lundi 4 septembre 2017

Vies des Saints Pères du Désert par Arnaud d'Andilly (II)

SECONDE PARTIE. Où l’on fait voir que ces Vies peuvent être fort utiles, non seulement aux personnes religieuses, mais aussi aux séculières. XI. Utilité de ces Vies pour les personnes religieuses. Comme l’Eglise Orthodoxe est le Royaume de notre souverain Maître, et notre première patrie pour laquelle nous devons vivre et mourir, et au bien de laquelle nous devons consacrer tous nos travaux et toutes nos veilles, aussi mon principal but dans cet ouvrage a été le fruit et l’utilité que ses enfants qui sont mes frères en pouvaient tirer. Et comme entre les enfants de cette divine mère, les religieux et les religieuses tiennent un rang très avantageux et très honorable, aussi les lumières et les instructions qu’ils peuvent trouver dans la lecture de ces excellentes Vies ont toujours tenu le premier rang dans mon esprit et dans ma pensée. Et d’ailleurs on peut dire en quelque sorte que cet ouvrage est encore plus à eux qu’aux autres fidèles, parce que ce sont comme les Vies de leurs aïeux et de leurs ancêtres, de ceux que leurs propres fondateurs appellent leurs pères, (Vita Sancti Pacomii.3), qui « ont sanctifié la profession et l’habit de Religieux Solitaire » par leur sainteté et par leurs miracles, et « de vil et de méprisé qu’il était à Rome lorsqu’il y était encore nouveau, et que Saint Athanase y apporta les premières nouvelles de la vie de Saint Antoine et de Saint Pachôme encre vivants, » (Hier. V. S. Marcella. Hier. Ep. 16. Ad Princip.), l’ont rendu aussi vénérable aux hommes qu’il l’était aux Anges, et lui ont acquis l’estime et la protection des grands et des Empereurs. Aussi nous voyons que Saint Benoît le grand Patriarche des Religieux en Occident déclare dans sa préface que « les maximes des Pères des déserts sont avec la règle de Saint Basile les modèles des excellents religieux. » Qu’il dit dans sa règle (Regul.S. Benedic.c.18. ibid. c.42) « qu’en lisant la vie de ces Pères on trouve qu’ils ont fait en un jour ce qu’eux tièdes et lâches faisaient à peine en une semaine. » Et qu’il exhorte les religieux de « les lire souvent dans leurs conférences. » Nous voyons que cet illustre et si Orthodoxe sénateur de Ravenne Cassiodore, (Cassiodor. Institut. Divinarum lect. c. 32.), qui après avoir exercé les premières charges dans le royaume des Goths en Italie, et après avoir gouverné leur Etat jusques au temps de leur ruine avec une admirable justice et une piété encore plus grande, se retiré dans le calme de la solitude d’un Monastère qu’il fit bâtir, où il ordonna deux saints Abbés pour supérieurs, l’un des Cénobites, l’autre des Anachorètes, leur recommanda de « lire avec assiduité les Vies de ces Solitaires. » (In Vita Patrum sui saeculi.c.12). Et nous voyons encore que Saint Grégoire Archevêque de Tours qui vivait il y a mille ans, dit qu’ayant vu avec grande douleur qu’un Solitaire reclus nommé Léobard était tenté du désir de quitter sa cellule, et lui ayant envoyé les Vies des Pères des déserts, où il est marqué avec combien de circonspection les Solitaires se doivent conduire, il fut si touché de ces salutaires enseignements qu’il vainquit cette tentation et devint si spirituel qu’on admirait ses discours. Et véritablement ces livres consistant en deux parties, dont la première que j’ai commencé à traduire contient l’histoire des Vies de ces Pères, eet la seconde que je traduirai aussi avec la grâce de Dieu, s’il lui plaît me donner assez de vie et de santé pour accomplir ce dessein, contient les maximes et les règles admirables de leur sagesse et de leur conduite, je puis dire qu’on ne saurait désirer de modèle plus parfait, ni d’image plus accomplie de la vie solitaire et religieuse que celle qui est tracée dans les actions de ces premiers fondateurs des Ermitages et des Monastères ; ni d’enseignements plus saints et plus utiles que ceux qui sont renfermés dans ces paroles excellentes qui comprennent en si peu de mots les plus grandes et les plus importantes instructions de la perfection Chrétienne. XII. Utilité de ces Vies pour les séculiers. Mais les Vies de ces grands hommes ne sont pas seulement utiles aux personnes religieuses qui ont comme renoncé au monde. Elles peuvent être aussi d’une très grande utilité pour les séculiers de toutes sortes de conditions. Et si on juge du fruit qu’elles peuvent faire par celui qu’elles ont fait autrefois, il y a sujet d’espérer que Dieu se servira d’une lecture si sainte pour confirmer les uns et toucher les autres ; pour faire ou pratiquer, ou désirer, ou au moins honorer la vie solitaire, pénitente et retirée. Car un Auteur Grec qui a écrit la vie de Saint Chrysostome (Greg. Alexand. Vita S. Ioan. Chrysost. c.22.) dit « que ce grand Evêque s’entretenait d’ordinaire dans ses discours familiers des Vies des Saints Pères des déserts, et que plusieurs étaient tellement touchés de ses discours que les larmes leur tombaient des yeux, et qu’ils concevaient un ardent désir de se retirer