lundi 4 septembre 2017
Vies des Saints Pères du Désert par Arnaud d'Andilly (I)
Les Vies
des Saints Pères
des déserts,
et de
quelques Saintes,
écrites
par des Pères de l’Eglise,
et autres Anciens Auteurs Ecclésiastiques,
traduites en français
par Mr Arnaud d’ Andilly.
DISCOURS
SUR CES VIES
PREMIERE PARTIE
Où il est montré combien les Vies de ces Solitaires ont été glorieuses à Dieu, et honorables à l’Eglise.
I. Ce qui a porté à traduire ces Vies.
L’amour et la révérence que j’ai toujours eues pour les écrits si divins des Saints Pères de l’Eglise, et les consolations que j’ai reçues autrefois en lisant quelques-uns de leurs ouvrages, m’avaient augmenté le désir de m’y occuper plus que jamais dans la sainte et bienheureuse retraite où il a plu à Dieu de m’appeler par son infinie miséricorde. Mais la solitude du lieu où j’ai commencé à lui donner les dernières années de ma vie m’ayant porté à chercher quelques lumières pour ma conduite et pour mon édification particulière dans la lecture des Vies toutes célestes et toutes miraculeuses des anciens Solitaires,(Deliciae sanctae otiosorum. Augu.) et à jouir de ces délices saintes des personnes qui ne sont occupées que pour Dieu, pour leur Salut, et pour l’Eglise, ces grands prodiges de sainteté, et ces chef-d’œuvres de la toute –puissance divine ont tellement rempli mon esprit d’une profonde admiration que je n’ai pu m’empêcher de la témoigner à quelques personnes consacrées à Dieu dans une solitude encore plus grande que la mienne, ni ensuite résister au mouvement qu’elles ont eu de m’engager à leur faire part de toutes les merveilles que j’avais vues, en leur exposant en notre langue avec soin et avec fidélité ce qui m’a paru si admirable dans les originaux Grecs et Latins, et dont elles m’ont dit n’avoir vu jusques à présent en Français que des abrégés très imparfaits, ou quelques versions aussi peu fidèles que peu édifiantes.
Comme je n’ignore pas que Dieu fait souvent entendre sa voix en parlant au cœur de ses plus fidèles serviteurs par les sentiments qu’il leur inspire, j’ai cru que je pouvais prendre cette pensée et ce désir de ces âmes si pieuses pour une marque de sa volonté et pour un ordre de sa providence ; que j’avais sujet d’agir avec d’autant moins de crainte dans l’exécution de ce dessein, que je ne l’avais point formé de moi-même ; et qu’ayant consacré le peu de vie qui me reste au service du grand Roi qui est Jésus-Christ, et de son Epouse qui est l’Eglise, je devais me tenir heureux de leur pouvoir rendre une preuve de mon affection et de mon zèle, en traduisant ces belles Vies avec le plus d’exactitude qu’il me serait possible selon ma faiblesse, et en rassemblant en deux ou trois volumes semblables à ce premier ce que les plus anciens et les plus célèbres Auteurs Ecclésiastiques en ont écrit en divers livres reçus et autorisé parmi les Pères, les Saints, et les plus savants hommes de l’Eglise Orthodoxe.
Dans ce long et si pénible travail je me suis trouvé fortifié par les ferventes prières des uns et par les puissantes exhortations des autres, et animé par l’espérance de contribuer quelque chose à la gloire de Dieu, et à l’édification de ses serviteurs dans toute l’étendue de ce royaume, où une infinité de personnes n’entendent que leur langue naturelle, et où plusieurs Ecclésiastiques même et un grand nombre de religieux pourront trouver le Français plus clair et plus intelligible que le Latin, surtout dans les anciennes versions des Auteurs Grecs.
II. Vertus admirables de ces Solitaires.
Et véritablement y a-t-il rien de plus glorieux à Dieu que les victoires et les triomphes de sa Grâce dans ces parfaits modèles de toutes les vertus Chrétiennes et religieuses, dans ces admirables Solitaires, qui ont quitté le monde habité des hommes, pour en chercher un nouveau qui avait été jusques alors inhabitable, et pour y vivre comme Jésus-Christ « avec les bêtes et avec les Anges » (Marc.I.V.13), non seulement durant quarante jours, ainsi que ce grand Prince des Pasteurs qui devait aller chercher dans les villes les brebis perdues (Matth.15.V.24) de la maison d’Israël qu’il était venu sauver, mais durant trente, quarante, soixante et quatre-vingts ans ; qui ont peuplé ce nouveau monde de célestes colonies ; qui y ont bâti autant de forteresses contre les puissances de l’ennemi, qu’il y avait de grottes et de cellules d’Anachorètes ; qui y ont établi autant de villes qu’il y avait de Monastères de Religieux habitant ensemble, et qui même y ont fondé des villes toutes entières, telle qu’était la merveilleuse Oxyrinque en la Thébaïde (Rufin.c.5. de Oxirincio Civitate.), qui seule renfermait vingt mille Vierges et dix mille Solitaires au-dedans de ses murailles, et en était toute environnée au dehors, qui ne retentissait que des louanges de Dieu, qui était toute Chrétienne, toute Orthodoxe, toute dévote, qui était moins une ville qu’une Eglise, ou plutôt qui était une vraie Cité de Dieu, une nouvelle et spirituelle Jérusalem descendue du Ciel en terre (Apoc. 21. V.2), une assemblée de premiers-nés dont les noms étaient écrits au livre de vie. (Ad Heb. 12.V.22).
Qui serait le Chrétien assez insensible pour n’être pas touché de respect en considérant cette sagesse ineffable du Très-Haut, qui après avoir lassé et vaincu toute la fureur des Tyrans dans les cruelles persécutions qui déchirèrent l’Eglise jusqu’à la conversion des Empereurs à la foi, suscita un nombre innombrable de Solitaires, qui donnèrent autant d’éclat à la Religion Chrétienne par leur vie toute sainte et leurs austérités presque incroyables, que les Martyrs avaient fait par leur constance ; ( Vid Prolog. Vita S. Pacomii.) ; qui au lieu d’un court martyre de quelques heures en embrassèrent un de plusieurs années ;(Sozom. l.2. Eccl. Hist. cap.11.) ; qui convertirent une infinité de païens par leur exemple et par leurs miracles, comme les Martyrs avaient fait par leur mort et par leurs souffrances ; ( Athan. Vita S. Antonii. Cap.24 et 10. Rufin.c.7. Athanas. Vita S.Antonii.) ; qui rendirent leurs combats contre les Démons aussi célèbres et aussi honorables au Christianisme que les travaux des autres contre les persécuteurs ; qui furent des Martyrs de la charité et de la paix de l’Eglise, comme ceux-là l’avaient été de la foi et de la guerre ; qui s’exposèrent à toutes les rigueurs des éléments, comme les autres à celles des hommes ; et élevèrent à Jésus-Christ un trophée aussi glorieux sur la fausse vertu des sages païens et des philosophes, que les Martyrs avaient fait sur la fausse créance des idolâtres.
