jeudi 7 novembre 2019

Mgr Photios & Archimandrite Philarète, Le Nouveau Catéchisme contre la Foi des Pères, Une réponse orthodoxe.

Monseigneur Photios
Archimandrite Philarète
LE NOUVEAU CATECHISME
CONTRE LA FOI DES PERES
UNE REPONSE ORTHODOXE
EDITIONS L'AGE D'HOMME
COLLECTION LA LUMIERE DU THABOR
Collection La Lumière du Thabor
fondée par Patric Ranson (+)
dirigée par Michel Terestchenko et Laurent Motte
La Lumière du Thabor est le nom d'une revue orthodoxe publiée par la Fraternité Orthodoxe Saint-Grégoire-Palamas 30, boulevard de Sébastopol, 75004 PARIS
DEJA PARUS
P. AMBROISE FONTRIER, Saint Nectaire d'Egine. Nouvelle édition augmentée. 1993.
CYRIAQUE LAMPRYLLOS, La Mystification fatale, Etude sur le Filioque. 1987.
EVEQUE NICOLAS VELIMIROVITCH, Cassienne, l'enseignement sur l'amour chrétien. 1988.
P. JUSTIN POPOVIC, L'Homme et le Dieu-Homme. 1989.
PATRIC RANSON, Richard Simon, ou du caractère illégitime de l'augustinisme en théologie. 1990.
WLADIMIR GUETTéE, De la Papauté. 1990.
ARCHIMANDRITE ATHANASE JEVTITCH, Dossier Kossovo. 1991.
MICHEL AUBRY, SAINT PAïSSIUS Vélichkovsky. 1992.
NICOLAS CABASILAS, La Mère de Dieu. 1992.
P. JUSTIN POPOVITCH, Philosophie orthodoxe de la Vérité ( Dogmatique de l'Eglise Orthodoxe). Tome 1. 1992.
ARCHIMANDRITE JOACJIM SPETSIERIS, Sainte Photinie l'Ermite. 1992.
MONSEIGNEUR PHOTIOS
ARCHIMANDRITE PHILARETE
LE NOUVEAU CATECHISME CONTRE LA FOI DES PERES
UNE REPONSE ORTHODOXE
LA LUMIERE DU THABOR L'AGE D'HOMME
Il ne saurait y avoir de concession en matière de foi.

Saint Marc d'Ephèse Pour ma part, je n'ai jamais polémiqué, que je sache, ni avec les Grecs ni avec personne; Je ne crois pas, en effet, que les hommes de bien aient rien de mieux à souhaiter que de pouvoir, autant qu'ils le peuvent, et connaître et exposer la vérité en soi dnas son authentique réalité. Dès le moment que cette vérité, quelle qu'elle soit, est démontrée avec rectitude et snas erreur, dès lors qu'elle est clairement établie, par là même toute affirmation étrangère, prît-elle le masque de la vérité, sera réputée étrangère à la vérité telle qu'elle se présente en soi, dissemblable, spécieuse plutôt qu'authentique.
Saint Denys l'Aréopagite, Lettre à Polycarpe
Le critère de la vérité permettant de distinguer, dans l'Eglise, la vérité de l'hérésie a été énoncé au Vème siècle par saint Vincent de Lérins : " Dans l'Eglise universelle elle-même, il faut veiller à s'en tenir à ce qui a été cru partout, toujours et par tous" (Commonitorium, 2); Et le Synodikon de l'orthodoxie, résumant l'oeuvre du saint septième Concile oecuménique, a énoncé une fois pour toutes la norme de la foi orthodoxe, quand il a dit : " Comme les Prophètes ont vu, comme les Apôtres ont prêché, comme les Pères ont dogmatisé, comme l'Eglise a reçu, nous aussi, nous croyons, nous prêchons, nous enseignons". Le Credo de Nicée-Constantinople résume le contenu de la foi chrétienne : Je crois en un seul Dieu, le Père tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre et de toutes les choses visibles et invisibles. Et en un seul Seigneur, Jésus Christ, Fils unique de Dieu, né du Père avant tous les siècles, Lumière de Lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré, non créé, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait. Qui, pour nous hommes, et pour notre salut, est descendu des cieux, s'est incarné du Saint Esprit et de Marie la Vierge, et s'est fait homme. Il a été crucifié pour nous, sous Ponce Pilate, a souffert et a été enseveli et Il est ressuscité le troisième jour selon les Ecritures. Et Il est monté au ciel et siège à la droite du Père, d'où Il reviendra en gloire juger les vivants et les morts et son règne n'aura point de fin. Et en l'Esprit Saint, Seigneur, qui donne la vie, qui procède du Père, qui est adoré et glorifié avec le Père et le Fils, qui a parlé par les prophètes. En l'Eglise Une, Sainte, Catholique et Apostolique. Je confesse un seul baptême en rémission des péchés. J'attends la résurrection des morts et la vie du siècle à venir. Amen. Ce Credo a été composé par les Pères réunis en Concile à Nicée (325) puis à Constantinople (381), et accepté par la conscience de l'Eglise; Les Conciles oecuméniques suivants - Ephèse (431), Chalcédoine (451), Constantinople (553), Constantinople (680) - l'ont confirmé et ont interdit de faire la moindre modification matérielle à son texte, pour éviter toute tentative hérétique. Le Septième Concile Oecuménique, réuni à Nicée en 787, a déclaré : " A tous les hérétiques, anathème" et " Si quelqu'un rejette une tradition, quelle qu'elle soit, de l'Eglise, écrite ou non-écrite, qu'il soit anathème", car les Apôtres ont enseigné par leurs écrits, leurs paroles et leurs actes (2 Thess. 2, 15). Enfin le saint Concile de 879, à Constantinople, qui a réuni, en personne ou par leurs légats, les cinq Patriarcats de l'Eglise - Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem - a condamné solennellement, sous peine de déposition et d'anathème, ceux qui oseraient faire la moindre addition, suppression ou modification au Credo, dans lequel il a " fondé et érigé la base du salut". L'auteur d'une innovation qui contredit, si peu que ce soit, la foi reçue, accuse, par là-même, cette foi des Apôtres d'être imparfaite ou insuffisante. Or, le jour de la Pentecôte, les Apôtres ont été conduits "dans toute la vérité". Ils n'ont pas reçu un catalogue de dogmes, mais la grâce de la glorification, de la déification. La dogmatique orthodoxe n'a d'autre but que de protéger cette expérience, de la garder possible. Au Credo, à tout le dépôt de la foi (1) transmis par le Christ à son Eglise, défini par les Conciles et conservé par les canons de l'Eglise, et à toute la tradition, l'Eglise orthodoxe adhère indéfectiblement. (1) : (1 Tim. 6, 20 et 2 Tim. 1, 14). Si ces vérités et ces traditions étaient des choses humaines, le temps les aurait fait perdre. Et quand nous disons l'Eglise, nous entendons la communion de tous, car comme le rappelait l'Encyclique des Patriarches Orthodoxes, c'est à la communion d'amour de tout le corps du Christ qu' a été donnée l'infaillible proclamation de la vérité : " Chez nous, ni les Patriarches, ni les Synodes n'ont jamais pu introduire de nouveautés, parce que le défenseur de la religion, c'est le corps même de l'Eglise, ou le peuple lui-même, qui veut que son culte demeure éternellement inchangé et identique à celui de ses Pères (2)..." (2) : ( Encyclique de 1848, § 17. Texte grec dans Jean Karmiris, Monuments dogmatiques et symboliques de l'Eglise catholique orthodoxe (Ta Dogmatoka kai Symbolika Mnémeïa tês orthodoxou katholikes Ekklesias), t.2, Athènes, 1953, p. 920. Texte grançais : Encycliques des Patriarches Orthodoxes de 1848 et 1895. Paris, 1988, p. 40). Il est vrai que, de nos jours, certains ne cessent de flétrir ceux qui se tiennent à la solidité de la foi orthodoxe comme s'ils étaient des retardataires, attachés à des formes surannées. Toutefois, les vrais orthodoxes savent que Jésus Christ est le même hier, et aujourd'hui, et éternellement (Héb. 13, 8). Ils connaissent par expérience que "quiconque s'est uni à la Vérité, sait bien qu'il marche sur la voie droite, même si la foule le rappelle à l'ordre...Pour sa part, il a pleine conscience de ne pas être le fou que prétendent les autres et il sait que la possession de la vérité simple, perpétuelle, immuable l'a délivré tout au contraire de la fluctuation instable et mobile à travers les multiples variations de l'erreur (3)". (3) : ( Saint Denys l'Aréopagite, Les Noms Divins, 7, 4). Le Catéchisme de l'Eglise Catholique repose sur deux idées : d'une part, le Catéchisme se donne pour la transmission du "dépôt de la foi" et cette foi est unique (§§ 172-175); d'autre part, le dogme catholique est un "développement " de la foi originelle, celle du premier millénaire chrétien, à laquelle l'Eglise orthodoxe est restée fidèle - nul ne le conteste. (4). (4) :( " Pour l'intercommunion avec les orthodoxes, dit le cardinal Ratzinger, l'église catholique ne doit pas insister nécessairement sur l'acceptation des dogmes du second millénaire" ( Irénikon, 56, 1983, p. 235). En effet, c'est à peu près à partir de l'an mil que les catholiques ont commencé d'introduire dans le dogme les innovations que refusent les orthodoxes.) C'est dire que, à partir des grandes invasions, la foi chrétienne se serait épanouie dans des cadres historiques et culturels différents, en Orient, celui de l'Eglise grecque, et en Occident, celui de l'Eglise latine. Cette différenciation progressive aurait pour conséquence que ces mondes religieux auraient fini par ne plus se comprendre, et par se séparer. (5). (5) " Pendant plusieurs siècles, les Eglises d'Orient et d'Occident suivirent chacune leur propre voie, unies cependant par la communion fraternelle dans la foi et la vie sacramentelle" ( Décret sur l'Oecuménisme, Unitatis Redintegratio de 1964, chapitre 3). C'est ce qu'on appelle l'estrangement, ou éloignement culturel progressif (6), aboutissant au schisme de 1054. (6) : ( Voir Y. Congar, Neuf Cents Ans Après, Notes sur le "Schisme oriental", extrait de l'ouvrage 1054-1954 L'Eglise et les Eglises, Chevetogne, 1954, p. 7-8, 94-95.) Or, pour deux raisons essentielles, cette conception ne peut être acceptée : - Il est inexact de parler d'estrangement. - La dogmatique catholique n'est pas un développement de la doctrine des Apôtres et des Pères, mais elle est en contradiction avec elle sur des points fondamentaux. Le présent livre a pour but de démontrer le second de ces deux points. Sur le premier, nous ferons deux remarques. 1) Le dialogue n'a jamais cessé entre les deux parties de l'ancien Empire romain. Il n'est pas juste de dire qu'il renaît aujourd'hui après des siècles de silence. 2) Le "catholicisme" est le résultat d'un conflit qui a duré en Occident pendant plusieurs siècles, du VIIème au XIème à peu près. Ce conflit s'est déroulé non pas entre l'orient et l'occident, mais à l'intérieur de l'Occident. Après la rupture de communion entre l'Orient et l'occident, les Pères de l'Eglise sont apparus comme une source continuelle de difficultés et d'opposition à la théologie occidentale. 1. Les rapports entre l'Orient et l'Occident Est-il exact de dire qu'il y a eu une coupure entre l'orient et l'Occident et que cette coupure a fait diverger les rhéologies? En fait, les rapports n'ont jamais cessé entre les deux parties de l'Empire Romain, même après qu'elles ont été séparées politiquement à cause des invasions barbares. D'autre part, même si ces régions avaient été séparées bien plus gravement, était-ce une raison pour se mettre à avoir des théologies différentes? L'histoire de la Géorgie prouve que non. Elle a été complètement coupée du reste de l'orthodoxie et est restée orthodoxe. Ni les différences linguistiques, ni les différences culturelles n'imposent les innovations dogmatiques. Plusieurs des textes dogmatiques importants de l'Eglise orthodoxe sont nés à l'occasion de rencontres dont chaque siècle a fourni sa moisson. Saint Photios, dans sa Mystagogie du Saint Esprit, répond aux arguments des carolingiens. Aux traités Contre les erreurs des Grecs, font pendant, durant le Moyen-Age, les traités Contre les latins. Le Concile de Lyon (1274) est pour les moines de l'Athos l'occasion de grandes lettres dogmatiques. Au XIVème siècle, Grégoire Palamas dialogue avec le calabrais Barlaam et provoque la convocation de trois conciles qui rejettent la scolastique augustinisante de Barlaam. Thomas d'Aquin est traduit en grec et Calixte Angélicoudès le réfute (7). (7) : (Contre Thomas d'Aquin, voir La Lumière du Thabor, n° 25 Paris, 1990, p. 32-46 et n°26, p.33-46). Lors du Concile de Florence (1439) les meilleurs théologiens des deux partis disputent du Purgatoire et du Filioque, avec des arguments subtils. En 1573, Jérémie II patriarche de Constantinople, noue avec les luthériens de Tübingen une correspondance restée célèbre. A partir du XVIIème siècle, les voyages et les contacts se multiplient. Catholiques et protestants essayaient de tirer chacun à soi les orthodoxes, victimes d'une situation politique des plus difficiles, la turcocratie, qui entravait les études théologiques. Aux confessions de foi non-orthodoxes de Cyrille Loukaris et de Pierre Moghila ont répondu divers Conciles, tenus à Jérusalem ou à Constantinople. La querelle de l'eucharistie, qui divisait protestants et catholiques, et où s'illustrèrent surtout le pasteur Claude et le janséniste Nicole, fut arbitrée par le patriarche Dosithée et le concile de Jérusalem en 1672. Ce concile eut plusieurs éditions à Paris, La Haye, Londres, etc...Citons enfin la réponse des Patriarches Orientaux aux Anglicans non-jureurs ( 1716- 25), les Conciles de 1691, 1722, 1727, 1838, qui sont des réponses à la propagande uniate et aux principales questions soulevées par la théologie latine. Avec la réponse de Grégoire VI à Pie IX qui l'invitait au Concile de Vatican I ( 1868) et l'Encyclique des Patriarches Orientaux répondant aux propositions de Léon XIII, en 1895, le dialogue s'établit très directement. Bref, il est abusif de parler d'estrangement culturel. Nous ne voulons pas nier les différences de mentalité qui affectent l'Orient et l'Occident; mais suggérer que ces différences sont plutôt le résultat que la cause d'une divergence qui est, dans son principe, théologique. 2. Les innovations occidentales au risque des Pères Au sein de la théologie occidentale s'est déroulée une véritable guerre civile (8). (8) : ( Voir Patric Ranson, Ricahrd Simon ou du caractère illégitime de l'augustinisme en théologie, L'Age d'Homme, lausanne, 1990, qui introduit et justifie cette idée). En effet, chaque fois que les Pères anciens ont été édités, étudiés et mieux connus, cette redécouverte du christianisme en ses sources a provoqué une crise dans la théologie. L'opposition entre la tradition ancienne, que l'Eglise catholique prétend suivre, et les doctrines plus récentes qu'elle a admises ou même inventées, devient manifeste dès que l'on confronte la doctrine des Pères grecs, latins, syriaques ou autres, aux enseignements des scolastiques quels qu'ils soient. Pour le montrer, nous utiliserons trois exemples. Tout d'abord, la querelle qui a eu lieu, en France, pendant des siècles, autour de la constitution de l'Eglise. Ensuite, la controverse de l'augustinisme En troisième lieu, les débats sur la vision de Dieu, qui portent "sur la nature même des expériences spirituelles les plus élevées auxquelles les hommes sont appelés dans ce monde-ci et dans le monde à venir (9)". (9) : ( Mgr Photios, Une lecture orthodoxe, Revue des Deux Mondes, avril 1993, p. 80). a) L'ecclésiologie de la papauté face à l'ancienne ecclésiologie La doctrine de l'Eglise et du rôle du Pape a été, dans l'Occident, la source d'un conflit qui a duré jusqu'au dix-neuvième siècle et qui s'est achevé dans le schisme entre les ultramontains et les Vieux-Catholiques. La lutte entre les deux conceptions de l'Eglise avait commencé sous les carolingiens, mais pour comprendre ce qui s'est passé à cette époque-là, il faut remonter aux évènements tragiques pour l'Eglise des Gaules qui l'ont précédée immédiatement. Sous les rois mérovingiens, en effet, l'Eglise avait été décapitée, les Maires du Palais ayant transformé les évêchés et les monastères en de simples fiefs, qu'ils attribuaient à des évêques et à des abbés ignorant tout de la religion. " Aussi peut-on dire, écrit l'abbé Guettée, que l'Eglise Franke n'eut bientôt plus d'évêques, et qu'elle n'eut pour chefs que des guerriers...Si ces prétendus évêques faisaient des visites pastorales, c'était pour piller les peuples et rançonner des prêtres qui n'étaient, à leurs yeux, que des vassaux; ils se croyaient non pas les pères, mais les maîtres du clergé; non pas les pasteurs du peuple, mais des seigneur (10) ..." (10) : ( Abbé Guettée, Histoire de l'Eglise de France, III, Lyon-Paris, 1848, p. III. Sur l'abbé Guettée, voir l'Appendice du présent ouvrage). Cette décadence explique la suite. " L'Eglise de France ayant abdiqué, pour ainsi dire, sa propre direction, après l'invasion des barbares qu'elle subit à la fin du VIIème siècle; la papauté la gouverna par les karolingiens (11)... (11) : (Nous gardons l'orthographe de l'auteur, qui se conforme aux règles d'Augustin Thierry, soucieux de restituer la prononciation la plus juste des noms germaniques). Il y eut des réclamations contre cette action immédiate de la papauté dans le gouvernement des Eglises particulières, et ce fut pour soutenir ses prétentions que l'on composa alors la collection des fausses décrétales. Cette collection ne fut pas adoptée généralement en France. Les plus grands évêques, comme Agobard et Hincmar, réclamèrent énergiquement en faveur de l'ancien droit. La papauté soutint ses prétentions. De là, les premières luttes gallicanes et ultramontaines qui se sont modifiées avec le temps mais qui durent encore (12)". La dissension séculaire qui opposa les gallicans aux ultramontains, reposaient donc sur cette usurpation première, contraire à l'ancien droit ecclésiastique, celui de la tradition apostlique; et c'est la volonté paradoxale de maintenir des éléments d'ecclésiologie orthodoxe dans un contexte hérétique qui explique la chute des gallicans. " Le gallican voulait une papauté soumise aux canons, soumise au concile oécuménique qui était la plus haute autorité dans l'Eglise. Seulement il admettait, en théorie, le pape comme chef de l'Eglise de droit divin. C'était une inconséquence (13)". (13) : ( W. Guettée. Souvenirs d'un prêtre romain devenu prêtre orthodoxe, Paris-Bruxelles, 1889, p. 180). Cette lutte intestine sur la constitution même de l'Eglise, qui devait aboutir à la grande erreur de l'infaillibilité pontificale, définie en 1870, témoigne éloquemment de la résistance de l'élémént traditionnel, en même temps que de sa fablesse dès qu'on le détache de la pierre de la vraie foi, d el'Eglise divino-humaine. b) Le péché originel et la prédestination La doctrine augustinienne du péché originel et de la prédestination a été, elle aussi, la source d'innombrables conflits ou plutôt d'un conflit récurrent au cours de l'histoire de la théologie occidentale. Pour résumer cette querelle, disons simplement que, face à Pélage qui affirmait que l'homme se sauve par son propre effort, Augustin en est venu à dire que Dieu seul sauve l'homme, et que l'homme ne peut pas vraiment collaborer à son salut en le voulant, parce que c'est Dieu même qui meut de l'intérieur la volonté humaine et lui fait désirer le salut. Depuis qu'Adam est tombé par le péché, tous les hommes naissent dans le péché originel, et méritent justement l'enfer. Dieu, dans sa bonté, en sauve quelques-uns, sans mérite de leur part : les prédestinés. Bref, la liberté de l'homme disparaît, ou reste inopérante. La doctrine d'Augustin a été perçue par les chrétiens fidèles à la tradition apostolique comme une hérésie inverse de celle de Pélage, mais aussi dangereuse pour la foi et pour la vie. Pour les Pères en effet, le salut est le don gratuit de Dieu, mais l'homme créé libre et responsable de ses actes, peut et doit collaborer avec Dieu dnas l'oeuvre du salut. C'est la doctrine de la synergie, de la coopération entre deux libertés, celle du Dieu créateur et celle de l'homme créé à Son image. Au cinquième siècle, les moines de Provence, saint Jean Cassien, saint Vincent de Lérins, saint Fauste de Riez, ont lutté à la fois contre Pélageet contre Augustin et ses partisans. AU neuvième siècle, la querelle se ralluma avec plus de vigueur entre Hincmar de Reims et Godescalc d'Orbais, et tous les théologiens de Gaule y participèrent. Ce qui rendait, dès cette époque, le débat insoluble, c'est que plus personne ne soutenait la vraie doctrine des Apôtres et des Pères dans ssa totalité. " En résumé, l'épisode du IXème siècle contient en germe tous les débats ultérieurs. Deux conceptions étaient aux prises, elles le restent encore aujourd'hui, exprimant chacune à sa manière quelque chose de l'incompréhensible mystère (14)". (14) : (Op. cit., colonne 2933). Ces lignes de Garrigou-Lagrange, que sont-elles, sinon un aveu clair et sans phrase de la permanence de cette "guerre civile dans la théologie occidentale"? Sur les prolongements de cette polémique au Moyen-Age, on peut citer le même auteur, qui explique comment tous les grands scolastiques - Anselme, Pierre Lombard, Bonaventure, Albert le Grand, Thomas d'Aquin, Duns Scot - se sont donné pour tâche de concilier "les deux aspects extrêmes du mystère", c'est-à-dire la doctrine des Pères dont saint Jean Damascène offrait la meilleure formulation, et la doctrine augustinienne de la prédestination (15). (15) : ( R. Garrigou-Lagrange, article Prédestination dans le Dictionnaire de Théologie Catholique (Paris, 1903-1950), col. 2935-2936.) Au seizième, puis au dix-septième siècle, la connaissance plus approfondie des Pères a fait resurgir la guerre. D'où, en particulier, la crise janséniste, qui n'est qu'un épisode des débats sur la grâce, interminables, et parfois peu gracieux (16). (16) : ( Bossuet fit fermer par le Chancellier Le Tellier le séminaire de son ancien professeur, Jean de Launoy, parce que celui-ci enseignait la coopération de la grâce et du libre-arbitre à la manière des Pères de Provence qui étaient, selon lui, orthodoxes, et selon Bossuet, semi-pélagiens, donc hérétiques. Bossuet fit aussi brûler les oeuvres de l'anti-augustinien Richard Simon). Les auteurs des siècles suivants n'ont jamais trouvé la solution qui aurait échappé aux classiques. Cette querelle portait dans son sein le déisme (17), l'athéisme et finalement le renoncement à tout dogmatisme qui caractérise notre époque (18). (17) : ( Ecrivant à Malebranche, un auteur du XVIIIème siècle, Robert Challe, justifie son déisme en traçant le portrait du Dieu augustinien : " On ordonne d'aimer Dieu, et en même temps on le rend le plus odieux qu'il soit possible d'imaginer et de concevoir. On dit que le genre humain est une masse de perdition condamnée en des supplices horribles et éternels, dont Dieu n'a tiré qu'un très petit nombre par sa volonté absolue. En admettant cette supposition, je confesse que je suis de ce petit nombre, on peut me demander cet amour de Dieu, mais il y a cent mille fois plus à craindre qu'à espérer; ainsi, je suis presque sûr d'être réprouvé, et comment veut-on que j'aime celui qui vraisemblablement me prépare des tourments éternels et sans fin? Si vous étiez pris des algériens, M.R.P., avec toute votre communauté, et que vous sussiez certainement que le Bey ordonne qu'on vous empalât tous, sauf un seul qu'il veut, de ssa grâce spéciale et gratuite, qu'on renvoie en France avec des présents; jusqu'à l'exécution, aucun l'aimerait-il? et après l'exécution, aimerait-on un homme si capricieusement cruel?" R. Mortier, édition, introduction et annotation des Difficultés sur la religion proposées au P. Malebranche par Mr..., officier militaire dans la Marine. Bruxelles, 1970, p. 92. Texte réédité par F. Deloffre et M. Menemencioglu : R. Challe, Difficultés sur la religion proposées au Père Malebranche, édition critique d'après un manuscrit inédit, Paris, 1983). (18) : ( La doctrine augustinienne trop bien prêchée serait l'une des causes de la déchristianisation selon certains auteurs comme J. Delumeau, Le Péché et la Peur, Paris, 1983, qui conclut: "On peut dès lors se demander si le rejet d'une pastorale trop lourde n'a pas constitué une des causes de la "déchristianisation" de l'Occident" (p. 627). c) La vision de Dieu La volonté même de lier philosophie et théologie qui, nous l'avons dit, est au coeur de la théologie dite occidentale, entre en opposition avec le principe sacré des Pères, selon lesquels il vaut mieux se purifier pour Dieu que de parler de Dieu. La théologie philosophique de l'Occident a pris un autre point de départ que cette purification : elle identifie Dieu avec l'être, et elle pense qu'une vision de l'essence de Dieu est possible (19). (19) : (E. Gilson exprime ces deux postulats dans son Introduction à la philosophie chrétienne, Paris, 1960, p. 16 : "Moïse, écrit notamment Gilson, l'emporte sur les autres prophètes par la vue intellectuelle qu'il eut de Dieu puisque, comme plus tard saint Paul dans son ravissement, il a vu l'essence même de Dieu". " ...le théologien maintient que voir Dieu "face à face" signifie "voir l'essence divine"... puisque l'essence divine est identiquement cet acte pur d'être, voir Dieu tel qu'il est consiste à voir cet esse (être), qui est en lui l'essence...Le mode d'être propore à l'objet définit du même coup la manière de le voir "tel qu'il est" ( p. 85-86, cf. Somme Théologique, Ia, q. 1). Or, nous l'avons vu, l'expérience des Pères condamne absolument ce genre de démarche, qui conduit à remplacer le Dieu vivant par un concept ou une idole de Dieu. C'est pourquoi les maîtres de l'Université de Paris ont condamné la thèse patristique selon laquelle l'essence de Dieu est invisible même aux anges, même aux saints, et pour l'éternité (20). (20) : (Chartularium Universitatis Parisiensis, 1, Paris, 1889, n. 128). Thomas d'Aquin pensait que, dans la vie future, les bienheureux verraient l'essence de Dieu. Il essaya d'interpréter les Pères dans le sens de son système (21). (21) : ( Thomas d'Aquin, Somme Théologique, Ia, q. 12, a.1). Lorsque les textes patristiques furent mieux connus, on s'aperçut de l'inutilité de ces efforts faits pour concilier les Pères avec les dogmes nouveaux issus de la spéculation philosophique (22). (22) : ( Voir Vasquez, Petau, Ruiz, cités par V.Lossky, Vision de Dieu, Neuchatel, 1962, p. 13-19). Au lieu d'en conclure que l'Occident s'était égaré en cessant de suivre les Pères, on affirma que ces derniers avaient une doctrine moins développée, moins parfaite, que celle des scolastiques. Dès lors, ceux qui les suivent, c'est-à-dire les orthodoxes, sont accusés d'être des retardataires. Cette conception de l'Histoire repose sur un préjugé : l'Eglise devrait évoluer pour parfaire l'intelligence qu'elle a des dogmes. Or, s'il est bien vrai que chacun, dans l'Eglise, progresse dans sa connaissance du dogme révélé, il est absolument contraire à l'essence de l'Eglise d'améliorer sa connaissance de la Vérité. Les trompettes du Sinaï, qui sonnaient de plus en plus fort, ont symbolisé la manifestation de plus en plus éclatante du dogme de l'Eglise. Mais l'Eglise, Corps du Christ, n'a pas à passer d'un stade imparfait à un stade plus parfait. En Sa tête, qui est le Dieu-Homme, elle possède déjà la perfection. D'où l'affirmation constante des Pères, qu'il faut s'en tenir au dépôt de la foi, sans rien ajouter ni rien retrancher. Certaines personnes accusent les orthodoxes de chicaner ainsi sur des détails, alors qu'eux-mêmes, portés sur les ailes de l'amour, les survoleraient allègrement. " Où sont-ils donc ceux qui nous accusent d'humeur querelleuse, parce que nous ne sommes pas d'accord avec les hérétiques? Où sont-ils maintenant ceux qui disent qu'entre nos adversaires et nous il n'y a point de différence de doctrine, mais que toute la lutte provient de notre esprit de domination? Qu'ils écoutent les propres paroles de Paul : d'après lui, celui qui veut introduire le plus mince changement dans l'Evangile, le renverse (23) ". (23) : ( Saint Jean Chrysostome, Commentaire de l'Epître aux Galates, 1, sur Gal.1, 7). Nous plaçant dans cette perspective, au niveau bien modeste qui est le nôtre, nous espérons montrer que les dogmes du Catéchisme sont nouveaux par rapport au dépôt de la foi et en contradiction avec lui sur plusieurs points essentiels. Et ceci ouvre à l'oecuménisme une perspective qui n'a guère été explorée. Au lieu d'essayer d'émettre des "communiqués communs" et de forger des formules "acceptables par tous" et qui, tôt ou tard, révéleront l'erreur logique dont elles sont grevées, il serait plus simple et plus expédient de se rapporter aux Apôtres, aux Conciles et aux Pères anciens. Lorsque la foi de l'Eglise catholique sera redevenue celle de saint Ambroise, de saint Jérôme, de saint Hilaire de Poitiers, le chrétien vivant en Occident se trouvera dans un accordimmédiat et naturel avec ses frères, d'où qu'ils soient, d'Orient ou d'ailleurs, qui ont gardé la foi droite. Et il aura, du même coup, réalisé le commandement du Pape Célestin de Rome : Desinat novitas incessere vetustatem, que l'innovation cesse d'attaquer l'antiquité. I DOGME TRINITAIRE LA REAFFIRMATION DE L'HERESIE DU FILIOQUE La doctrine la plus élevée de la théologie chrétienne est celle de la Tri-Unité divine : Dieu se révèle comme Un en Trois Personnes, Père, Fils et Saint Esprit. Ayant même essence, les trois Personnes ou Hypostases sont un seul Dieu, mais elles diffèrent par des propriétés personnelles et ainsi sont la Trinité. Le Père est sans principe, le Fils naît du Père, le Saint Esprit procède du Père. " La propriété spécifique de Père est le non-engendrement, celle du Fils l'engendrement et celle de l'Esprit Saint la procession (24). (24) : (Saint Grégoire le Théologien, Homélie 25, 15, 16, PG 35, 1220, 1221). "C'est uniquement par ces propriétés personnelles que les trois Saintes Hypostases diffèrent entre elles (25)". (25) : ( Saint Jean Damascène, De la Foi, 1, 8, PG 94, 824 B). Dans la conscience bénie qu'ils avaient de cette théologie à la fois unitive et distinctive, les Pères du Concile de Constantinople ont ainsi fixé la foi dans le Saint Esprit : " Je crois en l'Esprit Saint, Seigneur qui donne la vie, qui procède du Père, qui est adoré avec le Père et le Fils, qui a parlé par les prophètes". En énonçant l'attribut propre de la Personne du Saint Esprit, ils n'ont rien ajouté à l'Evangile, où le Seigneur Jésus Christ déclare de sa propre bouche : " Lorsque sera venu le Consolateur, que je vous enverrai de la part du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père, Il rendra témoignage de moi" ( Jean 15, 26). L'Eglise orthodoxe n'a rien ajouté, rien retranché ni rien modifié sur ce point : fidèle au Credo de Nicée-Constantinople, normatif pour toute l'Eglise, elle a toujours enseigné que le Saint Esprit procède du Père seul, comme elle a toujours enseigné que le Fils naît du Père seul, puisque le Credo dit de ce dernier : " Né du Père avant tous les siècles". En disant que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils ( en latin Filioque) et en incorporant cette doctrine dans le Credo, l'Eglise catholique a introduit une innovation qui est contraire à l'enseignement unanime des Apôtres, des Pères et des Conciles. L'église orthodoxe lui reproche donc ici deux choses : a) l'insertion du Filioque au Credo de Nicée-Constantinople, alors que les Pères ont scellé le Credo, comme nous le verrons; b) le dogme lui-même, c'est-à-dire l'idée que le Saint Esprit procède du Père et du Fils, idée qui non seulement ne se trouve pas dans la Tradition, mais que les écrits des Pères rejettent même explicitement. Les Papes Innocent III au Concile de Latran en 1215, Grégoire X au Concile de Lyon en 1274 et Eugène IV au Concile de Florence en 1439 ont proclamé le Filioque comme une vérité de foi. Ils pensaient que, sans elle, on ne pouvait être sauvé (26). (26) : ( Les anathèmes de ces deux conciles ou plutôt de ces deux brigandages n'ont jamais été levés par la papauté. Celui du 18 mai 1274 proclame : " Nous condamnons et nous réprouvons ceux qui ont osé nier que le Saint Esprit procède éternellement du Père et du Fils"; celui du 4 février 1442, bulle d'union avec les coptes, condamne et déclare étrangers à l'Eglise tous ceux qui refusent de dire que le saint Esprit procède éternellement et sans commencement du Père et du Fils.) C'est aussi parce qu'il accusait les orthodoxes d'avoir retiré le Filioque du Credo que le légat du pape, le cardinal Humbert, avait déposé, en 1054, sur l'autel de Sainte-Sophie à Constantinople, un libelle excommuniant le patriarche orthodoxe de Constantinople, Michel Cérulaire, acte qui fut à l'origine du schisme définitif entre l'Eglise orthodoxe et l'Eglise catholique. S'agissant d'un dogme aussi fondamental, qui touche à la Personne du Saint Esprit, on doit s'attendre à ce que le Catéchisme le reprenne, en l'expliquant plus clairement et en le justifiant plus sûrement que ne l'ont fait les auteurs catholiques du passé, puisque, durant des siècles, l'Eglise de Rome a essayé de légitimer sa position par toutes sortes d'arguments, que les théologiens orthodoxes ont, de leur côté, réfutés. En ce qui concerne la première faute que représente le Filioque, c'est-à-dire, la falsification du Credo, qu'enseignent les Catéchistes? 