mercredi 29 avril 2020

Lettre sur l'Unité de l'Eglise, Monseigneur Hilarion Troïtsky, Nouveau Martyr.

MONSEIGNEUR HILARION TROÏTSKY
NOUVEAU MARTYR



LETTRE
SUR
L'UNITÉ
DE
L'ÉGLISE



FRATERNITÉ ORTHODOXE SAINT GRÉGOIRE PALAMAS

30, bd de Sébastopol
75004 paris




À


SA BÉATITUDE LE MÉTROPOLITE VITALY


EN HOMMAGE


FILIAL ET RESPECTUEUX


NOUS DÉDIONS CE MODESTE TRAVAIL



INTRODUCTION


L'ECCLÉSIOLOGIE ORTHODOXE
ET
L'ECCLÉSIOLOGIE AUGUSTINIENNE


Les saints Apôtres et les divins Pères de l'Église Orthodoxe ont établi des règles ou CANONS pour assurer la paix et la concorde dans l'Église et pour protéger la confession des vérités dogmatiques au milieu des troubles et des épreuves de ce monde. Les Canons sont la mesure parfaite, la Règle d'or dont parle le Livre de l'Apocalypse (21, 15), qui sert à apprécier la Nouvelle Création, la Jérusalem Nouvelle qu'est l'Église du Christ.


Bien que vivant dans le temps et épousant certaines formes de l'histoire avec humilité, l'organisation de l'Église nous introduit à une dimension nouvelle, Divino-Humaine, de l'Histoire et de la vie de l'humanité parce que les Canons sont l'expression des dogmes fondamentaux de la Foi orthodoxe. La compréhension, l'interprétation des Canons repose, en effet, sur la confession orthodoxe de la Sainte Trinité et des natures parfaitement humaine et parfaitement divine de l'hypostase de notre Seigneur Jésus Christ.


L'Ecclésiologie a pour fondement la Théologie, comme la Théologie, un don de Dieu, est le produit de l'expérience des Saints qui s'unissent au Christ et sur lesquels repose le Saint Esprit. Pour cette raison, les hérésies ecclésiologiques sont le plus souvent le fruit d'une erreur dogmatique portant sur la Christologie ou sur la Théologie Trinitaire ou même sur les deux.
Ainsi W. Lossky voyait dans la fausse doctrine trinitaire de l'Occident, dans les présupposés philosophiques du « Filioque », l'origine de la Papauté et des autres déviations ecclésiologiques occidentales ; mais l'on pourrait aussi bien interpréter le dogme de l'infaillibilité papale comme l'expression d'un rejet de la Coopération des deux volontés en Christ, le Pape pouvant proclamer seul les dogmes, sans consentement de l'Église, du clergé et du peuple. Inversement, dans le Protestantisme, où il n'existe pas de croyance au caractère divin de la succession apostolique, et où les Pasteurs du troupeau sont seulement élus, la volonté divine manque.


Dans l'Église Orthodoxe ces deux écueils sont évités ; la volonté humaine et la grâce divine coopèrent véritablement : l'Évêque est choisi par le peuple et le clergé qui chantent AXIOS, c'est-à-dire « Il est digne », et la grâce divine de la succession apostolique vient alors coopérer avec la volonté humaine. Les mains du peuple orthodoxe se sont levées (« chirotonie », en grec) et celles de l'Évêque qui sont l'expression de la volonté ecclésiale et apostolique, se posent (« Chirothésie ») sur celui qui est consacré et sur la tête duquel la Sainte Bible, le dépôt de la Foi, a été placée.


Nous donnerons ici un autre exemple qui illustre parfaitement le lien qui existe entre la théologie et l'ecclésiologie : celui des écrits d'Augustin d'Hippone dont les analyses sur la nature de l'Église ont influencé l'Occident, et, à partir du XVIIIe siècle, une partie de l'Église Russe. L'œuvre ecclésiologique d'Augustin a pour principe ses propres déviations sur la Sainte Trinité, la Rédemption et les rapports de la raison et de la foi. Elle contient une polémique contre la doctrine ancienne et orthodoxe de saint Cyprien de Carthage sur le baptême. Cette critique prudente mais ferme de l'évêque d'Hippone est résumée dans le « DE BAPTISMO », qui est en réalité un CONTRA CYPRIANUM.


L'innovation ecclésiologique d'Augustin peut surprendre l'historien de la théologie qui sait que le Second Concile Œcuménique et les Canons de saint Basile suivent explicitement les règles définies par saint Cyprien et par la tradition antérieure et véritablement apostolique. Il faudrait chercher les causes de cette innovation à la fois dans l'ignorance d'Augustin à l'égard du Second Concile Œcuménique tenu à Constantinople en 381 et dans la méthode philosophique de l'évêque d'Hippone qui cherche toujours à repenser spéculativement ce que l'Église a déjà confessé clairement.


Toute cette polémique porte sur le baptême des schismatiques et des hérétiques. Cette question n'est pas posée de façon identique par saint Cyprien et par Augustin.


Pour le grand martyr et évêque de Carthage, comme pour la tradition antérieure, il s'agit de déterminer le mode de réception des hérétiques et des schismatiques. Pour Augustin, un siècle et demi plus tard, la question se pose en terme de validité du baptême des schismatiques ou des hérétiques.


Pour l'évêque d'Hippone, on peut, en effet, donner et recevoir le baptême dans l'hérésie : « Il est possible, hors de la communion catholique, de donner le baptême, tout comme hors de son sein il est possible de l'avoir ». Ainsi, pour Augustin, tout baptême donné au nom de la Sainte Trinité est un baptême et il n'existe pas de faux baptêmes. Mais, dans la même doctrine, si les hérétiques ont le baptême, n'étant pas unis aux autres chrétiens, ils n'ont pas l'amour, ils pèchent contre la charité. Or dans la conception augustienne, qui est à l'origine de la doctrine du « filioque », l'amour est quasiment identifié au Saint Esprit, lien d'amour entre le Père et le Fils ; il s'ensuit que les schismatiques ou les hérétiques n'ont pas le Saint Esprit.


Le second aspect de la conception augustinienne est donc le suivant : les hérétiques ou les schismatiques ont le baptême mais ce baptême ne les sauve aucunement, ils sont damnés à peine sortis des fonts baptismaux : « Chez ceux qu'ils baptisent les donatistes (c'est-à-dire les schismatiques auxquels était confronté Augustin) guérissent la blessure de l'idolâtrie ou de l'infidélité, mais ils leur infligent une blessure plus grave, celle du schisme. Les idolâtres, en effet, dans le peuple de Dieu, c'est le glaive qui les fit périr ; quant aux schismatiques, la terre s'ouvrit pour les engloutir ». On arrive alors à l'idée absurde d'un baptême en puissance, d'un baptême qui est donné sans opérer et à une invocation de la Sainte Trinité pour produire des « enfants de la Géhenne ».


Malgré son caractère contradictoire et sa nouveauté par rapport à la doctrine patristique du baptême, cette thèse d'Augustin a eu une immense postérité. Elle a servi pendant les longs et obscurs siècles du Moyen-Âge occidental, à justifier la violence exercée par les Croisés, par les Chevaliers Teutoniques, par les Templiers, et encore par les Uniates à l'égard des prétendus « schismatiques » que l'on ramenait « manu militari » dans le « centre de l'amour », la Rome papale.
Les Orthodoxes, avant comme après le sac impie de Constantinople en 1204 en ont été les premières victimes. Aux XVIe-XVIIe siècles, les Protestants ont été à leur tour persécutés au nom de la doctrine d'Augustin amplifiée et développée à cette occasion.


Aujourd'hui, où l'on veut « mettre du vin nouveau dans de vieilles outres », la doctrine d'Augustin sert curieusement de fondement à l'œcuménisme. On admet que l'Église est divisée – ce que n'aurait certainement pas dit l'évêque d'Hippone – mais on insiste sur le fait que le baptême existe jusque dans la plus petite secte protestante qui baptise au nom de la Sainte Trinité. Le germe de l'unité recherchée, le principe visible de l'unité que l'on dit – contre le neuvième article du Credo – « invisible », c'est le baptême commun à tous les « chrétiens ».


Si l'on veut comprendre l'idée même de « l'Église » ; il est très utile de confronter la doctrine d'Augustin à celle des Pères latinophones et hellénophones de la Sainte Église Orthodoxe. En effet, si la thèse augustinienne est reconnue comme appartenant à la Tradition de l'Église, il faudra croire alors que les Pères ont prêché « l'autodestruction » de l'Église – ce qui est impossible et contraire à la promesse du Seigneur. Au contraire, si l'on établit nettement quelle idée les Pères anciens se faisaient du baptême et de l'Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique, le regard que l'on portera sur l'œcuménisme et les conceptions modernistes de l'Église changera.
Or, pour ne pas refaire inutilement ce qui a déjà été fait, pour obéir à l'Apôtre Paul qui a dit « Rachetez le temps », il est nécessaire de savoir que ce débat, cette confrontation ont déjà eu lieu en Russie au début de notre siècle.


Au XVIIIe siècle Pierre Moghila, Métropolite de Kiev, a, en effet, introduit une doctrine étrangère à la tradition orthodoxe, et se fondant sur Augustin, il a reconnu la validité des sacrements des hétérodoxes. Cette thèse était une nouveauté absolue en Russie et dans l'Orthodoxie. Avant saint Cyprien comme après lui, les Pères sont tous en accord pour confesser qu'en dehors de l'Église il n'y a ni sacrement ni grâce. Seule la question du mode de réception des hérétiques ou des schismatiques s'est posée. Cette question n'était pas dogmatique, mais elle était fondée sur la nécessité pratique et passagère de recevoir avec douceur certains hérétiques afin de les conduire peu à peu, avec patience et miséricorde « à la stature parfaite du Christ ». Cette économie de l'Église n'autorisait pas cependant toutes les transgressions ; ainsi certains Pères, comme saint Basile le Grand, affirment qu'il ne faut pas user d'économie à l'égard de ceux qui n'ont même pas la forme du baptême orthodoxe, c'est-à-dire la triple immersion et l'invocation de la Sainte Trinité. Des Canons de saint Basile, qui font autorité dans l'Église, il s'ensuit que les Latins dont le baptême ne possède plus, depuis le XVe siècle, la triple immersion doivent être reçus par le baptême et non par la simple chrismation. Certes, l'Église, ayant la plénitude de la Grâce du Saint Esprit, peut étendre l'économie si Elle le juge absolument nécessaire.


Mais la thèse de Pierre Moghila était véritablement une hérésie car elle était une négation non seulement de la « rigueur » (« acribie » en grec), mais aussi de « l'économie » de l'Église puisque les hétérodoxes étaient reçus comme baptisés réellement. Cette nouvelle théologie de Pierre Moghila ne fut malheureusement pas sans influence, donnant naissance à une véritable scolastique russe.


Ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle – grâce au long travail entrepris dès le XVIIIe siècle par Païssius Vélichkovsky et continué par le saint monastère d'Optina – que l'on revint peu à peu à la véritable tradition patristique. Dans les Écoles de Théologie, le savant auteur de cette renaissance orthodoxe fut l'archevêque Antoine Khrapovitsky.


À la même époque, on assiste au commencement de ce qu'on appelle aujourd'hui l'œcuménisme. De nombreux théologiens russes, poussant à l'extrême leur scolastique, ne croient plus à « l'unité de l'Église » et se tournent avidement vers l'extérieur. Là, en Amérique tout particulièrement, le Protestantisme favorise des mouvements de jeunesse chrétiens supra-nationaux et supra-ecclésiastiques. La Papauté refusant alors tout dialogue et toute mise en question de l'Infaillibilité papale, ces mouvements divers se tournèrent vers l'Église Orthodoxe. En Russie, par amour de la vérité, le Métropolite Antoine Khrapovitsky accepta le dialogue, mais montra de très grandes réserves théologiques à l'égard de la conception protestante de l'Église. Un des moments important de ce débat fut la correspondance de Monseigneur Antoine avec H. Gardiner publiée partiellement dans « La revue internationale de théologie ».


À la suite de cette correspondance, un très remarquable Archimandrite, ami et disciple de Monseigneur Antoine, Hilarion Troïtsky, répondit à son tour aux remarques d'H. Gardiner. C'est le texte de cette réponse que nous publions ici, « La lettre sur l'Unité de l'Église ». Cette lettre marque un retour de l'Église Russe à la tradition patristique et une critique de l'ecclésiologie augustinienne.