III. Que ces Solitaires ont confondu les fausses vertus des philosophes.
Dieu voulut faire voir aux Constantins, aux Théodoses, et aux autres Empereurs Chrétiens, par des exemples vivants et exposés à leurs yeux, que si la foi de Jésus-Christ avait rendu vaines par la sublimité d’une doctrine toute céleste, les connaissances naturelles et morales des savants du paganisme, la vertu qu’il était venu inspirer aux hommes rendait méprisable la plus éminente vertu de ces sages, et qu’il y avait autant de différence entre ces Philosophes Chrétiens ( c’est ainsi que Saint Chrysostome, Théodoret, et les autres Pères Grecs les appellent en parlant d’eux) (Chrys. Tom.1. hom.8 in Matth. Theodoret. Philoth. Cap.2) et les Pythagores, les Socrates, les Sénèques, et les Epictètes, qu’entre l’esprit de Dieu et l’esprit de l’homme ; entre l’humilité forte et la faiblesse superbe ; entre le véritable triomphe de la Grâce divine sur toutes les passions, et la fausse victoire de la volonté humaine sur une passion par une autre, et sur les vices du corps par ceux de l’esprit ; (Non in sermone est regnum Dei, sed in virtute. (I. Cor. 4.20) ; entre le Royaume de Dieu, qui consiste en des oeuvres solides, en des vertus vivantes, en des actions miraculeuses, et le royaume de la raison toute seule, qui consiste en des discours élégants et magnifiques, en des actions basses et des vertus mortes, dignes du royaume de la mort et des ténèbres.
Aussi Dieu a voulu que ces Solitaires aient non seulement effacé par l’éclat et la pureté de leur vie toute angélique les fausses lueurs des vertus académiciennes et stoïciennes.
Comme Saint Chrysostome l’a remarqué en une occasion très importante (Sozom. lib.6. Eccl. Hist. c.34. Chrysost. Homil.17. ad popul. Antioch. Tom.1. Vita S. Pacomii. c.24) ; mais aussi confondu par la sagesse de leurs discours et par la puissance de leur foi la curiosité profane, et les vaines et présomptueuses subtilités de ces philosophes ; et que Saint Antoine qui n’avait appris que la science des Saints dans l’école du Saint Esprit et des déserts (Athanas. Vita S.Anton. c.26 et 27), les ait convaincus de la divinité du Fils de Dieu, et de la vérité de son Incarnation, par le silence des oracles de l’Egypte, par le mépris du culte des dieux en tant de provinces de la terre, et par la force qu’avait le nom de Jésus et la vertu de sa croix pour chasser, ainsi qu’il fit en leur présence, du corps d’un possédé un Démon qui le tourmentait, et qu’eux ne pouvaient chasser ; et leur ait montré par ce miracle, dont eux-mêmes furent témoins, que c’était l’humble foi en Dieu, et non pas la vaine enflure de l’éloquence, qui était capable de ces œuvres surnaturelles et toutes divines.
C’est pourquoi, comme Augustin d’Hippone a eu grand sujet de croire (August. De vera Relig.c.4) « que si Platon avait vu que les Chrétiens auraient détruit l’idolâtrie, que lui-même condamnait et qu’il n’osait combattre publiquement, et que les Apôtres et les disciples de Jésus-Christ auraient rempli les églises, et déserté les temples des faux dieux, et persuadé à toute la terre de passer du désir des biens temporels et périssables à l’espérance d’une vie éternelle et aux biens spirituels et intelligibles, il aurait pu dire hautement : Voilà ce que nous n’avions osé entreprendre de persuader aux peuples (Haec sunt quae nos persuadere populis non aussi sumus) ; et aurait jugé digne des honneurs divins celui qui le premier aurait inspiré une doctrine si sainte et si salutaire aux hommes », quelle devons- nous croire qu’aurait été l’admiration de ce philosophe, s’il avait vu dans cette même Religion Chrétienne ces millions de Saints déserter les villes et remplir les déserts les plus sauvages et les îles les plus reculées ; renoncer non seulement aux pompes et aux richesses du monde, mais même à tout le commerce du monde ; faire profession d’une chasteté de corps et d’une pureté d’esprit toute extraordinaire ; dominer sur les Démons et sur les esprits familiers des sorciers et des magiciens, être morts à la volupté (Cassian. Cap.55), à la curiosité et aux autres passions qui ont régné dans l’âme des philosophes ; s’il avait vu des millions de veuves et de vierges imiter cette même sainteté et cette même solitude des hommes ( Aug. De morib. Eccl. Cath. c.31. Chrysost. Hom. 8. In Matth.), en se retirant comme eux dans des Ermitages et des Monastères ; et que toutes ces personnes saintes n’auraient pas acquis une si haute sagesse par l’étude des sciences et par les livres, mais par la foi en Dieu et en Jésus-Christ, et par l’humilité de leurs prières : N’aurait-il pas dit : Voilà ce que je n’aurais pas seulement pu m’imaginer ; voilà des sages plus parfaits que les idées que j’avais conçues ; voilà des académies d’une philosophie plus divine que la mienne ; voilà une République plus admirable que celle que j’ai peinte dans mes livres ; où il n’y a pas seulement une communauté de tous biens comme dans celle que j’avais tracée ; mais où il n’y a presque pour tous biens que des fruits, des arbres et des herbes de la terre, et un amour ardent d’une pauvreté toute volontaire ; où il y a des pères et des enfants, des frères et des sœurs sans mariage, où une amitié toute chaste et toute spirituelle les unit ensemble plus étroitement, quoique séparés les uns des autres par des murailles et par des rivières, que les liens du sang et de la nature ; voilà des âmes célestes et bienheureuses dès cette vie par la contemplation de la vérité qu’elles regardent avec un œil pur et une lumière surnaturelle ; (Hier. Vita S. Paula. Vita S. Pacomii. c.15. Pallad. c.39. ). Voilà les véritables Iles fortunées que je cherchais au-delà de l’océan, et en un pays séparé du monde. Certes il y a grande apparence ou qu’il aurait cru, comme ce prêtre idolâtre dans les Actes des Apôtres, que « les dieux semblables aus hommes » auraient quitté le Ciel pour venir habiter ces solitudes, ou plutôt que le Dieu des Chrétiens était véritablement venu dans le monde, et s’était rendu pareil aux hommes, puisqu’il rendait des hommes pareils à Dieu. Et à parler humainement, ce grand maître de philosophie aurait été aussi capable d’embrasser la foi Chrétienne, où il aurait vu de si grandes et de si prodigieuses merveilles, que l’ont été depuis lui tant de platoniciens ses disciples qui les ont vues, ou qui les ont sues, et qui passèrent de l’Académie au Christianisme du temps d’Augustin d’Hippone. (Aug. De vera Relig. Cap.2. Act. Apost.10).
IV. Que Dieu a fait paraître dans ses Saints les mêmes vertus et les mêmes dons que dans les Patriarches et les Prophètes.
