu en esprit et en vérité. Toutefois l'inclination vers les pensées du monde et le fardeau des soucis du corps séparent et éloignent beaucoup d'hommes du Royaume de Dieu qui existe en nous ; tout cela nous empêche d'être présents à l'autel de l'intelligence et d'apporter à Dieu les sacrifices en esprit et en paroles comme le divin Apôtre nous y invite, lui qui a dit que nous sommes les temples du Dieu qui habite en nous et que son divin Esprit aussi habite en nous. Il n'y a rien d'étonnant que cela arrive à beaucoup de ceux qui vivent selon la chair, puisque nous voyons des moines qui ont renoncé au monde et sont possédés en pensée par l'agitation des passions. Ceux-la sont plongés dans des abîmes d'angoisse qui assombrissent la part intellective de leur âme ; ils sont alors incapables d'accéder à la véritable prière, malgré tout leur désir d'y parvenir. Très doux est le rappel pur et constant du nom de Jésus, qui émane du cœur, et conduit à l'illumination indicible'. L'art spirituel.bien Il faut savoir, dit toujours Païssius, que les Pères divins dénomment art cette pratique mentale de la prière. Ainsi Saint Jean Climaque, dans sa vingt-troisième homélie Sur le silence : « Si vous avez maîtrisé cet art, vous savez de quoi je veux parler : Assis dans les hauteurs, observez si vous le pouvez, et vous verrez quand, comment, d'où, en quel nombre et de quelle espèce sont les voleurs qui viennent dérober les récoltes. Gagnée par la fatigue, la sentinelle se relève et prie, puis s'assied à nouveau et reprend son activité première. Saint Hésychius dit à propos de la sainte prière : ' Avoir une intelligence sobre est un art spirituel qui, avec l'aide de Dieu, libère totalement des passions en pensée et en parole ainsi que des actions mauvaises'. Saint Nicéphore le Jeûneur dit aussi : ' Venez à moi et je vous révélerai l'art, ou plutôt la science, de la vie céleste éternelle ; celui qui la mène parvient, sans peine et sans sueur, dans le refuge de l'impassibilité'. Je crois que ces pères parlent de la sainte prière comme d'un art parce que, de même que l'art ne peut s'apprendre que d'un artiste, de même la pratique de la prière du cœur ne peut s'apprendre que d'un père spirituel. Selon Saint Nicéphore, la maîtrise de cette pratique vient à la plupart, voire à tous, par l'apprentissage. A quelques personnes cependant, Dieu l'a révélée sans cet apprentissage, par les épreuves et le zèle de la foi. Apprentissage Saint Syméon le Nouveau théologien, poursuit Païssius, dit à propos de la prière du cœur : ' C'est en gardant le cœur par l'intellect et en adressant notre prière à Dieu du plus profond du cœur que l'attention vraie et sans distraction est atteinte. L'intellect goûte alors combien le Seigneur est bon et ne souhaite plus quitter ce refuge du cœur, disant avec les Apôtres : Il est bon pour nous d'être ici. Dans cette disposition, l'intellect chasse toute pensée semée par l'ennemi'. Plus loin il s'exprime en termes plus précis : ' Assieds-toi dans une cellule silencieuse, dans un coin solitaire et suis attentivement ce que je vais te dire : ferme la porte, détourne de ton intelligence toute distraction et laisse reposer ta barbe sur ta poitrine fixant de ton œil sensible la même ligne que ton intellect. Ralentis ta respiration, afin de ne pas respirer trop librement. Efforce-toi par ton intelligence de déterminer dans ta poitrine la place du cœur, où toutes les puissances spirituelles aiment à se rassembler et où tu vas d'abord trouver des ténèbres et des choses viles interminablement. Mais si tu continues à pratiquer cette action jour et nuit, tu acquerras – ô merveille- la joie permanente. Car dès que l'intellect trouve la place du cœur, il voit ce qu'il n'avait jamais vu : il voit de l'air au milieu du cœur et lui-même est irradié et en pleine réflexion. A partir de ce moment, quelle que soit la provenance de toute pensée, avant qu'elle ne devienne une action ou une idole, l'intellect l'expulse en invoquant le nom de Jésus Christ, et la détruit. Parvenu à ce stade, l'intellect s'oppose au démon ; il élève contre lui une colère naturelle et renverse ses adversaires en les expulsant. Tu en apprendras plus sur la garde du cœur en pratiquant toi-même la prière du cœur' ( Sur les trois formes de la concentration et de la prière). Le vénérable Nicéphore le Jeûneur enseigne avec grande clarté comment faire descendre l'intellect dans le cœur :' Fais d'abord le silence autour de toi, débarrasse-toi de tous soucis et sois en paix avec tous. Retiré dans ta cellule, ferme la porte, assieds-toi dans un coin et fais ce que je te dis. Tu sais qu'en respirant nous inhalons de l'air et nous l'exhalons pour répondre aux besoins du cœur, car le cœur est la source de la vie et de la chaleur du corps. Cet organe capte de l'air afin d'expulser sa chaleur par la respiration et recevoir de l'air frais pour lui-même. Cette activité est effectuée par les poumons qui ont été faits poreux par le Créateur et constamment , comme une fourrure, aspirent et rejettent l'air. Le cœur remplit ainsi la fonction pour laquelle il a été créé, pour le bien-être de l'organisme. Reste donc assis et rassemble ton intellect pour le conduire par la voie qu'emprunte l'air et oblige-le à descendre jusqu'au cœur avec l'air inhalé. Quand il y entre, ce qui arrive n'est pas source de tristesse (…). Il faut, mon frère, entraîner ton intellect à ne pas s'en échapper trop vite, car il est initialement oppressé par cette réclusion et cette mise à l'étroit. Lorsqu'il y est habitué, il ne souhaite plus se trouver ailleurs, car le Royaume des Cieux est en nous. Quand nous le cherchons et le contemplons par la prière du cœur, tout ce qui est extérieur nous paraît laid et détestable. Si donc tu entres immédiatement avec ton intellect dans la place du cœur ainsi que je te l'ai expliqué, rends grâce à Dieu, glorifie-Le et réjouis-toi. Persévère toujours dans cette activité et je t'enseignerai ce que tu ne connais pas. Sache aussi que quand ton intellect est dans cette disposition, il ne doit pas rester vain et inactif, mais doit répéter constamment cette prière : Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi. L'intellect échappe ainsi à l'exaltation de soi, il se rend inaccessible et invulnérable aux traits de l'ennemi et s'élève dans l'amour de Dieu et le désir divin. Si, ayant accompli beaucoup d'efforts, tu ne peux pénétrer le domaine du cœur, fais ce que je te dis, et avec l'aide de Dieu, tu obtiendras ce que tu recherches. Sais-tu que la source de toutes nos pensées se trouve dans la poitrine ? Là justement, même quand notre bouche est close, nous parlons, discutons, disons des prières et faisons toute sorte de choses. Ayant éloigné toute pensée ( à cela tu peux parvenir si tu veux), fais en sorte que cette source du raisonnement dise : Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi. Oblige-toi à dire intérieurement ces paroles seulement, et aucune autre. Si tu persistes pendant un certain temps, l'entrée du cœur s'ouvrira certainement à toi, comme je te l'ai écrit et comme j'en ai fait moi-même l'expérience. Cela te sera accordé avec la concentration douce et tant désirée et avec toutes les vertus : l'amour, la joie, la paix...' Le divin Grégoire du Sinaï enseigne lui aussi : ' Assis depuis le matin sur le bord de ta chaise, fais descendre ton intellect dans le cœur et maintiens-le en cette disposition. Incline-toi vers le sol avec concentration ; la poitrine, les épaules et le cou te feront mal ; répète alors sans cesse de toute ton âme : Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi. Quand la fréquence des paroles répétées deviendra trop astreignante et pénible, voire même perdra de sa douceur – ce qui ne vient pas de la monotonie d'une nourriture toujours identique, car il est dit : Ceux qui me mangent auront encore faim ( Sir. 24.23)- oriente ton intellect vers la deuxième moitié de la prière et dis : Fils de Dieu, aie pitié de moi. Répète ces paroles de nombreuses fois, même si la lassitude ou la paresse gagnent, car les arbres qui sont trop souvent transplantés ne peuvent prendre racine. Contrôle également la respiration de tes poumons, afin qu'elle ne soit pas complètement libre. Car la respiration de l'air qui vient du cœur assombrit l'intellect et l'empêche d'y descendre, dispersant toute pensée. Eloignant du cœur l'intellect, elle le rend captif de l'oubli et le pousse à enregistrer autre chose que ce qu'il devrait ; il devient inapte à capter les sensations comme il devrait. Ne sois pas horrifié ou surpris de voir apparaître les impuretés des esprits malins, sous forme de pensées qui naissent ou sont transformées dans ton intellect. Si la simple compréhension de certaines choses t'apparaît, n'y attache pas d'attention, ralentis ta respiration autant que tu peux et maîtrise ton intellect dans le cœur ; en répétant sans cesse ton invocation au Seigneur Jésus, tu parviendras à les éliminer et à les consumer en les frappant du nom divin. Car Saint Jean Climaque dit : Frappe les combattants avec le nom de Jésus, car il n'y a pas d'arme plus forte sur terre comme au ciel'. Le même saint continue à propos du silence et de la prière : ' Reste assis, sois patient, si tu veux connaître ce que je viens de te dire. Persiste dans la prière et ne te relève pas trop tôt, même si tu te sens affaibli par les douleurs de l'effort, par la supplication mentale et par l'élévation fréquente de l'esprit. Incline plutôt ta tête, rassemble ton intellect dans le cœur et appelle à l'aide le Seigneur Jésus. Si tu ressens des douleurs dans les épaules et des maux de tête, endure tout cela et cherche le Seigneur dans ton cœur, car il t'a été donné de connaître le Royaume des Cieux et qu'on donnera à celui qui a et qu'il sera dans l'abondance ( Mat. 13. 12).' le même Père Saint nous dit quelles formules utiliser : ' Certains Pères disent la prière entière : Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi. Un autre n'en dit que la moitié : Jésus, Fils de Dieu, aie pitié de moi, et celle-ci peut être mieux adaptée à cause de l'état encore infantile de l'intellect et de ses faiblesses ; car personne ne peut prononcer de lui-même en toute pureté et en toute perfection le nom du Seigneur Jésus dans le secret, sans le Saint Esprit (…). Certains enseignent la prière dite par les lèvres et d'autres la prière dite par l'intellect ; je considère que les deux sont nécessaires. Car il arrive que parfois les lèvres, gagnées par le désespoir, se fatiguent de la prononcer, tandis que d'autres fois c'est l'intellect qui se fatigue. Il est nécessaire néanmoins de supplier en silence et malgré tous les obstacles, afin que le discernement de l'âme et la concentration de l'intellect – qui peut être inhibé par la voix- ne cessent pas, jusqu'à ce que l'intellect s'habitue à cet état, réussisse intensément et en toutes circonstances. Il ne lui sera plus nécessaire alors de parler par les lèvres, car celui qui sait prier parfaitement avec l'intellect ne connaît plus d'autre prière.' Des passages que nous venons de citer, il ressort que les Pères offrent un enseignement parfaitement clair pour apprendre la pratique de la prière du cœur. Bien d'autres Pères ont parlé de la prière du cœur, mais sans néanmoins s'exprimer avec une pareille clarté ». Guerre russo-turque ; persécutions Comme Païssius et ses frères travaillent à restaurer la vie monastique en Moldavie selon la tradition authentique de la Sainte Eglise orthodoxe, la région devient à nouveau la scène de grandes violences. En 1768 éclate la guerre entre la Russie et la Turquie. Les habitants de Moldavie et de Valachie sont contraints de s'enfuir pour échapper aux Turcs et aux Tatars. Comme toujours dans leur histoire, ils se réfugient dans les montagnes, au plus profond des forêts. Le monastère de Dragomirna, particulièrement bien protégé, sert encore une fois de refuge pour la population en fuite. Comme c'est l'hiver et que la plupart des réfugiés sont démunis, Païssius fait libérer la moitié des bâtiments du monastère afin de les loger ; les moines sont regroupés à plusieurs par cellule dans les autres bâtiments. Les cuisines et le réfectoire du monastère sont constamment occupés à nourrir les nécessiteux. La guerre dure six ans, jusqu'en 1774, quand les armées russes repoussent les Turcs hors de Moldavie. Mais à peine les troupes russes se sont-elles retirées que Marie-Thérèse d'Autriche s'empresse d'annexer la Bucovine et le nord de la Moldavie, territoire que le sultan lui avait promis en échange de l'aide apportée pendant la guerre avec la Russie. Le prétexte est habile. Ce que l'Autrichienne vise, c'est à établir l'ordre de son empire sur une riche région qui depuis plusieurs siècles accueille les paysans de Transylvanie fuyant le servage imposé par les seigneurs hongrois et saxons et les persécutions contre leur foi orthodoxe. A Dragomirna, Païssius n'est pas tant affligé par les méfaits des guerres que par les pressions que l'Eglise de Rome, utilisant le bras armé de l'Autriche, cherche à exercer sur les chrétiens orthodoxes. Un moine moldave, le Père Jean, rapporte les appréhensions de Païssius face aux Latins : « L'ancien craint tant les hérésies et les schismes qu'il impose le baptême à tous les convertis, de quelque église latine qu'ils viennent. Son zèle est tel qu'après la guerre, comme le monastère de Dragomirna tombe sous l'autorité des autrichiens, il décide de tout abandonner là pour gagner le sud de la Moldavie. Il annonce à ses frères : ' Celui qui veut m'obéir et me suivre, qu'il vienne avec moi. A aucun de vous je ne donnerai ma bénédiction pour rester à Dragomirna !' Pour prévenir ses frères des hérésies et des schismes, Païssius leur conseille de s'en remettre en tout aux très saints Patriarches Oecuméniques d'Orient et de vénérer les zélotes de la piété, le très Saint Photios, Patriarche de Constantinople, et Saint Marc, métropolite d'Ephèse, qui ont eu tous deux à s'opposer au pape de Rome ». Sékoul Païssius et ses frères en appellent au métropolite de Moldavie et au prince moldave Grégoire Ghica, expliquant les raisons qui les obligent à quitter Dragomirna. Le prince, informé du zèle et de la piété de Païssius, lui offre immédiatement de venir s'installer avec ses frères au monastère de Sékoul, dans les montagnes carpates du sud de la Moldavie. Païssius remercie le prince de son aide et, ayant reçu l'autorisation du métropolite, il gagne Sékoul avec un premier groupe de moines. Il laisse en effet à Dragomirna la plupart de ses moines avec un père spirituel moldave et un père spirituel russe. Ceux-ci les rejoindront avec les trésors de leur église une fois le premier groupe arrivé. En octobre 1775, la communauté se trouve à nouveau réunie ; elle compte alors trois cent cinquante frères, novices compris. Le monastère de Sékoul, qui est entouré de hautes montagnes couvertes de forêts, est dédié à saint Jean Baptiste. L'Ancien Païssius et ses frères rendent grâce à Dieu de les avoir menés en un lieu si paisible après les épreuves qu'ils ont traversées. La vie monastique reprend, suivant les mêmes règles qu'à dragomirna : pauvreté, obéissance, confession fréquente et strict attachement à la communauté. Pendant les mois d'hiver, Païssius rassemble tous les soirs ses frères au réfectoire afin de leur lire les textes des Pères et continuer à les instruire dans l'observation des commandements divins, l'obéissance, l'humilité et la crainte de Dieu. Les travaux de traduction reprennent aussi. Païssius a même le projet de fonder une école où serait enseigné aux jeunes moines le grec ancien. En attendant, il envoie ses disciples les plus disposés étudier le grec à Bucarest. Niamets La place cependant manque à Sékoul et il faut construire de nouvelles cellules : certaines sont attachées au monastère, d'autres sont de simples skites isolées en forêt. Comme de nouveaux moines arrivent toujours plus nombreux, Païssius se décide à demander une aide matérielle au prince Constantin qui a succédé à Grégoire. Or ce dernier va au-delà des demandes de Païssius qui désire seulement avoir les moyens de construire de nouvelles cellules à Sékoul. Constantin et ses boyars se mettent au contraire en tête de faire déménager la communauté au célèbre Monastère de Niamets, où se trouve une icône miraculeuse de la Très Sainte Mère de Dieu. Païssius est affligé d'une telle intention qui devient bientôt un ordre. A Sékoul régnait la paix recluse qui convient parfaitement à la vie monastique selon son cœur ; or Niamets est un monastère plus grand, plus riche et il attire de nombreux visiteurs des deux sexes. Païssius craint aussi que son installation à Niamets ne contrarie les quelques moines qui y résident et que la vie de sa communauté n'en soit affectée. Il est particulièrement inquiet de ne pouvoir continuer à instruire et guider ses frères avec toute l'attention qu'il a pu leur prêter jusqu'à présent, d'autant qu'avec l'âge – il a près de soixante ans- ses forces commencent à l'abandonner. Ce qu'il redoute le plus, c'est de n'être plus en mesure de réunir ses frères en assemblée et d'y dénoncer les fautes commises par chacun, sans nommer personne, afin de les encourager à la contrition dans la crainte et le repentir. Païssius annonce donc à Constantin qu'il refuse de s'installer à Niamets, en le priant de ne pas imposer à lui-même et à ses frères des épreuves qui menaceraient leur vie spirituelle. Dans sa réponse, Constantin confirme néanmoins son projet et en appelle à la vertu d'obéissance des frères. Après avoir beaucoup prié et versé des larmes, devant ses frères, Païssius s'en remet à Dieu, citant l'Apôtre Paul : « toute affaire se règlera sur la déclaration de deux ou trois témoins » ( 2 Cor. 13.1). Une copie de la lettre de Constantin est portée au monastère de Niamets, afin que les moines qui y résident sachent que Païssius est conduit à Niamets sous la contrainte et non de son plein gré. Ceux-ci se déclarent immédiatement prêts à recevoir l'Ancien. Après avoir encore prié à l'église et donné sa bénédiction à tous ses frères, Païssius quitte Sékoul pour Niamets la veille de la Fête de la Dormition de la Mère de Dieu. Il est accueilli avec grand respect par trois hiéromoines du monastère qui viennent à sa rencontre, portant les Saints Evangiles et les Saintes Croix, toutes cloches sonnantes. Dès son arrivée, Païssius se rend à l'église où il vénère l'icône de la Très Sainte Mère de Dieu. Après les vigiles, ayant beaucoup prié la Mère de Dieu, il prend quelque repos ; à son réveil, son âme est apaisée. Après la liturgie, Païssius confère avec les supérieurs du monastère à qui il promet de respecter toujours leur volonté. Ceux-ci, au contraire, s'en remettent complètement à Païssius, lui offrant toutes les propriétés du monastère. Alors seulement Païssius confirme au prince Constantin que tous ses frères sont en communion avec ceux du monastère de Niamets et qu'il accepte d'en devenir l'higoumène. Dans sa réponse, Constantin loue Païssius d'avoir fait preuve d'obéissance et il lui demande ses prières, pour lui-même et pour ses sujets. Conjointement avec le métropolite, il confirme également que le monastère de Niamets est exempt de toutes taxes et qu'il recevra l'aide et l'assistance requises pour son bon fonctionnement. Constantin continue ainsi une longue tradition de générosité : dès le XIVème siècle en effet, les princes moldaves assurent la protection des moines qui pratiquent l'hésychasme, en particulier dans une skite dédiée à Saint Jean le Théologien, bâtie sur l'emplacement du futur monastère de Niamets. Païssius et ses frères entreprennent immédiatement la restauration du monastère, construisant de nouvelles cellules et une infirmerie. C'est que pèlerins et moines ne cessent d'affluer à Niamets, certains âgés, malades ou infirmes, venus vénérer les Saintes Icônes et prendre quelque repos. Ils s'en remettent entièrement à Païssius qui les accueille tous, sans distinction de rang ni de condition. Et quand ils décident de repartir, il leur donne sa bénédiction sans les interroger plus au long. Comme l'église de Niamets est dédiée à l'Ascension du Seigneur, la Fête de l'Ascension est l'occasion d'une grande affluence au monastère. Les moines font tous leurs efforts pour accueillir les pèlerins dans les meilleures conditions. Païssius lui-même se met pour quatre jours entiers à la disposition des nécessiteux. Pendant les offices, on entend le chant harmonieux et le credo est chanté par tous les fidèles assemblés. La communauté compte désormais environ quatre cents frères à Niamets. Plus de cent frères sont également établis à Sékoul. C'est Païssius lui-même qui décide qui réside à Niamets et qui à Sékoul. Tous les ans, pour célébrer la Fête de Saint Jean Baptiste, saint patron du monastère, Païssius se rend à Sékoul afin de continuer à instruire ses frères et de s'entretenir avec eux. A Sékoul comme à Niamets, chaque frère reste attaché à un père spirituel qui reçoit la confession des pensées chaque jour, matin et soir. Néanmoins, avec les visites des pèlerins et le nombre accru de frères, la vie communautaire ne peut conserver le caractère régulier qui régnait encore à Dragmirna. En particulier, les lectures du soir au réfectoire ne sont plus pratiquées. Des livres sont requis en plu grand nombre pour assurer l'instruction des frères, et les travaux de traduction, de correction et de copie battent leur plein. Chacun a sa spécialité, sans que soient négligés les travaux manuels comme la reliure, le tissage, la sculpture d'objets en bois. VI Les dernières années et la dormition de Païssius Ultimes travaux de patristiques La charge des deux monastères de Sékoul et de Niamets occupe toutes les journées de Païssius. Il n'a plus que ses nuits pour se consacrer à ses travaux de traduction et de correction des textes des Pères. Dès qu'il est retiré dans se cellule parmi ses livres, toutes pensées de ce monde étant écartées, Païssius aime à dire qu'il retrouve dans le silence la même solitude que celle du désert de Jordanie. Il travaille accroupi sur sa couche, entouré de dictionnaires et de grammaires, avec la Bible en grec et en slavon, un cierge allumé planté au milieu des livres... Païssius achève en 1787 une nouvelle traduction des Homélies de Saint Isaac le Syrien, améliorant sa première traduction de 1770-1771 fondée sur un texte grec incomplet et un manuscrit slavon. Païssius dirige aussi les travaux des moines qu'il a formés, chargés par lui de faire traductions et copies. Il y a alors à Niamets quarante copistes qui assurent la diffusion de manuscrits auprès de nombreux monastères et aussi de pieux particuliers. La bibliothèque du monastère de Niamets comptait en 1905 environ un millier de manuscrits en toutes langues, dont près de trois cents dataient de l'époque de Païssius ; quarante-quatre étaient de sa propre main. En voici la liste : 1. Discours de Saint Antoine le Grand. 2. Ecrits théologiques de Saint Jean Damascène. 3. -5. Saints Basile le Grand, Sur les vœux monastiques ; Sur le jeûne ; Contre Eunome. 6. Extraits sur la Procession du Saint Esprit par Gennade Scholarios, le Patriarche Dosithée de Jérusalem, Saint Marc d'Ephèse, Saint Athanase le Grand, Saint Jean Damascène, le patriarche Euloge d'Alexandrie ; les Confessions de Justinien, et du Patriarche Ephrem d'Antioche. 7. Extraits des ouvrages de Saint Jean Chrysostome, Saint Jean Damascène, Philothée, du Patriarche Sophronius, d'Evagre le Pontique, du Patriarche Germain de Constantinople, de Saint Isaïe l'erite, Saint Grégoire Palamas et Saint Maxime le Confesseur. 8. Homélies de Saint Grégoire le Sinaïte. 9-10. Homélies de Saint Grégoirre Palamas. Du même : Lettre à Xénie sur ceux qui gardent le silence. 11. Saint Diadoque, évêque de Photicée : Chapitres sur la vie active ; 12. Saint Denys l'Aréopagite et autres Pères sur la prière du cœur. 13. Instructions du Saint Abba Dorothée. 14. Vie de Saint Grégoire du Sinaï par Saint Callixte, patriarche de Constantinople. 15. Canons des Saints Apôtres et Pères, d'après les commentaires d'Alexis et d'Arétin de Constantinople. 16. Homélies de Saint Isaac le Syrien. 17 Homélies de Joseph Bryennios avec l'épître du pape Jean de Rome à Saint Photios, Patriarche de Constantinople. 18. Callixte Kataphigiotis : Sur l'union divine et la vie noétique. 19. Canon des douze grandes fêtes : traductions ancienne et nouvelle. 20. L'Echelle de Saint Jean Climaque. 21. Homélies de Saint Macaire d'Egypte. 22. Homélies de Saint Marc l'ascète. 23. Saint Marc d'Ephèse : Homélies sur la procession du Saint Esprit, contre les Latins. 24. Homélies de Saint Nicétas Stéthatos. 25. Ecrits de Saint Pierre Damascène. 26. Réponse des orthodoxes à la violence des catholiques uniates, traduction d'un ouvrage grec imprimé à Halki en 1775. 27. Le Paradis du Patriarche Callixte de Constantinople et Ignace Xanthopoulos. 28. Extraits : sur le baptême, par Saint Denys l'Aréopagite, Saint Maxime le Confesseur ; extraits des canons apostoliques ; Collection ( Syntagma) de mathieu Blastares ; canons des Conciles oecuméniques ; extraits de Saint Jean Chrysostome et de Théophylacte archevêque de Bulgarie. 29. Anthologie : Saint Denys l'Aréopagite, Saint Jean Chrysostome et Saint Théodose le Studite sur la communion ; une épître de Saint Denys l'Aréopagite ; et Saint Théodoret de Cyr sur les Soixante-dix Semaines. 30. Anthologie : textes d'accusation contre les hérésies de Barlaam et Acindyne ; Homélies de Simon le Magistrat et logothèque ; Saint Basile le Grand et Saint Théodore le Studite sur la prière. 31. Anthologie : Synodicon de l'orthodoxie ; Sur les sept conciles oecuméniques ; Homélie du Patriarche Germain sur l'Annonciation de la Très Sainte Mère de Dieu ; Homélies de Saint Jean Damascène sur la Transfiguration, sur la Mise au tombeau, sur la Dormition, sur l'Annonciation et sur la Nativité du Seigneur ; Epiphane de Chypre : Louange de la Très Sainte Mère de Dieu. 32. Saint Hésychius de Jérusalem : Sur la prière ; Saint Antoine le Grand : Discours. 33. La Lumière dans les ténèbres, pour les latins convertis à l'orthodoxie. 34-36. Homélies de Saint Syméon le Nouveau Théologien. 37. Saint Syméon de Thessalonique : Homélie sur le sacerdoce. 38. Martyre du Saint Martyr Anastase le Nouveau qui a souffert dans la ville de Helvin. 39. Tacticon de Nikon de la Montagne noire à Antioche. 40. Saint Philothée du Sinaï : Chapitre sur la sobriété. 41. Centuries de l'Abba Yhalassius de Libye ; Saint Philémon le Reclus sur le silence. 42. Saint Théodoret de Cyr : Commentaire sur le Cantique des cantiques. 43. Homélies de Théodore d'Edesse. 44. Catéchèse de Saint Théodore le Studite. Il est remarquable que beaucoup de ces textes se retrouvent dans la Philocalie de Saint Macaire et de Saint Nicodème, publiée en grec à Venise en 1782 et en slavon à Saint Pétersbourg en 1793. Selon Saint Macaire lui-même, c'est l'Ancien Païssius qui a rendu possible une telle publication, dans un temps si peu favorable à l'orthodoxie, afin que soient redécouvertes les sources vivantes de l'orthodoxie à travers les écrits des Saints Pères. Païssius encourage constamment ses frères à se constituer eux-mêmes des anthologies en recopiant des textes des Pères, de la liturgie et des canons, comme il aimait faire pour lui-même ; Lire des livres de patristique ne suffit pas, dit-il, car le sens n'apparaît pas immédiatement en tous points. L'exercice de la copie oblige, par contre, à appliquer l'attention sur chaque mot. En ralentissant la lecture, la copie permet aussi de mieux s'imprégner du sens du texte. De plus, il est toujours profitable de relire soit seul soit avec d'autres les anthologies ainsi compilées, car seule la lecture assidue montre la voie de l'obéissance, de l'humilité et de l'amour désintéressé. C'est grâce à la lecture enfin que la communauté des frères peut supporter les épreuves et repousser les attaques de l'ennemi. Si vous négligez les livres des Saints Pères, prévient Païssius, notre communauté périra, ainsi qu'a dit le Seigneur : « Il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit retournée » (Mat. 24.2). Les lettres de Païssius Outre les traductions, Païssius consacre beaucoup de son temps à correspondre avec les prêtres et les moines et moniales d'autres monastères qui lui demandent conseil et à qui il répond toujours longuement. Voici un extrait de lettre à la moniale Marie Protasieva, supérieure d'un couvent de Russie centrale, qui demande conseil à Païssius après le rappel à Dieu de son père spirituel : « L'obéissance divine est si essentielle pour vraiment plaire à Dieu qu'il est impossible de le servir sans elle ; C'est pourquoi la sainte obéissance a été instaurée par Dieu en trois lieux : au Royaume des Cieux, chez les premiers habitants du Paradis et sur terre chez les saints disciples et Apôtres du Seigneur. En ces trois lieux sont apparus les fruits de la sainte obéissance ey ceux de la désobéissance. Au Royaume des Cieux, les puissances célestes ayant obéi à Dieu ont été autorisées à résider en lui pour l'éternité dans l'illumination du Saint Esprit. Quant au Malin, bien qu'il appartînt à la tribu des anges, il décida lui-même de s'écarter de l'obéissance par orgueil et il fut rejeté hors du royaume céleste avec les autres puissances qui s'éloignèrent de Dieu en suivant les conseils pervers du démon. Ayant perdu la lumière divine, il devint volontairement ténèbre, ennemi de Dieu et des chrétiens orthodoxes. Au Paradis, tant que les premiers habitants furent vraiment obéissants à Dieu, ils purent bénéficier de la vision de Dieu et des dons du Saint Esprit. Quand, par leur propre volonté, ils eurent cédé aux tentations du Malin, abandonnant l'obéissance et désirant par orgueil devenir égaux à Dieu, ils connurent la mort en se séparant d'avec Dieu et furent expulsés hors du Paradis. Ils sont responsables de la mort de toute la race humaine. Enfin, sur terre, le Christ Fils de Dieu est descendu des Cieux pour faire non pas sa volonté propre mais celle de son Père qui l'a envoyé et à qui il a obéi jusqu'à la mort sur la Croix. Il a transmis son obéissance divine à ses Saints disciples et Apôtres. Ceux d'entre eux qui sont restés dans son obéissance, même jusqu'à la mort, ont par leur enseignement conduit l'univers entier jusqu'à la connaissance de Dieu. Ils règnent maintenant au Royaume des Cieux avec le Christ leur Seigneur et Maître. Judas s'étant éloigné de l'obéissance divine et ayant obéi au démon plutôt qu'au Seigneur s'est pendu de désespoir et a péri pour toujours, corps et âme. Ainsi sont apparus sur terre les fruits de l'obéissance et ceux de la désobéissance. C'est sur cette obéissance divine, introduite sur terre par Notre Seigneur Jésus Christ lui-même, que l'ordre monastique est fondé, qu'il s'agisse du monachisme cénobitique, de deux ou trois moines vivant ensemble ou d'ermites vivant dans le désert. Tous ont en général commencé leur vie monastique dans l'obéissance et ont ainsi évité, avec l'aide de Dieu, les pièges du démon. Celui qui entre dans la vie monastique sans être soumis à la règle de l'obéissance, celui-là est destiné à succomber aux tentations du Malin ; Que Dieu dans sa grâce nous en garde(...) ». A un prêtre uniate qui se pose des questions sur sa foi, Païssius écrit ceci : « (…) La principale erreur des uniates est l'enseignement qu'ils ont pris chez les Romains, selon lequel le Saint Esprit procède du Père et du Fils ; C'est la première et la plus importante de toutes les hérésies, car elle comporte un jugement incorrect, contraire aux Saintes Ecritures, sur Dieu qui est Un dans la Sainte Trinité. Celui qui confesse que le Saint Esprit procède du Père et du Fils suppose en Dieu deux processions : celle qui vient du Père et celle qui vient du Fils. Mais nous autres orthodoxes confessons dans la Trinité la seule procession hors du Père ainsi que le Seigneur Jésus Christ nous l'a enseigné lui-même dans le Saint Evangile : ' Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d'auprès de mon Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père, il me rendra témoignage'. (Jean 15.26). Et l'Apôtre Jacques : 'Tout don parfait vient d'en haut, descendant du Père des lumières' (Jacques 1.17). Avez-vous des yeux pour voir ? Il dit : ' Ce Père des lumières', ce qui signifie que le Père est la racine et la source de la Divinité ; et les deux lumières, le Fils et l'Esprit de la lumière unique, le Père, ont une existence pré-éternelle, le Fils étant engendré et le Saint Esprit procédant. « Le divin prophète David dit : 'Les cieux ont été faits par la Parole de Dieu, et toute leur armée par le Souffle de sa bouche' (Ps. 33.6). Avez-vous des yeux pour voir ? Il appelle le Père Seigneur et il appelle le Fils Parole, signifiant qu'il est pré-éternellement engendré par Lui. Il appelle le Saint Esprit l'Esprit ( ou Souffle) de sa bouche, et non 'de leur bouche', signifiant qu'il procède du seul Père. On pourrait trouver bien d'autres preuves dans l'Ancien et le Nouveau Testament qui montrent clairement que le Saint Esprit procède du seul Père et repose dans le Fils, ainsi que cela fut révélé lors du Baptême du Seigneur. « De plus tous les Saints Pères et docteurs oecuméniques qui ont commenté les Ecritures disent d'une seule bouche que le Saint Esprit procède du Père et nulle part ils n'ont écrit qu'il procède aussi du Fils. Si donc les uniates s'alignent sur les Romains dans une telle hérésie, quel espoir d'être sauvés ont-ils, à moins qu'ils ne repoussent ouvertement une telle hérésie et s'unissent à nouveau à la sainte Eglise Orthodoxe d'Orient ? « Ne vous laissez pas retenir par des biens matériels ou par vos proches s'ils ne veulent pas vous écouter, car il vous faut sauver votre âme de la perdition; il n'y a en effet rien de plus précieux que l'âme pour laquelle le Christ a donné sa vie. Mais quand vous vous éloignerez, ne revenez pas en vous-même en pensant aux possessions périssables que vous abandonnez ; mieux vaut vivre dans la pauvreté que de blasphémer le Saint Esprit comme font les uniates. Quittez les uniates aussi vite que possible, au risque que la mort ne vous surprenne et ne vous fasse compter parmi les hérétiques et non parmi les chrétiens. Ne vous contentez pas de vous éloigner : conseillez aussi aux autres de faire de même, si vous pensez en conscience qu'ils vous entendront. Et s'ils ne vous entendent pas, libérez-vous des rêts de l'ennemi et soyez uni de cœur et d'esprit à la sainte Eglise Orthodoxe ; ainsi, avec tous les croyants fermes dans la foi et respectueux des commandements en Christ, vous pourrez être sauvé ». Dans une longue lettre d'instructions à de pieux fidèles qui l'interrogent sur les voies du Salut et le sort des schismatiques qui ne respectent pas les traditions et les dogmes de la Sainte Eglise, Païssius répond ceci : « Vous me demandez s'ils peuvent espérer être sauvés, au oins pour leurs bonnes actions, et si un prêtre peut les absoudre par la confession et leur donner la Sainte Comunion. Et vous me demandez une réponse qui fasse autorité!Ma réponse est qu'il peut exister deux types de schismes : l'un quand quelqu'un est schismatique et l'autre quand quelqu'un entraîne d'autres dans le schisme en les éloignant de l'Eglise par des paroles malignes. Celui qui est dans le schisme, quand bien même il aurait accompli beaucoup de bienfaits et même s'il avait versé son sang comme Martyr du Christ, ce qui surpasse toute œuvre bonne, celui-là ne saurait expier le péché mortel qu'est le schisme. Si un homme ne peut espérer expier un schisme, même par le martyre, comment peut-il espérer être sauvé ? Et comment un prêtre peut-il l'absoudre par la confession sans qu'il ne réintègre sincèrement l'Eglise ? Comment un prêtre peut-il l'admettre à la communion ? Ceci est absolument impossible et va contre la vérité de la Sainte Eglise de Dieu. (…) « Vous me demandez aussi si un concile dans l'Eglise d'Orient a jamais levé un anathème. Et je vous réponds : un tel concile peut-il exister qui ne serait pas opposé à Dieu et à la Sainte Eglise, qui serait rassemblé pour occulter la vérité et confirmer l'erreur ? Un tel concile ne peut exister. Vous me demandez si des évêques peuvent lever un tel anathème sans que le concile des évêques et des patriarches n'en ait connaissance et n'y consente. Et je vous réponds que cela est impossible. Gardez en esprit que tous les évêques reçoivent la même grâce du Saint Esprit quand ils sont consacrés et qu'ils sont chargés de prendre précieusement soin de la foi orthodoxe pure et immaculée. Ils doivent aussi préserver les traditions apostoliques et les règles des Saints Apôtres, des Conciles oecuméniques et locaux et des Saints Pères qui tous forment la sainte Eglise universelle et Apostolique. Les évêques n'ont pas reçu du Saint Esprit l'autorité pour contraindre, suivant l'ordre institué par les Saints Apôtres de la Sainte Eglise. Les évêques n'ont pas reçu du Saint Esprit l'autorité pour détruire les traditions apostoliques et les règles de l'Eglise. Ni les évêques ni les patriarches ne peuvent donc lever un anathème qui aurait été mis sur les opposants de l'Eglise, en accord avec les Saints Conciles ; Quiconque s'y emploierait irait contre Dieu et la Sainte Eglise. (…) « Dans votre dernière question vous me demandez comment être sauvés tout en vivant dans le monde avec femme et enfants ? Comment parler du Salut en quelques mots, Je voudrais seulement vous donner le conseil de lire avec zèle les Saintes Ecritures et aussi les écrits des Pères, car à eux il fut donné de comprendre les mystères du Royaume des Cieux, c'est-à-dire de comprendre le vrai sens des Saintes Ecritures. Dans leurs enseignements vous trouverez toutes les instructions nécessaires au Salut de l'âme. Ils aident tous ceux qui recherchent le Salut en accomplissant les bonnes œuvres et en s'éloignant de ce qui déplaît à Dieu. (…) Dieu dans sa grande bonté sauve les âmes des chrétiens orthodoxes par la foi orthodoxe, les bonnes œuvres et la Grâce divine. La foi orthodoxe est celle qui est contenue dans l'Eglise Une, Sainte, Catholique et Apostolique et sans cette foi, il est impossible à quiconque d'être sauvé. Les bonnes œuvres sont les commandements de l'Evangile sans lesquels il est également impossible à quiconque d'être sauvé. La foi orthodoxe sans les œuvres est une foi morte, et les œuvres sans la foi orthodoxe sont des actes morts-nés. Quiconque veut être sauvé doit unir les deux et de cette manière, par la Grâce du Christ-Dieu qui a dit ' Sans moi, vous ne pouvez rien faire', celui-là peut essayer de gagner son Salut. Il faut savoir que le Christ Notre Sauveur demande à tous les chrétiens orthodoxes de faire le bien, qu'ils soient moines ou laïcs vivant dans le monde avec femme et enfants ; il exige d'eux la pratique zélée de ses commandements ; ceux qui les violent et ne se repentent pas seront sans défense et ne pourront soutenir l'éclat terrible de Son Second Avènement. (…) Les commandements de l'Evangile, du moins les plus importants d'entre eux, sont si nécessaires au Salut que si l'un d'entre eux n'est pas suivi, l'âme ne peut être sauvée. Ceux-ci concernent l'amour de Dieu et du prochain, la douceur, l'humilité, la persévérance, le pardon sincère, l'absence de jugement, l'absence de haine envers le prochain, l'amour des ennemis (…). De plus, les chrétiens orthodoxes doivent respecter tous les commandements de l'Eglise (...) ». Dernières années En 1790, la Moldavie est à nouveau troublée par la guerre qui oppose la Russie et l'Autriche à la Turquie. Les troupes autrichiennes et turques traversent à plusieurs reprises le village de Niamets, chassant la population effrayée dans les montagnes alentour. Jamais pourtant le monastère n'est vraiment menacé. Avec l'arrivée de l'armée russe conduite par le prince Potemkine, les turcs se retirent et la paix est restaurée. Comme le prince est accompagné de l'Archevêque Ambroise, originaire de Poltava, celui-ci exprime le désir de rencontrer l'Ancien Païssius à Niamets. L'archevêque est reçu avec grand respect au monastère. Après y avoir célébré la sainte liturgie, il élève le Starets Païssius au rang d'archimandrite. Comme Païssius est de plus en plus faible, il n'est bientôt plus capable de recevoir ses frères et les visiteurs que pendant les premières heures du jour. Le reste de la journée est consacré au travail solitaire et à la prière. Seuls les confesseurs du monastère peuvent interrompre sa retraite pour s'entretenir avec lui. Vers cette époque un pèlerin de Grèce qui a rencontré l'Ancien Païssius le décrit ainsi : « Pour la première fois de ma vie, j'ai vu la sainteté incarnée et non dissimulée. J'ai été impressionné par son visage lumineux et pâle, exsangue, par sa longue et abondante barbe, brillante comme de l'argent, par la propreté de ses vêtements et de sa cellule. Sa parole est douce et sincère (…). Il a l'air d'un homme totalement détaché de la chair ». Quand Païssius sent que ses derniers jours sont proches, il décide de ne plus entreprendre de nouvelles traductions, afin de se consacrer à la correction des travaux déjà entamés. Nous sommes en 1794 et Païssius est âgé de 72 ans. Le 5 novembre, Païssius devient très faible et pendant quatre jours il est contraint de rester allongé dans sa cellule. Comme son état s'améliore le dimanche suivant, il peut se rendre à l'église pour participer à la divine liturgie et recevoir la sainte communion. Après l'office, il donne sa bénédiction à la communauté assemblée. Il est alors à nouveau si faible qu'il doit être transporté à sa cellule où il est veillé et soigné par deux de ses frères. Il ne souhaite désormais plus recevoir personne, afin de demeurer dans le silence. Le quatrième jour, le 15 novembre 1794, après avoir reçu la sainte communion, Païssius appelle auprès de lui les deux pères confesseurs du monastère, Sophronius le Russe et Sylvestre le Moldave. Il leur confie pour la communauté de tous ses frères un message de paix et leur donne sa bénédiction. Aucune recommandation n'est faite pour le choix de son successeur. A la tombée du jour, l'Ancien Païssius s'endort dans la paix du Seigneur. FLEURS SPIRITUELLES Bref exposé des pensées qui disposent au repentir Souviens-toi, mon âme, de ce prodige redoutable et terrifiant : par amour pour toi, ton Créateur s'est fait homme, et Il a daigné souffrir pour ton Salut. Ses anges tremblent, les Chérubins sont saisis d'effroi, les Séraphins sont dans la crainte ; toutes les puissances célestes Le célèbrent sans fin ; et toi, malheureuse âme, tu te complais dans la paresse. Mon âme bien-aimée, relève-toi dès à présent et ne diffère pas le saint repentir, la contrition du cœur et la pénitence de tes péchés. Si tu remets d'année en année, de mois en mois, de jour en jour, tu ne pourras bientôt plus désirer de tout ton cœur la pénitence et personne ne compatira sur toi. Quelle torture alors ce sera d'essayer de te repentir, sans y parvenir ! Si tu peux faire le bien aujourd'hui, ô mon âme bien-aimée, ne renvoie pas à demain la sainte repentance car tu ne sais ce que ce jour te donnera ni ce qui peut 'arriver cette nuit même. Tu ignores ce que le jour ou la nuit t'apporteront ; tu ne sais si une longue vie est devant toi, ou si tu vas, au contraire, trouver de façon soudaine et inattendue une mort rapide et misérable. Le temps est venu, mon âme bien-aimée, de faire preuve de patience, d'endurer les peines, de respecter les commandements et d'être vertueuse ; le temps est venu de gémir dans le deuil et de goûter la douceur des larmes. Mon âme, si tu veux vraiment être sauvée, aime les peines et les soupirs autant que tu as jadis aimé la tranquillité ! Vis comme si tu mourais chaque jour ; ta vie aura bientôt passé comme l'ombre d'un nuage devant le soleil et tu seras oubliée. Chaque jour de notre vie paraît s'évanouir dans l'atmosphère. Ainsi donc, que rien ne t'arrête, même les plus grandes épreuves. A propos de nos semblables : ne parlons pas de nos peines, qu'elles soient déraisonnables ou même qu'elles soient sensées, et ne nous abandonnons pas au chagrin ; ne nous laissons pas distraire et ne nous dérobons pas ; considérons que nous sommes comme de la poussière sous les pieds des autres. Nous ne pouvons être sauvés autrement, ni échapper aux tourments éternels ; car notre vie passe comme un seul jour, pour s'achever bientôt. Celui qui ne meurtrit pas son âme dans la vertu et ne sacrifie pas sa vie au respect des commandements divins et de la tradition des Pères, celui-là ne peut être sauvé. Mon âme bien-aimée, souviens-toi de tous les saints : Apôtres, Martyrs et Prophètes, Hiérarques, Justes et Saints, Moines et Fols en Christ et tous ceux qui dans tous les siècles ont plu à Dieu. Où sont les Saints qui n'ont pas soumis la chair à l'esprit ou qui n'ont pas souffert de grandes calamités ou de cruelles afflictions ? En abondance ils ont reçu leur lot quotidien d'infortunes. Ils ont connu la faim et la soif ; ils ont veillé et prié jour et nuit;ils ont gardé l'humilité avec un cœur contrit ; ils ont été sans arrière-pensées, tels des enfants, remplis de pitié ; ils sont venus en aide à ceux qui étaient dans les souffrances ou dans le besoin, ils ont fait des dons et des aumônes, autant qu'ils le pouvaient. En un mot, ils avaient toutes les vertus et aimaient d'un amour désintéressé. Ils ne faisaient pas à autrui ce qu'ils ne voulaient pas qu'on leur fît. Ils étaient tout d'obéissance, tels des serviteurs soumis, au service non pas d'un homme mais de Dieu, avec une simplicité vraie et pleine de sagesse, uniquement tournée vers le Salut. O homme ! La mort est là devant toi. Si tu te donnes de la peine, tu seras récompensé dans le futur par la vie éternelle. C'est en se forçant soi-même qu'on acquiert la vertu. Si donc tu veux maîtriser tes passions, finis-en avec 'amour des plaisirs ; si tu cherches constamment à te nourrir, ta vie ne sera faite que de passions. L'âme ne sera humiliée que si le corps est privé de pain. Il est impossible de sauver l'âmede la perdition tout en autorisant au corps ce qui lui plaît. Commençons par le commencement. Mon âme, si tu désires être sauvée et suivre le chemin des épreuves que je viens de décrire, si tu veux entrer au Royaume des Cieux et atteindre la vie éternelle, commence par purifier ton corps, goûte à l'amertume volontaire et souffre les plus grandes peines, ainsi que tous les Saints ont fait et enduré. Quand un homme se roidit et se commande à lui-même d'endurer les pires épreuves par amour pour Dieu, dès lors toutes les peines, les souffrances et les attaques des hommes et des démons lui paraissent légères et ne l'affectent pas. Il ne craint pas la mort, et rien ne peut le séparer de l'amour du Christ. Sais-tu, mon âme bien-aimée, comment les Saints Pères ont mené leur vie ? O mon âme ! Imite-les au moins quelque peu. N'ont-ils pas versé des larmes ? Pauvre de toi, mon âme ! Leur corps n'a-t-il pas connu affliction, maigreur et épuisement ? Pauvre de toi, mon âme ! N'ont-ils pas souffert les maladies du corps, ne se sont-ils pas lamentés avec larmes sur les blessures de l'âme ? Pauvre de toi, mon âme!N'ont-ils pas été vêtus du même corps infirme que nous ? N'ont-ils pas désiré la tranquillité facile et pleine de douceurs de ce monde, de même que le repos du corps ? Oui, ils ont désiré cela, et leurs corps en vérité furent affligés ; mais ils ont changé leur désir en patience et remplacé leur chagrin par la joie à venir. Séparés de tout une fois pour toutes, ils se considéraient comme morts, et ils étaient sans pitié envers eux-mêmes, dans leur lutte spirituelle. Vois-tu, mon âme, combien les Saints Pères se sont donnés de peine, refusant tout repos et endurant toutes sortes d'épreuves ? Ayant soumis la chair à l'esprit et suivi tous les commandements divins, ils ont été sauvés. Mais toi, âme misérable, tu ne cherches assurément pas à te contraindre ; tu défailles aux plus légères épreuves ; tu te laisses abattre sans te rappeler l'heure de la mort ni pleurer sur tes péchés ; car tu as pris l'habitude, âme pitoyable, de manger et de boire à satiété et de vivre dans l'indolence. Ne sais-tu pas que tu es appelée à la mortification volontaire ? Mais tu es incapable de rien endurer ! Comment donc peux-tu espérer être sauvée ? Dès maintenant, donc, relève-toi, mon âme bien-aimée, et fais ce que je te dis. Si tu ne peux faire tout ce que les Saints Pères ont fait, commence au moins, selon tes propres forces. Sers chacun avec humilité et simplicité de cœur. Reconnais ton infirmité et, avec humilité, répète ceci : « Pauvre de toi, âme misérable ; pauvre de toi, vile âme ; pauvre de toi, âme souillée, indolente, négligente, endormie et cruelle ; pauvre de toi, qui a péri ». Et ainsi, progressivement, l'âme va s'attendrir ; ayant versé beaucoup de larmes, elle reviendra à elle, et se repentira. La lutte contre le découragement, l'indolence et les faiblesses Quand on est pris par le découragement ou l'indolence, il faut penser à la mort. Porte-toi mentalement à la fosse. En voici un qui est mort depuis quatre jours, regarde comme il devient sombre, boursouflé ; il en émane une odeur nauséabonde, les vers commencent à le ronger ; il a perdu tout attrait et toute beauté. Porte maintenant ton regard ailleurs : dans ces fosses reposent les ossements de jeunes gens et de vieillards, certains très beaux, certains très laids ; et maintenant demande-toi lequel était beau, lequel était laid ? Lequel a jeûné, a été continent, ascétique ; lequel a été sans attention ? Quel bénéfice ont eu les hommes riches à jouir dans ce monde de la tranquillité et des plaisirs ? Rappelle-toi alors les tourments sans fin dont parle les Livres Saints : les feux de la géhenne, les ténèbres extérieures, les grincements de dents, le tartare infernal, le ver qui ne dort point. Pense aux pécheurs qui versent des larmes amères, et que personne ne soulage. Ils se lamentent et pleurent sur eux-mêmes, et personne ne les prend en pitié. Ils gémissent du plus profond de leur cœur mais n'inspirent nulle compassion. Ils appellent à l'aide, se plaignent de leurs peines, mais personne n'a souci d'eux. Réfléchis à la manière dont chaque être créé sert sans faillir le Seigneur son Créateur. Pense aux très nombreux miracles que Dieu accomplit sur Ses esclaves depuis le commencement du monde ; en particulier pense au Seigneur qui s'est humilié et qui a souffert pour nous sauver, qui a apporté le bien et a sanctifié la race des hommes. Pour tout cela rends grâce à Dieu, l'ami des hommes. Rappelle-toi la vie à venir qui est sans fin ainsi que le royaume des cieux, repos et joie inexprimables. Sois ferme, ne néglige pas la prière de Jésus. Si tu gardes tout cela présent à l'esprit, alors le découragement, l'indolence et les faiblesses disparaîtront, et ton âme reviendra à la vie, par la Grâce du Christ. Instructions pour accéder à la contrition, éloigner l'orgueil et l'élévation de soi et convertir l'âme aux larmes Si tu veux accéder à la contrition, il est très doux et très profitable à l'âme de porter attention à cette instruction sur l'exode de l'âme. Aujourd'hui, ô homme, tu te réjouis de la beauté, du charme, de la gloire, et ta vie se répand en vaines apparences, espérant passer ainsi heure après heure, jour après jour, mois après mois, année après année. O homme, ta vie s'achève à tout moment ! La vie passe ; le temps s'écoule petit à petit ; le trône très redoutable du Seigneur est préparé ; le juge suprême s'avance. O homme ! Le jugement est proche, à la porte ; attends-toi à entendre une senence redoutable. Le fleuve de feu, bouillant, avance dans les crépitements et les étincelles. Des supplices effrayants se font entendre, prêts à torturer les pécheurs. O homme ! Travaille, donne-toi de la peine, acharne-toi. Aucun héraut ne viendra t'annoncer l'approche de la mort ! La récompense des Saints, toi aussi, tu peux la recevoir ; pour les justes, des couronnes sont préparées ; le Royaume des Cieux est ouvert à ceux qui ont peiné et ont enduré les épreuves ; le repos éternel est à portée de main et une joie inexprimable se prépare. Ce que Dieu a préparé pour ceux qui L'aiment, l'oeil ne l'a pas vu, l'oreille ne l'a pas entendu, et cela n'est pas monté au cœur de l'homme. O homme ! As-tu entendu parler des supplices, pourquoi ne trembles-tu pas, et n'es-tu pas saisi de crainte ? O homme ! As-tu ouï parler de la joie sans fin ? Pourquoi ne t'acharnes-tu pas ? Pourquoi gaspilles-tu les jours de ta vie dans le tumulte et la vanité ? Tu ne trouveras pas d'autres jours plus tard, même si tu cherches dans les larmes. O homme ! Quand bien même tu vivrais dans ce monde cent ans, mille ans, engraissé comme un veau et lustré comme un renard, lorsque la fin terrible – la mort- arrivera, ta vie sera comme si elle avait duré un jour ; la satiété et les belles apparences disparaîtront comme disparaissent les fleurs des champs, sans laisser de traces. O homme ! De la naissance à l'âge mûr et à la vieillesse, ta vie est comme un seul jour qui s'achève très vite et de façon inattendue. O homme ! Demande-toi ceci : où sont tes grands-parents et tes arrières-grands parents, où sont ton père, ta mère, tes frères, ta famille et tes amis ? N'ont-ils pas tous quitté cette vie ? N'auraient-ils pas tous souhaité vivre un peu plus longtemps dans ce monde pour jouir des plaisirs, se parer et se divertir ? Mais vois plutôt : ils ont été emportés malgré leur propre désir ; Rappelle-toi que tu es terre, que la terre te nourrit, et que tu retourneras à la terre : ta chair se décomposera et pourrira, elle sera mangée par les vers et tes os se réduiront en poussière. Garde à l'esprit les jours de l'éternité, et les années des générations passées. Combien de rois et de princes ont vécu dans les plaisirs et les magnificences ? En quoi cela les a-t-il aidés lorsqu'ils ont quitté cette vie éphémère ? Que sont alors devenus plaisirs et magnificences ? Car ils sont maintenant terre et cendres ! Combien de jeunes gens forts, riches, courageux, éclatants de jeunesse et de beauté y a-t-il eu dans ce monde ? En quoi leur force robuste et la fleur de leur jeunesse et l'éclat de leur beauté les ont-ils aidés ? C'est comme si rien de tout cela n'avait existé. Il a existé des hommes de toute espèce, par milliers et par milliers, par dizaines de milliers, autant que le sable de la mer ; et ils ont tous quitté cette vie. Certains, qui n'avaient aucune idée de l'heure de leur mort, ont été emportés de façon inattendue, alos qu'ils se tenaient debout ou assis. Certains étaient en train de manger ou de boire ; d'autres sont morts subitement en voyage ; d'autres encore, qui s'étaient allongés pour trouver un peu de repos dans un sommeil rapide et passager, se sont endormis pour toujours. Certains enfin ont connu l'agonie à leur dernière heure et ont été témoins de visions effrayantes, dont la seule description nous cause une terreur sans borne. Et il y a tant d'autres morts soudaines ! Malheur à toi ! Comme l'âme se lamente à l'approche de la mort, levant les yeux vers les anges, tendant les bras vers les hommes, implorant la pitié – mais elle ne reçoit aucune aide ! Quelle vanité de l'homme, en vérité ! Malheur à toi ! C'est une chose terrible et effrayante que l'âme soit séparée du corps par la force. L'âme s'en va dans les lamentations et le corps est abandonné à la terre. Tous les espoirs mis dans la vanité, le charme, la gloire et les plaisirs des choses terrestres sont alors réduits à néant. Malheur à toi ! La séparation de l'âme se fait dans les larmes et les lamentations, dans les gémissements et l'affliction ! Malheur à toi ! Ce chemin que nous parcourons avec le corps pour compagnon est très court. La vie n'est que fumée, vapeur, saleté, poussière, cendres, puanteur ; Comme la fumée se disperse au vent, comme la fleur des champs décline et se fane, comme le cheval file au galop, comme l'eau s'écoule, comme le brouillard monte de la terre, comme la rosée du matin s'évapore, ou comme l'oiseau fuit à tire-d'aile, ainsi passe la vie dans ce monde. Comme le vent, le temps s'enfuit et les jours de notre vie arrivent à leur terme. Mieux vaut tenir bon plus longtemps et accepter avec amour des épreuves très pénibles dans ce monde plutôt que de se complaire dans mille ans de réjouissances, pour gagner un seul jour du monde à venir. Car le chemin de notre vie sur terre est très court ; il n'apparaît que pour quelque temps, et puis il disparaît. En vérité tout ce qui est agréable, beau et glorieux dans ce monde n'est que vanité et corruption. Car ces choses passent, telle une ombre, et elles sont dans ce monde comme dans un rêve. Celui-ci est en vie, et bientôt il est mort ; aujourd'hui il est parmi nous, et demain il est dans la tombe. Malheur à toi ! Comme les hommes nés sur cette terre se tracassent en vain ! Nous changeons tous et nous mourrons tous : rois et princes, juges et seigneurs, riches et pauvres, tous tant que nous sommes. Aujourd'hui il se réjouit avec nous, il participe à tous les plaisirs et prend soin de lui-même, et demain nous pleurons tous sa mort, dans le deuil et les larmes. O homme ! Viens à la tombe. Contemple celui qui gît. Il n'est pas glorieux, il a perdu sa prestance et sa beauté. Il est tout boursouflé et il commence à empester ! La chair pourrit et se corrompt ; elle est rongée par les vers ; les os apparaissent et le corps est réduit en poussière. Malheur à toi ! O âme pécheresse, quelle vision effrayante ! Malheur à toi ! Toi qui fus enrichie des sens de l'âme et du corps, créée pleine de sagesse, il n'y a plus en toi ni splendeur, ni prestance, ni beauté. Comment la beauté du corps et la jeunesse splendide ont-elles disparu ? Où est le visage souriant, où sont les yeux qui brillaient, Où est la langue éloquente d'Aristote, Où est le souffle, où est la voix douce et agréable ? Où sont les beaux discours de la sagesse, la démarche altière ? Où sont les rêves, les désirs et les vains soucis, Tout cela a disparu et est mangé des vers. Vois : il en sort de la bouche et des narines, d'autres sortent des yeux et des oreilles, d'autres des intestins ; tout n'est qu'horreur et puanteur. Malheur à toi ! Contemplant la poussière de la tombe, demandons-nous : « Lequel est roi et noble, lequel est pauvre ? Lequel est maître, lequel esclave ? Lequel a connu la gloire, lequel l'ignominie, lequel est sage, lequel fou ? Où sont passés la beauté et les plaisirs de ce monde ? Où sont passées la puissance et la sagesse de cet âge ? Que sont devenus les rêves et les charmes éphémères ? Qu'est devenue la richesse vaine et corruptible ? Où sont les ornements d'or et d'argent ? Où sont les armées d'esclaves prêtes à obéir ? A quoi bon les soins pris dans ce monde ? Il ne reste rien de tout cela. L'homme a tout perdu. » Malheur à toi ! C'est en vain que les hommes nés sur cette terre se tracassent ; Je te regarde dans la tombe et je me mets à trembler et à verser des larmes de tout mon cœur. O mort cruelle et sans pitié ! Qui peut t'échapper ? Tu dissous la race des hommes comme du blé vert. Ainsi donc, frères, ayant pris conscience de la brièveté de notre vie et de la vanité de ce temps, tenons-nous prêts pour l'heure de la mort ; quittons le tumulte de ce monde et des soucis inutiles ; car ni les richesses, ni la gloire, ni les plaisirs ne seront avec nous après la mort ; rien de tout cela ne descendra avec nous dans la tombe. Seules les bonnes actions nous accompagneront, et nous défendront. Nous étions nus à la naissance, et nous partirons nus. Entendant cela, il ne devrait pas nous suffire de rester assis en silence dans notre cellule, de garder notre langue, de prendre soin de notre âme et de nous lamenter sur nos péchés dans la prière : nous devrions nous cacher sous terre pour pleurer nos péchés tant que nous sommes encore en vie, et vivre en luttant jusqu'à la mort pour l'amour de Dieu. Nous savons que nous devons bientôt mourir ; quittons donc avant la mort ce corps corruptible, puisqu'après la mort, il restera corruptible jusqu'au Jour où le Seigneur Dieu nous ressuscitera d'entre les morts et nous accordera la vie immortelle dans le Royaume éternel. Amen. La Grâce de Dieu : comment peut-on savoir si l'on a acquis la Grâce parfaite ? Là où il y a la Grâce, source de vie, là aussi les bonnes actions viennent du cœur. Quand on est visité par le Saint Esprit, toutes les tâches deviennent aisées, la prière émane du cœur sans discontinuer et les yeux sont continuellement inondés de larmes ; Cela s'accompagne de clarté spirituelle et de réflexion pure et calme, car c'est alors le Saint Esprit qui agit en nous. Quiconque s'adonne aux passions suscite en lui-même de ouvelles passions ; il permet ainsi à l'esprit malin de s'emparer de son âme et de la rendre sombre et pesante. Quant à savoir qui est Saint, c'est-à-dire qui fait l'expérience de telles manifestations de la Grâce, on peut répondre ceci : est Saint celui qui a de façon irréprochable respecté et suivi les commandements, a maîtrisé les passions et renoncé à tous plaisirs. Quel est celui qui a renoncé à tous plaisirs ? Celui qui a complètement renoncé à l'amour de soi dans toute la mesure de ses moyens ; celui qui, dès cette courte vie , a commencé à se haïr lui-même pour accéder au Royaume des Cieux et à la vie éternelle ; celui qui a acquis une foi inébranlable ; celui qui, dans la peine et le besoin, s'en remet à Dieu fermement et complètement. Cet homme-là est véritablement Saint et dénué de passions. Sur les sens de l'âme et du corps, les vertus et la manière dont elles se succèdent Avec la création de l'homme, l'amour de Dieu envers la race humaine s'est manifesté de façon inexprimable et inappréciable car Dieu a doté l'âme et le corps de divers sens. Les sens de l'âme sont : la vue, l'odorat, l'ouïe, le goût, le toucher. En utilisant les uns et les autres de ces sens, nous pratiquions les vertus de l'âme et du corps. Le Christ notre Dieu a approuvé l'écriture de livres qui permettent à l'homme de raisonner justement et de s'instruire dans la crainte de Dieu, par quoi commence la sagesse spirituelle ; la crainte de Dieu engendre la foi ; la foi engendre l'espérance ; l'espérance engendre l'amour de Dieu et des hommes ; l'amour engendre la patience et bien d'autres vertus ; la patience engendre l'obéissance et toutes vertus ; l'obéissance engendre la confiance ; la confiance conduit au jeûne, le jeûne à la purification et au silence ; le silence fait naître la continence, la prière, les larmes, la veille, les lamentations, la vigilance, la tempérance ; il ôte de notre bouche les paroles mauvaises. Les lamentations conduisent au détachement de toutes choses ; le détachement de toutes choses conduit à la droiture et éloigne de toute dispute. La prière donne naissance à la compréhension, à la tranquillité de l'esprit, aux larmes, à la joie, à l'humilité du cœur et à la douceur. L'humilité donne naissance à une sagesse humble, à la solitude ; une sagesse humble éloigne de l'orgueil, de la vanité et fait pousser les fruits spirituels. Par ces vertus, toutes les passions de l'âme et du corps sont annihilées et, progressivement, la Grâce gagne en nous. Ces vertus sont indispensables à tous ceux qui ont un corps en bonne santé et qui sont soumis aux passions de la chair. Sur les grandes vertus primordiales : La foi La première vertu est la foi car, dit le Seigneur, c'est la foi qui permet de déplacer les montagnes et qui accorde aux hommes ce qu'ils cherchent. Chacun de nous est fortifié par la foi, dans nos actes glorieux et magnifiques. C'est par notre volonté propre que la foi croît ou décroît. Sur l'amour La seconde vertu est l'amour désintéressé envers Dieu et les hommes. L'amour rassemble toutes les vertus et les relie entre elles. Grâce à l'amour seul, la loi est respectée et une telle vie est celle que Dieu aime. L'amour consiste à sacrifier sa propre vie pour celle d'autrui et à ne pas faire aux autres ce qu'on ne voudrait pas pour nous-mêmes. C'est par amour que le Fils de Dieu est devenu homme. Celui qui aime est proche de Dieu, car là où il y a l'amour, là aussi se trouve Dieu. Sur le jeûne La troisième vertu est le jeûne. Par jeûne j'entends le fait de manger modérément une seule fois par jour. Lève-toi de table en restant sur ta faim, après avoir pris un peu de nourriture, du pain, du sel et bu de l'eau. Pour te nourrir, suis la voie royale, celle par laquelle beaucoup ont été sauvés, voilà ce que nous disent les Pères. L'homme n'est pas toujours capable de se passer de nourriture pour un, deux, trois, quatre, cinq jours, ou une semaine. Mais en ce qui concerne la nourriture et la boisson quotidiennes, on peut toujours agir ainsi : même après avoir mangé, il faut toujours rester sur sa faim, afin que le corps soit soumis à l'esprit et apte au travail et à l'acuité intellectuelle. Ainsi sont maîtrisées les passions du corps. On ne mortifie pas les passions du corps par un jeûne total aussi bien que par l'absorption de juste un peu de nourriture. Certains jeûnent pendant un certain temps, puis s'offrent des festins délicieux. Beaucoup entament un jeûne qui est au-delà de leurs forces ; ils s'affaiblissent à cause de ce manque de mesure et des épreuves excessives qu'ils s'imposent et ils vont bientôt rechercher les mets fins et le repos pour raffermir leur corps. Ceux qui agissent ainsi ne font que construire pour ensuite détruire ce qu'ils ont construit, car le corps éprouvé par le jeûne aspire aux douceurs et cherche consolation ; or ce sont les douceurs qui suscitent les passions. Si par contre chacun détermine pour lui-même la quantité de nourriture toute simple à absorber chaque jour, il en tirera grand profit. Toutefois, en ce qui concerne la quantité, la règle doit respecter ce qui est nécessaire à l'entretien du corps. Le travail spirituel peut alors être mené à bien. Quiconque jeûne au-delà de ses forces va bientôt abandonner pour se reposer. Il n'y a pas d'ascèse sans mesure ; la conjonction de l'une à l'autre est sans prix. Certains des Pères aussi mesuraient leur nourriture ; chaque chose venait en son temps, et tout était mesuré – les épreuves de l'ascèse, les besoins du corps, les biens possédés en cellule. Tout était fait au moment opportun, selon une règle précise et réaliste. Les Saints Pères n'imposent donc à personne d'entamer un jeûne qui ne pourrait être tenu et qui ne conduirait qu'à affaiblir le corps. Fixe-toi la règle de manger tous les jours ; tu pourras alors te restreindre plus fermement. Si quelqu'un s'impose immédiatement un jeûne plus sévère, comment pourra-t-il ensuite s'abstenir de manger à satiété et de trop manger ? C'est impossible. Entamer un jeûne de façon aussi excessive, c'est faire preuve de vanité, ou ne rien comprendre à la continence qui est une des vertus qui doit aider à l'assujettissement de la chair. La faim et la soif sont données à l'homme en vue de la purification du corps, afin qu'il soit préservé des pensées impures et des passions de la chair. Manger un peu chaque jour peut conduire à la perfection, comme certains l'ont dit ; celui qui mange tous les jours à heure fixe n'est en rien abaissé moralement et ne fait aucun mal à son âme. Saint Théodore le Studite loue ceux qui agissent ainsi, dans son instruction sur le Vendredi de la première semaine du Grand Carême, et il cite à l'appui les enseignements des Saints Pères théophores et du Seigneur lui-même. Le Seigneur a enduré un long jeûne, de même que Moïse et Elie, mais une seule fois dans leur vie. Certains, quand ils ont adressé une demande au Créateur, se sont également imposé un long jeûne, mais ce fut toujours en accord avec les lois naturelles et l'enseignement des Saintes Ecritures. Quand on observe l'activité des Saints, la vie de Notre Sauveur et les règles de ceux qui ont vécu pieusement, il apparaît clairement qu'il est très beau et très profitable de se tenir toujours prêts et d'être trouvés dans une vie ascétique de travail et d'endurance ; toutefois, il ne faut jamais en venir à s'affaiblir par un jeûne excessif ni réduire le corps à un état d'inactivité. Si la chair est ardente parce qu'elle est jeune, il faut beaucoup se restreindre ; mais si elle est infirme, il faut en prendre soin. Il faut observer et apprécier en fonction de nos faiblesses ce que nous pouvons accomplir. A chacun sa mesure, selon sa conscience. Tous ne peuvent suivre les mêmes règles et la même ascèse car certains sont forts et d'autres faibles. Certains sont comme l'airain, d'autres comme le cuivre, d'autres comme la cire. Après avoir établi sa mesure, il faut se nourrir ainsi une fois par jour, sauf les samedis, dimanches et jours des fêtes du Seigneur. Un jeûne modéré et bien conçu est le fondement de toutes les vertus. Il faut combattre le démon comme on combat le lion ou le serpent félon – dans les faiblesses du corps et l'appauvrissement spirituel. Quiconque veut fortifier son intellect pour résister aux pensées mauvaises, celui-là doit purifier son corps par le jeûne. Il est impossible de servir comme prêtre sans jeûner. De même qu'il est indispensable de respirer, de même il est indispensable de jeûner. Quand le jeûne a atteint l'âme, il détruit en profondeur les péchés qui y résident. Sur la continence La quatrième vertu est la continence, elle-même mère de toutes les vertus ; Si tu assujettis ton estomac, tu entreras au Paradis. Grâce à la continence, le péché est annihilé, les passions sont dispersées, la vie spirituelle peut se développer et les choses éternelles deviennent accessibles. Si au contraire l'homme mange à satiété, il se prive des dons spirituels, car l'estomac trop plein assoupit et engendre des pensées impures ; la veille devient impossible, de même que la lecture, l'occupation au travail et l'application dans les bonnes choses. Du pain et de l'eau chaude constituent une alimentation légère, merveilleuse, qui apaise les besoins. Sans eau chaude, l'estomac du jeûneur s'assèche, et la digestion devient plus difficile ; le pain trempé dans l'eau chaude est vite digéré et constitue une nourriture particulièrement adéquate en période de jeûne ou le soir. Il y a quatre manières de se nourrir : le jeûne, la continence, la suffisance et la satiété. Celui qui impose la continence à son estomac ne sera pas privé du Paradis ; par contre celui qui ne lui impose pas la continence est soumis à la mort, privé de toutes vertus et honteusement moqué. Sur la veille La cinquième vertu est la veille. Les jeunes moines doivent commencer avec mesure à veiller la première moitié de la nuit, puis dormir jusqu'au matin, c'est-à-dire veiller six heures et dormir cinq ou six heures.Les moines plus affermis doivent dormir trois ou quatre heures et veiller huit heures ; quant aux moines parfaits, ils dorment une heure et restent toute la nuit debout à veiller. Pendant le jour, chacun doit dormir une heure. La veille bien menée débarrasse l'intellect des pensées superficielles ; elle le rend plus léger et le mène à la prière. De même que les yeux éclairent le corps et illuminent tous ses membres, de même l'attention dans la veille et l'agrypnie éclaire l'âme d'une lumière spirituelle. A l'homme elle rappelle les biens inexprimables que le Seigneur a préparés pour ceux qui L'aiment ; elle lui montre les tourments éternels auxquels sont destinés les pécheurs. Celui qui veille est émerveillé par le Créateur de toutes choses, par le jour et la nuit qui se succèdent, par l'éclat du soleil, par la lune et les étoiles, par la succession du gel, de la neige, de la chaleur, de l'orage et de la pluie, qui rappellent à l'homme que cette vie est passagère et, qu'après elle, vient la mort. La veille lui fait verser d'abondantes larmes et, telle une sentinelle du haut de sa garde, l'éclaire sur l'état de sa vie spirituelle. Elle lui permet de discerner s'il est sur le droit chemin. La veille, pratiquée avec mesure, procure la joie du cœur. Sur la prière du cœur La sixième vertu est la prière du cœur. C'est une œuvre qui est commune aux anges et aux hommes. Dans cette prière, les hommes en viennent à se rapprocher de la vie des anges. La prière est la source de toutes les bonnes actions et de toutes les vertus ; elle éloigne de l'homme la ténèbre des passions. Pratique la prière et, dès avant la mort, ton âme ressemblera à celle d'un ange. La prière est une joie divine. C'est la seule épée très précieuse. Il n'y a pas d'autre arme pour mieux éloigner les démons. Elle les consume comme le feu consume l'épine. Cette prière embrase comme un feu l'homme tout entier et lui apporte une joie inexprimable. Grâce à la joie et aux douceurs qu'il perçoit, l'homme en vient à oublier cette vie et ne voit plus dans ce monde que poussière et cendres. Sur l'humilité et la sagesse dans l'humilité La septième vertu est l'humilité et l'humilité de la sagesse. Les vieillards, les malades, les simples d'esprit, les pauvres, les ignorants sont sauvés par la seule humilité du cœur. Par elle, tous les péchés sont pardonnés ; elle tire l'homme de la fosse du péché. Grâce à l'humilité dans la sagesse les plans et les pièges de l'ennemi sont détruits ; la vie spirituelle est fortifiée et préservée de toute chose. Sur le silence La huitième vertu est le silence qui consiste à s'éloigner de tout souci et de tout trouble venu du monde et à rester muet dans la foule. Celui qui sait discipliner et contrôler sa langue tient en bride son corps tout entier. Celui qui parle peu échappe aussi à tous les maux qui naissent de la parole. La langue est un mal qu'on ne peut réprimer. Beaucoup ont péri par l'épée, mais plus encore ont péri par leur propre langue. La langue est comme une épée à deux tranchants, qui meurtrit de façon invisible le corps et l'âme ; elle ne cesse de proférer des mots vides dans l'oisiveté des spectacles. O langue, ennemie de la droiture ! O langue destructrice et esprit de Satan ! Par les épreuves l'homme élève l'édifice spirituel et bâtit son Salut ; mais toi, ô langue, par un mot, en un instant, tu peux détruire et anéantir le tout. L'homme sage s'enferme dans le silence. Sur le détachement de toutes choses La neuvième vertu est le détachement de toutes choses et l'extrême pauvreté. Un moine détaché des choses est comme un aigle qui vole sur les cimes ; il ne se laisse pas attirer par les vanités de ce monde, et il reste intouché ; fuyons, fuyons l'amour de l'argent et des autres choses comme si c'était un lion rugissant, car il transforme l'homme doux et humble en une bête féroce excitée par la colère sans merci et le souvenir des torts reçus. Sur le discernement La dixième vertu consiste à avoir un bon discernement en toutes choses, car sans discernement le bien peut se transformer en mal et ne plus présenter les qualités du bien. Il est impossible d'être sauvé, si on ne possède pas ces dix vertus. Les Saints pères les ont commentées longuement dans leurs homélies. Nous n'avons fait ici qu'en parler brièvement. Trois de ces vertus sont fondamentales et doivent être recherchées par amour de Dieu, sans hypocrisie, ni souci de plaire aux hommes : le jeûne, c'est-à-dire une abstinence modérée et constante ; l'application constante à étudier les Saintes Ecritures en veillant avec modération, c'est-à-dire selon sa conscience et ses capacités ; la pratique intelligente de la prière du cœur, c'est-à-dire avec un esprit attentif aux mots de la prière et avec la garde intérieure du cœur. Faute de quoi, celui qui possède ces vertus ne se distingue en rien de celui qui ne les possède pas. Si on acquiert une vertu dont la pratique nous pousse, par notre volonté, à des pensées d'orgueil, mieux vaut la délaisser. Nous sommes récompensés, non pas tant des épreuves endurées que de l'humilité avec laquelle nous les avons endurées ; Mieux vaut être pécheur et se repentir que de s'être réformé et d'avoir un esprit hautain. Que le Seigneur Dieu nous éclaire et nous affermisse dans l'accomplissement de Sa Volonté, et la pratique des Commandements sacrés et des vertus. A lui soit la gloire, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Amen. Sur les passions du corps, leurs causes et le moyen de les éteindre Le désir charnel est suscité chez l'homme par la chaleur et le confort, ou par l'excès de nourriture et de sommeil, ou par l'action de Satan. Il peut aussi naître du jugement arbitraire porté sur autrui, de la vanité, de la beauté physique, des conversations oiseuses, de la coquetterie et de la lubricité. Quand nous viennent des pensées impures ou des fantasmes, pendant le sommeil comme en plein jour, et que la chair est excitée, nous ne pouvons être délivrés que par le jeûne et la prière pendant une nuit de veille. Quand l'âme et le corps sont éprouvés par l'épuisement, et qu'on reconnaît quelle force ils en retirent, on n'est pas loin d'être délivrés des passions. Sur la marche dans la vigilance Nous devons nous interroger tous les soirs sur la manière dont la journée s'est écoulée, et chaque matin sur la façon dont s'est passée la nuit. Nous devons faire les comptes avec nous-mêmes en tous lieux, en tous temps et à tout propos, et non pas de façon occasionnelle. Nous devons revenir sur nos vertus et nos passions et sur l'état de notre vie : sommes-nous au début, au milieu ou à la fin ? Travaillons-nous de manière à mériter les récompenses et pratiquons-nous les vertus, ou peinons-nous simplement sans récompense, Lorsque nous avons péché, compensons notre manque de vertus en offrant larmes et lamentations. Nous sommes encore loin de la perfection et la Grâce ne nous touche pas, parce que nous ignorons le point d'origine des vertus, leur progression, leur terme accompli. Nous ignorons aussi comment les vertus se perdent, si bien que la vanité s'accroche à chacune de nos vertus et la ruine. Si nous ignorons tout cela, nous travaillons en vain. Bien que les vertus soient censées appartenir à l'âme, le corps aussi connaît la souffrance et l'affermissement. On parle de passions de l'âme quand l'âme, séparément du corps, se met à les chérir, et à s'y complaire. Les passions du corps sont celles où le corps se complaît et par lesquelles il se laisse entraîner. Dans ces deux cas, l'âme et le corps ne s'accordent point. Sur les passions de l'âme et du corps Il faut en premier lieu nettoyer la demeure royale de toute impureté et la rendre resplendissante, afin que le roi puisse y entrer. De même, nous devons d'abord purifier la terre du cœur et en arracher les racines du péché et les actes passionnés. Il faut la rendre légère en acceptant les afflictions et la route étroite qui conduit à la Vie ; il faut y semer les germes de la vertu, l'irriguer des larmes et des lamentations. Alors seulement peut se développer le fruit de l'impassibilité et de la vie éternelle. Car le Saint Esprit ne visite pas celui qui ne s'est pas purifié des passions de l'âme et du corps. Ne peuvent reposer en l'homme et le Saint Esprit et les passions. Là où est le Saint Esprit, les passions n'approchent pas ; là où sont les passions, le Saint Esprit ne réside pas mais c'est le démon qui est présent. Il faut commencer par bannir tout amour de soi sous quelque forme que ce soit, et se rabaisser dans le repentir : dans nos pensées, dans nos actes, dans nos paroles, dans notre nourriture, dans nos habits, dans notre maison, dans notre vie intérieure, en toutes choses nous devons faire preuve d'humilité et nous blâmer. En tout, choisissons pour nous-mêmes ce qui est le moins beau, et ainsi seront apaisées les passions de l'âme. L'humilité ne connaît jamais la chute, car elle est en dessous de toutes choses. Il est également nécessaire d'humilier la chair, de l'épuiser dans les épreuves et les afflictions sans prendre de repos, afin que les passions du corps soient étouffées. Contrôlons aussi notre langue qui est la source du mal et qui détruit le bien. Ainsi cesseront d'agir et seront humiliées les passions de l'âme et du corps. L'homme sans passion commencera d'acquérir la vie éternelle. L'ennemi sera vaincu car il se révèlera sans pouvoir ; ses armes et ses pièges ne lui seront d'aucun secours. Sur l'impassibilité L'impassibilité ne consiste pas seulement à fuir les actes passionnés qui conduisent au péché ; elle implique que le désir même de ces actes est absent. Est impassible celui qui a rejeté toute pensée qui engendre la contrainte ou la fourberie. Est impassible celui qui s'est élevé au-dessus des passions, qui n'est troublé par aucune des choses de ce monde, qui ne craint pas les épreuves, les calamités, les dangers, celui que même la mort n'effraie pas puisqu'elle donne accès à la vie éternelle. Est impassible celui qui, lorsqu'il souffre des attaques des démons et des hommes méchants, ne leur prête pas attention et ne les regarde même pas comme un mal. C'est comme si quelqu'un d'autre souffrait. Glorifié, il ne se vante pas ; offensé, il ne s'irrite pas. Tel un enfant, il se lamente quand il est châtié, et il se réjouit quand il est consolé. L'impassibilité n'est pas une vertu spéciale, elle désigne toutes les vertus prises ensemble. L'homme impassible est amené à la vie par le Saint Esprit. Sans le Saint Esprit, le corps spirituel, qui est la somme des vertus, est sans force.Tant que le Saint Esprit ne réside pas en l'homme, même purifié des passions, celui-ci n'est pas impassible, car il continue de souffrir. Dès que le Saint Esprit descend sur un homme, il le soulage de tous fardeaux et de toutes peines. Le Saint Esprit peut descendre et résider en chacun de nous. Gloire à toi notre Dieu, pour toujours. Amen. Sur la pureté du cœur et de l'âme C'est à l'issue d'une vie d'épreuves et grâce aux exploits spirituels que sont purifiés le cœur, l'intellect et l'âme ; car le cœur se purifie par les afflictions et les vertus les plus ardues de l'intellect et du corps : la faim, la soif, la veille entre autres. Des désirs passionnés et incontrôlés naissent les passions du corps et la fornication. Avec un cœur pur, le jeûne et la prière, l'intellect est purifié des pensées mauvaises et des fantasmes. Avec un intellect pur, l'âme est libérée de ses passions et elle est sans cesse illuminée. Avec une âme pure, l'intellect peut voir enfin. - C'est la vision en esprit, la contemplation-. Sans la pureté du cœur, de l'intellect et de l'âme, c'est-à-dire sans l'impassibilité, les démons ont l'audace de pénétrer en nous, de nous perturber et de nous duper. Car seul un cœur pur, une âme pure et un intellect pur peuvent voir le Soleil Spirituel.Il faut se montrer particulièrement attentif au jeûne et à la prière incessante, de façon qu'elle pénètre jusqu'au plus profond du cœur et le purifie des passions de l'âme et du corps ; l'âme est alors illuminée par la prière qui est source de joie et de tendresse et éloigne de l'esprit pensées mauvaises et fantasmes. Lorsque le cœur, l'intellect, l'âme et le corps d'un homme ont été ainsi purifiés, la Grâce peut alors descendre habiter en lui ; la porte est alors fermée aux démons et aux passions et l'on connaît les douceurs spirituelles. Tant que les mouvements naturels n'ont pas été affaiblis dans le corps de l'homme et n'ont pas cessé de susciter dans le cœur une douceur qui est péché, tant que ses sens ne sont pas purifiés en cette vie, tant que l'intellect n'est pas sorti des ténèbres et des fantasmes et tant que l'âme n'est pas libérée de ces liens, l'homme ne peut connaître les douceurs de la Grâce, ni voir la divinité dans son âme. La pureté commence là où l'intellect repousse le péché. Elle culmine dans la mortification et dans la froide indifférence du corps face au péché. Le cœur devient impur avec les plaisirs de la fornication et avec l'excitation du péché. Le corps devient impur avec la chute dans le péché. L'intellect devient impur quand il a des pensées impures. L'âme devient impure dans les diverses passions qu'elle éprouve, lorsqu'elle aime quelque chose de façon excessive et y trouve plaisir. Quiconque endure des épreuves corporelles et pratique certaines vertus sans prêter attention à la disposition du cœur, sans concentrer son intellect avec ferveur et sans rechercher la tranquillité de l'âme, celui-là disperse d'une main ce qu'il rassemble de l'autre. Les épreuves corporelles ne sont que le début du chemin spirituel, tandis que la sobriété intérieure du cœur, l'activité mentale et le maintien de l'âme sont à la fin. Le labeur physique sans le regard intérieur et la concentration est comme une feuille morte. Si donc nous n'arrivons pas à la perfection et ne recevons pas la Grâce, c'est que nous ne savons pas par où débuter notre vie spirituelle ; nous ne savons pas en quoi elle consiste, ni à quoi elle doit aboutir ; nous ne connaissons ni son essence, ni le fondement des vertus. Nous ne cesserons pas d'amasser et de répandre tout ensemble tant que nous n'aurons pas découvert cette connaissance. O homme ! Discerne où commence la vie ascétique et spirituelle, où les vertus naissent, vois comme les passions entrent facilement en nous, afin de recevoir l'illumination de l'âme. Si tu ne commences pas par là, c'est comme si tu semais dans la mer qui engloutit tout. Sur l'obscurcissement de l'intellect, ou du manque de discernement. L'occultation de l'intellect provient de diverses passions : elle se produit quand nous parlons trop, quand nous nous inquiétons en vain, quand nous sommes trop précautionneux, quand nous sommes affligés, quand nous succombons aux fantasmes et que nous mangeons avec excès ou dormons trop. Elle vient souvent des démons, qui nous perturbent quand ils s'approchent de nous. Dès que ces passions entrent en nous, l'oeil de l'âme se ferme. L'intellect n'a plus qu'une vision assombrie et ne perçoit plus rien de spirituel. Il ne comprend plus, il est comme celui qui a l'oeil sain, mais ne peut rien percevoir dans les ténèbres de la nuit : celui-la trébuche, et parfois tombe au fond d'un puits. Ainsi l'homme dont l'intellect est obscurci tombe dans le puits de diverses passions. Il se décourage, il est envahi de fantasmes, il s'adonne au sommeil et s'oublie complètement sans se rendre compte qu'il est sur le chemin qui mène à la perdition éternelle. Sur la sobriété de l'intellect ou de la vigilance. Un esprit calme et une pensée limpide naissent de l'impassibilité ; celle-ci suppose la pureté, le jeûne, la continence, le silence constant, la réclusion en cellule, la pratique de la prière du cœur, l'absence de soucis . Alors l'activité du Saint Esprit produit l'impassibilité, quand le Bienfaiteur nous donne Sa Grâce. Par ces vertus l'esprit, purifié des fantasmes et des pensées obscures et imparfaites, est illuminé. L'homme devient alors capable de comprendre, de raisonner et la joie est en lui. Nul ne saurait, par aucun moyen, couper court à l'afflux des pensées, sinon par la prière du cœur ininterrompue, le souvenir de la mort et des tourments à venir, le souvenir, le désir et la considération des biens futurs, et l'attention à la lecture et à la psalmodie dans la solitude. Mais par-dessus tout, l'intellect est purifié de tous fantasmes grâce à la prière, au jeûne et au silence. La prière et le jeûne chassent toute pensée de péché ; l'excitation du cerveau est calmée ; l'intellect est préservé de toute distraction et de tout égarement ; il est comme rassemblé et illuminé. La prière et le jeûne éloignent de l'homme les esprits impurs. Ceux que les démons tourmentent sont soulagés, ainsi qu'a dit le Seigneur : « Cette engeance-là ( c'est-à-dire, les démons) ne sort que par la prière et le jeûne » (Matt. 17, 21). La prière et le jeûne lient aussi l'intellect des ténèbres qu'engendrent les démons. La prière et le jeûne sont des armes pour nous protéger des attaques des démons. La prière est comme un esprit de source divine ; elle éclaire l'intellect et conduit à la ferveur. La prière dans un cœur sobre est le gardien de l'intellect ; elle éteint son manque de mémoire comme l'eau agit sur le feu. Il faut donc respecter cette vertu très précieuse car elle engendre des visions éclatantes. Toi malheureux pécheur, dès que tu auras commencé à aimer cette vertu, tu seras sanctifié et rendu digne ; toi qui ne comprends pas les choses ni ne sait en juger, tu acquerras compréhension et jugement. Les injustes deviendront justes et, mieux encore, visionnaires, théologiens et témoins des mystères divins, lorsqu'ils invoqueront le Nom de Notre Seigneur Jésus Christ, le Fils de Dieu. Beaucoup des Saints Pères ont dit que la prière du cœur est la source de tout bien et un trésor de vertus. Elle nous permet de recevoir rapidement la Grâce du Saint Esprit. Elle sauve, elle explique et elle instruit dans des domaines qui nous sont inconnus. De même qu'un homme voit son visage dans un miroir, de même dans la prière calme et sincère, il peut avec son intellect voir sa vie entière et distinguer s'il vit dans le bien ou dans le mal. Cette prière libère les hommes de nombreuses passions ; elle le délivre des attaques du démon en pensées, en paroles et en actions. Elle lui permet de contrôler les désirs naturels, les sentiments, les peines ; elle vient à son secours dans toute tentation ; elle le purifie et le protège de tout, car elle invoque par Son Nom Dieu à qui tout est soumis. Rien ne peut mieux résister aux fourbes attaques des démons que la prière du cœur, lorsqu'elle est pratiquée avec pureté et application par un intellect pur et un esprit sage et humble. Tout homme qui cherche à s'élever spirituellement ne peut résister aux attaques des démons sans pratiquer la prière du cœur. Toutefois, s'il n'est pas instruit dans cette prière, il périra après avoir beaucoup souffert. S'il en a seulement entendu parler ou s'il a lu dans les écrits des Pères qu'elle est très profonde mais ne peut en percevoir l'essence, il va se mettre à la pratiquer et à raisonner faussement à son sujet. Il pensera avoir atteint la perfection et sera soumis aux fantasmes parce qu'il a les ennemis en lui et qu'il ne s'est pas auparavant purifié dans le calme, l'attention et la veille, de sorte qu'il sera détruit par les démons. Pour débuter cette activité très bonne et véritablement splendide, il faut faire ceci : il faut d'abord vaincre les passions, ne pas faire ce qui ne plaît pas à Dieu, ni faire à aytrui ce qu'on ne voudrait pas pour nous-mêmes. Ensuite il faut préserver le cœur des plaisirs et de l'excitation impure de la chair ; il faut préserver l'intellect de toutes pensées afin que le cœur repose dans l'humilité et la sagesse. Dès lors la prière est déjà en pratique ; elle vainc et détruit un grand nombre de passions et d'esprits malins et la Grâce croît. De même que le jeûne et la prière du cœur permettent de nous purifier et de devenir sobres et attentifs, de même cette sobriété nous rend dignes, nous sanctifie et nous aide à prier. En d'autres termes, la sobriété est ce qu'on appelle la pureté de l'intellect, tandis que l'impureté de l'intellect, les pensées souillées et l'impureté du cœur sont ce qu'on appelle la fièvre et la volupté charnelle. Le cœur ne peut rester pur, de manière à ne pas être souillé, s'il n'est pas meurtri par le jeûne. Il est également impossible de conserver la sanctification sans pratiquer le jeûne, car la chair ne se laissera pas soumettre par l'esprit et la prière ne pourra s'élever si les besoins naturels dominent. La chair sera alors forcément enfiévrée. De l'excitation de la chair naissent les pensées et l'intellect se trouve corrompu. Avec de telles pensées le cœur est troublé et corrompu ; la Grâce alors s'éloigne et les esprits impurs en profitent pour nous subjuguer à plaisir. Ils poussent la chair aux passions et dirigent l'intellect comme ils veulent ; ou bien ils le ligotent, comme avec des cordes, le retiennent et le rendent incapable de tout désir et de toute activité spirituels. S'ils ne parviennent pas à cette fin, les démons ne peuvent rien contre nous. Car les démons essaient pour commencer de perdre notre intellect dans l'ignorance et la négligence, puis de nous précipiter dans les abîmes du péché. Ayons toujours recours au port tranquille du jeûne pour nous protéger des filets spirituels de l'ennemi, car le jeûne purifie le corps. Il nourrit et fortifie la prière, la faisant monter de nos lèvres avec une flamme ardente. Ainsi liée au jeûne, la prière sobre consume les démons car ils ne peuvent s'approcher d'une âme chaste qui est pour eux comme une fournaise ardente ; ils ne peuvent lui faire aucun mal. Sur la prière du cœur : c'est elle qui apporte bientôt la Grâce à l'âme et la sauve. « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi ! » Celui qui dit cette prière avec ardeur et sans interruption, comme il expire l'air de ses narines, celui-la reçoit bientôt en lui la Sainte Trinité, Père, Fils et Saint Esprit. La Sainte Trinité s'installe en lui, la prière dévore son cœur et le cœur la prière. Celui qui répète cette prière nuit et jour sera délivré des attaques de l'ennemi. Il faut dire la Prière du cœur de la manière suivante : « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi ! » Que tu sois debout ou assis, en train de manger ou en voyage, en toutes circonstances, ne manque pas de dire cette prière, en te forçant, car elle seule peut frapper l'ennemi invisible, tel un soldat avec sa lance. Que tes pensées en soient imprégnées ; ne te laisse pas distraire et n'hésite pas à la dire en secret même dans les lieux d'aisance. Quand la langue et les lèvres sont épuisées, continue à prier avec le seul intellect. Quand on a beaucoup prié avec la langue, on accède à la prière de l'intellect et de là à la prière du cœur. Quand la concentration commence à affaiblir l'intellect et que le cœur fait mal, on peut s'accorder un peu de repos et psalmodier. Il faut dire la prière tout haut, mais pas trop fort, suffisamment toutefois pour qu'on l'entende. Pendant la prière, il ne faut pas laisser les pensées divaguer sur les choses corruptibles de ce monde ; il faut s'imposer de garder en mémoire la seule prière. La prière n'est rien d'autre que la séparation d'entre les mondes invisible et visible. Il faut donc enfermer son intellect dans la prière. Là où se tient le corps, là aussi doit être l'intellect, libéré de toutes pensées au moment de la prière. Les Saints Pères disent : « Celui qui prie avec les lèvres mais ne surveille pas son intellect, celui-là peine en vain, car Dieu prête attention à l'intellect plutôt qu'aux paroles. La prière mentale n'autorise pas l'intellect à avoir des fantasmes ou des pensées impures ». Celui qui ne peut s'habituer à dire mentalement la prière, celui-la ne peut avoir la prière incessante. Dès que la prière devient pour quiconque une habitude et pénètre dans son cœur, elle jaillit comme l'eau de la source. En tous temps et en tous lieux, quelle que soit son occupation, elle surgira toujours en lui, qu'il soit éveillé ou endormi. Même quand le corps commence à somnoler ou à s'endormir, elle le réveille, jaillissant hors de son cœur pour ne plus s'interrompre. Cette prière est magnifique ; elle ne s'arrête jamais ; même quand les lèvres s'épuisent et que le corps s'assoupit, l'esprit ne dort pas. Quand un travail demande une grande attention, quand l'intellect est envahi par toutes sortes de pensées ou que le sommeil gagne, il faut alors prier très fort avec les lèvres et la langue, afin que l'intellect prête attention à la voix. Quand par contre l'intellect est en paix et qu'il est dégagé de toutes pensées, on peut prier avec lui seul. Cette manière de prier est une voie plus rapide vers le Salut que ne le sont les psaumes,les canons – forme de poème liturgique chanté notamment aux Mâtines- et les prières habituelles que disent ceux qui savent lire et écrire. Ce que l'adulte est à l'enfant, telle est cette prière par rapport au savant grammairien, je veux dire, à une prière écrite et composée avec art. La prière du cœur et de l'intellect est réservée à ceux qui sont illuminés. A ceux qui sont en voie d'être illuminés est donné le chant de l'église ; quant aux débutants, ils doivent commencer par connaître l'obéissance et les épreuves. Pour grandir et se développer, cette prière requiert le calme, la continence, l'isolement par rapport aux hommes et aux choses ainsi que l'absence de distraction. Il n'est pas possible de pratiquer la prière incessante si tous ces obstacles n'ont pas été écartés. Qu'il ne faut pas se laisser accabler par l'attachement aux choses. Les démons sont la cause de toutes les vexations et de toutes les peines. Ils sont assez rusés pour nous inquiéter et nous prendre à leurs pièges, au mauvais moment, afin de distraire notre intellect de la concentration et de la prière. Ils s'efforcent de rendre notre intellect oisif, de le distraire de la recherche du Salut et de l'éloigner de l'amour de Dieu qui s'élève en prières. S'ils pouvaient, ils nous donneraient tous les royaumes et toutes les richesses de ce monde, et nous en serions si préoccupés que notre intellect oublierait l'amour de Dieu et perdrait la mémoire constante de la prière, la pratique de la prière incessante étant elle-même amour de Dieu. De cela nous devons nous garder par-dessus tout et ne pas abandonner la prière très douce. Nous devons nous en remettre complètement à Dieu, qui subvient à tous nos besoins. Oublions tout ce qui se fait dans ce monde et ne nous attachons à rien. L'attachement aux choses lie les mains et les pieds du moine et le contraint malgré sa volonté à aimer le monde. De même que l'eau éteint le feu, de même aussi l'attachement aux choses éteint l'amour de Dieu. Prenons garde et ne cessons pas d'aimer Dieu avec ferveur, et le Seigneur prendra soin de nous. La prière nous fera venir des fontaines de larmes. Si nous nous éloignons des désordres et de l'agitation du monde, si nous faisons attention et avons la garde du cœur,la douceur gagne, les larmes jaillissent bientôt d'elles-mêmes, coulant non sous la contrainte mais dans la plus grande joie. Quiconque cherche dans la prière à s'emplir de l'amour de Dieu dès avant le départ de son âme et à vivre en ascète, afin d'éprouver dans son propre corps la mort de Jésus, pour être constamment mort à la chair et que tous les jours de sa vie soient consacrés à Dieu seul, celui-là doit renoncer une fois pour toute à tous les attachements, à tous les désirs, à tous les soucis et à la vanité de ce monde. Eloigne-toi des hommes, du tumulte et des désordres ; vis comme vivent les oiseaux et ne t'inquiète pas des choses vaines. Toutes choses resteront sur terre. Ici, nous sommes des hôtes de passage, ainsi que dit l'Apôtre Paul : « Mais nous, nous sommes citoyens des Cieux » (Phil.3, 20). Ne soyons préoccupés que de notre âme, et pour ce qui est de nos besoins, remettons-nous en à Dieu qui prend soin de nous. Jamais, au grand jamais, Dieu n'abandonne ceux qui ont mis tous leurs espoirs en lui, et Le suivent de tout leur cœur avec amour. Mieux vaut vivre un seul jour dans l'espoir de Dieu et puis mourir que d epasser des années avec une âme qui balance. Nulle part il n'est écrit que ceux qui ont mis leur espoir en Dieu ont été abandonnés, car il est impossible d'être sauvé, si l'on ne libère pas l'intellect de toute vanité et de tout souci afin de l'unifier. L'intellect est un : soit il est offert entièrement au Christ, soit il est pris totalement par les soucis d'ici-bas. Toute pensée ou toute préoccupation déplacées ne font que distraire notre intellect de la prière et procèdent des démons. Celui qui désire être sauvé et plaire à Dieu, celui-la doit se détacher de toutes choses terrestres et vivre comme vivent les oiseaux. Qu'il choisisse un endroit isolé qui lui convienne et qu'il y reste seul, ou avec un enfant spirituel. Qu'il endure les privations dans son corps – nourriture, vêtements et autres objets. Dans le besoin, l'âme devient humble et contrite tandis que l'intellect est exalté. Lorsque l'homme ne voit rien autour de lui, il lui est plus facile de supporter les peines dans son corps, et de connaître la joie de l'âme en pensant aux biens à venir. Lorsque l'abondance règne dans une communauté nombreuse, l'intellect ne peut pas ne pas être distrait ; l'obéissance est alors nécessaire, ainsi que l'abandon de la volonté propre de chacun, dans l'observance de ce qui est ordonné. Sur la prière incessante Que faut-il faire pour que l'intellect soit constamment occupé de Dieu ? Si nous n'avons pas acquis ces trois vertus : l'amour de Dieu et des hommes, la continence et la prière du cœur, alors notre intellect ne peut pas être complètement occupé avec Dieu. Car l'amour réduit toute colère, la continence apaise les désirs de la chair et la prière libère l'intellect de toutes pensées, de la haine et de l'orgueil. Sois donc constamment occupé de Dieu : Dieu t'instruira en tout et Il te révèlera par son Saint Esprit ce qui est dans les Cieux, et ce qui est ici-bas. Prière à la trinité qui donne la vie O Père bon, Très Saint Fils et Saint Esprit, O Sainte trinité, ô Dieu indivisible, sauve-moi pécheur. Amen. Quatre vertus liées entre elles Pour accéder au bien, il faut rester assis en cellule, pratiquer la prière incessante et contrôler l'estomac et la langue. Celui qui ne recherche pas ces quatre vertus, qu'il sache que non seulement il les ruine, mais qu'il jette à bas le fondement de toute vertu et ouvre grand le flot des passions et les abîmes du trouble. La cellule est pour le moine ce que la tombe est pour l'homme mort. Le mort ne bouge pas dans sa tombe ; et le moine dans sa cellule ne commet pas de péchés, étant libéré de ces trois occasions de péchés qu'offrent la vue, l'ouïe et la conversation. Dieu seul réside en lui, ainsi que des œuvres bonnes. La prière l'éloigne de toutes pensées, si bien que tout ce qui appartient à ce monde est considéré comme cendres et poussière. Quand l'âme ressent la douceur de la prière, elle reconnaît que la vie n'est rien. Elle ne désire ni belles choses ni choses agréables. Elle en oublie jusqu'à elle-même, et tous ceux qui vivent sur terre. Il faut donc suivre la règle de la prière et même s'y forcer. Lorsque l'épuisement gagne, il faut se mettre à un travail manuel, afin de ne pas être emporté par le sommeil. Si la nuit, pendant la prière, le sommeil attaque et que les paupières s'alourdissent, il faut continuer à veiller avec une lumière sans céder, en regardant fixement l'icône. La restriction de nourriture, le jeûne et l'abstinence permettent de veiller avec un corps léger et de pratiquer les vertus. Celui qui est tempérant vole tel un aigle sans que sa chair lui pèse. Le contrôle de la parole délivre des vices suivants : la calomnie, l'agitation, les vaines paroles, le mensonge, la dureté du cœur sans contrition, le découragement, la vaine gloire, la mise en avant des épreuves ascétiques. L'excès des paroles détruit les vertus, gaspille le silence et engendre bien d'autres passions honteuses. Celui qui garde le silence effraie les démons, parce que ceux-ci ne voient pas les secrets du cœur de celui qui est parfait et ne parle pas. Celui qui aime à parler beaucoup n'échappera pas au péché. Si on pouvait placer sur le plateau d'une balance tous les actes d'une vie pécheresse et sur l'autre plateau le silence, on découvrirait que le silence est de plus de poids. Voyez comme l'ermite du désert est aidé à acquérir les vertus en contrôlant la parole et voyez combien de démons elles détruisent. La prière incessante est le début, le milieu et la fin de la vie silencieuse au désert ; elle en est la racine et la fondation. Elle est aussi confortée par la sobriété, par l'absence de fantasmes dans l'esprit et par la faim. Autrement l'homme est entraîné par ses pensées vers le sommeil, la paresse, la distraction, le découragement, la faiblesse et il gaspille son temps en vain. Ce qui lui est demandé, en outre, c'est une foi fervente et inébranlable, l'espoir en Dieu, la patience, la fermeté que procure le courage, le détachement vis-à-vis de toutes choses bonnes ou mauvaises. L'intellect, lorsqu'il est occupé avec des objets, tend à s'inquiéter, à avoir des fantasmes et des distractions, et à s'attacher aux objets. L'ardeur du cœur s'en trouve diminuée, de même que la prière, la ferveur spirituelle et le zèle pour la foi. Quand l'intellect n'est plus attentif, il s'assoupit et s'oublie ; Alors l'homme gaspille son temps, il oublie de penser à la mort, aux tourments à venir et au Royaume des Cieux. L'intellect gît dans le corps, et dort d'un sommeil ténébreux. L'âme ne peut lutter seule contre le sommeil ; c'est-à-dire sans la sobriété et la prière du cœur ; il lui faut l'éveil et l'aide de l'intellect. Soit l'homme est fortifié et accède à la perfection grâce à l'éveil de l'intellect et à l'activité du cœur, soit il s'affaiblit, se laisse conquérir par les passions et souffre des démons. Car celui qui demeure sur le droit chemin en faisant agir son cœur, celui-la préserve son intellect de toutes pensées mauvaises ; le cœur veille et les Saintes Puissances résident en lui et l'aident. Celui qui ne suit pas ce chemin est conquis par les pouvoirs de l'adversaire ; Les Saints Pères ont expliqué : « Celui qui reste dans le calme de sa cellule ( la cellule t'enseignera tout), avec une âme, un intellect et un cœur en éveil et pleins de ferveur, préoccupé de Dieu seul, détaché de toutes choses, l'intellect restant sobre et préservé de tous fantasmes, tempérant dans sa nourriture, pratiquant la prière du cœur incessante, chez celui-la, l'âme et le cœur seront comme transpercés par une épée et son intellect sera illuminé par le zèle ». Le silence permet de se présenter devant Dieu debout, tel un serviteur attentif. Celui qui a pratiqué tout cela et a fait l'expérience de ce qu'il ne connaissait pas, la douceur de l'amour de Dieu dans la prière du cœur, celui-la fuira désormais les hommes tel un poulain sauvage. Il apprendra à connaître le silence du désert et recevra tous les bienfaits de l'anachorèse. Qu'il nous faut nous préoccuper de notre vie intérieure, ne pas nous laisser aller aux soins excessifs et prier Dieu sans cesse Toi qui es moine, prends garde aux pièges habiles des démons et que ton esprit reste sobre ! Lorsqu'ils voient un homme bien disposé, qui prie et fait preuve de vertu dans les larmes, les malins démons lui rappellent tel ou tel travail qui l'attend dans sa cellule, et lui disent : « Cette tâche est indispensable. Veille à l'accomplir ». Aujourd'hui c'est ceci, demain c'est autre chose ; va visiter tel père ; va ici et puis là. Ils l'obligent à faire des provisions excessives de nourriture ou présentent quelque autre prétexte, causant en lui distraction et angoisse. Ils agissent ainsi afin qu'il ne soit pas disponible pour Dieu, ni rassasié dans les larmes de la pénitence. Toi, ascète et guerrier du Christ, apprend à reconnaître les tromperies des démons et observe-les, afin de ne pas te laisser entraîner par eux. Là, de même qu'il est impossible de regarder le ciel d'un œil et la terre de l'autre, de même l'homme ne peut se préoccuper simultanément de son corps et de son âme. Comme une source ne peut faire jaillir ensemble des eaux douces et des eaux amères, ainsi l'on ne peut servir en même temps Dieu et les hommes et se soucier du corps. Il est impossible de servir Mammon et de plaire à Dieu, car il faut détester l'un et plaire à l'autre ; un esclave qui suivrait deux maîtres ne saurait aimer les deux. Considérons qu'est immortel notre Créateur et lui seul, afin de Le servir, de Lui consacrer le peu de temps qui nous est donné et de mettre notre espoir en Lui pour l'éternité. Les Saints Pères ne s'occupaient que du jour présent. Pour ce qui concerne le lendemain, en tout, ils s'en remettaient à Dieu, déposant entre les mains du Seigneur leur âme et leur corps afin que Lui-même prît soin de leur vie et subvînt à leurs besoins. « Remets ton sort au Seigneur, et Il te soutiendra » ( Ps. 54, 23). Vis sans cesse occupé de Lui, car il écoute jour et nuit ceux qui s'adressent à Lui ; en particulier, il est attentif à entendre la prière incessante. Si nous cherchons notre confort, Dieu ne prendra pas soin de nous. Si nous nous vengeons nous-mêmes, Dieu ne nous vengera pas. Si nous nous sortons nous-mêmes de la maladie, Dieu ne nous guérira pas. Lorsque nous avons l'espoir, nous nous dissolvons dans la prière ; nous abandonnons tout souci et alors nous revient la mémoire de la mort et du Second Avènement du Christ. Le cœur ardent est comme embrasé ; l'intellect est purifié et illuminé ; l'âme se réjouit dans la contrition et demeure dans la crainte de Dieu. Lorsque nous nous laissons submerger par les tâches et les soucis, nous oublions et le souvenir de la mort, et l'avènement du Christ ; l'ardeur du cœur est refroidie ; la lumière de l'intellect est occultée ; la contrition et la crainte de Dieu abandonnent l'âme ; Plaçons plutôt notre espoir en Dieu, afin qu'il dirige notre vie et qu'elle soit selon les paroles de l'Apôtre : « Si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur ; et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur ; de sorte que, soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur » ( Rom. 14, 8). C'est-à-dire que, si nous vivons de l'espérance en Dieu, selon les mots du Seigneur : « Celui qui croit en moi vivra, quand bien même il mourrait ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » ( Jean 11, 25-26). Si nous sommes préoccupés du lendemain et ne pensons qu'à nous réjouir, gaspillant ainsi le peu de temps qui nous est imparti, comment donc pourrons-nous être disponibles pour le Seigneur ? Nous serons alors évidemment conduits à l'abandonner, à nous éloigner de son amour divin et à perdre toutes vertus. Et c'est lui-même qui nous abandonnera alors. Nous serons privés de sa gloire et, pour notre vie, nous n'aurons plus qu'à nous en remettre à nous-mêmes ; Que nous vivions ou que nous mourions, nous vivrons alors dans le péché, et nous mourrons dans les tourments. Ne nous laissons pas gagner par les soucis, car nous serons privés des bonnes choses d'ici-bas et nous ne recevrons pas les bonnes choses à venir. Renonçons une fois pour toutes aux choses matérielles et à la sagesse du monde. Rejetons dans l'oubli les choses trompeuses d'ici-bas. Dédaignons les duperies et tout ce qui est temporel. Avançons seuls dans la voie du Seigneur. Servons-Le jour et nuit dans la crainte. Soyons dans ce monde comme si nous étions nus, et vivons la vie des oiseaux. Toi qui es moine ! Ne vois-tu pas que tout ce qui est dans le monde ne pèse rien ? Et pourtant tu te préoccupes des nécessités du corps ! Tout se corrompt et a une fin. Dans la prospérité de ce monde ou le confort du corps – vanité des vanités. O toi qui es moine ! Laisse-moi te dire ceci pour ton bien : rien n'est plus précieux à chaque homme que son âme, tandis que notre corps nous est étranger, étant mortel et corruptible. Dieu mis à part, seule notre âme est immortelle et incorruptible. En vérité, celui qui a mis son espoir en Dieu ne s'occupera pas de la chair ni de savoir comment la vêtir ; il n'amassera pas pour apaiser sa faim ; il n'aura peur de rien, ni d'être dévoré par des bêtes féroces, ni d'être tué. Suivant le commandement, il ignorera tout cela, car en tout Dieu lui viendra en aide et prendra soin de lui. Celui qui ne place pas tout son espoir en Dieu, celui-la, dans le besoin ou dans la peine, ne peut dire : « Comme il plaît à Dieu », et ne peut être sauvé. Celui qui endure les épreuves les unes après les autres se réjouit lors du départ de son âme ; et, après son exode, il possède la joie indicible. Lorsque nous sommes malades ou blessés, que nous sommes prêts de mourir, que nous manquons de l'essentiel et que personne n'a pitié de nous, si nous disons : « Que Dieu fasse de moi ce qu'il désire », cela suffit à humilier le démon et à le maîtriser. A chaque instant, pense à la mort, et à la venue du Christ. Dis-toi : « Je vais maintenant m'efforcer d'élever mon âme, car ce soir je peux mourir ». Lorsque vient le soir, dis-toi ceci : « Ne vais-je pas mourir cette nuit même ? Si la mort me surprend, si un arbre m'écrase ou si ma maison s'écroule sur moi, si ma respiration soudain s'arrête et que je passe comme une fleur se fâne...De même que l'herbe sèche au soleil, je vais mourir sans laisser de trace ; Dieu seul sait où je serai alors, car Il jugera chacun selon ses actes et dira : « Je t'assigne là. » A cela pense toujours et ne te soucie de rien d'autre. Préoccupe-toi seulement de tes péchés, et ainsi ton âme accèdera à l'humilité et aux lamentations ; tu verras quel vil pécheur tu es et tu verseras des torrents de larmes sans pouvoir te retenir. Pour tout ce dont tu as besoin, vêtements, vaisselle et autre choses, fais preuve de simplicité, de pauvreté et de modestie, même si tu as les moyens d'acheter ces objets, parce que de cette façon, l'âme est humiliée, et n'est pas éloignée de Dieu ; il te sera alors facile de trouver tout ce dont tu as besoin partout. Pour dire les choses simplement, agis en cette matière de sorte que ta conscience ne t'accuse de rien. Celui qui ne dédaigne pas toutes choses, comme la gloire et le repos du corps, et se justifie en toute occasion, celui-la ne peut être sauvé. O homme ! Veille à ton âme, car il n'y a qu'une âme en toi, de même que tu ne vivras qu'une fois. Ta fin qui viendra avec la mort ne t'est pas connue et l'espace aérien est impénétrable et occupé par tes ennemis. Rien ne pourra t'aider que tes œuvres bonnes. Prends garde à toi afin que tu n'aies pas à te repentir jusqu'à la fin des temps. Ne cesse pas de prier, et jour après jour reste vigilant par amour pour le Salut de ton âme. En ce qui concerne les besoins du corps, ne pense qu'à ce qui est essentiel. Tu as oublié, ô malheureux, ton ardeur et ta promesses initiales : tu t'engageais, lorsque tu étais vaillant et détaché des choses du corps, à toujours prier Dieu et à ne penser qu'à Lui. Car Lui-même prendra soin de tout – de te nourrir, de te couvrir, de te consoler. Ne sais-tu pas, ô malheureux, qu'autant les Saints ont abandonné la vanité et le souci de ce monde, autant Dieu a satisfait tous leurs besoins ? Ils ont reçu une aide divine, trésor inépuisable. Dès qu'un homme devient vaniteux, Dieu l'abandonne immédiatement. O homme ! Rappelle-toi l'heure de la mort et les tourments éternels. Rappelle-toi la vie éternelle, gloire et beauté indicible que Dieu a préparées depuis le début des temps pour ceux qui l'auront choisi et aimé. Rappelle-toi le temps passé et les années perdues dans la vanité du monde. Peux-tu faire revenir un seul de ces jours ou une seule de ces nuits, Et lorsque ta vie touche à sa fin, peux-tu lui ajouter ou lui redemander un jour, ou même seulement une heure pour te repentir ? Nous sommes à la recherche du temps que nous avons gaspillé dans notre vie, et nous ne pouvons le retrouver. Apprenons à connaître les pièges des démons. Ayons un intellect sobre et dédaignons toute vanité. Quand le corps a faim, il trouvera sa nourriture et de même pour les autres besoins ; car tout ce qui est dans ce monde disparaît telle une bulle qui crève à la surface de l'eau. Il n'est pas possible de servir Dieu et Mammon. Les malins démons nous observent attentivement pour déterminer nos penchants mauvais et nous y pousser. Connaissant nos pauvres désirs, ils assombrissent notre âme, et jour après jour dérobent notre temps. Ils pénètrent secrètement comme des voleurs dans nos pensées et nous obligent à nous préoccuper de choses corruptibles, à abandonner Dieu et notre âme. Et ils introduisent en nous cette pensée : « Ceci ou cela est absolument indispensable. Je dois le faire dès aujourd'hui ou demain », alors qu'en fait rien de cela n'est indispensable. O homme ! Sois attentif à ceci et tu seras sauvé ! Ecoute l'Apôtre Paul qui dit : « Priez sans cesse » (1 Thess ; 5, 17), en tout temps et en tout lieu. Si tu en viens à dire : « Il est impossible de prier sans cesse, car le corps s'épuise à assister à un long office », sache alors que l'Apôtre ne parle pas seulement de prier debout pendant l'office, mais de prier toujours : la nuit, pendant le jour, le soir, le matin, à midi et en toute heure. Que tu sois en train de travailler, de manger, de boire, de te reposer, de te lever, dis toujours cette prière : « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi ! » Ne prends aucun délai pour prier, que ce soit une année, un mois, ou une semaine. Ne pense pas à un endroit particulier, car ce n'est pas à une certaine date, ou en un certain lieu que tu es confronté à Dieu, mais c'est avec ton propre intellect, en tous lieux de son Royaume. Comment la sobriété de l'intellect est-elle préservée ? D'où vient cette torpeur de la pensée qui éteint la sainte ardeur de l'âme et la ferveur envers Dieu. Cette sainte ardeur est préservée grâce à une pensée sobre et à un zèle ardent. Ainsi, patiemment, virilement, l'âme se garde de toute faiblesse, pour toujours. Un tel zèle fait disparaître résistance, somnolence, paresse, pesanteur, lassitude, faiblesse et découragement. Un tel zèle est fortifié, stimulé, embrasé en vue de défendre la maison des vertus. Il faut en même temps continuer à faire des prosternations, à travailler de ses mains, à profiter du grand air, afin de résister au sommeil, à la paresse, à la lassitude et à la faiblesse. Pour la prière, il faut se trouver en un endroit où règne la fraîcheur, afin que le sang ne circule pas dans les jambes. Ceci ne s'adresse pas seulement aux infirmes et aux malades, mais aussi à ceux qui sont en bonne santé. Quand on se trouve dans une pièce chauffée, on est soumis à la somnolence, au sommeil, à la lassitude, à la faiblesse, toutes choses qui entravent et finissent par gagner l'ascète. Rien tant que ces infirmités ne pèse sur les ermites du désert. De plus, sois vigilant. Du tumulte naît le discours superflu et le bavardage. Du bavardage naît l'oisiveté. De l'oisiveté la paresse. De la paresse, le découragement. Du découragement le sommeil. Et du sommeil naît la privation des bonnes œuvres. L'homme tombe alors dans tous les maux. Comment lutter contre le sommeil pour l'amour de Dieu, dans la vie solitaire Dans le désert comme dans la vie solitaire, il y a six combats à mener : contre la paresse, contre le découragement, contre le sommeil, contre le désespoir, contre la lassitude et contre la peur. C'est à cause de ces six passions que les Saints Pères nous interdisent de vivre seul. Le sommeil est bien sûr plus destructeur que la paresse, le découragement ou le désespoir, car c'est de lui que naissent ces passions et bien d'autres. L'homme est parfois gagné par la lassitude ou par la peur. N'est-ce pas l'indolence qui fait que nous dormons tout notre soûl ? Lorsqu'il est gagné par un sommeil profond, l'ascète se décourage bientôt, et s'afflige du temps qu'il a ainsi gaspillé. Il tombe dans le désespoir, parce qu'il n'a pas travaillé au Salut de son âme. Une pensée naît qui meurtrit la conscience : « Vaine est ton épreuve, car le sommeil t'a envahi ». Frères, le sommeil est une grande calamité. De même que le brouillard cache le soleil, de même l'excès de sommeil occulte le pouvoir de recueillement de l'intellect ; la négligence s'abat comme un rideau sur l'intellect et celui-ci devient insensible aux bienfaits spirituels, et oublieux. C'est quand le gardien s'endort que les voleurs attaquent ; quand l'intellect devient insensible, il s'assombrit et permet aux passions de s'introduire. Les démons assombrissent l'intellect avec les ténèbres, comme ils peuvent éteindre son feu avec de l'eau. Ils s'imposent aussi par la somnolence et par le sommeil, détournant l'âme des bonnes œuvres et la soumettant aux attaques des passions. Tous les efforts que les démons dirigent contre nous consistent à détourner notre intellect de Dieu et de la prière incessante. Pour parvenir à ce but, ils se fortifient par tous les moyens. Sous n'importe quel prétexte, ils nous plongent dans la vanité de ce monde et cherchent à nous immerger dans le sommeil, afin que, dans l'oisiveté, le temps nous soit confisqué. Le sommeil naît de plusieurs causes. C'est un besoin naturel ; il peut aussi provenir de l'excès de nourriture, des divagations de l'intellect, du tumulte et des désordres, de la peine, de l'envie des démons, du découragement. Il provient aussi d'un jeûne prolongé trop longtemps ou du fait que, lorsque la chair est épuisée, elle cherche dans le sommeil le repos. La nourriture et la boisson excessives deviennent des habitudes et quiconque mange et boit avec excès conditionne son corps à demander toujours plus. Celui qui, par contre, prend l'habitude de peu manger, celui-là a besoin de très peu. Il en va de même pour le sommeil : celui qui est sans force et ne s'oppose pas au sommeil, mais cherche à dormir tout son soûl, à celui-là la nature réclamera toujours plus de sommeil ; il passera sa vie entière dans les ténèbres, son intellect étant occulté au lieu d'être occupé à pratiquer les vertus. Celui qui par contre s'habitue à dormir peu, la nature lui demandera peu. L'habitude du sommeil intempéré est très néfaste. Que celui qui y a sombré depuis ses premières années s'applique à y résister, dès lors qu'il s'engage à renoncer à ce monde. Afin de lutter contre le sommeil et d'être toujours vigilant, il faut rester chaste, avoir un esprit sobre, pratiquer la prière du cœur ininterrompue dans le silence et le zèle, afin qu'à tout instant l'âme soit protégée des faiblesses. Il faut ainsi rester dans la pensée de la mort, comme on s'endort et se réveille ; ainsi le corps suivra l'âme, même contre son désir. Il n'y a pas de meilleure aide pour lutter contre le sommeil que de pratiquer les quatre vertus : la tempérance, la sobriété spirituelle, la prière du cœur et le souvenir de la mort. Ces vertus sont comme un gardien vigilant et sobre. Sans elles, la maison de l'âme reste endormie et divague. Un estomac affamé ne supporte pas de rester couché toute la nuit ; qui a un esprit sobre n'est pas assombri par un sommeil profond ; qui connaît les douceurs de la prière du cœur ne s'attarde pas au lit ; qui garde à l'esprit l'entrée dans la tombe n'est pas gagné par la paresse. Ces quatre vertus agitent sans cesse l'esprit. Soyons vigilants, tempérants, sobres, pratiquons la prière du cœur et souvenons-nous de la mort prochaine. Ainsi serons-nous armés contre le sommeil ; celui qui est vigilant tout le jour sans avoir ces vertus, celui-là tombera dans les pièges des démons. Il faut donc pratiquer la veille prolongée, la tempérance, la sobriété spirituelle, la prière et garder la mémoire de la mort, afin de réduire progressivement le sommeil. Quand en priant debout tu sens venir la fatigue, ne t'adosse pas au mur, mais assieds-toi dans ta cellule sur un tabouret ; car si tu commences à somnoler et que tu vacilles, cela te réveillera. Si la somnolence te gagne pendant la prière, prends alors un livre et résiste. Si le sommeil ne te permet pas même de lire, alors fais un travail manuel et continue de prier. Je peux te dire que tu ne peux pas vaincre le sommeil par la prière seule, sans travail manuel ; c'est le sommeil qui te vaincra. Les démons nous forcent à nous asseoir, sans raison, sous prétexte de fatigue ; ils nous empêchent de pratiquer le moindre travail et, quand nous avons fait un médiocre effort pour veiller, ils nous font plonger dans le sommeil le plus profond et nous oublions tout. O combattant bien-aimé, n'écoute pas ces démons. Ne t'assieds pas sans un livre ou sans quelque chose à faire avec tes mains ; non pas que ce travail soit absolument nécessaire, mais parce que cela te permettra de résister au sommeil. Il faut la nuit entière endurer la crucifixion de résister à la douceur du sommeil. Il faut t'y opposer de toutes tes forces et ne pas te laisser aller à l'indolence. Pour commencer, dis tes prières et force-toi à prier avec ferveur ; puis accorde-toi un peu de repos en pratiquant un travail manuel pour ne pas te laisser gagner par le sommeil. A cause de notre faiblesse, le travail manuel est essentiel. Le sommeil prend racine et croît chez l'homme qui, réveillé, se laisse encore aller à somnoler tel un veau paresseux ou un cochon qui se vautre dans la fange. L'Ange de Dieu se tient éloigné d'un tel homme qui est tombé dans les mains de l'ennemi ; celui-ci se maintient endormi autant qu'il veut, faisant naître en lui toutes sortes de rêves et de visions. Si, comme tu te réveilles, le sommeil t'envahit à nouveau sous l'attaque des démons, lève-toi dans un sursaut viril, comme si tu fuyais le feu, ou un serpent très dangereux, ou un lion rugissant. Résiste au sommeil, ô combattant, et une fois levé, rafraîchis-toi au grand air tout en disant ta prière. Celui qui vit en solitaire n'éprouve pas le besoin de dormir à la fin de la journée ou de la nuit, car du sommeil naît un grand poids et aussi parce qu'à la fin de chaque jour notre Saint Ange gardien vient rendre gloire à Dieu et répondre pour nos actes, ainsi que l'ont écrit les saints Pères. Il ne faut prendre du repos ni avant ni après l'aube. Celui qui est encore endormi à l'aube du jour, celui-là est comme un oiseau qui ne peut voler. Les démons essaient souvent de nous faire dormir quand il ne faut pas, disant à l'intellect : allonge-toi un moment, et puis tu te relèveras. Ainsi est perdu le temps pour lire et pour travailler ; Si tu écoutes ces démons et que tu t'allonges, tu perdras beaucoup de temps. L'habitude du sommeil est telle. Celui qui est habitué à dormir beaucoup, celui-là dort de plus en plus ; celui qui par contre repousse le moment de dormir, celui-là sent qu'il s'affaiblit, mais le sommeil diminue en lui et il dispose de plus de temps pour travailler. De l'excès de sommeil et de nourriture, le corps devient plus faible, plus lourd et perd la santé. Si le sommeil te gagne vraiment, dors à une heure fixe, que ce soit le soir ou la nuit, en un endroit plutôt chaud ou plutôt frais selon ce qui te permettra de dormir moins ; dans un endroit bien chauffé, prends garde néanmoins à ne pas suffoquer. Le reste du temps ne t'allonge surtout pas et reste vigilant. Le sommeil requis chaque nuit est : pour le débutant, sept heures ; pour celui qui se trouve à mi-chemin, quatre heures ; pour celui qui atteint la perfection, deux heures et veille pendant toute la nuit. Toujours, nuit et jour, il est bon de veiller autant que possible et de rendre son corps robuste. Telle est la veille angélique. Dès après le premier sommeil lève-toi. Il semble très difficile et très pénible de se lever comme si tous nos membres étaient endoloris et paralysés. Le fort se lève immédiatement et va profiter de l'air frais. Toutes les douleurs et pesanteurs de son corps disparaissent alors, et tout le jour il se réjouit de ne pas avoir été indolent. En agissant ainsi, tu vaincras le sommeil. Si tu ne peux pas agir comme il vient d'être dit, alors, choisis-toi un ami, car nul ne peut vaincre le sommeil en restant tout seul, à moins qu'il ne s'y oppose de toutes ses forces ; car celui qui est seul n'a pas de camarades de combat ni d'instructeur. Celui-là doit être plein de vaillance et inspiré de la crainte de Dieu. C'est pourquoi certains Saints dorment très peu tout en restant assis. Certains d'entre eux, debout en prières, regardaient ou vénéraient les Saints en clignant des paupières. Quant à toi qui aimes tant dormir, tu veux vaincre le sommeil. Ce n'est pas une tâche facile. Si nous ne vainquons pas le sommeil, nos épreuves sont vaines. Comment se fait-il que lorsque nous sommes tous ensemble avec les autres frères nous veillons et nous nous fortifions, et quand nous sommes tout seuls le sommeil nous gagne et nous ne progressons plus ? C'est évidemment parce que nous manquons d'accomplir de bonnes œuvres et que nous ne vivons pas dans la crainte de Dieu. Les Saints Pères luttaient contre le sommeil au point qu'ils en venaient jusqu'à s'effondrer par terre. Un Père allumait une bougie et fixait au-dessous un fil avec un poids. En se consumant, la bougie finissait par brûler le fil et le bruit du poids tombant dans un récipient de métal le réveillait. Un autre avait un lit si étroit que lorsqu'il voulait se retourner pendant son sommeil, il tombait de son lit. Un autre encore tenait un caillou dans sa main, et lorsque le caillou tombait, il s'éveillait. La vaillance et le courage sont mères de tous les bienfaits. Frères, soyons donc vaillants et résistants et que le Seigneur daigne nous fortifier dans les siècles. Amen. Qu'il faut dire avec grande attention les psaumes et les prières Lorsque tu veilles en priant, prends grand soin de prier à l'aide des Psaumes et de chanter les prières dans la crainte de Dieu, la joie et le zèle, en te prosternant devant l'icône divine. Dans les psaumes tu trouveras des instructions et l'accès à la prière. Il ne suffit pas de prononcer les mots du bout des lèvres, mais il faut prier du fond du cœur. Que le corps, l'âme et l'intellect ne fassent qu'un. Celui qui peine en insensé, c'est-à-dire sans s'écouter lui-même, celui-là n'est pas rétribué par Dieu, car il déplaît à Dieu. De même qu'on ne peut remplir un seau percé, de même celui qui prie sans attention ne peut être rétribué. Il faut non seulement réciter un psaume ou dire une prière, comme on ferait une leçon, mais aussi prier Dieu de tout son cœur, être en continuelle contrition de l'âme et adresser une prière pure ; Dieu n'exige pas de nous un nombre déterminé de psaumes ou de prières, mais il écoute quand notre intellect se tient ferme et tranquille. La bouche peut proférer des milliers de prières, tandis que l'intellect pense à des choses vaines, viles ou impures. Dieu écoute-t-il et exauce-t-il ces prières ? Tu ne sais pas toi-même ce que tu fais, ô homme. Dieu n'attend pas de nous une multitude de prières. Dans la crainte de Dieu et la contrition, demeurons droit dans la prière, ainsi que l'Ange de Dieu l'a commandé au grand Pachôme. Ne cherche pas à accumuler les paroles ; mais avec attention, prends-en une pleine intelligence, afin que tout ce que tu fais soit agréée par Dieu. N'imagine pas que tout ce qui est petit est négligeable et que tout ce qui est grand est parfait. Pratique le jeûne et demeure dans la crainte de Dieu. Montre-toi affligé et peiné ; persiste à prier debout avec contrition et modestie. Lorsque tu te présentes devant le trône de Dieu, considère que tu n'es que poussière et cendres, telle une araignée ou une fourmi, et que tes œuvres ne sont qu'une toile d'araignée. Comparais comme un condamné, qui a transgressé les commandements de Dieu et s'est rendu mauvais. Garde tes jambes tendues, les talons joints ; ne te déplace pas d'un endroit à l'autre ; applique tes mains sur ta poitrine. Tel le condamné à mort qui se tient devant le juge, sans oser regarder ici et là, toi aussi tiens-toi droit devant Dieu, devant qui les anges se tiennent avec crainte. Glorifie-le dans des hymnes incessants car l'oeil qui ne dort pas voit jour et nuit ce que nous faisons, ce que nous pensons et comment nous nous comportons, si dans la peine et le besoin nous plaçons notre espoir en l'homme ou dans la bienfaisance de Dieu. Notre Roi et juste Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu et vrai Dieu, est toujours disposé à nous délivrer des malheurs et des difficultés. Considère-toi comme pire que tout autre et pense que ton œuvre ne suffit pas pour plaire à Dieu. Car l'absence de crainte donne naissance à la suffisance et au blasphème. Dieu nous vient en aide selon la Foi que nous avons. Plus notre espoir et notre confiance sont grands, plus l'aide de Dieu sera grande. Sur la confusion et la crainte du démon Dans la tourmente et les ténèbres, ceux qui vivent seuls et connaissent des temps difficiles trouvent remède dans la prière incessante ; le travail manuel et la prière sont d'un grand secours, et même le sommeil : ils permettent de traverser ce genre d'épreuves extrêmes sans pensées ni lamentations, et d'éviter ainsi d'en souffrir. Quand l'ennemi nous afflige à l'excès et que l'âme est dans la crainte, il faut dire tout haut Psaumes et prières, ou bien combiner prière et travail manuel afin que l'intellect prête attention à ce qu'il fait et ne soit pas troublé ni effrayé. Car Dieu est avec nous, et l'Ange du Seigneur ne nous abandonne jamais. Il peut être bon aussi de marcher à l'air frais pour éloigner les démons. Les démons s'opposent tout spécialement à la prière du cœur car rien ne les affecte, ni ne les réduit plus que cette prière. La prière du cœur est vraiment très redoutable car, comme le feu grille l'herbe sèche, ainsi fait la prière avec les démons. Conjointement avec le jeûne, la prière chasse les démons. C'est pourquoi ceux-ci s'efforcent tant de nous en éloigner ; après un long effort, ils peuvent être dissipés comme de la fumée et devenir invisibles. Quand tu te prépares à prier, prépare-toi aussi à livrer bataille aux démons ; arme-toi afin de pouvoir résister vaillamment à leurs assauts. Ils s'attaqueront à toi tels des bêtes sauvages et causeront à ton corps toutes sortes de souffrances. Ils suscitent de grands troubles contre celui qui reste vigilant dans la prière, car ils voient là l'arme qui anéantit leur pouvoir et, n'y résistant pas, ils disparaissent dans la peine et les tremblements. Que le Seigneur Dieu nous aide et nous garde par Sa Grâce, dans les siècles des siècles. Amen. Qu'il faut accepter avec innocence reproches et insultes Prends garde à toi et sois attentive, ô mon âme, car les temps ultimes sont proches. Tu devras livrer un combat unique et résister aux démons et aux hommes. Prends garde aux ennemis visibles si tu es parmi les hommes et prends garde aux ennemis invisibles si tu es dans le désert ; personne ne recevra sans souffrances la couronne de vie, ni sans avoir remporté la victoire sur l'ennemi. Celui qui s'engage à résister à l'ennemi et finit par le vaincre grâce à son courage et à sa vaillance, celui-là reçoit honneur et gloire ainsi qu'une couronne de lumière. Toi aussi, mon âme, fortifie-toi. Accepte insultes et déshonneurs. Reçois avec joie tout reproche qui t'est fait. Ne t'emporte pas à te justifier. Demande plutôt le pardon, car toute offense, toute insulte, tout reproche, toute mauvaise parole et toute accusation injuste t'apporteront la Grâce et l'humilité. Si tu n'acceptes pas tout cela et si tu connais l'amertume et la colère envers ceux qui t'ont offensé, tu ne peux atteindre la perfection ni être sauvée. Cette attitude caractérise ceux qui débutent, les passionnés, les pusillanimes et les hommes d'un intellect particulièrement faible. Est parfait celui qui endure tout avec joie, en rendant grâce. Quand l'ennemi ne peut nous entraver ou nous faire trébucher dans la vie vertueuse, alors il nous inflige les peines les plus pénibles, qui sont au-delà de nos forces. Il nous envoie certaines gens qui obéissent à ses ordres et qu'il utilise comme des armes pour nous vaincre. Mais face à l'ennemi nous connaîtrons la victoire glorieuse, si en vue du Royaume de Dieu nous acceptons les peines qu'il provoque par les offenses, les insultes et le mépris des hommes. Souviens-toi des Saints qui nous ont précédés et dont le monde n'était pas digne ; ils ont vécu dans la privation, les peines, les persécutions et d'autres circonstances très difficiles. Quelle autre voie espères-tu donc trouver pour faire ton Salut ? Les Pères disent que si tu ne recherches pas les épreuves de l'ascèse, au moins accepte avec sagesse celles qui te sont envoyées. Il n'est pas facile d'y parvenir, mais cela vaut toutes les vertus. Celui qui est capable d'accepter par amour pour Dieu insultes et offenses, tout en lui rendant grâce, celui-là n'agit pas en vain. Car en un tel homme résident l'humilité et l'amour, qui permettent de supporter les peines causées par le prochain. Beaucoup ont été sauvés ainsi. C'est la voie que suivent les Fols en Christ ; en elle sont présentes toutes les vertus. Ils ne possèdent rien que soit de ce monde ; ils s'appliquent seulement avec zèle à acquérir la patience qui permet de résister à toutes les afflictions. O mon âme ! Il n'y a pas aujourd'hui de meilleure voie que celle-ci pour assurer ton Salut. Sois sourde, muette, aveugle, insensible à tout ce qui est de ce monde. Retire-toi dans la solitude, loin des hommes comme si tu avais perdu la raison ; Considère que tu es incapable de faire quoi que ce soit, et que tu n'es qu'un fou pour l'amour de Dieu. Celui qui veut être le premier parmi vous, qu'il soit de tous le serviteur. Salomon, qui se reprochait à lui-même de trop raisonner, a dit que tout cela était vain et qu'est sanctifié celui qui a acquis la crainte de Dieu, l'humilité et l'amour et qui prie constamment. Celui-là possède la vraie sagesse du monde et toute richesse. La foi seule nous sauve. De même que la foi sans les bonnes actions est comme morte, de même les bonnes actions sans la foi sont mortes. Là où sont la foi juste et les bonnes actions, là aussi est la justice parfaite. Dans le monde où nous vivons, l'homme doit s'appliquer à pratiquer toutes les vertus. Celui qui se lamente sur son âme pendant seulement une heure est plus grand que celui qui possède le monde entier. Tout ce qui nous importe est d'assurer notre propre Salut. Celui qui pratique l'une des vertus se sauve et lui seul. Si on devait sauver le monde entier et se détruire en même temps, quel bénéfice y trouverait-on ? Nous savons tous comment être sauvé, mais la paresse nous détourne de ce but. Sauve toi donc toi-même. Tous n'auront pas à répondre de leur négligence à instruire autrui, mais ceux-là seulement qui ont reçu ce talent. Ces derniers doivent souffrir jusqu'à la mort, et offrir leur vie pour le Salut de leur