dans la solitude, et de dire un dernier adieu au trouble et au tumulte du monde. » Et nous voyons que ce même Père dans une de ses homélies ( Chrysost. hom.8 in Matth.) fait une excellente description de ces déserts pour échauffer le cœur de ses auditeurs. « Si », dit-il, «  on va voir aujourd’hui les solitudes d’Egypte, on trouvera qu’elles sont plus belles qu’aucun Paradis terrestre ; qu’il y a des troupes innombrables d’Anges, revêtus de corps mortels, des compagnies de Martyrs, des chœurs de Vierges ; que la tyrannie du Diable y est éteinte, et l’Empire du Fils de Dieu fleurissant ; que c’est le camp de Jésus-Christ ; que son armée céleste et ses troupes royales sont répandues dans cette vaste contrée ; que le Ciel n’est pas si reluisant par la diversité des astres et des étoiles que les déserts d’Egypte ont d’éclat par ce grand nombre de cellules et de grottes, de Solitaires et de Vierges, qui sont dépouillés de toutes les choses présentes, qui se sont crucifiés au monde et sont parvenus au comble de la perfection angélique, passant les nuits en veilles et en cantiques, et les jours en jeûnes, en oraisons, et en ouvrages des mains par une parfaite imitation de la vertu apostolique, et se servant encore des travaux de leur propre corps pour soulager les nécessités des pauvres ». Et Augustin d’Hippone rapporte dans ses Confessions (Aug. Lib. 8. Confess. c.5), « que Potitien lui raconta qu’étant à Trêves, où l’Empereur était alors, et quelques officiers de sa Cour, qui étaient Chrétiens, étant entrés dans une petite maison des serviteurs de Dieu, et y ayant trouvé un livre om la vie de S. Antoine était écrite, l’un d’eux commença à la lire, à l’admirer, à s’échauffer, à méditer en soi-même d’embrasser une pareille vie, de quitter le service de l’Empereur, et de servir à Dieu seul ; qu’étant soudain devenu tout rempli d’un amour saint, et d’une sage confusion, il entra en colère contre soi-même, et jetant les yeux sur son ami, lui dit : « Dites-moi , je vous prie, à quoi désirons-nous de parvenir par tant de travaux et tant de peines ? Que cherchons-nous ? Quel est notre but dans l’exercice de nos charges ? Toute notre espérance peut-elle aller plus loin dans la Cour qu’à nous faire aimer de l’Empereur ? Et en cela même qu’y a-t-il d’assuré et qui ne soit sujet à plusieurs dangers ? Par combien de périls arrive-t-on à une fortune qui est encore environnée de plus grands périls ? Et de plus combien cette fortune durera-t-elle ? Au lieu que si je veux, je me ferai aimer de Dieu dès cette heure. Il lui dit ces paroles étant agité des mouvements et des troubles que lui causait l’enfantement de sa vie nouvelle. Et recommençant à lire, Dieu le changeait dans le fond du cœur où il voyait ce qui se passait, et son âme se détachait des affections du monde, comme il parut peu après. Car en lisant et en roulant les flots de son esprit en lui-même, il jetait des soupirs et des sanglots, et enfin il choisit et embrassa le meilleur parti, et étant déjà à Dieu, dit à son ami : « Je vous déclare que je renonce pour jamais à toutes nos espérances, et que j’ai résolu de servir Dieu, et de commencer dès ce même moment sans attendre davantage, et en ce même lieu sans aller plus loin. Si vous ne voulez pas me suivre dans ma retraite, au moins ne vous y opposez pas. A quoi l’autre répondit qu’il ne le voulait point quitter. Et ainsi tous deux se retirèrent du monde, et à leur imitation deux jeunes filles à qui ils étaient fiancés consacrèrent leur virginité à Dieu. » Augustin d’Hippone témoigne que cette narration lui servit beaucoup à lui-même étant alors dans les douleurs de ce même enfantement. « Qu’il se sentit touché d’un ardent amour pour ces Chrétiens, dont il entendait raconter des affections si légitimes et si salutaires, et qui s’étaient mis entièrement entre les mains de Dieu pour recevoir leur guérison de sa grâce ; et que plus il se comparait à eux, plus il concevait une horrible aversion de soi-même. » XIII. Que ces grands exemples de Vertu doivent toucher tout le monde. Et certes qui peut toucher davantage dans la religion chrétienne, laquelle ne consiste qu’au mépris du monde, en l’amour de Dieu, et en une « perpétuelle pénitence », comme dit le saint Concile de Trente, que ces saintes Vies, où se voient peintes au vif toutes ces vertus dans une si grande pureté et une si haute perfection ? et si au rapport de Saint Sulpice Sévère, le grand Saint Martin ( Concil. Trident. Sess.14. c. de Sacram. Ext. Unct. Sulp. Sever. in vita S. Martin. c.26.) ne l’entretint dans leur entrevue que de la généreuse retraite de l’illustre Saint Paulin l’un des plus grands Seigneurs de l’Empire, qui peu de temps auparavant avait renoncé à toutes ses richesses pour ne suivre que Jésus-Christ, et lui dit : « Que leur siècle était heureux d’avoir un si grand exemple de foi, de vertu et de courage ». Combien doit-on admirer la félicité de ces quatrième et cinquième âges de l’Eglise, où Dieu après avoir commencé à sanctifier en quelque sorte