Ce texte a pris une grande autorité aujourd'hui du fait que Monseigneur Hilarion – il fut consacré évêque en 1920 par le Patriarche Tykhon – est vénéré comme un Nouveau-Martyr. Après avoir joué un grand rôle en 1918 pour le retour au Patriarcat, Monseigneur Hilarion fut, en effet, arrêté dès 1923 et emprisonné dans le camp de Solovki sur la Mer Blanche. Dépouillé ainsi de toute gloire pour vivre les souffrances de l'Église et du peuple russe, contraint, dans ce véritable camp de la mort, à un lourd travail – il était attaché à un centre de pêche – Monseigneur Hilarion résumait avec humour sa situation : « L'esprit Saint est tout puissant ; Il a transformé les pêcheurs en théologiens, et maintenant il transforme les théologiens en pêcheurs ».
Monseigneur Hilarion mourut en 1929 du typhus mais aussi d'épuisement. Il a été canonisé en 1981 par l'Église Russe à l'Étranger avec tous les Nouveaux-Martyrs. Son témoignage demeurera comme un retour à la tradition patristique de l'Église Orthodoxe, avant que les malheurs de l'émigration n'éloignent à nouveau une partie de la diaspora russe de la doctrine des Saints Pères.


Enfin ce n'est certainement pas un hasard si c'est un authentique représentant de la tradition orthodoxe, enfant spirituel du Métropolite Antoine et de Monseigneur Hilarion, Sa Béatitude le Métropolite Vitaly qui a retrouvé et publié – en Russe puis en Anglais – cette « Lettre sur l'Unité de l'Église ».


C'est donc tout naturellement, avec un grand respect pour sa personne et pour sa Confession de Foi, que nous lui dédions cette édition française.


Nous tenons aussi à remercier Madame Hélène Pignot, élève de l'École Normale Supérieure, qui a traduit ce texte. Que Dieu lui rende au centuple « ce bien qui a été bien fait », selon l'expression de saint Basile le Grand.


Que notre Seigneur Jésus Christ, par les prières du Nouveau-Martyr Hilarion, ait pitié de tous ceux qui liront avec piété ce texte. AMEN.



LETTRE SUR L'UNITÉ
DE
L'ÉGLISE

J'ai été très heureux de recevoir les brochures que vous m'avez envoyées : grâce à elles, j'ai pu connaître l'intéressant mouvement chrétien américain qui œuvre pour réunir ceux qui, à travers le monde, invoquent le Saint Nom de Notre Seigneur Jésus Christ. L'esprit d'amour et d'humilité qui anime toutes les publications de votre commission m'a convaincu de la sincérité et de la pureté de vos intentions. J'ai été impressionné par le zèle avec lequel vous promouvez l'idée d'une conférence mondiale des chrétiens. J'ai devant moi vos brochures imprimées en trois parties du monde, l'Europe, l'Amérique et l'Afrique. J'ai eu le plaisir de recevoir vos aimables lettres ; dans l'une d'elles (du 13/26 septembre 1916), vous formez le souhait que je ne lise pas seulement vos brochures mais que je vous fasse part de mes réflexions.


Je suis ravi d'entamer une discussion avec vous sur une question qui me tient à cœur : celle de l'Église. Comment pourrait-il en être autrement ? Quel chrétien consciencieux n'est pas peiné de voir l'hostilité et la discorde parmi ceux qui devraient être unis en vertu de leur foi, là où devraient régner la paix, don que le Christ a fait à ses disciples et l'amour que le Saint Esprit met dans le cœur des chrétiens ? Il y a eu tant d'inimitiés, tant d'accusations mutuelles pendant des siècles de séparation qu'il est à présent temps de dialoguer avec un esprit plein d'amour et de bienveillance. Je reprendrai volontiers les termes de votre lettre : l'esprit d'amour doit triompher de la haine, l'esprit d'humilité de la révolte et de l'orgueil.


Pendant les années 1915 et 1916 j'avais suivi avec grand intérêt, dans la revue « Foi et Raison », votre correspondance avec l'archevêque Antoine de Kharkov, l'un des hiérarques les plus éclairés de l'Église Russe. Cette correspondance m'a paru l'évènement le plus marquant pour la théologie russe, ces deux dernières années. L'ardeur à défendre la vérité divine qui transparaît dans ces lettres se conjugue merveilleusement avec la sincérité, l'amour et la bienveillance. L'archevêque Antoine expose, en effet, ses objections avec franchise et détermination. J'ai été heureux aussi de lire vos commentaires à ces objections dans l'une de vos brochures en grec moderne ; vous sentez que ces critiques ne sont pas celles d'un ennemi cherchant à semer la discorde parmi les frères. J'ai lu encore, dans votre lettre du 1/14 novembre que vous étiez attaché à une forme de recherche qui, dans un esprit d'humilité, révélerait de nouveaux aspects de la Vérité divine ou encore séparerait l'ivraie du bon grain. C'est pourquoi je suis bien convaincu que je peux vous parler en toute franchise sans vous dissimuler mon total désaccord avec vous sur certains points, et sans passer sous silence le caractère contestable de certaines de vos propositions.


J'aimerais faire une remarque préliminaire. Dans votre article, publié dans « La Revue Internationale de Théologie », et dont vous m'avez envoyé une réédition, vous dîtes des ouvrages de l'archevêque Antoine de Kharkov : « Ils sont marqués de l'orthodoxie la plus stricte, mais ils sont importants pour déterminer la position doctrinale d'éléments ultraconservateurs de l'Église Russe Orthodoxe ou plutôt de sa hiérarchie ».


Tout d'abord, je ne puis en aucun cas tenir l'archevêque Antoine pour un représentant d'une tendance ultraconservatrice de notre Église. Depuis bien longtemps nous le considérons comme un représentant de la rénovation de notre École théologique : il l'a délivrée des chaînes étouffantes de la scolastique imposées à notre Église, au XVIIe et au XVIIIe siècles, dans des circonstances malheureuses. Le qualificatif « d'ultraconservateur », dans notre théologie, ne peut s'appliquer qu'à ceux qui adhèrent aveuglement à la théologie scolastique importée d'Occident et la considèrent comme la seule vraie et la seule possible. Je vous assure que parmi ces ultraconservateurs vous trouveriez des personnes qui partagent vos opinions sur les questions abordées dans vos lettres à l'archevêque Antoine. Avec eux vous vous accorderiez sur certaines propositions scolastiques conservées par « la nouvelle théologie russe » pour laquelle la théologie scolastique est censée ne pas faire autorité. Je ne peux non plus considérer les positions de l'archevêque Antoine comme caractéristiques uniquement de notre hiérarchie.
Je n'appartiens pas moi-même à la hiérarchie et je partage à peu près ces opinions. Je connais aussi des laïcs qui pensent de même et l'expriment dans des publications. D'ailleurs, même avec la meilleure volonté du monde, je ne comprends pas ce que vous voulez dire par « orthodoxie la plus stricte ». Je pense qu'en matière de Foi il ne peut y avoir qu'une stricte orthodoxie : il y a la vérité ou l'erreur, mais il ne peut y avoir une vérité qui soit stricte et une autre qui le serait moins. Dans ses lettres et ses publications, l'archevêque Antoine insistait clairement sur le fait qu'il n'exposait pas là ses opinions personnelles mais la doctrine de l'Église, comme l'aurait fait un érudit musulman ou juif qui se pencherait sur elle d'un point de vue impartial.


L'archevêque Antoine a déjà soulevé la question de l'unité de l'Église. C'est ce que moi aussi je vais faire, afin de vous répondre. Si je soulève cette question, c'est bien parce que je souhaite que cette conférence mondiale des communautés chrétiennes atteigne son louable objectif. Or, il me semble qu'on ne peut, en aucun cas, éviter de se la poser lors de cette conférence. Les opinions que vous exprimez sur l'unité de l'Église ne me satisfont pas. Bien sûr, ce n'est pas mon sentiment qui compte ici, mais le point de vue de l'Église ancienne pour laquelle ces opinions auraient été inacceptables.


Vous avez exprimé en bref votre conception de l'unité de l'Église dans votre troisième lettre (du 5/18 janvier 1916) à l'archevêque Antoine : « l'Église du Christ, y écrivez-vous, est certes une, mais les péchés de l'humanité l'ont cachée à nos yeux ». Votre deuxième lettre (du 12/25 juin 1915) en parle plus en détail : « Je pense qu'il existe un esprit de solidarité chrétienne chez tous ceux qui adorent Jésus Christ, le Fils de Dieu, et qui croient en une mission divine de l'Église dans le monde et en la grâce surnaturelle des sacrements. Cet esprit de solidarité existe en dépit de toutes les divergences dans les opinions théologiques. Par le sacrement du Baptême, administré comme il convient, nous entrons tous dans le royaume spirituel du Christ. Je ne comprends pas pourquoi nous aurions le droit, simplement parce que nous différons sur la question de la Procession du Saint Esprit ou sur celle de nos rites sacramentels, de jeter des anathèmes à ceux qui ne partagent pas notre point de vue. Je considère comme inconcevable qu'en dehors d'une Église particulière, quelle qu'elle soit, le monde chrétien soit perdu et que toutes les Églises qui se nomment chrétiennes ne soient en fait que des cadavres gangrenés et pourrissants ».


Dans les brochures que vous m'avez envoyées, j'ai prêté une attention toute particulière aux prières dont vous recommandez la pratique, en privé ou publiquement ; elles expriment solennellement votre conception de l'unité de l'Église : « Ô Seigneur Jésus Christ qui as dit à tes Apôtres « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ! », ne considère pas nos péchés, mais la Foi de ton Église ; accorde lui la paix et l'unité, si telle est ta volonté. Seigneur Jésus Christ, nous t'implorons, regarde avec compassion Ton Église affaiblie et entravée par les discordes et les luttes ; et bénis notre décision de rassembler une conférence de tous ceux qui confessent Ton Saint Nom ».


Ainsi, selon vous, toutes les communautés dites « chrétiennes » forment l'Église du Christ, même si celle-ci est affaiblie dans son unité. Cette vision de l'unité de l'Église n'est pas étrangère non plus à certains théologiens russes. Par exemple l'archiprêtre P. Svietlo affirme que les chrétiens d'Occident forment – avec les chrétiens orthodoxes – des Églises chrétiennes appartenant à l'Église Universelle et non des communautés extra-ecclésiastiques séparées de l'Église ; selon Svietlov, les Églises chrétiennes d'Orient et d'Occident sont des églises locales ou des parties de l'Église Universelle et aucune d'elles ne peut s'approprier à elle seule le titre d'Église Universelle. En même temps, selon Svietlov, l'Église Universelle est l'union des vrais croyants, éparpillés dans le monde, appartenant à toutes les Églises chrétiennes locales ou particulières d'Orient et d'Occident ; ou encore, ce qui revient au même, elle est un agrégat d'Églises locales d'Orient et d'Occident, qui, extérieurement divisée et privée d'organisation visible – faute d'un Concile Œcuménique, – possède cependant une unité interne de Foi et de vie dans la grâce du Christ – la tête de son Église.
Comme vous le voyez, cet auteur russe s'exprime même en des termes plus vigoureux que vous. Néanmoins une telle doctrine de l'Église est inadmissible car elle est, sans aucun doute, étrangère à l'Église ancienne qui n'a jamais admis un tel concept réducteur de l'Unité de l'Église et dans laquelle la Foi en l'Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique a toujours été confessée et exprimée par le neuvième article du Credo. Je pourrais donc vous poser la question suivante : « Vous et moi, appartenons-nous à l'Église Une du Christ ? ». Pour y répondre, vous me direz sans doute que nos différences dogmatiques sont insignifiantes et que nos divergences en ce qui concerne le rite sont négligeables. Cependant, à mon avis, la réponse à cette question n'est pas déterminée par des considérations sur les désaccords dogmatiques, mais par le fait suivant : qu'il n'existe pas entre nous d'unité ecclésiastique dans la grâce. On ne peut fermer les yeux sur ce fait ; or, vous comme le P. Svietlov, vous essayez de le masquer et de le compenser en discutant des désaccords dogmatiques. D'ailleurs, les affirmations du P. Svietlov comportent deux présupposés sous-jacents :


– Toutes les croyances chrétiennes sont d'accord sur l'essentiel.