troupeau. Chacun, en revanche, devra répondre pour lui-même. De grands moines, imprégnés d'humilité, ont fui les places d'honneur et de gloire ainsi que la tâche d'instruire les autres, comme le rapportent les récits sacrés. Ils ne se sont préoccupés que d'eux-mêmes : combien plus devons-nous, infirmes et pécheurs, abandonner une idée néfaste à nous-mêmes et aux autres. Prenons soin de nous-mêmes, plutôt que de prendre soin de tous les autres. Certains ne respectent pas les instructions des Pères et, de surcroît, se moquent de ceux qui s'efforcent de les pratiquer. Ils vivent selon leur bon vouloir et se choisissent des instructeurs qui leur ressemblent. Certains, en instruisant autrui, se sont ainsi fait du mal à eux-mêmes. En instruisant les autres, nous affaiblissons nos propres fondations et notre âme qui était ardente se refroidit. Nous avons assez à faire avec nous-mêmes, afin d'assurer notre propre Salut. Quand nous sommes témoins d'une faute commise par l'un de nos frères, soyons comme si nous étions muets, sourds et aveugles, ne voyant, ne disant, et n'entendant rien, tel le simple d'esprit qui ne comprend pas, et ne prétend pas être un sage. Mais à l'égard de nous-mêmes, soyons attentifs, pleins de discernement et de clairvoyance. Celui qui veut être sauvé et qui, témoin d'une offense, ne rend pas son oreille aveugle, son oreille sourde et sa langue muette, celui-là ne connaîtra pas la tranquillité, même si son âme est en paix. Lorsque tu es interrogé, ne cherche pas à te justifier ou à contredire quiconque, mais dis seulement en toute humilité : « Pardonne-moi, pour l'amour de Dieu ». Reste silencieux à propos de tout le reste. Car le Seigneur Jésus nous a donné un exemple d'humilité, ainsi qu'il est écrit : « Comme une brebis il a été conduit à l'immolation. Comme un agneau sans tache devant celui qui le tond il n'a pas ouvert la bouche. Dans son humilité, son jugement a été exalté. Qui racontera sa génération ? » ( Isaïe 53, 7-8). Homme, imite toi-même ton Créateur. Demeure sans réponse devant ceux qui t'offensent, comme si tu avais de l'eau dans la bouche ou que tu n'avais plus de langue. Dis seulement : « Pardonne ». Considère-toi digne de toute torture ; Dis en toi-même : « Si le monde entier se soulevait pendant une année entière pour s'opposer à toi et t'offenser, que serait-ce pour toi, infâme que tu es ? » N'imagine pas que d'aucune manière ton frère puisse être cause de ton mal. Le mal seul nous attaque, le frère n'y est pour rien. Si tu endures des épreuves à cause des récompenses futures, alors ne fais pas de reproches à tes frères mais seulement à toi-même. Dans tout ce que tu fais, adresse tes reproches à toi-même, car tu es poussière, et à la poussière tu retourneras. Fais tiennes ces trois paroles, à jamais : « Pardonne, bénis et prie pour moi, pécheur ». Ne demande rien à personne qui ne te soit absolument nécessaire. Prends l'habitude de parler en bien de tous et de cacher tes propres mérites. Là réside l'humilité parfaite qui élève l'âme de l'Enfer, libère des passions et combat victorieusement le démon. Que le Seigneur Dieu nous fortifie, afin que nous puissions endurer toute offense ; Amen. Qu'il faut endurer toutes afflictions Celui qui désire être sauvé ne doit pas craindre d'accepter les plus grandes afflictions, qu'elles viennent des démons ou des hommes, car la vie humaine est pleine de vicissitudes. Les hommes changent du pire au meilleur. Celui qui redoute les afflictions risque de s'affaiblir et de devenir pusillanime. Celui qui a l'habitude de fuir ou de se dérober aux afflictions, ou encore d'errer çà et là, ou de choisir son lieu pour se mettre à l'oeuvre et ne lutte qu'à certains moments, celui-là ne trouvera pas de toute sa vie un seul endroit ni un seul instant pour recevoir rétribution. Il faut tout au contraire faire face et espérer en la miséricorde de Dieu. Il faut se rappeler les glorieux miracles qu'Il a accomplis dans tous les siècles, ainsi que l'aide qu'Il a apportée à ceux qui ont su Lui plaire. Enfin il faut savoir que Dieu n'abandonne pas celui qui est dans le besoin ou dans l'affliction. Jamais il ne permet une tentation qui serait au-delà de nos forces. Portons donc vaillamment notre croix en rendant grâce à Dieu pour les choses éternelles à venir. Endurons toutes afflictions, ici et maintenant. L'Apôtre dit : « C'est par beaucoup de tribulations qu'il nous faut entrer dans le Royaume de Dieu » ( Actes 14, 22). Par ce chemin étroit et difficile, nous accédons à la perfection la plus haute de la patience. Où que nous soyons, nous serons rétribués par la miséricorde de Dieu. Oublions toutes les épreuves pénibles qui nous sont venues des démons et des hommes ; ne soyons pas préoccupés par quelque affliction ou quelque besoin que ce soit. Que notre attention soit seulement pour Lui. Que le temps ne passe pas en vain, c'est-à-dire sans le combat spirituel et la prière. Prions Dieu avec zèle lorsque toutes sortes d'afflictions venant des démons ou des hommes nous envahissent, ou lorsque nous sommes dans la peine, la maladie ou le malheur. Pleurons abondamment sans crainte ni inquiétude, en pensant que nous en serons délivrés, car aucune affliction ne nous touche sans la Providence de Dieu. Aimons donc le chemin difficile et étroit de la vie pleine d'afflictions, car c'est le chemin qui conduit au Royaume des Cieux. Ne fuyons pas les dangers, les malheurs, les besoins et les peines. Endurons avec vaillance tout ce qui est pénible, difficile et déplaisant jusqu'à ce que nous recevions l'aide divine. Il convient à l'ascète, au Saint de Dieu d'être fort dans l'affliction et de faire reposer son cœur sur le sol ferme, non de couler comme l'eau. La vie tourne comme une roue, inconstante et sans ordre. On connaît parfois la prospérité ou les honneurs – mais ne place pas là ton cœur ; parfois la persécution de la part des hommes – mais ne t'en afflige pas. Parfois encore les afflictions et les passions sont des attaques des démons – n'en sois pas attristé. Tout cela nous vient de Dieu, qui le permet en vue de notre Salut. Tout cela disparaît aussi quand sa Grâce l'ordonne, afin de nous châtier ou de nous faire miséricorde. A Lui soit toute gloire, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen. Si tu ne veux pas connaître la colère envers celui qui t'offense, prie Dieu pour lui, et donne lui un présent ou une consolation. S'il a lui-même agi sous l'empire de la colère, va le trouver et parle-lui du pardon ; détermine quelle est la raison de sa colère en faisant preuve d'amour. Lorsque tu t'approches de lui, salue-le en premier en t'inclinant ; et aux autres parle de lui dans les meilleurs termes. Rien n'incite mieux que cela à la contrition et à l'humilité. Au contraire, si tu lui reproches de t'avoir offensé, tu ne feras qu'augmenter sa colère et son aversion. Il en va de même si tu dis du mal de lui, car cela lui sera rapporté. C'est là une grande calamité, et même des êtres de spiritualité élevée peuvent être atteints de cette passion ; celui qui par contre s'en garde et en garde ses amis, celui-là est en vérité un combattant très sage et très parfait, dépassant beaucoup de ceux qui se donnent de la peine. Quiconque pense qu'il a l'amour mais n'aime pas tous les êtres du même amour, son amour n'est pas parfait mais partial ; il distingue entre les personnes, entre pauvres et riches, infirmes et malades, pécheurs et justes, ceux qui sont proches et ceux qui sont au loin, amis et ennemis. L'amour véritable et parfait consiste à considérer tous les êtres et à les aimer également, aussi bien ceux qui nous aiment que ceux qui nous haïssent. Un tel amour, qui ne peut être séparé de la pitié agit comme un filet pour toutes les vertus. Il rassemble et contient en lui tous les commandements de Dieu. Réciproquement, seul celui qui pratique tous les commandements y parvient. C'est parce que nous ne respectons pas les commandements à la perfection que nous ne sommes pas parfaits ni ne recevons la Grâce. A celui qui a reposé sa tête sur la poitrine très pure du Seigneur il est dit : « Sois fidèle jusqu'à la mort, et je te donnerai la couronne de vie. » ( Apoc ; 2, 10). Pour vaincre le monde, il faut, avec patience et sagesse, vaincre ses passions, ainsi que tout mal. Cela veut dire souffrir, abandonner nos habitudes et notre volonté propre qui naissent de la sagesse du monde et de l'amour pour le monde. Il faut se convertir à la vie spirituelle, n'être la cause d'aucun mal et respecter les commandements de Dieu. Car les bonnes œuvres sont comme un sacrifice offert à Dieu. « Dieu ne méprisera pas un cœur brisé et humilié. » ( Ps. 50, 19) ; Les passions humaines sont au contraire des sacrifices offerts aux démons. L'homme a été créé impassible ; les passions naissent en lui selon son libre vouloir, selon ce qu'il fait ou ne fait pas. Que le Seigneur nous préserve de toutes passions. Amen. Les batailles contre le démon. Comment repousser toute pensée et tout désir. Prends garde à toi-même, ô moine. Que ton esprit soit vigilant, afin de repérer le moment où viennent les démons, de discerner les moyens dont ils usent et de les vaincre. Protège-toi avec soin, car à toute heure tu frôles les passions et les pièges. Les passions sont partout alentour. Leurs pièges sont partout tendus. Prends garde de ne pas te laisser capturer par l'ennemi en succombant aux passions et en tobant dans ses pièges ; Il est essentiel que nous autres, hommes de chair, combattions ceux qui sont sans la chair – à un contre dix mille ; Il nous faudra verser des torrents de larmes, avoir beaucoup de patience et endurer de grandes peines tout en restant attentifs, car les esprits malins peuvent nous attaquer avec la ruse du lion. Ils nous détruiraient si le Seigneur n'était auprès de nous. Depuis plus de sept mille ans, ils ont exercé leur art pour s'emparer des hommes. A tout moment, par tous les moyens, sans sommeil, ni nourriture, ni repos, ils s'efforcent de nous entraîner pour nous perdre ; Quand leur pouvoir s'évanouit, ils imaginent immédiatement autre chose. Ils commencent une chose et déjà ils pensent à une autre. Ils sont partout à l'affût, cherchant des voies par où pénétrer et par où engager la bataille ; ainsi ils nous induisent au mal. Ne sais-tu pas contre qui tu te bats ? Combien de légions d'ennemis invisibles t'entourent, chacune menant contre toi sa bataille ? Ils vocifèrent comme des voix innombrables, ne cherchant qu'à engloutir ton âme. Prends garde ! Crois-tu que tu pourras être sauvé si tu bois tout ton soûl et si tu dors avec excès, toujours vautré, toujours en train de te satisfaire, Si tu n'es pas attentif à cela, tu n'échapperas pas à leurs pièges. Nous sommes entrés dans une bataille où l'on marche sur le feu. Si nous voulons être de véritables combattants du Roi Céleste et non pas de faux participants, il nous faut repousser toutes passions. Les démons ajustent leurs pièges selon nos désirs et notre zèle, car c'est en nous, par notre attachement aux choses et notre faiblesse, que naît le péché. Si par contre nous écartons toute négligence, toute pusillanimité, toute faiblesse, nous pourrons résister à leurs ruses. Oeuvrons dans la prière et les autres vertus, de toute notre ferveur et de toutes nos forces, âme, cœur et esprit, comme celui qui court sans se retourner ou comme l'avare qui se restreint, car les démons sont pleins d'astuce. Ils s'occupent sans arrêt de nous. Ils nous observent et remarquent nos penchants et nos désirs, ce que nous pensons et ce que nous aimons, ainsi que ce qui nous occupe. Dès qu'ils décèlent en nous une passion, ils l'attisent et nous tendent leurs pièges. En ce sens, c'est nous-mêmes qui suscitons en nous les passions, c'est nous-mêmes qui en sommes la cause. Les démons sont à l'affût de tout penchant ou de tout désir par lesquels ils nous assailleront et nous captureront. Ils ne nous contraignent pas à faire ce que nous ne voulons pas, ce que notre esprit refuse ou ce que notre volonté rejette, car ils savent qu'alors nous ne leur obéirons pas. Ils nous éprouvent plutôt, afin de déterminer si nous allons succomber à telle passion ou à telle autre. En fonction de notre désir et de notre zèle ils ajustent leurs pièges, car c'est de nous que naît l'occasion du péché. Nous ne retranchons pas le commencement des passions ; mais les démons sont la cause ultime de tout mal. C'est par les démons que nous tombons dans le péché, et c'est à cause d'eux seuls que nous faisons le mal. Les démons nous poussent aux passions. Ils nous forcent à tomber dans le péché et nous sommes comme pris dans leurs filets. Par filets j'entends la pensée du désir, ou toute pensée vile qui nous rend passionnés et nous fait tomber dans le péché. Telle est la porte par où pénètrent en nous les démons, en vue de nous dérober notre trésor spirituel. Le sommeil excessif, la paresse, la gloutonnerie, tout cela fait entrer en nous les démons. Une fois qu'ils sont là, ils frappent secrètement à la porte du cœur, tels des voleurs. Ils y introduisent une pensée, puis ils observent s'il s'y trouve ou non un guetteur, c'est-à-dire si la dite pensée est reçue ou non. Si elle est reçue, alors ils commencent à éveiller cette passion et à l'exciter en nous ; ainsi ils volent notre trésor spirituel. Si par contre ils trouvent un gardien à la porte de notre cœur et qu'il a l'habitude de repousser et d'ignorer leurs suggestions, si nous détournons notre intellect de ces impulsions premières et que nous restons muets et sourds à leurs aboiements afin de le diriger au plus profond du cœur, alors nous nous opposons à eux et ils ne peuvent nous faire aucun mal, car notre intellect est resté sobre. Les démons se mettent alors à ruser et à lancer leurs filets afin de nous prendre par les passions telles la négligence, la colère, la folie, l'amour de soi, la fierté, l'amour de la gloire, l'amour des plaisirs, la gloutonnerie, la fornication, le ressentiment, la colère, la rancune, le blasphème, l'affliction, le cynisme, la vanité, le bavardage, l'abattement, la lâcheté, le sommeil, la paresse, la lassitude, l'effroi, la jalousie, l'envie, la haine, l'hypocrisie, la duperie, le mécontentement, l'incroyance, la désobéissance, la convoitise, l'attachement aux objets, l'égoïsme, la pusillanimité, la mauvaise foi, l'aigreur, l'ambition, et la moquerie. Se lève alors l'orage des pensées de fornication et de blasphème qui est propre à effrayer l'ascète et à le décourager tant et si bien qu'il abandonnera son combat et sa prière. Si, après cela, les ennemis ne peuvent s'emparer de celui qui combat avec une âme ferme tel un soldat du Christ qui, portant sa croix, a posé ses fondations sur le roc de la foi, que des torrents d'afflictions ne peuvent ébranler ( Luc 6, 48), les démons tentent encore de le voler en simulant le bien. Ils réfléchissent en effet qu'il sera plus facile d'introduire quelque chose quia l'apparence du bien, afin de détourner celui qui est parfait de sa vertu et de son combat. Ils tentent de nous pousser à avoir des conversations spirituelles au nom de l'amour, à enseigner les hommes, ou à prendre une nourriture plus agréable pour faire plaisir à un ami ou bien pour célébrer une fête ; car ils savent, eux qui nous trompent, qu'Adam a chuté à cause de son amour des choses agréables. Ils commencent par altérer la pureté de notre intellect et notre vigilance, et par là ils nous précipitent soudain dans la fosse des passions charnelles, ou de toute autre passion. S'ils ne parviennent toujours pas à ébranler celui qui a gardé un intellect sobre, alors, armés de fausses visions, ils l'attaquent et le perturbent de nombreuses afflictions. Un vrai guerrier laisse passer tout cela avec indifférence, comme s'il n'était pas concerné, car il sait que tout cela vient des démons. S'ils ne parviennent toujours pas à vaincre, ils utilisent alors l'arme de l'orgueil. En l'homme épris de sainteté ils introduisent cette pensée secrètement : « Que d'afflictions tu as endurées ! » Les démons sont comme un chasseur rusé : si les moyens qu'ils ont d'abord utilisés se sont révélés inefficaces, ils abandonnent, ils s'éloignent et vont se cacher, feignant d'être vaincus. Mais fais attention, ô homme, prends garde, ne te relâche pas, car ils ne te lâcheront pas jusqu'à la tombe. Ils vont se préparer au siège et chercher tous les moyens par lesquels te contrer, car ils ne sont jamais au repos. Quand le zèle faiblit chez celui qui mène le combat, alors ils approchent de nouveau secrètement afin de jeter leurs filets sur lui et le capturer. Les démons posent leurs pièges sur les chemins de la vertu, tandis que nous nous appliquons à faire le bien pour le Salut de notre âme et non pas pour plaire aux hommes. Si par contre dans la vertu il y a une trace cachée d'impureté, d'orgueil, de vanité et de prétention, alors les démons ne vont pas nous en écarter ; ils vont même nous y inciter, afin que nos épreuves soient sans profit. Ils s'efforcent par dessus tout de nous dérober notre temps et de nous inciter à l'oisiveté. Dans tout ce qu'ils font, les démons tentent de creuser trois fosses en nous. D'abord ils agissent contre nous et nous entravent, afin qu'il ne naisse aucun bien de tous nos actes. Ensuite ils s'efforcent de nous empêcher de faire le bien par amour pour Dieu – je veux dire que, s'ils ne peuvent nous empêcher de faire le bien, alors, par la vanité, ils réduisent à néant tous nos travaux. Enfin, ils nous flattent pour nous faire croire qu'en tout nous sommes agréables à Dieu – autrement dit, quand ils se révèlent incapables de nous abuser avec la vanité, ils essaient de réduire à néant par l'orgueil toutes nos épreuves et de nous priver ainsi de toute rétribution. Les batailles des démons contre nous prennent trois formes. Premièrement, les démons prennent notre intellect ; l'homme devient négligent et se disperse dans ses diverses tâches. Ensuite ils introduisent en nous des pensées oisives, afin de nous faire perdre notre temps. Enfin ils suscitent diverses afflictions et tentations. Il nous est donc toujours demandé de garder un esprit sobre, car les ennemis ne cessent de nous tendre des pièges et de nous contrecarrer. Face à celui qui a combattu pendant des années, l'ennemi cherche l'occasion où en une heure de temps, il pourra détruire toutes ses œuvres. Peu nombreux sont ceux qui savent repérer les pièges, les ruses et les supercheries des démons. Etant un esprit non incarné, le démon n'a pas besoin de prendre de repos. Au cours de sa longue vie, il a appris comment attraper les hommes. Aucun homme ne peut échapper à ses pièges et à ses filets sans un corps rendu infirme par le combat incessant et sans la pauvreté en esprit, c'est-à-dire s'il n'a pas un cœur contrit et des pensées humbles. Celui-là seul pourra vaincre les démons. Le plus important, c'est que l'aide divine coopère avec nous. C'est en nous, comme nous l'avons déjà dit, que naissent toutes les passions, l'attachement aux créatures, la faiblesse et la négligence car nous ne repoussons pas dans notre âme et dans notre esprit la première impulsion de la passion naissante. Et les démons en rajoutent. Cherche en toi-même quelles sont les raisons de chaque passion ; quand tu les as trouvées, arme-toi pour en arracher les racines avec l'épée de la souffrance. Si tu ne l'arraches, elle va repousser et grandir. Il n'y a pas d'autre moyen de vaincre les passions, de se purifier et d'être sauvé. Si donc nous voulons être sauvés, nous devons couper net dès que pointe la pensée ou le désir d'une passion. Il faut vaincre les petites choses afin de ne pas succomber aux plus grandes. Il est évident que Dieu permet que nous soyons renversés pendant la bataille par des démons ou par une passion violente, à cause de notre fierté ou de notre orgueil, comme cela arrive quand on se croit Saint, fort, sûr de soi, et qu'on s'élève au-dessus de ceux qui sont plus faibles. Que celui-là reconnaisse qu'il est infirme, qu'il reconnaisse l'aide de Dieu et qu'il soit éclairé. Qu'il comprenne que sans l'aide de Dieu il ne peut rien faire, et sa pensée deviendra humble. La défaite est permise également à titre de châtiment pour nos péchés, afin que nous nous repentions et que l'épreuve nous fortifie. Enfin, elle peut être permise en vue des couronnes et de la victoire. Là où tu es vaincu et que tu souffres, attaque-toi à cette passion avant toute autre et mets-y tout ton zèle. Chaque passion et la souffrance qu'elle engendre sont vaincues grâce à une foi infaillible, grâce aux épreuves du cœur et aux larmes, grâce au zèle et à la lutte instantanée qu'on oppose à elle ; c'est un grand et noble combat, qui nous est enseigné par les Saints Pères ; Les attaques du démon contre nous proviennent de quatre causes : de la négligence et de la paresse, de l'amour de soi, de l'amour des plaisirs, et de l'envie des démons. Que le Seigneur par Sa Grâce nous préserve des filets de l'ennemi et des opérations des passions, pour les siècles des siècles. Amen. Sur l'affliction et la lassitude engendrées par les démons Il ne convient pas qu'un moine entame une vie de silence sans qu'il ait été soumis à l'épreuve et qu'il ait été enseigné par les passions. S'il est sans expérience, n'a pas près de lui un Père pour l'instruire et qu'il entame sans aide la bataille contre les démons, il sera bientôt détruit par eux. Il faut savoir reconnaître les impulsions qui viennent des démons, de même que l'affliction et la lassitude. Les démons suscitent par exemple des maux de tête, et quand nous sommes sensés nous prosterner, il nous semble que notre cerveau va se disloquer. Les démons pénètrent même par le canal de l'ouïe afin de provoquer des tentations en nous. Ils alourdissent notre tête, excitent notre cerveau et nous empêchent de mener le combat et de nous prosterner, comme si cela nous était devenu nocif. Le mal de tête naît simplement parfois à l'approche des démons, quand ils introduisent le trouble dans notre âme. Parfois, aussi, cela vient de ce qu'ils entrent et sortent par l'oreille, causant de la douleur. A leur approche, ils nous perturbent, et quand ils sont entrés la tête devient douloureuse et l'esprit est assombri. Le cœur gémit et aucun cri ne peut émaner de notre bouche. Il faut alors sortir au grand air et tout aussitôt ils s'en vont, balayés par le vent comme des moustiques, sans laisser aucune trace. Les démons peuvent également être cause de surdité, de l'échauffement de la tête et des oreilles, comme si une sangsue nous entrait dans le crâne, ou comme si quelqu'un nous arrachait les cheveux, causant une douleur insupportable. La tête ainsi alourdie et le cœur assombri, c'est comme si une portion de notre esprit nous avait été retirée et nous ne sommes plus même capable de lire ce qui est écrit. Les démons cherchent ainsi à nous éloigner du silence du désert. Il n'est a rien là de nouveau. Sois sans crainte, ô moine, et mets tout ton espoir en Dieu. De la même manière, ils suscitent en nous la négligence et la cécité, comme si nos yeux étaient prêts de s'exorbiter. Ils embrouillent nos paroles et rendent nos lèvres et notre langue douloureuses, comme si elles étaient collées, lorsque nous commençons notre prière. Ils provoquent le hoquet, pas celui qu'on peut avoir après avoir mangé, mais un hoquet qui fait mal à la gorge. Ils s'attaquent alors au cou, qui se trouve comme pris entre une paire de pinces. Si nous endurons toutes ces tentations et restons vigilants à prier, les démons se mettent à remplir les lieux comme des souris et à pousser toutes sortes de cris pour nous arracher de là où nous sommes, et nous faire tomber de notre chaise ou de notre lit ; ils ne veulent plus s'en aller. Si nous nous asseyons, les démons restent là à jouer de la musique ; l'âme s'abaisse à la paresse et s'éteint, de même que le feu lorsqu'il est plongé dans l'eau. Puis le sommeil gagne. Ils continuent encore à rôder autour de nous afin de rendre notre sommeil plus profond. D'eux émane une odeur encore plus répugnante que celle des chiens, afin que notre bouche reste fermée. Pendant les nuits de veille en prière, ils nous brûlent légèrement le visage. Certains ont l'impression que leur peau devient plus sèche pendant les veilles, mais il ne s'agit pas de cela. Les démons qui sont proches en sont la cause. De même lorsque l'envie de telle nourriture naît en nous, une bataille difficile est engagée. Lorsque nous menons la vie solitaire, les démons suscitent tout cela pour nous chasser du désert. Comme à de nombreuses reprises les mêmes maux ont affligé certains Saints, nous pouvons considérer qu'il s'agit d'une infirmité naturelle ; de même que si nous sommes souffrants et infirmes, nous restons allongés dans l'attente d'un soulagement, sans suspecter le jeu des démons. Et eux, qui ont bien remarqué notre négligence et notre inaptitude à réagir contre nos infirmités, ils en profitent pour s'emparer complètement de nous, si bien que tous nos membres deviennent faibles et endoloris. Si, par contre, nous avons la force de nous lever, d'aller nous rafraîchir au grand air et de prier avec ferveur, alors tous nos maux disparaissent sans laisser aucune trace. Les démons peuvent provoquer des élancements dans les bras et les jambes, comme si quelqu'un nous battait et nous tiraillait, transportant la douleur dans tout le corps. Ils sont aussi la cause de l'ennui et des frustrations. Pour susciter des passions, il leur suffit de toucher notre corps. Cela arrive vraiment. Saint Macaire le Grand le confirme qui, en marchant dans le désert, vit un démon tout couvert de calebasses en guise de vêtements. Il fut involontairement obligé de révéler ses actes au Saint. « Tu vois ces récipients qui sont sur moi, chacun en un endroit précis. En ces mêmes endroits j'enduis les hommes du contenu du récipient correspondant. Cela les fait souffrir au même endroit ». Quelles que soient les afflictions que les démons peuvent nous causer, ils s'efforcent de s'en cacher afin que nous ne réalisions pas qu'elles viennent d'eux. Ils attendent le bon moment pour causer une douleur ou une affliction ; ainsi nous ne pensons pas qu'ils puissent vraiment en être la cause et nous nous plaignons des circonstances difficiles, sans déceler leur ruse . Comme nous endurons alors sans rendre grâce, notre épreuve est sans profit. Lorsque nous sommes atteints de quelque maladie ou de lassitude, il nous faut donc de tout notre cœur tenir ferme sur le roc de la foi, en braves soldats du Christ ; si le mal provient des démons, il disparaîtra vite. S'il s'agit d'une maladie naturelle, elle va aller en empirant. Si nous avons décelé le rôle des démons, il faut s'opposer à eux jusqu'à la mort. Si le mal est naturel, il n'est pas nécessaire de contraindre la nature. Nous pouvons endurer et vaincre toutes les peines qui sont causées par les démons si nous faisons preuve de force, car Dieu ne permet pas que des tentations nous assaillent au-dessus de nos forces. Au contraire, Dieu nous apaise si nous endurons en silence et plaçons toute notre confiance en Lui, d'un seul cœur et sans douter. Celui qui s'oppose aux ennemis les fait fuir. Celui qui ne se fait pas violence sera vaincu par eux. « Dieu donne une demeure à ceux qui étaient abandonnés. Il délivre les captifs par Sa force ». (Ps 67, 7). Tous les jours il éprouve notre patience et offre son aide librement à notre libre choix, comme il la donne à tous ceux qui en ont le besoin. Ceux qui combattent souffrent jusqu'au moment où la Grâce les visite ; car alors, leurs pensées sont purifiées et les passions vaincues. Alors les souffrances causées par la maladie ou l'affliction sont soulagées et nous sommes préservés des incursions des démons et des passions. Grâce à la prière et au jeûne, grâce aux larmes et aux prosternations, avec la Grâce de Dieu, les démons sont éloignés de nous. Pourtant, il faut rester attentif, jusqu'au départ de l'âme, de peur que par négligence nous ne fassions quelque chose qui déplaise à Dieu, ou que les démons ne nous assaillent de quelque mal, la Grâce de Dieu se retirant alors de nous. Car la ruse et l'habileté des malins démons sont terribles ! Et nombreux sont leurs pièges et leurs inventions. Dans tout ce que nous essayons de faire de bon, ils s'interposent pour nous contrer. Peu nombreux sont ceux qui peuvent reconnaître leurs traits. Seuls ceux qui ont une âme forte reçoivent de Dieu cette révélation. Que le Seigneur Notre Dieu nous aide et nous fortifie contre les afflictions des démons, maintenant et toujours et pour les siècles des siècles. Amen. Sur les angoisses Celui qui est plutôt craintif de nature, qu'il s'emplisse de hardiesse et place tout son espoir en Dieu. Il ne faut pas laisser s'enraciner en nous cette attitude puérile – car les enfants sont souvent craintifs ; ignorons-là, car elle vient du démon. Le serviteur de Dieu ne craint que Son Maître qui a créé chaque corps, y a placé une âme et lui a donné vie. Les démons ne peuvent rien nous faire sans que Dieu le permette ; ils peuvent seulement nous effrayer et nous menacer avec des fantasmes. Celui qui possède un esprit droit et place tout son espoir en Dieu, celui-là ne les craint pas, car le Seigneur lui vient en aide et le réconforte. Qui donc pourrait nous faire du mal quand Dieu ne le permet pas ? C'est par le fruit de ses pensées que l'homme est fortifié ou au contraire affaibli, car en elles naissent le bien comme le mal. L'habitude fait que le bien ou le mal est attaché à chaque homme, et ce à quoi l'homme est accoutumé, semble lui appartenir en propre. Devant l'épreuve de l'angoisse, sois plein de hardiesse, fortifie ton cœur et sauvegarde-toi grâce au signe de la Croix : quand tu entres dans une pièce, fais le signe de la Croix, dis la prière suivie de « Amen » et tu seras sans crainte. Si les démons voient que nous sommes fermes dans le Seigneur, ils sont immédiatement rebutés et ils ne nous dérangent plus. Rappelons-nous que nous sommes entre les mains de Dieu. Le Seigneur a dit : « Voici, je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents et sur les scorpions, et sur toute la puissance de l'ennemi ; et rien ne pourra vous nuire » ( Luc 10, 19). Rappelons-nous que nous ne perdrons pas un seul de nos cheveux que Dieu ne l'ait ordonné ( Luc 21, 18). C'est nous-mêmes qui sommes la cause de nos angoisses lorsque nous nous laissons aller à des pensées négatives : « Et si le démon vient m'attaquer, m'assaillir et me terroriser ? » Ne laissons pas de telles pensées nous gagner, ne soyons pas à nous-mêmes notre propre ennemi en imaginant le pire. Pensons que Dieu se tient auprès de nous et nous ne connaîtrons pas la crainte. Les démons nous traquent tels des chasseurs et ils observent attentivement toutes nos pensées. Mais la crainte de Dieu fait disparaître la crainte des démons. Ce que les démons craignent par-dessus tout. Les démons craignent par-dessus tout les six vertus suivantes : 1) la faim, 2) la soif, 3) la prière du cœur 4) le signe de la croix, fait soigneusement, 5) la communion fréquente aux très Purs Mystères du Christ, si l'on en est digne et 6) l'espoir inébranlable en Dieu. Il n'existe pas d'arme plus redoutable pour s'opposer aux démons. Quelques conseils d'un père sur des sujets indispensables Lorsque Dieu permet l'épreuve, par exemple la nudité, la maladie, la faim ou toute autre tentation du corps, même si tu dois verser ton sang par amour pour Dieu, endure tout pour la gloire de Dieu et espère en Sa miséricorde. Dis avec confiance et sans crainte : « Nous avons passé par le feu et par l'eau ; mais tu nous en as tirés pour nous donner le repos » ( Ps. 65, 12). Si tu veux savoir, ô homme, comment accomplir la volonté de Dieu en toutes choses, écoute-moi. Pendant toute la durée de ton combat, dans tout ce que tu accomplis, accepte les épreuves par amour pour Dieu, selon l'état de tes forces. Vois comme Dieu est bon, car la plus petite épreuve endurée par amour pour Dieu vaut mieux que les grandes actions sans épreuves. Lorsque la faiblesse nous gagne, cela ne vient pas de Dieu mais des démons. Si nous sommes infirmes et que les forces nous manquent, nous gagnerons l'humilité, l'action de grâce et la prière du cœur. Si nous sommes en bonne santé, nous devons user nos forces jusqu'à l'épuisement. Ainsi, progressivement, le cœur se fortifie en acquérant la patience et les vertus. Nous ne pouvons être sauvés autrement. Celui qui ne vit pas selon l'esprit de la communauté à laquelle il appartient, celui-là s'expulse lui-même. Celui qui prononce des paroles violentes suscite la colère. La dispute, même en vue de faire le bien, est contradictoire. Si ton âme n'est pas atteinte de contrition, c'est que tu nourris colère et orgueil, ou bien que tu manges, bois ou dors trop, ou bien encore que tu es pris par tes distractions : l'âme ne peut alors devenir sensible. Si tu ne peux t'empêcher de trop manger, dis-toi que tu seras privé des nourritures célestes et des joies du Paradis, et que la nourriture d'ici-bas sera changée en vers. Toi qui sers pendant l'office divin, sois recueilli et prête attention, car ce que tu fais est grand ! Tu te trouves en un lieu saint parmi les anges, où tout est crainte et tremblement. O prêtre, éloigne-toi des lieux où les foules se pressent pour plaire aux hommes, car quelle contrition peut-il y avoir si tu officies à la hâte ? Celui qui ne verse pas de larmes ne devrait pas servir. Si ta conscience t'accuse de quelque chose, alors n'aie pas l'intrépidité de vouloir servir. Si tu veux apprendre, applique-toi et tu apprendras. Beaucoup de théologiens ont écrit des paroles très sages ; seules la veille et l'isolement leur ont permis de garder la contrition. Car la veille et la solitude donnent la clairvoyance à l'esprit et écartent les troubles. Elles ont le même effet que le travail manuel. La théologie ne convient pas à celui qui s'adonne aux conversations. Applique-toi, ô homme, chaque jour à détruire dans le repentir les péchés que tu as commis, et à inonder ton visage de larmes. Si la mort te rencontre un jour où tu as versé des larmes, alors tu seras délivré des tourments éternels car ton repentir aura été sincère. Ainsi ont été délivrés : le voleur qui a imprégné son mouchoir de larmes, le moine qui tous les jours commettait le péché de la chair et tous les jours se repentait devant l'icône du Christ, le publicain qui s'est frappé la poitrine en versant des larmes et en disant : « Dieu, aie pitié de moi, pécheur » ( Luc 18, 13), la prostituée qui a inondé de larmes les pieds très purs du Christ, et Manassé qui fut purifié dans les larmes du repentir. Tous ceux-là ont été sauvés. A vrai dire, je pense que s'il était possible de laver complètement notre corps avec nos larmes, alors il deviendrait incorruptible. Il ne peut verser de larmes celui qui ne persiste pas à combattre dans l'épreuve et qui ne connaît pas : 1) la contrition née des impulsions du péché ; 2) la joie émanant d'un cœur tendre ; 3) le souvenir des feux à venir et 4) le souvenir de la récompense accordée à chacun selon ses actes. Le Saint Esprit ne s'éloigne pas de l'homme qui possède ces quatre vertus. Il s'éloigne au contraire de celui qui se prélasse dans la paresse, ou a accompli un péché grave, ou encore ignore les passions dont il souffre. L'obéissance commence avec la renonciation complète de toute volonté propre et de toute justification de nous-mêmes, ainsi qu'avec la renonciation de notre propre corps. Il est très difficile de subjuguer notre volonté. Personne ne peut être sauvé s'il ne renonce à sa volonté propre, même s'il combat avec zèle ; car notre volonté s'élève comme une paroi de bronze entre nous et Dieu. Nous ne pouvons pas nous approcher de Dieu sans renoncer à notre volonté. Si nous demandons quelque chose que nous désirons et que nous ne somme pas exaucés, à l'avenir nous verrons ce désir s'affaiblir. Si par contre ton désir est exaucé, il ne fera que grandir en toi. Car chaque action bonne ou mauvaise grandit selon l'habitude et devient plus forte ainsi. Rappelle-toi ceci dans tout ce que tu entreprends. Si tu veux savoir quelles sont les actions et les habitudes de quelqu'un, écoute ses paroles car il n'est rien qui ne sorte de sa bouche qui n'ait été d'abord dans son cœur. Qu'est-ce qu'un moine ? Un moine est celui qui respecte les commandements du Seigneur ; en parfait chrétien il imite et participe à la passion du Christ, dans un martyre quotidien ; c'est un mort volontaire, un homme qui cherche à mourir dans les combats spirituels. Un moine est un pilier de patience, un puits d'humilité, une fontaine de larmes, un trésor de pureté ; il rit de tout ce qui est considéré splendide, agréable, glorieux et séduisant dans ce monde. Un moine est une âme qui souffre, pensant constamment à la mort, pendant la veille comme pendant le sommeil. Un moine est celui qui toujours force sa nature et domine ses sentiments sans montrer de faiblesse. Un moine appartient à l'ordre des incorporels – c'est-à-dire les anges. La tradition enseigne que ce sont les anges qui ont révélé aux hommes l'usage du chapelet et de l'habit monastique, dit « angélique ».-, bien qu'il subsiste dans un corps ; il a sans cesse la pensée de choses divines, en tout lieu et dans tout ce qu'il entreprend. Il est impossible à quiconque de se tenir constamment en présence de Dieu, à moins de placer en lui tout espoir de tout notre cœur et de s'en remettre à lui pour tous nos besoins. Si tu veux commencer à faire le bien, prépare-toi à affronter les tentations qui vont t'assaillir et ne fléchis pas dans l'espoir que tu as mis en Dieu. Lorsqu'un homme entreprend de vivre selon une foi ardente, l'ennemi du bien suscite en lui toutes sortes de tentations destinées à l'effrayer et à lui faire abandonner l'oeuvre qu'il désire accomplir. Si tu n'es pas préparé à affronter de telles tentations, alors garde-toi d'entreprendre l'oeuvre du bien. Celui qui doute de l'aide de Dieu, celui-là sera effrayé de sa propre ombre, même en l'absence de tentation. Pour chaque homme, la conscience doit être son instructeur et son témoin. Dans tout ce que tu accomplis, ne prononce aucune parole que tu n'aies pensée auparavant. Toute parole hâtive est à bannir. Ne révèle aucun mystère à celui que tu ne connais pas comme un ami. Un ami flagorneur devient vite un ennemi. Qu'il est bénéfique de fuir le monde Mieux vaut se mettre seul contre les démons dans la faim et le dénuement et mourir au combat dans le désert, loin du monde, plutôt que de chercher à accomplir de grandes œuvres pour le Salut au milieu du monde ; car le feu des passions de ce monde consume le moine qui y retourne. Même celui qui est impassible souffrira tant qu'il est dans le monde. Et celui qui est pris par les passions se fera prendre par tous les pièges du péché. Tel le poisson qui se précipite sur le ver au bout de l'hameçon et est vite tiré de l'eau et meurt, le moine qui est dans le monde est attiré en pensées par les choses de ce monde et, malgré lui, tombe dans les pièges de l'ennemi et meurt, s'étant éloigné de la vie angélique. Il fait lui-même périr son âme, la soumettant à tous les tourments. Le sommeil et l'amour des plaisirs sont comme des hameçons par lesquels les démons attrapent l'âme des moines et les mènent à la destruction. Tant que nous chérissons le sommeil, les plaisirs et la paresse, nous ne faisons que combattre avec la chair et non avec les démons. Celle-ci nous attaque sans cesse et aide ainsi les démons. La paresse en particulier nous assaille où que nous soyons, debout, assis ou allongé. Nous chérissons le sommeil, les plaisirs et la paresse parce qu'ils se développent naturellement avec le corps ; c'est pourquoi aussi ils sont si puissants à nous combattre. Que celui qui veut vivre à l'image de Dieu se force à maîtriser ses habitudes naturelles. Il faut nous repentir et user notre corps jusqu'à l'épuisement dans ce monde. Nous n'échapperons pas à la mort. A celui qui se fait violence, il sera beaucoup donné après la mort. Quant à celui qui chérit le sommeil et les plaisirs dans cette courte vie, il connaîtra après la mort les tourments éternels. Que faut-il préférer, ô homme ? Etre affligé pendant quelque temps et connaître le règne éternel, ou bien prendre du repos pendant quelque temps et connaître les tourments éternels ? Du sommeil et des plaisirs naît la paresse. De la paresse naît l'oisiveté. De l'oisiveté, le découragement. Du découragement, le relâchement du corps. Du relâchement du corps vient l'incapacité à maîtriser les sens et, de cette dernière, sous l'impulsion des démons surgissent alors les passions. Les passions grandissent avec notre accord, et selon notre volonté. Dans le monde, où les hommes considèrent librement tout ce qu'ils voient et entendent, les sentiments sont maîtrisés avec peine et les démons suscitent leurs impulsions aisément. Que chacun se garde donc du sommeil excessif, des spectacles offerts à la vue et à l'ouïe, des conversations oiseuses. Lorsque l'oeil voit quelque chose ou que l'oreille entend quelque chose, lorsque nous parlons de quelque chose, l'esprit y prête attention, l'âme cherche à s'en approcher et le cœur est bientôt envahi par le désir. Quand cette habitude est profondément ancrée en nous, les démons ne cessent d'investir notre esprit avec ces choses, toujours et encore. Lorsque nos sens se réjouissent des passions qu'ils connaissent, le péché est absolument manifeste. Aucun homme ne peut se purifier des passions s'il ne détruit pas toutes les occasions qui peuvent les faire naître. La dispersion des pensées, l'assombrissement de l'esprit et l'entrée des démons proviennent des passions suivantes : la paresse, les pensées impures, le sommeil excessif, la gloutonnerie, les accès de colère et le relâchement du corps. Seule l'activité intérieure, c'est-à-dire la prière incessante de l'esprit et du cœur ainsi que le jeûne peuvent arrêter les démons et leur interdire l'accès, laissant la place au Saint Esprit. L'homme devient ainsi un temple de Dieu. Autrement, l'amour du monde et l'esprit malin s'installent en nous, prenant possession de notre corps. Le Seigneur dit : « Cette engeance-là ( les démons) ne sort que par la prière et le jeûne » (Matt. 17, 21). L'élévation intérieure est inaccessible aux démons et elle les effraie ; par contre l'attrait pour les pensées mauvaises les attire et les fait pénétrer en nous. Aussi longtemps que l'homme reste attaché aux passions et à l'amour du monde, les démons contrôlent son corps afin de le forcer à succomber aux tentations, malgré lui ; l'homme n'est plus alors qu'un esclave soumis. Les passions sont les portes par où entrent les démons. Dieu permet qu'ils usent d'armes contre nous, afin que nous restions conscients de notre infirmité et ne soyons pas gagnés par l'exaltation. Toutefois les démons ne peuvent pas corrompre directement les qualités de notre âme, ni ses forces, car Dieu ne le leur permet pas. Parfois il arrive qu'un homme mène le bon combat, mais ayant succombé aux passions décrites plus haut, il laisse entrer les démons ; il est alors engagé dans un double combat et il ne pourra retrouver le zèle qu'il avait avant longtemps. De la distraction des pensées naissent la somnolence et le sommeil profond, jamais satisfait. De là naît le péché. Le péché entraîne le tourment de l'âme et le découragement. Nous avons vu que d'un esprit confus et assombri naissent des pensées vagues et distraites et l'incapacité à maîtriser les sens ; nous devons donc fuir toutes les tentations du monde, garder nos sens et les retenir, comme on tient un cheval en bride, de sombrer dans le mal. Nous devons sans cesse surveiller notre âme avec un esprit sobre, afin qu'elle ne laisse pas les sens faire le mal. Lorsque l'esprit n'agit plus en nous avec circonspection, les passions apparaissent en nous et sont autant d'armes dirigées contre nous. L'intellect lui-même commence alors à être gagné par les passions, et à être distrait et assombri. Les passions ne sont plus maîtrisées et elles deviennent libres. O moine, sois sobre en esprit, sois sobre ! Trouve-toi un endroit sombre, qui n'est d'aucun attrait pour les hommes, d'où on ne peut t'expulser, loin du monde. Mène là la vie silencieuse, restant éloigné du monde afin que même si tu voulais faire quelque chose dans le monde tu n'en aies pas la possibilité. Par le seul fait qu'il s'est retiré du monde, l'homme qui est dans le désert est délivré des passions. Qu'est-ce qui est de Dieu et qu'est-ce qui est de l'ennemi ? Comment peut-on juger une bonne action lorsqu'une pensée nous incline vers elle et une autre au contraire nous en éloigne ? Comment peut-on savoir s'il s'agit alors de la volonté de Dieu, ou bien de la tentation de l'ennemi ? L'ennemi aime à cacher la vérité et à mêler le bien et le mal. Comment donc déterminer la vérité ? La bonté de Dieu et toutes nos intentions sont pleines de douceur et d'espérance et elles permettent de dissiper le doute. C'est vrai non seulement de nos bonnes actions mais aussi de nos actions désordonnées, car Dieu dans la douceur patiente et attend notre repentir. Comment reconnaître les impulsions de l'ennemi ? En général l'ennemi nous entrave et nous détourne du bien. Toutefois là où apparemment réside le bien, mais où l'esprit cause en nous le trouble, nous fait oublier la crainte de Dieu, nous prive du calme, tandis que le cœur est en peine sans raison et que l'esprit vacille, sache alors que l'ennemi agit, et éloigne-toi de cet acte. Ce qui vient de l'ennemi provoque le trouble et l'inquiétude, plongeant l'esprit dans le doute. Nous ne devons pas accepter toutes les dispositions vers lesquelles incline notre cœur, mais plutôt nous interroger pour savoir si telle disposition nous est profitable. Lorsque l'esprit est gagné par les sombres pensées de l'ennemi, il faut renoncer complètement à toute pensée et à tout raisonnement, car nous ne pouvons connaître la vérité tant que notre esprit n'est pas purifié par la prière. Telle une eau boueuse, les pensées remontent vers l'esprit assombri ; tel un nuage, elles vont et viennent et l'âme devient insensible. Que celui qui veut connaître la vérité s'adonne longtemps à la prière sincère, puis à la tâche qu'il aura choisie. Pendant le temps de la prière, l'ennemi ne peut occulter la vérité, car il est alors sans pouvoir. Tu peux faire l'expérience dans les faits de la vérité d'une telle foi. A notre Dieu soit la gloire dans les siècles des siècles. Amen. Sur la foi infaillible Celui qui croit en la Providence infaillible de Dieu n'est pas inquiet ni même préoccupé de savoir quelle sera sa mort, qu'elle vienne des hommes, des bêtes sauvages, de la faim, de l'épuisement dû aux épreuves ou de toute autre provenance. On ne meurt qu'une fois, et personne ne peut y échapper. Celui qui en tout a placé sa confiance en Dieu, afin d'accéder au Royaume des Cieux, celui-là est mort au monde et n'est en rien préoccupé par la manière dont il mourra. Celui qui une fois pour toutes a placé son espoir en Dieu ne connaît plus d'inquiétudes, car dans tout ce qu'il fait il trouve du profit pour son âme. Celui qui accepte toutes les épreuves par amour de Dieu est assuré de trouver le Salut. La Grâce de Dieu nous est accordée selon la foi que nous avons. Si notre foi est faible, peu nous sera accordé. Si notre foi est grande, il nous sera accordé beaucoup pour notre patience. Rien ne nous arrive qui se situe en dehors du plan de la Providence de Dieu et de ses ordonnances. Dieu attend seulement de nous un esprit attentif. Toutefois les décisions divines sont hors de notre portée, insondables, et nous devons donc travailler avec patience au Salut de notre âme. Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé, par le Christ Jésus notre Seigneur. A lui soit toute gloire, maintenant et toujours et aux siècles des siècles. Amen. Exhortation Je vous implore et vous exhorte pères, frères et enfants bien-aimés : adorez le Seigneur de tout votre cœur et de toute votre âme. Soyez droits et justes, obéissants et humbles ; gardez la tête inclinée et que votre esprit soit tourné vers les Cieux. Soyez emplis de contrition envers Dieu et les hommes. Soyez source de consolation pour ceux qui sont dans l'affliction, patients dans l'épreuve ; ne vous adonnez pas à la colère ; soyez généreux et miséricordieux ; donnez à manger aux pauvres ; accueillez les étrangers ; endurez les épreuves pour la rémission de vos péchés ; soyez pleins de joie en Dieu ; connaissez la faim et la soif ; soyez doux et patients ; ne recherchez ni gloire ni richesse ; aimez votre prochain ; ne soyez ni hypocrites ni fiers ; réjouissez-vous des tâches que vous accomplissez pour la gloire de Dieu, dans le silence, répondant avec amabilité quand vous êtes interrogés ; respectez les jeûnes ; soyez toujours en prière ; veillez et récitez les psaumes avec un cœur intelligent. Ne jugez aucun homme, mais condamnez-vous plutôt vous-mêmes. Si vous accomplissez tout cela, vous serez l'enfant de l'Evangile, le fils de la Résurrection, l'héritier de la vie en Christ Jésus notre Seigneur. A Lui soit tout honneur, gloire et adoration, avec le Père et le Saint Esprit, maintenant et toujours et aux siècles des siècles. Amen. FIN
SAINT PAÏSSIUS VELICHKOVSKY
Ed. L'AGE D'HOMME COLLECTION LA LUMIERE DU THABOR LE STARETS PAÏSSIUS VELICHKOVSKY ET LA TRADITION PATRISTIQUE DE L'EGLISE ORTHODOXE
Païssius Vélichkovsky, le Saint Starets de Niamets et de Dragomirna, est connu pour avoir cherché de toute son âme et de tout son cœur la prière qui unit à Dieu, la prière qui, dans le cœur des saints, devient perpétuelle et leur permet d'accomplir le commandement du Seigneur : « Priez sans cesse » ( Matt. 25, 13 ; Marc 13, 33-37 ; Luc 12, 37-40 ; Thess. 5, 17 ; Ephes. 6, 18). Le Saint Starets Païssius, témoin de la tradition hésychaste, est donc de ceux pour lesquels il est écrit : « celui qui demande reçoit, celui qui cherche trouve, et l'on ouvre à celui qui frappe ». (Matt. 7,8). Cette forme de prière a reçu plusieurs noms. On la trouve appelée tantôt « prière du coeur », tantôt « prière de Jésus, prière au nom de Jésus », parce que c'est le nom de son Christ que le chrétien invoque (Jn 16, 24), tantôt encore « la prière » , parce qu'elle est la prière par excellence. Les autres formes de prières qu'on trouve dans l'Eglise, dans le culte public ou privé, reçoivent le nom générique de « psalmodie » et sont considérées comme préparatoires à la prière qui a lieu dans le cœur et inférieures à cette dernière. La tradition de la prière du cœur transmise d'un ancien à un disciple, et qui passe par les trois stades de la purification, de l'illumination, pour atteindre, dans le Saint Esprit, la glorification, la vision de Dieu, n'est pas une pratique tardive, qui aurait été théorisée au XIVème siècle dans les milieux hésychastes, comme on le croit encore parfois en Occident. Cette prière est profondément biblique et apostolique. Dans son petit livre sur la prière du cœur, Ignace Brianchaninov – l'évêque Ignace ou Ignatius Brianchaninov ( 1807-1867) eut pour Père spirituel Léon d'Optina, de la lignée spirituelle de Païssius. Pratiquant la prière du cœur, connaissant parfaitement aussi la mentalité occidentale, il a expliqué pour les modernes le sens des écrits spirituels des hésychastes – a, sur ce point, résumé l'essentiel de l'enseignement de l'Evangile : « La prière du nom de Jésus est d'institution divine. Elle n'a pas été instituée par l'entremise d'un apôtre ou celle d'un ange ; mais par le Fils de Dieu et Dieu en personne. Après la Cène mystique, parmi d'autres préceptes et commandements ultimes et sublimes, le Seigneur Jésus Christ a institué la prière en Son nom. Il offrit cette manière de prier comme un don nouveau, extraordinaire, un don d'une infinie valeur. Les Apôtres connaissaient déjà en partie la puissance du nom de Jésus ; par ce nom, ils avaient guéri des maladies incurables, par ce nom ils avaient réduit les démons à l'obéissance et les avaient vaincus, enchaînés et expulsés ; Par ce nom très fort et merveilleux, le Seigneur nous commande de prier avec lui. Il a promis qu'une telle prière serait spécialement efficace. « Tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, disait-il à ses saints Apôtres, je le ferai, afin que le Père soit glorifié dans le Fils. Quoi que vous demandiez en mon nom, je le ferai ». (Jn 14, 13». « En vérité, en vérité je vous le dis, si vous demandez quelque chose au Père en mon nom, Il vous l'accordera. Jusqu'à présent vous n'avez rien demandé en mon nom ; demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit parfaite » (Jn 15,23). Quel don merveilleux ! Il donne l'assurance d'une infinité de bénédictions sans limite! Il est venu des lèvres du Dieu illimité, qui s'est limité en revêtant l'humanité et s'est fait appeler du nom humain du Sauveur. - Sauveur, en Hébreu, Jésus (Mtt. 1, 21). Le nom, dans sa forme extérieure, est limité, mais il représente un objet infini, Dieu, de qui il reçoit une valeur ou une puissance divine et infinie : le pouvoir et les propriétés de Dieu » (Ignace Brianchaninov : Sur la prière de Jésus). L'origine scripturaire de la prière par excellence a été voilée,en Occident,par des interprétations de l'Ecriture qui n'étaient plus fondées sur la Tradition. C'est pourquoi, lorsqu'au XIV ème siècle, Barlaam le calabrais, nourri de scolastique, est arrivé au Mont Athos, il s'est étonné de voir les moines adonnés à cette répétition incessante du nom de Jésus, et plus encore de les entendre dire que certains d'entre eux voyaient la lumière incréée. De même l'Occident s'étonne, en lisant la Philocalie, cette encyclopédie sur la prière, comme devant un continent inconnu. Pourtant,il suffit de lire les Pères pour voir que cette prière est une clé de toute l'Ecriture Sainte, d'une part ; et que d'autre part, elle a été le « pain quotidien » de toutes les générations chrétiennes. Toutefois, comme un ruisseau, qui tantôt coule sur terre et tantôt s'enfuit, puis resurgit, le fil ininterrompu de la vraie prière, de la prière révélée, a été plus ou moins visible. Il n'est que plus profitable de le suivre, pour décrypter « l'envers de l'Histoire » du monde, c'est-à-dire la véritable Histoire de l'Eglise, du Corps du Dieu-Homme. La prière au Nom du Christ est comme le levain qui fait lever « toute la pâte » de l'humanité. Le fil d'or de la prière dans l'histoire de l'Eglise a) Des temps apostoliques aux Pères de la Philocalie. Il serait d'abord possible de trouver de nombreux témoignages sur cette prière dans les temps apostoliques. Le Christ, dans la « prière sacerdotale » ou « surnaturelle » - ce passage de Saint Jean auquel fait allusion le texte d'Ignace Brianchaninov que nous venons de citer – a promis à ses disciples que l'Esprit Saint les guiderait dans toute la vérité et que Lui-même reviendrait vers eux : « Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus ; et puis encore un peu de temps, et vous me verrez, parce que je vais au Père...je vous reverrai, et votre cœur se réjouira » (Jn 16, 16 et 22). Cette promesse ne se limite pas aux temps apostoliques : « Ce n'est pas pour eux seulement que je prie, mais encore pour ceux qui croiront en moi par leur parole, afin que tous soient un, comme toi, Père, tu es moi, et comme je suis en toi, afin qu'eux aussi soient un en nous...Père, je veux que là où je suis ceux que tu m'as donnés soient aussi avec moi, afin qu'ils voient (théorôsi) ma gloire, la gloire que tu m'as donnée, parce que tu m'as aimé avant la fondation du monde (Jn 17, 20-24). ( Le verbe employé par l'évangéliste, théorein, signifie voir, contempler. Les Pères emploieront le même verbe, ou le nom correspondant, théoria, pour désigner l'expérience de la glorification. Lorsque les Pères parlent de « contemplation », c'est toujours à cette promesse du Christ et à ce passage de Jean qu'ils se réfèrent. Il s'agit toujours pour eux d'une contemplation du Christ, expérience qui n'a rien à voir avec la contemplation platonicienne.) Loin de limiter ces promesses et ces annonces du Christ aux « apparitions du Christ après sa Résurrection » et à « l'existence béatifiée des saints dans le Ciel », les Pères de l'Eglise les ont interprétées d'après la foi et l'expérience, nous dirions aujourd'hui d'après le vécu de l'Eglise primitive. Ce que le Christ annonce dans ces paroles, en effet, c'est qu'il aura un nouveau mode de présence, après son ascension ( « je vais au Père », par lequel il sera présent au cœur de chacun de ses disciples, actuels et futurs, et par lequel aussi tous ces disciples ne feront plus qu'un. Pour les Pères, c'est au jour de la Pentecôte que cette promesse a été accomplie. Ce jour-là, le Saint Esprit, descendant sous forme de langues de feu, a conduit effectivement les disciples dans toute la vérité, non en leur apportant une « somme de théologie » ou un catalogue de dogmes, mais en les baignant de sa lumière incréée.Il leur a donné la glorification, la déification, les préparant à recevoir, dans leur cœur, ce que le Seigneur leur avait promis, c'est-à-dire, Lui-même. A partir de la Pentecôte, les apôtres ont été « avec le Seigneur », ayant sans cesse, cachée dans leur cœur, la lumière de la face du Christ ( 2 Cor. 4,6), achevant dans leur chair « ce qui manquait aux souffrances du Christ (Col. 1, 24), portant toujours, dit l'Apôtre Paul, « avec nous dans notre corps la mort de Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre corps » (2 Cor. 4,10). Il ne s'agit pas là de métaphores, mais d'expérience concrète. Car ces choses n'ont pas été dites par Saint Paul seulement, ou éprouvées par les seuls Apôtres : elles ont été confirmées par toutes les vies des saints qui ont fait cette expérience et qui ont commenté, à partir d'elle, les préceptes de l'Evangile et les descriptions des Epîtres. Tout le christianisme apostolique et patristique s'est nourri, abreuvé, vêtu, de cette parole fondamentale du Christ : « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera ; nous viendrons à lui, et nous ferons notre demeure en lui » (Jn 14, 23), « le Saint Esprit s'y trouvant déjà », complète Saint Jean Chrysostome, résumant l'expérience des saints sur cette inhabitation, en chacun, de la Trinité. Cette présence de l'Esprit, su Père et du Fils, est évoquée de multiples fois chez Saint Paul : « Dieu, écrit-il aux Galates, a envoyé dans vos cœurs l'Esprit de Son Fils, lequel crie : Abba, Père » (Gal. 4, 6-7). Cette présence de l'Esprit dans le cœur s'appelle aussi « foi » dans les textes apostoliques ( Ac.6,5 ; 11, 24). Celui qui a cette foi intérieure n'est pas ce que nous appelons aujourd'hui un croyant – qui a simplement une foi extérieure au cœur – c'est un véritable fidèle, dans le cœur de qui le Saint Esprit parle continuellement « en des soupirs qu'on ne peut pas exprimer « humainement ( Rom. 8, 15 et 26). La fameuse « prière en langues » dont parle Saint Paul au chapitre quatorze de sa première lettre aux Corinthiens a fait couler de l'encre chez les modernes, parce qu'ils ne comprenaient pas que cette prière était avant tout la prière du cœur. Comme telle, elle n'est pas une particularité limitée aux seuls temps apostoliques. Elle ne se confond pas non plus avec le « miracle des langues » du jour de la Pentecôte. Cette prière n'est pas entendue de ceux qui n'ont pas reçu l'illumination ( 1 Cor. 14 : 6,16 et 23). En revanche, les hommes de Dieu entendent cette glorification silencieuse, comme les Apôtres entendaient Corneille et ses compagnons, ces païens que le Saint Esprit avaient éclairés (Actes 10, 44-47). Comme l'explique Saint Paul, « parler en langues », c'est prier, mais prier par l'Esprit, et non pas avec son intelligence. La prière de l'intelligence est la psalmodie que l'homme commence et fait cesser selon sa volonté. Elle dépend de l'homme. La prière par l'Esprit est ce que l'Esprit dit dans le cœur de ceux qui se sont purifiés, et celle-là est permanente (Eph. 5, 18-20 ; 1 Thess. 5, 16-21). Elle manifeste la synergie de l'homme avec Dieu. Elle est en « langues nouvelles », que Dieu seul entend (1 Cor. 14, 2). Tout le chapitre quatorze de l'Epître aux Corinthiens s'adresse à ceux qui avaient ce don de la prière perpétuelle ou illumination. L'Apôtre leur reproche d'avoir voulu instituer cette forme de prière comme culte public dans l'église, ce qui avait pour conséquence de rendre ce culte inintelligible à ceux qui n'avaient pas atteint le même niveau spirituel. Pour le christianisme orthodoxe, l'organe essentiel de la connaissance qui sauve n'est pas l'intelligence du cerveau, mais le cœur. Lorsque les pèlerins d'Emmaüs constatent la disparition du Seigneur, ils disent : « Notre cœur ne brûlait-il pas au-dedans de nous, lorsqu'il nous parlait en chemin et nous expliquait les Ecritures ? » (Luc 24, 32). Le Christ, que leurs yeux n'avaient pas reconnu, que leur raison n'avait pas saisi tout en comprenant les Ecritures, leur cœur, lui, le savait présent. Rendre le cœur capable de recevoir le Saint Esprit, de devenir l'habitation de Dieu, telle est la tâche de l'Eglise, hier comme aujourd'hui. « Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ». Les chrétiens visent donc d'abord la purification du cœur, cherchant à remplacer l'égoïsme, qui s'est enraciné en nous depuis la chute, par l'amour désintéressé de Dieu, par la charité qui ne cherche pas son intérêt. C'est la pratique des commandements évangéliques qui rend le cœur capable de recevoir la révélation divine. Saint Grégoire de Nysse, interprétant la béatitude que nous venons de citer, compare le cœur pur à un miroir. Bienheureux les cœurs purs, parce qu'en regardant leur cœur, ils voient Dieu. (Saint Grégoire de Nysse, Homélies sur les Béatitudes). Que le cœur soit bien le centre de cette connaissance de Dieu appelée prière du cœur, cela ressort aussi des écrits et des vies des martyrs et des confesseurs de l'Eglise primitive. Un exemple pourrait être pris dans la vie de Saint Ignace le « théophore », « le porteur de Dieu », disciple de l'Apôtre Jean et couronné à Rome de la mort du martyre. Les Actes de son martyre enseignent que : « Lorsqu'ils ( les païens) le prirent pour le faire dévorer par les bêtes et virent qu'il avait constamment le nom de Jésus sur les lèvres, les païens lui demandèrent pourquoi il mentionnait ce nom sans cesse. Le saint répondit que le nom de Jésus-Christ était écrit dans son cœur, et qu'il confessait de la bouche Celui qu'il portait en tout temps dans son cœur. Après que le Saint eut été dévoré par les bêtes, il arriva par la volonté de Dieu que son cœur resta intact au milieu de ses os. Les impies le découvrirent et se souvinrent de ce que Saint Ignace avait déclaré. Ils coupèrent donc en deux parties son cœur, pour voir si ce qu'on leur avait dit était vrai. A l'intérieur, sur les deux moitiés du cœur partagé, ils trouvèrent écrit en lettres d'or : Jésus-Christ. Ainsi, Saint Ignace était, de nom et d'acte, un « porteur de Dieu » (« théophore »), puisqu'il portait toujours, dans son cœur, le Christ notre Dieu, qu'il y avait écrit par l'application de l'intellect comme avec un calame. » (Actes du Martyre de Saint Ignace. Voir les Synaxaires au 20 décembre. Cité aussi dans I. Brianchaninov). Ajoutons encore un témoignage, pris en Occident – celui de Saint Jean Cassien, dont les Conférences roulent en grande partie sur la prière intérieure incessante que l'auteur appelle « prière pure ». L'instituteur du monachisme dans les Gaules écrit, dans sa Dixième Conférence, que le moine doit choisir une courte formule, un verset du psautier, et le redire dans toutes les épreuves : « Tout moine qui vise au souvenir continuel de Dieu doit s'accoutumer à méditer sans cesse (cette formule) et, pour cela, chasser toute autre pensée : car il ne pourra la retenir que s'il s'affranchit entièrement des soucis et des sollicitudes du corps. C'est un secret que les rares survivants des Pères du premier âge nous ont appris, et nous ne le livrons de même qu'au petit nombre des âmes qui ont vraiment soif de le connaître. Afin donc de vous tenir toujours dans la pensée de Dieu, vous devrez continuellement vous proposer cette formule de piété : « O Dieu, viens à mon aide, hâte-toi de me secourir »...Oui, que l'âme retienne incessamment cette parole, tant que, à force de la redire et de la méditer sans trêve, elle ait acquis la fermeté de refuser et de rejeter loin d'elle les richesses et les biens abondants de toutes les autres pensées ; et que réduite ainsi à la pauvreté de ce petit verset, elle parvienne par un chemin léger à cette première béatitude qui précède toutes les autres : « Bienheureux les pauvres en Esprit, car le Royaume des Cieux est à eux » (Conférences 10, 10 et 11). Tout l'enseignement de l'Eglise sur la prière du cœur, qui découle de cette expérience apostolique, continuée tout au long de l'Histoire,a été réuni par Saint Nicodème l'Hagiorite et Saint Macaire de Corinthe, dans la Philocalie, ou Amour de la beauté, dont la première édition date de 1782. Saint Nicodème et Saint Macaire, en assemblant, dans un ordre pédagogique, les textes patristiques sur la prière du cœur, entendaient donner à tout fidèle, moine ou laïc, les moyens de faire, dans son propre cœur, l'expérience de cette grâce. b) L'origine biblique de la prière du cœur et sa signification. Ce qu'il faut surtout comprendre ici, en effet, c'est le but de cette prière pure et révélée par Dieu. Ce but est l'union à Dieu, c'est-à-dire la vision (théoria) de la gloire divine. Cette vision, en effet, est appelée aussi dans la théologie orthodoxe glorification ou déification. Telle fut l'expérience des prophètes. La prière du cœur les y conduisit. Tel est le sens de la réponse de Job à Dieu. A la fin du Livre de Job, en effet, Dieu se manifeste au patriarche et lui dépeint les merveilles de son œuvre de créateur. Job alors s'exclame : « Mon oreille avait entendu parler de toi ; mais maintenant mon œil t'a vu » (Job 42, 5). Hors de toute connaissance intellectuelle de Dieu, couché sur son fumier, il avait rencontré, dans une expérience ineffable, le Dieu vivant. La mission des plus grands prophètes, comme Elie ou Moïse, est pleine, à cet égard, d'enseignements remarquables. Elie rencontre Dieu, non pas dans le vent qui déchire les montagnes, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu, mais dans une douce brise : « un murmure doux et léger » (1 Rois 19). Nos catégories ne sont pas celles de Dieu. Moïse, appelé ordinairement par les Pères « Celui qui a vu Dieu », est considéré comme le modèle même du théologien, c'est-à-dire de celui qui s'est purifié pour Dieu avant de recevoir la révélation qui sauve et de pouvoir enseigner le peuple. Or la clé de la figure si haute de Moïse, c'est la prière du cœur, comme l'expose Saint Grégoire Palamas dans son Homélie sur la Croix. Il y a, dit Saint Grégoire, deux aspects du mystère de la Croix : « Que dit la voix divine lorsqu'elle se fait entendre à Moïse pour la première fois, après sa fuite hors d'Egypte et son ascension de la Montagne ? 