1. Le Credo relativisé L'exposé historique des §§ 186 à 196 du Catéchisme omet la référence fondamentale, celle du IIIème Concile Oecuménique qui a interdit de présenter à quiconque veut entrer dans l'Eglise un autre Credo que celui de Nicée-Constantinople. Et le saint IVème Concile Oecuménique, de Chalcédoine, dit dans sa cinquième session : " Le saint Concile oecuménique a décidé qu'il ne serait permis à personne de publier, c'est-à-dire d'écrire, de composer, d'enseigner ou de présenter une autre foi. Quant à ceux qui oseraient écrire, composer ou présenter une autre foi, s'ils sont évêques ou clercs qu'ils soient déchus, les premiers de l'épiscopat, les seconds de leur rang dans le clergé; s'ils sont laîcs, qu'ils soient anathématisés". La raison pour laquelle le Concile a interdit de composer une autre foi, c'est-à-dire, un autre texte du Credo, que celui de Nicée-Constantinople est que la présence de plusieurs formulaires favorisait les hérétiques, qui pouvaient subrepticement introduire leurs credos faussés. L'existence d'une seule formule de la foi pour toute l'Eglise rend impossible cette manoeuvre. Saint Cyrille d'Alexandrie, participant du troisième Concile Oecuménique, a donné toutes les explications sur cette interdiction, dans sa lettre à Jean d'Antioche : " Nous n'acceptons en aucune manière de voir ébranler la foi que nos Pères ont exposée, et nous n'autorisons ni nous-même ni personne d'autre à changer un mot de ce qui s'y trouve, voire même à en laisser tomber la moindre syllabe, nous souvenant de Celui qui dit : Tu ne déplaceras pas les bornes éternelles que tes Pères ont fixées (Deut. 19, 14). Car ce n'était pas eux qui parlaient, mais l'Esprit de Dieu le Père, qui procède de Lui et qui n'est pas étranger au Fils selon l'essence (27)". (27) : ( PG 77, 180 D). Il est donc bien vrai qu'il y a eu, à l'origine, dans l'Eglise, plusieurs symboles vénérables, et qu'il reste permis d'expliciter le symbole de Nicée-Constantinople; mais il est interdit de se référer à un autre Credo que ce dernier, si l'on entend parler au nom de l'Eglise. Qui a donné aux auteurs du Catéchisme le droit de préférer le Symbole des Apôtres (§ 196), qui est vénérable, mais qui n'est pas le Credo? Pourquoi mettre ainsi de côté l'oeuvre des Conciles, des Pères et des papes antérieurs? 2. Le Credo descellé Le catéchisme cite ensuite faussement, page 50, le Credo de Nicée-Constantinople. Un texte de l'ambition théologique du Catéchisme de l'Eglise catholique devrait pratiquer, à tout le moins, les règles de la stricte objectivité et présenter les textes avec rigueur et exactitude. Or, la citation qui est donnée du Credo de Nicée-Constantinople (Premier et Deuxième Conciles Oecuméniques, tenus en 325 et 381) y introduit, contre toute vérité historique, la double procession du Saint-Esprit du Père et du Fils ou Filioque (§ 184, p. 50). Comment le Catéchisme peut-il, d'un côté, affirmer que le Symbole de Nicée-Constantinople "demeure commun, aujourd'hui encore, à toutes les grandes Eglises de l'Orient et de l'Occident" (§195) et le citer dans une version inexacte, puisque le Filioque ne figurait pas dans le Symbole de Nicée-Constantinople, qu'il n'est apparu qu'autour du VIème siècle, qu'il fut combattu par les Papes de Rome Léon III et Jean VIII, que son addition au Credo est jugée par l'Eglise orthodoxe comme une hérésie, et qu'elle fut, au XIème siècle, la cause de la rupture de la communion avec Rome de tous les Patriarcats de l'Eglise? Comment peut-on passer sous silence des faits dont la vérité est sue de tous ceux qui ont un peu de connaissance de l'histoire de l'Eglise? Le Catéchisme se trahit d'ailleurs lui-même, car quelques pages après avoir cité le Symbole de Nicée-Constantinople, il reconnaît que le Filioque est une "traditionlatine" ( § 246), qu'il "ne figurait pas dans le symbole confessé en 381", et qu'il " a été peu à peu admis dans la liturgie latine ( entre le VIIIème et le IXème siècle) " ( § 247). Si, comme le reconnaissent les théologiens romains " l'introduction du Filioque dans le Symbole de Nicée-Constantinople par la liturgie latine constitue cependant, aujourd'hui encore, un différend avec les Eglises orthodoxes" (§ 247), comment les mêmes auteurs pouvaient-ils écrire quelques pages plus haut qu'il est "commun, aujourd'hui encore, à toutes les Eglises de l'Orient et de l'Occident"? Car ou bien il s'agit d'un article secondaire et, dès lors, on ne comprend pas pourquoi il fut et demeure la cause principale de la séparation des Eglises d'Orient et d'Occident depuis près de mille ans; ou bien, il s'agit, ce qui est effectivement le cas, d'une question dogmatique qui porte sur l'essentiel et on ne saurait prétendre que c'est le même Credo que nous confessons. La contradiction est aussi totale que subtilement dissimulée. Le paragraphe 247 déclare que "suivant une ancienne tradition latine et alexandrine, le Pape saint Léon l'avait déjà confessée ( l'affirmation du Filioque) dogmatiquement en 447", sans ajouter, ce qui aurait été honnête, que les historiens catholiques les plus éminents ont eux-même reconnu que cette tradition était une erreur (28). (28) : ( Le Catéchisme renvoie sur ce point (note 4 de p. 62) au livre de H. Denziger, Enchiridion Symbolorum, § 284. Le texte d eréférence est une lettre censément écrite par Léon Ier à l'Evêque Turrèbe ou Turribius d'Astorga le 21 juillet 447. Or le savant éditeur signale lui-même que les plus grands doutes existent sur ce texte : " Künstle dans Antipriscilliana (livre paru à Fribourg en 1905) affirme que cette lettre a été composée par un faussaire après le Synode de Braga de 563, sur les anathèmes duquel elle est fondée". Si ce texte est un faux et si tout ce qu'on peut en dire c'est qu'il est postérieur à 563, il ne prouve rien ici). L'historien du Filioque, Cyriaque Lampryllos renvoie sur ce point à Pagi et à Ffulkes (29). (29) : (A la p. 23 de la nouvelle édition de La Mystification Fatale, Lausanne, L'Age d'Homme, 1987). Sans développer tous leurs arguments, nous citerons un texte incontestable, qui se trouve dans toutes les collections des Conciles, faisant partie de celui d'Aquisgrane, en 809. Charlemagne avait envoyé Smaragde et d'autres théologiens au Pape Léon III. Or, la première chose qu'ils disent au Pape est que la question du Filioque est née récemment ( nuper exorta). Selon tous les chroniqueurs francs (Adon de Vienne, etc), elle a été agitée pour la première fois en Concile en 767. Si le pape avait confessé cette doctrine en 447, comment pourrait-elle être récente en 809? Le Pape Léon III s'est opposé à l'addition du Filioque en faisant graver, sur deux tables d'argent, en latin et en grec, le Credo inaltéré de Nicée-Constantinople, avec ces mots : " Moi Léon, j'ai fait graver ceci par amour et sauvegarde de la foi orthodoxe (30)". (30) : ( Voir sur cette question primordiale, Cyriaque Lampryllos, La mystification fatale, Etude orthodoxe sur le Filioque, cité ci-dessus; saint Photios, Oeuvres Trinitaires II, La Mystagogie du Saint Esprit, Paris, 1991, Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas, Introduction du Père Patric Ranson, p. 16 sq). Les orthodoxes s'en tiennent à la doctrine qui fut celle des papes orthodoxes de Rome, ceux qu'énumère saint Photios dans sa Mystagogie, Damase, Célestin, Léon le Grand, Vigile, Agathon, Grégoire, Zacharie, Benoît, Jean VIII, Adrien, et de tous jusqu'au IXème siècle au moins. Citons, pour finir sur ce point, les mots du VIIème Concile Oecuménique : " Nous gardons les lois de l'Eglise, nous conservons les définitions des Pères, nous anathématisons ceux qui ajoutent ou retranchent quelque chose de l'Eglise". 3. Un dogme faux L'hérésie du Filioque est probablement née d'une interprétation, que les conciles de Tolède ont faite, en Espagne au VIème siècle, et que les théologiens carolingiens, puis les scolastiques des siècles suivants, se sont attachés à justifier dogmatiquement. Toutes leurs démonstrations ont été combattues par les théologiens orthodoxes, dont le premier est saint Photios qui écrivit La Mystagogie du Saint Esprit pour répondre aux arguments des carolingiens. Tous les Pères de l'Eglise qui sont venus par la suite, comme saint Grégoire Palamas et saint Marc d'Ephèse, ont confirmé cette condamnation du Filioque. L'Eglise catholique accepte-t-elle ou conteste-t-elle la réfutation orthodoxe? Le § 248 du Catéchisme nous éclaire sur ce point : " La tradition orientale exprime d'abord le caractère d'origine première du Père par rapport à l'Esprit. En confessant l'Esprit comme "issu du Père" (Jn 15, 26), elle affirme que celui-ci est issu du Père par le Fils. La tradition occidentale exprime d'abord la communion consubstantielle entre le Père et le Fils en disant que l'Esprit procède du Père et du Fils (Filioque). Elle le dit " de manière légitime et raisonnable" ( Concile de Florence, en 1439), car l'ordre éternel des personnes divines dans leur communion consubstantielle implique que le Père soit l'origine première de l'Esprit en tant que "principe sans principe", mais aussi qu'en tant que Père du Fils unique, Il soit avec Lui "l'unique principe d'où procède l'Esprit Saint" (Concile de Lyon en 1274). Cette légitime complémentarité, si elle n'est pas durcie, n'affecte pas l'identité de la foi dans la réalité du même mystère confessé" Que cache ce ton irénique? Au Concile de Florence, cité ci-dessus, les orthodoxes ont, par la bouche de Marc d'Ephèse, apporté tous les arguments scripturaires, conciliaires et patristiques qui prouvent que l'Esprit Saint procède du Père seul. Les Pères du Concile de Constantinople, en effet, nous l'avons vu, n'avaient rien ajouté à l'Evangile, où le Seigneur dit : " Je vous enverrai le Saint Esprit, qui procède du Père" ( Jn 15, 26). Saint Basile connaît un seul rapport entre le Fils et l'Esprit : " Voici le signe qui fait connaître la propriété hypostatique ( personnelle) de l'Esprit : c'est qu'Il est connu après le Fils et avec Lui et qu'Il tire du Père son existence (31)". (31) : ( Lettre à son frère Grégoire, sur la différence entre l'essence et l'hypostase. PG 32, 329 C). Donc, la seule relation personnelle de l'Esprit au Fils est d'être connu avec Lui, et Sa seule relation au Père, de procéder de Lui. Saint Basile et tous les Pères anciens ignorent tout d'une procession de l'Esprit " hors du Père et du Fils". " Si l'Eglise grecque, écrit Saint Marc, a toujours confessé que le Saint Esprit procède du Père, parce qu'elle a reçu cette doctrine du Christ Lui-même, des saints Apôtres et des Pères des Conciles; et si elle n'a jamais confessé qu'Il procède du Père, par ce qu'elle a reçu cette doctrine du Christ Lui-même, des saints Apôtres et des Pères des Conciles; et si elle n'a jamais confessé qu'Il procède du Fils, doctrine qu'elle n'a, en fait, reçu de personne; qu'a-t-elle depuis toujours affirmé, sinon que le Saint Esprit procède du Père seul? Car s'Il ne procède pas du Fils, il est clair qu'Il ne procède que du Père (32)". (32) : ( Lettre Encyclique de saint Marc d'Ephèse, publiée dans le tome 17 de la Patrologie Orientale, Paris 1923 ( repr. Brepols 1974), p. (313) et traduite en français dans La Lumière du Thabor, n°10, Paris, 1986, p. 21.) Loin de réfuter Marc, le Catéchisme prétend que la doctrine orthodoxe est COMPLEMENTAIRE de la doctrine catholique. C'est faire violence à toutes les règles de l'exégèse et même de la logique élémentaire. " Si le dogme latin qui dit que l'Esprit Saint procède aussi du Fils est vrai, le nôtre est faux, puisque nous disons qu'il procède du Père seul - telle est la raison de notre séparation d'avec eux. Si le nôtre est vrai, le leur sera forcément faux" ( Saint Marc d'Ephèse, Ibid.). Sans entrer dans le détail des arguments de fond - on se référera aux oeuvres de saint Photios qui lutta contre les partisans du Filioque (33) - une des raisons principales pour lesquelles le dogme de la double procession n'est pas admissible aux yeux des chrétiens initiés au mystère ( comme le dit saint Photios (34)) est que ce dogme entraîne la définition des Personnes de la Trinité comme de simples relations (35). (33): ( Voir saint Photios, Oeuvres trinitaires I, Paris, 1989, Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas; Mystagogie du Saint Esprit, op. cit.) (34) : " La doctrine de la procession hors du Père se recommande d'abord de la parole du Seigneur ( Jn 15, 26), éclair et foudre qui surpasse toute clarté. Que ceux qui ont calomnié l'Esprit et Le font procéder du Fils acceptent donc de considérer cette parole de l'Evangile. Ils quitteront l'erreur et la ténèbre où ils se débattent. Puissent-ils alors, brillants de vraie piété, s'abriter avec les hommes pieux dans les retraites où flamboie, dans son éclat sans crépuscule, la lumière de l'orthodoxie. Oui, qu'ils respectent, en premier lieu, Jean le Théologien, le mystique initié qui reposa la tête sur le sein du Sauveur, et qui nous guide dans la connaissance des mystères célestes qu'il y puisa; qu'ils s'en remettent à ses prières pour obtenir le pardon de leur rébellion contre le Maître et contre Jean, le plus théologien des disciples". Saint Photios, Lettre au Métropolite d'Aquilée, 8.) (35) : ( Thomas d'Aquin, Somme Théologique, I, q. 29, a. 4, q.30, a.1 et 2, q. 40). Le terme de relation est patristique, mais la réduction des Personnes à des relations subsistantes ne l'est pas. Or, une telle conception est à nouveau reprise par le Catéchisme de l'Eglise catholique : " Les personnes divines sont relatives les unes aux autres. Parce qu'elle ne divise pas l'unité divine, la distinction réelle des personnes entre elles réside uniquement dans les relations qui les réfèrent les unes aux autres : " Dans les noms relatifs des personnes, le Père est référé au Fils, le Fils au Père, le Saint Esprit aux deux" ( § 255). Cette doctrine est totalement étrangère à l'expérience des déifiés et à l'enseignement commun des Pères, à l'exception toutefois d'Augustin d'Hippone lequel sur ce point, comme sur d'autres, a dangereusement innové : " Ces termes ( Père, Fils et Saint Esprit) sont utilisés dans leur réciprocité et leurs relations mutuelles (36)". (36) : (De Trinitate, 6, 5, 6). Pour les Pères de l'Eglise, le caractère hypostatique des Personnes du Père, du Fils et du Saint Esprit est absolu : le Père est source de la divinité, le Fils est engendré du Père, le Saint Esprit procède du Père. Les Personnes divines ne sont ni de simples attributs de l'essence divine, ni des relations (37). (37) : ( Voir Vladimir Lossky, Essai sur la théologie mystique de l'Eglise d'Orient, Paris, les Editions du Cerf, 1990, ch.II). On ne saurait dire que "tout est un (dans les Personnes divines) là où l'on ne rencontre pas l'opposition de relation" ( § 255), que le Fils n'est Fils que par relation au Père, devenant, par rapport au Saint Esprit, "un seul principe" avec le Père (§ 246). Le caractère de source, de cause, n'appartient qu'au Père, à titre personnel, comme son nom révélé l'indique : " Ce nom comprend en lui-même l'inengendrement, selon Basile le Grand, car celui qui est proprement et seulement Père ne naît d'aucun autre; et, à l'égard de l'Esprit, Il est dit Père en tant qu'Il le projette, selon l'Ecriture qui dit : Père des Lumières" ( Jac. 1, 17) (38)". (38). Marc d'Ephèse, PO 17, 84 et, pour la citation qui suit, 80). "Ainsi le Fils n'aura pas la causation, puisqu'il doit être seulement causé et seulement Fils, de même que l'Esprit Saint doit être seulement causé et seulement Fils, de même que l'Esprit Saint doit être seulement l'Esprit du Seul Dieu et Père". Ce que saint Jean Damascène a exprimé une fois pour toutes : " Le Père est cause et source du Fils et du Saint Esprit, Père du Fils unique et Projeteur de l'Esprit Saint. Le Fils est Fils, Verbe, Sagesse, Force, Figure, Eclat, Image du Père, venu du Père. L'Esprit Saint n'est pas le Fils du Père, mais l'Esprit du Père, en tant que Celui qui procède du Père. Mais Il est aussi l'Esprit du Fils, non qu'Il soit de Lui, mais parce que par Lui, Il procède du Père. Car il n'y a qu'une cause : le Père (39) . C'est ainsi que les Pères distinguent bien " procéder du Père et du Fils", contrairement à ce que suggère le § 248. (40). Le " par" indique l'accompagnement, non la cause. Réduire les Trois Saintes Hypostases à des relations pour prouver le contraire, ce n'est pas " confesser le même mystère" que les orthodoxes, mais durcir une thèse philosophique au détriment de la foi révélée. "Entends-tu parler de naissance? Ne te mêle pas inconsidérément de savoir de quelle manière cela se passe. Entends-tu dire que l'Etre qui procède du Père est l'Esprit? N'attache pas d'importance à la manière dont cela se passe...Il me suffit de savoir que le Fils existe et qu'il est issu du Père, que l'Esprit existe et qu'Il procède du Père. Ne sois pas trop curieux...pour éviter de subir ce qui arrive...à la vue de ceux qui fixent les rayons du soleil (41)". (41): ( Saint Grégoire de Nazianze, Homélie 20, 11, 10, PG 35, 1077 CB). 4. Importance vitale de la confession orthodoxe L'Eglise orthodoxe considère la doctrine du Filioque comme un blasphème contre l'Esprit Saint : ceux qui la confessent se trouvent "dépossédés de tous les biens, et notamment de la confession de foi véritable, et de l'Esprit Divin lui-même, qu'ils ont humilié en dogmatisant qu'Il procède du Fils" ( saint Photios, Lettre au Métropolité d'Aquilée, 3 cf. sa Lettre Encyclique aux Patriarches Orientaux, 33). Ayant amoindri la Personne du Saint Esprit, le dogme du Filioque ne voit plus le Saint Esprit que comme "l'unité" du Père et du Fils ( cf la doxologie du § 1065, "dans l'unité du Saint Esprit"), le lien d'amour qui les unit ( cf §§ 850 et 221), et dès lors sa présence et son action parmi les hommes sont problématiques (42). (42) : (Que signifie : " Le terme de la mission de l'Esprit Saint dans toute action liturgique est de se mettre en communion avec le Christ pour former son Corps"? (§ 1108)). Si l'Amour est l'essence divine incommunicable ou la Personne divine, également incommunicable, l'amour pourra-t-il se communiquer aux hommes, comme cela est dit (§ 733)? Si oui, la Personne va devenir communicable et les hommes seront Dieux par nature et non par grâce. Si non, le Saint Esprit restera le "divin méconnu" dont avait parlé Mgr Landrieux en 1921. Les deux solutions sont présentes dans le Catéchisme. a) Le § 731 dit : " Le jour de la Pentecôte ( au terme des sept semaines Pascales), la Pâque du Christ s'accomplit dans l'effusion de l'Esprit Saint qui est manifesté, donné et communiqué comme Personne divine : de sa Plénitude, le Christ, Seigneur, répand à profusion l'Esprit". C'est une grave confusion théologique qui s'établit ici entre la Personne divine du Saint Esprit et la grâce. " Dieu étant partout présent, écrit saint Marc d'Ephèse, il ne se transporte pas d'un lieu à l'autre, pour se trouver tantôt ici, tantôt là; donc la Personne divine de l'Esprit n'est ni envoyée, ni donnée, ni répandue, et elle ne jaillit pas non plus; mais c'est sa grâce manifestée et son énergie qui est sujet de tout cela" ( Chapitres contre les Acindynistes, 51, W. Gass, Die Mystik des Nikolaus Cabasilas, Greifswald, 1849 et Leipzig, 1899, p. 229). Le Saint Esprit n'est donc pas communiqué comme Personne divine. b) Le § 687 dit : " Nul ne connaît ce qui concerne Dieu, sinon l'Esprit de Dieu (1 Co 2, 11). Or, son Esprit qui Le révèle nous fait connaître le Christ, son Verbe, sa Parole vivante, mais ne se dit pas Lui-même Celui qui "a parlé par les prophètes" nous fait entendre la Parole du Père. Mais Lui, nous ne L'entendons pas. Nous ne Le connaissons que dans le mouvement où Il nous révèle le Verbe et nous dispose à L'accueillir dans la foi. L'Esprit de Vérité qui nous "dévoile" le Christ "ne parle pas de Lui-même" (Jn 16, 13). Un tel effacement, proprement divin, explique pourquoi "le monde ne peut pas Le recevoir, parce qu'il ne Le voit pas ni ne Le connaît", tandis que ceux qui croient au Christ Le connaissent parce qu'Il demeure avec eux (Jn 14, 17)". Ce passage applique aux textes de l'Ecriture un commentaire anti-patristique. Bornons-nous à deux remarques. 1) Le fait que l'Esprit Saint "ne parle pas de Lui-même" ne signifie pas une incapacité à s'exprimer, mais la consubstantialité des Personnes divines, comme quand le Seigneur dit : " Je n'ai pas parlé de moi-même" ( Jn 12, 49) : " Car rien n'appartient en propre à aucun de la Sainte Trinité hormis l'innascibilité, la naissance et la procession : tout lui est commun" dit Zigabène, résumant les Pères ( Commentaire sur l'Evangile de Jean, chapitre 17, sur Jn 16, 13). 2) " Mais Lui, nous ne l'entendons pas" disent les auteurs du Catéchisme. Mais saint Ignace d'Antiosche L'a entendu : " Mon amour a été crucifié et il n'est plus en moi de feu pour la matière, mais une eau vive qui parle en moi, et qui me dit intérieurement : Viens vers le Père!" ( Lettre aux Romains). Mais Saint Grégoire Palamas L'a entendu : " C'est cet Esprit, à présent abondamment répandu, qui retentit du haut du ciel avec puissance au point d'être entendu de partout. Il appelle le monde entier et, tous ceux qui viennent avec foi, il les inonde de la grâce. Impétueux, il est vainqueur de tout. Il passe par-dessus les murailles du Malin et détruit les villes et les bastions de l'adversaire. Il abaisse les orgueilleux et élève les humbles de coeur. Il rassemble ce qui était dispersé, brise les liens des péchés, défait ce qui lui résiste...Et même le nom qu'il leur avait donné se révéla vrai, car par ce "bruit" céleste, les Apôtres devinrent des Fils du Tonnerre" ( Homélie sur la Pentecôte). Mais l'Eglise orthodoxe continue de L'entendre : " L'Esprit Saint est Lumière et Vie, Source vivifiante et spirituelle. Esprit de sagesse, Esprit d'intelligence, Bon, Droit, Souverain, Il purifie les péchés. Il est Dieu et déifie, Feu qui procède du Feu. Il parle, agit, distribue les dons. Par Lui ont été couronnés tous les prophètes de Dieu, les apôtres, les martyrs. Prodige étrange à entendre, étrange à voir : le feu se divise et se partage en dons!" (Laudes de la Pentecôte). Heureux ceux qui comprendront quel enjeu vital réside dans la question du Filioque! C'est toute la différence entre une TRinité philosophique et abstraite et la Trinité Principe de Vie expérimentée par les Pères qui sépare les deux dogmes. Dieu, en effet, nous a révélé très peu de choses sur Lui, et seulement ce qui était indispensable pour notre salut. C'est ainsi qu'Il nous a enseigné le baptême "au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit" et nous a dit l'attribut personnel qui les distingue. Nous n'en savons pas plus et, à trop vouloir scruter l'inscrutable, nous vantant d'être sages, nous serons fous (Rom. 1, 22). L'Eglise orthodoxe se garde de considérer comme complémentaire, acceptable ou indifférente une doctrine inconnue, non attestée par la tradition, et qui entame, si peu que ce soit, la foi que nous confessons dans le baptême. " Chrétiens, comment le sommes-nous? Par la foi, n'importe qui le dirait. Mais de quelle manière sommes-nous sauvés? Parce que, c'est évident, nous sommes nés à nouveau par la grâce du baptême. Le dommage est égal, de partir sans baptême ou d'en avoir reçu un auquel fasse défaut un seul point de la tradition...La tradition qui m'a fait entrer dans la lumière, qui m'a accordé la faveur de la connaissance de Dieu, par laquelle je suis devenu enfant de Dieu, moi qui jusque-là en étais l'ennemi à cause du péché, cette tradition, je la trahirais, détourné par les spécieux discours de ces gens-là?... Foi et baptême sont deux modes de salut, liés entre eux et qu'on ne peut diviser. La foi reçoit son accomplissement du baptême, le baptême est fondé sur la foi et c'est aux mêmes Noms que l'une et l'autre doivent leur plénitude : on croit dans le Père, le Fils et le Saint Esprit, et c'est de même aussi qu'on est baptisé dans le nom du Père, du Fils et du Saint Esprit. Ce qui vient en premier, c'est la profession de foi qui mène au salut. Le baptême suit de près et scelle notre assentiment (43)". (43) : (Saint Basile; Traité du Saint Esprit, 10 et 12). Il faut choisir! Ou bien les Personnes divines sont des relations à l'intérieur d'une essence divine sur lesquelles on spécule philosophiquement. Ou bien Elles sont " Père tout-puissant, Verbe et Esprit, Nature unique en trois hypostases, essence et divinité plus-que-Dieu, en Toi nous avons été baptisés et nous Te bénissons pour l'éternité" ( Office de Pâques). II UNE ECCLESIOLOGIE ETRANGERE A LA TRADITION DE L'EGLISE Un auteur orthodoxe contemporain a discerné le lien qui existe entre la philosophie religieuse qu'implique la doctrine filioquiste et la théorie de la papauté telle que la présente le Catéchisme. " Le Dieu de cette "théologie" est une essence abstraite qui ne se communique pas aux hommes dans ses énergies, c'est un Dieu philosophique, imaginaire, qu'on ne peut pas prier, auquel on ne peut pas s'unir. Dans une telle conception, l'homme ne peut s'unir réellement à Dieu et le Saint Esprit ne communique pas aux hommes la force déifiante sans laquelle notre salut est impossible. Telle est la raison qui a poussé les Latins à inventer des intermédiaires créés entre Dieu et les hommes; le pape de Rome, le " vicaire" (vicarius) de Dieu sur terre, en offre un exemple (44)". (44) : (Père Patric Ranson, " Conférence sur le Filioque", La Lumière du Thabor, n°24, Paris, 1989, p.46.) Jésus Christ n'ayant pas établi de vicaire ou de remplaçant sur terre, pour la simple raison qu'Il est resté sur terre, présent dans son Corps qui est l'Eglise, comment les historiens du pape ont-ils réussi à trouver des témoignages en faveur de leur système dans l'antiquité chrétienne? En modifiant matériellement certains textes, et en changeant l'interprétation de certains autres, contre la tradition, les Pères, les conciles. Leur principale erreur consiste à faire passer tous les textes qui témoignent en faveur d'une primauté d'honneur de l'évêque de Rome, pour des témoignages en faveur de la primauté de pouvoir que le pape revendique. Tous les évêques, en effet, institués par les Apôtres sont égaux dans l'épiscopat; mais l'évêque de la capitale de l'Empire jouissait d'une primauté d'honneur. Cette primauté était de droit impérial ou ecclésiastique, mais non de droit divin et n'impliquait pas de pouvoir universel sur l'Eglise. Le troisième canon du Deuxième Concile Oecuménique, celui de Constantinople, réuni en 381, est clair sur ce point : " Que l'évêque de Constantinople ait la primauté d'honneur après l'évêque de Rome, parce que Constantinople est la Nouvelle Rome". Si l'évêque de la Nouvelle Rome s'est vu attribuer les mêmes prérogatives que celui de l'ancienne Rome, n'est-ce pas dire que ce dernier ne les tenait que du Premier Concile (canon 6), et qu'elles n'étaient qu'honorifiques? Pierre a été le premier à recevoir la bénédiction et à entendre la promesse du Seigneur : " Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux" ( Matt.16, 19). Cependant, lorsque le Seigneur accomplit cette promesse, il donne évidemment le même pouvoir à tous les Apôtres, disant : " Je vous le dis en vérité, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel" ( Matt. 18, 18). On ne peut rien tirer d'autre du texte de l'Evangile qu'une primauté d'honneur de l'Apôtre Pierre, primauté que l'Eglise orthodoxe lui a toujours reconnue. L'Ecriture ne dit pas un mot d'un pouvoir qui lui serait particulier, ni d'une suprématie qu'il aurait exercée sur les Apôtres, ni d'une transmissibilité de sa primauté. L'Evangile, les Actes des Apôtres et l'histoire de l'Eglise primitive témoignent en faveur de l'égalité des membres du collège apostolique (45). (45) : ( Comme le dit le patriarche de Constantinople Grégoire VI aux envoyés du Pape Pie IX en 1868, affirmer l'inégalité des Apôtres, c'est faire injure au Saint Esprit qui les a tous également éclairés). La base même du système papal est une interprétation que rie n'autorise. 