– Les différences, même dogmatiques, entre les croyances chrétiennes sont négligeables et sujettes à exagération.


Essayons d'admettre comme justes ces deux propositions. En aucun cas, cependant, elles ne permettent de conclure que toutes les croyances chrétiennes appartiennent à l'Église du Christ. L'Église chrétienne n'est pas une école théologique ou philosophique, à laquelle on s'affilie en reconnaissant ses préceptes théoriques. La vérité centrale du christianisme, son grand mystère, l'Incarnation du Fils de Dieu est reconnu par toutes les confessions chrétiennes, et pourtant cela ne suffit pas à les fondre en une unique Église. L'Apôtre Jacques le dit fort bien (2, 19), les démons eux aussi croient. L'Évangile l'atteste, ils ont confessé leur Foi, comme le fit l'Apôtre Pierre (Matt. 16, 16-8, 29 ; Mc 1, 24 ; Lc 8, 28), mais appartiennent-ils à l'Église Une du Christ ? Il est vrai, que l'Église, en tant que communauté, a dans son sein des gens qui ne connaissent pas les dogmes du Concile de Chalcédoine et sont incapables d'exprimer des convictions dogmatiques. Et, chez bon nombre de membres de l'Église on peut remarquer un certain flou en ce qui concerne les questions théologiques ; pourtant la grande variété des opinions théologiques ne brise pas l'unité de l'Église.


L'Église n'a même pas de système doctrinal dont tous les points seraient répertoriés en détail. C'est pourquoi les cours de théologie diffèrent selon les écoles. Ce ne serait pas le cas si l'Église avait fixé des réponses obligatoires à toutes les questions dogmatiques. Si on formule la question de l'appartenance ou non à l'Église en termes de dogmes théoriques et abstraits, on s'apercevra qu’elle ne peut pas être résolue d'une façon véritable. Jusqu'où doit aller la conformité aux idées de l'Église en matière dogmatique ? Sur quoi faut-il être d'accord et quel type de désaccord entraîne un schisme ? Comment répondre à cette question ? Et qui a autorité pour emporter la décision ? Sans doute soulignerez-vous que la foi en l'Incarnation du Fils de Dieu est le principal critère qui détermine l'appartenance à l'Église ; mais les protestants allemands vont mettre en question la valeur de ce critère, puisque dans leur Église, il se trouve des gens qui nient ouvertement la divinité du Sauveur.


Le Christ n'a jamais écrit de « Dogmatique ». Ce fut dès siècles après la vie terrestre du Sauveur que l'on donna une formulation précise aux dogmes principaux de l'Église. Qu'est-ce qui a bien pu alors déterminer l'appartenance à l'Église des chrétiens vivants dans les premiers temps du christianisme ? Le livre des Actes des Apôtres l'atteste : « Et le Seigneur ajoutait chaque jour à l'Église ceux qui étaient sauvés » (Act. 2, 47). C'est le fait d'être en union avec l'Église qui détermine l'appartenance à l'Église. Il ne peut en être autrement, car l'Église n'est pas une idée philosophique. Elle est une nouvelle humanité, un nouvel organisme d'amour et de grâce. Elle est le corps du Christ. Le Christ lui-même a comparé l'unité de ses disciples à l'unité organique d'un arbre et de ses branches. Deux corps ou deux arbres l'un à côté de l'autre ne peuvent être liés organiquement. Ce que l'âme est au corps, le Saint Esprit l'est à l'Église. L'Église n'est pas seulement un seul corps mais aussi un seul Esprit. L'âme ne peut ramener à la vie un membre qui a été coupé et la sève de l'arbre qui lui est vitale, ne peut circuler dans la branche qui a été détachée. Un membre séparé meurt et pourrit. Une branche coupée sèche. Les comparaisons doivent nous guider pour discuter de l'unité de l'Église ; si l'on applique ces comparaisons, ces images de « l'arbre » et du « corps » à l'Église, on s'aperçoit que se séparer de l'Église, se couper de son unité est incompatible avec l'appartenance à l'Église.


Ce qui compte au plus haut point, ce n'est pas la portée du désaccord dogmatique qui sépare l'individu de l'Église, mais le fait même d'être séparé de l'Église, d'avoir cessé d'être uni à elle. Même s'il ne s'agit que d'une rébellion contre l'Église, d'une insubordination disciplinaire qui n'a pas de cause dogmatique, être séparé de l'Église ne peut qu'avoir des conséquences dramatiques pour celui qui a connu cette chute.


Sont séparés de l'Église non seulement les hérétiques, mais aussi les schismatiques. Sur le fond, il s'agit toujours du même type de séparation.


Dans l'Église ancienne on raisonnait de la façon suivante : « Ceux qui ne veulent pas être unanimes dans l'Église de Dieu ne peuvent pas être avec Dieu » ; « et ceux qui agissent ainsi prétendent faussement qu'ils sont chrétiens, tout comme le malin prétend faussement qu'il est le Christ », dit saint Cyprien. Ce saint Père eut fort à faire avec Novat et avec Novatien qui s'étaient révoltés contre l'Église. Au départ leur rébellion n'était pas une querelle dogmatique ; et pourtant saint Cyprien dit d'eux qu'ils sont en dehors de l'Église, qu'ils ne sont pas chrétiens et qu'ils ne sont pas du Christ : « Celui qui lutte contre l'Église et lui résiste croit-il qu'il appartient à l'Église, alors que le saint Apôtre Paul souligne en ces termes l'importance du sacrement de l'unité : « Un Corps, Un Esprit… Un seul Seigneur, Une seule Foi, Un seul Baptême, Un seul Dieu » (Éph. 4, 4-6). L'Église est Une, même si, avec une incroyable fécondité, elle se divise en une multitude. Car si le soleil a de nombreux rayons, la lumière, elle, est une ; si les branches d'un arbre sont nombreuses, il n'y a qu'un tronc, bien enraciné ; si, depuis la source, coulent de nombreux ruisseaux et si l'abondance des eaux les font déborder, leur unité est néanmoins préservée à leur origine. Séparez un rayon de lumière de son origine, l'unité de celle-ci interdit l'existence d'une lumière divisée ; coupez une branche d'un arbre, celle-ci ne pourra plus pousser ; coupez un ruisseau de sa source, celui-ci se tarira. De la même façon, l'Église, baignée de la lumière du Seigneur émet ses rayons sur le monde entier ; pourtant la lumière qu'elle répand partout est Une, et l'unité de son Corps ne peut être brisée. Fertile et abondante, elle s'étend sur toute la terre et ses riches et larges fleuves coulent jusqu'aux confins de l'univers. Pourtant, elle n'a pas de source. Elle est encore une mère généreuse et féconde ; nous sommes nés de son sein, nourris de son lait, animés par son Esprit. L'Épouse du Christ ne peut être souillée, elle est chaste et pure, elle ne connaît qu'un foyer et garde avec une chaste pudeur la sainteté de sa couche. Pour celui qui tombe et s'éloigne de l'Église en s'unissant à la femme adultère, les promesses de l'Église ne peuvent plus se réaliser. Celui qui abandonne l'Église du Christ est privé des biens futurs préparés par le Christ. Il est devenu un étranger, un païen, un ennemi de l'Église. Celui qui n'a pas l'Église pour mère ne peut avoir Dieu pour père. Celui qui est hors de l'Église pourrait être sauvé, si l'un de ceux qui n'étaient pas dans l'arche de Noé avait pu échapper au déluge ».


Telles sont les paroles de saint Cyprien sur l'Unité de l'Église. Saint Cyprien fonde l'Unité de l'Église non pas simplement sur l'unanimité en matière de dogme mais sur l'union avec cet organisme qu'est l'Église.


Saint Jean Chrysostome écrit, quant à lui : « S'il arrivait qu'une main soit arrachée au corps, l'esprit qui vient du cerveau cherchant le membre perdu et ne le trouvant pas, ne s'échappera pas du corps pour entrer dans la main arrachée ; s'il ne trouve pas ce membre à sa place, il ne communiquera plus à lui ».


Voilà ce que répond encore saint Jean Chrysostome à ceux qui, sans discernement, s'attachent aux gens qui se sont séparés de l'Église : « Si ces personnes confessent des dogmes contraires aux nôtres, alors il ne faut pas, à cause de cela, avoir de relations avec elles ; si encore elles ont les mêmes opinions que nous, raison de plus pour les éviter. Pourquoi donc ? Parce qu'elles sont atteintes d'une maladie contagieuse : la soif du pouvoir. Ne savez-vous pas ce qui est arrivé à Korè, à Dathan, et à Abiram ? Furent-ils les seuls à souffrir ? Leurs complices n'ont-ils pas eux aussi souffert ? Que direz-vous ? « Leur foi est identique à la nôtre, ils sont orthodoxes eux aussi ». Si c'est le cas, pourquoi ne sont-ils pas avec nous ? Il y a un seul Seigneur, une seule Foi, un seul Baptême. S'ils ont raison, alors nous avons tort. Dites-moi, pensez-vous que le fait qu'ils sont appelés « orthodoxes » suffit, alors que chez eux le charisme de l'ordination est devenu rare et qu'ils doivent s'en passer ? Quel avantage peut-on tirer de tout le reste, si cette condition là n'est pas remplie ? Nous devons non seulement lutter pour la Foi, mais aussi pour le respect de l'ordination. Car s'il est légitime pour n'importe qui de tendre les mains (comme disent les anciens), d'être prêtre, alors que tous s'approchent et soient ministres ; c'est en vain que l'autel a été dressé, en vain l'Église a-t-elle été organisée, en vain l'assemblée des prêtres a-t-elle été réunie : renversons tout cela et réduisons-le à néant ».


De même, dans sa première Épître Canonique à Amphilochios, évêque d'Iconium, saint Basile le Grand invoque l'opinion des « anciens » concernant ceux qui se sont séparés de l'Église : « Quoique leur séparation ait été déclenchée par un schisme, ceux qui se sont séparés de l'Église n'ont plus en eux la grâce du Saint Esprit ; elle ne leur est plus communiquée car ils en ont rompu la légitime continuité ».


Nous commenterons plus loin de manière détaillée les paroles de saint Basile. Pour l'instant, je me contenterai d'observer que saint Basile ne rejetait en aucun cas cette idée des anciens : ceux qui se sont séparés de l'Église – les schismatiques comme les hérétiques – ont perdu la grâce du Saint Esprit.


Il me semble que ces citations patristiques suffisent amplement à montrer l'attitude de l'Église ancienne, et l'on pourrait multiplier les témoignages identiques à ceux-ci. Pour l'Église ancienne, être d'accord sur le dogme n'est pas la seule condition pour appartenir à l'Église ; on considérait qu'en se séparant de l'Église par rébellion ou par schisme, on se coupait de son unité. Pour appartenir à l'Église il était nécessaire d'être en communion avec elle et de lui être humblement soumis. En outre, on considérait que se séparer de l'Église, c'était aussi se séparer de l'ensemble des chrétiens et du Christ lui-même.


L'idée qu'on puisse appartenir invisiblement à l'Église et jouir de tous les dons de la Grâce qui sont dans l'Église tout en étant séparé d'elle visiblement, est absolument étrangère à l'Église ancienne. Cela se comprend aisément car le contraire entraînerait la destruction de l'Église Une. Cela reviendrait à prêcher l'indifférence totale en ce qui concerne la vie et la discipline de l'Église. En effet, pourquoi devrai-je éviter la rébellion, le schisme et même l'hérésie dans l'Église, si je ne risque rien à être séparé d'elle et coupé de son unité vitale ? Je peux désobéir à l'Église, elle peut m'exclure de sa communion, elle peut prononcer un anathème contre moi, et cela ne ferait rien ! Je demeurerais alors « chrétien » ? Je serais avec le Christ ? Je ne serais pas privé du salut éternel ? Mais alors, à quoi bon toutes ces admonitions rappelant les fidèles à l'obéissance ? À quoi bon la hiérarchie et l'union visible avec la communauté ecclésiastique dont la nécessité est affirmée continuellement par toute la littérature patristique ancienne, à commencer par les Épîtres des Apôtres, les Lettres de Clément de Rome, celles d'Ignace le Théophore… ? Ainsi Clément a écrit sa Lettre à cause d'une rébellion dans l'Église de Corinthe et non à cause de quelque hérésie. Toutes ces admonitions ne sont donc pas des inepties ; elles sont significatives et révélatrices : l'Église ancienne avait la conviction inébranlable qu'il n'y avait pas de salut, pas de vie chrétienne, pas de christianisme s'il n'y avait pas de communion visible avec l'Église. C'est pourquoi Augustin, bien qu'il ait professé la prédestination, affirmait que « Sancti regno Dei praedestinatidividi ab Ecclesia nullo modo possunt », c'est-à-dire que « les saints prédestinés au Royaume de Dieu ne peuvent en aucune manière se séparer de l'Église ».