'Détache la sandale de tes pieds'...'Oui, quoique tu sois sorti d'Egypte et que tu aies quitté le service de Pharaon...il te manque encore quelque chose... Détache la sandale de tes pieds, rejette les tuniques de peau que tu as revêtues et dans lesquelles agit le péché qui te retient loin de la terre sainte'... « Le premier mystère de la Croix, c'est la fuite hors du monde et la séparation d'avec les parents selon la chair...voilà comment le monde est crucifié pour nous, ainsi que le péché, quand nous fuyons loin d'eux. Dans le second mystère de la Croix, c'est nous-mêmes qui sommes crucifiés au monde et aux passions, lesquels dès lors nous fuient. Or il est impossible que le monde et les passions nous fuient parfaitement et cessent d'opérer en nous par les pensées, tant que nous n'avons pas accédé à la vision de Dieu. En effet quand, par la pratique des commandements ( praxis) nous atteignons la vision (théoria), quand nous ornons de vertu notre homme intérieur et le purifions intégralement, scrutant le trésor divin caché en nous et contemplant le règne de Dieu au-dedans de nous, alors nous sommes nous-mêmes crucifiés au monde et aux passions. Cet exercice fait naître dans le cœur une chaleur qui chasse les mauvaises pensées comme des mouches, implante dans l'âme paix et consolation spirituelles et donne au corps la chasteté, selon celui qui a dit : 'Mon cœur est devenu brûlant au-dedans de moi et dans ma méditation le feu s'embrasera'...Ainsi, les passions mauvaises et le monde du péché ne peuvent fuir loin de nous de façon parfaite et cesser d'agir en nous par les pensées, tant que nous ne sommes pas dans la vision de Dieu et c'est pour cette raison qu'existent le mystère de la Croix et sa contemplation, qui crucifie le monde pour ceux qui s'en sont rendus dignes. » (Saint Grégoire Palamas, Homélie sur la Croix, Migne PG 151, 125 sqq. (Homélie 11) ; trad. La Lumière du Thabor 27, Paris, 1990, p.19 sqq.) Moïse a donc connu, dans le second mystère de la Croix, l'illumination de la prière intérieure. C'est ici un hésychaste qui fait ce que, seul, il pouvait faire : retracer l'itinéraire de Moïse, non pas sur une carte de géographie, mais sur une table de chair, sur le cœur. Et le Grand Canon de Saint André de Crète distingue les mêmes étapes : après avoir frappé à mort « l'esprit égyptien » et avoir fui le péché, l'âme doit habiter le désert et se détacher de tout par la prière, pour pouvoir contempler dans la théophanie du Buisson le Dieu manifesté, c'est-à-dire le Verbe asarkos (sans-la-chair) avant son Incarnation (Grand Canon de Saint André de Crète, Ode 5, mardi de la Première Semaine du Grand Carême). La plus haute expérience de glorification que fit Moïse fut celle du Sinaï, où il resta durant quarante jours dans l'état de déification, recevant de Dieu la Loi. Les Apôtres bien-aimés du Seigneur connurent le même état de gloire lors de la Transfiguration, comme l'exprime le tropaire de la fête : « O Christ Notre Dieu, quand tu t'es transfiguré sur la Montagne, tu as montré à tes disciples ta gloire, autant qu'ils pouvaient la supporter... » Fidèles en tout à la Bible, les Pères ont appelé cette gloire Royaume, selon le mot même du Christ : « Je vous le dis en vérité, quelques-uns de ceux qui sont ici ne mourront point qu'ils n'aient vu le Royaume de Dieu. Environ huit jours après qu'il eut dit ces paroles, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il monta sur la montagne pour prier. Pendant qu'il priait, l'aspect de son visage changea, et son vêtement devint d'une éclatante blancheur » (Luc 9, 27-29). Cet état que les Pères nomment Palais, Royaume ou Règne de Dieu (Basiléia a tous ces sens) est le plus élevé que l'homme puisse obtenir – cet état dynamique où l'on va de gloire en gloire dans l'infini divin est tout pour l'homme, et c'est pourquoi Pierre dit ceci : « Dressons trois tentes », car il désirait rester toujours ainsi. Cette expérience de la vision de Dieu et de la participation à sa gloire a été faite au plus haut degré le jour de la Pentecôte. Elle a transformé les Apôtres en porteurs du Saint Esprit. A chaque fois qu'un saint arrive à la vision de Dieu, il fait la même expérience, selon, bien sûr, les caractères de sa personnalité propre. Cette rencontre personnelle entre le Dieu libre et l'homme libre ne saurait évidemment se répéter comme une mécanique. c) L'Eglise et son histoire à la lumière de la prière. Les quelques notions que nous venons de rappeler expliquent l'Eglise et justifient la « hiérarchie » de l'ecclésiologie orthodoxe. L'Eglise existe, en effet, pour être le lieu de cette expérience. Une Eglise qui nierait ou empêcherait une telle expérience ne serait pas celle du Christ. Le sens de la « hiérarchie » s'éclaire : le peuple et les Anciens s'entendaient pour confier à l'un des Anciens, à l'un de ceux qui avaient atteint la vision de Dieu, en fuyant l'Egypte spirituelle de ce monde. Réalité spirituelle ou charismatique et réalité ecclésiastique se recoupaient. C'est ainsi qu'un Saint Ambroise ou qu'un Saint Photios, le premier à Milan dans le Vème siècle, le second à Constantinple dans le IX7me, furent élevés à l'épiscopat très rapidement, franchissant en quelques jours tous les degrés de la hiérarchie. (Voir la Vie de Saint Photios par le Père Justin Popovic, publiée en français dans Saint Photios, Oeuvres Trinitaires I, Paris, Ed. de la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas, 1989, 25-27). Pourquoi cet apparent oubli des coutumes et des canons ? Parce que, dans ces deux hommes, le peuple fidèle avait reconnu la présence du Saint Esprit et l'effectivité de la Grâce divine de l'illumination. Dès lors, ils étaient déjà, selon la belle expression d'un Saint, « ordonnés par le Saint Esprit » et leur consécration épiscopale sanctionnait une réalité déjà présente. Le sens des sacrements – baptême, prêtrise, épiscopat- apparaît dès lors, dans le contexte synergique. Ils ne peuvent évidemment pas fabriquer le Grâce dans un indigne, pas plus qu'une condamnation injuste ne rend coupable celui qui la subit ou qu'un diagnostic ne change un état de santé ; Comme Saint Corneille dans les Actes des Apôtres, qui avait reçu la Grâce avant d'être baptisé (Actes 10, 44-47),le sacre épiscopal constate et confirme la venue de la Grâce divine. ( L'Eglise est en danger dès qu'un simulateur, qui feint d'avoir la Grâce, se fait ordonner et entend gouverner le troupeau. C'est un loup-pasteur, semeur d'hérésie – et contre ce danger, les Pères ne cessent de mettre les fidèles en garde). Il est intéressant de noter que, jusque dans le langage des Chrétiens de certains pays orthodoxes, on trouve des manières de dire qui montrent que le peuple est imprégné de cette mentalité qui remonte aux temps apostoliques. Par exemple, à Chios, cette « île de tous les monastères », appelée parfois le second Athos, un fidèle a récemment dit à un prêtre de mes amis : « Quelle chance vous avez d'être prêtre ! Car cela prouve que vous avez la prière du cœur ! » Citons encore la coutume russe de ne donner que très tard aux moines le grand schème ou grand habit monastique. Cette coutume des deux « habits » qui répondent à deux ascèses, s'explique par la tradition charismatique du monaschisme : le moine du petit schème est celui qui lutte pour acquérir la vision de Dieu, le moine du grand habit est celui qui a vu Dieu, qui a été glorifié ; Le grand habit sur lequel est cousue la Croix manifeste ce « second mystère » de la Croix dont parle Saint Grégoire Palamas, la crucifixion du monde et l'atteinte de la paix divine. L'autorité charismatique des évêques dans l'Eglise orthodoxe est une tradition sans laquelle l'histoire de l'Eglise ne serait pas intelligible. Le rôle de certains Saints, dans les conciles oecuméniques ou dans certaines périodes critiques de l'histoire de l'Eglise, ne devient clair que si l'on comprend quelle autorité prophétique était attachée à leur nom. Saint Athanase, au Ier concile oecuménique, Saint Cyrille dans le troisième, Saint Maxime le Confesseur, dans la crise monothélite, ont été suivis par ceux qui avaient du discernement spirituel. Ici, il faut bien distinguer les capacités intellectuelles des capacités spirituelles. On suggère parfois, en Occident, l'idée que le peuple se soucie peu des dogmes et que les différences entre l'hérésie et la vérité lui demeurent imperceptibles. Les illettrés auraient du mal à comprendre, dit-on, les subtilités d'un Saint Maxime le Confesseur. La conclusion qu'on voudrait en tirer revient à ceci : le Salut ne saurait, contrairement à ce qu'affirme toute l'orthodoxie, dépendre de la préservation « au iota près » des enseignements de l'Eglise. Un tel raisonnement, toutefois, oublie que les critères dogmatiques n'existent pas seuls dans l'Eglise orthodoxe ; les critères spirituels vont de pair avec eux. Le peuple qui accourait prendre la bénédiction de Saint Maxime le Confesseur, et refusait la communion avec les monothélites, savait parfaitement ce qu'il faisait, même si l'expression philosophique et la réfutation des ruses sophistiques des hérésies demandaient des qualités intellectuelles et spirituelles hors du commun. Le peuple Chrétien n'a jamais eu besoin de guides savants en dialectique car, comme le disait Saint Ignace : « Mes archives, c'est la Croix du Christ ». ( Epître d'Ignace aux Philadelphiens, 8). C'est donc à partir de cette réalité spirituelle qu'il faut lire l'histoire, quelquefois si tragique, de l'Eglise. La remarque vaut pour la période de la turcocratie : après la chute de Constantinople, il y eut des évêques déifiés, qui se révélèrent capables de conduire le peuple des « rayas » ( sujets vaincus » vers les sommets de la déification. Les iconographes se mirent alors à peindre l'icône qui montre le Christ entrant dans le tombeau : la douleur et l'humiliation de la turcocratie étaient vécues par les Chrétiens comme le prélude à la Résurrection en gloire. Il y eut enfin des moments où la structure officielle de l'Eglise se trouva vidée de substance, de réalité spirituelle. La hiérarchie nominale était constituée de loups déguisés en pasteurs, incapables de guider le peuple. On vit alors le courant prophétique de l'Eglise relever l'ardeur des vrais Chrétiens, même si, au sein d'une majorité tiède, ils étaient devenus la minorité – la minorité selon le monde, car il va de soi que ceux qui sont avec Dieu forment toujours, selon le mot de Saint Théodore le Studite, la majorité. Ce fut le cas notamment à l'époque de Saint Maxime le Confesseur, que nous venons d'évoquer, et où tous les Patriarcats – Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem – appelés d'ordinaire « les cinq sens de l'Eglise », communièrent un moment dans l'hérésie monothélite. Sous l'iconoclasme, certains peuples orthodoxes connurent les mêmes drames. Que signifie, spirituellement, l'hérésie ? L'impossibilité radicale d'atteindre à l'illumination véritable. Toutefois, à chaque période de grande crise dogmatique et spirituelle, il y eut des justes qui, tels Noé, préservèrent l'Eglise d'être engloutie sous les flots et permirent aux Chrétiens de retrouver la tradition authentique. Ces Saints sont les vrais hésychastes, entrés dans le repos divin, et devenus trônes de Dieu : ils peuvent se croire seuls pendant un temps ; mais Dieu leur donne ensuite, comme il l'avait fait pour Elie, « sept mille hommes qui n'ont pas plié le genou devant Baal » (3 Rois 19,18) – sept, le chiffre de l'Eglise... Les Pères, à travers l'histoire, jouent donc non seulement le rôle de confesseurs de la vérité, mais encore celui de prédicateurs, de missionnaires, de guides spirituels, de pédagogues de la foi évangélique et apostolique.Prenons l'exemple de la Russie. Les évêques hésychastes et la Russie Le rôle de l'hésychasme et des évêques hésychastes dans la direction spirituelle des slaves du Sud et des Russes a été mis en évidence par certains érudits. L'exemple par excellence, pour les Slaves du Sud, et pour la Serbie en particulier, est celui de Saint Savva (1175-1236) qui, au Mont Athos, fut initié à la grande tradition de la prière pure et devint pour tout son peuple un nouveau Moïse. Le Mont Athos était, au XIIème siècle et dans la suite, le phare du monachisme orthodoxe et le centre d'importants échanges culturels entre les moines venus de tous les horizons. Partageant la même foi, et la même nationalité romaine, puisque l'Athos était dans l'orbite de la Seconde Rome, les divers groupes – grec, bulgare, russe, serbe, géorgien- se distinguaient non comme des nations ou des ethnies ( ethné), mais comme des langues (glossai). Les grands monastères, comme Vatopédi ou Chilandar, jouèrent un rôle considérable dans la diffusion de la spiritualité hésychaste à travers le monde, par deux moyens : les traductions -ainsi, au monastère serbe de Chilandar, un grand nombre de textes ascétiques furent traduits du grec en slavon – et les voyages, parce que les moines formés à l'Athos, rentrant dans leur contrée d'origine, y répandaient ce qu'ils avaient appris et méritaient le nom d'illuminateurs. Saint Savva alluma ainsi dans sa Serbie, à partir du monastère de Studenica, le flambeau de l'hésychasme athonite. Les successeurs de Saint Savva entretinrent avec l'Athos des liens tout aussi étroits que ceux qu'il avait eux avec les Pères athonites de son temps. Ainsi, l'archevêque Jacques de Serbie était un disciple de Saint Grégoire le Sinaïte, qui fut le maître de Saint Grégoire Palamas. Le roi serbe Stephan Douchan (+1347), au quatorzième siècle, offrit des villes entières à Saint Grégoire Palamas, qui déclina cette offre. La Serbie s'imprégna donc profondément de l'héritage hésychaste. On peut dire que la culture serbe, du XIIème au XIVème siècle, est fondée sur la prière du cœur. D'où le caractère mystérieux de son art, qui rayonne à partir de cette illumination intérieure, secrète, que le monde ne peut pas voir ni recevoir. De Serbie, la tradition hésychaste passa facilement en Russie du Sud, parce que les contacts entre les deux pays étaient nombreux. Au regard de la spiritualité russe, Saint Savva revêt donc une importance décisive. (Voir Obolensky, Six Byzantine Portraits, Oxford, 1988, p.115-172). Les relations de la Russie avec le monde orthodoxe byzantin et serbe se voient particulièrement dans l'art, fondé sur la théologie, dans les règlements monastiques, dans les relations des hiérarques russes avec les grands hésychastes des autres pays. Reprenons ces trois points dans l'ordre. ( Nous suivons l'excellente présentation de I.M. Kontzevitch, The Acquisition of the Holy Spirit in Ancient Russia, St Herman of Alaska Brotherhood, Platina, Californie, 1988, p. 123 sqq.) L'iconographie russe du XIVème siècle, notamment la décoration des églises de Moscou, Pskov et Novgorod, révèle une communauté d'inspiration avec l'école serbo-macédonienne. Les icônes ornant les livres religieux sont elles-mêmes éloquentes : elles transcrivent les enseignements de Saint Grégoire Palamas et de tous les Pères orthodoxes sur la Transfiguration ; elles récapitulent toute la spiritualité hésychaste. L'hésychasme n'est donc pas arrivé après coup en Russie, comme quelque chose d'accidentel. La Russie a reçu tout son enseignement chrétien de ces êtres « porteurs de Dieu » qu'étaient les Saints hésychastes. On appelle cette tradition « byzantine » parce que les Slaves et les Russes d'alors la reçurent surtout par Constantinople. On pourrait l'appeler aussi bien « biblique », « apostolique », « patristique », ou serbe ou russe, puisque c'est en elle que chacun façonne son vrai visage, à la ressemblance du Christ. Saint Païssius, renouant avec l'hésychasme, n'introduisait donc aucune nouveauté, mais revenait aux sources. La règle monastique du monastère de Saint Savvas de Palestine, situé près de Jérusalem, fut rapportée par Saint Savva le Serbe lors d'un de ses voyages en Terre Sainte, et elle s'implanta en Serbie, dans les Balkans, et finalement en Russie, grâce aux efforts de Saint Serge de Radonège (1314-1392). On voit, sur cet exemple, comment les traditions se répandent dans l'Eglise, comme un sang qui parcourt et unit tout le corps, sans décision émanée d'aucun centre visible. Selon l'Evêque Siméon de Thessalonique, cette règle de Saint Savva le Sanctifié, de Palestine, l'a emporté sur les autres en Grèce durant la première moitié du XIIIème siècle. Traduite en slavon au début du XIVème siècle par l'Archevêque Nicodème de Serbie, elle fut approuvée officiellement pour la Russie par le métropolite Cyprien de Kiev et Moscou (1330-1406). Les relations étroites des hiérarques russes avec les hésychastes de Constantinople témoignent aussi de cette identité spirituelle parfaite. Saint Théognoste le Grec ( 1327-1353), métropolite de Moscou, soutint Saint Grégoire Palamas et signa le Tome ou résumé dogmatique du Concile de 1341, qui affirmait que la théologie de Saint Grégoire Palamas était celle de l'Eglise et condamnait celle de ses adversaires comme une hérésie anti-biblique. Saint Alexis, le successeur de Saint Théognoste, fut l'ami personnel du Patriarche Philothée de Constantinople, l'auteur de l'Office et du discours à la louange de Saint Grégoire Palamas qui sont une source fondamentale pour connaître la vie du grand hésychaste et la façon dont le voit l'Eglise. Saint Serge de Radonège reçut de ce même Philothée la bénédiction pour établir une communauté cénobitique au monastère de la Sainte Trinité. Saint Serge et Saint Alexis sont à l'origine de la grande floraison monastique de la Russie du nord-est . Saint Cyprien, – Voir, pour tout ce qui suit, D. Obolensky, Six Byzantine Portraits, Oxford, 1988, p. 173-200- métropolite de Kiev et de Moscou, est, dans ses tribulations mêmes, l'exemple de cette liaison vivante et « internationale », dirions-nous aujourd'hui, qui unissait les hésychastes dans tout le monde orthodoxe. Né en Bulgarie, et formé sur l'Athos, il se trouva mêlé aux querelles qui divisaient alors, politiquement, la Lithuanie de la Russie moscovite. Kiev se trouvait dans le territoire du Grand Duc de Lithuanie, rival du Prince de Moscou ; et le métropolite Alexis, résidant à Moscou, et théoriquement nommé pour toute la Russie, n'agissait vraiment que dans le territoire du Prince de Moscou. Philothée, pour satisfaire aux instances du Grand Duc sans trop froisser le Prince, consacra Cyprien comme métropolite de Kiev, avec mission de s'occuper des Lithuaniens et de réunir de nouveau, à la mort d'Alexis, toute l'Eglise russe sous sa houlette. Innombrables furent les difficultés que lui valut cette tâche, et la Vie de Saint Pierre, métropolite de Moscou ( 1308-1326) qu'il écrivit en slavon, dépeint, dans les humiliations de Pierre, certaines de celles que souffrit l'auteur. Expulsé de Russie, désavoué par les successeurs immédiats de Philothée, en péril sur la mer, Cyprien n'obtint son siège définitivement qu'en 1390, après un synode réuni sous le Patriarche Antoine IV. Son rôle historique et religieux n'en brille que davantage : hésychaste, Cyprien fut soutenu par une sorte de « parti hésychaste » - en Moscovie par Saint Serge de Radonège et par son neveu Théodore, higoumène du monastère de Simonov, et à Constantinople par Théophane de Nicée, qui avait contribué, sous Philothée, à restaurer la communion entre Constantinople et l'Eglise serbe. L'oeuvre unificatrice de Cyprien se fondait, en effet, sur la foi et la tradition de la prière. Il agissait,certes, en homme politique, quand il cherchait des fonds pour aider Constantinople ; mais son principal souci était d'ordre spirituel. D'une part, en effet, le métropolite Cyprien sauvegarda l'orthodoxie dans une Lithuanie pourtant politiquement liée, désormais, à la Pologne ; d'autre part, il traduisit du grec en slavon le Psautier, l'Echelle Sainte de Saint Jean Climaque et Denys l'Aréopagite, et fit inclure dans le Synodikon russe – Texte lu solennellement dans les églises le premier dimanche du Carême, et qui acclame les champions de la foi et condamne toutes les hérésies- les articles concernant l'hésychasme et la condamnation de l'augustinisme de Barlaam. C'est probablement à cette époque aussi que l'Eglise russe reçut la canonisation de Saint Grégoire Palamas, dont les doctrines étaient considérées comme la quintessence de la foi apostolique. Saint Cyprien et Saint Athanase de Vysotsk ( + après 1401), qui l'accompagna à Constantinople, sont des témoins vivants, des maillons de la chaîne de l'hésychasme. Saint Cyprien fut davantage qu'un éditeur. Il implanta la foi dans la puissance de la prière, lorsqu'en 1375 il fit transporter à Moscou l'icône de la Mère de Dieu de Vladimir, qui délivra la ville de la menace de Tamerlan. Témoignent également des liens qu'entretenaient la Russie avec l'Orient orthodoxe les ascètes comme Saint Lazare de Murom (1286-1391) ou Saint Serge de Nurma (1421), venus s'établir en Russie et autour desquels se rassemblèrent des âmes éprises de Dieu. De nombreux russes aussi voyageaient dans l'Orient orthodoxe, tel Saint Théodore, neveu de Saint Serge de Radonège et archevêque de Rostov, qui copia beaucoup de textes patristiques. A la suite de Cyprien de Kiev et de Moscou, un grand nombre de hiérarques et d'higoumènes ont continué la tradition hésychaste et sont allés s'abreuver à la source athonite ou orientale. Saint Arsène de Konevits ( + 1447) et Saint Savvas de Vichera (+ 1460) ont vécu sur l'Athos au moment où les enseignements de Saint Grégoire Palamas y florissaient. La recherche d'un modèle spirituel se manifeste dans la vie de Saint Euphrosynus de Tolva (1385-1481) qui, après avoir visité les ermites des environs de Constantinople, ne put se satisfaire plus longtemps du monastère où il avait vécu en Russie et, de retour au pays, fonda celui de Tolva, où il fit, entre autres, copier les œuvres de Saint Isaac le Syrien. Saint Denys, archevêque de Rostov, au milieu du Xvème siècle, grec d'origine, apprit la prière sur l'Athos et fut à l'origine d'un important mouvement monastique en Russie du Nord-Est. Saint Nil de la Sora (+ 1508) appartient à la même lignée, puisqu'il visita les monastères d'Orient d'où il tira des leçons et des exemples, avant de devenir lui-même une lumière véridique pour ses contemporains et pour Païssius Vélichkovsky. Toutefois, la lignée des saints starets a pu connaître certaines éclipses ; de même, les relations spirituelles entre les pays orthodoxes ne se sont pas toujours fondées sur l'unité spirituelle. Ces deux phénomènes résultent d'une évolution intérieure : l'oubli, la mise en veilleuse du seul savoir véritable, de la seule lampe à toujours laisser allumée, celle de la prière de l'intellect au nom de Jésus-Christ. Se produit alors, pour les peuples, ce qui arrive parfois aux individus : la crise de leur identité chrétienne. Saint Païssius ne dit-il pas que la perte de la mémoire est l'une des trois passions à l'origine de tout péché, colère et ignorance étant les deux autres ? La crise de la théologie russe. a) Le projet du Père Georges Florovsky L'effort du Père Georges Florovsky, dans ses Voies de la théologie russe, a consisté à montrer que la crise que connaît la Russie avant même le XVIIIème siècle et le règne de Pierre le Grand, est due à un éloignement progressif à l'égard de la tradition dogmatique, spirituelle et intellectuelle de Byzance. Le livre n'a malheureusement pas été bien compris par l'intelligentsia russe de Paris, qui a considéré les dures critiques de Florovsky à l'égard des errances théologiques russes comme des jugements hâtifs et impertinents. En réalité, dans l'esprit de l'auteur, cette remontée de la mémoire vers la source d'où la Russie avait reçu la foi, n'était pas négative. Ce livre est une vraie métanoïa, un vrai retour : Florovsky préparait l'avenir. Et il ne le pouvait qu'en dénonçant, et en condamnant, fermement, les chemins qui s'écartaient loin de la vie. Car il n'y a qu'une seule voie, qui n'est pas une doctrine ni un système, mais une personne concrète et vivante, la Personne du Dieu-Homme, qui dit : « Je suis la Voie » et : « Je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie ». Le Père Georges Florovsky présente ainsi son projet : « L'étude du passé de la Russie m'a amené, et m'a toujours affermi, dans la conviction que le théologien orthodoxe, de nos jours, ne peut trouver pour lui-même la vraie mesure et la source vivante de l'inspiration créatrice ailleurs que dans la tradition patristique. Je suis persuadé que la rupture, dans les idées, d'avec la tradition patristique et byzantine a été la cause principale de toutes les cassures et de tous les échecs dans le développement de la Russie. Ce livre dit l'histoire de ces échecs. Toutes les réalisations authentiques de la théologie russe ont toujours été liées à un retour créateur aux sources patristiques. Que l'étroit sentier de la théologie des Pères constitue la seule vraie voie, cela ressort avec une clarté particulière de la perspective historique. Cependant, le retour aux Pères ne saurait être simplement intellectuel ou historique, il doi se faire en esprit et en prière, pour être une recréation vivante, une auto-restauration de la plénitude de l'Eglise dans la plénitude de la tradition sacrée. » ( G. Florovsky, Ways of Russian Theology, Part One, vol.5, in the « Collected Works », ed. R.S. Haugh, Belmont ( Mass.), Nordland, 1979, p. XVII. Approuvée, révisée et complétée par l'auteur, cette traduction anglaise doit désormais être citée, de préférence au texte russe de l'édition de Paris, 1937). Se tromperait-on beaucoup en voyant dans cette dernière phrase un rappel des recommandations de Saint Grégoire de Naziance et de tous les Pères hésychastes ? Qui invitent à se purifier pour Dieu plutôt qu'à parler de Dieu – à moins parler de Dieu et à prier davantage. Sans faire du Père Georges un « hésychaste », nous suivrons donc son analyse de la crise de la théologie russe. b) Développement de l'influence occidentale Florovsky commence par montrer que la Russie ancienne, au moins depuis le XVIème siècle, ne dépendait pas culturellement de la seule Byzance : « L'antique Russ n'a jamais été complètement coupée de l'Occident... L'influence byzantine prévalait certes, mais elle ne fut jamais la seule. On doit noter, dès le XVIème siècle, un affaiblissement de cette influence, une crise du byzantinisme russe ». L'influence de Novgorod fut déterminante : par elle, tous les courants issus d'occident pouvaient irriguer la Russie. Un nom symbolise à lui seul toute la période du XVIème siècle, pour le meilleur comme pour le pire. Il s'agit de Maxime le Grec (1470- vers 1560), ce Grec né à Arta, élevé à Corfou, qui connut la Renaissance italienne, avant de connaître la Renaissance paléologue. En effet, passant de l'humanisme florentin au théo-humanisme orthodoxe, il devint moine sur l'Athos et fut initié à la prière. Son monastère l'envoya ensuite au Prince de Moscou qui demandait un traducteur pour réaliser une version slavonne de textes bibliques et patristiques. Maxime avait, certes, étudié à Florence, mais c'est à l' université de la prière, c'est au Mont Athos, qu'il avait été formé à la vie en Christ. Il joua, dans Moscou, le rôle d'un guide et d'un guetteur spirituel, réprimandant tous ceux qui s'écartaient de la « voie étroite ». Il agit comme le faisaient les anciens prophètes d'Israël, et avec le même succès qu'eux, puisque, en butte à la colère d'une fraction du clergé et de la société, il fut condamné et emprisonné dans divers monastères, ne retrouvant un peu de liberté que sur la fin de sa vie. Au-delà des incidences politiques de son destin, - la Russie, tournant le dos à Byzance, s'alliait alors avec les Mongols, et accusait Maxime de trahison, parce qu'il dénonçait cette attitude comme anti-byzantine et anti-orthodoxe. Pour toute l'histoire de Saint Maxime et son intervention au sein des querelles théologiques de son temps, voir G. Florovsky, op ; cit., p.24-26 ; D. Obolensky, op. cit., p.201-219.- il faut noter que Maxime se heurtait à des adversaires enclins à remplacer le culte intérieur – dont la prière du cœur est le sommet- par le culte extérieur et la pompe des cérémonies. Quoique condamné de son vivant, Maxime avait fait entendre des avertissements qui, longtemps après sa mort, continuèrent de résonner dans les âmes bien disposées, et c'est ce qui explique sa canonisation au XVIIème siècle. L'histoire que raconte le Père Georges Florovsky apparaît donc comme particulièrement difficile à écrire. Deux courants s'y entrecroisent ; mais l'un des deux, privé de tout moyen d'expression, dénué, comme on dirait aujourd'hui, d'accès aux médias, reste souvent souterrain et invisible. Il fallait de l'amour pour l'orthodoxie pour discerner, dans l'histoire des influences occidentales et des chutes spirituelles, comme la Réforme de Pierre le Grand, un conflit sourd, profond, avec la vraie tradition sacrée de la Russie, qui fit résurgence avec Saint Païssius, puis avec la lignée des starets d'Optina et avec Saint Jean de Cronstadt. L'influence de l'Europe se fit sentir à partir de la Pologne et de la Lithuanie. L'orthodoxie fut déformée, inconsciemment souvent. La théologie de la Réforme, puis le catholicisme romain imprégnèrent les théologiens russes, quoiqu'ils fussent souvent hostiles aux Eglises étrangères : le cas le plus typique est celui du métropolite de Kiev Pierre Moghila qui, tout en luttant contre l'uniatisme, se montra, en théologie, plus catholique romain qu'orthodoxe. - Voir G. Florovsky, op. Cit., p. 64-74-. c) La Réforme de Pierre le Grand Dans cette réforme culmine l'esprit anti-hésychaste et anti-patristique du courant occidentalisant. Elle s'est manifestée dans deux domaines principaux : I) Domaine ecclésiastique Les canons apostoliques, qui règlent la structure de l'Eglise, prévoient une synergie, un accord, entre la hiérarchie et le peuple : les évêques représentent dans l'Eglise la volonté divine du Christ, et le peuple représente la volonté humaine du Christ. En vertu de cette règle, aucune consécration épiscopale n'est valable sans l'assentiment des fidèles qui, au jour de la consécration, crient « Axios », « Il est digne » - sous-entendu : de l'épiscopat. Si les fidèles ne criaient pas Axios, la consécration, quoique conférée selon les rites, par deux ou trois évêques, serait nulle et non avenue. D'autre part, les mêmes canons apostoliques prévoient que les évêques institués par l'autorité civile doivent être déposés : il ne saurait y avoir confusion entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel. La conscience de la réalité synergique de l'Eglise – coopération entre hiérarchie et fidèles, image et effet de l'accord des volontés humaine et divine dans le Dieu-Homme – cette conscience a limité les abus que contenaient la réforme de Pierre le Grand. Pierre le Grand, admirateur de l'organisation des Eglises dans le monde protestant, avait conçu l'Eglise comme un organisme d'Etat sur le modèle des autres administrations – armée, finances, etc...( Sur la Réforme de Pierre le Grand voir l'excellent livre de James Cracraft, The Church Reform of Peter the Great, Stanford University Press, Stanford, California, 1971. Nous suivons sa présentation ainsi que celle de Florovsky, op. Cit., chap. 4, 114-161.) Théophane Procopovitch rédigea une Règle ecclésiastique qui annulait le Patriarcat, et remplaçait le patriarche, considéré comme un rival potentiel du Monarque, par un collège appelé Très Saint Synode dirigeant. Nommé par le souverain, le synode était aux affaires ecclésiastiques ce que le Sénat était aux affaires civiles : l'instrument de la puissance autocratique. Les prêtres devaient, aux termes de la même règle, dénoncer les éventuels complots contre le tsar et prêcher sur le respect dû aux autorités et surtout à la « suprême autorité du tsar ». Il y avait là une ingérence de l'Etat, (- Il faut toutefois noter que le Synode ne s'occupait pas de dogme, mais seulement d'administration. Le tsar ne pouvait décider ni en matière de foi, ni en matière de discipline. C'est comme représentant de la totalité du peuple qu'il intervenait dans la nomination des évêques. Comme l'ont bien noté les historiens, lescatéchismes les plus officiels de l'Eglise russe – ceux de Platon et de Philarète- appellent les tsars « principaux curateurs et protecteurs de l'Eglise ». Ils restent très en-deçà du chapitre « des devoirs envers l'Empereur » du catéchisme de Napoléon Ier, par exemple. Les autres Eglises autocéphales orthodoxes ne rompirent pas la communion avec l'Eglise russe, quoique les Vieux-croyants l'eussent rompue, en particulier pour ces innovations anti-canoniques ; Voir sur ces points A. Leroy-Beaulieu, L'Empire des Tsars et les Russes, Paris, 1888, réed. L'Age d'Homme, Lausanne, 1988, t.3, notamment p.187 et suiv., qui note : « Il n'en est point de l'Eglise russe comme de l'Eglise anglicane, comme des Eglises luthériennes ou évangéliques de l'Allemagne et des pays scandinaves...jamais l'autocratie tsarienne n'a élevé les mêmes prétentions...que la couronne d'Angleterre...Ni Moscou ni Pétersbourg n'ont entendu les juristes ou les théologiens revendiquer pour le prince, en matière ecclésiastique, la suprême autorité que lui déféraient si volontiers juristes et théologiens dans l'Allemagne protestante » (p.196-197) -) Il y avait donc là une ingérence de l'Etat qui ébranlait la structure canonique de l'Eglise, laquelle seule lui permet de « glorifier dans la concorde la Père, le Fils et le Saint Esprit ». II) Domaine théologique. La conception de la vie spirituelle ayant changé et les idées de l'Occident ayant prévalu, l'Eglise devait se mettre au service du monde, du « bien commun ». Dès lors, le « souci sans souci » de l'hésychaste n'avait aucune place dans le système de Pierre le Grand. Le monachisme, jugé inutile, fut persécuté ; les monastères, privés de leurs biens et de tout moyen de subsister, fermèrent ou périclitèrent. Les opposants furent muselés : le hiérarque Arsène Matsiévitch, métropolite de Rostov, qui avait osé protester, fut déposé, privé de son état de moine (sic), et mis en prison jusqu'à sa mort en 1772 – l'Eglise le commémore désormais le 28 février. (- Cf Kontzevitch, op. Cit., p.266. Remarquons 1) qu'il est impossible de priver quiconque du monachisme, qui est l'habit de la pénitence ; déposer un moine est aussi absurde que de vouloir ôter d'un baptisé son baptême 2) Arsène Matsiévitch fait partie des ascètes et hiérarques récents qui ont brillé par leur vie mais n'ont pas été encore canonisés. L'Eglise recommande de prier pour leur mémoire).- Le monastère d'Optina fut fermé en 1724. Les décrets de Pierre le Grand se trouvèrent aggravés par celui de Catherine II en 1764. Sur le modèle du séminaire de Kiev, des écoles théologiques furent implantées dans la Grande Russie, pour élever le niveau des connaissances en matière de dogme et de culture. Malheureusement, l'enseignement, délivré en latin, était imbu de théologie occidentale et il n'aboutit qu'à une « pseudo-morphose » de l'orthodoxie:on essayait d'exprimer la foi des Pères en la plaçant dans le « lit de Procuste » des catégories propres aux confessions occidentales. Ces catégories de pensée, issues de la philosophie, les Pères les avaient rejetées comme inadéquates et étrangères à leur expérience de la foi. Elaborées de nouveau par la scolastique, puis par les systèmes métaphysiques de l'Occident, elles venaient se plaquer, en Russie, sur une vie chrétienne qui n'avait rien à voir avec elles. C'est pourquoi le Père Georges Florovsky parle de « théologie sur pilotis » - cette théologie ne pouvait être qu'un édifice intellectuel artificiel. (- Voir, sur tout ce que nous disons des écoles théologiques, l'article de G. Florovsky, « Les influences occidentales dans la théologie russe », paru en allemand dans les « Procès verbaux du Ier Congrès de Théologie Orthodoxe », Athènes, 1939 et dans « Kyrios 2 », n°1, Berlin, 1937, p. 1-22. Traduction française dans La Lumière du Thabor n°24, Paris 1989, p.55-79-). La conséquence de cette réforme sur la hiérarchie fut la formation d'un clergé d'Etat, coupé du peuple auquel il ne pouvait servir la nourriture spirituelle. La théologie intellectuelle des hiérarques formés dans les écoles ne répondait pas au besoin de leur troupeau : « La nouvelle érudition théologique apparue en Russie...se servait toujours d'un langage spécial, étranger au peuple et qui n'était ni celui de la vie courante, ni celui de la prière. Bref, ce fut toujours un corps étranger au sein de la structure de l'Eglise...La pensée théologique finit peu à peu par ne plus entendre le battement du cœur de l'Eglise, et ainsi par perdre la « voie » qui l'aurait conduite à ce coeur ». (- Florovsky, art. Cit., Lumière du Thabor 24, p.75-). Selon certains auteurs, cette théologie errante et la « captivité spirituelle » de l'Eglise russe qui en a résulté, sont les origines véritables de la Révolution Russe. d) Limites de la réforme Quoique la réforme de Pierre-le-Grand recélât, comme l'écrit le Père Georges Florovsky, « une très grave menace », (- Id., Ibid., p.76), la portée s'en trouva cependant limitée par plusieurs facteurs. La première limite vient du caractère même de cette réforme, qui n'affecta que superficiellement le peuple, et de la vie de prière de l'ensemble des chrétiens, qui en était la négation pratique : »Au profond de la prière, la Foi antique est restée, demeurant « la Foi apostolique et patristique », celle de l'orthodoxie ancienne, de l'Orient orthodoxe, de Byzance ». (-Ibid.-). En second lieu, à la frontière entre cette vie de prière et la pensée scolastique, quelques figures d'exception développèrent une théologie fondée non sur la philosophie mais sur une connaissance, une reconnaissance, une réappropriation de l'histoire de l'Eglise. Ainsi, le métropolite Philarète de Moscou (1782-1867) inaugura le retour aux Pères de l'Eglise. (-Ibid., p.70). La troisième limite invisible qui empêcha le naufrage de la vraie spiritualité et prépara secrètement sa résurrection, fut le monachisme intérieur. On pouvait fermer les bâtiments conventuels, non les cœurs amoureux de Dieu. Quelques figures remarquables, comme celles de l'Ancien Dosithée du monastère des Grottes de Kiev (- Née en 1721, elle s'endormit dans le Seigneur le 25 septembre 1776. Voir Kontzévitch, op. Cit., p.266-268-), qui était en réalité une femme, et son homonyme, la recluse Dosithéa de Moscou (- On estime qu'il s'agit de la princesse Augusta Tarakanova, fille légitime de l'impératrice Elisabeth. Catherine II la força de prendre le voile monastique en 1785. Elle s'endormit dans le Seigneur le 4 février 1810. Voir Kontzévitch, op ; cit., p. 268 -), atteignirent le sommet de la déification et préparèrent la régénération de la vie spirituelle. Ces deux femmes ont illustré l'anavathme du quatrième ton que l'Eglise chante lors de toutes les grandes fêtes : « Toute âme est vivifiée par le Saint Esprit et par la purification s'élève, mystérieusement illuminée par la monade Trinité ». Les mots que nous soulignons correspondent à l'adverbe hiérokruphios, déjà employé par Saint Denys l'Aréopagyte pour décrire le caractère de l'illumination accordée par l'Esprit à ceux qui en sont dignes. Cachée dans le cœur, elle ne se manifeste pas au grand jour, mais restaure l'homme intérieur. De même, c'est au fond de leur réclusion que les deux Dosithée ont gardé le flambeau sacré:la première, celle de Kiev, envoya Théophane, un de ses disciples, en Moldavie, au monastère de Saint Païssius Vélichkovsky, et ce fut elle aussi qui bénit Saint Séraphim pour qu'il allât à Sarov ; la seconde envoya Moïse, higoumène d'Optina, auprès de l'archimandrite Philarète et du hiéromoine Alexandre de Novospassky, deux disciples du même Païssius, dont il nous faut maintenant parler. Le Starets Païssius Le mouvement de décadence spirituelle de l'Eglise Russe fut inversé grâce au zèle d'une âme amoureuse de Dieu : le moine Païssius qui se rendit à la Sainte Montagne et qui, devenu théodidacte ( enseigné par Dieu), réunit les textes des Pères sur la prière, les traduisit et leur redonna vie en les mettant en pratique. Son rôle a été décisif dans la transmission et le renouveau de la spiritualité patristique en Russie, en Roumanie, et même dans l'apparition du grand mouvement orthodoxe des Kollyvades en Grèce. Né en 1722, Pierre Vélichkovsky, après avoir étudié à l'école théologique de Kiev, se mit avec passion à chercher la tradition de la prière. Il vécut d'abord dans des monastères proches de Kiev puis, toujours en quête de la prière pure, dans des skites en Valachie, avant de gagner le Mont Athos. Ce fut là, sur la Sainte Montagne, que l'Ancien Basile le tonsura comme moine sous le nom de Païssius. Il apprit des Anciens athonites la tradition vivante dont son âme avait soif et, ordonné prêtre, fonda sur l'Athos la skite du Prophète Elie. De retour en terre moldave, il dirigea les monastères de Sékoul et de Niamets. Sa quête infatigable des textes sur la prière le conduisit à publier, en 1793, une anthologie de textes traduits en slavon qui correspond à la Philocalie grecque parue en 1782. L'audience de cet ouvrage fut immense. De même, les « fleurs des champs », ces instructions simples et profondes, que Païssius répandait sur les âmes affamées d'amour divin, comptent parmi les textes décisifs de la tradition hésychaste : ils sont un maillon de cette chaîne d'or qui, souvent invisible, traverse néanmoins l'Histoire, depuis Abraham le croyant jusqu'à nos jours. C'est cette vie et ce sont ces écrits que Michel Aubry présente aujourd'hui au lecteur français. Il définit ainsi ses sources et sa méthode : « Pour écrire le résumé de la vie du starets Païssius Vélichkovsky, nous avons puisé à deux sources : d'une part l'Autobiographie de Païssius, rédigée vers la fin de sa vie, qui constitue un document unique en son genre dans la littérature orthodoxe de l'époque, (- Nous gardons le titre usuel, mais il faut prendre garde au fait que l'intention de Païssius n'était nullement de rédiger l'histoire de sa vie, mais d'expliquer les origines et l'histoire de sa communauté de Sékoul et de Niamets, et cela, pour défendre ses enfants spirituels contre certaines critiques. L'autobiographie, comme genre littéraire, tourne à l'auto-apologie, et ne saurait exister pour un starets prêt, à l'imitation du Christ, le grand pasteur, à donner sa vie pour son troupeau. Le teste placé en tête du manuscrit, et que nous citons ci-après, manifeste ce caractère conciliaire et non individualiste qui marque toute la vie de l'Eglise-) et, d'autre part, les récits et biographies successives rédigées par des moines qui ont vécu et travaillé auprès du starets, d'abord à la Sainte Montagne, puis dans les monastères de Moldavie. Les biographies ont, en fait, été publiées avant l'Autobiographie. Vingt ans environ après le rappel à Dieu du starets, les moines du monastère de Niamets chargèrent le moine Métrophane, bon copiste , d'écrire une biographie de leur père spirituel. Métrophane rédigea une première version, en russe, complétée par le moine Isaac qui en donna aussi une version roumaine. L'ensemble fut revu et condensé par le futur métropolite de Moldavie, le moine Grégoire, qui produisit en 1817, sur les presses de Niamets, en roumain, son Abrégé de la Vie de notre Saint Père Païssius. Cette première biographie fut repris ultérieurement par le moine Paul, un autre copiste du starets, et une nouvelle édition sortit des presses de Niamets en 1836, comportant version roumaine et version russe du texte. Cette dernière édition, abondamment diffusée hors des murs du monastère, connut un grand succès en Russie. Elle fut donc reprise, mais en russe seulement, par le monastère d'Optina en 1847, augmentée d'extraits des écrits de Païssius. C'est cette édition de 1847 que la Fraternité Saint Germain d'Alaska de Platina ( Californie)a traduit en anglais et publiée en 1976, augmentée de notes, d'une bibliographie et d'une riche illustration. Ce n'est qu'en 1906 que le savant russe A. Yatsimisky découvrit à la Bibliothèque de l'Académie Impériale un manuscrit inconnu qui contenait l'Autobiographie originale de Païssius. Les biographes cités ci-dessus avaient évidemment connaissance de cette autobiographie, et ils l'utilisaient. S'ils n'en firent pas mention explicitement, c'est que Païssius l'avait précisément écrite à l'intention de ses moines et qu'eux-mêmes concevaient leurs écrits, au moins initialement, pour le seul usage des monastères. Ils n'avaient donc aucun souci de citation de sources, car, notes écrites ou remémorations des enseignements du starets, elles n'avaient pour seul but que de contribuer à l'instruction des frères. D »ailleurs, Païssius n'a pas donné de titre à son Autobiographie. Il l'a simplement ouverte par cette adresse : « Histoire de la sainte communauté des pères et frères, mes enfants spirituels, très aimés dans le Seigneur, qui, au nom du Christ, se sont rassemblés autour de l'indigne que je suis et qui, par la Grâce de Dieu et pour le Salut de leur âme, résident dans ces monastères : au saint et grand monastère de l'Ascension de Notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus-Christ, à Niamets, et au saint monastère du vénérable et glorieux prophète, précurseur et baptiste du Seigneur, Jean, à Sékoul : comment et pour quelle raison cette sainte communauté s'est rassemblée autour de moi, indigne pécheur ». Il s'agit clairement, pour Païssius, de transmettre à ses frères une description détaillée des évènements qui ont marqué son existence, afin de protéger ce qu'il appelle le « cercle » de ses frères de toute attaque et calomnies que pourraient susciter ses travaux. Le texte de l'autobiographie s'arrête en 1746, au moment où Païssius gagne l'Athos. Les évènements essentiels qui suivent ont été racontés par les biographes de Païssius à partir de différentes sources. Le moine Métrophane, son premier biographe, avait utilisé ses souvenirs personnels pour la période qui va de 1767 – moment où il entra dans la communauté moldave de Païssius – jusqu'à la mort de son starets en 1794. En revanche, pour la période athonite, de 1746 à 1767, et en particulier pour les détails de la création de la première communauté dirigée par Païssius sur l'Athos, Métrophane s'appuya sur les récits des disciples du grand starets, et son texte fut complété par les réviseurs qui préparèrent l'édition d'Optina et mirent d'autres sources à contribution, dont, peut-être, la correspondance de Païssius. Il existe en effet des lettres de sa main, dont certaines – comme celles à Nicéphore Théotokis et à Dorothée Voulismas – ont été partiellement publiées. Le texte intégral de l'autobiographie de Païssius a été récemment édité, en version anglaise, par le Professeur J/M/E. Featherstone, dans un volume intitulé The Life of Paisij Velyckovskyj. Edité à Harvard en 1989, ce volume comprend également la version initiale de la Biographie de Païssius par le moine Métrophane. Les éléments de l'édition d'Optina venaient de cette Biographie, mais elle a l'attrait irremplaçable d'un ton personnel, qui la rend plus émouvante que les versions qu'elle a suscitées. A ces trois sources principales, il convient d'ajouter la biographie du Père Serge Chetverikov, d'abord publiée en russe en 1938, puis en version anglaise, abrégée, à Belmont en 1980. Cette biographie se fonde sur toutes les sources encore accessibles avant la dernière guerre. Elle inclut également un grand nombre de textes de la main même de Païssius, notamment des extraits de ses lettres. Nous y avons abondamment puisé. Less Fleurs des champs, écrits spirituels de Païssius, ont été publiées en russe à Odessa en 1905 par l'Ancien Théodose des Karoulia de la Sainte Montagne. Dans l'Introduction ( anonyme) qu'il écrivit à cette occasion, l'Ancien Théodose raconte que, vers 1810, le manuscrit fut donné par le calligraphe Platon de Niamets à un jeune moine nommé Sophronius, venu s'établir à la skite du Prophète Elie sur la Sainte Montagne. Cette skite, fondée par le starets Païssius, devait conserver le manuscrit après le rappel à Dieu de Sophronius et c'est par un autre Ancien de la même skite que Théodose en prit connaissance. Une version anglaise, intitulée Field Flowers, or Lilies of the Field Gathered from the Divine Scripture, Concerning God's Commandments and the Holy Virtues, fut éditée par la Fraternité Saint Germain d'Alaska dans sa revue The Orthodox Word. (- Cette traduction occupe les numéros suivants : n° 60, janv-fév. 1975 ; n° 61, mars-avril 1975 ; n° 112, sept-oct. 1983 ; n° 113, nov-déc. 1983 ; n°114, janv-fév. 1984 ; n°116, mai-juin 1984 ; n° 117, juill-août 1984 ; n° 119, nov-déc. 1984 ; n° 120, janv-fév. 1985-). Toutes nos traductions des écrits ou de la correspondance du starets Païssius ont été effectuées à partir des versions anglaises mentionnées plus haut ». L'influence du Starets Païssius « Acquiers seulement la paix intérieure, dit Saint Isaac le Syrien, et des milliers, autour de toi, trouveront le Salut ». L'influence de Saint Païssius fut durable dans le monde orthodoxe, qu'il avait puissamment contribué à régénérer, comme l'avait fait autrefois un Saint Syméon le Nouveau Théologien. On peut, suivant un aphorisme des Pères, comparer cette influence de Païssius à la flamme qu allume plusieurs lampes sans perdre de son éclat. Dans trois régions surtout, (- Sur les fruits de l'oeuvre de Païssius, voir en particulier S. Chetverikov, Starets Païsii Velichkovskii, Nordland, Belmon (Mass), 1980, p. 283-322. L'auteur dresse, pour la Russie, une liste, qu'il avoue incomplète, des monastères inspirés par les disciples de Païssius : elle compte cent-sept noms, qui touchent à trente-cinq diocèses)-, les lampes se sont allumées à la torche de Païssius : a) au Mont Athos. Le patriarche Séraphim, retiré au Monastère du Pantocrator, visita fréquemment Païssius à la skite du Prophète Elie. Beaucoup d'autres moines athonites l'avaient pris pour confesseur. Après son départ pour la Moldavie, ses disciples gardèrent ses traditions, et au XIXème siècle, forment une chaîne de moines grands-schèmes qui, soit à la skite du Prophète Elie, soit au monastère de Saint Pantéléimon, jouèrent sur l'Athos un rôle important de directeurs spirituels, tel le hiéromoine du Grand-Habit Iéronim ou l'archimandrite Macaire. b) en Roumanie. Païssius comptait bon nombre de Roumains parmi ses plus proches disciples. Le Père Bessarion, le premier membre de sa communauté, était d'origine roumaine, comme Ilarion, qui fut l'higoumène du monastère de Sékoul après la mort de Païssius, et comme Sophron, Dorothée, Ioann et Silvestre, qui remplirent successivement la même charge au monastère de Niamets. Il est particulièrement intéressant de voir qu'un grand nombre de ces disciples roumains de Païssius ont été fondateurs ou higoumènes de grands monastères. Les mêmes furent d'infatigables copistes, traducteurs et écrivains. La grande impulsion donnée par Païssius et ses disciples à la vie spirituelle en Roumanie ne s'est pas arrêtée. En notre siècle encore, l'une des plus extraordinaires figures du monachisme érémitique, Saint Jean le Roumain, apparaît comme un surgeon de l'oeuvre de Païssius. Saint Jean le Roumain a vécu dans une grotte de Palestine et après sa mort, son corps, qui avait été laissé sans sépulture un certain temps, est resté intact. C'est le signe de la guérison parfaite qu'il avait atteinte et de la présence en lui du Saint Esprit. Outre son exemple, ce Saint a également légué aux générations futures ses poèmes, fruits de sa méditation éthique et théologique, dont nous espérons pouvoir un jour faire connaître la richesse au lecteur français. c) En Russie. Un grand nombre d'élèves et de disciples de Saint Païssius allèrent en Russie, provoquant un renouveau de la vie spirituelle dans les monastères et un regain d'intérêt pour la quête et la copie des textes patristiques. Beaucoup d'higoumènes et d'Evêques suivirent les préceptes de Païssius sur la prière, préceptes qui suscitèrent aussi dans le peuple russe de nombreuses vocations au monachisme. De son vivant, Païssius entretenait des relations épistolaires avec les higoumènes russes. Les centaines de monastères qui ont suivi les règles et l'exemple de Saint Païssius se répartissent dans toute la Russie. Citons seulement Valaam, dans le nord, le monastère de Briansk et l'ermitage d'Optina dans le centre, et enfin celui de Glinsk dans le sud du pays. Le hiéromoine du Grand-Habit Théophane apporta les règles de Païssius au monastère de Solovki, cependant que l'Evêque Gabriel de Novgorod faisait éditer la Philocalie de Païssius à Saint-Pétersbourg. Dans son entourage, on trouve plusieurs disciples de Païssius, futurs higoumènes ou starets de grands monastères. Les starets du Grand Habit Théodore, Cléopas, hiéromoine, et leur disciple le moine Léonide, tous disciples de Païssius, vécurent dans des monastères retirés du diocèse d'Orel, puis passèrent plusieurs années à Valaam, où ils implantèrent les traditions hésychastes et où Cléopas s'endormit dans le Seigneur. Théodore et léonide continuèrent leur tâche au monastère d'Alexandre de Svir, où Théodore s'endormit à son tour, laissant Léonide gagner avec ses disciples l'ermitage d'Optina où il resta jusqu'à l'achèvement de sa course terrestre. On voit comment se dissémina l'enseignement de Saint Païssius ; Quelques figures d'exception le faisaient rayonner toujours plus loin ; Ainsi, le hiéromoine Philarète du monastère de Novopasski, confesseur de Natalia Pétrovna Kireevskaïa, femme du philosophe Ivan Vassilevich, suscita, grâce à elle, l'intérêt de son mari pour la vie spirituelle orthodoxe, et contribua à le rapprocher des startsy d'Optina. Le même Philarète fut le guide spirituel de la moniale Dosithéa du Couvent d'Ivanov à Moscou, dont nous avons déjà parlé. (- Pour être complet, il faudrait mentionner bien d'autres pays. C'est le monde entier qui est redevable à Païssius. Saint Germain d'Alaska, patron de la terre américaine, était lié étroitement à des disciples de Païssius et partit pour l'Alaska avec un exemplaire de la Philocalie. Son disciple Serge, rentrant en Russie, se rendit à Optina).- La réalisation la plus mémorable est peut-être celle d'Optina, ce monastère restauré par le métropolite Platon de Moscou, lui-même admirateur de Païssius. La lignée des starets (ou startsy) d'Optina a gardé immaculé et a fait croître le dépôt de la Grâce que les disciples directs de Païssus y avaient placé. « A peine avait-on franchi le seuil du monastère en pèlerin, écrit le Père Serge Chetvérikov, qu'on sentait la proximité de Dieu, la bénédiction spéciale qui imprégnait son atmosphère spirituelle, et qu'on s'élevait sans effort vers Dieu, en se revêtant soudain d'une humeur joyeuse et radieuse. L'ermitage d'Optina conserva ces traits spirituels et sa féconde influence pendant plus d'une centaine d'années, jusqu'à la Révolution. » (- Chetvérikov, op. cit., p.304). Non seulement le monastère d'Optina fut une pépinière de strarets – Macaire, Antoine, Ambroise et Joseph d'Optina eurent un rôle considérable -, non seulement son exemple guida une multitude d'autres monastères, comme l'ermitage de Chamordino, dédié à Notre Dame de Kazan ; mais encore il reçut la visite de nombreux laïcs, qui s'entretinrent aussi par écrit avec les starets et en reçurent les conseils spirituels nécessaires pour pratiquer la prière du cœur. L'Histoire a retenu les noms des grands intellectuels, philosophes ou écrivains qui, tel Gogol, Kirievski ou Dostoïevski, connurent et fréquentèrent avec joie Optina. « Car où Ta lumière aurait-elle pu briller, sinon chez ceux qui étaient dans les ténèbres ? » D'une façon plus significative, il faut dire qu'Optina et les autres centres spirituels érigés par les prières de Saint Païssius, furent le levain de « toute la pâte », c'est-à-dire du peuple chrétien de Russie sur lequel allait s'abattre la tourmente. En effet, ce qui a confirmé tant de milliers de martyrs, morts pour la foien Christ après la Révolution de 1917, ce qui leur a donné la force de « résister dans le mauvais jour », de confesser jusqu'au bout et passer par l'épreuve de tant de tourments, qu'est-ce donc ? sinon la tradition biblique et patristique de la prière incluse dans le cœur : la prière nous unit à Dieu. « Le Seigneur est ma lumière et mon Salut, de qui aurais-je crainte ? » P. Patric Ranson VIE DE PAISSIUS VELICHKOVSKY I L'appel de la prière Païssius Vélichkovsky est né le 21 décembre 1722, jour de la fête de Saint Pierre métropolite, à Poltava, ville de l'Ukraine située sur la rive gauche du Dniepr. Il est le onzième d'une famille de douze enfants. En l'honneur du saint métropolite de Kiev, le nom de Pierre lui est donné par ses parents ; La famille de Pierre est d'origine cosaque du côté paternel et d'origine juive du côté maternel. Son père, comme son grand-père et son arrière grand-père avant lui, a été protopresbytre à la cathédrale de Poltava. Du côté maternel, c'est son grand-père, riche marchand de Poltava, qui s'est fait baptiser avec toute sa famille en l'église de la Transfiguration. Le jeune Pierre est élevé dans une de ces familles pieuses qui peuplent l'Ukraine au début du XVIIIème siècle, alors que la guerre de libération contre les polonais est juste achevée. Ces communautés ferventes assument l'éducation des enfants, hébergent et soignent les nécessiteux, accueillent voyageurs et pèlerins. Poltava, qui compte environ quatre mille habitants, est située aux marches sud de la petite Russie, face aux steppes où commencent les territoires des Tatars et des Turcs. C'est à la fois une place forte et un centre de commerce vers la Turquie, la Crimée, la Pologne, la Perse et Moscou. Les livres se trouvent aussi en abondance à Poltava, en provenance de Kiev et de Moscou. ci) Comme Pierre est âgé de quatre ans, son père meurt. C'est Jean, le fils aîné, qui est nommé pour le remplacer comme protopresbytre à la cathédrale. Très jeune, aidé par son frère Jean, Pierre apprend à écrire et à lire dans le Livre des Heures et le Psautier. Outre les classes à l'école de Poltava, il consacre son temps à lire la Bible, les Vies des Saints, les Homélies de Saint Jean Chrysostome et de Saint Ephrem le Syrien, livres qui se trouvent dans la maison familiale et à la bibliothèque de la cathédrale. Pierre enfant est d'un caractère paisible, doux et sérieux. Mais ce qui frappe surtout, c'est son silence, comme si l'humilité l'empêchait de parler aux adultes. Même sa mère ne l'entend que très peu. Il ne participe pas aux jeux des enfants ; très tôt, Pierre sent un attrait pour la vie monastique, né intérieurement de ses lectures, mais aussi de l'exemple de sa famille et des visites des pèlerins. Aux offices, il fait preuve d'une attention extrême. Chez lui, il est silencieux et se retire le plus souvent dans sa chambre pour lire et prier. Sur son visage rayonne la joie des humbles. En 1734, comme Pierre est âgé de douze ans, son frère Jean meurt subitement. Sa mère émet alors le souhait que Pierre lui succède comme protopresbytre, afin que soit respectée la tradition familiale. L'archevêque de Kiev, Mgr Raphaël Zaborovsky, qui reçoit Pierre accompagné de sa mère et d'un oncle, est impressionné par le comportement et les connaissances du jeune garçon et se déclare favorable à la succession. Mais avant, l'Archevêque impose à Pierre de venir étudier à l'Ecole de la Fraternité de l'Académie de Kiev. Kiev. L'Académie L'Ecole de la Fraternité est située dans le monastère de la Théophanie. Les jeunes gens qui y sont admis pour étudier, toutes origines sociales confondues, reçoivent une éducation classique. Le niveau est réputé identique à celui des meilleurs établissements d'Europe. Les étudiants vivent en communauté, mais ne sont pas dans la clôture du monastère. Outre leurs travaux d'étude, ils participent aux offices religieux dans les églises de Kiev, assurant les lectures et chantant dans les choeurs. Pour recevoir quelque argent, ils chantent aussi en ville des hymnes de leur composition. Pendant les vacances d'été, les mêmes groupes parcourent à pied la campagne, chantant des hymnes dans les villages où ils sont accueillis et hébergés. A Kiev, Pierre ressent peu d'attrait pour la vie intellectuelle de l'Ecole. Son désir de devenir moine ne cesse de croître. Il se consacre à la lecture des livres saints et à la prière dans les églises de Kiev : Sainte-Sophie, où sont les reliques de Saint Macaire, le monastère Saint- Michel où sont les reliques de la sainte Martyre Barbara et surtout les Laures des Grottes de Kiev. Une fois même, Pierre et quelques amis de l'Ecole, qui ont tous fait le même vœu de renoncer au monde et de vivre dans la pauvreté, font une escapade à la skite de Kitavsky à proximité de Kiev où ils résident plusieurs jours : ils sont bouleversés par l'allure ascétique des moines et la beauté de leurs chants. Bien que Pierre n'aspire qu'à y rester, à la pensée de sa mère qui le croit étudiant studieux, il quitte la skite après trois jours de vie monastique et retourne à l'Ecole. Lors d'une autre visite de Pierre à la skite, c'est le Supérieur qui le renvoie étudier, après l'avoir interrogé avec amour et lui avoir conseillé l'humilité et l'obéissance plutôt que l'obstination. A la lecture des Evangiles et des écrits des Pères, Pierre comprend que la foi seule n'est rien si elle ne se concrétise pas dans les actes de la vie quotidienne. Afin de s'aider à suivre les commandements du Seigneur, Pierre établit donc, pour sa vie à l'Ecole, les trois règles suivantes : 1) Ne pas juger ceux qui m'entourent, bien qu'ils soient ostensiblement pécheurs ; porter jugement c'est se mettre à la place de Dieu. 2) N'avoir aucune haine pour quiconque. 