jeudi 6 février 2020

Nicolas Cabasilas, Homélie sur l'Annonciation et la Dormition de la Très-Sainte Mère de Dieu.

La théologie patristique n'a cessé de fleurir dans l'Eglise orthodoxe qui ignore les coupures de la "fin de l'ère des Pères" et de la "scolastique" imposées par le Moyen Age occidental mais étrangères à la conscience priante et à la voix dogmatique de l'Eglise. Ce livre en donne la preuve. Au XIVème siècle, Nicolas Cabasilas (v. 1320- v.1398), théologien laïc, dans la ville de Thessalonique, plaque tournante des échanges commerciaux où se rencontrent aussi tous les courants philosophiques du temps, pratique la prière incessante du coeur, la prière au nom du Seigneur Jésus, et elle lui révèle les mystères cachés des Ecritures Saintes. Parmi les plus élevés de ces mystères, ceux de la Mère de Dieu, qui "dépassent l'intelligence et sont au-dessous de toute gloire" comme le chante l'Eglise orthodoxe. En offrant, pour la première fois en traduction française, les trois homélies de Nicolas Cabasilas sur trois fêtes majeures de la Mère de Dieu - Sa Nativité, Son Annonciation et Sa Dormition- cet ouvrage fera pénétrer le lecteur dans le saint des saints de la théologie patristique et dans les mystères accomplis dans le silence de Dieu dont parlait saint Ignace le Théophore : " Le prince de ce monde n'eut connaissance ni d ela virginité de Marie, ni de son enfantement, ni de la mort du Seigneur : trois mystères éclatants, qui se sont accomplis dans le silence de Dieu".
NICOLAS CABASILAS
LA MERE DE DIEU HOMELIES SUR LA NATIVITE SUR L'ANNONCIATION ET SUR LA DORMITION DE LA TRES-SAINTE MERE DE DIEU
TRADUIT DU GREC PAR JEAN-LOUIS PALIERNE
EDITIONS L'AGE D'HOMME COLLECTION LA LUMIERE DU THABOR
Collection La Lumière du Thabor dirigée par Laurent MOTTE et Patric RANSON
La Lumière du Thabor est le nom d'une revue orthodoxe publiée par la Fraternité Orthodoxe Saint-Grégoire-Palamas 30, boulevard de Sébastopol, 75004 PARIS
DEJA PARUS P. AMBROISE FONTRIER, Saint Nectaire d'Egine. 1985. CYRIAQUE LAMPRYLLOS, La Mystification Fatale, Etude sur le Filioque. 1987. EVEQUE NICOLAS VELIMIROVITCH, Cassienne, L'enseignement sur l'amour chrétien. 1988. P. JUSTIN POPOVIC, L'Homme et le Dieu-Homme. 1989. PATRIC RANSON, Richard Simon, ou du caractère illégitime de l'augustinisme en théologie. 1990. WLADIMIR GUETTEE, De la Papauté. 1990. ARCHIMANDRITE ATHANASE JEVTITCH, Dossier Kossovo. 1991. P. JUSTIN POPOVITCH, Philosophie orthodoxe de la Vérité ( Dogmatique de l'Eglise orthodoxe), tome 1. 1992. MICHEL AUBRY, Saint Païssius Vélichkovsky. 1992. Copyright 1992 by Editions l'Age d'Homme, Lausanne, Suisse.
INTRODUCTION de Père Patric RANSON
NICOLAS CABASILAS ET L'HESYCHASME
Le nom de Nicolas Cabasilas est généralement associé au grand débat théologique qui se déroula, au XIVème siècle, sur la Sainte Montagne de l'Athos et à Thessalonique, et auquel les historiens occidentaux ont donné le nom de querelle hésychaste (1). (1) : ( Ce sont les adversaires de l'hésychasme qui ont voulu en faire un courant propre. Dans la querelle, les hésychastes maintenaient simplement le dogme chrétien reçu des Apôtres, le dépôt de la foi orthodoxe. Loin de toute discussion sur les "techniques d'oraison", Saint Grégoire Palamas installe d'emblée la querelle dans son enjeu théologique véritable en posant la question : " De quelle nature était la lumière qui a jailli du Seigneur lors de la Transfiguration? Créée, ou incréée?" Si l'on répond, avec toute la scolastique occidentale, que cette lumière est créée, on est sorti d ela tradition apostolique, pour laquelle cette lumière, appelée Royaume de Dieu (Matt. 16, 28), n'est pas créature ni esclave, mais gloire incréée. Le comble de l'absurdité se trouverait chez Ivanka qui, ne pouvant nier les racines patristiques de l'hésychasme, invente un courant différent de l'hésychasme, le "palamisme". Cf sa préface à la traduction allemande de La vie en Christ, citée dans notre bibliographie). Cabasilas fut, en effet, le disciple et l'ami des hésychastes, enfants spirituels de saint Grégoire le Sinaïte et de saint Grégoire Palamas, archevêque de Thessalonique. Sa mère, et surtout son oncle Nil, futur successeur de saint Grégoire Palamas sur le trône apostolique de Thessalonique (2), l'avaient encouragé à participer à ces controverses dans lesquelles se trouvaient engagé le sens même de toute la théologie et d ela spiritualité patristique. (2) : ( Sur Thessalonique, lieu d erencontre, au XIVème siècle, de tous les courants philosophiques, culturels et religieux, voir O. Tafrali, Thessalonique au XIVème siècle, Paris 1913). Nil Cabasilas participa notamment au Concile de 1351, qui confessa que la grâce, énergie divine, est incréée, et où les anti- palamites furent condamnés (3). (3) : ( Les conclusions du Concile sont résumées dans les trois Tomes Synodaux, dirigés contre Barlaam, Acyndine, Prochore Cyndonès et leurs partisans; Ces documents ont été publiés par Migne ( P.G. 151, 679-774). Il est même probable que Nil ait été, avec le patriarche Philothée Kokkinos, l'un des rédacteurs du Tome synodal de 1351, expression dogmatique de ce Concile (4). (4) : ( Voir l'article de Mgr Athanase Jevtitch, " Rencontre de la scolastique et de l'hésychasme dans l'oeuvre de Nil Cabasilas", IV ème Colloque serbo-grec, Belgrade, 1985). Il écrivit aussi de nombreux ouvrages de théologie qui furent lus, en Orient, dans l'Eglise orthodoxe, mais aussi en Occident, puisque Richard Simon, au XVIIème siècle, en parle favorablement (5). (5) : ( Voir sa Critique de la Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques et des prolégomènes de la Bible publiés par M. Elie du Pin, 4 vol., Paris, 1730. Richard Simon est l'un des rares auteurs occidentaux qui se réfère aux Pères orthodoxes postérieurs au Xème siècle. Il cite notamment avec éloge Marc d'Ephèse (1394-1445) et Jérémie II Tranos (1530- 1595). Cf Patric Ranson : Richard Simon ou de l'illégitimité de l'augustinisme en théologie. ( Ed; L'Age d'Homme). Ses ouvrages de controverse antilatine montrent qu'il avait une assez bonne connaissance de la scolastique, et en particulier de l'oeuvre de Thomas d'Aquin (6). (6) : ( Voir A. Jevtitch, art. cit. Thomas d'Aquin était connu notamment par les traductions de D. Cyndonès ( Somme contre les Gentils, 1360); voir S. Papadopoulos, Les traductions grecques des oeuvres de Thomas d'Aquin, thomistes et antithomistes à Byzance, Athènes, 1967 ( en grec). Un autre grand hésychaste, Calliste Angélikoudès, écrira vers 1370 son Contre Thomas d'Aquin, réfutation patristique du thomisme, considéré comme un mélange de christianisme et de néo-paganisme. Voir l'édition de S. Papadopoulos, Kallistos Anglikoude, Kata Thoma Akinaton, Kas. Grigoris, Athènes, 1970, et l'ouvrage de A. Papadopoulos-Kerameus, La rencontre de la théologie orthodoxe et de la théologie scolastique dans les personnes de C. Angélikoudès et de Thomas d'Aquin, Thessalonique, 1970 ( en grec). Extraits du Contre Thomas d'Aquin, traduits en français : voir La Lumière du Thabor, 25 (1990), p. 32-46 et 26 (1990), p. 33-46). C'est Nicolas Cabasilas, son neveu, qui édita et introduisit son traité sur la procession du Saint Esprit. Nicolas Cabasilas, que les historiens ont parfois confondu avec son oncle, fut lui aussi un défenseur des Pères hésychastes, tant sur la Sainte Montagne, où il témoigna en faveur du moine Niphon accusé de messalianisme, que dans tout le monde orthodoxe, par son opuscule Contre les radotages de Grégoras, ouvrage qui constitue, en fait, une réfutation de ce philosophe par saint Grégoire Palamas(7). (7) : ( Voir l'édition de A. Garyza, dans Byzantion t. 24, 1954 ( paru en 1956), p. 521- 532. Grégoras discuta avec saint Grégoire Palamas en 1355). Le zèle dont faisait preuve Nicolas à l'égard de la foi et d ela spiritualité fut loué par de nombreux contemporains et par des Pères qui font autorité dans l'Eglise orthodoxe. Saint Syméon de Thessalonique parle ainsi "du célèbre et regretté Cabasilas, qui remporta le bon combat par sa piété et sa pureté, Nicolas de son nom (8)" et le grand Patriarche Grégoire Scholarios fait son éloge comme d'" un homme éminent parmi les plus anciens par l'esprit et la sagesse (9)". (8) : ( Migne, P. G. 155, 145 B). (9) : ( Oeuvres complètes, éd. L. Petit et M. Jugie, t. 3, Paris, 1929, p. 485- 486). Les deux principaux ouvrages de Cabasilas, La vie en Christ et le Commentaire de la divine Liturgie n'ont d'ailleurs cessé d'être lus et traduits, en Russie notamment, où ils ont nourri la vie ascétique de nombreux saints, comme Jean de Cronstadt qui publia au début de ce siècle Ma vie en Christ, qui reprend le titre de l'auteur byzantin (10). (10) : ( Moia jiza vo Khriste, St Pétersbourg, 1893; traduction anglaise : My Life en Christ, trad. E.E. Goulaeff, Cassel and Company, Limited, London, Paris & Melbourne, 1897? Réimprimée par Monastère de la Sainte Trinité de Jordanville, N.Y., U.S.A., 1977). Et aujourd'hui, où la foi orthodoxe est redécouverte dans le monde entier, les ouvrages de Cabasilas sont traduits dans la plupart de nos langues européennes (11). (11) : ( Voir, en particulier, la traduction en grec moderne des trois homélies contenues dans le présent ouvrage : N. Cabasilas, La Mère de Dieu, texte, trad., introd., notes de Panayotis Nellas, Epi tas Pigas ( Aux Sources) vol. 2, 2ème éd., Athènes 1974, ainsi que la bibliographie donnée dans la traduction italienne de U. Neri, La vita in Cristo di Nicolas Cabasilas, Classici delle religione 21, section 4, Turin, 1971. L'excellente édition de Nellas a été employée par J.L. Palierne pour sa traduction, en même temps que le texte de la Patrologie ( voir Bibliographie à la fin du présent volume).). Pourtant, comme s'il fallait toujours que le doute redemande sa part, la vie et l'oeuvre de Cabasilas n'en ont pas moins, surtout en Occident, suscité des questions sans fin. Certains auteurs ont opposé la vie à l'oeuvre : Cabasilas a-t-il été vraiment laïc? Comment un laïc a -t-il eu une telle connaissance de la liturgie? Quel a été vraiment son rôle dans les querelles de son temps, alors qu'il pouvait passer pour un pré-humaniste? D'autres ont alors, à l'inverse, retourné l'oeuvre contre la vie : pourquoi n'a-t-il pas parlé, dans ses ouvrages les plus célèbres, de la théologie "palamite", des énergies divines notamment? Ne serait-ce pas qu'il a été moins favorable qu'on ne l'a cru à l'archevêque de Thessalonique? De nombreux spécialistes ont franchi le pas bien vite, cherchant dans ses écrits une spiritualité du "coeur de Jésus", ou encore des indices d'une possible croyance à l'Immaculée Conception (12)! (12) : ( Voir, par exemple, S. Salaville, " Les principes de la dévotion au Sacré-Coeur dans l'Eglise orientale : la doctrine de Nicolas Cabasilas", Regnabit, mars 1923, p. 298-308 et Martin Jugie, " La Doctrine mariale de Nicolas Cabasilas", dans Echos d'Orient, 18, 1919, p. 373-388. Cet auteur écrit : " La pensée fondamentale (de Cabasilas) est celle-ci : " Marie est le type idéal de l'humanité; elle seule a pleinement réalisé l'idée divine de l'homme; elle est l'homme par excellence". Inutile de faire remarquer que cette thèse contient clairement l'idée du dogme catholique de la conception immaculée" ( p. 376); mais, p. 377, il dit : " Dire (comme Cabasilas) que la future Mère de Dieu n'a rien reçu de plus qu'Adam et les autres hommes en fait de grâce, et que si Dieu en avait agi autrement, il aurait violé les lois de l'équité et aurait fait acception de personnes, est une thès évidemment inadmissible". Les deux thèses en question sont la même pour Cabasilas; sa doctrine de la synergie exclut toute idée d'immaculée conception). En réalité, toutes ces hésitations sur l'oeuvre de Cabasilas, comme, d'une façon générale, sur celle d'autres théologiens byzantins, sont symptomatiques des difficultés de la science occidentale dès qu'il est question de "Byzance". En effet, comment classer une pensée irréductible à la philosophie scolastique médiévale qui lui est pourtant strictement contemporaine? Malheureusement, la solution la plus fréquemment adoptée a été de considérer la théologie et la philosophie de la "Nouvelle Rome" comme un bras mort de l'hellénisme tardif, plus ou moins sclérosé, en tout cas peu philosophique et sans intérêt pour l'histoire de la culture conçue sur le modèle du progrès (13). (13) : ( Hans Ur von Balthazar écrit ceci dans son livre sur saint Maxime le Confesseur : " La richesse du monde spirituel de Maxime donne une dernière fois le sentiment d'une fécondité organique. Déjà cependant la décadence et la stérilité de la scolastique byzantine s'annoce dans l'accumulation morte et mécanique du passé en florilèges, anthologies, encyclopédies". Cité par P. Ranson, Richard Simon, L'Age d'Homme, Lausanne, 1990, p.19, n. 24). Seuls quelques néoplatonisants comme Psellos ou Pléthon sont sauvés du naufrage comme des précurseurs de la Renaissance florentine (14). (14) : ( On étudie Byzance en histoire ou en archéologie, mais l'enseignement philosophique ou théologique, en France, l'ignore pour ainsi dire totalement. Sur Pléthon, voir François Masai, Pléthon et le platonisme de Mistra, Les Belles Lettres, Paris, 1956). Le langage même des historiens du haut Moyen Age a longtemps témoigné de cette gêne historique, nommant "grecs" ou "byzantins" ceux qui s'appelaient eux-mêmes "romains (15)". (15) : ( Nous renvoyons sur ce point aux remarques que nous avons faites dans Richard Simon, cité ci-dessus, p. 153-159). Le passage de l'Empire romain à l'Empire byzantin n'est pas un fait historique, c'est une théorie inventée par les historiens européens, et qui a donc besoin d'être justifiée, même si certains l'invoquent sans poser la question de son fondement. Or la justification manque souvent, pour le moins, de rigueur : pour les uns, l'empire romain devient byzantin lorsqu'il perd sa latinité et se fait purement hellénique, tandis que, pour d'autres, le cadre culturel et théologique de l'Empire doit être appelé "byzantin" au moment où il perd, selon eux, sa spécificité "grecque" pour se modeler sur une problématique esprit "byzantin", sorte d'orient extrême d'un christianisme à la fois obsédé de distinctions dogmatiques inutiles et dominé par une conception théocratique de l'Empire et de la Monarchie (16). (16) : ( Byzance n'a jamais été césaro-papiste et n'a jamais dogmatisé l'idée d'une soumission du patriarche à l'empereur ou Basileus. La doctrine officielle était celle d ela symphonie des deux pouvoirs - le patriarche, comme citoyen, est soumis à l'empereur et ce dernier, comme fidèle, est obéissant au patriarche. A chaque fois que cette symphonie a été rompue par l'empereur, l'Eglise a connu une crise majeure, comme ce fut le cas au moment de l'arianisme, du monothélitisme ou de l'iconoclasme. De même en Russie, Pierre le Grand, copiant le modèle anglais, est tombé dans le céssaro-papisme, en supprimant le patriarcat, et en faisant diriger l'Eglise russe par un procureur du gouvernement. Mais les décisions de Pierre le Grand étaient tout-à-fait contraires aux règles historiques et canoniques de l'Eglise orthodoxe. Il est, en revanche, difficile pour les historiens occidentaux de nier le papocésarisme d ela papauté qui, jusqu'à aujourd'hui, se présente comme un Etat, avec toutes les prérogatives des puissances temporelles, y compris une armée, fût-elle symbolique). Les progrès des recherches historiques sur l'Empire byzantin ont, en partie, fait tomber les cadres réducteurs où l'on enfermait une riche civilisation qui a duré plus de mille ans. Mais, en même temps, on ne peut pas dire que la théologie, la philosophie, la culture "byzantine" aient été à ce jour prises en compte avec tout le sérieux et la science qu'elles méritent. Là aussi, la volonté de plier l'histoire à un certain développement continu, et de la soumettre à des présupposés méthodologiques plus récents, n'ont guère favorisé l'étude de Byzance prise pour elle-même, avec ses propres catégories irréductibles aux nôtres (17). (17) : ( Un ouvrage pionnier sur les rapports inter-culturels entre les civilisations de l'Orient byzantin et de l'Occident est celui de Dimitri Obolensky, Six Byzantine Portraits, Clarendon Press, Oxford, 1988, qui étudie la biographie de six personnages remarquables par leur rôle de pont entre les "mondes" qui tendaient à se séparer. Obolensky permet ainsi de mesurer, en partie, l'influence historique de Byzance sur l'Europe). Etudier la théologie byzantine pour elle-même remettrait, en effet, en question certains préjugés sur les relations entre les questions théologiques et le progrès en philosophie comme sur l'interaction entre science et culture au Moyen Age ( 18). (18) : ( L'identification positiviste de la théologie et de la rupture avec la pensée positive eût semblé chose étrange aux Pères. Fondée sur l'expérience de la déification, la théologie, pour eux, était une science expérimentale et non une métaphysique). L'un des grands présupposés qui est à l'origine de la scolastique - comme de notre intérêt moderne pour la philosophie médiévale - affirme que l'usage d'une méthode spéculative fondée sur Platon puis sur Aristote, et son application aux dogmes, à la Sainte Trinité principalement, a été la cause d'un progrès dans la compréhension de la Révélation, la foi étant médiatisée, en quelque sorte, par la rationalité ( 19). (19) : ( Cette idée remonte à Augustin, qui concevait la foi comme une première étape, qui devait être relayée, dépassée par une connaissance approfondie, par des concepts plus adéquats...Voir J. S. Romanides, " Le Filioque", Dossier H Augustin, L'Age d'Homme, Lausanne, 1988, 197-217). L'analogie, proposée par Augustin, entre la vie intra-trinitaire et l'âme humaine, le caractère nécessaire de la rédemption chez Anselme de Cantorbéry, l'"analogie de l'être" chez Thomas d'Aquin...représentaient, dit-on, à des titres divers, des progrès de la pensée, bien que la philosophie païenne ait joué un très grand rôle dans l'élaboration de ces concepts ou de ces doctrines (20). (20) : ( Les Pères appelaient la philosophie, au mieux, une "sagesse du dehors", capable d'orner "l'homme extérieur" seulement - notre moi superficiel, non de renouveler "l'homme intérieur" à l'image du Christ. Ils voyaient aussi dans l'application de cette philosophie profane à la Révélation, la source de toutes les hérésies. L'idée qu'elle puisse être conçue comme source de progrès spirituel et d'illumination leur eût paru plus qu'un paradoxe, puisque les luttes christologiques antiariennes et antinestoriennes furent dirigées contre l'application des catégories philosophiques à la Sainte Trinité. Voir notamment les réfutations d'Eunome par saint Grégoire de Nysse et saint Basile). Dans une telle analyse des relations entre la foi et la raison, Byzance n'avait aucune place et était considérée comme une structure refusant la médiation de la rationalité philosophique. Mais, en même temps, si l'on se tourne, non plus vers les rapports de la théologie et de la philosophie, mais sur ceux d ela philosophie et de la science, on s'aperçoit généralement que le "progrès", cette concorde de la foi et de la raison, cette élévation partielle de la Révélation jusqu'à la spéculation, a été pour les sciences positives, l'occasion d'un retard, notamment parce que la conception archétypale, platonicienne et augustinienne, de la compréhension intellectuelle en Dieu, restreignait le recours à l'expérience. C'est la rupture avec la scolastique, opérée à partir du XVème-XVIème siècle, qui allait favoriser le développement des sciences positives et expérimentales. Or théologie et métaphysique, en Occident, différaientnpeut-être par leur objet propre, mais non par leur méthode, et la crise de la théologie scolastique allait entraîner celle de la métaphysique (21). (21) : ( Dans les deux cas, il s'agit d'une crise de l'augustinisme. La pensée médiévale, à partir des carolingiens, a accordé une importance cardinale aux présupposés théologiques pris dans l'oeuvre de l'avêque d'Hippone. La "métaphysique chrétienne" classique n'avait ensuite qu'à considérer cette "théologie" comme une simple philosophie. Tel fut le cas d'Ambrosius Victor et de Malebranche. Or la doctrine de saint Augustin est une théologie platonisante, assez contradictoire ou aporétique, et ses apories, ses difficultés se sont retrouvées dans la "métaphysique" de l'âge classique). De Descartes aux Lumières du XVIIIème siècle, la pensée moderne a rejeté, comme une chape pesante, la métaphysique ancienne, incapable de permettre le développement des sciences. Ce qui passsait à l'époque carolingienne, ou encore au XIIIème siècle, pour un progrès dans l'intelligence des vérités sur Dieu et sur le monde - à savoir, l'application de catégories philosophiques empruntées à Platon ou à Aristote - est précisément ce qui occasionne, à la fin de l'Age Classique et au début du XVIIIème siècle, la remise en cause de la théologie et du christianisme, de cette métaphysique concordiste que l'auteur présumé du Militaire philosophe, Robert Challe, dénonce