samedi 14 décembre 2019

Cyriaque Lamprylos, La mystification fatale.

CYRIAQUE LAMPRYLLOS

LA MYSTIFICATION FATALE
Etude orthodoxe sur le FILIOQUE
Ed. L'AGE D'HOMME
Collection " La Lumière du Thabor"
dirigée par Laurent Motte
et + Patric Ranson

"La Lumière du Thabor" est le nom d'une revue orthodoxe, publiée par la Fraternité Orthodoxe Saint -Grégoire-Palamas, 30 bd de Sébastopol 74004 Paris.
c by Editions L'Age d'Homme, Lausanne, 1987
INTRODUCTION
CYRIAQUE LAMPRYLLOS
ET L'ESPRIT DE La ROMANITE
Un évêque grec, Monseigneur Kallinikos d'Achaïe, venu récemment en France visiter quelques fidèles orthodoxes dans la région de Toulouse fut conduit par eux dans une église romane. Là, Mgr Kallinikos ressentit soudain l'identité spirituelle et culturelle entre cette église de l'ancienne Gaule méridionale et les petites églises "byzantines" où il prie et célèbre la liturgie depuis de nombreuses années. Il percevait ainsi les vestiges de la tradition gallo-romaine comme une expression encore vivante de la foi orthodoxe, comme un lien naturel entre la foi des Pères et celle de nombreux occidentaux qui retrouvent aujourd'hui l'orthodoxie. Aussi écrivit-il sur le livre d'or d'un monastère orthodoxe de cette région : " Gloire au Sauveur ressuscité, Notre Seigneur Jésus Christ et à sa très Sainte Eglise Orthodoxe... parce qu'il nous a rendus dignes d'arriver jusqu'à cette frontière du sud-ouest de la Romanité; Ici, en ce lieu, préexistait l'orthodoxie, lorsque la romanité était maîtresse; elle recula lorsqu'elle fut soumise aux Franks, mais elle renaît en plein XXème siècle lorsqu'il se trouve des enfants dignes d'elle". Il est vrai qu'aujourd'hui l'homme d'Occident retrouve dans la liturgie, dans l'architecture, dans les icônes orthodoxes le monde religieux dont il se sent mystérieusement proche; il éprouve parfois la nostalgie d'un pays dont, la plupart du temps, il ne sait pas qu'il a été le sien avant que la féodalité ne vienne imposer une conscience nationale et un christianisme auxquels le peuple devait devenir indifférent. Les vestiges pré-romans et romans lui parlent un autre langage que les cathédrales gothiques des conquérants : mais il ne sait pas l'interpréter. Durant cette longue "captivité à Babylone" de la Tradition orthodoxe en Occident, rares ont été les témoins et les amis de cette unité spirituelle de l'"Orient" et de l'"Occident". Cyriaque Lampryllos - "le lumineux" - a été l'exemple quasiment unique d'un orthodoxe grec venu en Occident défendre l'orthodoxie dans une langue qui n'était pas la sienne, le français. Cyriaque Lampryllos est né en 1810 dans l'île de Cythère, au sud du Péloponnèse, à la veille de la grande insurrection hellénique contre le joug musulman. Il était, comme de nombreux grecs instruits, d'une race sacerdotale, d'une longue lignée de prêtres pieux et fidèles à leur foi dans une région que la "tiare" et le "turban" s'étaient plus d'une fois disputés. Il vit, dans son enfance, les débuts de l'hétairie, cette association secrète dont le but était la victoire sur les Turcs et la libération d ela patrie; il entendit parler aussi des héros du soulèvement, les Colocotroni, les Makryannis... qui engageaient la lutte contre les Turcs alors que l'Europe entière et la Russie, liée par la Sainte Alliance, y étaient hostiles. Après ses études secondaires, sa famille l'envoya étudier le droit à l'université de Sienne. Là il prend conscience de cette unité cachée de l'Italie avec l'orthodoxie et, dans le sud, plus particulièrement encore avec l'hellénisme. Il étudie les dialectes de l'Italie du Sud, et leur parenté avec le romaïque ou grec moderne. Il y voit une "preuve incontestable que la vie morale et intellectuelle était une entre les deux centres" ( l'Italie et Constantinople) et que "l'Italie méridionale était alors non seulement hellénisée, mais profondément byzantinisée, que c'était de l'empire de Constantinople qu'était venue sa culture grecque". Toute sa vie Lampryllos prit des notes sur ce sujet et son dernier livre - aujourd'hui perdu - était consacré à l'Italie méridionale (1). (1) : (Cf La Mystification Fatale, Appendice C. Hellénisation de l'Italie Méridionale au Moyen-Age. Le livre de F. Lenormant, La Grande Grèce, auquel se réfère Cyriaque Lampryllos a été publié en 1881-1884. On trouveranune bibliographie plus récente sur ce sujet dans J. Décarreaux, Normands, Papes et Moines en Italie Méridionale et en Sicile XI-XIIème siècle, Paris 1974. Le livre que Lampryllos écrivit sur cette question fut confié à un Italien, Ant. Frabasile qui en annonça la publication. Nous n'en avons trouvé à ce jour aucune trace). Devenu avocat, il doit exercer son métier à Bucarest, mais un an seulement, car il peut renoncer au barreau à la mort de son père qui lui laisse une rente honorable. Il se consacre alors à la défense de l'hellénisme et de l'orthodoxie. Il publie le Missionnaire dans lequel il combat le prosélytisme protestant en Anatolie et à Smyrne en particulier. Dans "Le Turban et la Tiare", il explique et justifie le mot célèbre de Notaras qui avait dit lors d ela prise de Constantinople en 1453 : " Il est préférable de voir régner à Constantinople le Turban des Turcs plutôt qu'un chapeau de cardinal" (1). (1) : ( Les historiens modernes voient dnas le mot de Notaras un crime de lèse-Occident. Lampryllos cite dans Le Turban et la Tiare certains propos oubliés de papes et d'ultramontains; ainsi le pape Grégoire VII disiat des Espagnols : " Qu'ils tombent sous l'oppression des Arabes, plutôt que de ne pas se soumettre à ma domination!"; et au XIXème siècle, le très ultramontain journal de L. Veuillot, L'Univers écrivait : " Ah! pour le coup, comme catholique, nous ne craignons pas de dire ni de répéter hautement : " Plutôt mille fois le Turc ou le Tartare que le Grec ou le Russe"). Dans les Quelques remarques sur les fonctions de la Grèce et de Rome dans la propagation du christianisme, il tente de montrer la prépondérance du caractère hellénique sur l'élément latin dnas la prédication apostolique (2). Il publie enfin La séparation des deux éléments chrétien et musulman. (2) : ( Lampryllos identifie généralement hellénisme et orthodoxie. Il rappelle à juste titre que saint Paul parlait et écrivait en grec, mais il oublie que l'Apôtre était citoyen romain). C'est sa soeur Hélène Lampryllou qui trouve le manuscrit de La Mystification Fatale et le publie en 1883 sous la direction de Léandre d'André chez le petit imprimeur athénien A. Coromilas. Ce livre est sans aucun doute l'une des études historiques les plus complètes sur la question du filioque. Le Filioque est cette insertion au Credo de Nicée-Constantinople de la double procession du Saint Esprit : alors que le Credo originel dit que le Saint Esprit procède ( provient personnellement) du Père, le Credo modifié des Franks dit qu'Il procède du Père "et du Fils" ( Filioque). On sait que cette addition a été la principale cause de séparation entre la papauté et les quatre autres patriarcats orthodoxes. La Mystification Fatale est devenue si rare aujourd'hui que nous n'en avons trouvé un exemplaire que dans le fond d'une bibliothèque américaine. Quelques savants théologiens pourtant s'y réfèrent avec admiration : l'Abbé E. Michaud, lors de s aparution, en fait l'éloge dnas la Revue Internationale de