mardi 6 novembre 2018

Lettres Spirituelles de Saint Joseph l'Hésychaste.

La traduction de ce livre, épuisé, est publiée ici avec l'aimable autorisation de Monsieur Ivan Koenig que nous remercions vivement pour sa grande générosité.
SAINT JOSEPH L'HESYCHASTE LETTRES SPIRITUELLES Coll. Grands Spirituels Orthodoxes du XXème siècle Ed. L'Age d'Homme Dans la même série Aux éditions du Cerf Jean-Claude Larchet, Saint Silouane de l'Athos, 2001. Père Joseph de Vatopaidi, L'Ancien Joseph l'Hésychaste, 2002. Jean-Claude Larchet, Le Starets Serge, 2004. Aux éditions L'Age d'Homme Père Joseph de Katounakia, L'Ancien Ephrem de Katounakia, 2003. Père Ioannichié Balan, Le Père Cléopas, 2004. Mgr Nicolas Vélimirovitch, Prières sur le lac, 2004. JOSEPH L'HESYCHASTE LETTRES SPIRITUELLES Introduction de Jean-Claude Larchet Préface de l'archimandrite Ephrem Ancien Higoumène du Monastère Philothéou (Mont-Athos) TRADUCTION, NOTES ET GLOSSAIRE D'YVAN KOENIG Grands Spirituels Orthodoxes du XXème siècle L'AGE D'HOMME Edition originale : Gérondos Iosiph Ekphrasis Monachikis Empirias (Expression de l'expérience monastique) 4ème éd, 1992, Ekdosis Iéras Monis Philothéou, Aghion Oros ( Editions du Saint Monastère de Philothéou, Mont-Athos). 2005 by Editions L'Age d'Homme, Lausanne, Suisse INTRODUCTION La meilleure introduction à ce livre a déjà été écrite : c'est le livre consacré à la vie et à l'enseignement de l'Ancien Joseph l'Hésychaste par son disciple le Père Joseph de Vatopaidi, que nous avons publié en 2002 en traduction française aux éditions du Cerf. - Père Joseph de Vatopaidi, L'Ancien Joseph l'Hésychaste, Paris, Editions du Cerf, 2002. - . Le présent volume contient la traduction française de la quasi-totalité de l'oeuvre écrite de l'Ancien Joseph, consistant en quatre-vingt-une lettres adressées à des moines, à des moniales et à des fidèles vivant dans le monde, et en un court traité intitulé Epître à un ermite hésychaste. Ces lettres ne sont pas totalement inconnues des lecteurs français, puisque quelques-unes d'entre elles ont été publiées, dans d'autres traductions, par les revues Contacts et La Lumière du Thabor. - La Lumière du Thabor. Revue internationale de théologie orthodoxe. N° 41-42, 43-44, 45-46. FRATERNITE ORTHODOXE ST GREGOIRE PALAMAS. Ed. L'AGE D'HOMME. Père Joseph L'Hésychaste : Lettres spirituelles. Traduction Presbytéra Anna. - . L'ouvrage dans son intégralité a déjà été traduit dans de nombreuses langues, et il est depuis longtemps célèbre en Grèce, où il a déjà connu quatre éditions. L'Ancien Joseph est considéré depuis de nombreuses années dans le monde orthodoxe comme l'une des plus importantes personnalités spirituelles du XXème siècle. Sa dimension exceptionnelle apparaît dans la qualité spirituelle de sa vie et de son œuvre, mais aussi dans la remarquable fertilité de sa descendance spirituelle, puisque six grands monastères du Mont-Athos – Il s'agit des monastères de Philothéou, Dionysiou, Vatopaidi, Xiropotamou, Costamonitou et Caracalou. S'y ajoute depuis peu la grande Skite de Saint-André à Karyès – sont actuellement dirigées par ses fils et petits-fils spirituels, lesquels ont aussi fondé de nombreux monastères en Grèce et en Amérique du Nord, et que des dizaines de milliers de fidèles orthodoxes du monde entier sont en relation avec ces monastères et y trouvent une direction spirituelle. - Voir notre introduction à l'ouvrage précédemment cité, p. 11-13. Voir aussi Hiéromoine Macaire de Simonos- Pétra, «  Le Père Joseph l'Hésychaste et le renouveau contemporain de la Sainte Montagne », Communication au colloque international «  Saint Athanase et le monachisme athonite », Bose, 12-14 septembre 2004 ( à paraître). - . L'importance de l'Ancien Joseph a également été confirmée, en quelque sorte officiellement, par deux événements récents. Le premier est la décision du Patriarcat de Constantinople ( sous la juridiction duquel est placé le Mont-Athos) d'inscrire l'Ancien Joseph sur la liste de spirituels susceptibles d'être canonisés dans les prochaines années. Le second est le colloque inter orthodoxe qui s'est tenu à Athènes du 20 au 24 octobre 2004. Au cours de ce symposium, une trentaine de communications, présentées par plusieurs évêques, par des Anciens venus du Mont-Athos, par des professeurs des Facultés de théologie d'Athènes et de Thessalonique, et par des invités venus de divers pays, ont fait apparaître dans toutes ses dimensions la richesse de la personnalité, de l'enseignement et du rayonnement de l'Ancien Joseph. Le fait qu'une chaîne de télévision nationale ait filmé l'intégralité du colloque pour en diffuser de larges extraits, et surtout que mille cinq cents personnes y aient assisté du début jusqu'à la fin a montré la grande popularité qu'a aujourd'hui en Grèce une spiritualité monastique qui est pourtant, comme le constatera le lecteur de ce livre, des plus exigeantes. - A titre de documentation bibliographique, nous donnons la liste des communications, qui seront publiées en 2005 par les soins du Prof. Georges Mantzaridis dans les Actes du colloque : « La personne et l'oeuvre de l'Ancien Joseph l'Hésychaste » ( Higoumène Ephrem de Vatopaidi) ; « La situation ecclésiastique et spirituelle de l'Eglise de Grèce et du Mont-Athos à l'époque de l'Ancien Joseph l'Hésychaste » ( Prof. Archiprêtre Georges Métallinos) ; «  Le synaxaire de l'Ancien Joseph l'Hésychaste » ( Ancien Loukas de Philothéou) ; «  Les ancêtres spirituels de l'Ancien Joseph l'Hésychaste «  ( Ancien Moïse l'Hagiorite) ; « L'Ancien Joseph l'Hésychaste dans les monastères où il a pratiqué la vie ascétique, sur la base des archives de ces monastères » (Prof. Nikos Papadimitriou) ; «  Les lieux et modes d'ascèse de l'Ancien Joseph l'Hésychaste et de sa communauté » ( Higoumène Joseph de Xiropotamou) ; «  Les héritiers et les descendants spirituels de l'Ancien Joseph l'Hésychaste chez les Hagiorites » ( Hiérodiacre Pantéléïmon Karaladzos) ; « L Ancien Joseph l'Hésychaste, continuateur du mouvement hésychaste et philocalique » ( Prof. Dimitrios Tseleggidis) ; L'Ancien Joseph l'hésychaste et l'expansion du monachisme hagiorite » ( Prof ; Georges Mantzaridis) ; « La Sainte Ecriture dans la vie et l'enseignement de l'Ancien Joseph l'Hésychaste » ( Prof. Christos Karakolis) ; « La réclusion et l'hésychia de l'intellect selon l'Ancien Joseph l'Hésychaste » (Moine Marcel de Karakallou) ; «  La prière mentale selon l'Ancien Joseph l'Hésychaste » ( Archimandrite Nicodème Skrettas) ; «  La conception ecclésiologique de l'Ancien Joseph l'Hésychaste » ( S.E. Athanase, Métropolite de Limassol) ; « L'Ancien Joseph l'Hésychaste et le monachisme féminin » ( Prof. Anestis Kesselopoulos) ; « La trompette aux dix sons » ( Prof. Constantin Skoutéris) ; « L'épistolographie de l'Ancien Joseph l'Hésychaste » ( Prof. Nikos Nikolaïdis) ; « La personne de l'Ancien dans la vie du moine selon l'enseignement de l'Ancien Joseph l'Hésychaste » ( Higoumène Elisée de Simonos-Pétra) ; «  Les degrés de la perfection spirituelle selon l'Ancien Joseph l'Hésychaste » ( Archimandrite Zacharie de Maldon ) ; «  La vision de la lumière incréée chez les hagiorites récents et l'Ancien Joseph l'Hésychaste » ( Prêtre Eleuthère Karalampidis) ; «  La sensation de la beauté de l'ascèse selon l'Ancien Joseph l'Hésychaste » ( Prof. Chrysostome Stamoulis) ; «  La vie liturgique et l'Ancien Joseph l'Hésychaste » ( Prof. Georges Philias) ; «  La personne de la Toute-Sainte dans la vie et l'enseignement de l'Ancien Joseph l'Hésychaste » (S. E Joël, Métropolite d'Edesse) ; «  Le retrait de la grâce selon l'expérience et l'enseignement de l'Ancien Joseph l'Hésychaste » ( Jean-Claude Larchet) ; « La dimension pastorale de l'oeuvre de l'Ancien Joseph l'Hésychaste ( S . E. Nicolas, Métroplite de Mésogia) ; «  Le discernement dans la vie et l'enseignement de l'Ancien Joseph l'Hésychaste » ( Archiprêtre Basile Kalliakmanis) ; « Approche psychologique de l'expérience spirituelle de l'Ancien Joseph l'Hésychaste » ( Prof. Paul Kimisis) ; «  L'influence de l'Ancien Joseph l'Hésychaste sur l'ascèse et la vie liturgique du Mont-Athos » ( Higoumène Ephrem de Vatopaidi) ; «  L'apport de l'Ancien Joseph l'Hésychaste à la tradition spirituelle du monachisme orthodoxe » ( Higoumène Joseph de Xiropotamou) ; « L'apport de l'Ancien Joseph l'Hésychaste à la Grèce orthodoxe » ( Prof. Stylianos Papadopoulos) ; «  L'Ancien Joseph l'Hésychaste et le monachisme orthodoxe en Amérique » ( Dr. Constantin Cavarnos) ; «  L'héritage de l'Ancien Joseph l'Hésychaste dans le monde slave » ( S.E. Athanase Jevtitch, ancien évêque de Zahumlje et d'Herzégovine) ; « L'esprit hésychaste de l'Ancien Joseph et l'hésychasme en Roumanie aujourd'hui » ( Prof. Archiprêtre Constantin Coman). - . On ne manque pas d'être frappé, en effet, par l'extrême sévérité de l'ascèse que s'impose l'Ancien Joseph et qu'il inspire à ses disciples. A la lecture de ces lettres, on se retrouve plongé dans l'univers spirituel des vies des anciens saints et en particulier des Pères du désert ; Certaines formes extrêmes de l'ascèse que s'impose l'Ancien Joseph sont liées à sa nature et à sa voie propres, notamment au fait qu'il avait une constitution corporelle vigoureuse et devait lutter contre de puissantes pulsions ; on ne saurait donc en faire une voie universelle ni une règle applicable à tous. Il n'en est pas moins vrai qu'une certaine souffrance est inévitablement liée à l'ascèse en tant que celle-ci a pour fonction de libérer l'homme de ses attachements à ce monde, autrement dit de ses passions, et que cela implique le renoncement aux plaisirs liés à ces passions et donc une frustration pénible. Ce renoncement n'a cependant d'autre but que de permettre à l'homme d'accomplir les vertus dans lesquelles il s'attache à Dieu, et de trouver ainsi une joie, de nature spirituelle, infiniment supérieure aux plaisirs inconsistants de ce monde. La douleur de l'ascèse n'a qu'un temps, tandis que, pour ceux qui l'ont supportée, la joie et la béatitude qui la suivent sont éternelles. Au-delà de cette dimension ascétique, on trouvera dans ce recueil de lettres, adressées non seulement à des moines ou à des clercs, mais aussi à des laïcs vivant dans le monde et soucieux d'y mener une vie spirituelle approfondie, de nombreux conseils concrets. Ces conseils concernent tous les aspects de la vie spirituelle. On verra que l'enseignement de l'Ancien Joseph se situe dans la ligne des Pères, en particulier de saint Macaire d'Egypte, de saint Jean Climaque et de saint Isaac le Syrien, mais qu'il comporte aussi un apport personnel et original, lié à sa propre expérience ; C'est celle-ci surtout qui inspire ses conseils, que ce soit dans le domaine du combat intérieur contre les passions et les mauvaises pensées, de la pratique des vertus chrétiennes – en particulier de la pénitence, de l'humilité et de la charité - , des relations avec le prochain, du découragement que l'on peut ressentir à certains moments, ou de la Prière de Jésus, dont l'Ancien Joseph fut, au siècle dernier, l'un des plus grands maîtres, au point d'être, au Mont-Athos, l'un des principaux restaurateurs de la tradition hésychaste. Vrai Père spirituel, l'Ancien Joseph savait s'adresser à chacun en fonction de ses conditions de vie, de son propre état spirituel, de ses propres besoins. Dans ces lettres d'un très haut niveau spirituel, chaque lecteur pourra trouver aussi une nourriture adaptée à sa propre situation et proportionnée à son désir de progresser dans « la vie en Christ ». JEAN-CLAUDE LARCHET Nous remercions l'Ancien Ephrem, ancien Higoumène du monastère athonite de Philothéou résidant aujourd'hui aux Etas-Unis, ainsi que l'Archimandrite Nicodème, actuel Higoumène de ce monastère, de nous avoir donné leur autorisation et leur bénédiction pour publier ce livre en traduction française. Nous remercions également Yvan Koenig qui a réalisé cette traduction avec sérieux et compétence, ainsi que le Hiéromoine Macaire de Simonos-Pétra qui a assuré la révision de celle-ci et qui a contribué, par sa connaissance du monde athonite, à préciser certaines notes et certaines définitions du glossaire. Les notes et le glossaire sont d'Yvan Koenig. Les termes figurant dans le glossaire sont suivis, dans le texte, du signe *, que l'on trouve seulement à la première occurrence de chaque terme défini. Presbytéra Anna remercie M. Yvan Koenig de lui avoir donné l'aimable autorisation de pouvoir recopier sur ce blog internet son admirable traduction du difficile texte des Lettres spirituelles de Saint Joseph l'Hésychaste. Que les prières de Saint Joseph l'Hésychaste soient sur tous ceux qui implorent son aide ! PREFACE J'avais dix-neuf ans, je m'en souviens, lorsque je pris la route du Jardin de la Toute-Sainte qu'est la Sainte Montagne*. Ce chemin, qui devait me mener à la vie monastique, me fut indiqué par ma vertueuse mère qui avait les moines en affection – d'ailleurs elle est devenue moniale sous le nom de Théophano. Lors des premières années de misère de l'Occupation, lorsque je dus interrompre le collège pour travailler, un moine de la Sainte Montagne vint pour desservir l'une des deux églises des Vieux-calendaristes* à Volos. C'était un disciple de l'Ancien Joseph l'Hésychaste, comme on l'appelait ; Ce hiéromoine athonite fut pour moi, durant cette période, un conseiller précieux et un aide dans mon parcours spirituel . Il devint mon confesseur et, sous l'influence de ses récits et de ses conseils, en peu de temps, je commençai à ressentir que mon cœur se détachait du monde, attiré par l'appel de la Sainte Montagne. De plus, lorsqu'il me parlait de la vie de l'Ancien Joseph, quelque chose s'enflammait en moi, ma prière devenant aussi ardente que mon désir de le rencontrer. Lorsque le moment vint, le 26 septembre 1947, un petit bateau nous emmena tout doucement, un beau matin, depuis le monde jusqu'à la Sainte Montagne ; on aurait dit que l'on quittait la rive de l'éphémère pour gagner celle de l'éternité. A l'escale de sainte-Anne un vénérable Ancien m'attendait – le Père Arsène. «  Ne serais-tu pas Jeannot de Volos ? Me demanda-t-il. -Si, Géronda*, lui répondis-je, mais comment me connaissez-vs ? -Ah, dit-il, l'Ancien Joseph le tient du vénérable Précurseur. Il lui est apparu cette nuit et il lui a dit : «  Je t'apporte un agnelet, mets-le dans ton enclos. » » Je m'appliquai à penser au vénérable Précurseur, qui est mon saint patron, car je suis né le jour de sa naissance . Je me sentis plein de reconnaissance pour sa sollicitude. « Eh bien, Jeannot, allons-y, me dit le Père Arsène, car l'Ancien nous attend. » Nous commençâmes à monter. Quelles sensations ! Personne ne pourrait les décrire. Ce soir-là, dans la petite chapelle du vénérable précurseur, qui est creusée dans une caverne, je fis la prosternation de ma soumission*. Là, dans la faible clarté de la chapelle, mon âme fit connaissance à sa manière avec la lumineuse personnalité de mon saint Ancien. J'étais le plus jeune de la communauté tant par l'âge que spirituellement. L'Ancien Joseph était l'une des plus grandes figures spirituelles de la Sainte Montagne de cette époque. Je demeurai auprès de lui pendant douze ans, caar telle fut aussi la durée de sa vie par la suite. Dieu me jugea digne de le servir jusqu'à son dernier souffle . Et il était digne d'être servi, en raison de ses nombreux labeurs spirituels, et des saintes prières qu'il nous laissa comme un précieux héritage spirituel. Quand je le connus, c'était un authentique théophore*, et un général spirituel de premier ordre, bien aguerri dans la lutte contre les passions et les démons. On ne pouvait pas s'approcher de lui, quelque passionné que l'on fût, sans être guéri. Il suffisait seulement de lui faire obéissance. Pour les moines, il plaçait au-dessus de tout l'obéissance, à l'imitation du Christ. Quant aux laïcs, il préférait mettre en avant la Prière mentale*, mais toujours sous la direction de guides éprouvés. Car il avait vu beaucoup d'illusions spirituelles et il les redoutait. Il disait : « Si tu vois quelqu'un qui ne sollicite pas de conseils ou qui ne met pas en pratique les conseils qu'on lui donne, attends-toi à ce que d'ici peu il tombe dans l'illusion spirituelle. » Quant à notre règle de vie ascétique, il était très rigoureux ; De toute son âme, il aimait «  les jeûnes, les veilles et les prières ». Son pain et sa nourriture étaient toujours mesurés et il ne prenait pas de nourriture fraîche s'il savait qu'il en restait de la veille, ou même de l'avant-veille. Concernant le régime des jeunes, il était plus modéré. Car il voyait tant de faiblesses corporelles en nous qu'il estimait qu'il fallait nous ménager. Mais cette indulgence semblait avoir épuisé toute sa condescendance ; au-delà de cela il était très exigeant. Non pas qu'il ne sache pas pardonner les fautes ou supporter les faiblesses, mais il voulait que nous mobilisions toutes nos forces tant psychiques que physiques pour l'ascèse. Car il disait : «  Tout ce que nous ne donnons pas à Dieu pour qu'Il s'en serve, c'est l'autre qui l'utilise ; C'est pour cette raison que Dieu nous a donné le commandement de L'aimer de toute notre âme et de tout notre cœur, afin que le Malin ne trouve pas de lieu de repos pour demeurer en nous. » Nous veillions chaque nuit. C'était notre règle. Il exigeait que nous combattions jusqu'à verser notre sang contre le sommeil et les mauvaises pensées. Lui veillait dans l'obscurité de sa petite cellule, avec comme