lundi 12 avril 2010
Extraits de Vies de Saints Moines & Starets du Monastère de la Grande Lavra de Kiev (Ukraine).
EXTRAITS DU SYNAXAIRE (VIES DES SAINTS PERES DU SAINT MONASTERE DE LA GRANDE LAVRA (LAURE) DES GROTTES DE KIEV (UKRAINE).
Traduction de Presbytéra Anna.
(Texte incomplet, provisoire, non relu et non corrigé.)
VIE DE SAINT ANTOINE PETSERSKI,
FONDATEUR DE LA LAVRA DES GROTTES DE KIEV.
Durant les années du règne, (qui s'étendit de l'an 956 à l'an 1015) du pieux Vladimir Ier le grand, chef de la terre russe, Dieu jugea bon de révéler un luminaire de son Eglise, instructeur des moines, notre Saint Père Théophore Antoine.
Saint Antoine, qui dans le monde se nommait d'abord Antipas, naquit au bourg de Lioumbets, à quarante verstes de Tchernikov, en l'an 983.
De ses pieux parents,il apprit la crainte de Dieu, & ressentit tôt le désir de revêtir le schème monastique. Dieu l'éclaira , le menant à se rendre dans ce dessein sur la terre grecque.
Sans retard, il quitta sa patrie, & se rendit à Constantinople. De là, il passa sur la Sainte Montagne du Mont Athos. Il passa quelque temps dans les saints monastères, & vit nombre de moines, imitateurs de la vie des anges.
Alors Saint Antoine s'enflamma davantage encore d'amour pour le Christ. Il alla au monastère d'Isphigménou, & supplia l'higoumène de le faire moine. L'higoumène Théoktiste, grand lutteur, doté du charisme de la proorasis qui lui donnait de voir à l'avance, discerna les vertus du Saint & vit à l'avance ce que serait sa sainte vie à venir. Il condescendit donc à sa demande, & le fit moine, après lui avoir d'abord enseignait ce qu'il lui convenait de savoir de la vie monastique.
Dès lors, le Saint luttait pour plaire à Dieu en toutes choses. Il se contraignait à se plier aux luttes monastiques, avec une patience & une obéissance parfaite, & il devint bientôt aux yeux de tous les frères le type & le modèle de la vie vertueuse.
Quelque temps passa. Et voici que l'higoumène reçut de Dieu l'ordre de renvoyer en Russie le moine Antoine. Il l'apppela donc & lui dit :
Antoine! Pars en Russie, & deviens y un modèle & un pilier spirituel du peuple. Que la bénédiction du Mont Athos soit avec toi!
Le Saint reçut le commandement de l'higoumène comme venu de la bouche de Dieu même. Il s'en fut donc pour la Russie, & arriva dans la ville de Kiev aux alentours de l'année 1013. Cherchant un lieu pour s'y établir, il visita les monastères des environs sans cependant demeurer dans aucun. Ainsi l'avait voulu Dieu. Il se dirigea vers les montagnes avoisinantes, en un lieu isolé, & y trouva une grotte qu'avaient autrefois creusée les Varanges. Il fit une prière pour bénir le lieu & s'y installa, vivant dans une grande asscèse & une grande tempérance.
Après la mort du pieux Vladimir en 1015, s'installa sur le trône de Kiev son fils aîné, l'impie Sviatopolk.
Celui-ci pour garder seul le pouvoir sur tout l'héritage paternel tua ses deux jeunes frères Boris & Gleb, faisant d'eux des martyrs. Il initia encore une persécution sanglante contre les saints hommes de l'Eglise.
A cause duquel massacre Saint Antoine fut contraint de repartir pour le Mont Athos, & de retourner chez son Saint Ancien Théoktiste. Il ne resta cependant pas longtemps au monastère d'Isphigménou.Ayant goûté à la douceur spirituelle de la sainte hésychia dans la solitude, il demanda la bénédiction de son higoumène pour se retirer sur la montagne de Samarie, au-dessus du monastère, où se trouve aujourd'hui une église consacrée à son nom.
Dans l'entretemps, en 1019, le pieux chef Iaroslav le Sage vainquit Sviatopolk à la guerre, reprit Kiev, & monta sur le trône. Sviatopolk s'enfuit & mourut exilé dans les steppes de Bohême la même année.
Durant le règne du sage Iaroslav, brillait par sa piété, son ascèse, & sa profonde connaissance des Ecritures un prêtre du nom d'Hilarion. De lui,nous ne savons rien d'autre, sinon qu'aux alentours de l'an 1040 il était desservant d'une paroisse au village de Biristovo. De là, il vint jusqu'au Dniepr, au bord du fleuve, sur la colline où fut fondé par la suite l'ancien monastère des grottes. L'endroit était recouvert d'une épaisse forêt.
Là, le prêtre Hilarion creusa une petite grotte, d'une largeur de deux toises environ, & il commença à y lutter secrètement avec des psalmodies & des prières.
A cette époque, Dieu avertit l'higoumène du monastère aghiorite d'Isphigménou de renvoyer à nouveau Saint Antoine en Russie. Il l'appela donc & lui dit :
Antoine! C'est la volonté de Dieu que tu retournes dans ta patrie. La bénédiction du Mont Athos soit avec toi. Tu as ma bénédiction. Va en paix! Et sache que beaucoup seront jugés dignes de recevoir de tes mains le saint schème.
Après qu'il eut reçu les prières & la bénédiction de son Ancien, le Saint quitta de nouveau l'Athos & revint à Kiev.
Saint Antoine goûta beaucoup de repos à la vue de ces lieux. Il lui y souvenait de son cher Athos, étant également abrupt, & d'un accès difficile du côté du fleuve, sauvage & non foulé par l'homme, à cause du bois épais qui le recouvrait.
Il s'agenouilla & pria Dieu avec larmes.
Seigneur, que la bénédiction du Mont Athos recouvre ce lieu, ainsi que la Prière de mon Saint Ancien. Fortifie-moi avec ta Grâce pour que je demeure ici & que j'y mène l'ascèse.
Le Saint habita donc cette grotte. Il commença d'y mener durement l'ascèse, ayant pour ouvrage la Prière incessante. Sa nourriture n'était que d'eau & de pain sec, & ce, seulement tous les deux ou trois jours. Souvent même, adonné jour & nuit à la Contemplation, il n'y goûtait pas de la semaine entière.
Bien des gens, apprenant son dénuement & sa dure vie, venaient à la grotte
& lui apportaient tout le nécessaire, en échange de sa bénédiction. Certains même, attirés par sa sainte vie, voulaient rester près de lui, & mener l'ascèse sous sa conduite spirituelle. Parmi eux se trouvaient le bienheureux prêtre Nikon, & Saint Théodose.
En 1054 mourut le pieux chef Iaroslav, & ce fut son fils aîné Iziaslav qui monta sur le trône de Kiev.
A cette époque, la renommée de Saint Antoine s'était étendue à toute la terre russe, comme dans les temps anciens en Egypte le nom de son homonyme le Grand Saint Antoine. Ainsi parvint aux oreilles d'Iziaslav la réputation de sainte vie du moine Antoine Petserski – ainsi le nommait-t-on, du voacble qui signifie les grottes en slavon. Le chef s'ébranla donc avec sa synodie & vint recevoir sa bénédiction. C'était là, d'après les coutumes de l'époque, faire montre d'un grand respect & témoigner au Saint de grandes marques d'honneur.
Depuis lors, sa réputation s'étendit davantage encore, & beaucoup commencèrent de venir à lui, pour qu'il les fît entrer dans la vie monastique.
Aux alentours de l'an 1060, vinrent à Saint Antoine le bienheureux Varlaam, fils du boyard Jean, comme aussi l'ami de Dieu Ephrem, eunuque du chef, ayant désiré se consacrer au Christ. Le Saint ordonna au prêtre Nikon de les tonsurer moines.
Dieu permit cependant que Saint Antoine & les frères fussent durement éprouvés pour ces deux tonsures.
Le boyard Jean, escorté de nombre de ses serviteurs, vint furieux à la grotte, & dispersa férocement le troupeau de Saint Antoine qu'avait assemblé Dieu. Son fils, Varlaam, le traîna sauvagement hors de la grotte, déchira rageusement son habit monastique, le revêtit du criard costume boyard, & le conduisit par la force à son palais.
Le chef Iziaslav se courrouça lui aussi contre Saint Antoine, lorsqu'il apprit que ce dernier avait fait moines le fils du boyard & son eunuque Ephrem. Il donna ordre de se saisir du bienheureux Nikon, qui avait fait les tonsures, tandis qu'il menaçait de jeter tous les frères au fleuve & de détruire leur grotte.
Voyant le chef dans une si grande fureur, Saint Antoine décida de laisser la grotte. Il s'en fut donc dans un autre lieu, tandis que les frères se dispersaient en différents endroits.
Quand cependant la femme d'Iziaslav apprit la fuite du Saint, elle s'affligea grandement & supplia son époux de ne pas persécuter les serviteurs de Dieu, de crainte que ne retombât sur lui le courroux du Ciel. Cette femme intelligente rappela à Iziaslav le mal qui était récemment arrivé à sa patrie, la Pologne. Son père, le roi Bolieslav, avait chassé les moines du royaume à cause de Saint Moïse le Hongrois. Après cependant qu'il eût chassé les moines, Bolieslav rencontra une mort subite, fort amère, tandis que le peuple étaient en proie à de grands troubles & que le sang coulait à flots. Elle conseilla donc à Iziaslav de convertir sa colère en esprit d'intelligence, de crainte qu'il n'eût à subir lui aussi le même sort.
Le chef, alors, à entendre les paroles de sa femme, se prit à redouter le châtiment divin. Il envoya des hommes auprès de Saint Antoine, & le pria de retourner sans crainte au lieu de son ascèse avec les autres frères. Les envoyés cherchèrent le Saint durant trois jours. Quand ils l'eurent trouvé, ils se laissèrent tomber à ses pieds, & le supplièrent de retourner à son ermitage. Le Saint obéit, & retourna à sa grotte, où il reprit son ascèse, suppliant incessamment Dieu de rassembler à nouveau les brebis dispersées de Son saint troupeau, & de leur donner la force de supporter noblement les épreuves que leur infligeait l 'Ennemi du Bien. Dieu, qui est ami de l'homme, entendit la prière de Son serviteur, & il rassembla de nouveau autour du Saint les frères qu'avait dispersés la persécution du chef.
Beaucoup d'autres encore, assoiffés de Salut, commencèrent à accourir à la grotte, & à prier le Saint de les éclairer, de les délier des liens du péché, & de les conduire sur le chemin du royaume des cieux. Et le Saint les recevait avec beaucoup d'amour, leur enseignait la vie monastique, &, après le temps d'épreuve accoutumé, leur donnait le schème monastique. Le nombre des frères s'accrut ainsi jusqu'à douze. C'est pourquoi ils furent obligés de creuser & d'élargir la grotte, ensuite de quoi ils y fondèrent une église & des cellules, qui sont conservées jusqu'à aujourd'hui.
Ensuite de quoi, le Saint appela près de lui tous les frères, & leur dit :
Mes enfants, mes frères, vous savez que le Seigneur nous a tous conduits ici, & qu'il nous y a établis comme une source de bénédiction pour notre terre & son peuple. Vous êtes la bénédiction de la Sainte Montagne de l'Athos & de notre Souveraine la Mère de Dieu, que nous avons comme commune protection & consolation. Comme m'a fait moine mon Ancien de l'Athos, à mon tour, avec sa bénédiction & la bénédiction de la Sainte Montagne, je vous ai faits moines, & je vous laisse pour héritage de l'Athos en ce lieu. Vivez donc & comportez-vous d'une façon digne de l'appel que vous avez reçu & de la bénédiction qui vous couvre.
Ici, le Saint se tut un moment.
« Mes enfants », ajouta-t-il ensuite, « je crois qu'il est temps que je me retire de l'higouménat. Je désire vivre comme auparavant dans l'hésychia, « seul à Seul avec Dieu « . Je vous laisserai un autre higoumène, & je me retirerai. Nous ne séparerons pas, bien entendu. Je demeurerai en ce lieu, & je vous soutiendrai tant que je vivrai, en tant que votre Père spirituel.
De fait, le Saint choisit pour higoumène le bienheureux Varlaam, pour son expérience & ses nombreuses vertus. Lui-même s'enferma dans une des petites cellules de la grotte, fuyant tout bruit comme toute marque d'honneur. Peu après, il s'éloigna encore, sur une autre colline, où il creusa une nouvelle grotte, laquelle se trouve maintenant sous le grand monastère des grottes. Là, il poursuivit sa vie ascétique, glorifiant Dieu de prières incessantes & de luttes ascétiques, cultivant toutes les vertus, & s'élevant « de puissance en puissance « . C'est pourquoi Dieu aussi le glorifia en retour, l'ornant richement des charismes du Saint Esprit, en particulier du don de guérison & du don de prorasis, qui lui permettait de voir l'avenir à l'avance.
Saint Antoine se révéla être, sur la terre russe, thaumaturge par ses miracles de guérison, & grand prophète par ses prédictions. Il guérit par sa Prière une foule de malades, & en usant d'une plante vénéneuse qu'il bénissait & donnait à goûter. Alors qu'avant la Prière & la bénédiction du Saint une telle plante instillait la mort avec son venin, après sa bénédiction, elle donnait la vie & la délivrance de toutes les maladies.
Quant au charisme de prophétie du Saint , il suffit pour y croire de savoir qu'il avait prédit la douloureuse défaite de l'armée russe, & la catastrophe essuyée en terre russe du fait de l'invasion des barbares turcs Polophtsi, que Dieu permit en ces temps pour les péchés des Chrétiens.
Cependant le Seigneur de Bonté permit que fut également éprouvé le Saint en une grande épreuve, pour que brillassent davantage sa patience & son endurance.
Après la défaite des Russes par les Polophtsi, le chef Iziaslav se réfugia à Kiev. Là se trouvait le chef de Polotsk Vsieslav, emprisonné par ses frères jaloux Iziaslav, Sviatoslav, & Vsévolod.
Les habitants de Kiev commencèrent à inciter vivement Iziaslav à la résistance contre les ennemis barbares, qui s'étaient dispersés & ravageaient le pays. Le chef, cependant, apeuré par sa défaite, ne se décida pas à les affronter à nouveau. Alors, ses sujets se révoltèrent, libérèrent Vsieslav de sa prison, & l'élirent pour leur chef.
Iziaslav réussit à fuir pour la Pologne, patrie de sa femme, y rassembla en sept mois une armée, combattit le roi du pays, & repartit reprendre Kiev. Lorsqu'il l'apprit, Vsieslav abandonna la ville & s'enfuit en secret à Polotsk. Iziaslav entra en triomphe à Kiev en 1069.
Depuis lors, cependant, pour le bienheureux Antoine, l'épreuve aussi commençait. Un des hommes du chef le calomnia auprès de lui, prétendant qu'il sympathisait avec Vsieslav & qu'il avait même été l'instigateur du mouvement populaire qui l'avait élevé sur le trône.
Iziaslav se laissa persuader par les paroles du sykophante & fut transporté d'une violente colère contre le Saint.
A cette époque le Saint soignait dans sa grotteun reclus du nom d'Isaac, qui était alité, qu'avait égaré le diable, lequel l'avait laissé à demi-mort. Il semble que l'ennemi de tout bien fût enragé contre les efforts du Saint pour sauver Isaac, qu'il entravait de toutes les manières possibles dans sa tâche néanmoins agréable à Dieu. Et durant quelque temps, il y réussit.
Avant qu'Iziaslav n'eût le temps de faire du mal au Saint, le chef de Tcherniguov, Sviatoslav, qui avait appris la colère de son frère, envoya de nuit des hommes pour amner dans son royaume le serviteur de Dieu. Le Saint choisit un endroit érémitique, non loin de la ville, sur la montagne de Boldine, y creusa une grotte, & s'y installa. Il fonda plus tard en ce même lieu un monastère.
Mais l' Ennemi du Bien n'eut pas longtemps à se réjouir. Iziaslav apprit la vérité de la bouche de nombre de gens dignes de foi. Sa colère s'apaisa. Il réfléchit plus mûrement, & se persuada de l'innocence & de la vertu du Saint. Il comprit que les accusations à son encontre avaient été lancées par des sycophantes, & provenaient du Malin. Repenti & contrit, le chef envoya ses représentants à Tcherniguov, suppliant Antoine de revenir à Kiev, auprès de son troupeau rassemblé par Dieu. Antoine, « le doux & humble de coeur » se rendit à la supplication d'Iziaaslav, & retourna dans sa fraternité, qui depuis si longtemps était privée de son Père spirituel.
Après son retour à Kiev, le Saint s'adonna à des ascèses plus grandes encore. Toute sa vie dans la grotte était une dure lutte incesssante contre les méthodes du Diable, & les puissances de la ténèbre de ce siècle.
Avant son départ pour les séjours célestes, il se soucia de la fondation de l'église du monastère des grottes, disant pour ce faire force prières, & opérant des miracles.
Lorsqu'il eut béni le lieu & les premiers fondements de l'église, Saint Antoine commença de se préparer à son départ pour la citadelle incréée de l'éternité.
Comme il sentait approcher le temps de sa fin, il rassembla les frères autour de lui, & les prêcha, les consolant, par la promesse que même après son départ de ce corps corruptible, il n'abandonnerait pas le lieu de ses luttes spirituelles.
« Je me trouverai toujours parmi vous, mes enfants, » leur dit-il « Je tiendrai mes regards sur vos luttes & votre progrès spirituel dans la vie monastique. J'aurai souci des âmes qui accourent à ce lieu sacré pour y plaire à Dieu? Je vous donne cette promesse comme mon seul mais plus précieux héritage. Et du Ciel, j'intercéderai auprès du Seigneur, pour que vous obteniez tous sa miséricorde au jour terrible du Jugement. »
Ainsi, après qu'il eut passé seize ans dans la seconde grotte & vécu quatre vingt dix ans en cettevie, le Saint laissa ce monde éphémère, & s'en fut pour l'éternité, le 7 mai 6581 à compter de la fondation du monde, l'an 1073 après le Christ, durant les années du règne du chef Sviatoslav Yaroslavits, & sous l'empereur de Constantinople Michel VI Doukas.
La vénérable relique du Saint premier higoumène du monastère fut alors déposée dans sa grotte, sous le grand monastère actuel. Mais, de même que tant qu'avait vécu le Saint, il était resté loin de la vue des hommes, priant « dans le secret », ainsi à présent sa vénérable relique, ainsi qu'il l'avait demandé au Seigneur, demeurait cachée aux yeux de tous. Son désir fut exaucé, si bien que Dieu garde dans l'invisibilité jusqu'à aujourd'hui les vénérables reliques de son serviteur.
Tous ceux qui, au cours des temps ont tenté de creuser la grotte, & de les découvrir, ont été châtiés de leur audace pour s'être opposés à la volonté de Dieu & au désir du Saint. Car un feu surgissait de terre & leur brûlait les membres. Longtemps ils souffraient beaucoup, jusqu'à ce que repentis de leurs actes, ils reçussent le pardon & la guérison du Saint thaumaturge.
Mais, même cachées aux yeux des hommes, les vénérables reliques de Saint Antoine ne cessent pas de constituer une source de sainteté, de secours, & de force. Beaucoup de miracles s'accomplissent sur le lieu caché de leur repos, pour tous ceux qui avec foi prient dans la grotte sacrée & y invoquent l'intercession du Saint.
CHAPITRE DEUX
SAINT THEODOSE, HIGOUMENE DE LA LAVRA DES GROTTES.
Dans la ville de Vassiliev ( aujourd'hui nommée Vassilkov), près de Kiev, vivaient les pieux parents Chrétiens de Saint Théodose. Huit jours après sa naissance, en 1029, ses parents l'amenèrent au prêtre pour qu'il lui donnât son nom. Celui-ci, à peine l'eut-il vu, sut prévoir avec les yeux de son âmeque, tout jeune encore, il se consacrerait à Dieu, & le nomma Théodose. Puis il le baptisa, quarante jours après.Le petit grandit dans la tendresse de ses parents, cependant que la Grâce de Dieu le recouvrait.
Il ne se passa guère longtemps que ses parents furent contraintssur ordre du chef de s'exiler au loin, dans une autre ville, à Koursk. C'était là une économie de Dieu, pour que brillât en ce lieu Théodose par sa sainte vie.
Ce fut dans cette ville qu'il grandit; mais il y croissait aussi en sagesse spirituelle & en amour pour Dieu.Il étudiait avec zèle la Parole divine, &, très rapidement, il posséda toute la Sainte Ecriture. Tous demeuraient frappés de sa sagesse, de sa faculté de compréhension, & de sa vitesse d'apprentissage.
Il se rendait chaque jour à l'église de Dieu, & suivait de toute son attention les saints offices.
Il fuyait la compagnie de ses camarades, & ne partageait pas leurs jeux. Il n'avait aucun goût pour les vêtements voyants, mais se plaisait à s'habiller le plus simplement possible.
Lorsqu'il eut treize ans, la mort emporta son père. Dès lors, le bienheureux devint plus ascétique. Il allait aux champs avec les serviteurs de sa maison & faisait tout avec une profonde humilité.
Sa mère le réprimandait pour son comportement. Elle lui demandait de s'habiller de beaux vêtements & de fréquenter ses camarades.
« De la façon dont tu te comportes », le grondait-elle, « tu déroges à l'honneur de ta famille. »
Théodose, cependant, non seulement ne l'écoutait pas, mais désirait davantage ne faire qu'un avec les pauvres. Cela la mettait tellement en colère que, bien souvent, elle le frappait impitoyablement.
Entre-temps, le bienheureux jeune homme réfléchissait à la manière dont il pourrait faire son Salut. Ainsi, lorsqu'un jour il entendit parler des Saints Lieux, où le Seigneur avait réalisé l'oeuvre du Salut, il désira se rendre jusque là & les vénérer.
Et tandis qu'il priait beaucoup pour cela, voici qu'arrivèrent à Koursk des pèlerins. Théodose, à leur vue, courut à eux, plein de joie. Il leur fit une métanie, les embrassa pieusement, & leur demanda d'où ils venaient & où ils allaient.
« Nous venons de la sainte Jérusalem », lui répondirent-ils. « Et, si c'est là la volonté de Dieu, nous désirons beaucoup y retourner une seconde fois. »
Alors le bienheureux les supplia de le prendre avec eux. Quand ils lui eurent promis de satisfaire son voeu, il sauta de joie, & rentra tout heureux chez lui.
Arriva le temps du départ. Les pèlerins l'avertirent de se tenir prêt. Théodose se leva de nuit, & secrètement, sans que personne ait pu s'en aviser, quitta la maison, n'emportant rien avec lui que les vêtements nécessaires. Puis il rattrapa les pèlerins. Mais le Dieu de Bonté ne voulut pas que s'éloignât de la terre russe celui qu'il avait choisi « dès le ventre de sa mère « pour paître ses brebis raisonnables, & qui allait embrasser la vie angélique. Quand donc sa mère, après trois jours, découvrit que son jeune fils était parti avec les pèlerins, elle entreprit de se mettre à sa recherche. Après une longue route, elle les rejoignit, & le leur arracha.
Si grandes étaient sa colère & sa fureur, qu'elle le prit par les cheveux, & le frappa à coups de pieds. Puis, après avoir sauvagement frappé les pèlerins, elle prit le chemin du retour. Elle traînait le jeune Théodose, attaché comme un forçat. Et sa colère demeurait telle qu'arrivée chez elle, elle se remit à le frapper, jusqu'à ce qu'elle fut fatiguée de le battre.
Puis elle le conduisit dans une chambre, l'y enferma, & l'y laissa attaché. Le pieux jeune homme recevait tout avec joie. Il priait & rendait grâce à Dieu.
Au bout de deux jours, elle le délia, & lui donna à manger. Mais sa colère ne s'était pas encore apaisée. Elle lui mit aux pieds des fers très lourds, le surveillant sans cesse pour qu'il ne pût plus s'enfuir loin d'elle.
Le « prisonnier » passa bien des jours ainsi. Enfin sa mère se montra compatissante. Elle le supplia vivement de ne plus partir loin d'elle. Elle l'aimait plus que ses autres enfants, & ne pouvait supporter l'idée d'être séparée de lui.
Celui-ci promit qu'il ne partirait plus, pour autant que c'était la volonté de Dieu. Lors, elle lui enleva les fers des pieds, le laissant se mouvoir librement.
Le bienheureux Théodose retourna à ses vieilles ascèses. Et, chaque jour aussi, il allait à l'église de Dieu.
Il éprouvait cependant une grande affliction, à voir que certains jours la divine liturgie n'était pas célébrée, parce qu'il n'y avait pas toujours de prosphore. Avec l'humble disposition qui le caractérisait, il décida donc d'acheter de la farine; dès lors, il pétrissait la prosphore de ses mains, l'enfournait, & l'apportait à l'église. En vendant quelques-uns de ces pains, il économisait ainsi de l'argent & rachetait de la farine pour en faire d'autres.
Tout l'argent qui restait, il le partageait aux pauvres. Une telle oeuvre était pour plaire beaucoup à Dieu : désormais arrivaient à l'église des prosphores pures, confectionnées de ses mains de jeune homme pur.
Il continua cette sainte oeuvre plus de deux ans durant. Dans l'entre-temps, les enfants de son âge le traitaient avec hostilité, outrages, & railleries. Mais le bienheureux recevait tout avec une joie silencieuse. Cependant, l'Ennemi du Bien, se voyant vaincu par l'humilité du jeune travailleur, ne demeura pas en paix. Voulant l'arracher à sa tâche agréable à Dieu, il commença de vouloir monter sa mère contre lui. Ne pouvant supporter de voir son fils réduit à une occupation qu'elle jugeait si humble,elle lui dit avec amour :
Je t'en prie, mon enfant, cesse ce travail. Tu jettes la honte sur ta famille... Je ne supporte pas de recevoir les critiques de tout le monde. Ces travaux ne conviennent pas à un enfant comme toi.
« Ecoute-moi, mère, je t'en prie », répondit avec humilité le bienheureux Théodose. Notre Seigneur Dieu Jésus Christ a voulu devenir humble & pauvre. Il a ainsi donné l'exemple pour que nous aussi nous nous montrions humbles. Il a reçu des outrages, des crachats, des coups, & Il a tout supporté pour notre Salut. Combien faudra-t-il maintenant que nous supportions pour l'amour de Lui! Et pour l'oeuvre que j'accomplis, écoute : Notre Seigneur, lors de Sa Cène mystique, prit entre ses mains le pain, le bénit, & le partageant entre ses disciples, leur dit : « Prenez & mangez: Ceci est mon corps livré pour vous en rémission des péchés. » Après donc que le Seigneur ait appelé ce pain Son corps, ne faut-il pas que je me réjouisse moi aussi d'être jugé digne de confectionner des pains, qui durant le grand mystère de la divine Eucharistie sont changés en corps du Christ? »
Sa mère, entendant ces paroles, admira la sagesse du jeune homme & le laissa tranquille.
Un peu de temps passa, jusqu'à ce qu'un jour elle le vit noir de fumée du four. Elle s'irrita de nouveau, & se mit à le reprendre, tantôt lui parlant doucement, tantôt le menaçant, & tantôt lui donnant du bâton, pour qu'il cessât ce travail.
Le jeune homme éprouva une grande affliction de la conduite de sa mère. Ne sachant que faire, une nuit il s'enfuit en cachette de la maison, & se rendit dans une autre ville, non loin de Koursk. Il demeura là chez un prêtre qu'il connaissait, & poursuivit sa tâche accoutumée.
Sa mère, après qu'elle eut cherché par toute la ville, & ne l'eut pas trouvé, fut folle d'inquiétude. Et lorsque plusieurs jours après elle fut informée de l'endroit où il se trouvait, elle se mit en route, pleine de colère.
De fait, elle le trouva dans la maison du prêtre. Frappant son enfant, elle le ramena avec elle.
« Il ne s'agit plus », l'avertit-elle, « que tu t'éloignes de moi. Si tu essaies de t'enfuir, je te ramènerai pieds & poings liés à Koursk.
Humble de coeur & obéissant à tous comme l'était Théodose, il gagna aussi l'amitié du chef de Koursk, qui remarqua son humilité & son dévouement à l'Eglise.Il visita son église & lui offrit un beau vêtement pour s'y rendre.
Le bienheureux, portant quelques jours ce beau vêtement, le ressentit comme un poids sur lui, &, de ce fait, le donna aux pauvres. Il réapparut donc à l'église avec ses vieux vêtements. Le gouverneur, lorsqu'il eu vu cela, lui en offrit de nouveaux, plus beaux que les premiers, & le pria de les mettre. Théodose, cependant, les donna de nouveau aux pauvres. Cette histoire se répéta de nombreuses fois. Le chef ne l'en aima que davantage, & admira son humilité.
Théodose se rendit un jour chez un forgeron & commanda une ceinture de fer. Lorsqu'elle fut prête, il se la mit à même les chairs, & il la portait continûment sans du tout l'ôter de dessus lui. Elle était serrée, lui mordait beaucoup la peau, & lui causait de vives douleurs, qu'il endurait cependant stoïquement, comme si de rien n'était.
Or il advint que Théodose dût aller servir à un repas de fête, donné chez le chef & où se trouvaient tous les notables de la ville. Il fut donc contraint par sa mère de s'habiller avec faste. Comme il passait son habit neuf, il ne put empêcher le regard inquisiteur de sa mère de distinguer sur sa chemise les sanglants stigmates. Elle s'approcha de lui. A peine vit-elle qu'ils étaient dûs à la ceinture de fer qui le serrait tant qu'elle fut reprise par son démon. Elle s'élança sur lui avec fureur, se mit à le frapper, déchira sa chemise & lui arracha la ceinture avec rage. Mais le bienheureux jeune homme, comme si ne lui advenait aucun mal, acheva de mettre ses nouveaux habits, & s'en fut paisiblement servir au banquet.
Il entendit un autre jour le Seigneur dire dans l'Evangile : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi... ». « Ceux-ci sont ma mère & mes frères qui écoutent la Parole de Dieu & la mettent en pratique. » Il entendit également ces autres paroles : « Venez à moi, vous tous qui êtes chargés & fatigués, & je vous reposerai. Prenez sur vous mon joug, & apprenez que je suis doux & humble de coeur, & vous trouverez du repos pour vos âmes. » Le coeur de Théodose fut enflammé par ces paroles, & il fut illuminé. Et, brûlant d'amour divin, il méditait chaque jour à la façon dont il pourrait, à l'insu de sa mère, revêtir le saint schème monastique.
Par l'effet d'une économie divine, sa mère s'absenta de Koursk durant quelques jours. Et le bienheureux, plein de joie, après avoir prié Dieu pour ce faire quitta secrètement la maison.
Il marcha vers la ville de Kiev, parce qu'il avit entendu parler des moines qui y vivaient. Il ne connaissait cependant pas le chemin & priait Dieu de lui envoyer quelqu'un qui l'accompagnerait & le conduirait jusque là. Et voilà, Dieu voulant, que des marchands, avec leurs lourds paquetages & leurs chariots, avaient résolu d'emprunter le même itinéraire. A peine le bienheureux eut-il compris qu'ils allaient à Kiev, qu'il rendit gloire à Dieu & les suivit de loin, sans que ceux-ci s'en fussent avisés. Quand ils faisaient halte pour la nuit, il arrêtait lui aussi sa marche – à une distance qui lui permît de ne pas les perdre de vue - & il se reposait, ne s'appuyant que sur la protection du Seigneur.
Lorsqu'il arriva à Kiev, il visita tous les monastères & priait les moines de le recevoir. Mais eux, voyant un pauvre jeune homme aux habits usés ne témoignèrent nulle envie de le recevoir.
La volonté de Dieu était qu'il allât au lieu qui lui était destiné « depuis le ventre de sa mère « , ce qui advint.
Il arriva pour lors qu'il entendit parler de Saint Antoine, qui menait durement l'ascèse dans une grotte. Son coeur bondit & il se mit en route pour les grottes.
A peine eut-il aperçu le Saint Ancien qu'il tomba à ses pieds prosterné, le suppliant avec larmes de le recevoir & de le garder avec lui.
« Mon enfant, « lui dit Saint Antoine, ne vois-tu pas combien étroite & affligeante est cette grotte? Tu ne pourras pas rester en ce lieu étroit.
Il ne dit pas ces paroles pour l'éprouver, mais parce qu'il voyait prophétiquement que Théodose allait agrandir ce lieu & fonder un monastère célèbre, où beaucoup de moines se rassembleraient.
Illuminé par Dieu, Théodose lui répondit en suppliant :
Sache, vénérable Père, que le Christ m'a conduit à ta sainteté pour que je fusse sauvé, & je suis prêt à faire ce que tu me diras
Alors Saint Antoine lui dit :
Béni soit Dieu, mon enfant, qui t'inspires de tels efforts & te fortifie pour ce faire. Voici un lieu pour toi. Restes-y.
Le bienheureux Théodose se laissa de nouveau tomber à genoux, demandant la bénédiction de l'Ancien. Celui-ci le bénit, puis donna l'ordre au bienheureux Nikôn, qui était prêtre, de le tonsurer. Celui-ci prit Théodose, le tonsura comme un innocent agneau, selon la règle des Saints Pères, & le revêtit de ses habits de moine. Théodose avait alors vingt-trois ans. C'était l'époque où Kiev avait pour chef Yaroslav Vladimirovitch.
Saint Théodose se vouait maintenant de toute son âme à Dieu ainsi qu'à Saint Antoine, son Ancien, lequel était théophore, c'est-à-dire porteur de Dieu. Il s'adonnait à de grandes ascèses & soutenait avec joie le joug de la vie monastique.
Ses nuits, il les consacrait à rendre grâces à Dieu, en d'incessantes doxologies, refusant le repos du sommeil. Le jour, il se menait la vie dure par la tempérance, le jeûne, & le travail de ses mains. Il se rappelait toujours le Psalmiste disant : « Vois mon humilité & ma peine, & pardonne-moi tous mes péchés. »
Par la tempérance & le jeûne, il humiliait son âme, & par al veille & le travail de ses mains, il malmenait son corps, au point de provoquer l'admiration de Saint Antoine & du bienheureux Nikon. Ils l'admiraient pour son intelligence, son humilité, son obéissance, son audace, & son courage -bien qu'il soit si jeune-, & ils en glorifiaient Dieu.
Dans l'intervalle, sa mère le cherchait partout, en ville & dans les environs, mais ne le trouvait nulle part. Avec d'amers sanglots, elle le pleurait comme un mort. Elle fit dire dans toute la région de l'avertir si on le voyait, en échange d'une forte récompense. Et voici que des gens de Kiev vinrent lui annoncer :
-Nous l'avons vu dans notre ville, à Kiev, il ya à peu près quatre ans de cela. Il cherchait un monastère pour y devenir moine.