Mais parce que si les païens ont été éblouis de la lueur des vertus apparentes de leurs philosophes et de leurs sages, les Juifs l’ont été encore beaucoup plus et avec très grand sujet de l’éclat des vertus véritables et toutes divines de leurs Patriarches et de leurs Prophètes, Dieu voulant rabattre la vanité de cette nation incrédule, et montrer que le Dieu des Chrétiens était le même Dieu des Juifs qui avait suscité ces grands hommes durant l’ancienne loi, il en a suscité de pareils dans son Eglise, non seulement en la personne de ses Apôtres qui ont même surpassé les Patriarches et les anciens Prophètes en science, en vertu, en courage et en miracles, mais encore en celle de ces fameux Solitaires. Car selon le jugement des plus grands Saints de l’Eglise qui ont rapporté les histoires de leurs vies, de Saint Jérôme et du Saint Evêque Théodoret, et d’autres sérieux Auteurs Ecclésiastiques, « ils ont été de nouveaux Moïses, de nouveaux Elies, et de nouveaux Elisées » semblables aux anciens. (Hier. Vita S. Pauli. Theodoret. Philoth. c.1.). Et afin qu’on vit davantage qu’ils étaient leurs successeurs, Dieu a voulu les rendre célèbres dans les mêmes lieux où les autres se sont signalés, savoir dans l’Egypte, dans le désert de Judée, et dans la Palestine. Mais parce que la Synagogue ne comprenait qu’un petit peuple resserré dans ces provinces, et que « l’Eglise Orthodoxe est l’assemblée de tous les enfants de Dieu dispersés » dans toutes les régions du monde, il ne les a pas seulement renfermés dans ces contrées, mais il les a répandus dans la Lybie, dans la Syrie, dans l’Arabie, dans la Paphlagonie, dans la Cilicie, dans le Pont, dans la Dalmatie, dans la Galacie, dans la Perse, et dans une infinité d’autres provinces de l’Afrique, de l’Asie, et de l’Europe. Au lieu du petit nombre de ces anciens Prophètes qu’il avait donnés à son ancien peuple, à ce peuple si ingrat et si infidèle, il en a donné un nombre prodigieux à son nouveau peuple, « à cette race choisie, à cette nation sainte, aux enfants du Dieu vivant. (Joan.II.52. Sozom. l.3. Eccl.hist. cap.14 et lib.6.cap.32.33 et 34). Et au lieu que le seul Jean Baptiste qui est venu en l’esprit et en la vertu d’Elie avait été un exemple de la vie parfaitement solitaire, et que cette merveille sans autre miracle avait fait croire aux Juifs qu’il était un Ange ou le Messie même, Dieu a voulu qu’on vît dans l’Eglise plusieurs Saints Jeans en la personne des Pauls, des Antoines, des Ammons, des Macaires, des Pachômes, des Hilarions et de tant d’autres ( I. Petr.2.9. Oze.c.1. Luc.1.17. Matth.11.10. Luc.3.15. Ioan.1.20. Hier. Vita S. Paula),afin de faire voir aux plus aveugles qu’avant l’Incarnation de son Fils la vie solitaire était aussi rare comme elle était excellente, mais qu’après sa résurrection glorieuse et son admirable ascension dans le Ciel, il avait répandu avec une abondance et une plénitude toute entière son Saint Esprit sur la terre, et que par cette effusion bienheureuse, la vie de toutes la plus extraordinaire était devenue commune ; et qu’ainsi que Saint Jean avait montré par sa créance en Jésus-Christ, et par les témoignages qu’il avait rendus publiquement à sa royauté et à sa divinité, qu’il était descendu du Ciel pour sauver les hommes ; de même ces millions de Solitaires montrassent par leur foi en son nom et en sa croix, et par le témoignage de leur sainteté, de leurs prophéties et de leurs miracles, qu’il était monté aux Cieux, et qu’il avait rempli de son Esprit l’Eglise Chrétienne et Orthodoxe.
V. V. Don de Prophétie de ces Solitaires.
Si donc ç’a été la gloire du peuple Juif d’avoir eu des Prophètes à qui Dieu a donné tant de connaissance des choses futures, ç’a été l’honneur de l’Eglise d’avoir eu des Solitaires assez Saints pour recevoir des lumières et des révélations de l’avenir semblables à celles des anciens Prophètes.
Si Elisée prédit à Josaphat roi de Juda qu’il serait victorieux du roi de Moab, et Isaïe au roi Ezéchias que l’armée de Sennacherib roi d’Assyrie serait défaite, (4. Reg.3. 4.Reg.19), le fameux Jean Anachorète d’Egypte, dont les Auteurs Ecclésiastiques qui l’ont vu dans le désert et entretenu dans sa cellule ont décrit la vie, (Ruffin. T.1. Pallad. cap.43 et seq. Cassien. Lib.4. institut. Cap. 23 et 24), dont Augustin d’Hippone a parlé comme d’un Prophète célèbre dans tout le monde (Aug. De Civit.Dei. lib. c.5.26), et que les Empereurs de l’Univers ont envoyé consulter touchant le succès de leurs guerres et de leurs armes, prédit à l’Empereur Théodose I. sa première victoire sur Maxime usurpateur de l’Empire, et sa seconde sur le Tyran Eugène. Il prédit encore que ce prince mourrait d’une mort naturelle et non violente (Pallad. cap.43. et 46), et qu’un de ses généraux d’armée qui l’alla trouver serait victorieux de ses ennemis. Et un autre Solitaire retiré près d’Antioche prédit à l’empereur Maurice, qui n’était alors que particulier, qu’il serait un jour maître de l’empire. (Evagr. Lib.5. Eccl. Hist. cap.21.)
Si Elie prévit la mort de l’impie Ochosias roi d’Israël qui avait quitté le Dieu de ses pères pour aller consulter le Dieu d’Accaron ( 4. Reg.I), et dit à se officiers qu’il mourrait certainement de sa maladie, « l’admirable Julien surnommé Sabas dont Saint Chrysostome dit que le nom a été plus connu de son temps que celui des rois, et qu’il avait été vu de pusieurs qui vivaient encore », (Chrysost. Homol.21. in Epist. Ad Ephes.), ayant su les menaces que l’empereur Julien l’Apostat avait faites contre les Chrétiens (Theodoret. Philoth. cap.2), et la persécution qu’il méditait contre eux au retour de son voyage de Perse, pria Dieu durant dix jours de détourner cet orage de dessus son Eglise, et entendit une voix qui lui dit « que cette exécrable et maudite bête n’était plus au monde ». Et en ayant rendu grâces à Dieu et témoigné une joie extraordinaire sur son visage, il dit à l’heure même à ses frères « que le temps de réjouissance était venu puisque l’impie était foudroyé selon la parole du Prophète, et que ce méchant n’avait trouvé aucune assistance en ses faux dieux. (Isa.24).
Si Elisée par esprit de prophétie pleura les maux qu’Azaël devait faire un jour à Israël, et prévit qu’il brûlerait leurs villages et ferait un grand carnage des Juifs, (4. Reg.8), Saint Antoine par le même esprit pleura les violences et les outrages que les Ariens soutenus par l’Empereur Constance devaient faire deux ans après aux Orthodoxes en brûlant les églises, en profanant les autels, en dérobant les vases sacrés, en chassant les Evêques Orthodoxes de leurs diocèses, et en commettant de semblables sacrilèges (Athanas. Vita S. anton. t.28. Sozom. lib.6. c.5. Chrysostom. 8. In Matt.).Et Saint Hilarion, sur qui l’esprit de Saint Antoine s’était reposé comme celui d’Elie sur Elisée, prévit aussi que les païens de la ville de Gaza en Palestine soutenus par l’empereur Julien l’Apostat devaient brûler les églises, détruire son Monastère, et demander sa mort et celle de son disciple Hésychius à l’empereur, ainsi qu’il arriva depuis ; et cette vision lui fit quitter la Palestine sur laquelle devait fondre cette tempête (Hier. Vita S. Hilar. cap.11.)
Si le même Elisée étant dans la ville de Samarie assiégée par Benadab roi de Syrie, (4. Reg.7), la défendit de telle sorte par ses prières que Dieu envoya une terreur subite dans le camp des Syriens par un grand bruit de chariots, de chevaux et de soldats dont il frappa leurs oreilles, l’illustre Saint Jacques Anachorète, depuis Evêque de Nisibe, (Theodoret. Philoth. cap.1), étant dans Nisibe assiégée par toute la puissance de Perse et par le roi Sapor en personne, la défendit si puissamment par l’ardeur de ses prières qu’il monta sur les murailles à demi rompues pour jeter des traits d’imprécations sur les ennemis, demandant à Dieu qu’il envoyât contre eux une nuée de moucherons, qui vinrent à l’heure même, et piquèrent si vivement les éléphants, les chevaux et les soldats de Perse qu’ils ne pouvaient supporter leurs aiguillons. Et Dieu fit encore que le Saint parut aux yeux de Sapor comme vêtu de pourpre et couronné d’un diadème ; et que ce prince s’étant imaginé que c’était l’empereur Constance qu’il avait vu, leva le siège sur cette fausse créance, après avoir fait perdre la tête à ceux qui lui avaient conseillé d’attaquer cette place en l’assurant que l’empereur des Romains n’y était pas.