inséparable compagnon la prière mentale ininterrompue. Bien qu'enfermé dans sa cellule, il paraissait connaître ce qui se passait à l'extérieur : comment nous allions et comment nous nous tirions d'affaire. D'un simple coup d'oeil, il lisait nos pensées, et quand il voyait que nous avions besoin d'un remontant spirituel, il nous racontait différents exploits accomplis par les Pères de la Sainte Montagne. Ses récits étaient pleins de charme, et quand il avait commencé de parler, on ne voulait plus qu'il s'arrête. Mais malgré son don inné pour la narration, lorsqu'il en venait à nous parler de l 'illumination divine et des différents états de grâce, il semblait souvent embarrassé, car le pauvre vocabulaire humain ne lui était d'aucun secours pour exprimer ces notions profondes. Il restait comme sans voix, loin de nous, incapable de parler de ce qui se trouve dans l'inconnu absolu, au-delà du lumineux, le sommet le plus élevé des paroles mystiques ; là où se trouvent les simples, absolus, immuables et indicibles mystères de la science divine (theologia). Mon Ancien n'avait pas étudié la théologie, mais il parlait de théologie avec beaucoup de profondeur. Il a écrit dans une de ses lettres : «  Lorsque le moine authentique, par l'obéissance et dans l'hésychia*, a purifié ses sens, apaisé son esprit, et purgé son cœur, alors il reçoit la grâce et l'illumination de la connaissance en devenant tout entier lumière, tout entier esprit, tout entier limpidité. La science divine jaillit alors de lui. Au point que si trois personnes voulaient écrire ce qu'elles entendent, elles n'auraient pas le temps de décrire ce courant de la grâce qui jaillit par vagues en répandant dans tout le corps la sérénité et une extrême immobilité des passions. Le cœur se consume d'amour divin et crie : « Contiens, mon Jésus, les vagues de Ta grâce, car je fonds comme de la cire. » Et de fait, on fond, car on ne peut la supporter ; L'esprit est alors ravi en contemplation . Un mélange se produit, l'homme est transformé, et il ne fait plus qu'un avec Dieu, au point de ne plus se connaître ou se distinguer lui-même, comme le fer dans la fournaise, qui une fois chauffé ne fait plus qu'un avec le feu. » Selon ces paroles, il semble que la nuée divine, qui est illuminée par la lumière incréée, ne lui était ni inconnue ni inaccessible, mais il la connaissait comme un lieu et un mode de présence de Dieu, comme un mystère indicible, comme une lumière resplendissante plus que lumineuse. Et tout cela parce que mon Ancien savait prier. Bien des fois, après plusieurs heures de prière du cœur, nous voyions son visage transfiguré et resplendissant. Il n'y a rien d'étonnant à ce que la lumière dans laquelle son âme baignait continuellement pût par moments aussi envelopper son corps. D'ailleurs, l'auréolde des saints sur les icônes n'est rien d'autre que ce reflet de la lumière incréée de la grâce, qui resplendit et irradie en eux comme de l'or. La pureté de l'Ancien était remarquable. Je me souviens que lorsque j'entrais le soir dans sa petite cellule, tout embaumait. Je sentais que l'odeur de sa prière imprégnait tout ce qui l'entourait, affectant nos sens non seulement internes mais aussi corporels. Quand il nous parlait de la pureté de l'âme et du corps, il prenait toujours comme exemple notre Toute Sainte Mère de Dieu : «  Je ne peux vous décrire, disait-il, à quel point notre Toute-Sainte aime la chasteté et la pureté. Elle-même est l'unique Vierge pure, c'est pourquoi elle veut et aime que l'on soit ainsi. En outre, il n'y a pas de sacrifice qui soit plus parfumé pour Dieu que la pureté du corps, qui s'acquiert dans le sang et au prix d'un terrible combat. » Et il concluait en disant : « Faites-vous donc violence en purifiant votre âme et votre corps ; n'acceptez dans votre esprit aucune mauvaise pensée. » Quant au silence, il ne proférait pas une parole sans nécessité, particulièrement durant le Grand Carême*. Quand lui et le Père Arsène demeuraient seuls, ils gardaient le silence pendant toute la semaine. Ils ne parlaient qu'entre les Vêpres du samedi et les Complies du dimanche, puis de nouveau ils gardaient le silence jusqu'à la fin de la semaine, se servant de gestes pour communiquer ; Ayant constaté la grande utilité spirituelle de l'ascèse du silence, il nous interdisait aussi de parler entre nous, ne permettant que nous ne brisions le silence qu'en cas d'absolue nécessité ; Quand il nous envoyait à l'extérieur de notrs hésychastère* pour quelque diaconie*, il nous interdisait de parler à qui que ce soit ; Je me souviens qu'à mon retour, il m'interrogeait avec soin pour voir si j'étais resté dans l'obéissance et le silence absolus. Pour une transgression de deux ou trois mots, ma première pénitence fut de deux cents métanies*. Mais cet homme céleste savait avec tant d'habileté guérir les passions de ses disciples, que le simple fait de demeurer près de lui suffisait à faire de nous des hommes nouveaux ; Mais peu restèrent, alors que beaucoup ne firent que passer ; Il n'était facile pour personne de rester auprès de lui. Pour mon humilité, son amour paternel eut recours à tant de rebuffades qu'il serait difficile de le croire si je les racontais ; Par exemple, pendant les douze années où nous vécûmes ensemble, je n'entendis que peu de fois mon nom dans sa bouche. Pour m'adresser la parole, ou m'appeler, il utilisait toutes les insultes et tous les adjectifs du monde qui les accompagnent. Mais quelle tendresse derrière ces railleries et ces excès ; quelle pure attention derrière ces insultes ! Et combien mon âme lui est reconnaissante maintenant de ces interventions chirurgicales accomplies par sa langue toute pure ! Nous sommes restés pas mal d'années au désert. - Le Père Ephrem désigne ici l'ermitage, installé à flanc de falaise, en contrebas de la skite d ela Petite Sainte-Anne, où le Père Joseph et ses disciples ont pratiqué l'ascèse dans de grandes difficultés avant de descendre à Néa-Skiti, en bordure de mer, où l'Ancien passa les dernières années de sa vie terrestre. - . Mais du fait des diverses privations nous sommes tombés presque tous malades. L'Ancien fut informé dans sa prière qu'il fallait que nous descendions plus bas. Là, le climat était plus doux et les peines moindres, en sorte que nous avons recouvré la santé, à l'exception de l'Ancien, qui fut malade toute sa vie. Que ce soit à cause du jeûne, ou à cause des fatigues des veilles, de la sueur de la prière ou encore des tentations, de toute façon il en arriva à n'être plus qu'une plaie. Un jour je lui demandai : «  Géronda, pourquoi après un tel épuisement jeûnez-vous encore maintenant ? » Il me répondit : « Maintenant, mon enfant, je jeûne pour que notre bon Dieu vous accorde Sa grâce. » Mais malgré ses maladies et ses souffrances corporelles, il ressentait en lui-même une telle richesse et béatitude de l'âme qu'il avait du mal à les décrire ; et il disait qu'il y avait en lui quelque chose comme le Paradis. Finalement vint le moment pour lui de partir. Il avait attendu la mort pendant toute sa vie, car son séjour ici-bas ne fut que combat, peine et souffrance. Son âme désirait ardemment son repos, et son corps également. Pour notre part, bien que depuis le début il eût solidement planté en nous le souvenir de la mort, sa familiarité avec « le redoutable mystère d ela mort », nous impressionna beaucoup. Il semblait se préparer pour une fête, tant sa conscience l'avait informé de la miséricorde divine. Mais les derniers jours, il pleura plus que d'habitude. Alors l'Ancien Arsène lui dit pour le consoler : « Géronda, vous vous êtes donné tant de mal, vous avez tant prié durant toute votre existence, versé tant de larmes ; et pourtant vous pleurez ? » L'Ancien le regarda et soupira : « Eh, Père Arsène ! Tout ce que tu as dit est vrai, mais je ne suis qu'un homme. Est-ce que je sais si tout ce que j'ai fait à plu à mon Dieu ? Lui, Il est Dieu ; Il ne juge pas comme nous les hommes. Et est-ce que j'aurai l'occasion de pouvoir revenir pleurer ici ? C'est là ma dernière opportunité. Plus on porte le deuil* et plus on pleure ici-bas, plus on sera consolé. » Son amour pour la Toute-Sainte dépassait l'imagination. Il lui suffisait de mentionner son nom pour se mettre à pleurer. Depuis un certain temps, il la suppliait de le prendre pour qu'il puisse se reposer, et la Souveraine de l'univers l'exauça. Elle l'informa un mois avant de son départ . Alors l'Ancien m'appela et m'indiqua ce qu'il fallait préparer. Nous attendîmes. La veille de sa dormition, le 14 août 1959, Monsieur Schoinas de Volos – un des rares éditeurs de textes patristiques et monastiques à l'époque – vint le voir ; c'étaient de vieilles connaissances : «  Comment allez-vous, Géronda, comment va votre santé ? Lui demanda-t-il ; -Demain, Sotiris, je m'en irai pour la patrie céleste. Lorsque tu entendras les cloches, tu te souviendras de ce que je t'ai dit. » Le soir, lors de la veille de la fête de la Dormition de la Mère de Dieu, l'Ancien chanta de concert avec les pères autant qu'il put. Lors de la divine Liturgie, au moment de communier aux Saints Mystères, il dit : « Viatique pour la vie éternelle ! » C'était l'aube du 15 août. L'Ancien était assis dans son petit fauteuil de martyr dans la cour de notre ermitage, attendant l'heure et le moment. Il était sûr de l'information que lui avait donnée la Toute-Sainte, mais en voyant le temps passer et le soleil se lever, il sembla perplexe et ressentir comme une angoisse en raison du retard. C'était la dernière visite du Malin. Il m'appela et me dit : « Mon enfant, pourquoi Dieu tarde-t-Il à me prendre ? Le soleil se lève et moi je suis encore là ! » Voyant l'Ancien s'attrister et presque s'impatienter, je lui dis avec hardiesse : «  Géronda, ne vous faites pas de souci, maintenant nous allons prier et vous allez partir. » Ses larmes s'arrêtèrent. Les pères, chacun son chapelet à la main, dirent la Prière avec véhémence. Un quart d'heure à peine était passé qu'il me dit : « Appelle les pères pour qu'ils me fassent leur prosternation parce que je m'en vais. » Nous lui fîmes notre dernière prosternation. Peu après, il leva ses yeux vers le Ciel et regarda fixement pendant deux minutes environ. Puis il se tourna vers nous, et plein de sérénité et d'un indescriptible éblouissement spirituel, il nous dit : « Tout est accompli, je m'en vais, je pars, bénissez ! » En disant ces derniers mots il inclina sa tête sur la droite, ouvrit et ferma ses yeux et sa bouche calmement deux ou trois fois, et ce fut tout. Il rendit l'âme dans les mains de Celui qu'il avait cherché et qu'il avait servi depuis sa jeunesse. Il eut une mort vraiment sainte. Elle répandit en nous un sentiment de résurrection. Nous étions en présence d'un mort, et le deuil aurait été approprié ; mais en nous-mêmes nous vivions une résurrection. Cette impression ne me quitta plus, et il accompagne désormais le souvenir que je garde du saint Ancien d'éternelle mémoire. Sa vie en elle-même fut pour nous un enseignement aussi bien écrit qu'oral, parce que nous connaissions à travers notre propre expérience la force de ses paroles. Et parce que nous avons été sollicités par beaucoup de mettre par écrit l'enseignement de notre saint Ancien, voici que grâce à ce présent ouvrage nous lui donnons désormais l'occasion de s'exprimer en personne au moyen de ses lettres. L'Ancien Joseph était illettré selon le monde ; il avait à peine achevé la deuxième année de l'école communale. Mais il était un sage en sciences divines, car il avait été instruit par Dieu. L'université du désert* lui avait enseigné ce dont nous avons avant tout besoin : les réalités célestes. Nous savons que les paroles de l'Ancien seront utiles aux moines, mais aussi à tous ceux qui dans le monde mènent « le bon combat » ( 1 Tim 6, 12). Dieu seul sait à qui d'autre ces lettres pourront être utiles ; qu'il en soit selon Sa bonté ! Cependant un tel enseignement ni ne s'entend facilement, car il exige un esprit vaillant, ni ne se met facilement en pratique sans combat spirituel et sans beaucoup de labeur. Nous remercions tous ceux qui ont contribué à la présente édition et sollicitons les bénédictions du bienheureux Ancien sur eux. Nous demandons humblement pardon pour toutes nos lacunes. ARCHIMANDRITE EPHREM Ancien Higoumène du Saint Monastère de Philothéou sur la Sainte Montagne. PREMIERE PARTIE LETTRES A DES MOINES ET A DES FIDELES VIVANT DANS LE MONDE LETTRE 1 A un jeune, qui a posé des questions sur la Prière. Mon bien-aimé frère en Christ, je prie pour que tu te portes bien. J'ai reçu aujourd'hui ta lettre et je réponds à tout ce que tu m'écris. Il n'est nullement nécessaire de prendre du temps ou de la peine pour réfléchir à ce qu'il faut te répondre. La Prière mentale* est pour moi comme le métier exercé par chacun ; De fait, je la pratique depuis plus de trente-six ans. A mon arrivée sur la Sainte Montagne, je me suis tout de suite mis à la recherche d'ermites pratiquant la Prière*. Il y en avait beaucoup, il y a de cela quarante ans. C'étaient des hommes vertueux, des Anciens de jadis. J'en ai pris un comme Ancien et j'ai reçu des directives de plusieurs autres. La pratique de la Prière mentale consiste à se contraindre soi-même à dire sans cesse la Prière à voix haute et sans interruption. Au début rapidement, pour ne pas laisser à l'esprit le temps de donner forme à une pensée qui le distraie. Ne t'attache qu'aux seules paroles : « Seigneur Jésus-Christ aie pitié de moi ! » Lorsque la Prière est dite oralement pendant longtemps, l'esprit s'y habitue et la dit silencieusement.Tu y prends alors plaisir, comme si tu avais du miel dans la bouche. Tu veux la dire sans cesse. Si tu la délaisses, cela te fait beaucoup de peine. Quand l'esprit* y est habitué et en est rassasié – lorsqu'il la connaît bien – il l'envoie alors dans le cœur. Etant donné que l'esprit approvisionne l'âme et que sa besogne consiste à faire descendre tout ce qu'il voit ou entend dans le cœur, qui est le centre de la faculté spirituelle et corporelle de l'homme, le trône de l'esprit. Lorsque l'orant contrôle son esprit et l'empêche d'imaginer quoi que ce soit et qu'il porte son attention uniquement sur les mots de la Prière, alors, en respirant légèrement, il le fait descendre dans son cœur en exerçant une certaine contrainte et par un acte de son vouloir. Il l'y maintient, comme en réclusion, en disant en rythme la Prière : « Seigneur Jésus-Christ aie pitié de moi ! » Au début, il dit plusieurs fois la Prière, et reprend son haleine ; Par la suite, lorsque l'esprit a pris l'habitude de se tenir dans le cœur, à chaque respiration, il dit une prière. «  Seigneur Jésus-Christ » : il inspire, « aie pitié de moi » : il expire. Cela jusqu'à ce que la grâce le visite et commence à agir dans son âme. Au-delà, c'est le domaine de la contemplation*. Par conséquent, on peut dire la Prière partout : que l'on soit assis, allongé, et même en marchant ou encore debout. «  Priez sans cesse, rendez grâce en toute circonstance », dit l'Apôtre ( 1 Th 5, 17-18). Il ne s'agit pas de prier seulement avant d'aller dormir. Il faut lutter : debout comme assis. Quand tu es fatigué, assieds-toi ; puis relève-toi, pour ne pas être pris par le sommeil. C'est ce que l'on appelle la praxis*. Tu montres ainsi ta bonne volonté à Dieu ; mais il dépend de lui qu'il t'accorde quelque chose ou pas. Sa grâce est la force qui accomplit toute chose. C'est elle la force motrice. Comment se produit et agit l'amour divin, c'est ce que tu apprendras en observant les commandements. Lorsque toi tu te lèves la nuit pour prier, lorsque tu vois un malade et que tu le prends en compassion, lorsque tu vois une veuve avec ses enfants, ou des vieillards et que tu les prends en pitié, c'est alors que Dieu t'aime. C'est alors aussi que toi tu L'aimes.Lui t'aime le premier, et répand Sa grâce. Nous aussi nous lui retournons ce qui est à Lui : «  Ce qui est à Toi, le tenant de Toi » - Invocation du prêtre au cours de la Divine Liturgie, juste avant la consécration des saints Dons -, nous Te le rendons. Si donc tu cherches à Le trouver uniquement au moyen de la Prière, ne laisse pas un souffle sans Prière. Veille uniquement à ne pas accueillir des représentations imaginaires ; Car le Divin est sans forme, dépourvu de représentation, sans couleur ; il est au-delà de toute perfection. Il ne répond pas aux syllogismes. Il agit dans notre esprit comme une brise légère ( cf. 1 R 19, 12). La componction* vient quand tu te rends compte combien tu as attristé Dieu. Lui qui est si bon, si doux, si compatissant, si bienfaisant, et tout entier rempli d'amour. Lui qui a été crucifié et a tout subi pour nous. Quand tu médites sur cela et sur les autres choses que le Seigneur a subies pour nous, tu es porté à la componction. Ainsi, si tu peux dire la Prière à haute voix et sans cesse, en deux ou trois mois tu peux en acquérir l'habitude. Alors la grâce étendra sur toi son ombre et te rafraîchira. Seulement il faut que tu la dises à haute voix et sans interruption. Lorsque l'esprit la recevra, alors tu trouveras du repos à la répéter seulement du bout de la langue. La contrainte est tout entière concentrée sur la parole, jusqu'à ce que la langue y soit habituée dans un premier temps ; par la suite, durant toutes les années de ton existence, ton esprit la dira sans peine. Si tu viens, comme tu me l'as dit, sur la Sainte Montagne, viens donc nous voir. Mais nous parlerons alors d'autres