Elle, à peine eut-elle appris cette nouvelle, sans regarder à la distance, se mit sans retard en route pour Kiev. Après qu'elle eût cherché en vain dans tous les monastères, se fit dire d'aller aussi aux grottes, chez l'Ancien Antoine. Comme elle y arrivait, elle chercha le célèbre ascète.
« Dites au Saint, » disait-elle aux Pères, « que je suis venue de très loin pour le vénérer & pour prendre sa bénédiction. »
L'Ancien, à peine fut-il averti, qu'il sortit de sa grotte. La mère de Théodose lui fit une profonde métanie jusqu'à terre, lui demandant sa bénédiction. L'Ancien la bénit, puis la reçut en entretien. Elle lui parla longuement, ensuite de quoi elle lui découvrit la raison de sa venue.
« Je t'en prie donc, Père », lui dit-elle. « Dis-moi la vérité. Mon fils est-il bien ici, lui pour lequel j'ai tant souffert, sans savoir s'il était vivant? «
- Ton fils est vivant. Ne t'afflige pas & ne sois pas en peine de lui. Il se trouve ici.
Pourrais-je, Père, le voir? J'ai fait tant de chemin pour arriver jusqu'ici. Le voir seulement ! Après quoi, je m'en vais.
« C'est à lui de décider », lui répondit l'Ancien, s'il veut voir quelqu'un. Reviens donc demain au petit matin, &, moi, je l'en aurai averti.
Elle fit une métanie & s'éloigna. Le Saint entra dans la grotte pour avertir le bienheureux Théodose, dont l'affliction fut grande lorsqu'il apprit que sa mère l'avait retrouvé.
Très tôt, le matin suivant sa mère arriva. Mais Théodose ne consentit pas à la voir, malgré toute l'insistance de son Ancien.
« J'ai beaucoup supplié ton fils de venir te oir, mais il ne veut pas, « lui dit Saint Antoine.
A ces paroles, la bonne femme jusqu'alors restée humble fut hors d'elle. Elle opposa, pleine de fureur :
Oh! que moi je m'abaisse à supplier cet Ancien! Celui qui m'a pris mon enfant, l'a caché dans une grotte, & refuse de le présenter à mes yeux! Qu'il me montre mon enfant ! Je n'en peux plus! Je vais mourir si je ne le vois pas! Ou tu m'amènes mon enfant, ou je me tue, là, devant l'entrée de la grotte.
Ennuyé, le Saint alla de nouveau supplier Théodose, qui, pour ne pas chagriner son Ancien, obéit, & cette fois sortit. Celle-ci, à peine l'eut-elle vu, le visage creusé, & les traits marqués par l'ascèse, qu'elle se jeta à son cou & versa longtemps des larmes amères.
Lorsqu'elle eut commencé à se remettre de ses sanglots, elle lui adressa ces ferventes suppliques:
Reviens, mon enfant, à la maison. Ce que tu fais ici pour ton âme, tu pourras aussi bien le faire là-bas. Viens, pour demeurer auprès de moi. Viens ensevelir mon corps lorsque je m'en irai de ce monde, & alors tu retourneras à ta grotte. Pour moi, mon enfant, je ne peux pas vivre sans voir ton visage.
Et celui-ci lui répondit :
Ah! Mère! Si tu veux me voir, reste ici à Kiev. Deviens moniale au monastère de femmes. Tu me verras de temps à autre, & tu assureras ton Salut. D'autre sorte, je t'assure que tu ne saurais jamais plus me voir.
Quelques jours durant, tandis que sa mère le visitait, il l'exhortait & tentait de l'amener à la pénitence. Celle-ci cependant ne voulait pas entendre parler de monastère.
Dans l'entre-temps le Saint, dès qu'elle s'était éloignée, rentrait dans la grotte & s'adonnait à une intense supplique. Il suppliait Dieu de convertir son coeur, pour qu'elle rçut ses salutaires conseils. Et Dieu entendit les Prières de son serviteur, conformément aux paroles du prophète: « Le Seigneur est proche de tous ceux qui l'invoquent en Vérité. Il fera la volonté de ceux qui le craignent & il entendra leur supplication. »
C'est ainsi qu'en peu de temps sa mère se montra différente de ce qu'elle était.
« Oui, mon enfant », lui dit-elle, « je ferai ce que tu m'as demandé. Je ne rentrerai pas chez moi, mais puisqu' ainsi Dieu l'a jugé bon, je resterai au monastère de femmes, pour y vivre en moniale le restant de ma vie. J'ai compris à présent combien ce monde est éphémère.
L'esprit de son fils se réjouit à ces paroles, & il se hâta d'en faire part à Saint Antoine. Celui-ci rendit gloire à Dieu pour le retour à Lui de Sa servante, & sortit lui dire des paroles salutaires. Ensuite de quoi, il fit intervenir la princesse pour faciliter son entrée au monastère de femmes voué à Saint Nicolas. Là, elle fut tonsurée moniale, & après avoir vécu dans la pénitence les années, relativement nombreuses, qui lui restaient à vivre, elle s'endormit dans le Seigneur.
Les combats ascétiques de Saint Théodose dans les grottes le rendirent très rapidement vainqueur des puissances du Mal. Et lorsque sa mère eut dépassé sa souffrance & fut devenue moniale, alors il s'adonna à de plus grandes ascèses encore, consumé d'amour divin. Dans les grottes alors, l'on pouvait voir comme trois veilleuses allumées, qui, par la Prière, & par le jeûne, dissipaient la ténèbre des démons : Saint Antoine, le bienheureux Théodose, & le grand Nikon.
Lorsque plus tard, en 1062, le chef s'emporta contre les moines des grottes, parce qu'ils avaient reçu au monastère le boyard Varlaam & l'eunuqye Ephrem, le bienheureux Nikon fut contraint de fuir avec quelques-uns des frères. Il alla à Tmoutarakan, sur la rive orientale de la mère d'Azov, où il fonda un monastère, & demeura jusqu'en 1068. Alors, Saint Théodose, Dieu voulant, & Saint Antoine le désirant, fut ordonné prêtre.
Prêtre, il célébrait chaque jour la divine liturgie dans un esprit d'humilité. L'on distinguait sur ses traits sa douceur naturelle, la paix des pensées, & la simplicité du coeur. Il était plein d'esprit de sagesse & nourrissait de l'amour pour tous les frères qui s'étaient réunis autour de Saint Antoine.
Après un assez long temps, Saint Antoine remit l'higouménat au bienheureux Varlaam, & se retira sur une colline paisible. Là, il ouvrit une autre grotte, & poursuivit sa vie d'ascèse.
L'higoumène Varlaam & les frères, après avoir demandé les Prières & la bénédiction du Saint, continuèrent à vivre saintement & vertueusement dans la première grotte. Mais parce que cependant la fraternité peu à peu s'agrandissait, & que l'espace de la grotte ne fut plus suffisant pour leurs assemblées de Prière, le très pieux Théodose & le bienheureux Varlaam, avec la bénédiction de Saint Antoine fondèrent au-dessus de la grotte une église de bois plus vaste, consacrée à la Dormition de la Mère de Dieu, pour que pussent s'y assembler les frères & accomplir leurs offices.
L'étroitesse de la grotte, & les peines de l'ascèse causaient aux Pères bien des maux & de grandes afflictions, que seul Dieu sait & qu'une langue humaine
ne saurait exprimer.
Ils se sustentaient avec de l'eau & un peu de pain de seigle.. Ils ne prenaient de nourriture cuite que le samedi & le dimanche. Et ce, pas même toutes les semaines, parce que parfois il n'y en avait pas, auquel cas ils se contentaient d'herbes bouillies.
Entre leurs autres tâches, ils tressaient chaque jour des paniers, & les vendaient, & avec l'argent qu'ils en recevaient, ils achetaient du blé. La nuit, chacun broyait sa part, après quoi ils rassemblaient la farine pour confectionner du pain.
Avant l'aurore, ils se rassemblaient dans l'église pour les mâtines. Puis, ils allaient à leur travail manuel, qu'ils destinaient à la vente. S'il leur restait du temps, ils travaillaient aussi au jardin. Ensuite ils célébraient à l'église les heures & la divine liturgie. Puis, prenant un peu de pain, ils continuaient leurs tâches, qui duraient jusqu'à l'heure des vêpres & des complies. C'est ainsi qu'ils se macéraient chaque jour, voués à l'amour de Dieu.
Saint Théodose, qui était maintenant aussi prêtre, frappaient tous les frères d'étonnement par ses jeûnes, son courage, son ardeur au travail, son humilité, & son obéissance. Il était empressé à servir tout le monde. Il faisait la corvée d'eau ou allait dans la forêt chercher le bois. Parfois, tandis que les frères se reposaient, il rassemblait le blé qu'il fallait moudre & en faisait seul de la farine, travaillant & priant toute la nuit.
Un jour que s'étaient abattus beaucoup de moustiques dans la campagne, il sortit de la grotte la nuit, pour un surcroît d'ascèse. Il s'exposa à leurs piqûres le torse nu jusqu'à la ceinture, & de ses mains tressait des paniers, tandis que ses lèvres psalmodiaient les psaumes de David. En dépit du fait que tout son corps le démangeait, il resta immobile à sa place jusqu'à l'aube. Ensuite, il alla à l'église pour les mâtines. Et durant tout l'office, il ne bougea pas de sa place, ni n'éloigna son esprit de la prière.
Ainsi, tous les frères l'aimaient, le tenant pour leur Père spirituel, & l'admirant extrêmement pour son humilité & son obéissance.
Mais il advint un jour que le bienheureux Varlaam, l'higoumène de la fraternité, fut appelé par le chef Iziaslav, pour assumer l'higouménat du monastère du Saint grand martyr Dimitri, que lui-même avait fondé.
Le chef avait ambitionné, avec la fortune qu'il y avait dépensée, de conférer assez de grandeur à son monastère pour passer en éclat le monastère des grottes. Il s'égarait cependant dans la vanité. Parce que nombre de monastères sont fondés avec les trésors des chefs & des rois. Ils n'ont cependant pas la dignité de ceux qui sont fondés par les prières & les larmes, les jeûnes & les veilles des Saints. Saint Antoine, le fondateur des grottes n'avait ni or ni argent, mais il planta sa vigne spirituelle avec ses jeûnes & l'arrosa de ses larmes. C'est pourquoi le monastère fut richement agrandi & béni par Dieu.
Quand donc le bienheureux Varlaam partit au monastère de Saint Dimitri, les frères allèrent d'un commun accord demander à Saint Antoine de mettre Saint Théodose à l'higouménat. Saint Antoine donna son accord. Avec sa bénédiction, Saint Théodose devint higoumène de vingt frères.
L'admirable Théodose, lorsqu'il devint higoumène, n'abandonna pas son esprit d'humilité, mais se rappelait toujours les Paroles du Seigneur : « Que celui qui veut être le premier parmi vous, soit votre serviteur. » Il s'humiliait lui-même & se faisait le dernier & le serviteur de tous. En toute chose, il se montrait un parangon de vertu, modèle des oeuvres bonnes. S'agissant de son travail & de l'église, il était le premier à y aller & le dernier à en partir.
Les supplications à Dieu du juste Théodose apportaient beaucoup de bénédictions, & la vie des frères allait en florissant & de progrès spirituel en progrès spirituel. Comme la graine tombée en une terre fertile & produisant du fruit au centuple, ainsi grandit en peu de temps la communauté des frères, jusqu'à atteindre le nombre de cent moines. Et tous progressaient dans la Prière en une vie vertueuse.
Avec l'agrandissement de la fraternité, la grotte ne pouvait plus offrir une vie de silence. De même, la petite église sise au-dessus ne suffisait plus pour les offices. Le Saint ne se montrait cependant jamais contrarié par cette triste atmosphère. Au contraire, il consolait chaque jour les moines, & leur enseignait à ne pas se soucier des choses terrestres. Il leur rappelait les paroles du Seigneur : « Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures », & « Demandez d'abord le Royaume de Dieu & Sa Justice, & tout le reste vous sera donné par surcroît ».
Dans l'entre-temps, il trouva non loin de la grotte un lieu propice & le jugea propre à la fondation d'un monastère. Il commença à croire & à espérer en la possibilité d'un agrandissement, & montra beaucoup d'intérêt à son acquisition.
Ils prirent la bénédiction de Saint Antoine & se rendirent auprès du chef Iziaslav pour acquérir cette terre. De fait, il leur concéda cette extension, &, en peu de temps s'y éleva, avec l'aide de Dieu, une grande église de bois, consacrée à la Dormition de la Mère de Dieu. Ils y firent également de nombreuses cellules, & les frères s'y installèrent. Ce lieu fut particulièrement béni de Dieu & devint un monastère illustre, Petserskaïa, dont le nom est dû aux grottes où demeurait anciennement la communauté des moines, & qui s'est conservé jusqu'à nos jours.
Avec cette nouvelle figure que prenait leur vie, Saint Théodose songeait aussi au typikon qu'il allait donner pour règle au monastère. Ce sujet lui importait grandement. Il s'en remit aux Prières & à la bénédiction de Saint Antoine. Dieu ne tarda pas à répondre. Dans le plan de son économie divine, il fit en sorte que leur fût connue la règle du monastère du Studite.
Le pieux moine Michel, qui venait de Grèce, se trouvait alors auprès d'eux. Il était venu de Constantinople, accompagnant le métropolite de Kiev nouvellement ordonné en 1062, Georges. Il informa donc Saint Théodose de la vie agréable à Dieu des moines studites, vie que lui-même avait été jugé digne de partager.
Le Saint fut bien heureux d'apprendre en quoi consistait cette règle. Il envoya sans tarder un frère à Constantinople avec l'ordre de trouver le moine Ephrem, eunuqye, qui alors revenait des Lieux Saints, & de lui confier cette tâche : visiter le monastère du Studite, d'en maîtriser dans lle moindre détail l'ordonnancement & le typikon, & de tout consigner avec la dernière précision, pour leur montrer comment ils psalmodiaient, comment ils lisaient, comment ils faisaient les métanies, comment ils se tenaient à l'église, au réfectoire, ce qu'ils mangeaient chaque jour, etc...
De fait, le bienheureux Ephrem, conformément à l'ordre du Saint, s'en fut suivre la règle du monastère, consigna par écrit avec précision tout le typikon, & s'en revint.
A peine Saint Théodose eut-il eu ce texte entre les mains, qu'il ordonna de le lire à toute la communauté. Depuis lors, la Lavra Petserskaïa se mit à suivre le typikon studite. De là, ils le transmirent à d'autres monastères, de la façon précisément dont le Saint l'avait mise en pratique. Ainsi, tous les monastères russes, qui auparavant ne connaissaient pas cette règle monastique, se tournaient à présent vers Petserskaïa & considéraient en toute chose la Lavra comme leur modèle.
Durant toute la durée de son higouménat, Saint Théodose ne cessa pas de briller par sa vie vertueuse. Il recevait les novices avec une grande chaleur de coeur.
Il savait l'affliction que goûte celui qui désire mener la vie monastique & n'y est pas admis. Lui-même avait goûté cette affliction quand, naguère étant part se faire moine, les monastères de Kiev lui avaient fermé les portes.
Il ne se hâtait cependant pas de tonsurer quelqu'un moine, ni ne lui mettait aussitôt l'habit monastique. Il le laissait assez longtemps avec ses habits de laïc, jusqu'à ce qu'il connût bien la vie du monastère. Après l'avoir éprouvé dans toutes les diaconies & autres tâches du monastère, il le tonsurait moine petit schème. Plus tard, s'il se distinguait par la pureté de sa vie, il le jugeait digne de porter le grand schème angélique.
Il ne cessait d'inciter ses disciples à une vie de pénitence. Le Saint avait aussi l'habitude de passer, la nuit, par toutes les cellules, pour voir comment chaque frère adorait le Seigneur. Quand il comprenait qu'il priait, il glorifiait Dieu, plein de joie. Mais lorsqu'il voyait que deux ou trois frères s'étaient assemblés dans une cellule après le dîner pour parler & s'entretenir ensemble, il frappait à la porte, & s'éloignait attristé. Ainsi leur donnait-il à entendre sa présence. Le matin, il les appelait, & avec des exemples appropriés, les exhortait à se tendre vers Dieu. Le frère qui était humble de coeur saisissait sa faute, lui faisait une métanie, & demandait pardon. Celui qui avait le coeur assombri sous l'influence du Diable & qui ne discernait pas sa faute, mais se considérait comme innocent & regardait les paroles du Saint comme sans lien avec sa situation, il le corrigeait longtemps & le laissait après lui avoir donné une épitimie pour le punir de sa faute. Ainsi donc, il les enseignait tous à s'adonner à leur prière, à ne pas parler après le dîner, à ne pas aller de cellule en cellule, & à rester prier dans la leur. Il leur disait également, pendant qu' ils travaillaient le jour, de dire en même temps, s'ils pouvaient, les psaumes de David.
Entre autres exhortations, il leur disait :
Je vous en prie, mes frères. Progressons dans le jeûne & dans la prière , soucions-nous du Salut de nos âmes, revenons de nos mauvais penchants & des voies du Malin.
« Approchons-nous de Dieu avec des gémissements, & des larmes, avec notre repentir, nos veilles, & notre obéissance, en sorte d'attirer sa miséricorde. Et haïssons le monde présent, en ayant toujours à la pensée les Paroles du Seigneur : « Si quelqu'un vient à moi, & ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères & soeurs & sa propre âme, il ne peut pas être mon disciple. » Et encore : « Celui qui a trouvé son âme la perdra, & celui qui aura perdu son âme à cause de moi la trouvera. »
« Ainsi, nous aussi, frères, qui avons renoncé au monde, renonçons aussi aux choses de ce monde. Haïssons le mensonge, qui nous entraîne à des choses pitoyables, & ne retournons pas à nos précédents péchés, « comme un chien retourne à son vomi. » Parce que, comme le dit le Seigneur, nul qui met la main à la charrue & regarde en arrière n'est digne du Royaume de Dieu.
« Comment fuirons-nous l' Enfer éternel, si nous finissons notre vie dans la paresse & sans pénitence? La repentance est la clef du Royaume des Cieux, & sans elle, nul ne peut le gagner. Elle est la route qui mène à la patrie céleste. Suivons-la avec crainte de Dieu, & assurons solidement nos pas sur elle. De la voie de la pénitence n'approche pas le Malin Démon, & bien qu'elle soit jonchée d'afflictions, plus tard elle nous remplit de joie. Avant que n'approchent les deniers jours, prenons cette voie-là, pour gagner les biens à venir. »
Lui-même exerçant toutes les vertus, par son exemple il enseignait les frères, qui recevaient comme une terre fertile la semence de son enseignement, & produisaient du fruit, selon la Parole du Seigneur, « l'un trente, l'un soixante-dix, l'autre cent ».
L'on pouvait voir ces hommes vivre comme des anges sur la terre, & la Petserskaïa ressembler à un Ciel, à la voûte duquel rayonnait comme un grand astre Saint Théodose avec ses oeuvres vertueuses.
Bien des fois aussi, il brillait réellement dans la Lumière incréée, dont Dieu le glorifiait.
Il advint, par une nuit sombre, tandis que Sophrone, l'higoumène du monastère de l'archistratège Michel, s'en retournait à son monastère, qu'il vit au-dessus de la Petserskaïa une Lumière admirable qui configurait la forme & avait l'aspect de Saint Théodose. Stupéfait alors, il glorifia Dieu :
Grande est Ta Grâce, Seigneur! Tu as montré de nos jours un tel luminaire, qui rayonne sur toute la Petserskaïa.
Et beaucoup d'autres aussi virent à plusieurs reprises cette Lumière, & le racontèrent partout.
Alors commencèrent à venir à lui bien des gens, qui lui confessaient leurs péchés, & s'en retournaient ayant toujours tiré un grand profit spirituel de son entretien. Ils se mettaient alors à offrir aussi des subsides pour les nécessités du monastère & de sa fondation. Quelques-uns même donnaient leur bien.
Le chef Iziaslav aimait beaucoup le Saint. Souvent, il l'appelait auprès de lui, tandis que, bien des fois, lui- même le visitait & se réjouissait de ses Paroles emplies d'Esprit.
Entre ses autres canons, le Saint s'était fixé aussi cette règle : Il avait ordonné au portier de n'ouvrir la porte à aucun visiteur après le déjeuner jusqu'à l'heure des vêpres. Il en avit décidé ainsi pour que les frères pussent se reposer à la sieste, après la peine qui avait précédé, la veille de la nuit, les prières & les offices, les diaconies, etc...
Un jour après midi, le chef Iziaslav s'était mis en route pour le monastère avec son jeune fils. A peine arrivé, il descendit de cheval - parce qu'on ne pouvait pas entrer au monastère à cheval-, frappa à la porte d'entrée, & demanda qu'on lui ouvre. Le portier, cependant, lui répondit :
J'ai ordre de l'Ancien de n'ouvrir la porte à personne jusqu'à l'heure des vêpres.
Tu ne m'ouvriras donc pas à moi non plus? Demanda le chef.
Le portier cependant ne comprenait pas qui il était :
« Mais je te dis, » persista-t-il, « que l'higoumène m'a dit : « Et même si vient le chef lui-même, toi, ne lui ouvre pas la porte. » Prends donc un peu patience jusqu'à l'heure des vêpres & tu entreras.
Mais c'est moi! Le chef, en personne!
Alors, le portier s'approcha de la porte, & vit que c'était bien Iziaslav. Malgré cela, il ne lui ouvrit pas, mais se hâta d'aller prévenir l'higoumène.
Le Saint vint le recevoir, & l'accueillit avec tous les honneurs.
« Quel ordre sévère est-ce là, » lui dit Iziaslav, au point que ce moine dise que si même le chef venait, il ne faudrait pas lui ouvrir la porte!
« Mon chef béni », lui expliqua le Saint, nous en avons décidé ainsi pour que les frères pussent réparer leur fatigue de la veille de nuit. Ta dévotion à la Mère de Dieu est louable, et ta venue, qui montre ton progrès spirituel, nous donne une grande joie.
Ils allèrent à l'église, où le Saint adressa une courte supplication, puis ils s'assirent pour un entretien spirituel. Iziaslav se réjouissait tellement
des paroles qui coulaient comme du miel de la bouche du Saint qu'il ne s'en rassasiait pas. Enfin, très édifié, il repartit à son palais, glorifiant Dieu. De ce jour, il se mit à aimer beaucoup plus encore le Saint, à le regarder à l'égal des Saints Pères des temps anciens, & à écouter chacun de ces préceptes.
Quoiqu'il fût très honoré des chefs, Saint Théodose ne s'enorgueillissait pas pour autant. Bien qu'il fût tout entier Lumière, il tâchait de se cacher davantage jusqu'à vouloir se faire invisible.
Il s'humiliait toujours davantage. Il travaillait de ses mains tout le jour, & enseignait non en paroles, mais en actes.
Bien qu'il fût higoumène, il allait souvent à la cuisine, & travaillait avec les frères. Il pétrissait très bien le pain, en même temps qu'il consolait & fortifiait spirituellement les frères, pour qu'ils ne flanchent pas dans leur dur travail.
Un jour, tandis qu'approchait la fête de la Dormition de la Mère de Dieu, il n'y avait pas d'eau à la cuisine. Le frère Théodore, qui était alors cuisinier, s'adressa au Saint, disant :
Je n'ai personne pour m'apporter un peu d'eau.
Alors le Saint se leva & se entreprit d'aller seul tirer l'eau du puits. Mais comme un frère le voyait se fatiguer ainsi, il se hâta d'aller le crier aux autres. Tous accoururent avec empressement, & apportèrent tant d'eau que les récipients du cuisinier débordaient.
Une autre fois, comme il n'y avait pas de bois prêt pour la cuisine, le même Théodore dit à l'Ancien :
« Géronda » – ce qui veut dire « Ancien » -, « dis à quelqu'un qui n'a pas de travail d'apporter du bois, parce que j'en ai besoin.
Et le Saint répondit :
Je n'ai aucune tâche pour l'instant; je vais y aller.
C'était l'heure du repas. Le bienheureux donna l'ordre aux frères d'aller à table, tandis que lui, avec sa hache commençait à couper du bois. Lorsque le repas fut terminé, & que les Pères virent leur higoumène couper du bois, ils prirent eux aussi des haches & en coupèrent tant qu'il en resta pour des jours durant.
Lorsque le bienheureux Nikon s'en revint à Petserskaïa, le Saint, quoiqu'il fût higoumène, l'honora comme son père. Et bien des fois il l'aida, lorsque Nikon exerçait la diaconie de relieur. Il lui fabriquait les fils qui étaient nécessaires à sa reliure. Tant il était simple & humble.
Les vêtements encore qu'il portait étant higoumène étaient pauvres & simples. Il portait sur la peau une chemise, qui était faite de gros crin & qui l'irritait. Semblable aussi était la skouphia qu'il portait sur la tête. Elle était longue & très serrée, en sorte qu'elle lui couvrait toute la tête & qu'on ne distinguait pas même un de ses cheveux.
Une fois le Saint alla pour quelque affaire voir le chef, qui demeurait alors loin de la ville, & il s'attarda jusqu'au soir. Iziaslav mit un chariot à sa disposition pour qu'il puisse faire en se reposant le voyage de nuit.
En chemin, le jeune garçon qui conduisait, le voyant avec cette pauvre mise, n'imagina pas qu'il était higoumène.
« Hé, toi, le moine! » lui dit-il. Toi, tout le jour, tu paresses. Moi, pourtant, je trime, & je voudrais maintenant dormir. Reposé comme tu es, viens t'asseoir sur le cheval pour conduire. »
Le Saint, avec beaucoup d'humilité se leva, aida le petit à monter & à s'allonger dans le chariot, puis il monta lui-même sur le cheval. Comme il avançait, assis sur la bête, il eut des nausées à cause du jeûne. C'est pourquoi il descendait de temps en temps& marchait à pied. Lorsqu'il était fatigué, il remontait sur l'animal.
Vers l'aube, ils rencontrèrent des notables qui se rendaient auprès du chef. Du plus loin qu'ils reconnurent le Saint, ils descendirent de leurs montures pour le saluer bien bas.
Alors le Saint dit au petit :
Vois, il fait jour déjà. Viens t'asseoir sur le cheval.
Le petit, comme il voyait les boyards s'incliner devant le Saint, fut pris d'une grande peur, & s'assit sur le cheval en tremblant. Comme ils avançaient, ils rencontraient toujours plus de notables qui s'inclinaient. Cependant la crainte du petit ne cessait de croître.
Comme ils arrivaient au monastère & mettaient pied à terre, les frères firent une métanie, chose qui troubla encore davantage le petit.
« Qui est donc cet homme, pour que tous s'inclinent devant lui ? » se demandait-il.
Le Saint le prit alors par la main, & le conduisit au réfectoire. Il y demanda qu'on lui donne à manger, & après qu'on lui eut donné un peu d'argent, il le laissa repartir.
Tout cela fut rapporté par le petit lui-même, qui le confessa aux frères, parce que le bienheureux Théodose n'en révéla pas le moindre détail.
Chaque jour, le Saint conseillait aux frères de ne s'enorgueillir de rien. « Le moine, » disait-il, « doit être humble & se faire le plus petit de tous. Le modèle de l'humble moine est celui qui, les bras croisés sur la poitrine, se penche & fait une métanie aux autres, comme il convient précisément à quelqu'un qui est à l'obéissance. »
Il cultivait systématiquement chez les moines l'esprit d'humilité, & il leur demandait avant tout travail de demander la bénédiction de leurs Anciens. » Celui qui sème dans la bénédiction, » leur disait-il, « cueillera aussi de beaux fruits dans la bénédiction ».
Et ces vérités, il les vivait dans l'action de chaque jour, comme nous le verrons.
Pour ses pieux visiteurs, qui venaient pour leur édification spirituelle, il ajoutait aussi à son divin enseignement une table avec du pain, du vin, & des plats du monastère. Ce fut souvent le cas du chef Iziaslav, qui, un jour, tandis qu'il mangeait, dit, réjoui, au Saint :
- Chez moi, Père, il y a en abondance tous ces biens du monde. Et cependant, jamais les plats n'ont le goût délicieux que je trouve aux vôtres. Mes serviteurs préparent des choses variées & très coûteuses, mais ils n'arrivent pas à égaler les vôtres. Explique-moi, je t'en prie, ce qui les rend si succulents.
Et Théodose, qu'illuminait Dieu, & qui désirait attirer le chef à l'amour de Dieu, répondit :
Mon chef, puisque tu veux en savoir la raison, je te la découvrirai. Ici, dans notre monastère, avant que les frères ne commencent la cuisine, ils observent le canon suivant : Le chef cuisinier vient prendre ma bénédiction? Ensuite, il s'incline trois fois devant la Sainte Table, & avec un cierge prend du feu au cierge du prêtre, pour en allumer le feu de cuisson ou le four. Son aide, avant qu'il ne mette l'eau dans la marmite, demande la bénédiction de son chef. « Bénis, Père » , lui dit-il. « Dieu te bénisse, frère », lui répond celui-ci. Pour le dire brièvement, tout advient selon cette manière; c'est pourquoi nos plats ont tant de goût. Tes serviteurs, cependant, d'après ce que je sais, accomplissent leur service en se jalousant, en maugréant, & en disant du mal les uns des autres. Souvent même, ils reçoivent des coups de leurs supérieurs. Et, par manière générale, tout se fait dans le péché. C'est pourquoi tu ne peux pas trouver leurs plats très bons.
« En vérité, Père, il en est exactement ainsi que tu le dis, » répartit Iziaslav.
Quand le Saint apprenait que quelque chose s'était fait sans obéissance ni bénédiction,il le qualifiait de « part du Diable ». S'il s'agissait d'un plat, il ne permettait jamais aux frères d'y goûter. Il donnait l'ordre de le jeter au Dniepr ou de le brûler au feu.
C'est ce qui advint entre autres fois, celle du jour de la fête du grand martyr Dimitri, & Saint Théodose visitait avec quelques frères le monastère de ce Saint. Là, quelques pieux Chrétiens lui offrirent des pains de choix. Le Saint les envoya à Petserskaïa & commanda au cellier de les mettre à table, pour les frères qui étaient restés au monastère. Celui-ci, cependant, n'obéit pas. « Je les mettrai sur la table demain matin lorsqu'il y aura tous les moines », songea-t-il. « Maintenant je vais mettre de notre pain. » Ainsi fit-il.
Le lendemain, quand tous les frères s'assirent au réfectoire, le Saint vit les pains. Il cria alors au cellier :
Où as-tu trouvé ces pains?
Ce sont ceux que ta Sainteté m'as envoyés hier, Géronda. Parce que les frères étaient peu nombreux, j'ai pensé les mettre aujourd'hui où nous sommes tous là.
« Il aurait été préférable que tu obéisses, & que tu ne te fies pas à ta pensée, « le blâma sévèrement le Saint.
Et aussitôt il dit à un frère de mettre ces pains dans des corbeilles & de les jeter au fleuve, tandis qu'il infligeait au cellier une épitimie pour sa désobéissance.
Sachant que la cupidité & que le souci du lendemain ne conviennent pas aux moines conséquents avec leurs promesses, Saint Théodose prit une décision : Enseigner avec insistance aux frères la vertu de la non-possession, pour qu'ils apprennent à s'enrichir de foi & d'espérance & qu'ils ne s'appuient pas sur les biens matériels.
Bien des fois, il faisait des visites dans leurs cellules, & quand il y trouvait quelque chose à manger ou un vêtement de trop, ou toute autre chose superflue, il les jetait au feu. Il les considérait, nous l'avons dit, comme « la part du Diable », & comme un acte de désobéissance.
« Il ne faut pas, mes frères « , les exhortait-il, « que nous qui avons embrassé la vie monastique & qui avons renoncé aux chose du monde, les remettions de nouveau dans notre cellule. Quelle Prière pure offrirons-nous à Dieu, cependant que nous avons tant de choses dans notre cellule? « Là où est votre trésor, là aussi est votre coeur », nous dit le Seigneur. Contentons-nous, frères,de votre vêtement habituel & de la nourriture qui est sur la table. Qu'il n'y ait rien de plus dans notre cellule. Ainsi notre Prière montera d'un esprit pur vers Dieu, fervente.
C'est avec de tels conseils qu'il exhortait les frères. En aucun cas, il ne se montrait injuste, coléreux, ou acerbe; mais il était la bonté même envers tous. S'il se trouvait un moine négligent pour tomber dans le découragement & laisser le monastère, alors il était pris d'une grande affliction.. Il faisait à Dieu des Prières pleines de larmes pour que revînt au bercail la brebis qui s'était égarée. Et si le frère revenait, il le recevait plein de joie & l'instruisait spirituellement. « Toutes les âmes qui suivent la voie de la fuite sont sans courage », disait-il, « & cèdent à leurs passions les plus viles & au Diable ».
Il y avait au monastère un moine sans patience, qui régulièrement quittait le monastère, & après un temps revenait. Le Saint le recevait chaque fois avec joie. Il assura même les frères que Dieu ne le laisserait pas mourir dehors, mais que pour finir, il le prendrait du monastère au Ciel.
Un jour, après avoir bien des fois quitté le monastère, le frère revint, & supplia le Saint de le recevoir. De fait, compatissant, il l'admit de nouveau au nombre des brebis du troupeau.
Quelque temps après, le frère vint donner au Saint l'argent qu'il avait gagné dans le monde Il s'entendit cependant dire :
Si tu veux devenir parfaitement obéissant, jette-le au feu, parce qu'il provient de la désobéissance.
Celui-ci rassembla ce peu d'argent qu'il avait gagné dans le monde, & comme le Saint le lui avait ordonné, le brûla. Dès lors, il ne quitta plus le monastère. Il s'y endormit paisiblement, après avoir vécut dans la pénitence le restant des jours de sa vie. Ainsi se réalisa la prédiction du Saint.
De ces diverses manières, le Saint savait inciter à la non-possession & insuffler la foi & l'espérance, en sorte que nulle brebis ne soit égarée loin du troupeau.
Aux pauvres, le Saint témoignait beaucoup d'amour & de compassion. Quand il voyait quelque pauvre ou un mendiant, misérable & déguenillé, il souffrait de leur état & leur faisait l'aumône, les larmes aux yeux. C'est ainsi qu'il fut incité à fonder près du monastère un asile & une église dédiée au Saint protomartyr Stéphane, pour qu'y trouvent un toit les miséreux, les aveugles, les boiteux, les lépreux...Il donna l'ordre que le monastère se soucie de leurs nécessités, & leur donne la dîme. Chaque samedi également, il envoyait un chariot plein de pain aux prisonniers enchaînés.
Sa compassion se portait non seulement vers les pauvres, mais vers ceux même qui avaient outragé le monastère. Un jour, par exemple, on lui amena deux voleurs garrottés, qui avaient été surpris en train de voler dans le monastère. Lorsqu'il les vit attachés, & offrant un aspect affligeant, il en fut peiné, & pleura. Il demanda qu'on les délie & qu'on leur donne à manger. Puis il les exhorta assez longtemps à fuir le mal & les injustices. Et après qu'il leur eut donné des douceurs du monastère, il les laissa partir en paix. Ceux-ci en s'en allant glorifiaient Dieu & son Saint pour la miséricorde qu'ils avaient trouvée en lui; & dès lors, ils ne lésèrent plus personne, mais vécurent de leur propre travail.