Quant à la détestable doctrine qui prétend qu'il n'est pas nécessaire d'appartenir à l'Église visible, elle est totalement étrangère à l'Église ancienne : c'est une invention moderne suggérée par des idées et des préoccupations fort éloignées de celles de l'Église ancienne. Si on adhère fermement et sans réserve au point de vue de l'Église ancienne, on ne peut admettre, comme vous l'affirmez, que le « christianisme » est Une seule et même Église du Christ, formée des Églises locales d'Orient et d'Occident, toutes membres de l'Église Universelle. Et ce n'est pas parce que j'aurais tendance à exagérer les différences dogmatiques entre les confessions chrétiennes, ou les différences de rite et de mode de vie : les confessions chrétiennes dans leur ensemble ne peuvent pas être une seule et même Église car il n'y a pas d'unité entre elles.


Je n'arrive pas à comprendre comment l'Occident et l'Orient pourraient faire partie de la même Église après 1054. Que peut bien alors signifier « la séparation des Églises » ou, pour être plus précis, la défection du Patriarcat de Rome ? Se pourrait-il que la séparation n'ait jamais eu lieu, bien que les deux parties concernées la considèrent comme un fait accompli ? Le pape Léon IX, dans sa lettre au Patriarche de Constantinople Michel Cérulaire, lance cette menace catégorique : « Si quelque nation du monde devient arrogante et entre en conflit avec l'Église Romaine, elle ne peut plus s'appeler « Église » ni être considérée comme telle : elle n'est rien d'autre qu'une assemblée d'hérétiques, une union de schismatiques, une synagogue de Satan ». La soif de puissance dont brûlait l'évêque de Rome avait porté ses amers fruits. Hélas ! Le 16 juillet 1054, les légats déposèrent sur l'autel de l'Église de Sainte Sophie une bulle d'excommunication qui disait : « Par l'autorité de la Sainte et Indivisible Trinité, du siège apostolique dont nous sommes les légats, des Pères des Sept Conciles Œcuméniques et de l'Église Universelle, nous signons l'anathème prononcé par le très saint Pape contre Michel et ses disciples, à moins qu'ils se repentent : qu'ils soient anathèmes avec les Simoniens, les Valésiens, les Ariens, les Donatisques, les Nicolaïtes, les Sévériens, les Pneumatomaques, les Manichéens, les Nazaréens et tous les autres hérétiques, livrés au diable et à ses anges, à moins qu'ils se convertissent. Amen ! Amen ! Amen ! Le même jour, les légats du Pape lurent l'anathème devant l'Empereur et ses dignitaires et dirent : « Quiconque ne se conformera pas à la Foi du Siège Apostolique romain, qu'il soit anathème, ce n'est plus un chrétien, mais un hérétique et un Prozymite. Amen ! Amen ! Amen ! »
Le 20 juillet, le Synode Patriarcal répondit à son tour par un juste anathème. D'après le texte de la sentence, il est clair « qu'aux yeux des Grecs aussi l'Église du Christ, les vrais sacrements, et le baptême étaient perdus pour les Latins. Ainsi, quelle était la situation ? Des deux côtés on a échangé des anathèmes et chacun a cessé de considérer l'autre comme une Église, pensant être lui-même la seule Église. Qui doutera qu'une rupture a eu lieu ? Il n'y a aucun doute à cela. En 1054, ce ne sont pas deux Églises séparées qui sont venues à l'existence puisqu'il ne peut y avoir deux Églises du Christ, mais l'une des Églises locales a cessé d'exister, ayant brisé toute relation avec l'Église Universelle. L'Église Universelle a gardé la plénitude de la Grâce et de l'Unité tout comme avant la séparation de l'Église de Rome. Les évènements de 1054 sont regrettables et tragiques, mais il ne faut pas avoir peur d'appeler les choses par leur nom. Une telle attitude peut avoir des conséquences désastreuses pour la Foi et pour l'Église.
Je pense que toute discussion sur les problèmes de l'Unité ecclésiastique des chrétiens contemporains devrait commencer par être une interrogation sur la signification des déplorables événements de 1054. Qu'est-il arrivé ? Était-ce une séparation ou une division ? S'il s'agissait d'une division, cela signifie qu'après mille ans de l'Église Une, deux Églises et non une sont venues à l'existence. Certes, vous penchez pour une autre réponse encore, à savoir qu'il n'y a eu ni séparation ni division en 1054 et que l'Église est restée Une, mais affaiblie quelque peu par le fait que la communion visible a cessé entre l'Orient et l'Occident. Cette thèse est absolument inacceptable. C'est bien une séparation qui a eu lieu en 1054 ; savoir lequel s'est séparé de l'autre est une autre question ; mais l'un s'est bien séparé de l'autre. L'Église est restée Une, soit en Orient seulement, soit en Occident seulement. Il y a maintenant huit cent soixante-trois années de cela et il n'y a pas d'unité entre nous. Les Latins étaient reçus dans l'Église par le baptême comme les païens, ou par le mystère de la chrismation, comme le faisait l'Église ancienne pour les ariens, les macédoniens, les apollinaristes et autres hérétiques.


Notre œuvre missionnaire concerne aussi les Latins ; dans nos écoles théologiques, on étudie le papisme. Les Latins ont employé la violence, l'imposture (les Églises uniates), la propagande pour convertir les Orthodoxes au papisme. Le Pape promet des indulgences à ceux qui prient pendant un certain nombre de jours pour la conversion des schismatiques d'Orient. Les Latins ont convoqué des conciles qu'ils ont qualifiés « d'œcuméniques » ; au cours des siècles ils ont inventé de nouveaux dogmes inconnus de l'Église ancienne. L'Église Orthodoxe a condamné comme hérétiques les nouveaux dogmes de la Papauté. Prenons un exemple assez récent. Le Pape Pie IX, dans sa lettre du 6 janvier 1848, adressée aux Orthodoxes, soutient toutes les erreurs du papisme et appelle les Orthodoxes à revenir à la véritable Église. Quatre mois plus tard, le 5 mai 1848, les quatre Patriarches orientaux et tous les évêques des Synodes de Constantinople, Antioche et Jérusalem publièrent une lettre de l'Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique à tous les chrétiens orthodoxes. Les Patriarches y réfutent et condamnent la lettre du Pape et invitent les Églises séparées à revenir à l'Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique. Cette lettre condamne le Filioque avec vigueur : « l'Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique, suivant les saints Pères de l'Orient et de l'Occident proclame, comme elle l'a fait par le passé que le Filioque, c'est-à-dire la Procession du Saint Esprit du Père et du Fils est une innovation et une hérésie, et que ceux qui y croient – quels qu'ils soient – sont des hérétiques. Les assemblées formées par ceux-ci sont des communautés hérétiques ; tout contact spirituel ou ecclésiastique avec elles constituent, pour le troupeau orthodoxe de l'Église Universelle, une grave transgression des canons ».


Peut-on alors concevoir qu'une relation de ce type entre les Églises locales au sein de l'Église Une et Universelle du Christ puisse exister ? Se peut-il inversement que ces relations aient été d'une banalité insignifiante et n'aient impliqué aucune rupture à l'intérieur des profondeurs mystiques du Corps du Christ ? Prenons donc un exemple de point de rupture universellement connu : nous ne partageons pas le même pain dans l'Eucharistie. Cela ne suffit-il pas ? Qu'est-ce d'autre qu'une absence d'unité visible ? Le sacrement du Corps et du Sang du Christ est le centre de la vie mystique de l'Église ; c'est le centre mystérieux de l'unité ecclésiale, comme l'a enseigné l'Église ancienne, à commencer par l'Apôtre Paul et avec lui saint Ignace le Théophore, saint Cyprien de Carthage, saint Cyrille d'Alexandrie… Dans la Liturgie de saint Basile le Grand, le prêtre dit cette prière après l'offrande : « Unis-nous les uns aux autres, nous tous qui partageons le même pain et buvons à la même coupe, en communion avec le Saint Esprit ».


Peut-il y avoir de séparation plus grande, intérieure, invisible, mystérieuse que d'être divisés dans le mystère de l'Eucharistie ? Il n'y a aucun doute, des relations de ce type entre Églises locales sont impensables. L'Église Universelle est formée de seize Églises autocéphales locales. Est-ce que nous convertissons les syriens orthodoxes, les serbes et les roumains ? Nous célébrons la divine liturgie avec une joie particulière quand un hiérarque ou un prêtre d'une autre Église locale vient célébrer avec nous. Quelle émotion dans toute la Russie, lorsque Grégoire IV, le Patriarche d'Antioche, nous a rendu visite, il y a quatre ans ! Nous ne pourrons jamais oublier l'enthousiasme du peuple, sa joie spirituelle, ses larmes de joie… Quand le Patriarche a célébré dans notre Église, nous avons vécu ce que notre Seigneur nous accorde la nuit pascale.


Dans votre lettre du 13/26 septembre, vous remarquez que les relations entre l'Église orthodoxe et les Églises anglicanes deviennent plus amicales et plus profondes chaque jour. Certes, mais l'essentiel manque : il n'y a pas d'unité ecclésiale. Nous avons reçu de hauts dignitaires de l'Église anglicane dans notre académie, mais quelle différence avec la visite du Patriarche d'Antioche ! Comment expliquer alors cette différence, si le Patriarcat d'Antioche et l'Église de Grande Bretagne sont des Églises locales de la même Église Universelle du Christ ? Il ne sert à rien de citer les œuvres de quelque théologien ou hiérarque russe voulant prouver que les murs qui séparent les Églises n'atteignent pas les cieux : que l'Occident se soit séparé de l'Église en 1054 est pour le chrétien orthodoxe une réalité actuelle de l'expérience religieuse.
Dans votre lettre du 12/25 juin 1915 à l'archevêque Antoine, vous invoquez la position du célèbre Métropolite Philarète de Moscou, qui a écrit dans l'un de ses premiers traités : « Je ne permettrai jamais d'appeler fausse toute Église qui croit que Jésus est le Christ ». Mais il y a de nombreuses raisons pour trouver fausse cette pensée du Métropolite Philarète selon laquelle les Églises ont soit la vérité pure soit la vérité impure. Une Église dont la vérité est impure est fausse, et il ne peut y avoir de fausse Église ; une telle « Église » cesse d'être une Église et devient une communauté extra-ecclésiale. Or le Métropolite Philarète ne communiait pas à l'Eucharistie avec les Latins ; et nos néo-théologiens non plus qui, pourtant, font tout pour défendre la théologie inacceptable de l'unité invisible de l'Église dans les Églises séparées depuis des siècles. Cela me semble incohérent ; pourquoi, en effet, ne pas célébrer alors la liturgie avec un prêtre de l'Église locale de Rome et communier avec lui au calice ?


Non, que Rome se soit séparée de l'Église (ou l'Orient de Rome) est une évidence que l'on ne peut minimiser ou passer sous silence. Vous reprochez à l'archevêque Antoine d'avoir une tendance au rigorisme théologique et vous affirmez que ses conclusions nous transportent dans une atmosphère trouble ou obscurantiste ; mais cette atmosphère obscurantiste n'a, en aucun cas, pour origine le rigorisme théologique, mais la soif de puissance de l'évêque de Rome à travers l'histoire, soif pour laquelle les Papes ont sacrifié la paix de l'Église, l'unité et la vérité de la foi chrétienne. Si nous nous plaçons dans ce que vous appelez une atmosphère plus « brillante », l'idée même de l'Église Une du Christ ne risque-t-elle pas de devenir vide de sens ? À quoi ressemble l'Église du Christ si certains de ses membres ne sont pas en communion mutuelle, et sont même hostiles les uns aux autres ? Est-il possible que les sectes russes, les stundistes et les baptistes qui haïssent le seul nom de l'Église Orthodoxe, qui ne peuvent se réunir une seule fois sans insulter l'Église, qui nous considèrent comme des idolâtres parce que nous reconnaissons les dogmes définis au Septième Concile Œcuménique, fassent partie de l'Église Orthodoxe ? Si tel est le cas, où sont les limites de l'Église ? Ou alors s'il faut dire que ces limites sont inutiles ? Pourtant elles existaient bien au temps des Apôtres quand « aucun des autres n'osaient se joindre à eux » (Act. 5, 13).