1. La primauté de pouvoir du pape est-elle dans la tradition? En divers endroits du Catéchisme le principe de la primauté du pape comme successeur de Pierre et chef de l'Eglise universelle est réaffirmé : " Le Pape, évêque de Rome et successeur de saint Pierre, "est principe perpétuel et visible et fondement de l'unité qui lie entre eux soit les évêques, soit la multitude des fidèles". " En effet le Pontife romain a sur l'Eglise, en vertu de sa charge de Vicaire du Christ et de Pasteur de toute l'Eglise, un pouvoir plénier, suprême et universel qu'il peut toujours librement exercer" " (§ 882). Le pape est "signe et serviteur de l'unité universelle" ( § 1369) et il n'y a d'Eglise que si elle est en communion avec le successeur de Pierre : " Les Eglises particulières sont pleinement catholiques par la communion avec l'une d'entre elles : l'Eglise de Rome "qui préside à la charité"" (§§ 833, 816). Est également affirmée la supériorité du pape sur les Conciles Oecuméniques : " Il n'y a pas de Concile Oecuménique s'il n'est comme tel confirmé ou tout au moins accepté par le successeur de Pierre" (§ 884). Or, ces principes contredisent aussi bien les Ecritures, les commentaires des Pères, les canons des Conciles Oecuméniques que le mode d'organisation de l'Eglise ancienne, attesté par l'Histoire (46). (46) : ( De la Trinité, livre 6). Le Catéchisme présente les arguments habituels de l'Eglise catholique, à savoir la parole du Christ à saint Pierre : " Tu es Pierre et sur cette pierre, je bâtirai Mon Eglise" ( Matthieu 16, 18) ( § 881), un texte de saint Irénée de Lyon ( § 834) et un autre de saint Maxime le Confesseur ( Ibid.). Or, pour tous les Pères aussi bien latinophones qu'hellénophones de l'Eglise orthodoxe, la promesse du Christ à Pierre n'est pas un charisme spécial à cet apôtre, mais repose uniquement sur la confession de sa divinité. Comme l'écrit le Père Wladimir Guettée : " Il est plusieurs fois parlé, dans les saintes Ecritures, de la pierre, d'une manière figurative. Ce mot désigne toujours Jésus-Christ, et jamais, ni de près ni de loin, saint Pierre; Le meilleur interprète de l'Ecriture est l'Ecriture elle-même. C'est donc avec raison que l'immense majorité des Pères et anciens Docteurs ont donné au passage en question l'interprétation que nous avons exposée, et faisant rapporter, soit à Jésus-Christ, soit à la foi en sa divinité, le mot de pierre dont le Sauveur s'est servi (47)". (47). ( W. Guettée, De la Papauté, L'Age d'Homme, Lausanne, 1990, p. 39). Parmi les Pères qui ont donné cette interprétation, citons : saint Hilaire de Poitiers (48); (48). ( De la Trinité, livre 6). saint Grégoire de Nysse (49); (49) : ( De l'Avènement de Notre Seigneur). saint Ambroise (50); (50) : ( Traité sur l'Evangile de saint Luc, livre 6, sur Luc 9, et Commentaire sur l'Epître aux Ephésiens, sur le chapitre 2). saint Jérôme (51); (51) : (Commentaires sur l'Evangile de saint Mathieu, livre 3, sur Matthieu 16, 18). saint Jean Chrysostome (52); (52) : ( Commentaire sur saint Matthieu, Homélies 55 et 83 et Commentaire sur l'Epître aux Galates ). Augustin (53) : (53) : ( Traités 7 et 123 sur saint Jean, Sermon 13 sur les paroles du Seigneur tirées de saint Matthieu, et livre I des Rétractations). Acace (54); (54) : ( Homélie prononcée au Concile d'Ephèse). saint Cyrille d'Alexandrie (55): (55) : Commentaire sur Isaïe, livre 4, De la Trinité, livre 4). saint Léon Ier (56) : (56) : (Sermon 2 et 3 Sur son élévation à l'épisscopat, Sermon sur la Transfiguration de Notre Seigneur, Sermon 2 Sur la Nativité des Apôtres Pierre et Paul). saint Grégoire le Grand (57); (57) : ( Lettres, livre 3, 33). saint Jean Damascène (58); (58) : ( Homélie sur la Transfiguration de Notre Seigneur). L'autre référence scripturaire du Catéchisme, habituelle dans la justification de la souveraineté du pape sur l'Eglise universelle, est le passage de l'Evangile de saint Jean (21, 15 sq.) où le Seigneur dit, par trois fois, à Pierre : " Pais mes agneaux", "Pais mes brebis" ( § 881, n.5). Or, selon le commentaire unanime des Pères, la triple attestation d'amour correspond au triple reniement et réintroduit simplement l'apôtre dans la communauté apostolique (59) . (59) : ( Voir W. Guettée, op. cit, p. 43 sq). S'agissant de la doctrine des Pères de l'Eglise, le Catéchisme cite trois auteurs : saint Ignace le Théophore, saint Irénée de Lyon et saint Maxime le Confesseur, trois colosses de la théologie. Il suffit de se reporter aux textes originaux pour dissiper tout malentendu. a) Ecrivant à l'Eglise de Rome où il allait consommer son martyre et s'offrir comme le froment de Dieu à la dent des lions, le saint martyr porteur de Dieu écrit à l'Eglise de Rome "qui préside à la charité". Il n'y parle pas une seule fois du pape; Il y dit ces mots remarquables : " Dans vos prières, souvenez-vous de l'Eglise de Syrie qui, au lieu de moi, a Dieu désormais pour pasteur. Seul Jésus-Christ veillera sur elle, ainsi que votre charité" ( chapitre 9). Confiant son Eglise au Pasteur céleste et aux prières de ses frères de Rome, Ignace, dont les archives étaient la Croix du Christ, ignorait donc que " l'Evêque de l'Eglise de Rome, en qui demeure la charge que le Seigneur a donnée d'une manière singulière à Pierre, premier des Apôtres, et qui doit être transmise à ses successeurs, est le chef du Collège des Evêques, Vicaire du Christ et Pasteur de l'Eglise tout entière sur cette terre; c'est pourquoi il possède dans l'Eglise, en vertu de sa charge, le pouvoir ordinaire, suprême, plénier, immédiat et universel qu'il peut toujours exercer librement" ( Code de Droit Canonique de 1983, canon 331). b) Les Catéchistes citent ensuite un passage de saint Irénée dans une traduction erronée que le Père Wladimir Guettée avait déjà réprouvée en son temps : " Car toute Eglise, c'est-à-dire les fidèles qui sont de partout, sont obligés de se rendre vers cette Eglise, à cause de la plus puissante principauté", dit le texte original (60). (60) : ( Wladimir Guettée, op. cit., p.64). "Les théologiens romains, explique le Père Wladimir, affectent de mal traduire ce passage pour y trouver un argument en faveur de la souveraineté papale. Au lieu de dire que les fidèles du monde entier étaient obligés de se rendre à Rome, parce qu'elle était la capitale de l'empire, le siège du gouvernement et le centre des affaires politiques et civiles, ils traduisent les mots convenire ad par ces mots s'accorder avec, ce qui est un contre-sens (61)". (61) : ( Op. cit., p.64-65). Le raisonnement de saint Irénée vise à démontrer que, soumise au contrôle constant des fidèles venus de tout l'Empire, la foi de la capitale n'a pas, de fait, dévié. Loin de prouver le système selon lequel Rome possède la vérité par droit divin, ce raisonnement le réfute. Comme nous l'avons vu, c'est parce que Rome était la capitale de l'empire qu'elle jouissait d'une primauté d'honneur et non de droit; c'est encore pour cette raison que, la capitale ayant été déplacée de Rome à Constantinople, au IVème siècle, la primauté d'honneur fut accordée à rang égal à Constantinople par le Concile Oecuménique de Constantinople, puis par celui de Chalcédoine (canon 28). Le canon 36 du VIème Concile Oecuménique le répète : " Renouvelant les décrets des cent cinquante Pères saints assemblés dans cette ville royale et bénie de Dieu, et des six cent trente assemblés à Chalcédoine, nous décrétons que le siège de Constantinople jouira des mêmes prérogatives que celui de l'ancienne Rome; qu'il sera aussi grand que lui dans les affaires ecclésiastiques, étant le second après lui. Après eux seront les sièges d'Alexandrie, d'Antioche, enfin celui de la ville de Jérusalem". c) " On ne s'attendait guère à voir Maxime en cette affaire". Les Catéchistes citent le passage d'une lettre à Marin, prêtre à Chypre : " En effet, dès la descente vers nous du Verbe incarné, toutes les Eglises chrétiennes de partout ont tenu et tiennent la grande Eglise qui est ici ( à Rome) pour unique base et fondement parce que, selon les promesses mêmes du Sauveur, les portes de l'enfer n'ont jamais prévalu sur elles". Le Catéchisme renvoie au tome 91 de l'édition de Migne des oeuvres de saint Maxime, colonne 137. Nous demandons humblement qu'on veuille bien regarder aussi la colonne 136, qui contient le début de la lettre à Marin et où nous lisons que les Romains de cette époque, accusés par les gens de Constantinople d'avoir confessé le Filioque, se défendirent en produisant des textes des Pères Romains et de saint Cyrille d'Alexandrie : " Par ces références, ils montrèrent qu'ils ne faisaient pas du Fils la cause de l'Esprit; car ils savent que le Père est cause unique du Fils et de l'Esprit : du Premier, par génération, du Second, par procession. Mais ils veulent exprimer que l'Esprit jaillit par le Fils, et par là établissent la conjonction et l'identité absolue d'essence (62)". (62) : ( Ce "Filioque"-là était d'une orthodoxie si incontestable, que les Grecs, au Concile de Florence, ont cité la lettre à Marin et ont dit aux Latins : " Si vous l'acceptez, l'union est faite". Ce sont les Latins qui ont refusé cette interprétation orthodoxe du Filioque). Ce passage de la lettre à Marin prouve trois choses : 1) que pour saint Maxime, la justesse doctrinale de Rome, loin d'être une chose nécessaire et nécessairement admise par tous, pouvait être mise en cause par d'autres Eglises; 2) que pour la justifier, il fallait alors en appeler aux Pères et à la foi commune et pas du tout à un prétendu charisme d'infaillibilité dont l'idée même n'existait pas à cette époque; 3) que l'Eglise de Rome était alors, de fait, non de droit, parfaitement orthodoxe et méritait les éloges que lui prodique saint Maxime, car une Eglise locale qui confesse la Vérité est véritablement l'Eglise fondée par Jésus-Christ contre laquelle les portes de l'enfer, c'est-à-dire, les bouches des hérétiques, ne prévalent pas. Les auteurs partisans de la papauté moderne ont transformé les éloges donnés à l'Eglise de Rome et à l'orthodoxie de sa foi en assertions doctrinales garantissant qu'elle ne tomberait jamais dans les siècles des siècles. Or saint Maxime dit qu'elle n'est pas, à l'époque où il écrit, encore tombée. Ce qui n'est pas la même chose. Le Père Wladimir Guettée a, en outre, publié les lettres que le Pape Grégoire le Grand envoya au patriarche Jean de Constantinople lui reprochant de se donner le titre de "patriarche oecuménique" ou "universel" et de se dresser, avec orgueil, au-dessus des évêques: " La première idée, écrit Guettée, d'un pouvoir central et universel dans l'Eglise est donc venue de Constantinople; ce fut de Rome que s'éleva la première opposition contre cette prétention ambitieuse, et d ela part d'un des plus grands papes qui se soient assis sur la chaire apostolique de Rome " (63). (63) : ( Op. Cit., p. 116). Il ne s'agissait nullement pour le Pape Grégoire de défendre sa cause particulière, mais de protéger l'autorité ecclésiastique qui réside dans l'épiscopat, et non dans tel évêque en particulier (64) : (64) : (W. Guettée, op. cit., p. 121). " L'épiscopat est un et indivisé" dit saint Cyprien ( Unité de l'Eglise, § 5). Le critère de validité d'un concile oecuménique n'est pas, contrairement à ce qu'affirment les Catéchistes, sa reconnaissance par le Souverain Pontife : " Il n'y a pas de Concile Oecuménique s'il n'est comme tel confirmé ou tout au moins accepté par le successeur de Pierre" ( § 884). Le Concile de 879, considéré par l'Eglise orthodoxe comme le Huitième Concile Oecuménique, a été rejeté de la liste des conciles reconnus par l'Eglise catholique, quoique le Pape Jean VIII, et tous les patriarches orientaux, l'aient accepté. Ce concile a affirmé l'immuabilité du Credo, donc l'imossibilité du Filioque. Pour se montrer fidèle à Jean VIII, Rome de vrait reconnaître ce concile. D'autre part, au Deuxième Concile Oecuménique, il n'y avait pas même un représentant de l'Eglise de Rome - et néanmoins le Concile a été oecuménique. Ce n'est qu'ensuite qu'il a été aussi reconnu à Rome. Selon saint Nicodème, le grand commentateur des Canons, qui s'appuie sur l'histoire de l'Eglise, un concile oecuménique se distingue par quatre critères : 1) le fait qu'il porte sur une matière dogmatique; 2) qu'il soit en accord avec toutes les décisions des précédents conciles; 3) qu'il soit réuni par l'empereur ( critère moins important, correspondant à l'histoire); 4) enfin, qu'il soit accepté et reconnu par tous les patriarches orthodoxes et les préllats de l'Eglise ( et non simplement par le pape de Rome (65), et par la conscience de l'Eglise. (65) : (Saint Nicodème l'Hagiorite, Pedalion tis orthodoxis ekklesias, Prolégomène au Premier Concile Oecuménique, note 1). 2. Conséquences de cette doctrine La conséquence spirituelle de la fausse doctrine de la primauté de pouvoir détruit l'Eglise comme communauté divino-humaine. Aucun des régimes politiques humains - monarchie, où c'est un seul qui décide, oligarchie, où quelques-uns décident, démocratie, où la majorité décide - ne convient à l'Eglise, où l'unanimité des fidèles unis au Christ décide. Or cette mentalité collégiale qui était celle des Apôtres, cette unité du choeur apostolique, disparaît dans l'Eglise catholique, remplacée par une monarchie, celle du pape, qui peut décider seul ( motu propprio) ou comme tête du corps épiscopal, mais qui reste toujours l'instance suprême et, en définitive, au-dessus de la communauté des fidèles. " Si quelqu'un dit que le Pontife Romain a seulement un office d'inspection et de direction, mais non le plein et suprême pouvoir de juridiction sur l'Eglise universelle, non seulement en matière de foi et de moeurs, mais également en ce qui touche à la discipline et au gouvernement de l'Eglise répandue sur toute la terre; ou que ce Pontife ne possède que la principale part de ce pouvoir suprême, mais non la plénitude totale; ou encore que ce pouvoir qu'il a n'est pas exercé de façon ordinaire et directe sur toutes les Eglises et sur chacune d'elles, sur tous les pasteurs et tous les fidèles, sur chacun des fidèles et chacun des pasteurs : qu'il soit anathème" (Concile de Vatican I, session 4, Pastor aeternus, chap.3, canon). Si l'on accepte ce genre de théorie, le sens de l'unanimité qui se manifeste dans l'Eglise primitive est perdu de vue, et avec lui c'est la vie divino-humaine dans le Corps du Christ, vrai Dieu et vrai Homme, qui devient impossible. Le Christ n'a pas établi de vicaire sur terre, Il est resté présent dans l'Esprit Saint; Cette présence du Christ agit dans la vie synodale, conciliaire, de l'orthodoxie. Toute l'expérience de l'Eglise l'atteste. Citons le Canon 34 des saints Apôtres, base de l'organisation ecclésiale orthodoxe : " Les Evêques de chaque nation doivent connaître celui d'entre eux qui sera leur premier ou leur chef, le considérer comme leur tête, et s'abstenir de rien faire en dehors de leur diocèse sans son avis et son accord; mais chacun ne doit agir que pour ce qui est nécessaire dans sa paroisse et dans les territoires qui dépendent de lui. Mais que ce premier lui-même ne fasse rien sans l'avis, le consentement et l'approbation de tous; Car ainsi régnera la concorde et Dieu sera glorifié dans le Seigneur et dans le Saint Esprit, Père, Fils et Saint Esprit". L'équilibre entre le principe hiérarchique et le principe communautaire existe pour que la concorde règne, de même que la volonté divine et la volonté humaine de Notre Seigneur Jésus Christ concourent et ne s'opposent pas. " Les orthodoxes sont orthodoxes en ce qu'ils ont continuellement cette connaissance de l'universalité divino-humaine, qu'ils conservent et avivent par leur prière et par l'humilité. Ceux-là ne proclament jamais leur moi propre, ils ne se glorifient jamais dans l'homme, ils ne restent jamais seulement dans la nature humaine nue; ils ne font jamais de l'humain une idole. Les saints Apôtres christophores ont donné une fois pour toutes la définition de la vie ecclsiale orthodoxe : " Il a plu au Saint Esprit et à nous" ( Actes des Apôtres, 15, 28). D'abord le Saint Esprit, puis nous; mais pour autant, que nous faisons place à l'énergie du Saint Esprit en nous (66) ". (66) : ( Père Justin Popovitch, L'Homme et le Dieu-Homme, L'Age d'Homme, Lausanne, 1989, p. 127). La vie ecclésiale orthodoxe est ainsi conciliaire. C'est pourquoi il y a dans l'orthodoxie une réelle synergie, une collaboration, entre la hiérarchie et le peuple. J.C. Périsset, commentant le nouveau code du droit canonique catholique, utilise aussi le mot de "synergie" : " C'est la synergie ou interaction dynamique des principes communautaire et hiérarchique qui constitue l'Eglise particulière qu'est le diocèse et, de façon dérivée, la cellule du diocèse qu'est la paroisse (67)" (67) : ( J.C. Périsset, La Paroisse, Le Nouveau Droit Ecclésial, Commentaire du Code de Droit Canonique, Tardy, Paris, 1989, p. 16). Toutefois cette "synergie" entre la communauté et son pasteur est comme éteinte et sans énergie dans le catholicisme, puisque les fidèles n'ont qu'un rôlr de soumission. Au contraire, dans l'Eglise orthodoxe, aucun évêque, aucun prêtre ne peut être consacré sans l'accord du peuple qui crie : Il est digne! (Axios), le jour de la consécration. Sans cet accord, ils ne sont pas ordonnés. L'evêque ou le prêtre doivent être voulus ou acceptés par la communauté, et consacrés par la hiérarchie. La synergie est donc effective et vivante dans l'Eglise orthodoxe de nos jours comme elle l'était du temps des Apôtres. 3. L'infaillibilité du Magistère De la doctrine d'un centre divin de l'Eglise suit naturellement celle de l'infaillibilité pontificale, proclamée au Concile de Vatican I en 1870 ( 68). (68) : ( "Dès que la papauté est le centre divin de l'Eglise, il faut absolument, sous peine de ne plus appartenir à l'Eglise, lui être uni; or, comme on ne peut s'unir avec l'erreur, l'union étant nécessaire, il est nécessaire aussi que la papauté ne puisse errer; C'est ainsi que l'infaillibilité de la papauté est la conséquence directe, logique, de ce principe constitutif de cette papauté : qu'elle est le centre de l'Eglise de droit divin". L'abbé Guettée, Lettre à M. Dupanloup, évêque d'Orléans, Paris, 1868). La doctrine de l'infaillibilité du Magistère est réaffirmée par le Catéchisme : infaillibilité du Pontife romain, seul ou avec le collège des évêques, infaillibilité du collège des évêques en union avec le successeur de Pierre, infaillibilité des évêques en communion avec le pape; infaillibilité dans la définition définitive d'un point de doctrine touchant la foi et les moeurs, infaillibilité dans l'exercice du Magistère ordinaire, infaillibilité dans l'interprétation de l'Ecriture, dans la détermination de la loi morale et même des préceptes de la loi naturelle ( §§ 85, 100, 891, 892, 2034, 2036)."Le degré suprême dans la participation à l'autorité du Christ est assuré par le charisme de l'infaillibilité. Celle-ci s'étend aussi loin que le dépôt de la Révélation divine; elle s'étend encore à tous les éléments de doctrine, y compris morale, sans lesquels les vérités salutaires de la foi ne peuvent être gardées, exposées ou observées" ( §2305). Cette doctrine, si elle était vraie, serait la plus tranquillisante des doctrines. Mais elle s' oppose à la parole de Dieu, à la vie de l'Eglise, à la loi que Dieu a inscrite dans le coeur de chacun. a) La doctrine de l'infaillibilité est contraire à l'Ecriture et aux Pères. Le Christ a envisagé explicitement la possibilité, pour les pasteurs, de se tromper : " Méfiez-vous des faux prophètes, qui viennent à vous sous des vêtements de brebis, mais qui au-dedans sont des loups rapaces. A leurs fruits vous les reconnaîtrez" ( Matt.7,15). L'Apôtre suit son Maître en nous enseignant la vigilance : " Quand nous-mêmes, quand un ange du ciel annoncerait un autre Evangile que celui que nous vous avons prêché, qu'il soit anathème!"(Gal.1, 8). " Il veut montrer, dit saint Jean Chrysostome, que l'autorité des personnes n'est rien, quand il s'agit de la vérité" ( Commentaire sur l'Epître aux Galates). Saint Jérôme n'est pas moins affirmatif : " Il place sous le coup de cet anathème à la fois sa propre personne, lui que les Juifs accusaient de prêcher parmi les Gentils une doctrine contraire à la conduite qu'il tenait dans la Judée, et un ange même, supérieur, de l'aveu de tous, aux apôtres ses prédécesseurs, afin qu'on n'élevât pas outre mesure l'autorité de Pierre et de Jean, puisqu'il n'était pas permis ni à lui qui les avait enseignés, ni à un ange lui-même de leur prêcher une autre doctrine que celle qu'ils avaient d'abord reçue. Il se nomme lui-même personnellement ainsi que l'ange; il désigne les autres sans les nommer : si quelqu'un vous annonce un autre Evangile. Il se sert d'une expression générale pour ne point blesser ses prédécesseurs, tout en les désignant d'une manière indirecte (69)". Embarrassé par des paroles si nettes, le Catéchisme en restreint la portée. " Le scandale, dit le § 2285, est grave lorsqu'il est porté par ceux qui, par nature ou par fonction, sont tenus d'enseigner et d'éduquer les autres. Jésus en fait le reproche aux scribes et aux Pharisiens : Il les compare à des loups déguisés en agneaux". Ainsi, le commandement de l'Evangile n'a plus d'application; il ne visait que les Pharisiens; les évêques unis à Rome sont infaillibles : dormons en paix. Pourtant, les lois de l'Eglise exhortent à la vigilance permanente à l'égard des faux-évêques. Le canon 31 des Apôtres condamne à la déposition le prêtre qui se sépare de son évêque " alors qu'il ne trouve en lui aucune faute en ce qui concerne la rectitude de la foi (eusébéïa) et la justice", et le canon 15 du Concile Premier-Second confirme ainsi le canon apostolique : " Les règles établies à l'égard des prêtres, des évêques et des métropolites sont à plus forte raison encore applicables aux patriarches. Donc au cas où un prêtre, un évêque ou un métropolite ose se séparer ou s'éloigner de la communion de son patriarche et cesse de mentionner son nom comme le veut la coutume dûment fixée et ordonnée, au cours de la divine Liturgie, et, avant qu'une décision conciliaire soit rendue et que le patriarche soit jugé et condamné, crée un schisme, le saint Concile a décrété que l'auteur d'un tel acte doit être considéré comme étranger à toute fonction sacredotale, s'il est seulement convaincu d'avoir commis cette transgression de la loi. Semblablement, cette règle a été scellée et décidée à l'égard de ceux qui, sous prétexte de griefs contre leurs primats, s'isolent et font un schisme, rompant ainsi l'unité de l'éEglise. En revanche, pour ceux qui, d'autre part, à cause d'une hérésie condamnée par les saints Conciles ou par les saints Pères, se séparent de la communion de leur primat qui prêche l'hérésie publiquement et l'enseigne tête nue dans l'Eglise, ceux-là non seulement n'encourent aucune sanction canonique pour avoir coupé toute communion avec leur soi-disant évêque, avant même qu'une décision synodale ou conciliaire quelconque ait été rendue; tout au contraire, ils sont dignes de l'honneur qui leur revient parmi les chrétiens orthodoxes. Car ils se sont opposés, non à des évêques, mais à de faux-évêques et à de faux-docteurs; loin d'avoir nui en rien à l'unité de l'Eglise par un schisme, ils ont au contraire fait tous leurs efforts pour préserver l'Eglise des schismes et des divisions" ( Canon 15 du Concile Premier-Second). On voit quelle distinction les Conciles établissent entre le péché personnel de l'évêque, qui ne justifie pas qu'on se sépare de lui, et le péché d'hérésie, qui le fait cesser d'être évêque. La doctrine de l'Eglise catholique est donc, sur ce point, contraire à ce que l'Eglise fidèle aux Apôtres, aux Conciles et aux Pères a toujours cru et pratiqué. Ignace le Théophore disait à Polycarpe : " Quiconque parle contre les ordonnances, quand même il serait digne de foi, jeûnerait, resterait vierge, ferait des miracles ou des prophéties, qu'il soit pour toi un loup, travaillant sous une peau de brebis, à la mort du troupeau". La coupure entre épiscopat et fidèles ( Eglise enseignante et Eglise enseignée) résultant du Magistère infaillible est contraire à l'enseignement de l'Ecriture, qui attribue l'autorité infaillible à tout le Corps du Christ ayant pour tête la Vérité. " Nous rendons continuellement grâces à Dieu de ce qu'en recevant la parole de Dieu, que nous vous avons fait entendre, vous l'avez reçue, non comme la parole des hommes, mais, ainsi qu'elle l'est véritablement, comme la parole de Dieu, qui agit en vous qui croyez" (1 Thess. 2, 13). La parole de Dieu est agissante en ceux qui croient. L'"Esprit de Vérité" n'est pas l'apanage de quelques uns dans l'Eglise; Les fidèles peuvent voir quand un pasteur s'égare; Ce n'est pas l'individu qui juge de la foi de l'Eglise; mais au contraire, c'est la foi orthodoxe vivante en ceux qui ont cru, qui juge ceux qui s'en écartent. b) La doctrine de l'infaillibilité est contredite par le témoignage de l'histoire. Que l'on se propose d'étudier n'importe quelle période de cette histoire divino-humaine, et que l'on en juge : les événements auraient-ils été ce qu'ils ont été si un des partis en présence, lorsque l'Eglise a été attaquée par les schismes et les hérésies, avait cru qu'il se trouvait à Rome un centre infaillible? Comment se fait-il que les Pères, dans toutes leurs polémiques, n'aient jamais mentionné ce point? Saint Paul écrit, à propos de saint Pierre : " Je lui ai résisté en face" ( Gal.2, 11). Etait-ce un moyen de donner une idée correcte du dogme papal à ses auditeurs, si un tel dogme eût existé? Hilaire de Poitiers croyait-il le pape infaillible quand il écrivait sur le Pape Libère : " Je t'ai dit anathème, à toi Libère et à tes complices. Je te dis à nouveau anathème; je te le dis une troisième fois, à toi, Libère, prévaricateur (70) "? (70) : ( Fragment, cité par W. Guettée, De la Papauté, op. cit., p.69). Il faut rappeler qu'il y eut des papes de Rome qui furent condamnés par des Conciles pour hérésie; Citons la décision du VIème Concile Oecuménique relative à Honorius : " Ayant examiné les prétendues lettres dogmatiques de Sergius de Constantinople à Cyrus, et les réponses d'Honorius à Sergius, et les trouvant opposées à la doctrine des Apôtres, aux décrets des conciles et aux sentiments de tous les Pères, conformes, au contraire, à la fausse doctrine des hérétiques, nous les rejetons entièrement et les détestons comme propres à corrompre les âmes. En rejetant leurs dogmes impies, nous croyons aussi que leurs noms doivent être bannis de l'Eglise, savoir : de Sergius, autrefois évêque de cette ville de Constantinople, lequel a le premier écrit sur cette erreur; de Cyrus d'Alexandrie; de Pyrrhus, Paul et Pierre, évêques de Constantinople; de Théodore, évêque de Pharan; de tous lesquels le pape Agathon a fait mention dans sa lettre à l'empereur et qu'il a rejetés. Nous les déclarons tous frappés d'anathème. Avec eux, nous croyons devoir chasser de l'Eglise et anathématiser Honorius, autrefois évêque de l'ancienne Rome, parce que nous avons trouvé, dans sa lettre à Sergius, qu'il suit en tout son erreur et qu'il autorise sa doctrine impie (71)". (71) : ( Session 13, Collection des Conciles du P. Labbé, t.6). Enfin la vie même de saint Maxime le Confesseur présente une circonstance remarquable. On était venu lui dire que les cinq patriarcats étaient unis dans l'hérésie : Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem. Et les envoyés de l'Empereur lui demandèrent avec qui il allait communier, persuadés que s'ils gagnaient Maxime, tous les orthodoxes d'Orient et d'Occident se rallieraient. Que répondit-il? Dit-il qu'il marchait avec Rome? Non, il répondit : " Aucune puissance ne pourra m'amener à faire ce que vous désirez". Si saint Maxime avait suivi l'infaillibilisme enseigné par le Catéchisme, toute l'Eglise serait devenue monothélite. La séparation d'avec l'évêque qui ne prêche pas la VERITE a toujours été une règle, un droit pour tout clerc, pour tout moine ou laïc. c) La doctrine de l'infaillibilité risque d'anéantir la conscience morale. En effet, il y a une contradiction à dire : - d'une part : " Par sa raison, l'homme connaît la voix de Dieu qui le presse " d'accomplir le bien et d'éviter le mal" ( § 1706); présente au coeur de la personne, la conscience morale lui enjoint, au moment opportun, d'accomplir le bien et d'éviter le mal ( § 1777 cf § 1776); l'être humain doit toujours obéir au jugement certain de sa conscience ( § 1800); l'homMe ne doit pas être contraint d'agir contre sa conscience (§ 1782); présente dans le coeur de chaque homme et établie par la raison, la loi naturelle est universelle en ses préceptes et son autorité s'étend à tous les hommes (§ 1956); Dieu touche immédiatement et meut directement le coeur de l'homme (§ 2002) " - et d'autre part : " Il ne convient pas d'opposer la conscience personnelle et la raison à la loi morale ou au Magistère de l'Eglise" ( 2039). Par cette dernière phrase, la distinction entre "l'obéissance de la foi " et "l'assentiment religieux) ( §§ 891-892) s'estompe. Le Magistère de l'Eglise est-il le critère ultime? Est-il plus haut que Dieu qui parle directement à la conscience? Que les Catéchistes supposent que le magistère ne donne jamais que de bons ordres, c'est leur droit; même alors, la phrase "il ne convient pas d'opposer la conscience personnelle et la raison au Magistère de l'Eglise" ne peut être acceptée. " L'homme, écrit Wladimir Guettée, dans le domaine de l'intelligence, ne reconnaît réellement que Dieu pour maître. En dehors des vérités révélées, il conserve toute sa liberté, et c'est une impiété d'oser porter atteinte à cette liberté que Dieu a écrite dans le coeur de tout homme, comme le caractère nécessaire et sacré de tout être intelligent. Sans la liberté, sans la noble indépendance de toute autre autorité que de celle de Dieu, dans le domaine de la pensée, l'homme ne serait plus homme; sa conscience et sa raison seraient annulées; il ne serait plus qu'un être passif que l'autorité formerait à son image, une table rase sur laquelle l'autorité écrirait ses principes... Les grands écrivains de l'antiquité chrétienne ont parfaitement comprisnles droits de la raison humaine, tout en respectant ceux de l'autorité. Qu'on lise le traité des Prescriptions de Tertullien, ou l'Avertissement de saint Vincent de Lérins; l'on y trouvera toute la doctrine que nous venons d'exposer... La foi, appuyée sur une telle autorité, est bien cette obéissance raisonnable qu'exige saint Paul de tout fidèle : Rationabile obsequium ( 72) ". (72) : ( W. Guettée, La Papauté Hérétique, Paris, 1874, p. 271-272). La facukté d'opposer la conscience personnelle et la raison au Magistère simplement authentique de l'Eglise est la seule garantie d'une obéissance véritable, c'est-à-dire éclairée. Une obéissance aveugle et sans liberté, quand même elle ne porterait pas de fruits extérieurement mauvais, reste mauvaise. Car le bien n'est pas un bien s'il n'est pas bien fait. Ne lit-on pas aussi : " Une obéissance aveugle ne suffit pas à excuser ceux qui s'y soumettent" ( § 2313). Le Catéchisme se corrige, on le voit, lui-même; la contradiction est donc patente. Les oustachis de la Seconde guerre mondiale suivaient un cardinal en communion avec le pape. Nos catéchistes les blâmeraient, certainement, de leurs crimes, l'extermination d'un peuple étant un péché mortel ( § 2313); mais un criminel pourrait répondre hypocritement : " J'entends vos blâmes et ma raison les approuve, mais j'ai cru qu'il ne convenait pas d'opposer ma conscience personnelle au Magistère de l'Eglise, représenté à l'époque et en ce lieu par Mgr Stepinac". La formulation du paragraphe 2039 est donc malheureuse, puisque des gens malintentionnés et de mauvaise foi pourraient s'en servir contre l'Eglise catholique elle-même. 4. La véritable infaillibilité Pour les orthodoxes, l'Eglise seule, et non pas tel ou tel de ses organes, est infaillible - l'Eglise en tant que Corps divino-humain du Seigneur Jésus-Christ qui est sa tête. Tel est le sens du dogme des deux natures défini par le IVème Concile Oecuménique de Chalcédoine en 451. En disant que le Christ était une Personne unique en deux natures, à la fois vrai Dieu et vrai Homme, " le même parfait dans la divinité, et le même parfait dans l'humanité", semblable à nous en tout sauf le péché, les Pères ont défini l'Eglise et notre rapport à elle. Aucun homme n'a reçu mission ni pouvoir pour légiférer au-dessus et en-dehors du Corps de l'Eglise. Le non ex consensu Ecclesiae ( c'est-à-dire sans avoir besoin du consentement de l'Eglise) qui définit l'infaillibilité du pape (73), place ce dernier dans une position que nul n'occupe. (73) : (" Le Pontife Romain, quand il parle ex cathedra, c'est-à-dire, quand, remplissant la fonction de pasteur et docteur de tous les chrétiens, en vertu de sa suprême autorité apostolique, il définit une doctrine en matière de foi ou de moeurs comme obligatoire pour l'Eglise universelle, jouit, en vertu de l'assistance divine qui lui a été promise dans le bienheureux Pierre, de l'infaillibilité même que le divin Rédempteur a voulu conférer à Son Eglise, dans la définition des doctrines touchant la foi ou les moeurs; il s'ensuit que les définitions de ce genre faites par le Pontife Romain sont irréformables par elles-mêmes, et non par le consentement de l'Eglise" ( Concile de Vatican I, 4ème session). Il n'y a rien au-dessus du consentement de l'Eglise, Corps du Christ : les deux natures sont unies sans confusion ni séparation. " L'évêque est en même temps le maître et le disciple de ses ouailles" a dit l'évêque Innocent d'Alaska. C'est bien à l'Eglise toute entière que le Christ a promis son assistance : " Je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde" ( Matt. 28, 20), même s'il arrive que le nombre de ceux qui la composent sur terre soit réduit. Quand saint Maxime commença la lutte contre le monothélisme, l'Eglise se réduisait au groupe infime formé par lui et ceux qui le suivaient. L'important, pour chacun de nous, est de savoir où se trouve l'Eglise - surtout lorsque la structure officielle de celle-ci n'est plus qu'une coquille vide. Cela s'est produit plusieurs fois dans l'histoire, lors des grandes hérésies. Les croyants n'allaient plus aux liturgies, ils priaient chez eux. Cette attitude s'est vue au temps du monothélisme, au temps de l'iconoclasme et, plus près de nous, sous le communisme, en Russie, avec l'Eglise des catacombes (74). (74) : ( Cette attitude est impossible dans le catholicisme, d'abord à cause de l'infaillibilité, ensuite à cause de la théorie des sacrements, comme nous le verrons ci-après). L'Eglise latine place le croyant dans un faux dilemme : Ou bien le pape est infaillible, ou l'Eglise est faillible. Accepter la seconde hypothèse, c'est réduire l'Eglise à une société humaine ou à un parti politique. Décréter le pape infaillible, c'est mettre l'homme à la place du Dieu-Homme. L'Eglise orthodoxe ne connaît pas d'intermédiaire entre Dieu et l'homme : " Le Pasteur est au ciel, le troupeau sur la terre". III LES MYSTERES DE L'EGLISE La doctrine des sacrements (75) que présente le Catéchisme a été élaborée au Moyen Age par les scolastiques et diffère totalement de celle qu'on trouve dans l'Eglise primitive, et dans l'Eglise orthodoxe qui la continue fidèlement. Pour les pères, dans tout sacrement, c'est la grâce du Saint Esprit, c'est-à-dire l'Energie de la Sainte Trinité qui opère. L'Eglise, le Corps du Christ, demande à Dieu et Dieu exauce sa prière. Tout mystère de l'Eglise, du plus petit au plus grand, est un divin échange entre Dieu et les hommes : " Nous t'offrons l'encens, à Christ Dieu, en odeur de parfum spirituel. Reçois-le à ton autel céleste et envoie-nous la grâce de Ton Saint Esprit". Se fondant sur cette tradition apostolique, l'Eglise considère la notion de sacrements, telle que le Catéchisme la développe, comme une innovation qui s'écarte de la vraie notion des mystères de l'Eglise. 