comme factice (22). (22) : ( On appelle "concordiste" la doctrine qui postule l'accord entre les données de la foi et les enseignements des philosophies païennes. Sur Le militaire philosophe, ( titre dû aux éditeurs du XVIIIème siècle), voir R. Mortier, édition, introduction et annotation des Difficultés sur la religion proposées au P. Malebrranche par Mr..., officier militaire dans la Marine. Bruxelles, 1970. C'était la meilleure édition, jusqu'à la découverte de l'identité de l'auteur racontée dans l'édition suivante : R. Challe, Difficultés sur la religion proposées au P. Malebranche, Paris, 1982 ( 1ère éd.); Paris, 1983, 2ème éd. : édition critique d'après un manuscrit inédit par F. Deloffre et M. Menemencioglu). Le concordisme s'est donc révélé, à terme, désastreux à la fois pour les sciences physiques et pour la religion. Or, cette méthode philosophico-théologique qui possède, en Occident, son unité et son histoire, voilà précisément ce dont Byzance ne voulait à aucun prix. La philosophie, qui était parfaitement enseignée à Constantinople avec tout l'héritage hellénique (23) pouvait être conseillée comme utile à la connaissance des choses de la nature ou de la pensée, mais elle était inapplicable à la théologie que les byzantins considéraient comme une "science expérimentale" : c'est l'idée centrale de la théologie patristique, qu'on trouve mise en lumière, en particulier dans la Vie de Moïse de saint Grégoire de Nysse. (23) : ( Contrairement au néo-hellénisme contemporain, les Byzantins ne pensaient pas être les héritiers intellectuels ou spirituels des anciens Hellènes - identifiés avec tous les païens. Au contraire, partisans du progrès, loin de considérer comme inédépassable l'expérience de la vie grecque antique, ils jugeaient la philosophie selon le Christ supérieure à l'humanisme des anciens, et à toute sagesse humaine. Byzance héritait des pères de l'Eglise, qui avaient combattu toutes les tentations "helléniques" d'empiéter sur le domaine de la foi. Le Synodicon de l'orthodoxie, qui est comme la charte de la foi orthodoxe, et qu'on lit dans les églises le premier dimanche du carême, ne conçoit l'étude du platonisme et autres philosophies qu'à titre de culture générale, aucunement comme articles de foi. L'Occident, lui, dut attendre le XVIIème siècle pour se libérer complètement du "dogme" des Idées platoniciennes, qu'aucune science expérimentale n'a pu admettre. " A ceux qui approfondissent les sciences païennes et ne se contentent pas de les étudier à titre de culture générale, mais suivent pour de bon les vaines doctrines des penseurs païens et les tiennent pour vraies; qui s'appuient sur elles, comme si elles avaient de la solidité, au point d'y amener autrui, ouvertement ou en secret, et de les enseigner sans hésitation - anathème! A ceux qui, non contents des chimères mythologiques de leur invention, veulent réformer notre foi dans la création; qui tiennent pour réelles les Idées platoniciennes et disent que la matière possède une existence indépendante et qu'elle est mise en forme et structurée par le moyen de ces Idées; à ceux qui calomnient ainsi manifestement la puissance et la liberté souveraine du Démiurge qui a amené toutes choses du non-être à l'être et leur a fixé à toutes un commencement et une fin, avec l'autorité absolue du Créateur et Seigneur universel; à ces calomniateurs du Tout-Puissant - anathème! " ( Nous citons la traduction à paraître aux éditions La Lumière du Thabor. Le texte est édité par J. Gouillard, " Le Synodicon de l'Orthodoxie", Travaux et Mémoires 2, Paris, 1967). Pour toute la tradition orthodoxe, en effet, Moïse est le modèle du théologien, il est "celui qui a vu Dieu". De ce point de vue, la spiritualité des Pères est biblique, elle ne sépare pas le Nouveau de l'Ancien Testament : l'expérience fondamentale reste la même. Car il s'agit bien d'une connaissance de Dieu, non pas théorique ou métaphysique, non pas obtenue par des concepts ou des images, mais empirique et vécue. A l'égard de cette connaissance, la philosophie profane est inutile, elle ressemble à la fille de Pharaon : " Par la fille du roi, stérile et inféconde, il faut entendre, je crois, la philosophie du dehors... la culture profane est sans enfant, toujours en travail elle ne met jamais au monde aucun vivant (24)". (24) : ( Saint Grégoire de Nysse, La Vie de Moïse, II, 10, coll. Sources chrétiennes n°1 bis, éd. J. Daniélou, 2ème éd., Le Cerf, Paris, 1955, p. 34). Dieu se révèle à Moïse dans une expérience supra-discursive, décrite comme une vision invisible, une audition inaudible : la vision d ela gloire, d el'énergie divine incréée constitue la Révélation dont les dogmes sont l'expression la plus adéquate dans le langage. L'antinomie, issue de la Bible, qui affirme, par exemple, à la fois : " Nul ne peut voir la face de Dieu et vivre" et "J'ai vu la face de Dieu et j'ai été sauvé", n'est pas ici un jeu verbal : elle transcrit une réalité, un vécu que les mots humains créés ne peuvent définir par une formule unique. " C'est en effet une montagne escarpée et difficile d'accès que la théologie, dont la multitude du peuple ne touche à peine que la base (25)". (25) : ( Saint Grégoire de Nysse, op. cit., II, 158, p. 79). La même idée est au coeur des Discours Théologiques de saint Grégoire de Nazianze, le théologien. Il suffit d eles lire attentivement pour voir que ces discours n'annoncent pas, comme l'ont cru certains occidentaux, la scolastique, et ne prétendent pas sonder Dieu à l'aide des catégories d'Aristote, ou réduire les Personnes de la Trinité à des relations. Tout au contraire. Grégoire s'appuie à la fois sur la Bible - la révélation écrite - et sur sa propre expérience - la révalation expérimentée - : " Je courais pour atteindre Dieu et j'avais ainsi gravi la montagne... mais lorsque j'ai jeté un coup d'oeil, je n'ai vu à peine que le dos de Dieu (26)...". (26) : (Deuxième discours théologique : Discours 28, 3, coll. Sources chrétiennes n°250, éd. P. Gallay, Le Cerf, Paris, 1978, p. 104-106). Or ce sont les "ombres" d ela gloire divine de la Trinité qu'il perçoit, découvrant que cette expérience ineffable est le fruit d ela purification, non du discours : " Ce n'est pas à n'importe qui, sachez-le, ce n'est pas à tout homme qu'il appartient de philosopher sur Dieu...Cela n'appartient pas à tous, car c'est le fait de ceux qui se sont exercés et ont progressé dans la théoria ( la vision de Dieu), et qui se sont purifiés de corps et d'âme plus que les autres, ou à tout le moins sont en cours de purification (27)". (27) : ( Saint Grégoire de Nazianze, op. cit., 27, 3, p. 76). Ou encore, réfutant Platon, qu'il cite explicitement, saint Grégoire affirme ceci: "Concevoir Dieu, c'est difficile, mais l'exprimer, c'est impossible, a philosophiquement prononcé un des théologiens hellènes (Platon) : c'était habile de sa part, à mon avis, puisque, tout en se donnant l'air d'avoir compris Dieu, en déclarant la chose difficile, il évitait toute critique, en prétendant qu'on ne peut l'exprimer. Mais voici ce que, pour ma part, je dirai : exprimer Dieu, c'est impossible; le concevoir, c'est plus impossible encore (28)". En effet, explique saint Grégoire, ce que l'on conçoit peut s'énoncer, fût-ce imparfaitement : mais Dieu est, dans son essence, au-delà de toute intellection, et donc absolument au-delà de tout langage. Toute l'entreprise scolastique, qui n'est au fond qu'une immense "machine" pour dire Dieu, se trouve dès la base remplacée par une théologie de la "purification pour Dieu". Saint Syméon le Nouveau Théologien occupe, en plein IXème siècle, une place importante dans cette tradition, qu'il a explicitement soutenue, contre des thèses proches de celle des "théologies philosophiques (29) ". (29) : ( Voir, par exemple: Saint Syméon le Nouveau Théologien, Catéchèses, coll. Sources chrétiennes n°113, éd. Krivochéine- Paramelle, Le Cerf, Paris, 1965, chap. 29, p. 165 et Traités théologiques et éthiques V ( La véritable connaissance), et X (Le jour du jugement), coll. Sources chrétiennes n° 129, ed. J. Darrouzès, Le Cerf, Paris, 1967, p. 78-118 et 258-327). L'être sanctifié, selon saint Syméon, celui qui a purifié ses sens et son imagination, et qui, par la grâce, s'est uni à Dieu, se trouve pénétré de l'énergie divine incréée comme une boule de fer plongée dans le feu (30). (30) : ( L'image du fer qui, plongé dans le feu, devient feu lui-même tout en gardant sa nature propre, a été employée par les Pères pour décrire l'union, en Christ, de la nature divine et de la nature humaine déifiée par l'union. Voir, par exemple, saint Jean Damascène, De la foi orthodoxe, 3, 17 et 3, 19, Migne, PG 94, Paris 1860, c. 1069, 1080-1081. Rééd. avec notes par le Centre for Patristic Publications (KEPE), Athènes, 1989. La même image décrit l'expérience de la déification chez saint Syméon le Nouveau Théologien : voir, en particulier, ses Hymnes). De même que le fer reste alors fer selon sa nature, et devient tout entier feu, de même, tout en restant homme, le saint devient tout entier Dieu. Cette expérience de la vision d ela gloire de Dieu, d ela communion à l'énergie divine, les Pères l'ont nommée déification ou glorification, ou encore, avec saint Athanase le Grand, christification. Aucun terme ne suffit à la cerner. Les mots sont comme des poteaux indicateurs qui pointent vers elle : à chacun d'emprunter la route, selon le désir de purification que son coeur ressent. Nourri de la même expérience, saint Grégoire Palamas, qui avait ét, du temps de ses études, un fin connaisseur d'Aristote, précise de la façon suivante les rapports de la "métaphysique" et d ela "théologie", dans son Homélie sur l'Entrée au Temple de la Mère de Dieu (31) : (31) : ( Il s'agit de l'Homélie 53, " Sur l'Entrée dans le Sant des Saints et sur la vie divine qu'y a menée Notre Toute-Sainte Souveraine la Mère de Dieu et Toujours Vierge Marie", éditée par E.G. Meretakes, Gregoriou tou Palama, Apanta ta erga 11, " Homilies", EPE 79, Thessalonique, 1986. Cet ouvrage essentiel de saint Grégoire Palamas a été traduit en grec moderne par saint Nicodème de l'Athos au XVIIIème siècle. Le Père Ambroise Fontrier en préparait une traduction française lorsqu'il s'est endormi dans le Seigneur le 1/14 janvier 1952. Nous empruntons les lignes qui suivent à sa traduction inédite). "Bien que la science métaphysique - que les Grecs ont appelée philosophie première parce qu'ils ne connaissent pas une forme de contemplation plus élevée - s'occupe des raisons au sujet de Dieu, et qu'elle philosophe sur tout ce qui est totalement immatériel et intelligible, bien qu'elle trouve la vérité, elle est cependant très loin de la théoptie (vision de Dieu) et elle est aussi loin de la conversation avec Dieu que peut l'être celui qui connaît une chose mais ne la possède pas. Une chose est de parler de Dieu, et une autre de converser avec Dieu. Pour parler de Dieu, on a besoin de la parole proférée et de l'art de parler afin de transmettre aux autres la connaissance et l'art des divers syllogismes, des démonstrations nécessaires et des exemples tirés des choses d ece monde - dont la plupart sont réunis ou assemblés par la vue et par l'ouïe. Pour être bref, je dirais qu'une telle théologie s'occupe des choses de ce monde et que les sages de ce siècle peuvent la posséder - même s'ils sont impurs d'âme et de vie. Mais pour ce qui est de converser avec Dieu et de s'unir à lui en vérité, cela est impossible si on ne s'est pas auparavant purifié des passions, et après l'avoir fait, si on ne s'est pas trouvé hors de soi, si on n'est pas monté au-dessus de son propre être, en laissant en bas tout le sensible et la perception, si on n'est pas devenu supérieur aux syllogismes, à toute connaissance et à la pensée elle-même... si après tout cela, ayant atteint l'inconnaissance qui est au-dessus de toute connaissance, on n'est pas devenu supérieur à chaque forme de la fameuse sagesse des hommes, car la fin d ela sagesse humaine est la connaissance, tandis que la fin de la sagesse divine est l'inconnaissance". En réalité, toute la querelle de saint Grégoire Palamas avec les Barlaamites avait pour but de préserver cette expérience de la théologie révélée, qui est au coeur de la Bible. Comme le dit clairement saint Grégoire Palamas, la "raison naturelle" peut bien arriver à une certaine connaissance de Dieu, mais la distinction ultime du créé et de l'incréé est révélée en Dieu, dans l'expérience de la vision de sa gloire ou de son Royaume, son Règne. La philosophie peut concevoir Dieu, mais elle ne peut même soupçonner qu'il crée le monde ex nihilo; Les sages païens niaient une telle création. Leur connaissance de Dieu s'arrêtait à confesser sa transcendance, ils ne pouvaient croire en la Providence, ce débordement d'amour vers la créature (32). (32) : ( Saint Photios le résume, s'adressant aux Arméniens : " Ne voyez-vous pas qu'il n'a servi de rien aux sages des Hellènes de reconnaître Dieu, parce qu'ils restaient malades en refusant la providence? ", Lettre 285, Photii Epistulae et Amphilochia 3, éd. Laourdas- Westerink, Teubner, Leipzig, 1985, p. 105). De là vient que Byzance a combattu ou a dépassé les problématiques du platonisme en quête d'une interprétation de l'origine des choses. Or, si, dans l'empire romain ou byzantin, les philosophies systématiques comme le néoplatonisme n'ont cessé d'être en conflit ouvert avec le christianisme, la théologie n'a interféré ni avec le développement des sciences, ni avec la philosophie aristotélicienne, parce qu'elle n'avait aucun projet d'intégration conceptuelle de la philosophie païenne qui ne visait pas le même ordre de réalité. Il n'était donc pas question de réduire, de plier le texte de Platon ou celui d'Aristote à l'Evangile. La confusion des domaines ou des méthodes était généralement considérée comme le début de l'hérésie, et la condamnation que le Vème Concile Oecuménique avait portée contr Origène visait ce genre de démarches (33). (33) : ( Dans le Synodicon de l'Orthodoxie, les articles d'Italos dénoncent ce genre de confusion. " A ceux qui s eprétendent orthodoxes et reprennent les dogmes impies des païens sur les âmes humaines, le ciel, la terre et les autres créatures, pour les introduire sans vergogne, ou plutôt, en parfaits hérétiques, dans l'Eglise orthodoxe et catholique - anathème!" En particulier, l'origénisme et l'apocatastase sont rejetés : " A ceux qui acceptent et enseignent les vaines théories des païens; qui reconnaissent la préexistence des âmes, refusent de croire que tout a été fait et créé de rien, assignent un terme au châtiment futur ou soutiennent la Restauration universelle de la création et des choses humaines; qui, par ce genre de doctrine, introduisent un Royaume des Cieux passager et dissoluble, alors que le Christ Notre Dieu nous a appris et révélé que Son Royaume est éternel et indéfectible; et que tout l'Ancien et le Nouveau Testament nous enseignent également le châtiment sans fin et le Royaume éternel; à ceux, donc, qui disent le contraire, provoquant leur propre perte, et se faisant, pour autrui les fourriers de la damnation éternelle - anathème!" Voir note 23 ci-dessus. - ). L'oeuvre du Patriarche saint Photios donne un excellent exemple de cette relation de la théologie au savoir. Sa Bibliothèque traite de tous les sujets, somme de ses lectures comme de la connaissance de son époque. Or, en même temps, lorsqu'il doit traiter des dogmes, de la mystagogie, de la plus haute théologie du Saint Esprit, il est libre à l'égard de son esprit encyclopédique (34). (34) : ( Voir la Bibliothèque de saint Photios, éd. R. Henry, nouvelle éd. en 9 vol. dont un d'index par J. Schamp, Les Belles Lettres, Paris, 1991, et ses Oeuvres Trinitaires, 2 vol. parus, Fraternité Saint Grégoire Palamas, Paris, 1989 et 1991). Il ne suit pas tel ou tel philosophe, il suit le Christ seulement : " Quand bien même la Création entière ferait monter une seule voix, personne n'abandonnera jamais la Mystagogie ni l'enseignement du Créateur et de l'Auteur de l'univers, pour Lui préférer la créature, s'il arrivait qu'elle parlât contre Son Créateur" ( Lettre au Métropolite d'Aquilée, chapitre 23, Oeuvres Trinitaires I, p. 113). Or cette séparation des domaines, ce refus du système ou de la métaphysique comme étrangers à la véritable méthode théologique, tout cela ne rentrait pas dans la vision que les historiens voulaient donner d'une Byzance "pré-médiévale" et "orientale", extérieure au courant de l'histoire universelle que l'on veut coûte que coûte identifier au destin singulier de la culture occidentale qui se déploie le plus souvent à partir de ses propres contradictions. Cabasilas et la théologie Ces remarques générales sur "l'esprit" véritable de Byzance nous aident à mieux comprendre l'oeuvre de Nicolas Cabasilas. Ce dernier a, certes, été "humaniste" ou "préhumaniste", dans cette Thessalonique du XIVème siècle où toutes les querelles qui éclatèrent à la Renaissance se trouvaient déjà condensées (35). (35) : ( O. Tafrali, Thessalonique au XIVème siècle, op. cit., Paris, 1913, p. 149-169). Mais, en même temps, lorsqu'il a voulu parler de la théologie, il n'a pas spéculé : Il l'a décrite comme la vie en Christ, déploiement de toutes les facultés humaines dans la dimension de la divino-humanité, cette dimension nouvelle dont le Concile de Chalcédoine (451) a donné l'expression dogmatique la plus parfaite qui soit. L'hypostase du Christ, Sa Personne, est en deux natures, mais sans mélange ni confusion; le Christ, vrai Dieu, vrai Homme, est ainsi la mesure absolue de toutes choses. Tel est l'enseignement du IVème Concile Oecuménique qui, en parlant du Christ, du Dieu-Homme, définit en même temps et le but de notre vie et le moyen de le réaliser - l'entrée dans l'Eglise. L'Eglise, en effet, Corps du Christ, est le lieu même du théandrisme, "l'ouvroir théandrique" où chacun peut se déifier. Quant à l'image la plus haute de la vie en Christ, le Royaume sur la terre, c'est la liturgie qui l'offre, cette liturgie que Cabasilas s'emploie à décrire dans son Commentaire de la Divine Liturgie (36). (36) : ( Nicolas Cabasilas, Explication de la Divine Liturgie, éd. Salaville-Bornert-Gouillard-Périchon, coll. Sources chrétiennes n° 4 bis, Le Cerf, Paris, 1987). Connaître, goûter la vie dans le Christ, celle des saints qui ont cessé d'être uniquement des serviteurs de Dieu pour devenir aussi des amis de Dieu, voilà ce qui permet de "progresser dans l'intelligence spirituelle (37)", d'entrer dans le mystère de la rédemption et de la participation de l'humanité à son propre salut. C'est dans le Christ que la vraie anthropologie est intelligible. Le Christ, Dieu-Homme, est l'image par excellence sur laquelle nous avons été modelés : " La nature humaine a été créée au commencement en vue de l'homme nouveau...Car ce n'est pas le vieil Adam qui est le modèle du nouvel Adam ( le Christ), mais le Nouveau l'est de l'ancien (Rom. 5, 14). Pour nous qui le reconnaissons comme notre ancêtre, le premier Adam passe pour le type de la nature humaine; mais pour Celui qui a devant les yeux tous les êtres, avant même qu'ils existent, l'ancêtre en question n'est qu'une copie du Nouvel Adam. Il a été créé à l'image et à la ressemblance de ce dernier... Pour tout dire, le premier et le seul qui montra l'homme véritable et parfait, dans son comportement, dans sa vie et dans tout le reste, c'est le Sauveur (38)". (38) : (Nicolas Cabasilas, La Vie en Christ, PG 150, 680, tr. S. Broussaleux, Amay, 1932, p. 183). Celui dont nous sommes l'image vient renouveler son image détériorée, il vient régénérer la nature humaine qui, en Adam, est tombée malade. La théologie de la rédemption chez Cabasilas n'offre donc rien de comparable à celle d'Augustin, selon lequel l'homme est tombé coupable en Adam, la culpabilité se transmettant malgré nous de générations en génarations.Elle n'a rien non plus de celle d'Anselme de Cantorbéry, qui pense que la colère divine contre l'homme n'a pu être satisfaite que par le sacrifice du Juste, du Fils incarné sans péché sur la Croix - ce qui revient à centrer la rédemption sur la satisfaction de la colère divine et sur la Croix comme instrument de souffrance offerte au Père. Au contraire, chez Cabasilas, héritier de la théologie aposqtolique et patristique, Dieu s'est fait homme pour le péché, le diable et la mort qui tenaient l'homme prisonnier, soient vaincus et qu'en Christ, tous ceux qui le veulent puissent arriver à la guérison de la nature malade, à la liberté véritable et au salut : " ...le pouvoir de mettre à mort le péché n'appartenait qu'à Dieu. En effet, pour nous les hommes, c'était une obligation, ayant été vaincus volontairement, nous étions tenus de réparer notre défaite - mais alors cela nous était absolument impossible, une fois devenus esclaves du péché... Puis donc que celui qui était tenu d'acquitter cette dette et de remporter cette victoire était réduit en esclavage par ceux-là même qu'il devait vaincre au combat; et puisque Dieu, qui en était capable, n'avait aucune dette, et