Théologie et à notre époque, le Père Spiridon Bilali y puise avec et le lecteur jugera que ce livre unique méritait d'être republié. La mémoire de Cyriaque Lampryllos semble avoir été oubliée en Grèce comme en Europe, bien que s asoeur ait fait construire uen église votive à saint Cyriaque, dans l'orphelinat Hadjicostas. Mais nous trouvons aujourd'hui dans les écrits de Lampryllos cet esprit de la romanité que les orthodoxes apprennent à redécouvrir en Occident et qui leur donne la clef de leur propre histoire spirituelle. La romanité orthodoxe et son asservissement La prédication apostolique s'est accomplie essentiellement dans le cadre de l'empire romain; elle a tiré profit de l'absence de frontières politiques ( Rome avait fait l'unité) et linguistiques, car le grec, et plus encore que le latin, était la langue commune de l'immense empire (1). (1) : ( Tous les Pères de l'Eglise qui ont écrit en latin étaient bilingues, à l'exception du seul Augustin qui ne put jamais apprendre le grec. Lampryllos note dans ses Quelques remarques que la connaissance du grec subsiste jusqu'au XIIème siècle dans certaines régions! A cette époque, il y avait encore un monastère hellénophone à la Sainte Baume). Conformément aux règles ou canons établis par les Apôtres eux-mêmes, l'Eglise a épousé les formes administratives de cet empire, les grandes capitales, Rome, Antioche, Alexandrie devenant les sièges des métropoles religieuses les plus importantes (2). (2) : ( Ce fait est reconnu aujourd'hui par certains historiens catholiques-romains. Dvornik, dans son livre Byzance et la primauté romaine le nomme "principe d'accommodement" : " Ce principe d'accommodement à la primauté romaine a été introduit par les Apôtres eux-mêmes"). Egaux dans l'épiscopat, les évêques de chaque région reconnaissaient néanmoins un "premier" parmi eux, le métropolite, non pas monarque, mais plutôt coordinateur, soumis lui-même à l'assemblée de tous ses co-évêques. Avec la victoire de Constantin sur le païen Licinus, s'acheva le temps des grandes persécutions païennes et peu à peu, les décisions des conciles chrétiens pénétrèrent dans le droit romain et l'adoucirent. Une ville fut créée, la Nouvelle Rome, indemne du paganisme, cette Constantinople, qui durant plus de mille ans, allait être la capitale de l'Empire Romain, de l'Empire chrétien. Constantinople régnait sur un empire aux deux parties, l'Orient et l'Occident, symbolisé par l'aigle à deux têtes et uni spirituellement dans le christinaisme. Seule une perspective historique faussée, imposée par les conquérants barabares qui ont détaché de l'empire sa Partie Occidentale et créé l'Europe, nous fait considérer Constantinople comme une ville lointaine et "orientale" et la désigner du nom de Byzance, le village qu'elle avait remplacé. L'unité romaine de l'Empire ne fut pas rompue, en effet, par les hérésies qui divisèrent les patriarcats entre eux, le peuple et les empereurs et parfois les villes et les monastères. Ni l'arianisme, ni les autres grandes hérésies dogmatiques, ni même l'iconoclasme (3) n'ébranlèrent la conscience romaine ou romaïque qui devait demeurer vivante bien après la mort du dernier empereur romain Constantin XI sous les murs de la nouvelle Rome en 1453 : (3) : ( Sur ce point contesté et sur la politique prudente de Constantinople à l'égard des rois barbares, voir A. Gasquet, L'Empire Byzantin et la Monarchie Francque, Paris, 1888). ainsi les Turcs donnèrent-ils aux chrétiens le nom de "Roumis"", très mal à propos traduit par "Grecs" : les peuples d'Asie Mineure, quoique hellénophones, ne se sentaient guère d'affinités avec la petite Hellade des Anciens, et gardaient leur coeur tourné vers le glorieux empire chrétien de naguère. Ils ne s'appelaient eux-mêmes que "Romioi", Romains ou Romans. En Occident, on date parfois la rupture de l'unité romaine de la prise de Rome par Alaric en 410; mais Rome n'était plus alors le centre politique, administratif et culturel de l'Empire et sa chute ne fut qu'une péripétie, spectaculaire il est vrai, de la lutte entre les barbares et les romains. En réalité, les invasions barbares, wisigothiques, lombardes, vandales, francques, malgré leur violence, n'ont pas brisé cette unité nationale romaine; elles n'ont pu, dans un premier temps, que déplacer son centre visible : dans la déroute des structures politiques romaines, c'est autour de l'Eglise que le peuple vaincu s'est retrouvé et c'est elle qui a exercé alors une véritable ethnarchie. Avec elle les barbares devaient transiger; l'évêque encore librement élu par les fidèles et le clergé, était leur interlocuteur. En Gaule, cette ethnarchie fut longtemps assumée par l'évêque d'Arles (1), - vraie capitale romaine -, qui a porté le nom de Constantine -, en Espagne par celui de Cordoue, en Italie par celui de Rome. (1) : (Voir sur ce point F. Mistral, Trésor du Félibrige s.v. Counstantino et Romania; et J. Romanidis, Romiosyné ( en grec).). A la fin de l'époque mérovingienne, la politique des Franks eut pour but de réduire l'importance de l'Eglise en empêchant la réunion des Conciles provinciaux dans l'Eglise des Gaules (2). (2): (A partir du VIIème siècle on ne trouve pas de conciles généraux de la Gaule. Même les conciles locaux disparaissent alors : celui d'Auxerre en 495 est le dernier dont on ait conservé les canons. Cf. A. Kleinklaus, C. Bayet, C. Pfister. " Le Christinaisme, les Barbares, Mérovingiens, Carolingiens" dans l'Histoire de France de Lavisse; réédition 1981). Les princes firent pression sur l'Eglise et un épiscopat frank se constitua peu à peu, généralement en conflit avec la hiérarchie ecclésiastique romaine. Sous Charlemagne, où cette politique consistant à investir l'Eglise de l'intérieur, devient systématique, les évêques de l'ancienne Gaule romaine sont profondément divisés, en particulier sur la question des icônes et celle du filioque. Certains conciles, tels celui d'Aix la Chapelle en 809, se disloquèrent avant la fin des sessions, faute d'une entente entre l'épiscopat romain et l'épiscopat frank (1). (Il est très probable que les actes du Concile d'Aix La Chapelle de 809 ont été détruits parce qu'ils n'étaient pas en faveur du filioque). Charlemagne, qui était roi des Franks, n'avait aucune légitimité auprès des populations italo-romaines et gallo-romaines. Son pouvoir était de fait, non de droit. Pour acquérir cette légitimité et asseoir sa puissance, il entreprit une oeuvre à la fois politique et religieuse : d'une part, il voulut devenir empereur pour faire pièce au véritable empereur, celui de Constantinople et le supplanter dans la conscience des romains en Occident; d'autre part, il chercha à confisquer l'Eglise pour faire perdre aux peuples asservis l'idée qu'ils étaient citoyens libres de l'empire de Constantinople et frères des romains orientaux, partageant la même foi. Ces derniers pour Charlemagne n'étaient qu'une race étrangère, celle des "Grecs". Comment réalisa-t-il ces deux points? Il força le pape Léon III, qui représentait la légitimité "romaine" à le couronner empereur en 800, espérant ainsi être reconnu par le peuple comme une autorité romaïque. Il reprit ainsi et acheva l'oeuvre de Clovis. D'autre part, il fit tout pour déconsidérer la théologie patristique orthodoxe en laissant entendre qu'elle était