l’Egypte, comme dit Saint Chrysostome, (Chrysost. hom.8. in Matth.), par la présence de son Fils unique encore enfant, consacra de nouveau, non tant les villes que les déserts de cette province par la descente de son Saint Esprit sur ce grand nombre de personnes qui s’y retirèrent, et y ayant suscité les premiers religieux Solitaires, fit passer ce même amour de la solitude et de la pénitence dans les autres déserts de l’Orient et de l’Afrique. Qui n’admirera la fécondité de ces grands exemples de charité et d’amour qui répandirent cette flamme sacrée dans toutes les provinces du monde, et ont produit par la vertu de cette divine semence tous les religieux de l’Occident ; et particulièrement ces deux ordres si célèbres des Camaldules et des Chartreux, qui semblent avoir reçu comme aînés une double part dans l’héritage de ces vénérables Pères par la parfaite imitation de leur vie solitaire et pénitente, qui sont encore aujourd’hui des tableaux vivants des Monastères et des cellules de la Thébaïde et de la Syrie, et renouvellent sans cesse la force et la vertu de l’exemple de ces Anciens Anachorètes par une heureuse et immortelle succession de leurs enfants et de leur postérité ? Quels Chrétiens, s’ils ne sont aussi corrompus dans l’esprit que dans les mœurs, peuvent considérer avec insensibilité ces merveilleux pénitents, qui ont été aussi ingénieux à macérer leur corps par toutes sortes d’austérités que les autres le sont pour plonger les leurs dans toutes sortes de délices ; qui se sont ensevelis tout vivants dans les tombeaux ou dans des citernes sèches ; « qui jeûnaient tous les jours jusques au soir, sans que jamais le soleil les vit manger » ; (Athan. Vita S. Anton. C.5. Hieron. Vita S. Hilar. Sulp. Sever. Dialog. I;cap.3. Theodor. Philoth. cap.21.); qui souffraient sans feu toutes les glaces de l’hiver, et étaient même quelquefois tout couverts de neiges ; qui souffraient sans rafraîchissement et sans ombre toute l’ardeur de l’été ; et qui accompagnaient ces souffrances d’œuvres de mains et de pénibles travaux, pour avoir de quoi vivre sans être à charge à personne, et pour pouvoir même assister les pauvres : ce que Saint Athanase remarque, et loue particulièrement dans Saint Antoine, Saint Chrysostome dans les Solitaires d’Egypte, Théodoret dans ceux de Syrie et qu’Augustin d’Hippone relève dans tous ceux qui pratiquaient une si haute vertu et une si parfaite pénitence, lesquels il appelle pour ce sujet « les plus excellents des membres de Jésus-Christ. » (Athanas. Vita S. anton. C.16. Chrysostom. Hom.8. in Matth. Theodoret. Philoth. c.10. Aug. Ep.89.). Qui ne serait point touché de voir des personnes de grande naissance, des enfants de sénateurs, des magistrats, des gouverneurs de provinces, des plus illustres officiers de la Cour des Empereurs, et des hommes sortis des races patriciennes et descendus des princes des rois, qui tenaient un rang très honorable dans le monde, être emportés par le Saint Esprit dans le désert, comme l’Evangile le dit du Sauveur ( Theodoret. Philoth. c.5. et 16. Sulp. Sev. C.29. Pallad. c.64. Verba Senior. L.10. 11.76. Theodoret. Philoth. c.3. Matt. 4.1).; regarder avec mépris tous les anciens objets de leurs espérances, de leur ambition, et de leurs désirs ; passer des maisons magnifiques à des cavernes et à des grottes bâties de terre, ou creusées dans des rochers ; oublier leurs parents, leurs amis, la Cour, le palais, le monde, eux-mêmes, pour n’avoir plus que le désert et le Ciel devant les yeux, les louanges de Dieu dans la bouche, les grâces ineffables dans l’esprit, et son amour dans le coeur? XV. Exemple merveilleux de la retraite de Saint Arsène et de quelques autres. Qui peut voir sans révérence cet illustre Arsène, ce fameux diacre de Rome sorti de grande maison et éminent en science dans les lettres grecques et romaines, que le pape Damase choisit à la prière de l’Empereur Gratien entre tous les ecclésiastiques de la première Eglise du monde, comme le plus digne d’être précepteur d’Arcade fils aîné de l’Empereur Théodose et successeur de l’Empire, quitter la Cour où il était révéré de l’Empereur même, pour suivre cette voix du Ciel qui l’appella dans les déserts de l’Egypte par ces paroles : « Arsène, tu te sauveras en fuyant les hommes et en demeurant dans le silence et dans le repos », (Rufin L.5. num.190 et Verba Senior. L.2. n.3), être si amoureux de la solitude qu’il fit dire à Théophile Patriarche d’Alexandrie qui le voulait visiter qu’il ne verrait que lui seul. (Rufin. L.3. n.191. Ibid. n.193) ; que lorsque quelqu’un venait vers lui, il se prosternait en terre pour ne voir point et n’être point vu, sachant peut-être que « son visage paraissait comme celui d’un Ange également vénérable par sa beauté et par sa vieillesse. » (Verba Senior. Libel.