choses. Tu n'auras pas de temps à cosacrer à la Prière. Tu trouveras la Prière lorsque ton cerveau sera en repos. Mais puisque alors tu visiteras les monastères, ton esprit sera occupé par tout ce qu'il entendra et verra. Je suis certain que tu finiras par trouver la Prière. N'en doute pas. Tu n'as qu'à frapper directement à la porte de la miséricorde divine et le Christ t'ouvrira à coup sûr ; le contraire est impossible. Aime-Le beaucoup, pour recevoir beaucoup. L'importance de Son don, grand ou petit, dépend de celle de ton amour pour Lui. LETTRE 2 Au même, sur la Prière, et en réponse à ses questions. Ton empressement à être utile à ton âme m'a grandement réjoui. Moi aussi, j'ai soif d'être utile à chaque frère qui recherche son salut ; Ainsi, cher frère bien-aimé, ouvre tes oreilles. Depuis sa naissance dans cette vie, l'homme est destiné à trouver Dieu. Cependant, il ne peut pas Le trouver si Dieu ne l'a pas trouvé auparavant, car « c'est en Lui que nous vivons et que nous nous mouvons » (Ac 17, 28). Mais les passions ont aveuglé les yeux de notre âme et nous ne voyons plus ; Mais lorsque le Dieu très bon tourne vers nous son regard, c'est comme si nous nous réveillions du sommeil, et nous commençons à rechercher notre salut. Voici la réponse à ta première question. Maintenant Dieu t'a vu, IL t'a illuminé et Il te guide. Continue à travailler là où tu te trouves. Dis la Prière sans cesse, en te servant de ta langue et de ton esprit ; Quand la langue est fatiguée, que l'esprit prenne le relais. Et réciproquement, lorsque l'esprit se lasse, que la langue commence. Prends garde seulement à ne pas t'arrêter. Fais beaucoup de métanies*. Veille la nuit tant que tu peux. Et si une flamme s'allume dans ton cœur par amour pour Dieu, et que tu en viennes à rechercher l'hésychia* alors que tu ne peux rester dans le monde parce qu'en toi brille la flamme de la Prière, alors écris-moi et je te dirai que faire. Si en revanche la grâce n'agit pas ainsi, et que ton zèle se limite à pratiquer les préceptes du Seigneur à l'égard du prochain, alors reste tranquille tel que tu es, et tu t'en trouveras bien ; ne recherche rien d'autre. Tu découvriras la différence entre trente, soixante et cent, en lisant l'Evergétinos*. - Cf. Mt 13, 8 : « D'autres grains sont tombés dans la bonne teerre et ont donné du fruit, l'un cent, l'autre soixante, l'autre trente. » - . Tu y trouveras bien d'autres enseignements qui te seront profitables. Et voici la réponse à ta deuxième question ; La Prière doit être dite par la parole intérieure. Mais puisque, au début, l'esprit n'y est pas habitué, il l'oublie. C'est pourquoi il te faut la répéter tantôt oralement et tantôt mentalement. Cela se produit jusqu'à ce que l'esprit en soit rassasié et que la Prière devienne « énergie ». Cette « énergie » de la grâce en toi se dit de ce que tu ressens en toi lorsque tu dis la Prière : la joie et l'allégresse, au point de vouloir la dire sans cesse. Lorsque l'esprit accueille la Prière et que la joie dont je te parle se manifeste, la Prière se dira en toi sans cesse, sans effort de ta part. C'est ce que l'on appelle l'action sensible de la grâce ; puisque la grâce agit sans la volonté de l'homme. Il mange, marche, dort, se réveille alors qu'en lui la Prière crie sans cesse. Et il éprouve de la paix, de la joie. Venons-en maintenant à ce qui concerne les temps de prière. Puisque tu vis dans le monde et que tu as différentes préoccupations, dis la Prière quand tu en trouves le temps ; Mais force-toi sans cesse, pour ne pas être négligent. Quant à la contemplation dont tu parles, pour le moment c'est difficile, car cela requiert une hésychia parfaite. L'état spirituel se répartit en trois degrés, et la grâce agit dans l'homme à la mesure de chacun. Le premier état est nommé purification ; dans cet état,Cette l'homme se purifie. Celui où tu te trouves en ce moment se nomme « grâce de la purification ». Cette forme de grâce suscite le repentir. Toute la bonne disposition que tu éprouves pour les choses spirituelles est le fruit de la grâce. Rien ne vient de toi. Elle agit de façon cachée pour tout. Cette grâce donc, quand tu te donnes du mal, demeure en toi un nombre déterminé d'années. Et si la personne progresse grâce à la Prière mentale, elle reçoit une autre grâce très différente. Le premier état, comme on l'a dit, s'appelle « sensation de l'action de la grâce » ; c'est cette purification que ressent l'orant lorsque l'énergie divine agit en lui. Le deuxième état, c'est la grâce illuminatrice. Pendant cette phase, on reçoit la lumière de la connaissance, et l'on est conduit à la contemplation de Dieu. Cela ne veut pas dire voir des lumières, avoir des imaginations, des images mentales, mais plutôt la limpidité de l'esprit, la pureté des pensées, la profondeur des idées. Pour y parvenir, l'orant doit avoir beaucoup d'hésychia et un guide sûr. Le troisième état, l'ombrage de la grâce, c'est, après les précédents, la grâce de la perfection  -sur ces trois phases, voir la Lettre 2 - ; c'est un grand don. Je ne t'écris pas à son sujet, puisque cela ne s'impose pas. Si malgré tout tu désires lire quelque chose à ce sujet, j'ai écrit, malgré mon manque d'instruction, une petite brochure manuscrite intitulée La trompette spirituelle – Cet opuscule est connu sous le titre : La trompette aux dix sons - , alors que ces manifestations de la grâce se produisaient. Cherche à te la procurer. Achète aussi l'ouvrage de Saint Macaire – c'est-à-dire les Homélies spirituelles – auprès de Monsieur Schoinas – l'un des rares éditeurs qui publiaient alors des textes patristiques - ; Abba Isaac le Syrien te sera aussi très utile. De plus écris-moi au sujet de tout changement intérieur que tu subiras, je te répondrai avec beaucoup d'empressement. En ce moment je ne cesse d'écrire à ceux qui m'interrogent. Cette année des gens sont venus d'Allemagne seulement pour s'informer de la Prière mentale. On m'écrit d'Amérique avec beaucoup d'empressement. A Paris, il y en a aussi beaucoup qui cherchent avec ferveur. Mais nous qui avons tout à nos pieds, pourquoi sommes-nous si négligents ? Est-ce vraiment un travail accablant que de crier sans cesse le Nom du Christ pour qu'il ait pitié de nous ? Enfin, une idée ténébreuse, inspirée par le Malin, prévaut, selon laquelle si quelqu'un vient à dire la Prière, il risaue d'erre ; c'est bien plutôt celui qui dit cela qui erre. - A cette époque, le Mont-Athos connaissait une certaine décadence, et la Prière mentale non seulement n'était pas pratiquée par tous les moines, mais était critiquée par cetains d'entre eux. L'Ancien Joseph fut l'un des principaux restaurateurs de la pratique de cette prière ainsi que du mode de vie hésychaste. - . Celui qui le veut n'a qu'à essayer. Une fois que la Prière aura agi pendant une longue période, il sentira le Paradis en lui. Il sera libéré des passions, il deviendra un autre homme. Si de plus il se trouve au désert, oh ! Oh ! Les bienfaits de la Prière seront indicibles ! LETTRE 3 A un moine, qui entre dans l'arène du combat. Réjouis-toi dans le Seigneur, mon enfant bien-aimé, toi que la grâce de Jésus a illuminé et qui t'es affranchi du monde. Toi qui t'es précipité dans le désert – Le désert désigne ici l'isolement de la vie monastique par-rapport au « monde » -, qui es entré dans le bercail d'une vie cénobitique, avec une sainte communauté et qui désormais rends grâce, et remercie Dieu du fond du cœur. La grâce divine, mon enfant, est comme un appât qui entre dans le cœur, et sans violence attire l'homme vers des réalités supérieures. Elle connaît la manière d'attraper les poissons spirituels pour les soustraire à l'océan du monde. Mais qu'advient-il après ? Une fois que Dieu a fait sortir du monde l'aspirant à la vie monastique et l'a mené au désert, Il ne lui montre pas tout de suite quelles sont ses passions ou ses tentations ; Il attend qu'il devienne moine et que le Christ le lie par Sa crainte. Alors seulement commencent l'épreuve, le combat et la lutte. Et, si un novice, dès le commencement, prend les devants et se dépêche d'allumer par son combat la torche de l'ascèse, elle ne s'éteindra pas lorsque la grâce se retirera et que viendront les tentations. Sinon, lorsque la grâce se retirera, il reviendra à son état initial. Et, proportionnellement aux passions qu'il avait dans le monde, les tentations se dresseront et raviveront les habitudes antérieures qui l'asservissaient, et il sera réduit en esclavage. En premier lieu, mon enfant, sache qu'il y a beaucoup de différences entre un home et un autre, et d'un moine à l'autre. Il y a des âmes qui ont un caractère doux et qui se soumettent. Mais il y a aussi des âmes qui, ayant un caractère rude, ne se soumettent pas facilement. Elles sont aussi différentes que le coton l'est du fer. Le coton a simplement besoin d'être enduit de paroles ; Mais pour le fer, il faut du feu et la fournaise des tenatations pour qu'il soit apte à être travaillé. Une telle âme doit être patiente dna sles tentations pour que la purification se produise. Lorsqu'un moine n'a pas de patience, il est semblable à une lampe sans huile qui s'éteint rapidement, et il s'égare. Ainsi, lorsque quelqu'un qui a une nature dure comme le fer vient pour être moine, dès qu'il pénètre dans l'arène, il rejette l'obéissance. Aussitôt, il viole ses promesses et renonce au combat. Ainsi, tu vois que dès que la grâce se retire un peu pour éprouver sa disposition et sa patience, aussitôt celui-ci dépose les armes et se met à regretter d'être venu se faire moine. Il passe alors ses jours plein de désobéissance et d'amertume, il n'est plus que contradiction et suffisance. Par les prières de son Ancien, la grâce disperse un peu les nuées des tentations, pour qu'il reprenne un peu ses esprits et qu'il se réveille ; Mais tout de suite après il revient à sa volonté propre, à la désobéissance, à l'agitation, à la confusion. Tu m'écris pour m'exprimer ta surprise car le frère que tu as vu là-bas a beau se donner beaucoup de mal pour effectuer son obédience* monastique, de nouveau son égoïsme le domine intérieurement. Mais penses-tu qu'il soit facile pour un homme de vaincre une passion ? Les bonnes actions et les aumônes ainsi que tous les actes bienfaisants extérieurement ne viennent pas à bout de l'arrogance du cœ aussi peuvent souvent être aussi utiles qu'une main droite. - Ils sont des occasionsur ; mais l'occupation de la pensée, la peine du repentir, la contrition et l'humilité, voilà ce qui rend humble l'esprit insoumis.Un homme insoumis est aussi insupportable que pénible. Il ne peut être dirigé qu'avec une patience extrême. Ce n'est que grâce à la plus extrême patience de leurs Anciens, à la tolérance et à l'amour de leurs frères que les disciples à la nuque raide peuvent reprendre leurs esprits. Note bien que ceux-ci peuvent souvent être aussi utiles qu'une main droite. - Ils sont des occasions pour l'Ancien qui les dirige, parce qu'ils l'éprouvent sans cesse, de se perfectionner dans la patience et la charité. - . Car presque toujours de telles personnes, qui sont d'une certaine façon plus douées que les autres, s'humilient difficilement ; Elles ont une haute opinion d'elles-mêmes et une piètre opinion des autres. Il faut donc beaucoup de peine et de patience jusqu'à ce que soit mis à jour le fondement de ce vieil orgueil, et qu'il soit remplacé par celui de l'humilité et de l'obéissance au Christ. Mais le Seigneur, en voyant leurs efforts et leur bonne volonté ainsi que celle des autres, leur octroie une autre tentation qui contrebalance leur passion, et, dans Sa miséricorde, Il les sauve eux aussi, Lui qui « veut que tout le monde soit sauvé » ( 1 Tm 2, 4). Quant à toi, considère à qui tu veux ressembler. Ce serait parfait si tout le monde avait un bon caractère, et était humble et obéissant. Mais s'il se trouve que la nature d'une personne est dure comme celle du fer, qu'elle ne désespère pas. Elle a besoin de combattre, mais avec la grâce de Dieu, elle peut vaincre. De fait, Dieu n'est pas injuste dans ce qu'Il demande, mais Il requiert un paiement qui soit équivalent aux dons qu'Il a donnés. Car depuis le début de la création, Il a divisé les hommes en trois ordres. Aux uns il a donné cinq talents, aux autres deux, et aux derniers un seul. Les premiers ont les talents les plus élevés – une grande capacité spirituelle- et on les appelle « théododactes », parce qu'ils reçoivent leur savoir directement de Dieu sans avoir besoin d'un maître. Ainsi étaient dans l'ancien temps saint Antoine le Grand, saint Onuphre, sainte Marie l'Egyptienne, Cyrille le Philéote, Luc de Steirion, et des milliers d'autres qui autrefois devinrent parfaits sans recourir à un guide. Aux deuxièmes, il faut enseigner ce qui est bien pour qu'ils le fassent. Quant aux troisièmes, qu'ils entendent ou qu'ils apprennent, c'est peine perdue, ils ne font rien. C'est la raison pour laquelle il y a une telle différence entre les hommes comme entre les moines que tu vois ; C'est pourquoi, avant tout, « connais-toi toi-même ». - Cette formule, dont Socrate avait fait l'un de ses principaux préceptes, est souvent reprise par les Pères, dans le sens, surtout, d'une connaissance de ses limites, de ses faiblesse et de son état de péché ( voir par exemple Saint Nil, Chapitres sur la prière, 79, Philocalie, t. 1, p. 105). - . C'est-à-dire connais-toi, tel que tu es. Qui tu es vraiment, non pas celui que tu t'imagines être. Pourvu d'une telle connaissance, tu deviendras le plus sage des homes. Pourvu d'une telle conscience, tu atteindras l'humilité et tu recevras la grâce de Dieu. Cependant, si tu n'acquiers pas une telle connaissance de toi-même, mais que tu ne comptes que sur la peine que tu te donnes, saches que tu resteras toujours loin de la voie. Le Prophète ne dit pas : «  Seigneur, vois mon labeur ! », mais : «  Vois mon humilité et mon labeur ! » Ce que le labeur est pour le corps, l'humilité l'est pour l'âme ; et en outre les deux ensemble – le labeur et l'humilité – sont pour l'homme dans sa totalité. Qui a vaincu le diable ? Celui qui a pris connaissance de sa propre faiblesse, de ses passions et de ses défauts. Celui qui a peur de se connaître lui-même, celui-là reste loin de la connaissance, et il n'aime rien d'autre que de voir des défauts chez les autres et les juger. Il ne voit pas les talents des autres, mais uniquement leurs défauts, et il ne voit pas chez lui de défauts, mais seulement des qualités. Cela, c'est vraiment la plaie dont nous souffrons, nous les hommes du huitième éon – Selon certains Pères, le huitième éon est la période qui précède l'avènement de l'Antéchrist - : personne ne reconnaît le talent de l'autre. Un individu peut être privé de beaucoup de talents, tandis que de nombreuses personnes les ont tous ; Ce dont quelqu'un manquera, l'autre le possède. Et si nous reconnaissons cela, cela suscitera en nous beaucoup d'humilité. Car Dieu, qui a orné les hommes de bien des façons et a manifesté de l'inégalité dans tout ce qu'Il a créé, est ainsi glorifié et honoré. Ce n'est pas comme les impies qui s'acharnent à imposer l'égalité en bouleversant la création divine . Dieu a tout fait avec sagesse (Ps 103, 24). C'est pourquoi, mon enfant, dès lors que tu commences, prends soin de bien te connaître toi-même, afin de poser comme fondement solide l'humilité ; Prends soin de t'appliquer à obéir, pour acquérir la Prière. Que « Seigneur Jésus-Christ aie pitié de moi ! » soit ta respiration. Ne laisse pas ton esprit oisif, pour que des choses mauvaises ne te soient pas enseignées. Ne te laisse pas aller à considérer les défauts des autres, parce que, sans t'en rendre compte, tu te retrouverais collaborateur du Malin et incapable de faire le bien. Ne deviens pas par ignorance l'allié de l'ennemi de ton âme. L'ennemi ingénieux sait très bien se cacher derrière les passions et les faiblesses. Ainsi, pour le frapper, il faut que tu luttes contre toi-même et que tu te mortifies, c'est-à-dire que tu mortifies toutes tes passions. Lorsque le « vieil homme » ( Rm 6, 6) meurt, alors est abolie la puissance de l'Ennemi, de l'Adversaire. Nous ne nous battons pas contre un homme, qui peut éventuellement être mis à mort de multiples façons, mais contre les Puissances et les Dominations des ténèbres. Nous ne les terrasserons pas avec des gâteaux et des loukoums, mais avec des flots de larmes, avec la souffrance de l'âme jusqu'à la mort, avec l'humilité extrême et la plus grande patience. Que le sang coule en raison de ton extrême épuisement à dire la Prière. Puisses-tu t'effondrer, épuisé pendant des semaines, comme si tu étais gravement malade. Mais n'abandonne pas le combat, jusqu'à ce que les démons soient vaincus et se retirent. Alors tu recevras la libération des passions. Donc, mon enfant, efforce-toi dès le début de rentrer par la porte étroite ; car elle seule conduit à la vaste étendue du Paradis. Retranche chaque jour et à chaque instant ta volonté propre et ne cherche pas d'autre issue que cette porte. Tel est le chemin que les pieds des saints Pères ont foulé. Révèle, toi aussi, ton chemin au Seigneur, et Lui aussi te guidera. Dévoile tes pensées à ton Ancien, et il te guérira. Ne cache jamais ta pensée, car en elle se trouve dissimulée la ruse du diable ; elle disparaît lorsqu'on la révèle. Ne dénonce pas la faute de quelqu'un d'autre pour justifier la tienne, car aussitôt la grâce, qui t'a recouvert jusqu'ici, révélera les tiennes. Plus tu couvres ton