3) Pardonner du fond du cœur affront et insulte, afin que mes propres péchés me soient pardonnés. Comme Pierre manifeste de moins en moins d'assiduité à ses études, il est convoqué par le Préfet de l'Ecole qui le somme de lui donner des explications sur son comportement. Pierre lui répond avec une parfaite assurance, qui contraste avec sa timidité naturelle. « La première raison est la suivante : comme je veux être moine et que je suis conscient que la mort peut intervenir à tout moment, je voudrais me rendre le plus tôt possible là où, grâce à Dieu, je pourrai être tonsuré. Une autre raison est que je ne trouve rien de bon pour l'âme dans ces études : à entendre sans cesse les noms des dieux grecs et de leurs poètes, j'en suis venu à détester ces études du plus profond de mon âme... Comme on n'apprend pas aux étudiants à raisonner avec la sagesse spirituelle inspirée du Saint Esprit mais avec Aristote, Cicéron, Platon et les autres philosophes païens, ils deviennent aveugles et s'écartent du chemin du Salut.Ils apprennent à faire de beaux discours, mais au fond d'eux-mêmes il n'y a que ténèbres et mélancolie. Ainsi donc, comme je ne vois aucun bénéfice à ces études et que je crains qu'elles ne me corrompent, j'ai décidé de les abandonner. Enfin, quand j'observe l'effet de cet enseignement chez certains moines, je m'aperçois qu'ils ne se comportent pas autrement que les hommes du monde, dans la gloire et les honneurs, parés des vêtements les plus chers, paradant sur de magnifiques montures ou dans les plus beaux équipages. Je ne porte pas de jugement en disant cela. Je crains en tremblant que quand je serai moine une même science ne me fasse tomber dans une infirmité encore pire, ayant une âme très faible ». Ne réussissant pas à faire changer d'avis Pierre, le Préfet le soumet à toutes sortes de brimades, ainsi que l'autorise le règlement de l'Ecole. Pour les vacances d'été, Pierre retourne près de sa mère à Poltava, et lui dévoile peu à peu son intention de quitter l'Académie de Kiev afin de devenir moine. Celle-ci apprend la nouvelle avec tristesse, car elle nourrit toujours en elle le désir de voir Pierre, le seul survivant de ses douze enfants, succéder à son père comme protopresbytre à la cathédrale de Poltava. Afin de l'apaiser, il accepte finalement de retourner à Kiev pour y finir sa scolarité. Quand il quitte Poltava en septembre 1788 pour entamer sa quatrième année, il sait qu'il ne reverra plus sa mère dans ce monde. Il semble que c'est au cours de cette dernière année d'étude que Pierre a la joie de recevoir la bénédiction du métropolite Antoine de Moldavie en visite auprès de l'archevêque de Kiev, alors que la guerre russo-turque vient de prendre fin. Pierre est très impressionné lorsqu'il entend le métropolite Antoine célébrer la Divine Liturgie en langue moldave. Il est aussi empli de joie à voir les moines et les diacres qui accompagnent le métropolite, tous imprégnés de douceur et d'humilité. Dès lors, l'âme de Pierre s'enflamme du désir de devenir moine dans cette terre étrangère de Moldavie qui depuis le XIVème siècle tient ferme dans la foi orthodoxe, face aux pressions exercées par les Germains, les Hongrois et les Turcs. Débuts monastiques Dans ses prières Pierre invoque avec ferveur Saint Alexis qui plaçait en Dieu toute sa confiance – et Dieu en effet ne l'abandonna pas. Le désir de devenir moine est devenu si ferme chez Pierre qu'il laisse derrière lui ses amis – qui cherchent à retarder son départ – et quitte Kiev, pèlerin solitaire. Au terme d'un passage périlleux sur le Dniepr, il parvient au monastère de Lioubetch. Il est immédiatement accueilli comme novice par l'higoumène, qui lui donne la charge de gérer le magasin du monastère. Pierre, plein d'admiration pour la bonté et l'humilité de l'higoumène, s'applique du mieux qu'il peut à sa tâche. Pour son élévation spirituelle, l'higoumène conseille aussi à Pierre la lecture de l'Echelle Sainte de Saint Jean Climaque que la nuit il recopie pour lui-même. Au réfectoire, Pierre est chargé de la lecture des vies des Saints. Le ton de sa voix est si émouvant que les moines interrompent leur repas pour se rassembler autour de lui en pleurs. Après trois mois, un nouvel higoumène est nommé à Lioubetch, qui se comporte avec autorité et brutalité. Pierre souffre d'un tel comportement et à l'issue d'une nuit de prières, décide de quitter le monastère. Ayant repassé le Dniepr, Pierre pénètre en Ukraine, dans une région soumise aux persécutions des uniates. Prêtres et fidèles sont menacés, s'ils ne renoncent pas à la foi orthodoxe. Les monastères sont investis et mis sous séquestre par les troupes polonaises, et les moines sont contraints de se disperser. Cette situation dissuade Pierre de se rendre plus à l'Ouest, en Moldavie, comme il en avait d'abord l'intention ; Durant quelque temps, il vit auprès d'un ermite très pieux, Isaac, isolé sur une île du Dniepr. Pierre croit avoir trouvé en lui le père spirituel auprès de qui il pourra vivre selon les commandements du Seigneur et approfondir sa connaissance des Saintes Ecritures. Car Isaac est un ascète qui fortifie son âme en lisant et en recopiant les écrits des Pères qu'il se procure dans les monastères d'alentour. Comme Pierre l'implore d'accepter qu'il reste auprès de lui, Isaac lui répond qu'étant lui-même pécheur et soumis aux passions, il ne peut accepter de disciple. Isaac ne cède pas, lui expliquant que telle est la volonté de Dieu qui seul connaît les cœurs ; mais Pierre reste à ses pieds, inondé de larmes. Après avoir conseillé à Pierre de s'en remettre à Dieu, qui n'ignorera pas ses larmes et le conduira sur la voie du Salut, il le confie à un moine de passage. Celui-ci conduit Pierre au monastère de Saint-Nicolas, situé sur une île du Tyasmin. Le hiéromoine Nicéphore, higoumène du monastère, accueille le novice avec bonté. Pierre est bientôt tonsuré et devient rasophore. Son nom est désormais Platon. Il est alors âgé de dix-neuf ans. Au monastère, Platon accomplit au mieux les tâches qui lui sont confiées. Il a une affection particulière pour l'Ancien Nicodème dont il voudrait faire son père spirituel. Comme Pierre lui demande une règle pour sa vie en cellule, Nicodème lui répond : « Mon frère, tu as déjà beaucoup lu et pour cette raison je ne veux pas te donner une telle règle ; que ta règle soit selon ce que Dieu t'enseignera ». Une semaine après la tonsure de Pierre, Nicodème quitte le monastère et personne ne sait où il est parti. En se remémorant cette période de sa vie, Païssius devait écrire plus tard : « J'étais en quelque sorte abandonné comme un agneau sans berger. Je ne trouvais aucun lieu où vivre dans l'obéissance sous la direction d'un père spirituel.Bien que depuis l'enfance mon âme inclinât à l'obéissance, je n'étais pas digne de recevoir un tel don de Dieu ». A son tour le monastère de Saint-Nicolas est bientôt victime des persécutions des uniates. Les soldats polonais qui ont pénétré dans le monastère rassemblent les moines et les exhortent à s'unir aux hérétiques. Devant leur refus, des scellés sont posés, et la vie des moines devient impossible. Pierre prend alors la résolution de ne jamais vivre dans un pays où la foi orthodoxe est persécutée par les adversaires de la sainte Eglise de Dieu. Comme tous les moines sont contraints de se disperser, Pierre songe bien sûr de nouveau à gagner la Moldavie, mais ne trouvant personne pour l'accompagner et craignant les exactions des polonais, il doit renoncer. En compagnie de plusieurs moines de Saint-Nicolas, Pierre rejoint donc le monastère des Laures de Kiev, où il est accueilli par l'archimandrite, ami d'enfance de son père. Celui-ci le confie au hiéromoine Macaire. Il est affecté à l'imprimerie du monastère où il apprend la gravure sur cuivre. Ainsi entouré de moines très pieux auprès de qui il est toute obéissance, Pierre a enfin l'âme en paix. A l'église, comme il ne sait pas chanter, il fait bientôt toutes les lectures. C'est alors que lui parviennent des nouvelles de sa mère, par l'intermédiaire de sa belle-soeur, femme de son frère Jean défunt, venue avec son père et son oncle en pèlerinage aux Laures. Ils lui font le récit de la tristesse de sa mère après son départ de Kiev, des épreuves et des tourments qu'elle a connus, désirant la mort, jusqu'à ce qu'un ange de Dieu lui apparaisse, lui disant : « Comment peux-tu aimer ton fils plus que le Christ ton Seigneur ? Ton fils est parti pour suivre la volonté de Dieu, afin de devenir moine. Plutôt que de te lamenter, loue-le et suis son exemple ». Ayant entendu ces paroles la mère de Pierre s'en remet à la volonté de Dieu. Aussitôt ses tourments l'abandonnent et, après avoir recouvré ses forces, elle entre comme moniale au couvent de la Protection de la Mère de Dieu, proche de Poltava. Elle retrouve là sa propre mère et sa sœur, toutes deux moniales. Elle y restera plus de dix années, jusqu'à l'heure de son rappel à Dieu. Au monastère des Laures de Kiev, Platon rend grâce à Dieu de lui donner de vivre auprès de moines très pieux et très ascétiques. Il y a d'abord l'higoumène, le père Jean, qui est aussi son confesseur. Il a connu la vie érémitique avec le père Basile qui va bientôt faire preuve d'un si grand discernement à l'égard de Platon. Il y a aussi le père Paul qui fut missionnaire en Chine et le hiéromoine Théoctiste, peintre d'icônes. Dans des cellules isolées du monastère vivent le hiéromoine Hilaire, grand jeûneur et un autre grand ascète, moine du grand schème. Platon a une affection particulière pour le moine forgeron. Se trouver avec ces saints moines et partager leur vie est une source de grandes bénédictions. A l'église et dans les travaux du monastère, Platon accepte avec joie ces dons précieux que Dieu lui accorde, considérant qu'il est un pécheur indigne de mener la vie érémitique à laquelle il a désormais renoncé. Pourtant, un jour, le moine forgeron lui prédit qu'il va bientôt quitter le monastère pour se rendre en un autre lieu que Dieu lui désignera. Comme Platon proteste qu'il n'a nulle intention de quitter le monastère, le moine confirme seulement : « Sache, mon frère, que d'ici peu ce que je t'ai dit va se réaliser ; il n'en sera pas autrement et tu verras que j'ai dit la vérité ». Et en effet, peu de temps après cet entretien, Platon reçoit la visite d'un de ses anciens amis de l'Académie de Kiev, Dimitri, qui lui rappelle le vœu qu'ils avaient fait de devenir moines en terre étrangère, dans la pauvreté et la solitude, afin de pratiquer l'obéissance auprès d'un père spirituel. Dimitri propose à Platon de réaliser ce vœu avec lui. Platon loue l'amour spirituel dont Dimitri fait preuve et, s'en remettant à Dieu qui seul peut lire dans les cœurs, il accepte de se joindre à lui. Les deux jeunes gens sont inondés de larmes en rendant grâce à Dieu. Le starets Païssius racontera plus tard qu'il fut ensuite incapable de regarder le moine qui lui avait prédit son départ, honteux qu'il était de l'avoir contredit. C'est furtivement, sans lui avoir révélé le secret de son cœur, qu'il quittera le monastère. Guidés par un cousin de Dimitri, les deux amis passent en Ukraine polonaise. Cependant la famille de Dimitri, qui n'approuve pas son départ, le fait rentrer de force et Platon est contraint de poursuivre sa route seul. Après de longues journées de marche, Platon parvient au monastère de Matroninsky, au début du grand carême. Il est accueilli par l'higoumène, le hiéromoine du grand schème Michel, réputé pour sa haute spiritualité et sa connaissance des livres saints. Le starets Michel, qui a lui-même vécu comme ermite en Russie, en Moldavie et en Valachie, conseille à Platon de se rendre à la skyte de Saint-Nicolas de Tristeny où il a établi plusieurs disciples. Le jour de la Fête de la Résurrection du Seigneur, Platon prend la route avec trois compagnons après avoir reçu la bénédiction du starets. C'est avec grande joie qu'ils traversent la Moldavie, terre orthodoxe, jusqu'aux confins de la Valachie, faisant étape dans des ermitages où vivent dans la solitude des moines très pieux, tous disciples du vénérable père Basile. Dans les skites de Valachie Parvenus à l'ermitage de Tristeny, Platon et ses compagnons sont accueillis avec amour par l'higoumène, le hiéromoine Démétrius. Une vingtaine de moines vivent là, dans des skites solitaires au milieu des forêts, la paisible vie monastique selon la pure tradition de l'orthodoxie. Quand ils ne travaillent pas en forêt ou ne sont pas occupés à construire de nouvelles skites, les moines s'isolent dans leur cellule pour la prière et la lecture des Livres Saints et des écrits des Pères. Platon mène cette vie humble et recluse, et c'est là qu'il est initié à la pratique de la prière du cœur selon la méthode athonite. Le starets Michel instruit ses frères du nécessaire respect des commandements du Christ pour le Salut de leur âme. Il insiste sur l'importance qu'il y a de garder inchangés les canons, les traditions et les enseignements de la sainte Eglise Orthodoxe et de ses conciles, transmis par les Apôtres et les Pères, et aussi de respecter les Saintes Fêtes. Ces paroles raniment le cœur de Platon. Arrive un jour à Tristeny le père Onuphre établi avec quelques moines dans un ermitage isolé dans les montagnes proches de Kirkoul. A entendre le père Onuphre parler avec tant d'amour de la beauté du site, de la pureté de l'air et de l'abondance des fruits de la nature, du silence et de la paix qui y règnent, Platon ne peut imaginer un endroit plus propice à la vie monastique selon son cœur. Avec la bénédiction du starets Michel, il accompagne donc le père Onuphre quand celui-ci s'en retourne à Kirkoul. La règle à Kirkoul suit exactement celle des skites du Mont Athos. Les moines se réunissent seulement les dimanches et les jours de fêtes pour célébrer la divine Liturgie et prendre un repas en commun. Après le repas les moines parlent de leur vie spirituelle, se donnent des conseils et s'encouragent mutuellement à vaincre les épreuves du corps et de l'âme. Après les vêpres, ils se retirent solitaires dans leur cellule. De ses entretiens avec le père Onuphre, qui vit dans une skite isolée, Platon ressort toujours plus ardent à enrichir sa vie spirituelle. De même les explications d'un autre moine de Kirkoul, le père Alexis, sur les Livres Saints, sont pour Platon comme une inspiration divine. Grâce à sa douceur et à son humilité, le hiéromoine Alexis a acquis le don de prononcer les paroles justes qui peuvent consoler et réconforter l'âme de ses frères quand elle est affligée. Platon vécut ainsi trois ans dans les skites de Valachie, et il en profita pour apprendre la langue moldo-valaque. A Tristeny, comme à Kirkoul, il s'appliqua à accomplir avec obéissance les diverses tâches qui lui étaient assignées. Dans ses lectures de jeunesse, Platon avait commencé à apprendre ce qu'est l'amour de Dieu. Puis, au contact des Pères, il connut ce qu'est l'obéissance vraie d'où naît l'humilité vraie, celle qui permet la mortification de toute volonté et de tout désir de ce qui est dans le monde, préalable à l'entrée dans la vie monastique. A l'occasion d'une visite du vénérable Père Basile à ses frères de Tristeny, Platon fut sollicité pour être ordonné prêtre. Comme il refusait tout net, se considérant indigne d'une telle charge, le père Basile lui suggéra d'attendre qu'il eût atteint l'âge prescrit par l'Eglise pour la prêtrise. Mais Platon insista que même s'il devait être toujours en vie alors, il n'accepterait pas de devenir prêtre. Le starets Païssius racontera plus tard que, pour échapper à cette contrainte, il avait préféré se séparer de ses frères bien-aimés, et en particulier du père Basile qu'il vénérait comme un homme très saint et auprès de qui il avait souhaité vivre en disciple. C'est à la même époque que le désir de vivre au Mont Athos naît en Platon, au contact des moines de Valachie qui l'ont instruit dans les écrits des Saints Pères. Le starets Michel et le père Onuphre tentent de le retenir en vain. Ils le laissent finalement partir pour la Sainte Montagne avec leur bénédiction. Platon est alors âgé de vingt-quatre ans. II La Sainte Montagne Le voyage se fait dans des conditions très précaires, Platon et Triphon, le hiéromoine qui l'accompagne, n'ayant aucune ressource. Ils abordent finalement au Mont Athos le 4 juillet 1746 dans un état d'épuisement total. Ils sont d'abord accueillis et soignés au Monastère russe du Pantocrator. Hélas, Triphon ne se remet pas d'un mal contracté dans le voyage et il s'endort dans le Seigneur quelques jours après leur arrivée. A peine rétabli, Platon entreprend de visiter les ermitages et les skites alentour, à la recherche d'un père spirituel auprès de qui il puisse vivre en toute obéissance dans e silence et la pauvreté. Mais comme il n'en trouve aucun, il se résigne à mener seul la vie monastique à la skite de Kaparis. Agenouillé la plupart du temps, il récite les Psaumes et lit les Saintes Ecritures. Il ne se nourrit qu'une fois par jour de pain et d'eau, à l'exception des samedis, dimanches et des jours de Fêtes. Il ne possède que la soutane qui le couvre ; son lit est fait de planches. Platon vit ainsi dans une complète solitude pendant deux ans et demi, pratiquant la prière du cœur incessante et lisant les Livres Saints qui lui sont prêtés par les moines du monastère serbe de Chilandari. Le starets Païssius racontera lui-même plus tard : « Je n'ai pu survivre ainsi que grâce à la générosité de mes frères de la Sainte Montagne. En hiver, je me déplaçais pieds nus, avec rien d'autre que ma soutane pour me couvrir. J'étais si faible qu'au retour du monastère où on m'avait chargé d'aumônes, ou bien après être allé en forêt ramasser du bois, je devais rester allongé trois ou quatre jours pour récupérer ». Voeux monastiques Platon vit ainsi isolé dans sa skite de Kaparis, lorsqu'il reçoit la visite du vénérable Père Basile, celui-là même qui en Valachie voulait le faire prêtre. De la vie du très aimé Basile, nous savons très peu de choses ; mais il nous a laissé quatre textes en slavon, d'une grande profondeur : ce sont des introductions aux écrits de Saint Grégoire, de Saint Philothée du Sinaï, de Saint Hésychius et de Saint Nil de la Sora, dans lesquelles il explique aux hésychastes comment tirer profit de tels écrits. Saint Basile décrit les trois types de vie monastique : 1. Le monachisme cénobitique, ou en communauté. 2. Le monachisme semi-érémitique, dit royal : deux ou trois moines seulement partagent tout ce qu'ils possèdent et reçoivent tout en commun, prenant soin l'un de l'autre et renonçant à toute volonté propre dans l'obéissance mutuelle, la crainte de Dieu et l'amour. 3. Le monachisme des anachorètes solitaires : seul celui qui a atteint la perfection et la sainteté peut vivre en ermite dans le silence et la réclusion pour se consacrer à la prière du cœur. Le danger contre lequel l'Ancien Basile met en garde Platon c'est l'arbitraire du moine qui s'isole volontairement, sans avoir les ressources spirituelles pour trouver le Salut dans une telle vie. Saint Grégoire du Sinaï condamne cette déformation dite parfois idiorythmique – de la vie monastique et recommande plutôt la vie en communauté fraternelle qui permet à chacun de scruter ses péchés, de connaître sa mesure, de voir son infirmité, de se repentir et de recevoir chaque jour la Grâce du Seigneur dans la prière. Il est bien difficile en effet de reconnaître ses péchés quand on est seul et que la vanité pousse à tous les accommodements. Se laisser ainsi emporter rend aveugle, dit encore Saint Jean Climaque. Et Saint Barsanuphe ajoute qu'une existence solitaire prématurée est source de vanité. Après avoir ainsi instruit Platon, l'Ancien Basile le fait moine et lui donne le nom de Païssius. Il a alors vingt-huit ans. Basile s'en retourne peu après en Valachie. Bessarion Trois mois plus tard, un jeune moine de Valachie, nommé Bessarion, récemment arrivé à la Sainte Montagne, rend visite à Païssius dans sa skite de Kaparis. En écoutant Païssius, il est convaincu qu'il a trouvé en lui un guide pour le conduire vers le Salut de son âme. La demande de Bessarion trouble beaucoup Païssius. Après avoir beaucoup pleuré et prié et lui avoir avoué que lui-même a connu dans son cœur le même désir, pris de compassion pour Bessarion, il lui fait la réponse suivante : « Le Salut de l'âme, à propos de quoi tu m'interroges, ne peut être acquis sans l'aide d'un véritable guide spirituel, un être qui vit selon les commandements divins et suit les paroles du Seigneur qui nous instruit d'enseigner et de montrer l'exemple. Comment en effet conduire quelqu'un dans une voie que l'on n'aurait pas soi-même empruntée auparavant ? Il faut commencer par réprimer les passions de l'âme et du corps, afin de vaincre avec l'aide du Christ toute convoitise et toute colère et de libérer l'âme sensible de tout orgueil et de toute exaltation. « Dans le désert, jésus a repoussé le démon par le jeûne, l'humilité, la pauvreté, la veille et la prière, en lui opposant les Saintes Ecritures. Il nous enseigne et nous fait participer à sa victoire. Celui qui suit le Seigneur avec amour et humilité partout et toujours, celui-là seul reçoit le don d'apaiser les âmes et de leur faire connaître les saints commandements en réduisant toute passion à néant. Si cela est accompli par la Grâce de Dieu en l'un de nous, les dons du Saint Esprit rayonneront en lui et lui permettront de révéler à ses disciples les commandements du Christ et les vertus royales : l'humilité, la douceur et la pauvreté en Christ, la patience en toute chose, la piété par-dessus tout, l'amour fervent de Dieu et l'amour désintéressé pour les autres. De tout cela naît la véritable spiritualité intérieure et le discernement. Un tel guide peut alors apprendre aux autres à orienter leur vie selon les commandements du Christ et, avec l'aide de Dieu, les conduire au Salut. « Voilà le guide que nous recherchons toi et moi. Hélas, nous vivons des temps mauvais, que nos Pères théophores ont vus à l'avance dans le Saint Esprit ; Dans leur grande bonté, ils nous ont avertis et encouragés par leurs écrits. Voici ce que dit Saint Syméon le Nouveau Théologien : 'Ils sont peu nombreux, en particulier aujourd'hui, ceux qui sont capables de conduire le troupeau et de bien gouverner des âmes douées de raison. Car beaucoup, peut-être, ont prétendu aux vertus, ou même les ont effectivement acquises, et savent encore jeûner, veiller et montrer les apparences de la pété ; et ils peuvent aisément parler du fond du cœur et enseigner à multiplier les paroles ; mais bien rares sont ceux qui retranchent les passions par la sagesse dans l'humilité, par le deuil et les larmes ininterrompus, et qui obtiennent les vertus royales dans leur indivisible plénitude. Car celui qui veut se libérer de ses passions y parviendra dans la lamentation et celui qui veut acquérir les vertus y parviendra dans la lamentation et celui qui veut acquérir les vertus y parviendra dans les larmes'. « De même, plus près de nous, le vénérable Nil de Sora, conseille ainsi ses disciples : ' Il faut faire effort pour trouver un père spirituel qui ne puisse nous égarer. S'il ne s'en trouve pas, les Pères ordonnent de suivre les enseignements des Saintes Ecritures et des Saints Pères, comme le Seigneur lui-même nous l'a appris : Scrutez les Ecritures, et vous parviendrez à la vie éternelle (Jean 5:39).' « Il nous faut donc vivre, jour et nuit, dans les douleurs et les larmes, approfondir ensemble notre connaissance des Saintes Ecritures et des écrits des Pères, afin d'être instruits des commandements divins et suivre l'exemple de ces Saints. Ce n'est que par la Grâce de Dieu et en nous repentant de nos péchés que nous pourrons atteindre au Salut ». Bouleversé par ces paroles, Bessarion implore Platon de l'accepter comme disciple ; Platon refuse tout net, répétant qu'il ne veut être le supérieur de personne, et ne cherche qu'à suivre la règle de l'obéissance. L'insistance de Bessarion est telle que Platon finit par accepter qu'il reste auprès de lui, afin qu'ils vivent ensemble en frères, comme deux amis,un monachisme semi-érémitique. Bientôt Platon rend grâce à Dieu de lui avoir envoyé Bessarion : « N'ayant trouvé nulle part où suivre la règle de l'obéissance, écrit Païssius dans son Autobiographie, je pensais à entamer un monachisme semi-érémitique en compagnie d'un frère unique, en communion d'âme et d'esprit, avec, en lieu de père spirituel, Dieu et les enseignements des Pères, dans l'entraide et l'obéissance réciproque, faisant une seule âme et un seul cœur, attachés à l'élévation de notre vie commune, ainsi qu'il est écrit dans les livres des Saints Pères. Dieu m'ayant entendu, il arriva à la Sainte Montagne un moine possédant toutes ces qualités et il vécut auprès de moi comme si nous étions une seule âme.Par la Grâce du Christ, mon âme trouva consolation et apaisement, et moi, misérable créature, je pouvais enfin récolter le fruit de l'obéissance divine, que nous avions l'un pour l'autre en réprimant notre volonté propre. En l'absence de père spirituel, nous suivions l'enseignement des Pères et nous nous en remettions l'un à l'autre, dans l'amour de Dieu ». Platon et Bessarion vivent selon cette règle pendant un peu plus de quatre ans, jusqu'en 1754. Leur exemple attire bientôt d'autres moines qui à leur tour implorent Platon de les accepter comme disciples. Platon commence par refuser mais comme ils insistent et que Bessarion, dans sa bonté, l'encourage à ne pas les repousser,il consent à les accepter un par un, leur révélant le pouvoir de l'obéissance selon les Saintes Ecritures et les enseignements des Pères. Les moines nouvellement arrivés sont tous originaires de Russie, de Valachie ou de Moldavie. Comme ils sont bientôt douze et que la place manque, ils sont contraints d'aller s'installer das la skite voisine de Saint-Constantin. Skite de Saint-Constantin A Saint-Constantin, la liturgie est célébrée partiellement en slavon, et partiellement en moldave. Le cœur de Platon est tout réjoui de l'amour désintéressé dont ses frères font preuve les uns vis-à-vis des autres. Les conditions de vie à Saint-Constantin sont rigoureuses. Païssius raconte : « A l'approche de l'hiver, n'ayant nulle part où nous abriter, nous décidâmes de construire cinq cellules à Saint-Constantin. Qui peut imaginer ce que nous avons enduré pendant quatre mois d'hiver, pieds nus, avec juste nos soutanes pour vêtement, à creuser et amasser les pierres nécessaires à la construction ? Les dimanches et les jours de Fêtes, sans pouvoir prendre de repos, nous allions en guenilles d'un monastère à l'autre pour demander l'aumône, transis de froid. Le soir, certains rentraient dans un tel état d'épuisement qu'ils s'écroulaient comme morts et s'endormaient sans même manger. Dans un tel dénuement, la lecture des prières était souvent abrégée : au lieu des complies, je faisais lire le Psaume 50 : 'Aie pitié de moi, ô Dieu, selon ta grande miséricorde' et le credo, puis nous allions dormir. Mais même alors, nous ne manquions pas les Matines et nous lisions, selon l'état de nos forces, trois cathismes au moins. -( L'ensemble du psautier est divisé en vingt groupes de psaumes, appelés cathismes. On en lit généralement trois aux Matines. Durant le Carême, on lit d'autres cathismes aux heures, et les moines, ne pouvant dire les Heures, ajoutaient peut-être ces cathismes à ceux des Matines Nous tirons cette explication du livre de la Fraternité Saint Germain d'Alaska : Blessed Païssius Vélichkovsky, Platina, 1976, p.74)-. Au lieu des Heures nous lisions la paraclèse -(Office d'intercession adressé à la Mère de Dieu)- à la Très Sainte Mère de Dieu ; parfois nous lisions les Heures aussi. Que dire de plus ? Dans une telle misère, chacun de nous était tenté de mettre fin à cette vie en commun, et de tout quitter, mais le Christ notre Seigneur dans sa grande pitié nous a donné par Sa Grâce la force de l'humilité, de la patience, de l'amour de Dieu et du prochain, afin que nous puissions tout endurer selon ses commandements et vaincre toutes difficultés ». Platon est ordonné prêtre A Saint-Constantin, il est bientôt nécessaire d'avoir un prêtre à demeure. Réunis en assemblée, les moines décident de demander à Platon de devenir leur prêtre et confesseur. Aussitôt consulté, Platon refuse tout net, rappelant qu'il a quitté la Valachie pour échapper à cette charge ; Mais les frères insistent, usant de cet argument : « Quand nous nous confessons à d'autres pères, leurs conseils ou recommandations ne s'accordent pas forcément avec ceux que toi tu nous donnes, ce qui crée de la confusion dans nos âmes ». De plus, d'autres pères de la Sainte Montagne le pressent aussi d'accepter, le sentant digne et capable de mener au Seigneur les âmes qui s'en remettent à lui. En signe d'obéissance parfaite, Platon finit par accepter dans les larmes en disant : « Que la volonté de Dieu soit faite » . Platon est ordonné prêtre en 1758 à l'âge de trente-six ans. De nouveaux novices continuent d'arriver. Les moines en assemblée décident de demander au monastère du Pantocrator l'autorisation d'occuper la skite voisine dédiée au prophète Elie, afin de la rénover. Ils construisent là une église, un réfectoire, un four à pain, une hôtellerie et seize cellules, car Platon limite le nombre des moines à quinze. Pour les offices, les moines sont séparés selon la langue : slavon ou moldave. Le monastère vit selon les principes décrits par Platon dans une lettre à son ami et disciple le Père Dimitri, en mai 1766. Lettre sur le monachisme « Sache que le Saint Esprit a inspiré aux Saints Pères de diviser la vie monastique en trois rangs : le monachisme érémitique ou solitaire, le monachisme érémitique ou solitaire, le monachisme semi-érémitique ou semi-solitaire et le monachisme cénobitique ou en communauté. L'ermite est complètement retiré du monde, dans la solitude. De Dieu seul il attend de recevoir ce dont son corps et son âme ont besoin. Dans ses combats charnels et spirituels, Dieu seul peut lui venir en aide et le réconforter. Par amour de Dieu, il doit fuir toute consolation du monde. Les moines semi-érémitiques vivent en communauté de deux ou trois, sous la conduite d'un père instruit des Saintes Ecritures et ayant lui-même l'expérience de la vie spirituelle. Les disciples doivent être obéissants et dévoués à leur père spirituel pour tout ce qui touche à l'âme et au corps. Selon Saint Basile le Grand, les cénobites qui vivent en communauté mènent la vie simple et fraternelle que le Christ a menée avec ses douze Apôtres. Il leur faut s'entraider dans l'épreuve et faire preuve d'obéissance dans la crainte de Dieu. Ils doivent vivre en communauté sous l'autorité d'un higoumène qui est leur père spirituel. Ce dernier doit être capable de commenter les Saintes Ecritures et de guider sa communauté en paroles et en actions. Les cénobites doivent toute obéissance au Seigneur et à l'higoumène. Ils doivent repousser toute volonté ou toute pensée propre. Ils ne doivent pas s'opposer aux décisions de l'higoumène, à moins qu'elles ne soient contraires aux commandements du Christ ou aux enseignements des Pères. Sous chacune de ces formes de vie monastique, qui furent établies par le Saint Esprit, de nombreux pères ont atteint la perfection et ont été aimés de Dieu, rayonnant de lumière spirituelle et nous offrant leur exemple. Les trois formes de vie monastique sont clairement établies dans les Saintes Ecritures. Comment savoir quelle forme choisir ? Un grand guide de la vie monastique, Saint Jean Climaque, conseille à ceux qui veulent quitter le monde et devenir moine de ne pas choisir les formes extrêmes de la vie érémitique ou cénobitique, mais de commencer par la forme semi-érémitique. La retraite solitaire du monachisme érémitique requiert une force angélique qu'aucun novice ne possède. Le novice est porté aux passions spirituelles telles que la colère, la convoitise, la vanité ; il est dépourvu des forces requises pour mener la vie érémitique, et il peut sombrer très vite dans le délire mental. De même Saint Jean Climaque conseille au novice de ne pas entamer un monachisme cénobitique, non qu'il ne puisse lui être utile, mais parce qu'il requiert aussi une certaine forme d'endurance. La voie semi-érémitique menée en compagnie d'un petit groupe de moines sous la direction d'un père spirituel est celle qui convient le mieux au novice. Elle n'exige pas l'endurance requise par la règle cénobitique, et elle est moins pénible que la règle érémitique. Selon la règle semi-érémitique, les moines doivent obéissance à leur père spirituel et les uns aux autres. La règle cénobitique requiert l'obéissance de chacun à son père spirituel et à chaque membre de la communauté. Le novice doit être capable d'endurer les reproches et les excès les plus pénibles, de souffrir toutes sortes de tentations, d'être comme de la poussière foulée aux pieds, tel un esclave, de servir chacun avec humilité et dans la crainte de Dieu, sans réagir ni gémir. Il doit être capable d'endurer le manque, le dénuement, la faim et tous les maux que peut engendrer la vie en communauté. La combinaison de plusieurs aspects des trois formes de vie monastique et une conversion prématurée à l'érémitisme peuvent avoir les plus tristes conséquences. Quiconque rejette l'ordre établi par Dieu et quitte sa communauté pour soi-disant s'affermir dans la sainte obéissance et acquérir l'humilité et la délivrance de toutes passions en choisissant de mener la vie retirée et silencieuse, celui-là s'expose en fait lui-même à la colère divine. Tel un guerrier sans expérience qui est à l'opposé de la vie cénobitique. Comme il est ignorant, il est incapable de se forger des armes spirituelles. Ayant eu l'audace de se séparer des soldats éprouvés du Christ, pour affronter seul les forces démoniaques, Dieu tolère qu'il souffre la défaite. Il n'est pas seulement vaincu par l'ennemi, mais il est étouffé par lui. Tout cela est le résultat de la violation de l'ordre divin auquel le Seigneur lui-même a adhéré dans se très pure vie dans la chair. Au lieu de souffrir avec le Christ dans la communauté monastique, par sa fierté, un tel moine viole la Croix du Christ. Il n'est pas un ermite, mais un moine qui se fait lui-même arbitrairement ; en lui n'est pas manifesté le bien mais la séduction du diable. L'histoire du monachisme est pleine d'exemples de moines qui se font eux-mêmes avant de se détruire eux-mêmes. Toute différente est la vie de ceux qui adhèrent fermement et avec soumission à la divine règle du monachisme. A la base de cette règle vraie, il y a l'obéissance qui est l'arbre de vie. En goûtant à ces fruits, le novice encore vulnérable apprend l'humilité et le détachement de la volonté et de l'intelligence propres Il échappe ainsi à la mort et à toutes les séductions du Diable, à quoi ne peut échapper le moine qui s'est fait lui-même. Jésus-Christ a établi pour ses disciples, ici-bas, une communauté fondée sur l'obéissance et celle-ci sert de fondement à la vie monastique. Les douze Apôtres qui ont obéi aux divins commandements du Christ constituent l'exemple vivant d'une telle communauté. L'obéissance divine est la principale qualité des anges et elle est la marque de la sainteté des premiers hommes. Quand les premiers hommes ont désobéi, le Fils de Dieu dans sa grande bonté pour les hommes, a pris sur lui de restaurer l'obéissance en lui-même, en obéissant à son Père céleste, jusqu'à sa mort sur la Croix. Par son obéissance, le Christ a racheté notre désobéissance ; à tous ceux qui croient vraiment en lui et obéissent à ses commandements, il a ouvert les portes de son Royaume Céleste. Dans l'Eglise primitive, des milliers de chrétiens, suivant l'exemple du Christ, vivaient en communauté, renonçant à toute possession et partageant tout. Et cette vie leur a donné la richesse d'atteindre à l'unité du cœur et de l'esprit. Nos vénérables et anciens Pères ont mené partout la même vie communautaire dans les laures et les monastères, se guidant d'après les règles de Saint Basile le Grand dans un grand rayonnement de lumière. Seul le mode de vie cénobitique, dans l'obéissance, peut apporter une telle richesse à l'homme. Par l'humilité qui naît de la sainte obéissance, l'homme est restauré dans sa pureté originelle ; par le baptême, don divin, l'homme redevient semblable à Dieu. Une communauté cénobitique, rassemblée au nom du Christ, est unie par un tel lien d'amour réciproque que les moines ne constituent plus qu'un seul corps, chaque moine étant un membre, avec le Christ à leur tête. Les membres de ce corps du Christ se consument dans l'amour de Dieu et du prochain. Ils sont un seul esprit et une seule âme, ayant un but unique : respecter la volonté divine. Ils s'encouragent mutuellement dans ce but en suivant les commandements divins ; ils sont soumis mutuellement les uns aux autres et s'aident mutuellement à passer les épreuves ; chacun est maître de soi et dévoué aux autres. Au nom de cet amour vrai et saint, en un seul esprit, les moines imitent la vie du Christ lui-même et de ses douze Apôtres. En obéissant en tout à leur père spirituel, ils lui confient tous les secrets de leur cœur. Ils acceptent ses paroles et ses commandements comme s'ils venaient de la bouche même de Dieu. Ils rejettent toute volonté et toute pensée qui s'opposent à la sagesse de leur père spirituel ; ils les considèrent comme un linge sale, les condamnent, les rejettent et les fuient comme si c'étaient les feux de la géhenne, sans cesser de prier Dieu de les délivrer de ce fardeau et de les aider à revenir vers leur père. De tout leur cœur, ils supplient Dieu, comme des enfants leur mère, de leur donner de suivre leur père en toute chose, comme un agneau suit son pasteur, et de lui obéir comme l'oeuvre obéit à l'artisan, sans jamais dévier de leur propre gré. Cette divine obéissance, base de toutes les formes de la vie monastique, est au fond du monachisme cénobitique comme l'âme dans le corps. L'un ne peut exister sans l'autre. L'obéissance représente la voie la plus rapide et la plus sûre pour accéder au Royaume des Cieux car elle ne connaît qu'une chose : le renoncement à soi. Quiconque renonce à l'obéissance renonce du même coup à Dieu et au Ciel. Nos Saints et divins Père en ont témoigné ». Travaux de patristique Afin que ses moines puissent disposer autant que lui de la coopération et des instructions de la Grâce divine, Païssius s'emploie à rassembler les textes des Pères sur l'obéissance, la sobriété, la vigilance et la prière. Il recopie certains manuscrits empruntés ; il parvient même à en acquérir d'autres avec le peu d'argent dont il dispose. Ayant lu et relu ces textes au cours des années, Païssius bute régulièrement sur des obscurités ou sur des non-sens. Pour tenter de les éclaircir, il a l'idée de juxtaposer différentes versions en slavon des mêmes textes. Il recopie ainsi les écrits de Saint Hésychius de Jérusalem, Saint Philothée le Sinaïte, et Saint Théodore d'Edesse à partir de quatre manuscrits différents, mais en vain ! Païssius fait une autre tentative : après six semaines de travail jour et nuit ( il ne dort que trois heures), il tente de corriger les Homélies de Saint Isaac le Syrien en comparant son propre exemplaire à une édition censée correspondre à l'original grec. Le résultat est désastreux ; non seulement le texte n'est pas éclairé mais Païssius, l'amoureux des livres, se désole de voir son Saint Isaac complètement altéré : le texte d'après lequel il l'a corrigé se révèle moins bon que le sien ! Païssius conclut bientôt à l'évidente insuffisance des traductions des textes grecs en slavon. Comme il maîtrise désormais la langue grecque, il se met à la recherche des originaux grecs ; Il se rend successivement à la skite de Sainte-Anne de la Grande Laure, aux skites de Kapsokalivia, à la skite de saint-Démétrius de Vatopédi et dans de nombreux monastères ; il interroge les pères les plus anciens et les moines les plus pieux, mais nulle part il ne peut trouver un ouvrage reproduisant un texte original. Ce qui l'attriste plus encore, c'est qu'on semble ignorer désormais, sur la Sainte Montagne, jusqu'au nom des Saints Pères qu'il évoque ! Il demande à Dieu de l'éclairer, et il est exaucé. Un jour qu'il passe, avec deux moines, à proximité d'une skite dédiée au prophète Elie, à Karoulia, au sud de la Sainte Montagne, frappés par son grand isolement, ils décident de s'arrêter. Comme ils sont assis près de l'église, un moine les invite à y entrer pour vénérer les icônes, puis à se reposer dans sa cellule. Là, Païssius remarque sur la table un livre ouvert que le moine est en train de recopier : il s'agit d'un texte de Saint Pierre Damascène en grec. Transporté de joie, croyant voir un trésor céleste sur terre, Païssius demande au moine s'il possède d'autres livres des Saints Pères. Ecoutons-le raconter : « Il me répondit qu'il avait un autre livre de Saint Pierre, et vingt-quatre Homélies classées par ordre alphabétique ; Quand je lui demandai s'il avait des textes d'autres Pères, il dit qu'il possédait ceux de Saint Antoine le Grand, de Saint Grégoire le Sinaïte ( mais pas l'oeuvre intégrale), de Saint Philothée, de Saint Hésychius, de Saint Diadoque, de Saint Thalassius, l'homélie sur la prière de Saint Syméon le Nouveau Théologien et celle de Saint Nicéphore le moine, le livre de Saint Isaïe et quelques autres livres, mais seulement vingt-deux chapitres de Saint Nicétas Stéthatos ». On peut imaginer la joie de Païssius à entendre cette énumération. Le moine confirme que ces textes sont désormais oubliés dans la plupart des monastères de la Sainte Montagne. Lui et les autres frères de sa skite les connaissent pour en avoir entendu parler à Césarée de Cappadoce, leur pays d'origine. Une fois arrivés à la Sainte Montagne, ils sont parvenus, à grands frais et avec beaucoup de travail, à rassembler et à recopier les textes cités. Païssius obtient qu'un autre moine fasse pour lui et ses frères une copie de la plupart de ces textes. Païssius reçut ces présents avec immense joie, comme s'ils étaient un don de Dieu. Cette découverte eut lieu vers 1761, soit environ quinze ans après l'arrivée de Païssius à la Sainte Montagne. Retour en Moldavie Pendant ces années, le nombre de moines qui veulent se joindre à Platon ne cesse d'augmenter ; ils sont bientôt plus de cinquante. Dans leur désir de servir Dieu, ils sont attirés par l'ordre qui règne au cours des offices, par l'obéissance dont chacun fait preuve dans les travaux du monastère, et par l'amour désintéressé que chacun porte à son prochain. Des moines d'autres monastères se déplacent aussi pour venir se confesser au père Païssius qui est plein de compassion pour les âmes les plus faibles. Après des tentatives infructueuses pour s'établir dans un monastère plus grand, constatant le manque de place et les difficultés matérielles qui nuisent à la vie monastique, les moines en assemblée décident finalement de quitter la Sainte Montagne et d'aller s'établir en Moldavie. Longtemps après leur départ, la skite du prophète Elie conservera la tradition patristique ressuscitée par le père Païssius en continuant d'accueillir beaucoup de moines très pieux. III Le Père spirituel Païssius emmène avec lui soixante-quatre moines, répartis sur deux navires : il embarque avec les moines d'origine moldave ; Ils naviguent via Constantinople, jusqu' Galata, sur le Danube, en Valachie ; Ne trouvant où s'établir immédiatement, Platon se rend à Jassy, où il ets reçu par le métropolite Gabriel et le gouverneur très pieux Grégoire Callimachus. Ceux-ci confient à Platon le monastère du Saint Esprit à Dragomirna, ainsi que toutes ses dépendances. Dragomirna Le monastère de Dragomirna est situé aux confins de la Bucovine et de la Moldavie, dans une gorge du massif des Carpates, près de la ville de Sochava. Vu de l'extérieur, il a l'allure d'une forteresse, entouré de hauts murs et protégé par des tours : il a servi régulièrement de refuge aux habitants de Sochava fuyant les hordes tatares et les cosaques Zaporozhsky. Le monastère existe depuis au moins le début du XVIIème siècle. Quand Païssius s'y installe avec ses frères, il est dans un piteux état ; mais il a l'avantage d'être situé dans un endroit calme et retiré, à proximité de forêts et de riches terres. Très vite, grâce au travail des moines et à des dons généreux, il est remis en état. Païssius et ses frères rendent grâce à Dieu d'avoir attendri si généreusement le cœur de tous ceux qui les ont aidés, bien qu'ils fussent étrangers en cette terre de Moldavie. Dragomirna reçoit bientôt en visite le hiéromoine Alexis de la skite de Merlopolyani en Valachie, lui aussi disciple du vénérable Basile. Alexis est si impressionné par la piété de Païssius et l'attention qu'il porte à ses frères, qu'il décide de passer l'hiver avec eux au monastère. Comme tous deux sont disciples du même père spirituel, Païssius demande à Alexis de le revêtir du schème, ce qu'il fait sans changer le nom que lui avait donné Basile. Puis Alexis s'en retourne à Merlopolyani, après que Païssius et ses frères lui ont fait fête. Règle monastique A Dragomirna la vie monastique est fondée sur une règle rédigée par Païssius et inspirée des enseignements de Saint Basile le Grand et de ses disciples Saint Théodore le Grand et Saint Théodore le Studite, fondateurs du cénobitisme. Voici les principaux chapitres de cette règle, telle qu'elle est soumise par Païssius au synode de Moldavie, auquel il demande son approbation : 1) La première règle observée par tous dans notre monastère est qu'aucun moine ne possède rien en propre, fût-ce le plus petit objet. Tout est partagé. Afin que cette pratique soit effective, l'higoumène doit déterminer quels sont les besoins matériels de ses moines, tel un père avec ses enfants, donnant à chaque moine ce qui lui est nécessaire, sans préférence ni défaveur particulières. Telle est la tâche impartie à l'higoumène. (- Le texte dit : « Telle est l'obéissance de l'higoumène ». Il peut s'agir de l'obéissance due à l'higoumène, mais nous pensons qu'il s'agit plutôt de l'obéissance à laquelle il est lui-même astreint, vis-à-vis de la communauté des frères. Le mot obéissance a souvent, dans le langage des moines, le sens concret de : tâche effectuée par obéissance. « Une obéissance », c'est une diaconie, un service rempli-). Fondée sur ce principe, la communauté monastique peut se développer dans l'amour de Dieu et du prochain, dans l'humilité, la douceur, la paix, l'unité de l'âme et le détachement. Les moines sont sujets à l'obéissance non pas dans le but de faire une abstinence temporaire, de trouver la gloire, l'honneur, la tranquillité de la chair ou la considération des hommes, mais pour leur seul Salut. Dans l'unité du cœur et de l'esprit qui en découle, la convoitise, la haine, l'orgueil, la colère et tous les autres maux ne trouvent nulle place. La propriété privée et personnelle est source de mal et éloigne des commandements de Dieu. Tout moine est instruit fermement de cette règle selon les Saintes Ecritures, qu'il ne doit rien posséder à titre personnel sous quelque forme que ce soit, jusqu'à son rappel à Dieu. Tous les moines unanimes obéissent à cette règle. 2) L'obéissance est absolument essentielle à la vie monastique. Elle exige que l'on dédaigne et repousse toute volonté, toute pensée propre et tout arbitraire ; que l'on s'efforce de tout son cœur de suivre la volonté, les enseignements et le commandement de Dieu et de servir son prochain comme le Seigneur lui-même, ainsi que l'enseignent les Saintes Ecritures, dans la crainte de Dieu et l'humilité, jusqu'au dernier jour. 3) Quelles sont les charges et les responsabilités de l'higoumène? Il doit étudier les Saintes Ecritures et les écrits spirituels des Pères. Outre le témoignage qu'il doit ainsi porter, il lui faut, non transmettre ses propres enseignements et commandements à ses frères, mais les diriger toujours suivant la volonté de Dieu. Il doit se régler sur l'Ecriture dans toute tâche qu'il impose (- « Dans toute obéissance » dit le texte-), gardant à l'esprit que la parole de Dieu lui a été donnée, à lui et à ses frères, comme guide pour leur Salut ; Il doit être un exemple d'humilité, d'harmonie, d'unité spirituelle et faire preuve d'amour en toutes occasions. Il ne peut entreprendre aucune action sans l'avis de ceux de ses frères qui ont aussi l'expérience de la vie spirituelle et connaissent les Saintes Ecritures. Si un événement se produit qui doit être discuté devant l'assemblée de tous les frères, ceux-ci participent en pleine connaissance de cause et dans un esprit de conciliation. Ainsi sont maintenus la paix, l'unité dans l'esprit et l'amour désintéressé entre les frères. 4) La liturgie est fondée sur la règle générale : Vêpres, Complies, Office de Minuit, Mâtines, Heures et Divine Liturgie avec Vigiles et Lectures des Fêtes (- Il s'agit des prophéties de l'Ancien Testament annonçant les grands événements de l'Incarnation du Seigneur célébrés par les fêtes de l'Eglise-) pour tout le cycle des Fêtes du Seigneur, pour celles de la Très Sainte Mère de Dieu et pour celles des grands Saints. Pour les fêtes mineures : le polyéléos (- nom donné au chant solennel, dans l'église, du Psaume 135, dont le refrain porte : « Sa miséricorde (éléos, en grec) est éternelle »-) et la Doxologie (- prière des mâtines et des complies, commençant par « Gloire (doxa) à Dieu dans les hauteurs »-) avec les lectures, comme pour tous les autres offices liturgiques. La règle doit toujours être respectée par la communauté ainsi que nous la respections au Mont Athos, sans hâte et au temps qui convient. Tous les fondateurs et les bienfaiteurs du monastère, vivants et morts, doivent être commémorés aux services, ainsi que le prescrit la règle liturgique de la Sainte Eglise. L'higoumène et les frères doivent, selon la règle, être vêtus comme il sied à leur rang, c'est-à-dire avec la mandya, le rasso et le voile (- la mandya est la grande cape plissée du moine ; le rasso, le manteau qu'il porte sur la soutane. Le voile accompagne le chapeau ou klobouk-). Cette règle doit toujours être observée, sauf en cas de maladie ou de tâche obligatoire (- litt. « d'obéissance » -). 5) Les frères se rassemblent tous les jours au réfectoire avec l'higoumène, dans la fidélité aux règles et aux économies du monastère (- Aménagement particulier d'une règle de l'Eglise, en fonction des circonstances de temps et de lieu)-. Au réfectoire, chaque moine doit être vêtu selon son rang. Les frères écoutent, en silence et dans la crainte de Dieu, la lecture du jour, qu'il s'agisse d'extraits de Vies de Saints, d'écrits des Pères, ou d'instruction sur les règles de l'Eglise. La Panaghia (- la Toute Sainte ; c'est l'un des noms de la Mère de Dieu)- doit être vénérée sans faute tous les dimanches et jours de Fête du Seigneur, pour les grandes Fêtes, les Fêtes des Saints et, si possible, tous les autres jours. Le rite du réfectoire de notre monastère suit exactement celui qui est observé sur la Sainte Montagne. L'higoumène et ses frères ne doivent en aucune circonstance manger dans leur cellule, sauf en cas de maladie grave et d'extrême vieillesse. Tous les frères doivent manger la même nourriture. Seuls les malades, selon les Pères, sont autorisés à recevoir une nourriture spéciale pour aider à leur rétablissement ; mais cela est laissé à la discrétion de l'higoumène. Ils doivent néanmoins manger au réfectoire et non dans leur cellule. 6) Les frères doivent vivre en cellule dans la crainte de Dieu ; Suivant la tradition des Saints Pères, ils doivent préférer à tout travail ascétique la prière du cœur, puisque l'amour de Dieu, source de toute vertu, est oeuvré dans le cœur par l'esprit. Tel est l'enseignement de nombreux Pères théophores ; En plus de la prière,ils s'adonnent à la psalmodie et à la lecture réglée de l'Ancien et du Nouveau Testament, ainsi que des écrits patristiques ; Dans leur cellule comme en tous lieux, quelle que soit leur activité, les frères doivent avoir la pensée de la mort et se rappeler leurs péchés, le redoutable Jugement du Christ, les tourments éternels, le Royaume des Cieux et la contrition. Les frères doivent exercer le travail manuel qui leur est indiqué par l'higoumène. L'oisiveté n'est pas autorisée car elle est la source de tous les maux. Quitter trop tôt sa cellule et prendre part à une conversation inutile sont choses à fuir comme le poison. Pour s'exercer à la prière du cœur, il faut lire les Saints Pères : Saint Jean Chrysostome, le Patriarche Callixte II de Constantinople, le métropolite Syméon de Thessalonique, l'Evêque Diodore de cottica, Saint Hésychius de Jérusalem, Saint Nil du Sinaï, Saint Jean Climaque, Saint Maxime le Confesseur, Saint Pierre Damascène, Saint Syméon le Nouveau Théologien et Saint Grégoire du Sinaï. 7) Afin d'encourager à l'humilité, l'obéissance et le détachement de toute volonté et de toute pensée, sur l'échelle qui monte au Royaume des Cieux, l'higoumène peut assigner à ses frères des tâches à la cuisine, au four à pain, au réfectoire ou à d'autres travaux du monastère. A l'exemple du Christ qui est toute obéissance et toute humilité, les frères doivent obéir à ce qui leur est demandé. Ils savent qu'en servant leur prochain non comme des hommes mais comme s'il s'agissait du Christ lui-même, avec humilité et dans la crainte de Dieu,ils atteindront le Royaume des Cieux. 8) L'higoumène doit avoir le même amour pour tous ses frères. Il doit faire en sorte que ceux-ci vivent dans le plus sincère amour désintéressé les uns pour les autres, en vrais disciples du Christ. Tout amour individuel, comme toute amitié isolée ne sont que source d'envie et détruisent l'amour véritable. Il faut les éliminer par tous les moyens. L'higoumène doit souffrir avec patience et amour paternel les fautes et les faiblesses de ses enfants spirituels, dans l'espoir qu'ils se repentiront et se corrigeront.Il doit les instruire en leur parlant avec l'esprit de douceur. Les frères pécheurs ne doivent pas être exclus ni éloignés de la communauté, surtout s'ils ne font aucun mal aux autres frères. Par contre, l'higoumène ne doit pas accepter l'arbitraire des frères qui suivent leur volonté et leur pensée propre, refusent le saint joug de l'obéissance et causent ainsi du mal aux autres frères. Si les avertissements et la persuasion privée ne suffisent pas, les frères réunis en assemblée doivent les séparer et les exclure de la communauté, même si cela est cause de grandes afflictions, car il ne faut pas que les autres frères soient touchés du même mal. Ceux qui reconnaissent leur péché et s'en repentent doivent être accueillis à nouveau avec joie. En toute charité, et en toute pitié, Dieu leur accorde le pardon dans la joie de tous. 9) Pour l'administration du monastère et de ses propriétés, l'higoumène désigne un frère expérimenté et compétent qui assume cette charge extérieure sans pour autant enfreindre les commandements de Dieu ni courir à sa ruine spirituelle ; Cette délégation est nécessaire afin que, libre d'agir comme il l'entend, l'higoumène puisse plus facilement s'occuper du Salut spirituel des frères et de la maintenance des biens de l'Eglise et de la communauté. De même, pour l'aider dans sa tâche spirituelle, l'higoumène doit nommer un frère assez clairvoyant pour le remplacer en son absence. Avant de partir en voyage, l'higoumène réunit, au son des cloches, l'assemblée des frères dans l'église et, après avoir vénéré les saintes icônes et entendu les prières du voyage, il doit exposer le but de son voyage à l'assemblée et demander humblement à tous de prier Dieu afin qu'il en revienne exaucé et en bonne santé. Ayant demandé le pardon de chacun et donné sa bénédiction, il peut se mettre en route. A son retour, au lieu de se rendre directement à sa cellule, il rassemble à nouveau tous les moines à l'église où ils rendent grâce à Dieu. Il les remercie de leurs prières et, après avoir fait connaître aux frères comment la pitié de Dieu s'est manifestée pour le bien de tous dans son voyage, alors seulement il se retire dans sa cellule. 10) Ce qui suit concerne l'accueil de nouveaux frères dans la communauté monastique. Un novice qui serait attiré par la vie monastique s'entretient d'abord avec l'higoumène. Celui-ci lui explique les règles de la vie monastique en communauté, de l'obéissance à Dieu et du détachement de toute volonté et de toute pensée, jusqu'au dernier jour. Si l'higoumène décèle en lui le désir sincère de devenir moine et d'être un zélé serviteur du Seigneur, il l'admet à la vie commune en lui rappelant devant l'assemblée des frères la règle d'obéissance. Il ne doit pas être tonsuré immédiatement, mais seulement après le délai prescrit par les canons. Il reste en habit civil pendant au moins six mois et jusqu'à trois ans, selon l'obéissance et le détachement dont il fait preuve. Quand il est tonsuré pour porter le rasso ou la mandya, il peut rejoindre ses frères. Si après une période d'essai de trois ans l'higoumène ne décèle en lui ni preuve d'obéissance, ni signe de détachement, il est renvoyé dans le monde sans être tonsuré afin qu'il ne crée pas de difficultés dans la communauté... Suivent plusieurs règles concernant la vie pratique du monastère : travaux manuels, hôtellerie, infirmerie (11-14). 15-16) Nous supplions Votre Grâce que les personnes du sexe féminin ne soient pas autorisées à entrer au monastère, sauf dans les cas d'extrême nécessité telles que les guerres. Que, par ailleurs, les skites dédiées à Saint Enoch, à Saint Elie et à Saint Jean ne soient jamais séparées du monastère. L'higoumène nommera ceux des frères du monastère qui y résideront ; leurs statuts seront prescrits par l'assemblée des frères. Tout ce dont ils auront besoin leur sera fourni par la communauté. Les moines errants et ceux qui cherchent tel ou tel secours ne seront autorisé à y résider sous aucun prétexte... 17) Après le rappel à Dieu de l'higoumène, son successeur doit être choisi au sein de la communauté. Il est élu par la communauté des frères, à l'unanimité. Il doit avoir joui de la confiance de l'higoumène disparu et recevoir la bénédiction de son Eminence le métropolite. Il doit surpasser tous ses frères dans la sagesse spirituelle et la connaissance des Saintes Ecritures et des règles de la communauté. Il doit aussi avoir toutes les qualités d'obéissance, de détachement, d'amour, d'humilité et de douceur qui servent d'exemple à ses frères dans ses paroles et ses actions. Il doit enfin être prêtre. Comme trois langues, le grec, le slavon et le moldave sont en usage dans la communauté, il doit les connaître toutes trois, ou au moins le slavon et le moldave... Après avoir insisté sur le fait que l'higoumène ne doit pas venir de l'extérieur, mais être désigné par la communauté, l'auteur conclut : 18) Ce monastère ne doit jamais devenir lieu de pèlerinage, ainsi que nous en avons fait le vœu solennel à la mémoire de son fondateur. S'il en allait autrement, la vie en communauté en serait détruite à jamais. Un monastère peut en effet exister avec la Grâce de Dieu sans être lieu de pèlerinage, et la vie des moines qui y vivent en communauté y demeure sûre et tranquille. Vie au monastère de Dragomirna Cette règle ayant été approuvée par le synode de l'Eglise Moldave, Païssius s'engage à restaurer à Dragomirna une vie monastique selon la tradition orthodoxe de la Sainte Montagne. En particulier les services divins s'y déroulent selon la tradition de l'Eglise d'Orient. Dans l'église, les frères sont rassemblés selon la langue : à droite on chante en slavon, et à gauche en moldave. Les règles de la vie communautaire énoncées par Païssius sont strictement suivies : aucune possession personnelle, repas pris en commun, travaux manuels effectués en silence favorisant la prière intérieure. Pendant la période des récoltes, les moines partent travailler plusieurs jours de suite dans les champs où Païssius les rejoint pour célébrer avec eux la Divine Liturgie. Il leur envoie aussi des messages pour les encourager et les exhorter à imiter dans leurs travaux les Saints Pères d'Egypte : « Gardez-vous de la convoitise, leur écrit-il, car là où il y a la convoitise, l'esprit de Dieu est absent. Contrôlez vos paroles, afin de ne pas proférer de vains propos Celui qui préserve sa langue, préserve aussi son âme de toute peine. De la langue procèdent la vie et la mort. Les Anciens doivent enseigner les plus jeunes et ceux qui sont sans expérience. Soyez tous imprégnés d'humilité, de douceur et d'amour. Fortifiez-vous dans la crainte de Dieu, en pensant à la mort et aux souffrances éternelles. Que chacun révèle ses pensées au starets chaque jour. Répétez sans cesse la prière de Jésus. Offrez à Dieu un sacrifice pur, sans tâche et de bonne odeur, ainsi que vous en avez fait la promesse en devenant chrétiens. Présentez comme un holocauste votre peine et votre sueur. Que la brûlure du soleil soit pour vous ce que les martyrs ont enduré ! » Au monastère, quand ils sont dans leur cellule, les frères sont instruits à lire les écrits des Pères et à pratiquer la prière du cœur dans les prosternations et les larmes. Tous les soirs, ils doivent confesser à leur père spirituel leurs pensées. La confession, surtout pour les plus jeunes, constitue la base de la vie spirituelle car elle accorde le Salut de l'âme à celui qui se repent sincèrement de ses péchés. Si une divergence de vue vient à s'instaurer entre les frères, il faut la résoudre au plus vite, comme le demande l'Apôtre Paul : « Que le soleil ne se couche pas avant que vous ne soyez réconciliés » ( Eph. 4, 26). Païssius sait consoler les jeunes qui en ont besoin et aussi se réjouir avec eux. Il n'est jamais affecté par les soucis de la vie matérielle. Il n'est vraiment affligé que lorsque les commandements de Dieu ne sont pas suivis. « Tout peut être détruit, dit-il, même notre corps. Mais les commandements de Dieu doivent être respectés ». Tous les soirs en hiver, sauf les jours de grandes Fêtes, les frères sont rassemblés au réfectoire où Païssius lit et commente les textes des Pères. La lecture est faite alternativement en slavon et en moldave ; simultanément les complies sont récitées par ceux des frères qui n'entendent pas la langue dans laquelle la lecture du soir est faite – ainsi jusqu'au samedi de Lazare. Dans ses commentaires, Païssius ne cesse d'exhorter ses frères à respecter les commandements de Dieu et à avoir le cœur meurtri et humble, car le temps qui nous est donné par Dieu doit être consacré au repentir. Et si les commandements ne sont pas strictement observés, c'est la vie de la communauté elle-même qui est en péril. Chacun des frères se confie quotidiennement à son père spirituel qui lui-même informe Païssius lorsqu'il ne parvient pas à apaiser l'un d'eux. Quand le frère entre dans la cellule de Païssius, celui-ci comprend très vite d'où vient le mal. Il lui donne sa bénédiction sans attendre et entreprend de lui parler sans se laisser interrompre. Par les mots pleins de douceur qu'il entend, le frère est vite consolé et sa peine oubliée. Bien sûr, Païssius adapte son discours à chacun, selon ce qu'il connaît des écrits des Pères, et aussi en observant les réactions de son visage et ses gestes. Toujours le frère s'en retourne l'âme en paix et rempli de joie, après avoir rendu grâce à Dieu et reçu la bénédiction de Païssius. Car jamais Païssius ne convoque un frère pour le réprimander ou lui faire des reproches, mais au contraire pour le consoler et lui rendre la paix de l'âme et du cœur. Jusqu'à la neuvième heure la porte de sa cellule est toujours ouverte à ceux qui ont besoin d'entendre ses paroles : il verse des larmes avec certains et les console tandis qu'il partage la joie avec d'autres comme s'il n'avait jamais connu de peine. L'âme de Païssius est innocente comme celle d'un enfant ne connaissant aucune passion. C'est vers 1766 que le père Bessarion, premier disciple de Païssius au Mont Athos est rappelé par le seigneur. Ayant beaucoup pleuré ce frère bien-aimé, Païssius ordonne qu'un service soit célébré tous les ans à sa mémoire par tous les frères présents, suivi d'un repas en commun. La sollicitude de Païssius ne se limite pas à ses frères de Dragomirna. Son conseil spirituel est souvent requis à l'extérieur et dans les réponses à ses correspondants il révèle ce qu'il a découvert chez les saints Pères et ne cesse d'enseigner à ses frères. Deux belles lettres au père Dimitri, son ami de Kiev, ont été conservées. Dimitri est maintenant marié avec des enfants, et pense à devenir moine. Païssius lui conseille la patience et, suivant l'Evangile, d'achever d'abord ce qu'il a entrepris. Puis il lui décrit en détail les voies ouvertes à quiconque souhaite devenir moine, l'avertissant des difficultés qu'il va rencontrer et des obstacles qu'il aura à surmonter, jusqu'à la dernière heure. En une autre occasion, les moines du monastère de Merlopolyani en Valachie lui demandent conseil pour l'élection de leur higoumène. Basile l'Ancien, avant son rappel à Dieu en 1767, avait désigné le père Théodore pour lui succéder. Or celui-ci est de santé fragile et n'est pas en mesure d'assurer la charge. Les moines pensent alors le remplacer par le père Alexis, disciple de Basile l'Ancien, celui-là même qui avait revêtu Païssius du schème peu de temps après son arrivée à Dragomirna. Le père Théodose lui-même propose le père Alexis. Certains, toutefois, hésitent, connaissant l 'humilité, la douceur et l'inexpérience de ce dernier : pourra-t-il assumer la fonction d'higoumène ? Païssius confirme que tant qu'Alexis est en vie, ils ne doivent lui préférer aucun autre pour higoumène. Après leur avoir décrit ses grandes qualités, il ajoute : « Même s'il ne souhaite pas et rejette la charge d'higoumène, alors suppliez-le, en toute humilité, d'accepter malgré lui. Afin de ménager sa santé, évitez de lui demander des tâches qu'il ne pourrait physiquement supporter. Accordez-lui en tout la tranquillité, car s'il venait à s'épuiser prématurément cela ne serait d'aucun profit à ses frères ». En concluant, pour aider le nouvel higoumène à assumer ses tâches administratives, Païssius envoie auprès du monastère de Merlopolyany deux frères de Dragomirna, le Père Matthieu et le Père Dionysius. Nouveaux travaux de patristique Tout le temps qu'il ne consacre pas à la sollicitude envers ses frères. Païssius travaille à corriger pour eux les versions en slavon des textes de patristique. La tâche est ardue malgré les quatre ans passés à l'académie de Kiev. Païssius s'avoue bien ignorant en grammaire, en orthographe, en rhétorique, en philosophie et même en théologie ! Il se désole de ne pas disposer non plus de lexique. Or il ne connaît que très partiellement le grec ancien dont la richesse l'émerveille, et il ne maîtrise pas parfaitement le slavon non plus. Conscient de ses limites, Païssius se sent bien incapable de proposer des traductions nouvelles en slavon. Par contre il s'attache à corriger et à compléter les traductions existantes, afin que ses frères puissent en tirer profit. Jamais toutefois, Païssius ne pense diffuser hors du monastère ses versions en slavon, du moins pas avant qu'un père plus savant que lui ne les relise. Dans son travail de correction Païssius utilise les versions moldaves des textes des Pères faites par le hiéromoine Macarius et par Hilarion le Didascalos, traductions commencées au Mont Athos. Utilisant comme référence les versions moldaves, Païssius corrige les versions slavones d'un grand nombre de textes originellement traduits du grec : Saint Hésychius, Saint Diadoque, le second livre de Saint Macaire, Saint Philothée, Saint Nil sur la prière, Saint Thalassius, Saint Grégoire le Sinaïte, Saint Syméon le Nouveau Théologien ( homélie sur la vigilance dans la prière), Saint Cassien le Romain et quelques autres. Certains textes sont repris et corrigés deux ou trois fois. Quand les textes de référence en langue moldave n'existent pas, Païssius tente de traduire directement du grec mais il est conscient que ces versions contiennent certainement des erreurs qui ne pourraient être corrigées qu'à l'aide du texte original en grec ancien. Païssius traduit ainsi les écrits de Saint Antoine le Grand, de Saint Isaïe l'Ermite, de Saint Pierre Damascène et de Saint Théodore le Studite. Pour la traduction en slavon des Homélies de Saint Isaac le Syrien, Païssius est grandement aidé par l'édition grecque faite en 1770 par Ephrem, Patriarche de Jérusalem. L'édition en slavon de Saint Isaac ne sera achevée qu'en 1787 au monastère de Niamets. Ayant reçu de la Sainte Montagne la vie de Saint Grégoire du Sinaï écrite en grec par son disciple Saint Callixte, Patriarche de Constantinople, Païssius constate qu'elle n'est pas complète ; néanmoins il en entreprend aussi la traduction en slavon. IV L'enseignement sur la prière du cœur A Dragomirna, comme déjà au Mont Athos, certains esprits s'en prennent violemment aux enseignements de Païssius touchant la prière du cœur. Certains, par jalousie, l'accusent d'innover et de modifier les règles de l'Eglise en restaurant la pratique de la prière du cœur. D'autres, inspirés par le démon, tentent de jeter le trouble en déclarant que les ouvrages des Pères traduits à Dragormina sont hérétiques. Craignant que certaines âmes ne se laissent convaincre par un tel blasphème, Païssius décide de réfuter ces allégations en implorant le Fils et Verbe de Dieu d'éclairer son esprit. Avant de lire l'épître de Païssius, rappelons-nous les mots simples : « Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, aie pitié de moi pécheur », qui répétés sans cesse guérissent l'âme des passions. Or la vie de l'âme se manifeste dans le cœur. L'intellect quant à lui, jouit de la conscience et de la liberté et c'est par lui que parvient jusqu'au cœur et agit en lui ce qui nous vient de Dieu. La prière du cœur consiste à faire ainsi descendre l'intellect dans le cœur. Dans cet état de vigilance, appelé neptique (- neptique vient du mot grec qui signifie sobriété, vigilance. Le titre de l'anthologie de Saint Macaire et de Saint Nicodème sur la prière du cœur est Philocalie des Pères neptiques, c'est-à-dire, qui ont atteint l'état d'attention spirituelle constante-), l'intellect veille sur les pensées du cœur et en chasse les mauvaises, celles qui éloignent de Dieu. Les Pères disent, en effet, que nous ne sommes pas responsables des pensées mauvaises, mais que nous le sommes de l'adhésion que nous y donnons. C'est aussi pourquoi l'invocation du nom de Dieu doit être incessante, même pendant la récitation des prières liturgiques, car Dieu connaît notre cœur et l'écoute. Lisons maintenant Païssius. Apologie de la prière du cœur « Il faut savoir que cette activité divine fut l'occupation constante des Saints Pères et qu'elle a brillé de ses rayons au désert, dans les monastères du Sinaï, dans les skites d'Egypte, au Mont Nitrie, à Jérusalem et dans les monastères des environs, à Constantinople et au Mont Athos, dans les îles grecques et plus récemment en Russie. Grâce à cet exercice mental de la sainte prière, beaucoup de nos Pères théophores ont brûlé du feu des séraphins par amour de Dieu et du prochain ; ils sont ainsi devenus les gardiens authentiques des commandements divins et ont été jugés dignes de recevoir l'Esprit Saint. La plupart d'entre eux, motivés par la plus profonde inspiration divine et suivant les Saintes Ecritures de l'Ancien et du Nouveau Testament, ont couché par écrit leurs enseignements inspirés de la sagesse du Saint Esprit. C'est Dieu qui les a inspirés afin que dans les temps à venir cette action divine ne soit pas oubliée(...)Le démon qui est la source de tous les maux et l'ennemi de toutes les vertus a bien vu que, dans cet exercice mental de la prière, l'armée des moines qu'il a choisi d'investir est assise aux pieds du Seigneur en signe de parfait amour et respect des commandements divins. Le démon a donc cherché à dissuader et à blasphémer cette action salvatrice afin si possible de l'effacer de la surface de la terre. Dans ce but il a détruit des livres et introduit l'ivraie parmi le blé du ciel. De ce fait, les hommes insensés, voyant ceux qui entreprennent cette activité de façon arbitraire et en s'exaltant tout seuls, récolter l'ivraie au lieu du blé et trouver la perte au lieu du Salut, blasphèment contre la sainte prière. Non content de cela, le démon a trouvé en Italie le serpent de Calabre, l'hérétique Barlaam qui, dans sa morgue, lui ressemblait totalement. Entrant en lui avec toute sa puissance, il l'incita à blasphémer contre notre foi orthodoxe et contre la sainte prière du cœur. Observez donc, mes amis, qui osez blasphémer contre la prière du cœur. Voulez-vous rejoindre cet hérétique et ceux qui le suivent ? Ne tremblez-vous pas dans votre âme à la pensée d'être anathématisés par l'Eglise, comme ils l'ont été, et de devenirs ainsi étrangers à Dieu ? Quelle véritable raison avez-vous de blasphémer contre cette chose trois fois sainte et sans tache ? Je ne peux le comprendre. Est-ce que l'invocation du nom de Jésus vous paraît inutile ? Or il n'est possible d'être sauvé par aucun autre nom que le nom de notre Seigneur Jésus-Christ ( Ac. 4, 12). Peut-être est-ce l'intellect oeuvrant à la prière qui est impur ? Mais cela est également impossible car Dieu a créé l'homme à son image et à sa ressemblance. L'image et la ressemblance de Dieu se retrouvent dans l'âme humaine créée par Dieu pure et sans tache, si bien que l'intellect, par quoi l'esprit se manifeste principalement, est lui aussi pur et sans tache. Mais peut-être est-ce le cœur qui a été l'occasion du blasphème – le cœur, cet autel sur lequel l'intellect offre à Dieu le sacrifice secret de la prière ? De nouveau, je réponds non, car le cœur est également une création de Dieu et comme le corps humain tout entier, il est très bon. Si donc l'invocation du nom de Jésus est source de Salut, et si l'intellect et le cœur de l'homme ont été créées de la main de Dieu, pourquoi serait-il néfaste d'adresser par l'intellect au doux Jésus une prière jaillie du cœur, et d'invoquer sa pitié ? Mais peut-être blasphémez-vous et rejetez-vous la prière du coeur parce que vous pensez que Dieu n'entend pas la prière adressée secrètement du fond du cœur, et qu'il n'existe que la prière prononcée par les lèvres. Mais cela aussi est sacrilège, car Dieu connaît tous les cœurs et il connaît les plus délicates pensées contenues dans chaque cœur comme celles qui ne sont pas encore nées. Il connaît tout, étant toute sagesse. Lui-même réclame cette prière secrète, jaillie des profondeurs du cœur, comme un sacrifice pur et sans tache, quand Il nous dit : « Pour toi, lorsque tu veux prier, retire-toi dans ta chambre, ferme la porte et prie ton Père qui habite dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra » (Mat. 6.6). Dans sa neuvième homélie sur l'Evangile de Saint Matthieu, Saint Jean Chrysostome, la bouche du Christ, la lumière du monde et le docteur de l'univers, déclare que ces paroles ne s'appliquent pas à la prière prononcée par les lèvres, mais à la prière très secrète et silencieuse jaillie du fond du cœur. Il nous instruit de la dire non seulement avec notre corps, par la bouche, mais aussi dans la plus grande attention, en toute quiétude et contrition de l'âme, dans les larmes intérieures et les douleurs de l'esprit, toutes portes de l'intellect étant fermées. Et pour justifier cette prière secrète, il cite les Saintes Ecritures, Moïse, celui qui a vu Dieu, Anne la Sainte et Abel le Juste et dit : « Vous souffrez en vous-mêmes et vous ne pouvez vous empêcher de crier ? Mais il est normal pour celui qui souffre avec une telle douleur, de prier et de supplier comme je l'ai dit. Car Moïse aussi a souffert et il a prié de cette manière et a été entendu ; ainsi Dieu lui demande : « Pourquoi cries-tu vers moi ? » ( Ex. 14, 15). Et Anne aussi, dont on n'entendait pas la voix, a vu l'accomplissement de ce qu'elle désirait quand son cœur a crié ( 1 Sam. 1.13). Abel n'a pas seulement prié en silence, il a continué quand la mort est venue et son sang versé poussait un cri plus clair que le son de la trompette ( Gen. 4 . 