Il me semble que vous avez tort d'appeler « rigorisme théologique » des positions sincères et fondées. Car cette sincérité et cette détermination nous incitent à reconnaître que toutes les croyances dites chrétiennes ne peuvent appartenir à l'Église Universelle du Christ, mais que seule l'une d'entre elles est la véritable Église et que les autres sont des communautés extra-ecclésiales ; pour moi la seule véritable Église c'est l'Église Orthodoxe.


Vous pouvez être en désaccord avec moi sur ce point, et cela me chagrinera moins que votre désaccord sur la thèse précédente. Il est, à mon avis, bien plus dangereux de ne plus croire à l'Église Une et Véritable que d'appartenir à une communauté extra-ecclésiale que l'on considère du moins comme la seule véritable Église du Christ sur la terre. Le fait même d'exprimer dans une prière l'idée que « l'Église du Christ est affaiblie et entravée par les discordes et les luttes » met en doute la vérité incontestable des paroles prophétiques du Christ : « Les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre l'Église », fondée sur le roc de l'Incarnation du Fils de Dieu.


La conférence mondiale des communautés chrétiennes que vous promouvez avec tant de zèle, se fixe un objectif louable et magnifique : soigner les plaies, guérir les blessures des communautés chrétiennes. Pour que cette entreprise soit couronnée de succès, il faut aller au cœur même du mal, aussi profond soit-il, qui accable et ronge le monde chrétien. Autrement le traitement n'aura pas d'effet réel. En effet, si l'on considère l'ensemble des chrétiens comme une seule Église dont l'unité ecclésiale n'est pas rompue, on n'évaluera que très superficiellement l'état du patient. Un tel point de vue ne s'attaque pas, en effet, au seul mal dont l'Église est atteinte – la séparation de 1054 – qui jusqu'à présent n'a été réparée par personne (ni par les protestants, ni par les anglicans, ni par les marianistes) ; il ne suffit pas, en effet, de se détacher d'une communauté extra-ecclésiale pour devenir une Église locale, il est nécessaire de s'unir à nouveau avec la vraie Église Universelle dont l'Unité n'a jamais été ni ne sera jamais obscurcie par les péchés des hommes.


Penchons-nous à présent sur la question que vous abordez dans votre seconde lettre à l'archevêque Antoine et à laquelle vous avez consacré votre troisième lettre. La conception de l'unité de l'Église chrétienne que j'ai exposée et que l'archevêque Antoine a exposée avant moi, ne vous paraît pas représentative de la doctrine actuelle de l'Église Orthodoxe. Vous déduisez celle-ci de la pratique de l'Église Orthodoxe en ce qui concerne la réception des Latins qui se convertissent à l'Orthodoxie. Je vous cite : « L'Église Orthodoxe admet qu'il y a des chrétiens dans les autres Églises du Christ ; ils appartiennent au corps mystique du Christ et n'ont pas besoin d'un deuxième baptême pour entrer dans l'Église. Puisque l'Église Orthodoxe s'abstient de rebaptiser ou de chrismer les latins qui se convertissent en nombre ou individuellement, il faut en conclure que cette pratique est fondée sur une conviction profonde, à savoir qu'il n'est pas nécessaire d'administrer à nouveau les mystères administrés par le clergé latin ; et, si l'on admet cette conviction, il s'ensuit que l'Église russe reconnaît officiellement la validité de certaines Églises chrétiennes qui se sont séparées de l'Orthodoxie. Je n'arrive pas à concevoir que l'Église Russe puisse souscrire à de telles vues qu'elle rejette dans la pratique. Je ne pense pas que l'Église russe puisse admettre en son sein des personnes non baptisées pour des seules raisons « d'économie ». La théorie de « l'économie de l'Église » ne peut faire chrétien un païen ou un juif sans le baptiser. À mon avis l'Église Orthodoxe ne baptise pas les Latins et ne réordonne pas leurs prêtres pour la simple raison qu'elle reconnaît comme valables leur baptême et leur ordination ».


Ici, vous soulevez une question qui mérite d'être étudiée en détail à la fois dans ses aspects historiques et dogmatiques. Malheureusement, à cause de certains malentendus et parfois même à cause de certaines études tendancieuses, cette question a été abordée dans la plus grande confusion par nos théologiens. Ainsi, « l'étude historique et dogmatique de la réception de chrétiens non-orthodoxes dans l'Église Orthodoxe » (Kiev, 1864) de A. Sérafimov est tendancieuse. Cet auteur étudie la question en détail, mais il ne cherche pas à faire une étude historico-dogmatique impartiale car il cherche surtout à polémiquer avec le schismatique Bezpopovtsy.


Après avoir expliqué comment vous interprétez notre pratique concernant les latins, vous-mêmes vous soulignez un argument majeur s'opposant à celle-ci : si les sacrements administrés en dehors de l'Église Orthodoxe sont valables, alors il y a plusieurs demi-Églises au lieu d'Une seule Église du Christ. Vous admettez vous-même, avec une sincérité toute à votre honneur, que cet argument mérite d'être considéré très attentivement par les théologiens ; je vous cite : « Je suis au regret de ne pas être de ceux qui pourraient le contredire en apportant une réponse logique parfaite ». Pour ma part, je pense que personne ne peut réussir à trouver un moyen terme qui répondrait de façon satisfaisante à cette question. Et son contenu me paraît avoir une portée plus large : si les mystères administrés hors de l'Église Une du Christ sont valables, si la plénitude de la vie ecclésiastique dans la Grâce va au-delà des frontières de l'Église, alors il existe plusieurs Églises mais pas de demi-Église et il faut abandonner le neuvième article du Credo. Il ne peut y avoir de demi-Églises. Je pense que l'évêque Successus a parfaitement exprimé cette vérité quand il a déclaré au Concile de Carthage en 256 : « Aux hérétiques il faut accorder tout ou rien ». Si les prêtres latins sont ce que nous sommes, si l'imposition des mains sur eux est la même que celle que nous recevons par la grâce de Dieu, s'ils distribuent à leur troupeau les mêmes dons de grâce que nous, alors en quoi le Catholicisme diffère-t-il de l'Orthodoxie ? Pour quelle raison devrais-je, moi qui suis prêtre de l'Église du Christ, éviter toute communion avec les évêques latins ? Pourquoi ne célébrerais-je pas avec eux la divine liturgie, pourquoi ne communierais-je pas avec eux au Corps du Christ ?


Si reconnaître la validité du clergé latin et de ses rites ne contredit pas la vérité de l'unité de l'Église, alors je me dois d'être unis aux latins sur le champ, d'appeler mes frères à faire de même et de les blâmer s'ils résistent. En outre je dois encourager les laïcs à recevoir l'Eucharistie dans une Église polonaise ou française.
Non, la vérité de l'unité ecclésiale ne reconnaît pas comme valables les sacrements administrés dans les communautés extra-ecclésiales. Il est impossible de concilier l'idée de l'unité de l'Église avec celle d'une validité des sacrements en dehors de l'Église.


Le génie d'Augustin n'a même pas réussi à résoudre ce problème de manière satisfaisante. Dans un livre consacré à l'histoire des dogmes de l'Église, j'ai réfuté en détail l'enseignement d'Augustin, selon lequel il est nécessaire de reconnaître les sacrements administrés en dehors de l'Église. Selon Augustin, admettre que les sacrements sont totalement indépendants de la personne qui officie (dans l'Église) amène inévitablement à reconnaître la validité des mystères en dehors de l'Église. Cette idée imprègne tout le traité d'Augustin « DE BAPTISMO ». Après avoir admis l'idée paradoxale d'une identité parfaite entre un prêtre pécheur (et lequel sera dit saint ? ) et un hiérarque d'une communauté extra ecclésiale, Augustin se retrouve dans une sorte d'impasse théorique puisque, pour lui, la seule voie vers le salut passe par l'Église Universelle ; s'il reconnaît comme valables les sacrements administrés en dehors de l'Église, il doit reconnaître que la grâce existe en dehors de l'Église et qu'il est possible d'être sauvé sans appartenir à l'Église et même en lui étant hostile. En un mot, il lui faut admettre que l'appartenance à l'Église est facultative et ne plus croire en l'Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique. Mais Augustin voulait aussi préserver l'idée qu'il n'y a pas de salut en dehors de l'Église ; s'étant fixé cet objectif, Augustin établit une différence entre la notion de « recevoir les sacrements » et celle de « recevoir les sacrements avec profit » : « l'un doit être évité, l'autre est pernicieux, enfin le dernier est salutaire ». Les schismatiques, d'après Augustin, ont les sacrements mais sans qu'ils soient efficaces pour le salut : ils tournent même à son détriment. Augustin ébauche ici la future distinction scolastique entre la validité des sacrements et leur efficacité. Les sacrements peuvent être valides mais inefficaces.


Il est difficile d'accepter cette idée pour ceux qui vivent leur foi et ne se perdent pas dans des arguties scolastiques. Que peut être une grâce préjudiciable au salut ? Tout en possédant les mystères, les schismatiques, pour Augustin, sont privés de leur effet bénéfique et salutaire, parce qu'ils sont séparés de l'Église ; cette séparation montre qu'ils n'ont pas d'amour ; sans l'amour l'homme ne peut être vertueux ; le Saint Esprit ne peut demeurer en lui. Ainsi les schismatiques, qui sont en dehors de l'Église, n'ont pas le Saint Esprit. Une objection inévitable surgit : si les schismatiques n'ont pas le Saint Esprit, comment peuvent-ils administrer les sacrements ? La réponse d'Augustin à cette question est pour le moins étrange : certainement, au moment du baptême, et seulement à ce moment, le Saint Esprit agit, et cela, même en dehors de l'Église. Les péchés de la personne ainsi baptisée, affirme Augustin, sont pardonnés mais reviennent sur elle tout de suite après ; celui qui est baptisé en dehors de l'Église passe pour ainsi dire par une étroite zone de lumière pour rentrer ensuite dans les ténèbres ; quand il passe par la zone de lumière, il est purifié de ses péchés, mais de suite après il retourne aux ténèbres de la discorde et ses péchés sont de nouveau sur lui. Le Seigneur, dans une parabole, parle du serviteur auquel le maître avait remis sa dette de mille talents. Quand le serviteur fut impitoyable envers son débiteur, le maître exigea le paiement de toute sa dette. C'est ce qui arrive à un schismatique ayant reçu le baptême en dehors de l'Église. Après avoir reçu la rémission de sa dette devant Dieu, il devient à nouveau responsable de cette dette parce qu'il a manifesté de l'inimitié envers ses frères qui sont dans l'Église. Pour qu'un schismatique recueille les fruits de la grâce après son baptême, il doit manifester son amour envers ses frères, et doit s'unir dans l'amour avec l'Église. Quand cette union a eu lieu, il n'a plus besoin d'être baptisé.


Il est difficile de trouver satisfaisante la théorie qu'Augustin propose pour concilier l'unité de l'Église avec la validité des sacrements administrés en dehors d'Elle. Si le baptême des schismatiques est accompli en dehors de l'Église, comment se fait-il alors que le baptême de l'Église qu'on trouve, d'après Augustin, chez les schismatiques ne soit valable qu'au moment de son accomplissement ? Car le schismatique ne se convertit pas à l'Église mais au schisme (à l'époque d'Augustin il s'agit du donatisme) : il se convertit après avoir fait un choix conscient et avoir condamné l'Église en toute connaissance de cause. Au moment même du baptême il est en guerre avec l'Église. Tout en demandant la rémission de sa dette, il déclare en même temps sa haine pour l'Église. Chez Augustin s'ébauche donc la doctrine romaine de l'opus operatum ; selon cette conception, le sacrement ne dépend pas de l'Église, mais de la formule que le prêtre doit prononcer. Or l'Esprit de Dieu donne la vie aux membres du Corps du Christ, et en dehors de ce Corps Il ne peut demeurer, quelles que soient les paroles prononcées. Ce qui compte, ce n'est pas la personne qui prononce ces paroles – un soi-disant chrétien, un hérétique, un schismatique, un païen ou un juif – seul compte le fait que ces paroles soient prononcées en dehors de l'Église. Car l'essence du christianisme ne se réduit pas à une série d'incantations par lesquelles l'homme pourrait forcer la divinité à lui accorder l'aide surnaturelle dont il a besoin. Firmilien, à son époque, s'est élevé contre ceux qui comprenaient ainsi la formule baptismale : le fait de prononcer un nom ne suffit pas à remettre les péchés et à sanctifier par le baptême.