frère par amour, plus la grâce te réchauffera et te protégera des calomnies des hommes. Quant à l'autre frère que tu mentionnes, il semble qu'il a des péchés non confessés, parce qu'il a honte de les avouer à son Ancien. C'est pourquoi la tentation se produit. Mais il faut qu'il rectifie ce comportement incorrect, car sans confession sincère, on ne peut être purifié. Quel dommage de se retrouver ainsi ridiculisé par les démons ! L'égoïsme se dissimule tout au fond. Puisse le Seigneur l'illuminer pour qu'il reprenne ses esprits. Toi, prie et aime-le comme les autres, mais garde-toi de tous. De toute façon, maintenant que tu as pénétré dans l'arène, tu vas être éprouvé par toutes sortes de tentations, et prépare-toi à prendre patience. Dis sans cesse la Prière et le Seigneur te viendra en aide avec Sa grâce. Les tentations ne sont jamais plus fortes que la grâce. LETTRE 4 Mon enfant, si tu fais attention à tout ce que je t'écris... Mon enfant, si tu fais attention à tout ce que je t'écris et si tu te fais violence à toi-même, tu en retireras un grand profit. Tout cela t'arrive parce que tu ne t'es pas forcé à dire la prière. Fais-toi violence. Dis sans cesse la Prière. Ne donne aucun repos à ta bouche. De cette façon, tu en acquérras l'habitude intérieurement, et par la suite, ton esprit la recueillera. Ne t'habitue pas à avoir des pensées, parce que tu t'amolliras et tu en seras souillé. Prie, fais continuellement violence à la nature – Cf. Saint Jean Climaque, l'Echelle sainte, I, 12 : « Le moine, c'est une violence continuelle faite à la nature -, tu verras alors combien de grâce tu recevras. La vie de l'homme, mon enfant, est un deuil, parce qu'il est en exil. Ne recherche pas le repos parfait. Notre Christ a porté la croix, et nous aussi nous aurons à la porter à notre tour. Si nous supportons patiemment toutes les afflictions, nous trouverons grâce auprès de Dieu. C'est pour cela que le Seigneur nous laisse être tenté, pour éprouver notre zèle et notre amour pour Lui. C'est pour cela qu'il faut de la patience. Sans patience, l'homme ne peut acquérir de l'expérience, prendre connaissance des choses des choses spirituelles ni atteindre des états élevés dans le domaine de la vertu et de la perfection. Aime Jésus et dis sans cesse la Prière, et elle t'éclairera sur Son chemin. Veille à ne pas blâmer autrui. Parce qu'alors Dieu permettra à la grâce de se retirer et le Seigneur te laissera chuter et être humilié, pour que tu voies tes propres fautes. Tout ce que tu m'as écrit est bien. Ce que tu as ressenti en premier, c'est la grâce de Dieu, qui, lorsqu'elle arrive, rend l'homme spirituel. Tout alors lui semble beau et bon. Alors, il aime tout le monde, il a de la componction, des larmes, une âme fervente. Mais lorsque la grâce se retire pour éprouver l'homme, il n'est plus que charnel, et l'âme tombe. Mais toi cependant, ne perds pas alors ton empressement, mais crie sans cesse la Prière, avec violence, de force, au milieu de beaucoup de souffrance : «  Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi ! » Encore et sans cesse la même chose. Et, comme si tu contemplais le Christ, dis-Lui : «  Je te remercie, mon doux Christ, pour les bienfaits dont Tu m'as gratifié et pour les maux dont je souffre. Gloire à Toi, gloire à Toi, mon Dieu ! » En étant patient, de nouveau viendra la grâce, et la joie reviendra derechef, mais aussi la tentation, le chagrin, l'agitation et l'irritabilité, tout comme aussi le combat, la victoire, l'action de grâces. Ceci advient jusqu'à ce que petit à petit tu sois purifié des passions et que tu deviennes spirituel : Et avec le temps, en vieillissant, tu arriveras à l'hésychia. Mais tu dois combattre. Ne t'attends pas à ce que les bienfaits arrivent d'eux-mêmes. On ne fait pas des moines avec des lits de plumes. Un moine doit être insulté, raillé, éprouvé. Il doit tomber pour se relever et devenir un homme. Non pas dans le giron de sa maman. Est-ce possible, a-t-on jamais entendu dire que quelqu'un ait pu devenir moine en vivant auprès de sa mère ? Tu n'as pas le temps de dire « ouf » qu'elle te dit : «  Mange pour ne pas tomber malade ! » L'ascèse, mon enfant, requiert des privations. On ne trouve pas la vertu dans le luxe et la facilité. Il faut beaucoup de combats et de peines. Il faut crier jour et nuit vers le Christ. Il faut de la patience dans toutes les épreuves et les afflictions. Il faut étouffer la puissance irascible* et la puissance désirante*. Tu auras beaucoup à te fatiguer avant de comprendre que la prière sans attention* et sans vigilance* est une perte de temps, un labeur sans rétribution. Il faut que tu établisses l'attention comme une garde vigilante sur les sens tant internes qu'externes. Car sans elle, aussi bien les puissances de l'esprit que celles de l'âme sont gaspillées en vain et vulgairement, comme l'eau inutilisée qui court dans les caniveaux. Personne n'est jamais arrivé à la Prière sans l'attention et la vigilance. Jamais personne n'a été jugé digne de s'élever vers les réalités supérieures sans avoir au préalable méprisé celles d'ici-bas. Souvent, lorsque tu pries, ton esprit vagabonde là ou ça et là, c'est-à-dire vers tout ce qui l'attire habituellement. Il faut beaucoup de contrainte pour l'en détacher, pour se concentrer sur les mots de la Prière. Souvent l'ennemi s'insinue perfidement dans ta pensée, dans tes paroles, dans ton ouïe, dans ta vue, sans que tu t'en rendes compte. Par la suite tu t'en aperçois, et il te faut combattre pour t'en purifier. Cependant lutte sans te décourager contre la malice des démons. Par la grâce du Christ, tu vaincras et tu te réjouiras en proportion de ce que tu as souffert. De plus, prenez garde – et dis-le aussi aux autres – de ne pas vous congratuler les uns les autres ouvertement, car si un compliment cause du tort au parfait, combien plus à vous qui êtes encore faibles. Un hôte fit à trois reprises des éloges à un saint sur son travail manuel. La troisième fois, le saint lui dit : «  Depuis que tu es rentré ici, tu as chassé Dieu de ma présence ! » Tu vois quelle rigueur avaient les saints ? C'est pourquoi pour tout cela il te faut beaucoup d'attention. Seules les insultes et les injures servent spirituellement à l'homme. Parce que de là naît l'humilité. Il y gagne des couronnes. En prenant patience, on étouffe l'égoïsme et la vaine gloire. C'est pourquoi, quand on t'insulte en disant : « égoïste », « arrogant », « hypocrite », « impatient », etc., c'est le moment de prendre patience. Si tu argumentes, tu es perdu. Aie donc constamment la crainte de Dieu. Aime tout le monde et prends garde de ne pas affliger ni de faire tort à qui que ce soit, car alors au moment de la prière, l'affliction de ton frère te sera un obstacle. Sois un bon exemple pour tous par tes paroles et tes actions, et la grâce divine t'aidera et te protégera toujours. Veille, mon enfant, à ne jamais oublier, durant toute ton existence, que le moine se doit d'être un exemple pour les gens du monde et non un objet de scandale ; de même qu'à son tour il prend exemple des anges. Son devoir est donc d'être très vigilant pour que Satan ne le ravisse pas. Est-il nécessaire à un moine d'aller dans le monde ? Si une telle nécessité se présente, qu'il y aille. Mais il se doit d'être tout œil et tout éclat : il faut qu'il voie bien pour qu'ilne subisse aucun dommage en tentant de venir en aide aux autres. Les jeunes moines et moniales qui sont dans la fleur de l'âge sont particulièrement en danger quand ils sortent, car ils s'avancent au milieu de nombreux pièges. Quant à ceux qui ont atteint l'âge mûr et qui sont éprouvés par l'ascèse, ils sont beaucoup moins en danger. Ils n'y trouveront pas tant de dommage et pourront même édifier les autres, s'ils ont de l'expérience et du savoir. Mais en général, un moine ne retire aucun bénéfice du monde, seulement des louanges et de la gloire qui le lessivent et le laissent nu. Et malheur à lui si la grâce divine ne le protège pas proportionnellement au besoin et à l'intention qu'il a poursuivis en sortant dans le monde. LETTRE 5 Ne te revêts pas seulement de feuillage. Enfant bien-aimé dans le Seigneur, fruit de l'Esprit Saint. Je me réjouis si tu te réjouis. Les Dominations et les Puissances se réjouissent comme les Chérubins et les Séraphins, les armées angéliques, les choeurs des Apôtres et des Prophètes, des Martyrs et des Justes, ainsi que notre Mère Très Pure, Reine et Souveraine de toutes choses. Aujourd'hui, tu as fait plaisir à mon âme par ce que tu as écrit avec de l'encre et du papier. Je serai vraiment enchanté et je me réjouirai davantage si tu confirmes ce que tu m'écris aujourd'hui en allant jusqu'au bout. De fait, la guerre avec l'ennemi commence après trois ou quatre ans. Car la grâce alors se retire pour mettre à l'épreuve la personne. Et le cierge s'éteint. Et les choses qui ont maintenant belle apparence – qui sont effectivement belles – semblent alors laides, noires et obscures. C'est pourquoi ne considère pas le moins du monde ce qui t'arrive comme étant des tentations ; Car quelqu'un d'autre veille ; Et, puisque, mon enfant bien-aimé, tu requiers de mon humble personne un conseil, écoute. Ne te revêts pas seulement de feuillage, mais lance tes racines en profondeur pour trouver une source, comme le font aussi les platanes, pour être irrigué en permanence par l'eau et pour germer sans cesse. Ainsi lorsque la sécheresse surviendra, tu ne souffriras d'aucune altération. Puisque tu auras trouvé ta propre source. Et lorsque le cierge que tu tiens maintenant s'éteindra, tu en airas allumé un autre par tes œuvres . Et tu ne pâtiras nullement de l'obscurité. La méthode pour acquérir ces grâces consiste en cela : en premier lieu à obéir parfaitement et sans discernement à tous. Cette obéissance suscite l'humilité. Le signe distinctif de l'humilité ce sont les larmes abondantes qui, pendant trois ou quatre ans, coulent à la façon d'une source. Ces larmes engendrent la Prière ininterrompue, nommée Prière mentale. De sorte que dès que tu dis : « Mon très doux Jésus ! », les larmes coulent. A peine dis-tu : «  Ma Toute-Sainte ! », que tu ne peux pas les contenir. Alors, de ces larmes sourd une sérénité dans tout le corps et une paix parfaite. Un jour, un frère voulut se contrôler lui-même – car les larmes avaient commencé de couler et quelqu'un frappait à la porte – mais il ne le put pas jusqu'à ce qu'elles cessent, tellement leur force était grande. Donc, si tu acquiers cela, ne crains pas de pâtir d'un changement. Car tu es devenu un homme d'une autre nature. Non pas que la nature change, mais la grâce modifie ses propriétés par les énergies divines de Dieu. Ce que l'on appelle les « règles » - Ici, les règles qui régissent la vie d'un moine, ou typikon -, se doit d'inclure une substance, comme le feuillage des arbres recèle des fruits. La psalmodie doit être dite humblement. L'esprit se doit d'être à l'affût de la signification du tropaire*. Que la pensée, remplie de douceur par ce que saisit l'esprit, soit exhaussée par sa contemplation. Que la lecture, de la même façon, soit faite avec beaucoup d'attention. En sorte qu'avec toutes ces choses l'âme croisse. Le vieil homme s'efface, meurt et l'homme nouveau est renouvelé, et déborde d'amour pour le Christ. Alors l'homme ne trouve plus aucun plaisir dans ce qui est terrestre, mais sans cesse convoite les choses célestes. Il en est de même pour le corps ; il faut qu'il combatte de toutes ses forces. Qu'il soit toujours asservi à l'esprit (pneuma). Il ne faut en aucune façon l'épargner. Et que tu manges ou que tu travailles, ne cesse pas de dire la Prière. Pendant toutes les prières, l'esprit doit suivre et comprendre ce pourquoi tu pries et ce que tu dis. Car, si tu ne comprends pas ce que tu dis, comment pourrais-tu être en intelligence avec Dieu, afin qu'il t'accorde tout ce que tu demandes ? Si tu observes tout cela, tu t'en trouveras bien.Tu acquerras le salut pour toujours et tu me rempliras de joie ; mais si par négligence tu désobéis, tu deviendras une cause d'affliction pour beaucoup. LETTRE 6 Tu écris au sujet de la colère dans le cœur de l'insensé Ainsi, écoute-moi de nouveau. Etablis un fondement solide. Construis-toi un beau petit palais dans les Cieux. Purifie l'intérieur de la coupe, ainsi que nous l'enseigne le Seigneur, pour que l'extérieur soit pur aussi. Car tout ce qui est accompli par le corps est comme un feuillage qui orne l'homme extérieur. Tout cela est beau et bon, mais tout ce que je t'ai écrit auparavant traite de ce qui purifie l'homme intérieurement. C'est cela qui ouvrira les yeux de l'âme. C'est en partant de ces choses que le cœur sera purifié pour voir Dieu en ce jour. Car sans l'oeuvre mentale – Il s'agit de la Prière mentale -, l'utilité des œuvres extérieures est faible. Si tu ne vois pas les larmes couler à chaque fois que tu te souviens de Dieu – C'est-à-dire chaque fois que tu pries -, tu souffres d'ignorance, laquelle produit l'orgueil et la dureté du cœur. Que l'humilité te soit donc un vêtement dans toutes tes actions ; deviens dans la fraternité une éponge qui nettoie toute injure et avilissement ; abreuve ton âme non pas d'honneur et de louanges, amis d'injures, et de blâmes, comme un irresponsable. Au grand jamais ne cherche à trouver ce qui est juste, car alors tu obtiendras ce qui est injuste. Mais apprends à supporter courageusement les tentations, quelles que soient celles auxquelles le Seigneur te soumet. Sans beaucoup de justifications, dis : «  Bénissez* ! », et sans avoir fauté repens-toi comme si tu avais failli. Agis ainsi en conscience, et non pas extérieurement, pour la louange, alors qu'intérieurement tu condamnerais les autres. Dans tes moments d'afflictions, ne recherche pas de consolation auprès des hommes, afin d'être consolé par Dieu. Le pont que nous devons tous traverser, c'est de pardonner aux fautifs, mais si tu ne pardonnes pas à celui qui a fauté à ton égard, tu détruiras le pont par lequel tu voulais passer. Deviens donc un bon modèle et un exemple pour les autres par tes œuvres bonnes et agréables au Seigneur, et ne cherche pas à l'emporter sans cesse sur les autres avec ta langue. Ne pense pas trouver le repos, quand tu parles, si tu cherches à trouver ce qui est juste. La justice pour toi, c'est de supporter courageusement la tentation qui survient pour en sortir vainqueur, que tu sois ou non fautif. Mais si tu dis : « Mais pourquoi ? », tu combats contre Dieu qui envoie les afflictions à cause de ta condition d'être sujet aux passions. Dieu nous éprouve, pour que nous parvenions à l'impassibilité*. Et, si tu ne les supportes pas, tu batailles vraiment contre Dieu. Tu m'écris au sujet de la colère dans le cœur de l'insensé. La colère par elle-même est naturelle. Comme les nerfs qui sont dans le corps. Elle aussi est le nerf de l'âme. Et il convient que chacun s'en serve contre les démons, les hérétiques et quiconque nous détourne du chemin qui conduit à Dieu. Mais si tu te mets en colère contre les frères avec lesquels tu vis ou si, étant hors de toi-même, tu détruis les œuvres de tes mains, sache que tu es atteint de vaine gloire et que tu fais mauvais usage du nerf de l'âme. On s'en délivre par l'amour à l'égard de tous et l'authentique humilité. C'est pourquoi, lorsque tu sens que la colère monte, ferme la bouche fortement, et ne parle pas à celui qui t'insulte, te déshonore, te fait des reproches, ou qui te froisse de multiples façons sans raison. Alors ce serpent s'enroulera dans ton cœur, montera jusqu'à ta gorge, et comme tu ne lui laisses pas d'issue, il suffoquera et crèvera. Et lorsque cela se répétera plusieurs fois, cela diminuera et finira par disparaître complètement. Du fait que l'homme est une créature raisonnable et paisible, on le met à la raison d'une façon incomparablement meilleure au moyen de l'amour et de la manière douce, plutôt que par la colère et la rudesse. Moi aussi j'ai trouvé cela après avoir traversé des épreuves nombreuses et considérables. Avec la bonté et l'amour, tu peux réussir à calmer beaucoup de gens ; Et si quelqu'un est bien disposé, tu peux le faire fléchir rapidement, et devenir un ange de Dieu. Donc je dis cela à ton intention et à celle de tous. Ne cherchez jamais à corriger quelqu'un avec la colère, car une tentation ne chasse pas une autre tentation, mais avec humilité et un amour sincère. Quand tu vois que la colère domine, abandonne un instant l'idée de corriger ton prochain. Mais quand tu constates que la colère a été remplacée par la sérénité et que ta capacité de discernement fonctionne sans passion, c'est alors que tu pourras dire ce qui est utile. Je n'ai jamais constaté que l'on corrige quelqu'un avec colère, mais toujours avec amour. Alors, même celui à qui l'on fait des remontrances fait un sacrifice. Comportez-vous donc ainsi. Prends exemple sur toi-même. Quand es-tu apaisé ? Avec les injures ou avec l'amour ? Et ne t'émerveilles-tu pas de la parole que dit ce saint dans le Gérontikon* : « Un homme colérique et irritable ne sera pas reçu dans le Royaume de Dieu, quand bien même il ressusciterait les morts ! » Tu dis que tu respectes mes paroles. Mets-les à l'épreuve pour voir si cela est vrai, et étouffe la passion quand elle vient pour t'étouffer. Garde le serpent enfermé à l'intérieur, une fois, deux fois et même souvent, et tu trouveras aussitôt le chemin de la joie et de la victoire. Et alors sans attendre, les prières que je fais pour toi