Avec l'accroissement du nombre des frères, le Saint donna une extension au monastère. Il commença de ses propres mains, & avec les autres frères à fonder des cellules & à agrandir la clôture. A cette époque, comme le monastère se trouvait exposé, par une nuit fort sombre, il fut visité par des voleurs. Ils avaient en vue l'église, pensant que là, en diverses parties, ils trouveraient cachés les trésors du monastère.
Sans s'attaquer à aucune cellule, ils s'approchèrent de l'église, où ils entendirent une psalmodie. Ils s'imaginèrent qu'il y avait là des moines qui chantaient les complies. C'est pourquoi ils commencèrent par s'éloigner. Ils attendirent quelque temps dans l'épaisse forêt voisine, puis, avec l'espoir que l'office serait terminé, ils revinrent vers l'église. Mais, de nouveau, ils entendirent les mêmes hymnes, tandis qu'ils voyaient à présent dans l'église une Lumière surnaturelle. En même temps, ils sentirent un parfum à l'odeur indicible. C'étaient des anges qui psalmodiaient !
Les voleurs crurent que les frères célébraient à présent l'office de nuit, & ils s'éloignèrent de nouveau pour un temps. Ils réitérèrent leur tentative à plusieurs reprises, & les mêmes voix angéliques résonnaient toujours.
Dans l'entre-temps arriva l'heure de l'office du matin &, selon son habitude le marguillier se rendit tout d'abord à la cellule de Saint Théodose.
Bénis, Géronda ! cria-t-il.
Il prit sa bénédiction & signifia qu'il allait aux mâtines.
Les voleurs, lorsqu'il entendirent la simandre qui frappait pour le réveil des moines, se cachèrent dans le bois.
« Qu'allons-nous faire maintenant? « dirent-ils. Il semble que nous ayons eu des hallucinations, cette nuit. Laissons-les entrer dans l'église, puis jetons nous sur eux, & tuons- les tous. Ainsi nous mettrons la main sur leur fortune. »
Tels étaient les conseils qu'ils recevaient à l'instigation du Diable, qu'avaient cependant vaincu les Prières de Saint Théodose.
Les malfaiteurs attendirent donc assez longtemps, jusqu'à ce que fût rassemblé dans l'église le troupeau réuni par Dieu sous la houlette de leur bienheureux berger Théodose, & à peine eurent-ils commencé les psaumes des mâtines que les bandits coururent se jeter sur eux comme des bêtes sauvages.
Quand cependant ils arrivèrent devant l'église, ils furent arrêtés dans leur mouvement par un incroyable miracle : L'église, avec tous ceux qui se trouvaient dedans, commença de se soulever de terre. Elle fut alors suspendue dans les airs à une hauteur telle que les bandits ne pouvaient pas l'atteindre. Les Pères qui étaient à l'intérieur ne saisirent rien. Les bandits, devant le miracle, furent dominés par une peur immense, & retournèrent chez eux en tremblant. Dès lors, ils se repentirent, & prirent la décision de ne plus faire de mal à quiconque. Le chef des voleurs vint même avec trois autres voleurs au monastère & confessa au Saint tout ce qui était arrivé. Celui-ci, dès qu'il eut entendu ce récit, glorifia Dieu, qui les avait sauvés d'une mort effroyable, & qui avait même protégé les biens de l'église. Les voleurs, après qu'ils eurent entendu des paroles de Salut, s'en furent en glorifiant & en remerciant Dieu & Son Saint.
Le même miracle se répéta une seconde fois, & il fut ainsi manifeste que le Seigneur protégeait le monastère & son église.
L'un des boyards du chef Iziaslav traversait de nuit la plaine, à neuf kilomètres du monastère de Saint Théodose. Et voici qu'il aperçoit de loin une église suspendue très haut au-dessus des nuages. Frappé de crainte & de tremblement, il tourna bride & s'avança dans sa direction. Il voulait distinguer de près de quelle église il s'agissait. En s'approchant du monastère, il vit l'église redescendre & se tenir à sa place, dans le monastère.
Il accourut aussitôt auprès du Saint & lui révéla ce qu'il avait vu. Dès lors, il lui rendait souvent visite, & se réjouissait de ses sages paroles.
Il aida même à renflouer le monastère & participa à sa construction & à l'embellissement de l'église.
Dieu témoignait de Sa protection de façon miraculeuse, non seulement pour l'église, mais aussi pour la protection du monastère.
Il advint un jour que passent par une terre de Petserskaïa des voleurs, que l'on menait enchaînés à la ville pour les juger. Alors l'un d'eux, voyant le champ se mit à secouer la tête & à dire :
Une nuit, nous sommes venus ici pour prendre ce qu'il y avait, mais nous avons échoué. Nous avons trouvé la clôture si haute, qu'il était impossible de sauter pour y entrer.
Ainsi, Dieu, par les Prières de Saint Théodose, qui avait reposé toute son espérance en Lui, gardait des voleurs les biens du monastère. De fait, le Saint avait accoutumé de de faire chaque nuit en priant le tour du monastère. Avec ces Prières, il entourait le monastère & ses dépendances d'un rempart fortifié.
Saint Théodose, maître de tempérance & de non-possession, croyait que le Seigneur Lui-même enverrait, outre le nécessaire, ce que réclamait l'embellissement du monastère. Il fut conforté dans cette croyance par une intervention miraculeuse de la Mère de Dieu :
Un boyard d'Iziaslav, nommé Soutislav Guéouévitch, & qui après son baptême reçut le nom de Clément, partant un jour à la guerre, fit cette promesse :
- Si je rentre chez moi sain & sauf, je donnerai au monastère du bienheureux Théodose deux mille pièces d'or pour la Mère de Dieu. Je mettrai aussi sur son icône une auréole d'or.
Survint la guerre. Beaucoup d'hommes des deux camps furent tués. D'entre ceux qui se relevèrent pour rentrer vainqueurs chez eux, fut le boyard. Mais il oublia sa promesse.
Lors, quelques jours plus tard, vers midi, cependant qu'il dormait dans sa maison,il entendit dans son sommeil une voix l'appeler par son nom:
Clément!
Il en fut effrayé. Il se leva en sursaut; &, que vit-il? Devant lui se trouvait l'icône de la Mère de Dieu Toute Sainte – celle du monastère de Saint Théodose – qui lui criait :
Pourquoi, Clément, ne m'as-tu pas donné ce que tu m'as promis? Aie soin d'accomplir ta promesse!
A peine la voix se fut-elle tue que l'icône devint invisible.
Clément prit alors en tremblant les pièces d'or qu'il avait promises, apprêta aussi la couronne d'or pour la décoration de l'icône, & s'en fut à Petserskaïa pour les donner à Saint Théodose. Celui-ci prit le tout, sans savoir ce qu'il contenait.
Après quelques jours, le boyard lui-même, divinement inspiré, résolut d'offrir au monastère un Evangéliaire. C'est ainsi qu'un jour, l'Evangéliaire caché sous ses habits, il se rendit auprès du Saint. Après l'office, ils s'assirent pour s'entretenir. Clément ne disait rien de l'Evangéliaire. Mais le Saint lui dit soudain :
Frère Clément, donne-moi d'abord le Saint Evangile que tu as promis à la Mère de Dieu Toute Sainte, & que tu caches sous tes vêtements, après quoi nous continuerons cet entretien spiriteuel.
A ces mots, le boyard admira le charisme de clairvoyance du Saint, parce qu'à personne il n'avait rien dit de l'Evangile. Il le lui remit donc.
De retour chez lui, il claironna partout que Théodose le non-possesseur, qui s'en était remis à Dieu de toute chose, était orné non seulement d'oeuvres faites pour plaire à Dieu, mais aussi du charisme surnaturel de la diorasis.
Plus le Saint montrait de confiance à Dieu dans les différentes privations & les difficultés économiques, plus Celui-ci le couvrait de bienfaits. Des nombreux miracles qui ont trait à ce fait, nous rapporterons quelques-uns.
Le moine Hilarion, jour & nuit recopiait des livres dans la cellule de Saint Théodose, à l'heure où celui-ci chantaient les psaumes, en filant la laine.
Un soir, tandis qu'il travaillait, l'économe du monastère, le moine Anastase vint lui dire qu'il n'y avait plus d'argent pour le déjeuner ni pour les autres nécessités .
« Comme tu le vois, il est tard maintenant. D'ici l'aurore, nous avons le temps. Va donc prier, prends un peu patience, & Dieu aura souci de nous, » lui dit le Saint.
Lorsque le moine fut parti, le Saint gagna le fond de sa cellule, pour faire, comme il en avait l'habitude son canon de Prière. Puis, après sa règle, il se remit à sa tâche.
Mais voici que, peu après, l'économe revint l'importuner avec la même requête.
« Ne t'ai-je pas dit », l'interrompit le Saint, « de faire ta Prière. Calme-toi. Au matin, tu iras à la ville & tu achèteras avec foi ce dont nous avons besoin. Et plus tard, quand Dieu nous enverra l'argent, nous paierons notre dette. Il est digne de foi Celui qui dit : « Ne vous souciez donc pas du lendemain. » Le lendemain se souciera de lu-même. Le Seigneur ne nous privera pas de sa bénédiction.
Après le départ de l'économe, se présenta dans la cellule du Saint un jeune homme lumineux en habits brillants. Il s'inclina, posa sur la table une pièce d'or, & s'en alla aussitôt, sans rien dire. Le Saint se leva & prit la pièce dans les mains, rendant gloire à Dieu, les larmes aux yeux.
Le matin, il appela le portier pour savoir si quelqu'un était entré de nuit au monastère. Celui-ci lui assura que la porte était restée fermée depuis le coucher du soleil, & que personne n'était venu.
Alors il appela l'économe.
Comment dis-tu, frère Anastase, que nous n'avons pas d'argent? Va avec cette pièce d'or nous acheter ce dont nous avons besoin.
L'économe ne pouvait pas comprendre la bénédiction de Dieu. Il crut qu'il n'avait pas bien cherché, & c'est pourquoi il fit une métanie pour demander pardon.
« Mon frère », l'exhorta le Saint, « ne te désespère jamais. Aie confiance. Chacune de tes angoisses, remets-les au Seigneur. Lui se soucie de nos nécessités. Aujourd'hui, prépare un bon repas pour les frères, parce que c'est jour de Visitation divine. Et lorsque nous retomberons dans la pauvreté, Dieu aura de nouveau souci de nous, comme cela vient d'advenir. »
Un jour, le cellier Théodore annonça au Saint :
Aujourd'hui, nous n'avons rien à mettre sur la table pour les frères.
« Va », lui répondit celui-ci, & prie avec insistance Dieu qu'il nous fasse montre de Sa Providence. Au cas où nous n'en serions pas dignes, tu feras bouillir du blé, tu le mélangeras à du miel, & tu le présenteras aux frères. Cependant espérons dans le Seigneur. Celui qui a envoyé aux Israélites une nourriture céleste au désert peut faire la même chose aussi avec nous aujourd'hui.
Après le départ du cellier, le Saint se voua à une intense Prière.
Et voilà que Jean, le premier des boyards d'Iziaslav, fut illuminé par Dieu & leur envoya trois chariots remplis de nourriture, du pain, du fromage, des poissons, du vin, du blé, & du miel.
A ¨peine eut-il vu ce spectacle que le Saint glorifia Dieu de toute son âme.
« Tu vois, frère Théodore », dit-il au cellier »que le Dieu de Bonté ne nous a pas laissés, & qu'il suffit que nous espérions de toute notre âme en Lui. Va donc préparer un bon repas aux frères, parce qu'aujourd'hui le Seigneur nous a visités.
Une autre fois, se présenta à Saint Théodose un prêtre de la ville de Kiev, qui demandait du vin pour la divine Liturgie. Le Saint dit au marguillier de lui en donner. Celui-ci lui fit cependant savoir que le vin manquait & qu'il n'en restait qu'à peine pour trois ou quatre jours.
« Donne-lui tout ce qui reste, « ordonna le Saint, & Dieu aura souci de nous
. Cependant le marguillier en garda une part pour la Liturgie du lendemain.
Le prêtre prit le vin, & , voyant qu'il y en avait peu, le montra au Saint. Celui-ci alors gronda le marguillier :
Mais ne t'avais-je pas dit de tout lui donner? Ne t'inquiète pas pour demain, car Dieu ne peut pas priver l'église de Sa Mère de la divine Liturgie. Et non seulement cela, mais tu verras encore qu'aujourd'hui nos tonneaux déborderont de vin!
Alors le marguillier donna au prêtre tout le vin. Et le soir, après le repas, conformément à la prophétie du Saint, survinrent les bénédictions de Dieu : Un e pieuse femme, économe au palais du chef Vsévolod, envoya trois chariots pleins de tonneaux de vin.
Le marguillier ne savait pas comment glorifier Dieu, cependant qu'il admirait le don prophétique du Saint, qui, doué de proorasis, avait dit : « Aujourd'hui, Dieu fera déborder nos tonneaux de vin. »
Le même marguillier racontait un autre miracle qui était advenu par les Prières du Saint.
La fête de la Dormition approchait, & il n'y avait plus d'huile pour les veilleuses. Le marguillier songea à aller au pressoir. Lorsqu'il lui en demanda la permission, le Saint le laissa agir comme il l'entendait. Mais voici ce qui advint : Comme le marguillier allait utiliser le pressoir, il voit dans la jarre une souris morte. Il courut vite l'apporter au Saint.
Bien que j'aie bien soigneusement couvert le récipient une souris y est tombée & s'est noyée.
Le Saint, qui savait que Dieu avait permis cela pour le punir de son incrédulité, dit :
Il faut, frère, que nous espérions en Dieu; que nous croyions qu'il peut nous envoyer ce dont nous avons besoin. Que nous ne nous comportions pas comme des incrédules. Verse maintenant cette huile. Persévérons dans la Prière, & Lui nous enverras aujourd'hui de l'huile en quantité suffisante.
Le marguiller fit comme on le lui disait, &
le Saint se voua à sa Prière. L'après midi, un homme riche lui apporta une grande jarre d'huile. Et de nouveau le Saint glorifia Dieu qui avait si promptement entendu sa demande. Ainsi, non seulement toutes les veilleuses furent emplies d'huile, mais il en resta même suffisamment. Et le lendemain au matin, l'église de la Toute Sainte Mère de Dieu brillait sous les illuminations.
A une liste de miracles qui serait interminable, les prières du Saint subvenant à tous les manques, l'on peut aussi ajouter celui-ci :
Le chef Iziaslav, qui nourrissait un sentiment de profonde amitié envers Saint Théodose, & qui venait souvent se réjouir à goûter ses paroles douces comme le miel, fit un jour durer l'entretien avec lui jusqu'au vêpres. Il finit par se trouver encore là au dîner.
Survint subitement, par la volonté de Dieu, une pluie diluvienne. Alors le Saint donna l'ordre au cellier de préparer pour Iziaslav le repas du soir. Celui-ci lui annonça cependant qu'il n'y avait plus d'hydromel, & que dès lors on ne pourrait pas servir au chef & à sa suite la boisson d'usage.
« N'y en a-t-il plus du tout ? » demanda le Saint.
« Non », répondit le cellier.
Regarde pour voir s'il n'en reste pas un peu.
Crois-moi, Père, nous avons retourné la cruche.
« Va, &, au nom de notre Seigneur Jésus Christ, tu en trouveras », lui dit le Saint pelin de Grâce divine.
Comme le cellier retournait au pressoir, il trouva la cruche redressée, qui débordait d'hydromel. Stupéfait par le miracle, il courut l'annoncer au Saint.
« Garde le silence, mon enfant , » lui recommanda ce dernier. Ne dis rien à personne. Mets maintenant la table pour le chef; Donne aussi de l'hydromel aux frères. Aujourd'hui, c'est une bénédiction de Dieu.
Plus tard, lorsque la pluie eut cessé, le chef retourna à son palais.. Cette boisson bénie dura longtemps au monastère, & les frères en goûtèrent à satiété.
Une autre fois, le boulanger du monastère rapporta au Saint qu'il n'y avait pas de farine pour pétrir du pain.
« Regarde, « lui dit le Saint, « s'il n'en reste pas fût-ce un peu, auquel cas cela pourrait nous suffire jusqu'à ce que Dieu se soucie à nouveau de nous.
Le boulanger cependant insistait :
C'est moi-même qui ai rangé & balayé toute la boulangerie. Il ne reste que deux ou trois onces de farine.
Crois-moi, mon enfant. Dieu, à partir de ce petit reste, peut nous donner beaucoup de farine. Ainsi a-t-il fait au temps du prophète Elie pour la veuve. Dieu Lui-même a ce pouvoir maintenant aussi. Va donc voir si Dieu nous envoie Sa bénédiction.
Le boulanger s'en fut, & arrivant à la boulangerie vit que le fournil débordait de farine. Frappé par le caractère miraculeux de l'événement, il alla le rapporter au Saint.
« Ne révèle rien à personne, mon enfant « lui conseilla-t-il, « mais va pétrire du pain pour les frères. Grâce à leurs Prières, Dieu nous a richement envoyé Ses miséricordes.
Enseignant, conseillant, & redressant chaque jour les frères, Saint Théodose les affermissait dans les vertus, & les aidait à lutter avec plus de zèle. Et le Seigneur le soutenait & scellait ses paroles de miracles sans nombre.
Il passait toujours ses nuits en Prière. Avec beaucoup de génuflexions & de larmes, il rendait grâce & glorifiait Dieu pour tous ses bienfaits. Bien souvent les frères qui avaient pour diaconie celle de marguillier avaient l'occasion de s'en apercevoir.
Avant de sonner le réveil, le marguillier allait sans bruit à la cellule du Saint pour demander sa bénédiction. S'approchant, il l'entendait prier intensément, sangloter & se prosterner jusqu'à terre, en se frappant la tête contre le sol. Lors, il reculait un peu, & se mettait à marcher plus bruyamment, pour que le Saint l'entende. Celui-ci, à peine le comprenait-il qu'il cessait sa Prière & faisait semblant de dormir. Le marguillier frappait à la porte, disant l'habituel « Bénis, Père « . Mais le Saint ne répondait pas. Lorsqu'il avait frappé & répété le « Bénis, Père « pour la troisième fois, le Saint qui faisait semblant de se réveiller à peine, répondait : « Que notre Seigneur Jésus Christ te bénisse, mon enfant. » Puis il se rendait le premier à l'église. Il continua d'adopter cette tactique toutes les nuits de sa vie.
Durant son higouménat, il s'adonna aussi à bien d'autres ascèses, non seulement dans son intérêt spirituel, mais aussi dans celui du troupeau que lui avait confié Dieu.
Ainsi, jamais les frères ne le virent s'allonger. Quand il avait fini les complies, & qu'il voulait se reposer, il s'asseyait un peu. Après un bref temps de repos, il se levait & commençait les génuflexions, attendant l'office de minuit .
Jamais ils ne le virent se laver pour satisfaire son corps. Il se lavait seulement les mains & le visage. Quand il exhortait les frères à la tempérance, il donnait le premier l'exemple, se contentant de pain sec, d'eau & d'herbes bouillies.
Il n'était jamais non plus affligé. Au réfectoire, on ne le voyait jamais sombre. Sa mine était joyeuse, souriante, & son aspect était illuminé par le Grâce de Dieu.
Chaque année, durant le Grand Carême, il se retirait dans une grotte. C'est dans celle-ci que fut plus tard enseveli sa vénérable dépouille. Retiré dans la solitude, il menait là l'ascèse jusqu'à la semaine des Rameaux. Et le vendredi, après l'office de Lazare, il revenait s'asseoir à la porte de l'église. Il exhortait les frères, leur donnant du courage, & les consolant des peines du jeûne. Son ascèse, il la présentait comme nulle, comparée à leur lutte.
Ces jours-là, bien des fois, le Saint s'en allait de nuit, sans que nul s'en avisât, & il trouvait une autre grotte, éloignée & cachée, pour y mener seul l'ascèse, n'ayant que Dieu seul pour le voir. Et le vendredi, il revenait au monastère.
Dans la grotte où il menait l'ascèse, les malins démons le tourmentaient beaucoup, particulièrement lorsqu'après les vêpres il s'asseyait un peu pour se reposer. Certains démons poussaient de forts hurlements, d'autres passaient en trombe sur des chariots,, d'autres frappaient des tambours, & d'autres encore jouaient du chalumeau. Et sous tous ces cris & ce tremblement la grotte s'ébranlait toute.
Lui n'avait pas peur de tout cela. Il faisait le
signe de la croix, se levait de son siège, & commençait à psalmodier le Psautier.
Ainsi les cris, les bruits, & tout cet épouvantail démoniaque s'évanouissait.
A peine cependant s'était-il un peu assis pour se reposer que les bruits des démons recommençaient. Il se levait à nouveau, commençait debout la lecture des Psaumes, & les cris des démons disparaissaient. L'histoire se répétait à plusieurs reprises, & il ne pouvait pas même se reposer tant soit peu, jusqu'à ce qu'avec la Grâce de Dieu il sortît vainqueur du combat. Il reçut de Dieu le charisme contre le démon, & par la suite, les démons n'osaient pas même s'approcher de sa grotte.
Nous avons eu connaissance de bien des miracles du Saint. Nous en rapportons quelques-uns ici.
Les démons avaient l'habitude, quand ils préparaient au monastère la cuisson du pain, de faire beaucoup de dégâts. Il s répandaient la farine, jetaient à terre la levure, causaient différents dommages...Le boulanger en chef, dont c'était la diaconie, décrivit la situation à Saint Théodose. Celui-ci, un soir, visita la boulangerie, & s'y étant enfermé, s'y voua à la prière jusqu'à l'aurore. Dès lors, il n'y eut plus de démons dans cet endroit.
Un frère, qui nourrissait les animaux du monastère, vint voir le Saint pour se plaindre à lui :
Les démons se sont installés dans l'enceinte du monastère & y causent beaucoup de trouble. Avec le bruit qu'ils font, nos animaux ne peuvent pas manger tranquillement. Mon frère, plus ancien que moi, a prié bien des fois, & a jeté alentour de l'eau bénite, mais cela n'a rien fait.
Le Saint, une nouvelle fois armé de la Prière& du jeûne, se dirigea vers la clôture. C'était le soir lorsqu'il y arriva. Il ferma la porte, & toute la nuit veilla en Prière. Le résultat fut que dès lors, non seulement dans l'enceinte du monastère, mais dans toute la campagne alentour ne parurent plus de démons, & qu'ils n'y causèrent plus le moindre mal.
Saint Théodose ne s'arrêtait pas à ses victoires contre le Diable. Il voulait que les autres aussi puissent vaincre les puissances des ténèbres. C'est pourquoi, quand il apprenait que les mauvaises pensées combattaient sauvagement un moine, il l'appelait près de lui. Il l'incitait à résister aux machinations du diable, & ne pas avoir le dessous dans les attaques, à ne pas déserter le lieu du combat, à s'armer du jeûne & de la Prière, & à lutter jusqu'à ce que Dieu lui confère la victoire.
A propos de la lutte avec les démons, le Saint racontait au frère l'événement suivant, qui lui était advenu quan d il était plus jeune :
Une nuit, que j'étais dans ma cellule, & que je psalmodiais, j'aperçus devant moi un chien noir. Il se tenait là sans bouger, mais m'empêchait de faire mes métanies. Au début, je fis attention à lui. Plusieurs heures passèrent, après quoi je résolus de le frapper. A peine m'apprêtai-je à le faire qu'il disparut. Je fus alors pris d'une si grande peur que je voulus fuir cet endroit. Et je l'aurais fait si le Seigneur ne m'avait pas aidé. Lorsque je revins de ma panique, je commençai de prier intensément & de faire des génuflexions. A la fin, ma peur me quitta complètement. Dès lors, je ne tremblai plus, quelques apparitions démoniaques qui surgissent devant moi.
C'est avec ces paroles, & beaucoup d'autres, que le Saint affermissait les frères dans leur lutte contre les esprits malins.
Le frère Hilarion, dont nous avons parlé plus haut, raconta ce qui suit au bienheureux Nestor :
J'ai beaucoup souffert des démons dans ma cellule. Une nuit même, à peine étais-je tombé sur mon lit, que s'en présenta une horde entière. Les démons se jetèrent sur moi pour m'attaquer. Ils me tiraient par les cheveux, me traînaient à terre, & me frappaient. D'autres soulevaient le mur & me criaient, menaçants : « Nous allons le jeter sur toi pour te tuer ». Et cette situation continua aussi les nuits suivantes. Je n'en pouvais plus, & me réfugiai chez Saint Théodose. Je lui dis que je songeai à changer de cellule. Celui-ci cependant n'en demeura point d'accord. « Non, mon frère », me dit-il, « ne t'éloigne pas & ne fais pas la joie des malins démons, quand ils verront qu'ils ont réussi à te contraindre à la fuite. Ensuite, ils te feront encore plus de mal, parce qu'ils auront barre sur toi. Restes-y & cultive la Prière. Et Dieu, voyant ta patience t'accordera la victoire. » Mais je lui rétorquai : « Père, je t'en supplie! Il est impossible que je reste dans ma cellule. Il y a à l'intérieur un tas de démons sataniques ». Alors le Saint fit sur moi le signe de la croix & me dit : « Va, mon frère, dans ta cellule. Désormais tu ne les verras plus t'importuner. » Je crus le Saint, je lui fis une métanie, & je m'éloignai.
Les malins démons ne se présentèrent plus une fois dans ma cellule. Les prières de Saint Théodose les en avait chassés.
Le Saint Père Théodose se montrait courageux non seulement contre les ennemis invisibles, mais même contre ceux qui étaient manifestes.
Le Saint au caractère si noble désirait souffrir comme confesseur de la Vérité. L'évènement qui suit en témoigne :
Un an avant sa dormition, en 10073, à l'instigation du Démon, survint une querelle qui tourna au combat entre trois chefs russes qui étaient frères. Le chef de Tcherniguov, Sviatoslav, & le chef de Pérégiaslav, Vsévolod, déclarèrent la guerre au chef de Kiev Iziaslav, l'aîné. Ils réussirent même à prendre Kiev & à l'en chasser.
Ils invitèrent un jour Saint Théodose à un grand repas. Le Saint sachant combien Iziaslav avait été injustement chassé, répondit avec courage à leur envoyé :
Je ne juge pas que je doive venir à la table de Jézabel, ni manger une nourriture qui dégoutte de sang & pue le meurtre.
Après d'autres paroles semblables, il ajouta à la fin :
Rapporte, je t'en prie, ce que je t'ai dit à tes maîtres.
De fait, les chefs furent avertis de l'attitude du Saint, mais ils ne se courroucèrent pas contre lui. Ils comprirent qu'il avait raison. Cependant, ils n'écoutèrent pas ses conseils. Ils ne cessèrent pas de chasser leur frère, avant qu'ils ne l'eussent éloigné des frontières de son ancien royaume. Ainsi Sviatoslav prit Kiev & ses alentours, tandis que Vsévolod, parce qu'il était plus jeune, dut se contenter de Pérégiaslav.
Saint Théodose entama alors un réquisitoire implacable contre Sviatoslav. Il le condamna à l'infamie pour l'injustice qu'il avait commise, savoir s'être emparé illégalement du trône, & pour en avoir chassé son frère aîné. Tout cela, il le faisait savoir au chef par lettres ou il le faisait transmettre par les notables qui venaient visiter le monastère.
Pour finir, il lui envoya même une lettre cinglante, dans laquelle il le chapitrait vertement :
« La voix de ton frère crie vers Dieu dans le sang comme Abel contre Caïn, « lui écrivit-il.
Il énuméra nombre de meurtriers, qui haïssaient son frère & l'avaient poursuivi, avec lesquels il le comparait avec aigreur.
A peine eut-il lu la lettre que le chef devint comme une bête sauvage. Il la jeta à terre, la piétina avec fureur, & comme un lion rugit contre le Saint, résolu à le jeter en prison.
Les frères du monastère, pleins d'affliction, suppliaient le Saint de mettre fin à son réquisitoire. Différents notables lui conseillèrent également de ne pas s'opposer au chef. « Tu es sur le point d'être emprisonné, » lui dirent-ils. Le Saint, lorsqu'il entendit qu'on allait l'emprisonner, fut enthousiasmé.
« Ces dires, frères, me donnent beaucoup de joie », dit-il. Rien ne peut me donner autant de bonheur en cette vie que de souffrir des persécutions pour la vérité? S'agit-il que je perde mes richesses? Peut-être serai-je séparé de mes enfants & de ma patrie? Lorsque nous sommes venus au monde, nous n'avons rien apporté avec nous. Nous sommes nés nus, & nous partirons nus. Je suis prêt à subir la prison, & même la mort.
Le Saint désirait sincèrement être emprisonné, & c'est pourquoi il stigmatisa encore davantage le chef qui haïssait son frère.
Comme il était naturel, la colère de Sviatoslav s'accrut davantage, mais il n'osait cependant pas mettre la main sur lui, par ce qu'il le connaissait pour être un homme juste, saint, & vénéré de tous ses disciples.
Au bout de quelque temps cependant Saint Théodose, pressé par ses frères & par les notables, changea de tactique. Il songea que les accusations n'édifiaient nullement le chef. Il résolut donc d'utiliser une meilleure manière, se disant que, peut-être, s'il le ramenait à la raison, il le persuaderait de racheter le mal qu'il avait fait à son frère.
Au bout de quelques jours, Sviatoslav apprit le changement de disposition du Saint à son égard & ressentit une grande joie. Il y avait longtemps déjà qu'il ressentait le désir d'écouter les paroles inspirées du Saint & de s'en réjouir. Il prit donc courage & lui demanda de permettre qu'ils eussent une entrevue au monastère. Il apprit que le Saint y consentait, & plein de joie, partit avec sa compagnie de boyards.
Le Saint & les frères sortirent de l'église, & les reçurent solennellement. Ils lui rendirent les honneurs que l'on rend à un chef. Celui-ci embrassa le Saint.
Je n'osais pas, Père, venir te rendre visite. Je pensais que tu ne me laisserais pas entrer, parce que tu étais fâché contre moi.
« Et qu'est, mon chef, notre colère » répondit le Saint, » devant ton pouvoir? » Nous sommes, quant à nous, de toute façon obligés de fustiger & de critiquer autant qu'il est nécessaire pour le Salut de l'âme, & vous vous avez le devoir de nous écouter. »
Après un court office à l'église, le Saint reçu le chef pour un entretien spirituel. Lui relatant des vies de Saints, il intensifiait beaucoup en lui l'amour fraternel. Le chef prit cependant prétexte qu'il avait beaucoup de griefs envers son frère, & qu'il ne lui était pas facile de se réconcilier avec lui. A la fin, après un long entretien salutaire, le chef partit remerciant Dieu qui l'avait jugé digne de s'entretenir avec un si grand homme. Dès lors, il vint souvent rendre visite au Saint.
Mais Théodose aussi rendait visite au chef, & lui rappelait toujours qu'il devait avoir, avec la crainte de Dieu, de l'amour pour son frère.
Lors de l'une de ces visites, comme il entrait dans le palais, il voit une foule de musiciens; de leurs instruments à cordes, à vent, & autres instruments, ils faisaient sortir des mélodies harmonieuses qui distrayaient le chef. Le Saint alors s'assit près de lui, fort sombre, le regard baissé. Puis, il s'approcha un peu de lui, & lui dit :
Dans l'autre vie, y aura-t-il ces instruments?
Cette remarque émut Sviatoslav. Il ordonna que les musiciens cessassent de jouer.
Lorsque Sviatoslav était averti à l'avance de la venue du Saint, il sortait au-devant des portes du palais & venait l'accueillir avec des sentiments de joie manifeste. Plein d'allégresse, il recevait avec ces paroles :
Père, je te le confesse en toute sincérité. Si l'on me disait que mon père est ressuscité de sa tombe, je ne sentirais pas la joie que me donne ta venue. Ni je n'éprouverais la crainte que j'éprouve devant ta sainte figure.
Et celui-ci répondait :
Si vraiment tu ressens tant de crainte devant moi, conforme-toi à ce que tu prétends, & rends à ton frère le trône qu'il a hérité de son père.
En entendant ces paroles, le chef perdait pied. Fort embarrassé, il fermait la bouche & ne savait que répondre. Le Malin lui avait inspiré tant de haine contre son frère qu'il ne voulait même pas entendre prononcer son nom.
Il faut ici que nous notions que Saint Nikon, qui avait tonsuré moine Saint Théodose, du fait de toutes ces luttes entre les chefs, avait quitté Petserskaïa avec deux moines, & était retourné à Tmoutarakan, au monastère qu'il y avait fondé, bien que Saint Théodose le supplia avec insistance de demeurer auprès de lui. Il voulait, tant qu'il se trouverait encore en cette vie, ne pas se séparer de lui.
La volonté de Dieu était cependant autre, & c'est ainsi que le Saint se jeta dans les luttes qui l'attendaient sans l'assistance de son très aimé Nikon, des mains duquel il avait reçu le saint schème.
Saint Théodose, voyant que le monastère était petit pour les frères, se demandait avec embarras que faire. Il demanda dans d'insistantes prières que Dieu lui montre un vaste endroit pour y élever une église en pierre à la Mère de Dieu Toute Sainte. De fait, ses prières furent agréées par Dieu, qui d'une façon miraculeuse lui révéla l'endroit où serait construite l'église.
Un pieux Chrétien, empli de crainte de Dieu, marchait par une nuit sombre, sur les hauteurs, près de Pétserskaïa.Et voici ce qu'il fut digne de voir : Au-dessus du monastère, s'élevait une admirable lumière – comme celle qu'avait vue l'higoumène Sophrone- au milieu de laquelle se trouvait Saint Théodose. Il était devant l'église, & les mains levées vers le Ciel, il persistait dans ses prières. Ebloui par cette vision, l'homme de Dieu vit bientôt une immense flamme sortir de l'église. Elle prit la forme d'un arc & se dirigea sur une colline, là où précisément fut plus tard fondée la nouvelle église. Jusqu'à ce que l'homme se perdît derrière la montagne, la flamme demeura là, avec une pointe sur le faîte de l'église, son autre extrémité sur la colline. L'homme de Dieu ne tarda pas à rapporter au Saint ce qu'il avait vu.
Dieu montra un miracle semblable aux habitants de la campagne voisine. C'était la nuit. Soudain s'entendirent des chants psalmodiés par des bouches innombrables. Les hommes sortirent de leur sommeil, & montèrent le plus haut qu'ils purent, pour voir d'où provenaient les voix. Et voici que baignée de lumière se présente devant eux la Lavra Pétserskaïa. De l'église sortait une foule de moines. Les uns portaient l'icône de la Toute Sainte Mère de Dieu, & d'autres psalmodiaient, tenant des cierges allumés. A leur tête marchait leur higoumène Théodose. Lorsqu'ils arrivèrent à l'endroit où fut plus tard fondée la nouvelle église, ils envoyèrent à Dieu des psalmodies & des Prières. Puis ils retournèrent avec des hymnes à l'église.