VI. Zèle de ces Solitaires.
VII. Ce n’et pas sans sujet que l’on admire ce zèle avec lequel les anciens Prophètes ont soutenu la cause de Dieu contre les impies qui adoraient les faux dieux, et n’ont point craint d’attirer sur eux la fureur des peuples et la colère des princes, qui est une autre grâce que Dieu leur a départie, et qui les a rendus vénérables aux méchants mêmes. Elie et celui qui a paru le plus enflammé de ce feu divin, (3. Reg.10), lorsqu’il fit ce fameux défi aux sacrificateurs de Baal en présence du roi Achab qui favorisait leur impiété, et les confondit par le miracle de l’embrasement du sacrifice lequel ils ne purent faire après avoir longtemps imploré le secours de leurs idoles.
VIII. Mais Saint Antoine n’était-il pas embrasé de cette sainte chaleur ( Athanas. Vita. S. Antonii c.24), lorsqu’à la prière des Evêques et des autres Solitaires, il vint dans Alexandrie, où il condamna hautement l’hérésie des Ariens qui publiaient qu’il soutenait leur parti ; où il les appela précurseurs de l’Antechrist, quoiqu’ils fussent puissants à la Cour de l’Empereur ; où il déclara que Saint Athanase défendait la vérité. (Ibidem. Theodoret. Eccl. Hist. lib.4.c.27) ; que les éléments de toutes les créatures étaient irritées contre la fureur de l’Arianisme de ce qu’elle mettait leur Créateur au rang des choses créées ; où il confirma puissamment la foi des Orthodoxes par ses anathèmes contre l’erreur, étant considéré comme un des plus grands personnages de l’Eglise, où il fut révéré des païens mêmes qui l’appelaient un homme de Dieu et tâchaient de toucher ses vêtements, où il guérit tant de malades et chassa tant de Démons des corps possédés que plusieurs Païens criaient en effet comme fit le peuple Juif après le miracle d’Elie, (5. Reg.28), « Dominus ipse est Deus, Dominus ipse est Deus », puisqu’ils adorèrent le vrai Dieu en renonçant aux idoles, et qu’il s’en convertit un plus grand nombre en très peu de jours qu’il fut en Alexandrie qu’il ne s’en était converti en toute une année.
IX. Saint Julien Sabas n’était-il pas animé de cet esprit ( Theodoret. Philoth. cap.2), lorsqu’ayant su que les mêmes hérétiques Ariens se vantaient qu’il était de leur sentiment, il sortit de sa solitude, s’en alla dans Antioche, soutint publiquement la cause de Dieu et de la religion persécutée par l’empereur Valens infecté de l’Arianisme, et confirma la doctrine Apostolique par des miracles ; de sorte qu’ainsi qu’Elisée fit voir par la guérison miraculeuse de Naaman Syrien qu’ « il y avait un Prophète en Israël » (4. Reg.5.), de même ce Solitaire montra qu’il y en avait un en sa personne dans l’Eglise Orthodoxe, et fit connaître à tout le monde, comme dit Théodoret (Theodoret. Philoth. Ibidem.), qu’ « il était un soleil de piété, un appui de la doctrine de l’Evangile, et une grande lumière de la vérité et de l’Eglise ».
X. Le mémorable Persien Saint Afraates (Theodoret. Philoth. cap.8) n’était-il pas consumé de cette même flamme sacrée, lorsque la même cause de l’Eglise l’obligea de venir dans la même ville d’Antioche près laquelle il demeurait en solitude, et qu’ayant été aperçu de l’empereur Valens Arien qui lui demandait où il allait, il lui fit répondre qu’ « il allait à l’église prier Dieu pour le salut de l’Empereur et de l’Univers. » A quoi ce prince hérétique qui jugeait assez le sujet de sa venue lui ayant reparti qu’ « il s’étonnait comme étant Solitaire, il quittait son silence et son repos pour venir dans le tumulte des villes, » il lui répliqua généreusement qu’ « une fille même quelque retirée qu’elle fût dans la maison de son père en sortirait si elle y voyait le feu, et ferait tout ce qu’elle pourrait pour s’efforcer de l’éteindre ; que lui qui lui parlait faisait de même, et que si sa Majesté Impériale le reprenait de ce qu’il avait quitté sa solitude, elle devait bien plutôt se reprendre elle-même de ce qu’elle avait mis le feu dans la maison du Seigneur, et non pas reprendre ceux qui comme lui tâchaient de l’éteindre. » Et cette sage et courageuse réponse étant soutenue par les miracles qu’il fit alors, (Theodoret. ibid.), détourna l’empereur de l’envoyer en exil, et lui fit avouer que c’était un homme admirable, encore qu’il improuvât sa créance.
XI. VII. Miracles et prodiges de ces Solitaires.
XII. Que si ces Prophètes du Christianisme n’ont pas cédé aux anciens en courage et en générosité, ils ne leur ont pas été aussi inférieurs en prodiges et en miracles ; (Gennad. De illustr. Eccl. Script. Cap.7. de S. Pacom. Sozom. Eccl. Hist. lib.3. c.14. et lib.6. cap.34. Theodoret. Philoth. cap.17. Rufin.c.7. Anton. Vita S. Simeonis. C.4. Pallad. hist. LAusiac. cap.52.). Et Dieu leur a d’autant plus accordé cette grâce apostolique qui a servi à la conversion des premiers Chrétiens dans toute la terre, qu’ils ont été les Apôtres de la Syrie, de la Perse, des Sarrazins, et d’un nombre infini de peuples des provinces voisines de leurs déserts, qu’ils ont tiré de l’idolâtrie, et qu’ils ont non seulement acquis à l’Eglise en leur faisant embrasser la foi Chrétienne, mais qu’ils ont aussi rendu des plus parfaits entre ses enfants en portant plusieurs d’entre eux à embrasser la vie pénitente et solitaire.
XIII. Moïse a fait sortir de l’eau d’une pierre en la frappant de sa verge ; et ces Saints ont fait sortir des ruisseaux d’une roche en la frappant de leur bâton, et ont conduit cette eau dans leur Monastère par un aqueduc taillé dans le roc qu’ils avaient préparé auparavant même le miracle, tant ils avaient de foi et de certitude ; et Dieu a toujours fait couler depuis ce nouveau ruisseau dans ce Monastère, « pour rendre témoignage à la vertu de ce nouveau Moïse », comme dit Théodoret. (Theodoret. Philoth. cap.2. de S. Juliano Saba). Lorsqu’ils se sont rencontrés dans des déserts arides où l’un d’eux mourait de soif, Dieu a fait sortir d’une fontaine au même lieu où les larmes de l’autre qui priait et pleurait pour son frère, avaient touché le sable ; et cette fontaine durait toujours.