10). Vous aussi, criez comme ce Saint, je ne vous l'interdis pas. Le prophète l'a ordonné : « Déchirez votre cœur et non vos habits » ( Joël 2, 13). Des profondeurs, invoquez Dieu, car il est dit : « Des profondeurs, je crie vers toi ô Dieu » ( Ps. 130.1). Du fond de votre cœur, faites entendre votre voix, que votre prière soit mystère ». Et ailleurs le même Saint dit encore : « Car ce n'est pas aux hommes que vous adressez votre prière, mais à Dieu qui est partout présent, qui entend avant les paroles, et connaît les secrets de l'esprit. Si vous priez ainsi, vous serez grandement récompensés ». Et encore : « Comme il est lui-même invisible il souhaite que votre prière aussi soit invisible » ( Hom. 19.4). Vous le voyez donc, mes amis, le pilier insurpassable de l'orthodoxie en témoigne, il existe bien une autre prière que celle que les lèvres seules peuvent dire ; celle-là est secrète, invisible, sans voix et elle est adressée à Dieu du plus profond du cœur. Dieu l'accepte comme un sacrifice pur, comme l'arôme d'un parfum spirituel ; elle Le réjouit car il voit l'intellect tourné vers Lui comme il doit l'être et qui se joint à Lui par la prière. Je suis pris de crainte et de tremblement à la pensée de vos folles accusations ! Mais je voudrais encore vous demander ceci : blasphémez-vous contre la sainte prière après avoir vu ou entendu quelqu'un qui l'aurait pratiquée et qui aurait perdu la tête, aurait été affecté par telle ou telle illusion ou serait tombé spirituellement malade ? En auriez-vous conclu que la prière du cœur en est la cause ? Mais non ! La sainte prière du cœur, qui naît de la Grâce de Dieu, purifie l'homme de toutes les passions et le rend fort par le respect des commandements divins. Elle le rend invulnérable aux attaques de l'ennemi et à toute illusion. Si quelqu'un ose faire l'expérience de la prière du cœur de façon arbitraire, sans l'appui des enseignements des Pères et sans le conseil et l'aide d'un père spirituel, si un tel homme est, de plus, arrogant, passionné et faible dans sa foi, vivant sans être astreint à l'obéissance, peut-être même en ermite solitaire (…) - je déclare que celui-là tomberait vite dans les pièges du démon, sources de toutes les illusions. Pourquoi ? Cette prière pourrait-elle être source de telles illusions ? Jamais de la vie ! Si vous vous méfiez de la prière du cœur à cause de cela, vous pouvez tout autant vous méfier du couteau avec lequel un jeune enfant peut se blesser en jouant, dans son inconscience. Il faudrait alors interdire aux hommes de guerre de porter le glaive, de peur qu'un bretteur étourdi ne se perce de son arme. Mais, de même que ni le couteau ni le glaive ne sont coupables du mal qu'ils infligent, de même la sainte prière de l'intellect, qui est le glaive spirituel, est libre de tout reproche. Le péché réside dans l'arbitraire et dans l'orgueil de ceux qui se fient à eux-mêmes ; le résultat est l'égarement qui vient du démon et l'épreuve de toutes sortes de souffrances spirituelles. Mais pourquoi prendrais-je tant de peine à vous demander les raisons de votre blasphème sur la sainte prière ? Car je connais bien, mes amis, la cause primordiale de votre blasphème. Il y a d'abord votre lecture des Saintes Ecritures qui n'est pas faite selon les commandements du Christ, car vous ne les pratiquez pas ; il y a aussi votre dédain des enseignements des Saints Pères à propos de la prière du cœur ; il y a ensuite votre parfaite ignorance des écrits de ces Pères que vous n'avez peut-être même jamais fréquentés et dont vous n'avez en tout cas pas compris quel pouvoir a la parole, pleine de sagesse divine – là réside la cause de vos déclarations erronées. Si vous aviez lu les textes des Pères, qui contiennent toute la sagesse de la vie Evangélique et sont si essentiels à la vie spirituelle des moines et à la direction de leurs pensées, si dans la crainte de Dieu et avec grande attention, imprégnés de foi et d'humilité vous aviez lu diligemment ces textes, Dieu n'aurait jamais permis que vous tombiez dans les gouffres du blasphème. Il vous aurait tout au contraire fait participer au feu divin de sa Grâce et, par cette activité de la prière, tourné vers son amour inexprimable, si bien qu'avec l'Apôtre vous auriez pu vous exclamer : « Qui nous séparera de l'amour du Christ » ( Rom. 8.35). Et non seulement vous ne blasphémeriez plus mais vous lui présenteriez une âme très docile, ayant découvert en acte et par expérience les bienfaits inexprimables qu'elle retire de cette concentration spirituelle. Origine et preuves scripturaires de la prière du cœur Il faut savoir, continue Païssius, que chez les Pères il existe deux types de prière du cœur. L'une est pour ceux qui débutent et correspond à l'action ; l'autre est pour ceux qui ont atteint la perfection et correspond à la vision ( ou à la contemplation). L'une est le commencement et l'autre est la fin, car l'action permet d'accéder à la vision. Selon Saint Grégoire du Sinaï, il existe huit visions essentielles, qu'il énumère ainsi : « La première concerne Dieu qui est sans image et sans origine, non-créé, cause de tout, Unité Trine, Divinité suressentielle ; la seconde vision est l'ordre des puissances intellectives ; la troisième embrasse tout ce qui existe ; la quatrième vision est la descente pleine d'attention du Verbe ; la cinquième vision est la résurrection universelle ; la sixième vision est le Second et Redoutable Avènement du Christ ; la septième vision est la souffrance éternelle ; la huitième vision est le Royaume Céleste éternel ». Je vais maintenant tenter d'expliquer, si mon faible esprit le permet, comment il convient de comprendre l'action et la vision. Il faut savoir, et c'est vrai pour les simples moines comme moi-même, que tout le labeur monastique par lequel, avec l'aide de Dieu, on s'efforce d'atteindre l'amour de Dieu et du prochain, la douceur, l'humilité, la patience et le respect de tous les commandements, l'obéissance de l'âme et du corps afin de plaire à Dieu, le jeûne, la veille, les larmes, les prosternations et toutes les formes d'épreuves du corps, l'observation attentive des règles de l'église et de la cellule, l'exercice secret de la prière mentale, la lamentation et la contemplation de la mort – tout cet effort est dénommé action, tant que l'intellect est dirigé par le choix libre et souverain de l'homme. Il ne peut en aucun cas être appelé vision. Si, en certains endroits, les Pères ont pu appeler vision l'ascèse de la prière du cœur, ils se sont alors servi du langage courant, comme lorsque l'intellect, étant l'oeil de l'âme, est appelé vision. Si maintenant avec l'aide de Dieu dans la prière, quelqu'un purifie avec parfaite humilité son âme et son cœur des passions malignes de l'esprit et du corps, la Grâce de Dieu, mère de tous, prend l'intellect qu'elle a lavé comme un petit enfant par la main et lui fait gravir les degrés de la vision spirituelle qu'on vient d'énumérer. La Grâce de Dieu révèle à l'intellect, selon le degré de sa purification, les mystères divins indicibles et incompréhensibles ; c'est ce qu'on appelle une vision spirituelle véritable. Tel est, d'après Saint Isaac le Syrien, la prière pure, et d'elle viennent l'illumination et la vision. Il est impossible à quiconque d'accéder tout seul à de telles visions par son effort volontaire, si Dieu ne le visite pas et ne le conduit pas jusqu'à elles par sa Grâce. Si quelqu'un osait s'élever vers de telles visions sans la Grâce de la lumière divine, celui-là, nous dit Saint Grégoire du Sinaï, ne ferait que rêver et serait égaré par l'esprit de songerie. (…) Venons en maintenant à l'origine de la prière du cœur. Il faut savoir que selon le très sage et divin Père Nil, le Jeûneur du Sinaï, Dieu a donné lui-même au premier homme du Paradis la prière du cœur, celle qui convient à un homme parfait. Saint Nil dit : 'Après avoir prié, il faut vous attendre à tout recevoir ; mais restez fermes et gardez le fruit de votre prière. C'est à quoi vous êtes destinés depuis les premiers temps – à cultiver et à garder. Ayant cultivé, ne laissez pas ce que vous avez cultivé sans en assurer la garde. Si vous n'appliquez pas cela, vous ne trouverez aucun es pensées malignes qui peuvent suivre la prière. De même le vénérable Dorothée dit que le premier homme, quand il fut établi par Dieu au Paradis, restait constamment en prière. D'après ces témoignages, nous voyons que Dieu, qui a créé l'homme à son image et à sa ressemblance, l'a établi au Paradis des délices afin qu'il cultive les jardins de l'immortalité, que Saint Grégoire le Théologien appelle encore les pensées divines très pures, très hautes et parfaites. Car il était prescrit au premier homme, doté d'un cœur pur et d'une âme pure, de rester sans cesse dans la grâce de la prière-vision, dirigé par le seul intellect, dans la douce vision de Dieu, et de conserver précieusement cette activité céleste, comme la prunelle de l'oeil, afin qu'elle ne quitte jamais son âme et son cœur. Cette prière acquit une gloire incomparablement plus grande quand la Très Sainte Vierge, plus sainte et plus vénérable que les chérubins, et plus glorieuse incomparablement que les séraphins, résidant dans le Saint des Saint et ayant accédé grâce à la prière du cœur aux sommets de la vision divine, a été choisie pour être la vaste demeure de Dieu le Verbe, que la création entière ne saurait contenir. En témoigne Saint Grégoire Palamas, dans son Homélie sur l'Entrée au Temple de la Très Sainte Mère de Dieu. Etant restée dans le Saint des Saints, et ayant appris des Saintes Ecritures la déchéance fatale de la race des hommes, causée par la désobéissance, la Très Sainte Vierge fut pleine de compassion et adressa sa prière mentalement à Dieu afin qu'il accordât promptement son pardon et sauvât la race humaine. Voici ses propres paroles, qui valent autant que la sagesse des anges : Quand l'enfant divine vit et entendit ce qui se passait, elle fut prise d'une grande compassion pour la race des hommes et, cherchant, pour la guérir et la redresser, un moyen qui répondît à l'étendue de ses souffrances, il lui fut nécessaire de s'adresser directement à Dieu de tout son intellect, priant pour nous afin de contraindre Celui qui ne peut être contraint et de le conduire à nous, pour que lui-même annule la condamnation et qu'ayant guéri ce qui était affligé, Il établisse un lien avec la création'. Et plus loin : « Ne pouvant rien trouver de plus approprié à l'homme que cette prière et s'attachant fermement à prier de toutes ses forces, la Vierge acquit le silence sacré qui est très nécessaire à ceux qui prient. Toute autre vertu est comme une cure pour les afflictions spirituelles et les passions malignes nées de la lâcheté de l'âme, tandis que la vision de Dieu est le fruit d'une âme saine, qui atteint à la perfection ultime. Nous ne pouvons être déifiés par des paroles ou des actions visibles désirées et prévues, car tout cela est terrestre et humain ; nous pouvons l'être en maintenant le silence pour lequel nous rejetons ce qui est de ce monde et nous en délivrons, montant ainsi vers Dieu. Résidant sur les sommets d'une existence silencieuse, pratiquant patiemment, jour et nuit, la prière et l'adoration, nous nous approchons de l'inapprochable et sainte Essence. De cette manière, pratiquant patiemment la prière, éclairée de la lumière infiniment supérieure à l'intellect et aux sens, nous voyons Dieu en nous-mêmes comme en un miroir, ayant purifié notre cœur par le silence sacré'. Et encore : 'C'est pourquoi la Très Pure, ayant rejeté le monde et ses soucis, s'est éloignée de tout pour mener une vie recluse et cachée de tous, demeurant inaccessible. Arrivée à ce stade, ayant renoncé à tous biens matériels, à tout commerce humain et à tout attachement pour les choses, et ayant surmonté toute complaisance envers son corps, elle rassembla et unit en Lui son intellect, par l'application, l'attention et la prière divine ininterrompue. S'étant placée elle-même au-delà de toute vicissitude et de toute pensée grâce à la prière qui était en elle, elle ouvrit vers les cieux une voie nouvelle et indicible qui est, si je puis dire, le silence de la pensée. Se concentrant en Lui, elle surpasse mieux encore que Moïse toutes choses créées, voit la Gloire de Dieu, contemple la grâce divine qui n'est en aucune mesure sujette au pouvoir des sens. Elle participe ainsi à la vision joyeuse et sainte des âmes et des intellects non souillés et, y participant, elle est la nuée lumineuse de l'eau vive, l'aube du jour de l'intellect et le char embrasé du Verbe.' Lorsqu'elle résidait dans le Saint des Saints, la Très Sainte Vierge eut accès, grâce à la sainte prière, aux sommets où Dieu peut être contemplé ; elle-même est devenue l'exemple d'une vie toute attentive à l'homme intérieur. Elle y parvint en renonçant au monde pour le Salut du monde, en gardant le silence sacré de l'esprit et le silence de toutes les pensées, dans la prière incessante et la concentration de l'esprit, et enfin en s'élevant, par l'action, vers la vision de Dieu. De la sorte, tournant leur regard vers elle, ceux qui renoncent au monde peuvent entreprendre les mêmes efforts mentaux, s'efforçant de suivre son exemple grâce à ses prières. Et qui peut dignement glorifier la divine prière du cœur, que la Mère de Dieu elle-même a pratiquée, instruite et guidée par le Saint Esprit ? Néanmoins, afin que tous les sceptiques puissent avoir confirmation et vérifier ce qui précède, il est temps de révéler les preuves que l'on peut trouver dans les Saintes Ecritures, telles qu'elles sont citées par les Saints Pères qui ont écrit, guidés par la lumière de la Grâce de Dieu. La divine prière du cœur est fondée de façon inébranlable sur les paroles du Seigneur Jésus : 'Pour toi, lorsque tu veux prier, retire-toi dans ta chambre, ferme la porte et prie ton père qui habite dans le secret ; ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra'. (Mat.6.6). Comme nous l'avons déjà établi, Saint Jean Chrysostome explique que ces paroles font référence au silence et à la prière secrète qui s'élève du fond du cœur. Ecoutons Saint Basile le Grand, pilier flamboyant, bouche ardente du Saint Esprit et œil de l'Eglise, commenter ces paroles tirées des Saintes Ecritures : ' Je bénirai Dieu en tout temps ; sa louange sera toujours dans ma bouche' (Ps. 34.2). Il nous parle magnifiquement de la parole et de l'action qui sont toute pensée, c'est-à-dire de la prière du cœur. Je le cite : 'Sa louange sera toujours dans ma bouche. Ce que dit le prophète semble impossible : comment la louange de Dieu pourrait-elle être continuellement dans la bouche de l'homme ? A cela nous répondons qu'il existe dans l'homme intérieur une bouche qui est toute pensée, par laquelle il participe au Verbe vivifiant de Dieu, qui est le pain descendu des Cieux. Le prophète parle en ces termes de cette bouche : j'ouvre la bouche et je soupire ( Ps. 119. 131). Dieu lui aussi nous demande de garder cette bouche ouverte afin de recevoir la véritable nourriture : Ouvre ta bouche et je la remplirai ( Ps 81. 11). Une pensée sur Dieu, dès qu'elle est formée et imprimée dans l'intellect, est cette louange qui demeure continuellement dans l'âme. Et, d'après les paroles de l'Apôtre, l'homme diligent en vient à tout faire pour la gloire de Dieu. Car chaque activité, chaque mot, chaque réflexion possède la force de la glorification. Quiconque est vertueux, quand il mange, boit et fait toute chose, agit pour la gloire de Dieu. Même lorsqu'il est endormi, son cœur reste attentif.' Ces paroles de Saint Basile expliquent clairement qu'à côté de la bouche du corps il existe aussi une bouche de l'intellect et une glorification qui proviennent de l'homme intérieur. Le grand Macaire, dont le nom est synonyme de béatitude – Macaire, en grec Macarios, veut dire « bienheureux »- et qui est le soleil de l'Egypte ou plutôt de tout l'Univers, ayant surpassé le soleil en brillant de tous les dons du Saint Esprit, a dit à propos de la prière du cœur : ' Le chrétien doit toujours garder la mémoire de Dieu, car il est écrit : Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur' ( Mat. 6.21). Et le vénérable et théophore Saint Isaïe le Jeûneur cite ces paroles des Saintes Ecritures comme preuve de l'instruction intérieure, c'est-à-dire de la prière du cœur, pratiquée par l'intellect dans le cœur : ' Mon cœur brûlait au-dedans de moi ; tandis que je méditais, un feu me consumait.' ( Ps. 39.4). Le vénérable Syméon, qui a brillé comme le soleil dans la cité royale grâce à la prière du cœur et aux dons indicibles du Saint Esprit, qui lui ont valu, de la part de l'Eglise, le nom de Nouveau Théologien, a écrit dans son ouvrage sur les trois types de prières : ' Nos Saints Pères ont appris du Seigneur comment du cœur naissent les mauvaises pensées, le meurtre, l'adultère, l'impudicité, le vol, le faux témoignage, la calomnie et toutes choses qui souillent l'homme ( Mat. 23.19) ; ils ont aussi appris qu'il faut d'abord nettoyer l'intérieur de la coupe et du plat, afin que l'extérieur aussi devienne pur ( Mat. 23. 26). Ayant donc abandonné la pensée de toute autre activité, ils se sont appliqués à préserver leur cœur pur, conscients qu'ils sont que, par la garde du cœur, ils pourront accomplir aisément toutes choses, car sans un cœur pur, il n'y a pas de vertu durable'. Ces paroles du vénérable Syméon indiquent que pour les Pères, les paroles du Seigneur citées ci-dessus confirment et fondent même la garde du cœur, c'est-à-dire l'invocation mentale du nom de Jésus. Le même vénérable Syméon cite encore en preuve de la divine prière du cœur ces paroles des Saintes Ecritures : ' Jeune homme, réjouis-toi dans ta jeunesse, marche dans les voies de ton cœur et selon les regards de tes yeux(...). Bannis de ton cœur le chagrin' ( Eccl. 12.12). ' Si l'esprit de celui qui domine s'élève contre toi, ne quitte point ta place'. ( Eccl.12.12). ' Si l'esprit de celui qui domine s'élève contre toi, ne quitte point ta place'. ( Eccl. 10.4). L'Apôtre pierre dit : ' Soyez sobres, veillez. Votre adversaire, le diable, rôde comme un lion rugissant, cherchant qui il dévorera' . (1 Pi. 5.8). Et l'Apôtre Paul écrit aux Ephésiens, en se référant à la vigilance du cœur : ' Car nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, contre les autorités, contre les princes de ce monde de ténèbres' ( Eph. 6.12). Le vénérable presbytre Hésychius, le théologien et maître de l'Eglise de Jérusalem, a écrit un livre en deux cents chapitres sur l'invocation du nom de Jésus dans le cœur. Il cite ces passages des Saintes Ecritures : « Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu ! » ( Mar. 5.8) et encore : ' Garde-toi, de crainte qu'il n'y ait une parole cachée dans ton cœur, une iniquité' ( Deut. 15.9). L'Apôtre dit : ' Priez constamment' ( 1 Thess.5.17) et le Seigneur lui-même dit : ' Celui qui demeure en moi et moi en lui porte beaucoup de fruit, car sans moi vous ne pouvez rien faire' ( Jn 15.5). Notre divin et théophore Père Jean Climaque tire des Saintes Ecritures la preuve suivante de la prière sainte et du véritable silence : ' Celui qui fut le plus grand dans l'accomplissement de la prière parfaite a dit : J'aime mieux dire cinq paroles avec mon intelligence, afin d'instruire aussi les autres, que dix mille paroles en langues ( 1 Cor. 14.19). Je dors, mais mon cœur veille ( Cant. 5.2) ; et encore : Je t'invoque de tout mon cœur. ( Ps. 119. 145). Notre père divin et théophore, Grégoire du Sinaï, qui s'est élevé à la vision suprême de Dieu dans la sainte prière, au Mont Athos et en d'autres lieux, a écrit avec l'aide de la sagesse divine des Hymnes trinitaires qui sont chantés toutes les semaines dans le monde entier ; il a aussi composé le Canon de la Vivifiante Croix et il cite à propos de la prière du cœur les Saintes Ecritures : ' Souviens-toi du Seigneur ton Dieu' ( Deut. 8.18) et : « Dès le matin sème ta semence et le soir ne laisse pas reposer ta main' ( Eccl. 11. 6). ' Car si je prie en langue, mon esprit est en prière, mais mon intelligence demeure stérile. Que faire donc ? Je prierai par l'esprit, mais je prierai aussi avec l'intelligence(...). J'aime mieux dire cinq paroles avec mon intelligence, afin d'instruire aussi les autres, que dix mille paroles en langues' ( 1 Cor. 14. 14-19). Pour preuve, il cite Saint Jean Climaque qui associe ces paroles à la prière du cœur. Le très saint, très sage et très érudit Marc, métropolite d'Ephèse, a suivi les pas des Apôtres ; il fut le pilier inébranlable de la foi orthodoxe et, au concile de Florence, détruisit, telle une toile d'araignée, les hérésies pneumatomaques des Latins au moyen de l'épée flamboyante de l'Esprit et du dogme orthodoxe de vérité. A propos de la prière du cœur, il s'écrie : « Il faudrait, selon le commandement, prier sans cesse et vénérer Dieu en esprit et en vérité. Toutefois l'inclination vers les pensées du monde et le fardeau des soucis du corps séparent et éloignent beaucoup d'hommes du Royaume de Dieu qui existe en nous ; tout cela nous empêche d'être présents à l'autel de l'intelligence et d'apporter à Dieu les sacrifices en esprit et en paroles comme le divin Apôtre nous y invite, lui qui a dit que nous sommes les temples du Dieu qui habite en nous et que son divin Esprit aussi habite en nous. Il n'y a rien d'étonnant que cela arrive à beaucoup de ceux qui vivent selon la chair, puisque nous voyons des moines qui ont renoncé au monde et sont possédés en pensée par l'agitation des passions. Ceux-la sont plongés dans des abîmes d'angoisse qui assombrissent la part intellective de leur âme ; ils sont alors incapables d'accéder à la véritable prière, malgré tout leur désir d'y parvenir. Très doux est le rappel pur et constant du nom de Jésus, qui émane du cœur, et conduit à l'illumination indicible'. L'art spirituel.bien Il faut savoir, dit toujours Païssius, que les Pères divins dénomment art cette pratique mentale de la prière. Ainsi Saint Jean Climaque, dans sa vingt-troisième homélie Sur le silence : « Si vous avez maîtrisé cet art, vous savez de quoi je veux parler : Assis dans les hauteurs, observez si vous le pouvez, et vous verrez quand, comment, d'où, en quel nombre et de quelle espèce sont les voleurs qui viennent dérober les récoltes. Gagnée par la fatigue, la sentinelle se relève et prie, puis s'assied à nouveau et reprend son activité première. Saint Hésychius dit à propos de la sainte prière : ' Avoir une intelligence sobre est un art spirituel qui, avec l'aide de Dieu, libère totalement des passions en pensée et en parole ainsi que des actions mauvaises'. Saint Nicéphore le Jeûneur dit aussi : ' Venez à moi et je vous révélerai l'art, ou plutôt la science, de la vie céleste éternelle ; celui qui la mène parvient, sans peine et sans sueur, dans le refuge de l'impassibilité'. Je crois que ces pères parlent de la sainte prière comme d'un art parce que, de même que l'art ne peut s'apprendre que d'un artiste, de même la pratique de la prière du cœur ne peut s'apprendre que d'un père spirituel. Selon Saint Nicéphore, la maîtrise de cette pratique vient à la plupart, voire à tous, par l'apprentissage. A quelques personnes cependant, Dieu l'a révélée sans cet apprentissage, par les épreuves et le zèle de la foi. Apprentissage Saint Syméon le Nouveau théologien, poursuit Païssius, dit à propos de la prière du cœur : ' C'est en gardant le cœur par l'intellect et en adressant notre prière à Dieu du plus profond du cœur que l'attention vraie et sans distraction est atteinte. L'intellect goûte alors combien le Seigneur est bon et ne souhaite plus quitter ce refuge du cœur, disant avec les Apôtres : Il est bon pour nous d'être ici. Dans cette disposition, l'intellect chasse toute pensée semée par l'ennemi'. Plus loin il s'exprime en termes plus précis : ' Assieds-toi dans une cellule silencieuse, dans un coin solitaire et suis attentivement ce que je vais te dire : ferme la porte, détourne de ton intelligence toute distraction et laisse reposer ta barbe sur ta poitrine fixant de ton œil sensible la même ligne que ton intellect. Ralentis ta respiration, afin de ne pas respirer trop librement. Efforce-toi par ton intelligence de déterminer dans ta poitrine la place du cœur, où toutes les puissances spirituelles aiment à se rassembler et où tu vas d'abord trouver des ténèbres et des choses viles interminablement. Mais si tu continues à pratiquer cette action jour et nuit, tu acquerras – ô merveille- la joie permanente. Car dès que l'intellect trouve la place du cœur, il voit ce qu'il n'avait jamais vu : il voit de l'air au milieu du cœur et lui-même est irradié et en pleine réflexion. A partir de ce moment, quelle que soit la provenance de toute pensée, avant qu'elle ne devienne une action ou une idole, l'intellect l'expulse en invoquant le nom de Jésus Christ, et la détruit. Parvenu à ce stade, l'intellect s'oppose au démon ; il élève contre lui une colère naturelle et renverse ses adversaires en les expulsant. Tu en apprendras plus sur la garde du cœur en pratiquant toi-même la prière du cœur' ( Sur les trois formes de la concentration et de la prière). Le vénérable Nicéphore le Jeûneur enseigne avec grande clarté comment faire descendre l'intellect dans le cœur :' Fais d'abord le silence autour de toi, débarrasse-toi de tous soucis et sois en paix avec tous. Retiré dans ta cellule, ferme la porte, assieds-toi dans un coin et fais ce que je te dis. Tu sais qu'en respirant nous inhalons de l'air et nous l'exhalons pour répondre aux besoins du cœur, car le cœur est la source de la vie et de la chaleur du corps. Cet organe capte de l'air afin d'expulser sa chaleur par la respiration et recevoir de l'air frais pour lui-même. Cette activité est effectuée par les poumons qui ont été faits poreux par le Créateur et constamment , comme une fourrure, aspirent et rejettent l'air. Le cœur remplit ainsi la fonction pour laquelle il a été créé, pour le bien-être de l'organisme. Reste donc assis et rassemble ton intellect pour le conduire par la voie qu'emprunte l'air et oblige-le à descendre jusqu'au cœur avec l'air inhalé. Quand il y entre, ce qui arrive n'est pas source de tristesse (…). Il faut, mon frère, entraîner ton intellect à ne pas s'en échapper trop vite, car il est initialement oppressé par cette réclusion et cette mise à l'étroit. Lorsqu'il y est habitué, il ne souhaite plus se trouver ailleurs, car le Royaume des Cieux est en nous. Quand nous le cherchons et le contemplons par la prière du cœur, tout ce qui est extérieur nous paraît laid et détestable. Si donc tu entres immédiatement avec ton intellect dans la place du cœur ainsi que je te l'ai expliqué, rends grâce à Dieu, glorifie-Le et réjouis-toi. Persévère toujours dans cette activité et je t'enseignerai ce que tu ne connais pas. Sache aussi que quand ton intellect est dans cette disposition, il ne doit pas rester vain et inactif, mais doit répéter constamment cette prière : Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi. L'intellect échappe ainsi à l'exaltation de soi, il se rend inaccessible et invulnérable aux traits de l'ennemi et s'élève dans l'amour de Dieu et le désir divin. Si, ayant accompli beaucoup d'efforts, tu ne peux pénétrer le domaine du cœur, fais ce que je te dis, et avec l'aide de Dieu, tu obtiendras ce que tu recherches. Sais-tu que la source de toutes nos pensées se trouve dans la poitrine ? Là justement, même quand notre bouche est close, nous parlons, discutons, disons des prières et faisons toute sorte de choses. Ayant éloigné toute pensée ( à cela tu peux parvenir si tu veux), fais en sorte que cette source du raisonnement dise : Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi. Oblige-toi à dire intérieurement ces paroles seulement, et aucune autre. Si tu persistes pendant un certain temps, l'entrée du cœur s'ouvrira certainement à toi, comme je te l'ai écrit et comme j'en ai fait moi-même l'expérience. Cela te sera accordé avec la concentration douce et tant désirée et avec toutes les vertus : l'amour, la joie, la paix...' Le divin Grégoire du Sinaï enseigne lui aussi : ' Assis depuis le matin sur le bord de ta chaise, fais descendre ton intellect dans le cœur et maintiens-le en cette disposition. Incline-toi vers le sol avec concentration ; la poitrine, les épaules et le cou te feront mal ; répète alors sans cesse de toute ton âme : Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi. Quand la fréquence des paroles répétées deviendra trop astreignante et pénible, voire même perdra de sa douceur – ce qui ne vient pas de la monotonie d'une nourriture toujours identique, car il est dit : Ceux qui me mangent auront encore faim ( Sir. 24.23)- oriente ton intellect vers la deuxième moitié de la prière et dis : Fils de Dieu, aie pitié de moi. Répète ces paroles de nombreuses fois, même si la lassitude ou la paresse gagnent, car les arbres qui sont trop souvent transplantés ne peuvent prendre racine. Contrôle également la respiration de tes poumons, afin qu'elle ne soit pas complètement libre. Car la respiration de l'air qui vient du cœur assombrit l'intellect et l'empêche d'y descendre, dispersant toute pensée. Eloignant du cœur l'intellect, elle le rend captif de l'oubli et le pousse à enregistrer autre chose que ce qu'il devrait ; il devient inapte à capter les sensations comme il devrait. Ne sois pas horrifié ou surpris de voir apparaître les impuretés des esprits malins, sous forme de pensées qui naissent ou sont transformées dans ton intellect. Si la simple compréhension de certaines choses t'apparaît, n'y attache pas d'attention, ralentis ta respiration autant que tu peux et maîtrise ton intellect dans le cœur ; en répétant sans cesse ton invocation au Seigneur Jésus, tu parviendras à les éliminer et à les consumer en les frappant du nom divin. Car Saint Jean Climaque dit : Frappe les combattants avec le nom de Jésus, car il n'y a pas d'arme plus forte sur terre comme au ciel'. Le même saint continue à propos du silence et de la prière : ' Reste assis, sois patient, si tu veux connaître ce que je viens de te dire. Persiste dans la prière et ne te relève pas trop tôt, même si tu te sens affaibli par les douleurs de l'effort, par la supplication mentale et par l'élévation fréquente de l'esprit. Incline plutôt ta tête, rassemble ton intellect dans le cœur et appelle à l'aide le Seigneur Jésus. Si tu ressens des douleurs dans les épaules et des maux de tête, endure tout cela et cherche le Seigneur dans ton cœur, car il t'a été donné de connaître le Royaume des Cieux et qu'on donnera à celui qui a et qu'il sera dans l'abondance ( Mat. 13. 12).' le même Père Saint nous dit quelles formules utiliser : ' Certains Pères disent la prière entière : Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi. Un autre n'en dit que la moitié : Jésus, Fils de Dieu, aie pitié de moi, et celle-ci peut être mieux adaptée à cause de l'état encore infantile de l'intellect et de ses faiblesses ; car personne ne peut prononcer de lui-même en toute pureté et en toute perfection le nom du Seigneur Jésus dans le secret, sans le Saint Esprit (…). Certains enseignent la prière dite par les lèvres et d'autres la prière dite par l'intellect ; je considère que les deux sont nécessaires. Car il arrive que parfois les lèvres, gagnées par le désespoir, se fatiguent de la prononcer, tandis que d'autres fois c'est l'intellect qui se fatigue. Il est nécessaire néanmoins de supplier en silence et malgré tous les obstacles, afin que le discernement de l'âme et la concentration de l'intellect – qui peut être inhibé par la voix- ne cessent pas, jusqu'à ce que l'intellect s'habitue à cet état, réussisse intensément et en toutes circonstances. Il ne lui sera plus nécessaire alors de parler par les lèvres, car celui qui sait prier parfaitement avec l'intellect ne connaît plus d'autre prière.' Des passages que nous venons de citer, il ressort que les Pères offrent un enseignement parfaitement clair pour apprendre la pratique de la prière du cœur. Bien d'autres Pères ont parlé de la prière du cœur, mais sans néanmoins s'exprimer avec une pareille clarté ». Guerre russo-turque ; persécutions Comme Païssius et ses frères travaillent à restaurer la vie monastique en Moldavie selon la tradition authentique de la Sainte Eglise orthodoxe, la région devient à nouveau la scène de grandes violences. En 1768 éclate la guerre entre la Russie et la Turquie. Les habitants de Moldavie et de Valachie sont contraints de s'enfuir pour échapper aux Turcs et aux Tatars. Comme toujours dans leur histoire, ils se réfugient dans les montagnes, au plus profond des forêts. Le monastère de Dragomirna, particulièrement bien protégé, sert encore une fois de refuge pour la population en fuite. Comme c'est l'hiver et que la plupart des réfugiés sont démunis, Païssius fait libérer la moitié des bâtiments du monastère afin de les loger ; les moines sont regroupés à plusieurs par cellule dans les autres bâtiments. Les cuisines et le réfectoire du monastère sont constamment occupés à nourrir les nécessiteux. La guerre dure six ans, jusqu'en 1774, quand les armées russes repoussent les Turcs hors de Moldavie. Mais à peine les troupes russes se sont-elles retirées que Marie-Thérèse d'Autriche s'empresse d'annexer la Bucovine et le nord de la Moldavie, territoire que le sultan lui avait promis en échange de l'aide apportée pendant la guerre avec la Russie. Le prétexte est habile. Ce que l'Autrichienne vise, c'est à établir l'ordre de son empire sur une riche région qui depuis plusieurs siècles accueille les paysans de Transylvanie fuyant le servage imposé par les seigneurs hongrois et saxons et les persécutions contre leur foi orthodoxe. A Dragomirna, Païssius n'est pas tant affligé par les méfaits des guerres que par les pressions que l'Eglise de Rome, utilisant le bras armé de l'Autriche, cherche à exercer sur les chrétiens orthodoxes. Un moine moldave, le Père Jean, rapporte les appréhensions de Païssius face aux Latins : « L'ancien craint tant les hérésies et les schismes qu'il impose le baptême à tous les convertis, de quelque église latine qu'ils viennent. Son zèle est tel qu'après la guerre, comme le monastère de Dragomirna tombe sous l'autorité des autrichiens, il décide de tout abandonner là pour gagner le sud de la Moldavie. Il annonce à ses frères : ' Celui qui veut m'obéir et me suivre, qu'il vienne avec moi. A aucun de vous je ne donnerai ma bénédiction pour rester à Dragomirna !' Pour prévenir ses frères des hérésies et des schismes, Païssius leur conseille de s'en remettre en tout aux très saints Patriarches Oecuméniques d'Orient et de vénérer les zélotes de la piété, le très Saint Photios, Patriarche de Constantinople, et Saint Marc, métropolite d'Ephèse, qui ont eu tous deux à s'opposer au pape de Rome ». Sékoul Païssius et ses frères en appellent au métropolite de Moldavie et au prince moldave Grégoire Ghica, expliquant les raisons qui les obligent à quitter Dragomirna. Le prince, informé du zèle et de la piété de Païssius, lui offre immédiatement de venir s'installer avec ses frères au monastère de Sékoul, dans les montagnes carpates du sud de la Moldavie. Païssius remercie le prince de son aide et, ayant reçu l'autorisation du métropolite, il gagne Sékoul avec un premier groupe de moines. Il laisse en effet à Dragomirna la plupart de ses moines avec un père spirituel moldave et un père spirituel russe. Ceux-ci les rejoindront avec les trésors de leur église une fois le premier groupe arrivé. En octobre 1775, la communauté se trouve à nouveau réunie ; elle compte alors trois cent cinquante frères, novices compris. Le monastère de Sékoul, qui est entouré de hautes montagnes couvertes de forêts, est dédié à saint Jean Baptiste. L'Ancien Païssius et ses frères rendent grâce à Dieu de les avoir menés en un lieu si paisible après les épreuves qu'ils ont traversées. La vie monastique reprend, suivant les mêmes règles qu'à dragomirna : pauvreté, obéissance, confession fréquente et strict attachement à la communauté. Pendant les mois d'hiver, Païssius rassemble tous les soirs ses frères au réfectoire afin de leur lire les textes des Pères et continuer à les instruire dans l'observation des commandements divins, l'obéissance, l'humilité et la crainte de Dieu. Les travaux de traduction reprennent aussi. Païssius a même le projet de fonder une école où serait enseigné aux jeunes moines le grec ancien. En attendant, il envoie ses disciples les plus disposés étudier le grec à Bucarest. Niamets La place cependant manque à Sékoul et il faut construire de nouvelles cellules : certaines sont attachées au monastère, d'autres sont de simples skites isolées en forêt. Comme de nouveaux moines arrivent toujours plus nombreux, Païssius se décide à demander une aide matérielle au prince Constantin qui a succédé à Grégoire. Or ce dernier va au-delà des demandes de Païssius qui désire seulement avoir les moyens de construire de nouvelles cellules à Sékoul. Constantin et ses boyars se mettent au contraire en tête de faire déménager la communauté au célèbre Monastère de Niamets, où se trouve une icône miraculeuse de la Très Sainte Mère de Dieu. Païssius est affligé d'une telle intention qui devient bientôt un ordre. A Sékoul régnait la paix recluse qui convient parfaitement à la vie monastique selon son cœur ; or Niamets est un monastère plus grand, plus riche et il attire de nombreux visiteurs des deux sexes. Païssius craint aussi que son installation à Niamets ne contrarie les quelques moines qui y résident et que la vie de sa communauté n'en soit affectée. Il est particulièrement inquiet de ne pouvoir continuer à instruire et guider ses frères avec toute l'attention qu'il a pu leur prêter jusqu'à présent, d'autant qu'avec l'âge – il a près de soixante ans- ses forces commencent à l'abandonner. Ce qu'il redoute le plus, c'est de n'être plus en mesure de réunir ses frères en assemblée et d'y dénoncer les fautes commises par chacun, sans nommer personne, afin de les encourager à la contrition dans la crainte et le repentir. Païssius annonce donc à Constantin qu'il refuse de s'installer à Niamets, en le priant de ne pas imposer à lui-même et à ses frères des épreuves qui menaceraient leur vie spirituelle. Dans sa réponse, Constantin confirme néanmoins son projet et en appelle à la vertu d'obéissance des frères. Après avoir beaucoup prié et versé des larmes, devant ses frères, Païssius s'en remet à Dieu, citant l'Apôtre Paul : « toute affaire se règlera sur la déclaration de deux ou trois témoins » ( 2 Cor. 13.1). Une copie de la lettre de Constantin est portée au monastère de Niamets, afin que les moines qui y résident sachent que Païssius est conduit à Niamets sous la contrainte et non de son plein gré. Ceux-ci se déclarent immédiatement prêts à recevoir l'Ancien. Après avoir encore prié à l'église et donné sa bénédiction à tous ses frères, Païssius quitte Sékoul pour Niamets la veille de la Fête de la Dormition de la Mère de Dieu. Il est accueilli avec grand respect par trois hiéromoines du monastère qui viennent à sa rencontre, portant les Saints Evangiles et les Saintes Croix, toutes cloches sonnantes. Dès son arrivée, Païssius se rend à l'église où il vénère l'icône de la Très Sainte Mère de Dieu. Après les vigiles, ayant beaucoup prié la Mère de Dieu, il prend quelque repos ; à son réveil, son âme est apaisée. Après la liturgie, Païssius confère avec les supérieurs du monastère à qui il promet de respecter toujours leur volonté. Ceux-ci, au contraire, s'en remettent complètement à Païssius, lui offrant toutes les propriétés du monastère. Alors seulement Païssius confirme au prince Constantin que tous ses frères sont en communion avec ceux du monastère de Niamets et qu'il accepte d'en devenir l'higoumène. Dans sa réponse, Constantin loue Païssius d'avoir fait preuve d'obéissance et il lui demande ses prières, pour lui-même et pour ses sujets. Conjointement avec le métropolite, il confirme également que le monastère de Niamets est exempt de toutes taxes et qu'il recevra l'aide et l'assistance requises pour son bon fonctionnement. Constantin continue ainsi une longue tradition de générosité : dès le XIVème siècle en effet, les princes moldaves assurent la protection des moines qui pratiquent l'hésychasme, en particulier dans une skite dédiée à Saint Jean le Théologien, bâtie sur l'emplacement du futur monastère de Niamets. Païssius et ses frères entreprennent immédiatement la restauration du monastère, construisant de nouvelles cellules et une infirmerie. C'est que pèlerins et moines ne cessent d'affluer à Niamets, certains âgés, malades ou infirmes, venus vénérer les Saintes Icônes et prendre quelque repos. Ils s'en remettent entièrement à Païssius qui les accueille tous, sans distinction de rang ni de condition. Et quand ils décident de repartir, il leur donne sa bénédiction sans les interroger plus au long. Comme l'église de Niamets est dédiée à l'Ascension du Seigneur, la Fête de l'Ascension est l'occasion d'une grande affluence au monastère. Les moines font tous leurs efforts pour accueillir les pèlerins dans les meilleures conditions. Païssius lui-même se met pour quatre jours entiers à la disposition des nécessiteux. Pendant les offices, on entend le chant harmonieux et le credo est chanté par tous les fidèles assemblés. La communauté compte désormais environ quatre cents frères à Niamets. Plus de cent frères sont également établis à Sékoul. C'est Païssius lui-même qui décide qui réside à Niamets et qui à Sékoul. Tous les ans, pour célébrer la Fête de Saint Jean Baptiste, saint patron du monastère, Païssius se rend à Sékoul afin de continuer à instruire ses frères et de s'entretenir avec eux. A Sékoul comme à Niamets, chaque frère reste attaché à un père spirituel qui reçoit la confession des pensées chaque jour, matin et soir. Néanmoins, avec les visites des pèlerins et le nombre accru de frères, la vie communautaire ne peut conserver le caractère régulier qui régnait encore à Dragmirna. En particulier, les lectures du soir au réfectoire ne sont plus pratiquées. Des livres sont requis en plu grand nombre pour assurer l'instruction des frères, et les travaux de traduction, de correction et de copie battent leur plein. Chacun a sa spécialité, sans que soient négligés les travaux manuels comme la reliure, le tissage, la sculpture d'objets en bois. VI Les dernières années et la dormition de Païssius Ultimes travaux de patristiques La charge des deux monastères de Sékoul et de Niamets occupe toutes les journées de Païssius. Il n'a plus que ses nuits pour se consacrer à ses travaux de traduction et de correction des textes des Pères. Dès qu'il est retiré dans se cellule parmi ses livres, toutes pensées de ce monde étant écartées, Païssius aime à dire qu'il retrouve dans le silence la même solitude que celle du désert de Jordanie. Il travaille accroupi sur sa couche, entouré de dictionnaires et de grammaires, avec la Bible en grec et en slavon, un cierge allumé planté au milieu des livres... Païssius achève en 1787 une nouvelle traduction des Homélies de Saint Isaac le Syrien, améliorant sa première traduction de 1770-1771 fondée sur un texte grec incomplet et un manuscrit slavon. Païssius dirige aussi les travaux des moines qu'il a formés, chargés par lui de faire traductions et copies. Il y a alors à Niamets quarante copistes qui assurent la diffusion de manuscrits auprès de nombreux monastères et aussi de pieux particuliers. La bibliothèque du monastère de Niamets comptait en 1905 environ un millier de manuscrits en toutes langues, dont près de trois cents dataient de l'époque de Païssius ; quarante-quatre étaient de sa propre main. En voici la liste : 1. Discours de Saint Antoine le Grand. 2. Ecrits théologiques de Saint Jean Damascène. 3. -5. Saints Basile le Grand, Sur les vœux monastiques ; Sur le jeûne ; Contre Eunome. 6. Extraits sur la Procession du Saint Esprit par Gennade Scholarios, le Patriarche Dosithée de Jérusalem, Saint Marc d'Ephèse, Saint Athanase le Grand, Saint Jean Damascène, le patriarche Euloge d'Alexandrie ; les Confessions de Justinien, et du Patriarche Ephrem d'Antioche. 7. Extraits des ouvrages de Saint Jean Chrysostome, Saint Jean Damascène, Philothée, du Patriarche Sophronius, d'Evagre le Pontique, du Patriarche Germain de Constantinople, de Saint Isaïe l'erite, Saint Grégoire Palamas et Saint Maxime le Confesseur. 8. Homélies de Saint Grégoire le Sinaïte. 9-10. Homélies de Saint Grégoirre Palamas. Du même : Lettre à Xénie sur ceux qui gardent le silence. 11. Saint Diadoque, évêque de Photicée : Chapitres sur la vie active ; 12. Saint Denys l'Aréopagite et autres Pères sur la prière du cœur. 13. Instructions du Saint Abba Dorothée. 14. Vie de Saint Grégoire du Sinaï par Saint Callixte, patriarche de Constantinople. 15. Canons des Saints Apôtres et Pères, d'après les commentaires d'Alexis et d'Arétin de Constantinople. 16. Homélies de Saint Isaac le Syrien. 17 Homélies de Joseph Bryennios avec l'épître du pape Jean de Rome à Saint Photios, Patriarche de Constantinople. 18. Callixte Kataphigiotis : Sur l'union divine et la vie noétique. 19. Canon des douze grandes fêtes : traductions ancienne et nouvelle. 20. L'Echelle de Saint Jean Climaque. 21. Homélies de Saint Macaire d'Egypte. 22. Homélies de Saint Marc l'ascète. 23. Saint Marc d'Ephèse : Homélies sur la procession du Saint Esprit, contre les Latins. 24. Homélies de Saint Nicétas Stéthatos. 25. Ecrits de Saint Pierre Damascène. 26. Réponse des orthodoxes à la violence des catholiques uniates, traduction d'un ouvrage grec imprimé à Halki en 1775. 27. Le Paradis du Patriarche Callixte de Constantinople et Ignace Xanthopoulos. 28. Extraits : sur le baptême, par Saint Denys l'Aréopagite, Saint Maxime le Confesseur ; extraits des canons apostoliques ; Collection ( Syntagma) de mathieu Blastares ; canons des Conciles oecuméniques ; extraits de Saint Jean Chrysostome et de Théophylacte archevêque de Bulgarie. 29. Anthologie : Saint Denys l'Aréopagite, Saint Jean Chrysostome et Saint Théodose le Studite sur la communion ; une épître de Saint Denys l'Aréopagite ; et Saint Théodoret de Cyr sur les Soixante-dix Semaines. 30. Anthologie : textes d'accusation contre les hérésies de Barlaam et Acindyne ; Homélies de Simon le Magistrat et logothèque ; Saint Basile le Grand et Saint Théodore le Studite sur la prière. 31. Anthologie : Synodicon de l'orthodoxie ; Sur les sept conciles oecuméniques ; Homélie du Patriarche Germain sur l'Annonciation de la Très Sainte Mère de Dieu ; Homélies de Saint Jean Damascène sur la Transfiguration, sur la Mise au tombeau, sur la Dormition, sur l'Annonciation et sur la Nativité du Seigneur ; Epiphane de Chypre : Louange de la Très Sainte Mère de Dieu. 32. Saint Hésychius de Jérusalem : Sur la prière ; Saint Antoine le Grand : Discours. 33. La Lumière dans les ténèbres, pour les latins convertis à l'orthodoxie. 34-36. Homélies de Saint Syméon le Nouveau Théologien. 37. Saint Syméon de Thessalonique : Homélie sur le sacerdoce. 38. Martyre du Saint Martyr Anastase le Nouveau qui a souffert dans la ville de Helvin. 39. Tacticon de Nikon de la Montagne noire à Antioche. 40. Saint Philothée du Sinaï : Chapitre sur la sobriété. 41. Centuries de l'Abba Yhalassius de Libye ; Saint Philémon le Reclus sur le silence. 42. Saint Théodoret de Cyr : Commentaire sur le Cantique des cantiques. 43. Homélies de Théodore d'Edesse. 44. Catéchèse de Saint Théodore le Studite. Il est remarquable que beaucoup de ces textes se retrouvent dans la Philocalie de Saint Macaire et de Saint Nicodème, publiée en grec à Venise en 1782 et en slavon à Saint Pétersbourg en 1793. Selon Saint Macaire lui-même, c'est l'Ancien Païssius qui a rendu possible une telle publication, dans un temps si peu favorable à l'orthodoxie, afin que soient redécouvertes les sources vivantes de l'orthodoxie à travers les écrits des Saints Pères. Païssius encourage constamment ses frères à se constituer eux-mêmes des anthologies en recopiant des textes des Pères, de la liturgie et des canons, comme il aimait faire pour lui-même ; Lire des livres de patristique ne suffit pas, dit-il, car le sens n'apparaît pas immédiatement en tous points. L'exercice de la copie oblige, par contre, à appliquer l'attention sur chaque mot. En ralentissant la lecture, la copie permet aussi de mieux s'imprégner du sens du texte. De plus, il est toujours profitable de relire soit seul soit avec d'autres les anthologies ainsi compilées, car seule la lecture assidue montre la voie de l'obéissance, de l'humilité et de l'amour désintéressé. C'est grâce à la lecture enfin que la communauté des frères peut supporter les épreuves et repousser les attaques de l'ennemi. Si vous négligez les livres des Saints Pères, prévient Païssius, notre communauté périra, ainsi qu'a dit le Seigneur : « Il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit retournée » (Mat. 24.2). Les lettres de Païssius Outre les traductions, Païssius consacre beaucoup de son temps à correspondre avec les prêtres et les moines et moniales d'autres monastères qui lui demandent conseil et à qui il répond toujours longuement. Voici un extrait de lettre à la moniale Marie Protasieva, supérieure d'un couvent de Russie centrale, qui demande conseil à Païssius après le rappel à Dieu de son père spirituel : « L'obéissance divine est si essentielle pour vraiment plaire à Dieu qu'il est impossible de le servir sans elle ; C'est pourquoi la sainte obéissance a été instaurée par Dieu en trois lieux : au Royaume des Cieux, chez les premiers habitants du Paradis et sur terre chez les saints disciples et Apôtres du Seigneur. En ces trois lieux sont apparus les fruits de la sainte obéissance ey ceux de la désobéissance. Au Royaume des Cieux, les puissances célestes ayant obéi à Dieu ont été autorisées à résider en lui pour l'éternité dans l'illumination du Saint Esprit. Quant au Malin, bien qu'il appartînt à la tribu des anges, il décida lui-même de s'écarter de l'obéissance par orgueil et il fut rejeté hors du royaume céleste avec les autres puissances qui s'éloignèrent de Dieu en suivant les conseils pervers du démon. Ayant perdu la lumière divine, il devint volontairement ténèbre, ennemi de Dieu et des chrétiens orthodoxes. Au Paradis, tant que les premiers habitants furent vraiment obéissants à Dieu, ils purent bénéficier de la vision de Dieu et des dons du Saint Esprit. Quand, par leur propre volonté, ils eurent cédé aux tentations du Malin, abandonnant l'obéissance et désirant par orgueil devenir égaux à Dieu, ils connurent la mort en se séparant d'avec Dieu et furent expulsés hors du Paradis. Ils sont responsables de la mort de toute la race humaine. Enfin, sur terre, le Christ Fils de Dieu est descendu des Cieux pour faire non pas sa volonté propre mais celle de son Père qui l'a envoyé et à qui il a obéi jusqu'à la mort sur la Croix. Il a transmis son obéissance divine à ses Saints disciples et Apôtres. Ceux d'entre eux qui sont restés dans son obéissance, même jusqu'à la mort, ont par leur enseignement conduit l'univers entier jusqu'à la connaissance de Dieu. Ils règnent maintenant au Royaume des Cieux avec le Christ leur Seigneur et Maître. Judas s'étant éloigné de l'obéissance divine et ayant obéi au démon plutôt qu'au Seigneur s'est pendu de désespoir et a péri pour toujours, corps et âme. Ainsi sont apparus sur terre les fruits de l'obéissance et ceux de la désobéissance. C'est sur cette obéissance divine, introduite sur terre par Notre Seigneur Jésus Christ lui-même, que l'ordre monastique est fondé, qu'il s'agisse du monachisme cénobitique, de deux ou trois moines vivant ensemble ou d'ermites vivant dans le désert. Tous ont en général commencé leur vie monastique dans l'obéissance et ont ainsi évité, avec l'aide de Dieu, les pièges du démon. Celui qui entre dans la vie monastique sans être soumis à la règle de l'obéissance, celui-là est destiné à succomber aux tentations du Malin ; Que Dieu dans sa grâce nous en garde(...) ». A un prêtre uniate qui se pose des questions sur sa foi, Païssius écrit ceci : « (…) La principale erreur des uniates est l'enseignement qu'ils ont pris chez les Romains, selon lequel le Saint Esprit procède du Père et du Fils ; C'est la première et la plus importante de toutes les hérésies, car elle comporte un jugement incorrect, contraire aux Saintes Ecritures, sur Dieu qui est Un dans la Sainte Trinité. Celui qui confesse que le Saint Esprit procède du Père et du Fils suppose en Dieu deux processions : celle qui vient du Père et celle qui vient du Fils. Mais nous autres orthodoxes confessons dans la Trinité la seule procession hors du Père ainsi que le Seigneur Jésus Christ nous l'a enseigné lui-même dans le Saint Evangile : ' Lorsque viendra le Paraclet que je vous enverrai d'auprès de mon Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père, il me rendra témoignage'. (Jean 15.26). Et l'Apôtre Jacques : 'Tout don parfait vient d'en haut, descendant du Père des lumières' (Jacques 1.17). Avez-vous des yeux pour voir ? Il dit : ' Ce Père des lumières', ce qui signifie que le Père est la racine et la source de la Divinité ; et les deux lumières, le Fils et l'Esprit de la lumière unique, le Père, ont une existence pré-éternelle, le Fils étant engendré et le Saint Esprit procédant. « Le divin prophète David dit : 'Les cieux ont été faits par la Parole de Dieu, et toute leur armée par le Souffle de sa bouche' (Ps. 33.6). Avez-vous des yeux pour voir ? Il appelle le Père Seigneur et il appelle le Fils Parole, signifiant qu'il est pré-éternellement engendré par Lui. Il appelle le Saint Esprit l'Esprit ( ou Souffle) de sa bouche, et non 'de leur bouche', signifiant qu'il procède du seul Père. On pourrait trouver bien d'autres preuves dans l'Ancien et le Nouveau Testament qui montrent clairement que le Saint Esprit procède du seul Père et repose dans le Fils, ainsi que cela fut révélé lors du Baptême du Seigneur. « De plus tous les Saints Pères et docteurs oecuméniques qui ont commenté les Ecritures disent d'une seule bouche que le Saint Esprit procède du Père et nulle part ils n'ont écrit qu'il procède aussi du Fils. Si donc les uniates s'alignent sur les Romains dans une telle hérésie, quel espoir d'être sauvés ont-ils, à moins qu'ils ne repoussent ouvertement une telle hérésie et s'unissent à nouveau à la sainte Eglise Orthodoxe d'Orient ? « Ne vous laissez pas retenir par des biens matériels ou par vos proches s'ils ne veulent pas vous écouter, car il vous faut sauver votre âme de la perdition; il n'y a en effet rien de plus précieux que l'âme pour laquelle le Christ a donné sa vie. Mais quand vous vous éloignerez, ne revenez pas en vous-même en pensant aux possessions périssables que vous abandonnez ; mieux vaut vivre dans la pauvreté que de blasphémer le Saint Esprit comme font les uniates. Quittez les uniates aussi vite que possible, au risque que la mort ne vous surprenne et ne vous fasse compter parmi les hérétiques et non parmi les chrétiens. Ne vous contentez pas de vous éloigner : conseillez aussi aux autres de faire de même, si vous pensez en conscience qu'ils vous entendront. Et s'ils ne vous entendent pas, libérez-vous des rêts de l'ennemi et soyez uni de cœur et d'esprit à la sainte Eglise Orthodoxe ; ainsi, avec tous les croyants fermes dans la foi et respectueux des commandements en Christ, vous pourrez être sauvé ». Dans une longue lettre d'instructions à de pieux fidèles qui l'interrogent sur les voies du Salut et le sort des schismatiques qui ne respectent pas les traditions et les dogmes de la Sainte Eglise, Païssius répond ceci : « Vous me demandez s'ils peuvent espérer être sauvés, au oins pour leurs bonnes actions, et si un prêtre peut les absoudre par la confession et leur donner la Sainte Comunion. Et vous me demandez une réponse qui fasse autorité!Ma réponse est qu'il peut exister deux types de schismes : l'un quand quelqu'un est schismatique et l'autre quand quelqu'un entraîne d'autres dans le schisme en les éloignant de l'Eglise par des paroles malignes. Celui qui est dans le schisme, quand bien même il aurait accompli beaucoup de bienfaits et même s'il avait versé son sang comme Martyr du Christ, ce qui surpasse toute œuvre bonne, celui-là ne saurait expier le péché mortel qu'est le schisme. Si un homme ne peut espérer expier un schisme, même par le martyre, comment peut-il espérer être sauvé ? Et comment un prêtre peut-il l'absoudre par la confession sans qu'il ne réintègre sincèrement l'Eglise ? Comment un prêtre peut-il l'admettre à la communion ? Ceci est absolument impossible et va contre la vérité de la Sainte Eglise de Dieu. (…) « Vous me demandez aussi si un concile dans l'Eglise d'Orient a jamais levé un anathème. Et je vous réponds : un tel concile peut-il exister qui ne serait pas opposé à Dieu et à la Sainte Eglise, qui serait rassemblé pour occulter la vérité et confirmer l'erreur ? Un tel concile ne peut exister. Vous me demandez si des évêques peuvent lever un tel anathème sans que le concile des évêques et des patriarches n'en ait connaissance et n'y consente. Et je vous réponds que cela est impossible. Gardez en esprit que tous les évêques reçoivent la même grâce du Saint Esprit quand ils sont consacrés et qu'ils sont chargés de prendre précieusement soin de la foi orthodoxe pure et immaculée. Ils doivent aussi préserver les traditions apostoliques et les règles des Saints Apôtres, des Conciles oecuméniques et locaux et des Saints Pères qui tous forment la sainte Eglise universelle et Apostolique. Les évêques n'ont pas reçu du Saint Esprit l'autorité pour contraindre, suivant l'ordre institué par les Saints Apôtres de la Sainte Eglise. Les évêques n'ont pas reçu du Saint Esprit l'autorité pour détruire les traditions apostoliques et les règles de l'Eglise. Ni les évêques ni les patriarches ne peuvent donc lever un anathème qui aurait été mis sur les opposants de l'Eglise, en accord avec les Saints Conciles ; Quiconque s'y emploierait irait contre Dieu et la Sainte Eglise. (…) « Dans votre dernière question vous me demandez comment être sauvés tout en vivant dans le monde avec femme et enfants ? Comment parler du Salut en quelques mots, Je voudrais seulement vous donner le conseil de lire avec zèle les Saintes Ecritures et aussi les écrits des Pères, car à eux il fut donné de comprendre les mystères du Royaume des Cieux, c'est-à-dire de comprendre le vrai sens des Saintes Ecritures. Dans leurs enseignements vous trouverez toutes les instructions nécessaires au Salut de l'âme. Ils aident tous ceux qui recherchent le Salut en accomplissant les bonnes œuvres et en s'éloignant de ce qui déplaît à Dieu. (…) Dieu dans sa grande bonté sauve les âmes des chrétiens orthodoxes par la foi orthodoxe, les bonnes œuvres et la Grâce divine. La foi orthodoxe est celle qui est contenue dans l'Eglise Une, Sainte, Catholique et Apostolique et sans cette foi, il est impossible à quiconque d'être sauvé. Les bonnes œuvres sont les commandements de l'Evangile sans lesquels il est également impossible à quiconque d'être sauvé. La foi orthodoxe sans les œuvres est une foi morte, et les œuvres sans la foi orthodoxe sont des actes morts-nés. Quiconque veut être sauvé doit unir les deux et de cette manière, par la Grâce du Christ-Dieu qui a dit ' Sans moi, vous ne pouvez rien faire', celui-là peut essayer de gagner son Salut. Il faut savoir que le Christ Notre Sauveur demande à tous les chrétiens orthodoxes de faire le bien, qu'ils soient moines ou laïcs vivant dans le monde avec femme et enfants ; il exige d'eux la pratique zélée de ses commandements ; ceux qui les violent et ne se repentent pas seront sans défense et ne pourront soutenir l'éclat terrible de Son Second Avènement. (…) Les commandements de l'Evangile, du moins les plus importants d'entre eux, sont si nécessaires au Salut que si l'un d'entre eux n'est pas suivi, l'âme ne peut être sauvée. Ceux-ci concernent l'amour de Dieu et du prochain, la douceur, l'humilité, la persévérance, le pardon sincère, l'absence de jugement, l'absence de haine envers le prochain, l'amour des ennemis (…). De plus, les chrétiens orthodoxes doivent respecter tous les commandements de l'Eglise (...) ». Dernières années En 1790, la Moldavie est à nouveau troublée par la guerre qui oppose la Russie et l'Autriche à la Turquie. Les troupes autrichiennes et turques traversent à plusieurs reprises le village de Niamets, chassant la population effrayée dans les montagnes alentour. Jamais pourtant le monastère n'est vraiment menacé. Avec l'arrivée de l'armée russe conduite par le prince Potemkine, les turcs se retirent et la paix est restaurée. Comme le prince est accompagné de l'Archevêque Ambroise, originaire de Poltava, celui-ci exprime le désir de rencontrer l'Ancien Païssius à Niamets. L'archevêque est reçu avec grand respect au monastère. Après y avoir célébré la sainte liturgie, il élève le Starets Païssius au rang d'archimandrite. Comme Païssius est de plus en plus faible, il n'est bientôt plus capable de recevoir ses frères et les visiteurs que pendant les premières heures du jour. Le reste de la journée est consacré au travail solitaire et à la prière. Seuls les confesseurs du monastère peuvent interrompre sa retraite pour s'entretenir avec lui. Vers cette époque un pèlerin de Grèce qui a rencontré l'Ancien Païssius le décrit ainsi : « Pour la première fois de ma vie, j'ai vu la sainteté incarnée et non dissimulée. J'ai été impressionné par son visage lumineux et pâle, exsangue, par sa longue et abondante barbe, brillante comme de l'argent, par la propreté de ses vêtements et de sa cellule. Sa parole est douce et sincère (…). Il a l'air d'un homme totalement détaché de la chair ». Quand Païssius sent que ses derniers jours sont proches, il décide de ne plus entreprendre de nouvelles traductions, afin de se consacrer à la correction des travaux déjà entamés. Nous sommes en 1794 et Païssius est âgé de 72 ans. Le 5 novembre, Païssius devient très faible et pendant quatre jours il est contraint de rester allongé dans sa cellule. Comme son état s'améliore le dimanche suivant, il peut se rendre à l'église pour participer à la divine liturgie et recevoir la sainte communion. Après l'office, il donne sa bénédiction à la communauté assemblée. Il est alors à nouveau si faible qu'il doit être transporté à sa cellule où il est veillé et soigné par deux de ses frères. Il ne souhaite désormais plus recevoir personne, afin de demeurer dans le silence. Le quatrième jour, le 15 novembre 1794, après avoir reçu la sainte communion, Païssius appelle auprès de lui les deux pères confesseurs du monastère, Sophronius le Russe et Sylvestre le Moldave. Il leur confie pour la communauté de tous ses frères un message de paix et leur donne sa bénédiction. Aucune recommandation n'est faite pour le choix de son successeur. A la tombée du jour, l'Ancien Païssius s'endort dans la paix du Seigneur. FLEURS SPIRITUELLES Bref exposé des pensées qui disposent au repentir Souviens-toi, mon âme, de ce prodige redoutable et terrifiant : par amour pour toi, ton Créateur s'est fait homme, et Il a daigné souffrir pour ton Salut. Ses anges tremblent, les Chérubins sont saisis d'effroi, les Séraphins sont dans la crainte ; toutes les puissances célestes Le célèbrent sans fin ; et toi, malheureuse âme, tu te complais dans la paresse. Mon âme bien-aimée, relève-toi dès à présent et ne diffère pas le saint repentir, la contrition du cœur et la pénitence de tes péchés. Si tu remets d'année en année, de mois en mois, de jour en jour, tu ne pourras bientôt plus désirer de tout ton cœur la pénitence et personne ne compatira sur toi. Quelle torture alors ce sera d'essayer de te repentir, sans y parvenir ! Si tu peux faire le bien aujourd'hui, ô mon âme bien-aimée, ne renvoie pas à demain la sainte repentance car tu ne sais ce que ce jour te donnera ni ce qui peut 'arriver cette nuit même. Tu ignores ce que le jour ou la nuit t'apporteront ; tu ne sais si une longue vie est devant toi, ou si tu vas, au contraire, trouver de façon soudaine et inattendue une mort rapide et misérable. Le temps est venu, mon âme bien-aimée, de faire preuve de patience, d'endurer les peines, de respecter les commandements et d'être vertueuse ; le temps est venu de gémir dans le deuil et de goûter la douceur des larmes. Mon âme, si tu veux vraiment être sauvée, aime les peines et les soupirs autant que tu as jadis aimé la tranquillité ! Vis comme si tu mourais chaque jour ; ta vie aura bientôt passé comme l'ombre d'un nuage devant le soleil et tu seras oubliée. Chaque jour de notre vie paraît s'évanouir dans l'atmosphère. Ainsi donc, que rien ne t'arrête, même les plus grandes épreuves. A propos de nos semblables : ne parlons pas de nos peines, qu'elles soient déraisonnables ou même qu'elles soient sensées, et ne nous abandonnons pas au chagrin ; ne nous laissons pas distraire et ne nous dérobons pas ; considérons que nous sommes comme de la poussière sous les pieds des autres. Nous ne pouvons être sauvés autrement, ni échapper aux tourments éternels ; car notre vie passe comme un seul jour, pour s'achever bientôt. Celui qui ne meurtrit pas son âme dans la vertu et ne sacrifie pas sa vie au respect des commandements divins et de la tradition des Pères, celui-là ne peut être sauvé. Mon âme bien-aimée, souviens-toi de tous les saints : Apôtres, Martyrs et Prophètes, Hiérarques, Justes et Saints, Moines et Fols en Christ et tous ceux qui dans tous les siècles ont plu à Dieu. Où sont les Saints qui n'ont pas soumis la chair à l'esprit ou qui n'ont pas souffert de grandes calamités ou de cruelles afflictions ? En abondance ils ont reçu leur lot quotidien d'infortunes. Ils ont connu la faim et la soif ; ils ont veillé et prié jour et nuit;ils ont gardé l'humilité avec un cœur contrit ; ils ont été sans arrière-pensées, tels des enfants, remplis de pitié ; ils sont venus en aide à ceux qui étaient dans les souffrances ou dans le besoin, ils ont fait des dons et des aumônes, autant qu'ils le pouvaient. En un mot, ils avaient toutes les vertus et aimaient d'un amour désintéressé. Ils ne faisaient pas à autrui ce qu'ils ne voulaient pas qu'on leur fît. Ils étaient tout d'obéissance, tels des serviteurs soumis, au service non pas d'un homme mais de Dieu, avec une simplicité vraie et pleine de sagesse, uniquement tournée vers le Salut. O homme ! La mort est là devant toi. Si tu te donnes de la peine, tu seras récompensé dans le futur par la vie éternelle. C'est en se forçant soi-même qu'on acquiert la vertu. Si donc tu veux maîtriser tes passions, finis-en avec 'amour des plaisirs ; si tu cherches constamment à te nourrir, ta vie ne sera faite que de passions. L'âme ne sera humiliée que si le corps est privé de pain. Il est impossible de sauver l'âmede la perdition tout en autorisant au corps ce qui lui plaît. Commençons par le commencement. Mon âme, si tu désires être sauvée et suivre le chemin des épreuves que je viens de décrire, si tu veux entrer au Royaume des Cieux et atteindre la vie éternelle, commence par purifier ton corps, goûte à l'amertume volontaire et souffre les plus grandes peines, ainsi que tous les Saints ont fait et enduré. Quand un homme se roidit et se commande à lui-même d'endurer les pires épreuves par amour pour Dieu, dès lors toutes les peines, les souffrances et les attaques des hommes et des démons lui paraissent légères et ne l'affectent pas. Il ne craint pas la mort, et rien ne peut le séparer de l'amour du Christ. Sais-tu, mon âme bien-aimée, comment les Saints Pères ont mené leur vie ? O mon âme ! Imite-les au moins quelque peu. N'ont-ils pas versé des larmes ? Pauvre de toi, mon âme ! Leur corps n'a-t-il pas connu affliction, maigreur et épuisement ? Pauvre de toi, mon âme ! N'ont-ils pas souffert les maladies du corps, ne se sont-ils pas lamentés avec larmes sur les blessures de l'âme ? Pauvre de toi, mon âme!N'ont-ils pas été vêtus du même corps infirme que nous ? N'ont-ils pas désiré la tranquillité facile et pleine de douceurs de ce monde, de même que le repos du corps ? Oui, ils ont désiré cela, et leurs corps en vérité furent affligés ; mais ils ont changé leur désir en patience et remplacé leur chagrin par la joie à venir. Séparés de tout une fois pour toutes, ils se considéraient comme morts, et ils étaient sans pitié envers eux-mêmes, dans leur lutte spirituelle. Vois-tu, mon âme, combien les Saints Pères se sont donnés de peine, refusant tout repos et endurant toutes sortes d'épreuves ? Ayant soumis la chair à l'esprit et suivi tous les commandements divins, ils ont été sauvés. Mais toi, âme misérable, tu ne cherches assurément pas à te contraindre ; tu défailles aux plus légères épreuves ; tu te laisses abattre sans te rappeler l'heure de la mort ni pleurer sur tes péchés ; car tu as pris l'habitude, âme pitoyable, de manger et de boire à satiété et de vivre dans l'indolence. Ne sais-tu pas que tu es appelée à la mortification volontaire ? Mais tu es incapable de rien endurer ! Comment donc peux-tu espérer être sauvée ? Dès maintenant, donc, relève-toi, mon âme bien-aimée, et fais ce que je te dis. Si tu ne peux faire tout ce que les Saints Pères ont fait, commence au moins, selon tes propres forces. Sers chacun avec humilité et simplicité de cœur. Reconnais ton infirmité et, avec humilité, répète ceci : « Pauvre de toi, âme misérable ; pauvre de toi, vile âme ; pauvre de toi, âme souillée, indolente, négligente, endormie et cruelle ; pauvre de toi, qui a péri ». Et ainsi, progressivement, l'âme va s'attendrir ; ayant versé beaucoup de larmes, elle reviendra à elle, et se repentira. La lutte contre le découragement, l'indolence et les faiblesses Quand on est pris par le découragement ou l'indolence, il faut penser à la mort. Porte-toi mentalement à la fosse. En voici un qui est mort depuis quatre jours, regarde comme il devient sombre, boursouflé ; il en émane une odeur nauséabonde, les vers commencent à le ronger ; il a perdu tout attrait et toute beauté. Porte maintenant ton regard ailleurs : dans ces fosses