hérétique et désormais caduque, depuis qu'une théologie bien supérieure avait fait son apparition : la nouvelle théologie francque. C'est dans un tel climat politique qu'il faut comprendre l'importance donnée au filioque, que les théologiens de Charlemagne ont présenté comme un progrès dans la connaissance rationnelle de la Sainte Trinité obtenu grâce aux catégories de la philosophie d'Aristote. L'affirmation dogmatique de la double procession du Saint Esprit était contraire à la théologie définie une fois pour toutes au Deuxième Concile Oecuménique, celui de Constantinople, en 381; réunis pour dissiper l'hérésie des Macédoniens, qui jiaient la divinité du Saint Esprit, les Pères de ce Concile avaient énoncé que le Saint Esprit était Dieu, absolument semblable en tout au Père et au Fils, étant avec eux une seule essence; c'est en tant que personnes que le Père, le Fils et l'Esprit sont distincts, leur nature est une. Et l'attribut hypostatique ou personnel qui caractérise le Saint Esprit et le distingue, au sein de la Trinité, s'appelle la procession hors du Père. Le sixième article du Credo résume toute cette théologie unitive et distinctive, tout cet enseignement sur le Saint Esprit que l'Eglise avait reçu de la Tradition. L'insertion du filioque au Credo non seulement remettait en question cette théologie, mais s'opposait de surcroît à la décision du IIIème Concile Oecuménique, tenu à Ephèse en 431, où les Pères avaient décidé de sceller le Credo et de n'y rien ajouter ni retrancher. Les explications théologiques qu'on en ferait ultérieurement ne pourraient plus y être incorporées (1). (1) : ( Une traduction française des Actes du Concile d'Ephèse a été faite par A.J. Festugière, Paris, 1982). Alors que Charlemagne y voyait surtout un moyen d'affirmer la domination francque, le filioque se révélait totalement inacceptable pour les romains orthodoxes des Gaules et de l'Italie. La papauté en particulier ne pouvait l'admettre et malgré la pression des empereurs germaniques, aucun pape n'accepta d'ajouter le filioque au Credo avant le XIème siècle. Mais la lutte pour la domination politique et religieuse de l'occident s'établit, après la mort de Charlemagne, à Rome même : il y eut un parti germanophile et un parti romain favorable à l'empereur légitime de Constantinople. Les Franks sentaient bien que, s'ils parvenaient à se hisser au trône patriarcal de l'Ancienne Rome, l'Occident tout entier serait à leur merci : le servage des âmes qu'ils tentaient d'établir deviendrait réalité. Le parti germanophile obtint une grande victoire avec l'élection du pape Nicolas Ier, véritable fondateur de la pappauté moderne, qui, pour la première fois dans l'histoire, affirma la primauté juridictionnelle du pape sur toute l'Eglise - et en particulier sur l'Eglise de Constantinople. Adoptant le point de vue germano-frank, Nicolas Ier ne s'adressait jamais à l'empereur Basile qu'en l'appelant "empereur des Grecs " ou "des terres grecques". Les romains d'Orient devenaient des étrangers, voire des ennemis. Mais quelques années plus tard, en 872, le pape Jean Viii, romanophile, réduisit à néant l'oeuvre de Nicolas et fit confesser solennellement par ses légats le Credo sans l'addition du filioque au Concile de Constantinople en 879-880, que l'Eglise Orthodoxe reconnaît comme VIIIème Oecuménique (2). (2) : ( Le Concile de 879-880 peut être considéré comme oecuménique pour plusieurs raisons : il fut réuni pour une raison dogmatique - affirmer le caractère inaltérable du Credo; les cinq patriarcats : Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem y furent représentés. Les légats du Pape Jean VIII qualifièrent toute addition au symbole de la foi d'"insulte inqualifiable aux Pères". Voir Mansi 17 A et 18 A, 516 c. Enfin, c'est ce Concile de 879 qui reconnut le caractère oecuménique du VIIème Concile, tenu à Nicée en 787 et qui condamna l'iconoclasme). Ce concile réitéra l'interdiction de modifier le Credo et condamna le filioque comme hérétique. Peu de temps après, Jean VIII fut assassiné à coups de hache, mais les troupes "byzantines", ou, pour mieux dire, romaines, répondant à son appel, libéraient le sud de l'Italie de la domination germanique. Au début du XIème siècle en 1009, la situation s'inversa définitivement. Le dernier pape romain orthodoxe Jean XVIII fut chassé et un pape germanique usurpa le patriarcat orthodoxe de Rome : Serge IV, évêque adultérin de Rome qui, accédant au trône épiscopal, écrivit aux quatre autres patriarches une lettre de communion qui renfermait la doctrine de la double procession et provoqua immédiatement la rupture. Les quatre patriarches orthodoxes rompirent alors toute communion avec le pape. Quelques années après, Benoît VIII, proche de l'empereur d'Allemagne Henri II, fit insérer le filioque au Credo. La romanité ne disparut pas complètement en Occident, elle ne fut pas totalement asservie partout, mais elle perdit la voix qui avait eu jusque là l'autorité spirituelle pour la défendre.Les papes franks du XIème siècle, et surtout Grégoire VII, arrachèrent par lambeaux ce qui était propre à la tradition orthodoxe antérieure. Un nouveau monachisme, tourné vers l'action politique et sociale, organisé en "ordres", se constitua. Par la suite ce monachisme devint un immense atelier de propagande francque, et joua un grand rôle dans la falsification des textes patristiques, destinée à justifier le filioque. Même les plus grands noms de la scolastique, comme Thomas d'Aquin, utilisèrent une documentation tronquée et falsifiée pour réfuter les "erreurs des Grecs"(1). (1) : ( C'est le savant allemand Reusch qui, à la suite du grand érudit français J. de Launoy, dénonça la falsification. Les textes des Pères avaient été "préparés" dans les ateliers du Vatican sur ordre du pape Urbain IV. Thomas d'Aquin utilisa le "libelle" d'Urbain IV pour écrire son Contra errores Graecorum. Cf. les Abhandlungen des K. Bayer. Ak. des Wiss., Munich 1889, où l'on trouvera la communication que Reusch présenta sur le sujet à l'Académie de Munich). Ils se mirent au service de la papauté francque dont ils tentèrent de justifier les prétentions universalistes : le pape était le suzerain dont les évêques devenaient les vassaux, le bas-clergé et les fidèles représentaient la race romaine soumise aux Franks. A bien des égards, dans sa ctructure, la papauté n'est rien d'autre que la forme religieuse de la féodalité. Certes, il y eut encore des vestiges de la romanité : certaines formes de Gallicanisme, le refus de la féodalité dans le Sud de la France, les traditions liturgiques locales conservées ici ou là, et, politiquement, la renaissance du régime municipal, si magistralement étudiée par Augustin Thierry. La preuve de cette permanence souterraine de la romanité est sa résurgence au XVIIème et XVIIIème siècles, quand les historiens du Tiers Etat, posant la question de la légitimité du pouvoir royal, affirmèrent que le gouvernement des Franks, dont la monarchie était l'héritière, leur était étranger (1); (1) : ( Au XVIIème siècle, le problème ne pouvait pas être abordé de front : l'historien Fréret fut envoyé à la Bastille pour l'avoir exposé trop clairement). aussi Siéyès écrivait-il dans sa célèbre brochure Qu'est-ce que le Tiers Etat? : " Le Tiers Etat ne doit pas craindre de remonter