1. Le nombre infini des sacrements L'Eglise ne compte pas les sacrements comme l'a fait, le premier, Pierre Lombard au XIIème siècle. Il est l'inventeur de la théorie des sept sacrements : " Si quelqu'un dit que les sacrements de la Loi nouvelle n'ont pas tous été institués par notre Seigneur Jésus Christ, ou que leur nombre est plus ou moins grand que sept, à savoir : baptême, confirmation, Eucharistie, pénitence, extrême-onction, ordre et mariage, ou que l'un de ces sept n'est pas vraiment et proprement un sacrement : qu'il soit anathème". Les Catéchistes reprennent cette doctrine comme si elle allait de soi ( §§ 1113, 1117 et 1210). L'anathème que nous venons de citer se trouve bien dans le Catéchisme, caché dans la note 1 de la page 245, car il faut savoir que DS 1601 = Concile de Trente, session 7 du 3 mars 1547, canon 1 sur les sacrements. Or, si l'on suit l'enseignement du Christ, on peut aussi bien dire: " Il y a un seul sacrement : l'Eglise" que : " Il y a soixante-dix sept mille sacrements : tous les actes de l'Eglise". Saint Denys l'Aréopagite, disciple de l'Apôtre Paul en qui le Christ vivait, s'exprime ainsi : " Ayant eux-mêmes reçu de la Théarchie suressentielle la plénitude du don sacré, chargés par la Bonté théarchique de répandre ce don au dehors, il a bien fallu par conséquent que, dans leur ardent et généreux désir d'élever spirituellement leurs subordonnés à la déification qu'ils avaient eux-mêmes reçue, les premiers chefs de notre hiérarchie nous transmissent à travers des images sensibles des secrets qui sont plus hauts que le ciel, à travers la variété et la multiplicité des formules un mystère qui est unique" ( La Hiérarchie ecclésiastique, 1, 5). D'autre part, la bénédiction des saintes huiles, par exemple, que le Catéchisme relègue au rang des "sacramentaux" ( 1672) est un sacrement au même titre que l'Eucharistie : " On l'a dit déjà, le saint rite liturgique dont nous chantons à présent les louanges est si haut placé, il possède un tel pouvoir qu'on l'utilise pour les consécrations hiérarchiques. Aussi bien, considérant que sa dignité est égale et son pouvoir identique à ceux des saints mystères de la communion, nos divins précepteurs ont-ils prescrit pour lui à peu près les mêmes images, les mêmes cérémonies mystiques et les mêmes formules sacramentelles" ( Ibid., 4,3,3). Et après avoir parlé de la consécration de l'autel par l'huile sainte, l'aigle de la théologie ajoute : " Ayant reçu de Dieu même l'intelligence des symboles hiérarchiques, les divins promoteurs de la hiérarchie humaine appellent ce rite liturgique si parfaitement saint le sacrement (teletès) des saintes huiles en raison de son action perfectionnante (teletourgia) " ( Ibid., 4, 3, 12). Limiter à sept les sacrements, c'est restreindre la puissance du Saint Esprit au nom d'une philosophie tout humaine. 2. Les sacrements n'agissent pas automatiquement L'orthodoxie refuse la théorie scolastique de l'ex opere operato et les distinctions qui en résultent (76). (76) : ( On peut y rattacher tout l'enseignement latin sur les sacrements, la distinction entre sacrements et sacramentaux ( § 1667 et suiv.), les notions de forme et de matière des sacrements, de transsubstantiation (§ 1376). Ces catégories sont étrangères aux Pères). Fondés sur la synergie, la coopération de la volonté divine et de la volonté humaine, comme l'Incarnation elle-même, qui a eu lieu par la descente du Verbe et le oui de Marie la Vierge, les sacrements n'agissent pas ex opere operato, c'est-à-dire par le fait même que l'action est accomplie (§ 1128). Une des conséquences les plus absurdes de cette doctrine est qu'elle rend le sacrement indépendant de la prière et de l'humble supplication de l'Eglise. Selon cette théorie, en effet, il suffit qu'un prêtre prononce les paroles du Seigneur " Ceci est mon Corps..." sur du pain et du vin, avec l'intention d'en faire le Corps et le Sang du Christ, pour que cela soit. Thomas d'Aquin tire la conséquence inévitable de cette doctrine lorsqu'il dit qu'un prêtre peut consacrer le Corps et le Sang du Seigneur en dehors du contexte liturgique, en signalant toutefois qu'un tel prêtre " pécherait gravement (77) ". (77) : ( Somme Théologique, III a, q.78, a.1, ad 4). Fidèle ici à la parole du Seigneur : " Si d'eux d'entre vous s'entendent sur terre sur toute chose qu'ils demanderont, elle leur sera accordée par mon Père qui est dans les cieux. Car là où deux ou trois sont réunis en accord sur mon nom ( sunegménoi eis to emon onoma), je suis au milieu d'eux" ( Matt. 18, 19-20), l'Eglise orthodoxe enseigne que le prêtre ne peut célébrer en dehors du contexte de la liturgie. Il ne peut célébrer seul. Tout acte d'Eglise requiert la présence d'au moins deux ou trois. Et bien sûr, s'ils n'ont pas l'intention d'agir selon la piété, le Saint Esprit n'opère pas le sacrement : pourquoi serait-Il forcé d'obéir à Ses créatures? C'est le Saint Esprit qui accomplit les llllmkùùoolloilolisacrements, en réponse à la prière et à l'invocation de l'Eglise. Cette invocation, ou épiclèse, le Catéchisme en parle souvent ( §§ 1105-1106, 1353), mais non de façon conséquente. Entre la doctrine de l'épiclèse et celle de l'ex opere operato, en effet, la contradiction est totale. Comment peut-on présenter l'une comme explication de l'autre? Le paragraphe 1128 dit le contraire du paragraphe 1127. La doctrine des Pères est donc affirmée, puis annulée. Précisons ce point. 3. In persona Christi Selon le Catéchisme, le prêtre agit "en la personne du Christ, in persona Christi" (§ 875, 1548) et les évêques jouent le rôle du Christ in Eius persona agant (§ 1558). L'Eglise orthodoxe confesse, avec saint Maxime le Confesseur, que "si le prêtre, dans le sacrement, est image du Christ, il n'est absolument pas un "vice-Christ"" et, avec saint Jean Chrysostome: " Ce n'est pas le prêtre seulement qui touche la tête ( du baptisé), c'est aussi la droite du Christ. Et cela ressort des mots mêmes de celui qui baptise, car il ne dit pas : " Je baptise un tel", mais " Un tel est baptisé", montrant qu'il n'est que le serviteur ( le diacre) de la grâce et qu'il ne fait que prêter sa main, parce qu'il a été établi dans ce rôle par l'Esprit (78) ". (78) : ( Huit Catéchèses Baptismales, 2, 26, coll. Sources chrétiennes, Paris, 1970, p. 147-8). Le chrétien orthodoxe croit et confesse que le mystère de l'Eucharistie s'accomplit non par les seules paroles de l'Institution et par leur vertu propre proférée par le prêtre in persona Christi, mais par tout l'ensemble de la prière eucharistique par la force, l'effet et la grâce du Saint Esprit. D'où la nécessité de l'épiclèse. Elle est mentionnée déjà par saint Hyppolite de Rome et par l'anaphore des Apôtres. Saint Formilien (+ 256), évêque de Césarée de Cappadoce, saint Irénée, saint Julien, saint Cyprien, saint Basile, saint Jean Chrysostome, saint Ephrem le Syrien sont absolument explicites sur cette question. Citons simplement saint Cyrille de Jérusalem : " Après nous être sanctifiés par les chants spirituels ( Sanctus), nous supplions le Dieu de miséricorde d'envoyer le Saint Esprit sur les offrandes pour qu'Il transforme le pain en Corps du Christ et le vin en Sang du Christ. Ce qu'a touché le Saint Esprit est, en effet, totalement sanctifié et transformé". En 1968, alors que le Pape Paul VI faisait connaître sa profession de foi connue sous le nom de "Credo de Paul VI", un hiérarque orthodoxe s'exprima ainsi à propos de la conception papale du rôle de prêtre dans la consécration des saints dons : " Le rôle du prêtre dans l'Eucharistie apparaît dans le terme d'"anaphora". Au nom du peuple de Dieu en prière, le prêtre prononce les paroles du Seigneur : Ceci est mon Corps; ceci est mon Sang...prenez et mangez...prenez et buvez-en tous. Il ne prononce pas ces paroles comme le Christ, mais comme historien. Il se réfère à ces paroles dans sa prière à Dieu telles qu'elles ont été dites par le Christ, et il aspire à la descente de l'Esprit Saint pour opérer le changement des éléments en Corps et Sang du Seigneur. A aucun moment l'Eglise n'identifie le ministre du sacrement avec le Christ. Le prêtre ou l'évêque ne représentent jamais la personne de Notre Seigneur dans le sens où le soutient le credo du Pape; C'est ainsi que le rôle du prêtre a toujours été compris dans l'Eglise d'Orient. Jamais dans le culte le prêtre n'est considéré comme représentant Notre Seigneur. C'est pourquoi les prières eucharistiques emploient toujours le pluriel et non le singulier. " Nous T'offrons encore..." Dans l'Eglise d'Occident, c'est la raison de l'absence de l'épiclèse, de l'invocation du Saint Esprit sur les dons; en effet, comment le prêtre peut-il appeler l'Esprit Saint s'il est lui-même le Christ?" Comme le prêtre agit in persona Christi, il s'ensuit donc logiquement que l'invocation du Saint Esprit devant sanctifier les offrandes est rendue inutile. Dans l'ancienne messe ( dite de Pie V), si des allusions au Saint Esprit existent, elles sont noyées dans le texte et perdent leur caractère et leur sens de prière sanctifiante. Il n'est pas question d'épiclèse. Dans la nouvelle messe de Paul VI que certains, dans son Eglise, ont accusé de tendances protestantisantes et désacralisantes, elle semble faire une apparition dans les quatre nouvelles prières eucharistiques : " Sanctifie ces offrandes en répandant sur elles ton Esprit" ( 2ème prière), " Sanctifie-les par ton Esprit" (3ème prière). Les Catéchistes reconnaissent l'importance de l'épiclèse : " l'Epiclèse est au coeur de chaque célébration sacramentelle, plus particulièrement de l'Eucharistie" (§ 1106). Le sens de ces réformes est-il orthodoxisant? Malheureusement non. Outre le fait qu'une pratique tirée de l'orthodoxie ne rend pas orthodoxe un ministre qui ne l'est ni ne veut l'être, le sens de cette épiclèse est dénaturé. Il ne ressemble en rien à l'épiclèse orthodoxe. En effet, pour sauvegarder le principe du prêtre agissant in persona Christi, cette "épiclèse" est placée avant les paroles de l'institution, contrairement à l'épiclèse orthodoxe, qu'une allusion discrète rappelle au § 1353. Pourquoi ce déplacement, sinon pour conserver le principe papal que ce sont les paroles Ceci est Mon Corps... Ceci est mon sang qui opèrent la transsubstantiation? La "réforme" reste donc conforme au décret du Pape Eugène pour les Arméniens : " La forme (79) même de ce sacrement, ce sont les paroles du Sauveur par lesquelles Il opère ce sacrement; (79) : ( Catéchisme du Concile de Trente : " La forme d'un sacrement consiste dans les paroles qui expriment l'effet produit par ce sacrement" (ch. 18)). c'est en effet le prêtre parlant en la personne du Christ qui opère ce sacrement. Ainsi par la vertu de ces paroles la substance du pain se convertit en Corps du Christ, et la substance du vin en Son Sang" ( Bulle Exsultate Deo de 1439). Le catéchisme de Pie X, à la question : " Quelle est la forme du sacrement de l'Eucharistie?" répond : " La forme consiste dans les paroles employées par Jésus Christ : ceci est mon corps; ceci est mon sang". Très différent est l'enseignement de saint Jean Chrysostome, selon lequel c'est la parole du Seigneur dite une fois pour toutes ( hapax rethenta) qui "achève la perfection du sacrifice (80)", parce que cette parole garde à jamais son efficacité, comme le verbe créateur. La répétition de ces paroles par le prêtre à chaque liturgie n'a pas d'action ni de "vertu" propres. Sans la prière et la présence du Saint Esprit, le sacrement ne saurait avoir lieu. Les membres de l'Eglise du pape qui se disent en recherche sur l'action du Saint Esprit dans la confection des sacrements, ne pourront guère trouver de réponse dans une liturgie qui vide l'épiclèse de son contenu véritable. 4. La confession Naguère encore la pénitence, telle qu'elle était vécue dans l'Eglise catholique, avait été très critiquée parce que, conçue de façon juridique, elle pouvait devenir une école d'immoralité, les casuistes ayant édité des livres détaillant les "circonstances aggravantes" des péchés connus d'eux (81). (81) : ( Voir W. Guettée, La papauté hérétique, Paris, 1874, p. 200-202). Aujourd'hui, un changement s'est opéré, manifesté par le fait qu'au nom de "pénitence" est venu s'adjoindre celui de "réconciliation", comme désignation usuelle de ce sacrement. Toutefois, cette modification a-t-elle une signification profonde et prouve-t-elle un désir réel, dans l'Eglise catholique, de retour à l'enseignement et à la pratique des Pères théophores? L'avenir le dira; mais le Catéchisme témoigne que, pour le moment, les conceptions de base de l'Eglise latine sont restées celles du Concile de Trente. La rénovation apparente n'est ici que du "plaqué or", non de l'or véritable, et cela pour deux raisons. La première est qu'on ne peut retrouver la grâce "en faisant comme" les orthodoxes, mais en se rattachant de la manière la plus concrète à l'Eglise orthodoxe par le saint baptême. La seconde est que la volonté de changer risque de n'être qu'une velléité et une simple tentative pour rendre plus acceptable ce que le Concile de Trente a posé sur des bases faussées. Cela est évident si l'on considère la formule d'absolution : " Que Dieu notre Père vous montre sa miséricorde; par la mort et la résurrection de son Fils, Il a réconcilié le monde avec Lui et Il a envoyé l'Esprit Saint pour la rémission des péchés : par le ministère de l'Eglise, qu'Il vous donne le pardon et la paix. Et moi, au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, je vous pardonne tous vos péchés" ( § 1449). Le prêtre latin usurpe ici audacieusement la place du Seigneur. Selon la foi des Apôtres, Dieu seul remet les péchés (82) et le prêtre ne saurait se substituer à Lui. (82) : ( Matt, 9, 2 et Marc 2, 5. Selon Zigabène, en disant au paralytique "tes péchés te sont remis", le Christ a montré qu'Il était Dieu : " Car guérir des maladies du corps était aussi le lot des saints, tandis que remettre les péchés n'appartient qu'à Dieu seul. D'où les hauts cris poussés par les scribes" ( Commentaire sur saint Matthieu, chap.13). Dans l'économie que les Apôtres nous ont transmise pour la remise des fautes commises après le baptême, l'aveu de nos péchés nous en libère en effet, mais non par magie ni par la seule formule d'absolution. Les mots même que le prêtre utilise, dans l'Eglise orthodoxe, révèlent une autre compréhension du sacrement : " Que Celui qui a pardonné à David par Nathan son prophète, à Pierre qui pleura son reniement, qui remit leur dette aux deux débiteurs, qui acceuillit les larmes de la courtisane, te pardonne aussi tous tes péchés volontaires et involontaires, commis en paroles, en pensée, en conscience et par ignorance...Pour les péchés que tu confesses n'en aie aucune crainte : la grâce du Saint Esprit te pardonne dans ce monde et dans l'autre. Va en paix, au Nom du Père, du Fils et du Saint Esprit". Le prêtre orthodoxe ne dit pas "je te pardonne" parce qu'il n'est pas le Saint Esprit. Sans la présence du Saint Esprit, tous les mystères de l'Eglise se vident et se transforment en mascarade ou en abus de pouvoir de la part du clergé. La rémission des péchés, en particulier, n'est pas un acte extérieur qui s'opère en vertu d'une formule. Elle a lieu dans le coeur brisé et confiant qui pleure, si l'on peut dire, contre la poitrine du Seigneur. Ici, le prêtre n'agit pas in persona Christi, parce que le Christ Lui-même est présent. Loin de s'en remettre à l'homme, le fidèle sait quand il a été pardonné. Il n'est ni dans l'incertitude, ni dans une fausse assurance reposant sur l'absolution du prêtre. Le critère du croyant, c'est le Saint Esprit. Les Pères qui ont l'expérience de l'Esprit disent que l'on acquiert la certitude que les péchés sont pardonnés lorsque les passions cessent de jaillir en nous. (83) : ( On demanda à quelqu'un : Quand un homme peut-il connaître qu'il a reçu le pardon de ses péchés? Il répondit : Quand il sent dans son âme qu'il les hait totalement du fond du coeur et que, dans ses actes extérieurs, il se gouverne d'une manière opposée à son ancien genre de vie. Un tel homme, qui a conçu la haine de son péché, a confiance d'avoir reçu la rémission de ses péchés grâce au bon témoignage de sa conscience, qu'il a désormais acquis, selon la parole de l'Apôtre qui dit : la conscience qui n'est pas condamnée témoigne d'elle-même" ( Saint Isaac le Syrien, Homélies Ascétiques, 28, édition anglaise Holy Transfiguration Monastery, Boston, 1984, p. 141). Pour cette raison, la vigilance est requise (84). (84) : ( " Chacun d'entre nous, dit saint Macaire, doit chercher s'il a trouvé le trésor dans ce vase d'argile ( cf.2 Cor. 4, 7), s'il a revêtu la pourpre de l'Esprit, s'il a vu le Roi et trouvé le repos tout près de lui, ou bien s'il sert encore dans les demeures les plus extérieures. En effet, l'âme possède beaucoup de membres, et une grande profondeur. Le péché y est entré et a pris possession de tous ses membres et des espaces du coeur. Ensuite, quand l'homme recherche la grâce, elle vient à lui et prend possession, par exemple, de deux membres de l'âme. C'est ainsi que l'homme inexpérimenté, étant consolé par la grâce, s'imagine qu'en venant, elle a pris possession de tous les membres de son âme, et que le péché est déraciné. Mais la plus grande partie est encore au pouvoir du péché, et une partie seulement est au pouvoir de la grâce. Et il est trompé, et il ne le sait pas" ( Saint Macaire, Homélies spirituelles, 50, 4). Il est bien dommage que le Catéchisme cite une formule "byzantine" altérée au § 1481. Aussi bien ne pouvait-il citer la formule complète que nous avons donnée, parce qu'elle témoigne clairement contre lui. N'y a-t-il pas, du reste, quelque chose de fallacieux dans la manière dont cette formule est introduite : " La liturgie byzantine connaît plusieurs formules d'absolution, de forme déprécative, qui expriment admirablement le mystère du pardon". La tromperie réside en ceci : l'Eglise du pape ne tient absolument pas pour suffisante à remettre les péchés cette formule "déprécative", c'est-à-dire cette prière. Ainsi le Concile de Trente dit : " Le saint Synode enseigne que la forme du sacrement de pénitence, en laquelle réside principalement sa force, repose dans ces mots du ministre : Je te pardonne, etc; auxquels, certes, la coutume de la Sainte Eglise ajoute, de manière louable, certaines prières, sans cependant qu'elles aient rien à voir avec l'essence même de la forme du sacrement, ni qu'elles soient nécessaires pour l'administrer (85)". (85) : (Concile de Trente, 14ème session, chap.3). Donc la formule "déprécative" ( c'est-à-dire de prière et d'imploration) est, en réalité, pour les auteurs du Catéchisme, non nécessaire. Il suit de là que, pour eux, les orthodoxes n'ont pas la forme correcte du sacrement, ni par conséquent de sacrement, ni de rémission des péchés (86)! (86) : (Benoît XIi condamnait déjà les formules déprécatives, comme inefficaces ( Décret d'août 1341 sur les Arméniens, 40). Point peu soulevé dans les discussions oecuméniques! On y parle beaucoup de baptême, d'eucharistie et de ministère; mais de la pénitence rarement...). La louange de l'orthodoxie cache ici sa condamnation dans la pratique. En accolant une formule de sens orthodoxe ( " Que Dieu notre Père vous montre sa miséricorde...") à la formule déclarative qu'il juge indispensable : " Je te pardonne...", le Catéchisme refuse donc de faire confiance au Saint Esprit et dissimule, plutôt qu'il ne l'efface, l'erreur du Concile de Trente, qui a fait de l'absolution un "acte judiciaire (87)". (87) : ( Concile de Trente, 14ème session, canon 9). 5. Quels sacrements hors de l'Eglise? La seconde conséquence inacceptable de l'opus operatum, c'est qu'elle déclare valides les sacrements accomplis par des schismatiques ou des hérétiques, en dehors de l'Eglise. Ici, il faut relever une ambiguïté dans la formulation : " Dès lors qu'un sacrement est célébré conformément à l'intention de l'Eglise, la puissance du Christ et de son Esprit agit en lui et par lui, indépendamment de la sainteté personnelle du ministre" ( § 1128). Que signifie, en effet, "conformément à l'intention de l'Eglise"? Si cela veut dire : " en ayant l'intention de faire ce que veut l'Eglise", la formule est assurément orthodoxe et alors les Catéchistes auraient dû dire que l'Eglise catholique a renoncé à l'ex opere operato. Si cela veut dire : " en ayant l'intention de faire ce que fait l'Eglise", la formule rejoint la théorie scolastique, mais le lecteur français moderne a droit à une explication de cette théorie, à laquelle le Catéchisme se réfère. Pour l'éclairer, citons les décrets des papes, car ce sont eux qui utilisent cette distinction subtile entre "vouloir faire ce que fait l'Eglise" et "vouloir faire ce que veut faire l'Eglise". Voyez la réponse que fit Pie IX, le 18 décembre 1872, par son Saint Office, à un vicaire apostolique qui lui demandait si le baptême administré par les méthodistes était valide, vu que ceux-ci sont des hérétiques qui disent qu'il n'a aucun effet sur l'âme. Le Saint Office répond que la question a déjà été tranchée par Benoît XIV, qui estime valide le baptême conféré par les hérétiques, du moment que les formes sont respectées, quelles que soient les intentions du ministre. Il cite ensuite le cardinal Bellarmin qui dit que le Concile de Trente (canon 11, session 7) ne demande pas que le ministre ait l'intention de faire ce que veut ( quod intendit) l'Eglise, mais simplement ce que fait ( quod facit) l'Eglise. " C'est pour cela, ajoute le Saint Office, que Innocent IV, au chap. 2 de son De baptismo, n°9, dit que le baptême conféré par un Sarrasin est valide, alors qu'on sait très bien que le Sarrasin ne croit pas que l'immersion ait d'autre effet que de mouiller le baptisé. Il suffit qu'il ait voulu faire ce que font les autres baptiseurs". Léon XIII, dans sa lettre Apostolicae curae et caritatis, confirme cette doctrine, en disant que l'Eglise ne juge pas de l'esprit et de l'intention en soi, qui est une chose intérieure, mais de la réalisation extérieure de sacrement : " Lorsque quelqu'un, pour confectionner et conférer un sacrement, a employé avec ordre et sérieux ( serio ac rite) la matière et la forme dues, il est réputé par là-même avoir évidemment voulu faire ce que fait l'Eglise. C'est sur ce principe que repose la doctrine immuable ( quae tenet) qu'un sacrement est véritablement conféré, même par le ministère d'un hérétique ou d'un non-baptisé, pour vu seulement qu'il ait suivi le rite catholique". Telle est la doctrine sous-jacente à cette affirmation des Catéchistes : " En cas de nécessité, toute personne, même non baptisée, ayant l'intention requise, peut baptiser. L'intention requise, c'est de vouloir faire ce que fait l'Eglise en baptisant, et appliquer la formule baptismale trinitaire" ( § 1256). Il suffit de connaître les canons des Apôtres, base de toute l'organisation de l'Eglise orthodoxe du Christ, pour réfuter cette théorie selon laquelle un baptême donné dans le schisme ou l'hérésie pourrait être valide. " Nous ordonnons que tout évêque ou prêtre qui a accepté le baptême ou le sacrifice d'hérétiques, quels qu'ils soient, soit déposé. Car quelle entente y a-t-il entre le Christ et Bélial? Ou quelle part le fidèle a-t-il avec l'infidèle?" (Canon 46). Les chrétiens orthodoxes doivent avertir les hérétiques de leurs erreurs et non leur laisser croire qu'ils les acceptent. " Si un évêque ou un prêtre baptise de nouveau quelqu'un qui a reçu un vrai baptême, ou ne baptise pas quelqu'un qui a été souillé par celui des impies, qu'il soit déposé, comme insultant à la Croix et à la mort du Seigneur et comme ne sachant pas distinguer entre les prêtres et les faux-prêtres" (Canon 47). 6. Le caractère sacramentel La notion de caractère sacramentel, inventée par Augustin dans sa lutte contre les Donatistes, n'appartient pas à la tradition de l'Eglise. " Les trois sacrements du Baptême, de la Confirmation et de l'Ordre confèrent, en plus de la grâce, un caractère sacramentel ou "sceau" par lequel le chrétien participe au sacerdoce du Christ et fait partie de l'Eglise selon des états et des fonctions diverses. Cette configuration au Christ et à l'Eglise, réalisée par l'Esprit, est indélébile, elle demeure pour toujours dans le chrétien comme disposition positive pour la grâce, comme promesse et garantie de la protection divine et comme vocation au culte divin et au service de l'Eglise. Ces sacrements ne peuvent donc jamais être réitérés" ( § 1121, § 1582). Que ces sacrements ne soient pas réitérés, c'est une chose; qu'ils donnent, en plus de la grâce, c'est-à-dire, en plus de l'énergie déifiante de la Trinité, en plus du Saint Esprit (!) un caractère, c'est une théorie, rationaliste dans son principe et fausse dans ses conséquences. La grâce du baptême, par exemple, reste auprès du baptisé qui l'a perdue par son péché, prête à revenir en lui s'il fait pénitence. Aucun Père n'a parlé ici de caractère. Les historiens catholiques eux-mêmes reconnaissent d'ailleurs ce fait. C'est Augustin d'Hippone qui, le premier, a inventé la notion, pour expliquer de manière démonstrative ce que la raison humaine ne peut comprendre qu'en acceptant son impuissance devant le mystère. Et la conséquence, anti-traditionnelle, c'est que, selon cette doctrine, un prêtre qui quitte l'Eglise reste prêtre, emportant avec lui le pouvoir de consacrer! Cela ressort clairement de la lettre de Léon XIII que nous avons citée, où il parle des ordinations anglicanes. Elles ne sont pas valables, dit-il - mais pourquoi? Parce qu'ils ont quitté l'Eglise? Non, selon lui! Mais parce que la formule employée par leurs évêques n'était pas ce qu'elle doit être! Dès lors, dit Léon XIII, les évêques ainsi ordonnés ne sont pas évêques, et ne peuvent plus, même s'ils se mettent à employer la bonne formule, consacrer d'évêques. A la suite des Apôtres, l'Eglise orthodoxe a toujours estimé que la succession apostolique qui fait l'évêque ne réside pas simplement dans l'imposition des mains par deux ou trois évêques, ni dnas l'usage d'une formule, mais dans la confession de la vérité. Il en va de même pour l'ordination sacerdotale. Un prêtre ou un évêque qui cesse de "dispenser fidèlement la parole de vérité" cesse ipso facto d'être prêtre ou évêque. Il devient un faux-pasteur. Dire que le Christ peut agir à travers un ministre, même indigne personnellement, c'est une chose. Dire qu'il peut y avoir des sacrements hors de l'Eglise, c'est autre chose. La première affirmation signifie que la prière de l'Eglise entière dépasse le prêtre seul, et elle est vraie. La seconde affirmation attribue aux sacrements une efficacité en eux-mêmes, indépendamment de la Vérité, du Corps de la Vérité, qui est l'Eglise du Christ. Or le Catéchisme professe que : " Attacher à la seule matérialité des prières ou des signes sacramentels leur efficacité, en dehors de dispositions intérieures qu'ils exigent, c'est tomber dans la superstition" ( § 2111). L'Eglise orthodoxe considère comme relevant de la même superstition le fait de croire en l'efficacité d'une formule en soi. Saint Firmilien et saint Athanase le Grand disent que les noms plus que divins des trois Personnes de la Sainte Trinité sont vides et sans effet dans la bouche d'un hérétique. 7. Les rites transmis dans le secret L'Eglise catholique a condamné, dans le passé, les usages orthodoxes. L'étude de l'histoire, qui s'est développée depuis le XVIIème siècle, avec ce qu'on a appelé "la théologie positive" a permis aux occidentaux de se rendre compte que, sur tous les points en litige, les orthodoxes restaient fidèles à l'ancienne tradition apostolique. C'est pourquoi le Catéchisme reconnaît que l'Eglise orthodoxe est dans le vrai quand elle baptise par triple immersion (§ 1239), quand elle autorise le prêtre à donner ordinairement la chrismation ( §§ 1290, 1292, 1312), quand elle fait communier les petits enfants (§§ 1233, 1244), quand elle donne aux fidèles le Corps et le Sang du Christ (§ 1390). Cependant, le même Catéchisme maintient comme légitimes les usages latins. Certes, les rites n'ont pas la même importance que les dogmes. On remarque, toutefois, que les arguments du Catéchisme sont faibles ou contradictoires : (a) " Le Baptême est accompli de la façon la plus significative par la triple immersion dans l'eau baptismale. Mais depuis l'antiquité il peut aussi être conféré en versant par trois fois l'eau sur la tête du candidat" ( § 1239). N'est-ce pas avouer que l'Occident a généralisé une économie, un accommodement et qu'il se trouve posséder un rite moins significatif (88) ? (88) : ( Précisons que ce n'est pas la seule différence de rite qui rend, pour l'Eglise orthodoxe, le baptême des latins ineffectif. C'est d'abord l'absence de la foi juste. En effet, conformément au canon 47 des Apôtres cité plus haut, aucun sacrement célébré par un hérétique ( c'est-à-dire un non-orthodoxe) ne peut être valide, quand bien même il suivrait le rituel orthodoxe. L'usage de l'aspersion est une manifestation supplémentaire de l'éloignement des latino-francs par-rapport à la tradition. Précisons aussi que saint Basile appelle un "dogme" la tradition reçue de baptiser par triple immersion, dans son Traité du Saint Esprit. Dans ce traité, il définit le "dogme" comme une instruction "transmise dans le secret". Pour les Pères orthodoxes, la forme même du baptême remonte aux Apôtres et elle est d'institution divine). (b) Si "aux premiers siècles, la Confirmation constitue généralement une unique célébration avec le Baptême, formant avec celui-ci, selon l'expression de saint Cyprien, un "sacrement double" ( § 1290) et si "la pratique des Eglises d'Orient (89) souligne davantage l'unité de l'initiation chrétienne" ( § 1292, cf.1312), le Pape ne devrait-il pas abroger l'anathème du Concile de Trente : " Si quelqu'un dit que le ministre ordinaire de la sainte confirmation n'est pas l'évêque seul, mais n'importe quel simple prêtre, qu'il soit anathème" ( Sess. 7, canon 3 sur la Confirmation (90) ) ? ) (90) : ( Anathème que le Catéchisme dissimule mais n'annule point ( § 1313, 1318).) (c) " Les Eglises orientales gardent une conscience vive de l'unité de l'initiation chrétienne en donnant la sainte communion à tous les nouveaux baptisés et confirmés, même aux petits enfants, se souvenant de la parole du Seigneur : " Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas" ( Mc 10, 14). L'Eglise latine, qui réserve l'accès à la sainte communion à ceux qui ont atteint l'âge de raison, exprime l'ouverture du Baptême sur l'Eucharistie en approchant de l'autel l'enfant nouveau baptisé pour la prière du Notre Père" ( § 1244). Nos catéchistes, étrangement, reconnaissent ici que l'Eglise orthodoxe est restée fidèle à la parole du Seigneur, tandis que l'Eglise latine ne s'est pas souvenue de cette même parole et a remplacé la pratique orthodoxe par un rite de substitution accompli au baptême. Jusqu'à six ou sept ans les enfants seraient donc empêchés d'approcher du Christ, au mépris du précepte divin, que les orthodoxes, de leur côté, ne se croient pas en droit d'abolir (91)! (91) : ( Dans l'Eglise d'Occident, l'interdiction de communier faite aux enfants ne date que du XIIème siècle. Auparavant, on croyait la communion nécessaire aux enfants, pour développer en eux la vie en Christ, comme en témoigne saint Innocent Ier, pape de Rome ( lettre 26)). (d) " Grâce à la présence sacramentelle du Christ sous chacune des espèces, la communion à la seule espèce du pain permet de recevoir tout le fruit de grâce de l'Eucharistie. Pour des raisons pastorales, cette manière de communier s'est légitimement établie comme la plus habituelle dans le rite latin. " La sainte communion réalise plus pleinement sa forme de signe lorsqu'elle se fait sous les deux espèces. Car, sous cette forme, le signe du banquet eucharistique est mis plus pleinement en lumière". C'est la forme habituelle de communier dans les rites orientaux" ( § 1390). Quoique le Catéchisme se serve d'un vocabulaire non orthodoxe ( "espèces", "réalise sa forme de signe"), il reconnaît ici le bien-fondé du rite orthodoxe. Complétons ce point : l'Eglise orthodoxe suit purement et simplement le précepte donné par le Sauveur lui-même : " Buvez-en tous" ( Matt. 26, 27-28). Contre ce précepte divin, le Catéchisme dit que l'autre manière de communier s'est établie "légitimement". En quoi est-ce légitime? " De quel droit un théologien peut-il prétendre que la participation au corps suffit, lorsque Jésus-Christ a établi la participation au sang? De quel droit décide-t-il que le sacrement est complet, lorsqu'on n'accomplit que la moitié de ce qu'a établi Jésus-Christ (92) ? (92) : ( W. Guettée, La Papauté hérétique, p. 179). 