que dans ces conditions aucun des deux ne se chargeait du combat, et que le péché vivait, et qu'il n'y avait plus moyen que la véritable vie se levât sur nous - car autre était celui qui devait gagner ce trophée, autre celui qui le pouvait - pour cette raison, il fallut que l'un et l'autre se réunissent, que fussent un seul et même être les deux natures de celui qui devait faire la guerre et de celui qui pouvait vaincre. C'est ce qui se produit : un Dieu s'approprie le combat livré pour les hommes, parce qu'il est homme; un homme triomphe du péché, étant pur de tout péché parce qu'il est Dieu. De cette façon, notre nature est affranchie de la honte et ceint la couronne de la victoire, car le péché a été abattu (39) ( La Vie en Christ I, 43-44). Par la Croix et la Résurrection, la liberté de l'homme a été restaurée : " Du jour où le Christ est monté sur la Croix, où il est mort et ressuscité, la liberté des hommes a été établie, leur figure et leur beauté ont été constituées, une forme nouvelle et des membres nouveaux ont été préparés (40)" (2, 43). (40) : ( Ibid., p. 170-173). Nulle prédestination au sens augustinien, voire thomiste, chez Cabasilas : le mystère du salut est celui de la synergie, de la coopération de la liberté et de la grâce divine : " Telle est la vie en Christ : ce sont les mystères qui lui donnent l'existence, mais il apparaît que la ferveur de l'homme peut y contribuer (41)" ( 1, 66). (41) : ( Ibid., p. 132-133). Tout homme a le pouvoir de suivre le Christ : pour chacun, la rédemption, actualisée dans les mystères ( ou sacrements), est un appel absolu à la décision la plus haute à laquelle la grâce nous invite. En ce sens, tout homme est appelé à combattre, le salut n'est pas mécanique : " Chaque homme n'avait pas encore pour autant vaincu ni combattu, autrement dit, n'avait pas encore été délivré de ses fers : cela aussi, c'est le Sauveur qui l'a réalisé, en ajoutant les moyens par lesquels il a donné à chaque homme de mettre à mort le péché et de partager ses exploits (42)" (I, 45). (42) : ( Ibid., p. 119). La vie n Christ, enfin, pour Cabasilas, s'accomplit dans l'Eglise qui est le mystère par excellence, où tous les mystères prennent leur sens : " L'Eglise est signifiée dans les saints mystères, non pas comme en des symboles, mais bien comme dans le coeur sont signifiés les membres, comme en la racine d'un arbre ses branches, et, selon l'expression du Sauveur, comme en la vigne les sarments. Car il n'y a pas seulement ici communauté de nom, ou analogie de ressemblance, mais identité de réalité. " En effet, les saints mystères sont le corps et le sang du Christ, qui pour l'Eglise du Christ sont véritable nourriture et véritable breuvage. En y participant, ce n'est pas elle, l'Eglise, qui les transforme au corps humain, comme nous faisons pour les aliments ordinaires, mais c'est elle qui est transformée en eux. Le fer, mis en contact avec le feu, devient feu lui-même et ne donne pas au feu de devenir fer. Eh bien! de même que le fer incandescent ne paraît pas à nos regards du fer, mais du feu, les propriétés du fer étant comme disparues sous l'action du feu : de même, si l'on pouvait voir l'Eglise du Christ, en tant qu'elle Lui est unie et participe à sa chair sacrée, on ne verrait rien d'autre que le corps du Sauveur (43)". (43) : (Explication de la Divine Liturgie, chap. 38, 2, éd. cit., p. 230-231). La vie en Christ n'est donc pas séparable de la théologie, parce qu'en elle s'accomplit dans l'Esprit Saint la glorification, la déification, qui est le but même de la vie chrétienne : " Dieu s'est fait homme pour que l'homme devienne Dieu". La Mère de Dieu La Mère de Dieu est le modèle même de la vie parfaite en Christ. Les Homélies sur la Mère de Dieu, sur sa Naissance, sur l'Annonciation et sur la Dormition sont donc le développement et l'achèvement de l'enseignement orthodoxe de Nicolas Cabasilas sur la vie en Christ. Saint Grégoire Palamas, dans son Homélie sur la Croix, explique comment le mystère de la Croix agissait déjà dans l'Ancien Testament, et comment les justes, s'ils n'étaient pas encore libérés de la mort, participaient néanmoins momentanément à la gloire de l'Ange du Grand Conseil, du Seigneur de Gloire, c'est-à-dire du Verbe "asarkos" - sans la chair -, non encore incarné (44). (44) : ( Texte dans Migne, PG 151, 123-146; trad. dans La Lumière du Thabor 27, Paris, 1990, p. 17-33). Dans sa longue Homélie sur l'Entrée au Temple de la Mère de Dieu, le saint archevêque de Thessalonique montre comment la Mère de Dieu, dès l'enfance, sans faute personnelle, toute pure, s'est élevée à la glorification. C'est le même enseignement patristique que l'on trouve dans les Homélies de Cabasilas, disciple du saint hésychaste. Pour Cabasilas, la Mère de Dieu n'a pas reçu davantage, elle n'a pas été séparée par un décret préexistant de Dieu qui l'aurait libérée du "péché originel", comme dans la conception occidentale de l'Immaculée Conception : " Elle s'est présentée d'elle-même à Dieu, passant outre la séparation qui subsistait et le mur qui séparait de Dieu l'univers n'a pu résister au désir d'une seule âme - est-il donc chose plus admirable? En effet, Dieu ne l'avait pas préparée particulièrement pour cette sagesse, pas plus qu'en lui offrant autant qu'aux autres il ne l'avait jugée digne d'une assistance plus grande. C'est seulement en usant d'elle-même et des moyens communs donnés à tous pour la vertu qu'elle a remporté cette victoire inouïe et au-dessus de la nature". Le mystère de l'Incarnation est celui de cette synergie, de ce conseil que Dieu demande à sa créature qui, de toutes les créatures, est celle qui s'est le mieux conformée à sa volonté : " Adam, Dieu ne l'avait point averti ni n'avait tenté de le persuader de livrer son côté, dont Eve serait modelée, mais Il lui avait fait perdre connaissance pour l'amputer. Il informa cependant d'abord la Vierge et attendit son accord pour passer aux actes. Lors de la création d'Adam, il s'était adressé à son Fils unique : Faisons l'homme, dit-il; mais lorsqu'il fallut, comme le dit Paul, faire entrer dans le monde le Premier-né, ce conseiller merveilleux, et créer le deuxième Adam, c'est à la Vierge qu'il fait part de son dessein - et ce grand dessein, comme le dit Isaïe, Dieu le proposa et la Vierge en disposa. Ainsi l'Incarnation du Verbe fut-elle l'oeuvre, non seulement du Père, et de sa Puissance, et de l'Esprit - l'un 'voulant bien' ( eudokountos), l'autre faisant sa demeure, et Celui-là couvrant de son ombre - mais aussi de la volonté et d ela foi de la Vierge. Car si sans ceux-là il n'eût pas été possible de réaliser ce dessein, il n'eût pas non plus été réalisable si la volonté et la foi de la Toute-Pure n'étaient pas intervenues dans cette oeuvre". Si Dieu, comme dans le système très tardif de l'Immaculée Conception, avait séparé la Mère de Dieu, par un décret particulier, d el'humanité qui descend d'Adam, non seulement son "fiat" serait sans signification, simple écho de la grâce divine irrésistible, coupé de l'asscèse de la Mère de Dieu qui a cherché la vraie sagesse, la vraie théologie, celle de l'inconnaissance, dont parle saint Grégoire Palamas après le grand Denys; mais encore, on ne comprendrait pas pourquoi Dieu n'aurait pas mis à part, de la même façon, n'importe quelle autre créature, bien avant dans le cours de l'Histoire, qui aurait ainsi évité tant de tragédies spirituelles - que disons-nous? mais Dieu, à qui tout est facile, ne se devait-il alors d'exempter tous les hommes du péché par le même décret? Si, comme le soutiennent certains protestants, il n'a tenu qu'à Dieu de s'incarner de celle-ci plutôt que de telle autre, la volonté humaine se trouve semblablement anéantie devant la volonté divine. D'une manière générale la pensée humaine non-régénérée, non-christifiée, est incapable de saisir l'abaissement de Dieu dans Son Incarnation, et la rencontre de la volonté divine avec une volonté créée. Oui, s'étant librement unie à Dieu, la Mère de Dieu lui a prêté notre nature et c'est pourquoi, dans la tradition patristique orthodoxe, elle est celle qui peut intercéder pour nous : " Unique et seule parmi tous les hommes, la Bienheureuse, offrant une âme digne de Dieu, a pu prendre la défense d'autrui". Le Christ s'est fait le débiteur de sa créature, d ela Vierge qui lui a prêté la chair. Devenu redevable envers elle de sa nature humaine, le Seigneur exauce toujours ses prières. Il l'acoute lorsque le coeur des chrétiens se tourne vers elle et la supplie : " Très Sainte Mère de Dieu, sauve-nous (45)". (45) : ( Ici se pose la question : est-il permis de dire : " Très Sainte Mère de Dieu, sauve-nous?" "Dieu seul sauve, suggèrent certains; le Toute-Sainte ne peut que prier pour nous". Contre cette suggestion, l'Eglise orthodoxe confesse qu'il n'y a de salut que par la Mère de Dieu, par qui Dieu s'est rendu visible et connaissable aux mortels. Voir tout le débat dans : " Très Sainte Mère de Dieu, sauve-nous", La Lumière du Thabor 23, Paris, 1989, p. 1-4). En lisant Nicolas Cabasilas, on saisit que le mystère de la Mère de Dieu ne scintille qu'au plus profond du sanctuaire. Telle est la vraie raison pour laquelle la vénération de la Mère de Dieu occupe une place si grande dans l'Eglise, et si restreinte dans les textes destinés à la prédication extérieure. Les évangélistes et tous les saints, et toute la tradition sacrée, ont été d'une grande sobriété quand ils ont parlé d ela Mère de Dieu, pour ne pas exposer aux incrédules ce qui dépasse totalement la raison humaine. S'il est inconcevable que Dieu se soit fait homme, il est encore plus inconcevable que le désir d'une seule créature ait contribué à ce miracle. Toute la vénération de la Mère de Dieu dans l'Eglise orthodoxe prend son sens à la lumière de cette vérité. Citons, en guise de conclusion, le tropaire, admirable et inspiré, de saint André de Crète, qui est comme le résumé de toute l'hymnographie orthodoxe à la Mère de Dieu, d ela louange du peuple fidèle à la Toute Sainte, "plus vénérable que les chérubins et incomparablement plus glorieuse que les séraphinns (46)" : (46) : ( Hymne de Cosma, que l'Eglise a associé à l'hymne "Il est digne", révélé par un ange : " Il est digne en vérité de te célébrer, toi qui enfantas Dieu. Bienheureuse à jamais, et très pure et Mère de notre Dieu. Toi plus vénérable que les Chérubins et incomparablement plus glorieuse que les Séraphins, qui sans tache enfantas Dieu le Verbe, toi véritablement la Mère de Dieu, nous t'exaltons"). "Réjouis-toi, Dieu après Dieu, Seconde après la Trinité! Seule tu reçois la plénitude de tous les dons divins que tu transmets ensuite aux anges et aux hommes. Epouse du Père, Mère sans tache du Fils, Temple saint de l'Esprit inondé de lumière, Fin ultime et sublime de toute la création dont la beauté pour toi a été faite, en ta naissance, ô Innocente, s'est accompli le sessein éternel du Créateur (47)"). + Père Patric Ranson (47) : ( Tropaire de saint ANdré de Crète, pour la Nativité de la Mère de Dieu. Citons aussi le tropaire qui revêtit une telle importance dans l'histoire de l'Eglise Orthodoxe et dans celle de Constantinople : " A toi, le suprême stratège, le prix de la victoire! Moi, ta ville libérée des dangers, je t'offre l'action de grâces, ô Mère de Dieu! Toi, dont la force est invincible, délivre-moi de tout péril, moi qui t'acclame en criant : Salut! Epouse Inépousée!" HOMELIE SUR LA GLORIEUSE NATIVITE DE LA TRES SAINTE MERE DE DIEU Invoquons avant tout Dieu sur nous, non pas pour rivaliser d'éloquence avec la réalité, ni pour épuiser notre sujet - cela excèderait les ambitions humaines, - mais seulement pour venir à bout de notre discours et ne pas paraître trop inférieur aux nombreux autres orateurs qui en ont déjà parlé. Et plus encore, pour tirer profit de notre travail, pour en gagner quelque bénédiction d'avoir accompli en quelque sorte un devoir sacré. Je demanderai donc l'utilité de l'âme - parce que je sais que c'est ce qui honore le plus celle que nous chantons, ce qu'elle désire le plus pour ceux qui la chantent, et ce qu'elle recherche par tous les bienfaits qu'elle nous accorde, comme en tout ce qui nous rend dignes de recevoir ses bienfaits. Je crois aussi que ceux des hommes vraiment bienheureux qui offrirent leurs discours en cette vie pour l'utilité du bien commun, ne parlèrent pas en de futiles bavardages. Ils ne lui décernèrent pas non plus des louanges de pur principe. Ils se consacraient aussi brillamment qu'ils le pouvaient à la Vierge. Eloge de Joachim et d'Anne les parents de la Vierge Il ne serait pas non plus de bon sens de passer sous silence les bienfaiteurs de notre race sans mentionner aucun ou presque de leurs bienfaits, alors que le monde tout entier, s'il n'avait qu'une seule voix, ne saurait suffire à les en remercier. Car s'il est nécessaire que les ouvriers s'appliquent et exécutent en tout ce qu'il convient de faire, lorsque celui qui organise le travail le sait dans sa sagesse et qu'avec la capacité, il a tout le matériel nécessaire, quelle multitude de louanges ne serait insuffisante pour vous - ô couple bienheureux! - dont Dieu a daigné faire usage pour le plus parfait et le plus grand oeuvre de tous les temps, le plus étrange comme le plus utile à tous - je veux dire pour se revêtir de chair et naître parmi les hommes en prenant de nous une mère. Car de même qu'il est nécessaire qu'arrivent scandales et malheurs - et cependant il est dit : Malheur à celui par qui le scandale arrive (48)! - de même parmi tous ceux qui ont été bons et dignes de recevoir des honneurs publics, parmi ceux qui ont été établis pour procurer ce qui est utile à la race humaine, vous êtes les meilleurs et les plus dignes. (48) : ( Matt. 18, 7). Or vous êtes d'autant supérieurs à tous, généraux et législateurs, prêtres et chefs du peuple, et à tous ceux qui ont combattu pour leurs compatriotes, que ce que vous avez été pour les hommes représente, comparé à leurs exploits, quelque chose de beaucoup plus inouï. Car si, pour conserver cette vie aux hommes corrompus, et pour que la nature commune survécût en quelques individus au déluge général, un seul homme fut choisi - Noé, le plus juste de ceux qui existaient alors; et si, pour libérer les Hébreux, on avait besoin d'un chef - et seul parmi beaucoup Moïse reçut cet honneur, lui qui, ayant exercé son âme à toute vertu, à la différence des hommes de son temps, put voir Dieu et entendre sa voix; si pour conquérir la terre promise, il suffit de l'illustre Josué; et si, avant eux, Abraham avait remporté comme trophée de sa piété de devenir prère d'un peuple instruit à adorer Dieu; si, enfin, parmi tous ceux qui ont été utiles à notre race, il n'en fut aucun qui n'eût d'abord accordé et réconcilié son âme avec tout le bien dont il seriat ensuite cause pour les autres - lorsqu'il fallut délivrer l'univers entier de la tyrannie des démons, introduire l'immortalité dans la vie des mortels, et cultiver la vie angélique dans les âmes des hommes et pour tout dire, unir la terre aux cieux, que pourrait-on dire de plus de ceux qu'il est naturel d'en considérer comme les ouvriers, de ceux dont Dieu a eu besoin comme d'outils et collaborateurs de sa philanthropie, pour introduire dans le monde sa merveilleuse grâce? S'il est évident que la colère et le châtiment dont il est naturel que les méchants soient frappés, leur sont envoyés par les anges mauvais, c'est par les bons anges que les biens sont donnés - et le bien le meilleur est fait aux hommes par les bienfaiteurs les meilleurs. C'est donc à Moïse, à Noé, à Abraham et à tous ceux de qui notre race a tiré profit, que vous devez d'être encore plus justes, d'observer encore mieux les lois, et d'être plus encore qu'eux tous amis de Dieu. Que vous ayez en effet reçu de Dieu la possibilité de tels exploits, que vous ayez été élevés pour cette raison à un tel honneur, est une preuve éclatante de ce que vous êtes - parmi tous les hommes - les amis de Dieu; et que vous soyez les amis de Dieu est une preuve évidente de ce que vous avez gardé la Loi plus que tous les autres, de ce que vous les avez tous surpassés en justice. S'il convient de saluer votre fruit du nom de "Vierge bienheureuse" - et c'est à leur fruit, est-il dit, que vous les reconnaîtrez (49) - que pourrait-on dire de plus? (49) : ( Voir Matt. 7, 16). Or ce n'est pas simplement de la nature que vous avez eu un enfant, mais ce fut une oeuvre de prière et de justice - et d'ailleurs la nature interdisait un engendrement aussi surnaturel - car à Dieu tout est possible. Dieu l'accorda à vos prières, et la puissance de votre prière reçut l'autorisation de votre vertu. Ou bien : c'est en don que Dieu envoie aux parents les engendrements qui les rendent heureux - or Dieu est incapable en cela de partialité, lui qui pèse tout à la balance et au fléau, - et il désigne ceux qui reçoivent de l'abondance de ses dons, de même, je pense, que c'est à la couronne qu'on peut reconnaître l'athlète. D'ailleurs puisque la grâce est la perfection de la Loi - et nous savons que ce qui est nouveau est le fruit de l'ancien, mais qu'il n'y a pas de fruit de ce qui n'est pas encore parfait, - il s'avère que vous avez fait croître à la perfection le fruit de la Loi - sinon vous n'auriez pas porté le trésor de la grâce, le fruit d ela grâce, la Vierge. Et si Dieu, dans sa justice, trouve celui qui a été fidèle en peu de choses digne de recevoir beaucoup, n'avez-vous pas montré de façon éclatante que vous aviez gardé mieux la Loi, et respecté plus que tous les autres la tente du Témoignage, du fait que seuls parmi tous les hommes vous avez porté et même construit la véritable Tente de Dieu - supérieure à l'autre comme à son image et son ombre? Car vous n'eussiez pas été dignes de grandes choses si vous n'aviez satisfait aux plus petites, et vous n'eussiez pas reçu la réalité si vous en aviez négligé l'ombre. De mêm qu'il était naturel que le Sauveur, pour introduire une nouvelle loi, accomplit toute la justice de la Loi ancienne, vous de même, parvenus au seuil de la nouvelle loi et préparés à accueillir le temple de la grâce, il était nécessaire que vous fussiez d'exacts gardiens de la Loi - car la grâce est la plénitude de la Loi : comment donc eussiez-vous pu compléter ce qui manquait encore si vous vous étiez détournés de ce qui existait? Comment en effet poser le pinacle qui couronne la Loi sans en avoir d'abord construit tout l'édifice? Il était évident que la méchanceté des Hébreux était grande au point d'avoir voulu faire disparaître la Loi et d'avoir brisé les tables sur lesquelles elle était écrite - cra Moïse ne put supporter de confier à des oreilles ivres ce qu'il avait reçu dans le jeûne et la sobriété de l'esprit et après tant de labeurs; Mais vous c'est la Vierge que vous avez suscitée, vous avez modelé ce livre vivant, qui ne contient pas seulement la Loi mais le législateur lui-même, et cela plaide à nouveau clairement en votre faveur. En effet après avoir jeûné et écouté Dieu comme Moïse, vous avez été récompensés, mais d'une autre manière que lui; car lui reçut une Loi qui devait être abrogée peu après, alors que vous, vous avez reçu le sang qui conclut la Nouvelle Alliance, ce sang que Dieu prit sur lui, dit l'Apôtre, pour " pénétrer derrière le rideau après avoir obtenu une libération éternelle (50)". (50) : ( Héb. 9, 12). Est-il donc bouche plus sainte que celles-ci qui ont été ainsi capables d'élever la voix vers Dieu? Qui peut égaler les âmes qui ont prié d'une telle prière? Quels sacrifices sont plus agréables à Dieu? Quels sanctuaires sont plus sacrés? Car il fallait cette racine, et que la Mère de Dieu prît un corps spirituel par cette voie. Il fallait que cette mère fût proche de Dieu plus que tous les hommes, et que la voie suivie fût la puissance d ela prière; il fallait qu'elle eût usé des moyens convenables our entrer dans la vie, elle qui a réuni les hommes à Dieu en abolissant la haine entre eux, en ouvrant par ses prières la voie du ciel et en détruisant le mur de séparation. Certes la même chose est arrivée à d'autres, qui sont nés par le don de la prière, avant ou après elle, mais c'est bien elle qui en est manifestement la cause puisque c'est elle qui a ouvert à tous le trésor des grâces - et pas seulement pour ceux qui sont venus après elle, car c'est à elle que l'on doit aussi ce qui est survenu auparavant. Tout ce qui leur est arrivé vient de là : soit comme l'ombre tient du corps sa forme et son type - puisque c'est ainsi que l'ancien regarde vers le nouveau; soit parce qu'elle était la parure de tous avant même d'entrer dans la vie - puisque Dieu, en vue de sa naissance, avait orné à l'avance sa mère de tous les honneurs. C'est pourquoi il n'en a pas été de même, ni semblablement, pour eux et pour la Très-Pure, pas plus qu'il n'en va de même pour l'ombre ou pour l'empreinte et pour la vérité ou réalité. Chez les anciens l'on trouvait le sang purificateur des péchés avant le grand sacrifice; il y avait le même rapport entre ces réalités qu'ici encore entre les figures et les