&5. N.10. Ibidem.) ; que lorsqu’il entrait dans l’Eglise avec les autres Pères du désert, il se cachait derrière une colonne, désirant « n’user de ses yeux que pour regarder le Ciel ; » Et que Saint Marc Solitaire lui demandant pourquoi il fuyait tant les hommes, il fit cette excellente réponse (Rufin. L.5.n.192) : « Que Dieu savait qu’il aimait les hommes, mais qu’il ne pouvait converser ensemble avec Dieu et avec les hommes ; (Paschas. L.7. c.34) ; que tous les esprits célestes n’ont qu’une seule et unique volonté, mais que les hommes en ont plusieurs et différentes les unes des autres, et qu’ainsi il ne pouvait se résoudre à quitter Dieu pour entretenir les hommes. » Qui le peut voir sans admiration être si humble qu’il n’a jamais voulu parler d’aucunes questions sur les Ecritures Saintes (Verba Sen. Libel.15. n.10), quoiqu’il y fût très habile et très éclairé, ni écrire une seule lettre à personne, et que demandant à un vieikkard des Pères d’Egypte (ibidem.n.7) comment il se pourrait fortifier contre les pensées qui lui vanaient dans l’esprit, et un autre qui se rencontra avec lui disant « qu’il s’étonnait de ce qu’étant si savant en grec et en latin, il consultait un homme ignorant et rustique ; ( Verba Senior. Libel.6.n.2) ; il répondit qu’il était à la vérité fort instruit dans les Sciences, mais qu’il ne savait pas encore l’alphabet de ce rustique. » Qui ne serait point édifié de le voir si amoureux de la pauvreté qu’un homme lui étant venu apporter le testament d’un sénateur son parent, qui lui avait laissé une grande succession, il prit ce testament pour le rompre, et dit au porteur (Ibid.n.3) « qu’il était mort avant son parent, et qu’il ne comprenait pas comment il avait voulu choisir un mort pour son héritier. » Et une autre fois étant tombé malade et ayant eu besoin de très peu d’argent pour acheter quelque chose dans sa nécessité, il le demanda et le reçut en aumône, « et remercia Dieu de l’avoir réduit pour l’amour de son nom et pour son service jusques à être obligé de demander une aumône. » Qui peut sans un saint étonnement le voir si rempli de l’esprit de pénitence que pour se mortifier dans les choses qu’il avait aimées, il était le plus mal vêtu des Solitaires, parce qu’il avait porté autrefois de riches habits dans la Cour de l’Empereur (Rufin.L.3. note 37. Ibidem n.39. Ibidem n.163.), et gardait dans sa cellule de l’eau qui sentait mauvais, parce qu’il avait aimé les parfums avec passion ; qu’au lieu des contentements qu’il avait eus dans le monde, il pleurait continuellement dans le désert, et était obligé d’avoir toujours un mouchoir pour essuyer ses larmes qui ne tarissaient jamais ; qu’il disait incessamment à soi-même cette excellente parole que Saint Bernard a tant répétée depuis (Verba Senior. Libel.15. n.9.) : « Arsène, qu’es-tu venu faire hors du monde et dans le désert ? » Et qu’étant prêt de rendre l’esprit à l’âge de quatre-vingt-quinze ans et pleurant à son ordinaire, comme un père lui demanda (Rufin L.3. n.163) « pourquoi il pleurait, et s’il craignait la mort, » il répondit « que véritablement il la craignait, et que cette crainte n’était point sortie de son cœur depuis qu’il avait quitté le monde. » Qui est celui qui pensant quelquefois à l’autre vie ne puisse s’écrier comme Saint Poemen fameux Solitaire, lorsqu’il apprit cette mort du grand Arsène (Ibidem) : « Tu es bienheureux Arsène de t’être pleuré si longtemps toi-même durant ta vie, puisque ceux qui ne pleurent pas en ce monde pleureront éternellement en l’autre. » Et qui est celui qui approchant de la mort ne soit pas capable de s’écrier aussi, comme fit Théophile Patriarche d’Alexandrie en mourant, (Verba Senior. Lib.5. n.5.) : « Tu es bienheureux Arsène d’avoir eu toujours cette dernière heure devant les yeux. » Enfin quelles pensées peut avoir un serviteur de Dieu lorsqu’il regarde ce Solitaire qu’on peut appeler avec raison le prince des pénitents, ce grand Syméon Stylite, qui était comme un pénitent public, au lieu que les autres l’étaient seulement en secret ; qui avait été touché de Dieu en écoutant lire dans l’église cette parole de Jésus-Christ (Theodoret. in ejus vita.) : « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés », laquelle Saint Chrysostome entend des bienheureuses larmes de la pénitence ; qui par la voix de ses actions et de son exemple exposés aux yeux de toute la terre prêchait à toute la Chrétienté, comme Saint Jean dans le désert à tout Israël : « Si vous voulez éviter la colère future de Dieu, faites des fruits dignes de pénitence » (Luc.3.7 et 9) ; qu’il avait au pied de sa colonne quelques disciples que Dieu y avait amenés pour se mettre à couvert de la justice divine par le fidèle accomplissement de ce précepte de l’Evangile ; (Anton. In ejus vita.) ; et qui après sa mort fut enterré dans une église d’Antioche appelée « l’église de la pénitence ».