8. Une théorie des sacrements peut-elle fonder l'oecuménisme? La théorie des sacrements fonde une unité problématique des sectes et des hérésies avec l'Eglise. " Le Baptême constitue le fondement de la communion entre tous les chrétiens, aussi avec ceux qui ne sont pas encore en pleine communion avec l'Eglise catholique" ( § 1271). Cette doctrine est répétée plusieurs fois, d'abord à propos du baptême, ensuite, pour l'Eglise orthodoxe, à propos du sacerdoce et de l'eucharistie. " Les Eglises orientales (93) qui ne sont pas en pleine communion avec l'Eglise catholique célèbrent l'Eucharistie avec un grand amour. (93) : ( En parlant ici d'Eglises orientales, au pluriel, les Catéchistes a) manifestent leur opposition à l'Eglise orthodoxe qui est essentiellement une; b) la groupent avec les hérésies monophysite et nestorienne; c) se déclarent unis sacramentellement à ces mêmes hérésies). " Ces Eglises, bien que séparées, ont de vrais sacrements, -principalement en vertu de la succession apostolique : le Sacerdoce et l'Eucharistie, - qui les unissent intimement à nous". Une certaine communion in sacris, donc dans l'Eucharistie, est "non seulement possible, mais même recommandée, lors de circonstances favorables et avec l'approbation de l'autorité ecclésiastique" " (§ 1399). Quelle est la nature de cette union? Premièrement, elle a ce qu'on pourrait appeler une "hérédité chargée". En effet, selon la pure doctrine augustinienne, il ne fait aucun doute que les sacrements de ceux qui sont séparés de l'Eglise sont valides comme sacrements; toutefois cela ne rend pas moins coupables ceux qui les administrent. Ils commettent une sorte de sacrilège. " Chez ceux qu'ils baptisent, les donatistes guérissent la blessure de l'idolâtrie ou de l'infidélité, mais ils leur infligent une blessure plus grave, celle du schisme (94)". (94) : ( Augustin, De Baptismo, dans Traités Antidonatistes 2, Bibliothèque Augustinienne 29, Paris, 1964, p. 83. Le schisme, séparation d'avec l'Eglise, est défini par le Catéchisme en référence au pape : " Le schisme est le refus de la soumission au Souverain Pontife ou de communion avec les membres de l'Eglise qui lui sont soumis" ( § 2089).). C'est en vertu de cette doctrine que les protestants ont été persécutés aux XVI et XVIIèmes siècles : c'est parce que leur baptême était valide qu'on jugeait indispensable de les intégrer, par la force, pour les sauver, à l'Eglise catholique. Tel a été l'argument de leurs persécuteurs. Il est clair que le Catéchisme ne tire pas cette conclusion; toutefois, on pourrait craindre que, la doctrine de base subsistant, quelqu'un ne la tire de nouveau, comme l'avaient fait la plupart des catholiques français au XVIIème siècle (Bossuet, Arnauld, Thomassin etc) : "C'est, en effet, par la seule Eglise catholique du Christ, laquelle est "moyen général de salut", que peut s'obtenir toute la plénitude des moyens de salut. Car c'est au seul collège apostolique, dont Pierre est le chef, que le Seigneur confia, selon notre foi, toutes les richesses de la Nouvelle Alliance, afin de constituer sur la terre un seul Corps du Christ auquel il faut que soient pleinement incorporés tous ceux qui, d'une certaine façon, appartiennent déjà au Peuple de Dieu" ( § 816). Il faut! En second lieu, cette unité est paradoxale. Voici comment le Catéchisme la décrit : " Avec ceux qui, étant baptisés, portent le beau nom de chrétiens sans professer pourtant intégralement la foi ou sans garder l'unité de communion avec le successeur de Pierre, l'Eglise se sait unie pour de multiples raisons" ( § 838). " Justifiés par la foi reçue au Baptême, incorporés au Christ, ils portent à juste titre le nom de chrétiens, et les fils de l'Eglise catholique les reconnaissent à bon droit comme des frères dans le Seigneur" ( § 818). Cette unité atteint son comble avec les "Eglises orientales" : " Ces Eglises, bien que séparées, ont de vrais sacrements, - principalement, en vertu de la succession apostolique : le Sacerdoce et l'Eucharistie - qui les unissent intimement à nous" (§ 1399). Or, quel lien plus étroit et plus éternel peut-il y avoir que le Corps et le Sang du Christ? Si un tel lien existait entre l'Eglise catholique et l'Eglise orthodoxe, assurément, il n'en faudrait pas chercher d'autre! Le paradoxe est donc de prétendre à la fois que ce lien existe et que l'unité n'est pas néanmoins parfaite. Que peut-il bien manquer? " Avec les Eglises orthodoxes, cette communion est si profonde " qu'il lui manque bien peu pour qu'elle atteigne la plénitude autorisant une célébration commune de l'Eucharistie du Seigneur" " (§ 838). Est-ce la reconnaissance du pape qui fait défaut? Le pape est-il plus haut que le Corps et le Sang du Christ? Pourra-t-il parfaire une unité que le Seigneur n'a pu rendre totale par Son propre Corps et Sang, et n'y a-t-il pas quelque chose de blasphématoire dans cette conception (95) ? (95) : ( Le Catéchisme parle "d'éléments de sanctification". S'il y a des éléments de sanctification, c'est-à-dire de déification, hors de l'Eglise catholique, on peut dire que Rome n'est plus dans Rome et que les appels à rentrer dans l'unité du Siège papal ne servent à rien). En troisième lieu, cette unité n'existe que dans l'imagination. En effet, quand les deux s'unissent, il y a un troisième terme par lequel ils s'unissent. Ici, quel est ce troisième terme? Les sacrements? Mais nous venons de montrer suffisamment que la doctrine des sacrements de l'Eglise latine diffère totalement de celle de l'Eglise orthodoxe. Les orthodoxes ne reconnaissent pas l'existence de sacrements en dehors de l'Eglise orthodoxe. Dès lors, comment peut-on appeler "profonde" une communion supposée avec des gens qui n'en ont même pas entendu parler? Ainsi comprise, l'idée augustinienne que ce sont " les sacrements qui font l'Eglise" ( § 1118) apparaît donc comme une contre-vérité. " Le sabbat a été fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat" ( Mc 2, 27). Les catégories de forme et de matière, les notions de caractère, opus operatum, transsubstantiation, "sacrements" et "sacramentaux" n'ont aucune existence évangélique, apostolique ou patristique et conduisent à la négation même de l'Eglise. La porte d'entrée de celle-ci est la Vérité, le Christ, non la manipulation de cérémonies privées de leur authenticité. IV L'ECONOMIE DE NOTRE SALUT L'économie de notre salut commence par la Création. La doctrine que les Pères, avec leur esprit purifié, ont lue dans l'Ecriture, c'est que Dieu n'est aucunement l'auteur du mal. Malheureusement, cette doctrine est obscurcie dans le Catéchisme. 1. Hésitations sur l'origine du mal L'Eglise orthodoxe enseigne que Dieu crée le monde par amour et qu'Il n'a pas créé le mal. A la question posée par le Catéchisme aux §§ 284, 309 et 385, "d'où vient le mal", les Pères ne donnent qu'une seule réponse, que voici : " Nous ne connaissons rien de mauvais par essence, ni d'autre principe du mal que l'écart commis par les êtres raisonnables lorsqu'ils utilisent mal l'autorité sur eux-mêmes que Dieu leur a donnée (96)". (96) : ( Saint Grégoire Palamas, Confession de foi, PG 151, col.766). Le mal physique n'est que le remède du mal moral, selon saint Basile : " Dieu soigne les vices collectifs par des châtiments collectifs (97)" et saint Jérôme : " Ce que l'on considère comme un châtiment se révèle un remède (98)" et tous les saints. (97) : ( Que Dieu n'est pas l'auteur du mal, 5). (98) : ( Sur Ezéchiel, 1). Le Catéchisme dit au § 295 que " Dieu crée par sagesse et par amour", au § 299 que " L'Eglise a dû, à maintes reprises, défendre la bonté de la création, y compris du monde matériel" et au § 311 que " Dieu n'est en aucune façon, ni directement ni indirectement, la cause du mal moral", mais il oublie ensuite cette doctrine et fait de Dieu l'auteur du mal physique et du mal moral : a) Au §310 : " Pourquoi Dieu n'a-t-Il pas créé un monde aussi parfait qu'aucun mal ne puisse y exister? Selon sa puissance infinie, Dieu pourrait toujours créer quelque chose de meilleur. Cependant dans sa sagesse et sa bonté infinie, Dieu a voulu librement créer un monde " en état de cheminement" vers sa perfection ultime. Ce devenir comporte, dans le dessein de Dieu, avec l'apparition de certains êtres, la disparition d'autres, avec le plus parfait aussi le moins parfait, avec les constructions de la nature aussi les destructions; Avec le bien physique existe donc aussi le mal physique, aussi longtemps que la création n'a pas atteint sa perfection". C'està-dire que Dieu est responsable du mal physique parce qu'il n'a pas voulu créer un monde où tout soit parfait, alors que cela Lui était possible. Jamais la Bible ni les Pères n'ont dit cela. La création a atteint sa perfection du jour où elle est sortie des mains du Seigneur. C'est l'homme qui, en péchant, l'a entraînée dans sa chute. La présence du péché dans le monde ne nous permet pas de le voir tel qu'il a été créé. C'est pourquoi la pensée humaine, si elle n'est éclairée par Dieu, est incapable d'associer perfection et cheminement, perfection et hiérarchie. Nous citerons donc saint Jean Chrysostome, dont tous les discours sur la Providence dissipent cette fausse idée de mal physique développée par le Catéchisme. " Moïse, voulant supprimer toute curiosité impudente de la part de ceux qui, dans la suite, devaient jouir de la création, a proclamé et dit que Dieu vit ces choses et les loua et décréta qu'elles étaient bonnes et non seulement bonnes, mais tout-à-fait bonnes" ( 4, 9). b) Au § 412, le Catéchisme demande : " pourquoi Dieu n'a-t-Il pas empêché le premier homme de pécher?" Et il répond que "rien ne s'oppose à ce que la nature humaine ait été destinée à une fin plus haute après le péché" ( Thomas d'Aquin). Que Dieu puisse, du mal, tirer le bien, c'est une chose que nous confessons; mais l'idée que le bien de la nature humaine compense le malheur éternel de ceux qui sont damnés sonne étrangement. Dire qu'en agissant ainsi Dieu a laissé l'homme pécher pour en tirer un plus grand bien, c'est avouer qu'Il a agi exactement comme le réprouve le Catéchisme : " Il n'est jamais permis de faire le mal pour qu'il en résulte un bien" ( §§ 1789 et 1756). Car laisser faireun mal qu'on pourrait empêcher, c'est le faire. La réponse des Pères à ce dilemme, c'est que Dieu a limité sa toute-puissance pour laisser l'homme libre. Le Catéchisme semble enseigner cela au § 311, où il dit que Dieu permet le péché "respectant la liberté de sa créature", mais le §308 fait perdre tout sens à cette affirmation et rend Dieu tout-à-fait odieux : " Dieu agit en tout agir de ses créatures. Il est la cause première qui opère dans et par les causes secondes : " Car c'est Dieu qui opère en nous à la fois le vouloir et l'opération même, au profit de ses bienveillants desseins" ( Phil.2, 13)". Ce totalitarisme métaphysique est réfuté par saint Jean Chrysostome, interprète fidèle des mots de l'Apôtre Paul : " Si Dieu opère en nous la volonté même, sans aucune coopération de notre part, pourquoi saint Paul nous exhorte-t-il à vouloir? Si c'est Dieu qui fait toute notre volonté, tu as tort, ô grand apôtre, de nous dire : Vous avez obéi, car ce n'est plus nous qui obéissons; en vain tu ajoutes : Avec crainte et tremblement : tout est de Dieu! -. L'apôtre vous répond : Ce n'est pas dans ce sens que je vous ai dit : Dieu opère en nous le vouloir et le faire; je n'ai voulu qu'apaiser votre inquiétude. Si vous le voulez, Dieu opérera en vous le vouloir... Dès que nous aurons voulu, il augmentera, il accomplira notre bon vouloir...Quand l'Apôtre déclare que Dieu opère en nous le vouloir même, il n'entend pas nous priver de notre libre arbitre, mais il nous montre qu'en faisant le bien nous acquérons plus encore l'inclination à bien vouloir. Car, comme en faisant on apprend à faire, ainsi en ne faisant pas on désapprend...D'après la bonne volonté, dit saint Paul, c'est-à-dire, selon votre charité, selon votre soin à lui plaire et à produire les oeuvres qu'il aime, et qui sont en harmonie avec sa sainte loi... Vous voyez donc que Paul ne détruit pas ici notre liberté (99)". (99) : ( Commentaire sur l'Epître aux Philippiens, Homélie 8). 2. Le péché originel Le Seigneur est venu pour nous sauver du diable, du péché et de la mort, selon les Pères. Or le Catéchisme, à la suite d'Augustin et du Concile de Trente, altère la notion du salut en changeant celle du péché ( 100). (100) : (La doctrine classique de l'Eglise catholiquee est celle qui a été exprimée par Augustin d'Hippone, à l'occasion de sa réfutation de l'hérésie de Pélage, notamment dans Du don de la persévérance, De la prédestination des saints, De la corruption et de la grâce. C'est de là que vient la conception du "péché originel" comme une offense faite à Dieu ( le Catéchisme accepte cette définition, § 1850) qui rend la nature humaine porteuse d'une culpabilité héréditaire, en conséquence de laquelle toute l'humanité devient une massa damnata, une massa perditionis : " Ce n'est pas injustement, mais par une juste sentence que le péché d'un seul a entraîné la condamnation de tous" ( Du don de la persévérance, VIII, 6). a) La mort, punition de la désobéissance d'Adam. "Bien que l'homme possédât une nature mortelle, Dieu le destinait à ne pas mourir" ( § 1008). Selon le Catéchisme, l'homme était dans un état de "sainteté et de justice originelle", de "participation à la vie divine" défini comme "harmonie intérieure de la personne humaine", harmonie du premier couple, harmonie entre celui-ci et la création, et collaboration avec Dieu dans le perfectionnement de la création visible" ( §§ 375 à 379). Les Pères n'interprètent pas la Bible en termes de "sainteté et justice originelle"; Selon eux, l'homme a été créé avec un but précis: la déification, qu'il ne possédait donc pas originellement, pas plus qu'il ne possédait "une nature mortelle" ( § 1008). " Si le Créateur l'avait fait immortel dès le début, il l'aurait fait dieu. S'il l'avait fait mortel, il aurait été cause de sa mort. Adam était donc seulement capable d'être l'un ou l'autre. S'il prenait le chemin de l'immortalité, il acquérait l'immortalité et devenait dieu. Dans le cas contraire, il était lui-même l'auteur de sa mort. Ce qu'Adam a perdu par s adésobéissance, Dieu le lui procure par s aparticulière bienveillance (101)". (101) : ( Théophile d'Antioche, Livres à Autolycos, 2, 27. cf 2, 24). L'homme a été créé dans un état intermédiaire, non simplement pour perfectionner la création visible, mais pour se parfaire lui-même en aimant Dieu et le prochain. La chute n'a pas été simplement une perte de la "justice originelle" et des biens du paradis, mais un détournement du but premier. Le Catéchisme écrit : " Enfin la conséquence explicitement annoncée pour le cas de la désobéissance se réalisera : l'homme " retournera à la poussière de laquelle il est formé" ( Genèse 3, 19). La mort fait son entrée dans l'histoire de l'humanité" ( § 400). Que signifie cette formule : " La conséquence explicitement annoncée"? Comme nous y invitent les notes 1 à 5 de la page 91, rapportons-nous en au Concile de Trente : " Si quelqu'un ne confesse pas que le premier homme Adam, ayant transgressé dans le paradis le précepte divin, a perdu aussitôt la sainteté et le justice dans laquelle il avait été établi, et a encouru par cette prévarication coupable la colère et l'indignation de Dieu, et par suite la mort dont Dieu l'avait auparavant menacé, et avec elle la servitude sous le pouvoir de celui qui, dès lors, eut l'empire de la mort, c'est-à-dire du démon, et que, par ce péché, Adam subit une détérioration dans tout son être, corps et âme, qu'il soit anathème" ( Session V, canon 1). Malgré le Livre de la Sagesse, qui dit bien que Dieu n'a pas fait la mort ( § 413), le Catéchisme admet cette doctrine anti-patristique de la colère de Dieu, puisque pour lui la mort est une des "conséquences dramatiques" ( § 399) de la perte de la "justice originelle" (§400), comme l'enseignait Augustin : "La mort ne peut être une peine légitime qu'autant qu'elle est la conséquence du péché (102)". (102) : (Opus imperfectum contre Julien, 6, 37). Doctrine répétée au § 1008 qui continue d'employer le terme neutre de "conséquence" et au § 602 : " Les péchés des hommes, consécutifs au péché originel, sont sanctionnés par la mort". Les Pères ont une toute autre vision de la mort, et des rapports entre Dieu et l'homme. Que Dieu n'ait jamais considéré l'homme avec colère, c'est évident pour tous, et il suffit de citer la liturgie de saint Basile, qui, après avoir raconté la désobéissance de l'homme, continue : " Dieu bon, tu ne t'es pas détourné pour toujours de ta créature, tu n'as pas abandonné l'oeuvre de tes mains, mais de nombreuses manières tu l'as visitée". Pour l'esprit purifié des Pères, la mort n'est pas cette "conséquence dramatique" du Catéchisme : " Dieu n'a pas fait la mort. C'est nous qui, par nos mauvaises dispositions, l'avons attirée sur nous. Sans doute Dieu n'a pas empêché la dissolution de se produire : en cela son but a été de nous préserver d'une maladie immortelle (103) ". (103) : ( Saint Basile, Que Dieu n'est pas l'auteur des maux, 7). Dieu a permis la mort, la séparation de l'âme et du corps, pour que le mal réel, qui est la séparation d'avec Dieu, ne devînt pas immortel. " Voilà pourquoi l'homme retourne à la terre en se décomposant, à la façon d'un vase de terre cuite, pour qu'une fois débarrassé de l'impureté qu'il renferme actuellement, il soit restauré par la résurrection dans sa forme primitive" dit saint Grégoire de Nysse ( 104). (104) : (Discours Catéchétique, 8, 3. Le même auteur donne cette interprétation des "tuniques de peau" que Dieu donne à Adam et Eve après la chute ( Genèse 3, 21) : " La condition mortelle, jusque là réservée à la nature privée de raison, fut désormais appliquée aux hommes, dans une pensée de sollicitude prévoyante, par le médecin qui soignait notre disposition au mal, sans être destinée par lui à subsister éternellement. En effet, le vêtement fait partie des choses extérieures, qui à l'occasion offrent leur utilité au corps, sans être inhérentes à sa nature" ( ibid, 8, 4).). La mort est pour l'homme un remède. Elle le purifie. En cela, elle vient de la bonté, non de la colère de Dieu. On trouve cette doctrine chez Théophile d'Antioche (105), chez Irénée de Lyon (106), chez Méthode (107, et chez beaucoup de nos saints Pères. (105) : (A Autolycos, 2, 26). (106) : (Contre les hérésies, 3, 23, 6). (107): (De resurrectione 1, 36, 2 et passim). Tous les fidèles orthodoxes la connaissent bien, parce qu'elle irrigue d'espérance nos prières : " Seigneur Notre Dieu, qui dans Ta sagesse ineffable as créé l'homme de la poussière et lui as conféré forme et beauté, Toi qui l'as paré comme un bien céleste et précieux, pour qu'il fît la louange et l'ornement de Ta gloire et de Ta royauté, en le faisant à Ton image et à Ta ressemblance; puis, lorsqu'il eut transgressé le commandement que Tu lui avais prescrit, et qu'il eut altéré Ton image au lieu de la conserver, pour cette raison, afin que le mal ne devînt pas immortel, Tu as ordonné, dans Ton amour des hommes, cette dissolution, et Tu as voulu que ce lien indicible, ô Dieu des Esprits, soit rompu par Ton décret divin...Oui, Maître Seigneur Dieu, écoute-moi encore à cette heure, moi pécheur et indigne serviteur, et délivre ton serviteur ici présent de cette douleur intolérable, et de l'amère maladie qui le tient, et fais-le reposer là où sont les esprits des justes (108)". (108) : (Extrait de la prière pour les agonisants, qui se trouve dans tous les rituels orthodoxes). Cette espérance donne son vrai sens au "châtiment" subi par Adam pour sa transgression, prouvant que, même lorsque sa créature s'attire sur elle-même un châtiment pour sa faute, Dieu reste plein de tendresse envers elle. b) La transmission du péché originel. Le Catéchisme demande au § 404 " Comment le péché d'Adam est-il devenu le péché de tous ses descendants?" et répond en citant Thomas d'Aquin : " Tout le genre humain est en Adam " comme l'unique corps d'un homme unique" ". Le péché originel se transmet "par propagation" à toute l'humanité. C'est ce qui fait que les petits enfants ont besoin du baptême "pour la rémission des péchés" ( § 403). Cette théorie de la transmission du "péché originel" par la génération est incompatible avec la bonté et la justice de Dieu. Jamais les Pères n'ont professé une telle doctrine qui fait naître tous les hommes "dans la faute", passibles de châtiment pour un péché que seul leur ancêtre a commis. " Apprenez ceci, dit saint Cyrille de Jérusalem, l'âme n'a point péché avant d'entrer dans ce monde. Nous sommes venus sans péché et c'est par le libre arbitre que nous péchons" (Catéchèses, 4, 19). Inventée - le Catéchisme dit "précisée" § 406 - par Augustin d'Hippone, la doctrine du péché originel repose essentiellement sur un texte de saint Paul, Romains 5, 12, qu'il comprenai ainsi : " De même que par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort, et qu'ainsi la mort a passé en tous les hommes, (cet homme) en qui tous ont péché..." C'est ce texte, ainsi traduit et interprété, qui sert de justificatif au Concile de Trente : " Si quelqu'un soutient que la prévarication d'Adam n'a été préjudiciable qu'à lui seul, et non pas à sa postérité; et qu'il a perdu pour lui seul, et non pas aussi pour nous, la justice et la sainteté qu'il avait reçues; ou qu'étant souillé lui-même par le péché de désobéissance, il n'a transmis au genre humain que la mort et autres peines du corps, et non pas le péché, qui est la mort de l'âme : qu'il soit anathème. Car il contredit ouvertement l'Apôtre disant que le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché, et qu'ainsi la mort est passée dans tous les hommes, tous ayant péché dans un seul" ( Concile de Trente, 5ème session, canon 2, auquel renvoie le Catéchisme notes 1 et 4 de p. 91 et 2 de p. 92). Il est impossible d'interpréter le texte original grec de l'Apôtre Paul comme l'a fait Augustin et les Pères n'ont jamais donné son interprétation (109). (109) : ( Tous les interprètes le reconnaissent aujourd'hui. A l'article "Péché Originel", le Dictionnaire de Théologie Catholique, op. cit., col.308, écrit : "...les exégètes catholiques les plus autorisés pensent aujourd'hui que eph'ô ne peut signifier "dans lequel", mais seulement " parce que"" - "Nous ne faisons pas dire à Paul que tous les hommes ont péché en Adam. La formule peut être très théologique, et il en fournit quelque part le modèle en disant que "tous meurent en Adam"; mais enfin elle n'est pas de lui et il ne faut pas songer à traduire le texte grec... ni même le latin par "en qui tous ont péché"" ( F. Prat, La Théologie de saint Paul, 1, 7ème éd., p. 258).). Les textes cités § 402, Romains 5, 19 et Romains 5, 12, sont expliqués ainsi par saint Jean Chrysostome : " Que veulent dire les mots "du fait que tous ont péché"? Ils signifient que, par suite de la chute d'Adam, ceux même qui n'ont pas mangé du fruit de l'arbre sont devenus mortels... Le texte "comme par la désobéissance d'un seul beaucoup ont été constitués pécheurs" soulève une grave question...Que veut dire le mot "pécheurs"? Il me semble devoir être traduit par condamnés au supplice et à la mort". ( Homélies sur l'Epître aux Romains, 10, 1-3). Nous sommes coupables de nos propres péchés, nous péchons comme Adam, mais non pas en lui. Ce qu'Adam a transmis à ses descendants, c'est une faiblesse, une maladie, non une faute; et ce sont les démons qui profitent de cette faiblesse, notre mortalité, pour nous faire pécher. Saint Justin écrit aussi dans son Dialogue avec Tryphon : " Jésus a accepté d'être crucifié pour le genre humain qui, à la suite d'Adam, était tombé au pouvoir de la mort et dans l'erreur du serpent, chacun ayant commis le mal par sa propre faute" ( 88, 4). Saint Clément d'Alexandrie dit : " Nous sommes soumis au péché d'Adam selon la ressemblance du péché" ( Esquisses, sur l'épître de Jude) et : " Le même séducteur qui a jadis conduit Eve à la mort y conduit le reste des hommes" ( Cohortation, 1, 7, 6). Saint Grégoire de Nazianze parle de la participation à Adam dont nous héritons la mort ( Discours, 33, 9), non la faute. Le texte signifie donc : " Par un seul homme, la mort est entrée dans le monde, et par le péché la mort, parce que tous ont péché". Saint Photios propose cette interprétation, dans la 84ème réponse à Amphiloque, où il écrit : " Le sens même du passage montre que le eph'ô est à prendre au sens causal. Il dit, en effet, qu'Adam ayant péché, puis ayant été condamné à mort, la race issue de lui fut aussi condamnée à mort, mais non pas pour rien ni pour une raison inconsidérée, mais eph'ô pantes hemarton, c'est-à-dire oarce que tous ont péché comme leur ancêtre. C'est cela qui leur a fait partager son châtiment car la communauté d'action les a entraînés dans la communauté de condamnation ( 110)". Tout en citant le texte de saint Paul dans la traduction inspirée de saint Photios ( § 402), les auteurs du Catéchisme se réfèrent néanmoins au Concile de Trente qui, nous l'avons vu, s'appuyait sur un contresens - et c'est le canon cité ci-dessus qu'ils considèrent comme l'exégèse autorisée de ce passage ( note 1 de p.91)! Comprenne qui pourra. Voici comment s'exprime à ce sujet saint Cyrille d'Alexandrie : " Comment "tous ont péché en Adam"? En quoi les péchés de celui-ci nous regardent-ils? Comment nous tous et ceux qui ne sont pas encore nés, avons-nous été condamnés avec lui? Et cela, bien que Dieu ait dit que les pères ne mourraient pas pour leurs enfants ni les enfants pour leurs pères : " L'âme qui aura péché, c'est elle qui mourra" ( Deutéronome 24, 16)? N'est-ce pas l'âme qui a péché qui doit mourir?... Nous avons encouru la peine d'Adam parce que nous avons tous imité sa transgression en ce sens que tous ont péché...Voici donc comment nous sommes devenus pécheurs à la suite de la faute de notre premier père... Quand il eut désobéi et qu'il fut condamné à la loi d ela corruption, les volontés impures entrèrent dans sa nature et la loi des membres fit son apparition en nous. La maladie du péché s'est emparée de notre nature par suite de la faute d'Adam. Beaucoup sont devenus pécheurs, non parce qu'ils ont péché avec Adam, mais parce qu'ils ont la même nature qu'Adam, c'est-à-dire une nature qui est sous la loi du péché" ( Commentaire sur l'épître aux Romains, 5). Tel est l'enseignement de l'Eglise orthodoxe sur le péché des ancêtres. Ce qu'Adam a transmis à ses descendants, c'est une nature malade et usée, non pas une "absence de justice" et une culpabilité méritant une punition. Les offices orthodoxes témoignent clairement de cette vérité, qui fait partie de la conscience de l'Eglise : " Tu es notre Dieu qui par l'eau et l'Esprit as renouvelé notre nature usée par le péché (111)". (111) : ( Prière pour a bénédiction des eaux, au jour de la Théophanie). Pourquoi donc les orthodoxes baptisent-ils les petits enfants? "Alors que beaucoup croient, dit saint Jean Chrysostome, que le don ( du baptême) ne comporte que la rémission des péchés, nous avons compté jusqu'à dix honneurs conférés par lui. C'est pour cette raison que nous baptisons même les petits enfants, bien qu'ils n'aient pas de péchés, pour que leur soit ajouté la justice, la filiation, l'héritage, la grâce d'être frères et membres du Christ, et de devenir la demeure du Saint-Esprit (112)". (112) : ( Huit Catéchèses Baptismales, op. cit., 3, 6). Il faut ici noter une chose digne d'être méditée par tous ceux qui s'intéressent à l'évolution de l'Eglise catholique et au dialogue entre catholiques et orthodoxes; Selon l'augustinisme le plus strict, on le sait, les âmes des petits enfants morts sans baptême vont en enfer. Augustin écrivait, dans sa lettre à Vital, que la mort de ces petits, survenant quelquefois malgré les efforts et la hâte des parents et du prêtre, manifestait leur réprobation devant Dieu, et en concluait qu'il ne faut pas prendre à la lettre saint Paul quand il dit que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés ( 1 Tim. 2, 4). "Plusieurs hommes sont damnés, écrit Augustin, Dieu le voulant, les hommes ne le voulant pas". Ce blasphème augustinien, réfuté par saint Fauste de Riez (113), mais renforcé par Fulgence de Ruspe (114), est, en quelque sorte, la source empoisonnée à laquelle a bu la conscience religieuse occidentale. (113) : (Dans son traité De la grâce de Dieu et du libre-arbitre, 1, 13, éd. Engelbrecht, Leipzig 1891, p. 56 : " Tu dis : s'il n'y a pas de prédestination, pourquoi, parmi les enfants, les uns sont-ils baptisés, les autres emportés sans avoir reçu la sanctification du baptême. Ruse de serpent!... Tu proposes une dispute sur le libre arbitre, puis, tombant dans une erreur fatale, tu tires argument de l'état d'enfance, où ne se voit pas la moindre trace de libre-arbitre, ni le plus petit soupçon de volonté propre". (114) : ( Au VIème siècle, dans son De veritate praedestinationis et gratiae Dei, il écrit que les enfants morts sans baptême sont condamnés au " feu de la géhenne, aux peines infinies du feu éternel" ( 1, 11, 31, PL 65, 619 et Ep. 17, 28, col. 469, cité par Dictionnaire de Théologie Catholique, op. cit., art. Péché originel, col. 408). Augustin a hésité sur le point de savoir quelle peine attendait les petits enfants : voir Dictionnaire Apologétique de la Foi Catholique, Paris, 1913-1931, art. Prédestination, col. 265). Or, lorsqu'il s'est agi, à Lyon en 1274, de "réunir les Grecs" à l'Eglise latine, c'est l'augustinisme sous cette forme radicale que l'on a fait contresigner à l'empereur Michel VIII qui cherchait l'union avec le pape : " Les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel ou avec le seul péché originel, descendant immédiatement en enfer, pour y être toutefois punies de peines inégales" ( 4ème session, Confession de Michel Paléologue). Et au Concile de Florence, en 1439, la doctrine est répétée mot pour mot dans la Bulle d'union. On sait que ce Concile a été rejeté, comme celui de Lyon, par l'Eglise orthodoxe, mais qu'il forme un concile oecuménique de l'Eglise catholique. C'est pourquoi cette doctrine paraissait obligatoire à beaucoup de catholiques logiques, comme Petau, Bellarmin, Bossuet, etc. Ce dernier dénonça au Pape Innocent XII un livre du cardinal Célestin Sfondrate, Le noeud de la prédestination dénoué, parce que l'auteur y envisageait la possibilité d'un certain bonheur pour les enfants morts sans baptême (115). (115) : ( Sur Petau, Bellarmin et Bossuet, voir Dictionnaire de Théologie Catholique, art. Prédestination, col. 552-554). Cependant, le faux ne peut pas satisfaire. Epouvantés des conséquences de leur propre doctrine, les occidentaux l'ont atténuée par l'invention des limbes. Dans les limbes, les enfants ne voient pas Dieu ( c'est la peine du dam, la privation), mais ils ne souffrent aucunement ( ils n'ont pas la peine du feu). Voir Dante. Pie VI a donné du crédit à la thèse des limbes en condamnant le concile de Pistoie. (116). (116) : ( Constitution Auctorem fidei de 1794. Ce pape condamne la condamnation des limbes faite par ce synode de tendance augustinienne radicale ( erreur n°26). Donc il laisse entendre qu'il accepte les limbes). La doctrine officielle de l'Eglise catholique tient donc dans les deux propositions suivantes : 1. " Il est certain que ces enfants n'ont aucun droit à l'héritage du royaume céleste, autrement dit à la vision de Dieu". Mais 2. " Il est vraisemblable qu'en outre de la peine du dam ( privation de la vue de Dieu), ces enfants ne souffrent aucune peine sensible (117)". (117) : ( A. d'Alès, Dictionnaire Apologétique de la Foi Catholique, op. cit., t.4, art. Prédestination, col. 264-265). Cette doctrine paraît elle-même rude à la conscience moderne, aussi le Catéchisme l'atténue-t-il encore : " La grande miséricorde de Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés, et la tendresse de Jésus envers les enfants, qui Lui a fait dire : " Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas" ( Marc 10, 14), nous permettent d'espérer qu'il y ait un chemine de salut pour les enfants morts sans Baptême" ( § 1261). Que prouve cette évolution de l'Eglise catholique, dont on ne peut que se réjouir? Premièrement, que cette Eglise a été dans l'erreur pendant plusieurs siècles, et qu'elle n'est donc pas l'Eglise. Deuxièmement, que pour se rapprocher des orthodoxes, il suffit aux catholiques de revenir à leur ancienne doctrine. Que doit faire, en effet, le catholique cohérent qui accepte le Catéchisme? Il doit condamner les propositions contraires de Lyon et de Florence et rejoindre l'Eglise orthodoxe qui a gardé la vraie attitude sur le point dont nous parlons; Il retrouvera la foi ancienne, cette "croyance moins sévère (qui) préexistait à celle d'Augustin, et n'a jamais disparu de l'Eglise (118)". (118) : (A. d'Alès, op. cit., col. 266). On pourrait citer, à l'appui de cette affirmation, plusieurs textes des Pères (119). (119) : ( Saint Grégoire de Nysse ne distingue même pas entre enfants baptisés et enfants non baptisés dans son livre Sur les enfants morts prématurément. Tous les enfants peuvent jouir de la connaissance et de la participation de Dieu (PG 46, 168-9 et 177-9). Saint Grégoire de Nazianze dit que les enfants qui meurent sans le sceau du baptême "ne seront ni châtiés, ni récompensés par le juste juge", car dans leur impuissance à faire le bien comme à faire le mal, ils ne sont dignes ni d'honneur, ni de déshonneur. ( Discours 11, 23, PG 36, col.389). Toutefois, il faut noter que l'Eglise orthodoxe n'a jamais voulu dogmatiser sur des points que l'Evangile ne nous révèle pas). Cependant, il n'est pas nécessaire de citer les Pères : en ce domaine, les pierres crient, surtout l'inscription tombale du petit Théodose qui prouve qu'au Vème siècle après Jésus Christ les chrétiens étaient encore loin d'Augustin : Ce gracieux enfant muni du signe de la croix dont l'innocence n'était souillée d'aucun péché l'enfant Théodose que ses parents, d'un coeur pur déisraient plonger dans la source du saint baptême Mort insatiable l'a ravi; mais le Maître du Ciel suprême accordera le repos à ses membres où le noble signe de la croix a été apposé et il sera appelé héritier du Christ (120). (120). Diehl, Inscriptiones latinae christianae veteres, n° 1512, inscription gallo-romaine de La Cayole, qui existe aujourd'hui au musée de Brignoles, citée par J. Delumeau, Le Péché et la Peur, Paris, 1983, p. 314). 