noms, car et le sang et le sacrifice sont pour les péchés. Elle seule a été l'oeuvre d'une sainte prière, en qui il n'était rien de mauvais; elle seule a été un don de Dieu digne à la fois d'être accordée à cause de la prière et d'être reçue par ceux qui demandaient, car ni la main qui donnait, ni la main qui recevait n'ont rien eu à regretter d'elle. Il en résulte que la nature ne put en rien contribuer à la naissance de la Toute-Pure, que c'est le Dieu invoqué qui a tout fait et qu'il a créé la bienheureuse pour ainsi dire directement - ignorant la nature comme lorsqu'il avait créé le premier homme. D'ailleurs la Vierge est véritablement le premier homme, puisqu'elle a été la première et la seule à révéler la nature humaine. Et voici comment. La Vierge, parure parfaite de l'humanité Nombreux sont les dons que Dieu a faits aux hommes, tant ceux qu'Il a déjà donnés que les dons qu'Il accorde à ceux qui ont combattu pour conserver les premiers. Mais le principal de tous, celui qui crée l'homme, est d'aimer Dieu dans la pureté, de vivre selon la raison, de contenir les passions et de n'avoir aucun goût pour le péché. Or le pouvoir de vivre de cette manière et d'être purs après avoir été plus forts que tout péché, avait été mis en nous dès le commencement : pouvoir d'abord de contenir le péché - non sans peine mais après avoir combattu; puis, après avoir montré et réussi tout ce qui est de notre ressort, pouvoir de faire cesser nos labeurs, d'être bons sans combats et de rester sans péchés - après avoir obtenu l'incorruptibilité même du corps. Concevoir autrement ce qui concerne l'homme serait insensé, car sinon la nature eût été si attirée vers le péché et - bien qu'ayant tout fait et usé de tout contre lui - nous ne pourrions être entièrement indemnes des blessures qui en découlent, et ce mauvais état serait immuable en nous; nous serions ainsi pires que les animaux, en qui il n'est aucun mal; et il nous serait de plus impossible de ne pas accuser le Créateur de n'être pas absolument bon - en tant qu'auteur du mal - de ne pas toujours récompenser le juste en exigeant de nous ce qu'il n'a pas déposé en nous, et de réclamer un tribut sans avoir armé l'homme contre tous les péchés. A moins qu'il ne nous eût liés aux énergies du bien dès le commencement au point qu'on serait bon sans même avoir peiné le moins du monde, - et certes il ne serait pas possible d'être bon de cette manière, sans avoir eu à courir de soi-même vers la vertu et le bien, car nous serions alors entraînés, nous subirions le bien plutôt que d el'avoir fait. Comment pourrions-nous alors utiliser cette liberté de notre volonté, que nous avons reçue afin qu'elle soit cause d'éloges et de victoires pour ceux qui marchent seulement par eux-mêmes, différant ainsi de ceux qui ne sont mus que par la nature? Mais il ne conviendrait pas à Dieu que l'homme ne pût jamais arriver au bout de ces exploits de vertu dont il a honoré notre nature et d ele laisser lutter sans fin, sans connaître aucun terme à ses combats, car il n'y aurait alors rien de plus pénible pour l'homme, cependant que tous les autres êtres ont un but vers lequel ils tendent et auquel ils doivent aboutir. C'est pourquoi il faut bien admettre que le pouvoir de lutter contre le péché a été déposé dans la nature humaine, et que nous devons faire passer ce pouvoir en acte, devenant bons en nous-mêmes et par nous-mêmes afin d'accomplir le bien qui est en nous et d'achever combats et labeurs. Sinon, pourquoi aurions-nous encore besoin de combats, si ce n'était pour protéger la vertu qui est encore inachevée en nous et ne pas la laisser trop éloignée de celle qui nous est proposée? Alors il n'y a plus aucun danger ni aucune force tendant vers le péché, de quelque sorte que ce soit, puisque Dieu - le Bien parfait - qui constitue tout notre espoir, ne laisse rien d'où il soit absent. Tels sont les dons de Dieu pour les hommes et telle est leur grandeur. AInsi ayant reçu de sa main une nature aussi bonne, ils l'auraient reçue d'autant meilleure encore s'ils avaient conservé leurs dons primitifs; mais ils l'ont tant altérée qu'ils n'étaient plus capables de disposer ni d'user comme il convenait de ces dons qu'ils avaient reçus - et encore moins des dons suivants encore meilleurs qu'ils auraient reçus s'ils s'étaient montrés de bons économes des premiers. Mais personne n'a mis en oeuvre le pouvoir de lutter contre le péché - pouvoir qui était dans leur nature et présent en tous; il ne se trouvait personne qui vécût exempt de reproches, et la maladie inaugurée par le premier des hommes et partagée par tous régna sur tous. Il sembla que notre nature fût le mal, que s'était cachée sa beauté naturelle, et qu'en tant de corps humains l'homme restât invisible, car tous en usaient du plus méchant que pouvait leur âme, sans qu'appraût jamais la vie selon le bien qui s'y trouve. Mais la Vierge très-pure, sans avoir le Ciel pour cité, - car elle ne provenait pas des corps célestes mais de la terre, de la manière qui nous est commune à tous en cette race déchue oublieuse de sa propre nature, - seule parmi les hommes a tenu, du début jusqu'à la fin, contre toute méchanceté. Seule elle a rendu à Dieu intacte la beauté qu'Il nous avait donnée, seule elle a usé de toute la puissance et de toutes les armes qu'Il nous avait remises. Par son amour de Dieu et la force de sa pensée, par la rectitude de sa volonté et l'immensité de sa sagesse, elle a repoussé tout péché et remporté une victoire semblable à aucune autre. Ainsi a-t-elle révélé l'homme tel qu'il fut créé; ainsi a-t-elle révélé Dieu et sa sagesse ineffable - et combien Il aime l'homme. Celui qu'elle a revêtu d'un corps et présenté aux yeux de tous, elle l'avait tout d'abord dessiné d'après elle-même, et ce n'est que par elle, seule parmi toutes les créatures, qu'il a été vraiment possible de connaître le Créateur (51), car ici-bas ni la Loi n'avait pu en faire autant, ni la langue des Prophètes, ni l'art manifesté par les créatures visibles, ni les cieux racontant la gloire de l'artisan (52), ni la sollicitude et la prévoyance des anges, ni rien d'autre de ce qui a été fait, rien ne pouvait manifester ni la bonté ni la sagesse divines. (51) : ( Voir Sag. 13, 1). (52) : ( Ps. 18, 1). Seul un homme portant l'image de Dieu, s'il apparaît lui-même purement tel qu'il est sans ajouter aucun trait, pouvait montrer véritablement ce Dieu. Seule l'a pu la Vierge bienheureuse, seule elle a brillamment pu garder l'espèce humaine pure de toute sorte d'altération, seule parmi tous les hommes qui ont existé et qui existeront par la suite; car personne d'autre, dit le Prophète, n'est pur de toute souillure (53). (53) : ( Job, 14, 4). C'est cela qui, plus que tout miracle, provoque l'admiration, non seulement des hommes, mais aussi des anges; c'est cela qui dépasse tout langage : que tout à la fois la Vierge soit un être humain, participant à tout ce que les hommes ont de commun, sans rien y ajouter, et qu'elle échappe à la maladie commune. Comment l'a-t-elle pu? Usant de quelles pensées? Bien plus, comment, au commencement, est-elle entrée dans ce dessein, comment s'est-elle lancée dans cette lutte dont on n'avait jamais entendu dire qu'aucun de ses congénères l'eût gagnée? Sur quels modèles jetait-elle les yeux? Qui pouvait attendre d'elle la victoire? D'où tirait-elle tant d'audace? La nature était abattue et on ne peut décrire en quelle méchanceté s'entretenait le plus grand nombre. Le bien était rare, et on ne le devait qu'à ceux qui viendraient - tant il s'en fallait alors qu'on pût être utile aux autres. D'où la Vierge tint-elle donc sa victoire? N'étant pas venue à la vie avant les autres hommes, elle ne peut cependant pas avoir reçu une nature indemne de toute méchanceté, et n'étant pas venue après l'Homme nouveau, ce n'est pas non plus de Lui qu'elle a pu recevoir la nouvelle inclination. Certes il n'eût pas été extraordinaire qu'Adam vainquît le péché - alors que rien ne faisait défaut qui n'eût poussé à la vertu ni écarté du mal : son mode de vie, un lieu comblé de tout plaisir, un labeur exonéré de toute peine, un corps exempt de toute corruption, une âme sans aucun goût pour le péché. Mieux encore il ne tenait aucun homme comme origine de son extraction, reconnaissant directement Dieu lui-même comme père de sa nature, comme éducateur et législateur; il était donc disposé à toute espèce de communion avec Lui, et eût ainsi dû garder un désir insatiable pour Dieu. Cependant que pour ceux qui sont arrivés après la grâce et la réconciliation, depuis la nouvelle Victime et l'effusion de l'Esprit, depuis l'Ineffable naissance dans les eaux et les redoutables mystères de l'Autel, pour ceux qui ont joui ainsi de secours au-dessus de la nature, qu'ils soient étrangers à toute méchanceté ne serait aucunement un miracle. Or s'il est si difficile et si ardu pour un homme de résister jusqu'à la fin au péché et si le premier homme lui-même fut le premier aussi à transgresser la loi, et qu'avec tant d'armes pour le bien et pour la vertu il ait succombé aussitôt sans résister à l'assaut; mais si, davantage, après le bain baptismal et la grâce reçue, et même pour ceux qui se sont consacrés le plus sérieusement à la philosophie suprême et sont devenus maîtres d'eux-mêmes, il est des maux dont ils ne sont pas totalement innocents, et s'ils ont donc besoin à tout moment de purifications incessantes : qu'elle ait pu accomplir, sans avoir besoin d'aucune aide, ce qu'aucun de ceux qui sont exercés en toute manière n'a réussi - ni avant la maladie commune ni après le médecin commun - que la Vierge l'ait pu cependant bien qu'elle eût fait son entrée dans la vie alors que le mal était à son zénith, à son comble, dans le lieu du châtiment, dans une nature qui avait appris à tout instant à être vaincue, en un corps asservi à la mort, alors même que tous ceux qui pouvaient pousser au mal se trouvaient excessivement près et que ceux qui auraient su combattre étaient absents, qu'elle ait pu enfin garder son âme pure de toute méchanceté, devenant donc un être purement humain par sa seule sagesse - quel esprit pourrait assez le concevoir, quelle langue pourrait dignement le chanter? Soit qu'avant la réconciliation commune, avant que ne fût arrivé l'artisan de la paix, elle ait dissous en elle-même la haine, ouvert le ciel, attiré la grâce, reçu pouvoir sur le péché - ô miracle au-dessus de toute raison : qu'a donc pu offrir la Vierge d'aussi surnaturel, qui puisse égaler le grand sacrifice? - soit que son choix ait été si résolu, malgré l'hostilité de la nature, qu'elle s'est présentée d'elle-même à Dieu passant outre la séparation qui subsistait, et que donc le mur qui séparait de Dieu l'univers n'a pu résister au désir d'une seule âme, est-il donc chose plus admirable? En effet, Dieu ne l'avait pas préparée particulièrement pour cette sagesse, pas plus qu'en lui offrant autant qu'aux autres il ne l'avait jugée digne d'une assistance plus grande; c'est seulement en usant d'elle-même et des moyens communs donnés à tous pour la vertu qu'elle a remporté cette victoire inouïe et au-dessus de la nature. La Mère de Dieu n'a reçu que la grâce commune à tous Croire, en effet, que Dieu ait créé la vertu au nombre des habitus (54) de l'homme, telle une autre de ses oeuvres, irait avant tout contre la raison d'être de la vertu, qui est un bien volontaire et l'oeuvre de notre choix. (54) : ( Habitus : disposition naturelle, qualité innée ou acquise. C'est le philosophe païen Aristote qui a cru que la vertu était une habitude. Sa conception faussée de la volonté s'est transmise aux scolastiques, dénaturant le christianisme. On peut rapprocher ce texte de Nicolas Cabasilas du Tome Hagiorite publié dans La Lumière du Thabor, n°29, Paris, 1991, qui explique que la grâce déifiante n'est pas non plus un habitus de la nature humaine. La rencontre et le mariage de la volonté divine et de la volonté humaine, libres l'une et l'autre, est impensable dans les systèmes scolastiques). Car s'il revient à l'homme d'user de son être par la pensée et par l'autonomie de sa volonté, il convient aussi que son "être-bien" soit dans le bon usage de sa pensée et de l'aotonomie de sa volonté. Si le bien ne saurait nuire à l'être, devenir meilleur ne saurait amoindrir les qualités qui existent en nous, et dont la vocation est de progresser. Il serait donc absurde que, du seul fait de bien faire, nous puissions ruiner notre nature et ce que nous sommes et diminuer notre liberté par plus de vertu. Admettre cela conduirait à de nombreuses absurdités, car il faudrait : ou bien que personne ne reçoive aucun châtiment pour sa méchanceté et que les bons n'aient pas le juste mérite de leurs exploits - puisqu'ils ne se dirigeraient pas eux-mêmes et ne seraient pas maîtres de leur volonté; ou bien considérer Dieu comme injuste lorsqu'il ne pardonne pas, puisque en distinguant entre ceux qu'il couronne et ceux qu'il condamne au châtiment suprême, il le ferait dans les deux cas sans motif. Alors qu'il lui serait possible de rendre bons tous les hommes et de leur distribuer également les bienfaits de sa main puissante, il serait tout à fait pervers qu'il ne le fît point. Que voudraient alors dire ces paroles : Dieu ne fait point acception de personne, et : Il veut que tous soient sauvés ( 55)? (55) : ( Gal. 2, 6 et 1 Tim. 2, 4). Comment pourrait-il distribuer ce bien le plus commun de tous les biens et d'autant meilleur que le soleil, la lumière et tout ce à quoi tous ont également part, tout ce bien qui a été distribué à profusion? Or ce n'est pas là seulement une conclusion ou une opinion : il est absolument manifeste que Dieu a jugé tous les hommes digne de la plus haute récompense pour l'amour de la sagesse - et s'ils sont tous dignes de la plus haute, ils sont tous dignes de la même. De toutes les utopies qu'on pourrait inventer et des plus grands miracles qu'on pourrait imaginer, il n'est rien de meilleur, rien qui conduise mieux à la vertu que la vie du Sauveur et Sa conduite dans la chair, Sa mort et Sa résurrection, tout ce qui en découle et tout ce dont l'humanité entière peut jouir également. Par conséquent le secours dont il a secouru sa mère n'est en rien supérieur au très grand secours qu'il propose à la communauté de tous les hommes. C'est ainsi que par sa justice, la Toute-Pure a tressé une couronne pour elle-même et d'elle-même : elle qui n'avait pas reçu plus que les autres, elle a tant surpassé les autres par ce qu'elle a fourni d'elle-même que non seulement elle l'a emporté là où tous étaient vaincus, mais encore si brillamment que cela a suffi tant à sa gloire qu'à celle des autres hommes - comme si c'était eux tous qui l'avaient emporté. Car elle n'a pas renié notre race en accusant sa méchanceté, elle en a été la parure; elle ne l'a pas accablée en montrant sa défaite, elle l'a révélée plus belle. Elle qui était belle par excellence, elle n'a pas pour autant convaincu ses congénères de honte, elle leur a rendu leur beauté et, pour avoir pris avec succès la défense en elle-même de la nature humaine, transférant ainsi à chaque homme séparément la simple cause du péché, elle n'a pas alourdi leurs responsabilités; ayant au contraire suscité leur estime de manière admirable, c'est le péché qu'elle a couvert de honte et vaincu, afin de libérer de toute méchanceté ceux qui sont couverts de honte et vaincus. Aussi a-t-elle conservé à la nature la beauté qui lui avait été donnée, intacte de toute atteinte, non seulement pour elle-même, mais - autant qu'il était possible - pour tous les hommes. De toutes ces considérations on pourrait trouver de nombreuses démonstrations convaincantes, et avant tout qu'elle n'a pas empêché Dieu de descendre en elle quand il le fallut - car Il ne l'aurait pu si le mur qui l'en empêchait s'était dressé entre eux. C'eût été le cas si quelque chose de connaturel avec le péché avait existé en elle, car ce sont vos péchés, est-il écrit, qui s'interposent entre vous et moi (56). (56) : ( Is. 59, 2). Il ne faut pas non plus croire qu'un mur se soit interposé et qu'en descendant Dieu ait abattu ce mur par sa puissance. En effet le moyen par lequel il pensait détruire la barrière n'existait pas encore quand Il descendit - je veux dire son Sang et sa Passion, car c'est seulement par ce moyen qu'il convenait d'abolir le péché, puisque même chez ceux qui vivaient sous la Loi et chez qui se trouvaient les images de la grâce, sans effusion de sang il n'y a pas de rémission du péché (57). (57) : ( Héb. 9, 22). La Mère de Dieu fut sans péché personnel Qui ne sait en effet que les jugements de Dieu la proclament étrangère à tout péché? Car ce juge qui, est-il dit, ne fait acception de personne, ayant à juger et notre mère à tous et la Vierge, a condamné celle-là pour son péché à vivre dans la douleur (58) et a jugé la Vierge digne de se réjouir. (58) : ( Gen. 3, 16). Par là il apparaît que c'est la douleur qui convient à ceux qui ont péché, alors qu'à ceux qui n'ont rien de commun avec le péché il revient de se réjouir. C'est pourquoi Dieu n'a accordé à aucun des hommes de se réjouir avant la Vierge, parce qu'on les comptait encore parmi ceux qui dépendent et qui participent de l'ancienne et malheureuse Alliance. Cela est plus évident encore si l'on considère comment la Vierge fut préparée au mystère (59). (59) : ( Voir Luc 1, 26-39). Alors qu'elle s'enquérait de cet étonnant mode d'enfantement et de ce qui lui adviendrait et lui arriverait pour donner naissance à Dieu, Gabriel l'informa de l'Esprit, et de la puissance du Très-Haut, et de tout ce qui surviendrait. Il ne fut question dans cette Annonciation ni d'abolition du châtiment ni de rémission des péchés. Et pourtant auparavant une telle préparation eût été nécessaire, car si Isaïe, envoyé seulement comme messager d'un mystère non encore révélé, eût besoin d'être purifié - et par le feu (60) - qu'elle n'ait point dû l'être, elle qui devait servir la réalisation du mystère en offrant non seulement sa langue, mais aussi son âme et son corps et elle-même toute entière, cela ne montre-t-il pas clairement qu'elle n'avait pas besoin d'être libérée de ces maux qu'on doit rejeter, car elle n'en avait point? (60) : ( Voir Isaïe 6, 6-8). Certes il est certains de nos saints Maîtres qui disent que la Vierge a été purifiée auparavant par l'Esprit; mais il faut entendre qu'ils comprennent la purification comme un surcroît de grâces - de même qu'ils disent que les anges sont purifiés de cette manière, alors qu'il n'est en eux aucun mal. C'est justement en ce sens que le Sauveur rend témoignage à sa mère dans une discussion publique après l'ineffable enfantement, en ces mots : Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la mettent en pratique (61). (61) : ( Luc 8, 21. Cette citation se trouve dans la péricope évangélique qui est lue aux fêtes de la Mère de Dieu). il a dit cela non pas tant pour honorer ceux-ci que sa mère, car il dit qu'il convient de les appeler sa mère et ses frères pour cette raison qu'ils observent la loi divine. Qu'il ne l'ait pas honorée seulement en l'appelant "mère", ni même simplement en la saluant ainsi, mais en l'ayant vraiment pour telle, montre qu'elle a surpassé tous les sommets de la sainteté. Car s'il reconnaissait dans ceux qu'il a simplement honorés de ce nom de fidèles gardiens de sa loi, ne voit-on pas qu'en celle à qui il a donné d'être vraiment sa mère, il n'a rien trouvé qui se soit jamais écarté, en aucune mesure ni en quoi que ce soit, ni de ses volontés ni de ses lois, mais qu'il lui a reconnu une justice supérieure à la justice des hommes d'autant que la vérité l'est par rapport à l'appellation ou que les réalités le sont par rapport aux noms? Car de même qu'il n'eût pas été possible de l'engendrer de meilleure manière qu'elle ne l'a fait, ni d'être plus véritablement mère qu'elle ne l'a été, mais qu'elle a atteint jusqu'au sommet de l'authenticité, de même il n'eût pas été possible d'atteindre à un plus haut degré de sainteté qu'à celui dans lequel elle a vécu du début jusqu'à la fin. Il est donc évident que la Vierge a été délivrée de tout vice - et d'ailleurs elle est entrée dans le lieu le plus sacré, celui où le prince des prêtres lui-même ne peut pénétrer qu'après s'être purifié de tout péché, pour autant du moins qu'alors on pouvait purifier les péchés. Elle a montré ainsi qu'elle n'avait à purifier aucun des péchés pour lesquels elle aurait pu avoir besoin de sacrifices propitiatoires et de purifications. Or elle n'est pas seulement entrée miraculeusement dans le Saint des Saints, mais elle y a demeuré de sa petite enfance jusqu'à son adolescence, sans avoir eu besoin de sacrifice, ni pour entrer dans l'existence, ni pour entrer dans l'adolescence, et ce qui est miraculeux est qu'aux hommes de ce temps cela ne parut en rien s'opposer aux institutions sacrées : que le grand Prêtre n'ose franchir le seuil sacré qu'avec crainte et tremblement, sans omettre l'aspersion du sang purificateur, et une seule fois par an, et que la Vierge, usant comme d'une maison de ces lieux