agiront. Et après avoir vaincu la mère, tout l'essaim des sœurs sera mis à bas, lui qui génère la colère. Car les principales passions, d'où naissent toutes les autres, sont la colère et la concupiscence. Etouffe donc de toutes tes forces la colère, chaque fois qu'elle se manifeste, et la fois suivante tu trouveras qu'elle est plus faible. Et derechef continue à la frapper et à lui couper la tête quand tu vois qu'elle redresse la tête ; et en peu de temps fleurira l'imperturbabilité – Ou « l'ataraxie », c'est-à-dire un état où l'on n'est plus troublé -, fruit de la longanimité*. De là, viendront la paix et la grâce, et tous les biens s'ensuivront. L'autre mère des vices c'est le désir, qui désarçonne le cavalier – C'est-à-dire l'esprit ou l'intellect ( cf. Lettre 23). - . Mais quand on applique à toutes choses la tempérance et qu'il n'y a pas d'adjonction de matière, le sang n'abonde pas. Et quand il n'abonde pas, il ne peut pas mettre l'homme à terre, mais il lutte tout de même contre lui. Résiste donc en portant la contradiction. Ne laisse pas les pensées entrer, mais combat par la Prière. Combats courageusement et ne sois pas lâche, et les pensées seront immédiatement paralysées. Et en agissant ainsi la fleur de la pureté et de l'innocence s'épanouira en remplissant ton âme d'une joie indicible et de l'assurance que, dès lors, un lieu de repos t'est préparé. C'est ainsi que l'on paralyse le vice de cette passion, ainsi que les vices de toutes ses sœurs. LETTRE 7 Ecoute ce qui m'est arrivé. Je viens de recevoir à l'instant ta lettre et j'ai vu ce qu'elle contenait ; je me réjouis de te savoir en bonne santé, mais je m'attriste de tes chagrins. Tout ce dont tu me parles, mon enfant, arrive parce que tu n'as pas de patience. Toi, mon enfant, tu cherches le Christ ; tu cherches à rentrer dans la Jérusalem céleste. Ton Ancien et les Pères prient pour cela, et je prie moi aussi, le pauvre, ici dans les rochers. Certes, le Seigneur nous exauce tous, et pour briser ton âme orgueilleuse, pour que soit humiliée et combattue l'irritation, la colère, l'effervescence, l'égoïsme, il t'a envoyé une puce – cette petite tentation – te piquer, pour que tu te résignes ; te déranger, pour que tu fasses preuve de patience. Ainsi tu réussiras à apaiser progressivement l'irritation, la colère et l'agitation ; étouffant en toi-même ces passions, et ne laissant pas échapper un mot dur. Et alors, une fois que cette puissance de Satan aura été étouffée en toi, une première fois, une deuxième fois qui sera suivie de bien d'autres, elle s'en ira et te laissera doux et calme comme un petit agneau. Ecoute donc le récit d'un événement qui m'est arrivé ; Quand j'étais dans le monde, je m'en prenais à beaucoup . J'avais un cœur de lion et l'amour du Christ m'épuisait. Si je voulais raconter tout ce dont j'ai souffert quotidiennement à cause de cette passion – la colère -, il faudrait que j'écrive un livre. Car Dieu, voulant m'en délivrer, m'occasionna tout ce qui était approprié : des gens pour me déranger sans raison, pour m'insulter, pour m'éprouver. Et pas des petites taquineries, mais des choses graves qui pousseraient quelqu'un au meurtre. Mais en prenant patience et en étouffant Satan en moi avec une constance extrême, je fus délivré du mal. Alors, le Tentateur garda ses coups les plus rudes pour une dure journée d'hiver, comme il sait le faire pour tenter quelqu'un ; et Dieu le laisse faire pour que cette personne soit mise à l'épreuve. Ainsi, après trois ou quatre essais pour me mettre à l'épreuve sans résultat, une bourrasque de vent s'engouffra par la porte si brusquement qu'elle projeta le toit avec tous ses supports et sa couverture de pierres d'un poids de plusieurs tonnes ; elle fut soulevée en l'air comme un avion et la rafale de vent la projeta en face sur les rochers dans la neige ; Et nous, nous restâmes en plein air sous la neige. Mais si tu entendais le genre de tenations que j'ai dû subir de la part des hommes, tu ne pourrais pas le supporter sans en pâtir jusqu'à venir en blâmer les responsables. Cependant, en supportant tes épreuves, tu recevras tant de grâce en retour, proportionnellement à ces épreuves, que tu ne pourras pas la mesurer. N'en viens pas à penser que si tu abdiques devant celle-ci, tu n'auras pas d'autres tentations. Elles viendront immanquablement. Et si tu te montres lâche à l'égard de celle-ci, tu te comporteras de même à l'égard de toutes les autres. Car le Tentateur est en nous. Ne le vois-tu pas mon enfant ? Fais attention à lui ! Il monte du milieu du ventre jusque dans le cœur. Il l'enflamme. Il échauffe le sang et monte jusqu'à la gorge. Il atteint la tête. Il obscurcit l'esprit. Et il se tient dans la gorge comme un nœud en l'obstruant et, en empêchant même la respiration, il étouffe l'homme. Celui qui est à l'origine de la tentation peut être le pire des hommes, ou plutôt c'est ce même Tentateur qui le pousse à te perturber et à t'importuner. Cependant, le Seigneur le laisse pour que tu deviennes à chaque fois plus éprouvé, et que tu atteignes ainsi l'impassibilité. Car, quand tu es préparé et que tu t'y attends, tu n'es pas troublé, tu n'es pas déconcerté, tu ne perds pas le contrôle de toi-même. Tu écris que si tu savais que tu allais recevoir de la grâce, tu supporterais mille tentations comme celle-là. Mais, d'où sais-tu que, si tu prends patience, tu ne recevras pas de la grâce ? Moi je te dis, à toi et à tous les frères, qu'il n'y a pas de chemin plus rapide que celui qui consiste à supporter les tentations lorsqu'elles se produisent, de quelque façon qu'elles se produisent. La patience d'un homme témoigne de son état spirituel et de la grâce qu'il possède. Comment l'Ancien fait-il pour vous supporter tous ? Il prend patience. C'est cela qui témoigne du fait qu'il possède la grâce. Il possède la vertu. La vertu n'a pas de clochette pour qu'on la reconnaisse quand elle sonne. La sonnette de la vertu, c'est la tolérance, la longanimité, la patience. Tels sont les ornements du moine et de tout chrétien. Quand le combattant prévoit la récompense et la grâce qu'il va recevoir d'en haut de la part du Seigneur, il endure tout. Vois comment l'Ancien a assigné à ce frère qui est fort de supporter et d'endurer celui qui est mis à l'épreuve. A toi qui es faible, il t'a donné cette très petite écharde. Prends donc patience pour être capable de supporter toi aussi un possédé. De le supporter, de le servir, d'être patient avec lui. Quelle grande vertu ! Sais-tu ce que c'est que de supporter et d'être patient avec un fou ? Une fois, un fou est venu chez nous et je n'ai pas eu le cœur de le chasser. On l'avait chassé de partout. Je l'ai donc gardé, pour qu'il se repose un peu, pour que son cœur se réchauffe ; c'est aussi un homme. Et que se passa-t-il après ? Je lui avais fait observer un jeûne très rigoureux, conformément à la parole du Seigneur : « Cette espèce-là ne peut sortir que par la prière et par le jeûne » ( Mc 9, 29). Un jour, alors que nous étions tous sortis, il ferma toutes les portes et les fenêtres de la cabane et nous laissa dehors. Nous eûmes beau supplier, il n'ouvrit pas. Finalement, qu'avons-nous fait ? Nous avons trouvé un tournevis, nous avons dévissé les charnières de la porte et nous avons ouvert. Il est alors sorti. « Dis donc, lui ai-je dit, pourquoi as-tu fermé la porte et nous as-tu laissés dehors ? Parce que, a-t-il répondu, il y avait à l'intérieur des oignons et des patates et que je voulais mener une vie ascétique tout seul en mangeant les oignons et les patates ! » Il se comporta bien pendant peu de temps, mais il s'enfuit, et fut de nouveau possédé. Il vint trois fois, et à peine se sentait-il bien qu'il s'enfuyait et perdait la raison, et les démons le possédaient. Maintenant il est hospitalisé. Toi, veille à ne pas mépriser fût-ce le plus humble de ceux qui sont vilipendés et malades en ce monde. Car ce mépris et cet affront qui viendraient de toi ne s'arrêteront pas à ces malheureux, mais par eux ils monteront jusqu'au Créateur dont ils portent l'image. Et tu t'étonneras encore plus en ce jour, en voyant l'Esprit Saint reposer davantage sur eux que dans ton propre cœur. Je suis de plus en plus malade. Je suis comme un paralytique. Je suis incapable de faire dix pas. A cause de cela et du reste, je suis devenu un cadavre. Je te demande avec insistance de prier pour moi, car j'ai beaucoup d'âmes qui sollicitent mon aide. Et croyez-le bien, mes Pères et mes frères : j'éprouve le combat que mène chaque âme que j'aide. C'est aussi la raison pour laquelle votre Ancien est sans cesse malade. Parce qu'il est complètement épuisé par un surmenage psychique ainsi qu'à cause des tentations qu'il subit à cause de chacun de vous. C'est pourquoi mon enfant ne répète pas ce que le diable te dit : que l'Ancien ne se soucie pas de toi, qu'il ferme les yeux sur ta peine et tes besoins. Comment pourrait-il être indifférent, lui qui souffre pour vous tous ? Sois attentif ! Laisse-là cette pensée et prends patience ; que Dieu voie ta disposition et qu'il allège ta peine. Accepte la tentation et ne blâme pas les autres. Car si tu ne prends pas patience dans la tentation et si tu en rejettes le grief sur les autres – puisque c'est le Seigneur qui nous les donne – c'est Lui-même qui nous châtiera, ce qui est beaucoup plus grave et beaucoup plus dur. Car personne parmi les hommes ne peut punir comme punit le Tout-Puissant. C'est pourquoi, mon enfant, « accueille Ses leçons, de peur que le Seigneur de l'univers ne S'irrite » (cf. Ps 2, 12). Aimez Sa volonté et supportez ce qui vous arrive comme étant ce qui vous revient en propre, de peur que par malheur Il ne vous livre à la pusillanimité et au blasphème. Et quand à nouveau tu commets une faute et que tu chutes, fais de nouveau pénitence. Donne-toi à toi-même du courage et de l'espoir ; Dis : « Pardonne-moi, mon Christ, je me repens une fois de plus ! » Ne dis pas : « La colère de Dieu est sur moi!N'est-ce pas une honte ? Nous ne sommes que des hommes. » Ne t'irrite pas contre tes frères. Supporte leurs manquements, pour qu'ils supportent les tiens. Aime pour qu'ils t'aiment et sois patient pour qu'ils te prennent en patience. Fais-toi bon et tous seront bons avec toi. Maîtrise tes passions et tu verras que tous respecteront non seulement tes paroles, mais même l'indication de ton regard. Quant aux tâches monastiques dont tu parles, si elles sont trop nombreuses et que tu n'en viens pas à bout et que cela te trouble, je vais demander moi aussi à ton Ancien de les réduire, afin que tu ne les accomplisses pas en rechignant. Par toutes les autres choses dont tu me parles, tu témoignes que tu as beaucoup de vanité. C'est pourquoi deviens un cadavre que tous piétinent. Deviens de la poussière. Bats, frappe, abhorre-toi toi-même comme un ennemi implacable. Hais-toi d'une haine parfaite. Car si tu ne terrasses pas cet ennemi, il te terrassera. Sois ferme, n'aie pas pitié de lui ! Par la grâce de Dieu, je te viendrai en aide. Mais je te rappelle quand même les paroles des Pères qui disent : «  Si tu ne verses pas de ton sang, tu ne recevras pas l'Esprit. » - Cf. Apophtegmes des Pères du désert, série alphabétique, Longin, 5. - . Tant que tu n'as pas reçu la grâce, ne te considère pas comme un homme. Car, sans la grâce, l'existence des hommes sur terre est vaine. Plus notre âme sera purifiée et illuminée ici-bas, plus étroitement et plus nettement on verra le Christ là-bas, recevant Son parfum, on se réjouira et l'on sautera de joie plus que les autres. Ainsi, ne t'estime pas un homme tant que tu n'as pas reçu la grâce. LETTRE 8 Ne supporteras-tu pas tout par amour pour moi ? Il n'y a rien qui puisse aider à l'apaisement de la colère et de toutes les autres passions, autant que l'amour pour Dieu et pour tous les hommes. Avec l'amour, tu vaincs plus facilement qu'avec les autres combats. De plus, lorsque l'amour régit l'esprit, on ne ressent pas la souffrance au cours du combat spirituel. C'est pourquoi « l'amour jamis ne faillit ») (cf. 1 Co 13, 8), tant que tu maintiens le gouvernail de l'âme dans sa direction. Et quoi qu'il arrive, crie le mot de passe : « Par amour pour toi, mon Jésus, mon doux amour, je supporte les insultes, les opprobres, les injustices, les fatigues, et toutes les afflictions, tout ce qui pourra m'arriver. » Et aussitôt, comme l'on dit cela, le fardeau de la souffrance est allégé et l'amertume du démon est adoucie. Et crois à l'histoire que je vais te raconter. Un jour, en raison de mes tentations terribles et répétées, je fus envahi par le chagrin et le découragement, et je présentai mon cas à Dieu comme si j'avais été traité injustement, parce qu'il me soumettait à un si grand nombre de tentations, sans les brider tant soit peu, sans même me laisser reprendre mon souffle. Et dans cette amertume j'entendis très clairement une voix très douce en moi disant avec une compassion extrême : « Ne supporteras-tu pas tout par amour pour moi ? » Dès que j'eus entendu cette voix, j'éclatai en sanglots, me repentant de m'être laissé dominer par le découragement. Je n'oublierai jamais cette voix, si douce, qui aussitôt avait fait disparaître en moi la tentation et toute trace de découragement. «  Ne supporteras-tu pas tout par amour pour moi ? Ô Amour véritablement doux ! Par amour pour Toi nous sommes crucifiés et nous supportons tout ! De nouveau ce frère me raconta qu'un jour il avait du chagrin à cause d'un autre frère à qui il avait fait une remarque mais qui n'en avait pas tenu compte, et c'est la raison pour laquelle il en était grandement chagriné. En priant, il entra en extase. Il vit le Seigneur, baigné de lumière, cloué sur la Croix. Et levant la tête, le Seigneur se tourna vers lui pour lui dire : « Vois tout ce que j'ai souffert par amour pour toi ! Toi, qu'as-tu enduré ? » A ces paroles, le chagrin disparut, il fut rempli de joie et de paix et, en versant des torrents de larmes, il admira et continue d'admirer la condescendance du Seigneur, Lui qui laisse les afflictions se produire mais qui, aussitôt console, lorsqu'il voit que nous perdons courage. C'est pourquoi ne te décourage pas, ne sois pas contrarié à cause des afflictions et des tentations, mais, avec l'amour de notre Jésus, atténue la colère et le découragement. Encourage-toi toi-même en disant : « Mon âme, ne faiblis pas ! » De fait, une petite affliction te purge d'une maladie chronique ; mais de fait, au bout de quelque temps elle disparaîtra de toute façon. Quant aux tentations, plus nous manquons de patience, plus elles nous semblent redoutables ; et plus l'homme s'habitue à les supporter patiemment, plus elles diminuent et il les surmonte sans effort. Il devient alors solide comme un roc. Donc, patience ! Quand bien des années auront passé, ce qui te semble aujourd'hui difficile à mener à bien, tu le tiendras désormais dans ta main comme une possession personnelle, sans que tu réalises comment cela s'est produit. C'est pourquoi tu dois oeuvrer maintenant dans ta jeunesse sans demander « pourquoi » et sans te décourager. Et dans ta vieillesse, tu moissonneras les gerbes de l'impassibilité. Alors tu seras dans l'étonnement ; tu te demanderas d'où te viennent ces beaux épis, puisque toi tu n'as rien cultivé ! Et toi le pauvret tu es devenu riche ! Tu te demanderas comment tous tes murmures, tes désobéissances et tes découragements ont pu germer pour produire de tels fruits et de telles fleurs au doux parfum ! Fais-toi donc violence. Même si le juste chute une multitude de fois, il ne perd pas son assurance, mais en se relevant il rassemble ses forces et le Seigneur les enregistre comme autant de victoires. Cependant, Il ne lui montre pas ses victoires, pour qu'il ne s'exalte pas ; mais Il lui met plutôt ses chutes devant les yeux, de sorte qu'en les voyant il souffre et s'humilie. Mais une fois qu'il a dépassé les campements des ennemis et qu'il a amassé des victoires invisibles sur tous les fronts, alors le Seigneur commence à lui montrer progressivement qu'il est vainqueur, qu'il est récompensé ; que ses mains touchent quelque chose qu'il cherchait précédemment sans que cela lui fût accordé. Et ainsi il est exercé, éprouvé, rendu parfait, dans la mesure des possibilités de sa nature, de son esprit, de sa pensée, et du récipient de son âme. C'est pourquoi, sois courageux et fort dans le Seigneur et ne laisse pas ton empressement fléchir. Mais, continue de chercher, de crier sans cesse, que tu reçoives quelque chose ou pas. LETTRE 9 Le Créateur t'a insufflé un esprit de vie. La grâce c'est, dit simplement, un petit ou un grand don de l'infinie générosité de Dieu, que celui-ci distribue bénévolement comme venant de Son infinie bonté. Et en retour, il accepte tout ce que nous restituons en action de grâces, à savoir : admiration, amour, adoration, hymne, doxologie, procédant d'une connaissance plénière de Dieu. Le Dispensateur reçoit tout cela bénévolement, nous gratifiant aussitôt de ce qui est à Lui, le tenant de Lui : « Ce qui est à Toi, le tenant de Toi. » - Prière de la Liturgie qui précède la consécration des Saints Dons : «  Ce qui est à Toi, le tenant de Toi, nous Te l'offrons en tout et pour tout. » - . Ce qu'Il distribue, Il le prend sur ce qui Lui appartient en propre, et nous pauvres, aveugles et boiteux nous sommes rendus riches par Lui, et la richesse en Lui demeure la même ; elle ne décroît ni n'augmente. Oh ! Quelle inconcevable grandeur ! Il les enrichit tous ! Des milliers