reposent les ossements de jeunes gens et de vieillards, certains très beaux, certains très laids ; et maintenant demande-toi lequel était beau, lequel était laid ? Lequel a jeûné, a été continent, ascétique ; lequel a été sans attention ? Quel bénéfice ont eu les hommes riches à jouir dans ce monde de la tranquillité et des plaisirs ? Rappelle-toi alors les tourments sans fin dont parle les Livres Saints : les feux de la géhenne, les ténèbres extérieures, les grincements de dents, le tartare infernal, le ver qui ne dort point. Pense aux pécheurs qui versent des larmes amères, et que personne ne soulage. Ils se lamentent et pleurent sur eux-mêmes, et personne ne les prend en pitié. Ils gémissent du plus profond de leur cœur mais n'inspirent nulle compassion. Ils appellent à l'aide, se plaignent de leurs peines, mais personne n'a souci d'eux. Réfléchis à la manière dont chaque être créé sert sans faillir le Seigneur son Créateur. Pense aux très nombreux miracles que Dieu accomplit sur Ses esclaves depuis le commencement du monde ; en particulier pense au Seigneur qui s'est humilié et qui a souffert pour nous sauver, qui a apporté le bien et a sanctifié la race des hommes. Pour tout cela rends grâce à Dieu, l'ami des hommes. Rappelle-toi la vie à venir qui est sans fin ainsi que le royaume des cieux, repos et joie inexprimables. Sois ferme, ne néglige pas la prière de Jésus. Si tu gardes tout cela présent à l'esprit, alors le découragement, l'indolence et les faiblesses disparaîtront, et ton âme reviendra à la vie, par la Grâce du Christ. Instructions pour accéder à la contrition, éloigner l'orgueil et l'élévation de soi et convertir l'âme aux larmes Si tu veux accéder à la contrition, il est très doux et très profitable à l'âme de porter attention à cette instruction sur l'exode de l'âme. Aujourd'hui, ô homme, tu te réjouis de la beauté, du charme, de la gloire, et ta vie se répand en vaines apparences, espérant passer ainsi heure après heure, jour après jour, mois après mois, année après année. O homme, ta vie s'achève à tout moment ! La vie passe ; le temps s'écoule petit à petit ; le trône très redoutable du Seigneur est préparé ; le juge suprême s'avance. O homme ! Le jugement est proche, à la porte ; attends-toi à entendre une senence redoutable. Le fleuve de feu, bouillant, avance dans les crépitements et les étincelles. Des supplices effrayants se font entendre, prêts à torturer les pécheurs. O homme ! Travaille, donne-toi de la peine, acharne-toi. Aucun héraut ne viendra t'annoncer l'approche de la mort ! La récompense des Saints, toi aussi, tu peux la recevoir ; pour les justes, des couronnes sont préparées ; le Royaume des Cieux est ouvert à ceux qui ont peiné et ont enduré les épreuves ; le repos éternel est à portée de main et une joie inexprimable se prépare. Ce que Dieu a préparé pour ceux qui L'aiment, l'oeil ne l'a pas vu, l'oreille ne l'a pas entendu, et cela n'est pas monté au cœur de l'homme. O homme ! As-tu entendu parler des supplices, pourquoi ne trembles-tu pas, et n'es-tu pas saisi de crainte ? O homme ! As-tu ouï parler de la joie sans fin ? Pourquoi ne t'acharnes-tu pas ? Pourquoi gaspilles-tu les jours de ta vie dans le tumulte et la vanité ? Tu ne trouveras pas d'autres jours plus tard, même si tu cherches dans les larmes. O homme ! Quand bien même tu vivrais dans ce monde cent ans, mille ans, engraissé comme un veau et lustré comme un renard, lorsque la fin terrible – la mort- arrivera, ta vie sera comme si elle avait duré un jour ; la satiété et les belles apparences disparaîtront comme disparaissent les fleurs des champs, sans laisser de traces. O homme ! De la naissance à l'âge mûr et à la vieillesse, ta vie est comme un seul jour qui s'achève très vite et de façon inattendue. O homme ! Demande-toi ceci : où sont tes grands-parents et tes arrières-grands parents, où sont ton père, ta mère, tes frères, ta famille et tes amis ? N'ont-ils pas tous quitté cette vie ? N'auraient-ils pas tous souhaité vivre un peu plus longtemps dans ce monde pour jouir des plaisirs, se parer et se divertir ? Mais vois plutôt : ils ont été emportés malgré leur propre désir ; Rappelle-toi que tu es terre, que la terre te nourrit, et que tu retourneras à la terre : ta chair se décomposera et pourrira, elle sera mangée par les vers et tes os se réduiront en poussière. Garde à l'esprit les jours de l'éternité, et les années des générations passées. Combien de rois et de princes ont vécu dans les plaisirs et les magnificences ? En quoi cela les a-t-il aidés lorsqu'ils ont quitté cette vie éphémère ? Que sont alors devenus plaisirs et magnificences ? Car ils sont maintenant terre et cendres ! Combien de jeunes gens forts, riches, courageux, éclatants de jeunesse et de beauté y a-t-il eu dans ce monde ? En quoi leur force robuste et la fleur de leur jeunesse et l'éclat de leur beauté les ont-ils aidés ? C'est comme si rien de tout cela n'avait existé. Il a existé des hommes de toute espèce, par milliers et par milliers, par dizaines de milliers, autant que le sable de la mer ; et ils ont tous quitté cette vie. Certains, qui n'avaient aucune idée de l'heure de leur mort, ont été emportés de façon inattendue, alos qu'ils se tenaient debout ou assis. Certains étaient en train de manger ou de boire ; d'autres sont morts subitement en voyage ; d'autres encore, qui s'étaient allongés pour trouver un peu de repos dans un sommeil rapide et passager, se sont endormis pour toujours. Certains enfin ont connu l'agonie à leur dernière heure et ont été témoins de visions effrayantes, dont la seule description nous cause une terreur sans borne. Et il y a tant d'autres morts soudaines ! Malheur à toi ! Comme l'âme se lamente à l'approche de la mort, levant les yeux vers les anges, tendant les bras vers les hommes, implorant la pitié – mais elle ne reçoit aucune aide ! Quelle vanité de l'homme, en vérité ! Malheur à toi ! C'est une chose terrible et effrayante que l'âme soit séparée du corps par la force. L'âme s'en va dans les lamentations et le corps est abandonné à la terre. Tous les espoirs mis dans la vanité, le charme, la gloire et les plaisirs des choses terrestres sont alors réduits à néant. Malheur à toi ! La séparation de l'âme se fait dans les larmes et les lamentations, dans les gémissements et l'affliction ! Malheur à toi ! Ce chemin que nous parcourons avec le corps pour compagnon est très court. La vie n'est que fumée, vapeur, saleté, poussière, cendres, puanteur ; Comme la fumée se disperse au vent, comme la fleur des champs décline et se fane, comme le cheval file au galop, comme l'eau s'écoule, comme le brouillard monte de la terre, comme la rosée du matin s'évapore, ou comme l'oiseau fuit à tire-d'aile, ainsi passe la vie dans ce monde. Comme le vent, le temps s'enfuit et les jours de notre vie arrivent à leur terme. Mieux vaut tenir bon plus longtemps et accepter avec amour des épreuves très pénibles dans ce monde plutôt que de se complaire dans mille ans de réjouissances, pour gagner un seul jour du monde à venir. Car le chemin de notre vie sur terre est très court ; il n'apparaît que pour quelque temps, et puis il disparaît. En vérité tout ce qui est agréable, beau et glorieux dans ce monde n'est que vanité et corruption. Car ces choses passent, telle une ombre, et elles sont dans ce monde comme dans un rêve. Celui-ci est en vie, et bientôt il est mort ; aujourd'hui il est parmi nous, et demain il est dans la tombe. Malheur à toi ! Comme les hommes nés sur cette terre se tracassent en vain ! Nous changeons tous et nous mourrons tous : rois et princes, juges et seigneurs, riches et pauvres, tous tant que nous sommes. Aujourd'hui il se réjouit avec nous, il participe à tous les plaisirs et prend soin de lui-même, et demain nous pleurons tous sa mort, dans le deuil et les larmes. O homme ! Viens à la tombe. Contemple celui qui gît. Il n'est pas glorieux, il a perdu sa prestance et sa beauté. Il est tout boursouflé et il commence à empester ! La chair pourrit et se corrompt ; elle est rongée par les vers ; les os apparaissent et le corps est réduit en poussière. Malheur à toi ! O âme pécheresse, quelle vision effrayante ! Malheur à toi ! Toi qui fus enrichie des sens de l'âme et du corps, créée pleine de sagesse, il n'y a plus en toi ni splendeur, ni prestance, ni beauté. Comment la beauté du corps et la jeunesse splendide ont-elles disparu ? Où est le visage souriant, où sont les yeux qui brillaient, Où est la langue éloquente d'Aristote, Où est le souffle, où est la voix douce et agréable ? Où sont les beaux discours de la sagesse, la démarche altière ? Où sont les rêves, les désirs et les vains soucis, Tout cela a disparu et est mangé des vers. Vois : il en sort de la bouche et des narines, d'autres sortent des yeux et des oreilles, d'autres des intestins ; tout n'est qu'horreur et puanteur. Malheur à toi ! Contemplant la poussière de la tombe, demandons-nous : « Lequel est roi et noble, lequel est pauvre ? Lequel est maître, lequel esclave ? Lequel a connu la gloire, lequel l'ignominie, lequel est sage, lequel fou ? Où sont passés la beauté et les plaisirs de ce monde ? Où sont passées la puissance et la sagesse de cet âge ? Que sont devenus les rêves et les charmes éphémères ? Qu'est devenue la richesse vaine et corruptible ? Où sont les ornements d'or et d'argent ? Où sont les armées d'esclaves prêtes à obéir ? A quoi bon les soins pris dans ce monde ? Il ne reste rien de tout cela. L'homme a tout perdu. » Malheur à toi ! C'est en vain que les hommes nés sur cette terre se tracassent ; Je te regarde dans la tombe et je me mets à trembler et à verser des larmes de tout mon cœur. O mort cruelle et sans pitié ! Qui peut t'échapper ? Tu dissous la race des hommes comme du blé vert. Ainsi donc, frères, ayant pris conscience de la brièveté de notre vie et de la vanité de ce temps, tenons-nous prêts pour l'heure de la mort ; quittons le tumulte de ce monde et des soucis inutiles ; car ni les richesses, ni la gloire, ni les plaisirs ne seront avec nous après la mort ; rien de tout cela ne descendra avec nous dans la tombe. Seules les bonnes actions nous accompagneront, et nous défendront. Nous étions nus à la naissance, et nous partirons nus. Entendant cela, il ne devrait pas nous suffire de rester assis en silence dans notre cellule, de garder notre langue, de prendre soin de notre âme et de nous lamenter sur nos péchés dans la prière : nous devrions nous cacher sous terre pour pleurer nos péchés tant que nous sommes encore en vie, et vivre en luttant jusqu'à la mort pour l'amour de Dieu. Nous savons que nous devons bientôt mourir ; quittons donc avant la mort ce corps corruptible, puisqu'après la mort, il restera corruptible jusqu'au Jour où le Seigneur Dieu nous ressuscitera d'entre les morts et nous accordera la vie immortelle dans le Royaume éternel. Amen. La Grâce de Dieu : comment peut-on savoir si l'on a acquis la Grâce parfaite ? Là où il y a la Grâce, source de vie, là aussi les bonnes actions viennent du cœur. Quand on est visité par le Saint Esprit, toutes les tâches deviennent aisées, la prière émane du cœur sans discontinuer et les yeux sont continuellement inondés de larmes ; Cela s'accompagne de clarté spirituelle et de réflexion pure et calme, car c'est alors le Saint Esprit qui agit en nous. Quiconque s'adonne aux passions suscite en lui-même de ouvelles passions ; il permet ainsi à l'esprit malin de s'emparer de son âme et de la rendre sombre et pesante. Quant à savoir qui est Saint, c'est-à-dire qui fait l'expérience de telles manifestations de la Grâce, on peut répondre ceci : est Saint celui qui a de façon irréprochable respecté et suivi les commandements, a maîtrisé les passions et renoncé à tous plaisirs. Quel est celui qui a renoncé à tous plaisirs ? Celui qui a complètement renoncé à l'amour de soi dans toute la mesure de ses moyens ; celui qui, dès cette courte vie , a commencé à se haïr lui-même pour accéder au Royaume des Cieux et à la vie éternelle ; celui qui a acquis une foi inébranlable ; celui qui, dans la peine et le besoin, s'en remet à Dieu fermement et complètement. Cet homme-là est véritablement Saint et dénué de passions. Sur les sens de l'âme et du corps, les vertus et la manière dont elles se succèdent Avec la création de l'homme, l'amour de Dieu envers la race humaine s'est manifesté de façon inexprimable et inappréciable car Dieu a doté l'âme et le corps de divers sens. Les sens de l'âme sont : la vue, l'odorat, l'ouïe, le goût, le toucher. En utilisant les uns et les autres de ces sens, nous pratiquions les vertus de l'âme et du corps. Le Christ notre Dieu a approuvé l'écriture de livres qui permettent à l'homme de raisonner justement et de s'instruire dans la crainte de Dieu, par quoi commence la sagesse spirituelle ; la crainte de Dieu engendre la foi ; la foi engendre l'espérance ; l'espérance engendre l'amour de Dieu et des hommes ; l'amour engendre la patience et bien d'autres vertus ; la patience engendre l'obéissance et toutes vertus ; l'obéissance engendre la confiance ; la confiance conduit au jeûne, le jeûne à la purification et au silence ; le silence fait naître la continence, la prière, les larmes, la veille, les lamentations, la vigilance, la tempérance ; il ôte de notre bouche les paroles mauvaises. Les lamentations conduisent au détachement de toutes choses ; le détachement de toutes choses conduit à la droiture et éloigne de toute dispute. La prière donne naissance à la compréhension, à la tranquillité de l'esprit, aux larmes, à la joie, à l'humilité du cœur et à la douceur. L'humilité donne naissance à une sagesse humble, à la solitude ; une sagesse humble éloigne de l'orgueil, de la vanité et fait pousser les fruits spirituels. Par ces vertus, toutes les passions de l'âme et du corps sont annihilées et, progressivement, la Grâce gagne en nous. Ces vertus sont indispensables à tous ceux qui ont un corps en bonne santé et qui sont soumis aux passions de la chair. Sur les grandes vertus primordiales : La foi La première vertu est la foi car, dit le Seigneur, c'est la foi qui permet de déplacer les montagnes et qui accorde aux hommes ce qu'ils cherchent. Chacun de nous est fortifié par la foi, dans nos actes glorieux et magnifiques. C'est par notre volonté propre que la foi croît ou décroît. Sur l'amour La seconde vertu est l'amour désintéressé envers Dieu et les hommes. L'amour rassemble toutes les vertus et les relie entre elles. Grâce à l'amour seul, la loi est respectée et une telle vie est celle que Dieu aime. L'amour consiste à sacrifier sa propre vie pour celle d'autrui et à ne pas faire aux autres ce qu'on ne voudrait pas pour nous-mêmes. C'est par amour que le Fils de Dieu est devenu homme. Celui qui aime est proche de Dieu, car là où il y a l'amour, là aussi se trouve Dieu. Sur le jeûne La troisième vertu est le jeûne. Par jeûne j'entends le fait de manger modérément une seule fois par jour. Lève-toi de table en restant sur ta faim, après avoir pris un peu de nourriture, du pain, du sel et bu de l'eau. Pour te nourrir, suis la voie royale, celle par laquelle beaucoup ont été sauvés, voilà ce que nous disent les Pères. L'homme n'est pas toujours capable de se passer de nourriture pour un, deux, trois, quatre, cinq jours, ou une semaine. Mais en ce qui concerne la nourriture et la boisson quotidiennes, on peut toujours agir ainsi : même après avoir mangé, il faut toujours rester sur sa faim, afin que le corps soit soumis à l'esprit et apte au travail et à l'acuité intellectuelle. Ainsi sont maîtrisées les passions du corps. On ne mortifie pas les passions du corps par un jeûne total aussi bien que par l'absorption de juste un peu de nourriture. Certains jeûnent pendant un certain temps, puis s'offrent des festins délicieux. Beaucoup entament un jeûne qui est au-delà de leurs forces ; ils s'affaiblissent à cause de ce manque de mesure et des épreuves excessives qu'ils s'imposent et ils vont bientôt rechercher les mets fins et le repos pour raffermir leur corps. Ceux qui agissent ainsi ne font que construire pour ensuite détruire ce qu'ils ont construit, car le corps éprouvé par le jeûne aspire aux douceurs et cherche consolation ; or ce sont les douceurs qui suscitent les passions. Si par contre chacun détermine pour lui-même la quantité de nourriture toute simple à absorber chaque jour, il en tirera grand profit. Toutefois, en ce qui concerne la quantité, la règle doit respecter ce qui est nécessaire à l'entretien du corps. Le travail spirituel peut alors être mené à bien. Quiconque jeûne au-delà de ses forces va bientôt abandonner pour se reposer. Il n'y a pas d'ascèse sans mesure ; la conjonction de l'une à l'autre est sans prix. Certains des Pères aussi mesuraient leur nourriture ; chaque chose venait en son temps, et tout était mesuré – les épreuves de l'ascèse, les besoins du corps, les biens possédés en cellule. Tout était fait au moment opportun, selon une règle précise et réaliste. Les Saints Pères n'imposent donc à personne d'entamer un jeûne qui ne pourrait être tenu et qui ne conduirait qu'à affaiblir le corps. Fixe-toi la règle de manger tous les jours ; tu pourras alors te restreindre plus fermement. Si quelqu'un s'impose immédiatement un jeûne plus sévère, comment pourra-t-il ensuite s'abstenir de manger à satiété et de trop manger ? C'est impossible. Entamer un jeûne de façon aussi excessive, c'est faire preuve de vanité, ou ne rien comprendre à la continence qui est une des vertus qui doit aider à l'assujettissement de la chair. La faim et la soif sont données à l'homme en vue de la purification du corps, afin qu'il soit préservé des pensées impures et des passions de la chair. Manger un peu chaque jour peut conduire à la perfection, comme certains l'ont dit ; celui qui mange tous les jours à heure fixe n'est en rien abaissé moralement et ne fait aucun mal à son âme. Saint Théodore le Studite loue ceux qui agissent ainsi, dans son instruction sur le Vendredi de la première semaine du Grand Carême, et il cite à l'appui les enseignements des Saints Pères théophores et du Seigneur lui-même. Le Seigneur a enduré un long jeûne, de même que Moïse et Elie, mais une seule fois dans leur vie. Certains, quand ils ont adressé une demande au Créateur, se sont également imposé un long jeûne, mais ce fut toujours en accord avec les lois naturelles et l'enseignement des Saintes Ecritures. Quand on observe l'activité des Saints, la vie de Notre Sauveur et les règles de ceux qui ont vécu pieusement, il apparaît clairement qu'il est très beau et très profitable de se tenir toujours prêts et d'être trouvés dans une vie ascétique de travail et d'endurance ; toutefois, il ne faut jamais en venir à s'affaiblir par un jeûne excessif ni réduire le corps à un état d'inactivité. Si la chair est ardente parce qu'elle est jeune, il faut beaucoup se restreindre ; mais si elle est infirme, il faut en prendre soin. Il faut observer et apprécier en fonction de nos faiblesses ce que nous pouvons accomplir. A chacun sa mesure, selon sa conscience. Tous ne peuvent suivre les mêmes règles et la même ascèse car certains sont forts et d'autres faibles. Certains sont comme l'airain, d'autres comme le cuivre, d'autres comme la cire. Après avoir établi sa mesure, il faut se nourrir ainsi une fois par jour, sauf les samedis, dimanches et jours des fêtes du Seigneur. Un jeûne modéré et bien conçu est le fondement de toutes les vertus. Il faut combattre le démon comme on combat le lion ou le serpent félon – dans les faiblesses du corps et l'appauvrissement spirituel. Quiconque veut fortifier son intellect pour résister aux pensées mauvaises, celui-là doit purifier son corps par le jeûne. Il est impossible de servir comme prêtre sans jeûner. De même qu'il est indispensable de respirer, de même il est indispensable de jeûner. Quand le jeûne a atteint l'âme, il détruit en profondeur les péchés qui y résident. Sur la continence La quatrième vertu est la continence, elle-même mère de toutes les vertus ; Si tu assujettis ton estomac, tu entreras au Paradis. Grâce à la continence, le péché est annihilé, les passions sont dispersées, la vie spirituelle peut se développer et les choses éternelles deviennent accessibles. Si au contraire l'homme mange à satiété, il se prive des dons spirituels, car l'estomac trop plein assoupit et engendre des pensées impures ; la veille devient impossible, de même que la lecture, l'occupation au travail et l'application dans les bonnes choses. Du pain et de l'eau chaude constituent une alimentation légère, merveilleuse, qui apaise les besoins. Sans eau chaude, l'estomac du jeûneur s'assèche, et la digestion devient plus difficile ; le pain trempé dans l'eau chaude est vite digéré et constitue une nourriture particulièrement adéquate en période de jeûne ou le soir. Il y a quatre manières de se nourrir : le jeûne, la continence, la suffisance et la satiété. Celui qui impose la continence à son estomac ne sera pas privé du Paradis ; par contre celui qui ne lui impose pas la continence est soumis à la mort, privé de toutes vertus et honteusement moqué. Sur la veille La cinquième vertu est la veille. Les jeunes moines doivent commencer avec mesure à veiller la première moitié de la nuit, puis dormir jusqu'au matin, c'est-à-dire veiller six heures et dormir cinq ou six heures.Les moines plus affermis doivent dormir trois ou quatre heures et veiller huit heures ; quant aux moines parfaits, ils dorment une heure et restent toute la nuit debout à veiller. Pendant le jour, chacun doit dormir une heure. La veille bien menée débarrasse l'intellect des pensées superficielles ; elle le rend plus léger et le mène à la prière. De même que les yeux éclairent le corps et illuminent tous ses membres, de même l'attention dans la veille et l'agrypnie éclaire l'âme d'une lumière spirituelle. A l'homme elle rappelle les biens inexprimables que le Seigneur a préparés pour ceux qui L'aiment ; elle lui montre les tourments éternels auxquels sont destinés les pécheurs. Celui qui veille est émerveillé par le Créateur de toutes choses, par le jour et la nuit qui se succèdent, par l'éclat du soleil, par la lune et les étoiles, par la succession du gel, de la neige, de la chaleur, de l'orage et de la pluie, qui rappellent à l'homme que cette vie est passagère et, qu'après elle, vient la mort. La veille lui fait verser d'abondantes larmes et, telle une sentinelle du haut de sa garde, l'éclaire sur l'état de sa vie spirituelle. Elle lui permet de discerner s'il est sur le droit chemin. La veille, pratiquée avec mesure, procure la joie du cœur. Sur la prière du cœur La sixième vertu est la prière du cœur. C'est une œuvre qui est commune aux anges et aux hommes. Dans cette prière, les hommes en viennent à se rapprocher de la vie des anges. La prière est la source de toutes les bonnes actions et de toutes les vertus ; elle éloigne de l'homme la ténèbre des passions. Pratique la prière et, dès avant la mort, ton âme ressemblera à celle d'un ange. La prière est une joie divine. C'est la seule épée très précieuse. Il n'y a pas d'autre arme pour mieux éloigner les démons. Elle les consume comme le feu consume l'épine. Cette prière embrase comme un feu l'homme tout entier et lui apporte une joie inexprimable. Grâce à la joie et aux douceurs qu'il perçoit, l'homme en vient à oublier cette vie et ne voit plus dans ce monde que poussière et cendres. Sur l'humilité et la sagesse dans l'humilité La septième vertu est l'humilité et l'humilité de la sagesse. Les vieillards, les malades, les simples d'esprit, les pauvres, les ignorants sont sauvés par la seule humilité du cœur. Par elle, tous les péchés sont pardonnés ; elle tire l'homme de la fosse du péché. Grâce à l'humilité dans la sagesse les plans et les pièges de l'ennemi sont détruits ; la vie spirituelle est fortifiée et préservée de toute chose. Sur le silence La huitième vertu est le silence qui consiste à s'éloigner de tout souci et de tout trouble venu du monde et à rester muet dans la foule. Celui qui sait discipliner et contrôler sa langue tient en bride son corps tout entier. Celui qui parle peu échappe aussi à tous les maux qui naissent de la parole. La langue est un mal qu'on ne peut réprimer. Beaucoup ont péri par l'épée, mais plus encore ont péri par leur propre langue. La langue est comme une épée à deux tranchants, qui meurtrit de façon invisible le corps et l'âme ; elle ne cesse de proférer des mots vides dans l'oisiveté des spectacles. O langue, ennemie de la droiture ! O langue destructrice et esprit de Satan ! Par les épreuves l'homme élève l'édifice spirituel et bâtit son Salut ; mais toi, ô langue, par un mot, en un instant, tu peux détruire et anéantir le tout. L'homme sage s'enferme dans le silence. Sur le détachement de toutes choses La neuvième vertu est le détachement de toutes choses et l'extrême pauvreté. Un moine détaché des choses est comme un aigle qui vole sur les cimes ; il ne se laisse pas attirer par les vanités de ce monde, et il reste intouché ; fuyons, fuyons l'amour de l'argent et des autres choses comme si c'était un lion rugissant, car il transforme l'homme doux et humble en une bête féroce excitée par la colère sans merci et le souvenir des torts reçus. Sur le discernement La dixième vertu consiste à avoir un bon discernement en toutes choses, car sans discernement le bien peut se transformer en mal et ne plus présenter les qualités du bien. Il est impossible d'être sauvé, si on ne possède pas ces dix vertus. Les Saints pères les ont commentées longuement dans leurs homélies. Nous n'avons fait ici qu'en parler brièvement. Trois de ces vertus sont fondamentales et doivent être recherchées par amour de Dieu, sans hypocrisie, ni souci de plaire aux hommes : le jeûne, c'est-à-dire une abstinence modérée et constante ; l'application constante à étudier les Saintes Ecritures en veillant avec modération, c'est-à-dire selon sa conscience et ses capacités ; la pratique intelligente de la prière du cœur, c'est-à-dire avec un esprit attentif aux mots de la prière et avec la garde intérieure du cœur. Faute de quoi, celui qui possède ces vertus ne se distingue en rien de celui qui ne les possède pas. Si on acquiert une vertu dont la pratique nous pousse, par notre volonté, à des pensées d'orgueil, mieux vaut la délaisser. Nous sommes récompensés, non pas tant des épreuves endurées que de l'humilité avec laquelle nous les avons endurées ; Mieux vaut être pécheur et se repentir que de s'être réformé et d'avoir un esprit hautain. Que le Seigneur Dieu nous éclaire et nous affermisse dans l'accomplissement de Sa Volonté, et la pratique des Commandements sacrés et des vertus. A lui soit la gloire, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Amen. Sur les passions du corps, leurs causes et le moyen de les éteindre Le désir charnel est suscité chez l'homme par la chaleur et le confort, ou par l'excès de nourriture et de sommeil, ou par l'action de Satan. Il peut aussi naître du jugement arbitraire porté sur autrui, de la vanité, de la beauté physique, des conversations oiseuses, de la coquetterie et de la lubricité. Quand nous viennent des pensées impures ou des fantasmes, pendant le sommeil comme en plein jour, et que la chair est excitée, nous ne pouvons être délivrés que par le jeûne et la prière pendant une nuit de veille. Quand l'âme et le corps sont éprouvés par l'épuisement, et qu'on reconnaît quelle force ils en retirent, on n'est pas loin d'être délivrés des passions. Sur la marche dans la vigilance Nous devons nous interroger tous les soirs sur la manière dont la journée s'est écoulée, et chaque matin sur la façon dont s'est passée la nuit. Nous devons faire les comptes avec nous-mêmes en tous lieux, en tous temps et à tout propos, et non pas de façon occasionnelle. Nous devons revenir sur nos vertus et nos passions et sur l'état de notre vie : sommes-nous au début, au milieu ou à la fin ? Travaillons-nous de manière à mériter les récompenses et pratiquons-nous les vertus, ou peinons-nous simplement sans récompense, Lorsque nous avons péché, compensons notre manque de vertus en offrant larmes et lamentations. Nous sommes encore loin de la perfection et la Grâce ne nous touche pas, parce que nous ignorons le point d'origine des vertus, leur progression, leur terme accompli. Nous ignorons aussi comment les vertus se perdent, si bien que la vanité s'accroche à chacune de nos vertus et la ruine. Si nous ignorons tout cela, nous travaillons en vain. Bien que les vertus soient censées appartenir à l'âme, le corps aussi connaît la souffrance et l'affermissement. On parle de passions de l'âme quand l'âme, séparément du corps, se met à les chérir, et à s'y complaire. Les passions du corps sont celles où le corps se complaît et par lesquelles il se laisse entraîner. Dans ces deux cas, l'âme et le corps ne s'accordent point. Sur les passions de l'âme et du corps Il faut en premier lieu nettoyer la demeure royale de toute impureté et la rendre resplendissante, afin que le roi puisse y entrer. De même, nous devons d'abord purifier la terre du cœur et en arracher les racines du péché et les actes passionnés. Il faut la rendre légère en acceptant les afflictions et la route étroite qui conduit à la Vie ; il faut y semer les germes de la vertu, l'irriguer des larmes et des lamentations. Alors seulement peut se développer le fruit de l'impassibilité et de la vie éternelle. Car le Saint Esprit ne visite pas celui qui ne s'est pas purifié des passions de l'âme et du corps. Ne peuvent reposer en l'homme et le Saint Esprit et les passions. Là où est le Saint Esprit, les passions n'approchent pas ; là où sont les passions, le Saint Esprit ne réside pas mais c'est le démon qui est présent. Il faut commencer par bannir tout amour de soi sous quelque forme que ce soit, et se rabaisser dans le repentir : dans nos pensées, dans nos actes, dans nos paroles, dans notre nourriture, dans nos habits, dans notre maison, dans notre vie intérieure, en toutes choses nous devons faire preuve d'humilité et nous blâmer. En tout, choisissons pour nous-mêmes ce qui est le moins beau, et ainsi seront apaisées les passions de l'âme. L'humilité ne connaît jamais la chute, car elle est en dessous de toutes choses. Il est également nécessaire d'humilier la chair, de l'épuiser dans les épreuves et les afflictions sans prendre de repos, afin que les passions du corps soient étouffées. Contrôlons aussi notre langue qui est la source du mal et qui détruit le bien. Ainsi cesseront d'agir et seront humiliées les passions de l'âme et du corps. L'homme sans passion commencera d'acquérir la vie éternelle. L'ennemi sera vaincu car il se révèlera sans pouvoir ; ses armes et ses pièges ne lui seront d'aucun secours. Sur l'impassibilité L'impassibilité ne consiste pas seulement à fuir les actes passionnés qui conduisent au péché ; elle implique que le désir même de ces actes est absent. Est impassible celui qui a rejeté toute pensée qui engendre la contrainte ou la fourberie. Est impassible celui qui s'est élevé au-dessus des passions, qui n'est troublé par aucune des choses de ce monde, qui ne craint pas les épreuves, les calamités, les dangers, celui que même la mort n'effraie pas puisqu'elle donne accès à la vie éternelle. Est impassible celui qui, lorsqu'il souffre des attaques des démons et des hommes méchants, ne leur prête pas attention et ne les regarde même pas comme un mal. C'est comme si quelqu'un d'autre souffrait. Glorifié, il ne se vante pas ; offensé, il ne s'irrite pas. Tel un enfant, il se lamente quand il est châtié, et il se réjouit quand il est consolé. L'impassibilité n'est pas une vertu spéciale, elle désigne toutes les vertus prises ensemble. L'homme impassible est amené à la vie par le Saint Esprit. Sans le Saint Esprit, le corps spirituel, qui est la somme des vertus, est sans force.Tant que le Saint Esprit ne réside pas en l'homme, même purifié des passions, celui-ci n'est pas impassible, car il continue de souffrir. Dès que le Saint Esprit descend sur un homme, il le soulage de tous fardeaux et de toutes peines. Le Saint Esprit peut descendre et résider en chacun de nous. Gloire à toi notre Dieu, pour toujours. Amen. Sur la pureté du cœur et de l'âme C'est à l'issue d'une vie d'épreuves et grâce aux exploits spirituels que sont purifiés le cœur, l'intellect et l'âme ; car le cœur se purifie par les afflictions et les vertus les plus ardues de l'intellect et du corps : la faim, la soif, la veille entre autres. Des désirs passionnés et incontrôlés naissent les passions du corps et la fornication. Avec un cœur pur, le jeûne et la prière, l'intellect est purifié des pensées mauvaises et des fantasmes. Avec un intellect pur, l'âme est libérée de ses passions et elle est sans cesse illuminée. Avec une âme pure, l'intellect peut voir enfin. - C'est la vision en esprit, la contemplation-. Sans la pureté du cœur, de l'intellect et de l'âme, c'est-à-dire sans l'impassibilité, les démons ont l'audace de pénétrer en nous, de nous perturber et de nous duper. Car seul un cœur pur, une âme pure et un intellect pur peuvent voir le Soleil Spirituel.Il faut se montrer particulièrement attentif au jeûne et à la prière incessante, de façon qu'elle pénètre jusqu'au plus profond du cœur et le purifie des passions de l'âme et du corps ; l'âme est alors illuminée par la prière qui est source de joie et de tendresse et éloigne de l'esprit pensées mauvaises et fantasmes. Lorsque le cœur, l'intellect, l'âme et le corps d'un homme ont été ainsi purifiés, la Grâce peut alors descendre habiter en lui ; la porte est alors fermée aux démons et aux passions et l'on connaît les douceurs spirituelles. Tant que les mouvements naturels n'ont pas été affaiblis dans le corps de l'homme et n'ont pas cessé de susciter dans le cœur une douceur qui est péché, tant que ses sens ne sont pas purifiés en cette vie, tant que l'intellect n'est pas sorti des ténèbres et des fantasmes et tant que l'âme n'est pas libérée de ces liens, l'homme ne peut connaître les douceurs de la Grâce, ni voir la divinité dans son âme. La pureté commence là où l'intellect repousse le péché. Elle culmine dans la mortification et dans la froide indifférence du corps face au péché. Le cœur devient impur avec les plaisirs de la fornication et avec l'excitation du péché. Le corps devient impur avec la chute dans le péché. L'intellect devient impur quand il a des pensées impures. L'âme devient impure dans les diverses passions qu'elle éprouve, lorsqu'elle aime quelque chose de façon excessive et y trouve plaisir. Quiconque endure des épreuves corporelles et pratique certaines vertus sans prêter attention à la disposition du cœur, sans concentrer son intellect avec ferveur et sans rechercher la tranquillité de l'âme, celui-là disperse d'une main ce qu'il rassemble de l'autre. Les épreuves corporelles ne sont que le début du chemin spirituel, tandis que la sobriété intérieure du cœur, l'activité mentale et le maintien de l'âme sont à la fin. Le labeur physique sans le regard intérieur et la concentration est comme une feuille morte. Si donc nous n'arrivons pas à la perfection et ne recevons pas la Grâce, c'est que nous ne savons pas par où débuter notre vie spirituelle ; nous ne savons pas en quoi elle consiste, ni à quoi elle doit aboutir ; nous ne connaissons ni son essence, ni le fondement des vertus. Nous ne cesserons pas d'amasser et de répandre tout ensemble tant que nous n'aurons pas découvert cette connaissance. O homme ! Discerne où commence la vie ascétique et spirituelle, où les vertus naissent, vois comme les passions entrent facilement en nous, afin de recevoir l'illumination de l'âme. Si tu ne commences pas par là, c'est comme si tu semais dans la mer qui engloutit tout. Sur l'obscurcissement de l'intellect, ou du manque de discernement. L'occultation de l'intellect provient de diverses passions : elle se produit quand nous parlons trop, quand nous nous inquiétons en vain, quand nous sommes trop précautionneux, quand nous sommes affligés, quand nous succombons aux fantasmes et que nous mangeons avec excès ou dormons trop. Elle vient souvent des démons, qui nous perturbent quand ils s'approchent de nous. Dès que ces passions entrent en nous, l'oeil de l'âme se ferme. L'intellect n'a plus qu'une vision assombrie et ne perçoit plus rien de spirituel. Il ne comprend plus, il est comme celui qui a l'oeil sain, mais ne peut rien percevoir dans les ténèbres de la nuit : celui-la trébuche, et parfois tombe au fond d'un puits. Ainsi l'homme dont l'intellect est obscurci tombe dans le puits de diverses passions. Il se décourage, il est envahi de fantasmes, il s'adonne au sommeil et s'oublie complètement sans se rendre compte qu'il est sur le chemin qui mène à la perdition éternelle. Sur la sobriété de l'intellect ou de la vigilance. Un esprit calme et une pensée limpide naissent de l'impassibilité ; celle-ci suppose la pureté, le jeûne, la continence, le silence constant, la réclusion en cellule, la pratique de la prière du cœur, l'absence de soucis . Alors l'activité du Saint Esprit produit l'impassibilité, quand le Bienfaiteur nous donne Sa Grâce. Par ces vertus l'esprit, purifié des fantasmes et des pensées obscures et imparfaites, est illuminé. L'homme devient alors capable de comprendre, de raisonner et la joie est en lui. Nul ne saurait, par aucun moyen, couper court à l'afflux des pensées, sinon par la prière du cœur ininterrompue, le souvenir de la mort et des tourments à venir, le souvenir, le désir et la considération des biens futurs, et l'attention à la lecture et à la psalmodie dans la solitude. Mais par-dessus tout, l'intellect est purifié de tous fantasmes grâce à la prière, au jeûne et au silence. La prière et le jeûne chassent toute pensée de péché ; l'excitation du cerveau est calmée ; l'intellect est préservé de toute distraction et de tout égarement ; il est comme rassemblé et illuminé. La prière et le jeûne éloignent de l'homme les esprits impurs. Ceux que les démons tourmentent sont soulagés, ainsi qu'a dit le Seigneur : « Cette engeance-là ( c'est-à-dire, les démons) ne sort que par la prière et le jeûne » (Matt. 17, 21). La prière et le jeûne lient aussi l'intellect des ténèbres qu'engendrent les démons. La prière et le jeûne sont des armes pour nous protéger des attaques des démons. La prière est comme un esprit de source divine ; elle éclaire l'intellect et conduit à la ferveur. La prière dans un cœur sobre est le gardien de l'intellect ; elle éteint son manque de mémoire comme l'eau agit sur le feu. Il faut donc respecter cette vertu très précieuse car elle engendre des visions éclatantes. Toi malheureux pécheur, dès que tu auras commencé à aimer cette vertu, tu seras sanctifié et rendu digne ; toi qui ne comprends pas les choses ni ne sait en juger, tu acquerras compréhension et jugement. Les injustes deviendront justes et, mieux encore, visionnaires, théologiens et témoins des mystères divins, lorsqu'ils invoqueront le Nom de Notre Seigneur Jésus Christ, le Fils de Dieu. Beaucoup des Saints Pères ont dit que la prière du cœur est la source de tout bien et un trésor de vertus. Elle nous permet de recevoir rapidement la Grâce du Saint Esprit. Elle sauve, elle explique et elle instruit dans des domaines qui nous sont inconnus. De même qu'un homme voit son visage dans un miroir, de même dans la prière calme et sincère, il peut avec son intellect voir sa vie entière et distinguer s'il vit dans le bien ou dans le mal. Cette prière libère les hommes de nombreuses passions ; elle le délivre des attaques du démon en pensées, en paroles et en actions. Elle lui permet de contrôler les désirs naturels, les sentiments, les peines ; elle vient à son secours dans toute tentation ; elle le purifie et le protège de tout, car elle invoque par Son Nom Dieu à qui tout est soumis. Rien ne peut mieux résister aux fourbes attaques des démons que la prière du cœur, lorsqu'elle est pratiquée avec pureté et application par un intellect pur et un esprit sage et humble. Tout homme qui cherche à s'élever spirituellement ne peut résister aux attaques des démons sans pratiquer la prière du cœur. Toutefois, s'il n'est pas instruit dans cette prière, il périra après avoir beaucoup souffert. S'il en a seulement entendu parler ou s'il a lu dans les écrits des Pères qu'elle est très profonde mais ne peut en percevoir l'essence, il va se mettre à la pratiquer et à raisonner faussement à son sujet. Il pensera avoir atteint la perfection et sera soumis aux fantasmes parce qu'il a les ennemis en lui et qu'il ne s'est pas auparavant purifié dans le calme, l'attention et la veille, de sorte qu'il sera détruit par les démons. Pour débuter cette activité très bonne et véritablement splendide, il faut faire ceci : il faut d'abord vaincre les passions, ne pas faire ce qui ne plaît pas à Dieu, ni faire à aytrui ce qu'on ne voudrait pas pour nous-mêmes. Ensuite il faut préserver le cœur des plaisirs et de l'excitation impure de la chair ; il faut préserver l'intellect de toutes pensées afin que le cœur repose dans l'humilité et la sagesse. Dès lors la prière est déjà en pratique ; elle vainc et détruit un grand nombre de passions et d'esprits malins et la Grâce croît. De même que le jeûne et la prière du cœur permettent de nous purifier et de devenir sobres et attentifs, de même cette sobriété nous rend dignes, nous sanctifie et nous aide à prier. En d'autres termes, la sobriété est ce qu'on appelle la pureté de l'intellect, tandis que l'impureté de l'intellect, les pensées souillées et l'impureté du cœur sont ce qu'on appelle la fièvre et la volupté charnelle. Le cœur ne peut rester pur, de manière à ne pas être souillé, s'il n'est pas meurtri par le jeûne. Il est également impossible de conserver la sanctification sans pratiquer le jeûne, car la chair ne se laissera pas soumettre par l'esprit et la prière ne pourra s'élever si les besoins naturels dominent. La chair sera alors forcément enfiévrée. De l'excitation de la chair naissent les pensées et l'intellect se trouve corrompu. Avec de telles pensées le cœur est troublé et corrompu ; la Grâce alors s'éloigne et les esprits impurs en profitent pour nous subjuguer à plaisir. Ils poussent la chair aux passions et dirigent l'intellect comme ils veulent ; ou bien ils le ligotent, comme avec des cordes, le retiennent et le rendent incapable de tout désir et de toute activité spirituels. S'ils ne parviennent pas à cette fin, les démons ne peuvent rien contre nous. Car les démons essaient pour commencer de perdre notre intellect dans l'ignorance et la négligence, puis de nous précipiter dans les abîmes du péché. Ayons toujours recours au port tranquille du jeûne pour nous protéger des filets spirituels de l'ennemi, car le jeûne purifie le corps. Il nourrit et fortifie la prière, la faisant monter de nos lèvres avec une flamme ardente. Ainsi liée au jeûne, la prière sobre consume les démons car ils ne peuvent s'approcher d'une âme chaste qui est pour eux comme une fournaise ardente ; ils ne peuvent lui faire aucun mal. Sur la prière du cœur : c'est elle qui apporte bientôt la Grâce à l'âme et la sauve. « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi ! » Celui qui dit cette prière avec ardeur et sans interruption, comme il expire l'air de ses narines, celui-la reçoit bientôt en lui la Sainte Trinité, Père, Fils et Saint Esprit. La Sainte Trinité s'installe en lui, la prière dévore son cœur et le cœur la prière. Celui qui répète cette prière nuit et jour sera délivré des attaques de l'ennemi. Il faut dire la Prière du cœur de la manière suivante : « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi ! » Que tu sois debout ou assis, en train de manger ou en voyage, en toutes circonstances, ne manque pas de dire cette prière, en te forçant, car elle seule peut frapper l'ennemi invisible, tel un soldat avec sa lance. Que tes pensées en soient imprégnées ; ne te laisse pas distraire et n'hésite pas à la dire en secret même dans les lieux d'aisance. Quand la langue et les lèvres sont épuisées, continue à prier avec le seul intellect. Quand on a beaucoup prié avec la langue, on accède à la prière de l'intellect et de là à la prière du cœur. Quand la concentration commence à affaiblir l'intellect et que le cœur fait mal, on peut s'accorder un peu de repos et psalmodier. Il faut dire la prière tout haut, mais pas trop fort, suffisamment toutefois pour qu'on l'entende. Pendant la prière, il ne faut pas laisser les pensées divaguer sur les choses corruptibles de ce monde ; il faut s'imposer de garder en mémoire la seule prière. La prière n'est rien d'autre que la séparation d'entre les mondes invisible et visible. Il faut donc enfermer son intellect dans la prière. Là où se tient le corps, là aussi doit être l'intellect, libéré de toutes pensées au moment de la prière. Les Saints Pères disent : « Celui qui prie avec les lèvres mais ne surveille pas son intellect, celui-là peine en vain, car Dieu prête attention à l'intellect plutôt qu'aux paroles. La prière mentale n'autorise pas l'intellect à avoir des fantasmes ou des pensées impures ». Celui qui ne peut s'habituer à dire mentalement la prière, celui-la ne peut avoir la prière incessante. Dès que la prière devient pour quiconque une habitude et pénètre dans son cœur, elle jaillit comme l'eau de la source. En tous temps et en tous lieux, quelle que soit son occupation, elle surgira toujours en lui, qu'il soit éveillé ou endormi. Même quand le corps commence à somnoler ou à s'endormir, elle le réveille, jaillissant hors de son cœur pour ne plus s'interrompre. Cette prière est magnifique ; elle ne s'arrête jamais ; même quand les lèvres s'épuisent et que le corps s'assoupit, l'esprit ne dort pas. Quand un travail demande une grande attention, quand l'intellect est envahi par toutes sortes de pensées ou que le sommeil gagne, il faut alors prier très fort avec les lèvres et la langue, afin que l'intellect prête attention à la voix. Quand par contre l'intellect est en paix et qu'il est dégagé de toutes pensées, on peut prier avec lui seul. Cette manière de prier est une voie plus rapide vers le Salut que ne le sont les psaumes,les canons – forme de poème liturgique chanté notamment aux Mâtines- et les prières habituelles que disent ceux qui savent lire et écrire. Ce que l'adulte est à l'enfant, telle est cette prière par rapport au savant grammairien, je veux dire, à une prière écrite et composée avec art. La prière du cœur et de l'intellect est réservée à ceux qui sont illuminés. A ceux qui sont en voie d'être illuminés est donné le chant de l'église ; quant aux débutants, ils doivent commencer par connaître l'obéissance et les épreuves. Pour grandir et se développer, cette prière requiert le calme, la continence, l'isolement par rapport aux hommes et aux choses ainsi que l'absence de distraction. Il n'est pas possible de pratiquer la prière incessante si tous ces obstacles n'ont pas été écartés. Qu'il ne faut pas se laisser accabler par l'attachement aux choses. Les démons sont la cause de toutes les vexations et de toutes les peines. Ils sont assez rusés pour nous inquiéter et nous prendre à leurs pièges, au mauvais moment, afin de distraire notre intellect de la concentration et de la prière. Ils s'efforcent de rendre notre intellect oisif, de le distraire de la recherche du Salut et de l'éloigner de l'amour de Dieu qui s'élève en prières. S'ils pouvaient, ils nous donneraient tous les royaumes et toutes les richesses de ce monde, et nous en serions si préoccupés que notre intellect oublierait l'amour de Dieu et perdrait la mémoire constante de la prière, la pratique de la prière incessante étant elle-même amour de Dieu. De cela nous devons nous garder par-dessus tout et ne pas abandonner la prière très douce. Nous devons nous en remettre complètement à Dieu, qui subvient à tous nos besoins. Oublions tout ce qui se fait dans ce monde et ne nous attachons à rien. L'attachement aux choses lie les mains et les pieds du moine et le contraint malgré sa volonté à aimer le monde. De même que l'eau éteint le feu, de même aussi l'attachement aux choses éteint l'amour de Dieu. Prenons garde et ne cessons pas d'aimer Dieu avec ferveur, et le Seigneur prendra soin de nous. La prière nous fera venir des fontaines de larmes. Si nous nous éloignons des désordres et de l'agitation du monde, si nous faisons attention et avons la garde du cœur,la douceur gagne, les larmes jaillissent bientôt d'elles-mêmes, coulant non sous la contrainte mais dans la plus grande joie. Quiconque cherche dans la prière à s'emplir de l'amour de Dieu dès avant le départ de son âme et à vivre en ascète, afin d'éprouver dans son propre corps la mort de Jésus, pour être constamment mort à la chair et que tous les jours de sa vie soient consacrés à Dieu seul, celui-là doit renoncer une fois pour toute à tous les attachements, à tous les désirs, à tous les soucis et à la vanité de ce monde. Eloigne-toi des hommes, du tumulte et des désordres ; vis comme vivent les oiseaux et ne t'inquiète pas des choses vaines. Toutes choses resteront sur terre. Ici, nous sommes des hôtes de passage, ainsi que dit l'Apôtre Paul : « Mais nous, nous sommes citoyens des Cieux » (Phil.3, 20). Ne soyons préoccupés que de notre âme, et pour ce qui est de nos besoins, remettons-nous en à Dieu qui prend soin de nous. Jamais, au grand jamais, Dieu n'abandonne ceux qui ont mis tous leurs espoirs en lui, et Le suivent de tout leur cœur avec amour. Mieux vaut vivre un seul jour dans l'espoir de Dieu et puis mourir que d epasser des années avec une âme qui balance. Nulle part il n'est écrit que ceux qui ont mis leur espoir en Dieu ont été abandonnés, car il est impossible d'être sauvé, si l'on ne libère pas l'intellect de toute vanité et de tout souci afin de l'unifier. L'intellect est un : soit il est offert entièrement au Christ, soit il est pris totalement par les soucis d'ici-bas. Toute pensée ou toute préoccupation déplacées ne font que distraire notre intellect de la prière et procèdent des démons. Celui qui désire être sauvé et plaire à Dieu, celui-la doit se détacher de toutes choses terrestres et vivre comme vivent les oiseaux. Qu'il choisisse un endroit isolé qui lui convienne et qu'il y reste seul, ou avec un enfant spirituel. Qu'il endure les privations dans son corps – nourriture, vêtements et autres objets. Dans le besoin, l'âme devient humble et contrite tandis que l'intellect est exalté. Lorsque l'homme ne voit rien autour de lui, il lui est plus facile de supporter les peines dans son corps, et de connaître la joie de l'âme en pensant aux biens à venir. Lorsque l'abondance règne dans une communauté nombreuse, l'intellect ne peut pas ne pas être distrait ; l'obéissance est alors nécessaire, ainsi que l'abandon de la volonté propre de chacun, dans l'observance de ce qui est ordonné. Sur la prière incessante Que faut-il faire pour que l'intellect soit constamment occupé de Dieu ? Si nous n'avons pas acquis ces trois vertus : l'amour de Dieu et des hommes, la continence et la prière du cœur, alors notre intellect ne peut pas être complètement occupé avec Dieu. Car l'amour réduit toute colère, la continence apaise les désirs de la chair et la prière libère l'intellect de toutes pensées, de la haine et de l'orgueil. Sois donc constamment occupé de Dieu : Dieu t'instruira en tout et Il te révèlera par son Saint Esprit ce qui est dans les Cieux, et ce qui est ici-bas. Prière à la trinité qui donne la vie O Père bon, Très Saint Fils et Saint Esprit, O Sainte trinité, ô Dieu indivisible, sauve-moi pécheur. Amen. Quatre vertus liées entre elles Pour accéder au bien, il faut rester assis en cellule, pratiquer la prière incessante et contrôler l'estomac et la langue. Celui qui ne recherche pas ces quatre vertus, qu'il sache que non seulement il les ruine, mais qu'il jette à bas le fondement de toute vertu et ouvre grand le flot des passions et les abîmes du trouble. La cellule est pour le moine ce que la tombe est pour l'homme mort. Le mort ne bouge pas dans sa tombe ; et le moine dans sa cellule ne commet pas de péchés, étant libéré de ces trois occasions de péchés qu'offrent la vue, l'ouïe et la conversation. Dieu seul réside en lui, ainsi que des œuvres bonnes. La prière l'éloigne de toutes pensées, si bien que tout ce qui appartient à ce monde est considéré comme cendres et poussière. Quand l'âme ressent la douceur de la prière, elle reconnaît que la vie n'est rien. Elle ne désire ni belles choses ni choses agréables. Elle en oublie jusqu'à elle-même, et tous ceux qui vivent sur terre. Il faut donc suivre la règle de la prière et même s'y forcer. Lorsque l'épuisement gagne, il faut se mettre à un travail manuel, afin de ne pas être emporté par le sommeil. Si la nuit, pendant la prière, le sommeil attaque et que les paupières s'alourdissent, il faut continuer à veiller avec une lumière sans céder, en regardant fixement l'icône. La restriction de nourriture, le jeûne et l'abstinence permettent de veiller avec un corps léger et de pratiquer les vertus. Celui qui est tempérant vole tel un aigle sans que sa chair lui pèse. Le contrôle de la parole délivre des vices suivants : la calomnie, l'agitation, les vaines paroles, le mensonge, la dureté du cœur sans contrition, le découragement, la vaine gloire, la mise en avant des épreuves ascétiques. L'excès des paroles détruit les vertus, gaspille le silence et engendre bien d'autres passions honteuses. Celui qui garde le silence effraie les démons, parce que ceux-ci ne voient pas les secrets du cœur de celui qui est parfait et ne parle pas. Celui qui aime à parler beaucoup n'échappera pas au péché. Si on pouvait placer sur le plateau d'une balance tous les actes d'une vie pécheresse et sur l'autre plateau le silence, on découvrirait que le silence est de plus de poids. Voyez comme l'ermite du désert est aidé à acquérir les vertus en contrôlant la parole et voyez combien de démons elles détruisent. La prière incessante est le début, le milieu et la fin de la vie silencieuse au désert ; elle en est la racine et la fondation. Elle est aussi confortée par la sobriété, par l'absence de fantasmes dans l'esprit et par la faim. Autrement l'homme est entraîné par ses pensées vers le sommeil, la paresse, la distraction, le découragement, la faiblesse et il gaspille son temps en vain. Ce qui lui est demandé, en outre, c'est une foi fervente et inébranlable, l'espoir en Dieu, la patience, la fermeté que procure le courage, le détachement vis-à-vis de toutes choses bonnes ou mauvaises. L'intellect, lorsqu'il est occupé avec des objets, tend à s'inquiéter, à avoir des fantasmes et des distractions, et à s'attacher aux objets. L'ardeur du cœur s'en trouve diminuée, de même que la prière, la ferveur spirituelle et le zèle pour la foi. Quand l'intellect n'est plus attentif, il s'assoupit et s'oublie ; Alors l'homme gaspille son temps, il oublie de penser à la mort, aux tourments à venir et au Royaume des Cieux. L'intellect gît dans le corps, et dort d'un sommeil ténébreux. L'âme ne peut lutter seule contre le sommeil ; c'est-à-dire sans la sobriété et la prière du cœur ; il lui faut l'éveil et l'aide de l'intellect. Soit l'homme est fortifié et accède à la perfection grâce à l'éveil de l'intellect et à l'activité du cœur, soit il s'affaiblit, se laisse conquérir par les passions et souffre des démons. Car celui qui demeure sur le droit chemin en faisant agir son cœur, celui-la préserve son intellect de toutes pensées mauvaises ; le cœur veille et les Saintes Puissances résident en lui et l'aident. Celui qui ne suit pas ce chemin est conquis par les pouvoirs de l'adversaire ; Les Saints Pères ont expliqué : « Celui qui reste dans le calme de sa cellule ( la cellule t'enseignera tout), avec une âme, un intellect et un cœur en éveil et pleins de ferveur, préoccupé de Dieu seul, détaché de toutes choses, l'intellect restant sobre et préservé de tous fantasmes, tempérant dans sa nourriture, pratiquant la prière du cœur incessante, chez celui-la, l'âme et le cœur seront comme transpercés par une épée et son intellect sera illuminé par le zèle ». Le silence permet de se présenter devant Dieu debout, tel un serviteur attentif. Celui qui a pratiqué tout cela et a fait l'expérience de ce qu'il ne connaissait pas, la douceur de l'amour de Dieu dans la prière du cœur, celui-la fuira désormais les hommes tel un poulain sauvage. Il apprendra à connaître le silence du désert et recevra tous les bienfaits de l'anachorèse. Qu'il nous faut nous préoccuper de notre vie intérieure, ne pas nous laisser aller aux soins excessifs et prier Dieu sans cesse Toi qui es moine, prends garde aux pièges habiles des démons et que ton esprit reste sobre ! Lorsqu'ils voient un homme bien disposé, qui prie et fait preuve de vertu dans les larmes, les malins démons lui rappellent tel ou tel travail qui l'attend dans sa cellule, et lui disent : « Cette tâche est indispensable. Veille à l'accomplir ». Aujourd'hui c'est ceci, demain c'est autre chose ; va visiter tel père ; va ici et puis là. Ils l'obligent à faire des provisions excessives de nourriture ou présentent quelque autre prétexte, causant en lui distraction et angoisse. Ils agissent ainsi afin qu'il ne soit pas disponible pour Dieu, ni rassasié dans les larmes de la pénitence. Toi, ascète et guerrier du Christ, apprend à reconnaître les tromperies des démons et observe-les, afin de ne pas te laisser entraîner par eux. Là, de même qu'il est impossible de regarder le ciel d'un œil et la terre de l'autre, de même l'homme ne peut se préoccuper simultanément de son corps et de son âme. Comme une source ne peut faire jaillir ensemble des eaux douces et des eaux amères, ainsi l'on ne peut servir en même temps Dieu et les hommes et se soucier du corps. Il est impossible de servir Mammon et de plaire à Dieu, car il faut détester l'un et plaire à l'autre ; un esclave qui suivrait deux maîtres ne saurait aimer les deux. Considérons qu'est immortel notre Créateur et lui seul, afin de Le servir, de Lui consacrer le peu de temps qui nous est donné et de mettre notre espoir en Lui pour l'éternité. Les Saints Pères ne s'occupaient que du jour présent. Pour ce qui concerne le lendemain, en tout, ils s'en remettaient à Dieu, déposant entre les mains du Seigneur leur âme et leur corps afin que Lui-même prît soin de leur vie et subvînt à leurs besoins. « Remets ton sort au Seigneur, et Il te soutiendra » ( Ps. 54, 23). Vis sans cesse occupé de Lui, car il écoute jour et nuit ceux qui s'adressent à Lui ; en particulier, il est attentif à entendre la prière incessante. Si nous cherchons notre confort, Dieu ne prendra pas soin de nous. Si nous nous vengeons nous-mêmes, Dieu ne nous vengera pas. Si nous nous sortons nous-mêmes de la maladie, Dieu ne nous guérira pas. Lorsque nous avons l'espoir, nous nous dissolvons dans la prière ; nous abandonnons tout souci et alors nous revient la mémoire de la mort et du Second Avènement du Christ. Le cœur ardent est comme embrasé ; l'intellect est purifié et illuminé ; l'âme se réjouit dans la contrition et demeure dans la crainte de Dieu. Lorsque nous nous laissons submerger par les tâches et les soucis, nous oublions et le souvenir de la mort, et l'avènement du Christ ; l'ardeur du cœur est refroidie ; la lumière de l'intellect est occultée ; la contrition et la crainte de Dieu abandonnent l'âme ; Plaçons plutôt notre espoir en Dieu, afin qu'il dirige notre vie et qu'elle soit selon les paroles de l'Apôtre : « Si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur ; et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur ; de sorte que, soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur » ( Rom. 14, 8). C'est-à-dire que, si nous vivons de l'espérance en Dieu, selon les mots du Seigneur : « Celui qui croit en moi vivra, quand bien même il mourrait ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais » ( Jean 11, 25-26). Si nous sommes préoccupés du lendemain et ne pensons qu'à nous réjouir, gaspillant ainsi le peu de temps qui nous est imparti, comment donc pourrons-nous être disponibles pour le Seigneur ? Nous serons alors évidemment conduits à l'abandonner, à nous éloigner de son amour divin et à perdre toutes vertus. Et c'est lui-même qui nous abandonnera alors. Nous serons privés de sa gloire et, pour notre vie, nous n'aurons plus qu'à nous en remettre à nous-mêmes ; Que nous vivions ou que nous mourions, nous vivrons alors dans le péché, et nous mourrons dans les tourments. Ne nous laissons pas gagner par les soucis, car nous serons privés des bonnes choses d'ici-bas et nous ne recevrons pas les bonnes choses à venir. Renonçons une fois pour toutes aux choses matérielles et à la sagesse du monde. Rejetons dans l'oubli les choses trompeuses d'ici-bas. Dédaignons les duperies et tout ce qui est temporel. Avançons seuls dans la voie du Seigneur. Servons-Le jour et nuit dans la crainte. Soyons dans ce monde comme si nous étions nus, et vivons la vie des oiseaux. Toi qui es moine ! Ne vois-tu pas que tout ce qui est dans le monde ne pèse rien ? Et pourtant tu te préoccupes des nécessités du corps ! Tout se corrompt et a une fin. Dans la prospérité de ce monde ou le confort du corps – vanité des vanités. O toi qui es moine ! Laisse-moi te dire ceci pour ton bien : rien n'est plus précieux à chaque homme que son âme, tandis que notre corps nous est étranger, étant mortel et corruptible. Dieu mis à part, seule notre âme est immortelle et incorruptible. En vérité, celui qui a mis son espoir en Dieu ne s'occupera pas de la chair ni de savoir comment la vêtir ; il n'amassera pas pour apaiser sa faim ; il n'aura peur de rien, ni d'être dévoré par des bêtes féroces, ni d'être tué. Suivant le commandement, il ignorera tout cela, car en tout Dieu lui viendra en aide et prendra soin de lui. Celui qui ne place pas tout son espoir en Dieu, celui-la, dans le besoin ou dans la peine, ne peut dire : « Comme il plaît à Dieu », et ne peut être sauvé. Celui qui endure les épreuves les unes après les autres se réjouit lors du départ de son âme ; et, après son exode, il possède la joie indicible. Lorsque nous sommes malades ou blessés, que nous sommes prêts de mourir, que nous manquons de l'essentiel et que personne n'a pitié de nous, si nous disons : « Que Dieu fasse de moi ce qu'il désire », cela suffit à humilier le démon et à le maîtriser. A chaque instant, pense à la mort, et à la venue du Christ. Dis-toi : « Je vais maintenant m'efforcer d'élever mon âme, car ce soir je peux mourir ». Lorsque vient le soir, dis-toi ceci : « Ne vais-je pas mourir cette nuit même ? Si la mort me surprend, si un arbre m'écrase ou si ma maison s'écroule sur moi, si ma respiration soudain s'arrête et que je passe comme une fleur se fâne...De même que l'herbe sèche au soleil, je vais mourir sans laisser de trace ; Dieu seul sait où je serai alors, car Il jugera chacun selon ses actes et dira : « Je t'assigne là. » A cela pense toujours et ne te soucie de rien d'autre. Préoccupe-toi seulement de tes péchés, et ainsi ton âme accèdera à l'humilité et aux lamentations ; tu verras quel vil pécheur tu es et tu verseras des torrents de larmes sans pouvoir te retenir. Pour tout ce dont tu as besoin, vêtements, vaisselle et autre choses, fais preuve de simplicité, de pauvreté et de modestie, même si tu as les moyens d'acheter ces objets, parce que de cette façon, l'âme est humiliée, et n'est pas éloignée de Dieu ; il te sera alors facile de trouver tout ce dont tu as besoin partout. Pour dire les choses simplement, agis en cette matière de sorte que ta conscience ne t'accuse de rien. Celui qui ne dédaigne pas toutes choses, comme la gloire et le repos du corps, et se justifie en toute occasion, celui-la ne peut être sauvé. O homme ! Veille à ton âme, car il n'y a qu'une âme en toi, de même que tu ne vivras qu'une fois. Ta fin qui viendra avec la mort ne t'est pas connue et l'espace aérien est impénétrable et occupé par tes ennemis. Rien ne pourra t'aider que tes œuvres bonnes. Prends garde à toi afin que tu n'aies pas à te repentir jusqu'à la fin des temps. Ne cesse pas de prier, et jour après jour reste vigilant par amour pour le Salut de ton âme. En ce qui concerne les besoins du corps, ne pense qu'à ce qui est essentiel. Tu as oublié, ô malheureux, ton ardeur et ta promesses initiales : tu t'engageais, lorsque tu étais vaillant et détaché des choses du corps, à toujours prier Dieu et à ne penser qu'à Lui. Car Lui-même prendra soin de tout – de te nourrir, de te couvrir, de te consoler. Ne sais-tu pas, ô malheureux, qu'autant les Saints ont abandonné la vanité et le souci de ce monde, autant Dieu a satisfait tous leurs besoins ? Ils ont reçu une aide divine, trésor inépuisable. Dès qu'un homme devient vaniteux, Dieu l'abandonne immédiatement. O homme ! Rappelle-toi l'heure de la mort et les tourments éternels. Rappelle-toi la vie éternelle, gloire et beauté indicible que Dieu a préparées depuis le début des temps pour ceux qui l'auront choisi et aimé. Rappelle-toi le temps passé et les années perdues dans la vanité du monde. Peux-tu faire revenir un seul de ces jours ou une seule de ces nuits, Et lorsque ta vie touche à sa fin, peux-tu lui ajouter ou lui redemander un jour, ou même seulement une heure pour te repentir ? Nous sommes à la recherche du temps que nous avons gaspillé dans notre vie, et nous ne pouvons le retrouver. Apprenons à connaître les pièges des démons. Ayons un intellect sobre et dédaignons toute vanité. Quand le corps a faim, il trouvera sa nourriture et de même pour les autres besoins ; car tout ce qui est dans ce monde disparaît telle une bulle qui crève à la surface de l'eau. Il n'est pas possible de servir Dieu et Mammon. Les malins démons nous observent attentivement pour déterminer nos penchants mauvais et nous y pousser. Connaissant nos pauvres désirs, ils assombrissent notre âme, et jour après jour dérobent notre temps. Ils pénètrent secrètement comme des voleurs dans nos pensées et nous obligent à nous préoccuper de choses corruptibles, à abandonner Dieu et notre âme. Et ils introduisent en nous cette pensée : « Ceci ou cela est absolument indispensable. Je dois le faire dès aujourd'hui ou demain », alors qu'en fait rien de cela n'est indispensable. O homme ! Sois attentif à ceci et tu seras sauvé ! Ecoute l'Apôtre Paul qui dit : « Priez sans cesse » (1 Thess ; 5, 17), en tout temps et en tout lieu. Si tu en viens à dire : « Il est impossible de prier sans cesse, car le corps s'épuise à assister à un long office », sache alors que l'Apôtre ne parle pas seulement de prier debout pendant l'office, mais de prier toujours : la nuit, pendant le jour, le soir, le matin, à midi et en toute heure. Que tu sois en train de travailler, de manger, de boire, de te reposer, de te lever, dis toujours cette prière : « Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi ! » Ne prends aucun délai pour prier, que ce soit une année, un mois, ou une semaine. Ne pense pas à un endroit particulier, car ce n'est pas à une certaine date, ou en un certain lieu que tu es confronté à Dieu, mais c'est avec ton propre intellect, en tous lieux de son Royaume. Comment la sobriété de l'intellect est-elle préservée ? D'où vient cette torpeur de la pensée qui éteint la sainte ardeur de l'âme et la ferveur envers Dieu. Cette sainte ardeur est préservée grâce à une pensée sobre et à un zèle ardent. Ainsi, patiemment, virilement, l'âme se garde de toute faiblesse, pour toujours. Un tel zèle fait disparaître résistance, somnolence, paresse, pesanteur, lassitude, faiblesse et découragement. Un tel zèle est fortifié, stimulé, embrasé en vue de défendre la maison des vertus. Il faut en même temps continuer à faire des prosternations, à travailler de ses mains, à profiter du grand air, afin de résister au sommeil, à la paresse, à la lassitude et à la faiblesse. Pour la prière, il faut se trouver en un endroit où règne la fraîcheur, afin que le sang ne circule pas dans les jambes. Ceci ne s'adresse pas seulement aux infirmes et aux malades, mais aussi à ceux qui sont en bonne santé. Quand on se trouve dans une pièce chauffée, on est soumis à la somnolence, au sommeil, à la lassitude, à la faiblesse, toutes choses qui entravent et finissent par gagner l'ascète. Rien tant que ces infirmités ne pèse sur les ermites du désert. De plus, sois vigilant. Du tumulte naît le discours superflu et le bavardage. Du bavardage naît l'oisiveté. De l'oisiveté la paresse. De la paresse, le découragement. Du découragement le sommeil. Et du sommeil naît la privation des bonnes œuvres. L'homme tombe alors dans tous les maux. Comment lutter contre le sommeil pour l'amour de Dieu, dans la vie solitaire Dans le désert comme dans