dans les temps passés. Il se rapportera à l'année qui a précédé la conquête... Pourquoi ne renverrait-il pas dans les forêts de la Franconie toutes ces familles qui conservent la belle prétention d'être issues de la race des conquérants et d'avoir succédé à leurs droits? La Nation, alors épurée, pourra se consoler, je pense, d'être réduite à ne plus se croire composée que des descendants des Gaulois et des Romains" (2). (2) : ( Siéyès. Qu'est-ce que le Tiers Etat? Paris, 1788, chap. II, p. 32). Le bonnet phrygien de la Révolution et tout son aspect romain illustrent ce retour à la romanité et s'expliquent, au moins en partie, par lui. Selon le témoignage du Citoyen Dupuis, au lendemain de la Prise de la Bastille, une foule immense alla rendre grâces à sainte Geneviève dans son église : celle qui avait jadis protégé son peuple des Huns et des Francs venait de délivrer de nouveau les Parisiens. Mais cette flambée fut bientôt suivie de la lutte acharnée contre la "superstition" et remplacée par le culte de l'être suprême, cette carcasse vide du concept d'être des scolastiques. Aussi la conscience de la romanité reparaissait, mais devenue hostile à la forme francque et occidentale du christianisme, elle renaissait indifférente à la foi, incapable de revenir à l'orthodoxie qu'elle ne connaissait plus depuis des siècles. L'échec de la restauration religieuse Les grands historiens du début du XIXème siècle ont vécu et analysé la Révolution de 1789 comme une restauration du pouvoir du Tiers Etat, du peuple gallo-romain asservi par les Franks. Guizot écrivait : " La Révolution a été une guerre, la vraie guerre, telle que le peuple la connaît entre peuples étrangers; Depuis plus de treize siècles, la France en connaît deux, un peuple vainqueur et un peuple vaincu; depuis plus de treize siècles, le peuple vaincu luttait pour secouer le joug du peuple vainqueur. Notre histoire est l'histoire de cette lutte. De nos jours une bataille décisive a été livrée, elle s'appelle la Révolution" (1). (1) : ( Guizot. Du Gouvernement de la France depuis la Restauration, 1820). Augustin Thierry fait le récit de la libération progressive du Tiers Etat, peuple obscur, privé jusque là d'histoire (2). (2) : ( A. Thierry. Essai sur l'histoire de la formation et des progrès du Tiers Etat, 1850). Fauriel étudie la Gaule méridionale sous la domination barbare et montre le rôle, occulté jusque là, de la Provence dans la formation de la littérature médiévale (3). (3). ( Fauriel. Histoire de la Gaule méridionale sous la domination des conquérants germains, Paris, 1836). Mais c'est E. Quinet qui, le premier, comprend que la victoire politique a été insuffisante : l'âme n'a pas suivi ce que le corps politique accomplissait, la féodalité spirituelle n'a pas été abolie avec les privilèges lors de la Nuit du 4 août : le "servage des vieux systèmes " est demeuré. Les romains, dirions-nous, sont restés esclaves des conceptions franques. " Supposez, écrit Quinet, que la Révolution Française eût mieux apprécié l'organisation du monde religieux, elle eût pu appuyer son levier sur tout ce qui renferme un élément de liberté morale et renverser par là l'édifice de toute tyrannie... Elle aurait osé réduire son ennemi; mais n'ayant fait aucune différence dans l'échelle des choses religieuses, elle a déchaîné contre elle la religion même" (4). (4) : ( E. Quinet, La Révolution religieuse au XIXème siècle. Oeuvres complètes, Paris 1867, tome XI, p. 213). Toute sa vie, Quinet a cherché l'idéal religieux que la Révolution Française n'avait pu restaurer, il a lutté contre les vestiges de la "glèbe" spirituelle, et à la fin de sa vie, il fut hanté par l'idée de voir la papauté s'allier avec les dépouilles du Saint Simonisme pour créer une nouvelle féodalité des teps modernes et transformer toutes les Eglises locales en "religions politiques", toutes configurées sur le modèle de l'Eglise papale. Cyriaque Lampryllos, grand lecteur des historiens français du début du XIXème siècle, est sans doute arrivé trop tard pour favoriser le retour à la romanité religieuse, à l'ancienne tradition de l'Eglise gallo-romaine. D'autres ont tenté ce retour avec plus ou moins de bonheur, comme W. Guettée et E. Michaud (1), mais le renouveau de la conscience romaine en Occident était déjà passé(2). (1) : ( L'abbé Guettée, historien de l'Eglise gallicane, revint à la tradition patristique de l'orthodoxie. Son disciple, E. Michaud, espéra longtemps voir le vieux-catholicisme se réunir à l'orthodoxie, mais en vain). (2) : ( La très grande popularité de l'insurrection grecque aurait pu favoriser une meilleure connaissance de l'orthodoxie en Occident. Malheureusement, ce fut la Grèce qui fut influencée par l'Europe au point de perdre à son tour cette conscience romaïque qui faisait jusque là sa grandeur. On regarda vers la Grèce des Cités païennes, non plus vers celle de l'Empire chrétien. Le grand responsable de ce désastre spirituel et culturel fut Koraïs. Lampryllos le cite favorablement, mais il faut voir là un trait, excessif sans doute, de son patriotisme). Cependant, l'oeuvre de C. Lampryllos définit la voie, la méthode d'un tel retour à la tradition patristique. La méthode de Lampryllos Cyriaque lampryllos dénonce l'historiographie française sur laquelle repose une fausse compréhension de l'histoire de l'Eglise et des dogmes. Il reprend sur ce point la thèse d'Adam Zernikaw. Cet érudit allemand devenu moine au monastère des Grottes de Kiev avait consacré sa jeunesse à visiter les grandes bibliothèques européennes pour y lire tous les manuscrits anciens des Conciles et des Pères concernant le filioque. Zernikaw avait relevé les falsifications et les ajouts marginaux des manuscrits, introduits par des copistes trop zélés pour le filioque (3). (3) : ( L'historiographie moderne, dépendante de l'historiographie ultramontaine, ne cite jamais Zernikaw. Nous espérons traduire et publier bientôt ce monument de l'histoire de la théologie). Mais Lampryllos ajoute à ce propos une idée qui devrait séduire les historiens modernes : l'addition du filioque dans les textes des Conciles de Tolède a été, à l'origine, une mystification, l'une de ces petites erreurs absurdes dont les écrivains dévoués à l'Etat s'emparent pour créer des systèmes, des idéologies de plus en plus complexes. D'abord simple erreur sur le texte même du Credo, le filioque a cristallisé des intérêts ethno-politiques qui l'ont puissamment appuyé, par la force temporelle quand les preuves morales manquaient. Ce filioque a été le mythe des Franks et, le pouvoir de leurs descendants aboli, le mythe est resté au centre de la théologie occidentale qui n'en finit pas de le justifier. On imagine ce que le sociologue Gabriel Tarde (1), lui-même en conflit avec l'école positiviste, aurait pu tirer de l'analyse de cette "petite différence" destructrice de la pensée théologique occidentale et ne reposant que sur l'erreur collective des wisigoths ignorants établis en Espagne à la fin du VIème siècle. (1) : (G. Tarde. Les lois de l'imitation). Le filioque est devenu au cours des siècles le grand mythe de la papauté, le fondement de la supériorité théologique de l'Occident sur la pensée patristique orthodoxe. Là aussi La Mystification Fatale indique la méthode qui permettrait à l'Occident d'accomplir