de milliers et myriades de myriades de personnes ont été ainsi enrichies et sont devenues des saints, et la richesse en Dieu demeure la même. Par conséquent, en premier lieu, sache, mon enfant, que tout bien tient son principe de Dieu. Il ne se produit pas une bonne pensée qui ne vienne de Dieu, ni une mauvaise qui ne vienne du diable. Tout ce que tu as pu penser, dire, réaliser de bon, tout est un don de Dieu : «  Tout don parfait descend d'en haut » ( Jc 1, 17). Tout est un don de Dieu, par nous-mêmes nous ne possédons rien. Quiconque désire et cherche à acquérir la grâce, pour que Dieu la lui donne gratuitement, doit en premier lieu connaître vraiment sa propre existence : « Connais-toi toi-même. » Cela est effectivement vrai. Car chaque chose a un principe. Et celui qui ne connaît pas son principe ne peut pas avoir une bonne fin. Et le principe, en vérité, c'est que chacun sache qu'il est un zéro et que tout est venu à l'existence à partir du néant, « car Il a parlé et ils ont été faits, Il a commandé et ils furent créés » ( Ps 148, 5). Il a parlé et la terre est venue à l'existence. En prenant de la boue, Il a façonné l'homme. Inanimé, sans esprit ; un homme de boue. Voilà quelle est l'existence qui revient en propre à l'homme. Voilà ce que nous étions tous. Terre et boue. Telle est la première leçon pour celui qui veut non seulement recevoir la grâce, mais qu'elle reste pour toujours auprès de lui. De cette leçon, il acquiert la vraie connaissance et celle-ci engendre l'humilité. Non pas des paroles creuses, pour parler humblement, mais en s'appuyant sur une base solide il dit la vérité : «  Je suis de la terre, je suis de l'argile, je suis de la boue. » C'est elle qui est notre première mère. Comme la terre est foulée aux pieds, toi aussi, en tant que terre tu es tenu d'être foulé aux pieds. Tu es de la boue, tu n'as aucune valeur, tu es ballotté çà et là ; on te construit ; comme un matériau sans valeur tu es transformé d'une chose en une autre. Et alors le Créateur a soufflé sur toi et Il t'a donné un souffle de vie. Et voilà qu'aussitôt tu es devenu un homme doué de raison. Tu parles, tu travailles, tu écris, tu enseignes ; tu es devenu une machine de Dieu. Cependant, n'oublie pas que ta racine c'est la glèbe, et que s'Il t'enlève ce souffle qu'Il t'a accordé, toi aussitôt on t'utilisera pour faire des briques. C'est pourquoi «  souviens-toi de ta fin et tu ne pécheras jamais » ( Sir 7, 36). Telle est la première cause qui non seulement attire la grâce, mais l'accroît et la conserve. La grâce élève l'esprit à la première contemplation de la nature. Et sans ce début, on peut certes trouver un peu de grâce, mais avec le temps, on la perdra, parce qu'on ne construit pas sur un fondement solide, mais on essaie de l'obtenir en ayant recours à des moyens et des méthodes. Par exemple, si tu dis «  je suis un pécheur » mais que, au fond de toi, tu penses que tu es un juste, tu ne peux pas échapper à l'illusion spirituelle. La grâce cherche à rester, mais comme dans les faits tu n'as pas encore trouvé la vérité, elle doit nécessairement partir. Car, sans le moindre doute, tu en viendras à croire dans ta pensée que tu es ce que tu n'es pas, et sans que rien d'autre intervienne, tu tomberas dans l'illusion. En conséquence, la grâce ne restera pas. Car nous avons affaire à un adversaire, qui est un expert puissant, un inventeur du mal, et le créateur de toute illusion. Il veille pour nous mordre au talon, lui qui de lumière est devenu ténèbres et qui connaît tout. C'est un ennemi de Dieu et il cherche sans cesse à faire de nous aussi ses ennemis. Finalement, c'est un esprit mauvais qui se mêle facilement à l'esprit que Dieu nous a accordé ; il se saisit alors de notre petit moteur et le manœuvre comme il veut. Il observe d'où l'âme tire son inclinaison, et de quelle façon Dieu lui vient en aide, et aussitôt il manipule à son tour des choses semblables pour nous perdre. Il y a des combats qu'un homme connaît et évite. Mais il y en a d'autres qu'il ne connaît pas, car ce sont des combats intérieurs et l'on ne peut pas les discerner facilement. Ce sont des modifications psychiques, des mouvements de l'esprit, des maladies et des altérations du corps. Le Créateur, qui a façonné l'argile, l'a composé à partir des quatre éléments : le sec, l'humide, le chaud et le froid. Par conséquent, il est nécessaire qu'à chaque instant un homme pâtisse conformément à la modification de chacun d'entre eux. C'est-à-dire qu'il se dessèche, s'humidifie, s'échauffe, se refroidisse. Si les propriétés d'un élément dominent, le corps s'affaiblit nécessairement et par conséquent l'âme aussi pâtit. L'esprit ne peut pas alors produire ses mouvements spirituels du fait qu'il boite en même temps que le corps. Le corps se dessèche-t-il à cause de l'ardeur du soleil ? L'esprit se dessèche aussi. Le corps s'humidifie-t-il s'il pleut et se relâche-t-il ? L'esprit se relâche aussi. Le corps se refroidit-il si le vent souffle ? Alors la bile abonde et l'esprit aussi est assombri, et seules les imaginations triomphent. Au cours de toutes ces modifications d'une part, bien que la grâce soit présente, elle n'agit pas car les organes sont trop faibles ; mais d'autre part, notre ennemi, le diable sait comment il doit combattre lors de chaque changement. Durant la sécheresse, il te rend dur pour que tu deviennes une pierre, que tu répondes, que tu désobéisses. Quand il fait froid, il sait comment refroidir ton zèle, pour que tu deviennes froid et de glace à l'égard de ce qui concerne Dieu. A partir de la chaleur, il t'incite à la colère et te trouble pour que tu ne discernes pas ce qui est vrai. Car, comme nous l'avons dit, le sang surabonde, et, avec la chaleur, il meut la puissance désirante – partie passionnée ( de l'âme) – et la puissance irascible. Et quand le temps est humide, il suscite en toi la somnolence, le relâchement, les courbatures, et la paralysie de tout le corps. Dans tous ces cas le corps pâtit, et l'âme avec lui, bien qu'elle soit spirituelle et incorporelle. Il en est de même pour la grâce. Quand elle s'approche de quelqu'un, elle ne transforme pas sa nature, mais elle remplit et en abondance, autant que les récipients de chacun peuvent contenir, les mêmes propriétés naturelles et les bons attributs dont sa nature est pourvue, tandis qu'elle peut amoindrir et enlever les faiblesses naturelles. De même que la formation de l'homme précède son animation, de même la praxis doit précéder la contemplation. Par « praxis », on entend tout ce qui est accompli au moyen du corps ; par « contemplation » en revanche, on entend tout ce que la pensée produit mentalement. - C'est-à-dire au moyen de l'esprit ou intellect ( nous en grec, mens ou intellectus en latin. - . Il est impossible d'arriver à la contemplation sans être passé par la praxis.Combats désormais dans tout ce qui est requis par la praxis, et les choses plus élevées viendront d'elles-mêmes. Voici que tu as appris que tu es de l'argile, pauvre et nu. Demande désormais à Celui qui est capable de recréer la nature de te rendre riche. Et, qu'Il t'ait attribué beaucoup ou peu, aie pleine conscience de ton Bienfaiteur. Et ne t'approprie pas ce qui t'est étranger comme si cela t'appartenait. Avec de la peine et des larmes, tu recevras la grâce. Et de nouveau, c'est avec des larmes de joie et de reconnaissance, avec crainte de Dieu, que tu la garderas. On l'attire par la chaleur et le zèle ; on la perd avec la froideur et l'incurie. Le Christ n'en demande pas plus pour te donner Ses saints charismes, à la condition seulement que tu reconnaisses que le moindre bien que tu possèdes Lui appartient, et que tu compatisses avec celui qui n'en a pas. Ne le juge pas parce qu'il n'en a pas, en disant qu'il est pécheur, vicieux, méchant, bavard, voleur, débauché et menteur. Si tu acquiers cette vraie connaissance, tu ne pourras jamais juger quelqu'un, même si tu le vois en train de commettre un péché mortel ; parce que tu diras aussitôt : « Il n'a pas reçu, ô mon Christ, Ta grâce ; c'est la raison pour laquelle il commet un péché. Si tu me quittes aussi, j'en commettrai un encore pire. Si je me tiens debout, je suis debout parce que Tu me soutiens. Ce frère agit à la mesure de ce qu'il voit ; Il est aveugle. Comment veux-tu qu'il voie s'il n'a pas d'yeux ? Il est pauvre. Comment attendre de lui qu'il soit riche ? Donne-lui de la richesse à posséder, donne-lui des yeux pour qu'il voie. » Si tu recherches la justice en toute chose – lorsque ton prochain te lèse, te déshonore, t'injurie, te frappe, te persécute, ou même complote contre ta vie – tu es à ton tour injuste si tu le considères comme responsable ou, si tu le condamnes avec passion. Car tu es à la recherche de quelque chose que Dieu ne lui a pas donné. Si tu comprends bien ce que je te dis, tous te paraîtront dénués de la responsabilité de leurs fautes quelles qu'elles soient, et toi seul tu seras responsable de tout. Car trois ennemis font la guerre au genre humain : les démons, notre propre nature et l'habitude. En dehors de ceux-là, il n'y en a pas. Si tu enlèves le diable qui tyrannise toute l'humanité, nous serons alors tous bons. Voilà celui auquel tu dois attribuer l'injustice. C'est lui que tu dois haïr, mépriser et tenir pour un ennemi jusqu'au bout. Le second, avons-nous dit, c'est la nature. Dès que quelqu'un a compris ce qu'est vraiment le monde, sa nature s'oppose à la loi de l'esprit et s'emploie avec tous les moyens à sa disposition à rechercher la perte de l'âme. Voilà quel est le second ennemi, qui mérite la haine pendant toute notre vie. C'est lui qu'il faut critiquer, condamner. Nous avons aussi un troisième ennemi, l'habitude. Lorsque nous sommes habitués à accomplir toute sorte de mauvaises actions, cela devient chez nous une habitude qui tient lieu de seconde nature qui a pour loi celle du péché ; Celle-ci requiert aussi le même combat pour que nous obtenions de Dieu un changement et une modification de cette loi. Voilà donc le troisième ennemi, qui mérite une haine parfaite. Si donc tu veux que ton frère soit bon en tout, comme il te plaît, débarrasse-le de ces trois ennemis avec la grâce que tu possèdes. Voilà ce qui est juste si tu es à sa recherche : prier Dieu qu'Il le délivre de ces ennemis. Alors vous serez en harmonie. Mais si tu es à la recherche de ce qui est juste d'une autre façon, tu seras toujours injuste, et par conséquent la grâce sera obligée d'aller et de venir, jusqu'à ce qu'elle trouve le repos dans ton âme. Car un homme reçoit une quantité de grâce équivalente à sa capacité à endurer de bon gré les tentations, ainsi qu'à son aptitude à supporter sans se plaindre la charge du prochain. Les précédentes lettres que je t'ai envoyées traitaient de la praxis. Celle que je t'envoie maintenant traite de l'illumination. Un homme reçoit l'illumination de la connaissance à partir de la praxis, car la praxis en elle-même est aveugle, et l'illumination c'est les yeux au moyen desquels l'esprit voit ce qu'il ne voyait pas auparavant. Or donc, maintenant qu'il a une lampe et des yeux, il voit les choses différemment. Tout d'abord, c'était la grâce de la praxis, mais désormais il a reçu une grâce dix fois supérieure. Maintenant l'esprit est devenu firmament : il voit loin. Il a beaucoup plus de capacité de réception qu'auparavant. Désormais, la contemplation lui manque. En tant que roi, il a trouvé le trône ; il lui manque le théâtre, dont nous parlerons une autre fois. Toi, recopie les lettres avec de l'encre noire, pour qu'elles ne s'effacent pas – puisqu'elles sont écrites au crayon – afin de les étudier pour corriger ta conduite. LETTRE 10 La grâce précède toujours les tentations comme un avertissement préliminaire. On appelle praxis non pas le fait d'essayer, puis de se retirer. Mais on appelle praxis le fait de pénétrer dans l'arène, de combattre en combat singulier ; de vaincre, d'être vaincu ; de gagner, de perdre ; de tomber, de se relever ; de tout briser, et d'accepter le combat et la lutte jusqu'à son dernier souffle. En outre, il ne faut jamais faire confiance à ses propres forces jusqu'au départ de l'âme. Mais, quand on monte au ciel, il faut s'attendre ensuite à descendre dans l'Hadès. Sans compter que la descente peut se produire au même instant. Aussi il ne faut pas s'étonner des changements, mais avoir à l'esprit que les deux conditions sont les nôtres. Sache que toujours la grâce précède les tentations, comme un avertissement préliminaire. Dès que tu vois la grâce, serre ta ceinture en disant : « Le déclaration de guerre est venue ! Observe, homme d'argile, par où le malin va engager le combat. » Souvent il vient vite et d'autres fois il vient deux ou trois jours plus tard. De toute façon, il va venir, il faut que tes fortifications soient solides : confession chaque soir, obéissance à l'Ancien, humilité et amour à l'égard de tous. De cette façon, tu allégeras l'épreuve. Maintenant, si la grâce vient avant la purification et autres choses semblables, je te demande de faire attention et de garder une pensée pure. La grâce se répartit en trois ordres* : purificatrice, illuminatrice, et perfectrice. La vie est aussi divisée en trois ordres : selon la nature, au-dessus de la nature et contre nature. L'homme monte ou descend selon ces trois ordres. Trois sont aussi les grands charismes que l'on reçoit : contemplation, amour, impassibilité. Ainsi, dans la praxis, coopère la grâce purificatrice. Lorsqu'une personne quelconque se repent, c'est la grâce qui l'a incitée à se repentir. Et quoi que cette personne fasse, elle le fait par la grâce de Dieu, même si elle n'en a pas conscience. Cependant, c'est la grâce qui la nourrit et qui la guide. Et selon son progrès, elle monte ou elle descend, ou elle demeure dans le même état (katastasis). Si elle est zélée et montre du reniement de soi, elle progresse jusqu'à la contemplation, qui est suivie par l'illumination de la connaissance divine et de l'impassibilité partielle. Si le zèle se refroidit, la bonne disposition et l'énergie de la grâce se retirent aussi. Celui qui prie en connaissance de cause ne bavarde pas, ne demande pas des choses superflues ; au contraire, il connaît l'endroit, la méthode et le moment favorable ; et il demande ce qui convient et est utile à son âme. Il est en relation spirituellement avec le Christ. Il Le prend et il Le garde en Lui disant : «  Je ne te laisserai jamais partir. » Ainsi, celui qui prie demande le pardon de ses péchés, il demande la miséricorde du Seigneur. Mais s'il demande avant leur temps de grandes choses, le Seigneur ne les lui accordera pas. Car Dieu les donne dans l'ordre. Mais s'il continue à accabler le Seigneur, il permet à l'esprit d'erreur de contrefaire la grâce et il t'induit en erreur en te faisant prendre des vessies pour des lanternes. C'est pourquoi il n'est pas utile de demander ce qui est au-delà de la mesure. Mais même si ses requêtes sont entendues avant qu'il ne soit purifié, si elles ne sont pas formulées en temps opportun, elles deviennent des serpents et lui nuisent. Toi, aie un repentir pur, obéis à tous, et la grâce viendra d'elle-même sans que tu la requières. Comme un nourrisson balbutiant, l'homme demande à Dieu sa sainte volonté. Dieu , qui est un Père plein de bonté, lui donne la grâce, mais Il lui accorde aussi des tentations. S'il supporte sans broncher les tentations, il reçoit un surcroît de grâce ; Plus il reçoit de grâce, plus il reçoit de tentations. Quand les démons s'approchent, pour engager le combat, ils ne vont pas là où toi tu pourras les défaire sans broncher ; mais ils t'éprouvent là où tu es faible. Là où tu les attends le moins, c'est là qu'ils perceront le mur de la forteresse ; Et lorsqu'ils trouvent un homme avec une âme malade et un point faible, ils sont toujours vainqueurs et le rendent responsable. Tu demandes de la grâce à Dieu ? Au lieu de la grâce, Il autorise une tentation. Tu ne supportes pas le combat et tu tombes ? Un surcroît de grâce ne t'est pas accordé. Tu la redemandes ? Derechef la tentation. De nouveau une défaite ? Encore une privation, et cela pendant toute la vie. Il faut donc que tu sortes vainqueur. Résiste à la tentation jusqu'à la mort. Tombe à terre dans la bataille, en criant paralysé sur le sol : « Non, je ne lâcherai pas, je ne T'abandonnerai pas, mon très doux Jésus ( cf. He 13, 5). Je demeurerai inséparable de Toi pour l'éternité et par amour pour Toi, je rendrai l'âme dans le stade. » Alors brusquement, il apparaît dans le stade et il crie au milieu de la tempête : « Je suis là, ceins tes reins comme un homme et suis-moi ! » (Jb 1, 3). Et Toi de répondre plein de lumière et de joie : « Malheur à moi misérable ! Malheur à moi mauvais et inutile ! Je T'ai entendu tout d'abord, et maintenant mes yeux Te voient ; aussi je me prends en dégoût, je me couvre de poussière et de cendres » (cf Jb 42, 6). Alors tu es rempli d'amour divin et ton âme brûle comme celle de Cléopas (cf. Luc 24, 32). Et au moment de la tentation tu n'abandonnes plus la fine étoffe de drap pour t'enfuir nu ( cf Mc 14, 52), mais tu prends patience dans les afflictions en te disant que comme les tentations sont passées l'une après l'autre, celle-ci passera de même. Cependant quand tu te décourages et gémis et que tu ne supportes plus les tentations, alors au lieu de vaincre tu dois te repentir sans cesse pour les fautes de la journée et la négligence de la nuit. Alors, au lieu de recevoir grâce sur