3. La Satisfaction A la suite d'Augustin, d'Anselme et de Thomas d'Aquin, l'Eglise catholique a éléboré la doctrine de la satisfaction vicaire : Dieu, dont l'honneur a été lésé par le péché originel, attend de l'homme une satisfaction, que seule lui apporte la mort de Son Fils sur la Croix. Thomas d'Aquin, dans la continuité de la lecture d'Anselme de Cantorbéry, Pourquoi Dieu s'est fait homme, explique que l'offense faite à un Dieu infini exigeait une satisfaction infinie (121). (121) : ( Thomas d'Aquin, Somme Théologique, IIIa, q. 1 a. 2 ad 2m, et q. 48). Et Léon XIII, dans son Encyclique Tametsi Futura résuma toute la doctrine : " Quand fut accompli le temps marqué dans le conseil divin, le Fils de Dieu fait homme, offrit pour les hommes à la majesté offensée de son Père, la satisfaction surabondante et très précieuse de son sang, et rachetant d'un si grand prix le genre humain, le réclama comme sien (122) ". (122) : ( Leonis XIII Pontificis maximi Acta, 20, p. 298, Rome, 1901. Cité par A. d'Alès, art. rédemption, dans le Dictionnaire Apologétique de la Foi catholique, art. Rédemption, col. 557). Le Catéchisme reprend cette doctrine, § 615 : " Jésus a réparé pour nos fautes et satisfait au Père pour nos péchés" ( citation du Concile de Trente) et §§ 616-617. Pour les orthodoxes, le Père n'était point irrité (123) et n'exigeait pas de satisfaction. (123) : ( La dogmatique augustinienne prend au pied de la lettre les expressions métaphoriques de la "colère" de Dieu). C'est nous qui avions besoin de réconciliation, car c'est l'homme qui s'est éloigné de Dieu. Le Seigneur est descendu battre le diable, fouler la mort aux pieds, prendre sur ses épaules la brebis égarée de l'humanité et nous ramener au Père et à sa volonté. Il n'est pas venu "satisfaire au Père pour nos péchés". Comme le dit saint Grégoire le Théologien : " N'est-il pas évident que le Père accepte le sacrifice non pas parce qu'il l'exigeait ou en éprouvait quelque besoin, mais par économie : il fallait que l'homme fût sanctifié par l'humanité de Dieu, il fallait que Lui-même Il nous libérât en triomphant du tyran par sa propre force, qu'Il nous rappelât vers Lui par son Fils qui est le Médiateur accomplissant tout pour l'honneur du Père, auquel Il est obéissant en tout... Que le reste soit vénéré par le silence (124)..." (124) : ( Saint Grégoire de Nazianze, Homélie sur la Pâque, 45, 22, PG 36, 653 AB). Le Seigneur Incarné s'est offert en rançon pour tous. Le diable accepta d'échanger le genre humain contre l'être extraordinaire qu'il avait vu faire tant de miracles, mais il se brisa sur la divinité du Christ qu'il n'avait pas vue sous la chair. Le diable n'a pas été trompé par Dieu, il s'est trompé lui-même : " L'auteur du mal se croyait invincible parce qu'il nous avait trompés en se servant comme d'un appât de la promesse de la divinité. A son tour, il est pris au piège par l'apparence de la chair, car en se précipitant sur cet Adam, il est tombé sur le Dieu (125)". (125) : ( Saint Grégoire de Nazianze, Discours, 39, 13). Cet enseignement se trouve chez saint Grégoire de Nysse (126), saint Ambroise (127), saint Grégoire le Grand : (126) : ( Grande Catéchèse, 24-26). (127) : (Commentaire sur Luc, 4, 11-12). "Notre Seigneur, venant pour la rédemption du genre humain, se fit lui-même une sorte d'hameçon pour tuer le diable...Il ( Béhémoth, le diable) fut pris à l'hameçon de l'Incarnation parce que, en se précipitant sur l'appât du corps, il fut percé par l'aiguillon de la divinité (128)" et chez beaucoup d'autres de nos saints Pères. (128) : ( Morales sur Job, 33). La doctrine de la satisfaction apparaît donc comme une réduction rationaliste et juridique du mystère d ela rédemption. Comme l'ancien paganisme, elle admet un Dieu irrité et vengeur, et il faut la condamner si l'on veut avoir des opinions vraies sur Dieu et agir en conséquence. Le serviteur qui imaginait son maître comme un homme dur s'en alla cacher son talent. 4. La Prédestination Selon l'Ecriture et selon les Pères, l'homme a été créé libre, capable de collaborer à l'oeuvre divine et ainsi de participer à son salut. Les Pères distinguent ainsi l'énergie créatrice de Dieu de son énergie salvifique. Car nous sommes créés indépendamment de notre volonté, mais nous ne pouvons être sauvés sans y consentir. La seule chose que l'homme puisse, avec tous ses efforts, apporter à Dieu, c'est son consentement, son action de grâces. Dieu sauve l'homme par sa grâce, mais Il respecte absolument la liberté de celui qui la refuse. Il est une chose que Dieu tout-puissant ne peut pas faire : s'unir à celui qui est impur, tant qu'il n'a pas fait pénitence. Toute l'ascèse, toutes les prières, ont pour but de préparer le chrétien à recevoir la grâce divine. Contre cette doctrine de la coopération de la volonté divine et de la volonté humaine dans l'oeuvre du salut, Pélage a soutenu que l'homme pouvait se sauver par sa seule ascèse. Pour lutter contre Pélage, Augustin d'Hippone, d'abord partisan de la doctrine traditionnelle des Pères, a élaboré l'idée que Dieu fait tout dans l'oeuvre du salut, que la grâce meut entièrement la volonté. Cette doctrine implique que personne n'est responsable de son sort final, et que Dieu décide arbitrairement, par sa simple volonté, du salut des uns et de la perte des autres. La doctrine que le Catéchisme présente sur cette question, bien que d'une façon suffisamment vague pour qu'elle soit acceptable pour les hommes d'aujourd'hui, est celle d'Augustin d'Hippone et de Thomas d'Aquin auxquels les notes ne cessent de renvoyer les lecteurs. Certes, peu d'entre eux iront regarder ce que ces auteurs ont réellement dogmatisé. On s'étonnera donc du grand flou dogmatique qui entoure les questions de la liberté et de la grâce, de la prédestination des élus (dont il est très vaguement fait mention, §§ 1037 et 2005) et de la préscience des mérites, toutes questions qui furent pourtant au coeur des plus grandes controverses à l'intérieur même de l'Eglise catholique, notamment au XVIIème siècle, comme l'ont rappelé récemment les travaux du regretté Père Patric Ranson (129). (129) : (Patric Ranson, Richard Simon ou du caractère illégitime de l'augustinisme en théologie, coll. La Lumière du Thébor, Lausanne, l'Age d'Homme, 1990). Ne pouvant entrer dans l'analyse approfondie de chacun de ces points, nous nous en tiendrons à la question de la liberté et de la grâce. La conséquence majeure de la chute, d'après Augustin, c'est que la volonté humaine ne peut plus coopérer à la volonté divine. Toute l'humanité est donc devenue une massa damnata, masse damnée justement, d'où la seule bonté de Dieu va tirer les élus, "utilisant bien même les maux, pour la damnation de ceux qu'il a justement prédestinés au châtiment et pour le salut de ceux qu'il a tendrement prédestinés à la grâce (130)". (130) : ( Enchiridion, 26, PL 40, 279). Le salut ne dépend plus, comme l'enseignait l'ensemble des Pères, de notre libre-arbitre, mais seulement de l'élection divine qui prédestine les âmes de façon aussi infaillible qu'arbitraire : " Depuis la chute de l'homme, au contraire, Dieu veut que ce soit à Sa grâce seule que l'homme doive de s'approcher de Lui, et que ce soit à Sa grâce seule qu'il doive de ne pas Le quitter (131)". (131) : ( Ibid., 7, 13). Cette doctrine de la prédestination a soulevé de très vives critiques dès l'époque d'Augustin aussi bien chez les moines d'Afrique du Nord que parmi ceux de Provence, et notamment saint Jean Cassien, disciple des Pères du désert d'Egypte et diacre de saint Jean Chrysostome ( Conférences, 13). Les scolastiques élaboreront des solutions diverses - distinction entre prédestination et réprobation, etc... - sans pouvoir jamais résoudre la difficulté fondamentale de cette doctrine qui, attribuant le tout du bien à Dieu, lui impute tout le mal. " Mais pourquoi a-t-Il élu ceux-ci dans la gloire, et réprouvé ceux-là? La seule cause en est la volonté divine... de même qu'il dépend de la simple volonté du maçon que cette pierre-ci soit à tel endroit du mur, et celle-là à tel autre (132)". (132) : (Thomas d'Aquin, Somme Théologique, Ia, q. 23,a.5, ad 3m). La prédestination fera encore au XVIIème siècle l'objet d'innombrables controverses aussi bien dans le monde catholique, entre Jésuites et Jansénistes notamment - (sur ces questions, cf Michel Terestchenko : Amour et désespoir, Points-Seuil) - , que dans le monde protestant ( au sein des divers courants calvinistes et luthériens, sociniens et arminiens, etc.). La redécouverte des Pères de l'Eglise, dans la théologie positive du Grand Siècle, eut pour effet de révéler l'opposition de la doctrine des Pères, aussi bien d'Orient que d'Occident, à l'enseignement novateur de l'évêque d'Hippone. La doctrine du Catéchisme frappe par son manque de rigueur sur ces questions théologiques fondamentales. Elle affirme tout à la fois que " La préparation de l'homme à l'accueil de la grâce est déjà une oeuvre de la grâce. Celle-ci est nécessaire pour susciter et soutenir notre collaboration" ( § 2001) et que " La libre initiative de Dieu réclame la libre réponse de l'homme" ( § 2002). Ces formulations sont susceptibles d'une interprétation aussi bien orthodoxe ( "synergie" entre la volonté divine et la volonté humaine dans la recherche du salut) que strictement augustinienne ( surdétermination de la volonté humaine par la volonté arbitraire et toute-puissante de Dieu dans la prédestination des élus). Nous ne savons guère sur quel pied danser, puisque les deux doctrines sont tour à tour soutenues : " l'homme est raisonnable, et par là semblable à Dieu, créé libre et maître de ses actes" ( saint Irénée, cité par le § 1730); mais "Il ( Dieu) commence en faisant en sorte, par son opération, que nous voulions : Il achève, en coopérant avec nos vouloirs déjà convertis" ( Augustin, cité par le § 2001). Et encore : " Dieu nous a créés sans nous, Il n'a pas voulu nous sauver sans nous" ( Augustin, § 1847); mais " l'initiative divine dans l'oeuvre de la grâce prévient, prépare et suscite la libre réponse de l'homme" ( § 2022). Dans ces passages, le nom de la liberté se vide de sens. "L'action paternelle de Dieu est première par son impulsion, et le libre agir de l'homme est second en sa collaboration, de sorte que les mérites des oeuvres bonnes doivent être attribués à la grâce de Dieu d'abord, au fidèle ensuite. Le mérite de l'homme revient, d'ailleurs, lui-même à Dieu, car ses bonnes actions procèdent dans le Christ des prévenances et des secours de l'Esprit Saint" ( § 2008). Les mérites sont donc attribuables a) à la grâce b) à l'homme, mais le mérite de ces mérites dans le cas b revient lui-même à Dieu ( cf.§§ 2011, 2025). Pour éviter toute vaine polémique, nous demanderons simplement dans quel sens le Catéchisme emploie le mot de coopération et de collaboration. " On peut dire qu'une choses coopère avec une autre de deux manières, dit Thomas d'Aquin dans son Contra errores Graecorum. La première, en travaillant au même but, mais par un autre moyen, comme le serviteur avec son maître, en obéissant à ses ordres, et comme l'instrument entre les mains de l'ouvrier. D'une autre façon, en tant que faisant la même oeuvre avec lui, comme font deux hommes qui portent ensemble un fardeau, ou plusieurs qui remorquent un navire. On peut dire que la créature coopère avec le créateur, de la première manière, par rapport à quelques effets qui sont produits par le moyen de la créature, mais non quant à ceux qui appartiennent immédiatement à Dieu, comme la création et la sanctification. Mais selon la seconde manière, la créature ne coopère pas avec le créateur..." ( chap.24). Si l'on entend collaboration dans le premier sens, l'on est augustinien. Si on l'entend de la seconde manière, qui est orthodoxe, on doit renoncer nettement à la dogmatique thomiste qui a été et qui reste celle de l'Eglise catholique. L'effort du Catéchisme pour dissimuler la terminologie augustinienne et tridentine est notable - la colère et l'indignation de Dieu n'apparaissent plus qu'en filigrane. Toutefois, si le "retour aux Pères" doit être effectif, il faut rejeter clairement le Concile de Trente et l'oeuvre d'Augustin d'Hippone. Certains théologiens orthodoxes font même de ce rejet la base et la condition de tout dialogue Orient-Occident. En tout cas, celui qui l'accomplit, revient à la doctrine des Pères apostoliques et des anciens docteurs de l'Eglise. Il se trouve dès lors en accord avec l'Eglise orthodoxe, sans avoir besoin de créer une unité artificielle en composant des formules ambiguës et à long terme insatisfaisantes pour tout le monde. 5. L'Immaculée Conception et l'Assomption de la Mère de Dieu Ces deux dogmes récents - la Conception Immaculée proclamée en 1854, l'Assomption en 1950 - sont les rejetons de la doctrine du péché originel et de celle de la prédestination. Le § 491 énonce le dogme de la conception sans péché : " La bienheureuse Vierge Marie a été, au premier instant de sa conception, par une grâce et une faveur singulière du Dieu Tout-Puissant, en vue des mérites de Jésus Christ Sauveur du genre humain, préservée intacte de toute souillure du péché originel". Comme W. Guettée l'a montré, cette doctrine a contre elle tous les Pères de l'Eglise, qui déclarent que seul Notre Seigneur Jésus Christ a été conçu sans le péché des ancêtres. Saint Léon le Grand, par exemple, disait souvent : " Jésus- Christ, seul entre tous les enfants des hommes, a conservé son innocence en naissant, parce que lui seul a été conçu sans concupiscence charnelle (133) ". (133) : ( Sermon 1, 2, 5, Sur la nativité du Seigneur. Cité par W. Guettée, De la Papauté, op. cit., p.228, extrait de Le Nouveau Dogme en présence de l'Ecriture Sainte et de la Tradition catholique, ou lettre à Mgr Malou, Paris, 1859). Saint Grégoire le Grand : " Celui-là seul est véritablement saint qui, pour vaincre la nature corrompue, n'a pas été conçu par la voie ordinaire (134)". (134) : (Morales sur Job, 18). Supprimant toute liberté de dire non, l'Immaculée Conception ôte aussi toute valeur au oui de la Mère de Dieu : " Cette "sainteté absolument unique" dont elle est "enrichie dès le premier instant de sa conception" lui vient toute entière du Christ : elle est "rachetée de façon éminente en considération des mérites de son Fils"". L'obéissance de Marie perd ici tout sens, puisque sa liberté (§§ 148, 968) est totalement conditionnée par la grâce ( § 490 : " Pour être la Mère du Sauveur, Marie " fut pourvue par Dieu de dons à la mesure d'une si grande tâche". L'Ange Gabriel, au moment de l'Annonciation la salue comme "pleine de grâce". En effet, pour pouvoir donner l'assentiment libre de sa foi à l'annonce de sa vocation, il fallait qu'elle fût toute portée par la grâce de Dieu"). D'autre part, puisque la mort est entrée dans le monde par le péché, selon saint Paul dans l'épître aux Romains, si la Mère de Dieu était sans le péché originel, comment a-t-elle pu mourir (135) ? (135) : ( Comme l'attestent les paroles des Pères et les chants des Offices de l'Eglise). Dire qu'elle est morte volontairement serait faire d'elle un second Sauveur. D'où le dogme de l'Assomption, qui insinue l'idée que la Mère de Dieu serait montée de la terre au ciel avec son corps sans passer par la mort : " " Il ( le prince de ce monde) se lance à la poursuite de la Femme", mais il n'a pas de prise sur elle : la nouvelle Eve, " pleine de grâce" de l'Esprit Saint, est libérée du péché et d ela corruption de la mort ( Conception immaculée et Assomption de la très sainte Mère de Dieu, Marie, toujours vierge)" (§ 2853). La Mère de Dieu est-elle morte et ressuscitée, comme l'enseigne la tradition que l'Eglise orthodoxe conserve fidèlement, ou est-elle montée directement au ciel, comme le voudraient les partisans de l'Assomption? Pie XII n'a pas tranché entre les deux opinions puisque l'expression "élevée corps et âme à la gloire du ciel" ( § 966) peut s'appliquer aussi bien à l'une qu'à l'autre. Néanmoins le Catéchisme semble comprendre à la manière orthodoxe, puisqu'il parle de résurrection et cite le tropaire de la dormition de la Mère de Dieu (§ 966). Il donne moins des définitions de foi que des définitions bifides. Complétons en citant cet autre chant de la fête de la dormition, que tous les orthodoxes savent par coeur : " Apôtres rassemblés ici, des confins de la terre, au village de Gethsémani, ensevelissez mon corps. Et toi, mon Fils et mon Dieu, reçois mon esprit". Enfin, le Catéchisme cite les Pères de la tradition orientale à propos de l'Immaculée Conception, comme pour les appeler à témoigner en faveur de l'innovation : " Les Pères de la tradition orientale appellent la Mère de Dieu "la Toute Sainte" ( Panaghia), ils la célèbrent comme "indemne de toute tache de péché, ayant été pétrie par l'Esprit Saint, et formée comme une nouvelle créature" Par la grâce de Dieu, Marie est restée pure de tout péché personnel tout au long de sa vie" ( § 493). A propos de cet appel aux "Pères de la tradition orientale", il faut noter deux choses : a) il n'ya pas de "Pères de la tradition orientale", il n'y a que des Pères de l'Eglise, qui est aussi bien de l'Orient que de l'Occident, du Nord et du Midi. Tous les Pères, qu'ils soient latinophones comme saint Ambroise, saint Hilaire ou saint Jérôme, hellénophones comme saint Irénée, saint Basile ou saint Jean Chrysostome, coptophones, arabophones ou de toute autre langue, n'ont parlé qu'un même langage de la foi (136). (136) : ( Les innovations propres à Augustin ont entraîné l'Occident dans une voie différente de celle que tous avaient suivie jusque-là, lorsque cet auteur a été considéré comme le sommet des Pères, et le critère de l'interprétation de tous les autres). b) Dès le XIXème siècle, certains catholiques eux-mêmes avaient dénoncé comme erroné le recours aux Pères pour justifier le nouveau dogme de l'Immaculée Conception. Les louanges données à Marie ne vont pas dans ce sens. Certes Marie a été pétrie par l'Esprit Saint comme une nouvelle créature, purifiée dès le sein de sa mère; mais ces expressions ne remettent pas en cause l'affirmation constante des Pères, selon laquelle seul le Seigneur Jésus a été conçu sans péché. " Parmi tous ceux qui sont nés des femmes, dit saint Ambroise, il n'y a de parfaitement saint que le Seigneur Jésus : lui seul, par la manière ineffable dont il a été conçu, et la puissance infinie de la divine Majesté, n'a point éprouvé la contagion du vice qui corrompt la nature humaine" ( Sur Luc, 2, 55). Que la Mère de Dieu aité été sans péché personnel, c'est une chose que les orthodoxes confessent. Par contre, ils ne la disent pas préservée du péché originel, mais victorieuse du péché. La place unique de Marie ne tient pas à une exemption miraculeuse, mais à sa victoire hors du commun. Le pélagien annule, au nom de la liberté individuelle, la solidarité des hommes dans la nature héritée d'Adam. L'augustinien annule, au nom de cette solidarité naturelle, la liberté de décision personnelle. L'orthodoxie maintient les deux principes : et solidarité et liberté. Dès lors, la Mère de Dieu n'est plus sauvée du péché commun par un deus ex machina, le dogme spécial de l'Immaculée Conception. Alors que le péché avait proliféré, et que la solidarité de tous les hommes dans la nature déchue d'Adam rendait la victoire presque impossible, la liberté de chacun subsistait, et les potentialités de la nature humaine étaient restées intactes. C'est en faisant, de ces potentialités, un usage agréable à Dieu, que la Mère de Dieu a triomphé du péché. Voici comment Nicolas Cabasilas, récapitulant ce que les Pères ont dit, explique l'inexplicable miracle : " Il faut bien admettre que le pouvoir de lutter contre le péché a été déposé dans la nature humaine...Mais personne n'a mis en oeuvre le pouvoir de lutter contre le péché... et la maladie inaugurée par le premier des hommes et partagée par tous régna sur tous...Mais la Vierge très pure, sans avoir le Ciel pour cité - car elle ne provenait pas des corps célestes mais de la terre, de la manière qui nous est commune à tous en cette race déchue oublieuse de sa propre nature - seule parmi les hommes a tenu, du début jusqu'à la fin, contre toute méchanceté. Seule elle a rendu à Dieu intacte la beauté qu'Il nous avait donnée, seule elle a usé de toute la puissance et de toutes les armes qu'Il nous avait remises... D'où la Vierge tint-elle donc sa victoire?... Dieu ne l'avait pas préparée particulièrement pour cette sagesse, pas plus qu'en lui offrant autant qu'aux autres il ne l'avait jugée digne d'une assistance plus grande; c'est seulement en usant d'elle-même et des moyens communs donnés à tous pour la vertu qu'elle a remporté cette victoire inouïe et au-dessus de la nature (137)". (137) : ( Nicolas Cabasilas, La Mère de Dieu, "Homélie sur la glorieuse Nativité de la Très Sainte Mère de Dieu", Lausanne, 1992, p. 34-37). 6. La présence du Christ après son Ascension Les §§ 659 et 665 parlent ainsi de l'Ascension : " L'ascension du Christ marque l'entrée définitive de l'humanité de Jésus dans le domaine céleste de Dieu d'où il reviendra, mais qui entre-temps Le cache aux yeux des hommes ( cf. Col. 3, 3)". " Ce n'est que d'une manière tout à fait exceptionnelle et unique qu'Il se montrera à Paul "comme à l'avorton" (1 Co. 15, 8) en une dernière apparition qui le constitue apôtre". Ainsi donc, le Christ resterait désormais invisible, sauf le cas exceptionnel de l'apparition à Paul. Cette doctrine contredit : a) L'Evangile : " Encore un peu et le monde ne me verra plus, mais vous me verrez, parce que je vis et que vous vivrez... Un peu de temps et vous ne me verrez pas, et encore un peu d etemps et vous me verrez de nouveau, parce que je vais au Père" ( Jn 14, 19 et 16, 16). Promesse accomplie, selon les Pères, le jour de la Pentecôte, où, le Saint Esprit survenant, le Christ s'est manifesté à ses disciples pour faire d'eux sa demeure et être toujours avec eux ( Jn 14-16, passim). b) L'expérience et l'enseignement constants de l'Eglise. Tous les saints sont saints parce qu'ils ont vu le Christ. c) Le texte cité en référence Col.3, 3, qui dit ceci : " Car vous êtes morts et votre vie est cachée avec Jésus Christ en Dieu". L'Apôtre vient de dire : " Cherchez les choses d'en-haut, là où est le Christ siégeant à la droite de Dieu. Songez aux choses d'en-haut, non à celles de la terre". Saint Jean Chrysostome commente : " Perçant à travers les anges, les archanges, les trônes, les seigneuries, les principautés, les pouvoirs, toutes les puissances invisibles, les chérubim et les séraphim, il fixe la pensée des fidèles devant le trône même du Roi, et par son enseignement, il persuade ceux qui sont en chemin sur la terre de s'affranchir des liens du corps, de prendre leur vol, et de se tenir par la pensée devant le Seigneur même de l'univers (138)". (138 : Huit Catéchèses baptismales, op. cit., 8, 20). C'est aux yeux des hommes imparfaits que le Christ reste caché (cf. Col.1, 28). Le kondak (139) de la fête de l'Ascension résume ce sens : "Ayant accompli l'économie de notre salut et uni la terre au ciel, Tu es monté en gloire, Christ notre Dieu. Tu ne T'es pas séparé de ceux qui T'aiment auxquels Tu cries : Je suis avec vous et nul ne peut rien contre vous!" 7. Le Sacré-Coeur L'adoration du Sacré-Coeur est opposée à l'enseignement des Conciles oecuméniques, qui ont établi, conformément à la tradition ancienne de l'Eglise, que le Verbe de Dieu fait chair devait être adoré d'une seule adoration : " Si quelqu'un dit que le Christ est adoré en deux natures, d'où suivent deux adorations, l'une propre à Dieu le Verbe, l'autre propre à l'homme; ou si quelqu'un, supprimant la chair ou mêlant la divinité et l'humanité, forge une nature ou une essence unique des deux qui se sont rencontrées, et adore ainsi le Christ, au lieu d'adorer d'une seule adoration Dieu le Verbe incarné avec Sa propre chair comme l'Eglise de Dieu l'a reçu depuis le commencement - qu'il soit anathème" ( Vème Concile oecuménique). La doctrine du Sacré-Coeur tombe sous le coup de cette condamnation parce qu'elle introduit le culte d'une partie du Corps de Jésus Christ. " Les cordicoles, écrit W. Guettée, cherchent à échapper à cette condamnation, en prétendant que leur adoration ne s'adresse au coeur qu'à cause de l'union hypostatique de l'humanité avec la divinité. Nestorius avait recours au même subterfuge, comme le lui reprochait Théodote d'Ancyre en plein concile d'Ephèse, mais ce subterfuge n'empêcha pas les Pères de condamner ses erreurs, car il n'y avait recours que pour dissimuler la division qu'il établissait dans la personne unique du Verbe incarné (140)". (140) : ( De la Papauté, op. cit., p.256). Or Pie XII a dit, dans son Encyclique Haurietis aquas du 15 mai 1956 : " On sait que la cause pour laquelle l'Eglise a attribué un culte de latrie (141) au coeur du Divin Rédempteur est double : (141) : ( Le culte de latrie ( ou adoration proprement dite) est celui qui convient à Dieu seul, par opposition au culte des saints et des choses sacrées, dit culte relatif ou culte de doulie. Pour être juste, notons que l'Encyclique en question ne réclame pas un culte de latrie pour le coeur de la Vierge Marie, tout en recommandant d'associer le culte du Coeur de la Mère de Dieu à celui du Coeur de Jésus). l'une, qui s'applique aussi aux autres membres sacro-saints du corps de Jésus Christ, se fonde sur le principe, selon lequel nous savons que son Coeur, comme partie la plus noble de la nature humaine, est joint hypostatiquement à la personne du Verbe divin; et c'est pourquoi il faut lui attribuer le même culte d'adoration dont l'Eglise honore la personne du Fils de Dieu incarné lui-même..." Le Catéchisme ne reprend cette raison que sous la forme du titre du § 478 : " Le Coeur du Verbe incarné". La seconde raison est reprise littéralement par le Catéchisme : "Le Coeur sacré de Jésus, transpercé par nos péchés et pour notre salut ( cf. Jn 19, 34), "est considéré comme le signe et le symbole éminents...de cet amour que le divin Rédempteur porte sans cesse au père éternel et à tous les hommes sans exception"".(§478). Les Pères n'ont jamais parlé ainsi. L'amour du Christ vivait en eux. Qu'auraient-ils fait d'un symbole? " De même qu'Eve a été formée du côté d'Adam endormi, ainsi l'Eglise est née du coeur transpercé du Christ mort sur la Croix ( cf. saint Ambroise, Luc 2, 85-89)" (§ 766). Saint Ambroise, dans le passage cité, comme saint Jean, parle du côté ( latus) percé du Christ, non du coeur. " La prière de l'Eglise vénère et honore le Coeur de Jésus, comme elle invoque son très saint nom. Elle adore le Verbe incarné et son Coeur qui, par amour des hommes, s'est laissé transpercer par nos péchés" (§ 2669). Ici le Coeur est même personnifié, puisqu'il " se laisse transpercer par nos péchés". Le Catéchisme va plus loin encore que Pie XII dans la division de la Personne du Christ. Est-ce là ce qu'il convient de nommer un "développement dogmatique"? Pourquoi fonder un culte si évidemment contraire à tout ce qu'enseignent l'histoire et la tradition de l'Eglise? Ne serait-ce pas qu'après avoir séparé les fidèles, par toutes sortes de faux dogmes, de la grâce incréée de Dieu et de la communion vivante avec le Fils et l'Esprit, l'Eglise catholique a dû admettre un nombre croissant d'intermédiaires créés, substituts de Celui qui leur manque, mais auquel leur coeur continue d'aspirer? V LA VIE SPIRITUELLE Un auteur contemporain a très bien défini ce que les chrétiens orthodoxes entendent par les mots de vie spirituelle. Commentant le titre du livre célèbre de Nicolas Cabasilas, La vie en Christ (142), (142) : ( PG 150, 493-725; et coll. Sources Chrétiennes, n° 355, Paris, 1989). Père Ambroise Fontrier écrivait : " La vie spirituelle est, pour Cabasilas, notre vie en Christ, autrement dit la Vie même du Christ, la vie de sa chair spirituelle, qui est aussi la Vie du Saint Esprit et qui se manifeste comme amour. Cette vie est la seule vraie, la seule authentique. Elle n'existe et n'est offerte qu'en Christ seulement, dans le Corps du Christ qui est l'Eglise. Aussi le Mystère de l'Eglise est-il le mystère même du Christ, manifesté, étendu, perpétué dans le temps et réalisé dans les offices et les sacrements. Ce Mystère, est en son essence, l'Union la plus profonde, le Mariage de Dieu et de la créature, le "Mélange" sans confusion, mais total et parfait, du créé et de l'Incréé". La vie spirituelle, la vie en Christ est naturellement fondée sur la foi. " Le fondement de la piété, dit saint Jean Chrysostome aux catéchumènes, est la foi"; ce n'est qu'une fois ce fondement posé qu'on peut " en sûreté élever tout l'édifice (143)". (143) : ( Huit Catéchèses Baptismales, op. cit., 1, 20). Donc, si la foi n'est pas juste, l'édifice ne pourra être que branlant. Notre Seigneur Jésus Christ a promis de donner à ceux qui croient en Lui la vie éternelle : " Celui qui croit en moi a la vie éternelle" ( Jn 6, 47) et Il dit être venu pour que les brebis aient la vie, et qu'elles l'aient en abondance. Et il demande à ses fidèles : " Soyez parfaits comme votre Père des cieux est parfait" ( Matt.5, 48). En quoi consiste la vie éternelle, et en quoi consiste la perfection, voilà deux choses importantes à savoir, et auxquelles répondent les Ecritures, les vies des saints, les paroles des Pères et des Conciles. Quant au Catéchisme, il donne sur ces deux points des réponses différentes : 1) Il nous fait espérer pour après la mort une communion d'essence avec la Divinité, ce qui est à la fois une impossibilité et un blasphème. 