sur le plan ecclésiologique sa véritable révolution copernicienne : l'Eglise ne doit plus tourner autour de la papauté comme dans l'ancien système religieux et féodal des Franks; que le pape lève les yeux et reconnaisse qu'il n'est pas le centre stable de l'univers religieux; qu'il se meuve, comme la terre, à la rencontre du Soleil de Justice et qu'il reprenne sa place parmi les astres du ciel, qui, dans l'Apocalypse, symbolisent les Eglises. Tant que cette révolution copernicienne n'aura pas été accomplie, les problèmes dogmatiques ne pourront pas être posés sérieusement en Occident. Cyriaque Lampryllos, écrivant après la proclamation du dogme de l'infaillibilité pontificale au Concile de Vatican I, où l'autorité papale fut déclarée supérieure à l'Eglise, était d'un très grand pessimisme quant à l'éventuelle réforme des principes mêmes de la papauté : " Assurez-leur la prédominance spirituelle sur le monde chrétien, et vous les trouverez coulants et accommodants en tout. Ils vous aboliront tout dogme que vous voudrez, et ils vous en créeront de nouveaux; ils vous aboliront même le filioque, si cela peut amener au même résultat" (2). (2) ( P. 66-67 ci-dessous). Puisse-t-il se tromper et la Papauté moderne revenir un jour à la tradition patristique orthodoxe des Grégoire le Grand, des Léon III et des Jean VIII! + Patric Ranson et Laurent Motte Note. - Nous avons transcrit les mots grecs en caractères latins, en utilisant le tréma pour signaler les voyelles longues non accentuées ( ö, ë). Nous tenons à remercier le P. Joseph Terestchenko qui nous a aidé à retrouver le texte original de la Mystification fatale. PREMIERE PARTIE ORIGINE DE L'INSERTION DU FILIOQUE §1. - Erreur du concile de Tolède qui croit se fonder sur le symbole nicaeo-constantinopolitain. En l'an de grâce 589, se trouvait réuni dans la ville de Tolède en Espagne, un concile convoqué par le roi des Visigoths Récarède à peine converti avec ses sujets de l'arianisme à l'Orthodoxie. Ce fut le troisième de ceux qui ont été célébrés en cette ville. Les actes de ce concile rapportent, entre autres choses, qu'on y a récité en entier le symbole de la foi qui avait été promulgué à Nicée et à Constantinople. Cependant on y voit, en ce qui regarde la procession du Saint-Esprit, l'addition des mots fameux filioque, sans qu'il y ait eu discussion préalable, pas même la moindre mention, sur la convenance de cette addition, mais comme si ces mots s'y fussent trouvés compris dès le moment de sa promulgation. Le deuxième canon de ce concile contient les paroles suivantes : " Que le symbole du concile de Constantinople, c'est-à-dire des cent quatre-vingt-dix évêques, soit récité dans toutes les églises d'Espagne et de Galice ( par Galice on entend ici la Gaule Narbonnaise), d'après la forme des églises Orientales, afin que, après avoir rendu témoignage à la vraie foi, le peuple soit plus pur pour participer au mystère du corps et du sang de Jésus-Christ." L'anathème XI est lancé contre ceux qui professeraient une autre foi que celle décrétée dans les quatre premiers conciles oecuméniques, et l'anathème XXII contre ceux qui tenteraient de la dépraver, de la corrompre et de la changer. Néanmoins l'anathème III dit : " Quiconque ne croit pas au St-Esprit, ou qui ne croit pas qu'il procède du Père et du Fils, et qu'il leur est égal, qu'il soit anathème." Ce qui est déjà altérer le symbole décrété à Constantinople. (Labbe et Cossart, Sacrosanct. concil. t. V p. 693-706). § II. - L'Insertion du Filioque dans les actes de ce Concile est-elle une falsification ultérieure? D'où peut venir cette contradiction, et que doit-on en penser? Quelle autre chose si ce n'est de conclure que le texte de ce symbole, qui avait cours dans les Espagnes, se trouvait faussé, et que ces gens croyaient de bonne foi ne réciter ce symbole que dans son état original et primitif, tandis qu'il avait subi une notable altération. Zernicavius fait la remarque que, dans les anciennes éditions des conciles, dans celle de Cologne de 1530, et dans celle de Paris de 1535, on ne trouve point le filioque, et que dans celle de Madrid de 1543, où il se trouve, il est noté dans la marge comme interpolé. Tandis que, dans les éditions postérieures, celle appelée royale, en 1644, et celle de Paris, en 1671, il y est inséré. De cela, dit-il, on doit inférer que dans ces deux dernières éditions, comme dans celles qui les ont imitées dans la suite, on a commis une falsification (1). (1) : ( Voir Zernicavius, t. I, p. 315, et Ffulkes, Christ. divis. t. II. p. 257-258. Bellarmin dans son traité De Christo, lib.II, cap. 21, et Mansi dans sa Nouvelle Collection, t. IX, p. 97-98, voyant cette grossière méprise, sont d'avis que ces éditions ont subi une dernière falsification). Je crois qu'il faut penser tout le contraire, c'est-à-dire que les anciennes éditions, pour parer à cette fausseté historique, ont été falsifiées par la suppression du filioque, et que les modernes en l'y insérant de nouveau ont rétabli le texte primitif de ces actes. Voici les raisons de mon assertion. Comment peut-on admettre que le filioque ne se trouvât pas dans l'état primitif de ces actes lorsque l'anathématisme III dit : " Quiconque ne croit pas au St-Esprit, ou qui ne croit pas qu'il procède du Père et du Fils, et qu'il leur est égal, qu'il soit anathème?" En outre, je trouve que le même phénomène de la présence du Filioque se retrouve dans divers conciles de Tolède, qui ont suivi le troisième, aussi bien que dans d'autres conciles célébrés dans les Espagnes. Ainsi, il faudrait encore taxer de falsification les actes des conciles de Tolède IV, VI? VIII, XI, XII, XVI, XVII, sans compter ceux de Mérida. Ce qui est énorme et inacceptable. En effet dans les actes du concile IV, assemblé en l'an 633, et composé des évêques de l'Espagne et de la Gaule Narbonnaise, tous pays occupés par des Goths et des Suèves, le canon premier dit qu'il faut suivre la foi promulguée à Nicée et à Constantinople, et néanmoins le texte du symbole s'y trouve avec le filioque sans qu'il ait précédé aucune discussion, aucune considération sur la convenance de son insertion, mais comme une chose indiscutable et reçue. ( Labbe, t. 17, p. 1450). De même pour les actes du concile VI, assemblé en l'an 638, le canon premier, qui est une profession de foi calquée et amplifiée sur le patron du symbole officiel, comprend le filioque, sans aucune discussion ou considération préalable. ( Labbe, t. VI, p. 1490). De même pour les actes du concile VIII, en l'an 653, le roi Recesvinthe, qui le convoqua, dit, dans son discours d'ouverture, qu'il faut suivre, vénérer et aimer la foi catholique telle que la tradition apostolique l'a consignée, et que les saints conciles de Nicée et de Constantinople l'ont définié. Puis vient le canon premier, où le symbole est énoncé avec l'addition. ( Labbe, t. VII, Pag. 410-411). De même pour les actes du concile XI, en 675, dans le discours d'ouverture les Pères qui y sont assemblés déclarent, au commencement de leur profession de foi, suivre celle qui avait été promulguée à Nicée, Constantinople, Ephèse et Chalcédoine, puis dans l'exposition du dogme de la Trinité on y voit la double procession. (Labbe, t. VII, p. 541). De même pour le concile XII en l'an 681, dans le discours d'ouverture prononcé