grâce, tes afflictions augmentent. C'est pourquoi, ne sois pas lâche ; ne crains pas les tentations. Même si tu tombes souvent, relève-toi. Ne perds pas ton sang-froid. Ne sois pas découragé. Ce ne sont que des nuages et ils passeront. Et quand tu as dépassé tout ce qui constitue la praxis avec la synergie de la grâce qui te purifie de toutes les passions, alors ton esprit goûte à l'illumination et il est mû vers la contemplation. La première contemplation est celle des êtres : à savoir que Dieu a tout créé pour l'homme, même les anges qui sont aussi à Son service. Quelle valeur, quelle grandeur, quelle grande destinée a l'homme, ce souffle de Dieu ! Lui qui a été créé non pas pour vivre ici-bas les quelques jours de son exil, mais pour vivre éternellement avec son Créateur. Pour voir les anges divins et entendre leur ineffable mélodie. Quelle joie ! Quelle grandeur ! A peine cette vie est-elle terminée et nos yeux sont-ils fermés que les autres s'ouvrent et que la vie nouvelle commence, la joie véritable qui, de plus, n'a pas de fin. En pensant à cela, l'esprit est plongé dans une paix et une sérénité extrêmes, qui se répandent sur tout le corps, et il oublie complètement qu'il se trouve dans cette vie. Ces contemplations se suivent l'une après l'autre. Non pas pour créer des imaginations dans l'esprit, mais l'état spirituel est celui de l'action de la grâce, qui amène des représentations spirituelles (noèmata) et dès lors l'esprit se consacre à la contemplation. Ce n'est pas l'homme qui les crée, elles viennent d'elles-mêmes et ravissent l'esprit en contemplation. Et alors l'esprit s'étend hors de lui-même et devient tout autre. Il est illuminé. Tout lui est ouvert. Il est rempli de sagesse et possède comme un fils ce qui est à son Père. Il découvre qu'il n'est rien, de l'argile, mais aussi un fils du Roi. Il n'a rien, mais il possède tout. Il est rempli de théologie. Il appelle insatiablement, en confessant en toute connaissance de cause que son existence est un néant. Son origine c'est l'argile ; mais sa force vitale c'est le souffle de Dieu, son âme. Aussitôt son âme s'envole au ciel ! « Je suis l'insufflation, le souffle de Dieu ! Tout a été dissout et est resté sur la terre, dont j'ai aussi été tiré ( cf. Gn 3, 19) ! Je suis le fils d'un Roi éternel ! Je suis Dieu par grâce ! Je suis immortel et éternel ! Je suis, en un instant, près de mon Père céleste ! » Tel est vraiment le destin de l'homme ; c'est pour ce dessein qu'il a été créé, et il est tenu de revenir d'où il est venu. Telles sont les contemplations auxquelles se consacre l'homme spirituel. Et il attend l'heure où il quittera la terre et où l'âme volera vers les cieux. Prends donc courage, mon enfant, et supporte chaque peine et affliction dans cet espoir, puisque d'ici peu de temps nous serons rendus dignes de cela. C'est la même chose pour tous. Nous sommes tous des enfants de Dieu. C'est Lui que nous appelons jour et nuit avec notre bonne Mère, la Souveraine de l'Univers, qui n'abandonne jamais celui qui l'invoque. LETTRE 11 J'ai trouvé beaucoup des Pères dans la praxis et la contemplation. Lorsque l'amour de Notre Seigneur embras l'âme de l'homme, il n'est plus contenu par des limites, mais il transcende le fini. C'est pourquoi il dit : « Jette dehors la crainte » ( 1 Jn 4, 18) ; et quoiqu'il puisse écrire ou dire, il tend vers l'infinité. Mais en cet instant de grâce, tout ce qu'il peut dire est étriqué en comparaison de l'embrasement de la splendeur de l'amour divin. Puis, après que le cœur se soit contracté et la nuée dispersée, et qu'il ait repris ses sens, alors entre en scène le compas qui cherche à distinguer une mesure. Eh bien, tout ce que je vous ai écrit n'avait à dessein pour seul but que d'échauffer le zèle de votre âme, d'exciter votre désir et votre zèle pour notre très doux Jésus, comme des officiers le font pour leur troupe lorsqu'ils racontent les hauts faits des braves et les obligent ainsi à combattre courageusement. De même, les Vies des Saints et les traités qu'ils ont écrits et qu'ils nous ont laissés ont le même but. L'âme aussi, que Dieu a ainsi créée, si elle n'entend pas souvent ces hauts faits et ces prodiges, s'abandonne au sommeil et à l'indolence. Et c'est seulement de cette façon, avec des lectures et des récits de valeur, qu'elle dissipe l'oubli et restaure le vieil édifice. Pour ma part, quand je suis venu au Mont-Athos, j'ai trouvé beaucoup de Pères occupés à la praxis et à la contemplation, des hommes vénérables et saints. Il y avait l'Ancien Callinique – Sur ce grand ascète, voir ARCHIMANDRITE CHERUBIM, Callinique l'Hésychaste, trad. fr. Paris, 1988, et trad. De Presbytéra Anna sur son blog Internet, et in Figures hagiorites contemporaines, dans Ecrits du Mont-Athos. Une anthologie hagiorite contemporaine, Grez-Doiceau, 1990, p. 33-41 -, un ascète excellent, reclus depuis quarante ans. Pratiquant l'oeuvre mentale – la Prière mentale – et savourant le miel de l'amour divin, il devint aussi utile aux autres. Il goûta ainsi le ravissement de l'esprit. Au-dessous de lui demeurait un autre Ancien, le Père Gérasime, un hésychaste* accompli. Il était originaire de Chios ; c'était un ascète admirable. Il pratiquait la Prière mentale et était âgé de quatre-vingt-dix ans. Il passa dix-sept ans au sommet du pic du Prophète Elie, luttant contre les démons au milieu d ela foudre et des intempéries, et resta un inébranlable pilier de persévérance. Il avait reçu le don des larmes continuelles. Il menait une vie sans souci, rendue douce par la méditation de Jésus. - La Prière de Jésus. - . Plus haut, demeurait l'Ancien Ignace. - Sur cet autre grand ascète, voir ARCHIMANDRITE CHERUBIM, Figures hagiorites contemporaines, p. 77-94. - . Il était aveugle depuis de nombreuses années, père confesseur depuis des années ; il était âgé de quatre-vingt-quinze ans. Il priait mentalement de façon ininterrompue, et sa bouche exhalait le parfum de sa prière au point que l'on prenait plaisir à lui parler près de sa bouche. Il y avait un autre père plus admirable encore à la grotte de Saint Pierre l'Athonite, le Père Daniel, émule du grand Arsène. Un reclus au silence rigoureux ; il célébra la Liturgie quotidiennement jusqu'à la fin de sa vie. Pendant soixante ans, il n'envisagea pas un seul jour d'omettre la Divine Liturgie. Même pendant le Grand Carême* il célébra quotidiennement la Liturgie des Présanctifiés*. Il mourut à un âge très avancé sans avoir jamais été malade. Sa Liturgie durait toujours trois ou quatre heures, car il était incapable de dire les ecphonèses* à cause de sa componction. Devant lui le sol était toujours détrempé à cause de ses larmes. C'est pourquoi il ne voulait pas que quelqu'un d'extérieur assiste à sa Liturgie, pour que l'on ne voie pas la façon dont il s'y prenait. Mais moi, après que je l'en eus prié ardemment, il m'accepta. Chaque fois que je m'y rendais, après avoir marché de nuit pendant trois heures pour assister à ce spectacle vraiment redoutable de la manifestation divine, il me disait une ou deux paroles en sortant du sanctuaire, puis allait aussitôt se cacher jusqu'au lendemain. Il pratiqua la Prière mentale et la veille de toute la nuit jusqu'à la fin de sa vie. C'est de lui que j'ai pris cette habitude et j'en ai retiré le plus grand bénéfice. Il mangeait seulement quatre-vingts grammes de pain par jour. Il était entièrement ravi pendant sa Liturgie, et il ne l'achevait pas sans que le sol ne soit devenu de la boue à cause de ses larmes. Il y avait aussi beaucoup d'autres contemplatifs que je ne fus pas jugé digne de voir, car ils étaient morts un ou deux ans auparavant. Mais on me racontait leurs merveilleux exploits, car je me consacrais à la même activité.*Pas à pas, j'ai visité des montagnes et des grottes à la recherche de tels hommes. Car mon Ancien était bon et simple, et après que je lui aie préparé sa nourriture, il m'avait donné sa bénédiction pour que je parte à la recherche de ce qui pourrait être utile à mon âme. Lorsque je le portai en terre, j'avais exploré tout l'Athos. Il y en avait un, qui vivait dans une grotte, qui devait pleurer sept fois par jour. Telle était son activité ascétique. Il passait toute la nuit en larmes, et son oreiller était toujours complètement trempé. Son aide, qui venait deux ou trois fois par jour – car il ne voulait pas l'avoir auprès de lui pour ne pas interrompre son deuil – lui demanda : « Géronda*, pourquoi pleures-tu tant ? Mon enfant, quand l'homme contemple Dieu, les larmes se mettent à ruisseler par amour pour Lui et il ne peut pas les contenir. » Il y en avait d'autres de moindre importance, comme le Père Cosmas, et d'autres plus importants, et le papier manquerait si quelqu'un devait parler d'eux. Tous sont désormais morts ici-bas et vivent là-haut éternellement. On n'entend plus parler de telles choses aujourd'hui ; Car les gens sont si préoccupés par les tracas et les soucis matériels qu'ils ont un mépris presque total pour l'oeuvre neptique*, au point que beaucoup d'entre eux non seulement ne veulent pas se mettre à sa recherche, la connaître, la pratiquer, mais vont même jusqu'à s'irriter sans bienveillance contre celui qui en parle. Ils le tiennent pour quelqu'un de déraisonnable et pour un imbécile, car leur vie est différente, et cela leur semble risible. Cela ressemble à l'époque de l'idolâtrie où, lorsque tu insultais les idoles, on te lapidait et on te mettait à mort de misérable façon. Désormais, c'est chaque passion qui occupe la place d'une idole, et si tu en fais le reproche et si tu blâmes la passion qui subjugue chacun, tous se mettent à crier : « Lapidez-le, car il a insulté nos dieux ! » Enfin, puisque je ne reçois personne, sans aucune exception, et que je ne veux rien entendre sur la façon dont vivent ou sur ce que font les gens dans le monde ou les moines, je suis perpétuellement en but à la critique. Pourtant je ne cesse de prier jour et nuit pour les Pères, et de leur dire qu'ils ont raison et que moi seul suis en tort, puisque je suis un objet de scandale pour eux, car ils voient avec les yeux que Dieu leur a donnés. Serait-ce injuste et condamnable si je disais : « Pourquoi ne voient-ils pas comme je vois ? » Puisse le Dieu de l'univers les prendre tous en pitié, par les prières des Saints Pères théophores. LETTRE 12 Ainsi l'esprit devient tout entier lumière, tout entier clarté. Mon enfant, dans la mesure où l'Ancien a une connaissance de la Prière monastique, tu ne risques pas d'être dans l'erreur. Toi, fais comme te dit ton Ancien et ne sois pas triste si la grâce va et vient. Car c'est ainsi qu'elle entraîne l'âme à penser humblement et à ne pas devenir arrogant. Au début, c'est ainsi qu'agit un petit enfant : «  Malheur à la ville dont le prince est un enfant » ( Ec 10, 16), dit l'Ecriture Sainte. Autrement dit : « Malheur à l'âme, dont l'esprit est un novice en la matière ! » L'esprit, mon enfant, ne peut pas rester en place, surtout l'esprit de celui qui est faible spirituellement. Tantôt il veut lire, tantôt psalmodier, tantôt il recherche le silence. Lorsque quelqu'un est silencieux, son esprit en profite pour réfléchir sur différents points de doctrines tirés de l'Ecriture, qu'il a préalablement étudiés. Quand donc tu lui donnes tout ce qui est bon et susceptible de lui plaire, il prend des forces, comme le corps recouvre ses forces grâce à la nourriture saine qu'il reçoit. Mais quand tu lui donnes n'importe quoi, au lieu de devenir lumineux, il s'obscurcit. De même, quand il est fatigué il a besoin de se reposer. Ainsi, il apprend à distinguer le bien du mal. C'est ainsi que l'esprit devient tout entier lumière, tout entier clarté. Il voit la pureté de l'âme. Il voit les échardes (cf.2 Co 12, 7). Il endure les tentations. La grâce abonde. Elle purifie le corps des passions. L'âme s'apaise. Et en fin de compte tout arrive à la suite comme un enchaînement, rapidement et sans beaucoup de mal ; tout cela est le résultat de l'obéissance parfaite. En outre, note bien que celui qui observe une parfaite obéissance a un esprit soulagé de toute préoccupation. De fait, l'esprit est l'intendant de l'âme, c'est lui qui lui procure sa nourriture : c'est-à-dire tout ce que toi tu lui donnes ; Quand donc il est en paix et que tu lui donnes les bonnes choses qu'il désire, il les fait descendre dans le cœur. En premier lieu, il se purifie de toutes les prédispositions passionnées (prolèpseis*) qui l'abusaient dans le monde. Il se débarrasse des préoccupations de la vie et, disant sans cesse la prière, la distraction cesse totalement. On réalise qu'il s'est purifié car il n'incline plus au mal et à l'impur qu'il a vu ou entendu dans le monde. Par la suite, au moyen de la Prière, qui va et vient dans le cœur, il purifie la voie et expulse toute infamie, malignité et impureté de celui-ci. L'esprit se dresse contre les passions et contre les démons qui attisent les passions qui, pendant tant d'années, se sont nichées en son cœur à l'insu de tout le monde. Désormais, du fait que l'esprit a reçu la pureté – son ancien habit -, il les voit et tel un chien de garde, il aboie, il grogne, il se bat contre elles en tant que seigneur et gardien de toute l'âme raisonnable. Tenant comme une arme le Nom de Jésus, il fustige les ennemis, jusqu'à ce qu'il les expulse tous au-dehors, à la périphérie du cœur ; alors elles se mettent à aboyer elles aussi comme des chiens sauvages. Alors l'esprit commence à nettoyer le cœur de sa saleté et de toute l'impureté dont les démons nous ont souillés à chaque fois que nous avons consenti à quelque chose de mal et de peccamineux. Il continue de combattre contre les démons pour les expulser, en les éloignant complètement pour qu'ils ne le perturbent plus du tout. Et il ne cesse de lutter pour chasser les immondices que ceux-ci ne cessent de jeter en lui. Ensuite, comme un économe avisé il fait venir des nourritures appropriées à l'illumination et à la santé de l'âme. A tout cela contribue la grâce purificatrice. L'orant est recouvert de la protection de l'obéissance comme d'une ombre. Il est gardé par la grâce de celui qui a assumé son âme devant Dieu – C'est-à-dire le père spirituel.- . Et peu à peu le changement de la droite du Très Haut se produit (cf. Ps 76, 11). En peu de temps, après que les démons ont été chassés au-dehors et à l'intérieur du cœur purifié, la souillure cesse. L'esprit est intronisé comme un Roi sur le cœur et il exulte comme un fiancé se réjouit de sa fiancée dans la chambre nuptiale ; Il jouit d'une joie sainte, pure, irréprochable. Il dit la Prière sans peine. Alors, la grâce agit librement et montre à l'esprit les promesses qu'il est appelé à recevoir en récompense, s'il rempli ses devoirs sans fléchir. Dès lors, il est rendu calme et paisible par la venue de la grâce qui l'élève à la contemplation, selon la capacité qui lui a été donnée à l'origine. Ainsi, ce sont en premier lieu la crainte de Dieu, la foi, l'obéissance parfaite et le reniement de soi qui apportent tout cela. Ensuite, l'homme atteint le bienheureux amour et la parfaite impassibilité. En sorte que l'esprit, n'inclinant plus du tout au mal, s'écrie des profondeurs : « Mon âme est assoiffée de Toi, mon Dieu ! Quand donc viendrai-je et pourrai-je avoir la sainte vision de Toi ? » Alors il attend la mort comme étant la plus grande joie ; il attend le moment où ces yeux se fermeront et où les autres s'ouvriront, par lesquelles il verra toute chose en se délectant pour toujours. C'est pourquoi, mon enfant, fais-toi violence ! Contraignez-vous dans cette bienheureuse obéissance dans laquelle se trouvent tous les biens, et vivez comme une seule âme dans des corps différents. Alors l'Ancien sera soulagé et aura du temps libre pour prier pour vous de toute son âme, rempli de joie et de jubilation. Alors que si vous désobéissez et gâchez tout cela, alors son âme est continuellement alourdie et affaiblie par le chagrin et petit à petit il s'avance vers la mort. Tout cela, j'en ai fait l'expériece et j'ai mangé les fruits qui en sont très doux. Personnellement, je n'ai jamais rien vu qui procure autant de repos que l'obéissance parfaite. J'ai enterré mon cher Ancien, et j'ai trouvé le repos par sa prière. Ainsi, prenez de la peine maintenant que vous êtes jeunes, afin de moissonner le fruit de l'impassibilité dans votre vieillesse. Et ce n'est pas dans une vieillesse avancée, mais dans vingt ans, si vous vous donnez du mal, que vous verrez ce dont je vous parle. Mais si vous ne vous contraignez pas, même si vous vivez aussi longtemps que Mathusalem (cf. Gn 5, 27), vous ne bénéficierez jamais de ces charismes. Donnez-vous donc du mal, et enviez mutuellement l'Ancien en matière de bien. Vous constaterez alors que les passions sont rendues inertes et que la paix remplit votre âme comme si vous étiez au Paradis. LETTRE 13 La grâce de Dieu ne dépend pas des années. J'ai reçu ta lettre, mon enfant, et je réponds à tout ce que tu m'écris. Tu m'as demandé lequel des deux reçoit la grâce plus rapidement : l'hésychaste ou le disciple. Sans aucun doute, le disciple obéissant non seulement reçoit la grâce rapidement, mais aussi il est constamment en sécurité ; il ne craint ni de chuter, ni de se perdre ; il lui suffit de ne pas tomber dans la négligence. Lorsque le Christ est venu dans un homme, celui-ci est rasséréné, qu'il soit seul ou avec beaucoup d'autres, et il bénéficie de la paix en tout lieu. La grâce de Dieu ne dépend pas des années, mais de la manière de