XIV. Elie et Elisée ont divisé en deux les eaux du Jourdain et l’ont passé à pied sec. (4. Reg.2). Sop. Archiepis. Ierosol. Vita S. Maria Aegypt. cap.10. Vita S. Pacomi. c.9. Rufin. C.9. Athanas. Vita S. Antoni. c.10. Exod.14. Hier. Vita S. Hilarion cap.16). Et ces Solitaires en faisant le signe de la Croix sur ce même fleuve l’ont aussi passé à pied sec, en marchant sur ces eaux comme sur la terre. Ils ont passé d’autres rivières étant assis sur des crocodiles. Ils ont souvent passé le Nil en marchant au milieu de ses eaux. Ils ont passé le Lique sans toucher l’eau, étant enlevés d’un bord à l’autre par une vertu divine. Moïse a fendu les eaux de la mer et l’a partagée en deux. Et ces Solitaires par leur présence et par la force de trois signes de croix qu’ils ont imprimés sur le sable, ont arrêté en un moment toute l’impétuosité de la mer, qui avait déjà inondé de grandes campagnes, et menaçait d’un déluge toute une province. Et il semblait, dit Saint Jérôme, que la mer sentît la violence qu’elle souffrait, en faisant tout d’un coup retourner ses vagues sur elle-même. « Stetit unda fluens, mare vidit et fugit. » (Exod.15. v.8. Psal.113. I. Reg.17. Eccl.47.v.3. 4. Reg.2).
Les anciens Prophètes, comme David et Elisée, se sont joués avec les ours et les lions ainsi qu’avec des agneaux, selon le langage de l’Ecriture. Et ces Solitaires s’en sont servis pour creuser la terre afin d’enterrer les morts. Ils ont commandé à des dragons épouvantables de se venir jeter dans un feu, et se sont fait obéir à l’heure même. Ils ont ordonné à d’autres dragons de les accompagner pour les défendre contre les voleurs. (Hier. V. S. Pauli. Hier. Vita S. Hilar. cap.4. 16.Rufin. 8. De Sancto Ammone). La foi de Daniel a été en sûreté dans la fosse des lions ; (Daniel) et la chasteté d’un Solitaire et d’une sainte femme Chrétienne (Hier. Vita S. Malchi.) l’ont été dans la caverne d’une lionne, qui dévora deux hommes qui les poursuivaient. Ils ont donné à des Juifs mêmes qui étaient égarés dans le désert (Theodoret. Phil.c.6) et leur demandaient par où ils devaient aller, deux lions pour leur servir de guide et les remettre dans leur chemin ; et afin qu’on ne prît plus une si grande merveille pour une fable, dit Théodoret, Dieu a voulu que ces ennemis du nom Chrétien qui avaient ressenti l’effet de la charité et de la sainteté de ces serviteurs de Jésus-Christ rendissent eux-mêmes un témoignage public à la vérité de ce miracle, et qu’ils en fissent le récit à deux hommes saints et irréprochables qu’il nomme tous deux, et de la bouche de l’un desquels il assure l’avoir appris. (Saint Jacques et Maron Solitaires de Syrie).
Elie retiré sur le haut de la montagne du Carmel, (3. Reg.18), obtint par ses prières que le Ciel qui avait été fermé durant trois ans en punition de l’idolâtrie du peuple, versât des pluies et des rosées pour faire cesser la famine et la stérilité de la terre. Et Saint Hilarion retiré dans un désert de l’Egypte (Hier. Vita. S. Hilar. cap.14) après que le Ciel eut été aussi fermé trois ans depuis la mort de Saint Antoine ( ce qui fit dire que les éléments pleuraient ce grand Saint) fut touché des prières et de la pâleur qui paraissait sur le visage des peuples qui habitaient près de son désert, lesquels lui vinrent demander de la pluie comme au successeur de Saint Antoine, et ayant élevé les yeux au Ciel il en fit tomber à l’heure même.
Elie obtint par ses prières un enfant à la Sunamite qui le recevait et le nourrissait lorsqu’il passait par la ville de Sunam. (4. Reg.4. S. Maced. Theodoret. Philoth. cap.13). Et un Solitaire près d’Antioche en obtint un à la mère du bienheureux Evêque Théodoret, laquelle avait été stérile durant seize ans, et envoyait de l’orge à ce Saint pour sa nourriture : Et ce fils unique fut Théodoret lui-même qui le rapporte, ajoutant que ce Saint Anachorète ordonna à sa mère de consacrer ce fils à Dieu, comme Anne lui consacra Samuel qu’elle avait eu de la même sorte ; ce qu’il dit que sa mère fit avec grande piété. (Theodoret. Philoth. cap.26). Et un autre Solitaire retiré près de la même ville obtint aussi un enfant à la reine des Ismaélites, qui ensuite lui porta ce petit roi qu’elle avait eu par ses prières, afin qu’il lui donnât sa sainte bénédiction. (3. Reg. 17).
Elie ressuscita le fils de la veuve de Sarepta en Sidon, chez laquelle il logeait. (4. Reg.4). Et Elisée le fils de cette même femme de Sunam qui le retirait (Theodoret. Philoth. cap.2), Dieu récompensant la charité de ces deux femmes envers ces Prophètes. Et Saint Julien Sabas conserva la vie à un enfant de sept ans d’une sainte femme d’Antioche qui l’avait logé chez elle, en sorte que l’enfant étant tombé dans un puits vit ce saint vieillard qui le soutenait et l’empêchait de tomber au fond de l’eau. Saint Palladius accusé d’avoir tué un homme qu’on avait assassiné (Theodoret. Philoth. cap. 7), et dont on avait jeté le corps près de sa cellule, ressuscita ce mort en la présence de beaucoup de peuple, et lui fit nommer son meurtrier, qui était un de ses faux accusateurs. Saint Muce fit parler deux Solitaires après leur mort (Ruffin. t.9). Et Saint Macaire d’Egypte (Ruffin. cap.28) pour délivrer du dernier supplice un homme accusé faussement d’un homicide, qui avait eu recours à lui dans son innocence, commanda à l’homme qui avait été tué de déclarer si celui qu’on accusait d’être son meurtrier l’était véritablement ; à quoi le mort répondit que ce n’était pas lui, mais un autre. (Ibidem.) Et un Hiéracite, qui était une espèce d’hérésie assez commune en Egypte, étant venu disputer contre lui de la résurrection des morts, laquelle il niait, le Saint voyant que cet hérétique éludait tous ses arguments (Baron.), le mena aux sépulcres des Solitaires, et pria Dieu d’en faire ressusciter un, pour justifier par la résurrection particulière de ce mort la résurrection générale de tous les morts : ce qui arriva aussitôt en la présence d’un grand nombre de personnes.
VIII. Exemple prodigieux de vertu et de pénitence en S. Syméon Stylite.
Mais toutes ces merveilles semblent être encore au-dessous de l’incomparable Siméon Stylite, dont la vie a été écrite par Antoine son disciple, et par Théodoret cet excellent Evêque de Cyr, son ami particulier, qui l’a visité très souvent, et qui ne parle non plus qu’Antoine que des choses dont il a été témoin, et qu’il a sues de ce Saint et de ceux qui le voyaient tous les jours : Car peut-on contempler sans être ravi d’admiration « ce grand miracle de l’Univers » comme l’appelle ce savant Père de l’Eglise ; (Theodoret. Philoth. cap.16. Anton.in ejus Vita. C.4. THeodoret. Philoth. cap.26.); qui a été suscité de Dieu pour server aux Anges et aux homes de spectacle d’une vertu plus qu’humaine ; qui a été l’admiration de l’Orient et de l’Occident ; que les peuples voisins d’Antioche et ceux qui en étaient éloignés, les Ismaëlites, les Perses, les Arméniens, les Ibériens, les Italiens, les Français, les Espagnols, et les Anglais sont venus voir par une sainte curiosité durant qu’il vivait. ( Anton. Vita. S ; Simeon et Theodoret. Philoth. cap.26.) ; qui guérissait tous les malades en leur donnant sa bénédiction ; qui avait acquis une telle réputation de sainteté dans le monde que presque tous les Romains avaient son image dans leurs maisons comme un trésor précieux (Theodoret. ibidem.) ; qui était honoré jusque dans la cour de Perse où le roi se faisait entretenir de ses miracles, et où la reine désira d’avoir de l’huile qu’il avait béni, et fut visité par un autre roi et une autre reine,(Anton. Vita. S. Simeon.c.4. Theodoret. Philoth.c.26.), qui poussés d’un pareil désir que la reine de Saba voulurent voir un homme plus saint et plus admirable sur sa colonne que n’était Salomon sur son trône et avec toute sa gloire ; et qui a si fort surpassé tous les autres Anachorètes par ses actions extraordinaires, qu’encore que Theodoret qui les rapporte les ait vues de ses yeux, et qu’il ait, comme il dit lui-même, presque tous les hommes pour témoins des merveilles qu’il en a écrites, il déclare toutefois qu’il craint que la postérité ne les prenne pour des fables, étant au-dessus de toutes les paroles et de toute la nature, et servant à vérifier cette Prophétie du Fils de Dieu dans l’Evangile : « Que ceux qui croiraient en lui feraient un jour de plus grands miracles que ceux que lui-même avait faits. » (Jean.14.v.12.)