Ce ne fut pas une ou deux personnes qui furent témoins de la vision, mais un grand nombre de personnes. Et ils crurent que c'étaient des anges & non des moines qui chantaient, parce que les frères du monastère n'avaient pas vu l'évènement miraculeux. Tous glorifièrent donc Dieu d'une seule bouche, de ce que, grâce aux Prières de Saint Théodose, ce lieu avait été tellement béni.
Tandis que le Saint priait dans le monastère pour la fondation de la nouvelle église, il reçut la réponse à ses questions. C'était quelque chose d'inespéré : Saint Antoine venait à son secours. Derrière lui venaient des bâtisseurs, qui venaient de Constantinople. Ce fut avec ces signes miraculeux que Dieu les avait amenés jusqu'en ces lieux pour fonder l'église de Sa Mère Toute Sainte.
Lorsqu'après ces manifestations divines commença la fondation de l'église, le Saint lui-même y peinait chaque jour avec les frères. Qui le voyait travailler n'eût jamais cru qu'il s'agissait de l'higoumène. Ses habits & toute son allure extérieure le faisait paraître comme l'un des maîtres d'oeuvre.
Un jour, une veuve, qui venait lui demander son secours, le vit au milieu des bâtisseurs.
« Hé, moine! », lui cria-t-il, votre higoumène est au monastère? »
Et le Saint lui répondit :
Que veux-tu à cet homme? C'est un pécheur.
« S'il est pécheur ou non, je n'en sais rien », répondit la femme. Ce que je sais, c'est qu'il a sauvé beaucoup de désespérés & de malheureux. Je veux qu'il me secoure moi aussi, qui ai été lésée par le juge.
Alors le Saint voulut bien prendre connaissance de son malheur, & il ressentit une profonde compassion lorsqu'il apprit l'injustice qui lui avait été faite.
« Rentre chez toi », lui dit-il, & moi j'irai tout dire à l'higoumène. Lui te délivrera des maux qui t'affligent.
De fait, il parla au juge de la pauvre femme. Il demanda qu'on lui rendît ce qu'on lui avait pris injustement, & la pauvre femme
fut délivrée de son épreuve.
C'est avec des oeuvres semblables, dignes du Ciel, que le Saint luttait pour l'édification, qui fut rapide, de l'église. Il ne la vit cependant pas terminée, parce que la mort vint le prendre entre-temps. Mais même après sa mort, près de Dieu comme il l'était, il fortifiait par ses Prières ceux qui accomplissaient la tâche, qui fut achevée par le bienheureux Stéphane, qui lui succéda dans l'higouménat.
Notre Saint Père Théodose approchait maintenant de sa vie sur terre, & il n'avait que quarante-cinq ans. Il sut à l'avance le jour de son départ. C'est pourquoi il ordonna que se rassemble autour de lui toute la communauté des moines, & les frères qui se trouvaient au monastère, & ceux qui étaient dans les environs, & tous ceux qui avaient été envoyés ailleurs pour quelque diaconie.
Fort ému, il se mit à tous les exhorter. Il les incitait à accomplir leur diaconie avec beaucoup d'attention & de zèle. Tandis que ses yeux laissaient s'échapper des larmes, il leur parlait du Salut, de la vie agréable à Dieu, de l'ascèse, du jeûne. Il leur conseillait de fréquenter assidûment l'église, & d'y entrer avec beaucoup de piété & de crainte de Dieu. Il les priait d'avoir de l'amour les uns pour les autres, & d'obéir non seulement aux aînés, mais à tous les frères. Pour finir, il leur donna sa bénédiction, & c'est avec émotion qu'il les laissa partir.
Après quoi, il reçut aussi la visite du chef. Il lui adressa à lui aussi ses dernières exhortations. Il lui conseilla de cultiver la piété, de protéger l'Orthodoxie, & de s'intéresser aux diverses églises.
« Je prie », lui dit-il, « le Seigneur & sa Toute Sainte Mère, de t'accorder la tranquille hésychia & le Royaume de paix. Et je confie à ta piété la protection de ce monastère, qui est la demeure de la Toute Sainte Mère de Dieu, & dont la fondation est due à sa bienveillance.
Puis le Saint fut pris de frissons & d'une forte fièvre. Epuisé, il fut contraint de s'allonger dans un lit, si même, jamais, jusqu'alors, depuis bien des années, il ne s'était endormi allongé.
« Qu'advienne la volonté de Dieu », dit-il. » Que fasse le Seigneur ce qu'il a déterminé pour moi. Je T'en supplie cependant, mon Seigneur & Maître Jésus Christ, montre-Toi compatissant envers mon âme. Que les démons horribles ne la menacent pas, mais que Tes anges la reçoivent. Qu'ils la fassent passer par les péages de la ténèbre, & qu'ils la mènent à la Lumière de Ta grande pitié. »
Achevant ces paroles, il se tut. Il tomba un grand silence. Il ne pouvait plus proférer un mot, ni ouvrir les yeux. L'âme en peine, les frères suivaient de près son état, trois jours durant. S'ils ne le voyaient plus respirer, ils pensaient qu'il était mort.
Après trois jours, la maladie le céda à une rémission, & le Saint se leva de son lit. Tous les frères se rassemblèrent à nouveau près de lui.
« Frères & Pères », leur dit-il, « voici que s'achève le temps de ma vie sur terre. Le Seigneur me l'avait révélé par le passé, durant les jours du Grand Carême, tandis que je priais dans la grotte. Ce que je vous demande est de vous rassembler & de chosir un higoumène, pour que je l'installe à ma place. »
A ces paroles, les frères éprouvèrent une grande douleur, & éclatèrent en sanglots. D'un coeur lourd, ils s'en furent élire leur nouvel higoumène. Tous, d'un commun accord, choisirent Stéphane, qui avait la diaconie de marguillier.
Le lendemain, le Saint rappela les frères.
Qu'avez-vous décidé, mes enfants. Qui considérez-vous comme digne d'être votre higoumène?
« C'est Stéphane qui en est digne », répondirent-ils d'une seule voix.
Le Saint appela près de lui Stéphane, le bénit de sa sainte main, & l'institua officiellement son successeur.
« Maintenant, mon enfant, » lui dit-il, je te remets le monastère. Garde avec beaucoup d'attention les règles des diaconies. Garde bien les traditions sacrées. Ne change pas le typikon, mais fais tout en accord avec la règle monastique.
Puis il s'adressa aux frères. Il leur conseilla d'être obéissants envers leur nouvel higoumène. Il y insista beaucoup. A la fin , il leur annonça l'heure de son départ.
Samedi, lorsque le soleil se couchera, mon âme quittera mon corps.
Peu à peu le Saint sentit la maladie le reprendre. Stéphane ne le quittait plus. Il le servait avec beaucoup d'humilité, & entendait ses conseils relatifs à ses nouveaux devoirs.
A l'aurore du samedi, le Saint rappela de nouveau les frères. Au milieu des larmes & des gémissements, il leur donna à chacun séparément l'ultime baiser d'adieu.
« Mes enfants bien-aimés, » leur dit-il, « je vous ai donné avec amour un baiser, parce qu'approche mon départ pour rejoindre mon Maître Jésus Christ. Voici l'higoumène que vous-même avez choisi. Ayez-le comme Père spirituel, honorez-le grandement, & conformez-vous à ses ordres. Dieu, le sage créateur de tout, vous bénisse, vous protège de l'ennemi machinateur & vous garde toujours unis, avec foi intangible, concorde, & amour en Christ. Puisse-t-il vous rendre dignes de Le servir sans passions, unis, vous aimant les uns les autres, d'une même âme, avec humilité, & dans l'obéissance, afin que vous deveniez parfaits « comme votre Père céleste est parfait. » Le Seigneur soit avec vous.
Ensuite de quoi le Saint leur demanda de ne pas lui rendre les honneurs d'un grand service funèbre.
Et maintenant je vous prie, & je vous conjure, de m'enterrer dans les grottes où j'ai passé mes jours à jeûner. Ne lavez pas non plus mon misérable corps, & ne changez pas mes vêtements, mais laissez-moi avec ceux que je porte sur moi. Et qu'en dehors de vous, nul autre ne suive le cortège funèbre ni n'assiste à mon ensevelissement.
Les frères buvaient toutes ses paroles. Pour les consoler, il ajouta :
Je vous fais la promesse, frères & Pères, que si même je m'en vais avec mon corps, mon esprit cependant sera toujours avec vous.
Puis il les laissa tous partir. Il voulait être seul. Un frère, cependant, qui le servait toujours fidèlement, put suivre ses derniers instants par un petit trou qu'il avait fait dans la porte.
Le Saint se leva de son lit, s'agenouilla & commença à supplier à chaudes larmes son Dieu compatissant pour le Salut de son âme. Il priait tous les Saints, & plus particulièrement sa Souveraine la Mère de Dieu, disant qu'il confiait à leur protection le monastère & son troupeau.
Il se laissa de nouveau retomber sur le lit pour se reposer un peu. Au bout de quelque temps, il se releva. Il éleva ses regards haut vers le Ciel, & son visage brillait de Joie. Alors, à haute voix, il cria :
Béni soit Dieu! S'il en est ainsi, je n'ai plus crainte de rien. Au contraire, je me réjouis excessivement de mon départ de ce monde.
Il était manifeste qu'il avait une vision. Puis il s'étendit à nouveau, croisa les mains sur la poitrine, & remit sa sainte âme entre les mains de Dieu. C'était l'heure où se couchait le soleil, comme il l'avait prédit, un samedi, le 3mai 1074.
A peine sa mort fut-elle connue, que les frères en firent grand bruit de lamentations.
Menant grand deuil, ils l'amenèrent dans l'église, pour l'office funèbre.
Beaucoup de Chrétiens, sans que nul les ait avertis, comme si les avait impulsés une force divine, se rassemblèrent dehors devant la porte du monastère, & attendirent en pleurant l'heure du départ du cortège. Mais les frères, en accord avec la demande du Saint, gardaient la porte fermée.
Tant qu'il y eut tout ce monde, les frères ne purent pas sortir avec le convoi funèbre. Heureusement cependant, par la volonté divine, le ciel se couvrit brusquement de nuages, & une forte pluie dispersa la foule qui attendait au dehors.
A peine tout ce monde se fut-il en allé, que le soleil brilla de nouveau. Ainsi les frères purent faire sortir leur cortège. Ils amenèrent la dépouille du Saint à la grotte du Saint, & l'y ensevelirent avec honneurs. Après qu'ils eurent fermé la tombe, ils retournèrent, pleins d'affliction, au monastère. Ce jour-là ils ne mangèrent rien.
A l'heure où le Saint s'était endormi, Sviatoslav se trouvait fort loin. Mais, regardant, de l'endroit où il était, en direction de Pétserskaïa, il vit une colonne de feu qui s'élevait du monastère vers le Ciel. A ce signe, il comprit que le Saint, que la veille il avait laissé au plus mal, avait quitté cette vie.
« Il me semble qu'aujourd'hui Saint Théodose est monté aux Cieux, »dit-il à ses hommes.
Il partit donc pour le monastère, où, de fait il apprit sa mort, & en mena grand deuil.
En ces années-là, les Grottes reçurent une pluie de bénédictions. Les biens du monastère se multiplièrent, les jardins & les champs furent bénis comme en témoigna leur fécondité, & le cheptel augmenta. Jamais jusqu'alors il n'était rien arrivé de tel. Les frères se rappelèrent les promesses du Saint & glorifièrent Dieu, eux dont le maître & l'higoumène avait reçu tant de Grâce.
Et ce n'est pas seulement dans ces temps anciens, car nous voyons jusqu'à aujourd'hui que par les intercessions de son Saint, Dieu n'a pas laissé son monastère. Ainsi sont vérifiées les Paroles de l' Ecriture : « Les justes vivront éternellement, & leur rétribution est dans le Seigneur, » le Très Haut a souci d'eux. De fait, si même le Saint s'était corporellement séparé de ses enfants spirituels, son esprit cependant restait toujours au milieu d'eux, comme l'on peut le voir aux nombreux miracles qu'il fit après sa dormition. De tous ceux-ci, nous ne rapporterons que quelques-uns.
***
Sombre, & plein d'affliction,un boyard, qui était tombé en disgrâce auprès du chef, s'entendit dire : « Le chef va te jeter en prison. »
Il se réfugia dans la Prière. Il demanda aussi le secours de Saint Théodose : « Je sais, Père, que tu es Saint; aussi, je t'en prie, maintenant qu'approche pour moi l'heure du danger, épargne-moi. Supplie le Maître du Ciel qu'Il me délivre. »
Et voici, qu'un après-midi, à l'heure où il se reposait, le Saint lui apparut :
« Pourquoi t'affliges-tu tant ? « lui dit-il. Crois-tu que je vous ai quittés? Avec mon corps, oui, mais avec mon âme, non. Demain matin, le chef t'appellera, & non seulement il ne te punira pas, mais, au surplus, il te rendra ta place.
Le boyard crut que ce n'était qu' un rêve. Mais, à peine ouvrit-il les yeux qu'il vit le Saint sortir de sa chambre.
Le lendemain, sa parole se réalisa.
Un Chrétien, qui partait en voyage, passa par Pétserskaïa, & confia au moine Conon, qu'il connaissait, une boîte contenant des pièces d'argent. Cependant la chose tomba dans l'oreille du moine Nicolas, que vainquit le démon de l'avarice. Il prit secrètement la boîte & l'enterra dans un endroit caché.
Lorsque Conon s'aperçut que la boîte avait disparu, il tomba dans une profonde affliction. Avec larmes, il se mit à invoquer Saint Théodose. Il lui demandait de le secourir. Il ne voulait pas demeurer confus devant l'homme qui lui avait témoigné sa confiance.
Il s'endormit. Quelque temps après, il vit le Saint dans son sommeil :
La cassette pour laquelle tu t'affliges, c'est le frère Nicolas qui l'a prise. Il l'a cachée dans une grotte.
Il lui montra précisément l'endroit.
Maintenant, va le prendre , mais ne rapporte rien à propos du vol.
Conon s'éveilla joyeux. Il alluma un cierge & partit pour les grottes. De fait , il trouva la boîte à l'endroit indiqué, & il ne savait pas comment remercier Dieu & Son admirable serviteur Théodose.
L'un des prêtres d'une basilique de Kiev, Sainte Sophie, souffrait beaucoup de crises de paludisme. Lors d'un accès de fièvre, il supplia Dieu & Saint Théodose de le guérir. Après quoi, il s'endormit. Il vit alors dans son rêve le Saint, son bâton à la main.
« Prends mon bâton », lui dit-il, « et marche un peu avec. »
Lorsqu'il s'éveilla, il sentit que la fièvre l'avait quitté. Il raconta aux siens avec joie la visite du Saint, & le bien qu'il lui avait fait .Il alla au monastère & raconta aux frères comment il avait été guéri. Tous, en l'entendant, glorifiaient le nom de Dieu pour la Grâce divine qu'avait reçue leur Saint Père spirituel.
Voici ce qui advint quelques années après la mort du Saint :
Le bienheureux higoumène Stéphane, à cause d'un trouble qui survint dans la communauté, fut contraint de s'exiler du monastère. Le grand Nikon assuma alors l'higouménat, qui, après la mort du Saint, était revenu de Tmoutarakan.
Approcha le vendredi de la première semaine du jeûne du Grand Carême. Ce jour-là, le Saint avait demandé de placer à table un pain de farine de blé, au miel & au sésame, parce que les frères étaient très fatigués du jeûne. Le bienheureux Nikon avertit le cellier qu'il se devait d'observer l'ordre du Saint.Celui-ci, cependant, par paresse, désobéit. Il prétendit même mensongèrement qu'il n'avait plus de farine. Mais Dieu ne voulut pas que l'on néglige les peines & les Prières de Ses serviteurs, ni que l'on méprise l'ordre de Saint Théodose.
Après la divine Liturgie, les frères allèrent au réfectoire pour ce délicieux repas. Ils virent alors, à leur grand étonnement, qu'était arrivé au monastère un chariot plein de pain à la farine de blé. Tous admirèrent la Providence de Dieu. Leur Père spirituel, Saint Théodose, du haut du Ciel, se souciait de leurs nécessités.
Deux jours plus tard, le cellier fit pétrir aux moines boulangers avec la farine qu'il avait dit ne plus avoir. Et qu'advint-il?
Comme ils jetaient l'eau chaude sur la levure, tomba dedans un crapaud, qui, du fait de leur inattention avait sauté dans la marmite & avait bouilli avec l'eau. Tout leur travail était perdu. C'était le fruit de la désobéissance; c'est pourquoi Dieu n'avait pas permis, après l'ascèse de toute la semaine, que les frères se souillent avec « la part du Démon ».Ils apprenaient ainsi à être plus attentifs & obéissants.
Depuis le moment où l'âme de Saint Théodose avait été conduite au Ciel, il s'était passé dix-huit ans. Tous les frères de la Lavra, avec leur higoumène Jean, décidèrent en assemblée le transfert de ses reliques
dans la grande église.
Ils apprêtèrent sans retard le nouvel endroit, & un beau reliquaire en pierre où ils les disposèrent.
Trois jours avant la fête de la Dormition de la Mère de Dieu, l'higoumène commanda que l'on creuse la grotte. C'était le bienheureux Nestor qui les y avait incités, lequel avait été jugé digne de voir, avant tous les frères, les saintes reliques de Théodose. C'est lui qui nous fait maintenant le récit suivant :
« Ce que je vais vous raconter, je ne l'ai pas appris par d'autres, mais je l'ai vécu moi-même de près.
« L'higoumène me dit d'aller vénérer Saint Théodose, dans sa grotte. J'y allai à l'insu de tous, & je prévis à l'avance l'endroit où il faudrait creuser. Je retournai ensuite au monastère, & l'higoumène me confia la tâche de déterrer les reliques :
« Prends avec toi les frères que tu veux, & vas-y. Aie soin cependant que les autres n'apprennent rien jusqu'à ce que vous ensevelissiez à nouveau les saintes reliques.
« Le troisième jour, un mardi, je préparai les outils. Et le soir, après qu'il eut fait nuit, je me mis en route. Deux moines m'accompagnaient, choisis pour leur vertu. Les autres moines ne savaient rien. Nous arrivâmes à la grotte, & nous nous mîmes à l'ouvrage avec des métanies & des psalmodies.
« Je me mis à l'ouvrage avec zèle. Quand j'étais fatigué, un autre frère continuait. Il était minuit; la nuit avançait, & les fouilles ne donnaient aucun résultat. Nous ne trouvions rien.
« Nous fûmes pris d'une profonde affliction. Nous versions des larmes. Peut-être le Saint ne voulait-il pas nous apparaître. Telles étaient les pensées qui nous assaillaient.
« En dépit de tout, je repris les
instruments en main, & avec beaucoup de minutie je poursuivis le travail.
« Au monastère on sonne la symandre des mâtines » me cria le frère qui se trouvait devant la grotte.
« J'ai bientôt fini, moi aussi, » lui répondis-je. » Sans le savoir, j'ai creusé précisément sur les vénérables reliques. Quand je l'ai compris, j'ai été saisi d'une grande crainte.
« Seigneur, par les Prières de Saint Théodose, aie pitié de moi, » répétais-je.
« J'envoyai aussitôt les frères avertir l'higoumène. Ils arrivèrent bientôt tous les trois. Dans l'intervalle, j'avais avancé le travail. Comme je me penchai pour mieux distinguer, que vois-je? Les reliques étaient intactes & incorrompues. Le visage lumineux, les yeux fermés, les lèvres scellées, les cheveux toujours sur la tête. Avec le secours des frères nous le mîmes sur une couche & le déplaçâmes jusque devant la grotte. »
Ce récit que nous fit Saint Nestor provoque l'admiration pour la grandeur de Dieu.
L'on rapporte cependant d'autres miracles encore :
Bien des moines de Pétserskaïa, dès que sonnaient les mâtines, & qu'ils allaient à l'église, regardant en direction de la grotte, virent au-dessus une lumière admirable. Et beaucoup de pieuses gens de la ville de Kiev la virent aussi.
Stéphane, qui avit été élu higoumène, - le successeur de Saint Théodose dans l'higouménat, qui plus tard fonda le monastère de Klov, & qui fut Evêque de Vladimir – se trouvait ce soir-là au monastère de Klov. Regardant en direction de Petserskaïa, il vit lui aussi, dans la nuit, une admirable Lumière sur la grotte du Saint.
Il songea que devait avoir lieu le transfert des reliques du bienheureux Théodose, & il éprouva une grande affliction à ne pas y assister, au moment même où il en était averti.
Alors avec la synodie de Clément, qu'il avait laissé pour lui succéder à l'higouménat de Klov, il monta à cheval, & se hâta de faire route vers le monastère des Grottes.
Comme il avançait, il vit de nouveau au loin cette Lumière. En approchant davantage, il vit sur la grotte quantité de cierges allumés. Comme il y arrivait, il ne vit plus rien de tout cela, & il comprit que c'étaient là des signes qui révélaient la Grâce surnaturelle cachée dans les vénérables reliques du Saint.
Le lendemain du jour de la découverte des reliques, beaucoup se rassemblèrent aux entours de la grotte – les Evêques amis de Dieu Ephrem de Pérégiaslav, alors représentant du trône du métropolite de Kiev, Stéphane de Vladimir, Jean de Tcherniguov, & Marin de Giourguiev, les higoumènes de tous les monastères de la région avec nombre de moines, & une foule de pieux Chrétiens de divers endroits.
Ils prirent donc solennellement les reliques du Saint, & le cortège de fidèles, portant des cierges, tandis que l'on encensait, les transporta dans l'église.
Le spectacle dans l'église était indescriptible. Tant de cierges allumés répandaient une mystérieuse lumière. Les hiérarques embrassèrent la sainte dépouille; les prêtres s'agenouillèrent devant le corps; les moines, & la foule du peuple attendaient pour le vénérer avec un amour transi . Tous adressaient à Dieu des hymnes de doxologie,& au Saint des chants d'action de grâce.
C'est avec une telle sainte exaltation que le reliquaire vénérable fut placé dans la partie droite de l'église de la Toute Sainte Mère de Dieu. On était alors vendredi, le 14 août 1091. Ce jour fut dès lors jour de fête solennelle.
Le Seigneur, voulant glorifier davantage son serviteur, jugea bon que dix-huit ans après le transfert de ses reliques, en l'an 1108, son nom soit connu de toute l'Eglise Orthodoxe. Lors de son transfert, il était sorti de la ténèbre de la grotte. Maintenant, il sortait de la ténèbre de l'invisibilité. Et voici comment cela advint :
Le Seigneur qui connaît les coeurs inspira à l' higoumène d'alors, Théoktiste, d' oeuvrer à inscrire le Saint dans le choeur des Saints de l' Eglise Orthodoxe. Théoktiste en parla au chef Mikhaïl Sviztopolk Iziaslavitch. Il le supplia de conseiller à sa béatitude le métropolite Nicéphore de rassembler un synode, qui verrait à le canoniser.
Le grand chef Sviatopolk avait appris la sainte vie de Théodose. Il témoigna donc un vif intérêt pour la question.
Au synode qui fut convoqué se rassemblèrent les Evêques, les higoumènes, & tout le clergé. Le métropolite leur annonça son intention. Sviatopolk, plein d'enthousiasme leur parla de la vie du Saint. Et tous, d'un commun accord, résolurent de proclamer sa sainteté.
Le métropolite donna l'ordre aux Evêques d'inscrire dans toutes les églises le nom de Théodose sur les diptyques des Saints. Les Evêques acceptèrent avec beaucoup de joie. Dès lors l'on commença de commémorer le Saint dans toutes les églises, de le prier, & de fêter avec éclat sa mémoire éternelle, le 3 mai, jour de sa dormition, pour la Gloire de Dieu.
Fin de la vie de Saint Théodose.
***
RECITS TOUCHANT LA SAINTE EGLISE DE LA DORMITION DE LA TOUTE SAINTE MERE DE DIEU DES GROTTES.
La grandiose église de la Lavra fut fondée avec la volonté & par la Providence de notre Seigneur Dieu, & par les prières des fondateurs du monastère des grottes, les Saints Antoine & Théodose. Et voici comment :
L'un des fils du chef Varange, nommé Simon, quitta la Scandinavie & vint en Russie, chassé du pouvoir par son oncle. Il se réfugia chez le pieux prince Iaroslav, qui le reçut avec honneur & le nomma aide de camp de son fils Vsévolod. Simon gagna bientôt la confiance de son fils Vsévolod, & il avait sur lui une grande influence.
Après la mort de Iaroslav, tandis que son fils Iziaslav exerçait le pouvoir à Kiev, des barbares entrèrent sur la terre russe.. Les trois fils de Iaroslav, qui étaient chefs tous trois, Iziaslav de Kiev, Sviatoslav de Tcherniguov, & Vsévolod de Pérégiaslav, s'unirent contre eux, & Simon combattit avec eux, comme général d'un corps d'armée.
Avant la confrontation des deux armées, Simon s'en vint voir Saint Antoine. Il voulait prendre sa bénédiction avant la bataille. Le Saint, secrètement averti par Dieu, prédit à Simon que l'armée russe subirait un revers catastrophique.
Simon tomba aux pieds de l'Ancien & le supplia de le sauver d'un tel malheur.
« Mon enfant », répondit le Saint en pleurant, c'est pour les ppéchés des chefs & de tous les Chrétiens que votre armée va être vaincue par les ennemis. Beaucoup de soldats tomberont sous leur glaive. D'autres seront noyés dans les eaux du fleuve de l'Alta. De très nombreux hommes seront blessés, & la plupart seront faits prisonniers. Toi cependant, par la Grâce de Dieu, tu en réchapperas. Et après nombre d'années, quand tu mourras, ton corps sera enterré dans l'église qu'il faut édifier ici à la Lavra.
La catastrophe prophétisée par le Saint advint. Les deux armées se battirent près du fleuve de l'Alta. L'armée chrétienne fut vaincue. Les princes russes prirent la fuite, & eurent à peine le temps de se sauver, Iziaslav & Vsévolod à Kiev, Sviatoslav à Tcherniguov. D'entre les combattants, les uns tombèrent dans la plaine du combat & les autres se noyèrent dans le fleuve. Les sauvages ennemis se répandirent sur toute la terre russe, la brûlèrent, la ravagèrent, & firent prisonniers de nombreux autochtones.
Simon fut cependant miraculeusement sauvé, comme lui-même le raconta plus tard à Saint Antoine :
J'étais blessé, & je gisais à terre dans la plaine du combat, parmi les assaillants qui avaient été tués. Regardant le ciel, j'y vis se détacher une grande église. Alors, je criai : « Seigneur, délivre-moi de cette mort amère, par les intercessions de Ta Très Sainte Mère & de tes Saints Antoine & Théodose des Grottes! » Aussitôt une puissance invisible, & divine m'arracha d'entre les morts, & m'amena à Kiev. Là, je retrouvai mes soldats. Je constatai également que j'étais guéri de toutes mes blessures!
Ici, Simon, ému, fit une petite pause. Puis il gémit profondément & ajouta :
Mon père m'avait construit une grande croix. En signe d'honneur, il avait avait placé sur le corps de notre Sauveur crucifié une ceinture avec cinquante pièces d'or, & sur Sa tête une couronne d'or. Lorsque je m'enfuis pour la Russie, chassé par les miens, je détachai de la croix la ceinture & la couronne, comme une bénédiction que je pris avec moi. J'entendis alors clairement une voix me dire : « Mets cette couronne à l'endroit que je lui ai fixé, sur le lieu où mes saints serviteurs vont bâtir une église à ma Sainte Mère. Remets-là entre leurs mains, pour qu'ils la suspendent sur le saint autel. » C'était la voix du Seigneur. Dans ma crainte, je tombai à terre,& y restai longtemps comme mort. Je ne compris cependant pas ce que cela signifiait.
« Plus tard, lorsque je naviguai vers la Russie, se leva une terrible tempête. Le bateau menaçait d'instant en instant de sombrer. Tous les voyageurs attendaient la mort.
« Alors, je me souvins de la ceinture du Crucifié que j'avais avec moi. Je poussai un cri de supplication : « Seigneur, pardonne-moi. Je suis perdu à cause du péché que j'ai commis, d'avoir pris la ceinture de Ta Croix! »
« Soudain, je levai les yeux vers le Ciel, & j'y vis une grande église se tenir dans les airs. Comme je réfléchissais, me demandant ce qu'était cette vision, j'entendis une voix d'en-Haut : « L'église que tu vois est celle que vont fonder Mes Saints & qu'ils vont vouer au nom de Ma Sainte Mère. Sa taille sera définie par la ceinture d'or que tu as prises sur Ma Croix : Vingt ceintures de large, trente de long, & cinquante de hauteur; Dans cette église sera aussi déposé ton corps, quand ton âme le quittera. » La voix se tut. Et la mer, aussitôt, se calma.
« Jusqu'à présent, Saint Père, j'ignore où doit être fondée l'église que j'ai vue dans cette vision, & qui sont ces Saints qui la bâtiront. Seulement, lorsque je t'ai rencontré, avant la bataille d' Alta, j'ai entendu tes vénérables lèvres prédire qu'après mon départ de cette vie mon corps serait placé dans l'église qui va être fondée ici.
« Voici, donc, je te donne la mesure qui va servir à déterminer les dimensions de l'église. » Et Simon donna au Saint la ceinture d'or.
« Voici, je te donne aussi cette couronne, à suspendre au-dessus du saint autel. » Et il remit aussi la couronne d'or entre les mains du Saint.
Le Saint Ancien glorifia le Seigneur & dit, ému :
Mon enfant, ton nom est Simon, nom d'enfant de la Grâce, parce que tu as eu la bénédiction & le grand honneur d'entendre la voix du Seigneur.
Aussitôt, il appela Saint Théodose.
« C'est lui, « dit-il à Simon, en désignant Saint Théodose, « qui édifiera l'église que tu as vu dans ta vision » . Et, ce faisant, il remettait à son saint disciple sa ceinture & sa couronne.
Dès lors, Simon nourrit un grand amour & une grande vénération pour Saint Théodose, & lui octroya par la suite d'autres bienfaits pour l'édification de son église. Souvent même, il allait longtemps entendre les paroles salutaires qui tombaient de la bouche du Saint qu'emplissait la Grâce.
Il lui dit un jour, lors se l'un de ses entretiens spirituels :
Vénérable Père, je veux te demander de me faire un don.
Quel don, Mon enfant? Tu connais notre pauvreté. Souvent, nous n'avons pas même notre pain quotidien.
« Si tu le veux, Père, tu me donneras ce que je te demande, « insista Simon. Toi tu as la puissance que le Seigneur t'a conféré par Sa Grâce. Quand j'ai pris la couronne sue la tête de Jésus-Christ Crucifié, Il m'a dit : « Mets cette couronne au lieu où Mes Saints bâtiront une église dédiée à Ma Sainte Mère ». Pour moi maintenant, je te prie de me faire la promesse que tous mes péchés seront pardonnés par le Seigneur. Assure-moi de cela, & mon âme te sera reconnaissante toute cette vie, & dans l'autre.
Ah! mon enfant, ce que tu me demandes passe mes forces. Mais je te dis cela Si après mon départ de ce monde, tu vois qu'est fondée ici l'église & qu'y sont gardés intangiblement les règles du typikon que j'ai transmis aux frères, alors tu sauras que j'ai obtenu l'assurance devant Dieu. Pour l'heure, cependant, je ne sais pas encore si le Seigneur agrée mes prières.
« Dieu m'en a assuré, Saint Père, » observa Simon? Je te prie donc, comme tu pries pour tes moines, de prier aussi pour moi, pour mon fils Georges, & pour ma descendance.
Je prie & je prierai pour eux, comme aussi pour tous ceux qui aiment ce saint lieu, assura Saint Théodose.
Alors Simon tomba à ses genoux, fit une profonde métanie jusqu'à terre & se mit à supplier le Saint :
Donne m'en, père, je t'en prie, ta promesse écrite.
Avec simplicité, Saint Théodose écrivit sans hésiter la prière d'absolution & la donna à Simon. Lorsque plus tard Simon s'endormit dans le Seigneur, cette prière écrite fut mise entre les mains de sa dépouille, & enterrée avec lui. Tel était le désir de cet ami de Dieu. Et dès lors la tradition s'institua dans l'église russe de mettre entre les mains du mort la prière d'absolution & de l'enterrer avec lui.
Après quoi Simon & toute sa famille embrassèrent la foi orthodoxe du Christ, après avoir renié l'hérésie papiste à laquelle il croyait jusqu'alors.
Et conformément à la prophétie divine, il fut après son édification enterré dans l'église de la Lavra.
Quelques années passèrent après que Simon eut apporté aux Grottes la ceinture & la couronne. Et voici qu'arrivèrent de la capitale, Constantinople, quatre bâtisseurs notoires, qui cherchaient Saint Antoine & Saint Théodose. Quand ils les eurent trouvés, ils demandèrent :
Où voulez-vous fonder l'église?
Les paroles de ces étrangers étaient incompréhensibles aux Saints.
- « Là où le Seigneur le révèlera, « répondit Saint Antoine.
« Chose étrange », s'étonnèrent les bâtisseurs. Vous connaissez le temps de votre mort, & vous ignorez le lieu de votre église, quand bien même vous nous avez donné tant d'or pour ce travail.
Les Saints les prièrent de mieux s'expliquer devant tous les frères.
« Un matin, » commencèrent-ils à raconter, apparurent séparément, chez chacun de nous quatre, quatre jeunes gens. « La Reine des Cieux vous appelle à l'église des Vlachernes » nous dirent-ils.
« Nous assemblâmes alors tous nos proches & nous allâmes à l'église des Vlachernes. Là, nous apprîmes l'un de l'autre que nous avions tous les quatre reçu chez nous la visitation de quatre jeunes gens. Ils nous avaient tous quatre appelés sur le même lieu avec les mêmes paroles.
« Soudain, nous vîmes devant nous, majestueuse, la Reine des Cieux, assise sur un trône, entourée d'une fouls de priants. Nous tombâmes tous à terre & la vénérâmes, prosternés.
« Je veux édifier une église en Russie, à Kiev. Je vous donne maintenant la rétribution en or de votre peine pour trois ans, en vous intimant l'ordre d'y aller & d'accomplir ce travail.
« Après quoi, elle vous montra tous deux, qui vous teniez près d'elle, & ajouta :
« C'est chez ces deux moines que vous irez, Antoine & Théodose, & ils vous diront que faire «
« - Pourquoi, dès lors, Souveraine, » demandâmes-nous, nous donnes-tu l'or dès à présent? Ceux qui vont faire construire l'église peuvent avoir souci de nous payer.