(Ibidem.) Qui est l’homme si enchanté des faux biens du monde qui ne puisse dire encore aujourd’hui ce que deux maîtres de camp de l’armée de l’Empereur qui passaient le Nil dans un bateau, dirent aux deux Saints Macaires, celui d’Egypte et celui d’Alexandrie : « Vous êtes heureux vous autres Solitaires qui vous jouez du monde et le méprisez. » (Rufin. L.2. c.29. Pallad. c.19 et 20.) Et qui est celui qui n’écoute avec quelque sentiment cette belle réponse de l’un de ces deux Saints qui avait l’esprit vif et agréable. « Il est vrai Que nous sommes heureux ; et même nous nous appelons heureux puisque notre nom de Macaire signifie heureux ; et notre bonheur consiste en ce que nous nous jouons du monde comme vous le dites fort bien ; au lieu que le monde se joue de vous. » Parole qui convertit l’un de ces deux officiers et fit qu’il se rendit Solitaire. XV. Que ces Saints font voir combien la retraite du monde est utile. Que si tant d’hommes de grande et de médiocre condition, dont plusieurs peuvent sans doute avoir vécu très chrétiennement et très innocemment dans le monde, ne laissaient pas de s’en retirer, parce qu’ils avaient appris par la voix publique du Christianisme que la pénitence est commune à tous les Chrétiens soit innocents ou pécheurs . Si voyant que « l’Eglise ne croissait plus par les persécutions et n’était plus couronnée par les Martyrs, mais qu’étant accrue en puissance et en richesses par la faveur des Empereurs Chrétienns, elle était diminuée en vertu, comme Saint Jérôme le remarque (Hier. Prolog. Vita S. Malchi.), ils se retiraient dans les solitudes pour ne recevoir point d’affaiblissement par l’exemple de la vie plus molle, plus licencieuse et moins Chrétienne que les Chrétiens menaient alors (Theodoret. Philoth. cap.28) : s’ils déclarent eux-mêmes qu’ils travaillaient à se racheter par des peines passagères et volontaires de celles de l’autre monde qui sont éternelles, et qu’ils disaient être d’autant plus insupportables qu’elles sont involontaires, il semble que tant de fidèles ayant été corrompus dans les mœurs par le relâchement que produit une paix, non de quarante et cinquante ans comme alors, mais de plus de treize siècles, et que les vertus n’étant pas seulement, comme Saint Jérôme, diminuées dans l’Eglise, mais les vices accrus par l’impénitence de ses enfants, ceux qui pensent sérieusement à leur Salut ne font rien que de très raisonnable, s’ils tâchent de sortir ou en tout ou en partie d’un air si infecté et si corrompu, s’is s’ôtent de devant les yeux tant de mauvais exemples qui blessent ou affaiblissent ceux qui ne sont pas fortifiés par une Grâce extraordinaire, et s’ils se délivrent de tant de malheureuses occasions, où l’on pense plus à ses intérêts, à son ambition et à sa fortune qu’à la mort qui est si certaine, au jugement qui est si terrible, et à l’éternité qui est si longue. Ainsi je crois que ces Vies de tant de Pénitents et des Solitaires seront encore plus utile à ce royaume dans le siècle où nous vivons, qu’elles ne l’ont été à l’Espagne il y a près de huit cents ans, lorsque la langue latine commençant à n’y être plus dans un usage commun, les prêtres Orthodoxes voyant les fruits de piété et de grâce que ces admirables Vies produisaient dans les esprits, les traduisirent en Arabe avec l’Ecriture Sainte et les livres de la Cité de Dieu d’Augustin d’Hippone. Car comme le feu n’est jamais si nécessaire que dans la violence des plus rigoureux hivers, aussi les exemples des grandes et extraordinaires vertus ne sont jamais plus utiles que lorsque le monde est plein de grands vices. Et quoique ces exemples ne soient pas de personnes vivantes, mais mortes depuis tant de siècles ; néanmoins comme les reliques de leurs corps, bien que réduits en cendre, ont encore une vertu divine qui fait des miracles, et que leurs icônes mêmes servent quelquefois par la Grâce de Dieu à la conversion des pécheurs, aussi l’histoire de leur vie sainte qui est l’une des plus précieuses reliques qui nous reste d’eux, et l’image de la beauté de leur âme qui est immortelle, peut attirer les bénédictions de Dieu dans l’esprit et dans le cœur des lecteurs par la vertu que le Saint Esprit a imprimée sur ces anciens et merveilleux ouvrages de sa grâce, et par la puissance de l’intercession de ces grands Saints pour ceux qui les invoquent en lisant leurs Vies. XVI. Des Vies des Saintes traduites dans ce volume. Mais comme l’utilité de ces illustres exemples était très grande, il a plu à Dieu qui est le Créateur et le Rédempteur de l’un et de l’autre sexe, d’avoir autant d’égard au bien du plus faible « qui a enfanté le Sauveur du monde » (Hieron. Vita S. Hilar, cap.4), qu’à celui du plus fort et du plus noble ; et de rendre des filles, des femmes et des veuves aussi admirables par leur vertu que les plus grands Saints, en leur inspirant par le même Saint Esprit le même esprit de solitude, de pauvreté et de pénitence, comme Saint Chrysostome, Saint Jérôme, le bienheureux Augustin, et le bienheureux Théodoret l’ont remarqué particulièrement. J’en ai recueilli jusques à onze en ce volume, et il y en a de trois sortes. Les unes, comme celle de Sainte Thaïs, Sainte Marie nièce de Saint Abraham Solitaire, Sainte Pélagie et Sainte Marie Egyptienne sont de Saintes Pénitentes que Dieu a tirées du gouffre des vices et purifiées par le baptême de larmes, pour signaler la grandeur de