par le roi Ervigius, qui l'avait convoqué, il y proteste, comme d ela part de l'Assemblée, de devoir suivre les décisions des quatre conciles oecuméniques; puis vient le canon premier, qui énonce le symbole avec l'addition. Au concile XVI, en 693, le roi Egica récite le symbole avec le filioque sans avertissement préalable. ( Labbe, t. VI, p. 1327). Au XVIIème concile, en l'an 694, le même roi Egica dans son discours d'ouverture dit entre autres choses : " C'est pourquoi, croyant et confessant les dogmes glorieux exposés dans tous les saints conciles et les oracles de nos Pères saints, nous confessons aussi de nos lèvres le texte suivi du symbole, qui renferme tous les mystères de notre sainte foi". Puis il se met à réciter le symbole avec le filioque, sans faire aucune mention de la nécessité de son insertion. De là il résulte qu'il le considérait comme faisant partie intégrannte et originale de ce symbole. ( Labbe, t. VI, p. 1361). Comment peut-on admettre que le filioque ne se trouvât pas dans l'état primitif des actes de ce concile lorsque l'anathématisme III dit : " Quiconque ne croit pas au St-Esprit, ou qui ne croit pas qu'il procède du Père et du Fils, ou ne dit pas qu'il est coéternel avec le Père et le Fils, et qu'il leur est égal, qu'il soit anathème?" Outre ce concile, tenu dans la ville de Tolède, il y en a eu encore un autre de 666 à Mérida ( Emeritense in Lusitania), où le symbole avec le filioque forme le premier des vingt-trois canons qui y furent décrétés. Un autre à Braga en l'an 675, où le symbole en question fut récité avec l'addition, et dans ces deux cas sans aucune discussion ou avertissement de la nécessité de son insertion. ( Labbe, t. VI, p. 397, t. VII, p. 561) (1). (1) : ( On cite encore les actes d'un autre concile tenu à Braga, en l'an 411, où l'on trouve une profession de foi, garnie du "filioque", mais c'est une pièce forgée vers le milieu du XIIème siècle. Voyez dans l'histoire des conciles par Roisselet, p. 159 du vol. XII, où cette supercherie est dévoilée. Pour tout ce qui concerne les conciles sus-mentionnés, voir l'histoire chronologique et dogmatique des Conciles par Roisselet de Saucliers, t. II et III, où sont indiquées les diverses collections des Conciles, outre la collection de Labbe, qui toutes font mention de ce que nous citons ici, et sur lesquelles nous sommes guidés dans nos investigations. S'il y a quelque inexactitude dans l'indication des tomes et des pages, elle est due aux collecteurs). § III. - Preuves à l'appui de la thèse précédente Faut-il donc admettre que les actes de tous ces conciles aient été falsifiés en cet endroit, comme on le suppose pour ceux du troisième de Tolède, puisque le cas en est le même? C'est inadmissible. Ils sont tous intacts et génuines, mais ils contiennent une erreur matérielle, une erreur de fait, comme celle du troisième, par lequel nous avons commencé. Il faut inférer de tout cela, que les anciens copistes ou éditeurs des actes de ces conciles, ceux de Cologne ou de Paris, s'apercevant de cette erreur, ont retranché le filioque pour mettre ces actes des conciles hispaniques en accord avec les actes des conciles oecuméniques et avec l'histoire ecclésiastique, mais que les éditeurs postérieurs l'y ont inséré de nouveau pour mettre ces actes en accord avec le dogme accrédité. Croyant y devoir commettre, comme d'usage, une fraude pieuse, ils n'ont fait que restaurer, à leur insu, l'état génuine de la rédaction primitive. Si l'on n'admet pas cette élucidation, et que l'on veuille entacher tous ces actes de falsification, il leur devient impossible de nous expliquer comment cette addition, de l'aveu de tous, a eu son origine dans les Espagnes, sans savoir nous dire par qui, et comment, et quand; car dna saucun de ces actes ne paraît une proposition, discussion ou explication sur la convenance de cette addition, ce qui produit le grand embarras de ceux qui soutiennent la nécessité de son insertion. Saint Antonin, archevêque de Florence, qui avait assisté au concile réuni en cette ville, écrivait dnas sa chronique ( pars III, titul. 22, capit. XIII), sur le filioque, ce qui suit : "Assurément on doit croire qu'il a été ajouté par le Pape ou par quelque concile, car quel autre aurait osé le faire? Cependant, par quel pape, par quel concile? Nous n'en savons rien" ( Chron. pay. III, c.13, § 13, cité par Ffulkes, p. 417). Mêmes embarras d'André, évêque de Coloseen, pendant les sessions tenues dans la ville de Ferrare. Mêmes embarras encore de Thomas d'Aquin ( Quaestionum pars I, quaest. 36, cap.2), et dernièrement de Thomas, de la Compagnie de Jésus, et de Pierre Pithée ( dont on peut voir les passages cités par Zernicavius, pp. 438 à 440. Voir encore Ffulkes, pp. 417 et 420. Elegchon, p. 83). Cependant deux ou trois grecs déserteurs, passés au papisme : Manuel Calecas et Joseph, évêque de Méthone, ainsi qu'un certain Georges Aristinus, ont mis en avant que ce fut le pape Damase qui le premier a inséré dans le symbole le filioque, chose rapportée par Godebardus; mais le Père Pétau dans son indignation s'écrie que c'est une énorme fausseté, falsissimum est, et Pagi aussi dans ses notes ou pour mieux dire dans ses rectifications de Baronius prouve encore la fausseté d'une telle assertion. D'autres ont mis en avant une lettre de Léon Ier et une autre d'innocent Ier, comme adressées au premier concile de Tolède en l'an 396 ou même 400, où ils recommanderaient l'insertion du filioque; mais Pagi a démontré que tout cela est faux. ( Voir Zernicavius, p. 442. - Elegchon, p. 86. Ffulkes, p. 431. Le même, An Account, p. 13, n. 8). § IV. - Explication rationnelle et historique du fait. D'où pouvaient-ils donc faire dériver une telle erreur? Quel devait être son auteur et propagateur? Je n'entends pas, je le répète, parler ici d'une erreur de dogme ou de doctrine, mais du simple fait matériel d'affirmer que le texte primitif du symbole promulgué à Constantinople contenait le filioque comme partie intégrante. Je vais exposer ici ce que j'ai puen conjecturer. L'idée de la procession binaire ou dyadique du St-Esprit, qu'on me permette l'emploi de ces termes, pour éviter les longueurs d'expression, cette idée, dis-je, se rapproche beaucoup de celle que se faisaient les Ariens, et après eux les Macédoniens, selon les données du système Platonicien, sur le dogme de la Trinité, c'était que la deuxième personne dérive de la première, et que de celle-ci procède la troisième (1). (1) : ( Nous toucherons de nouveau à ce sujet, dans le cours de ce travail, que nous mentionnons seulement pour le moment. ( Voir en attendant Zernicavius, p. 3-4)). Or, professer que la troisième procède de la deuxième, aussi bien que de la première, n'était-ce pas vouloir amalgamer et concilier la doctrine énoncée dans l'évangile de St-Jean, XV, 26, avec celle des Platoniciens et des Ariens? On sait que les nations Gotho-germaniques, qui ont envahi et subjugué toutes les contrées de l'Empire d'Occident, les Vandales, Ostrogoths, Visigoths, Alains, Suèves, Burgondes, etc., avaient reçu le Christianisme des missionnaires ou des réfugiés ariens, aussi elles professaient l'Arianisme ou le Semi-Arianisme ( distinction dont l'éclaircissement ne nous intéresse point ici). Peu à peu un grand nombre parmi ces conquérants des Espagnes se