inaccessibles, s'y alimente, y connaisse le sommeil et y passe toute sa vie. Elle participait aux réalités humaines, bien que d'une manière supérieure, puisque pour sa table elle n'avait pas besoin de mains humaines, mais qu'un ange en était le fournisseur. Et comme on peut imaginer, il était évident - non seulement pour ceux qui contemplent l'Invisible, mais même aux yeux des hommes - qu'elle était au-dessus de tout reproche, et trop pure pour avoir besoin des purifications de la Loi, tant sa vertu était éclatante et trop grande pour rester cachée. Et bien que ni son âge, ni son extraction, ni son genre de vie ne pusssent proclamer sa vertu - et surtout à des hommes encore aveugles et plongés dans les ténèbres puisque le Soleil de justice ne s'était point encore levé, - cependant rien ne put empêcher l'éclat de cette lumière, car la beauté de son âme traversait tous les écrans et donnait même aux aveugles la perception des rayons qui leur parvenaient. Assurément! Car rien n'eût pu cacher la grandeur de cette sagesse qui, selon le Prophète, recouvre les cieux (62). (62) : (Hab. 3, 3). Cette sagesse qui l'emporte sur toute méchanceté humaine au point de l'effacer facilement d'un seul geste, quel brouillard d'ici-bas eût pu la recouvrir? C'est pourquoi les hommes qui avaient reconnu en elle les plus grands des exploits - les plus au-dessus de la nature, ceux qu'on n'a vus en aucun autre homme, - l'ont honorée de ce qu'ils avaient, en lui faisant habiter le lieu le plus sacré. Et ce lieu qu'ils avaient offert à Dieu en prémices de toute la terre, le seul qui Lui appartînt à Lui seul, ils le donnèrent à la Vierge en habitation parce qu'ils avaient estimé qu'il convenait de consacrer le sanctuaire de Dieu à la vie de la toute-Sainte, qu'il fallait adorer Dieu et honorer la Vierge par les mêmes lieux. Ou plutôt qu'il convenait que le lieu qui abritait la Vierge fût aussi le temple de Dieu. Temple de Dieu Mais Dieu qui la connaissait encore mieux, car il lisait jusque dans son coeur et savait de quels dons elle était digne - que Lui seul pouvait accorder, - l'orna de ceux qui ne convenaient qu'à elle seule. La conduisant hors de ces lieux sacrés où il n'est pas permis de pénétrer, Il la fit passer en une autre tente, faite non pas de nuées ni des ailes des anges ou des archanges, ni de rien de ce qui est créé pour servir, mais Il se fit Lui-même la tente de la Toute-Sainte, Lui qui habite une lumièrre inaccessible (63). (63) : (1 Tim. 6-16). La puissance du Très-Haut, le Seigneur lui-même, la recouvrit de son ombre (64), comme le lui annonça le très-saint Gabriel. (64) : (Luc 1, 35). Car Dieu s'estima lui-même seul digne d'être la tente de celle qui devenait la digne tente de Dieu. Qu'elle ait habité en ces lieux interdits est de nature à honorer non pas tant elle-même que ces lieux. C'est ainsi que l'ancienne Pâque est honorée par l'offrande de la victime volontaire, le baptême de jean par le baptême de l'Esprit, et les autres figures de la Loi par les véritables réalités. Or si les autres figures renvoyaient à d'autres réalités, c'est à la Vierge Toute Sainte elle-même que renvoie le Saint des Saints. Qu'il n'admît que l'entrée du seul grand Prêtre, une fois par an et après purification des péchés, renvoie à l'ineffable enfantement, introduisant l'Unique sans péché, Celui qui d'un unique acte sacré effaça tout péché une seule fois pour tous les siècles (65). (65) : ( Voir Hébreux 9, 12-13). Qu'il fût interdit à tout homme, sauf au plus sacré de tous, était le signe que la Vierge bienheureuse n'a jamais rien admis en son âme qui ne fût saint en tout. Mais si ce temple était aussi vénérable, c'est parce qu'il put la recevoir en lui, car il n'appartenait à rien d'autre de ce qui se trouvait en lui de lui valoir un tel respect. Car rien n'était si vénérable par lui-même qu'il ne pût être touché par la plupart des hommes. Par exemple il était permis à tous de ramasser la manne, de l'emmener à la maison et de la manger; et la verge n'avait rien de plus sacré que les prêtres qui la portaient et pour qui elle formait une feuille; la Loi était plus vénérable que les tables, et pourtant les mains de tous pouvaient la porter sur les phylactères. Qu'était-ce donc qui pouvait rendre ce lieu si différent, à moins que nous n'y considérions des figures de la Toute-Sainte et songions que c'est à elle qu'elles renvoient? C'est bien pourquoi, bien qu'il fût interdit à tous les hommes, elle put y entrer. Et dès qu'elle y parut, elle abolit la loi posée au commencement, ce qui signifie d'une part que c'est pour la respecter et se garder pour elle seule, que le sanctuaire n'avait permis à nul autre d'entrer; et d'autre part qu'elle était au-dessus de l'homme et n'admettait pas même le souvenir de la faiblesse humaine. Ceci eut lieu afin que, puisque le lieu qui la figurait était si inaccessible à tous et n'avait, pour ainsi dire, rien de commun avec les hommes et le monde, nous apprenions par ces exemples ce qu'il faut penser pour pouvoir reeconnaître à la mesure des petites choses la grandeur des plus hautes. Car de même que dans leurs ombres les corps conservent le contour et la forme des corps représentés, de même le fait que la Vierge se soit retirée des affaires humaines, le fait qu'elle venait de la terre sans pour autant rien tirer d'elle, le fait aussi qu'elle tenait sa volonté inaccessible à toute méchanceté, se projetait comme en un symbole obscur et confus dans le Saint des Saints. Ceci résulte de la raison de la nature mais convient aussi à l'ordre de la réalité. Or il était nécessaire pour la multitude qu'un être humain, de lui-même, par le labeur et le dynamisme de son intellect, devînt plus fort que le péché, sans avoir eu besoin d'être la Mère de Celui qui est sans péché, ni d'acquérir une parenté avec Lui, parce qu'il fallait d'abord que cette nature humaine manifestât ce qu'elle est, afin de rendre à son Auteur l'honneur qui Lui est dû avec la gloire; car ni dans les ancêtres de notre race ni dans ceux qui sont issus d'Adam, corrompus par le péché, il n'avait été possible de voir l'homme, et le deuxième Adam, en ce qu'il était aussi Dieu par nature, ne nous a pas permis de voir sa deuxième nature, la nôtre, à l'état pur; car comme il n'avait pas avec le péché un rapport tel qu'il convînt à l'homme en cette vie, n'ayant pas puissance pour les deux, il n'a pas eu à discerner le bien du mal, et ne pouvant devenir mauvais, il n'a pas eu à tendre vers le bien (66) : (66) : (Voir Isaïe 7, 15-16 (Septante) : " Avant qu'il connaisse ou choisisse le mal, il préfèrera le bien". L'enfant dont parle ici le prophète est le Dieu-Homme). il ne pouvait en effet pécher. C'est pourquoi il fallait qu'apparût quelqu'un qui, bien que pouvant le faire, n'eût aucunement péché, quelqu'un qui manifestât ainsi en cette vie l'homme tel que Dieu l'a voulu. Autrement dit, son art eût été de nul intérêt pour le Créateur si, même en la plus belle de ses oeuvres, la nature n'avait recouvré en aucun des hommes en cette vie l'aspect auquel le dessein de l'artisan l'avait destinée. Et puis comment eût-il été possible que la Loi de Dieu ne fût pas observée pleinement, et que le Sage eût éventuellement légiféré en vain - puisque personne ne suivait toutes ses lois - qu'il eût édicté des commandements auxquels personne n'obéît, qu'il eût parlé sans que personne ne l'entendît et que celui qui connaît le succès en tout ne le connût pas sur ce point? Ce qui était donc nécessaire en tout état de cause : un être humain pur de toute méchanceté, un ouvrier en tout point exact des ordonnances divines, qui pouvait-ce être, sinon le meilleur? C'est bien ce que fut, par les jugements de Dieu, la Vierge Marie, qu'il se choisit pour Lui-même, comme le sanctuaire qu'il s'était réservé dans tout l'univers. Il était nécessaire qu'un être humain, quel qu'il fût, manifestât la nature dans sa pureté et tous les autres hommes en ont laissé le succès à la Vierge. Et puisque Dieu nous a donné le pouvoir de contenir le péché - comme nous l'avons dit, - par le jeûne et la vigilance, Il voulait accorder à notre victoire de nous montrer stables dans le bien. C'est l'un et l'autre que la Vierge a obtenus pour notre nature, tant par les exploits qu'elle a accomplis sur elle-même qu'en ceci qu'elle est devenue mère. C'est en elle en effet que l'homme a montré dans la pratique et en surabondance la force qui se trouvait en lui pour vaincre le péché, évitant toute méchanceté depuis le début jusqu'à la fin, par la vigilance des pensées, la stabilité de la volonté et la grandeur de la sagesse. En Celui qu'elle a ineffablement enfanté, l'homme a remporté son trophée : sans péché il avait vaincu sans lutte; couronné dès le commencement il a paru devant les ennemis tel un champion déjà victorieux. Car il n'avait pas reçu une volonté capable de pécher pour avoir à la garder par les veilles indemne de tout péché, mais il l'avait reçue intacte, incapable de tout péché, de même que vivant après le tombeau il reçut un corps étranger à la corruption. C'est ainsi que selon l'ordre de la race l'ordre de la grâce arriva jusqu'à nous, mais c'est cet ordre-là qui enfanta celui-ci, c'est-à-dire que c'est pour être devenue sans péché par le labeur de la Vierge que notre race a acquis le bien parfaitement immuable. Apparition du Dieu-Homme Ainsi c'est la mère qui a donné à la nature la première pureté par sa démarche; c'est l'Enfant qui a donné la seconde et la meilleure. Et ce qui convenait à une bienheureuse mère, c'était bien que lui arrive tout ce qui lui est arrivé avec son Fils : qu'elle ait été vaincue par la vertu de son Enfant, qu'elle ait pu accomplir par Lui de plus grands exploits encore et qu'elle ait obtenu ainsi pour elle-même une gloire plus grande que par elle-même. C'est ainsi qu'en ce monde comme au Paradis l'homme a été montré pur et intègre, tel qu'il avait été créé au commencement, tel qu'il lui fallait demeurer et tel qu'il le redeviendrait après avoir lutté pour recouvrer sa noblesse. Et puisqu'il fallait que la nature humaine vînt à la rencontre de la nature divine, et qu'elle lui fût étroitement jointe afin qu'une hypostase unique naquît des deux natures, il fallait que chacune d'elles apparût d'abord sans mélange. Et Dieu apparut, tel qu'il convient que Dieu apparaisse, et la Vierge manifesta l'homme à l'état pur ; devenu ainsi et l'un et l'autre, Jésus apparut, distinct de ces deux natures apparues auparavant, dont il participait. Et de même que Dieu avait hypostasié l'intellect puis créé la sensibilité, et qu'enfin il créa ce qui est composé des deux : l'homme, de même le Dieu-Homme apparaît de Dieu, qui était au commencement, et de l'homme qui vient d'apparaître à la fin des temps, en ces jours qui sont les derniers. Il me semble que si Dieu n'a pas voulu auparavant participer à la nature humaine, mais seulement à la fin des siècles, c'est qu'elle n'existait pas encore véritablement, et que ce n'est qu'alors qu'elle est apparue pour la première fois. C'est ainsi que la Toute-Pure ne créa point l'homme, mais le trouva perdu; elle ne nous donna point non plus notre nature, elle la conserva; elle ne nous modela point, mais alors que nous étions déjà modelés elle nous vint en aide et offrit sa collaboration (syneirgasato) à l'artisan pour modeler l'image. Car elle a d'abord offert ce qu'elle était, et Celui-là y ajouta ce qu'elle n'était point, et qu'il n'eût pas ajouté, s'il n'avait d'abord trouvé ce dont il avait besoin pour le compléter. Parmi tous les autres vivants, Eve seule fut pour Adam une aide; parmi tous les autres êtres, seule la Vierge vint aider Dieu pour la manifestation du bien. L'artisan le meilleur fait ce qui lui revient mais il se révèle le meilleur en ce qu'il sait trouver le meilleur outil possible pour son art; Dieu trouva non pas simplement un outil qui lui convînt parfaitement, mais le collaborateur le plus capable : la Bienheureuse, et c'est alors qu'il se révéla Lui-même. Jusque là il était pour ainsi dire resté caché, car personne ne s'était encore montré; mais dès que la Vierge fut, Il devint parfaitement visible. Car de même que, de tous les corps, c'est seulement à travers l'air que nous pouvons voir clairement le soleil, car il n'ajoute rien de lui-même devant nos yeux, de même elle n'avait rien d'autre que sa pureté et ce qui l'apparentait à la première Lumière. Venez et célébrons la Mère de Dieu Resplendissants de joie, fêtons donc brillamment ce jour auquel nous arrivons, ce jour où commence l'engendrement de la Vierge - ou plutôt de l'univers entier, ce seul et premier jour qui voit l'homme véritable d'où l'être vient véritablement à tous les hommes. Aujourd'hui la terre a donné purement son fruit (67), alors que jusque là elle ne fournissait que des épines et des ronces, la récolte du péché. (67) : (Ps. 66, 7). Aujourd'hui le ciel sait qu'il n'a pas été édifié en vain, puisqu'est apparu ce pour quoi il a été fait, et le soleil sait pourquoi il a reçu la lumière pour le voir. Maintenant toute la création se connaît mieux, puisque resplendit l'ornement commun de l'univers. Maintenant tous les anges de Dieu se sont unis et chantent à pleine voix leur maître, plus encore que lorsqu'il a orné le ciel de la coupole des étoiles, car celle qui apparaît est plus haute et plus brillante que toute étoile et plus utile que le monde entier (68). (68) : (Tout ce passage fait allusion à Job 38, 7). Maintenant la nature aveugle des hommes reçoit la vue pour percer ce jour. Comme Il le ferait plus tard avec l'aveugle-né, Dieu a en effet rencontér la nature humaine errant à tâtons, Il l'a prise en pitié et lui a miraculeusement donné cette vue - et l'homme voit ce que beaucoup de prophètes et de rois ont désiré voir, et ils ne l'ont pas vu (69). (69) : ( Luc 10, 24). Car de même que dans le corps il est de nombreux membres, mais aucun autre que l'oeil n'a l'aptitude de voir le soleil, de même parmi tous les hommes qui ont existé, seule la Vierge a reçu la pure lumière, et par elle tous les hommes. C'est pourquoi sans cesse les deux créations la louent, toute langue chante d'une seule voix ses exploits, et tous les hommes, tous les choeurs des anges, se font les artisans d'hymnes incessantes à la Mère de Dieu. Chantons nous aussi ses hauts faits et joignons-nous à l'élan commun pour offrir, moins que ce qu'il faudrait, moins que ce que nous devrions désirer, moins même que ce que nous aurions désiré dire - tant il faudrait que nous en tirions profit! Mais il te convient, ô Toute-digne de nos hymnes, à toi et à ton amour d el'homme, de mesurer ta grâce non pas à notre mesure, mais à celle de ta grandeur; et de même que tu as été choisie dans notre race et offerte à Dieu pour orner le reste des hommes, de même, par ces mots que nous te consacrons, sanctifie le trésor des paroles, notre coeur, et rend le lieu de notre âme stérile pour tout péché, par la grâce et par l'amour pour l'homme de ton Fils unique, notre Seigneur et Dieu et Sauveur Jésus- Christ, à qui conviennent toute gloire, honneur et adoration avec son Père sans commencement et l'Esprit Très-Saint, bon et vivifiant, maintenant et toujours et aux siècles des siècles. Amen. HOMELIE SUR L'ANNONCIATION A LA TRES SAINTE MERE DE DIEU ET TOUJOURS VIERGE MARIE S'il fallut jamais que l'homme se réjouît et dansât et chantât de joie, s'il y eut un instant que l'on doive célébrer avec grandeur et éclat, s'il faut pour cela demander la hauteur d el'esprit, la beauté du discours et l'élan des paroles, je n'en connais pas d'autre que ce jour où un ange vint du ciel annoncer tout bien à la terre. Maintenant le ciel est en fête, maintenant resplendit la terre, maintenant la création tout entière se réjouit et Celui-là même qui tient les cieux en sa main n'est pas absent de la fête - car ce qui a lieu aujourd'hui est bien une panégyrie, une célébration universelle. Tous s'y rassemblent en une figure unique, en une même joie, dans ce même bonheur qui survient pour tous : et pour le Créateur, et pour toutes ses créatures et pour la mère elle-même du Créateur, celle qui a fait de Lui un participant de notre nature, d enos assemblées et de nos fêtes. La cause de la joie de tous Certes il avait été notre bienfaiteur dès le commencement; il avait ainsi travaillé pour nous sans avoir eu nul besoin de personne, sachant seulement donner, faire le bien et rien d'autre. Il le fait toujours aujourd'hui, mais il passe maintenant de l'autre côté, parmi ceux qui reçoivent. Donnant de Lui-même par la Création et recevant selon elle, dans son amour de l'homme, il ne se réjouit pas tant de tout ce qu'il a donné avec prodigalité, que du peu qu'il a reçu de ses obligés; non seulement de ce qu'il a déposé en ses humbles serviteurs, mais aussi d'avoir joui des largesses des pauvres; et c'est parce qu'il avait justement choisi de se vider Lui-même ( kénosis) et d'assumer notre pauvreté que notre don devient pour Lui ornement et royauté. Et pour la création fut-il plus grande cause de joie - tant pour la création visible que pour celle que nous ne pouvons voir - que de savoir son Créateur en elle-même, le Maître de tout parmi ses serviteurs? Non pas tant pour déposer sa royauté que pour assumer la forme d'esclave, non pas pour se dépouiller de sa richesse mais pour donner aux pauvres, non pas pour déchoir de la hauteur de son trône, mais pour y élever les humbles. Et celle qui est cause de tout pour tous se réjouit aussi d'avoir part au bien commun en tant qu'élément constitutif de la création, mais aussi de ce qu'avant tous, et plus que par tous, c'est par elle que tout cela nous est advenu à tous. Mais la cinquième raison - et la plus grande - pour laquelle se réjouit la Vierge, est que non seulement Dieu par elle, mais elle-même par ce qu'elle a appris et par ce qu'elle sait, a réalisé pour les hommes la Résurrection. La Mère de Dieu, Collaboratrice de Dieu dans l'oeuvre du salut Car il n'en fut pas de la Vierge comme de la terre lors de la création de l'homme : celle-ci contribua mais ne travailla pas, ne proposant au Créateur que sa seule matière, se contentant d'"être" sans "agir"; mais la Vierge s'offrit d'elle-même et fut l'ouvrière de ce qui attira l'artisan vers la terre et mit en mouvement sa main créatrice. Qu'est-ce donc? Ce furent sa vie toute-pure, le renoncement à tout péché, l'exercice de toute vertu, l'âme plus pure que la lumière, le corps en tout spirituel, plus lumineux que le soleil, plus pur que le ciel, plus saint que le trône des Chérubins; un envol de l'esprit ne craignant aucune hauteur, surpassant même les ailes des anges; un désir de Dieu anéantissant tout emportement de l'âme; une prise de possession par Dieu, une intimité avec Dieu excluant toute pensée créée. Ayant orné son âme et son corps de tant de beauté, elle attira le regard de Dieu et révéla la beauté de notre commune nature par sa propre beauté; elle a ainsi attiré l'impassible, et celui que l'homme avait rebuté par le péché est devenu homme par la Vierge. Or ce mur de la haine (70) et cette barrière ne comptaient pas pour elle : pour sa part, tout ce qui séparait Dieu de sa race avait été aboli, elle s'était accordée seule avec Lui avant même la réconciliation générale - ou plutôt elle n'avait jamais eu en rien besoin de trêve, puisqu'elle avait été établie dès le commencement comme chef du choeur des amis de Dieu. Tout cela était fait pour les autres. Avant même le Paraclet elle était pour nous comme un paraclet devant Dieu, comme le dit Paul (71) - levant non pas les mains vers Lui, mais présentant sa vie comme supplication. (71) : ( Cf. Rom. 8, 34 et Héb 7, 25 et 8, 1. Le Paraclet - avocat, défenseur et consolateur - est le Christ, qui promet l'envoi d'un "autre Paraclet" : le Saint Esprit ( Jn 14, 16 ). ). Et la vertu d'une seule a suffi pour contenir le péché de tous les hommes de tous les siècles : de même que l'arche qui sauva l'homme du déluge universel ne fut pas emportée par la catastrophe et sauva les ressources de la race, de même en advint-il avec la Vierge. Comme si aucun homme n'avait jamais commis aucun péché et que tous, gardant le foyer antique, fussent demeurés fidèles à ce qui convient, elle ne ressentit même pas, pour ainsi dire, le mal répandu par toute la terre, fermé le ciel et ouvert l'enfer, semé l'inimitié entre Dieu et les hommes, chassé le bien de la terre et introduit le mal; ce déluge ne put rien contre la Vierge; alors même qu'il régnait sur tout l'Univers et qu'il plongeait tout dans la confusion, l'agitation et la destruction, il était vaincu par un seul intellect et une seule âme - et il lui céda, et non seulement à elle, mais par elle à tout le genre humain. Avant qu'on en vînt à ce jour où Dieu devait descendre en inclinant les cieux, c'est de cette manière qu'elle contribua au salut commun. Dès sa naissance elle construisit le lieu où viendrait résider Celui qui peut sauver l'homme, en en faisant une demeure de Dieu telle qu'elle lui convienne. Ainsi le Roi n'eut-il pas lieu de mépriser son Palais. Cependant elle ne lui offrit pas seulement une résidence royale digne de sa