La théorie augustinienne a été développée et enrichie dans les œuvres des théologiens latins. Il nous faut remercier Dieu que la doctrine de l'Église Orthodoxe ait trouvé sa formulation en dehors de la sphère de l'augustinisme ; et nous pouvons et devons penser cette sphère comme étrangère à la pensée patristique. Chez les grands théologiens orientaux on ne trouve pas même trace d'arguments identiques à ceux qu'invoquent les augustiniens. C'est pourquoi, il est indispensable de se tourner vers la doctrine et la pratique de l'Église ancienne.


Les problèmes de théologie et de vie ecclésiale sont étonnamment éternels. Au XXe siècle il me faut écrire de Russie en Amérique sur ce qui a été écrit d'Asie Mineure à Carthage et d'Alexandrie à Rome au troisième siècle. Nous avons tous les matériaux historiques nécessaires : cependant nulle part on ne trouve d'arguments du type de ceux d'Augustin. Ainsi, l'Église ancienne ordonnait de baptiser tous les hérétiques convertis à l'Église. Vers 220 un concile d'évêques africains et numidiens présidé par Agrippinus décida que les hérétiques seraient baptisés, et « depuis ce temps, comme en témoigne saint Cyprien, et jusqu'à nos jours, dans nos provinces, des milliers d'hérétiques qui se convertissaient non seulement ne dédaignaient pas le baptême salutaire, n'hésitaient pas à recevoir la grâce vivifiante, mais le demandaient avec insistance de tout leur esprit et de toute leur volonté ». « J'ai appris, écrit de même saint Denys d'Alexandrie que cette opinion a existé depuis les temps les plus anciens chez les évêques, dans les Églises les plus fréquentées, dans les conciles à Iconium, à Synades et dans de nombreuses autres provinces ».


Au milieu du IIIe siècle, Firmilien, évêque de Césarée et de la Cappadoce écrit à saint Cyprien : « Depuis longtemps, depuis que nous sommes venus de Gaule, de Cilicie et des régions avoisinantes, au Concile d'Iconium, en Phrygie, nous avons décidé de garder fermement notre opinion au sujet des hérétiques et de la défendre, au cas où le moindre doute surviendrait à ce propos. Ici, en effet, dans l'esprit de certaines personnes est né un doute sur le baptême de ceux qui, bien qu'ils croient en de nouveaux prophètes, reconnaissent cependant comme nous le Père et le Fils. Mais après avoir examiné cette question en profondeur, nous avons résolu, au Concile d'Iconium de rejeter absolument tout baptême administré en dehors de l'Église ».


Il n'est pas nécessaire de présenter en détail les controverses qui se sont élevées au milieu du IIIe siècle sur la question de la réception des hérétiques, et en particulier sur la réception des novatiens repentants ; l'évêque de Rome, souhaitant que la pratique romaine fût en vigueur dans le monde entier, se heurta de toutes parts à des objections. Je ne ferai qu'attirer votre attention sur certains détails de ces polémiques. Tout d'abord, la position dogmatique de l'évêque de Rome, Stéphane, qui niait la nécessité du baptême, se révèle floue et plutôt fragile. On se souvient de l'opinion de saint Cyprien sur les lettres de Stéphane : il y a en elles bien des affirmations qui se contredisent, n'ont rien à voir avec l'affaire en question, ou encore sont, pour la plupart, des maladresses ou des incohérences. Saint Cyprien cite Stéphane : « Si quelque hérétique revient vers vous, n'introduisez aucune nouveauté, gardez ce qui vous a été transmis, contentez-vous d'imposer les mains sur lui en signe de repentance ». Ainsi toute hérésie a la grâce du baptême et il n'est pas nécessaire de baptiser ceux qui viennent de l'hérésie.


Selon le témoignage de saint Cyprien, Stéphane n'a même pas baptisé les Marcionites et il désirait s'en tenir à la tradition de l'Église de Rome ; l'essentiel, pour lui, est de préserver « quod traditum est ». Mais la position de Stéphane devient très inconfortable quand il exige qu'on impose les mains sur ceux qui se convertissent et sur les schismatiques comme les Novatiens. Notez que par « imposition des mains » les érudits latins entendent bien la Chrismation, la transmission mystique des dons du Saint Esprit que, même selon Stéphane, les schismatiques ne possèdent pas. Comment alors pouvaient-ils administrer le baptême sans avoir le Saint Esprit ? Il suffit de lire les lettres de Stéphane à Jubaien, Pompeius et Magnus et celle de Firmilien à Cyprien pour s'apercevoir combien le point de vue dogmatique, à savoir que tout baptême administré hors de l'Église est sans valeur, est infiniment plus cohérent.


Saint Cyprien souligne ainsi que l'enseignement de son adversaire ne repose sur aucun fondement dogmatique : « Nous nous opposons à ceux qui, pourtant lents et obstinés à régler d'autres questions, reconnaissent à la fois que tous les hérétiques et les schismatiques ont le baptême et qu'ils n'ont pas le Saint Esprit, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent donner la grâce du Saint Esprit. Nous les arrêtons sur ce point, pour dire que ceux qui n'ont pas le Saint Esprit ne peuvent en aucun cas administrer le baptême. Seul celui qui a le Saint Esprit peut baptiser et accorder la rémission des péchés. Que ceux qui se montrent bienveillants à l'égard des hérétiques et des schismatiques répondent à cette question : les hérétiques ont-ils, oui ou non le Saint Esprit ? Si oui, pourquoi alors imposons-nous les mains sur ceux qu'ils ont baptisés, pour faire venir sur eux le Saint Esprit ? Si le Saint Esprit était là, il aurait été reçu là où il a été donné. Si les hérétiques et les schismatiques, baptisés en dehors de l'Église, n'ont pas le Saint Esprit, il est clair qu'ils ne peuvent accorder la rémission des péchés ».


Pour Stéphane, c'est la majesté du nom du Seigneur qui rend valable le baptême administré en dehors de l'Église et sans le Saint Esprit : « Le nom du Christ augmente la foi et sanctifie le baptême ; ainsi celui qui est baptisé en Christ reçoit immédiatement la grâce du Christ ».


Saint Cyprien réfute ces arguments de Stéphane de façon convaincante : « Si la validité dépend du seul nom, s'ils considèrent que celui qui a été baptisé au nom de Jésus Christ est renouvelé et sanctifié quel que soit celui qui a administré le baptême, alors comment se fait-il que, chez eux et toujours selon leurs critères, l'imposition des mains sur le baptisé, au nom du même Jésus Christ, qui scelle le don du Saint Esprit n'ait pas d'effet ? Pourquoi la majesté du Saint Nom du Christ aurait-elle de l'effet dans un cas et non dans l'autre ? Si celui qui a été renouvelé en dehors de l'Église peut faire de lui-même un temple de Dieu, pourquoi ne peut-il aussi faire de lui-même un temple du Saint Esprit ? Car quiconque a rejeté ses péchés dans le baptême a été sanctifié, transfiguré, pour devenir un homme nouveau, désormais prêt à recevoir le Saint Esprit. L'Apôtre dit : « Vous tous qui avez été baptisés, vous avez été revêtu le Christ » (Gal. 3, 27). Si celui qui a été baptisé chez les hérétiques peut revêtir le Christ, alors il peut aussi recevoir le Saint Esprit qui a été envoyé par le Christ. Mais si celui qui a été baptisé en dehors de l'Église peut revêtir le Christ mais ne peut revêtir le Saint Esprit, alors Celui qui a été envoyé est plus grand que Celui qui l'a envoyé. Cependant, comment peut-on réellement revêtir le Christ sans le Saint Esprit ou séparer l'Esprit du Christ ? En outre la seconde naissance par laquelle nous naissons du Christ par le bain de la régénération est une naissance spirituelle ; ainsi donc ce qu'ils proclament – à savoir qu'on peut renaître spirituellement chez les hérétiques qui n'ont pas le Saint Esprit – est maintenant absurde ; car l'eau seulement, sans le Saint Esprit, ne peut purifier l'homme de ses péchés et le sanctifier. Alors de deux choses l'une : si le baptême est valable, alors le Saint Esprit est présent, sinon le baptême ne peut être considéré comme valable, car il ne peut y avoir de baptême sans le Saint Esprit ».


Ainsi saint Cyprien et tous ceux qui sont en accord avec lui affirment de manière décisive qu'il ne peut y avoir ni baptême ni grâce sanctifiante du Saint Esprit en dehors de l'Église : « Si les hérétiques sont revenus vers l'Église et font à nouveau partie d'elle, alors ils peuvent jouir des biens du baptême de l'Église et de toutes ses autres bénédictions ; s'ils demeurent en dehors de l'Église et agissent même contre elle, comment peuvent-ils être baptisés du baptême de l'Église ? »


Ainsi on voit que les arguments de Saint Cyprien sont à contre-courant de ceux que l'on peut entendre de nos jours. La première question à laquelle saint Cyprien répond est celle de savoir si les hérétiques et les schismatiques appartiennent ou non à l'Église et sont en communion avec elle ; sinon ils se sont séparés de l'Église Une, le Corps du Christ, et sont privés du Saint Esprit. Il faut noter que, d'un certain point de vue, l'évêque Stéphane n'est pas si éloigné de la pensée de saint Cyprien. Tout comme saint Cyprien, il reconnaissait que les hérétiques et les schismatiques sont séparés de l'Église, qu'ils sont en dehors d'elle, et que de ce fait ils ne peuvent avoir le Saint Esprit. Stéphane se fondait à tort sur la pratique de l'Église de Rome, ce qui lui attira les critiques justifiées de Cyprien et de Firmilien. Ce n'est pas sans raison que les érudits latins justifient l'évêque de Rome par une affirmation étrange et sans fondement : Stéphane lui-même n'aurait pas dit que les schismatiques et les hérétiques n'ont pas le Saint Esprit mais ce serait saint Cyprien qui lui aurait prêté cette pensée dans le feu de la discussion.


Mais cette discussion révèle surtout que saint Cyprien et ses partisans, bien qu'ils fussent certains qu'aucune communauté en dehors de l'Église n'avait la grâce, considéraient que l'on pouvait admettre une variété d'usages dans les Églises s'il s'agissait de préserver l'union, la paix et la concorde parmi les évêques ; chaque évêque est libre de gouverner son Église selon sa volonté et il devra en rendre compte devant le Seigneur. Cela, saint Cyprien le dit bien souvent dans ses lettres (à Stéphane, à Magnus, à Jubaien, à Cornélius…) Saint Denys d'Alexandrie, contemporain de saint Cyprien, partage son opinion et rappelle les paroles du Deutéronome : « Tu ne déplaceras pas les bornes posées par tes Pères » (Deut. 19, 14) et il ajoute : « Dans les jugements et les affaires concernant les personnes, comment devons-nous nous comporter envers ceux qui sont en dehors de l'Église, et comment devons-nous traiter ceux qui lui appartiennent ? À notre avis, il faut se soumettre aux évêques des différentes Églises qui, par le pouvoir de la consécration divine président les offices. Et c'est le jugement sur ces affaires que nous remettons au Seigneur ».


Pour Stéphane on ne doit pas permettre de variété d'usage ; ce faisant, on nierait qu'il y a un seul baptême, et cela malgré le symbole de la Foi. C'est pourquoi Stéphane exigeait l'uniformisation des usages. Au contraire nous voyons que les adversaires de Stéphane admettaient le principe d'une diversité des usages. Qu'est-ce à dire ? Ils considéraient les hérétiques et les schismatiques comme des non-baptisés – et bien sûr pour toutes les Églises locales les schismatiques étaient des non-baptisés. Je pense donc qu'on peut expliquer le point de vue des adversaires de Stéphane – qui autorisaient des pratiques variées pour la réception des hérétiques et des schismatiques dans l'Église – de la façon suivante : pour préserver la paix de l'Église et par amour pour elle, ils considéraient que l'on pouvait parfois ne pas exiger un deuxième baptême administré correctement, car ils croyaient en la signification mystique et charismatique de l'union avec l'Église. Le rite ayant eu lieu hors de l'Église n'était qu'une forme extérieure à laquelle l'Église donne son contenu, la grâce sanctifiante. Ainsi saint Cyprien lui-même parle souvent du « baptême du sang » qui est accompli, bien sûr, sans qu'il y ait de rite ou de formes.