convertissaient au Christianisme, mais la majeure partie y rentraient spontanément en masse par la volonté de leurs chefs ou de leurs rois, ainsi il est bien probable que quelques-unes de leurs idées religieuses soient restées chez eux en crédit, parmi lesquelles il faut supposer celle de la procession dyadique. Mais, pour la faire accepter par le reste de la population Hispano-romaine, leurs chefs religieux auraient habilement fait insérer le filioque dans le symbole de Constantinople, comme si tel était son état lors de sa promulgation. Ce troisième concile de Tolède, qui fut réuni pour célébrer en grande solennité la conversion définitive des Ariens, et où l'on trouve, avec des protestations d'attachement à l'Eglise catholique, des anathèmes contre la doctrine arienne, ne faisait pourtant qu'en professer à leur insu le corollaire nécessaire. Cela pourra paraître paradoxal, mais je ne puis pas m'expliquer autrement ce phénomène historique. Si l'on peut en faire prévaloir une autre explication, qu'on la produise, car la mienne n'est basée que sur des conjectures. Néanmoins elle est appuyée sur ce que dit Binius au sujet de l a lettre de Léon Ier à Turribius, qui fut notaire de Léon Ier, puis évêque de Tarascon, à propos de Priscillianites. " Par l'irruption des barbares, premièrement des Vandales, puis des Goths et des Suèves, l'Eglise bien florissante des Espagnes se trouva dépourvue de la culture ordinaire de ses saints évêques. Son beau visage étant changé, elle devint comme une terre inculte remplie de broussailles et d'épines, où des bêtes sauvages trouvèrent leurs tanières". C'est ainsi que dans ces latibula ( tanières) les épîtres de Léon Ier furent falsifiées, comme nous l'avons déjà dit. § V. - Conclusions : mystification. Que la procession subsidiaire doive constituer le vrai dogme sur la Trinité chrétienne; que, quoique non déclarée dans le corps du symbole de Constantinople, elle puisse néanmoins résulter par déduction de tel ou tel passage des SS. Ecritures ou des écrits des saints Pères; que, par les règles de la logique et par une discussion approfondie on ne puisse faire autrement que d'y arriver nécessairement, c'est une question à part, sur laquelle des centaines de volumes ont été écrits, soutenant le pour et le contre. Mais ici rien de semblable; ce dogme a été professé pour la première fois publiquement dans le troisième concile de Tolèdeou dans tel ou tel autre qui l'ont suivi, par appel à une autorité, c'est-à-dire l'autorité du deuxième concile oecuménique, comme l'ayant établi et déclaré dans le symbole qu'il a promulgué; ce qui était une fausseté radicale. Ce dogme a pris racine dans les esprits sous cette recommandation; il a marché et s'est propagé sous ce sauf-conduit. Ce n'est que lorsque cette fausseté fut signalée qu'on a commencé à argumenter à ce sujet. La conclusion en est que ce dogme, vrai ou faux n'importe, n'a pris naissance et extension qu'au moyen d'une MYSTIFICATION, ce qui m'a induit à donner ce mot pour titre à mon travail; car, comme dit Joseph de Maistre, " il ne s'agit que de donner aux choses un nom vrai, ce qui est un point de la plus haute importance" (Du pape, liv. IV, ch. IV). § VI. - Expansion de cette erreur; concile de For Julien. Des Espagnes et de la Gaule Narbonnaise la nouveauté se répandit peu à peu dans le Nord des Gaules, où elle rencontra cependant de nombreux contradicteurs. Elle tâcha même de pénétrer en Italie, où elle trouva une opposition décidée. Ce fut alors que ses adhérents dans les Gaules se mirent à discuter pour en prouver l'orthodoxie, soutenir la nécessité de son admission et la convenance de son addition. Quelques-uns ont prétendu que c'était Photius, patriarche de Constantinople, qui, le premier, avait mis cette question en avant pour s'en servir comme d'une récrimination dans ses démêlés avec Nicolas Ier de Rome. Ceci est faux. Photius annonça son avénement à Nicolas Ier en l'an 867, et déjà un siècle tout juste auparavant, en l'an 767, cette question avait été agitée dans le concile de Gentilly assemblé au sujet du culte des images, et auquel assistaient aussi les légats de l'empereur de Constantinople. ( Fleury, I. 43, ch. 43). Il y a des indices que cette addition y fut réprouvée. Pour ne pas interrompre ma narration, je renvoie à l'appendice A. D'autres ont prétendu que, si ce n'est pas Photius qui le premier a mis cette question en avant, c'est lui néanmoins qui l'a suscitée de nouveau dans le même but. Ceci est encore faux. Je m'occuperai de cela plus loin, et je poursuis le premier point. Paulin, archevêque d'Aquilée en Italie, rassembla en l'an 795 un concile dans la ville de For Julien, pour délibérer sur cette question et sur celle de l'Adoptianisme, dont nous n'avons pas à nous occuper ici. Tous les collecteurs des actes ou plutôt du résumé des actes de ce concile, ainsi que les historiens occidentaux, prétendent que l'addition du filioque y fut approuvée. Mais, comment peut-on entretenir une telle idée, lorsqu'on voit que tout le discours que Paulin a tenu en cette occasion ne roule que sur la considération capitale qu'il faut maintenir fortement les injonctions du premier concile d'Ephèse, qu'il ne faut rien changer au symbole décrété par les deux précédents conciles oecuméniques; qu'il ne faut rien ajouter, rien retrancher, rien modifier, chose qui contredit ce qu'on veut avancer? Je ne peux transcrire ici tout ce qu'y oppose Zernicavius (1) dans ses traités ( vol. I, pp. 329, 403, 405, 469, 515), où une critique rigoureuse dissout ce brouillard; mais je me borne à faire remarquer ici que ces actes doivent avoir été infailliblement falsifiés. (1) : ( Voici l'éclaircissement qu'en a donné l'auteur du Elegchon, t.1, p. 48. "Ce Paulin, donc, émule des anciens Pères latins orthodoxes, assembla en 791, ou, selon Baronius, en 795, un Concile de Pères italiens, stiriens, istriens, croates, dalmates, slaves, à la seule fin de renforcer et d'établir fermement le Symbole sacré des Pères de Nicée, contre l'audacieuse impiété papiste, qui commençait déjà à poindre. Les actes mêmes de ce concile, les partisans du pape les ont détruits; il en reste un résumé qui a été si sottement et si maladroitement altéré, qu'il saute aux yeux, pour peu qu'on le lise avec attention, que le texte en a été bouleversé et présente un mélange continuel de contradictions, de oui et de non : d'où l'on conjecture les distorsions et les fraudes que les papistes lui ont fait subir. Voilà pourquoi certains des nôtres ( voyez Etudes ecclés., 16, VIIIème s.), se fondant sur ce document, ont cru que ce grand homme avait été un champion de l'innovation, alors qu'il a tout fait, au contraire, pour la faire supprimer. Le célèbre Zernikaw (Sur la procession du Saint Esprit, VIIIème s.) enfin, démontra, avec son admirable méthode critique, que Paulin a été très orthodoxe (" Témoignages divergents des Latins contre les Latins"). Mais l'Eglise et la simple justice ont plus à attendre, pour la confusion des faussaires papistes, d'une édition critique de l'étrange résumé dont nous parlons. En attendant cette étude, donnons un aperçu de ce document. Il y est dit, par exemple : " Post inviolabilem igitur et meo sensu modis omnibus inserendam symboli definitionem" " Après la définition du Symbole qui est inviolable et, à mon