vivre et de la miséricorde de Dieu. L'expérience s'acquiert par la pratique et avec du temps ; mais la grâce – c'est pourquoi on l'appelle grâce, c'est-à-dire un don – est un charisme qui dépend de Dieu, et elle est accordée selon la ferveur de la foi, de l'humilité et de la bonne disposition. Salomon a reçu la grâce à l'âge de douze ans. Daniel au même âge. David alors qu'il était un adolescent qui faisait paître les brebis de son père. Et il en est de même pour tous, les saints des temps anciens ou plus récents. Dès qu'un homme se repent vraiment, la grâce l'approche, et elle augmente avec son zèle ; l'expérience en revanche requiert de longues années d'ascèse. Avant tout, celui qui recherche la grâce du Seigneur doit supporter les tentations et les afflictions, de quelque façon qu'elles se produisent. Mais si, au moment de la tentation, il renâcle et ne témoigne pas d'assez de patience, la grâce ne se manifestera pas, la vertu ne sera pas parfaite, et il ne sera pas non plus considéré comme étant digne d'un charisme. Quiconque a appris que les afflictions, et en général tout ce que les tentations causent en nous, sont des dons de Dieu, celui-ci a vraiment trouvé la voie du Seigneur. Il attend alors qu'elles se produisent, car il est purifié par elles, et en les supportant il est illuminé et contemple Dieu. On ne voit pas Dieu autrement qu'au moyen de la connaissance. Cette connaissance, c'est la contemplation. C'est-à-dire que lorsque tu comprends que Dieu est près de toi et que tu tournoies en Dieu et qu'Il voit tout ce que tu fais, alors tu fais attention de ne pas Le chagriner – car Il voit tout, que ce soit en toi ou à l'extérieur de toi -, alors tu ne pèches pas, parce que tu Le vois, tu L'aimes, et tu prends garde de ne pas Lui causer de chagrin, « car Il est à ta droite » (Ps 15, 8). C'est pourquoi quiconque commet un péché ne voit pas Dieu, mais est aveugle. LETTRE 14 Il est vraiment grand le mystère de l'obéissance. Réjouis-toi dans le Seigneur, enfant du Dieu céleste. Tu m'écris, mon enfant, au sujet de la pensée que tu as contre ton Ancien. Tu dois beaucoup redouter cette pensée. Fuis-la comme un serpent venimeux ! Car elle a une terrible puissance sur notre génération. C'est une ruse du Malin. Il t'apporte des pensées contre ton Ancien pour te priver de sa grâce qui te protège, afin de te rendre responsable et ensuite de te tourmenter impitoyablement. Observe donc mon propos et ne laisse jamais une telle pensée contre ton père spirituel se nicher dans ton cœur. Rejette-la tout de suite comme un serpent venimeux. En outre, au sujet du livre que tu cherches, même si tu devais être sauvé par lui, ne te le procure pas sans une bénédiction. Car sans bénédiction, cela serait considéré par Dieu comme un adultère. Tu dois observer une telle exactitude dans les petites choses comme dans les grandes, que tu ne dois, sans la bénédiction de ton Père spirituel, ni prier ni faire l'aumône ni faire quelque autre bonne action. Ecoute l'histoire de Saül : Dieu l'a élu d'entre toutes les tribus d'Israël et l'a oint roi, mais parce qu'il n'a pas manifesté une obéissance parfaite à l'égard de Samuel et a gardé les bons animaux destinés au sacrifice, Dieu l'a fait périr, en faisant dire au prophète Samuel : « L'obéissance est plus qu'un bon sacrifice » ( 1 R 15, 22). Il est réellement grand le mystère de l'obéissance. Puisque notre doux Jésus le premier a tracé la voie en devenant un modèle pour nous, à plus forte raison ne devons-nous pas marcher à Sa suite ? Si seulement, mon enfant, j'étais parmi vous moi aussi, en train de pratiquer mon obéissance vraiment bien-aimée ! Car je confesse sincèrement de toutes mes forces, en toute connaissance de cause, qu'il n'y a pas d'autre voie de salut que celle-ci, exempte de toute illusion et d'action de l'Ennemi. Et si quelqu'un désire vraiment être sauvé et trouver rapidement notre doux Jésus, il doit faire obéissance. Et il doit porter un tel amour à son Ancien qu'il le considère comme étant l'image du Christ. Ainsi mon enfant, tiens serrée toute l'armure que tu as reçue ( cf. Ep 6, 11), et combats fermement. Jette tes flèches vigoureusement contre tes ennemis, ayant un seul objectif en évitant la flèche qui vole : ne jamais désobéir à ton Père spirituel. Car si Dieu est attristé par toi, tu as ton Ancien comme intercesseur pour le supplier humblement à ton sujet ; mais si tu l'as attristé lui, qui donc fléchira le Seigneur pour toi ? Combats pour alléger dans la mesure du possible le fardeau de ton Ancien, afin que tu aies un allègement et de l'endurance lors de tes afflictions. Je sais d'expérience quelle grande responsabilité et quel poids assume un Ancien, combien il souffre jusqu'à ce qu'il ait transformé une âme inapte en une âme digne d'être introduite par lui dans le Paradis, surtout s'il se trouve avoir affaire à une nature peu maniable. Car une lourde chaîne est placée autour du cou de l'Ancien, à chaque âme nouvelle dont il assume la responsabilité. Et il faut beaucoup de saintes prières pour en alléger le poids. Il faut beaucoup de pur amour ; et non pas de la désobéissance ou de la répartie. Il faut que les lèvres de ses disciples ruissellent de dévotion et de grâce ; et non pas de fiel et d'amertume, de contestation et de querelle. Chaque mot dur que vous lui dites au moment de la tentation, puisqu'il provient du serpent diabolique, abreuve son âme de venin, et son âme flétrit comme une fleur battue par la grêle. Alors, il n'arrive plus à prier pour lui-même, jusqu'à ce que la souffrance soit passée. En revanche, lorsque les disciples sont obéissants en tout, alors l'Ancien aussi marche droit, il est soulevé vers le haut : il prie avec ferveur, il est abondamment illuminé, il parle sagement, il conseille judicieusement, il reçoit de la grâce par surcroît et il devient une source jaillissante prodiguant à chacun la grâce divine qu'elle reçoit du Seigneur. C'est pourquoi, mon enfant, si tu veux progresser rapidement et sans beaucoup de mal, apprends à renoncer à chaque opinion personnelle pour qu'elle ne devienne pas en toi une volonté obstinée. Que ton oreille soit suspendue aux lèvres de ton Ancien et quoiqu'il te dise reçois-le comme une parole de Dieu ; mets-la en pratique sans hésitation, et tu seras toujours serein. En outre, souviens-toi toujours que l'obéissance ou la désobéissance ne s'arrêtent pas à l'Ancien, mais à travers lui remontent jusqu'à Dieu. Ne dissimule jamais une pensée à ton Ancien et ne falsifie pas tes paroles en te confessant devant le Seigneur. Dis franchement tes pensées, et aussitôt ton cœur trouvera le repos. Brise ta nuque sous le joug de l'obéissance et sois suspendu au souffle de ton Ancien. Dès qu'une parole sort de sa bouche, saisis-t'en, que tes ailes poussent, volent pour l'accomplir, sans examiner si elle est bonne ou mauvaise. Fais sans distinction et aveuglément tout ce que t'ordonne celui qui est responsable de toi, pour être toi déchargé de toute responsabilité dans tes actes. Celui qui ordonne devra se justifier : si oui ou non il l'a fait à juste titre.Toi tu devras rendre compte de ce que tu as ou non bien obéi. L'obéissance, ce n'est pas d'accomplir tel ou tel commandement qui t'a été ordonné tout en ayant intérieurement des objections. L'obéissance, c'est subjuguer la façon de penser de l'âme, afin de te libérer de ton mauvais moi. L'obéissance, c'est devenir esclave pour se rendre libre. Acquiers ta liberté à bas prix. Départis-toi de toute responsabilité joyeusement. N'écoute pas ta pensée qui, dans les moments difficiles, te conseille de quitter ton monastère. Sache bien que celui qui ne se soumet pas à un seul se soumet à beaucoup – c'est-à-dire aux passions et aux démons- et au bout du compte reste insoumis. LETTRE 15 Ainsi, tu ne m'écoutes pas et tu ne fais pas marche arrière ? Dieu dit à Adam : « Qui t'a annoncé que tu étais nu, sinon que tu as mangé du seul arbre dont je t'ai ordonné de ne pas manger ? » ( Gn 3, 11). A mon tour, je te dis : «  Qui t'a mis dans la tête tout ce que tu écris ? N'as-tu pas ouvert la porte à l'Ennemi qui, en entrant avec toute sa troupe, a avili ton âme ? Mon enfant, il fallait penser à ces choses avant de porter le saint Habit*. Maintenant que tu as revêtu l'Habit angélique* et que le Christ a scellé tout ce que tu Lui as promis, toutes ces pensées ne doivent plus avoir leur place en toi. Une fois le sacrement accompli, famille, parents et toutes les autres choses – du monde – sont effacés. Fais bien attention à mes paroles. Si après cela un moine fléchit, devient nonchalant et quitte sans raison son Ancien ou sa communauté, malheur à lui, car il sera la proie de grandes épreuves et n'échappera pas à la condamnation lors du Jugement. Il le payera jusqu'à la fin de sa vie pour se retrouver alors encore créancier. On le considérera comme quelqu'un qui a rompu ses vieux et transgressé le commandement divin. Car le Seigneur a dit : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi » ( Mt 10, 37). Et encore : « Quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière est impropre au Royaume de Dieu » ( Luc 62). Et également : «  Il vaut mieux que tu ne fasses pas de vœu plutôt que présenter un vœu et ne pas t'en acquitter » ( Ec 5, 4). Quand donc le Christ dit cela explicitement, ton Maître, Dieu et Père, Lui qui tient entre Ses mains ton souffle et ta vie, quelle pertinence a ce que tu dis, à savoir que soi-disant tu ne trouveras pas le repos, que ta conscience te reprochera sans cesse les obligations que tu as abandonnées – en quittant le monde -, etc... Que Dieu, qui a fixé les règles et les limites, pense à tout cela, que ce soit Lui qui rende des comptes à Lui-même s'Il ne les a pas bien énoncées. Toi et moi, ainsi que tous ceux qui ont revêtu le saint Habit, nous devrions à tout prix remplir les promesses que nous avons faites à Dieu, afin de devenir des héritiers des biens promis. Ne crois pas que tes parents aussi en tireront profit si tu reviens sur tes pas. Tu causeras un grand dommage à leurs âmes, et ceux de ta maisonnée seront voués à la perdition s'ils se dressent contre la volonté divine. Et moi, je ne collaborerai jamais à ce péché, et je ne suis pas d'accord avec la solution que vous proposez maintenant. Mais même si l'Ancien finalement, par lassitude, te laisse partir, il paiera très cher cet accommodement. Efface donc totalement de ta mémoire ce mauvais souvenir, afin que cesse la guerre des pensées et que ton cœur retrouve la sérénité. Mais si tu es vaincu et retournes en arrière, non seulement je ne t'écrirai plus d'autre lettre, mais je t'effacerai totalement de mon cœur. Je ne peux pas faire plus, dans la mesure où je me rends compte que, bien que tu comprennes que c'est une tentation diabolique, tu persistes à l'entendre. Donc, que t'écrire de plus ? Mais écoute-moi pendant qu'il est encore temps. Car lorsqu'un homme en connaissance de cause cède à la tentation, vient par la suite le moment où il est incapable d'entendre ce qui est sain et profitable ; car déjà l'ouïe de son âme s'est gâtée. Par la suite, il devient méprisant et court à sa perte. Ne vois-tu pas que le Seigneur, parlant pour tout le monde, a conclu à la fin : « Que celui qui a des oreilles entende ! » ( Mt 13, 43) ? Par conséquent, laisse ces pensées ( logismoï) de côté et affermis ta pensée (dianoïa*) avec un « esprit de droiture » ( Ps 50, 12). Tu n'as aucune charge à l'égard de quoi que ce soit que tu as laissé derrière toi, lorsque tu as quitté le monde et les tiens. Celui qui a créé le ciel et la terre a pour toute chose prévoyance et soin, et Il se préoccupe aussi de tous. Ecoute donc le récit d'un événement miraculeux qui s'est produit ici sur la Sainte Montagne et que tu n'as peut-être pas encore entendu jusqu'à maintenant. Il y avait un moine ici à Katounakia que je n'ai pas eu le temps de connaître, car il était mort depuis peu quand j'y suis arrivé. Il était disciple d'un Ancien aveugle. Un jour arriva un pauvre laïc qui passa devant son kellion*. Le jeune moine lui demanda : « D'où es-tu ? » Il était originaire du même village que lui. Le moine ne le lui fit pas savoir et se contenta de lui demander comment allait un tel – c'était son père. L'étranger lui répondit qu'il était mort en laissant sa femme et trois filles qui étaient sans père, à la rue et dans la misère. Il ajouta qu'il avait aussi un fils, qui était parti depuis des années sans que l'on sache ce qu'il était devenu. Le moine fut choqué comme s'il avait été frappé par la foudre, et fut aussitôt assailli par les pensées. Je vais partir, dit-il à son Ancien, je vais partir pour aller les protéger ! Il demanda sa bénédiction ; l'Ancien ne la lui donna pas. Mais lui insista sans discontinuer. L'Ancien lui donna des conseils en pleurant sur lui-même et son disciple, mais il fut impossible de le convaincre. Finalement il le laissa partir, et le disciple s'en alla. Une fois qu'il eut quitté la Sainte Montagne, il s'assit à l'ombre d'un arbre. Le hasard voulut qu'un autre moine arrivât en sueur ; il s'assit à son tour sous le même arbre, et le nouvel arrivant lui dit : « Je te vois préoccupé, mon frère, ne veux-tu pas me dire ce que tu as ? Laisse-moi, Père, il m'est arrivé un grand malheur. » Et de lui raconter en détail toute l'histoire. Le bon voyageur lui dit alors : « Si tu veux m'écouter, mon cher frère, retourne chez ton Ancien et Dieu protégera ta maison. Toi, sers ton Ancien, puisque de plus il est aveugle. » Mais lui ne l'écouta pas. Il était envahi par les pensées et les paroles de l'autre lui semblaient absurdes. Bien qu'alors on lui eût donné beaucoup d'exemples comme je le fais maintenant pour toi, le moine désobéissant se leva pour poursuivre sa route vers le monde. Le passant lui dit finalement : « Ainsi tu ne m'écoutes pas et ne retournes pas sur tes pas ? Non ! Dit-il avec entêtement. Eh bien alors, sache que je suis ange du Seigneur. Dès que ton père est mort, Dieu m'a ordonné d'aller chez les tiens pour les protéger et être leur gardien. Puisque maintenant toi tu viens à ma place, moi je vais les laisser et partir parce que tu ne m'écoutes pas. » Et il disparut de devant lui. Alors le moine reprit ses esprits et retourna aussitôt chez son Ancien qu'il trouva à genoux en train de prier pour lui. As-tu compris mon enfant ? C'est ce qui arrive quand nous quittons tout pour Dieu, puisqu'Il régit tout très bien en tant qu'administrateur bienveillant et il n'y a rien d'erroné dans Sa bienveillance. Celui qui cherche le salut doit faire preuve de patience. Mais si nous exigeons que Dieu agisse comme cela nous arrange selon notre jugement, alors malheur à notre situation misérable. Le diable, ne pouvant pas pénétrer là où se trouvent la bénédiction de l'obéissance et le lien de la charité, s'efforce de multiples façons d'isoler l'homme par la rébellion, pour ensuite faire de lui le jouet de sa méchanceté et de sa fourberie. Mais lorsque le sage obéit à ses supérieurs, qui connaissent le chemin, le diable échoue, lui qui dresse des pièges et le mal retombe sur sa tête. Observe donc désormais l'obéissance à l'égard de ceux qui sont plus âgés que toi, et avec le temps tu deviendras toi aussi quelqu'un d'expérimenté, utile aux plus jeunes. Le temps viendra où tu acquerras ce que tu ne possèdes pas encore et ce qui te semble difficile à accomplir, et alors tu t'étonneras de ce que tu l'as obtenu, puisqu'en plus tu avais cessé de le rechercher. Cela viendra ; il te suffit seulement de rester patient et de rechercher la purification de l'âme. La colère aussi s'apaisera, la paix aussi viendra, et tu obtiendras une impassibilité proportionnelle à ton ouvrage ; tu obtiendras aussi la Prière. Il te suffit de continuer à chercher et à te donner du mal autant que tu peux. Tout n'arrive pas d'un seul coup. De la même façon que, enfant, tu n'as pas acquis le corps d'un homme tout d'un coup. Désormais, toutes ces choses te sont autant de sages leçons d'humilité. C'est pourquoi il n'y a pas de raison de s'affliger, mais il te faut être vigilant et te conforter pour affronter les combats qui vont venir les uns après les autres. Et la leçon que l'on tire de l'un est une préparation pour le suivant. Cette préparation consiste à se dire que quoiqu'il advienne, quoi que les démons ici-bas puissent me faire, je n'aurai pas recours à ma volonté propre, je ne donnerai pas mon avis, je n'engagerai pas de discussion, que ce soit tordu ou non, et quelle que soit la façon souhaitée par celui qui l'ordonne, telle une croix. Pour ma part, je l'exécuterai sans discussion ; et que Dieu voie mon cœur pour en alléger le combat. L'homme doit se tenir debout comme un veilleur et attendre de quel côté l'ennemi va le frapper. Alors, sans tarder, il doit tourner ses armes de ce côté. Durant toute sa vie, il ne doit pas chercher le repos, même si très souvent Dieu le lui accorde. Cependant, il ne doit pas s'enhardir, mais veiller sans cesse comme un soldat au moment de la bataille, car chaque instant compte et peut amener dans l'âme autant de fruit que toute une année ; mais cela est vrai aussi du dommage, si l'homme n'est pas attentif. Lettre 16 <<<

1 commentaire:

  1. Bonjour. Avez-vous le texte intégral de ce livre de lettres de ancien Joseph ? Les Google books n'en ont qu'une partie. Je suppose que vous vouliez publier le texte complet ici, mais seulement une partie correspond à la limite maximale de pages. Michael.

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