grandeur, elle lui tissa d'elle-même cette robe de pourpre et sa ceinture, et la beauté, comme le dit David, et la force et la royauté (72). (72) : (Ps. 92 : Le Seigneur règne, il est revêtu de beauté; il s'est revêtu de force et s'est ceint). Telle une cité brillante qui, surpassant toutes les autres par sa grandeur et sa beauté, par sa sagesse et sa population, par sa richesse et sa puissance, n'offre pas seulement au Roi accueil et hospitalité, mais lui fournit la principauté, la force, l'honneur et la puissance, procurant ainsi aux ennemis une défaite assurée, à ses citoyens le salut et toute sorte de biens en abondance. C'est d ecela qu'a bénéficié le genre humain avant même que fût survenu le moment du salut. Puis, lorsque vint le moment où parut celui qui apportait l'annonce, elle crut, fit confiance et accepta le service. Car c'est cela qui était nécessaire, et il le fallait en tout cas pour notre salut. Si en effet elle n'en avait pas été capable - comme je viens de le dire - la bienheureuse n'aurait pu voir la bienveillance de Dieu pour l'homme, car il n'aurait pas désiré descendre sans qu'il y eût quelqu'un pour le recevoir, quelqu'un qui fût capable de servir l'économie du salut - et la volonté de Dieu sur nous n'aurait pas pu passer en acte si la Vierge n'avait cru et acquiescé. Et la preuve en est que Gabriel s'est réjoui lorsque, s'adressant à elle et l'appelant "pleine de grâce", il lui expliqua tout le mystère. Mais Dieu ne descendit pas sans que la Vierge eût demandé à savoir de quelle manière elle enfanterait. Dès qu'il l'eut persuadée, dès qu'elle eut accepté la requête, tout l'oeuvre se réalisa aussitôt : Dieu revêtit l'homme et la Vierge devint Mère de son Créateur. Mystère de l'Annonciation Or Adam, Dieu ne l'avait point averti ni n'avait tenté de le persuader de livrer son côté, dont Eve serait modelée, mais Il lui avait fait perdre connaissance pour l'amputer; Il informa cependant d'abord la Vierge et attendit son accord pour passer aux actes. Lors d ela création d'Adam, il s'était adressé à son Fils unique : " Faisons l'homme" dit-il (73); (73) : (Gen. 1, 26); mais lorsqu'il fallut, comme le dit Paul, " faire entrer dans le monde le Premier-né (74)", ce Conseiller admirable (75), et créer le deuxième Adam, c'est à la Vierge qu'il fait part de son dessein - et ce grand dessein, comme le dit Isaïe (76), Dieu le proposa et la Vierge en disposa. (74) : (héb. 1, 6). (75) : (Is. 9, 5, Septante). (76) : (Ibid.). Ainsi l'incarnation du Verbe fut-elle l'oeuvre, non seulement du Père, et de sa Puissance, et de l'Esprit (77) - l'un voulant bien (eudokountos), l'autre faisant sa demeure, et le troisième couvrant de son ombre - mais aussi de la volonté et de la foi de la Vierge. (77) : (C'est-à-dire, le Père, le Fils et l'Esprit). Car s'il n'eût pas été possible, sans les Trois Personnes, de réaliser ce dessein, cette oeuvre n'eût pas davantage pu avoir lieu sans le consentement et la foi de la Toute Pure. Ce n'est qu'après la'voir ainsi informée et persuadée que Dieu la fait mère. Car c'est d'une mère consciente et consentante qu'Il voulait prendre chair; de même que c'était volontairement qu'Il devenait l'objet d ela conception, de même Il voulait que sa mère engendrât l'économie du salut comme à quelque acte d'autrui mais qu'elle s'offrît elle-même, qu'elle devînt la collaboratrice du dessein de Dieu sur notre race, qu'elle partageât et communiât à la gloire qui en résulterait. Puis, de même que le Sauveur lui-même était homme et Fils de l'homme, et pas seulement à cause d ela chair, mais parce qu'il avait aussi âme et intellect, volonté et tout ce qui est humain, de même il fallait qu'il eût une mère parfaite, qui servît sa naissance, non seulement par la nature du corps, mais par son intellect et par sa volonté, et par tout ce qu'elle possédait - et qu'ainsi la Vierge fût Mère et de corps et d'âme, et fit entrer l'homme tout entier en un enfantement indicible. C'est pourquoi elle apprend d'abord, puis elle croit, elle veut puis elle prie pour l'accomplissement du mystère, avant d'assumer son service. Par ailleurs, Dieu voulait montrer la vertu de la Vierge et révéler quelle était sa foi en Lui et quelles seraient la noblesse et la grandeur de son âme lorsqu'elle recevrait la merveilleuse annonce et qu'elle croirait, et que Dieu viendrait pour accomplir lui-même son dessein nous concernant, et qu'elle-même apporterait sa contribution à cette oeuvre, et qu'elle serait capable de la servir. Qu'elle se soit informée de ces grands desseins montre clairement qu'elle n'avait pas de lus grand désir; et que Dieu ait voulu manifester sa vertu montre qu'elle fut clairement instituée en preuve de la bonté et d el'amour de Dieu pour l'homme - et c'est pour cette raison, je pense, qu'elle n'y a pas été initiée directement par Dieu lui-même, afin que fût nettement prouvée la foi en Dieu dans laquelle elle vivait, et que l'on n'imputât point le tout à la puissance de Celui qui l'avait persuadée. Car de même que ceux des fidèles qui n'ont pas vu sont plus heureux que ceux qui ont vu, de même ceux qui ont fait foi aux serviteurs sont plus sages que ceux que Dieu Lui-même a convaincus. Que le mystère ait convenu à son âme sans aucun désaccord, que ses modalités lui aient convenu sans qu'on ait pu y déceler aucune faiblesse humaine, qu'elle n'ait pas hésité devant le mode de réalisation ni discuté sur sa possibilité d'être assez pure, sans avoir eu besoin d'être initiée au mystère, je ne sais si l'on doit admettre que tout cela appartienne à la nature créée. La réponse de la Mère de Dieu Eût-elle été un Chérubin, eût-elle été un Séraphin, voire quelque chose d'encore plus pur, comment eût-elle pu supporter cette salutation? Comment eût-elle pu imaginer que ces annonces auraient une suite? Comment eût-elle pu trouver assez de force pour des oeuvres aussi grandes? Personne n'a été plus grand que Jean - au jugement du Sauveur lui-même (78) - et cependant Jean ne s'estimait pas digne de toucher les sandales de Celui-ci - qui pourtant s'était déjà humilié. (78) : (Matt. 11, 11). Mais la Toute Pure osa porter en ses entrailles le Verbe lui-même, cette Hypostase de Dieu, avant même qu'il se fût humilié. Qui suis-je, Seigneur, et qu'est la maison de mon père (79)? (79) : ( 1 Rois ( ou 1 Samuel) 18, 18; 2 Rois ( 2 Samuel) 7, 18). Sauveras-tu Israël en moi aussi Seigneur? On put entendre de telles phrases dans la bouche des justes appelés à réaliser des oeuvres que tant d'hommes ont souvent pu réaliser. Or la Vierge bienheureuse était invitée à des oeuvres qui n'étaient ni habituelles ni naturelles, qui surpassaient toute puissance : il s'agissait de faire monter la terre jusqu'aux cieux, de transporter ou de transformer l'univers par elle-même. Et cependant son esprit n'en fut point bouleversé, pas plus qu'elle ne se considéra inférieure à cette oeuvre. Ce fut comme si quelqu'un annonçait la présence de la lumière à ses yeux sans en être gêné, ou comme si quelqu'un trouvait normal que le soleil tournant au-dessus de la terre crée le jour : apprenant qu'elle pourait porter et enfanter le Dieu qu'aucun lieu ne peut contenir, la Vierge n'y entend rien d'étrange. Elle ne laisse pas ces paroles passer sans les éprouver, ne tolère pas la facilité ni ne se laisse exalter par l'abondance des éloges, mais en se contenant elle examine la salutation, apprend le mode d'enfantement et cherche à comprendre ces choses. Elle ne s'intéresse pas à savoir si elle est capable et en mesure d'assurer un si grand service, ni si elle a purifié son âme et son corps suffisamment. Elle ne s'embarrasse que d ece qui convient à la nature et passe outre ce qui concerne la préparation de son âme - et ce n'est que d ecela qu'elle demande raison à Gabriel : ceci elle le connaît par elle-même. C'est en elle-même, dans les conseils de son coeur, qu'elle trouve l'assurance - comme le dit Jean (80). (80) : ( Cf. 1 Jn 3, 21). "Comment cela se fera-t-il? dit-elle - Non que j'aie besoin d'une sagesse plus grande ni meilleure; mais chez ceux qui ont choisi de vivre dans la virginité, la nature ne connaît pas l'enfantement". "Comment cela se fera-t-il, dit-elle, puisque je ne connais pas l'homme (81) ? (81) : ( Luc 1, 34). Quant à moi je suis prête à recevoir Dieu, je m'y suis suffisamment préparée. Si la nature doit s'y plier, dis-moi comment". Aussi dès que Gabriel eût révélé le mode de l'étrange conception : " L'Esprit Saint descendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre (82)", les choses se déroulèrent, car la Vierge ne doutait plus de l'annonce; (82) : ( Luc 1, 35). la bienheureuse qu'elle était devint servante de ce miracle, et comme bienheureuse elle était capable de servir ce à quoi elle avait cru. Or ce prodige n'était pas le fait d'une légèreté, mais un trésor indicible de philosophie, de foi et de pureté des plus parfaites, comme le montra l'Esprit Saint en ce qu'il la déclara bienheureuse, et d'avoir reçu la promesse, et d'avoir cru à l'annonce. Et en effet, remplie de l'Esprit Saint, la mère de Jean la déclara bienheureuse : " Bienheureuse celle qui a cru à l'accomplissement de ce qui lui avait été dit de la part du Seigneur (83) ! " (83) : ( Luc 1, 45). "Voici la servante du Seigneur (84)", dit-elle, car elle était vraiment la servante du Seigneur, celle qui reconnaissait le retour du Maître à la maison. (84) : (Luc 1, 38). Dès qu'il est venu à la porte et qu'il a frappé (85), comme il est dit, elle a ouvert la maison et en vérité c'est Celui qui jusque là n'avait pas de toit qu'elle a accueilli. (85) : (Ap. 3, 20). De même qu'Adam, pour qui tout l'univers visible avait été disposé, et alors que tous les autres êtres avaient trouvé ce dont ils avaient besoin, lui seul n'avait pu trouver une aide (86) avant Eve, de même le Verbe, qui produit tout et attribue à chacun son lieu, ne put trouver pour lui-même de lieu ni d'habitation avant la Vierge. (86) : (Gen. 2, 20). Mais elle, elle n'accorda ni sommeil à ses yeux ni d'assoupissement à ses paupières (87), jusqu'à ce qu'elle eût trouvé pour lui une habitation et un lieu. (87) : ( Ps. 131, 4). Car c'est de la Très Pure qu'il faut entendre ces paroles qui ont été prononcées par la bouche de David, qui fut le père de sa lignée. De même Paul dit à propos d'Abraham et de Melchisédech qu'encore dans les reins de son père, Lévi paya la dîme (88). (88) : ( Héb. 7, 9-10). Mais le miracle le plus grand était que, sans qu'il eût été ni annoncé ni prévu, elle fût si disposée et si apte pour le mystère, qu'aussitôt que Dieu apparut, son âme, ferme, prête et attentive, put le recevoir comme il convenait. Et si elle fit une telle réponse, si convenable et si pertinente, ce fut pour que tous les hommes puissent savoir en quelle sainteté vivait la Vierge bienheureuse, de combien elle était merveilleusement supérieure à la nature humaine et surpassait la capacité de notre esprit, et comment brûlait en elle un si merveilleux désir - non pas tant pour rien de ce qui lui avait été promis ni pour ce à quoi seule elle aurait part, mais pour les dons, inaugurés ou à venir, qui viendraient de Dieu en commun à tous les hommes. De même aussi que Job est admiré non tant de ce qu'il supporta que d'ignorer ce qui résulterait de ses combats, de même elle aussi se montra digne de grâces qui dépassaient la raison et qu'elle ignorait. Elle était comme une couche nuptiale qui n'attendrait pas le fiancé, comme un cile qui ignorerait que le soleil va se lever. Qui pourrait égaler une telle sainteté? Et qui aurait tout pu savoir clairement d'avance, possédant ainsi les ailes de l'espoir? Que ne savait-elle donc? N'était-il pas évident qu'il n'était plus aucun sommet de la sainteté où elle pût encore progresser? Qu'on ne pouvait rien ajouter à ce qu'elle était? Qu'il n'était pas possible qu'elle devînt plus grande en vertu, puisqu'elle en avait pris la tête? Car si l'on avait pu dire qu'il fût quelque exploit de vertu plus élevé encore que ceux qu'elle a réalisés, elle ne l'aurait pas ignoré puisqu'elle était venue à cette vie avec l'enseignement de Dieu, afin de pouvoir parcourir le reste et d'être encore mieux préparée au mystère. Il n'est pas non plus permis de dire que la Vierge n'a pas été meilleure que tout ce qu'il est possible d'espérer de la philosophie, car bien que rien n'existât qui pût pousser son âme à la vertu, elle l'a tant exercée qu'elle a été préférée à toute nature humaine par le juste Juge - et il n'aurait pas convenu que Dieu n'ornât point sa mère de tout bien, ni qu'il ne l'eût point créée pour le mieux, pour le plus parfait et le plus beau de tout. Chef d'oeuvre de la création En se taisant sans rien lui annoncer de l'avenir, il a clairement manifesté qu'il ne connaissait rien d eplus grand ni d eplus beau que la Vierge. Il est donc évident qu'il a choisi comme mère, non seulement la meilleure parmi les hommes qui existaient, mais celle qui fut absolument bonne; et non pas celle qui lui convenait le plus dans la race humaine, mais celle qui lui convenait en tout - si bien qu'il convenait qu'elle fût sa mère. Car il était de toute manière nécessaire que la nature humaine parût un jour convenir à l'oeuvre pour lequel elle avait jadis été créée, et qu'elle présentât un homme capable de servir dignement au but de son Créateur. Puisque Dieu ne l'avait pas créée d'abord dans un but puis dans un autre - comme lorsque nous contraignons nos outils à d'autres usages que leur but primitif - c'est qu'il l'a créée afin d'en recevoir une mère lorsqu'il aurait besoin de naïtre. Ayant posé dès l'abord ce dessein comme règle nécessaire, c'est selon cette règle qu'ensuite il créa l'homme. C'est pourquoi il est nécessaire de l'appliquer à toute chose : nous ne devons pas supposer d'autre fin à la création de l'homme que la meilleure de toutes, celle qui procure le plus d'honneur et de gloire à l'artisan de la création; et il ne convient pas non plus à Dieu, en tout ce qu'il fait, d'échouer en ce qu'il veut. Charpentiers, tailleurs et cordonniers réussissent - et leur oeuvre est de toute manière conforme, même s'ils ne maîtrisent pas totalement la matière et qu'elle ne leur convienne pas entièrement, et il arrive qu'elle leur résiste - et cependant ils la poussent par leur art vers leur but. Or Dieu est le maître de la matière, Il l'a faite Lui-même selon ce qui Lui semblait bon, sachant comment Il l'utiliserait. Quel empêchement pourrait donc retenir la matière d'e^tre en tout conforme et accordée à ce qui Lui convient? C'est Dieu qui dispose l'économie du salut, elle est son grand oeuvre, l'oeuvre de ses mains par excellence; il n'en a confié le soin à personne d'autre, ni parmi les hommes ni parmi les anges : Il s'en est chargé Lui-même. Qui donc est capable d'observer ce qu'il faut dans son oeuvre, si ce n'est Dieu? Et pour quel autre but sinon pour le meilleur de tous? A qui parmi tous les autres rendrait-il ce qui convient, si ce n'est à Dieu, si ce n'est à Lui-même? Et Paul demande aussi à l'Evêque qu'avant tout autre souci, il gère bien ce qui est à lui et chez lui (89). (89) : ( 1 Tim. 3, 5). Eh bien donc, lorsque tout cela se rencontre : et le Maître très juste, et le serviteur capable, le chef d'oeuvre de tous les siècles, n'avons-nous pas là tout ce qui convenait? Il fallait que fussent sauvegardées l'harmonie et la symphonie en tout, sans fausse note, dans cette oeuvre grande et merveilleuse; alors qu'il était donc nécessaire que Dieu fût juste et que le Créateur pesât tout à la balance et au poids comme il convient, la Vierge convenant en toutes choses le porta et fut mère de Celui dont il était juste qu'elle le devînt. Si bien qu'il est permis de dire - comme si c'était le seul profit qu'il fallait attendre de ce que Dieu soit devenu Fils de l'homme - que pour que la Vierge devînt mère de Dieu à juste titre, il ne fallait rien de moins que cela. Cette innovation des deux natures découle de ce qu'il faut que Dieu rende à chacun ce qui lui convient et fasse ce qui est juste. Car si la Toute Pure a observé devant Lui tout ce qu'il faut observer, si elle s'est montrée aussi sainte comme homme sans rien omettre de ce qui se doit, comment n'eût-elle pas convenu à Dieu? Et si rien n'a échappé à la Vierge de ce qui pouvait la désigner comme Mère de Dieu, si elle en a conçu un ardent amour pour Lui, encore plus Dieu devait-il observer le juste retour et devenir son Fils. Lui qui donne aux princes méchants selon leur coeur, comment n'aurait-il pas pris comme mère celle qui s'était montrée en tout selon son désir? C'est ainsi que ce don fut approprié et convenable en tout pour la Bienheureuse. C'est pourquoi, pour lui annoncer clairement qu'elle allait enfanter Dieu, Gabriel lui dit : " Il régnera pour les siècles sur la maison de Jacob et son règne n'aura pas de fin (90)". (90) : (Luc 1, 33). Comme si ce qu'elle venait d'apprendre n'était ni étrange ni inhabituel, elle reçut cette aannonce avec joie. Et d'une voix bienheureuse, l'âme exempte de trouble et dans le calme des pensées, elle répond : " Voici la servante du Seigneur, qu'il m'advienne selon ta parole!" Tels furent ses mots, et la réalité suivit : Et le Verbe est devenu chair, et il a fait son habitation en nous (91). (91) : (Jn 1, 14). Ayant donné sa réponse à Dieu, elle en reçut l'Esprit, artisan de cette chair consubstantielle à Dieu. Sa voix fut une voix puissante, comme le dit David (92), et le Verbe du Père fut formé par le verbe d'une mère, le Créateur par la voix d'une créature. (92) : ( Ps. 67, 34). Et de même que Dieu dit : " Que la lumière soit!" et aussitôt la lumière fut (93), de même la vraie lumière se leva à la voix de la Vierge, et Il s'unit à la chair et fut enfanté, Celui qui illumine tout homme venant en ce monde (94). (93) : (Gen. 1, 3). (94) : (Jn 1, 9). O voix sainte! O majesté de tes paroles puissantes! O bouche bienheureuse rassemblant de l'exil l'univers entier! O trésor de ce coeur qui déverse en quelques mots sur nous l'abondance de ses biens! Ces mots ont transformé la terre en ciel et vidé l'enfer de ses prisonniers, ils ont fait du ciel l'habitation des hommes, des anges leurs compagnons, fondu en un seul choeur la race des cieux et celle de la terre, autour de Celui qui étant né de l'une et devenu de l'autre est des deux. Comment louer la Mère de Dieu? Quelle action de grâce t'adresserons-nous pour ces paroles? Oh, que peut-on te dire, toi dont rien n'est digne parmi les hommes? Nos paroles viennent de ce qui est, mais toi tu excèdes tout ce qui surpasse le monde. s'il faut te présenter des mots, ce doit être oeuvre des anges, oeuvre de l'intellect chérubique, oeuvre de langues de feu. Aussi pour parler dignement de ta puissance, ayant commémoré par la bénédiction ce qui est de toi, t'ayant chanté comme notre salut autant qu'il nous est possible, nous voudrions encore emprunter la voix des anges, et nous terminerons notre discours en t'honorant par ces mots de la salutation de Gabriel: Réjouis-toi, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi! Et prépare-nous aussi à recevoir en nous ce que nous toi qui L'as enfanté, et non seulement par des mots, mais par des actes car à Lui convient la gloire pour les siècles. Amen. HOMELIE SUR LA GLORIEUSE DORMITION DE LA TRES SAINTE MERE DE DIEU ET TOUJOURS VIERGE MARIE Nul, je crois, n'ignore qu'il n'est rien de plus difficile que d'observer ce qui se doit dans la tâche présente. Quant à moi, j'ai tant de mal à trouver mes mots en ce jour que je pense que tous les hommes sont redevables à la Vierge de tels exploits, car il n'est pas possible d'espérer que nos mots approchent la grandeur des réalités. Que nul n'espère donc nous convaincre de vanité! - et d'ailleurs, où serait la vanité? Il ne serait pas sensé de se dérober devant la défaite après s'e^tre attaqué à des choses si élevées, car où nul ne peut réussir nul ne peut êtr accusé de négligence. Et puisque j'ai mesuré mon discours à mes forces, j'en viens donc aux hymnes de louange, ajoutant seulement ceci que je ne les tente pas pour faire connaître à mes auditeurs des frâces de celle que je chante qui leur auraient échappé - car nul n'ignore ce qui est le bien de tous - mais que c'est seulement pour le bien de mon âme que je tente de me remémorer, autant qu'il m'est possible, la cause d emon salut; car c'est pour cette raison, me semble-t-il, que tous chantent la Toute-Sainte. Personne n'a pu entreprendre cet exploit sans avoir pu atteindre ce but peu ou prou, car non seulement elle est digne de tous nos chants pour Celui qu'elle a enfanté, mais elle en était digne avant même de l'avoir donné aux hommes. Car c'est bien la Vierge qu'ont chantée les prophètes dans leurs chants inspirés : y eut-il jamais chose vénérable, la Demeure, l'Arche ou la Tente sacrée de Moïse, ou encore l'une ou l'autre de ces choses dont s'enorgueillissaient les Hébreux - quel que soit leur nom, c'est la Vierge qu'annonçaient ces miracles; et si ces choses existaient, si elles ont été faites vénérables dès l'origine, c'est uniquement pour l'annoncer et la montrer par avance aux hommes. Mais que dis-je? Toutes