Cette proposition, à laquelle je souscris, est fondée sur les arguments des Pères de l'Église. On avait posé à saint Cyprien la question suivante « Qu'arrivera-t-il aux hérétiques qui, s'étant convertis à l'Église, ont été reçus dans l'Église sans baptême ? » Et saint Cyprien répondit : « Le Seigneur, dans sa miséricorde, peut leur accorder le pardon et Il ne prive pas des dons de son Église ceux qui ont été reçus dans l'Église et se sont endormis en elle ». Firmilien penche pour exiger le baptême de ces personnes si elles sont encore en vie ; si elles sont mortes, il admet qu'elles recevront les fruits de la Vérité et de la Foi qu'elles ont mérités. Il ne fait pas de doute que même à l'époque de Cyprien la question de la paix de l'Église s'est posée ; Cyprien pensait, quant à lui, qu'exiger le baptême est utile si l'on veut que la conversion des schismatiques soit pleinement réussie.


L'Épître de saint Denys d'Alexandrie à Sixtus, évêque de Rome, nous apporte de précieux renseignements : « Dans l'assemblée des frères, il y a un homme que l'on considérait depuis longtemps comme orthodoxe et qui faisait partie de l'Église bien avant mon ordination comme avant le couronnement de l'empereur Héraclius. Ayant assisté à un baptême, et après avoir été attentif à tout l'office, il vint vers moi tout contrit et en larmes et il me confessa qu'il avait reçu le baptême des hérétiques et que ce baptême, différent du nôtre, était impie et blasphématoire. En disant cela son âme souffrait beaucoup et à cause de cet office et de cet acte impie, il n'osait lever les yeux vers le Seigneur ; il me demanda de lui administrer le vrai baptême de la régénération et de la grâce. Mais je décidai de ne pas le faire et lui dis que parce qu'il avait été en communion depuis longtemps avec l'Église, je n'osais pas préparer de nouveau au baptême quelqu'un qui avait assisté à la bénédiction des dons, s'était approché de la table sainte, avait étendu les mains pour recevoir la nourriture divine, y avait goûté et avait souvent communié au Corps et au Sang du Christ. Je lui ordonnai d'être en paix avec sa conscience et de s'approcher des saints dons avec une Foi ferme ».
Ceci illustre bien les pensées que saint Cyprien exprime dans sa lettre à Jubaien. Saint Denys, tout comme saint Cyprien reconnaissait que ce qui compte le plus pour un homme c'est d'être uni à l'Église ; en elle il trouve tous les dons de la grâce, même si son baptême en dehors de l'Église n'était qu'une simple immersion et n'avait rien à voir avec le baptême de l'Église. Sinon pourquoi saint Denys n'aurait-il pas baptisé celui qui pleurait sur son baptême administré par des hérétiques ?


Si l'on compare les deux points de vue, celui de Cyprien et celui de Stéphane, seul le premier est parfaitement satisfaisant. Il préserve l'unité de l'Église et en même temps il témoigne d'une réelle tolérance et d'une indépendance de paroles et de pensée. Stéphane veut préserver l'unité de l'Église et il pense qu'il faut imposer les mains aux hérétiques et aux schismatiques, qui, pour lui, n'ont pas le Saint Esprit, afin qu'ils reçoivent les dons du Saint Esprit. Mais sa pensée, exprimée très clairement dans le « Liber de rebaptismate » réduit et obscurcit la signification du baptême. Dans le « Liber de rebaptismate », il considère que les dons du Saint Esprit sont la propriété exclusive de l'Église mais que le baptême administré au nom du Christ est commun à l'Église et à ceux qui sont hors de l'Église. Le baptême purifie le corps seulement, et, en dehors de l'Église reste sans effet au jour du jugement. Mais de quelle sorte de mystère s'agit-il ? Comment un mystère peut-il avoir lieu sans la grâce du Saint Esprit ? Si le baptême du Saint Esprit existe en dehors de l'Église, alors il est absolument impossible de préserver l'unité de l'Église.


Bien souvent les historiens de l'Église et de la patristique affirment que finalement c'est l'évêque de Rome qui avait raison et non Cyprien. Il me semble évident qu'au cours de l'histoire la rigueur de saint Cyprien en ce qui concerne les pratiques de l'Église n'a été que très légèrement adoucie et que son enseignement dogmatique sur l'unité de l'Église n'a été en rien modifié.


Pour nous en convaincre, reportons-nous au IVe siècle. Tout d'abord il faut nous pencher sur la première Épître canonique de saint Basile à saint Amphilochios, évêque d'Iconium. Cette Épître, qui fait autorité dans l'Église, est le reflet de la pensée de saint Cyprien et de ceux qui sont en accord avec lui. Saint Basile ne fait, en réalité, que donner à la pensée de saint Cyprien une formulation précise. Voici le premier canon de saint Basile : « Il a paru bon aux anciens, c'est-à-dire Cyprien et Firmilien de placer les Cathares, les Encratites, les Hydroparastates sous le coup d'une même condamnation car, même si c'est un schisme qui est à l'origine de leur séparation, ceux qui ont quitté l'Église ont rompu la succession apostolique et ont perdu la grâce du Saint Esprit. Même les schismatiques qui ont reçu l'ordination des Pères et les dons spirituels par l'imposition des mains, en se séparant de l'Église, sont devenus de simples laïcs et ils n'ont plus le pouvoir de baptiser ou d'ordonner et de transmettre la grâce du Saint Esprit qu'ils ont perdu. Alors quand ceux qu'ils ont baptisés reviennent à l'Église, ils faut les régénérer par le vrai baptême de l'Église car ils ont été baptisés par des laïcs ».


Tel est le contenu dogmatique du premier Canon de saint Basile, qui transmet l'opinion de son prédécesseur saint Firmilien et celle de saint Cyprien. Saint Basile n'a pas un mot pour réfuter ou remettre en question les arguments dogmatiques concernant l'unité de l'Église et sa grâce sanctifiante. Serait-ce ce qu'il aurait dû faire puisque quelques lignes plus loin, il explique qu'il peut exister des pratiques contredisant apparemment cette théorie dogmatique ? Voici ce qu'il écrit : « Mais dans la mesure où certains, en Asie, ont cru bon d'accepter leur baptême, pour le bien de tous, alors qu'il en soit ainsi ! » Ainsi quand il ne s'agit plus de la rigueur dogmatique mais d'instructions disciplinaires, le ton de saint Basile est à la concession. La théorie dogmatique ne change pas mais la pratique tolère une variété d'usages. S'il n'y a qu'une position juste d'un point de vue dogmatique, la pluralité est possible du point de vue des usages ; saint Cyprien suivait aussi ce principe. Saint Basile commence même son premier canon en admettant la variété des usages : « Il faut suivre les coutumes de chaque pays (il s'agit ici de la réception des cathares) parce qu'à l'époque où certains ont mis en doute leur baptême on avait des opinions différentes à ce sujet ».


Si saint Basile avait reconnu valable un baptême hors de l'Église, jamais il n'aurait raisonné de cette façon. Il aurait alors, en effet, insisté pour que nulle part on ne baptisât les schismatiques, car le baptême est un ; mais, pour saint Basile, la question de savoir si l'on baptise ou non les schismatiques dépend de la pratique de l'Église et du bien que cela peut faire, selon les circonstances, aux âmes. Comme le dit saint Basile : « Il est bon à certains, en Asie, de reconnaître le baptême des cathares », non pas pour des raisons dogmatiques, mais pour respecter la doctrine de saint Cyprien sur l'unité de la grâce dans l'Église seule. Saint Basile raisonne encore ainsi, lorsqu'il parle des Encratites : « C'est notre devoir de rejeter leur baptême, et si quelqu'un a reçu, chez eux, le baptême, nous devons le baptiser lorsqu'il revient vers l'Église. Cependant si cela est un obstacle à la bonne marche de l'Église, alors nous devons nous en remettre à la coutume et suivre les Pères, qui ont prévu avec sagesse ce qui nous est nécessaire. En effet, je crains qu'en voulant, par le baptême, les empêcher d'agir avec précipitation, nous ne faisions obstacle à leur salut en appliquant la rigueur de la règle. En tout cas, décrétons que ceux qui ont reçu le baptême soient chrismés en présence des fidèles et s'approchent des saints mystères ». Dans la seconde Epître à Amphilochios (Canon 47), saint Basile insiste pour que l'on baptise les Encratites et il ajoute : « Mais si parmi vous, comme parmi les Romains, il est interdit de rebaptiser pour des raisons d'économie… »


Là encore il est évident qu'en ce qui concerne la pratique, ce n'est pas l'enseignement dogmatique qui prime mais le principe de l'économie de l'Église. Après avoir affirmé qu'il est nécessaire de baptiser les Encratites, saint Basile admet néanmoins d'autres pratiques pour que l'application stricte de la règle ne fasse pas obstacle à la conversion des hérétiques. D'après le canon de saint Basile, le baptême des Encratites est-il valable ou non ? Il n'est évidemment pas valable puisque saint Basile considère qu'il est plus juste de les baptiser. Pourquoi tolère-t-il une autre pratique ? Tout simplement parce que, pour lui, le problème pratique du baptême des hérétiques n'est pas indissolublement lié au dogme de l'unité de l'Église. L'Église est Une, en elle seulement les mystères sont pleins de grâce. Les Encratites n'ont pas la grâce, et si on ne les baptise pas à leur réception dans l'Église, ce n'est pas pour faire des Encratites une fraction de l'Église ou une Église locale ; mais l'on choisit cette solution seulement pour le bien de l'Église et pour faciliter la conversion des hérétiques. Il est impossible d'interpréter différemment les paroles de saint Basile. Pourquoi, en effet, ferait-il mention de « l'usage du pays » et « d'une certaine économie » si c'était une affaire concernant le dogme ? Agir pour le bien de ceux qui vont se convertir ou pour suivre des coutumes locales, n'implique pas de nier la vérité des dogmes comme la consubstantialité ou l'unité de l'Église…


Dans votre troisième lettre à l'archevêque Antoine, vous citez de façon quelque peu inexacte l'ouvrage du Dr. Johan Ernst « Ketzertoufangelegenheit in der altchristlichen Kirche nach Cyprian. Aneinz, 1901 ». En lisant le livre de cet érudit, j'ai constaté qu'il était impossible à l'esprit occidental contemporain de comprendre la théologie de la grâce dans l'Église ancienne. Ainsi, dans le passage dont vous parlez, J. Ernst ne dit pas comme vous l'affirmez « qu'il semble que les règles canoniques de saint Basile concernant le baptême des hérétiques n'aient pas la même signification que le dogme : elles expriment la discipline stricte de l'Église à l'époque où il les a écrites » ; mais J. Ernst écrit : « Dans beaucoup d'Églises d'Asie Mineure, sans doute dans la plupart, la règle était de rebaptiser les Novatiens (et les schismatiques en général) qui demandaient à être reçus dans l'Église ; saint Basile fonde cette pratique sur la pensée de saint Cyprien pour lequel celui qui baptise en dehors de l'Église, n'a pas, selon les Canons, le droit de célébrer validement le baptême efficace. Or pour saint Basile le Grand, ce n'est pas pour une question de dogme que le baptême novatien ou schismatique n'est pas valable, mais, comme pour saint Cyprien, c'est pour une raison de discipline ne concernant que les règles de l'Église. Par « recevoir », terme qui apparaît dans le canon des anciens, il comprend la possibilité (als fakultatives) et il rend la reconnaissance du baptême novatien dépendant des règles qui existent dans les différentes églises (pp. 5, 6). Si c'est le cas, il est alors impossible de tirer des conclusions sur l'enseignement dogmatique ! Si dans la pratique une personne venue d'une communauté extérieure à l'Église n'y est pas reçue par le baptême, cela ne signifie en aucun cas que l'Église la reconnaisse comme un de ses membres, et qu'elle possède la grâce du Saint Esprit qui agirait dans leur baptême.