« - Antoine », répondit la Reine des Cieux, ne vivra plus beaucoup sur cette terre. A peine aura-t-il fait la prière de fondation de l'église, qu'il s'en ira vers les demures du Ciel.
Traduction de Presbytéra Anna.
(Texte incomplet, provisoire, non relu et non corrigé.)
VIE DE SAINT ANTOINE PETSERSKI,
FONDATEUR DE LA LAVRA DES GROTTES DE KIEV.
Durant les années du règne, (qui s'étendit de l'an 956 à l'an 1015) du pieux Vladimir Ier le grand, chef de la terre russe, Dieu jugea bon de révéler un luminaire de son Eglise, instructeur des moines, notre Saint Père Théophore Antoine.
Saint Antoine, qui dans le monde se nommait d'abord Antipas, naquit au bourg de Lioumbets, à quarante verstes de Tchernikov, en l'an 983.
De ses pieux parents,il apprit la crainte de Dieu, & ressentit tôt le désir de revêtir le schème monastique. Dieu l'éclaira , le menant à se rendre dans ce dessein sur la terre grecque.
Sans retard, il quitta sa patrie, & se rendit à Constantinople. De là, il passa sur la Sainte Montagne du Mont Athos. Il passa quelque temps dans les saints monastères, & vit nombre de moines, imitateurs de la vie des anges.
Alors Saint Antoine s'enflamma davantage encore d'amour pour le Christ. Il alla au monastère d'Isphigménou, & supplia l'higoumène de le faire moine. L'higoumène Théoktiste, grand lutteur, doté du charisme de la proorasis qui lui donnait de voir à l'avance, discerna les vertus du Saint & vit à l'avance ce que serait sa sainte vie à venir. Il condescendit donc à sa demande, & le fit moine, après lui avoir d'abord enseignait ce qu'il lui convenait de savoir de la vie monastique.
Dès lors, le Saint luttait pour plaire à Dieu en toutes choses. Il se contraignait à se plier aux luttes monastiques, avec une patience & une obéissance parfaite, & il devint bientôt aux yeux de tous les frères le type & le modèle de la vie vertueuse.
Quelque temps passa. Et voici que l'higoumène reçut de Dieu l'ordre de renvoyer en Russie le moine Antoine. Il l'apppela donc & lui dit :
Antoine! Pars en Russie, & deviens y un modèle & un pilier spirituel du peuple. Que la bénédiction du Mont Athos soit avec toi!
Le Saint reçut le commandement de l'higoumène comme venu de la bouche de Dieu même. Il s'en fut donc pour la Russie, & arriva dans la ville de Kiev aux alentours de l'année 1013. Cherchant un lieu pour s'y établir, il visita les monastères des environs sans cependant demeurer dans aucun. Ainsi l'avait voulu Dieu. Il se dirigea vers les montagnes avoisinantes, en un lieu isolé, & y trouva une grotte qu'avaient autrefois creusée les Varanges. Il fit une prière pour bénir le lieu & s'y installa, vivant dans une grande asscèse & une grande tempérance.
Après la mort du pieux Vladimir en 1015, s'installa sur le trône de Kiev son fils aîné, l'impie Sviatopolk.
Celui-ci pour garder seul le pouvoir sur tout l'héritage paternel tua ses deux jeunes frères Boris & Gleb, faisant d'eux des martyrs. Il initia encore une persécution sanglante contre les saints hommes de l'Eglise.
A cause duquel massacre Saint Antoine fut contraint de repartir pour le Mont Athos, & de retourner chez son Saint Ancien Théoktiste. Il ne resta cependant pas longtemps au monastère d'Isphigménou.Ayant goûté à la douceur spirituelle de la sainte hésychia dans la solitude, il demanda la bénédiction de son higoumène pour se retirer sur la montagne de Samarie, au-dessus du monastère, où se trouve aujourd'hui une église consacrée à son nom.
Dans l'entretemps, en 1019, le pieux chef Iaroslav le Sage vainquit Sviatopolk à la guerre, reprit Kiev, & monta sur le trône. Sviatopolk s'enfuit & mourut exilé dans les steppes de Bohême la même année.
Durant le règne du sage Iaroslav, brillait par sa piété, son ascèse, & sa profonde connaissance des Ecritures un prêtre du nom d'Hilarion. De lui,nous ne savons rien d'autre, sinon qu'aux alentours de l'an 1040 il était desservant d'une paroisse au village de Biristovo. De là, il vint jusqu'au Dniepr, au bord du fleuve, sur la colline où fut fondé par la suite l'ancien monastère des grottes. L'endroit était recouvert d'une épaisse forêt.
Là, le prêtre Hilarion creusa une petite grotte, d'une largeur de deux toises environ, & il commença à y lutter secrètement avec des psalmodies & des prières.
A cette époque, Dieu avertit l'higoumène du monastère aghiorite d'Isphigménou de renvoyer à nouveau Saint Antoine en Russie. Il l'appela donc & lui dit :
Antoine! C'est la volonté de Dieu que tu retournes dans ta patrie. La bénédiction du Mont Athos soit avec toi. Tu as ma bénédiction. Va en paix! Et sache que beaucoup seront jugés dignes de recevoir de tes mains le saint schème.
Après qu'il eut reçu les prières & la bénédiction de son Ancien, le Saint quitta de nouveau l'Athos & revint à Kiev.
Saint Antoine goûta beaucoup de repos à la vue de ces lieux. Il lui y souvenait de son cher Athos, étant également abrupt, & d'un accès difficile du côté du fleuve, sauvage & non foulé par l'homme, à cause du bois épais qui le recouvrait.
Il s'agenouilla & pria Dieu avec larmes.
Seigneur, que la bénédiction du Mont Athos recouvre ce lieu, ainsi que la Prière de mon Saint Ancien. Fortifie-moi avec ta Grâce pour que je demeure ici & que j'y mène l'ascèse.
Le Saint habita donc cette grotte. Il commença d'y mener durement l'ascèse, ayant pour ouvrage la Prière incessante. Sa nourriture n'était que d'eau & de pain sec, & ce, seulement tous les deux ou trois jours. Souvent même, adonné jour & nuit à la Contemplation, il n'y goûtait pas de la semaine entière.
Bien des gens, apprenant son dénuement & sa dure vie, venaient à la grotte
& lui apportaient tout le nécessaire, en échange de sa bénédiction. Certains même, attirés par sa sainte vie, voulaient rester près de lui, & mener l'ascèse sous sa conduite spirituelle. Parmi eux se trouvaient le bienheureux prêtre Nikon, & Saint Théodose.
En 1054 mourut le pieux chef Iaroslav, & ce fut son fils aîné Iziaslav qui monta sur le trône de Kiev.
A cette époque, la renommée de Saint Antoine s'était étendue à toute la terre russe, comme dans les temps anciens en Egypte le nom de son homonyme le Grand Saint Antoine. Ainsi parvint aux oreilles d'Iziaslav la réputation de sainte vie du moine Antoine Petserski – ainsi le nommait-t-on, du voacble qui signifie les grottes en slavon. Le chef s'ébranla donc avec sa synodie & vint recevoir sa bénédiction. C'était là, d'après les coutumes de l'époque, faire montre d'un grand respect & témoigner au Saint de grandes marques d'honneur.
Depuis lors, sa réputation s'étendit davantage encore, & beaucoup commencèrent de venir à lui, pour qu'il les fît entrer dans la vie monastique.
Aux alentours de l'an 1060, vinrent à Saint Antoine le bienheureux Varlaam, fils du boyard Jean, comme aussi l'ami de Dieu Ephrem, eunuque du chef, ayant désiré se consacrer au Christ. Le Saint ordonna au prêtre Nikon de les tonsurer moines.
Dieu permit cependant que Saint Antoine & les frères fussent durement éprouvés pour ces deux tonsures.
Le boyard Jean, escorté de nombre de ses serviteurs, vint furieux à la grotte, & dispersa férocement le troupeau de Saint Antoine qu'avait assemblé Dieu. Son fils, Varlaam, le traîna sauvagement hors de la grotte, déchira rageusement son habit monastique, le revêtit du criard costume boyard, & le conduisit par la force à son palais.
Le chef Iziaslav se courrouça lui aussi contre Saint Antoine, lorsqu'il apprit que ce dernier avait fait moines le fils du boyard & son eunuque Ephrem. Il donna ordre de se saisir du bienheureux Nikon, qui avait fait les tonsures, tandis qu'il menaçait de jeter tous les frères au fleuve & de détruire leur grotte.
Voyant le chef dans une si grande fureur, Saint Antoine décida de laisser la grotte. Il s'en fut donc dans un autre lieu, tandis que les frères se dispersaient en différents endroits.
Quand cependant la femme d'Iziaslav apprit la fuite du Saint, elle s'affligea grandement & supplia son époux de ne pas persécuter les serviteurs de Dieu, de crainte que ne retombât sur lui le courroux du Ciel. Cette femme intelligente rappela à Iziaslav le mal qui était récemment arrivé à sa patrie, la Pologne. Son père, le roi Bolieslav, avait chassé les moines du royaume à cause de Saint Moïse le Hongrois. Après cependant qu'il eût chassé les moines, Bolieslav rencontra une mort subite, fort amère, tandis que le peuple étaient en proie à de grands troubles & que le sang coulait à flots. Elle conseilla donc à Iziaslav de convertir sa colère en esprit d'intelligence, de crainte qu'il n'eût à subir lui aussi le même sort.
Le chef, alors, à entendre les paroles de sa femme, se prit à redouter le châtiment divin. Il envoya des hommes auprès de Saint Antoine, & le pria de retourner sans crainte au lieu de son ascèse avec les autres frères. Les envoyés cherchèrent le Saint durant trois jours. Quand ils l'eurent trouvé, ils se laissèrent tomber à ses pieds, & le supplièrent de retourner à son ermitage. Le Saint obéit, & retourna à sa grotte, où il reprit son ascèse, suppliant incessamment Dieu de rassembler à nouveau les brebis dispersées de Son saint troupeau, & de leur donner la force de supporter noblement les épreuves que leur infligeait l 'Ennemi du Bien. Dieu, qui est ami de l'homme, entendit la prière de Son serviteur, & il rassembla de nouveau autour du Saint les frères qu'avait dispersés la persécution du chef.
Beaucoup d'autres encore, assoiffés de Salut, commencèrent à accourir à la grotte, & à prier le Saint de les éclairer, de les délier des liens du péché, & de les conduire sur le chemin du royaume des cieux. Et le Saint les recevait avec beaucoup d'amour, leur enseignait la vie monastique, &, après le temps d'épreuve accoutumé, leur donnait le schème monastique. Le nombre des frères s'accrut ainsi jusqu'à douze. C'est pourquoi ils furent obligés de creuser & d'élargir la grotte, ensuite de quoi ils y fondèrent une église & des cellules, qui sont conservées jusqu'à aujourd'hui.
Ensuite de quoi, le Saint appela près de lui tous les frères, & leur dit :
Mes enfants, mes frères, vous savez que le Seigneur nous a tous conduits ici, & qu'il nous y a établis comme une source de bénédiction pour notre terre & son peuple. Vous êtes la bénédiction de la Sainte Montagne de l'Athos & de notre Souveraine la Mère de Dieu, que nous avons comme commune protection & consolation. Comme m'a fait moine mon Ancien de l'Athos, à mon tour, avec sa bénédiction & la bénédiction de la Sainte Montagne, je vous ai faits moines, & je vous laisse pour héritage de l'Athos en ce lieu. Vivez donc & comportez-vous d'une façon digne de l'appel que vous avez reçu & de la bénédiction qui vous couvre.
Ici, le Saint se tut un moment.
« Mes enfants », ajouta-t-il ensuite, « je crois qu'il est temps que je me retire de l'higouménat. Je désire vivre comme auparavant dans l'hésychia, « seul à Seul avec Dieu « . Je vous laisserai un autre higoumène, & je me retirerai. Nous ne séparerons pas, bien entendu. Je demeurerai en ce lieu, & je vous soutiendrai tant que je vivrai, en tant que votre Père spirituel.
De fait, le Saint choisit pour higoumène le bienheureux Varlaam, pour son expérience & ses nombreuses vertus. Lui-même s'enferma dans une des petites cellules de la grotte, fuyant tout bruit comme toute marque d'honneur. Peu après, il s'éloigna encore, sur une autre colline, où il creusa une nouvelle grotte, laquelle se trouve maintenant sous le grand monastère des grottes. Là, il poursuivit sa vie ascétique, glorifiant Dieu de prières incessantes & de luttes ascétiques, cultivant toutes les vertus, & s'élevant « de puissance en puissance « . C'est pourquoi Dieu aussi le glorifia en retour, l'ornant richement des charismes du Saint Esprit, en particulier du don de guérison & du don de prorasis, qui lui permettait de voir l'avenir à l'avance.
Saint Antoine se révéla être, sur la terre russe, thaumaturge par ses miracles de guérison, & grand prophète par ses prédictions. Il guérit par sa Prière une foule de malades, & en usant d'une plante vénéneuse qu'il bénissait & donnait à goûter. Alors qu'avant la Prière & la bénédiction du Saint une telle plante instillait la mort avec son venin, après sa bénédiction, elle donnait la vie & la délivrance de toutes les maladies.
Quant au charisme de prophétie du Saint , il suffit pour y croire de savoir qu'il avait prédit la douloureuse défaite de l'armée russe, & la catastrophe essuyée en terre russe du fait de l'invasion des barbares turcs Polophtsi, que Dieu permit en ces temps pour les péchés des Chrétiens.
Cependant le Seigneur de Bonté permit que fut également éprouvé le Saint en une grande épreuve, pour que brillassent davantage sa patience & son endurance.
Après la défaite des Russes par les Polophtsi, le chef Iziaslav se réfugia à Kiev. Là se trouvait le chef de Polotsk Vsieslav, emprisonné par ses frères jaloux Iziaslav, Sviatoslav, & Vsévolod.
Les habitants de Kiev commencèrent à inciter vivement Iziaslav à la résistance contre les ennemis barbares, qui s'étaient dispersés & ravageaient le pays. Le chef, cependant, apeuré par sa défaite, ne se décida pas à les affronter à nouveau. Alors, ses sujets se révoltèrent, libérèrent Vsieslav de sa prison, & l'élirent pour leur chef.
Iziaslav réussit à fuir pour la Pologne, patrie de sa femme, y rassembla en sept mois une armée, combattit le roi du pays, & repartit reprendre Kiev. Lorsqu'il l'apprit, Vsieslav abandonna la ville & s'enfuit en secret à Polotsk. Iziaslav entra en triomphe à Kiev en 1069.
Depuis lors, cependant, pour le bienheureux Antoine, l'épreuve aussi commençait. Un des hommes du chef le calomnia auprès de lui, prétendant qu'il sympathisait avec Vsieslav & qu'il avait même été l'instigateur du mouvement populaire qui l'avait élevé sur le trône.
Iziaslav se laissa persuader par les paroles du sykophante & fut transporté d'une violente colère contre le Saint.
A cette époque le Saint soignait dans sa grotteun reclus du nom d'Isaac, qui était alité, qu'avait égaré le diable, lequel l'avait laissé à demi-mort. Il semble que l'ennemi de tout bien fût enragé contre les efforts du Saint pour sauver Isaac, qu'il entravait de toutes les manières possibles dans sa tâche néanmoins agréable à Dieu. Et durant quelque temps, il y réussit.
Avant qu'Iziaslav n'eût le temps de faire du mal au Saint, le chef de Tcherniguov, Sviatoslav, qui avait appris la colère de son frère, envoya de nuit des hommes pour amner dans son royaume le serviteur de Dieu. Le Saint choisit un endroit érémitique, non loin de la ville, sur la montagne de Boldine, y creusa une grotte, & s'y installa. Il fonda plus tard en ce même lieu un monastère.
Mais l' Ennemi du Bien n'eut pas longtemps à se réjouir. Iziaslav apprit la vérité de la bouche de nombre de gens dignes de foi. Sa colère s'apaisa. Il réfléchit plus mûrement, & se persuada de l'innocence & de la vertu du Saint. Il comprit que les accusations à son encontre avaient été lancées par des sycophantes, & provenaient du Malin. Repenti & contrit, le chef envoya ses représentants à Tcherniguov, suppliant Antoine de revenir à Kiev, auprès de son troupeau rassemblé par Dieu. Antoine, « le doux & humble de coeur » se rendit à la supplication d'Iziaaslav, & retourna dans sa fraternité, qui depuis si longtemps était privée de son Père spirituel.
Après son retour à Kiev, le Saint s'adonna à des ascèses plus grandes encore. Toute sa vie dans la grotte était une dure lutte incesssante contre les méthodes du Diable, & les puissances de la ténèbre de ce siècle.
Avant son départ pour les séjours célestes, il se soucia de la fondation de l'église du monastère des grottes, disant pour ce faire force prières, & opérant des miracles.
Lorsqu'il eut béni le lieu & les premiers fondements de l'église, Saint Antoine commença de se préparer à son départ pour la citadelle incréée de l'éternité.
Comme il sentait approcher le temps de sa fin, il rassembla les frères autour de lui, & les prêcha, les consolant, par la promesse que même après son départ de ce corps corruptible, il n'abandonnerait pas le lieu de ses luttes spirituelles.
« Je me trouverai toujours parmi vous, mes enfants, » leur dit-il « Je tiendrai mes regards sur vos luttes & votre progrès spirituel dans la vie monastique. J'aurai souci des âmes qui accourent à ce lieu sacré pour y plaire à Dieu? Je vous donne cette promesse comme mon seul mais plus précieux héritage. Et du Ciel, j'intercéderai auprès du Seigneur, pour que vous obteniez tous sa miséricorde au jour terrible du Jugement. »
Ainsi, après qu'il eut passé seize ans dans la seconde grotte & vécu quatre vingt dix ans en cettevie, le Saint laissa ce monde éphémère, & s'en fut pour l'éternité, le 7 mai 6581 à compter de la fondation du monde, l'an 1073 après le Christ, durant les années du règne du chef Sviatoslav Yaroslavits, & sous l'empereur de Constantinople Michel VI Doukas.
La vénérable relique du Saint premier higoumène du monastère fut alors déposée dans sa grotte, sous le grand monastère actuel. Mais, de même que tant qu'avait vécu le Saint, il était resté loin de la vue des hommes, priant « dans le secret », ainsi à présent sa vénérable relique, ainsi qu'il l'avait demandé au Seigneur, demeurait cachée aux yeux de tous. Son désir fut exaucé, si bien que Dieu garde dans l'invisibilité jusqu'à aujourd'hui les vénérables reliques de son serviteur.
Tous ceux qui, au cours des temps ont tenté de creuser la grotte, & de les découvrir, ont été châtiés de leur audace pour s'être opposés à la volonté de Dieu & au désir du Saint. Car un feu surgissait de terre & leur brûlait les membres. Longtemps ils souffraient beaucoup, jusqu'à ce que repentis de leurs actes, ils reçussent le pardon & la guérison du Saint thaumaturge.
Mais, même cachées aux yeux des hommes, les vénérables reliques de Saint Antoine ne cessent pas de constituer une source de sainteté, de secours, & de force. Beaucoup de miracles s'accomplissent sur le lieu caché de leur repos, pour tous ceux qui avec foi prient dans la grotte sacrée & y invoquent l'intercession du Saint.
CHAPITRE DEUX
SAINT THEODOSE, HIGOUMENE DE LA LAVRA DES GROTTES.
Dans la ville de Vassiliev ( aujourd'hui nommée Vassilkov), près de Kiev, vivaient les pieux parents Chrétiens de Saint Théodose. Huit jours après sa naissance, en 1029, ses parents l'amenèrent au prêtre pour qu'il lui donnât son nom. Celui-ci, à peine l'eut-il vu, sut prévoir avec les yeux de son âmeque, tout jeune encore, il se consacrerait à Dieu, & le nomma Théodose. Puis il le baptisa, quarante jours après.Le petit grandit dans la tendresse de ses parents, cependant que la Grâce de Dieu le recouvrait.
Il ne se passa guère longtemps que ses parents furent contraintssur ordre du chef de s'exiler au loin, dans une autre ville, à Koursk. C'était là une économie de Dieu, pour que brillât en ce lieu Théodose par sa sainte vie.
Ce fut dans cette ville qu'il grandit; mais il y croissait aussi en sagesse spirituelle & en amour pour Dieu.Il étudiait avec zèle la Parole divine, &, très rapidement, il posséda toute la Sainte Ecriture. Tous demeuraient frappés de sa sagesse, de sa faculté de compréhension, & de sa vitesse d'apprentissage.
Il se rendait chaque jour à l'église de Dieu, & suivait de toute son attention les saints offices.
Il fuyait la compagnie de ses camarades, & ne partageait pas leurs jeux. Il n'avait aucun goût pour les vêtements voyants, mais se plaisait à s'habiller le plus simplement possible.
Lorsqu'il eut treize ans, la mort emporta son père. Dès lors, le bienheureux devint plus ascétique. Il allait aux champs avec les serviteurs de sa maison & faisait tout avec une profonde humilité.
Sa mère le réprimandait pour son comportement. Elle lui demandait de s'habiller de beaux vêtements & de fréquenter ses camarades.
« De la façon dont tu te comportes », le grondait-elle, « tu déroges à l'honneur de ta famille. »
Théodose, cependant, non seulement ne l'écoutait pas, mais désirait davantage ne faire qu'un avec les pauvres. Cela la mettait tellement en colère que, bien souvent, elle le frappait impitoyablement.
Entre-temps, le bienheureux jeune homme réfléchissait à la manière dont il pourrait faire son Salut. Ainsi, lorsqu'un jour il entendit parler des Saints Lieux, où le Seigneur avait réalisé l'oeuvre du Salut, il désira se rendre jusque là & les vénérer.
Et tandis qu'il priait beaucoup pour cela, voici qu'arrivèrent à Koursk des pèlerins. Théodose, à leur vue, courut à eux, plein de joie. Il leur fit une métanie, les embrassa pieusement, & leur demanda d'où ils venaient & où ils allaient.
« Nous venons de la sainte Jérusalem », lui répondirent-ils. « Et, si c'est là la volonté de Dieu, nous désirons beaucoup y retourner une seconde fois. »
Alors le bienheureux les supplia de le prendre avec eux. Quand ils lui eurent promis de satisfaire son voeu, il sauta de joie, & rentra tout heureux chez lui.
Arriva le temps du départ. Les pèlerins l'avertirent de se tenir prêt. Théodose se leva de nuit, & secrètement, sans que personne ait pu s'en aviser, quitta la maison, n'emportant rien avec lui que les vêtements nécessaires. Puis il rattrapa les pèlerins. Mais le Dieu de Bonté ne voulut pas que s'éloignât de la terre russe celui qu'il avait choisi « dès le ventre de sa mère « pour paître ses brebis raisonnables, & qui allait embrasser la vie angélique. Quand donc sa mère, après trois jours, découvrit que son jeune fils était parti avec les pèlerins, elle entreprit de se mettre à sa recherche. Après une longue route, elle les rejoignit, & le leur arracha.
Si grandes étaient sa colère & sa fureur, qu'elle le prit par les cheveux, & le frappa à coups de pieds. Puis, après avoir sauvagement frappé les pèlerins, elle prit le chemin du retour. Elle traînait le jeune Théodose, attaché comme un forçat. Et sa colère demeurait telle qu'arrivée chez elle, elle se remit à le frapper, jusqu'à ce qu'elle fut fatiguée de le battre.
Puis elle le conduisit dans une chambre, l'y enferma, & l'y laissa attaché. Le pieux jeune homme recevait tout avec joie. Il priait & rendait grâce à Dieu.
Au bout de deux jours, elle le délia, & lui donna à manger. Mais sa colère ne s'était pas encore apaisée. Elle lui mit aux pieds des fers très lourds, le surveillant sans cesse pour qu'il ne pût plus s'enfuir loin d'elle.
Le « prisonnier » passa bien des jours ainsi. Enfin sa mère se montra compatissante. Elle le supplia vivement de ne plus partir loin d'elle. Elle l'aimait plus que ses autres enfants, & ne pouvait supporter l'idée d'être séparée de lui.
Celui-ci promit qu'il ne partirait plus, pour autant que c'était la volonté de Dieu. Lors, elle lui enleva les fers des pieds, le laissant se mouvoir librement.
Le bienheureux Théodose retourna à ses vieilles ascèses. Et, chaque jour aussi, il allait à l'église de Dieu.
Il éprouvait cependant une grande affliction, à voir que certains jours la divine liturgie n'était pas célébrée, parce qu'il n'y avait pas toujours de prosphore. Avec l'humble disposition qui le caractérisait, il décida donc d'acheter de la farine; dès lors, il pétrissait la prosphore de ses mains, l'enfournait, & l'apportait à l'église. En vendant quelques-uns de ces pains, il économisait ainsi de l'argent & rachetait de la farine pour en faire d'autres.
Tout l'argent qui restait, il le partageait aux pauvres. Une telle oeuvre était pour plaire beaucoup à Dieu : désormais arrivaient à l'église des prosphores pures, confectionnées de ses mains de jeune homme pur.
Il continua cette sainte oeuvre plus de deux ans durant. Dans l'entre-temps, les enfants de son âge le traitaient avec hostilité, outrages, & railleries. Mais le bienheureux recevait tout avec une joie silencieuse. Cependant, l'Ennemi du Bien, se voyant vaincu par l'humilité du jeune travailleur, ne demeura pas en paix. Voulant l'arracher à sa tâche agréable à Dieu, il commença de vouloir monter sa mère contre lui. Ne pouvant supporter de voir son fils réduit à une occupation qu'elle jugeait si humble,elle lui dit avec amour :
Je t'en prie, mon enfant, cesse ce travail. Tu jettes la honte sur ta famille... Je ne supporte pas de recevoir les critiques de tout le monde. Ces travaux ne conviennent pas à un enfant comme toi.
« Ecoute-moi, mère, je t'en prie », répondit avec humilité le bienheureux Théodose. Notre Seigneur Dieu Jésus Christ a voulu devenir humble & pauvre. Il a ainsi donné l'exemple pour que nous aussi nous nous montrions humbles. Il a reçu des outrages, des crachats, des coups, & Il a tout supporté pour notre Salut. Combien faudra-t-il maintenant que nous supportions pour l'amour de Lui! Et pour l'oeuvre que j'accomplis, écoute : Notre Seigneur, lors de Sa Cène mystique, prit entre ses mains le pain, le bénit, & le partageant entre ses disciples, leur dit : « Prenez & mangez: Ceci est mon corps livré pour vous en rémission des péchés. » Après donc que le Seigneur ait appelé ce pain Son corps, ne faut-il pas que je me réjouisse moi aussi d'être jugé digne de confectionner des pains, qui durant le grand mystère de la divine Eucharistie sont changés en corps du Christ? »
Sa mère, entendant ces paroles, admira la sagesse du jeune homme & le laissa tranquille.
Un peu de temps passa, jusqu'à ce qu'un jour elle le vit noir de fumée du four. Elle s'irrita de nouveau, & se mit à le reprendre, tantôt lui parlant doucement, tantôt le menaçant, & tantôt lui donnant du bâton, pour qu'il cessât ce travail.
Le jeune homme éprouva une grande affliction de la conduite de sa mère. Ne sachant que faire, une nuit il s'enfuit en cachette de la maison, & se rendit dans une autre ville, non loin de Koursk. Il demeura là chez un prêtre qu'il connaissait, & poursuivit sa tâche accoutumée.
Sa mère, après qu'elle eut cherché par toute la ville, & ne l'eut pas trouvé, fut folle d'inquiétude. Et lorsque plusieurs jours après elle fut informée de l'endroit où il se trouvait, elle se mit en route, pleine de colère.
De fait, elle le trouva dans la maison du prêtre. Frappant son enfant, elle le ramena avec elle.
« Il ne s'agit plus », l'avertit-elle, « que tu t'éloignes de moi. Si tu essaies de t'enfuir, je te ramènerai pieds & poings liés à Koursk.
Humble de coeur & obéissant à tous comme l'était Théodose, il gagna aussi l'amitié du chef de Koursk, qui remarqua son humilité & son dévouement à l'Eglise.Il visita son église & lui offrit un beau vêtement pour s'y rendre.
Le bienheureux, portant quelques jours ce beau vêtement, le ressentit comme un poids sur lui, &, de ce fait, le donna aux pauvres. Il réapparut donc à l'église avec ses vieux vêtements. Le gouverneur, lorsqu'il eu vu cela, lui en offrit de nouveaux, plus beaux que les premiers, & le pria de les mettre. Théodose, cependant, les donna de nouveau aux pauvres. Cette histoire se répéta de nombreuses fois. Le chef ne l'en aima que davantage, & admira son humilité.
Théodose se rendit un jour chez un forgeron & commanda une ceinture de fer. Lorsqu'elle fut prête, il se la mit à même les chairs, & il la portait continûment sans du tout l'ôter de dessus lui. Elle était serrée, lui mordait beaucoup la peau, & lui causait de vives douleurs, qu'il endurait cependant stoïquement, comme si de rien n'était.
Or il advint que Théodose dût aller servir à un repas de fête, donné chez le chef & où se trouvaient tous les notables de la ville. Il fut donc contraint par sa mère de s'habiller avec faste. Comme il passait son habit neuf, il ne put empêcher le regard inquisiteur de sa mère de distinguer sur sa chemise les sanglants stigmates. Elle s'approcha de lui. A peine vit-elle qu'ils étaient dûs à la ceinture de fer qui le serrait tant qu'elle fut reprise par son démon. Elle s'élança sur lui avec fureur, se mit à le frapper, déchira sa chemise & lui arracha la ceinture avec rage. Mais le bienheureux jeune homme, comme si ne lui advenait aucun mal, acheva de mettre ses nouveaux habits, & s'en fut paisiblement servir au banquet.
Il entendit un autre jour le Seigneur dire dans l'Evangile : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n'est pas digne de moi... ». « Ceux-ci sont ma mère & mes frères qui écoutent la Parole de Dieu & la mettent en pratique. » Il entendit également ces autres paroles : « Venez à moi, vous tous qui êtes chargés & fatigués, & je vous reposerai. Prenez sur vous mon joug, & apprenez que je suis doux & humble de coeur, & vous trouverez du repos pour vos âmes. » Le coeur de Théodose fut enflammé par ces paroles, & il fut illuminé. Et, brûlant d'amour divin, il méditait chaque jour à la façon dont il pourrait, à l'insu de sa mère, revêtir le saint schème monastique.
Par l'effet d'une économie divine, sa mère s'absenta de Koursk durant quelques jours. Et le bienheureux, plein de joie, après avoir prié Dieu pour ce faire quitta secrètement la maison.
Il marcha vers la ville de Kiev, parce qu'il avit entendu parler des moines qui y vivaient. Il ne connaissait cependant pas le chemin & priait Dieu de lui envoyer quelqu'un qui l'accompagnerait & le conduirait jusque là. Et voilà, Dieu voulant, que des marchands, avec leurs lourds paquetages & leurs chariots, avaient résolu d'emprunter le même itinéraire. A peine le bienheureux eut-il compris qu'ils allaient à Kiev, qu'il rendit gloire à Dieu & les suivit de loin, sans que ceux-ci s'en fussent avisés. Quand ils faisaient halte pour la nuit, il arrêtait lui aussi sa marche – à une distance qui lui permît de ne pas les perdre de vue - & il se reposait, ne s'appuyant que sur la protection du Seigneur.
Lorsqu'il arriva à Kiev, il visita tous les monastères & priait les moines de le recevoir. Mais eux, voyant un pauvre jeune homme aux habits usés ne témoignèrent nulle envie de le recevoir.
La volonté de Dieu était qu'il allât au lieu qui lui était destiné « depuis le ventre de sa mère « , ce qui advint.
Il arriva pour lors qu'il entendit parler de Saint Antoine, qui menait durement l'ascèse dans une grotte. Son coeur bondit & il se mit en route pour les grottes.
A peine eut-il aperçu le Saint Ancien qu'il tomba à ses pieds prosterné, le suppliant avec larmes de le recevoir & de le garder avec lui.
« Mon enfant, « lui dit Saint Antoine, ne vois-tu pas combien étroite & affligeante est cette grotte? Tu ne pourras pas rester en ce lieu étroit.
Il ne dit pas ces paroles pour l'éprouver, mais parce qu'il voyait prophétiquement que Théodose allait agrandir ce lieu & fonder un monastère célèbre, où beaucoup de moines se rassembleraient.
Illuminé par Dieu, Théodose lui répondit en suppliant :
Sache, vénérable Père, que le Christ m'a conduit à ta sainteté pour que je fusse sauvé, & je suis prêt à faire ce que tu me diras
Alors Saint Antoine lui dit :
Béni soit Dieu, mon enfant, qui t'inspires de tels efforts & te fortifie pour ce faire. Voici un lieu pour toi. Restes-y.
Le bienheureux Théodose se laissa de nouveau tomber à genoux, demandant la bénédiction de l'Ancien. Celui-ci le bénit, puis donna l'ordre au bienheureux Nikôn, qui était prêtre, de le tonsurer. Celui-ci prit Théodose, le tonsura comme un innocent agneau, selon la règle des Saints Pères, & le revêtit de ses habits de moine. Théodose avait alors vingt-trois ans. C'était l'époque où Kiev avait pour chef Yaroslav Vladimirovitch.
Saint Théodose se vouait maintenant de toute son âme à Dieu ainsi qu'à Saint Antoine, son Ancien, lequel était théophore, c'est-à-dire porteur de Dieu. Il s'adonnait à de grandes ascèses & soutenait avec joie le joug de la vie monastique.
Ses nuits, il les consacrait à rendre grâces à Dieu, en d'incessantes doxologies, refusant le repos du sommeil. Le jour, il se menait la vie dure par la tempérance, le jeûne, & le travail de ses mains. Il se rappelait toujours le Psalmiste disant : « Vois mon humilité & ma peine, & pardonne-moi tous mes péchés. »
Par la tempérance & le jeûne, il humiliait son âme, & par al veille & le travail de ses mains, il malmenait son corps, au point de provoquer l'admiration de Saint Antoine & du bienheureux Nikon. Ils l'admiraient pour son intelligence, son humilité, son obéissance, son audace, & son courage -bien qu'il soit si jeune-, & ils en glorifiaient Dieu.
Dans l'intervalle, sa mère le cherchait partout, en ville & dans les environs, mais ne le trouvait nulle part. Avec d'amers sanglots, elle le pleurait comme un mort. Elle fit dire dans toute la région de l'avertir si on le voyait, en échange d'une forte récompense. Et voici que des gens de Kiev vinrent lui annoncer :
-Nous l'avons vu dans notre ville, à Kiev, il ya à peu près quatre ans de cela. Il cherchait un monastère pour y devenir moine.
Elle, à peine eut-elle appris cette nouvelle, sans regarder à la distance, se mit sans retard en route pour Kiev. Après qu'elle eût cherché en vain dans tous les monastères, se fit dire d'aller aussi aux grottes, chez l'Ancien Antoine. Comme elle y arrivait, elle chercha le célèbre ascète.