sa miséricorde sur les âmes les plus abandonnées au Démon, et la toute-puissance de sa Grâce sur la faiblesse du sexe et sur la tyrannie des habitudes du vice les plus envieillies et les plus incurables à toutes les forces humaines. Les autres sont de Vierges, comme celles de Sainte Azelle et Sainte Marine, que Dieu a conservées dans une pureté et une innocence admirable par la puissance de la même Grâce qui a relevé les autres après leur chute. Et les dernières sont de Veuves, comme celle de Sainte Fabiole, Sainte Marcelle, et Sainte Paule princesses Roamines sorties des plus augustes maisons de l’Empire, des consuls, des dictateurs, et même des Rois ; lesquelles ont rempli de l’admiration de leur vertu Rome, Jérusalem et toute l’Eglise, par leurs charités, leur humilité, leur retraite et leur pénitence, et ont mérité que l’un des plus illustres des Pères leur ait élevé de magnifiques tombeaux, en publiant en l’honneur de leur mémoire des éloges funèbres qui sont des histoires fidèles et éloquentes de leur vie toute religieuse et toute divine. A quoi j’ai ajouté le sommaire que ce grand Saint fit aussi de la vie de Sainte Léa. XVII. De la Vie de Sainte Raingarde ajoutée aux autres plus anciennes. C’étaient les seules Vies de Saintes écrites avec celles des anciens Pères des déserts qui devaient entrer en ce premier volume, y en ayant beaucoup d’autres non moins merveilleuses rapportées par Pallade Evêque d’Hélénopolis ; et par Théodoret Evêque de Cyr, qui auront place dans le second. Mais j’ai cru que le public me pardonnerait si ayant trouvé un trésor caché dans les ouvrages de Saint Pierre Maurice neuvième Abbé et général de Cluny ( c’est la 17. Du 12. Livre), au lieu de le garder pour moi seul je lui en faisais part en traduisant une excellente lettre où ce grand Saint, qui fleurissait il y a plus de cinq cents ans, et a été un ornement des religieux en France, a déployé toute l’éloquence de l’esprit et du cœur, de l’art et de la nature, pour se consoler dans la perte de sa bienheureuse mère Sainte Raingarde, en laissant à la postérité un excellent tableau de sa vie et de sa mort. J’ai cru que l’exemple d’une Veuve des plus nobles, des plus riches et des plus illustres maisons qui fussent lors en ce royaume, comme son fils quoique très modeste le dit lui-même ; qui avait l’esprit encore plus élevé que sa naissance ; qui a été assez chaste et assez heureuse pour persuader à son mari de vivre en continence avec elle quelque temps avant qu’il mourût ; et qui après sa mort avait renoncé à toutes les délices d’une personne très riche, à toute la liberté d’une veuve, à toute la splendeur d’une dame d’éminente qualité, à toutes les passions ambitieuses d’une mère pour l’éclat de sa maison et de ses enfants, et s’était renfermée dans l’abbaye de Mérigny, la plus religieuse Abbaye de jeunes filles qui fut lors en France, où la clôture était plus exacte qu’en toutes les autres les plus réformées, ainsi que son fils le marque particulièrement, et où elle passa vingt ans comme simple religieuse ; que cet exemple, dis-je, serait de très grande édification en ce siècle, où de semblables merveilles de la Grâce du Fils de Dieu et ces générosités Chrétiennes ne sont pas si ordinaires. J’ai considéré qu’elle n’a pas moins pratiqué le jeûne, le silence et la solitude dans l’Abbaye de Marigny que Sainte Paule et Sainte Eustoquie sa fille dans le Monastère de Bethléem ; que cette illustre Française était comparable à ces anciennes Romaines ; et qu’encore que Saint Pierre Maurice ne soit pas un des quatre Docteurs de l’Eglise Latine, comme Saint Jérôme, on jugerait néanmoins que cette oraison funèbre que ce fils a faite de sa mère par cette lettre, mérite de tenir place entre celles que ce Père a faites de ses filles spirituelles par les siennes ; qu’elle est très grave, très dévote, très éloquente et digne de ce célèbre Abbé de Cluny dont les œuvres ont été recueillies dans la Bibliothèque des Pères, qui a été honoré des évêques, respecté et visité des papes, appelé par eux aux conciles, chéri du grand Saint Bernard, et révéré de la France, de l’Espagne, de l’Angleterre, et de l’Italie, comme ayant été un grand seigneur par la naissance, un grand esprit par la nature, un grand personnage par la doctrine, et un grand Saint par la Grâce. Il m’a semblé aussi que la Vie de cette Sainte pouvait servir à montrer que Dieu fait naître de temps en temps dans l’Eglise des personnes rares et accomplies en ce sexe, pour les proposer comme des modèles, soit en leur siècle, soit aux siècles à venir, à celles de leur condition dont il lui plaît d’ouvrir les yeux, et qui méditent une généreuse retraite du monde, pour les fortifier par l’exemple de ces grandes âmes dans une si haute entreprise, et leur faire espérer les mêmes grâces que les autres ont reçues, le même calme de toutes les passions, le même détachement des faux biens et des vaines grandeurs de la terre, la même ferveur d’esprit, la même pureté de cœur, la même félicité en ce monde, et les