la vie solitaire, il y a six combats à mener : contre la paresse, contre le découragement, contre le sommeil, contre le désespoir, contre la lassitude et contre la peur. C'est à cause de ces six passions que les Saints Pères nous interdisent de vivre seul. Le sommeil est bien sûr plus destructeur que la paresse, le découragement ou le désespoir, car c'est de lui que naissent ces passions et bien d'autres. L'homme est parfois gagné par la lassitude ou par la peur. N'est-ce pas l'indolence qui fait que nous dormons tout notre soûl ? Lorsqu'il est gagné par un sommeil profond, l'ascète se décourage bientôt, et s'afflige du temps qu'il a ainsi gaspillé. Il tombe dans le désespoir, parce qu'il n'a pas travaillé au Salut de son âme. Une pensée naît qui meurtrit la conscience : « Vaine est ton épreuve, car le sommeil t'a envahi ». Frères, le sommeil est une grande calamité. De même que le brouillard cache le soleil, de même l'excès de sommeil occulte le pouvoir de recueillement de l'intellect ; la négligence s'abat comme un rideau sur l'intellect et celui-ci devient insensible aux bienfaits spirituels, et oublieux. C'est quand le gardien s'endort que les voleurs attaquent ; quand l'intellect devient insensible, il s'assombrit et permet aux passions de s'introduire. Les démons assombrissent l'intellect avec les ténèbres, comme ils peuvent éteindre son feu avec de l'eau. Ils s'imposent aussi par la somnolence et par le sommeil, détournant l'âme des bonnes œuvres et la soumettant aux attaques des passions. Tous les efforts que les démons dirigent contre nous consistent à détourner notre intellect de Dieu et de la prière incessante. Pour parvenir à ce but, ils se fortifient par tous les moyens. Sous n'importe quel prétexte, ils nous plongent dans la vanité de ce monde et cherchent à nous immerger dans le sommeil, afin que, dans l'oisiveté, le temps nous soit confisqué. Le sommeil naît de plusieurs causes. C'est un besoin naturel ; il peut aussi provenir de l'excès de nourriture, des divagations de l'intellect, du tumulte et des désordres, de la peine, de l'envie des démons, du découragement. Il provient aussi d'un jeûne prolongé trop longtemps ou du fait que, lorsque la chair est épuisée, elle cherche dans le sommeil le repos. La nourriture et la boisson excessives deviennent des habitudes et quiconque mange et boit avec excès conditionne son corps à demander toujours plus. Celui qui, par contre, prend l'habitude de peu manger, celui-là a besoin de très peu. Il en va de même pour le sommeil : celui qui est sans force et ne s'oppose pas au sommeil, mais cherche à dormir tout son soûl, à celui-là la nature réclamera toujours plus de sommeil ; il passera sa vie entière dans les ténèbres, son intellect étant occulté au lieu d'être occupé à pratiquer les vertus. Celui qui par contre s'habitue à dormir peu, la nature lui demandera peu. L'habitude du sommeil intempéré est très néfaste. Que celui qui y a sombré depuis ses premières années s'applique à y résister, dès lors qu'il s'engage à renoncer à ce monde. Afin de lutter contre le sommeil et d'être toujours vigilant, il faut rester chaste, avoir un esprit sobre, pratiquer la prière du cœur ininterrompue dans le silence et le zèle, afin qu'à tout instant l'âme soit protégée des faiblesses. Il faut ainsi rester dans la pensée de la mort, comme on s'endort et se réveille ; ainsi le corps suivra l'âme, même contre son désir. Il n'y a pas de meilleure aide pour lutter contre le sommeil que de pratiquer les quatre vertus : la tempérance, la sobriété spirituelle, la prière du cœur et le souvenir de la mort. Ces vertus sont comme un gardien vigilant et sobre. Sans elles, la maison de l'âme reste endormie et divague. Un estomac affamé ne supporte pas de rester couché toute la nuit ; qui a un esprit sobre n'est pas assombri par un sommeil profond ; qui connaît les douceurs de la prière du cœur ne s'attarde pas au lit ; qui garde à l'esprit l'entrée dans la tombe n'est pas gagné par la paresse. Ces quatre vertus agitent sans cesse l'esprit. Soyons vigilants, tempérants, sobres, pratiquons la prière du cœur et souvenons-nous de la mort prochaine. Ainsi serons-nous armés contre le sommeil ; celui qui est vigilant tout le jour sans avoir ces vertus, celui-là tombera dans les pièges des démons. Il faut donc pratiquer la veille prolongée, la tempérance, la sobriété spirituelle, la prière et garder la mémoire de la mort, afin de réduire progressivement le sommeil. Quand en priant debout tu sens venir la fatigue, ne t'adosse pas au mur, mais assieds-toi dans ta cellule sur un tabouret ; car si tu commences à somnoler et que tu vacilles, cela te réveillera. Si la somnolence te gagne pendant la prière, prends alors un livre et résiste. Si le sommeil ne te permet pas même de lire, alors fais un travail manuel et continue de prier. Je peux te dire que tu ne peux pas vaincre le sommeil par la prière seule, sans travail manuel ; c'est le sommeil qui te vaincra. Les démons nous forcent à nous asseoir, sans raison, sous prétexte de fatigue ; ils nous empêchent de pratiquer le moindre travail et, quand nous avons fait un médiocre effort pour veiller, ils nous font plonger dans le sommeil le plus profond et nous oublions tout. O combattant bien-aimé, n'écoute pas ces démons. Ne t'assieds pas sans un livre ou sans quelque chose à faire avec tes mains ; non pas que ce travail soit absolument nécessaire, mais parce que cela te permettra de résister au sommeil. Il faut la nuit entière endurer la crucifixion de résister à la douceur du sommeil. Il faut t'y opposer de toutes tes forces et ne pas te laisser aller à l'indolence. Pour commencer, dis tes prières et force-toi à prier avec ferveur ; puis accorde-toi un peu de repos en pratiquant un travail manuel pour ne pas te laisser gagner par le sommeil. A cause de notre faiblesse, le travail manuel est essentiel. Le sommeil prend racine et croît chez l'homme qui, réveillé, se laisse encore aller à somnoler tel un veau paresseux ou un cochon qui se vautre dans la fange. L'Ange de Dieu se tient éloigné d'un tel homme qui est tombé dans les mains de l'ennemi ; celui-ci se maintient endormi autant qu'il veut, faisant naître en lui toutes sortes de rêves et de visions. Si, comme tu te réveilles, le sommeil t'envahit à nouveau sous l'attaque des démons, lève-toi dans un sursaut viril, comme si tu fuyais le feu, ou un serpent très dangereux, ou un lion rugissant. Résiste au sommeil, ô combattant, et une fois levé, rafraîchis-toi au grand air tout en disant ta prière. Celui qui vit en solitaire n'éprouve pas le besoin de dormir à la fin de la journée ou de la nuit, car du sommeil naît un grand poids et aussi parce qu'à la fin de chaque jour notre Saint Ange gardien vient rendre gloire à Dieu et répondre pour nos actes, ainsi que l'ont écrit les saints Pères. Il ne faut prendre du repos ni avant ni après l'aube. Celui qui est encore endormi à l'aube du jour, celui-là est comme un oiseau qui ne peut voler. Les démons essaient souvent de nous faire dormir quand il ne faut pas, disant à l'intellect : allonge-toi un moment, et puis tu te relèveras. Ainsi est perdu le temps pour lire et pour travailler ; Si tu écoutes ces démons et que tu t'allonges, tu perdras beaucoup de temps. L'habitude du sommeil est telle. Celui qui est habitué à dormir beaucoup, celui-là dort de plus en plus ; celui qui par contre repousse le moment de dormir, celui-là sent qu'il s'affaiblit, mais le sommeil diminue en lui et il dispose de plus de temps pour travailler. De l'excès de sommeil et de nourriture, le corps devient plus faible, plus lourd et perd la santé. Si le sommeil te gagne vraiment, dors à une heure fixe, que ce soit le soir ou la nuit, en un endroit plutôt chaud ou plutôt frais selon ce qui te permettra de dormir moins ; dans un endroit bien chauffé, prends garde néanmoins à ne pas suffoquer. Le reste du temps ne t'allonge surtout pas et reste vigilant. Le sommeil requis chaque nuit est : pour le débutant, sept heures ; pour celui qui se trouve à mi-chemin, quatre heures ; pour celui qui atteint la perfection, deux heures et veille pendant toute la nuit. Toujours, nuit et jour, il est bon de veiller autant que possible et de rendre son corps robuste. Telle est la veille angélique. Dès après le premier sommeil lève-toi. Il semble très difficile et très pénible de se lever comme si tous nos membres étaient endoloris et paralysés. Le fort se lève immédiatement et va profiter de l'air frais. Toutes les douleurs et pesanteurs de son corps disparaissent alors, et tout le jour il se réjouit de ne pas avoir été indolent. En agissant ainsi, tu vaincras le sommeil. Si tu ne peux pas agir comme il vient d'être dit, alors, choisis-toi un ami, car nul ne peut vaincre le sommeil en restant tout seul, à moins qu'il ne s'y oppose de toutes ses forces ; car celui qui est seul n'a pas de camarades de combat ni d'instructeur. Celui-là doit être plein de vaillance et inspiré de la crainte de Dieu. C'est pourquoi certains Saints dorment très peu tout en restant assis. Certains d'entre eux, debout en prières, regardaient ou vénéraient les Saints en clignant des paupières. Quant à toi qui aimes tant dormir, tu veux vaincre le sommeil. Ce n'est pas une tâche facile. Si nous ne vainquons pas le sommeil, nos épreuves sont vaines. Comment se fait-il que lorsque nous sommes tous ensemble avec les autres frères nous veillons et nous nous fortifions, et quand nous sommes tout seuls le sommeil nous gagne et nous ne progressons plus ? C'est évidemment parce que nous manquons d'accomplir de bonnes œuvres et que nous ne vivons pas dans la crainte de Dieu. Les Saints Pères luttaient contre le sommeil au point qu'ils en venaient jusqu'à s'effondrer par terre. Un Père allumait une bougie et fixait au-dessous un fil avec un poids. En se consumant, la bougie finissait par brûler le fil et le bruit du poids tombant dans un récipient de métal le réveillait. Un autre avait un lit si étroit que lorsqu'il voulait se retourner pendant son sommeil, il tombait de son lit. Un autre encore tenait un caillou dans sa main, et lorsque le caillou tombait, il s'éveillait. La vaillance et le courage sont mères de tous les bienfaits. Frères, soyons donc vaillants et résistants et que le Seigneur daigne nous fortifier dans les siècles. Amen. Qu'il faut dire avec grande attention les psaumes et les prières Lorsque tu veilles en priant, prends grand soin de prier à l'aide des Psaumes et de chanter les prières dans la crainte de Dieu, la joie et le zèle, en te prosternant devant l'icône divine. Dans les psaumes tu trouveras des instructions et l'accès à la prière. Il ne suffit pas de prononcer les mots du bout des lèvres, mais il faut prier du fond du cœur. Que le corps, l'âme et l'intellect ne fassent qu'un. Celui qui peine en insensé, c'est-à-dire sans s'écouter lui-même, celui-là n'est pas rétribué par Dieu, car il déplaît à Dieu. De même qu'on ne peut remplir un seau percé, de même celui qui prie sans attention ne peut être rétribué. Il faut non seulement réciter un psaume ou dire une prière, comme on ferait une leçon, mais aussi prier Dieu de tout son cœur, être en continuelle contrition de l'âme et adresser une prière pure ; Dieu n'exige pas de nous un nombre déterminé de psaumes ou de prières, mais il écoute quand notre intellect se tient ferme et tranquille. La bouche peut proférer des milliers de prières, tandis que l'intellect pense à des choses vaines, viles ou impures. Dieu écoute-t-il et exauce-t-il ces prières ? Tu ne sais pas toi-même ce que tu fais, ô homme. Dieu n'attend pas de nous une multitude de prières. Dans la crainte de Dieu et la contrition, demeurons droit dans la prière, ainsi que l'Ange de Dieu l'a commandé au grand Pachôme. Ne cherche pas à accumuler les paroles ; mais avec attention, prends-en une pleine intelligence, afin que tout ce que tu fais soit agréée par Dieu. N'imagine pas que tout ce qui est petit est négligeable et que tout ce qui est grand est parfait. Pratique le jeûne et demeure dans la crainte de Dieu. Montre-toi affligé et peiné ; persiste à prier debout avec contrition et modestie. Lorsque tu te présentes devant le trône de Dieu, considère que tu n'es que poussière et cendres, telle une araignée ou une fourmi, et que tes œuvres ne sont qu'une toile d'araignée. Comparais comme un condamné, qui a transgressé les commandements de Dieu et s'est rendu mauvais. Garde tes jambes tendues, les talons joints ; ne te déplace pas d'un endroit à l'autre ; applique tes mains sur ta poitrine. Tel le condamné à mort qui se tient devant le juge, sans oser regarder ici et là, toi aussi tiens-toi droit devant Dieu, devant qui les anges se tiennent avec crainte. Glorifie-le dans des hymnes incessants car l'oeil qui ne dort pas voit jour et nuit ce que nous faisons, ce que nous pensons et comment nous nous comportons, si dans la peine et le besoin nous plaçons notre espoir en l'homme ou dans la bienfaisance de Dieu. Notre Roi et juste Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu et vrai Dieu, est toujours disposé à nous délivrer des malheurs et des difficultés. Considère-toi comme pire que tout autre et pense que ton œuvre ne suffit pas pour plaire à Dieu. Car l'absence de crainte donne naissance à la suffisance et au blasphème. Dieu nous vient en aide selon la Foi que nous avons. Plus notre espoir et notre confiance sont grands, plus l'aide de Dieu sera grande. Sur la confusion et la crainte du démon Dans la tourmente et les ténèbres, ceux qui vivent seuls et connaissent des temps difficiles trouvent remède dans la prière incessante ; le travail manuel et la prière sont d'un grand secours, et même le sommeil : ils permettent de traverser ce genre d'épreuves extrêmes sans pensées ni lamentations, et d'éviter ainsi d'en souffrir. Quand l'ennemi nous afflige à l'excès et que l'âme est dans la crainte, il faut dire tout haut Psaumes et prières, ou bien combiner prière et travail manuel afin que l'intellect prête attention à ce qu'il fait et ne soit pas troublé ni effrayé. Car Dieu est avec nous, et l'Ange du Seigneur ne nous abandonne jamais. Il peut être bon aussi de marcher à l'air frais pour éloigner les démons. Les démons s'opposent tout spécialement à la prière du cœur car rien ne les affecte, ni ne les réduit plus que cette prière. La prière du cœur est vraiment très redoutable car, comme le feu grille l'herbe sèche, ainsi fait la prière avec les démons. Conjointement avec le jeûne, la prière chasse les démons. C'est pourquoi ceux-ci s'efforcent tant de nous en éloigner ; après un long effort, ils peuvent être dissipés comme de la fumée et devenir invisibles. Quand tu te prépares à prier, prépare-toi aussi à livrer bataille aux démons ; arme-toi afin de pouvoir résister vaillamment à leurs assauts. Ils s'attaqueront à toi tels des bêtes sauvages et causeront à ton corps toutes sortes de souffrances. Ils suscitent de grands troubles contre celui qui reste vigilant dans la prière, car ils voient là l'arme qui anéantit leur pouvoir et, n'y résistant pas, ils disparaissent dans la peine et les tremblements. Que le Seigneur Dieu nous aide et nous garde par Sa Grâce, dans les siècles des siècles. Amen. Qu'il faut accepter avec innocence reproches et insultes Prends garde à toi et sois attentive, ô mon âme, car les temps ultimes sont proches. Tu devras livrer un combat unique et résister aux démons et aux hommes. Prends garde aux ennemis visibles si tu es parmi les hommes et prends garde aux ennemis invisibles si tu es dans le désert ; personne ne recevra sans souffrances la couronne de vie, ni sans avoir remporté la victoire sur l'ennemi. Celui qui s'engage à résister à l'ennemi et finit par le vaincre grâce à son courage et à sa vaillance, celui-là reçoit honneur et gloire ainsi qu'une couronne de lumière. Toi aussi, mon âme, fortifie-toi. Accepte insultes et déshonneurs. Reçois avec joie tout reproche qui t'est fait. Ne t'emporte pas à te justifier. Demande plutôt le pardon, car toute offense, toute insulte, tout reproche, toute mauvaise parole et toute accusation injuste t'apporteront la Grâce et l'humilité. Si tu n'acceptes pas tout cela et si tu connais l'amertume et la colère envers ceux qui t'ont offensé, tu ne peux atteindre la perfection ni être sauvée. Cette attitude caractérise ceux qui débutent, les passionnés, les pusillanimes et les hommes d'un intellect particulièrement faible. Est parfait celui qui endure tout avec joie, en rendant grâce. Quand l'ennemi ne peut nous entraver ou nous faire trébucher dans la vie vertueuse, alors il nous inflige les peines les plus pénibles, qui sont au-delà de nos forces. Il nous envoie certaines gens qui obéissent à ses ordres et qu'il utilise comme des armes pour nous vaincre. Mais face à l'ennemi nous connaîtrons la victoire glorieuse, si en vue du Royaume de Dieu nous acceptons les peines qu'il provoque par les offenses, les insultes et le mépris des hommes. Souviens-toi des Saints qui nous ont précédés et dont le monde n'était pas digne ; ils ont vécu dans la privation, les peines, les persécutions et d'autres circonstances très difficiles. Quelle autre voie espères-tu donc trouver pour faire ton Salut ? Les Pères disent que si tu ne recherches pas les épreuves de l'ascèse, au moins accepte avec sagesse celles qui te sont envoyées. Il n'est pas facile d'y parvenir, mais cela vaut toutes les vertus. Celui qui est capable d'accepter par amour pour Dieu insultes et offenses, tout en lui rendant grâce, celui-là n'agit pas en vain. Car en un tel homme résident l'humilité et l'amour, qui permettent de supporter les peines causées par le prochain. Beaucoup ont été sauvés ainsi. C'est la voie que suivent les Fols en Christ ; en elle sont présentes toutes les vertus. Ils ne possèdent rien que soit de ce monde ; ils s'appliquent seulement avec zèle à acquérir la patience qui permet de résister à toutes les afflictions. O mon âme ! Il n'y a pas aujourd'hui de meilleure voie que celle-ci pour assurer ton Salut. Sois sourde, muette, aveugle, insensible à tout ce qui est de ce monde. Retire-toi dans la solitude, loin des hommes comme si tu avais perdu la raison ; Considère que tu es incapable de faire quoi que ce soit, et que tu n'es qu'un fou pour l'amour de Dieu. Celui qui veut être le premier parmi vous, qu'il soit de tous le serviteur. Salomon, qui se reprochait à lui-même de trop raisonner, a dit que tout cela était vain et qu'est sanctifié celui qui a acquis la crainte de Dieu, l'humilité et l'amour et qui prie constamment. Celui-là possède la vraie sagesse du monde et toute richesse. La foi seule nous sauve. De même que la foi sans les bonnes actions est comme morte, de même les bonnes actions sans la foi sont mortes. Là où sont la foi juste et les bonnes actions, là aussi est la justice parfaite. Dans le monde où nous vivons, l'homme doit s'appliquer à pratiquer toutes les vertus. Celui qui se lamente sur son âme pendant seulement une heure est plus grand que celui qui possède le monde entier. Tout ce qui nous importe est d'assurer notre propre Salut. Celui qui pratique l'une des vertus se sauve et lui seul. Si on devait sauver le monde entier et se détruire en même temps, quel bénéfice y trouverait-on ? Nous savons tous comment être sauvé, mais la paresse nous détourne de ce but. Sauve toi donc toi-même. Tous n'auront pas à répondre de leur négligence à instruire autrui, mais ceux-là seulement qui ont reçu ce talent. Ces derniers doivent souffrir jusqu'à la mort, et offrir leur vie pour le Salut de leur troupeau. Chacun, en revanche, devra répondre pour lui-même. De grands moines, imprégnés d'humilité, ont fui les places d'honneur et de gloire ainsi que la tâche d'instruire les autres, comme le rapportent les récits sacrés. Ils ne se sont préoccupés que d'eux-mêmes : combien plus devons-nous, infirmes et pécheurs, abandonner une idée néfaste à nous-mêmes et aux autres. Prenons soin de nous-mêmes, plutôt que de prendre soin de tous les autres. Certains ne respectent pas les instructions des Pères et, de surcroît, se moquent de ceux qui s'efforcent de les pratiquer. Ils vivent selon leur bon vouloir et se choisissent des instructeurs qui leur ressemblent. Certains, en instruisant autrui, se sont ainsi fait du mal à eux-mêmes. En instruisant les autres, nous affaiblissons nos propres fondations et notre âme qui était ardente se refroidit. Nous avons assez à faire avec nous-mêmes, afin d'assurer notre propre Salut. Quand nous sommes témoins d'une faute commise par l'un de nos frères, soyons comme si nous étions muets, sourds et aveugles, ne voyant, ne disant, et n'entendant rien, tel le simple d'esprit qui ne comprend pas, et ne prétend pas être un sage. Mais à l'égard de nous-mêmes, soyons attentifs, pleins de discernement et de clairvoyance. Celui qui veut être sauvé et qui, témoin d'une offense, ne rend pas son oreille aveugle, son oreille sourde et sa langue muette, celui-là ne connaîtra pas la tranquillité, même si son âme est en paix. Lorsque tu es interrogé, ne cherche pas à te justifier ou à contredire quiconque, mais dis seulement en toute humilité : « Pardonne-moi, pour l'amour de Dieu ». Reste silencieux à propos de tout le reste. Car le Seigneur Jésus nous a donné un exemple d'humilité, ainsi qu'il est écrit : « Comme une brebis il a été conduit à l'immolation. Comme un agneau sans tache devant celui qui le tond il n'a pas ouvert la bouche. Dans son humilité, son jugement a été exalté. Qui racontera sa génération ? » ( Isaïe 53, 7-8). Homme, imite toi-même ton Créateur. Demeure sans réponse devant ceux qui t'offensent, comme si tu avais de l'eau dans la bouche ou que tu n'avais plus de langue. Dis seulement : « Pardonne ». Considère-toi digne de toute torture ; Dis en toi-même : « Si le monde entier se soulevait pendant une année entière pour s'opposer à toi et t'offenser, que serait-ce pour toi, infâme que tu es ? » N'imagine pas que d'aucune manière ton frère puisse être cause de ton mal. Le mal seul nous attaque, le frère n'y est pour rien. Si tu endures des épreuves à cause des récompenses futures, alors ne fais pas de reproches à tes frères mais seulement à toi-même. Dans tout ce que tu fais, adresse tes reproches à toi-même, car tu es poussière, et à la poussière tu retourneras. Fais tiennes ces trois paroles, à jamais : « Pardonne, bénis et prie pour moi, pécheur ». Ne demande rien à personne qui ne te soit absolument nécessaire. Prends l'habitude de parler en bien de tous et de cacher tes propres mérites. Là réside l'humilité parfaite qui élève l'âme de l'Enfer, libère des passions et combat victorieusement le démon. Que le Seigneur Dieu nous fortifie, afin que nous puissions endurer toute offense ; Amen. Qu'il faut endurer toutes afflictions Celui qui désire être sauvé ne doit pas craindre d'accepter les plus grandes afflictions, qu'elles viennent des démons ou des hommes, car la vie humaine est pleine de vicissitudes. Les hommes changent du pire au meilleur. Celui qui redoute les afflictions risque de s'affaiblir et de devenir pusillanime. Celui qui a l'habitude de fuir ou de se dérober aux afflictions, ou encore d'errer çà et là, ou de choisir son lieu pour se mettre à l'oeuvre et ne lutte qu'à certains moments, celui-là ne trouvera pas de toute sa vie un seul endroit ni un seul instant pour recevoir rétribution. Il faut tout au contraire faire face et espérer en la miséricorde de Dieu. Il faut se rappeler les glorieux miracles qu'Il a accomplis dans tous les siècles, ainsi que l'aide qu'Il a apportée à ceux qui ont su Lui plaire. Enfin il faut savoir que Dieu n'abandonne pas celui qui est dans le besoin ou dans l'affliction. Jamais il ne permet une tentation qui serait au-delà de nos forces. Portons donc vaillamment notre croix en rendant grâce à Dieu pour les choses éternelles à venir. Endurons toutes afflictions, ici et maintenant. L'Apôtre dit : « C'est par beaucoup de tribulations qu'il nous faut entrer dans le Royaume de Dieu » ( Actes 14, 22). Par ce chemin étroit et difficile, nous accédons à la perfection la plus haute de la patience. Où que nous soyons, nous serons rétribués par la miséricorde de Dieu. Oublions toutes les épreuves pénibles qui nous sont venues des démons et des hommes ; ne soyons pas préoccupés par quelque affliction ou quelque besoin que ce soit. Que notre attention soit seulement pour Lui. Que le temps ne passe pas en vain, c'est-à-dire sans le combat spirituel et la prière. Prions Dieu avec zèle lorsque toutes sortes d'afflictions venant des démons ou des hommes nous envahissent, ou lorsque nous sommes dans la peine, la maladie ou le malheur. Pleurons abondamment sans crainte ni inquiétude, en pensant que nous en serons délivrés, car aucune affliction ne nous touche sans la Providence de Dieu. Aimons donc le chemin difficile et étroit de la vie pleine d'afflictions, car c'est le chemin qui conduit au Royaume des Cieux. Ne fuyons pas les dangers, les malheurs, les besoins et les peines. Endurons avec vaillance tout ce qui est pénible, difficile et déplaisant jusqu'à ce que nous recevions l'aide divine. Il convient à l'ascète, au Saint de Dieu d'être fort dans l'affliction et de faire reposer son cœur sur le sol ferme, non de couler comme l'eau. La vie tourne comme une roue, inconstante et sans ordre. On connaît parfois la prospérité ou les honneurs – mais ne place pas là ton cœur ; parfois la persécution de la part des hommes – mais ne t'en afflige pas. Parfois encore les afflictions et les passions sont des attaques des démons – n'en sois pas attristé. Tout cela nous vient de Dieu, qui le permet en vue de notre Salut. Tout cela disparaît aussi quand sa Grâce l'ordonne, afin de nous châtier ou de nous faire miséricorde. A Lui soit toute gloire, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen. Si tu ne veux pas connaître la colère envers celui qui t'offense, prie Dieu pour lui, et donne lui un présent ou une consolation. S'il a lui-même agi sous l'empire de la colère, va le trouver et parle-lui du pardon ; détermine quelle est la raison de sa colère en faisant preuve d'amour. Lorsque tu t'approches de lui, salue-le en premier en t'inclinant ; et aux autres parle de lui dans les meilleurs termes. Rien n'incite mieux que cela à la contrition et à l'humilité. Au contraire, si tu lui reproches de t'avoir offensé, tu ne feras qu'augmenter sa colère et son aversion. Il en va de même si tu dis du mal de lui, car cela lui sera rapporté. C'est là une grande calamité, et même des êtres de spiritualité élevée peuvent être atteints de cette passion ; celui qui par contre s'en garde et en garde ses amis, celui-là est en vérité un combattant très sage et très parfait, dépassant beaucoup de ceux qui se donnent de la peine. Quiconque pense qu'il a l'amour mais n'aime pas tous les êtres du même amour, son amour n'est pas parfait mais partial ; il distingue entre les personnes, entre pauvres et riches, infirmes et malades, pécheurs et justes, ceux qui sont proches et ceux qui sont au loin, amis et ennemis. L'amour véritable et parfait consiste à considérer tous les êtres et à les aimer également, aussi bien ceux qui nous aiment que ceux qui nous haïssent. Un tel amour, qui ne peut être séparé de la pitié agit comme un filet pour toutes les vertus. Il rassemble et contient en lui tous les commandements de Dieu. Réciproquement, seul celui qui pratique tous les commandements y parvient. C'est parce que nous ne respectons pas les commandements à la perfection que nous ne sommes pas parfaits ni ne recevons la Grâce. A celui qui a reposé sa tête sur la poitrine très pure du Seigneur il est dit : « Sois fidèle jusqu'à la mort, et je te donnerai la couronne de vie. » ( Apoc ; 2, 10). Pour vaincre le monde, il faut, avec patience et sagesse, vaincre ses passions, ainsi que tout mal. Cela veut dire souffrir, abandonner nos habitudes et notre volonté propre qui naissent de la sagesse du monde et de l'amour pour le monde. Il faut se convertir à la vie spirituelle, n'être la cause d'aucun mal et respecter les commandements de Dieu. Car les bonnes œuvres sont comme un sacrifice offert à Dieu. « Dieu ne méprisera pas un cœur brisé et humilié. » ( Ps. 50, 19) ; Les passions humaines sont au contraire des sacrifices offerts aux démons. L'homme a été créé impassible ; les passions naissent en lui selon son libre vouloir, selon ce qu'il fait ou ne fait pas. Que le Seigneur nous préserve de toutes passions. Amen. Les batailles contre le démon. Comment repousser toute pensée et tout désir. Prends garde à toi-même, ô moine. Que ton esprit soit vigilant, afin de repérer le moment où viennent les démons, de discerner les moyens dont ils usent et de les vaincre. Protège-toi avec soin, car à toute heure tu frôles les passions et les pièges. Les passions sont partout alentour. Leurs pièges sont partout tendus. Prends garde de ne pas te laisser capturer par l'ennemi en succombant aux passions et en tobant dans ses pièges ; Il est essentiel que nous autres, hommes de chair, combattions ceux qui sont sans la chair – à un contre dix mille ; Il nous faudra verser des torrents de larmes, avoir beaucoup de patience et endurer de grandes peines tout en restant attentifs, car les esprits malins peuvent nous attaquer avec la ruse du lion. Ils nous détruiraient si le Seigneur n'était auprès de nous. Depuis plus de sept mille ans, ils ont exercé leur art pour s'emparer des hommes. A tout moment, par tous les moyens, sans sommeil, ni nourriture, ni repos, ils s'efforcent de nous entraîner pour nous perdre ; Quand leur pouvoir s'évanouit, ils imaginent immédiatement autre chose. Ils commencent une chose et déjà ils pensent à une autre. Ils sont partout à l'affût, cherchant des voies par où pénétrer et par où engager la bataille ; ainsi ils nous induisent au mal. Ne sais-tu pas contre qui tu te bats ? Combien de légions d'ennemis invisibles t'entourent, chacune menant contre toi sa bataille ? Ils vocifèrent comme des voix innombrables, ne cherchant qu'à engloutir ton âme. Prends garde ! Crois-tu que tu pourras être sauvé si tu bois tout ton soûl et si tu dors avec excès, toujours vautré, toujours en train de te satisfaire, Si tu n'es pas attentif à cela, tu n'échapperas pas à leurs pièges. Nous sommes entrés dans une bataille où l'on marche sur le feu. Si nous voulons être de véritables combattants du Roi Céleste et non pas de faux participants, il nous faut repousser toutes passions. Les démons ajustent leurs pièges selon nos désirs et notre zèle, car c'est en nous, par notre attachement aux choses et notre faiblesse, que naît le péché. Si par contre nous écartons toute négligence, toute pusillanimité, toute faiblesse, nous pourrons résister à leurs ruses. Oeuvrons dans la prière et les autres vertus, de toute notre ferveur et de toutes nos forces, âme, cœur et esprit, comme celui qui court sans se retourner ou comme l'avare qui se restreint, car les démons sont pleins d'astuce. Ils s'occupent sans arrêt de nous. Ils nous observent et remarquent nos penchants et nos désirs, ce que nous pensons et ce que nous aimons, ainsi que ce qui nous occupe. Dès qu'ils décèlent en nous une passion, ils l'attisent et nous tendent leurs pièges. En ce sens, c'est nous-mêmes qui suscitons en nous les passions, c'est nous-mêmes qui en sommes la cause. Les démons sont à l'affût de tout penchant ou de tout désir par lesquels ils nous assailleront et nous captureront. Ils ne nous contraignent pas à faire ce que nous ne voulons pas, ce que notre esprit refuse ou ce que notre volonté rejette, car ils savent qu'alors nous ne leur obéirons pas. Ils nous éprouvent plutôt, afin de déterminer si nous allons succomber à telle passion ou à telle autre. En fonction de notre désir et de notre zèle ils ajustent leurs pièges, car c'est de nous que naît l'occasion du péché. Nous ne retranchons pas le commencement des passions ; mais les démons sont la cause ultime de tout mal. C'est par les démons que nous tombons dans le péché, et c'est à cause d'eux seuls que nous faisons le mal. Les démons nous poussent aux passions. Ils nous forcent à tomber dans le péché et nous sommes comme pris dans leurs filets. Par filets j'entends la pensée du désir, ou toute pensée vile qui nous rend passionnés et nous fait tomber dans le péché. Telle est la porte par où pénètrent en nous les démons, en vue de nous dérober notre trésor spirituel. Le sommeil excessif, la paresse, la gloutonnerie, tout cela fait entrer en nous les démons. Une fois qu'ils sont là, ils frappent secrètement à la porte du cœur, tels des voleurs. Ils y introduisent une pensée, puis ils observent s'il s'y trouve ou non un guetteur, c'est-à-dire si la dite pensée est reçue ou non. Si elle est reçue, alors ils commencent à éveiller cette passion et à l'exciter en nous ; ainsi ils volent notre trésor spirituel. Si par contre ils trouvent un gardien à la porte de notre cœur et qu'il a l'habitude de repousser et d'ignorer leurs suggestions, si nous détournons notre intellect de ces impulsions premières et que nous restons muets et sourds à leurs aboiements afin de le diriger au plus profond du cœur, alors nous nous opposons à eux et ils ne peuvent nous faire aucun mal, car notre intellect est resté sobre. Les démons se mettent alors à ruser et à lancer leurs filets afin de nous prendre par les passions telles la négligence, la colère, la folie, l'amour de soi, la fierté, l'amour de la gloire, l'amour des plaisirs, la gloutonnerie, la fornication, le ressentiment, la colère, la rancune, le blasphème, l'affliction, le cynisme, la vanité, le bavardage, l'abattement, la lâcheté, le sommeil, la paresse, la lassitude, l'effroi, la jalousie, l'envie, la haine, l'hypocrisie, la duperie, le mécontentement, l'incroyance, la désobéissance, la convoitise, l'attachement aux objets, l'égoïsme, la pusillanimité, la mauvaise foi, l'aigreur, l'ambition, et la moquerie. Se lève alors l'orage des pensées de fornication et de blasphème qui est propre à effrayer l'ascète et à le décourager tant et si bien qu'il abandonnera son combat et sa prière. Si, après cela, les ennemis ne peuvent s'emparer de celui qui combat avec une âme ferme tel un soldat du Christ qui, portant sa croix, a posé ses fondations sur le roc de la foi, que des torrents d'afflictions ne peuvent ébranler ( Luc 6, 48), les démons tentent encore de le voler en simulant le bien. Ils réfléchissent en effet qu'il sera plus facile d'introduire quelque chose quia l'apparence du bien, afin de détourner celui qui est parfait de sa vertu et de son combat. Ils tentent de nous pousser à avoir des conversations spirituelles au nom de l'amour, à enseigner les hommes, ou à prendre une nourriture plus agréable pour faire plaisir à un ami ou bien pour célébrer une fête ; car ils savent, eux qui nous trompent, qu'Adam a chuté à cause de son amour des choses agréables. Ils commencent par altérer la pureté de notre intellect et notre vigilance, et par là ils nous précipitent soudain dans la fosse des passions charnelles, ou de toute autre passion. S'ils ne parviennent toujours pas à ébranler celui qui a gardé un intellect sobre, alors, armés de fausses visions, ils l'attaquent et le perturbent de nombreuses afflictions. Un vrai guerrier laisse passer tout cela avec indifférence, comme s'il n'était pas concerné, car il sait que tout cela vient des démons. S'ils ne parviennent toujours pas à vaincre, ils utilisent alors l'arme de l'orgueil. En l'homme épris de sainteté ils introduisent cette pensée secrètement : « Que d'afflictions tu as endurées ! » Les démons sont comme un chasseur rusé : si les moyens qu'ils ont d'abord utilisés se sont révélés inefficaces, ils abandonnent, ils s'éloignent et vont se cacher, feignant d'être vaincus. Mais fais attention, ô homme, prends garde, ne te relâche pas, car ils ne te lâcheront pas jusqu'à la tombe. Ils vont se préparer au siège et chercher tous les moyens par lesquels te contrer, car ils ne sont jamais au repos. Quand le zèle faiblit chez celui qui mène le combat, alors ils approchent de nouveau secrètement afin de jeter leurs filets sur lui et le capturer. Les démons posent leurs pièges sur les chemins de la vertu, tandis que nous nous appliquons à faire le bien pour le Salut de notre âme et non pas pour plaire aux hommes. Si par contre dans la vertu il y a une trace cachée d'impureté, d'orgueil, de vanité et de prétention, alors les démons ne vont pas nous en écarter ; ils vont même nous y inciter, afin que nos épreuves soient sans profit. Ils s'efforcent par dessus tout de nous dérober notre temps et de nous inciter à l'oisiveté. Dans tout ce qu'ils font, les démons tentent de creuser trois fosses en nous. D'abord ils agissent contre nous et nous entravent, afin qu'il ne naisse aucun bien de tous nos actes. Ensuite ils s'efforcent de nous empêcher de faire le bien par amour pour Dieu – je veux dire que, s'ils ne peuvent nous empêcher de faire le bien, alors, par la vanité, ils réduisent à néant tous nos travaux. Enfin, ils nous flattent pour nous faire croire qu'en tout nous sommes agréables à Dieu – autrement dit, quand ils se révèlent incapables de nous abuser avec la vanité, ils essaient de réduire à néant par l'orgueil toutes nos épreuves et de nous priver ainsi de toute rétribution. Les batailles des démons contre nous prennent trois formes. Premièrement, les démons prennent notre intellect ; l'homme devient négligent et se disperse dans ses diverses tâches. Ensuite ils introduisent en nous des pensées oisives, afin de nous faire perdre notre temps. Enfin ils suscitent diverses afflictions et tentations. Il nous est donc toujours demandé de garder un esprit sobre, car les ennemis ne cessent de nous tendre des pièges et de nous contrecarrer. Face à celui qui a combattu pendant des années, l'ennemi cherche l'occasion où en une heure de temps, il pourra détruire toutes ses œuvres. Peu nombreux sont ceux qui savent repérer les pièges, les ruses et les supercheries des démons. Etant un esprit non incarné, le démon n'a pas besoin de prendre de repos. Au cours de sa longue vie, il a appris comment attraper les hommes. Aucun homme ne peut échapper à ses pièges et à ses filets sans un corps rendu infirme par le combat incessant et sans la pauvreté en esprit, c'est-à-dire s'il n'a pas un cœur contrit et des pensées humbles. Celui-là seul pourra vaincre les démons. Le plus important, c'est que l'aide divine coopère avec nous. C'est en nous, comme nous l'avons déjà dit, que naissent toutes les passions, l'attachement aux créatures, la faiblesse et la négligence car nous ne repoussons pas dans notre âme et dans notre esprit la première impulsion de la passion naissante. Et les démons en rajoutent. Cherche en toi-même quelles sont les raisons de chaque passion ; quand tu les as trouvées, arme-toi pour en arracher les racines avec l'épée de la souffrance. Si tu ne l'arraches, elle va repousser et grandir. Il n'y a pas d'autre moyen de vaincre les passions, de se purifier et d'être sauvé. Si donc nous voulons être sauvés, nous devons couper net dès que pointe la pensée ou le désir d'une passion. Il faut vaincre les petites choses afin de ne pas succomber aux plus grandes. Il est évident que Dieu permet que nous soyons renversés pendant la bataille par des démons ou par une passion violente, à cause de notre fierté ou de notre orgueil, comme cela arrive quand on se croit Saint, fort, sûr de soi, et qu'on s'élève au-dessus de ceux qui sont plus faibles. Que celui-là reconnaisse qu'il est infirme, qu'il reconnaisse l'aide de Dieu et qu'il soit éclairé. Qu'il comprenne que sans l'aide de Dieu il ne peut rien faire, et sa pensée deviendra humble. La défaite est permise également à titre de châtiment pour nos péchés, afin que nous nous repentions et que l'épreuve nous fortifie. Enfin, elle peut être permise en vue des couronnes et de la victoire. Là où tu es vaincu et que tu souffres, attaque-toi à cette passion avant toute autre et mets-y tout ton zèle. Chaque passion et la souffrance qu'elle engendre sont vaincues grâce à une foi infaillible, grâce aux épreuves du cœur et aux larmes, grâce au zèle et à la lutte instantanée qu'on oppose à elle ; c'est un grand et noble combat, qui nous est enseigné par les Saints Pères ; Les attaques du démon contre nous proviennent de quatre causes : de la négligence et de la paresse, de l'amour de soi, de l'amour des plaisirs, et de l'envie des démons. Que le Seigneur par Sa Grâce nous préserve des filets de l'ennemi et des opérations des passions, pour les siècles des siècles. Amen. Sur l'affliction et la lassitude engendrées par les démons Il ne convient pas qu'un moine entame une vie de silence sans qu'il ait été soumis à l'épreuve et qu'il ait été enseigné par les passions. S'il est sans expérience, n'a pas près de lui un Père pour l'instruire et qu'il entame sans aide la bataille contre les démons, il sera bientôt détruit par eux. Il faut savoir reconnaître les impulsions qui viennent des démons, de même que l'affliction et la lassitude. Les démons suscitent par exemple des maux de tête, et quand nous sommes sensés nous prosterner, il nous semble que notre cerveau va se disloquer. Les démons pénètrent même par le canal de l'ouïe afin de provoquer des tentations en nous. Ils alourdissent notre tête, excitent notre cerveau et nous empêchent de mener le combat et de nous prosterner, comme si cela nous était devenu nocif. Le mal de tête naît simplement parfois à l'approche des démons, quand ils introduisent le trouble dans notre âme. Parfois, aussi, cela vient de ce qu'ils entrent et sortent par l'oreille, causant de la douleur. A leur approche, ils nous perturbent, et quand ils sont entrés la tête devient douloureuse et l'esprit est assombri. Le cœur gémit et aucun cri ne peut émaner de notre bouche. Il faut alors sortir au grand air et tout aussitôt ils s'en vont, balayés par le vent comme des moustiques, sans laisser aucune trace. Les démons peuvent également être cause de surdité, de l'échauffement de la tête et des oreilles, comme si une sangsue nous entrait dans le crâne, ou comme si quelqu'un nous arrachait les cheveux, causant une douleur insupportable. La tête ainsi alourdie et le cœur assombri, c'est comme si une portion de notre esprit nous avait été retirée et nous ne sommes plus même capable de lire ce qui est écrit. Les démons cherchent ainsi à nous éloigner du silence du désert. Il n'est a rien là de nouveau. Sois sans crainte, ô moine, et mets tout ton espoir en Dieu. De la même manière, ils suscitent en nous la négligence et la cécité, comme si nos yeux étaient prêts de s'exorbiter. Ils embrouillent nos paroles et rendent nos lèvres et notre langue douloureuses, comme si elles étaient collées, lorsque nous commençons notre prière. Ils provoquent le hoquet, pas celui qu'on peut avoir après avoir mangé, mais un hoquet qui fait mal à la gorge. Ils s'attaquent alors au cou, qui se trouve comme pris entre une paire de pinces. Si nous endurons toutes ces tentations et restons vigilants à prier, les démons se mettent à remplir les lieux comme des souris et à pousser toutes sortes de cris pour nous arracher de là où nous sommes, et nous faire tomber de notre chaise ou de notre lit ; ils ne veulent plus s'en aller. Si nous nous asseyons, les démons restent là à jouer de la musique ; l'âme s'abaisse à la paresse et s'éteint, de même que le feu lorsqu'il est plongé dans l'eau. Puis le sommeil gagne. Ils continuent encore à rôder autour de nous afin de rendre notre sommeil plus profond. D'eux émane une odeur encore plus répugnante que celle des chiens, afin que notre bouche reste fermée. Pendant les nuits de veille en prière, ils nous brûlent légèrement le visage. Certains ont l'impression que leur peau devient plus sèche pendant les veilles, mais il ne s'agit pas de cela. Les démons qui sont proches en sont la cause. De même lorsque l'envie de telle nourriture naît en nous, une bataille difficile est engagée. Lorsque nous menons la vie solitaire, les démons suscitent tout cela pour nous chasser du désert. Comme à de nombreuses reprises les mêmes maux ont affligé certains Saints, nous pouvons considérer qu'il s'agit d'une infirmité naturelle ; de même que si nous sommes souffrants et infirmes, nous restons allongés dans l'attente d'un soulagement, sans suspecter le jeu des démons. Et eux, qui ont bien remarqué notre négligence et notre inaptitude à réagir contre nos infirmités, ils en profitent pour s'emparer complètement de nous, si bien que tous nos membres deviennent faibles et endoloris. Si, par contre, nous avons la force de nous lever, d'aller nous rafraîchir au grand air et de prier avec ferveur, alors tous nos maux disparaissent sans laisser aucune trace. Les démons peuvent provoquer des élancements dans les bras et les jambes, comme si quelqu'un nous battait et nous tiraillait, transportant la douleur dans tout le corps. Ils sont aussi la cause de l'ennui et des frustrations. Pour susciter des passions, il leur suffit de toucher notre corps. Cela arrive vraiment. Saint Macaire le Grand le confirme qui, en marchant dans le désert, vit un démon tout couvert de calebasses en guise de vêtements. Il fut involontairement obligé de révéler ses actes au Saint. « Tu vois ces récipients qui sont sur moi, chacun en un endroit précis. En ces mêmes endroits j'enduis les hommes du contenu du récipient correspondant. Cela les fait souffrir au même endroit ». Quelles que soient les afflictions que les démons peuvent nous causer, ils s'efforcent de s'en cacher afin que nous ne réalisions pas qu'elles viennent d'eux. Ils attendent le bon moment pour causer une douleur ou une affliction ; ainsi nous ne pensons pas qu'ils puissent vraiment en être la cause et nous nous plaignons des circonstances difficiles, sans déceler leur ruse . Comme nous endurons alors sans rendre grâce, notre épreuve est sans profit. Lorsque nous sommes atteints de quelque maladie ou de lassitude, il nous faut donc de tout notre cœur tenir ferme sur le roc de la foi, en braves soldats du Christ ; si le mal provient des démons, il disparaîtra vite. S'il s'agit d'une maladie naturelle, elle va aller en empirant. Si nous avons décelé le rôle des démons, il faut s'opposer à eux jusqu'à la mort. Si le mal est naturel, il n'est pas nécessaire de contraindre la nature. Nous pouvons endurer et vaincre toutes les peines qui sont causées par les démons si nous faisons preuve de force, car Dieu ne permet pas que des tentations nous assaillent au-dessus de nos forces. Au contraire, Dieu nous apaise si nous endurons en silence et plaçons toute notre confiance en Lui, d'un seul cœur et sans douter. Celui qui s'oppose aux ennemis les fait fuir. Celui qui ne se fait pas violence sera vaincu par eux. « Dieu donne une demeure à ceux qui étaient abandonnés. Il délivre les captifs par Sa force ». (Ps 67, 7). Tous les jours il éprouve notre patience et offre son aide librement à notre libre choix, comme il la donne à tous ceux qui en ont le besoin. Ceux qui combattent souffrent jusqu'au moment où la Grâce les visite ; car alors, leurs pensées sont purifiées et les passions vaincues. Alors les souffrances causées par la maladie ou l'affliction sont soulagées et nous sommes préservés des incursions des démons et des passions. Grâce à la prière et au jeûne, grâce aux larmes et aux prosternations, avec la Grâce de Dieu, les démons sont éloignés de nous. Pourtant, il faut rester attentif, jusqu'au départ de l'âme, de peur que par négligence nous ne fassions quelque chose qui déplaise à Dieu, ou que les démons ne nous assaillent de quelque mal, la Grâce de Dieu se retirant alors de nous. Car la ruse et l'habileté des malins démons sont terribles ! Et nombreux sont leurs pièges et leurs inventions. Dans tout ce que nous essayons de faire de bon, ils s'interposent pour nous contrer. Peu nombreux sont ceux qui peuvent reconnaître leurs traits. Seuls ceux qui ont une âme forte reçoivent de Dieu cette révélation. Que le Seigneur Notre Dieu nous aide et nous fortifie contre les afflictions des démons, maintenant et toujours et pour les siècles des siècles. Amen. Sur les angoisses Celui qui est plutôt craintif de nature, qu'il s'emplisse de hardiesse et place tout son espoir en Dieu. Il ne faut pas laisser s'enraciner en nous cette attitude puérile – car les enfants sont souvent craintifs ; ignorons-là, car elle vient du démon. Le serviteur de Dieu ne craint que Son Maître qui a créé chaque corps, y a placé une âme et lui a donné vie. Les démons ne peuvent rien nous faire sans que Dieu le permette ; ils peuvent seulement nous effrayer et nous menacer avec des fantasmes. Celui qui possède un esprit droit et place tout son espoir en Dieu, celui-là ne les craint pas, car le Seigneur lui vient en aide et le réconforte. Qui donc pourrait nous faire du mal quand Dieu ne le permet pas ? C'est par le fruit de ses pensées que l'homme est fortifié ou au contraire affaibli, car en elles naissent le bien comme le mal. L'habitude fait que le bien ou le mal est attaché à chaque homme, et ce à quoi l'homme est accoutumé, semble lui appartenir en propre. Devant l'épreuve de l'angoisse, sois plein de hardiesse, fortifie ton cœur et sauvegarde-toi grâce au signe de la Croix : quand tu entres dans une pièce, fais le signe de la Croix, dis la prière suivie de « Amen » et tu seras sans crainte. Si les démons voient que nous sommes fermes dans le Seigneur, ils sont immédiatement rebutés et ils ne nous dérangent plus. Rappelons-nous que nous sommes entre les mains de Dieu. Le Seigneur a dit : « Voici, je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents et sur les scorpions, et sur toute la puissance de l'ennemi ; et rien ne pourra vous nuire » ( Luc 10, 19). Rappelons-nous que nous ne perdrons pas un seul de nos cheveux que Dieu ne l'ait ordonné ( Luc 21, 18). C'est nous-mêmes qui sommes la cause de nos angoisses lorsque nous nous laissons aller à des pensées négatives : « Et si le démon vient m'attaquer, m'assaillir et me terroriser ? » Ne laissons pas de telles pensées nous gagner, ne soyons pas à nous-mêmes notre propre ennemi en imaginant le pire. Pensons que Dieu se tient auprès de nous et nous ne connaîtrons pas la crainte. Les démons nous traquent tels des chasseurs et ils observent attentivement toutes nos pensées. Mais la crainte de Dieu fait disparaître la crainte des démons. Ce que les démons craignent par-dessus tout. Les démons craignent par-dessus tout les six vertus suivantes : 1) la faim, 2) la soif, 3) la prière du cœur 4) le signe de la croix, fait soigneusement, 5) la communion fréquente aux très Purs Mystères du Christ, si l'on en est digne et 6) l'espoir inébranlable en Dieu. Il n'existe pas d'arme plus redoutable pour s'opposer aux démons. Quelques conseils d'un père sur des sujets indispensables Lorsque Dieu permet l'épreuve, par exemple la nudité, la maladie, la faim ou toute autre tentation du corps, même si tu dois verser ton sang par amour pour Dieu, endure tout pour la gloire de Dieu et espère en Sa miséricorde. Dis avec confiance et sans crainte : « Nous avons passé par le feu et par l'eau ; mais tu nous en as tirés pour nous donner le repos » ( Ps. 65, 12). Si tu veux savoir, ô homme, comment accomplir la volonté de Dieu en toutes choses, écoute-moi. Pendant toute la durée de ton combat, dans tout ce que tu accomplis, accepte les épreuves par amour pour Dieu, selon l'état de tes forces. Vois comme Dieu est bon, car la plus petite épreuve endurée par amour pour Dieu vaut mieux que les grandes actions sans épreuves. Lorsque la faiblesse nous gagne, cela ne vient pas de Dieu mais des démons. Si nous sommes infirmes et que les forces nous manquent, nous gagnerons l'humilité, l'action de grâce et la prière du cœur. Si nous sommes en bonne santé, nous devons user nos forces jusqu'à l'épuisement. Ainsi, progressivement, le cœur se fortifie en acquérant la patience et les vertus. Nous ne pouvons être sauvés autrement. Celui qui ne vit pas selon l'esprit de la communauté à laquelle il appartient, celui-là s'expulse lui-même. Celui qui prononce des paroles violentes suscite la colère. La dispute, même en vue de faire le bien, est contradictoire. Si ton âme n'est pas atteinte de contrition, c'est que tu nourris colère et orgueil, ou bien que tu manges, bois ou dors trop, ou bien encore que tu es pris par tes distractions : l'âme ne peut alors devenir sensible. Si tu ne peux t'empêcher de trop manger, dis-toi que tu seras privé des nourritures célestes et des joies du Paradis, et que la nourriture d'ici-bas sera changée en vers. Toi qui sers pendant l'office divin, sois recueilli et prête attention, car ce que tu fais est grand ! Tu te trouves en un lieu saint parmi les anges, où tout est crainte et tremblement. O prêtre, éloigne-toi des lieux où les foules se pressent pour plaire aux hommes, car quelle contrition peut-il y avoir si tu officies à la hâte ? Celui qui ne verse pas de larmes ne devrait pas servir. Si ta conscience t'accuse de quelque chose, alors n'aie pas l'intrépidité de vouloir servir. Si tu veux apprendre, applique-toi et tu apprendras. Beaucoup de théologiens ont écrit des paroles très sages ; seules la veille et l'isolement leur ont permis de garder la contrition. Car la veille et la solitude donnent la clairvoyance à l'esprit et écartent les troubles. Elles ont le même effet que le travail manuel. La théologie ne convient pas à celui qui s'adonne aux conversations. Applique-toi, ô homme, chaque jour à détruire dans le repentir les péchés que tu as commis, et à inonder ton visage de larmes. Si la mort te rencontre un jour où tu as versé des larmes, alors tu seras délivré des tourments éternels car ton repentir aura été sincère. Ainsi ont été délivrés : le voleur qui a imprégné son mouchoir de larmes, le moine qui tous les jours commettait le péché de la chair et tous les jours se repentait devant l'icône du Christ, le publicain qui s'est frappé la poitrine en versant des larmes et en disant : « Dieu, aie pitié de moi, pécheur » ( Luc 18, 13), la prostituée qui a inondé de larmes les pieds très purs du Christ, et Manassé qui fut purifié dans les larmes du repentir. Tous ceux-là ont été sauvés. A vrai dire, je pense que s'il était possible de laver complètement notre corps avec nos larmes, alors il deviendrait incorruptible. Il ne peut verser de larmes celui qui ne persiste pas à combattre dans l'épreuve et qui ne connaît pas : 1) la contrition née des impulsions du péché ; 2) la joie émanant d'un cœur tendre ; 3) le souvenir des feux à venir et 4) le souvenir de la récompense accordée à chacun selon ses actes. Le Saint Esprit ne s'éloigne pas de l'homme qui possède ces quatre vertus. Il s'éloigne au contraire de celui qui se prélasse dans la paresse, ou a accompli un péché grave, ou encore ignore les passions dont il souffre. L'obéissance commence avec la renonciation complète de toute volonté propre et de toute justification de nous-mêmes, ainsi qu'avec la renonciation de notre propre corps. Il est très difficile de subjuguer notre volonté. Personne ne peut être sauvé s'il ne renonce à sa volonté propre, même s'il combat avec zèle ; car notre volonté s'élève comme une paroi de bronze entre nous et Dieu. Nous ne pouvons pas nous approcher de Dieu sans renoncer à notre volonté. Si nous demandons quelque chose que nous désirons et que nous ne somme pas exaucés, à l'avenir nous verrons ce désir s'affaiblir. Si par contre ton désir est exaucé, il ne fera que grandir en toi. Car chaque action bonne ou mauvaise grandit selon l'habitude et devient plus forte ainsi. Rappelle-toi ceci dans tout ce que tu entreprends. Si tu veux savoir quelles sont les actions et les habitudes de quelqu'un, écoute ses paroles car il n'est rien qui ne sorte de sa bouche qui n'ait été d'abord dans son cœur. Qu'est-ce qu'un moine ? Un moine est celui qui respecte les commandements du Seigneur ; en parfait chrétien il imite et participe à la passion du Christ, dans un martyre quotidien ; c'est un mort volontaire, un homme qui cherche à mourir dans les combats spirituels. Un moine est un pilier de patience, un puits d'humilité, une fontaine de larmes, un trésor de pureté ; il rit de tout ce qui est considéré splendide, agréable, glorieux et séduisant dans ce monde. Un moine est une âme qui souffre, pensant constamment à la mort, pendant la veille comme pendant le sommeil. Un moine est celui qui toujours force sa nature et domine ses sentiments sans montrer de faiblesse. Un moine appartient à l'ordre des incorporels – c'est-à-dire les anges. La tradition enseigne que ce sont les anges qui ont révélé aux hommes l'usage du chapelet et de l'habit monastique, dit « angélique ».-, bien qu'il subsiste dans un corps ; il a sans cesse la pensée de choses divines, en tout lieu et dans tout ce qu'il entreprend. Il est impossible à quiconque de se tenir constamment en présence de Dieu, à moins de placer en lui tout espoir de tout notre cœur et de s'en remettre à lui pour tous nos besoins. Si tu veux commencer à faire le bien, prépare-toi à affronter les tentations qui vont t'assaillir et ne fléchis pas dans l'espoir que tu as mis en Dieu. Lorsqu'un homme entreprend de vivre selon une foi ardente, l'ennemi du bien suscite en lui toutes sortes de tentations destinées à l'effrayer et à lui faire abandonner l'oeuvre qu'il désire accomplir. Si tu n'es pas préparé à affronter de telles tentations, alors garde-toi d'entreprendre l'oeuvre du bien. Celui qui doute de l'aide de Dieu, celui-là sera effrayé de sa propre ombre, même en l'absence de tentation. Pour chaque homme, la conscience doit être son instructeur et son témoin. Dans tout ce que tu accomplis, ne prononce aucune parole que tu n'aies pensée auparavant. Toute parole hâtive est à bannir. Ne révèle aucun mystère à celui que tu ne connais pas comme un ami. Un ami flagorneur devient vite un ennemi. Qu'il est bénéfique de fuir le monde Mieux vaut se mettre seul contre les démons dans la faim et le dénuement et mourir au combat dans le désert, loin du monde, plutôt que de chercher à accomplir de grandes œuvres pour le Salut au milieu du monde ; car le feu des passions de ce monde consume le moine qui y retourne. Même celui qui est impassible souffrira tant qu'il est dans le monde. Et celui qui est pris par les passions se fera prendre par tous les pièges du péché. Tel le poisson qui se précipite sur le ver au bout de l'hameçon et est vite tiré de l'eau et meurt, le moine qui est dans le monde est attiré en pensées par les choses de ce monde et, malgré lui, tombe dans les pièges de l'ennemi et meurt, s'étant éloigné de la vie angélique. Il fait lui-même périr son âme, la soumettant à tous les tourments. Le sommeil et l'amour des plaisirs sont comme des hameçons par lesquels les démons attrapent l'âme des moines et les mènent à la destruction. Tant que nous chérissons le sommeil, les plaisirs et la paresse, nous ne faisons que combattre avec la chair et non avec les démons. Celle-ci nous attaque sans cesse et aide ainsi les démons. La paresse en particulier nous assaille où que nous soyons, debout, assis ou allongé. Nous chérissons le sommeil, les plaisirs et la paresse parce qu'ils se développent naturellement avec le corps ; c'est pourquoi aussi ils sont si puissants à nous combattre. Que celui qui veut vivre à l'image de Dieu se force à maîtriser ses habitudes naturelles. Il faut nous repentir et user notre corps jusqu'à l'épuisement dans ce monde. Nous n'échapperons pas à la mort. A celui qui se fait violence, il sera beaucoup donné après la mort. Quant à celui qui chérit le sommeil et les plaisirs dans cette courte vie, il connaîtra après la mort les tourments éternels. Que faut-il préférer, ô homme ? Etre affligé pendant quelque temps et connaître le règne éternel, ou bien prendre du repos pendant quelque temps et connaître les tourments éternels ? Du sommeil et des plaisirs naît la paresse. De la paresse naît l'oisiveté. De l'oisiveté, le découragement. Du découragement, le relâchement du corps. Du relâchement du corps vient l'incapacité à maîtriser les sens et, de cette dernière, sous l'impulsion des démons surgissent alors les passions. Les passions grandissent avec notre accord, et selon notre volonté. Dans le monde, où les hommes considèrent librement tout ce qu'ils voient et entendent, les sentiments sont maîtrisés avec peine et les démons suscitent leurs impulsions aisément. Que chacun se garde donc du sommeil excessif, des spectacles offerts à la vue et à l'ouïe, des conversations oiseuses. Lorsque l'oeil voit quelque chose ou que l'oreille entend quelque chose, lorsque nous parlons de quelque chose, l'esprit y prête attention, l'âme cherche à s'en approcher et le cœur est bientôt envahi par le désir. Quand cette habitude est profondément ancrée en nous, les démons ne cessent d'investir notre esprit avec ces choses, toujours et encore. Lorsque nos sens se réjouissent des passions qu'ils connaissent, le péché est absolument manifeste. Aucun homme ne peut se purifier des passions s'il ne détruit pas toutes les occasions qui peuvent les faire naître. La dispersion des pensées, l'assombrissement de l'esprit et l'entrée des démons proviennent des passions suivantes : la paresse, les pensées impures, le sommeil excessif, la gloutonnerie, les accès de colère et le relâchement du corps. Seule l'activité intérieure, c'est-à-dire la prière incessante de l'esprit et du cœur ainsi que le jeûne peuvent arrêter les démons et leur interdire l'accès, laissant la place au Saint Esprit. L'homme devient ainsi un temple de Dieu. Autrement, l'amour du monde et l'esprit malin s'installent en nous, prenant possession de notre corps. Le Seigneur dit : « Cette engeance-là ( les démons) ne sort que par la prière et le jeûne » (Matt. 17, 21). L'élévation intérieure est inaccessible aux démons et elle les effraie ; par contre l'attrait pour les pensées mauvaises les attire et les fait pénétrer en nous. Aussi longtemps que l'homme reste attaché aux passions et à l'amour du monde, les démons contrôlent son corps afin de le forcer à succomber aux tentations, malgré lui ; l'homme n'est plus alors qu'un esclave soumis. Les passions sont les portes par où entrent les démons. Dieu permet qu'ils usent d'armes contre nous, afin que nous restions conscients de notre infirmité et ne soyons pas gagnés par l'exaltation. Toutefois les démons ne peuvent pas corrompre directement les qualités de notre âme, ni ses forces, car Dieu ne le leur permet pas. Parfois il arrive qu'un homme mène le bon combat, mais ayant succombé aux passions décrites plus haut, il laisse entrer les démons ; il est alors engagé dans un double combat et il ne pourra retrouver le zèle qu'il avait avant longtemps. De la distraction des pensées naissent la somnolence et le sommeil profond, jamais satisfait. De là naît le péché. Le péché entraîne le tourment de l'âme et le découragement. Nous avons vu que d'un esprit confus et assombri naissent des pensées vagues et distraites et l'incapacité à maîtriser les sens ; nous devons donc fuir toutes les tentations du monde, garder nos sens et les retenir, comme on tient un cheval en bride, de sombrer dans le mal. Nous devons sans cesse surveiller notre âme avec un esprit sobre, afin qu'elle ne laisse pas les sens faire le mal. Lorsque l'esprit n'agit plus en nous avec circonspection, les passions apparaissent en nous et sont autant d'armes dirigées contre nous. L'intellect lui-même commence alors à être gagné par les passions, et à être distrait et assombri. Les passions ne sont plus maîtrisées et elles deviennent libres. O moine, sois sobre en esprit, sois sobre ! Trouve-toi un endroit sombre, qui n'est d'aucun attrait pour les hommes, d'où on ne peut t'expulser, loin du monde. Mène là la vie silencieuse, restant éloigné du monde afin que même si tu voulais faire quelque chose dans le monde tu n'en aies pas la possibilité. Par le seul fait qu'il s'est retiré du monde, l'homme qui est dans le désert est délivré des passions. Qu'est-ce qui est de Dieu et qu'est-ce qui est de l'ennemi ? Comment peut-on juger une bonne action lorsqu'une pensée nous incline vers elle et une autre au contraire nous en éloigne ? Comment peut-on savoir s'il s'agit alors de la volonté de Dieu, ou bien de la tentation de l'ennemi ? L'ennemi aime à cacher la vérité et à mêler le bien et le mal. Comment donc déterminer la vérité ? La bonté de Dieu et toutes nos intentions sont pleines de douceur et d'espérance et elles permettent de dissiper le doute. C'est vrai non seulement de nos bonnes actions mais aussi de nos actions désordonnées, car Dieu dans la douceur patiente et attend notre repentir. Comment reconnaître les impulsions de l'ennemi ? En général l'ennemi nous entrave et nous détourne du bien. Toutefois là où apparemment réside le bien, mais où l'esprit cause en nous le trouble, nous fait oublier la crainte de Dieu, nous prive du calme, tandis que le cœur est en peine sans raison et que l'esprit vacille, sache alors que l'ennemi agit, et éloigne-toi de cet acte. Ce qui vient de l'ennemi provoque le trouble et l'inquiétude, plongeant l'esprit dans le doute. Nous ne devons pas accepter toutes les dispositions vers lesquelles incline notre cœur, mais plutôt nous interroger pour savoir si telle disposition nous est profitable. Lorsque l'esprit est gagné par les sombres pensées de l'ennemi, il faut renoncer complètement à toute pensée et à tout raisonnement, car nous ne pouvons connaître la vérité tant que notre esprit n'est pas purifié par la prière. Telle une eau boueuse, les pensées remontent vers l'esprit assombri ; tel un nuage, elles vont et viennent et l'âme devient insensible. Que celui qui veut connaître la vérité s'adonne longtemps à la prière sincère, puis à la tâche qu'il aura choisie. Pendant le temps de la prière, l'ennemi ne peut occulter la vérité, car il est alors sans pouvoir. Tu peux faire l'expérience dans les faits de la vérité d'une telle foi. A notre Dieu soit la gloire dans les siècles des siècles. Amen. Sur la foi infaillible Celui qui croit en la Providence infaillible de Dieu n'est pas inquiet ni même préoccupé de savoir quelle sera sa mort, qu'elle vienne des hommes, des bêtes sauvages, de la faim, de l'épuisement dû aux épreuves ou de toute autre provenance. On ne meurt qu'une fois, et personne ne peut y échapper. Celui qui en tout a placé sa confiance en Dieu, afin d'accéder au Royaume des Cieux, celui-là est mort au monde et n'est en rien préoccupé par la manière dont il mourra. Celui qui une fois pour toutes a placé son espoir en Dieu ne connaît plus d'inquiétudes, car dans tout ce qu'il fait il trouve du profit pour son âme. Celui qui accepte toutes les épreuves par amour de Dieu est assuré de trouver le Salut. La Grâce de Dieu nous est accordée selon la foi que nous avons. Si notre foi est faible, peu nous sera accordé. Si notre foi est grande, il nous sera accordé beaucoup pour notre patience. Rien ne nous arrive qui se situe en dehors du plan de la Providence de Dieu et de ses ordonnances. Dieu attend seulement de nous un esprit attentif. Toutefois les décisions divines sont hors de notre portée, insondables, et nous devons donc travailler avec patience au Salut de notre âme. Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé, par le Christ Jésus notre Seigneur. A lui soit toute gloire, maintenant et toujours et aux siècles des siècles. Amen. Exhortation Je vous implore et vous exhorte pères, frères et enfants bien-aimés : adorez le Seigneur de tout votre cœur et de toute votre âme. Soyez droits et justes, obéissants et humbles ; gardez la tête inclinée et que votre esprit soit tourné vers les Cieux. Soyez emplis de contrition envers Dieu et les hommes. Soyez source de consolation pour ceux qui sont dans l'affliction, patients dans l'épreuve ; ne vous adonnez pas à la colère ; soyez généreux et miséricordieux ; donnez à manger aux pauvres ; accueillez les étrangers ; endurez les épreuves pour la rémission de vos péchés ; soyez pleins de joie en Dieu ; connaissez la faim et la soif ; soyez doux et patients ; ne recherchez ni gloire ni richesse ; aimez votre prochain ; ne soyez ni hypocrites ni fiers ; réjouissez-vous des tâches que vous accomplissez pour la gloire de Dieu, dans le silence, répondant avec amabilité quand vous êtes interrogés ; respectez les jeûnes ; soyez toujours en prière ; veillez et récitez les psaumes avec un cœur intelligent. Ne jugez aucun homme, mais condamnez-vous plutôt vous-mêmes. Si vous accomplissez tout cela, vous serez l'enfant de l'Evangile, le fils de la Résurrection, l'héritier de la vie en Christ Jésus notre Seigneur. A Lui soit tout honneur, gloire et adoration, avec le Père et le Saint Esprit, maintenant et toujours et aux siècles des siècles. Amen. FIN
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