les louanges qu'on a jamais pu adresser à des hommes, qu'on ait loué toute notre race ensemble ou bien certains de nous, c'est au compte de la Vierge qu'il faut toutes les porter. Car il n'est et il ne peut être aucun bien digne d'estime, ni petit ni grand, qui ne nous ait été procuré par cette nouvelle mère et par son enfantement nouveau - et non seulement depuis, mais même dès avant comme pour le futur. Le fruit de toute la création Car si nous faisons tout pour gagner Dieu, et si c'est bien là la fin de tout bien, cela n'eût pas été possible aux hommes sans les grâces que nous donne la Vierge. Comment donc ne porterions-nous pas tout à son compte, si elle est motif d elouange pour tout ce qu'il peut y avoir de vénérable parmi les hommes - puisque la cause de tout bien pour nous est cette union à Dieu que nous devons à la Vierge? Il faut donc reconnaître et chanter en elle la cause de toute beauté, la cause de tout ce qui est digne d'être loué et vénéré, et proclamer que c'est à elle seule que nous devons adresser toute bénédiction. Et nous devons même être reconnaissants à la Bienheureuse de notre existence, et en toutes choses d'être des hommes. Bien plus encore le ciel aussi, la terre et le soleil, et tout ce qui est, tout est venu à l'être et tout existe par la Vierge bienheureuse, de même que c'est le fruit qui produit l'arbre. Car si nous devons louer l'arbre pour son fruit, quiconque se réjouit de l'arbre a loué le fruit. Or qui peut ignorer que tout ce qui est vénérable parmi les êtres, toute beauté et toute grâce - s'il est quelque vertu et quelque chose qui mérite éloge, selon la parole de Paul (95) - nous ne le devons qu'à la Vierge? (95) : ( Phil. 4, 8). Si bien qu'on peut dire que le jugement qu'a porté Dieu sur toutes ces choses, lorsqu'il proclama qu'elles sont bonnes et très bonnes (96) est une bénédiction de la Vierge. (96) : ( Gen. 1, 31). Aussi était-elle chantée depuis longtemps déjà. Il ressort bien de ce que nous avons dit que la Bienheureuse est le fruit de la création, et que c'est là sa raison d'être dans l'univers. Or puisqu'en toute chose le fruit est ce qui ramène à la vie la nature marchant vers sa disparition - ce qui par la fécondité la fait apparaître nouvelle comme à l'origine - qui a recréé les hommes? D'où leur vient cette nouvelle création? Qui a transformé cet univers? Certes si le ciel a reçu de nouveaux habitants recréés, c'est la Vierge qui les y a transportés depuis la terre; si la terre a été la résidence de l'homme nouveau, le Seigneur du ciel, c'est qu'elle a produit, non plus le fruit ancien, les épines et les ronces du péché (97), mais la nouvelle fleur de justice, la Vierge. (97) : ( Héb.6, 8). Non seulement elle a ainsi chassé la vieillesse, et offert à tous comme de revivre, mais le ciel lui-même reçoit par elle un corps meilleur, pur de toute souillure, la lune aussi, et la terre, et les étoiles. Or puisqu'il n'est pas possible à la création de se relever de la souillure, à moins que les enfants de Dieu ne retrouvent leur liberté, il a bien fallu que la Vierge fournît la rançon de cette liberté, le Premier-né d'entre les morts (98). (98) : ( Voir Colossiens 1, 15-21). C'est donc elle qui va délivrer la terre d ela corruption et accomplir son désir en lui accordant cette incorruptibilité qu'elle attendait en gémissant, selon la parole de Paul (99), si bien que ce que dit à Dieu le prophète : la terre sera rassasiée du fruit de tes oeuvres (100), signifie que le fruit qui est suggéré et que désire la terre est la Vierge, car c'est de la gloire manifestée du Sauveur qu'elle se rassasiera, selon l'Ecriture (101). (99) : (Rom. 8, 22). (100) : ( Ps. 103, 13). (101) : (Ps. 16, 15). Et si ce qu'elle nomme terre ce sont les hommes, c'est pour eux aussi que la Vierge accomplira leurs prières et qu'adviendra ce jour que les prophètes ont désiré (102). (102) : ( Matt. 13, 17). Certes ce bonheur que nous désirions depuis que nous avons perdu notre état primitif, personne, ni parmi les anges, ni parmi les hommes, n'avait pu nous y ramener. Sans pouvoir trouver par eux la voie du retour, nous étions tombés encore plus bas, et nous gémissions sans rien désirer d'autre. Or ce bonheur, seule la Bienheureuse nous a permis d'en jouir, seule elle a comblé notre désir, nous unissant à Celui qui seul est désirable - et lorsqu'on s'est joint à Lui on ne peut plus rien chercher d'autre - et d'une telle union que nous communions à Lui non pas par une manière de vivre ni par un lieu, mais par notre nature même. Et même elle n'a pas accordé sa grâce seulement aux hommes et à ce monde-ci, comme si elle avait fixé le ciel comme limite à ses bienfaits, elle l'a dépassé et recouvert de sa vertu (103); (103) : ( Hab. 3, 3). en effet le temps est venu aussi pour les Anges, les Principautés et les Dominations eux-mêmes, et la lumière s'est levée pour eux, car elle leur a permis de devenir encore plus sages et plus purs qu'auparavant et d emieux connaître la bonté et la sagesse de Dieu. Car c'est par elle que les Principautés et les Puissances ont pu connaître la sagesse infiniment diverse de Dieu, et la profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu (104), comme s'ils avaient tous eu besoin pour voir des yeux ou de la lumière de la Bienheureuse. (104) : ( Cette citation ajoute Eph. 3, 10 et Rom. 11, 33). Elle seule est le guide de toute âme et de tout esprit vers la vérité de Dieu. C'est ainsi que la Vierge a pu créer un ciel nouveau et une terre nouvelle (105), ou plutôt qu'elle est elle-même cette nouvelle terre et ce ciel nouveau : (105) : ( Ap. 21, 1). terre, parce qu'elle en vient - et nouvelle, parce qu'elle n'a pas imité ses ancêtres, ni hérité du vieux levain, puisque c'est elle qui, selon l'expression de Paul, représente la nouvelle pâte (106), et inaugure comme une race nouvelle. (106) : (Rom. 11, 16). Qui ne sait pourquoi elle est ciel? - et un ciel nouveau, car elle est au-delà de toute vieillesse, puisqu'elle est incomparablement au-dessus de toute souillure, et que jadis et naguère, comme en ces jours qui sont les derniers, elle a été offerte aux hommes selon la promesse divine qu'avait transmise Isaïe : Je vous donnerai un ciel nouveau et une terre nouvelle (107). (107) : ( Is. 65, 17). Ou bien, si vous voulez, la Vierge est une terre et un ciel merveilleux et au-dessus de la nature parce qu'elle s'est élevée au-dessus de la terre et qu'elle a surpassé le ciel, et en grandeur, et en pureté; en grandeur parce que ce qu'il n'était pas permis aux hommes de voir de leurs yeux, à moins que les cieux ne se déchirent et s'entr'ouvrent, rien ne peut plus les empêcher d'en jouir. Mieux encore elle guide ceux qui montent vers Dieu, alors que le ciel y fait obstacle; alors même que celui-ci doit cesser de s'interposer, si la Vierge ne continuait d'intercéder entre Dieu et les hommes, il ne serait pas possible à ceux d'ici-bas de communier à l'au-delà. Or il est bien dit que le ciel ne supporta pas le rayonnement de la Divinité et qu'il s'est déchiré sur son passage, car dès que l'Esprit descendit sur Celui qui lui est égal en gloire, l'illustre Jean put voir les cieux se déchirer (108). (108) : ( Marc 1, 10). Mais lorsque l'Esprit descendit sur la Bienheureuse (109), elle put jouir d'une paix encore plus grande, celle-là même dont l'apôtre Paul dirait qu'elle surpasse tout esprit (110). (110) : ( Phil. 4, 7). Elle est devenue - au-dessus de la nature- le lieu de l'Hypostase du Sauveur Lui-même, qui ne connaît pourtant pas de limite. Elle l'a porté avec aisance jusqu'à son terme et l'a enfanté sans douleurs; aussi ce que le prophète nomme "le ciel des cieux" - et qui seul convient à Dieu seul, car le ciel des cieux est au Seigneur (111) - est-il bien la Vierge bienheureuse. (111) : (Ps. 113, 24. Certaines versions des Psaumes portent : " le ciel du ciel"). Le ciel même n'est pas pur à ses yeux (112), est-il dit, cependant que celle qui s etient auprès du Seigneur (113) n'est pas seulement pure de tout mal, mais la Vierge est belle, et pas simplement belle, mais toute belle - car tu es toute belle, est-il dit (114). (112) : (Job 15, 15). (113) : (Allusion aux paroles du psaume : La Reine s'est tenue à ta droite). (114) : (Cant. 4, 7). Or ici le jugement n'est pas humain, c'est Dieu Lui-même qui proclame belle la Bienheureuse - et même dans un cri d'admiration : Que tu es belle, ma compagne (115) ! (115) : ( Cant. 1, 15 et 4, 1). Et pourtant, selon l'Ecriture, toute justice humaine est plus souillée qu'un linge sale devant Dieu (116), et elle est appelée méchanceté. (116) : ( Is. 64, 5). On le voit, la justice de la Vierge sort des limites humaines et les excède, et pas d'un peu ni de beaucoup, mais pour prendre une image, elle dépasse tant la nature commune qu'on n'en pet mesurer la distance. Réconciliation des mortels C'est pourquoi elle a recouvert toute méchanceté humaine et montré que les hommes étaient dignes de s'unir à Dieu et la terre d'e^tre le séjour du Seigneur. Tous ont dévié, tous ensemble devenus inutiles (117), nul ne pouvait venir à l'aide de notre race en danger ni contenir le flot du péché. (117) : (Ps. 13, 3). Ni les Prêtres, ni les Juges, ni l'ensemble des Prophètes, ni tous ceux qui tenaient pour Dieu et dont on pouvait attendre quelque amélioration pour notre race, aucun de ces hommes ne put rien faire pour autrui, car ils n'ont pu se montrer eux-mêmes exempts de tout reproche ni d etoute condamnation, et lorsqu'ils quittèrent ce monde, c'est par l'Hadès qu'ils ont été accueillis. Aussi était-il impossible que nous retournions à notre vie primitive, car les hommes ne pouvaient se suffire à eux-mêmes; les anges, demandant avec nous et pour notre bien, s'efforçaient d elutter avec nous, mais la multitude de nos maux l'emportait; et l'Unique dont la blessure fût nécessaire était haï des hommes à cause du péché. Car il a regardé sur la terre, il n'en est aucun qui ait l'intelligence, qui cherche Dieu (118). (118) : (Ps. 13, 2-3). Il en était comme d'un corps abattu d emaladie, où celui qui voudrait le soigner ne trouverait plus rien d'où il pût ranimer la santé (119). (119) : (Cf. Isaïe 1, 5-6). Or dans son amour de l'homme il voulait pour nous le salut, mais n'avait personne par où commencer de distribuer sa grâce avec justice. Car c'est là la loi de la justice divine : les bienfaits qui améliorent notre nature - et parfois sans que nous le voulions - mais qui redressent aussi notre volonté et nos dispositions, les bienfaits qui font habiter Dieu en nous et qui nous procurent la paix qui vient d'en haut, ces bienfaits sont grands. Ils surpassent tout espoir humain, mais ils sont attribués non pas à tous, mais à ceux à qui il a été donné d'apporter préalablement leur contribution. C'est pourquoi, avant que le Seigneur ne descendît, avant qu'il n'accomplît les mystères qui ramèneraient à son origine notre volonté déchue de l'amour de Dieu, il était besoin d'une justice humaine, non seulement comme contrepoids à une égale méchanceté, mais même miraculeusement supérieure. Aussi fallait-il éliminer la nature méchante et effacer la honte du péché, aussi fallait-il arrêter la fureur de l'ennemi, pour que Dieu tendît aux hommes la main de la réconciliation. Il en a tété ainsi, et la Vierge a offert au monde cette merveilleuse justice; elle a été pour nous comme en purification et en expiation, elle a purifié notre race entière; comme un flot d elumière ou comme une flamme, elle a transmis de son propre éclat à tous ceux qu'elle a approchés. De même que cette lumière-ci apparaît comme la beauté des choses visibles, mais qu'elle n'a pas été donnée à toutes et n'est échue qu'au seul disque du soleil, de même la beauté des hommes et toute la noblesse de leur nature, la grâce avec laquelle elle s'épanouissait avant de perdre Dieu - et qu'elle aurait encore si elle avait gardé sa loi - et la justice qu'elle avait et qu'elle devait garder - mais qu'elle n'a plus - sont rassemblées dans la seule Vierge. C'est elle qui a justifié tous les hommes (120), ce que Paul a dit du Sauveur, et elle a été comme un trésor, ou bien une source, ou je ne sais que dire encore, d el'essence de la sainteté des hommes. C'est pourquoi seule parmi les hommes de tous les siècles elle a pu demeurer dans le sanctuaire, offerte en sacrifice préliminaire et purificateur avec la grande Victime offerte pour la race entière. C'est ainsi que Jésus est entré en précurseur dans le Saint des Saints (121) et que la Bienheureuse avait pénétré avant le Sauveur derrière le rideau du sanctuaire et s'était offerte elle-même au Père. (121) : ( Héb. 6, 20: 9, 12). Il a achevé de réconcilier le Père avec les hommes en mourant sur la Croix, mais c'est parce que la Bienheureuse, en se présentant à Dieu, l'avait déjà si bien incliné à la réconciliation qu'Il avait envoyé un conciliateur parmi les hommes et fait de cet intercesseur un frère de ceux pour lesquels Il devait arriver jusqu'à Dieu, afin qu'Il pût les revendiquer comme parents issus de sa race. Car il devait se faire en tout semblable à ses frères, afin de devenir dans le service de Dieu un grand prêtre miséricordieux et fidèle, pour expier les péchés du peuple (122). (122) : (Héb. 2, 17). Etant les deux dans son Hypostase unique étant ce que nous sommes et étant ce qu'est Dieu Il s'établit comme le terme commun à chaque nature, et donc comme union de Dieu et des hommes, et réconciliation, et paix, et amour, et tout ce qui en découle. La Bienheureuse, elle, est d'une part un être humain par ceux dont elle a tiré son origine; mais par ailleurs elle s'apparente à Dieu - je veux dire par sa justice au-dessus de la nature. En ce qu'elle est homme elle honore les hommes, et d'autre part elle incite Dieu à aimer les hommes en l'attirant par sa beauté. Or le Sauveur a payé la rançon dont nous étions redevables, car il ne se reconnaissait rien dont il fût responsable puisqu'il n'a pas fait de péché, mais ôté les nôtres et souffert pour nous (123). (123) : (1. Pi. 2, 22, suivi de Is. 53, 4). Il a suffi de la souffrance d'un seul - qui ne connaissait aucune injustice - tenant lieu de rançon, pour délivrer de toutes leurs fautes les hommes dans leur plus extrême négligence. Unique et seule parmi tous les hommes, la Bienheureuse, offrant une âme digne de Dieu, a pu prendre la défense d'autrui. C'est pourquoi elle a été la seule que Dieu ait proclamée bienheureuse parmi ceux qui, nombreux et à de maintes reprises, ont reçu des messages du ciel. Car il n'était personne qui fût assez libéré du péché pour pouvoir être affranchi de la rançon. En effet Dieu nous a tous condamnés aux souffrances et aux épreuves - tel était bien le châtiment des hommes pour avoir transgressé la loi de joie et de paix. En jugeant la Bienheureuse digne de se réjouir et d'être appelée "pleine de grâce" et "bénie", il a montré qu'il n'avait rien à lui imputer de tout ce dont la nature de l'homme est redevable. L'union à Dieu Il était nécessaire que ce nouveau sacrifice, qui nous était préparé pour les nombreuses purifications dont nous avons besoin, fût pur et saint. Car si l'autel, qui est comme la charte et l'image des grâces de la Vierge, est le Saint des Saints, quel titre conviendra-t-il de décerner à celle-ci en vérité? En effet l'autel est d'encore plus inférieur à la Vierge que l'ombre et l'image le sont à la vérité : comme d'une distance infinie. Car l'autel, Paul le dit, les Chérubins le recouvrent de leur ombre (124); (124) : (Héb.9, 5). mais celle qui est digne de toute gloire, ce ne sont pas les Chérubins qui l'ont recouverte, ni même rien qui soit plus grand qu'eux, mais c'est Celui-là même qu'ils servent, c'est la puissance du Très-Haut qui l'a recouverte, comme l'a proclamé le divin Gabriel. D'ailleurs le sacrifice est plus sacré que l'autel, car c'est pour le sacrifice que l'autel est vénéré, et c'est l'aspersion par le sang qui lui apporte la sainteté, mais la Vierge bienheureuse, elle, est tellement plus sacrée que tout sacrifice, que l'on ne peut dire de combien. Car le sang de ce nouveau sacrifice n'est pas seulement reçu par l'autel ni détruit par le feu, c'est Dieu lui-même qui l'a pris sur lui et qui s'en est revêtu comme du manteau du salut et d'une tunique de joie (125) pour garder les hommes de tout mal et d etoute souffrance. (125) : ( Isaïe 61, 10). Il n'a pas eu honte de s'en revêtir. Il s'en est fait un objet de gloire et de dignité royale, et lorsqu'en endossant ce manteau il a communié avec les hommes en vivant parmi eux, le Royaume des Cieux, est-il dit, s'est approché à la porte (126). (126) : ( Matt. 12, 28 et 24, 33). C'est alors que les anges interrogent le Sauveur sur son vêtement royal : Pourquoi les habits sont-ils rouges (127) ? (127) : ( Isaïe 63, 2). C'est de cette royauté que le Seigneur a établi son royaume (128); (128) : ( Ps. 95, 10). c'est de cette puissance et de cette gloire qu'il s'est revêtu; c'est ainsi revêtu, ainsi ceint, qu'Il l'a emporté sur le Puissant. Il l'a enchaîné, Il lui a arraché ses prisonniers des mains, Il les a sauvés ainsi - et c'est ainsi que la chair de notre Sauveur est devenue pour nous qui sommes sauvés puissance de Dieu, selon Paul (129). (129) : (1 Cor. 1, 18). O nouveauté des mystères! O miracle de la justice! O pureté de cette âme qui a purifié son corps! O miracle de ce corps ignorant la nature, qui s'est élevé avec l'âme! O esprit de lumière! Que dirai-je et comment parlerai-je? disait le Prophète (130) dans son embarras. (130) : ( Daniel 10, 17). Ce Dieu qui ne se trouve en aucun lieu, que la création ne contiendrait pas, même si elle grandissait mille fois, la Vierge l'a habillé de son sang, et qui plus est, elle lui a tissé un digne manteau pour la dignité royale. Et cependant Dieu n'a pas ainsi endossé la chair comme un corps endosse un vêtement, ni la nature n'a participé au rayonnement divin comme le manteau à la splendeur royale, mais on ne peut parler de vêtement en ce qui concerne le Sauveur que pour signifier ceci : que les natures ne se mélangent pas entre elles et qu'elles conservent chacune ses particularités sans aucune confusion - pour le reste, cela dépasse notre image autant que l'union complète surpasse la totale distinction. Nul autre exemple n'existe à une telle union et on ne peut la proposer en exemple; elle est unique, elle se manifeste comme première et comme seule. Car si le sang de la Bienheureuse devient le sang de Dieu, que peut-on dire de plus? Communiant si étroitement avec lui-même des mêmes choses, elle en vient à partager même honneur et même trône, même divinité avec la nature divine. C'est à une telle hauteur de saineté que s'est élevée la Vierge : c'est ainsi que ce qui est d'elle surpasse tout esprit. Elle était un être humain et c'est des hommes qu'elle a fleuri. Par la race elle participe de tout ce qui est d'eux, mais elle n'a pas hérité de leur état d'esprit; elle n'était pas attirée par l'habitude du péché, mais elle s'est levée contre le péché; elle a résisté à notre souillure et mis fin à notre méchanceté. C'est elle qui a été nos saintes prémices, c'est elle qui nous a montré la voie menant vers Sieu. Seule en cette vie - telle qu'aucun des autres hommes ni aucune des autres créatures quelle qu'elle soit n'a pu être présentée, mais elle seule devant Dieu seul - elle a observé Sa volonté; Elle n'a dirigé son regard vers aucune des créatures, ni ne s'est tournée vers rien de tout ce qui existe, mais dès qu'elle a paru parmi les hommes elle s'est écartée d'eux - se tournant vers la meilleure part. Ayant ainsi surpassé toute la création, la terre et le ciel, le soleil et les étoiles, et même ce choeur qui entoure Dieu, elle ne s'est pas arrêtée avant de s'être unie dans sa pureté à la pureté de Dieu. Elle a été plus sacrée que les sacrifices, plus digne de Dieu que les autels; elle a d'autant surpassé prophètes, justes et prêtres en sainteté que ce qui sanctifie surpasse en sainteté les sanctifiés. Car nul n'est saint plus que la Bienheureuse, mais elle qui fut la seule et la première détachée du péché une fois pour toutes, elle s'est révélée sainte, sainte de toute sainteté et tout ce qu'on pourrait dire de plus encore. Parfaitement disposée pour concevoir le Seigneur, elle aouvert aux autres hommes la voie de la sainteté, car c'est par Lui que la sainteté a été donnée et aux prophètes et aux prêtres et à tous ceux qui sont dignes des saints mystères. La Mère de Dieu, Source du salut de tous Car seul et en premier c'est le Fruit qu'a porté la Vierge qui a introduit la sainteté dans le monde - et c'est ce que dit saint Paul : Jésus est entré en précurseur dans le sanctuaire pour nous tous (131). (131) : (Héb.6, 20). Si dès avant que le Sauveur ne vînt vers nous on pouvait dire que beaucoup portaient ce nom, c'est bien parce qu'ils participaient en figures à ses mystères. Il en fut ainsi de Moïse, car avant même que le Christ ne souffrît, selon ce que dit Paul, l'opprobre du Christ lui parut une richesse supérieure aux trésors de l'Egypte (132). (132) : ( Héb.11, 26). De même les Hébreux ont-ils pu aussi être baptisés et recevoir