2) Il nous prive de la communion réelle selon la grâce, à laquelle nous pouvons et devons aspirer dès cette vie. 1. La participation à l'essence divine. "L'Esprit, dit saint Paul, sonde les profondeurs de Dieu" (1 Cor.2, 10). Selon les Pères, Dieu est inaccessible dans son essence. Aucune créature, pas même les anges les plus élevés, n'a vu ni ne verra jamais l'essence ou plutôt la suressence divine. " Nul n'a jamais vu Dieu" dit saint Jean ( Jn 1, 18) et saint Paul Le dit invisible, qu'aucun n'a vu ni ne peut voir ( 1 Tim.1, 17 et 6, 16). Saint Moïse, qui a vu Dieu, nous a appris aussi qu'aucune créature ne le voyait dans son essence : " Tu ne pourras pas voir ma face, car l'homme ne peut me voir et vivre" ( Ex.33, 20). Saint Jean Chrysostome s'exprime ainsi : " Nous L'appellerons donc Dieu ineffable, insaisissable, inconcevable, invisible, incompréhensible, passant la force du langage humain, L'emportant sur la prise de la pensée mortelle, qui n'est ni suivi à la trace par les anges, ni scruté par les archanges, ni contemplé par les Séraphim, ni pénétré par les Chérubim, invisible aux Dominations, aux Puissances et aux Vertus, en un mot, à toute la création, connu enfin seulement par le Fils et l'Esprit (144)". (144) : ( Troisième Homélie contre les Anoméens). Cette théologie apophatique ou négative est l'expérience de tous les Pères et elle fait partie de la prière de tous les chrétiens orthodoxes. L'Eglise, qui ne peut nous tromper, nous l'enseigne. Ainsi, dans la liturgie de saint Jean Chrysostome : " Tu es un Dieu inexprimable, inconcevable, invisible, incompréhensible, existant de toute éternité, identique à toi-même, Toi, ton Fils unique et ton Saint Esprit". Citons encore quelques auteurs sur ce point capital. Saint Grégoire le Théologien : " En me penchant un peu, j'ai vu le dos de Dieu, non la nature première et pure et connue d'elle-même, je veux dire de la Trinité (145)". (145) : ( Discours 28, Sur la Théologie). Saint Grégoire de Nysse : " Le parfum même de la divinité, ce qu'elle est par essence, surpasse tout concept et tout nom (146). (146) : ( Sur le Cantique, Homélie 1). Et : " Le sublime Jean, qui a pénétré dans cette ténèbre lumineuse, dit que nul n'a jamais vu Dieu, définissant par cette négation que la connaissance de l'essence divine est impossible à atteindre, non seulement aux hommes, mais à toute nature spirituelle (147)." (147) : (Id., Vie de Moïse, 2, 163, coll. Sources Chrétiennes, n° 1 bis, Paris 1955, p. 81). Saint Ambroise : " Mais pourquoi parler des hommes, quand nous lisons, à propos même des vertus célestes et des puissances, que personne n'a jamais vu Dieu (148) ? (148) : ( Traité sur l'Evangile de Luc, 1, 25). Saint Jérôme : " Voir Dieu tel qu'il est dans sa nature, l'oeil de l'homme ne le peut; non seulement l'homme, mais ni les Anges, ni les Trônes, ni les Puissances, ni les Dominations, ni aucun nom qui est nommé. Car la créature ne peut regarfer ( aspicere) son Créateur (149)". (149) : (Saint Jérôme, dans les Lettres d'Augustin, 111. Augustin d'Hippone, qui croyait Dieu visible dans son essence, a tenté d'interpréter les Pères à sa manière. Pour lui, quand les pères disent qu'on ne peut voir Dieu, cela veut dire qu'on ne peut le voir avec les yeux de la chair. Et les scolastiques ont soutenu de même que les Pères n'avaient déclaré impossible que la vision totale et compréhensive de l'essence de Dieu, non pas toute vision de l'essence. Les citations faites ci-dessus, que l'on pourrait multiplier, prouvent cependant que, pour les Pères, l'essence de Dieu est non seulement incompréhensible, mais inaccessible et impossible à atteindre pour tout intellect créé). Quelle vision de Dieu les Pères reconnaissent-ils donc? Invisible par nature, Dieu se rend visible par volonté à qui il veut, dit saint Ambroise : " on ne voit pas de la même manière les choses sensibles et Celui à la volonté duquel il appartient d'être vu et qui est invisible par nature, visible par volonté (150)". (150) : ( Traité sur l'Evangile de Luc, 1, 24). Il est alors perçu non selon son essence mais selon ses énergies, comme l'enseigne saint Basile : " Nous connaissons Dieu par ses énergies, mais nous sommes incapables d'approcher son essence. Car ses énergies descendent jusqu'à nous, mais son essence demeure inaccessible (151) ". (151) : (Lettre 234 à Amphiloque, 2). Cet enseignement, les Pères ne l'ont pas tiré de la spéculation philosophique, mais de leur expérience spirituelle. Il a été répété d'âge en âge par ceux qui ont fait cette expérience, et s'oppose absolument à la vision per essentiam des scolastiques augustiniensnde l'Occident. Or, contrairement à l'enseignement du Seigneur, le Catéchisme promet de voir l'essence divine : " De notre autorité apostolique, écrit le pape Benoît XII, cité au § 1023, nous définissons que, d'après la disposition générale de Dieu, les âmes de tous les saints... ont été, sont et seront au ciel, au Royaume des cieux et au Paradis céleste avec le Christ, admis dans la société des saints anges. Depuis la passion et la mort de notre Seigneur Jésus Christ, elles ont vu et voient l'essence divine d'une vision intuitive et même face à face, sans la médiation d'aucune créature". Le Catéchisme suit ici la doctrine de l'hérétique Eunome qui pensait que Dieu avait révélé aux hommes son essence profonde. C'est là qu'on mesure pleinement l'effet de l'hérésie du Filioque : Dieu se définit comme "échange d'amour" : " Saint Jean ira encore plus loin lorsqu'il atteste : " Dieu est Amour" ( I Jn 4, 8 et 16) : l'Etre même de Dieu est Amour. En envoyant dans la plénitude des temps son Fils unique et l'Esprit d'Amour, Dieu révèle son secret le plus intime : Il est Lui-même éternellement échange d'amour : Père, Fils et Esprit Saint, et Il nous a destinés à y avoir part" ( § 221). " Le but dernier de la mission n'est autre que de faire participer les hommes à la communion qui existe entre le Père et le Fils dans leur Esprit d'amour" ( § 850). Les Pères étaient loin de penser que Dieu puisse révéler "son secret le plus intime". " Un Dieu qui peut être compris n'est pas Dieu" dit saint Athanase (152). (152) : (Réponses à Antiochus, 1). Et encore plus loin de croire que l'homme puisse participer à la communion qui existe entre les Hypostases. La communion avec la Trinité à laquelle nous sommes appelés n'est pas celle qui est ENTRE les Personnes divines. Car cette dernière se ramène à l'essence : " Dans la divinité trinitaire, ce qui est commun est l'essence (153)"; (153) : ( Saint Basile, Lettres, 38, 5. En Dieu, l'Essence et les énergies incréées sont communes aux Trois Personnes, et les attributs personnels sont propres, chacun à Une d'Elles. Les énergies sont dans l'Essence, étant une chose avec elle, quoique n'étant pas la même chose qu'elle. " Tout ce que l'on peut envisager ou énoncer relativement à la Toute Sainte, Connaturelle et Suressentielle Trinité est ou bien une chose qui appartient en commun à Toutes les Personnes, ou bien une chose qui appartient à une et une seule des Trois" ( saint Photios, Lettre encyclique aux Patriarches Orientaux, 22, cf. 12). "Il est normal que l'essence ( de Dieu) soit invisible à qui que ce soit, excepté au Fils Unique et au Saint Esprit (154)". (154) : ( Saint Basile, Contre Eunome, 1, 14). Le Catéchisme va plus loin encore. Il ne se contente pas de promettre aux hommes la vision intuitive de l'essence de Dieu. Il ouvre encore la Divinité inaccessible à toutes les créatures : " La fin ultime de toute l'économie divine, c'est l'entrée des créatures dans l'unité parfaite de la Bienheureuse Trinité ( Cf Jn 17, 21-23)" ( § 260). Autrement dit, les créatures deviendront Dieu par essence, puisqu'elles entreront dans la Tri-Unité divine : les chiens, les mouches, les oiseaux... pléthore de dieux à faire pâlir le paganisme et l'hindouisme. Admettons qu'il faille entendre par "créatures" les anges et les saints seulement. Même ainsi, la doctrine présentée n'a rien à voir avec la déification de l'homme dont parlent les Pères, et selon laquelle les hommes qui se sont purifiés pour Dieu deviennent dieux par la grâce. Ils n'entrent pas dans "l'intimité de la vie trinitaire" ( § 1997), ni dnas "l'unité parfaite de la Trinité", parce qu'ils n'entrent pas dans l'essence de Dieu. Et s'appuyer sur saint Jean pour prouver cette "entrée des créatures" dans la Trinité, c'est abandonner les Pères, et notamment saint Jean Chrysostome qui avertit au moins cinq fois dans son Commentaire de ne pas prendre à la lettre le mot "comme" dont se sert l'Apôtre : " Qu'ils soient un comme nous sommes un" ( Jn 17, 22). Ce mot a été dit par manière de parabole. Car il n'y a aucune analogie, aucune comparaison, aucun rapprochement possible entre nous et la Sainte Trinité. Saint Grégoire Palamas voyait une analogie entre le péché de ceux qui disent que l'homme communie à l'essence divine et celui d'Adam : " Les hétérodoxes qui sont apparus de notre temps ressemblent à l'ancien Adam qui, ayant reçu de Dieu la liberté de manger de tout bois qui se trouvait dans le Paradis, ne s'est pas contenté de ce verger splendide, mais, séduit par le conseil du serpent, Prince de la malice, a mangé du seul bois qu'il avait reçu l'ordre de ne pas toucher. Il en va de même pour les biens qui sont en Dieu et les dons véritablement dignes de Sa bonté qu'Il partage généreusement à tous ceux qui les désirent, selon le mot de celui qui a dit : " Tout ce que Dieu est, le déifié le sera par la grâce, sans devenir d'essence identique" Or il en est qui enseignent que nous participons à l'essence suressentielle même, et qui prétendent pouvoir lui donner son nom propre et, à l'imitation du serpent et prince de la malice, qui invoquait l'autorité des paroles de Dieu, ils citent à l'appui de leurs dires les paroles des saints, dont ils torturent le texte et faussent l'interprétation" ( Homélie sur la foi). 2. La vie en Christ Quel est le but de la vie chrétienne? Les orthodoxes répondront, avec saint Séraphim de Sarov : l'acquisition du Saint Esprit. Saint Jean Cassien l'explique clairement, en distinguant la fin ultime du christianisme de l'objectif que doit toujours garder devant ses yeux celui qui se propose cette fin : " Tout art, enseigne l'abba Moïse, toute discipline, requiert premièrement un but, c'est-à-dire une visée de l'âme, une application incessante de l'esprit. Faute d'y être fidèle en toute ardeur et persévérance, on ne parviendrait pas à la fin désirée...La fin ultime de notre profession, comme nous l'avons dit, consiste dans le royaume de Dieu ou royaume des cieux, il est vrai; mais notre but à viser est la pureté du coeur, sans laquelle il est impossible que personne atteigne à cette fin" ( Première Conférence). Autrement dit, le chrétien orthodoxe sait qu'il est destiné à voir le Christ dans la vie future, mais qu'il doit ici-bas purifier son coeur pour le rendre capable de cette vision. Nicolas Cabasilas exprime la même idée : " La corruption morale ne prut hériter de l'incorruptibilité du ciel, cette incorruptibilité que Paul désirait, au point de vouloir quitter ce monde, pour être toujours avec le Christ (Phil. 1, 23). Mais tous ceux qui quittent la terre, sans provision de forces spirituelles et dépourvus de sens spirituels - indispensables pour vivre dans les cieux - ceux-là perdront la béatitude éternelle et vivront malheureux et morts spirituellement, dans le monde sans fin. Et pourquoi ne jouiront-ils pas de la vie du ciel? Parce qu'ils ne pourront plus acquérir les yeux spirituels qui leur eussent permis de contempler la lumière éternelle, que rayonnera dans toutes les directions, le Christ le Soleil de Justice. Le Parfum du Saint-Esprit qui sera abondamment répandu partout, inondera tout et tous, sauf ceux qui n'auront pas acquis l'odorat spirituel... Ce n'est que dans l'ouvroir de la vie présente que le chrétien peut les acquérir. Celui qui quitte ce monde, nu et sans bagages, ne pourra participer à la vie incorruptible des cieux" ( La Vie en Christ, début). Tel est le sens de l'ascèse orthodoxe. Le Catéchisme ne parle pas de l'acquisition de ces sens spirituels, mais de l'acquisition des mérites. De ces notions résultent deux formes de vie tout-à-fait différentes. Au § 2007, le Catéchisme écrit : " A l'égard de Dieu, il n'y a pas, au sens d'un droit strict, de mérite de la part de l'homme. Entre Lui et nous l'inégalité est sans mesure, car nous avons tout reçu de Lui, notre Créateur". Toutefois, le § 2008 réintroduit le mérite de l'homme : " Le mérite de l'homme auprès de Dieu dans la vie chrétienne provient de ce que Dieu a librement disposé d'associer l'homme à l'oeuvre de sa grâce". "Personne ne peut mériter la grâce première, à l'origine de la conversion, du pardon et d ela justification. Sous la motion de l'Esprit Saint et de la charité, nous pouvons ensuite mériter pour nous-mêmes et pour autrui les grâces utiles pour notre sanctification, pour la croissance de la grâce et de la charité, comme pour l'obtention de la vie éternelle" ( § 2010). La vie catholique consiste donc à mériter, "sous la conduite du Saint-Esprit", "les grâces utiles pour parvenir à la vie éternelle, comme aussi les biens temporels nécessaires" (§ 2027). D'où les grâces abondantes : grâce première, grâce habituelle, grâce actuelle, grâce sanctifiante ou déifiante, grâces sacramentelles, grâces spéciales, grâces d'état, grâce de la persévérance finale. ais n'est-ce pas l'inversion des moyens et des fins (voir § 1887) proposés par la vie en Christ, telle que les Pères l'ont vécue et transmise? Avec la doctrine des actions méritoires, s'institue une sorte de commerce entre le Créateur et sa créature. Le péché, "offense à l'égard de Dieu" ( § 1850) est balancé par les mérites des bonnes oeuvres, ces grâces créées accumulables qui sont "utiles pour l'obtention de la vie éternelle" ( § 2008-2010). C'est une vision anthropomorphique de Dieu. Comment croire que le salut s'achète au prix d'un tel trafic? La vie orthodoxe ne connaît qu'une seule grâce, la grâce incréée de Dieu. Omniprésente, elle ne se manifeste qu'à ceux qui se sont rendus purs, car Dieu ne peut pas s'unir à ce qui est impur. Toute l'ascèse orthodoxe et la prière n'ont pour but que de purifier le coeur et ne servent jamais à mériter "les grâces utiles pour notre sanctification" (§ 2010) ni même "les biens temporels eux-mêmes, comme la santé, l'amitié" (Ibid.). Les Pères ne nous exhortent nullement à "mériter" les biens temporels, mais, fidèles à l'Evangile, à tendre vers le Royaume de Dieu et sa justice ( cf. Matt.6, 33). " C'est pour cela que le Christ a dit : Là où est le trésor de l'homme, là aussi est son coeur. En effet, une fois que l'âme a conçu l'idée de ces biens ineffables, elle est comme délivrée des liens du corps, elle prend pour ainsi dire son essor; et comme elle se peint chaque jour la jouissance de ces biens, elle n'est plus capable de garder l'idée des choses de la terre, mais elle les dépasse toutes, comme un songe ou comme une ombre; sans cesse tendue en esprit vers les biens d'en haut, croyant presque les voir avec les yeux de la foi, elle est à tout moment poussée à y goûter (155)". (155) : (Saint Jean Chrysostome, Huit Catéchèses baptismales, 7, 15, op. cit., p. 236-7). Dieu nous donne tout sans mérite de notre part : " Cherchez, dit l'Ecriture, le Royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. Ce n'est donc pas ce que Dieu a promis de nous donner par surcroît que nous devons chercher en premier lieu, de peur qu'en agissant à l'encontre de ce qu'a prescrit le Maître, nous ne soyons frustrés des deux côtés... Il sait ce dont nous avons besoin avant que nous le lui ayons demandé. Si donc il voit que notre empressement va aux biens célestes, sa grâce nous donnera d'en jouir, et il nous procurera en abondance les autres, ceux qu'Il a promis d'octroyer par mesure de surcroît (156) ". (156) : (Ibid, 7, 16, p. 236-7). "Marie a choisi la bonne part" dit le Seigneur ( Luc 10, 42) et saint Jean Cassien commente : " Vous voyez que le Seigneur établit le bien principal dans la seule théoria, c'est-à-dire dans la contemplation divine". "Ce doit être le but premier de nos efforts, l'immuable dessein et la passion constante de notre coeur d'adhérer toujours à Dieu et aux choses divines. Tout ce qui s'éloigne de là, quelque grand qu'il puisse être, ne doit tenir dans notre estime que le second ou même le dernier rang, voire être considéré comme un danger". " Je déclare qu'il dépend de nous, pour une grande part, de hausser le ton de nos pensées, et qu'elles soient saintes et spirituelles, ou terrestres et charnelles. Aussi bien, la lecture assidue et la continuelle méditation des Ecritures n'a-t-elle point d'autre but que de procurer l'éclosion dans notre mémoire des pensées divines; le chant répété des psaumes est destiné à nourrir un recueillement continuel; et notre empressement aux veilles, aux jeûnes et à la prière a pour dessein d'affiner tellement l'âme qu'elle perde le goût des choses terrestres et ne veuille plus contempler que les célestes" ( saint Jean Cassien, Première Conférence). Les citations que nous avons faites montrent suffisamment qu'il existe une vie en Christ et que les distinctions et les catégories du Catéchisme ne plongent pas en elle leurs racines. En effet, dans la vie spirituelle, au sens des Pères, il n'y a pas d'actions méritoires que l'homme puisse accumuler. Il y a des expériences de purification, d'illumination, mais pas de mérites. Les Catéchistes prétendent aussi, définir, au nom de l'Eglise, les doctrines économiques et sociales : " Afin de favoriser la participation du plus grand nombre à la vie sociale, il faut encourager la création d'associations et d'institutions d'élection " à buts économiques, culturels, sociaux, sportifs, récréatifs, professionnels, politiques, aussi bien à l'intérieur des communautés politiques que sur le plan mondial"" ( § 1882). L'Eglise doit donc, selon eux, faire entendre sa voix dans les questions politiques : " La doctrine de l'Eglise a élaboré le principe de subsidiarité" ( § 1883). " Le principe de subsidiarité s'oppose à toutes les formes de collectivisme. Il trace les limites de l'intervention de l'Etat. Il vise à harmoniser les rapports entre les individus et les sociétés. Il tend à instaurer un véritable ordre international" ( § 1885). Voici ce que Wladimir Guettée écrivait à Mgr Dupanloup, évêque d'Orléans, qui soutenait les mêmes prétentions : " Vous affirmez, Monseigneur, que le concile (157) enseignera les vraies doctrines politiques et économiques. (157) : ( Le Concile de Vatican I, qui allait se réunir). Votre Grandeur ignorerait-elle que ces questions ne sont pas de sa compétence? Lisez les Actes des vrais conciles oecuméniques, c'est-à-dire de ceux qui ont été tenus pendant les premiers siècles de l'Eglise, et vous serez persuadé que ces saintes assemblées n'ont eu que ce double but : attester la doctrine chrétienne toujours admise comme de foi dans toutes les Eglises, afin d'opposer leur témoignage aux hérétiques, c'est-à-dire à ceux qui contestaient les dogmes révélés; puis faire des lois pour le bon gouvernement de l'Eglise. Quant à la politique et à l'économie sociale, les anciens évêques comprenaient trop bien la nature de leur autorité pour s'en occuper. Ils laissaient ces questions dans le domaine de celles que Dieu a abandonnées à l'activité de l'intelligence humaine, et ils se contentaient de conserver intact le dépôt d ela révélation (158)". (158) : ( W. Guettée, Lettre à M. Dupanloup, évêque d'Orléans, à propos de sa Pastorale au Clergé et aux Fidèles de son diocèse à l'occasion des Fêtes de Rome et pour leur annoncer le futur Concile oecuménique, Pais, 1868). Fondées ainsi sur des principes humains et non divino-humains, les autres notions propres au Catéchisme apparaissent comme des imaginations étrangères à la Révélation. Il en est ainsi de la distinction, selon la gravité, entre péchés mortels et péchés véniels, le péché mortel causant seul " l'exclusion du Royaume du Christ et la mort éternelle de l'enfer (159)" (§ 1861). (159) : ( On voit qu'il importe, pour chaque fidèle, de se demander si les trois conditions qui font le péché mortel sont remplies : " Pour qu'un péché soit mortel trois conditions sont ensemble requises : " Est péché mortel tout péché qui a pour objet une matière grave, et qui est commis en pleine conscience et de propos délibéré"" ( § 1857)). Péché mortel et péché véniel entraînent, en outre, une "peine temporelle". Découlant, comme la peine éternelle, " de la nature même du péché" ( § 1472), elle n'est pas effacée par le pardon divin : " Le pardon du péché et la restauration de la communion avec Dieu entraînent la remise des peines éternelles du péché. Mais des peines temporelles du péché demeurent" ( § 1473). D'où la notion d'indulgences : le mérite infini du Christ et les mérites surérogatoires des saints forment un trésor, dans lequel le pape puise pour remettre les peines temporelles du péché. Cette remise de peine ou indulgence est attachée à des pratiques pieuses ( § 1478). Par ces indulgences le fidèle peut alléger aussi la peine temporelle des âmes du Purgatoire (§ 1479). Rien de tout cela ne se trouve dans l'enseignement des Conciles. N'est-ce pas introduire dans le sanctuaire de la foi, comme le disait Khomiakov, tout le mécanisme d'une maison de banque (160)? (160) : ( A.S. Khomiakov ou Khomiakoff, L'Eglise latine et le protestantisme au point de vue de l'Eglise d'Orient, Lausanne et Vevey, 1872, p. 39). La doctrine du feu purgatoire ( §§ 1030-1032) n'est pas biblique. Depuis toujours l'Eglise prie pour les défunts, et nul n'avait jamais mis en doute le fait que Dieu puisse pardonner les péchés après la mort. Par rationalisme, les théologiens occidentaux ont décidé, au Moyen Age, que les âmes imparfaitement purifiées allaient finir leur pénitence dans un feu spécial, différent de l'enfer. Les textes scripturaires cités pour légitimer la naissance du purgatoire (161) sont de nul effet. (161) : ( Nous reprenons le mot de Jacques Le Goff, La Naissance du Purgatoire, Paris, 1981). Ainsi, celui de saint Matthieu (12, 32), cité au § 1031 : " Celui qui blaspèmera contre l'Esprit Saint, il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle, ni dans le siècle à venir" prouve bien qu'il y a pardon de certains péchés après la mort, mais nullement peine ( § 1472) et comme le dit Marc d'Ephèse : " Qu'y a-t-il de commun entre la rémission et une purification par le feu et le châtiment? Il est besoin ou de pardon ou de punition, et jamais des deux ensemble (162)". (162) : ( Responsio Graecorum ad positionem Latinorum (Réponse des Grecs à la thèse des Latins), 6, prononcée à Ferrare le 14 juin 1438, éditée par Mgr L. Petit, Documents relatifs au Concile de Florence, 1, PO 15, Paris, 1920 rééd. Turnhout 1973. Cette réponse s'inspire du discours de Marc d'Ephèse édité dans le même ouvrage, p. 39-60). La prière pour les défunts, et l'espoir que Dieu leur remette les péchés, voilà tout ce que l'on tire de l'exemple de Judas Maccabée ( § 1032). Le Catéchisme se trahit d'ailleurs naïvement ici en disant : " Cet enseignement s'appuie aussi sur la pratique de la prière pour les défunts dont parle déjà la Sainte Ecriture". Que veut dire ce déjà sinon que le dogme du Purgatoire n'est apparu que par la suite? De même, le passage de saint Paul : " Si l'oeuvre de quelqu'un est consumée, il perdra sa récompense; pour lui, il sera sauvé, mais comme au travers du feu" ( 1 Cor.3, 15). Saint Marc d'Ephèse a démontré, au Concile de Ferrare-Florence, que l'interprétation patristique de ce texte excluait toute idée de purgation post mortem. Selon saint Jean Chrysostome, il s'agit du feu éternel de l'enfer. Pour que personne ne s'imagine que ce feu détruit le corps des damnés avec leur oeuvre, mettant fin au châtiment, il dit : " Si leurs oeuvres doivent devenir flammes, eux-mêmes ne seront pas pourtant consumés; mais ils perdureront dans le châtiment, car ils seront sauvés ( conservés) et continueront d'exister dans le feu (163)". (163) : ( Op. cit., 9). Sauvés veut dire ici maintenus à l'être. Le dogme du purgatoire n'a donc aucun fondement scripturaire ni patristique. Confessant la communion qui lie entre eux tous les membres de l'Eglise, ceux qui vivent encore ici-bas et ceux qui se sont endormis, les Pères recourent à une image : " Comme le vin dans le tonneau qui, lorsque les vignes sont en fleur, le sent et fleurit en même temps, ainsi en est-il de l'âme des pécheurs. Elles reçoivent soulagement du sacrifice non sanglant, offert pour elles avec charité" ( saint Athanase). " Si une telle sensibilité mutuelle existe même chez les plantes, dit saint Ephrem le Syrien, comment ceux qui sont partis ne sentiraient-ils pas plus vivement encore les prières et les sacrifices que l'on fait pour eux (164) ?" (164) : ( Ces deux textes sont cités par Nicolas Vélimirovitch, Prologue d'ochrid, vol. 3, au 1er juillet, Ed. L'Age d'Homme). Un des critères les plus importants de la vie chrétienne se trouve comme engourdi par les innovations du Catéchisme et sa doctrine de la grâce. Voici comment Nicolas Cabasilas s'exprime au début de son traité sur la Vie en Christ : " Comme la nature prépare, pour vivre dans la lumière, l'embryon qui se trouve encore dans le ventre de sa mère, de même les chrétiens se forment, dès ici-bas, et s epréparent à l'autre vie. " Mes enfants, pour qui j'éprouve de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous" ( Gal. 4, 19). L'image de l'embryon n'est certes pas d'une analogie parfaite, parce que l'embryon, avant de naître, n'a aucune idée ni aucune perception de notre vie... Mais il n'en est pas de même pour le chrétien que pour l'embryon, parce que la vie future n'est pas absolument inconnue ni étrangère à la vie présente; l'une et l'autre ne sont pas sans un certain lien. Le Christ Soleil Spirituel, dans son amour infini pour les hommes et par son abaissement, a resplendi chez nous. Le Parfum plus que céleste du Saint Esprit a été répandu sur la terre, malgré la puanteur qu'exhale le péché... Voilà pourquoi les chrétiens ont la possibilité, non seulement de se préparer à la vie future, mais aussi de vivre dès ici-bas et d'agir comme citoyens du ciel. " Saisis la vie éternelle" écrit Paul à Timothée ( 1 Tim. 6, 12). Et dans une autre de ses épîtres : " Je vis, mais ce n'est pas moi, c'est le Christ qui vit en moi" (Gal.2, 20)". La version que le Catéchisme propose de la vie chrétienne est diamétralement opposée, car pour lui, cette vie s'accomplit dans l'incertitude, puisqu'on n'est jamais sûr d'avoir la grâce, sinon d'une manière indirecte. " Etant d'ordre surnaturel, la grâce échappe à notre expérience et ne peut être connue que par la foi. Nous ne pouvons donc nous fonder sur nos sentiments ou nos oeuvres pour en déduire que nous sommes justifiés et sauvés. Cependant, selon la parole du Seigneur : " C'est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez" ( Matt.7, 20), la considération des bienfaits de Dieu dans notre vie et dans la vie des saints, nous offre une garantie que la grâce est à l'oeuvre en nous et nous incite à une foi toujours plus grande et à une attitude de pauvreté confiante. On trouve une des plus belles illustrations de cette attitude dans la réponse de sainte Jeane d'Arc à une question piège de ses juges ecclésiastiques : "Interrogée, si elle sait qu'elle soit en la grâce de Dieu; répond : Si je n'y suis, Dieu m'y veuille mettre; si j'y suis, Dieu m'y veuille garder"" ( § 2005). Elle aurait eu la grâce à son insu. Il s'en faut de beaucoup que les Pères, qui avaient l'expérience de la grâce, aient enseigné cette grâce inconsciente. Saint Macaire dit : " Si tu es devenu un trône de Dieu, si le céleste conducteur te dirige, si ton âme est devenue tout oeil spirituel et toute lumière, si tu t'es nourri de ces aliments spirituels et désaltéré avec l'eau vive, si tu as revêtu les vêtements de la lumière ineffable, si ton homme intérieur s'est établi dans l'expérience et la certitude de tout cela, alors tu vis vraiment la vie éternelle, et dès maintenant ton âme repose en Dieu. Voici que tu as obtenu et reçu tout cela de lui en vérité, pour que tu vives de la vraie vie. Mais si tu n'as conscience de rien de cela en toi, alors pleure, livre-toi à la tristesse et aux lamentations, parce que tu n'as pas encore reçu le trésor éternel et spirituel, ni la vie véritable (165)". (165) : (Première Homélie Spirituelle, 12. Lors du faux Concile de 869, comme saint Photios ne répondait rien aux accusations mensongères portées contre lui, on lui demanda la raison de ce mutisme et il répondit simplement : " Dieu entend la voix des silencieux". Les émissaires du pape lui rétorquèrent : " Mais ton silence ne te gardera pas de la condamnation!" A quoi le saint patriarche répondit : " Le silence de Jésus ne le garda pas non plus de la condamnation"). Ainsi, toute la vie chrétienne est changée dans le Catéchisme. La prière qu'il décrit n'a rien à voir avec celle de la tradition des Pères. " Mais on ne peut pas prier "en tout temps" si l'on ne prie pas à certains moments, en le voulant : ce sont les temps forts de la prière chrétienne, en intensité et en durée" ( § 2697). Comment une prière volontaire et limitée dans le temps peut-elle être un temps fort "en durée" par-rapport à la prière perpétuelle du coeur? Et comment peut-elle l'être " en intensité", alors que la prière incessante est un charisme haut et élevé, quand l'autre est possible à tous? Nous n'avons pas trouvé cette doctrine des "temps forts" chez les Pères de la Philocalie, eux qui se souvenaient de Dieu plus souvent qu'ils ne respiraient, selon le précepte de saint Grégoire le Théologien. Les §§ 2705-2708 parlent de la méditation : " La méditation met en oeuvre la pensée, l'imagination, l'émotion et le désir". Cependant les Pères sont unanimes à dénoncer l'imagination comme le plus gros danger dans la vie spirituelle et loin d elui donner une place dans la prière, ils disent qu'il faut s'en défaire, comme de la source de toutes les illusions. " Cette faculté n'est pas donnée à l'homme lors de s acréation, mais "après le péché". L'imagination - mémoire " est une marque irrationnelle et grossière de nos cinq sens". Or, dans la lutte spirituelle dont la victoire nous procure l'Esprit Saint et l'union avec Dieu, non seulement elle n'est d'aucun secours, mais nuisible, Dieu étant "hors d ela portée de tous les sens, hors du sensible, hors de toute figure, couleur , espace, lieu, forme, genre, bien que partout présent et transcendant l'univers, échappant aux prises de l'imagination... puissance d el'âme qui, à cause de ses propres insuffisances, ne possède pas la propriété de s'unir à Dieu (166) " ". (166) : ( Père Ambroise Fontrier, commentaire inédit de saint Nicodème l'Hagiorite, Le combat spirituel). Les Pères attribuent à l'imagination la chute du diable. Quand les Catéchistes parlent de la prière du coeur (§§ 435, 2616, 2667-8, 2562, 2717), se rendent-ils compte qu'elle implique d'abord une lutte contre l'imagination? " Conserver l'intellect hors de toute couleur, de toute forme, de tout genre, le conserver pur, tel qu'il est sorti des mains de Dieu. Pour y parvenir, il n'est qu'un moyen : faire entrer l'intellect, le rassembler dans le lieu étroit qu'est le coeur, au-dedans de l'homme intérieur (167)...". (167) : ( Ibid. Pour le vrai sens de la méditation selon les Pères, voir Nicolas Cabasilas, La Vie en Christ, op. cit., livre 6). Ici nous mesurons la tragédie spirituelle de ceux qui veulent considérer comme complémentaires des traditions qui sont, en fait, incompatibles. Leur désir est de s'approprier les richesses de la tradition orthodoxe sans renoncer aux leurs. Ce désir, bien compréhensible, part d'un bon sentiment (168). (168) : ( Le décret de Vatican II sur l'oecuménisme déclare en effet : " En Orient aussi, on trouve les richesses de ces traditions spirituelles, qui s'expriment surtout par le monachisme. Là, depuis le temps glorieux des Saints Pères, en effet, a fleuri la spiritualité monastique, qui s'est répandue en Occident, devenant pour ainsi dire la source de l'organisation religieuse latine et lui conférant par la suite une nouvelle vigueur. Par conséquent, on recommande instamment aux Catholiques d'accéder plus fréquemment à ces richesses spirituelles des Pères Orientaux qui élèvent l'homme tout entier à la contemplation des mystères divins" ( décret Unitatis Redintegratio, § 15)). Cependant, il faut prendre garde que cette démarche n'a rien de l'ascèse spirituelle des Pères. Les richesses dont ils parlent n'existent que dns l'imagination. Et c'est justement d'elle qu'il faut se purifier pour rencontrer notre Dieu : " "Anéantir jusqu'à la racine les prétentions pernicieuses et les idoles de l'imagination et de la mémoire", voilà en quoi consiste tout le labeur de l'ascète, qui est semblable au "serpent qui, pour se dépouiller de sa vieille peau, va passer par un endroit très étroit". c'est la porte étroite de l'Evangile, pour celui qui veut se dépouiller du vêtement de l'imagination pour parvenir à l'union avec Celui qui échappe à toute connaissance, au Dieu apophatique de la tradition théologique orthodoxe (169)". (169) : (Père Ambroise, Ibid). La notion de spiritualités, au pluriel, paraît ainsi extrêmement étrange. " Dans la communion des saints se sont développées tout au long de l'histoire des Eglises diverses spiritualités. Le charisme personnel d'un témoin de l'amour de Dieu pour les hommes a pu être transmis, tel "l'esprit" d'Elie à Elisée et à Jean-Baptiste pour que des disciples aient part à cet esprit" ( § 2684). On parle, il est vrai, dans le catholicisme romain, de "spiritualité dominicaine", "cistercienne", " franciscaine", selon les divers "ordres monastiques" de l'Occident, et de même, de la spiritualité d'un Jean de la Croix, d'un Bérulle ou d'une Marguerite-Marie Alacoque. L'apparition des stigmates chez François d'Assise ou l'échange des coeurs qui s'opéra dans la poitrine de Marguerite-Marie Alacoque ont, certes, alimenté une mentalité doloriste ou une adoration du Sacré-Coeur tout-à-fait particulières; mais ces spiritualités particulières sont des formes de vie étrangères à la Tradition et par là même, suspectes. Comment un seul et même Esprit donnerait-Il des spiritualités différentes? Que les charismes soient