Qui peut mieux nous faire adorer la grandeur de Dieu dans ses serviteurs que l’exemple de ce grand Saint, qui avec un courage plus qu’héroïque, et avec une constance aussi immobile que sa colonne, soutenait toutes les ardeurs du soleil et toutes les injures des saisons ? qui semblait n’être pas une créature humaine composée d’une chair faible comme les autres, mais être plutôt une statue vivante de marbre ou de bronze insensible aux maux du corps, et inébranlable aux vents et aux tempêtes de l’air ; (Theodoret. Philoth. cap.26. 3. Reg.19. Exod.24 et 34.) ; qui a passé quarante jours sans manger, non seulement une fois comme Elie, et deux fois comme Moïse, mais vingt-huit fois et vingt- huit années de suite durant le sacré temps de la pénitence de l’Eglise, ainsi que Théodoret qui l’a vu lui-même l’assure dans son histoire ; qui a mérité d’être nommé par un ancien auteur ecclésiastique, « un Ange terrestre, un Ange incarné » ; (Evagr. Lib.1. Eccl.hist ; cap.13. et 14) ; et a donné sujet à ceux qui le voyaient si élevé au-dessus des hommes les plus saints et les plus austères par toute sa vie qui n’était qu’un continuel miracle, de lui demander sérieusement, « s’il n’était point un Ange plutôt qu’un homme » (Theodoret. Philoth. cap.26), et de l’obliger à leur montrer un grand ulcère qu’il avait à la cuisse pour les assurer qu’il n’était pas un esprit.
Quel Elie (Theodoret. Ibid.) a plus témoigné de zèle pour la vérité et pour la justice que ce grand Saint, qui du haut de sa colonne confondait par la puissance de ses paroles tantôt l’impiété des païens qui le venaient voir, tantôt l’incrédulité des Juifs ; tantôt l’erreur et l’insolence des hérétiques ; qui écrivait aux Empereurs Chrétiens pour les fortifier contre ces ennemis de Jésus-Christ ; qui incitait les juges et les magistrats à servir Dieu dans l’exercice de leurs charges ; et qui avertissait même quelquefois les pasteurs de l’Eglise d’avoir soin du Salut de leur troupeau ?
Et enfin quel doit avoir été le feu de la charité qui a consumé cette hostie vivante, cet adorateur du Père éternel en esprit et en vérité, ( Jean.4.23). Theodoret. Philoth. cap.26.), qui par ses continuelles adorations offrait à Dieu le même sacrifice d’honneur et de révérence que les Saints lui offrent dans le Paradis ; cet aigle de l’amour divin qui désirant de s’envoler dans les Cieux, comme dit Théodoret, et se délivrer autant qu’il pouvait de la bassesse de la corruption de ce monde s’était logé dans les nues, et qui étant, ainsi que dit Evagre (Evagr. L.I. Eccl. Hist. cap.14), entre le Ciel et la terre, était un médiateur continuel par ses ferventes prières entre Jésus-Christ et son Eglise.
IX. Révérence des Empereurs et des rois pour ces Solitaires.
Je crois qu’après cette image raccourcie de tant de vertus et de merveilles qui ont éclaté dans la vie de ces fameux Solitaires, il sera bien aisé de juger, qu’ainsi que les rois d’Israël et de Juda ont révéré les prophètes anciens, les ont appelés leurs Pères, et ont suivi leurs conseils, comme venant de la part de Dieu ; (4. Reg.6.) ; de même les princes Romains et les Empereurs de tout le monde ont révéré ces Elies et ces Elisées de la Religion Chrétienne. (Athanas. Vita S. Anton. Cap.18. Sozom. L.I. Eccl. Hist. c.13). L’Empereur Constantin le Grand et ses deux fils Constance et Constant ayant entendu parler de l’éminente sainteté de Saint Antoine, à qui on avait recours de toutes les parties du monde contre les Démons « lui écrivirent comme à leur Père et désirèrent qu’il leur rendît réponse. » Ce qu’il négligea de faire d’abord, ne se glorifiant point de ces lettres des Empereurs, et remontrant sagement aux Solitaires qui étaient auprès de lui « qu’ils ne devaient pas s’étonner si un Empereur lui écrivait puisque l’Empereur était un homme, mais de ce que Dieu avait daigné écrire une loi pour les hommes, et nous parler par son propre Fils. » Et néanmoins sur ce qu’on lui représenta que ces Empereurs étaient Chrétiens, il leur répondit « qu’il se réjouissait avec eux de ce qu’ils adoraient Jésus-Christ ; qu’il les exhortait de penser à leur Salut ; de ne pas faire grand compte des choses présentes ; mais de se remettre devant les yeux quel sera le jugement à venir ; de considérer que Jésus-Christ est le seul Roi véritable et éternel ; et de se souvenir qu’ils étaient obligés d’avoir beaucoup de clémence et d’humanité, et un très grand soin de rendre la justice et de soulager les pauvres. Et cette lettre de Saint Antoine fut reçue des Empereurs avec grande joie ; tant il était honoré et aimé de tout le monde, et chacun désirant de l’avoir pour Père ».
Il n’y a pas sujet de s’étonner de la révérence qu’avait l’Empereur Théodose premier envers ce grand Solitaire Jean, puisque c’était son Prophète qui lui prédisait ses victoires. Mais nous voyons que ce même prince étant irrité contre le peuple d’Antioche, qui avait abattu ses statues et celles de l’Impératrice Placille sa femme, et ayant résolu d’en faire une punition exemplaire par ses officiers qu’il y envoya, « les Solitaires descendirent de leur montagne comme les Anges descendent du Ciel », dit Saint Chrysostome, pour venir consoler cette ville accablée d’affliction et de crainte ; et leur chef qui était le grand Macedonius, ayant parlé avec une liberté sainte à ces magistrats, et les ayant priés d’écrire de sa part à Théodose (Theodoret. Philoth. c.13. Et hist. Eccl. Lib.5. c. 19 et 20.), « qu’il n’était pas seulement Empereur mais homme, et qu’il commandait à des hommes qui étaient des images de Dieu ; et que si Sa Majesté Impériale était avec raison si offensée de ce qu’on avait abattu ses statues, Dieu ne le serait pas moins si en faisant mourir tant d’hommes on brisait un si grand nombre de ses images vivantes, lesquelles on ne pourrait plus ressusciter après la mort ; au lieu qu’on avait déjà relevé les statues de bronze que l’on avait abattues. » Ces officiers de l’Empire reçurent ces paroles avec révérence, dit Théodoret (Theodoret. Philoth. cap.17), et les écrivirent au grand Théodose, qui en fut ému et porté à faire miséricorde.