« Dites au Saint, » disait-elle aux Pères, « que je suis venue de très loin pour le vénérer & pour prendre sa bénédiction. »
L'Ancien, à peine fut-il averti, qu'il sortit de sa grotte. La mère de Théodose lui fit une profonde métanie jusqu'à terre, lui demandant sa bénédiction. L'Ancien la bénit, puis la reçut en entretien. Elle lui parla longuement, ensuite de quoi elle lui découvrit la raison de sa venue.
« Je t'en prie donc, Père », lui dit-elle. « Dis-moi la vérité. Mon fils est-il bien ici, lui pour lequel j'ai tant souffert, sans savoir s'il était vivant? «
- Ton fils est vivant. Ne t'afflige pas & ne sois pas en peine de lui. Il se trouve ici.
Pourrais-je, Père, le voir? J'ai fait tant de chemin pour arriver jusqu'ici. Le voir seulement ! Après quoi, je m'en vais.
« C'est à lui de décider », lui répondit l'Ancien, s'il veut voir quelqu'un. Reviens donc demain au petit matin, &, moi, je l'en aurai averti.
Elle fit une métanie & s'éloigna. Le Saint entra dans la grotte pour avertir le bienheureux Théodose, dont l'affliction fut grande lorsqu'il apprit que sa mère l'avait retrouvé.
Très tôt, le matin suivant sa mère arriva. Mais Théodose ne consentit pas à la voir, malgré toute l'insistance de son Ancien.
« J'ai beaucoup supplié ton fils de venir te oir, mais il ne veut pas, « lui dit Saint Antoine.
A ces paroles, la bonne femme jusqu'alors restée humble fut hors d'elle. Elle opposa, pleine de fureur :
Oh! que moi je m'abaisse à supplier cet Ancien! Celui qui m'a pris mon enfant, l'a caché dans une grotte, & refuse de le présenter à mes yeux! Qu'il me montre mon enfant ! Je n'en peux plus! Je vais mourir si je ne le vois pas! Ou tu m'amènes mon enfant, ou je me tue, là, devant l'entrée de la grotte.
Ennuyé, le Saint alla de nouveau supplier Théodose, qui, pour ne pas chagriner son Ancien, obéit, & cette fois sortit. Celle-ci, à peine l'eut-elle vu, le visage creusé, & les traits marqués par l'ascèse, qu'elle se jeta à son cou & versa longtemps des larmes amères.
Lorsqu'elle eut commencé à se remettre de ses sanglots, elle lui adressa ces ferventes suppliques:
Reviens, mon enfant, à la maison. Ce que tu fais ici pour ton âme, tu pourras aussi bien le faire là-bas. Viens, pour demeurer auprès de moi. Viens ensevelir mon corps lorsque je m'en irai de ce monde, & alors tu retourneras à ta grotte. Pour moi, mon enfant, je ne peux pas vivre sans voir ton visage.
Et celui-ci lui répondit :
Ah! Mère! Si tu veux me voir, reste ici à Kiev. Deviens moniale au monastère de femmes. Tu me verras de temps à autre, & tu assureras ton Salut. D'autre sorte, je t'assure que tu ne saurais jamais plus me voir.
Quelques jours durant, tandis que sa mère le visitait, il l'exhortait & tentait de l'amener à la pénitence. Celle-ci cependant ne voulait pas entendre parler de monastère.
Dans l'entre-temps le Saint, dès qu'elle s'était éloignée, rentrait dans la grotte & s'adonnait à une intense supplique. Il suppliait Dieu de convertir son coeur, pour qu'elle rçut ses salutaires conseils. Et Dieu entendit les Prières de son serviteur, conformément aux paroles du prophète: « Le Seigneur est proche de tous ceux qui l'invoquent en Vérité. Il fera la volonté de ceux qui le craignent & il entendra leur supplication. »
C'est ainsi qu'en peu de temps sa mère se montra différente de ce qu'elle était.
« Oui, mon enfant », lui dit-elle, « je ferai ce que tu m'as demandé. Je ne rentrerai pas chez moi, mais puisqu' ainsi Dieu l'a jugé bon, je resterai au monastère de femmes, pour y vivre en moniale le restant de ma vie. J'ai compris à présent combien ce monde est éphémère.
L'esprit de son fils se réjouit à ces paroles, & il se hâta d'en faire part à Saint Antoine. Celui-ci rendit gloire à Dieu pour le retour à Lui de Sa servante, & sortit lui dire des paroles salutaires. Ensuite de quoi, il fit intervenir la princesse pour faciliter son entrée au monastère de femmes voué à Saint Nicolas. Là, elle fut tonsurée moniale, & après avoir vécu dans la pénitence les années, relativement nombreuses, qui lui restaient à vivre, elle s'endormit dans le Seigneur.
Les combats ascétiques de Saint Théodose dans les grottes le rendirent très rapidement vainqueur des puissances du Mal. Et lorsque sa mère eut dépassé sa souffrance & fut devenue moniale, alors il s'adonna à de plus grandes ascèses encore, consumé d'amour divin. Dans les grottes alors, l'on pouvait voir comme trois veilleuses allumées, qui, par la Prière, & par le jeûne, dissipaient la ténèbre des démons : Saint Antoine, le bienheureux Théodose, & le grand Nikon.
Lorsque plus tard, en 1062, le chef s'emporta contre les moines des grottes, parce qu'ils avaient reçu au monastère le boyard Varlaam & l'eunuqye Ephrem, le bienheureux Nikon fut contraint de fuir avec quelques-uns des frères. Il alla à Tmoutarakan, sur la rive orientale de la mère d'Azov, où il fonda un monastère, & demeura jusqu'en 1068. Alors, Saint Théodose, Dieu voulant, & Saint Antoine le désirant, fut ordonné prêtre.
Prêtre, il célébrait chaque jour la divine liturgie dans un esprit d'humilité. L'on distinguait sur ses traits sa douceur naturelle, la paix des pensées, & la simplicité du coeur. Il était plein d'esprit de sagesse & nourrissait de l'amour pour tous les frères qui s'étaient réunis autour de Saint Antoine.
Après un assez long temps, Saint Antoine remit l'higouménat au bienheureux Varlaam, & se retira sur une colline paisible. Là, il ouvrit une autre grotte, & poursuivit sa vie d'ascèse.
L'higoumène Varlaam & les frères, après avoir demandé les Prières & la bénédiction du Saint, continuèrent à vivre saintement & vertueusement dans la première grotte. Mais parce que cependant la fraternité peu à peu s'agrandissait, & que l'espace de la grotte ne fut plus suffisant pour leurs assemblées de Prière, le très pieux Théodose & le bienheureux Varlaam, avec la bénédiction de Saint Antoine fondèrent au-dessus de la grotte une église de bois plus vaste, consacrée à la Dormition de la Mère de Dieu, pour que pussent s'y assembler les frères & accomplir leurs offices.
L'étroitesse de la grotte, & les peines de l'ascèse causaient aux Pères bien des maux & de grandes afflictions, que seul Dieu sait & qu'une langue humaine
ne saurait exprimer.
Ils se sustentaient avec de l'eau & un peu de pain de seigle.. Ils ne prenaient de nourriture cuite que le samedi & le dimanche. Et ce, pas même toutes les semaines, parce que parfois il n'y en avait pas, auquel cas ils se contentaient d'herbes bouillies.
Entre leurs autres tâches, ils tressaient chaque jour des paniers, & les vendaient, & avec l'argent qu'ils en recevaient, ils achetaient du blé. La nuit, chacun broyait sa part, après quoi ils rassemblaient la farine pour confectionner du pain.
Avant l'aurore, ils se rassemblaient dans l'église pour les mâtines. Puis, ils allaient à leur travail manuel, qu'ils destinaient à la vente. S'il leur restait du temps, ils travaillaient aussi au jardin. Ensuite ils célébraient à l'église les heures & la divine liturgie. Puis, prenant un peu de pain, ils continuaient leurs tâches, qui duraient jusqu'à l'heure des vêpres & des complies. C'est ainsi qu'ils se macéraient chaque jour, voués à l'amour de Dieu.
Saint Théodose, qui était maintenant aussi prêtre, frappaient tous les frères d'étonnement par ses jeûnes, son courage, son ardeur au travail, son humilité, & son obéissance. Il était empressé à servir tout le monde. Il faisait la corvée d'eau ou allait dans la forêt chercher le bois. Parfois, tandis que les frères se reposaient, il rassemblait le blé qu'il fallait moudre & en faisait seul de la farine, travaillant & priant toute la nuit.
Un jour que s'étaient abattus beaucoup de moustiques dans la campagne, il sortit de la grotte la nuit, pour un surcroît d'ascèse. Il s'exposa à leurs piqûres le torse nu jusqu'à la ceinture, & de ses mains tressait des paniers, tandis que ses lèvres psalmodiaient les psaumes de David. En dépit du fait que tout son corps le démangeait, il resta immobile à sa place jusqu'à l'aube. Ensuite, il alla à l'église pour les mâtines. Et durant tout l'office, il ne bougea pas de sa place, ni n'éloigna son esprit de la prière.
Ainsi, tous les frères l'aimaient, le tenant pour leur Père spirituel, & l'admirant extrêmement pour son humilité & son obéissance.
Mais il advint un jour que le bienheureux Varlaam, l'higoumène de la fraternité, fut appelé par le chef Iziaslav, pour assumer l'higouménat du monastère du Saint grand martyr Dimitri, que lui-même avait fondé.
Le chef avait ambitionné, avec la fortune qu'il y avait dépensée, de conférer assez de grandeur à son monastère pour passer en éclat le monastère des grottes. Il s'égarait cependant dans la vanité. Parce que nombre de monastères sont fondés avec les trésors des chefs & des rois. Ils n'ont cependant pas la dignité de ceux qui sont fondés par les prières & les larmes, les jeûnes & les veilles des Saints. Saint Antoine, le fondateur des grottes n'avait ni or ni argent, mais il planta sa vigne spirituelle avec ses jeûnes & l'arrosa de ses larmes. C'est pourquoi le monastère fut richement agrandi & béni par Dieu.
Quand donc le bienheureux Varlaam partit au monastère de Saint Dimitri, les frères allèrent d'un commun accord demander à Saint Antoine de mettre Saint Théodose à l'higouménat. Saint Antoine donna son accord. Avec sa bénédiction, Saint Théodose devint higoumène de vingt frères.
L'admirable Théodose, lorsqu'il devint higoumène, n'abandonna pas son esprit d'humilité, mais se rappelait toujours les Paroles du Seigneur : « Que celui qui veut être le premier parmi vous, soit votre serviteur. » Il s'humiliait lui-même & se faisait le dernier & le serviteur de tous. En toute chose, il se montrait un parangon de vertu, modèle des oeuvres bonnes. S'agissant de son travail & de l'église, il était le premier à y aller & le dernier à en partir.
Les supplications à Dieu du juste Théodose apportaient beaucoup de bénédictions, & la vie des frères allait en florissant & de progrès spirituel en progrès spirituel. Comme la graine tombée en une terre fertile & produisant du fruit au centuple, ainsi grandit en peu de temps la communauté des frères, jusqu'à atteindre le nombre de cent moines. Et tous progressaient dans la Prière en une vie vertueuse.
Avec l'agrandissement de la fraternité, la grotte ne pouvait plus offrir une vie de silence. De même, la petite église sise au-dessus ne suffisait plus pour les offices. Le Saint ne se montrait cependant jamais contrarié par cette triste atmosphère. Au contraire, il consolait chaque jour les moines, & leur enseignait à ne pas se soucier des choses terrestres. Il leur rappelait les paroles du Seigneur : « Dans la maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures », & « Demandez d'abord le Royaume de Dieu & Sa Justice, & tout le reste vous sera donné par surcroît ».
Dans l'entre-temps, il trouva non loin de la grotte un lieu propice & le jugea propre à la fondation d'un monastère. Il commença à croire & à espérer en la possibilité d'un agrandissement, & montra beaucoup d'intérêt à son acquisition.
Ils prirent la bénédiction de Saint Antoine & se rendirent auprès du chef Iziaslav pour acquérir cette terre. De fait, il leur concéda cette extension, &, en peu de temps s'y éleva, avec l'aide de Dieu, une grande église de bois, consacrée à la Dormition de la Mère de Dieu. Ils y firent également de nombreuses cellules, & les frères s'y installèrent. Ce lieu fut particulièrement béni de Dieu & devint un monastère illustre, Petserskaïa, dont le nom est dû aux grottes où demeurait anciennement la communauté des moines, & qui s'est conservé jusqu'à nos jours.
Avec cette nouvelle figure que prenait leur vie, Saint Théodose songeait aussi au typikon qu'il allait donner pour règle au monastère. Ce sujet lui importait grandement. Il s'en remit aux Prières & à la bénédiction de Saint Antoine. Dieu ne tarda pas à répondre. Dans le plan de son économie divine, il fit en sorte que leur fût connue la règle du monastère du Studite.
Le pieux moine Michel, qui venait de Grèce, se trouvait alors auprès d'eux. Il était venu de Constantinople, accompagnant le métropolite de Kiev nouvellement ordonné en 1062, Georges. Il informa donc Saint Théodose de la vie agréable à Dieu des moines studites, vie que lui-même avait été jugé digne de partager.
Le Saint fut bien heureux d'apprendre en quoi consistait cette règle. Il envoya sans tarder un frère à Constantinople avec l'ordre de trouver le moine Ephrem, eunuqye, qui alors revenait des Lieux Saints, & de lui confier cette tâche : visiter le monastère du Studite, d'en maîtriser dans lle moindre détail l'ordonnancement & le typikon, & de tout consigner avec la dernière précision, pour leur montrer comment ils psalmodiaient, comment ils lisaient, comment ils faisaient les métanies, comment ils se tenaient à l'église, au réfectoire, ce qu'ils mangeaient chaque jour, etc...
De fait, le bienheureux Ephrem, conformément à l'ordre du Saint, s'en fut suivre la règle du monastère, consigna par écrit avec précision tout le typikon, & s'en revint.
A peine Saint Théodose eut-il eu ce texte entre les mains, qu'il ordonna de le lire à toute la communauté. Depuis lors, la Lavra Petserskaïa se mit à suivre le typikon studite. De là, ils le transmirent à d'autres monastères, de la façon précisément dont le Saint l'avait mise en pratique. Ainsi, tous les monastères russes, qui auparavant ne connaissaient pas cette règle monastique, se tournaient à présent vers Petserskaïa & considéraient en toute chose la Lavra comme leur modèle.
Durant toute la durée de son higouménat, Saint Théodose ne cessa pas de briller par sa vie vertueuse. Il recevait les novices avec une grande chaleur de coeur.
Il savait l'affliction que goûte celui qui désire mener la vie monastique & n'y est pas admis. Lui-même avait goûté cette affliction quand, naguère étant part se faire moine, les monastères de Kiev lui avaient fermé les portes.
Il ne se hâtait cependant pas de tonsurer quelqu'un moine, ni ne lui mettait aussitôt l'habit monastique. Il le laissait assez longtemps avec ses habits de laïc, jusqu'à ce qu'il connût bien la vie du monastère. Après l'avoir éprouvé dans toutes les diaconies & autres tâches du monastère, il le tonsurait moine petit schème. Plus tard, s'il se distinguait par la pureté de sa vie, il le jugeait digne de porter le grand schème angélique.
Il ne cessait d'inciter ses disciples à une vie de pénitence. Le Saint avait aussi l'habitude de passer, la nuit, par toutes les cellules, pour voir comment chaque frère adorait le Seigneur. Quand il comprenait qu'il priait, il glorifiait Dieu, plein de joie. Mais lorsqu'il voyait que deux ou trois frères s'étaient assemblés dans une cellule après le dîner pour parler & s'entretenir ensemble, il frappait à la porte, & s'éloignait attristé. Ainsi leur donnait-il à entendre sa présence. Le matin, il les appelait, & avec des exemples appropriés, les exhortait à se tendre vers Dieu. Le frère qui était humble de coeur saisissait sa faute, lui faisait une métanie, & demandait pardon. Celui qui avait le coeur assombri sous l'influence du Diable & qui ne discernait pas sa faute, mais se considérait comme innocent & regardait les paroles du Saint comme sans lien avec sa situation, il le corrigeait longtemps & le laissait après lui avoir donné une épitimie pour le punir de sa faute. Ainsi donc, il les enseignait tous à s'adonner à leur prière, à ne pas parler après le dîner, à ne pas aller de cellule en cellule, & à rester prier dans la leur. Il leur disait également, pendant qu' ils travaillaient le jour, de dire en même temps, s'ils pouvaient, les psaumes de David.
Entre autres exhortations, il leur disait :
Je vous en prie, mes frères. Progressons dans le jeûne & dans la prière , soucions-nous du Salut de nos âmes, revenons de nos mauvais penchants & des voies du Malin.
« Approchons-nous de Dieu avec des gémissements, & des larmes, avec notre repentir, nos veilles, & notre obéissance, en sorte d'attirer sa miséricorde. Et haïssons le monde présent, en ayant toujours à la pensée les Paroles du Seigneur : « Si quelqu'un vient à moi, & ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères & soeurs & sa propre âme, il ne peut pas être mon disciple. » Et encore : « Celui qui a trouvé son âme la perdra, & celui qui aura perdu son âme à cause de moi la trouvera. »
« Ainsi, nous aussi, frères, qui avons renoncé au monde, renonçons aussi aux choses de ce monde. Haïssons le mensonge, qui nous entraîne à des choses pitoyables, & ne retournons pas à nos précédents péchés, « comme un chien retourne à son vomi. » Parce que, comme le dit le Seigneur, nul qui met la main à la charrue & regarde en arrière n'est digne du Royaume de Dieu.
« Comment fuirons-nous l' Enfer éternel, si nous finissons notre vie dans la paresse & sans pénitence? La repentance est la clef du Royaume des Cieux, & sans elle, nul ne peut le gagner. Elle est la route qui mène à la patrie céleste. Suivons-la avec crainte de Dieu, & assurons solidement nos pas sur elle. De la voie de la pénitence n'approche pas le Malin Démon, & bien qu'elle soit jonchée d'afflictions, plus tard elle nous remplit de joie. Avant que n'approchent les deniers jours, prenons cette voie-là, pour gagner les biens à venir. »
Lui-même exerçant toutes les vertus, par son exemple il enseignait les frères, qui recevaient comme une terre fertile la semence de son enseignement, & produisaient du fruit, selon la Parole du Seigneur, « l'un trente, l'un soixante-dix, l'autre cent ».
L'on pouvait voir ces hommes vivre comme des anges sur la terre, & la Petserskaïa ressembler à un Ciel, à la voûte duquel rayonnait comme un grand astre Saint Théodose avec ses oeuvres vertueuses.
Bien des fois aussi, il brillait réellement dans la Lumière incréée, dont Dieu le glorifiait.
Il advint, par une nuit sombre, tandis que Sophrone, l'higoumène du monastère de l'archistratège Michel, s'en retournait à son monastère, qu'il vit au-dessus de la Petserskaïa une Lumière admirable qui configurait la forme & avait l'aspect de Saint Théodose. Stupéfait alors, il glorifia Dieu :
Grande est Ta Grâce, Seigneur! Tu as montré de nos jours un tel luminaire, qui rayonne sur toute la Petserskaïa.
Et beaucoup d'autres aussi virent à plusieurs reprises cette Lumière, & le racontèrent partout.
Alors commencèrent à venir à lui bien des gens, qui lui confessaient leurs péchés, & s'en retournaient ayant toujours tiré un grand profit spirituel de son entretien. Ils se mettaient alors à offrir aussi des subsides pour les nécessités du monastère & de sa fondation. Quelques-uns même donnaient leur bien.
Le chef Iziaslav aimait beaucoup le Saint. Souvent, il l'appelait auprès de lui, tandis que, bien des fois, lui- même le visitait & se réjouissait de ses Paroles emplies d'Esprit.
Entre ses autres canons, le Saint s'était fixé aussi cette règle : Il avait ordonné au portier de n'ouvrir la porte à aucun visiteur après le déjeuner jusqu'à l'heure des vêpres. Il en avit décidé ainsi pour que les frères pussent se reposer à la sieste, après la peine qui avait précédé, la veille de la nuit, les prières & les offices, les diaconies, etc...
Un jour après midi, le chef Iziaslav s'était mis en route pour le monastère avec son jeune fils. A peine arrivé, il descendit de cheval - parce qu'on ne pouvait pas entrer au monastère à cheval-, frappa à la porte d'entrée, & demanda qu'on lui ouvre. Le portier, cependant, lui répondit :
J'ai ordre de l'Ancien de n'ouvrir la porte à personne jusqu'à l'heure des vêpres.
Tu ne m'ouvriras donc pas à moi non plus? Demanda le chef.
Le portier cependant ne comprenait pas qui il était :
« Mais je te dis, » persista-t-il, « que l'higoumène m'a dit : « Et même si vient le chef lui-même, toi, ne lui ouvre pas la porte. » Prends donc un peu patience jusqu'à l'heure des vêpres & tu entreras.
Mais c'est moi! Le chef, en personne!
Alors, le portier s'approcha de la porte, & vit que c'était bien Iziaslav. Malgré cela, il ne lui ouvrit pas, mais se hâta d'aller prévenir l'higoumène.
Le Saint vint le recevoir, & l'accueillit avec tous les honneurs.
« Quel ordre sévère est-ce là, » lui dit Iziaslav, au point que ce moine dise que si même le chef venait, il ne faudrait pas lui ouvrir la porte!
« Mon chef béni », lui expliqua le Saint, nous en avons décidé ainsi pour que les frères pussent réparer leur fatigue de la veille de nuit. Ta dévotion à la Mère de Dieu est louable, et ta venue, qui montre ton progrès spirituel, nous donne une grande joie.
Ils allèrent à l'église, où le Saint adressa une courte supplication, puis ils s'assirent pour un entretien spirituel. Iziaslav se réjouissait tellement
des paroles qui coulaient comme du miel de la bouche du Saint qu'il ne s'en rassasiait pas. Enfin, très édifié, il repartit à son palais, glorifiant Dieu. De ce jour, il se mit à aimer beaucoup plus encore le Saint, à le regarder à l'égal des Saints Pères des temps anciens, & à écouter chacun de ces préceptes.
Quoiqu'il fût très honoré des chefs, Saint Théodose ne s'enorgueillissait pas pour autant. Bien qu'il fût tout entier Lumière, il tâchait de se cacher davantage jusqu'à vouloir se faire invisible.
Il s'humiliait toujours davantage. Il travaillait de ses mains tout le jour, & enseignait non en paroles, mais en actes.
Bien qu'il fût higoumène, il allait souvent à la cuisine, & travaillait avec les frères. Il pétrissait très bien le pain, en même temps qu'il consolait & fortifiait spirituellement les frères, pour qu'ils ne flanchent pas dans leur dur travail.
Un jour, tandis qu'approchait la fête de la Dormition de la Mère de Dieu, il n'y avait pas d'eau à la cuisine. Le frère Théodore, qui était alors cuisinier, s'adressa au Saint, disant :
Je n'ai personne pour m'apporter un peu d'eau.
Alors le Saint se leva & se entreprit d'aller seul tirer l'eau du puits. Mais comme un frère le voyait se fatiguer ainsi, il se hâta d'aller le crier aux autres. Tous accoururent avec empressement, & apportèrent tant d'eau que les récipients du cuisinier débordaient.
Une autre fois, comme il n'y avait pas de bois prêt pour la cuisine, le même Théodore dit à l'Ancien :
« Géronda » – ce qui veut dire « Ancien » -, « dis à quelqu'un qui n'a pas de travail d'apporter du bois, parce que j'en ai besoin.
Et le Saint répondit :
Je n'ai aucune tâche pour l'instant; je vais y aller.
C'était l'heure du repas. Le bienheureux donna l'ordre aux frères d'aller à table, tandis que lui, avec sa hache commençait à couper du bois. Lorsque le repas fut terminé, & que les Pères virent leur higoumène couper du bois, ils prirent eux aussi des haches & en coupèrent tant qu'il en resta pour des jours durant.
Lorsque le bienheureux Nikon s'en revint à Petserskaïa, le Saint, quoiqu'il fût higoumène, l'honora comme son père. Et bien des fois il l'aida, lorsque Nikon exerçait la diaconie de relieur. Il lui fabriquait les fils qui étaient nécessaires à sa reliure. Tant il était simple & humble.
Les vêtements encore qu'il portait étant higoumène étaient pauvres & simples. Il portait sur la peau une chemise, qui était faite de gros crin & qui l'irritait. Semblable aussi était la skouphia qu'il portait sur la tête. Elle était longue & très serrée, en sorte qu'elle lui couvrait toute la tête & qu'on ne distinguait pas même un de ses cheveux.
Une fois le Saint alla pour quelque affaire voir le chef, qui demeurait alors loin de la ville, & il s'attarda jusqu'au soir. Iziaslav mit un chariot à sa disposition pour qu'il puisse faire en se reposant le voyage de nuit.
En chemin, le jeune garçon qui conduisait, le voyant avec cette pauvre mise, n'imagina pas qu'il était higoumène.
« Hé, toi, le moine! » lui dit-il. Toi, tout le jour, tu paresses. Moi, pourtant, je trime, & je voudrais maintenant dormir. Reposé comme tu es, viens t'asseoir sur le cheval pour conduire. »
Le Saint, avec beaucoup d'humilité se leva, aida le petit à monter & à s'allonger dans le chariot, puis il monta lui-même sur le cheval. Comme il avançait, assis sur la bête, il eut des nausées à cause du jeûne. C'est pourquoi il descendait de temps en temps& marchait à pied. Lorsqu'il était fatigué, il remontait sur l'animal.
Vers l'aube, ils rencontrèrent des notables qui se rendaient auprès du chef. Du plus loin qu'ils reconnurent le Saint, ils descendirent de leurs montures pour le saluer bien bas.
Alors le Saint dit au petit :
Vois, il fait jour déjà. Viens t'asseoir sur le cheval.
Le petit, comme il voyait les boyards s'incliner devant le Saint, fut pris d'une grande peur, & s'assit sur le cheval en tremblant. Comme ils avançaient, ils rencontraient toujours plus de notables qui s'inclinaient. Cependant la crainte du petit ne cessait de croître.
Comme ils arrivaient au monastère & mettaient pied à terre, les frères firent une métanie, chose qui troubla encore davantage le petit.
« Qui est donc cet homme, pour que tous s'inclinent devant lui ? » se demandait-il.
Le Saint le prit alors par la main, & le conduisit au réfectoire. Il y demanda qu'on lui donne à manger, & après qu'on lui eut donné un peu d'argent, il le laissa repartir.
Tout cela fut rapporté par le petit lui-même, qui le confessa aux frères, parce que le bienheureux Théodose n'en révéla pas le moindre détail.
Chaque jour, le Saint conseillait aux frères de ne s'enorgueillir de rien. « Le moine, » disait-il, « doit être humble & se faire le plus petit de tous. Le modèle de l'humble moine est celui qui, les bras croisés sur la poitrine, se penche & fait une métanie aux autres, comme il convient précisément à quelqu'un qui est à l'obéissance. »
Il cultivait systématiquement chez les moines l'esprit d'humilité, & il leur demandait avant tout travail de demander la bénédiction de leurs Anciens. » Celui qui sème dans la bénédiction, » leur disait-il, « cueillera aussi de beaux fruits dans la bénédiction ».
Et ces vérités, il les vivait dans l'action de chaque jour, comme nous le verrons.
Pour ses pieux visiteurs, qui venaient pour leur édification spirituelle, il ajoutait aussi à son divin enseignement une table avec du pain, du vin, & des plats du monastère. Ce fut souvent le cas du chef Iziaslav, qui, un jour, tandis qu'il mangeait, dit, réjoui, au Saint :
- Chez moi, Père, il y a en abondance tous ces biens du monde. Et cependant, jamais les plats n'ont le goût délicieux que je trouve aux vôtres. Mes serviteurs préparent des choses variées & très coûteuses, mais ils n'arrivent pas à égaler les vôtres. Explique-moi, je t'en prie, ce qui les rend si succulents.
Et Théodose, qu'illuminait Dieu, & qui désirait attirer le chef à l'amour de Dieu, répondit :
Mon chef, puisque tu veux en savoir la raison, je te la découvrirai. Ici, dans notre monastère, avant que les frères ne commencent la cuisine, ils observent le canon suivant : Le chef cuisinier vient prendre ma bénédiction? Ensuite, il s'incline trois fois devant la Sainte Table, & avec un cierge prend du feu au cierge du prêtre, pour en allumer le feu de cuisson ou le four. Son aide, avant qu'il ne mette l'eau dans la marmite, demande la bénédiction de son chef. « Bénis, Père » , lui dit-il. « Dieu te bénisse, frère », lui répond celui-ci. Pour le dire brièvement, tout advient selon cette manière; c'est pourquoi nos plats ont tant de goût. Tes serviteurs, cependant, d'après ce que je sais, accomplissent leur service en se jalousant, en maugréant, & en disant du mal les uns des autres. Souvent même, ils reçoivent des coups de leurs supérieurs. Et, par manière générale, tout se fait dans le péché. C'est pourquoi tu ne peux pas trouver leurs plats très bons.
« En vérité, Père, il en est exactement ainsi que tu le dis, » répartit Iziaslav.
Quand le Saint apprenait que quelque chose s'était fait sans obéissance ni bénédiction,il le qualifiait de « part du Diable ». S'il s'agissait d'un plat, il ne permettait jamais aux frères d'y goûter. Il donnait l'ordre de le jeter au Dniepr ou de le brûler au feu.
C'est ce qui advint entre autres fois, celle du jour de la fête du grand martyr Dimitri, & Saint Théodose visitait avec quelques frères le monastère de ce Saint. Là, quelques pieux Chrétiens lui offrirent des pains de choix. Le Saint les envoya à Petserskaïa & commanda au cellier de les mettre à table, pour les frères qui étaient restés au monastère. Celui-ci, cependant, n'obéit pas. « Je les mettrai sur la table demain matin lorsqu'il y aura tous les moines », songea-t-il. « Maintenant je vais mettre de notre pain. » Ainsi fit-il.
Le lendemain, quand tous les frères s'assirent au réfectoire, le Saint vit les pains. Il cria alors au cellier :
Où as-tu trouvé ces pains?
Ce sont ceux que ta Sainteté m'as envoyés hier, Géronda. Parce que les frères étaient peu nombreux, j'ai pensé les mettre aujourd'hui où nous sommes tous là.
« Il aurait été préférable que tu obéisses, & que tu ne te fies pas à ta pensée, « le blâma sévèrement le Saint.
Et aussitôt il dit à un frère de mettre ces pains dans des corbeilles & de les jeter au fleuve, tandis qu'il infligeait au cellier une épitimie pour sa désobéissance.
Sachant que la cupidité & que le souci du lendemain ne conviennent pas aux moines conséquents avec leurs promesses, Saint Théodose prit une décision : Enseigner avec insistance aux frères la vertu de la non-possession, pour qu'ils apprennent à s'enrichir de foi & d'espérance & qu'ils ne s'appuient pas sur les biens matériels.
Bien des fois, il faisait des visites dans leurs cellules, & quand il y trouvait quelque chose à manger ou un vêtement de trop, ou toute autre chose superflue, il les jetait au feu. Il les considérait, nous l'avons dit, comme « la part du Diable », & comme un acte de désobéissance.
« Il ne faut pas, mes frères « , les exhortait-il, « que nous qui avons embrassé la vie monastique & qui avons renoncé aux chose du monde, les remettions de nouveau dans notre cellule. Quelle Prière pure offrirons-nous à Dieu, cependant que nous avons tant de choses dans notre cellule? « Là où est votre trésor, là aussi est votre coeur », nous dit le Seigneur. Contentons-nous, frères,de votre vêtement habituel & de la nourriture qui est sur la table. Qu'il n'y ait rien de plus dans notre cellule. Ainsi notre Prière montera d'un esprit pur vers Dieu, fervente.
C'est avec de tels conseils qu'il exhortait les frères. En aucun cas, il ne se montrait injuste, coléreux, ou acerbe; mais il était la bonté même envers tous. S'il se trouvait un moine négligent pour tomber dans le découragement & laisser le monastère, alors il était pris d'une grande affliction.. Il faisait à Dieu des Prières pleines de larmes pour que revînt au bercail la brebis qui s'était égarée. Et si le frère revenait, il le recevait plein de joie & l'instruisait spirituellement. « Toutes les âmes qui suivent la voie de la fuite sont sans courage », disait-il, « & cèdent à leurs passions les plus viles & au Diable ».
Il y avait au monastère un moine sans patience, qui régulièrement quittait le monastère, & après un temps revenait. Le Saint le recevait chaque fois avec joie. Il assura même les frères que Dieu ne le laisserait pas mourir dehors, mais que pour finir, il le prendrait du monastère au Ciel.
Un jour, après avoir bien des fois quitté le monastère, le frère revint, & supplia le Saint de le recevoir. De fait, compatissant, il l'admit de nouveau au nombre des brebis du troupeau.
Quelque temps après, le frère vint donner au Saint l'argent qu'il avait gagné dans le monde Il s'entendit cependant dire :
Si tu veux devenir parfaitement obéissant, jette-le au feu, parce qu'il provient de la désobéissance.
Celui-ci rassembla ce peu d'argent qu'il avait gagné dans le monde, & comme le Saint le lui avait ordonné, le brûla. Dès lors, il ne quitta plus le monastère. Il s'y endormit paisiblement, après avoir vécut dans la pénitence le restant des jours de sa vie. Ainsi se réalisa la prédiction du Saint.
De ces diverses manières, le Saint savait inciter à la non-possession & insuffler la foi & l'espérance, en sorte que nulle brebis ne soit égarée loin du troupeau.
Aux pauvres, le Saint témoignait beaucoup d'amour & de compassion. Quand il voyait quelque pauvre ou un mendiant, misérable & déguenillé, il souffrait de leur état & leur faisait l'aumône, les larmes aux yeux. C'est ainsi qu'il fut incité à fonder près du monastère un asile & une église dédiée au Saint protomartyr Stéphane, pour qu'y trouvent un toit les miséreux, les aveugles, les boiteux, les lépreux...Il donna l'ordre que le monastère se soucie de leurs nécessités, & leur donne la dîme. Chaque samedi également, il envoyait un chariot plein de pain aux prisonniers enchaînés.
Sa compassion se portait non seulement vers les pauvres, mais vers ceux même qui avaient outragé le monastère. Un jour, par exemple, on lui amena deux voleurs garrottés, qui avaient été surpris en train de voler dans le monastère. Lorsqu'il les vit attachés, & offrant un aspect affligeant, il en fut peiné, & pleura. Il demanda qu'on les délie & qu'on leur donne à manger. Puis il les exhorta assez longtemps à fuir le mal & les injustices. Et après qu'il leur eut donné des douceurs du monastère, il les laissa partir en paix. Ceux-ci en s'en allant glorifiaient Dieu & son Saint pour la miséricorde qu'ils avaient trouvée en lui; & dès lors, ils ne lésèrent plus personne, mais vécurent de leur propre travail.