multiples, que les cultures soient diverses, tout le monde l'accepte sans difficulté; mais un des critères de l'expérience spirituelle est précisément son identité à travers le temps et l'espace. Dans les vies des saints les plus éloignées par le temps, le lieu, la culture, nous reconnaissons les mêmes traits spirituels, qui permettent justement de les reconnaître comme des saints chrétiens. Au contraire, les contradictions des faux mystiques de l'Occident sont une preuve de leur délire mental, comme le savent ceux qui ont lu leurs ouvrages. " J'eus même la patience de lire attentivement les livres de la soeur Emmerich et de Marie d'Agréda, afin de les mettre en contradiction l'une avec l'autre. On croirait que les livres de ces deux hystériques ont été faits pour se contredire; elles se contredisent en effet même sur les plus petits faits et les plus petites circonstances de la vie de Jésus Christ et de la famille à laquelle il appartenait (170)". (170) : ( W. Guettée, Souvenirs d'un prêtre romain devenu prêtre orthodoxe, Paris-Bruxelles, 1889, p. 270). Quant à l'esprit d'Elie, dont Elisée reçut une portion double (2 Rois 2, 9 et 15), il n'est pas lié à la personne d'Elie, celle-ci n'étant pas multipliable par deux. Pour les Pères, il s'agit de la grâce incréée du Saint Esprit, qui a commandé aux eaux. Enfin, le mode même de la participation des saints au Saint Esprit exclut la pluralité spirituelle. Etant Dieu, l'Esprit se communique sans se diviser. A la Pentecôte, Il s'est posé tout entier sur les Apôtres, tout en restant inaccessible dans Sa Personne. Sans quoi, il y aurait eu une spiritualité pétrinienne, une spiritualité paulinienne et finalement, aucune spiritualité, car un Dieu qui se morcelle n'est pas Dieu. Les spiritualités ne seraient-elles pas des contrefaçons de l'esprit du mensonge? " Les mots Il se posa ne manifestent pas seulement la dignité seigneuriale, mais également l'indivisibilité de l'Esprit Saint. " Et Il se posa sur chacun d'eux et ils furent tous remplis du Saint Esprit". Quand l'Esprit se partage dans ses diverses forces et énergies, il demeure cependant tout entier, présent et opérant en chacune d'elles. Il est partagé tout en demeurant entier et la participation à lui est totale, à l'image du rayon du soleil (171)". (171) : ( Saint Grégoire Palamas, Homélie sur la Pentecôte). Le Catéchisme s'accorde avec l'Evangile pour dire que tous sont appelés à la sainteté (§ 2013). Mais il nous donne des saints une idée réductrice : " En canonisant certains fidèles, c'est-à-dire en proclamant solennellement que ces fidèles ont pratiqué héroïquement les vertus et vécu dans la fidélité à la grâce de Dieu, l'Eglise reconnaît la puissance de l'Esprit de sainteté qui est en elle et elle soutient l'espérance des fidèles en les leur donnnant comme modèles et intercesseurs" ( § 828). " ...un saint, c'est-à-dire... un disciple qui a vécu une vie de fidélité exemplaire à son Seigneur" ( § 2156). Mais un serviteur obéissant vit aussi dans la fidélité à son Seigneur et il n'en hérite pas. Qu'est-ce qui distingue le christianisme de toute autre croyance? " Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître; mais je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j'ai appris de mon Père" ( Jn 15, 15). Quand l'Eglise orthodoxe canonise un saint, elle ne manifeste pas simplement qu'il a été vertueux, mais aussi que, devenu Dieu par la grâce, il est uni pour toujours au Christ. " Par le Saint Esprit les saints t'appartiendront éternellement, ô Christ, comme des fils à leur père, comme le fruit des entrailles (172)". (172) : ( Anavathmi du ton 4). Qu'est-ce que le paradis, sinon cette union au Christ, cette participation à l'Amour incorruptible et cette montée sans fin dans l'Amour infini de Dieu? Etriquée et désolante paraît, à côté, l'image de l'agir chrétien et de l'amour énoncée par le Catéchisme : " La Tradition a toujours vu dans le Cantique des cantiques une expression unique de l'amour humain, pur reflet de l'amour de Dieu" ( § 1611). De quelle "tradition " s'agit-il? Quel Père dit cela? Ce que les Apôtres, les Prophètes et les Pères ont vécu et enseigné, c'est l'amour divino-humain dont ils ont vu l'expression dans le Cantique. Ce livre ne raconte rien de moins que l'union au Christ. " La Samaritaine, entendant du Christ ces paroles merveilleuses et divines, que Dieu ne doit être adoré en nul lieu selon la vérité, sinon dans Son Esprit et dans Sa Vérité, comme l'âme épouse de Dieu qu'on voit dans le Cantique des cantiques, reçoit des ailes en entendant la voix du bien-aimé, l'époux incorruptible (173) ..." (173) : ( Saint Grégoire Palamas, Homélie sur la Samaritaine, PG 151, 260. Voir les Homélies sur le Cantique des Cantiques de saint Grégoire de Nysse). Toute la différence entre la vie orthodoxe en Christ et la vie selon les Catéchistes catholiques se résume dans leur vision faussée de l'amour humain et de l'amour de Dieu. Un reflet reste extérieur; tandis que le Fils de Dieu est venu dans la chair, il a dressé Sa tente parmi nous et Il demeure dans Son Eglise orthodoxe. La vie en Christ est un mariage et non un reflet. " Du début jusqu'à la fin, la vie du chrétien est "vie en Christ". mais plus encore, le Christ est "notre vie". Voilà quelle est la vie, voilà son terme : le Christ = la vie. Si tu le vis, tu le crois, tu le sais, tu es chrétien (174)". (174) : (Père Justin Popovitch, L'Homme et le Dieu-Homme. L'Age d'Homme, Lausanne, 1989, p. 187). De la même façon, le Catéchisme juxtapose, à propos de la vie éternelle, deux idées différentes. La première est la vie avec le Christ dont parlent les saints : " la vie c'est d'être avec le Christ" ( saint Ambroise, cité § 1025) et " Quelle ne sera pas ta gloire et ton bonheur : être admis à voir Dieu, avoir l'honneur de participer aux joies du salut et de la lumière éternelle dans la compagnie du Christ le Seigneur ton Dieu..." ( saint Cyprien, cité § 1028). La seconde est une vision béatifique dont les amoureux du Christ que sont les saints n'ont jamais parlé : " A cause de sa transcendance, Dieu ne peut être vu tel qu'Il est que lorsqu'Il ouvre Lui-même son mystère à la contempaltion immédiate de l'homme et qu'Il lui en donne la capacité. Cette contemplation de Dieu dans sa gloire céleste est appelée par l'Eglise la "vision béatifique"" ( § 1028). Quelle représentation de ce bonheur les Catéchistes proposent-ils? Ils le définissent ainsi : " Le ciel est la fin ultime et la réalisation des aspirations les plus profondes de l'homme, l'état de bonheur suprême et définitif" ( § 1024). Cette béatitude nous est en effet décrite au § 260 comme un état statique : " O mon Dieu, Trinité que j'adore, aidez-moi à m'oublier entièrement pour m'établir en Vous, immobile et paisible comme si déjà mon âme était dans l'éternité; que rien ne puisse troubler ma paix ni me faire sortir de Vous, ô mon Immuable, mais que chaque minute m'emporte plus loin dans la profondeur de votre mystère! Pacifiez mon âme. Faites- en votre ciel, votre demeure aimée et le lieu de votre repos. Que je ne Vous y laisse jamais seul, mais que je sois là, tout entière, tout éveillée en ma foi, tout adorante, tout livrée à votre action créatrice". Nous avons parlé plus haut de la plongée " dans la profondeur du mystère" de Dieu, interdite à toute créature - seul "l'Esprit sonde les profondeurs de Dieu" ( 1 Cor. 2, 10). Croire que l'âme soit immobile dans l'éternité, dans la "vision béatifique", c'est une imagination d'homme. Les saints qui, dès cette vie, ont expérimenté Dieu, en parlent autrement : " Le divin seul est véritablement doux, désirable et aimable, et sa jouissance, lorsqu'elle est devenue éternelle, excite en nous une plus grande soif, parce qu'en nous unissant à ces Biens, elle augmente dans la même mesure notre désir de les goûter... L'âme qui s'est jointe à Dieu n'est jamais rassasiée de jouissance; plus elle abonde et regorge de beauté, plus elle fleurit dans la vigueur de ses désirs (175)". (175) : ( Saint Grégoire de Nysse, Première Homélie sur le Cantique des Cantiques, PG 44, 777b). " Le mouvement amoureux qui nous porte vers le Bien, puisant en Lui la racine de son être, simple, incessant et jaillissant du Bien, fait aussitôt retour vers le même Bien, de sorte que ce mouvement n'a ni fin ni commencement, ce qui explique notre désir toujours en mouvement vers le divin et l'union à Lui (176)". (176) : ( Saint Maxime le Confesseur, Chapitres sur la théologie et l'économie, cinquième centurie, PG 90, 1385 c). Où est ici l'immobile éternité? La façon dont le Catéchisme conçoit le paradis semble donc un assemblage hétéroclite de doctrines diverses, la première orthodoxe - vie éternelle et bienheureuse avec le Christ -, les autres hérétiques - vision de l'essence divine, immobilité de l'âme... L'Eglise orthodoxe a également une conception tout autre de l'Enfer que celle rappelée par les théologiens romains, selon laquelle " la peine principale de l'enfer consiste en la séparation éternelle d'avec Dieu" ( § 1035), l'enfer étant "auto-exclusion définitive de la communion avec Dieu et avec les bienheureux" ( § 1033) et "les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent immédiatement après la mort dans les enfers, où elles souffrent les peines de l'enfer, "le feu éternel" ( § 1035). Le théologien grec contemporain, Alexandre Kalomiros, a réfuté cette doctrine. Selon l'enseignement des Ecritures, tous se tiendront dans la gloire et l'amour de Dieu, " Dieu sera tout en tous", mais il y a une double énergie de l'amour : " Le paradis et l'enfer sont le même Fleuve de Dieu, un feu d'amour qui embrasse et recouvre tout de la même volonté bienveillante, sans différence, ni discrimination. La même eau vivifiante est vie éternelle pour les fidèles, et mort éternelle pour les infidèles; elle est l'élément vital des premiers et l'instrument de suffocation éternelle des seconds; le paradis des uns est l'enfer des autres. Ne vous étonnez pas. Le fils qui aime son père est heureux dans ses bras alors que l'accolade aimante du père sera un tourment pour son fils qui ne l'aime pas" ( Le Fleuve de deu). Et Kalomiros de citer saint Isaac le Syrien : " Ceux qui souffrent en enfer souffrent d'être fouettés de l'amour de Dieu. L'amour est un enfant de la connaissance et est indubitablement donné à tous de la même façon. Mais la puissance de l'amour agit de deux façons : il tourmente les pécheurs alors qu'il fait les délices de ceux qui ont vécu en accord avec lui ( 177)". (177) : ( Homélies ascétiques, 84). Une telle doctrine de l'amour de Dieu qui ne déteste jamais, ne se venge jamais, ne condamne personne rend à tout jamais impossible le juridisme de la conception augustinienne dont a hérité l'Occident et qui a engendré les doctrines du "péché originel", de la satisfaction, du mérite, de la prédestination, des "indulgences", du Purgatoire et de l'enfer créé. Si l'enfer était un feu créé, Dieu pourrait l'éteindre un jour, car ce qui est créé n'est pas éternel par nature. Mais l'enfer est une énregie divine, l'amour de Dieu; et le chrétien tremble de se trouver non préparé à l'heure où le Dieu d'amour Se révèlera et où les justes brilleront comme des soleils dans la lumière du Christ, Soleil de Justice. Oui, quand on est soi-même mort à la vie de l'amour, "c'est une chose terrible que de tomber entre les mains du Dieu vivant" ( Héb. 10, 31). Que Notre Dieu très bon qui veut que toute âme arrive à la connaissance de la Vérité éclaire tous ceux de nos lecteurs qui nous liront avec désir spirituel. Par les prières de nos Pères saints, Seigneur Jésus Christ Notre Dieu, aie pitié de nous! Appendice LE PERE WLADIMIR GUETTEE 1816-1892 Cheminant entre les doctrines contradictoires de l'Occident, comme le peuple d'Israël entre les ondes de la Mer Rouge figées des deux côtés, le Père Wladimir Guettée parvint à la Terre Promise de la foi véritable et à la Vision de Paix qu'elle renferme. Nous avons mentionné plusieurs fois cet historien consciencieux dont le zèle était aussi grand que la science. Comme il peut servir de modèle à tous ceux qui veulent, en Occident, retrouver la foi qui illumina leurs ancêtres, nous ajoutons ce texte du Père Patric Ranson (1957-1992), cet autre illuminateur, qui écrivit la première étude historique et critique sur l'oeuvre de Guettée : " Guettée ou le retour à l'orthodoxie" dans De la Papauté, L'Age d'Homme, Lausanne, 1990, p. 7-32. Père Patric a aussi republié un texte important, accompagné d'un dossier documentaire : W. Guettée, Lettre à Soloviev, Paris, 1990. Le présent exte est paru dans La Lumière du Thabor n°32, Paris, 1991. Le Père Wladimir Guettée est ce prêtre gallican, historien de l'Eglise de France, qui, après avoir étudié les documents originaux, découvrit que l'autorité que s'attribuait la papauté dans la vie ancienne du christinaisme n'était fondée sur aucune source sérieuse : " J'étudiai la papauté non dans les livres des ses adversaires, mais dans ceux de ses défenseurs, les Bellarmin, les Zaccharia et tant d'autres. Comme ils prétendent que la papauté a pour fondement la tradition catholique, je contrôlai tous les textes des Pères et des Conciles qu'ils ont cités. Je trouvai que tous les textes cités par eux étaient faux, tronqués, détournés de leur vrai sens. Je dus en conclure que la papauté n'était qu'une institution fondée sur le mensonge (178)". (178) : ( P.W. Guettée, Souvenirs d'un prêtre Romain devenu prêtre Orthodoxe, Paris, 1889, p. 409). Guettée, en pleine période de radicalisation de l'ultramontanisme, fut heureusement conduit par la Providence à rencontrer le Père Joseph Wassilieff et, à travers lui, l'Eglise russe. Il devint orthodoxe et publia de très nombreux livres dirigés contre les prétentions historiques de la papauté, ainsi qu'une revue, L'Union chrétienne, qui parut entre 1859 et 1892 et qui, premier journal orthodoxe en France, est le lointain ancêtre de La Lumière du Thabor. Guettée, en devenant orthodoxe, avait conscience, non de découvrir une tradition qu'il aurait totalement ignorée jusque-là, mais de revenir à l'ancienne Eglise, celle de la Gaule apostolique des martyrs et des saints qui pendant plusieurs siècles fut parfaitement orthodoxe et ignora totalement la prétendue infaillibilité de l'évêque de Rome. C'est cette Gaule orthodoxe qui émerveillait Guettée avant même qu'il n'entrât dans l'Eglise russe et c'est elle dont il a écrit l'histoire dans les premières pages de son Histoire de l'Eglise de France (179). (179) : ( Le tome 1 de l'Histoire de l'Eglise de France composée sur les documents originaux et authentiques est paru à Blois et à Paris en 1847. Il y eut douze tomes en tout, échelonnés jusqu'en 1856). Nous ne sommes pas, en France, sans racines orthodoxes. Notre pays est chargé d'histoire et de lieux marqués par le christianisme, par les vies des saints et les actes des martyrs. L'ère des martyrs a donné beaucoup de gloire à la Gaule, car beaucoup d'agneaux du Christ, tels les Martyrs de Lyon, ont suivi l'Agneau jusque dans son immolation, lors des persécutions déclenchées par les autorités païennes ou avec leur permission. Des confesseurs de la foi se sont signalés dès l'époque de l'arianisme, comme Hilaire de Poitiers, qui fut exilé en Orient avant de retrouver ses brebis. Dans toutes les classes de la société gallo-romaine, on trouvait des chrétiens qui pratiquaient l'aumône, l'ascèse, la prière : saint Martin de Tours, l'ancien soldat, devint le saint le plus connu et le plus vénéré de tout le pays. Vivant l'Evangile dans toute sa rigueur et dans toute sa douceur, les ermites, les anachorètes ont peuplé les lieux retirés, les grottes, les îles, les montagnes de notre terre, faisant partout fleurir les fleurs de l'ascèse porteuse de Vie : saint Hospitius vécut près de NIce en reclus, répétant sans cesse une courte prière; saint Vulfolaïc, près de Carignan, monta sur une colonne comme les stylites de l'Orient. Toutes ces formes de sainteté témoignent de l'unité du monde chrétien d'alors. Du reste, pour les âmes purifiées, le temps et l'espace s'abolissent. De telles âmes, dit saint Isaac le Syrien, "voient spirituellement, non corporellement" et peuvent contempler à distance d'autres âmes purifiées. Du haut de sa colonne, saint Syméon le Stylite pria des voyageurs en route pour les Gaules, d'y saluer de sa part la Vierge Geneviève, dont il admirait les exploits. L'organisation même de l'Eglise de ce temps révèle sa spiritualité orthodoxe. Il en est ainsi des Eglises celtiques, que le journal de la paroisse de Dinan, La BRetagne Orthodoxe, s'efforce d'étudier et de faire mieux connaître, à la lumière de la tradition patristique authentique. Longtemps, en Bretagne, les évêques ont été des déofiés, issus des monastères, et itinérants, qui allaient dans divers lieux, selon les besoins des fidèles et les commandements de l'Esprit. Le sud de la Gaule offre l'image de la civilisation romaine la plus achevée, et l'ancienne métropole d'Arles faillit devenir un patriarcat. Malgré la négligence des archéologues pour le passé chrétien, et la défaillance des pouvoirs publics pour tout ce qui touche au patrimoine dit paléo-chrétien, les pierres elles-mêmes crient, surtout celles des baptistères anciens, des tombes et des monuments rest&s debout, qui font comprendre, pour ainsi dire d'une manière palpable, l'existence d'une seule et même civilisation chrétienne au Vème siècle, s'étendant de la Syrie à la Bretagne, de l'Afrique à la Provence. Ces racines, ces lieux saints, sont une prédication silencieuse, devant nos yeux, à portée de main, mais aussi une clef pour comprendre les ruptures qui ont eu lieu en Occident et que les historiens appellent le "schisme de 1054". Or, il ne s'agit pas d'une séparation de l'Orient et de l'Occident, mais d'une lutte intérieure, qui fit rage dans les frontières mêmes de l'ancien empire romain. Les barbares qui ont envahi la Gaule, l'Italie, l'Espagne, ont en effet mis plusieurs siècles pour s'emparer complètement du pouvoir politique, puis pour contrôler l'Eglise, laquelle a longtemps assumé une fonction d'ethnarchie, de pouvoir spirituel défendant les intérêts des orthodoxes asservis. La lutte des barbares contre l'Eglise gallo-romaine a été politique et ecclésiastique, mais aussi théologique. Le monde carolingien a voulu, notamment, constituer une théologie qui ne fût pas soumise aux critères de la théologie patristique, parce que cette dernière constituait le trait d'union le plus fort entre les peuples vaincus d'Occident et les ennemis potentiels d'Orient. Elle était, en effet, celle des Gallo-romains, Italo-romains, Celto-romains..., mais aussi celle de l'empire romain d'Orient, cet empire "grec" ou "byzantin" qui, même affaibli, représentait une menace pour les royaumes germano-franks. Les théologiens franks eurent donc pour tâche de transformer ces romains d'Orient en hérétiques, que l'on pourrait massacrer tranquillement. Grâce à cette politique, les princes franks suscitèrent contre l'empire d'Orient le sinistre épisode des Croisades. La théologie "franke" se fonda à la fois sur la méthode théologique et sur certains points de doctrine, comme la prédestination, qui avaient été élaborés par Augustin d'Hippone. Cet auteur, en effet, n'avait jamais eu, avant le VIIIème siècle, l'autorité doctrinale que lui donnèrent les théologiens franks puis les scolastiques. Ils aboutirent à une théologie entièrement différente de celle des Pères. L'histoire qui suivit fut celle d'une oppression, à la fois matérielle et culturelle, de l'élément gallo-romain par les dominateurs franks. Lentement, toutefois, les aspirations politiques et culturelles des vaincus resurgirent. De multiples faits historiques, comme l'essor des communes, ou le développement de la littérature médiévale, attestent cette renaissance. De tous ces faits, de toute cette lutte des Gallo-romains soumis à la féodalité et se libérant peu à peu, les grands historiens du XIXème siècle, en particulier Fauriel et Augustin Thierry, avaient conscience et ils les ont exposés dans leurs principaux écrits. Malheureusement, leurs préjugés religieux ou anti-religieux propres, dus à leur opposition au catholiscisme qu'ils identifiaient intellectuellement avec le christianisme, n'a pas permis à ces deux historiens d'étendre leurs analyses au domaine ecclésiastique et religieux. Depuis leur temps, l'histoire a certes progressé dans ses méthodes d'analyse, mais elle est devenue aussi plus émiettée, plus éclatée, perdant la conscience de son unité. Cette unité paraît de plus en plus généralement ignorée. L'aspect religieux, quant à lui, est laissé trop souvent au soin d'historiens dont les préjugés ultramontains ne sont même plus critiqués avec le minimum de sérieux scientifique. Quant aux orthodoxes qui étudient ces questions, obnubilés par l'opposition scolaire entre Orient et Occident, ils s'interdisent de dépeindre sous leur vrai jour les résistances des orthodoxes d'Occident à l'empire germano-frank et de souligner les différences qui séparent la papauté orthodoxe de saint Grégoire le Dialogue et de Jean VIII d'avec la papauté philofranke de Nicolas Ier à Grégoire VII. Ces érudits orthodoxes sont d'ailleurs le dernier wagon, à la remorque de la science occidentale, qui, en matière religieuse, porte tantôt la livrée ultramontaine, tantôt la livrée protestante, puisqu'elle vient soit des instituts pontificaux, soit des universités allemandes. L'oeuvre de Guettée, quoique marquée par certains présupposés propres à son époque, et malgré des points de vue théologiques parfois contestables (180), pourrait être précieuse à ces érudits orthodoxes, s'ils voilaient s'atteler à une véritable histoire de l'Eglise orthodoxe en Occident. (180) : ( Ainsi, pour Guettée, la théologie augustinienne de la rédemption reste valable. C'est pourquoi, tout en critiquant fortement la manière dont le sacrement de pénitence est administré dans l'Eglise catholique, il emploie encore des expressions comme "il faut satisfaire pour le péché", expressions qui se réfèrent à l'idée de colère divine cherchant satisfaction, et autres conceptions non patristiques. Voir, sur cette question, l'introduction à l'ouvrage ci-dessus, W. Guettée, De la Papauté, p. 29-32). Il est un autre point sur lequel l'oeuvre de Guettée pourrait être assez précieuse à quelques-uns de nos contemporains. En fondant l'Union Chrétienne, en effet, Guettée était favorable à un certain dialogue oecuménique, dont Khomiakov l'avertissait qu'il ne mènerait à rien. Khomiakov écrivait en effet : " Enfait de foi, je ne conçois pas le mot d'Union; "toute alliance, ainsi que je l'ai dit dans ma troisième brochure, n'est qu'une discorde plâtrée" et n'a pas de place dans le royaume de Dieu. L'unité, l'unité absolue, telle est la loi de ce royaume. Je sais bien que dans toute religion, quelque fausse qu'elle soit, il y a déjà un principe ou une lueur de vérité; je sais que cette lueur est d'autant plus grande et plus vive que la religion même s'épure : je sais qu'elle l'est surtout dans les sectes chrétiennes; mais je sais aussi que la Vérité même, c'est-à-dire le christianisme n'est que dans l'Eglise. Par là toutes les sectes sont rejetées au rang des erreurs humaines plus ou moins déplorables... Ou bien dirons-nous qu'il ne s'agit pas d'une union ou d'une alliance doctrinale, mais d'un simple concours pour un but d'édification et d'utilité spirituelle? Eh! monsieur, pour parler aux hommes, pour les instruire, pour les améliorer, la vérité n'a pas besoin de mendier le charitable concours de l'erreur (181) ! (181) : ( Lettre à Guettée, parue dans le recueil des oeuvres françaises de Khomiakov : L'Eglise latine et le Protestantisme au point de vue de l'Eglise d'Orient, Lausanne et Vevey, 1872). Guettée jugeait impossible le dialogue avec l'institution papale comme telle, l'infaillibilité étant une machine à crééer sans cesse de nouveaux dogmes. Et, à vrai dire, si depuis un demi-siècle la papauté s'est quelque peu modernisée, elle a plutôt développé, dogmatiquement, pastoralement, médiatiquement, cette "confiscation" de la parole évangélique qui faisait imaginer à Dostoïevsky la légende du Grand Inquisiteur - dont l'une des sources fut peut-être la lecture de Guettée (182). (182) : ( W. Guettée, De la Papauté, op. cit., Introduction, p. 26-29). Ce que Guettée demandait au catholique de la base, au protestant, à l'anglican, etc... c'était de revenir véritablement interroger ce "témoin gênant" pour la papauté, cette Eglise orthodoxe qui avait gardé la tradition et les dogmes apostoliques. Ces espoirs de Guettée furent déçus, et l'on peut lire dans l'Union Chrétienne sa controverse avec son ami Döllinger (183), qui était de plus en plus attiré par cette conception supra-ecclésiale qu'on appelle la théorie des branches. (183) : ( Sur Döllinger, voir Encyclopédie Philosophique Universelle, vol. 3, Les Oeuvres Philosophiques, Dictionnaire, t. 1, Paris, 1992, p. 1721-22). La théorie des branches affirme que tous les groupes qui s'appellent eux-mêmes chrétiens sont des branches ou des parties de l'Eglise, laquelle n'existe qu'idéalement à l'heure actuelle. Aucun groupe ne peut prétendre être l'Eglise Une du Credo. Cette théorie qui se veut le berceau du dialogue, est en même temps son tombeau. Si le critère de l'unicité de l'Eglise est perdu, à quoi sert, en effet, le dialogue ou la quête commune de la vraie tradition? Ajoutons encore une remarque sur l'importance de l'histoire pour les orthodoxes d'aujourd'hui. La "romanité", la conscience de l'ancienne tradition orthodoxe romaine en Orient et en Occident, est une clef pour la compréhension de l'Histoire. Elle ne saurait être en aucun cas un idéal pour l'avenir. De la Romanité, il ne reste que des traces, essentielles pour nous, mais qui ne sont cependant que des traces. Le patriarcat de la Nouvelle Rome, Constantinople, n'existe plus réellement aujourd'hui. Ceux qui en sont les successeurs légaux, mais non légitimes, sont maintenant formés à Rome, dans la Rome "franke", et sont théologiquement les héritiers, à travers l'oecuménisme, d'un syncrétisme qui n'a plus rien à voir avec la tradition des Pères de l'Eglise. A Alexandrie, à Antioche, la situation est pire encore. Les évêques du " Nouvel âge", cet âge de la religion pan-mondiale dont le christianisme ne sera qu'une composante, sont déjà en place, "ils occupent la chair de Moïse"; mais, pires en cela que les pharisiens dont le Christ disait "ils disent mais ne font pas", ces nouveaux évêques ne dispensent même plus la parole de vérité. La Romanité a été le cadre historique dans lequel la vie ecclésiale s'est développée pendant des siècles : l'oecuménicité était celle de l'empire, les patriarcats étaient établis dans les villes capitales de l'empire. Pourquoi cela? Il n'y a pas, ici, interférence du politique et du religieux. La vérité est que l'Eglise n'est pas an-historique. Elle est bien plutôt la sanctification de l'histoire, "l'envers spirituel de l'histoire". Ainsi, dans un cantique de la poétesse Cassia, qu'on chante lors d ela nativité du Christ, deux recensements sont rapprochés : celui qui fut ordonné par l'empereur terrestre, Auguste, et le recensement invisible des coeurs qui croiraient au Dieu-Homme. Le premier était imposé par un édit impérieux, le second faisait appel à la libre volonté de l'homme. " Quand vint le temps de Ta manifestation sur la terre, se fit dans le monde le premier recensement. Tu inscrivis alors sur Ton livre les noms de ceux qui croiraient en Ta Nativité. L'édit de César fut proclamé et ton Règne éternel inauguré. Comme tribut nous T'apportons, non de l'argent, mais les trésors de la théologie orthodoxe, à Toi le Dieu et le Sauveur de nos âmes (184)". (184) : ( Laudes de la Fête de la Nativité. Traduction du Père Ambroise Fontrier). De même, l'Eglise n'a pas été un rouage de l'empire de Constantin, ni l'empire une dépendance de l'Eglise ou une préfiguration du Royaume des Cieux. Les façons humaines de penser le rapport Eglise-Etat ne valent pas, dans cette réalité historique qui, pendant des siècles, a dépassé toutes les philosophies. Cependant, ce cadre historique n'existe plus aujourd'hui. Quelque tragique que soit cette disparition, elle ne touche en rien le dépôt de la foi. Ce n'est pas, en effet, la cadre qui fait la foi; ce n'est pas la conciliarité matérielle, la présence de tous les patriarches, qui fait l'universalité de la foi; ce n'est pas l'évêque qui fait l'Eglise. C'est la foi des Apôtres et des Pères qui fait la conciliarité, c'est l'Eglise qui fait l'évêque, c'est la confession de la vérité qui garantit l'universalité. Un concile, les Pères l'ont souvent écrit, peut réunir tous les patriarches, toutes les Eglises : s'il est contraire à la foi confessée par les Pères et les conciles oecuméniques du passé, il n'est pas un concile de l'Eglise. C'est un brigandage, comme l'a été le concile d'Ephèse de 449 que les "orthodoxes" de Chambézy prêts à s'unir avec les monophysites s'apprêtent, hélas, à reconnaître implicitement. L'intérêt orthodoxe pour l'histoire de l'Eglise ne procède pas d'un amour romantique du passé, ni ne débouche sur des leçons de politique. L'histoire de l'Eglise contient quelque chose d'éternel, parce que les saints et les martyrs sont éternellement vivants et intercèdent pour nous auprès du Seigneur. La connaissance des évènments, si tragiques soient-ils, nous enseigne la solidité de la tradition de la foi; ils sont comme des "fenêtres sur l'éternité". L'orthodoxie refuse le traditionalisme, elle ne se vêt pas des oripeaux du passé; mais elle vit d ela tradition, elle vit du dépôt de la foi, que chaque déifié régénère à sa manière. L'homme de la vraie tradition ne copie pas les formes extérieures du passé, il ne singe pas la piété d'autrefois : mais il fait tout pour recevoir, ici et maintenant, le Saint Esprit. Et quand il l'a reçu, il sait qu'il a reçu le même Esprit que les saints du passé; la communion dans "l'Esprit et dans la Vérité" abolit le temps, éclaircit l'histoire véritable. Le Père Wladimir Guettée a cherché et trouvé la foi apostolique véritable. Il y a été guidé par ses savantes recherches sur les monuments historiques et dogmatiques des premiers siècles de l'Eglise. Mais en confessant cette foi, dans un lieu et un temps hostiles, ceux de l'ultramontanisme étroit qui préparait au Concile de Vatican I, il s'est élevé "au-dessus de la chair et du sang" et il est devenu un des témoins privilégiés de l'histoire de la foi orthodoxe en France. Puisse notre Seigneur Jésus Christ, au jour redoutable de Son second avènement, donner au Père Wladimir Guettée d'habiter dans le séjour des vivants, sous les tentes des justes et qu'Il lui accorde, dans le lieu de repos, dans le lieu verdoyant, dans le lieu lumineux, la Mémoire éternelle. Amen! + Père Patric Ranson TABLE DES MATIERES Introduction 1. Dogme trinitaire La réaffirmation de l'hérésie du Filioque 2. Une ecclésiologie étrangère à la tradition de l'Eglise 3. Les Mystères de l'Eglise 4. L'économie de notre salut 5. La vie spirituelle Appendice. PERE PATRIC RANSON : Le Père Wladimir Guettée (1816-1892) Achevé d'imprimer en octobre 1993 sur système Variquik par l'imprimerie SAGIM à Courtry Imprimé en France Dépôt légal: Octobre 1993 N° d'impression: 508 QUATRIEME DE COUVERTURE Depuis le concile de Vatican II, l'Eglise catholique semble avoir amorcé un mouvement de rapprochement à l'égard des autres Eglises chrétiennes. Son nouveau catéchisme, publié en 1992, persiste dans cette tendance. Ce texte prétend s'inscrire dans la continuité de l'enseignement des Ecritures, des Pères et des Conciles, et semble ainsi englober l'orthodoxie, restée fidèle au dépôt universel de la foi. Maais que peuvent en penser les premiers destinataires de cette tentative de séduction : les chrétiens orthodoxes? Les auteurs, orthodoxes français, s'attachent, sans complaisance ni passion polémique, à relever les plus importantes erreurs et contradictions internes du Catéchisme romain. Ils montrent que la théologie vaticane, bien qu'elle prétende se situer dans la tradition, est cependant en opposition radicale avec elle sur des points théologiques fondamentaux. Sous couvert de ressourcement, le catéchisme réintroduit donc habilement des dogmes historiquement illégitimes qui commençaient à être mis en doute par les fidèles et les historiens catholiques eux-mêmes. En se référant de manière partielle et équivoque à la tradition, il la dépossède délibérément de sa substance vive. FIN

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