mêmes couronnes en l’autre. XVIII. Exemple mémorable de ce temps, pareil à celui de Sainte Raingarde. Mais quelques rares que soient de si grandes vertus en nos jours, je dois rendre ce témoignage à la vérité que j’ai connue, et à l’honneur de l’Eglise de France, qui comme une autre Sara est encore belle et féconde en sa vieillesse, qu’il a paru depuis trente ans une parfaite imitatrice d’un si grand exemple, une nouvelle Sainte Raingarde en Madame Antoinette d’Orléans sortie de la très illustre maison de Longueville, et mère de Monsieur le Duc de Rets, qui étant demeurée veuve à vingt-trois ans, et possédant avec éminence toutes les grandes qualités d’une princesse, se trouva si touchée de cet « élèvement d’esprit qui n’est pas orgueilleux, mais céleste », et rehausse l’âme par-dessus toute la gloire du monde, comme le Ciel est élevé par-dessus la terre, qu’elle quitta la Cour pour se rendre Feuillantine ; et depuis l’admiration de sa vertu l’ayant fait appeler à Fontevraux par le désir qu’avaient toutes ces bonnes religieuses de l’avoir pour Abbesse, elle refusa cette charge, et au lieu de chercher les avantages qu’elle pouvait trouver dans un si grand Ordre, elle en sortit pour se rendre humble religieuse d’un Monastère de Bénédictines du Calvaire, qu’elle fonda à Poitiers, dans l’obscurité duquel elle ensevelit tout l’éclat de sa race et de sa condition, « y consacrant son corps au travail, son cœur à la pénitence, et ses yeux aux larmes », comme une autre Sainte Raingarde, et répandant une si grande odeur de sainteté parmi les personnes qui l’ont connue, dont j’ai eu l’honneur d’être du nombre, que si sa Vie était écrite avec le même soin et les mêmes lumières que celle de cette Sainte, elle pourrait l’égaler, et paraître sans doute avoir été d’autant plus éclatante aux yeux de Dieu qu’elle a été plus cachée aux yeux des hommes. XIX. Qu’on n’a traduit que les Vies assurées, et retranché toutes les fausses et suspectes. Au reste l’amour de la vérité, et l’aversion que les vrais Israélites doivent avoir de la fiction et du mensonge, m’ont porté à user de discernement dans la traduction de ces Vies, et choisir celles qui sont certaines, ayant été écrites ou par les Saints Pères, ou par de fidèles historiens Ecclésiastiques, et à laisser les autres qui sont fausses, ou au moins suspectes de fausseté et décriées parmi les savants hommes de l’Eglise, dont j’ai cru devoir respecter le jugement. C’est ce qui a fait que je me suis contenté de donner au public ce volume de la «  Vie de Saint Paul premier Ermite », écrite par Saint Jérôme, celle de « Saint Antoine », écrite par Saint Athanase Patriarche d’Alexandrie, celles de « Saint Hilarion », « Saint Malo », « Sainte Fabiole », « Sainte Marcelle », « Sainte Paule », « Sainte Léa », et « Sainte Azelle », écrite par le même Saint Jérôme, celles de « Saint Abraham et sa nièce », écrites par Saint Ephrem, celle de « Saint Siméon Stylite », écrite par Antoine son disciple, celle de « Saint Jean l’Aumônier Patriarche d’Alexandrie », écrite par Léonce Evêque de Naples en Chypre, celle de « Sainte Pélagie », écrite par Jacques diacre, celle de « Sainte Marie l’Egyptienne », écrite par Saint Sophrone Patriarche de Jérusalem, et celles de « Saint Pachôme, Saint Ephrem, et Sainte Thaïs », écrites par de très anciens auteurs Grecs, dont la sagesse et la solidité de l’esprit sont connues de tout le monde, encore que leurs noms ne le soient pas. J’en ai laissé neuf ou dix autres sans les traduire, ayant vu que le Cardinal Baronius et quelques écrivains catholiques les ont crues moins certaines que les autres : Car j’ai mieux aimé, comme dit le même Cardinal dans ses Annales (Baron. Anno.103. n°3), en diminuer le nombre que l’augmenter, en mêlant les fausses ou les douteuses avec les vraies et les assurées, la fausse monnaie avec la bonne, et des Romains spirituels, dont quelques Grecs ont pris plaisir de repaître la crédulité des peuples, avec des histoires constantes, et dont la foi est établie sur les témoignages des anciens et des auteurs graves et solides, qui leur ont donné cours dans toute l’Eglise. J’espère que les sages lecteurs approuveront ma conduite ; et que lorsque dans le second volume, qui contiendra ces admirables et fameuses Vies, rapportés par Rufin prêtre d’Aquilée, par Palladius Evêque d’Hélénopolis, par Saint Sulpice Sévère, par Jean Cassien, diacre de Constantinople, et depuis prêtre de Marseille, et par le très docte et Saint Evêque Théodoret, ils y liront des choses prodigieuses, soit en austérités, soit en miracles, ils y ajouteront d’autant plus de foi, que ces Auteurs n’ont écrit que les Vies des Solitaires qu’ils ont visités et entretenus eux-mêmes dans les déserts de l’Afrique et de l’Orient, et de ceux dont ils ont appris les vertus et les actions par le fidèle rapport des autres Saints qui les ont vus et ont vécu avec eux ; que Rufin raconte les mêmes choses que Pallade, et presque partout dans les mêmes circonstances, en parlant des mêmes Solitaires, quoiqu’ils