Un autre Empereur ayant ouï parler de S. Abraham Solitaire, et depuis Evêque de Carre qui ne vivait que de légumes et de fruits et n’avait point de pain, d’eau, de feu, ni de lit, même étant Evêque, désira de le voir, et l’ayant fait venir « jugea que le cilice dont il était revêtu était plus auguste que la pourpre impériale. Les Impératrices mêmes lui baisèrent les mains tant la piété et la sagesse, » dit Théodoret (ibidem) sont vénérables aux rois et à tous les hommes. » Et après sa mort, le même prince et les mêmes princesses voulurent assister à ses funérailles.
L’empereur Théodose second (Rufin. L.3.v.19) vint voir seul un grand Solitaire d’Egypte qui demeurait près de Constantinople, sans lui dire qui il était, ce que néanmoins Dieu fit connaître aussitôt à son serviteur ; et après avoir mangé un peu de pain avec de l’huile et du sel, et bu de l’eau dans sa cellule, il déclara qu’il était l’Empereur et lui dit « que lui et les autres Solitaires étaient bienheureux de ne penser qu’à gagner le Ciel, et de mener une vie tranquille qui n’était point troublée du soin des choses du monde ; au lieu que lui qui était Empereur ne se mettait jamais à table sans inquiétude. » Et Théodose ayant commencé depuis à lui rendre un honneur particulier, ce Saint vieillard s’en retourna dans les déserts de l’Egypte.
Nous voyons que le même Empereur ( Evagr.L.I. Eccl.hist.cap.13.) ayant ordonné par un Edit que l’on rendrait aux Juifs d’Antioche les synagogues qu’ils se plaignaient leur avoir été ôtées par les Chrétiens, le grand Syméon Stylite « lui écrivit avec une telle liberté, étant rempli de la Grâce divine qui imprimait cette force dans son âme, et lui fit par sa lettre une remontrance si sévère, ne craignant que Dieu seul comme son Roi et son Empereur », que Théodose révoqua son édit pour satisfaire au désir des Chrétiens et de Syméon ; qu’il cassa le gouverneur qui lui avait inspiré cette ordonnance en faveur des Juifs, « et supplia le très Saint et céleste serviteur de Jésus-Christ de faire à Dieu des prières particulières pour lui et de lui donner sa bénédiction. Ce même prince travaillant à réunir Jean Patriarche d’Antioche fauteur du parti de Nestorius et d’un schisme avec le pape et Saint Cyrille Patriarche d’Alexandrie, qui avaient rejeté sa communion (Baron. Anno.432. pag. 634.), il en écrivit à deux ou trois grands Evêques et à cet illustre Anachorète que le cardinal Baronius appelle avec raison « un exemple incomparable d’une merveilleuse sainteté », le conjurant de recommander à Dieu cette affaire la plus importante qui fût alors dans l’Eglise et de prier sans relâche pour la prospérité de son règne.
L’Empereur Léon lui écrivit aussi (Evagr.L.2. Eccl.hist. t.9 et 10) pour lui demander son sentiment touchant le Concile Œcuménique de Chalcédoine que quelques-uns ne voulaient pas recevoir ; à quoi il fit réponse « qu’il le tenait pour un oracle du Saint Esprit ». Et ce même prince après la mort de Syméon ayant écrit à ceux d’Antioche où était le tombeau de ce grand Saint (Evagr. L.I. Eccl. Hist. cap.13), pour en tirer son sacré corps qu’il désirait mettre ailleurs et vraisemblablement à Constantinople, ce peuple répondit « qu’une grande partie des murailles de leur ville étant abattue, ce corps Saint leur tenait lieu de murailles et de forteresses, et qu’ils suppliaient très humblement sa Majesté Impériale de leur accorder par grâce de le garder, ainsi qu’il fit, » quoiqu’avec regret, cette relique étant honorée avec d’autant plus de dévotion qu’Evagre qui dit avoir vu sa tête en la présence de plusieurs prêtres rapporte que sa chair était encore aussi entière comme le jour de sa mort.
Il paraît donc bien clairement ce me semble qu’ainsi que les Rois d’Israël et de Juda ont tenu que les Prophètes étaient « les chariots et les chevaux de guerre d’Israël », (4.Reg.2), comme Elisée le dit à Elie lorsqu’il le vit élevé dans l’air, c’est-à-dire qu’ils servaient plus au peuple par leurs prières que toutes les forces des armées. Aussi les Empereurs Romains n’ont pas eu une moindre estime de ces Saints Anachorètes. Ils les ont regardés comme des « colonnes de lumière qui soutenaient l’Univers », ainsi que Saint Hilarion le dit lui-même à Saint Antoine, et comme des hommes de Dieu « dont les vertus faisaient subsister le monde » rempli de vices et de désordres. (Rufin prolog.)
X. Révérence des plus grands Saints et Docteurs de l’Eglise pour les Solitaires. (Hier. Vita Sancti Pauli. Rufin. L.I. Eccl. hist. cap.141. Socrat. L.2.Eccl. hist. cap.23. Basil. Ep.48. ) Et les princes Chrétiens pouvaient bien les honorer, puisque les plus grands Saints et les plus grands hommes de l’Eglise ont eu une révérence particulière pour leur sainteté. Puisque le grand Athanase la merveille de son siècle, que Dieu avait montré à Saint Paul premier Ermite comme le défenseur invisible de la foi et le successeur des travaux et du courage du grand Apôtre Saint Paul, dont le pape Jules en une lettre qu’il écrivit au peuple d’Alexandrie dit qu’il se tenait heureux d’avoir connu un si grand personnage et de l’avoir vu à Rome, et à qui Saint Basile écrivit pour le conjurer d’accorder l’Eglise Orientale avec l’Occidentale touchant le schisme de l’Eglise d’Antioche qui les divisait, lui représentant qu’il était également vénérable à l’Orient et à l’Occident, eut assez de zèle pour visiter en personne tous les Solitaires d’Egypte qu’il aimait avec une tendresse particulière ( Vita S. Pacomii. c.14) pour écrire la vie de Saint Antoine leur chef qu’il adressa à ses bienheureux disciples (Apol. Ad Solitar.), pour leur envoyer encore depuis l’histoire des persécutions qu’il avait souffertes. Puisque Saint Basile et Saint Grégoire de Nazianze, les deux plus grandes lumières de science et de sainteté qui fussent alors au monde (Gregor. Naz. Orat. In laudem S. Basilii.), ne se contentaient pas d’être admirateurs de ces Saints, mais en furent eux-mêmes imitateurs, s’étant retirés durant quelque temps dans la solitude du Pont ; puisque Saint Jérôme que Saint Prosper appelle un « modèle de vertu et le Maître de l’Univers » (Prosp. Carm. De ingratis. Baron. Anno 370. Pag.259), étant attiré par la réputation de ceux de Syrie, dont Théodoret a décrit les merveilles avec une exacte fidélité, se retira dans le dé sert de Chalcide, d’où il ne sortit que par les persécutons des schismatiques ; puisque Saint Chrysostome, qu’un Grec appelle « l’œil de toutes les Eglises » (Socrat. L.6. Eccl. HIst. cap.31) se retira dans le même désert de Syrie en un Monastère gouverné par les Saints Diodore et Carterie, où il écrivit cette belle Apologie pour la vie solitaire, et y demeura quatre ou cinq ans jusques à ce que ses grandes maladies et la Providence de Dieu l’en tirassent pour le bien de toute l’Eglise (Theodoret. Philoth. cap.8) ; puisque Saint Basile Evêque de Séleucie, cet homme admirable, dit Théodoret, qui depuis bâtit un Monastère en Séleucie, et fut si célèbre en toutes les vertus épiscopales, avait été disciple de Saint Marcien qui menait une vie angélique dans la solitude, et était visité par les Evêques et les Patriarches de l’Orient et par les magistrats de l’Empire (Theodret. Philoth. cap.13) ; puisqu’enfin Théodoret lui-même, cet esprit si solide et ce Docteur si savant entre les Pères de l’Eglise Grecque, qui devait sa naissance miraculeuse aux prières de l’un d’eux (S. Macedonius), et dont la vertu a cru dans le sein de ces bienheureux Pères chez lesquels sa sainte mère le menait souvent, aux prières et aux bénédictions desquels il était redevable des grâces que Dieu avait versées dans son âme, a cru rendre un service important à l’Eglise Orthodoxe d’écrire sous le nom de Philothée l’histoire particulière de leurs vies dont il a été spectateur lui-même, et de laisser à la postérité une fidèle et excellente peinture de la plus haute Philosophie (c’est ainsi qu’il parle) qui ait jamais paru sur la terre.