spirituellement le pain et l'eau, avant même la venue du pain descendu du ciel et la descente du Saint Esprit, car Jésus n'avait pas encore été glorifié (133) jusqu'à ce qu'ils fussent comme prêts pour la sainteté et disposés à accueillir la lumière du salut. (133) : ( Jn 6, 31-33 et 7-39). C'est ainsi que survient ce mot du Sauveur : C'est pour eux que je me consacre moi-même, afin qu'ils soient eux aussi consacrés en vérité (134). (134) : ( Jn 17, 19). C'est ainsi que ces anciens d'avant la manifestation du Sauveur avaient reçu sa bénédiction comme en figure, comme une ombre, car ils n'ont pas obtenu la promesse, malgré le témoignage rendu à leur foi, afin qu'ils ne parvinssent pas sans nous à la perfection, dit Paul (135). (135) : ( Héb. 11, 40). Et dirai-je même les prophètes, qui n'ont pu se libérer des liens de l'enfer avant d'avoir reçu les dons de la Vierge, puisque la bienheureuse est plus sainte même que les anges et les archanges, les Chérubins et les Séraphins? Car si Dieu est la récompense de la sainteté et s'Il s'est proposé de la même façon à tous, mais si c'est celui qui s'est le mieux préparé qui est le plus récompensé, n'est-il pas absolument nécessaire d'estimer la sainteté d'après la récompense, et d'évaluer celle-ci à la proximité de Dieu? C'est ainsi qu'il est dit que les Chérubins se tiennent autour de Dieu et reçoivent son rayonnement, mais n'osent pas lever les yeux sur Lui. Mais la Vierge, elle, d'une manière nouvelle et indicible, a contenu en elle-même Celui qu'aucun lieu ne contient; or ce n'est pas une lumière ou une gloire, mais l'Hypostase même de Dieu qu'elle a contenue. Dieu s'est donc présenté à la Vierge plus clairement qu'aux Chérubins, justement dans la mesure où elle était plus sainte et plus sacrée, et Il l'a fait dans une clarté si supérieure qu'on ne saurait la décrire. Elle surpasse même en pureté et en sainteté les réalités par lesquelles la sagesse divine s emanifeste le plus. Il en est comme des corps qui sont les plus proches de la lumière : ce sont les plus purs; de même, Dieu étant présent en tous les êtres, on doit imputer aux créatures les différents degrés de sa manifestation. Dans ces conditions, qui ne comprend que la Vierge est plus sacrée que les nages et les hommes? Certes c'est par l'ordre angélique que la loi de Dieu, la parole proférée par les anges (136), comme le dit Paul, a été donnée aux hommes, ainsi que les signes de sa justice et de sa puissance. (136) : (Héb.2, 2). Or non seulement la Vierge montrait Dieu autant qu'eux, mais c'est la Sagesse hypostatique même de Dieu qu'elle a révélée aux hommes - et non pas en signes ou en images, mais Dieu lui-même immédiatement, le Sauveur, et pas seulement aux hommes, mais aussi bien aux Principautés et aux Puissances : afin que soit portée à la connaissance, dit l'Apôtre Paul, des Principautés et des Puissances la sagesse infiniment variée de Dieu. (137) : (Eph.3,3). Il n'a pas dit : " Afin que soit mieux portée à la connaissance..." comme s'ils la connaissaient déjà, quoiqu'imparfaitement, mais il a simplement dit : " Afin que soit portée à la connaissance..." montrant ainsi, à mon avis, que cette connaissance était si imparfaite avant la Vierge bienheureuse qu'elle ne supportait aucune comparaison avec celle qui a suivi et qu'elle a fait naître - et elle a bien fait lever le Soleil de justice non seulement pour les hommes, justes et injustes, bons et méchants, mais même pour les puissances célestes. Rien d ece qu'a accompli la Bienheureuse ne le cède donc en excellence à l'économie du Sauveur pour notre salut. Et puisqu'il l'a faite si au-dessus de ses propres anges que l'Apôtre n'a pas osé comparer leur bonheur au sien, recherchons de combien elle leur est supérieure. Si c'est l'inférieur qui est béni par le supérieur (138), quelle comparaison peut-il y avoir entre faire le bien et être bien traité? (138) : ( Héb. 7, 7). C'est pourquoi le prophète a vu la Vierge comme un trône haut et élevé, mais les Chérubins, il les a vus autour du trône, dans la crainte et le tremblement, n'osant pas lever les yeux (139). (139) : ( Is. 6, 1. Le Prophète parle des Séraphins. Notre auteur les associe aux Chérubins). Or si l'on dit qu'à leur veille et à leurs hymnes devant Dieu il n'est point de terme, il faudra d'autant plus estimer la Vierge qu'elle a plus ressenti l'éclat divin - et je n'entends pas seulement après son départ d'ici-bas, mais déjà en cette vie - car ce qui fait aussi veiller les puissances qui entourent Dieu, ce qui leur fait désirer Dieu plus que rien d'autre, c'est qu'ils ont plus goûté des grâces divines. Si bien que ce qui arrive aux autres saints lorsqu'ils ont quitté leur corps - demeurer immuablement dans le bien et dans la vertu - c'est ce qui est arrivé à la Vierge dès avant qu'elle n'eût déposé son corps. Et cela était une conséquence naturelle. Ce corps en effet, dont il lui eût fallu se séparer, surpassait ce nom d ecorps; il n'était plus en effet "psychique", mais ce que Paul appelle un corps "spirituel", car l'Esprit était venu y résider et y avait transformé les lois de la nature - sinon le présent corps n'eût pas laissé les saints se convertir vers Dieu; celui-là fut cependant d'une aide très grande. Alors même qu'ils étaient pleins du désir de s'approcher de Celui qu'ils désirent au plus haut point, et qu'ils tournaient toute la force de leur intellect vers la contemplation de celui qui existe véritablement, ils ne pouvaient tendre ni tourner leur volonté comme un regard vers autre chose, car tout le visible s'interposait. Or tout cela a bien eu lieu en la Vierge, au-dessus de tout esprit et raison, et seule - peut-on l'ignorer? - elle fut digne de recevoir Dieu au-delà de tout ce qu'on peut imaginer. Il est donc évident qu'avant de transférer dans l'au-delà cette vertu si merveilleuse, elle avait acquis le bien immuable au-dessus de la nature, qu'elle disposait des biens à venir, qu'elle régnait dès ici-bas sur le royaume réservé aux justes, et qu'au milieu du flot de la vie qui s'écoule elle vivait de cette vie cachée en Christ qu'elle Lui avait transmise : il fallait bien que tout se fît nouveau pour la Bienheureuse, devant qui s'effaçaient les lois de la nature. Ayant fait la preuve de la bienveillance divine dont elle avait bénéficié, elle en chanta la louange : le Puissant a fait en moi de grandes choses (140). La Participation de la Vierge à la Croix, à la Mort et à la Résurrection du Sauveur O exploits inouïs! O luttes héroïques! Et cependant après les honneurs et les couronnes - je veux dire le Soleil de justice qu'elle reçut et auquel elle s'unit, elle en arriva à l'épreuve des peines et des douleurs au lieu de la joie qui s'offrait à elle (141). (141) : ( Héb.12, 2). Et elle communia avec son Fils dans la honte et l'insulte lorsque ceux pour lesquels il s'était fait humble lui offraient l'humiliation. Elle soutint l'épreuve de celui qui paraissait l'avoir engendré, Joseph (142), et prit patience, luttant avec son Fils pour mon salut; (142) : ( Allusion probable à la tentation de Joseph, saisi de doute devant la conception virginale. L'icône de la Nativité du Seigneur montre la Mère de Dieu tournant un visage plein de compassion vers Joseph, que le Malin vient tenter). lorsqu'il entreprit ses miracles pour redresser notre nature, elle était à ses côtés; lorsqu'il fut assassiné et haï par les bénéficiaires de ses bienfaits, elle participa de la souffrance et de la haine. Et comme elle prenait l'initiative d'inciter son Fils à ces bienfaits, dans l'excès de son amour de l'homme : Mon heure, dit-il, n'est pas encore venue, montrant ainsi quelle hardiesse il accordait à sa mère, qu'elle pût déplacer le terme des temps qu'il avait fixé (143). (143) : ( Jn 2, 4. Cabasilas se réfère à l'interprétation de ce texte usuelle chez les Pères : le Christ accepte, par ces mots, de faire le miracle, quoique le temps n'en soit pas encore venu, pour accéder au désir de Sa Toute Pure Mère). Et lorsqu'il fallut que le Sauveur souffrît pour nous de terribles épreuves et qu'il mourût, que d'épreuves subit la Vierge! Que d etraits la frappèrent! N'aurait-il été qu'un homme et rien d'autre, cela n'eût rien ajouté à la douleur d ela mère : mais c'était le Fils, le fils unique d'une mère unique, l'enfant du miracle, qui n'avait blessé ni elle ni aucun homme, qui avait dispensé à tous tant de bienfaits qu'ils surpassaient toute espérance. Que ne pouvait naturellement ressentir la Bienheureuse, alors qu'elle voyait au milieu d etant de méchanceté son fils, le doux et humble de coeur, sans crier ni protester (144), lui que personne n'avait jamais pu accuser de rien, entraîné par ces bêtes fauves, dénudé, fouetté, mis hors la loi et débouté de justice comme par un tyran, condamné au châtiment suprême, à mourir d'une mort infamante parmi les pires des hommes? (144) : ( Mat.11, 29 et Is. 42, 2). Je crois qu'il ne peut y avoir pire douleur. Faut-il pleurer les vistimes de l'injustice? Il n'est rien de plus éloigné de la justice que la mort du Sauveur - et certes personne n'est jamais tout à fait condamné à tort, car même si on ne se reproche rien de ce pour quoi on a été condamné, on a toujours commis de quoi être justement condamné; mais du Sauveur, le Prophète a dit : Il n'a point commis de péché (145). (145) : ( Isaïe, 53, 9). Ou bien est-il impossible de n'e^tre pas blessé des souffrances de ses proches? Or personne n'a jamais été aussi proche que la Vierge l'est du Christ (146). (146) : ( L'affection de Mère et Vierge est sans partage, car son Fils et unique et elle n'a pas de mari). Voilà pourquoi une douleur si surnaturelle et si étrange saisit la Vierge, comme aucun homme n'a pu en ressentir de telle, car elle était sage et mère et capable de voir l'injustice. Il fallait donc qu'elle participât à la providence de son Fils à notre égard; et de même qu'elle lui avait transmis de sa chair et de son sang et qu'elle avait à son tour pris part à ses grâces, de même elle prit part à toutes ses souffrances et à toutes ses douleurs. Fixé à la Croix, il reçut un coup de lance au côté; elle, un glaive transperça son âme, comme l'avait prédit le très-saint Syméon (147); (147) : ( Voir Luc 2, 35). et c'est tout ce qui est commun au Fils et à la Mère qu'invoquèrent ces chiens lorsqu'ils citèrent ses premiers mots comme ceux d'un imposteur, le traitant de menteur et tentant de le convaincre d'erreur. C'est ainsi qu'elle devint la première conforme par similitude à la mort du Sauveur et que par celle-ci elle participa avant tous à sa Résurrection. Et lorsque son Fils eut détruit la tyrannie du démon et qu'il eut ressuscité, elle put voir, entendre son salut et accompagner autant qu'il était possible son départ pour le ciel; après son départ, elle prit sa place parmi les disciples et les autres compagnons du Seigneur, ajoutant à ses bienfaits à l'égard de la nature commune, et complétant ce qui manquait au Christ (148) plus justement que tout autre. (148) : (Col.1, 24). A qui tout cela convenait-il plus qu'à sa Mère? Il fallait que cette âme très-sainte fût déliée de ce corps très-saint. Elle en fut déliée et s'unit à celle de son Fils, lumière seconde à la lumière Première. Et ce corps, resté un court instant sur terre, partit lui aussi, car il fallait qu'il passât par toutes les étapes où le Sauveur avait passé et qu'il resplendît devant les morts et les vivants, que la nature humaine fût sanctifiée au milieu de tous et qu'elle prît la place qui lui convenait. Elle connut donc le tombeau pour peu d etemps, et le ciel hérita d ecette nouvelle terre, d ece corps spirituel, de ce trésor de notre vie, plus vénérable que les anges, plus saint que les archanges. Elle rendit son trône au Roi, le Paradis à l'arbre de vie, l'astre à la Lumière, le fruit à l'arbre et à son Fils une mère digne de toute la race. Louange de la Mère de Dieu, Celle qui est au-dessus de toute louange Quel discours suffirait à chanter ta vertu, O Bienheureuse, les grâces que le Sauveur t'a accordées, et celles que tu as accordées à la communion des hommes? Personne ne le pourrait, même s'il parlait les langues des anges et des hommes, comme l'aurait dit l'apôtre Paul (149). (149) : ( 1 Cor.13, 1). Il me semble que pour la comprendre et pour prcoclamer tes biens comme il convient, il faut avoir part au bonheur réservé aux justes. Car cela, l'oeil ne l'a point vu, ni l'oreille ne l'a entendu, ni le monde ne peut le contenir, selon l'illustre Jean (150). (150) : ( 1 Cor.2, 9 suivi de Jn 21, 25). Tes merveilles appartiennent seulement à ce lieu om se trouvent le ciel nouveau et la terre nouvelle, et ce Soleil de justice, que ne précède ni ne suit aucune ténèbre, et le hérault de tes biens est le Sauveur lui-même, aux applaudissements des anges. C'est seulement là que tu trouves une digne louange - aux hommes il n'est pas donné d'y parvenir : nous ne pouvons qu'effleurer ta louange dans la mesure où tu sanctifies et notre langue et notre âme. Car seul un discours et un rappel peuvent élever l'âme, rendre notre intellect meilleur et faire d enous, de charnels des spirituels et de profanes des saints. Mais tu es tout bien que nous connaissions en cette vie et que nous puissions connaître après notre départ d'ici-bas. C'est toi-même qui as initié et conduit pour les autres et le bonheur et la sainteté. C'est toi le salut des hommes et la lumière du monde, la route vers le Sauveur et la porte, la vie et tous ces noms qu'on peut te donner justement et dont le Sauveur a daigné être appelé pour mon salut; Lui était la cause, toi tu fus cause avec Lui de sainteté pour moi, et de tout ce dont j'ai joui du Sauveur par toi et de tes grâces propres; c'est ton sang qui purifie les péchés du monde; ce Corps était issu de toi, dans lequel j'ai été sanctifié, dans lequel j'ai reçu la nouvelle alliance, en qui se trouve tout espoir de salut; tes entrailles sont le Royaume de Dieu. O toi qui es au-dessus de toute louange et de tout nom dont on pourrait t'appeler, reçois cet hymne et ne méprise pas notre désir; accorde-nous de pouvoir mieux comprendre et chanter tes biens, et maintenant en cette vie, et plus tard dans la vie éternelle. AMEN !

BIBLIOGRAPHIE Outre les ouvrages relatifs à Nicolas Cabasilas, nous citerons quelques études qui permettent de situer son oeuvre dans le courant de la théologie hésychaste. Oeuvres de Nicoals Cabasilas 1. La vie en Christ (Péri tès en Christô zoès). 1) trad. latine dans J. Pontanus, Philippi Solitarii Dioptra, Ingolstadt, 1604, 209-306. 2) extraits du texte grec : P. Arcoudios, De la concorde entre les Eglises occidentale et orientale dans les rites des sept sacrements ( De concordia ecclesiae occidentalie et orientalis in septem sacramentorum administratione), Paris, 1619. 3) 1ère éd. complète du texte grec : W. Gass, Beiträge zu Kirchl. Lit. und Dogmengesch. der griech. Mittelalters, II : Die Mystik des Nikolaus Kabasilas vom Leben in Christo, Greifswald, 1849. Repris par 4) Migne, P.G. 150, Paris, 1885, 493-725. 5) Texte et trad. La vie en Christ, livres I-IV, éd. M.H. Congourdeau, coll. Sources Chrétiennes 355, Paris, Cerf, 1989. 6) Trad. anglaise : The Life in Christ, Carmino J. de Catanzaro, St Vladimir's Seminary Press, New York, 1974, 2ème éd. 1982. Trad. italienne : U. Neri, La vita in Christo di Nicolas Cabasilas, Turin, 1971. Trad. allemande : G. Hoch, Sakramentalmystik der Ostkirliche. Das Buch vom Leben in Christo des Nikolaos Kabasilas, Volksliturg. Apostolat, Klosterneuburg- München, 1958, 1966 et Christliche Meister 14, Einsiedeln, 1981. 2. Explication de la divine Liturgie (Eis tèn théian leitourgian). 1) Du divin mystère d el'autel ( Nicolai Cabasilae de divino altaris mysterio), ed. G. Hervet, Venise, 1548 ( en latin). 2) éd. Fronton du Duc, coll. Auctarium Bibliothecae veterum Patrum, 1624, et 3) Migne, PG 150, Paris, 1885, 368-492. 4) Explication de la divine liturgie, éd. S. Salaville, coll. Sources Chrétiennes 4 bis, Paris, Cerf, 1967 ( tr. seule 1943). 3. Homélies sur la Mère de Dieu 1. M. Jugie, Homélies Mariales Byzantines II, Patrologia Orientalis 19 ( 1925), reprint Brepols, Turnhout, 1974. Le texte de Nicolas Cabasilas est aux pages 456 (338) à 510 (392). 2) Edition de référence pour la présente traduction : P. Nellas, Nicolas Cabasilas, Homélies sur la Mère de Dieu ( Nikolaou Kabasila he Themetor, treis Theometorikes homilies - keimeno, eisagogè, neoellenikè apodose, scholia - ) Athènes, 1968, 1974. 4. Discours divers 1) Préface au livre de Nil Cabasilas sur la procession du Saint Esprit : Andronic K. démétracopoulos, Orthodoxos Hellas, Leipzig, 1872, 72-80. Migne, PG 149, 677-680. 2) Panagyrique de Saint Démétrios, édité par TH. Ioannou, Mnemeïa hagiologika, Venise, 1884, p. 67-114. 3) Homélie contre les usuriers, PG 150, Paris, 1885, 728-749. 4) Panégyrique de sainte Théodora, PG 150, Paris, 1885, 753-772. 5) Contre les Pyrrhoniens, éd. A. Elter - E. Rademacher, Analecta Graeca, Bonn, 1899. 6) Panégyrique de saint André le Jeune, édité par Papadopoulos- Kérameus, Sullogè palaistinès kai suriakès agiologias, I, Saint Pétersbourg, 1907. 7) Panégyriques de Matthieu Cantacuzène et d'Anne Paléologine, publiés par M. Jugie dans Nouvelles de l'Institut archéologique russe de Constantinople 15, 1911. 8) A Anne de Savoie sur l'usure, édité par R. Guilland, Eis mnemen Sp. Lamprou, Athènes, 1933, 269-277. 9) Prière à Jésus Christ, édition et traduction par S. Salaville, Echos d'Orient 35, mars 1936, 43-50. 10) Panégyrique des trois hiérarques, édité par K. Dyobouniotès, Epétèris Etairiôn Byzantinôn Spoudôn 14, 1938, 157-162. 11) Discours contre les inepties de Grégoras, édité par A. Garyza, Byzantion 24, 1954. Le même a publié dans le Boll. dell Badia Greca di Grottaferrata, en 1956, quelques textes courts de Nicolas Cabasilas. 12) B. Pseutogkas, Sept discours inédits de Nicolas Cabasilas..., Thessalonique, 1976 ( en grec). Contient les homélies sur la Passion et sur l'Ascension du Christ, sur la vision d'Ezéchiel, etc. 13) Offrent également des publications de textes inédits de Nicolas Cabasilas les livres d'Angelopoulos, et les articles de Laourdas et de Sevcenko cités à la section des ouvrages concernant notre auteur. 5. Lettres. Elles ont été publiées par P. Enépékidès, " Der Briefwechsel des mystikers Nikolaos Kabasilas", Byzantinische Zeitschrift 46, 1953, et par I. Sevcenko, " Nicolas Cabasilas' Correspondence", Ibid., 47, 1954. Livres et articles sur Nicolas Cabasilas et l'hésychasme par ordre alphabétique des noms d'auteurs - A. A. Angelopoulos, Nicolas Cabasilas. Sa vie, son oeuvre, Analekta Vlatadôn 5, Thessalonique, 1970. - Id., L'enseignement de Nicolas Cabasilas sur la vie en Christ, Belgrade, 1967 ( en serbe). - H.G. Beck, Kirche und theologische Literatur im byzantinischen reich, München, 1959. - S. Bilali, L'hérésie du Filioque, I, examen historique et critique de la question du Filioque ( He hairesis toû Filioque, A', historike kai Kritike theoresis toû Filioque), Athènes, 1972 ( en grec). - J. Bryennios, Oeuvres retrouvées ( Ta Eurethenta), éd. E. Boulgaris, 2 t., Leipzig, 1768, Compléments ( Ta paraleipomena) t.3, Leipzig, 1784, rééd. Thessalonique, Regopoulou, 1990. -G.T. Dennis, The letters of Manuel II Paleologus, Dumbarton Oaks, 1977. - Th. Dionysiatis, Saint Grégoire Palamas, sa vie et sa théologie ( Ho Hagios Gregorios ho Palamâs, ho bios kai he theologia tou), Mont Athos - Thessalonique, 1976 (en grec). - G. Florovsky, Collected Works, ed. Richard S. Haugh, Belmont, USA, puis Vaduz, Europa, 1977 sq. -G. Gouillard, " Le synodicon de l'orthodoxie", édition et commentaire, Travaux et Mémoires 2, Paris, 1967. - N. Ioannidi, Joseph Bryennios, Vie, Oeuvre, Doctrine, Athènes, 1985 ( en grec). - S.P. Lampros, " Liste des oeuvres de Nicolas Cabasilas et de Démétrios Kydonès, contenues dans le Paris. 1213", Néos Hellenomnemôn 2, 1905, 299-323. -B. Laourdas, "Eloge et épigrammes de Nicolas Cabasilas sur saint Démétrios", Epétèris Etairiôn Byzantinôn Spoudôn 22, 1952 (en grec). -P. Lemerle, Le premier humanisme byzantin, Paris, 1971. -R.J. Loenertz, Manuel Calecas. Correspondance, Studi e Testi 152, Vatican, 1950. -V. Lossky, Théologie Mystique de l'Eglise d'Orient, Paris, 1944. - Id., A l'image et à la ressemblance de Dieu, Paris, 1967. -M. Lot-Borodine, Un maître de la spiritualité au XIVème siècle, Paris, 1958. -Id., La déification de l'homme selon la doctrine des Pères grecs, Paris, 1970. -F. Masaï, Pléthon et le platonisme de Mistra, Les classiques de l'humanité, Paris, Les Belles Lettres, 1956. -S. Mercati, Notizie di Procoro et Demetrio Cydone, Manuele Caleca e Teodoro Meliteniota, Studi e Testi 56, Vatican, 1931. -P. Nellas, art. 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Introduction : Nicolas Cabasilas et l'hésychasme par P. Patric Ranson
Homélie sur la glorieuse Nativité de la Très Sainte Mère de Dieu
Homélie sur l'Annonciation à la Très Sainte Mère de Dieu et Toujours Vierge Marie
Homélie sur la glorieuse Dormition de la Très Sainte Mère de Dieu et Toujours Vierge Marie
Bibliogrphie

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