sens, à insérer de toutes les façons possibles". Comment, au nom du Ciel, concilier " inviolable" et "insérer"? Et cette dernière expression avec les mots " la définition du symbole"? Le falsificateur aura donc probablement remplacé un mot comme "retinendam" " à conserver", qui allait avec "inviolable" par le mot " inserendam", qui s'oppose, pour le sens, à "inviolabilem" et n'est pas justifié grammaticalement. En effet, il n'est pas possible de dire "la définition du symbole à insérer" sans faire un double solécisme, de grammaire et de logique. Poursuivons : " Sed absit a nobis proculque sit ab omni corde fideli alterum vel aliter quam illi instituerunt symbolum vel fidem componer vel docere" " Mais loin d enous! et que tout coeur fidèle se garde bien de composer ou d'enseigner un autre symbole ou foi que celui que ces Anciens ont établi, ou simplement de l'enseigner autrement". Ces Anciens : il s'agit des Pères des deux premiers Conciles Oecuméniques. Comment les papistes accordent-ils ces déclarations et surtout l'idée impliquée dans le terme "autrement", avec l'addition du filioque? Et la suite, " Ipsumque textum symboli retinere" " c'est le texte même du symbole qu'il faut garder", comment s'accorde-t-elle avec l'interpolation du "filioque"? Mais ce qui dénonce plus évidemment le faussaire, c'est l'histoire du symbole, la composition du texte sacré par les 318 Pères de Nicée et les 150 de Constantinople. Il dit en effet, sans citer de nom, sans dire ni où, ni quand, ni qui, "et ceux qui ont ajouté le filioque"; après quoi, il ne mentionne que les Pères de Nicée et de Constantinople, et ne souffle mot de ceux qui ont ajouté le filioque. Il poursuit : " Combien catholiques furent les Pères divins qui, se fondant sur la solidité de la foi, proclamèrent que le Saint Esprit provient du Père! Et combien glorieux aussi ceux ( qui donc? il n'en sait rien lui-même) qui confessent qu'il procède du Père et du Fils" ( trad. Eug. Oeuvres III, 41). Bref, il y a mille autres preuves de l'altération de ce malheureux résumé. Il demande don un travail spécial. Le synode en question eut lieu avant celui d'Aquisgrane, réuni en 889 sous Léon III, lui-même le champion de la "sauvegarde de la foi orthodoxe". Ainsi les successeurs de ce Paulin sur le trône patriarcal d'Aquilée, jusqu'à saint Photios, conservèrent l'orthodoxie; pour le contemporain du divin Photios, que Valperton appelle "sans vergogne", comme le dit le bienheureux Eugène (Zernikaw Traité 5, 60), De Rubeis, il entretint même avec lui une correspondance et c'est pour lui répondre que Photios rédigea la lettre célèbre que l'on a conservée"). Après une déclaration telle que celle-ci : " Mais loin de nous! et que tout coeur fidèle se garde bien aussi de composer ou d'enseigner un autre symbole ou une autre foi que celle que nos Pères ont établie, ou de l'enseigner autrement". Après d'autres déclarations du même genre, comment est-il possible d'admettre comme intacte cette période qu'on lit au commencement de ce discours : " Post inviolabilem igitur et meo sensu, modis omnibus inserendam symboli definitionem, etc.?" Comment concilier l'inserendam avec l'inviolabilem? N'est-il pas évident que le texte immaculé devait porter retinendam ou tout autre terme synonyme, que les faussaires des âges postérieurs ont souillé, en le remplaçant par l'absurde inserendam? L'intelligence la plus obtuse peut-elle se refuser à cette conclusion? C'est à juste titre que Paulin a été stigmatisé comme schismatique par Baronius (en l'an 833, N° V) et par Combefisius dans son Actuarium de la bibliothèque des Pères Grecs ( cité par Zernicavius, p. 469, note). Et cependant M. Francis Monnier, dans son Alcuin et Charlemagne ( édition deuxième, p. 161), vous raconte avec une parfaite assurance que "la plus tendre amitié le liait (Paulin) à Alcuin, qui l'appelait son père. Assemblés à Frioul, les suffragants de Paulin firent plusieurs canons disciplinaires, ajoutèrent au symbole le filioque qui se trouve dans St- Augustin". Tout au contraire, ils l'ont réprouvé; quant à ce qu'il dit sur St-Augustin, nous verrons dans la suite ce que cela vaut. § VII. - Alcuin hostile à l'hérésie espagnole. Après Paulin et le concile de For Julien, voilà Alcuin, le grand Alcuin, tonnant contre l'hérésie espagnole, " Hispanici erroris sectam", comme il l'appelait dans sa lettre aux Frères Lyonnais, " suivez dans la foi les traces des anciens Pères et rangez-vous à l'unanimité de la sainte Eglise universelle... ne tentez pas d'insérer des nouveautés dans le symbole de la foi catholique, et ne vous décidez pas à affectionner dans les offices ecclésiastiques des traditions inconnues dans les temps anciens (1)". (1) : ( Voyez Alcuini opera ed. Queretano (Duchesne), Parisiis 1617; Epist. 69 ad frat. Lugdunenses, edit. Migne, t. I, p. 281, sous le n° 90. - Henri Canisius dans son édition des oeuvres d'Alcuin ( collect. Basnage), range cette épître sous le n°8, et il y avoue loyalement que cette nouveauté, dont parle ici Alcuin, regarde l'addition du filioque. Nous y ajouterons que, par tradition ou uage inconnu des anciens, Alcuin entend parler de la nouveauté de chanter le symbole au lieu de le réciter. Voyez append. B.). Frobenius dans son édition des oeuvres d'Alcuin ( Ratisbonnae 1779) place cette épître sous le n°75 ( t. Ier p. 867); et dans ses notes, où nous avons rencontré ce qui regarde Canisius, il prétend qu'Alcuin entendait parler d'autres choses que du symbole de la foi, et il propose qu'Alcuin ne s'occupe ici que de l'Adoptianisme. Ceci est un subterfuge, puisque, dans cet endroit que nous citons, l'objet est tellement spécifié et clairement indiqué par Alcuin lui-même, qu'il est impossible de garder le moindre doute. D'ailleurs les sectateurs de l'Adoptianisme ne prétendaient aucunement qu'il fallait insérer leur doctrine dans le corps du symbole. Sentant bien la faiblesse de ce subterfuge, que fait le consciencieux éditeur pour lui donner un tonique? Il fausse le texte d'Alcuin en y interpolant le mot de nomina, qui n'exitse point dans les autres éditions, pour lui faire dire nova nomina, " nouvelles dénominations" ( au lieu de "nouveautés"); ce qui trouble le sens de ce que veut dire l'auteur. Précisément au moment même où il s'occupe du précepte commandé par Alcuin de ne rien ajouter à ce qui avait été énoncé par les anciens ou par l'Eglise, au même moment il le viole lui-même envers Alcuin. Il est vrai que le cauteleux abbé met cela en parenthèses pour faire croire que cela est une variante qui se trouve dans d'autres éditions; mais il ne le démontre nullement. Parmi les divers ouvrages d'Alcuin, on en voit un qui porte le titre : Alcuini libellus de processu Spiritus Sancti, où la question est traitée en règle, avec tout l'apparat de la dialectique des Scolastiques, au soutien de la procession dyadique. On regarde généralement cet écrit comme appartenant à Alcuin; mais Sirmond nous avertit qu'il l'a rencontré quelque part sous le titre de incerti auctoris ( auteur incertain) ( édit. Froben, t. II, p. 743); ceci est plus sûr, puisque ce traité se trouve en complète contradiction avec l'épître d'Alcuin aux Frères Lyonnais, qui est bien authentique, et que personne n'a osé attaquer de forgerie. Il y a encore

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