Mais quelque magnifiques éloges qu’aient donné tant de Pères de l’Eglise à ces grandes âmes, je croirais dérober à leur sainteté si éminente le témoignage le plus glorieux qu’elle ait reçu de la part des hommes, si je ne représentais comme elle a été non seulement relevée jusques au Ciel par cette bouche sacrée du grand oracle de l’Eglise Augustin d’Hippone, mais encore proposée par ce puissant et apostolique défenseur de la doctrine et des mœurs de l’Eglise Orthodoxe contre les Manichéens, comme un trophée de la chasteté de l’Epouse de Jésus-Christ sur la continence et la perfection prétendue dont ces hérétiques se vantaient, et comme un miroir dont la glace était si pure et si claire qu’il défie ces insolents écrivains d’y trouver des taches et des ombres.
« Dites-moi, je vous prie » ( ce sont les paroles de ce grand Docteur (Aug. De morib. Eccl. Cath. cap.31.) ce que voient ceux qui ne peuvent n’aimer pas les hommes, et qui peuvent néanmoins ne voir point les hommes. Certes quel que soit l’objet qu’ils voient, il faut qu’il soit plus noble que toutes les choses du monde, puisque sa venue peut rendre l’homme capable de vivre sans l’homme. Reconnaissez l’éminence de la vertu de ces parfaits Chrétiens qui ne se contentent pas de louer la plus excellente chasteté, mais qui la pratiquent. Je ne dirai point des choses que vous ignorez, j’en dirai seulement que vous faites semblant de ne pas savoir, et que vous dissimulez. Car qui ne sait qu’une grande multitude de Chrétiens parfaitement continents se répand tous les jours de plus en plus par toute la terre, principalement dans l’Orient et dans l’Egypte ? Vous le savez aussi bien que nous. Je ne veux pas parler de ceux que j’ai nommés les premiers qui se sont dérobés à la vue de tous les hommes, et qui ne mangeant que du pain qu’on leur apporte de temps en temps, et ne buvant que de l’eau toute pure habitent dans les déserts, jouissent de la compagnie et de l’entretien de Dieu, auquel il se sont unis par la pureté de leurs pensées, et goûtent les délices d’une souveraine béatitude dans la contemplation de cette beauté qui ne peut être regardée que des yeux de l’âme sainte. Je ne parlerai point de ces Solitaires, parce qu’il semble à quelques-uns qu’ils ont trop quitté le monde, à ceux qui ne savent pas combien l’ardeur des prières et l’exemple de la vie de ces hommes invisibles causent de bien dans le monde. Mais il serait long et superflu de s’étendre sur ce sujet, étant presque impossible que ceux qui d’eux-mêmes n’admirent et n’honorent pas un état si excellent et si sublime de sainteté, y puissent être portés par mes paroles. Il suffit de montrer à ceux qui se vantent d’une fausse pureté que la tempérance et la vertu des grands Saints qui sont dans l’Eglise Orthodoxe est montée jusqu’à tel point d’éminence, qu’au jugement de quelques-uns elle a besoin d’être retenue et d’être comme réduite dans les bornes de la nature humaine ; tant leur vie paraît admirable et élevée au-dessus des hommes. C’est là ce que vous devez reprendre si vous pouvez. »
Ce Docteur incomparable a fort bien jugé que Dieu avait suscité pour l’honneur de l’Eglise Orthodoxe cette multitude presque infinie de Solitaires, disciples de Saint Antoine dans la Thébaïde (August. De morib. Eccl. Cath. cap. 31. De vera Relig. c.3. Sozom. lib.I. Eccl. hist. cap.13 et 14.) ; de Saint Pachôme et de sept mille joints avec lui dans l’île de Tabenne qui est en Egypte (Sozom. L.3. Eccl.Hist. cap.14) ; de Saint Ammon et de cinq ou six mille dans le désert de Nitrie(Sozom. L.6. Eccl.Hist. C.31.) ; de Saint Sérapion et de dix mille à Arsinoé (Rufin.c ;18. Sozom. Lib.6. Eccl.Hist.c.28) ; de Saint Hilarion (Hier. Vita S. Hilar.) et de tant de Monastères dans la Palestine; de ces admirables Anachorètes (Hieron. Vita S. Pauli Theodoret Philoth.) du désert de Syrie près d’Antioche, et de tant d’autres retirés en divers lieux. Que le Saint Esprit s’était répandu sur ces solitudes et les avait remplies de ces troupes de vierges et de continents, de ces légions d’Anges qui vivaient comme s’ils n’eussent été d’aucun sexe, afin de confondre aussi bien l’audace et la vanité de l’hérésie que celle des philosophes et du Judaïsme. Et Saint Chrysostome (Chrysost. Hom.8. in Matth.) entrant dans le même sens que celui d’Augustin d’Hippone, après avoir parlé en peu de mots des grandes vertus du célèbre Saint Antoine qu’il dit « avoir approché des Apôtres », et après avoir exalté ses miracles et ses prophéties, prononce cette excellente parole : « Que ce Saint était une des marques de la vérité de la Religion Orthodoxe, parce que nul des hérétiques ne pouvait montrer un homme né parmi eux qui fût comparable à un si grand personnage. »
Aussi Augustin d’Hippone reconnaît dans ses Confessions (Confess. Lib.8. cap.6), que lorsqu’il était sur le point de se convertir, il fut extrêmement touché de la relation qu’un nommé Potitien lui fit de la vie de « Saint Antoine, dont le nom, » dit-il, « était très célèbre et très vénérable parmi les serviteurs de Dieu, et qu’il était ravi d’admiration lorsqu’il entendait que depuis si peu d’années et presque de son même temps, Dieu avait fait éclater de si grandes merveilles dans l’Eglise Orthodoxe, et qui étaient si connues qu’il dit que Potitien qui les racontait et eux qui les entendaient étaient également étonnés, eux de ce qu’il leur apprenait de si grandes choses, et lui de ce qu’il les avait ignorées jusques alors. » Cet esprit si sublime et si raisonnable qui était touché avec grande raison de voir que des hommes si extraordinaires en piété et si remplis des grâces du Ciel étaient nés dans le sein de l’Eglise Orthodoxe. Et il était très juste que le mérite incomparable de ces illustres enfants servît à lui inspirer un humble respect pour la mère qui les avait produits par la grâce du baptême, qui les avait consacrés et fortifiés par les dons du Saint Esprit ; qui les avait éclairés par sa doctrine ; qui les avait gouvernés par ses ministres ; qui leur avait ouvert le Ciel par la puissance de ses clefs divines, et qui invoquait leur secours et leur assistance par la bouche de ses peuples.
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