n’aient pas fait ce voyage ensemble, et qu’ainsi ils se confirment l’un l’autre ; que Cassien qui a fait aussi le même voyage, et a demeuré dans ces solitudes, a été un homme docte et célèbre, que Saint Chrysostome envoya au pape pour se plaindre de sa déposition et de son exil, que Saint Léon le Grand lors archidiacre de Rome pria d’écrire, comme il fit, contre Nestorius encore vivant, et qu’il s’est acquis une créance toute entière dans ses relations historiques des Vies des Pères des déserts, quoi qu’il soit tombé en quelques erreurs touchant la grâce qui n’ont rien de commun avec le rapport qu’il a fait des actions de ces Solitaires ; que Saint Sulpice Sévère l’une des lumières de notre France n’a fait qu’un récit très exact du voyage de trois ans que Posthumien son ami, et Français, homme très sage et très religieux, fit en Afrique, où il vit les Solitaires de la haute Thébaïde, et en la Terre Sainte, où il demeura six mois avec Saint Jérôme dans le Monastère de Béthléem ; et quant au Saint Evêque Théodoret, il n’a parlé que de trente, lesquels ont été quasi les plus excellents de tous, et qui demeuraient près d’Antioche, lieu de sa naissance, dont les uns ont été connus, aimés et visités très familièrement de lui, et les autres de sa sainte mère, et qu’à moins que d’accuser ces deux Saints d’avoir été des méchants et des imposteurs, ce qui serait horrible à penser, il n’y a point de sujet de douter de la vérité des choses qu’ils ont écrites, quoi que ce soient les plus admirables de toutes, et les plus remplies d’événements rares et miraculeux. XX. Que la vérité de ces Vies surpasse de beaucoup toutes les fictions et les fables. Il y a lieu seulement d’adorer la Providence et la conduite de Dieu, qui a voulu faire faire des choses si extraordinaires et si merveilleuses à ces anciens Pères des déserts dans leur vie toute pénitente et toute céleste, que les fables et les fictions de l’esprit humain n’ont pas été si loin que leurs véritables et divines actions ; et qu’ainsi que l’art de la peinture n’a point de couleurs assez vives pour représenter la lumière du soleil, et les beautés de tant d’autres miracles de la nature ; de même l’imagination de l’homme n’a pas eu assez de force ni d’étendue pour tracer seulement une idée de ces vertus surnaturelles et de ces chefs-d’œuvre de la grâce. Il a voulu que comme le mystère de l’Incarnation de son Fils n’est point entré dans l’esprit de l’homme, aussi ce grand effet de ce grand mystère, savoir ce changement ineffable d’une vieille créature en une nouvelle, et d’hommes terrestres en hommes célestes, fût au-delà des pensées humaines, et qu’ainsi que les dons de la gloire qu’il a préparés pour ceux qui l’aiment, sont incompréhensibles aux hommes ; (Heb.II. v.38.) ; aussi les dons de la grâce qu’il a départis à ceux qu’il a tant aimés que de les ravir tout vivants au monde, lequel n’en était pas digne, pour se les réserver à lui seul en les menant dans ces solitudes, où lui seul parlait à leurs cœurs, et les rendait les temples de son Saint Esprit, et les organes de sa puissance surpassaient la portée et la lumière ordinaire de la raison, et eussent besoin d’être autorisés par les écrits de tant de témoins oculaires et irréprochables pour en rendre les hommes pleinement persuadés. Si donc il y a quelque crainte de Dieu et quelque discernement dans l’esprit de ceux qui s’amusent à lire ces malheureux romans, où le Démon s’est efforcé de faire un art ingénieux et honnête de la passion de toutes la plus déshonnête et la plus brutale, et d’empoisonner l’esprit pour corrompre ensuite la volonté, j’espère qu’ils chercheront plutôt un divertissement agréable et sérieux dans la lecture de ces histoires également belles et dévotes, que dans ces contes profanes et ces illusions toutes païennes ;qu’ils aimeront mieux des beautés naturelles et vivantes que des peintures mortes et des visages fardés ; qu’ils préféreront la vérité à des fables, les miracles que l’amour divin a faits à ceux que l’amour impudique a inventés, et les grands et solides ouvrages de la grâce toute pure aux basses et vaines productions de la raison toute corrompue. J’attends cet heureux effet de la bénédiction que le Saint Esprit pourra donner d’autant plus à ces Vies si saintes qu’elles sont plutôt des histoires de Dieu même que des hommes, puisque c’est lui qui par sa grâce et par sa puissance fait tout le bien, toute la sainteté et toutes les merveilles qu’on y admire ; et je l’attends aussi du secours des prières de ceux qui les liront avec piété, les conjurant au nom du Sauveur de ne pas les refuser, ni à l’ouvrage, afin que Dieu le rende utile à l’Eglise, ni à l’auteur, afin qu’il lui pardonne les fautes qu’il a pu commettre en travaillant, et lui grave de plus en plus dans le cœur l’amour de la retraite, de la solitude, et du silence dont il a besoin pour l’achever, et pour remplir son esprit des méditations de la mort et de l’immortalité.

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