Avec l'accroissement du nombre des frères, le Saint donna une extension au monastère. Il commença de ses propres mains, & avec les autres frères à fonder des cellules & à agrandir la clôture. A cette époque, comme le monastère se trouvait exposé, par une nuit fort sombre, il fut visité par des voleurs. Ils avaient en vue l'église, pensant que là, en diverses parties, ils trouveraient cachés les trésors du monastère.
Sans s'attaquer à aucune cellule, ils s'approchèrent de l'église, où ils entendirent une psalmodie. Ils s'imaginèrent qu'il y avait là des moines qui chantaient les complies. C'est pourquoi ils commencèrent par s'éloigner. Ils attendirent quelque temps dans l'épaisse forêt voisine, puis, avec l'espoir que l'office serait terminé, ils revinrent vers l'église. Mais, de nouveau, ils entendirent les mêmes hymnes, tandis qu'ils voyaient à présent dans l'église une Lumière surnaturelle. En même temps, ils sentirent un parfum à l'odeur indicible. C'étaient des anges qui psalmodiaient !
Les voleurs crurent que les frères célébraient à présent l'office de nuit, & ils s'éloignèrent de nouveau pour un temps. Ils réitérèrent leur tentative à plusieurs reprises, & les mêmes voix angéliques résonnaient toujours.
Dans l'entre-temps arriva l'heure de l'office du matin &, selon son habitude le marguillier se rendit tout d'abord à la cellule de Saint Théodose.
Bénis, Géronda ! cria-t-il.
Il prit sa bénédiction & signifia qu'il allait aux mâtines.
Les voleurs, lorsqu'il entendirent la simandre qui frappait pour le réveil des moines, se cachèrent dans le bois.
« Qu'allons-nous faire maintenant? « dirent-ils. Il semble que nous ayons eu des hallucinations, cette nuit. Laissons-les entrer dans l'église, puis jetons nous sur eux, & tuons- les tous. Ainsi nous mettrons la main sur leur fortune. »
Tels étaient les conseils qu'ils recevaient à l'instigation du Diable, qu'avaient cependant vaincu les Prières de Saint Théodose.
Les malfaiteurs attendirent donc assez longtemps, jusqu'à ce que fût rassemblé dans l'église le troupeau réuni par Dieu sous la houlette de leur bienheureux berger Théodose, & à peine eurent-ils commencé les psaumes des mâtines que les bandits coururent se jeter sur eux comme des bêtes sauvages.
Quand cependant ils arrivèrent devant l'église, ils furent arrêtés dans leur mouvement par un incroyable miracle : L'église, avec tous ceux qui se trouvaient dedans, commença de se soulever de terre. Elle fut alors suspendue dans les airs à une hauteur telle que les bandits ne pouvaient pas l'atteindre. Les Pères qui étaient à l'intérieur ne saisirent rien. Les bandits, devant le miracle, furent dominés par une peur immense, & retournèrent chez eux en tremblant. Dès lors, ils se repentirent, & prirent la décision de ne plus faire de mal à quiconque. Le chef des voleurs vint même avec trois autres voleurs au monastère & confessa au Saint tout ce qui était arrivé. Celui-ci, dès qu'il eut entendu ce récit, glorifia Dieu, qui les avait sauvés d'une mort effroyable, & qui avait même protégé les biens de l'église. Les voleurs, après qu'ils eurent entendu des paroles de Salut, s'en furent en glorifiant & en remerciant Dieu & Son Saint.
Le même miracle se répéta une seconde fois, & il fut ainsi manifeste que le Seigneur protégeait le monastère & son église.
L'un des boyards du chef Iziaslav traversait de nuit la plaine, à neuf kilomètres du monastère de Saint Théodose. Et voici qu'il aperçoit de loin une église suspendue très haut au-dessus des nuages. Frappé de crainte & de tremblement, il tourna bride & s'avança dans sa direction. Il voulait distinguer de près de quelle église il s'agissait. En s'approchant du monastère, il vit l'église redescendre & se tenir à sa place, dans le monastère.
Il accourut aussitôt auprès du Saint & lui révéla ce qu'il avait vu. Dès lors, il lui rendait souvent visite, & se réjouissait de ses sages paroles.
Il aida même à renflouer le monastère & participa à sa construction & à l'embellissement de l'église.
Dieu témoignait de Sa protection de façon miraculeuse, non seulement pour l'église, mais aussi pour la protection du monastère.
Il advint un jour que passent par une terre de Petserskaïa des voleurs, que l'on menait enchaînés à la ville pour les juger. Alors l'un d'eux, voyant le champ se mit à secouer la tête & à dire :
Une nuit, nous sommes venus ici pour prendre ce qu'il y avait, mais nous avons échoué. Nous avons trouvé la clôture si haute, qu'il était impossible de sauter pour y entrer.
Ainsi, Dieu, par les Prières de Saint Théodose, qui avait reposé toute son espérance en Lui, gardait des voleurs les biens du monastère. De fait, le Saint avait accoutumé de de faire chaque nuit en priant le tour du monastère. Avec ces Prières, il entourait le monastère & ses dépendances d'un rempart fortifié.
Saint Théodose, maître de tempérance & de non-possession, croyait que le Seigneur Lui-même enverrait, outre le nécessaire, ce que réclamait l'embellissement du monastère. Il fut conforté dans cette croyance par une intervention miraculeuse de la Mère de Dieu :
Un boyard d'Iziaslav, nommé Soutislav Guéouévitch, & qui après son baptême reçut le nom de Clément, partant un jour à la guerre, fit cette promesse :
- Si je rentre chez moi sain & sauf, je donnerai au monastère du bienheureux Théodose deux mille pièces d'or pour la Mère de Dieu. Je mettrai aussi sur son icône une auréole d'or.
Survint la guerre. Beaucoup d'hommes des deux camps furent tués. D'entre ceux qui se relevèrent pour rentrer vainqueurs chez eux, fut le boyard. Mais il oublia sa promesse.
Lors, quelques jours plus tard, vers midi, cependant qu'il dormait dans sa maison,il entendit dans son sommeil une voix l'appeler par son nom:
Clément!
Il en fut effrayé. Il se leva en sursaut; &, que vit-il? Devant lui se trouvait l'icône de la Mère de Dieu Toute Sainte – celle du monastère de Saint Théodose – qui lui criait :
Pourquoi, Clément, ne m'as-tu pas donné ce que tu m'as promis? Aie soin d'accomplir ta promesse!
A peine la voix se fut-elle tue que l'icône devint invisible.
Clément prit alors en tremblant les pièces d'or qu'il avait promises, apprêta aussi la couronne d'or pour la décoration de l'icône, & s'en fut à Petserskaïa pour les donner à Saint Théodose. Celui-ci prit le tout, sans savoir ce qu'il contenait.
Après quelques jours, le boyard lui-même, divinement inspiré, résolut d'offrir au monastère un Evangéliaire. C'est ainsi qu'un jour, l'Evangéliaire caché sous ses habits, il se rendit auprès du Saint. Après l'office, ils s'assirent pour s'entretenir. Clément ne disait rien de l'Evangéliaire. Mais le Saint lui dit soudain :
Frère Clément, donne-moi d'abord le Saint Evangile que tu as promis à la Mère de Dieu Toute Sainte, & que tu caches sous tes vêtements, après quoi nous continuerons cet entretien spiriteuel.
A ces mots, le boyard admira le charisme de clairvoyance du Saint, parce qu'à personne il n'avait rien dit de l'Evangile. Il le lui remit donc.
De retour chez lui, il claironna partout que Théodose le non-possesseur, qui s'en était remis à Dieu de toute chose, était orné non seulement d'oeuvres faites pour plaire à Dieu, mais aussi du charisme surnaturel de la diorasis.
Plus le Saint montrait de confiance à Dieu dans les différentes privations & les difficultés économiques, plus Celui-ci le couvrait de bienfaits. Des nombreux miracles qui ont trait à ce fait, nous rapporterons quelques-uns.
Le moine Hilarion, jour & nuit recopiait des livres dans la cellule de Saint Théodose, à l'heure où celui-ci chantaient les psaumes, en filant la laine.
Un soir, tandis qu'il travaillait, l'économe du monastère, le moine Anastase vint lui dire qu'il n'y avait plus d'argent pour le déjeuner ni pour les autres nécessités .
« Comme tu le vois, il est tard maintenant. D'ici l'aurore, nous avons le temps. Va donc prier, prends un peu patience, & Dieu aura souci de nous, » lui dit le Saint.
Lorsque le moine fut parti, le Saint gagna le fond de sa cellule, pour faire, comme il en avait l'habitude son canon de Prière. Puis, après sa règle, il se remit à sa tâche.
Mais voici que, peu après, l'économe revint l'importuner avec la même requête.
« Ne t'ai-je pas dit », l'interrompit le Saint, « de faire ta Prière. Calme-toi. Au matin, tu iras à la ville & tu achèteras avec foi ce dont nous avons besoin. Et plus tard, quand Dieu nous enverra l'argent, nous paierons notre dette. Il est digne de foi Celui qui dit : « Ne vous souciez donc pas du lendemain. » Le lendemain se souciera de lu-même. Le Seigneur ne nous privera pas de sa bénédiction.
Après le départ de l'économe, se présenta dans la cellule du Saint un jeune homme lumineux en habits brillants. Il s'inclina, posa sur la table une pièce d'or, & s'en alla aussitôt, sans rien dire. Le Saint se leva & prit la pièce dans les mains, rendant gloire à Dieu, les larmes aux yeux.
Le matin, il appela le portier pour savoir si quelqu'un était entré de nuit au monastère. Celui-ci lui assura que la porte était restée fermée depuis le coucher du soleil, & que personne n'était venu.
Alors il appela l'économe.
Comment dis-tu, frère Anastase, que nous n'avons pas d'argent? Va avec cette pièce d'or nous acheter ce dont nous avons besoin.
L'économe ne pouvait pas comprendre la bénédiction de Dieu. Il crut qu'il n'avait pas bien cherché, & c'est pourquoi il fit une métanie pour demander pardon.
« Mon frère », l'exhorta le Saint, « ne te désespère jamais. Aie confiance. Chacune de tes angoisses, remets-les au Seigneur. Lui se soucie de nos nécessités. Aujourd'hui, prépare un bon repas pour les frères, parce que c'est jour de Visitation divine. Et lorsque nous retomberons dans la pauvreté, Dieu aura de nouveau souci de nous, comme cela vient d'advenir. »
Un jour, le cellier Théodore annonça au Saint :
Aujourd'hui, nous n'avons rien à mettre sur la table pour les frères.
« Va », lui répondit celui-ci, & prie avec insistance Dieu qu'il nous fasse montre de Sa Providence. Au cas où nous n'en serions pas dignes, tu feras bouillir du blé, tu le mélangeras à du miel, & tu le présenteras aux frères. Cependant espérons dans le Seigneur. Celui qui a envoyé aux Israélites une nourriture céleste au désert peut faire la même chose aussi avec nous aujourd'hui.
Après le départ du cellier, le Saint se voua à une intense Prière.
Et voilà que Jean, le premier des boyards d'Iziaslav, fut illuminé par Dieu & leur envoya trois chariots remplis de nourriture, du pain, du fromage, des poissons, du vin, du blé, & du miel.
A ¨peine eut-il vu ce spectacle que le Saint glorifia Dieu de toute son âme.
« Tu vois, frère Théodore », dit-il au cellier »que le Dieu de Bonté ne nous a pas laissés, & qu'il suffit que nous espérions de toute notre âme en Lui. Va donc préparer un bon repas aux frères, parce qu'aujourd'hui le Seigneur nous a visités.
Une autre fois, se présenta à Saint Théodose un prêtre de la ville de Kiev, qui demandait du vin pour la divine Liturgie. Le Saint dit au marguillier de lui en donner. Celui-ci lui fit cependant savoir que le vin manquait & qu'il n'en restait qu'à peine pour trois ou quatre jours.
« Donne-lui tout ce qui reste, « ordonna le Saint, & Dieu aura souci de nous
. Cependant le marguillier en garda une part pour la Liturgie du lendemain.
Le prêtre prit le vin, & , voyant qu'il y en avait peu, le montra au Saint. Celui-ci alors gronda le marguillier :
Mais ne t'avais-je pas dit de tout lui donner? Ne t'inquiète pas pour demain, car Dieu ne peut pas priver l'église de Sa Mère de la divine Liturgie. Et non seulement cela, mais tu verras encore qu'aujourd'hui nos tonneaux déborderont de vin!
Alors le marguillier donna au prêtre tout le vin. Et le soir, après le repas, conformément à la prophétie du Saint, survinrent les bénédictions de Dieu : Un e pieuse femme, économe au palais du chef Vsévolod, envoya trois chariots pleins de tonneaux de vin.
Le marguillier ne savait pas comment glorifier Dieu, cependant qu'il admirait le don prophétique du Saint, qui, doué de proorasis, avait dit : « Aujourd'hui, Dieu fera déborder nos tonneaux de vin. »
Le même marguillier racontait un autre miracle qui était advenu par les Prières du Saint.
La fête de la Dormition approchait, & il n'y avait plus d'huile pour les veilleuses. Le marguillier songea à aller au pressoir. Lorsqu'il lui en demanda la permission, le Saint le laissa agir comme il l'entendait. Mais voici ce qui advint : Comme le marguillier allait utiliser le pressoir, il voit dans la jarre une souris morte. Il courut vite l'apporter au Saint.
Bien que j'aie bien soigneusement couvert le récipient une souris y est tombée & s'est noyée.
Le Saint, qui savait que Dieu avait permis cela pour le punir de son incrédulité, dit :
Il faut, frère, que nous espérions en Dieu; que nous croyions qu'il peut nous envoyer ce dont nous avons besoin. Que nous ne nous comportions pas comme des incrédules. Verse maintenant cette huile. Persévérons dans la Prière, & Lui nous enverras aujourd'hui de l'huile en quantité suffisante.
Le marguiller fit comme on le lui disait, &
le Saint se voua à sa Prière. L'après midi, un homme riche lui apporta une grande jarre d'huile. Et de nouveau le Saint glorifia Dieu qui avait si promptement entendu sa demande. Ainsi, non seulement toutes les veilleuses furent emplies d'huile, mais il en resta même suffisamment. Et le lendemain au matin, l'église de la Toute Sainte Mère de Dieu brillait sous les illuminations.
A une liste de miracles qui serait interminable, les prières du Saint subvenant à tous les manques, l'on peut aussi ajouter celui-ci :
Le chef Iziaslav, qui nourrissait un sentiment de profonde amitié envers Saint Théodose, & qui venait souvent se réjouir à goûter ses paroles douces comme le miel, fit un jour durer l'entretien avec lui jusqu'au vêpres. Il finit par se trouver encore là au dîner.
Survint subitement, par la volonté de Dieu, une pluie diluvienne. Alors le Saint donna l'ordre au cellier de préparer pour Iziaslav le repas du soir. Celui-ci lui annonça cependant qu'il n'y avait plus d'hydromel, & que dès lors on ne pourrait pas servir au chef & à sa suite la boisson d'usage.
« N'y en a-t-il plus du tout ? » demanda le Saint.
« Non », répondit le cellier.
Regarde pour voir s'il n'en reste pas un peu.
Crois-moi, Père, nous avons retourné la cruche.
« Va, &, au nom de notre Seigneur Jésus Christ, tu en trouveras », lui dit le Saint pelin de Grâce divine.
Comme le cellier retournait au pressoir, il trouva la cruche redressée, qui débordait d'hydromel. Stupéfait par le miracle, il courut l'annoncer au Saint.
« Garde le silence, mon enfant , » lui recommanda ce dernier. Ne dis rien à personne. Mets maintenant la table pour le chef; Donne aussi de l'hydromel aux frères. Aujourd'hui, c'est une bénédiction de Dieu.
Plus tard, lorsque la pluie eut cessé, le chef retourna à son palais.. Cette boisson bénie dura longtemps au monastère, & les frères en goûtèrent à satiété.
Une autre fois, le boulanger du monastère rapporta au Saint qu'il n'y avait pas de farine pour pétrir du pain.
« Regarde, « lui dit le Saint, « s'il n'en reste pas fût-ce un peu, auquel cas cela pourrait nous suffire jusqu'à ce que Dieu se soucie à nouveau de nous.
Le boulanger cependant insistait :
C'est moi-même qui ai rangé & balayé toute la boulangerie. Il ne reste que deux ou trois onces de farine.
Crois-moi, mon enfant. Dieu, à partir de ce petit reste, peut nous donner beaucoup de farine. Ainsi a-t-il fait au temps du prophète Elie pour la veuve. Dieu Lui-même a ce pouvoir maintenant aussi. Va donc voir si Dieu nous envoie Sa bénédiction.
Le boulanger s'en fut, & arrivant à la boulangerie vit que le fournil débordait de farine. Frappé par le caractère miraculeux de l'événement, il alla le rapporter au Saint.
« Ne révèle rien à personne, mon enfant « lui conseilla-t-il, « mais va pétrire du pain pour les frères. Grâce à leurs Prières, Dieu nous a richement envoyé Ses miséricordes.
Enseignant, conseillant, & redressant chaque jour les frères, Saint Théodose les affermissait dans les vertus, & les aidait à lutter avec plus de zèle. Et le Seigneur le soutenait & scellait ses paroles de miracles sans nombre.
Il passait toujours ses nuits en Prière. Avec beaucoup de génuflexions & de larmes, il rendait grâce & glorifiait Dieu pour tous ses bienfaits. Bien souvent les frères qui avaient pour diaconie celle de marguillier avaient l'occasion de s'en apercevoir.
Avant de sonner le réveil, le marguillier allait sans bruit à la cellule du Saint pour demander sa bénédiction. S'approchant, il l'entendait prier intensément, sangloter & se prosterner jusqu'à terre, en se frappant la tête contre le sol. Lors, il reculait un peu, & se mettait à marcher plus bruyamment, pour que le Saint l'entende. Celui-ci, à peine le comprenait-il qu'il cessait sa Prière & faisait semblant de dormir. Le marguillier frappait à la porte, disant l'habituel « Bénis, Père « . Mais le Saint ne répondait pas. Lorsqu'il avait frappé & répété le « Bénis, Père « pour la troisième fois, le Saint qui faisait semblant de se réveiller à peine, répondait : « Que notre Seigneur Jésus Christ te bénisse, mon enfant. » Puis il se rendait le premier à l'église. Il continua d'adopter cette tactique toutes les nuits de sa vie.
Durant son higouménat, il s'adonna aussi à bien d'autres ascèses, non seulement dans son intérêt spirituel, mais aussi dans celui du troupeau que lui avait confié Dieu.
Ainsi, jamais les frères ne le virent s'allonger. Quand il avait fini les complies, & qu'il voulait se reposer, il s'asseyait un peu. Après un bref temps de repos, il se levait & commençait les génuflexions, attendant l'office de minuit .
Jamais ils ne le virent se laver pour satisfaire son corps. Il se lavait seulement les mains & le visage. Quand il exhortait les frères à la tempérance, il donnait le premier l'exemple, se contentant de pain sec, d'eau & d'herbes bouillies.
Il n'était jamais non plus affligé. Au réfectoire, on ne le voyait jamais sombre. Sa mine était joyeuse, souriante, & son aspect était illuminé par le Grâce de Dieu.
Chaque année, durant le Grand Carême, il se retirait dans une grotte. C'est dans celle-ci que fut plus tard enseveli sa vénérable dépouille. Retiré dans la solitude, il menait là l'ascèse jusqu'à la semaine des Rameaux. Et le vendredi, après l'office de Lazare, il revenait s'asseoir à la porte de l'église. Il exhortait les frères, leur donnant du courage, & les consolant des peines du jeûne. Son ascèse, il la présentait comme nulle, comparée à leur lutte.
Ces jours-là, bien des fois, le Saint s'en allait de nuit, sans que nul s'en avisât, & il trouvait une autre grotte, éloignée & cachée, pour y mener seul l'ascèse, n'ayant que Dieu seul pour le voir. Et le vendredi, il revenait au monastère.
Dans la grotte où il menait l'ascèse, les malins démons le tourmentaient beaucoup, particulièrement lorsqu'après les vêpres il s'asseyait un peu pour se reposer. Certains démons poussaient de forts hurlements, d'autres passaient en trombe sur des chariots,, d'autres frappaient des tambours, & d'autres encore jouaient du chalumeau. Et sous tous ces cris & ce tremblement la grotte s'ébranlait toute.
Lui n'avait pas peur de tout cela. Il faisait le
signe de la croix, se levait de son siège, & commençait à psalmodier le Psautier.
Ainsi les cris, les bruits, & tout cet épouvantail démoniaque s'évanouissait.
A peine cependant s'était-il un peu assis pour se reposer que les bruits des démons recommençaient. Il se levait à nouveau, commençait debout la lecture des Psaumes, & les cris des démons disparaissaient. L'histoire se répétait à plusieurs reprises, & il ne pouvait pas même se reposer tant soit peu, jusqu'à ce qu'avec la Grâce de Dieu il sortît vainqueur du combat. Il reçut de Dieu le charisme contre le démon, & par la suite, les démons n'osaient pas même s'approcher de sa grotte.
Nous avons eu connaissance de bien des miracles du Saint. Nous en rapportons quelques-uns ici.
Les démons avaient l'habitude, quand ils préparaient au monastère la cuisson du pain, de faire beaucoup de dégâts. Il s répandaient la farine, jetaient à terre la levure, causaient différents dommages...Le boulanger en chef, dont c'était la diaconie, décrivit la situation à Saint Théodose. Celui-ci, un soir, visita la boulangerie, & s'y étant enfermé, s'y voua à la prière jusqu'à l'aurore. Dès lors, il n'y eut plus de démons dans cet endroit.
Un frère, qui nourrissait les animaux du monastère, vint voir le Saint pour se plaindre à lui :
Les démons se sont installés dans l'enceinte du monastère & y causent beaucoup de trouble. Avec le bruit qu'ils font, nos animaux ne peuvent pas manger tranquillement. Mon frère, plus ancien que moi, a prié bien des fois, & a jeté alentour de l'eau bénite, mais cela n'a rien fait.
Le Saint, une nouvelle fois armé de la Prière& du jeûne, se dirigea vers la clôture. C'était le soir lorsqu'il y arriva. Il ferma la porte, & toute la nuit veilla en Prière. Le résultat fut que dès lors, non seulement dans l'enceinte du monastère, mais dans toute la campagne alentour ne parurent plus de démons, & qu'ils n'y causèrent plus le moindre mal.
Saint Théodose ne s'arrêtait pas à ses victoires contre le Diable. Il voulait que les autres aussi puissent vaincre les puissances des ténèbres. C'est pourquoi, quand il apprenait que les mauvaises pensées combattaient sauvagement un moine, il l'appelait près de lui. Il l'incitait à résister aux machinations du diable, & ne pas avoir le dessous dans les attaques, à ne pas déserter le lieu du combat, à s'armer du jeûne & de la Prière, & à lutter jusqu'à ce que Dieu lui confère la victoire.
A propos de la lutte avec les démons, le Saint racontait au frère l'événement suivant, qui lui était advenu quan d il était plus jeune :
Une nuit, que j'étais dans ma cellule, & que je psalmodiais, j'aperçus devant moi un chien noir. Il se tenait là sans bouger, mais m'empêchait de faire mes métanies. Au début, je fis attention à lui. Plusieurs heures passèrent, après quoi je résolus de le frapper. A peine m'apprêtai-je à le faire qu'il disparut. Je fus alors pris d'une si grande peur que je voulus fuir cet endroit. Et je l'aurais fait si le Seigneur ne m'avait pas aidé. Lorsque je revins de ma panique, je commençai de prier intensément & de faire des génuflexions. A la fin, ma peur me quitta complètement. Dès lors, je ne tremblai plus, quelques apparitions démoniaques qui surgissent devant moi.
C'est avec ces paroles, & beaucoup d'autres, que le Saint affermissait les frères dans leur lutte contre les esprits malins.
Le frère Hilarion, dont nous avons parlé plus haut, raconta ce qui suit au bienheureux Nestor :
J'ai beaucoup souffert des démons dans ma cellule. Une nuit même, à peine étais-je tombé sur mon lit, que s'en présenta une horde entière. Les démons se jetèrent sur moi pour m'attaquer. Ils me tiraient par les cheveux, me traînaient à terre, & me frappaient. D'autres soulevaient le mur & me criaient, menaçants : « Nous allons le jeter sur toi pour te tuer ». Et cette situation continua aussi les nuits suivantes. Je n'en pouvais plus, & me réfugiai chez Saint Théodose. Je lui dis que je songeai à changer de cellule. Celui-ci cependant n'en demeura point d'accord. « Non, mon frère », me dit-il, « ne t'éloigne pas & ne fais pas la joie des malins démons, quand ils verront qu'ils ont réussi à te contraindre à la fuite. Ensuite, ils te feront encore plus de mal, parce qu'ils auront barre sur toi. Restes-y & cultive la Prière. Et Dieu, voyant ta patience t'accordera la victoire. » Mais je lui rétorquai : « Père, je t'en supplie! Il est impossible que je reste dans ma cellule. Il y a à l'intérieur un tas de démons sataniques ». Alors le Saint fit sur moi le signe de la croix & me dit : « Va, mon frère, dans ta cellule. Désormais tu ne les verras plus t'importuner. » Je crus le Saint, je lui fis une métanie, & je m'éloignai.
Les malins démons ne se présentèrent plus une fois dans ma cellule. Les prières de Saint Théodose les en avait chassés.
Le Saint Père Théodose se montrait courageux non seulement contre les ennemis invisibles, mais même contre ceux qui étaient manifestes.
Le Saint au caractère si noble désirait souffrir comme confesseur de la Vérité. L'évènement qui suit en témoigne :
Un an avant sa dormition, en 10073, à l'instigation du Démon, survint une querelle qui tourna au combat entre trois chefs russes qui étaient frères. Le chef de Tcherniguov, Sviatoslav, & le chef de Pérégiaslav, Vsévolod, déclarèrent la guerre au chef de Kiev Iziaslav, l'aîné. Ils réussirent même à prendre Kiev & à l'en chasser.
Ils invitèrent un jour Saint Théodose à un grand repas. Le Saint sachant combien Iziaslav avait été injustement chassé, répondit avec courage à leur envoyé :
Je ne juge pas que je doive venir à la table de Jézabel, ni manger une nourriture qui dégoutte de sang & pue le meurtre.
Après d'autres paroles semblables, il ajouta à la fin :
Rapporte, je t'en prie, ce que je t'ai dit à tes maîtres.
De fait, les chefs furent avertis de l'attitude du Saint, mais ils ne se courroucèrent pas contre lui. Ils comprirent qu'il avait raison. Cependant, ils n'écoutèrent pas ses conseils. Ils ne cessèrent pas de chasser leur frère, avant qu'ils ne l'eussent éloigné des frontières de son ancien royaume. Ainsi Sviatoslav prit Kiev & ses alentours, tandis que Vsévolod, parce qu'il était plus jeune, dut se contenter de Pérégiaslav.
Saint Théodose entama alors un réquisitoire implacable contre Sviatoslav. Il le condamna à l'infamie pour l'injustice qu'il avait commise, savoir s'être emparé illégalement du trône, & pour en avoir chassé son frère aîné. Tout cela, il le faisait savoir au chef par lettres ou il le faisait transmettre par les notables qui venaient visiter le monastère.
Pour finir, il lui envoya même une lettre cinglante, dans laquelle il le chapitrait vertement :
« La voix de ton frère crie vers Dieu dans le sang comme Abel contre Caïn, « lui écrivit-il.
Il énuméra nombre de meurtriers, qui haïssaient son frère & l'avaient poursuivi, avec lesquels il le comparait avec aigreur.
A peine eut-il lu la lettre que le chef devint comme une bête sauvage. Il la jeta à terre, la piétina avec fureur, & comme un lion rugit contre le Saint, résolu à le jeter en prison.
Les frères du monastère, pleins d'affliction, suppliaient le Saint de mettre fin à son réquisitoire. Différents notables lui conseillèrent également de ne pas s'opposer au chef. « Tu es sur le point d'être emprisonné, » lui dirent-ils. Le Saint, lorsqu'il entendit qu'on allait l'emprisonner, fut enthousiasmé.
« Ces dires, frères, me donnent beaucoup de joie », dit-il. Rien ne peut me donner autant de bonheur en cette vie que de souffrir des persécutions pour la vérité? S'agit-il que je perde mes richesses? Peut-être serai-je séparé de mes enfants & de ma patrie? Lorsque nous sommes venus au monde, nous n'avons rien apporté avec nous. Nous sommes nés nus, & nous partirons nus. Je suis prêt à subir la prison, & même la mort.
Le Saint désirait sincèrement être emprisonné, & c'est pourquoi il stigmatisa encore davantage le chef qui haïssait son frère.
Comme il était naturel, la colère de Sviatoslav s'accrut davantage, mais il n'osait cependant pas mettre la main sur lui, par ce qu'il le connaissait pour être un homme juste, saint, & vénéré de tous ses disciples.
Au bout de quelque temps cependant Saint Théodose, pressé par ses frères & par les notables, changea de tactique. Il songea que les accusations n'édifiaient nullement le chef. Il résolut donc d'utiliser une meilleure manière, se disant que, peut-être, s'il le ramenait à la raison, il le persuaderait de racheter le mal qu'il avait fait à son frère.
Au bout de quelques jours, Sviatoslav apprit le changement de disposition du Saint à son égard & ressentit une grande joie. Il y avait longtemps déjà qu'il ressentait le désir d'écouter les paroles inspirées du Saint & de s'en réjouir. Il prit donc courage & lui demanda de permettre qu'ils eussent une entrevue au monastère. Il apprit que le Saint y consentait, & plein de joie, partit avec sa compagnie de boyards.
Le Saint & les frères sortirent de l'église, & les reçurent solennellement. Ils lui rendirent les honneurs que l'on rend à un chef. Celui-ci embrassa le Saint.
Je n'osais pas, Père, venir te rendre visite. Je pensais que tu ne me laisserais pas entrer, parce que tu étais fâché contre moi.
« Et qu'est, mon chef, notre colère » répondit le Saint, » devant ton pouvoir? » Nous sommes, quant à nous, de toute façon obligés de fustiger & de critiquer autant qu'il est nécessaire pour le Salut de l'âme, & vous vous avez le devoir de nous écouter. »
Après un court office à l'église, le Saint reçu le chef pour un entretien spirituel. Lui relatant des vies de Saints, il intensifiait beaucoup en lui l'amour fraternel. Le chef prit cependant prétexte qu'il avait beaucoup de griefs envers son frère, & qu'il ne lui était pas facile de se réconcilier avec lui. A la fin, après un long entretien salutaire, le chef partit remerciant Dieu qui l'avait jugé digne de s'entretenir avec un si grand homme. Dès lors, il vint souvent rendre visite au Saint.
Mais Théodose aussi rendait visite au chef, & lui rappelait toujours qu'il devait avoir, avec la crainte de Dieu, de l'amour pour son frère.
Lors de l'une de ces visites, comme il entrait dans le palais, il voit une foule de musiciens; de leurs instruments à cordes, à vent, & autres instruments, ils faisaient sortir des mélodies harmonieuses qui distrayaient le chef. Le Saint alors s'assit près de lui, fort sombre, le regard baissé. Puis, il s'approcha un peu de lui, & lui dit :
Dans l'autre vie, y aura-t-il ces instruments?
Cette remarque émut Sviatoslav. Il ordonna que les musiciens cessassent de jouer.
Lorsque Sviatoslav était averti à l'avance de la venue du Saint, il sortait au-devant des portes du palais & venait l'accueillir avec des sentiments de joie manifeste. Plein d'allégresse, il recevait avec ces paroles :
Père, je te le confesse en toute sincérité. Si l'on me disait que mon père est ressuscité de sa tombe, je ne sentirais pas la joie que me donne ta venue. Ni je n'éprouverais la crainte que j'éprouve devant ta sainte figure.
Et celui-ci répondait :
Si vraiment tu ressens tant de crainte devant moi, conforme-toi à ce que tu prétends, & rends à ton frère le trône qu'il a hérité de son père.
En entendant ces paroles, le chef perdait pied. Fort embarrassé, il fermait la bouche & ne savait que répondre. Le Malin lui avait inspiré tant de haine contre son frère qu'il ne voulait même pas entendre prononcer son nom.
Il faut ici que nous notions que Saint Nikon, qui avait tonsuré moine Saint Théodose, du fait de toutes ces luttes entre les chefs, avait quitté Petserskaïa avec deux moines, & était retourné à Tmoutarakan, au monastère qu'il y avait fondé, bien que Saint Théodose le supplia avec insistance de demeurer auprès de lui. Il voulait, tant qu'il se trouverait encore en cette vie, ne pas se séparer de lui.
La volonté de Dieu était cependant autre, & c'est ainsi que le Saint se jeta dans les luttes qui l'attendaient sans l'assistance de son très aimé Nikon, des mains duquel il avait reçu le saint schème.
Saint Théodose, voyant que le monastère était petit pour les frères, se demandait avec embarras que faire. Il demanda dans d'insistantes prières que Dieu lui montre un vaste endroit pour y élever une église en pierre à la Mère de Dieu Toute Sainte. De fait, ses prières furent agréées par Dieu, qui d'une façon miraculeuse lui révéla l'endroit où serait construite l'église.
Un pieux Chrétien, empli de crainte de Dieu, marchait par une nuit sombre, sur les hauteurs, près de Pétserskaïa.Et voici ce qu'il fut digne de voir : Au-dessus du monastère, s'élevait une admirable lumière – comme celle qu'avait vue l'higoumène Sophrone- au milieu de laquelle se trouvait Saint Théodose. Il était devant l'église, & les mains levées vers le Ciel, il persistait dans ses prières. Ebloui par cette vision, l'homme de Dieu vit bientôt une immense flamme sortir de l'église. Elle prit la forme d'un arc & se dirigea sur une colline, là où précisément fut plus tard fondée la nouvelle église. Jusqu'à ce que l'homme se perdît derrière la montagne, la flamme demeura là, avec une pointe sur le faîte de l'église, son autre extrémité sur la colline. L'homme de Dieu ne tarda pas à rapporter au Saint ce qu'il avait vu.
Dieu montra un miracle semblable aux habitants de la campagne voisine. C'était la nuit. Soudain s'entendirent des chants psalmodiés par des bouches innombrables. Les hommes sortirent de leur sommeil, & montèrent le plus haut qu'ils purent, pour voir d'où provenaient les voix. Et voici que baignée de lumière se présente devant eux la Lavra Pétserskaïa. De l'église sortait une foule de moines. Les uns portaient l'icône de la Toute Sainte Mère de Dieu, & d'autres psalmodiaient, tenant des cierges allumés. A leur tête marchait leur higoumène Théodose. Lorsqu'ils arrivèrent à l'endroit où fut plus tard fondée la nouvelle église, ils envoyèrent à Dieu des psalmodies & des Prières. Puis ils retournèrent avec des hymnes à l'église.
Ce ne fut pas une ou deux personnes qui furent témoins de la vision, mais un grand nombre de personnes. Et ils crurent que c'étaient des anges & non des moines qui chantaient, parce que les frères du monastère n'avaient pas vu l'évènement miraculeux. Tous glorifièrent donc Dieu d'une seule bouche, de ce que, grâce aux Prières de Saint Théodose, ce lieu avait été tellement béni.
Tandis que le Saint priait dans le monastère pour la fondation de la nouvelle église, il reçut la réponse à ses questions. C'était quelque chose d'inespéré : Saint Antoine venait à son secours. Derrière lui venaient des bâtisseurs, qui venaient de Constantinople. Ce fut avec ces signes miraculeux que Dieu les avait amenés jusqu'en ces lieux pour fonder l'église de Sa Mère Toute Sainte.
Lorsqu'après ces manifestations divines commença la fondation de l'église, le Saint lui-même y peinait chaque jour avec les frères. Qui le voyait travailler n'eût jamais cru qu'il s'agissait de l'higoumène. Ses habits & toute son allure extérieure le faisait paraître comme l'un des maîtres d'oeuvre.
Un jour, une veuve, qui venait lui demander son secours, le vit au milieu des bâtisseurs.
« Hé, moine! », lui cria-t-il, votre higoumène est au monastère? »
Et le Saint lui répondit :
Que veux-tu à cet homme? C'est un pécheur.
« S'il est pécheur ou non, je n'en sais rien », répondit la femme. Ce que je sais, c'est qu'il a sauvé beaucoup de désespérés & de malheureux. Je veux qu'il me secoure moi aussi, qui ai été lésée par le juge.
Alors le Saint voulut bien prendre connaissance de son malheur, & il ressentit une profonde compassion lorsqu'il apprit l'injustice qui lui avait été faite.
« Rentre chez toi », lui dit-il, & moi j'irai tout dire à l'higoumène. Lui te délivrera des maux qui t'affligent.
De fait, il parla au juge de la pauvre femme. Il demanda qu'on lui rendît ce qu'on lui avait pris injustement, & la pauvre femme
fut délivrée de son épreuve.
C'est avec des oeuvres semblables, dignes du Ciel, que le Saint luttait pour l'édification, qui fut rapide, de l'église. Il ne la vit cependant pas terminée, parce que la mort vint le prendre entre-temps. Mais même après sa mort, près de Dieu comme il l'était, il fortifiait par ses Prières ceux qui accomplissaient la tâche, qui fut achevée par le bienheureux Stéphane, qui lui succéda dans l'higouménat.
Notre Saint Père Théodose approchait maintenant de sa vie sur terre, & il n'avait que quarante-cinq ans. Il sut à l'avance le jour de son départ. C'est pourquoi il ordonna que se rassemble autour de lui toute la communauté des moines, & les frères qui se trouvaient au monastère, & ceux qui étaient dans les environs, & tous ceux qui avaient été envoyés ailleurs pour quelque diaconie.
Fort ému, il se mit à tous les exhorter. Il les incitait à accomplir leur diaconie avec beaucoup d'attention & de zèle. Tandis que ses yeux laissaient s'échapper des larmes, il leur parlait du Salut, de la vie agréable à Dieu, de l'ascèse, du jeûne. Il leur conseillait de fréquenter assidûment l'église, & d'y entrer avec beaucoup de piété & de crainte de Dieu. Il les priait d'avoir de l'amour les uns pour les autres, & d'obéir non seulement aux aînés, mais à tous les frères. Pour finir, il leur donna sa bénédiction, & c'est avec émotion qu'il les laissa partir.
Après quoi, il reçut aussi la visite du chef. Il lui adressa à lui aussi ses dernières exhortations. Il lui conseilla de cultiver la piété, de protéger l'Orthodoxie, & de s'intéresser aux diverses églises.
« Je prie », lui dit-il, « le Seigneur & sa Toute Sainte Mère, de t'accorder la tranquille hésychia & le Royaume de paix. Et je confie à ta piété la protection de ce monastère, qui est la demeure de la Toute Sainte Mère de Dieu, & dont la fondation est due à sa bienveillance.
Puis le Saint fut pris de frissons & d'une forte fièvre. Epuisé, il fut contraint de s'allonger dans un lit, si même, jamais, jusqu'alors, depuis bien des années, il ne s'était endormi allongé.
« Qu'advienne la volonté de Dieu », dit-il. » Que fasse le Seigneur ce qu'il a déterminé pour moi. Je T'en supplie cependant, mon Seigneur & Maître Jésus Christ, montre-Toi compatissant envers mon âme. Que les démons horribles ne la menacent pas, mais que Tes anges la reçoivent. Qu'ils la fassent passer par les péages de la ténèbre, & qu'ils la mènent à la Lumière de Ta grande pitié. »
Achevant ces paroles, il se tut. Il tomba un grand silence. Il ne pouvait plus proférer un mot, ni ouvrir les yeux. L'âme en peine, les frères suivaient de près son état, trois jours durant. S'ils ne le voyaient plus respirer, ils pensaient qu'il était mort.
Après trois jours, la maladie le céda à une rémission, & le Saint se leva de son lit. Tous les frères se rassemblèrent à nouveau près de lui.
« Frères & Pères », leur dit-il, « voici que s'achève le temps de ma vie sur terre. Le Seigneur me l'avait révélé par le passé, durant les jours du Grand Carême, tandis que je priais dans la grotte. Ce que je vous demande est de vous rassembler & de chosir un higoumène, pour que je l'installe à ma place. »
A ces paroles, les frères éprouvèrent une grande douleur, & éclatèrent en sanglots. D'un coeur lourd, ils s'en furent élire leur nouvel higoumène. Tous, d'un commun accord, choisirent Stéphane, qui avait la diaconie de marguillier.
Le lendemain, le Saint rappela les frères.
Qu'avez-vous décidé, mes enfants. Qui considérez-vous comme digne d'être votre higoumène?
« C'est Stéphane qui en est digne », répondirent-ils d'une seule voix.
Le Saint appela près de lui Stéphane, le bénit de sa sainte main, & l'institua officiellement son successeur.
« Maintenant, mon enfant, » lui dit-il, je te remets le monastère. Garde avec beaucoup d'attention les règles des diaconies. Garde bien les traditions sacrées. Ne change pas le typikon, mais fais tout en accord avec la règle monastique.
Puis il s'adressa aux frères. Il leur conseilla d'être obéissants envers leur nouvel higoumène. Il y insista beaucoup. A la fin , il leur annonça l'heure de son départ.
Samedi, lorsque le soleil se couchera, mon âme quittera mon corps.
Peu à peu le Saint sentit la maladie le reprendre. Stéphane ne le quittait plus. Il le servait avec beaucoup d'humilité, & entendait ses conseils relatifs à ses nouveaux devoirs.
A l'aurore du samedi, le Saint rappela de nouveau les frères. Au milieu des larmes & des gémissements, il leur donna à chacun séparément l'ultime baiser d'adieu.
« Mes enfants bien-aimés, » leur dit-il, « je vous ai donné avec amour un baiser, parce qu'approche mon départ pour rejoindre mon Maître Jésus Christ. Voici l'higoumène que vous-même avez choisi. Ayez-le comme Père spirituel, honorez-le grandement, & conformez-vous à ses ordres. Dieu, le sage créateur de tout, vous bénisse, vous protège de l'ennemi machinateur & vous garde toujours unis, avec foi intangible, concorde, & amour en Christ. Puisse-t-il vous rendre dignes de Le servir sans passions, unis, vous aimant les uns les autres, d'une même âme, avec humilité, & dans l'obéissance, afin que vous deveniez parfaits « comme votre Père céleste est parfait. » Le Seigneur soit avec vous.
Ensuite de quoi le Saint leur demanda de ne pas lui rendre les honneurs d'un grand service funèbre.
Et maintenant je vous prie, & je vous conjure, de m'enterrer dans les grottes où j'ai passé mes jours à jeûner. Ne lavez pas non plus mon misérable corps, & ne changez pas mes vêtements, mais laissez-moi avec ceux que je porte sur moi. Et qu'en dehors de vous, nul autre ne suive le cortège funèbre ni n'assiste à mon ensevelissement.
Les frères buvaient toutes ses paroles. Pour les consoler, il ajouta :
Je vous fais la promesse, frères & Pères, que si même je m'en vais avec mon corps, mon esprit cependant sera toujours avec vous.
Puis il les laissa tous partir. Il voulait être seul. Un frère, cependant, qui le servait toujours fidèlement, put suivre ses derniers instants par un petit trou qu'il avait fait dans la porte.
Le Saint se leva de son lit, s'agenouilla & commença à supplier à chaudes larmes son Dieu compatissant pour le Salut de son âme. Il priait tous les Saints, & plus particulièrement sa Souveraine la Mère de Dieu, disant qu'il confiait à leur protection le monastère & son troupeau.
Il se laissa de nouveau retomber sur le lit pour se reposer un peu. Au bout de quelque temps, il se releva. Il éleva ses regards haut vers le Ciel, & son visage brillait de Joie. Alors, à haute voix, il cria :
Béni soit Dieu! S'il en est ainsi, je n'ai plus crainte de rien. Au contraire, je me réjouis excessivement de mon départ de ce monde.
Il était manifeste qu'il avait une vision. Puis il s'étendit à nouveau, croisa les mains sur la poitrine, & remit sa sainte âme entre les mains de Dieu. C'était l'heure où se couchait le soleil, comme il l'avait prédit, un samedi, le 3mai 1074.
A peine sa mort fut-elle connue, que les frères en firent grand bruit de lamentations.
Menant grand deuil, ils l'amenèrent dans l'église, pour l'office funèbre.
Beaucoup de Chrétiens, sans que nul les ait avertis, comme si les avait impulsés une force divine, se rassemblèrent dehors devant la porte du monastère, & attendirent en pleurant l'heure du départ du cortège. Mais les frères, en accord avec la demande du Saint, gardaient la porte fermée.
Tant qu'il y eut tout ce monde, les frères ne purent pas sortir avec le convoi funèbre. Heureusement cependant, par la volonté divine, le ciel se couvrit brusquement de nuages, & une forte pluie dispersa la foule qui attendait au dehors.
A peine tout ce monde se fut-il en allé, que le soleil brilla de nouveau. Ainsi les frères purent faire sortir leur cortège. Ils amenèrent la dépouille du Saint à la grotte du Saint, & l'y ensevelirent avec honneurs. Après qu'ils eurent fermé la tombe, ils retournèrent, pleins d'affliction, au monastère. Ce jour-là ils ne mangèrent rien.
A l'heure où le Saint s'était endormi, Sviatoslav se trouvait fort loin. Mais, regardant, de l'endroit où il était, en direction de Pétserskaïa, il vit une colonne de feu qui s'élevait du monastère vers le Ciel. A ce signe, il comprit que le Saint, que la veille il avait laissé au plus mal, avait quitté cette vie.
« Il me semble qu'aujourd'hui Saint Théodose est monté aux Cieux, »dit-il à ses hommes.
Il partit donc pour le monastère, où, de fait il apprit sa mort, & en mena grand deuil.
En ces années-là, les Grottes reçurent une pluie de bénédictions. Les biens du monastère se multiplièrent, les jardins & les champs furent bénis comme en témoigna leur fécondité, & le cheptel augmenta. Jamais jusqu'alors il n'était rien arrivé de tel. Les frères se rappelèrent les promesses du Saint & glorifièrent Dieu, eux dont le maître & l'higoumène avait reçu tant de Grâce.
Et ce n'est pas seulement dans ces temps anciens, car nous voyons jusqu'à aujourd'hui que par les intercessions de son Saint, Dieu n'a pas laissé son monastère. Ainsi sont vérifiées les Paroles de l' Ecriture : « Les justes vivront éternellement, & leur rétribution est dans le Seigneur, » le Très Haut a souci d'eux. De fait, si même le Saint s'était corporellement séparé de ses enfants spirituels, son esprit cependant restait toujours au milieu d'eux, comme l'on peut le voir aux nombreux miracles qu'il fit après sa dormition. De tous ceux-ci, nous ne rapporterons que quelques-uns.
***
Sombre, & plein d'affliction,un boyard, qui était tombé en disgrâce auprès du chef, s'entendit dire : « Le chef va te jeter en prison. »
Il se réfugia dans la Prière. Il demanda aussi le secours de Saint Théodose : « Je sais, Père, que tu es Saint; aussi, je t'en prie, maintenant qu'approche pour moi l'heure du danger, épargne-moi. Supplie le Maître du Ciel qu'Il me délivre. »
Et voici, qu'un après-midi, à l'heure où il se reposait, le Saint lui apparut :
« Pourquoi t'affliges-tu tant ? « lui dit-il. Crois-tu que je vous ai quittés? Avec mon corps, oui, mais avec mon âme, non. Demain matin, le chef t'appellera, & non seulement il ne te punira pas, mais, au surplus, il te rendra ta place.
Le boyard crut que ce n'était qu' un rêve. Mais, à peine ouvrit-il les yeux qu'il vit le Saint sortir de sa chambre.
Le lendemain, sa parole se réalisa.
Un Chrétien, qui partait en voyage, passa par Pétserskaïa, & confia au moine Conon, qu'il connaissait, une boîte contenant des pièces d'argent. Cependant la chose tomba dans l'oreille du moine Nicolas, que vainquit le démon de l'avarice. Il prit secrètement la boîte & l'enterra dans un endroit caché.
Lorsque Conon s'aperçut que la boîte avait disparu, il tomba dans une profonde affliction. Avec larmes, il se mit à invoquer Saint Théodose. Il lui demandait de le secourir. Il ne voulait pas demeurer confus devant l'homme qui lui avait témoigné sa confiance.
Il s'endormit. Quelque temps après, il vit le Saint dans son sommeil :
La cassette pour laquelle tu t'affliges, c'est le frère Nicolas qui l'a prise. Il l'a cachée dans une grotte.
Il lui montra précisément l'endroit.
Maintenant, va le prendre , mais ne rapporte rien à propos du vol.
Conon s'éveilla joyeux. Il alluma un cierge & partit pour les grottes. De fait , il trouva la boîte à l'endroit indiqué, & il ne savait pas comment remercier Dieu & Son admirable serviteur Théodose.
L'un des prêtres d'une basilique de Kiev, Sainte Sophie, souffrait beaucoup de crises de paludisme. Lors d'un accès de fièvre, il supplia Dieu & Saint Théodose de le guérir. Après quoi, il s'endormit. Il vit alors dans son rêve le Saint, son bâton à la main.
« Prends mon bâton », lui dit-il, « et marche un peu avec. »
Lorsqu'il s'éveilla, il sentit que la fièvre l'avait quitté. Il raconta aux siens avec joie la visite du Saint, & le bien qu'il lui avait fait .Il alla au monastère & raconta aux frères comment il avait été guéri. Tous, en l'entendant, glorifiaient le nom de Dieu pour la Grâce divine qu'avait reçue leur Saint Père spirituel.
Voici ce qui advint quelques années après la mort du Saint :
Le bienheureux higoumène Stéphane, à cause d'un trouble qui survint dans la communauté, fut contraint de s'exiler du monastère. Le grand Nikon assuma alors l'higouménat, qui, après la mort du Saint, était revenu de Tmoutarakan.
Approcha le vendredi de la première semaine du jeûne du Grand Carême. Ce jour-là, le Saint avait demandé de placer à table un pain de farine de blé, au miel & au sésame, parce que les frères étaient très fatigués du jeûne. Le bienheureux Nikon avertit le cellier qu'il se devait d'observer l'ordre du Saint.Celui-ci, cependant, par paresse, désobéit. Il prétendit même mensongèrement qu'il n'avait plus de farine. Mais Dieu ne voulut pas que l'on néglige les peines & les Prières de Ses serviteurs, ni que l'on méprise l'ordre de Saint Théodose.
Après la divine Liturgie, les frères allèrent au réfectoire pour ce délicieux repas. Ils virent alors, à leur grand étonnement, qu'était arrivé au monastère un chariot plein de pain à la farine de blé. Tous admirèrent la Providence de Dieu. Leur Père spirituel, Saint Théodose, du haut du Ciel, se souciait de leurs nécessités.
Deux jours plus tard, le cellier fit pétrir aux moines boulangers avec la farine qu'il avait dit ne plus avoir. Et qu'advint-il?
Comme ils jetaient l'eau chaude sur la levure, tomba dedans un crapaud, qui, du fait de leur inattention avait sauté dans la marmite & avait bouilli avec l'eau. Tout leur travail était perdu. C'était le fruit de la désobéissance; c'est pourquoi Dieu n'avait pas permis, après l'ascèse de toute la semaine, que les frères se souillent avec « la part du Démon ».Ils apprenaient ainsi à être plus attentifs & obéissants.
Depuis le moment où l'âme de Saint Théodose avait été conduite au Ciel, il s'était passé dix-huit ans. Tous les frères de la Lavra, avec leur higoumène Jean, décidèrent en assemblée le transfert de ses reliques
dans la grande église.
Ils apprêtèrent sans retard le nouvel endroit, & un beau reliquaire en pierre où ils les disposèrent.
Trois jours avant la fête de la Dormition de la Mère de Dieu, l'higoumène commanda que l'on creuse la grotte. C'était le bienheureux Nestor qui les y avait incités, lequel avait été jugé digne de voir, avant tous les frères, les saintes reliques de Théodose. C'est lui qui nous fait maintenant le récit suivant :
« Ce que je vais vous raconter, je ne l'ai pas appris par d'autres, mais je l'ai vécu moi-même de près.
« L'higoumène me dit d'aller vénérer Saint Théodose, dans sa grotte. J'y allai à l'insu de tous, & je prévis à l'avance l'endroit où il faudrait creuser. Je retournai ensuite au monastère, & l'higoumène me confia la tâche de déterrer les reliques :
« Prends avec toi les frères que tu veux, & vas-y. Aie soin cependant que les autres n'apprennent rien jusqu'à ce que vous ensevelissiez à nouveau les saintes reliques.
« Le troisième jour, un mardi, je préparai les outils. Et le soir, après qu'il eut fait nuit, je me mis en route. Deux moines m'accompagnaient, choisis pour leur vertu. Les autres moines ne savaient rien. Nous arrivâmes à la grotte, & nous nous mîmes à l'ouvrage avec des métanies & des psalmodies.
« Je me mis à l'ouvrage avec zèle. Quand j'étais fatigué, un autre frère continuait. Il était minuit; la nuit avançait, & les fouilles ne donnaient aucun résultat. Nous ne trouvions rien.
« Nous fûmes pris d'une profonde affliction. Nous versions des larmes. Peut-être le Saint ne voulait-il pas nous apparaître. Telles étaient les pensées qui nous assaillaient.
« En dépit de tout, je repris les
instruments en main, & avec beaucoup de minutie je poursuivis le travail.
« Au monastère on sonne la symandre des mâtines » me cria le frère qui se trouvait devant la grotte.
« J'ai bientôt fini, moi aussi, » lui répondis-je. » Sans le savoir, j'ai creusé précisément sur les vénérables reliques. Quand je l'ai compris, j'ai été saisi d'une grande crainte.
« Seigneur, par les Prières de Saint Théodose, aie pitié de moi, » répétais-je.
« J'envoyai aussitôt les frères avertir l'higoumène. Ils arrivèrent bientôt tous les trois. Dans l'intervalle, j'avais avancé le travail. Comme je me penchai pour mieux distinguer, que vois-je? Les reliques étaient intactes & incorrompues. Le visage lumineux, les yeux fermés, les lèvres scellées, les cheveux toujours sur la tête. Avec le secours des frères nous le mîmes sur une couche & le déplaçâmes jusque devant la grotte. »
Ce récit que nous fit Saint Nestor provoque l'admiration pour la grandeur de Dieu.
L'on rapporte cependant d'autres miracles encore :
Bien des moines de Pétserskaïa, dès que sonnaient les mâtines, & qu'ils allaient à l'église, regardant en direction de la grotte, virent au-dessus une lumière admirable. Et beaucoup de pieuses gens de la ville de Kiev la virent aussi.
Stéphane, qui avit été élu higoumène, - le successeur de Saint Théodose dans l'higouménat, qui plus tard fonda le monastère de Klov, & qui fut Evêque de Vladimir – se trouvait ce soir-là au monastère de Klov. Regardant en direction de Petserskaïa, il vit lui aussi, dans la nuit, une admirable Lumière sur la grotte du Saint.
Il songea que devait avoir lieu le transfert des reliques du bienheureux Théodose, & il éprouva une grande affliction à ne pas y assister, au moment même où il en était averti.
Alors avec la synodie de Clément, qu'il avait laissé pour lui succéder à l'higouménat de Klov, il monta à cheval, & se hâta de faire route vers le monastère des Grottes.
Comme il avançait, il vit de nouveau au loin cette Lumière. En approchant davantage, il vit sur la grotte quantité de cierges allumés. Comme il y arrivait, il ne vit plus rien de tout cela, & il comprit que c'étaient là des signes qui révélaient la Grâce surnaturelle cachée dans les vénérables reliques du Saint.
Le lendemain du jour de la découverte des reliques, beaucoup se rassemblèrent aux entours de la grotte – les Evêques amis de Dieu Ephrem de Pérégiaslav, alors représentant du trône du métropolite de Kiev, Stéphane de Vladimir, Jean de Tcherniguov, & Marin de Giourguiev, les higoumènes de tous les monastères de la région avec nombre de moines, & une foule de pieux Chrétiens de divers endroits.
Ils prirent donc solennellement les reliques du Saint, & le cortège de fidèles, portant des cierges, tandis que l'on encensait, les transporta dans l'église.
Le spectacle dans l'église était indescriptible. Tant de cierges allumés répandaient une mystérieuse lumière. Les hiérarques embrassèrent la sainte dépouille; les prêtres s'agenouillèrent devant le corps; les moines, & la foule du peuple attendaient pour le vénérer avec un amour transi . Tous adressaient à Dieu des hymnes de doxologie,& au Saint des chants d'action de grâce.
C'est avec une telle sainte exaltation que le reliquaire vénérable fut placé dans la partie droite de l'église de la Toute Sainte Mère de Dieu. On était alors vendredi, le 14 août 1091. Ce jour fut dès lors jour de fête solennelle.
Le Seigneur, voulant glorifier davantage son serviteur, jugea bon que dix-huit ans après le transfert de ses reliques, en l'an 1108, son nom soit connu de toute l'Eglise Orthodoxe. Lors de son transfert, il était sorti de la ténèbre de la grotte. Maintenant, il sortait de la ténèbre de l'invisibilité. Et voici comment cela advint :
Le Seigneur qui connaît les coeurs inspira à l' higoumène d'alors, Théoktiste, d' oeuvrer à inscrire le Saint dans le choeur des Saints de l' Eglise Orthodoxe. Théoktiste en parla au chef Mikhaïl Sviztopolk Iziaslavitch. Il le supplia de conseiller à sa béatitude le métropolite Nicéphore de rassembler un synode, qui verrait à le canoniser.
Le grand chef Sviatopolk avait appris la sainte vie de Théodose. Il témoigna donc un vif intérêt pour la question.
Au synode qui fut convoqué se rassemblèrent les Evêques, les higoumènes, & tout le clergé. Le métropolite leur annonça son intention. Sviatopolk, plein d'enthousiasme leur parla de la vie du Saint. Et tous, d'un commun accord, résolurent de proclamer sa sainteté.
Le métropolite donna l'ordre aux Evêques d'inscrire dans toutes les églises le nom de Théodose sur les diptyques des Saints. Les Evêques acceptèrent avec beaucoup de joie. Dès lors l'on commença de commémorer le Saint dans toutes les églises, de le prier, & de fêter avec éclat sa mémoire éternelle, le 3 mai, jour de sa dormition, pour la Gloire de Dieu.
Fin de la vie de Saint Théodose.
***
RECITS TOUCHANT LA SAINTE EGLISE DE LA DORMITION DE LA TOUTE SAINTE MERE DE DIEU DES GROTTES.
La grandiose église de la Lavra fut fondée avec la volonté & par la Providence de notre Seigneur Dieu, & par les prières des fondateurs du monastère des grottes, les Saints Antoine & Théodose. Et voici comment :
L'un des fils du chef Varange, nommé Simon, quitta la Scandinavie & vint en Russie, chassé du pouvoir par son oncle. Il se réfugia chez le pieux prince Iaroslav, qui le reçut avec honneur & le nomma aide de camp de son fils Vsévolod. Simon gagna bientôt la confiance de son fils Vsévolod, & il avait sur lui une grande influence.
Après la mort de Iaroslav, tandis que son fils Iziaslav exerçait le pouvoir à Kiev, des barbares entrèrent sur la terre russe.. Les trois fils de Iaroslav, qui étaient chefs tous trois, Iziaslav de Kiev, Sviatoslav de Tcherniguov, & Vsévolod de Pérégiaslav, s'unirent contre eux, & Simon combattit avec eux, comme général d'un corps d'armée.
Avant la confrontation des deux armées, Simon s'en vint voir Saint Antoine. Il voulait prendre sa bénédiction avant la bataille. Le Saint, secrètement averti par Dieu, prédit à Simon que l'armée russe subirait un revers catastrophique.
Simon tomba aux pieds de l'Ancien & le supplia de le sauver d'un tel malheur.
« Mon enfant », répondit le Saint en pleurant, c'est pour les ppéchés des chefs & de tous les Chrétiens que votre armée va être vaincue par les ennemis. Beaucoup de soldats tomberont sous leur glaive. D'autres seront noyés dans les eaux du fleuve de l'Alta. De très nombreux hommes seront blessés, & la plupart seront faits prisonniers. Toi cependant, par la Grâce de Dieu, tu en réchapperas. Et après nombre d'années, quand tu mourras, ton corps sera enterré dans l'église qu'il faut édifier ici à la Lavra.
La catastrophe prophétisée par le Saint advint. Les deux armées se battirent près du fleuve de l'Alta. L'armée chrétienne fut vaincue. Les princes russes prirent la fuite, & eurent à peine le temps de se sauver, Iziaslav & Vsévolod à Kiev, Sviatoslav à Tcherniguov. D'entre les combattants, les uns tombèrent dans la plaine du combat & les autres se noyèrent dans le fleuve. Les sauvages ennemis se répandirent sur toute la terre russe, la brûlèrent, la ravagèrent, & firent prisonniers de nombreux autochtones.
Simon fut cependant miraculeusement sauvé, comme lui-même le raconta plus tard à Saint Antoine :
J'étais blessé, & je gisais à terre dans la plaine du combat, parmi les assaillants qui avaient été tués. Regardant le ciel, j'y vis se détacher une grande église. Alors, je criai : « Seigneur, délivre-moi de cette mort amère, par les intercessions de Ta Très Sainte Mère & de tes Saints Antoine & Théodose des Grottes! » Aussitôt une puissance invisible, & divine m'arracha d'entre les morts, & m'amena à Kiev. Là, je retrouvai mes soldats. Je constatai également que j'étais guéri de toutes mes blessures!
Ici, Simon, ému, fit une petite pause. Puis il gémit profondément & ajouta :
Mon père m'avait construit une grande croix. En signe d'honneur, il avait avait placé sur le corps de notre Sauveur crucifié une ceinture avec cinquante pièces d'or, & sur Sa tête une couronne d'or. Lorsque je m'enfuis pour la Russie, chassé par les miens, je détachai de la croix la ceinture & la couronne, comme une bénédiction que je pris avec moi. J'entendis alors clairement une voix me dire : « Mets cette couronne à l'endroit que je lui ai fixé, sur le lieu où mes saints serviteurs vont bâtir une église à ma Sainte Mère. Remets-là entre leurs mains, pour qu'ils la suspendent sur le saint autel. » C'était la voix du Seigneur. Dans ma crainte, je tombai à terre,& y restai longtemps comme mort. Je ne compris cependant pas ce que cela signifiait.
« Plus tard, lorsque je naviguai vers la Russie, se leva une terrible tempête. Le bateau menaçait d'instant en instant de sombrer. Tous les voyageurs attendaient la mort.
« Alors, je me souvins de la ceinture du Crucifié que j'avais avec moi. Je poussai un cri de supplication : « Seigneur, pardonne-moi. Je suis perdu à cause du péché que j'ai commis, d'avoir pris la ceinture de Ta Croix! »
« Soudain, je levai les yeux vers le Ciel, & j'y vis une grande église se tenir dans les airs. Comme je réfléchissais, me demandant ce qu'était cette vision, j'entendis une voix d'en-Haut : « L'église que tu vois est celle que vont fonder Mes Saints & qu'ils vont vouer au nom de Ma Sainte Mère. Sa taille sera définie par la ceinture d'or que tu as prises sur Ma Croix : Vingt ceintures de large, trente de long, & cinquante de hauteur; Dans cette église sera aussi déposé ton corps, quand ton âme le quittera. » La voix se tut. Et la mer, aussitôt, se calma.
« Jusqu'à présent, Saint Père, j'ignore où doit être fondée l'église que j'ai vue dans cette vision, & qui sont ces Saints qui la bâtiront. Seulement, lorsque je t'ai rencontré, avant la bataille d' Alta, j'ai entendu tes vénérables lèvres prédire qu'après mon départ de cette vie mon corps serait placé dans l'église qui va être fondée ici.
« Voici, donc, je te donne la mesure qui va servir à déterminer les dimensions de l'église. » Et Simon donna au Saint la ceinture d'or.
« Voici, je te donne aussi cette couronne, à suspendre au-dessus du saint autel. » Et il remit aussi la couronne d'or entre les mains du Saint.
Le Saint Ancien glorifia le Seigneur & dit, ému :
Mon enfant, ton nom est Simon, nom d'enfant de la Grâce, parce que tu as eu la bénédiction & le grand honneur d'entendre la voix du Seigneur.
Aussitôt, il appela Saint Théodose.
« C'est lui, « dit-il à Simon, en désignant Saint Théodose, « qui édifiera l'église que tu as vu dans ta vision » . Et, ce faisant, il remettait à son saint disciple sa ceinture & sa couronne.
Dès lors, Simon nourrit un grand amour & une grande vénération pour Saint Théodose, & lui octroya par la suite d'autres bienfaits pour l'édification de son église. Souvent même, il allait longtemps entendre les paroles salutaires qui tombaient de la bouche du Saint qu'emplissait la Grâce.
Il lui dit un jour, lors se l'un de ses entretiens spirituels :
Vénérable Père, je veux te demander de me faire un don.
Quel don, Mon enfant? Tu connais notre pauvreté. Souvent, nous n'avons pas même notre pain quotidien.
« Si tu le veux, Père, tu me donneras ce que je te demande, « insista Simon. Toi tu as la puissance que le Seigneur t'a conféré par Sa Grâce. Quand j'ai pris la couronne sue la tête de Jésus-Christ Crucifié, Il m'a dit : « Mets cette couronne au lieu où Mes Saints bâtiront une église dédiée à Ma Sainte Mère ». Pour moi maintenant, je te prie de me faire la promesse que tous mes péchés seront pardonnés par le Seigneur. Assure-moi de cela, & mon âme te sera reconnaissante toute cette vie, & dans l'autre.
Ah! mon enfant, ce que tu me demandes passe mes forces. Mais je te dis cela Si après mon départ de ce monde, tu vois qu'est fondée ici l'église & qu'y sont gardés intangiblement les règles du typikon que j'ai transmis aux frères, alors tu sauras que j'ai obtenu l'assurance devant Dieu. Pour l'heure, cependant, je ne sais pas encore si le Seigneur agrée mes prières.
« Dieu m'en a assuré, Saint Père, » observa Simon? Je te prie donc, comme tu pries pour tes moines, de prier aussi pour moi, pour mon fils Georges, & pour ma descendance.
Je prie & je prierai pour eux, comme aussi pour tous ceux qui aiment ce saint lieu, assura Saint Théodose.
Alors Simon tomba à ses genoux, fit une profonde métanie jusqu'à terre & se mit à supplier le Saint :
Donne m'en, père, je t'en prie, ta promesse écrite.
Avec simplicité, Saint Théodose écrivit sans hésiter la prière d'absolution & la donna à Simon. Lorsque plus tard Simon s'endormit dans le Seigneur, cette prière écrite fut mise entre les mains de sa dépouille, & enterrée avec lui. Tel était le désir de cet ami de Dieu. Et dès lors la tradition s'institua dans l'église russe de mettre entre les mains du mort la prière d'absolution & de l'enterrer avec lui.
Après quoi Simon & toute sa famille embrassèrent la foi orthodoxe du Christ, après avoir renié l'hérésie papiste à laquelle il croyait jusqu'alors.
Et conformément à la prophétie divine, il fut après son édification enterré dans l'église de la Lavra.
Quelques années passèrent après que Simon eut apporté aux Grottes la ceinture & la couronne. Et voici qu'arrivèrent de la capitale, Constantinople, quatre bâtisseurs notoires, qui cherchaient Saint Antoine & Saint Théodose. Quand ils les eurent trouvés, ils demandèrent :
Où voulez-vous fonder l'église?
Les paroles de ces étrangers étaient incompréhensibles aux Saints.
- « Là où le Seigneur le révèlera, « répondit Saint Antoine.
« Chose étrange », s'étonnèrent les bâtisseurs. Vous connaissez le temps de votre mort, & vous ignorez le lieu de votre église, quand bien même vous nous avez donné tant d'or pour ce travail.
Les Saints les prièrent de mieux s'expliquer devant tous les frères.
« Un matin, » commencèrent-ils à raconter, apparurent séparément, chez chacun de nous quatre, quatre jeunes gens. « La Reine des Cieux vous appelle à l'église des Vlachernes » nous dirent-ils.
« Nous assemblâmes alors tous nos proches & nous allâmes à l'église des Vlachernes. Là, nous apprîmes l'un de l'autre que nous avions tous les quatre reçu chez nous la visitation de quatre jeunes gens. Ils nous avaient tous quatre appelés sur le même lieu avec les mêmes paroles.
« Soudain, nous vîmes devant nous, majestueuse, la Reine des Cieux, assise sur un trône, entourée d'une fouls de priants. Nous tombâmes tous à terre & la vénérâmes, prosternés.
« Je veux édifier une église en Russie, à Kiev. Je vous donne maintenant la rétribution en or de votre peine pour trois ans, en vous intimant l'ordre d'y aller & d'accomplir ce travail.
« Après quoi, elle vous montra tous deux, qui vous teniez près d'elle, & ajouta :
« C'est chez ces deux moines que vous irez, Antoine & Théodose, & ils vous diront que faire «
« - Pourquoi, dès lors, Souveraine, » demandâmes-nous, nous donnes-tu l'or dès à présent? Ceux qui vont faire construire l'église peuvent avoir souci de nous payer.
« - Antoine », répondit la Reine des Cieux, ne vivra plus beaucoup sur cette terre. A peine aura-t-il fait la prière de fondation de l'église, qu'il s'en ira vers les demures du Ciel.
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