D'après la règle des « anciens », saint Basile classe en trois catégories les apostats pour déterminer comment il faut les recevoir dans l'Église : hérésie, schisme et dissidence mais ceci ne concerne que le mode de réception dans l'Église.


Ainsi les paroles de saint Basile ne doivent absolument pas être comprises dans le sens suivant : « Seul les hérétiques au sens strict n'appartiennent pas à l'Église, mais les autres en font toujours partie ». Saint Basile écrit : « Le baptême des schismatiques (ôs eti ek tês ekklêsias ontôn) sera accepté (paradexasthai) », c'est-à-dire considéré comme « non étranger à l'Église » (c'est la traduction slavonne la plus courante), ou « comme appartenant encore à l'Église » (traduction russe), « mit der Kirche noch in Verbindung stehen » (traduction de J. Ernst). Mais ce ne sont pas là des traductions mais des interprétations dont l'inexactitude doit être soulignée. Littéralement, il faudrait traduire les termes grecs ôs eti ek tês ekklêsias ontôn par « comme étant récemment (hors) de l'Église ». Il est hors de question de comprendre par ces termes que les schismatiques appartiennent encore à l'Église mais au contraire que ceux-ci ont récemment quitté l'Église. En tout cas la préposition « ek » peut difficilement exprimer l'appartenance à l'Église. Il est difficile de concevoir qu'on puisse appartenir à l'Église en suivant trois étapes successives, l'Église, la dissidence, le schisme. Si les mots de saint Basile eti ek tês ekklêsias désignaient une sorte d'appartenance des schismatiques à l'Église, alors une dissidence doit, d'après lui, d'autant plus appartenir à l'Église. Les membres d'une dissidence sont reçus dans l'Église par la pénitence. Pourtant que dit saint Basile à leur propos ? Il parle ainsi : « Si l'on a interdit le service divin à quelqu'un parce qu'il s'est rendu coupable de péché et ne s'est pas soumis aux canons, mais s'est arrogé le droit à la préséance et aux fonctions sacerdotales, et que d'autres, abandonnant l'Église Universelle l'on suivi… »


Comment donc peut-on encore appartenir à l'Église si l'on a quitté l'Église Universelle ? Il semble contradictoire et incompréhensible d'affirmer que les schismatiques sont toujours dans l'Église et en même temps que les dissidents se sont séparés de l'Église et l'on quittée.


Ainsi, tel est l'enseignement du premier canon de saint Basile. L'Église est Une et elle seule possède la plénitude des dons charismatiques du Saint Esprit. Celui qui s'est séparé de l'Église, que ce soit pour l'hérésie, le schisme ou la dissidence perd la communion avec la grâce de Dieu. Ainsi donc les mystères, en dehors de l'Église n'ont pas d'effet charismatique. C'est seulement pour le bien de l'Église, pour faciliter l'union avec elle, que le rite du baptême peut ne pas être répété, s'il a été correctement administré en dehors de l'Église – Non parce que ce rite était en lui-même un mystère sanctifiant mais dans l'espoir que le don de la grâce viendrait au moment même de la réunion au corps de l'Église.


Si le baptême en dehors de l'Église est faux même dans ses formes comme c'est le cas par exemple pour les montanistes, il n'y a alors aucune raison (« logos », dit saint Basile) de leur faire une telle concession. C'est bien parce que saint Basile ne liait pas de manière indissoluble la pratique de l'Église au dogme concernant la validité des mystères en dehors de celle-ci que ce dernier pouvait, en principe, permettre des usages variés selon les pays ; c'est pour cette seule raison que « l'on peut suivre la coutume de chaque pays ». Si, au contraire, la pratique de l'Église était indissolublement liée aux principes dogmatiques, si recevoir un hérétique ou un schismatique dans l'Église sans le baptiser signifiait que l'on reconnaissait son appartenance à l'Église et la validité des mystères en dehors de l'Église, si enfin la validité des sacrements dépendait de la Foi et de l'enseignement dogmatique des hérétiques, alors l'Église eût certainement dû définir de manière complète et exacte quel type d'erreur rend hérétique, sépare de l'Église et prive les sacrements de leur validité. Or ce n'est pas le cas, et, à partir de la pratique de l'Église on ne peut déduire aucun principe directeur.
Le 95e Canon du VIe Concile Œcuménique attire ici mon attention. Tout d'abord, ce canon affirme que tous les hérétiques et les schismatiques qui s'approchent de l'Église sont « unis à ceux qui sont sur la voie du salut » ; ainsi, auparavant, ils ne faisaient pas partie de ceux qui sont sur la voie du salut, c'est-à-dire de l'Église. D'après cette règle, le canon décrète que l'usage sera le suivant : « Les Ariens, les Macédoniens, les Novatiens (qu'on appelle cathares), les Quartodécimans, les Tétradites et les Apollinaristes doivent soumettre à l'Église un document écrit dans lequel ils abjurent toute hérésie, toute foi différente de celle de l'Église Une, Sainte Catholique et Apostolique. Ensuite nous les recevons dans l'Église par le sceau du Saint Chrême. Les Nestoriens doivent faire une confession écrite et anathématiser leur hérésie, puis ils recevront la Sainte Communion ».


Peut-on expliquer cette décision du Concile Œcuménique d'un point de vue strictement dogmatique ? Cela est impossible. Les Novatiens étaient schismatiques ; les Nestoriens étaient, sans le moindre doute, hérétiques, condamnés lors d'un Concile Œcuménique. Et soudain le Canon du VIe Concile Œcuménique se montre plus sévère et plus exigeant envers les schismatiques qu'envers les hérétiques.


Le 79e Canon du Concile de Carthage ne peut se comprendre que du point de vue de l'économie de l'Église : « En conclusion, nous avons jugé bon d'envoyer des lettres concernant cette affaire à nos frères évêques, et surtout au trône apostolique, présidé par le serviteur de Dieu, le très saint et vénérable Anastase, qui connaît les besoins de l'Église d'Afrique, afin de préserver la paix de l'Église et pour son bien. Que même le clergé donatiste, s'il a corrigé sa position et s'il désire s'unir à l'Église Universelle soit reçu dans l'Église au rang de la prêtrise, comme en décidera l'évêque du lieu, si cela doit contribuer à la paix des chrétiens. Cela ne viole pas les décisions du Concile qui a eu lieu dans les contrées au-delà des mers pour régler cette affaire : il faut agir dans l'intérêt de ceux qui veulent revenir à l'Église Universelle afin qu'aucun obstacle n'empêche leur union avec celle-ci. Pour celui qui favorisera et hâtera l'union de quelque manière pour le plus grand bien spirituel des frères, que le décret formulé, différent des décisions du premier concile sur cette question, ne soit pas pour eux un obstacle, car personne ne peut se voir interdire le salut. Si ceux qui ont été ordonnés par les Donatistes font amende honorable et désirent revenir à la Foi Catholique, ne refusez pas de les recevoir parmi les prêtres, suivant en cela les décisions du précédent concile, mais au contraire recevez-les au plus vite, car, grâce à eux, l'union universelle est réalisée ».


Nous voyons bien ici que des usages variés sont possibles. Pour le précédent concile qui a eu lieu « par-delà les mers », le Donatisme était une calamité venue de l'extérieur, qu'il fallait aborder avec la plus stricte rigueur dogmatique, et ce concile avait décrété que les prêtres donatistes devaient être reçus comme simples laïcs. Au Concile de Carthage, les considérations pratiques ont pris le dessus. Il ne s'agit pas de mettre en cause le précédent concile tenu « par-delà les mers » ; d'un point de vue dogmatique, il a parfaitement raison. Mais en ce qui concerne l'Afrique, la pratique est déterminée par des questions d'économie. Dans ce cas précis, les besoins immenses de l'Afrique, la bonne volonté des évêques orthodoxes, la paix des chrétiens, et même les mérites personnels du clergé donatiste ont joué un rôle important. Devant le point de vue dogmatique, il faut faire taire toutes ces considérations. Si les Donatistes font malgré tout partie de l'Église et si leur ordination est valable, alors, il n'y a aucune raison d'invoquer les besoins de l'Afrique et la paix de l'Église ; il faut alors se révolter contre « le Concile tenu par-delà les mers » qui a décrété que des personnes déjà ordonnées et possédant la grâce de l'ordination soient de nouveau ordonnées. Il est évident que ces deux conciles sont d'accord : il n'y a pas de hiérarques en dehors de l'Église, même chez les schismatiques, et l'ordination, en dehors de l'Église, n'a pas de valeur sacramentelle et charismatique. Cependant, par économie, et pour préserver la paix de l'Église, le clergé schismatique peut être reçu dans l'Église en espérant que, par l'union avec celle-ci, le Seigneur leur accorde la grâce de la prêtrise, sans que le sacrement, qui avait été administré dans les formes mais sans la grâce, soit réitéré. Il est impossible de comprendre autrement le 79e Canon du Concile de Carthage.


Je m'arrêterai plus longuement, si vous le permettez, sur la question de la pratique et de l'enseignement de l'Église ancienne. Selon les règles de l'Église (quoique certains baptisassent effectivement les ariens, à l'époque où il n'existait pas encore de décision conciliaire), on ne baptisait pas les ariens et les nestoriens. Les Ariens étaient reçus par la chrismation et les Nestoriens par la pénitence et la renonciation à leur hérésie, suivant la troisième formule. Les Ariens, condamnés et excommuniés par le Concile Œcuménique, demeuraient-ils néanmoins membres de l'Église ? Leur hiérarchie pouvait-elle administrer le baptême et donner par les mystères la grâce du Saint Esprit ? Si de nos jours existait une communauté d'Ariens, les reconnaîtriez-vous comme une Église locale, ayant la grâce de la prêtrise et des sacrements ? Mais les Ariens sont incontestablement des hérétiques et leur hérésie concerne un dogme essentiel, c'est pourquoi elle fut combattue avec tant d'ardeur, et condamnée. Pourquoi l'Église ne les a-t-elle pas baptisés quand elle les a reçus dans son sein ? C'est bien évidemment par économie, pour faciliter la conversion des Ariens à l'Église.


En recevant les Ariens sans les baptiser l'Église ne proclamait pas par là que les Ariens, qui niaient la Consubstantialité du Père et du Fils, fussent des chrétiens ayant la grâce et l'espérance du salut éternel. Il suffit de se souvenir de la façon dont les Pères de l'Église du IVe siècle parlaient des Ariens pour se convaincre du contraire. Citons saint Athanase : « Ceux qui appellent « chrétiens » les Ariens se fourvoient totalement, de même que ceux qui n'ont pas lu les Écritures ne savent rien du christianisme et de la Foi chrétienne. Au lieu du Christ ils ont Arius, comme les Manichéens ont Manès. Comment ceux qui ne sont pas chrétiens mais Ariens pourraient-ils se réclamer du Christ ? Comment ceux qui ont rejeté la Foi Apostolique peuvent-ils encore appartenir à l'Église œcuménique ? »


Quant au baptême des Ariens, voici ce qu'en dit saint Athanase : « Les hérétiques courent le danger de perdre la plénitude du mystère, je veux parler du baptême. Car si la puissance du sacrement est accordée au nom du Père et du Fils, alors ces mots ne désignent pas vraiment le Père, puisqu'ils nient Celui qui vient de Lui et lui est consubstantiel ; ils nient également le Fils et en désignent un autre qui, d'après leur invention, est créé du néant ; d'autre part, le baptême qu'ils administrent n'est-il pas vide de sens et sans efficacité puisqu'il possède une forme illusoire qui, en réalité, ne favorise pas le moins du monde la piété ? Les Ariens baptisent non pas au nom du Père et du Fils, mais au nom du Créateur et de la créature, au nom du Démiurge et de son œuvre. La créature n'est pas le créateur ; de même le baptême administré par eux n'est pas authentique ; il est autre, quoiqu'il suive, en apparence, l'Évangile et prononce le nom du Père et du Fils. Celui qui dit simplement « Seigneur » ne baptise pas, seul baptise celui qui unit aux noms du Père, du Fils et du Saint Esprit une Foi droite. C'est pourquoi, le Sauveur lui-même n'a pas simplement ordonné de baptiser mais Il a dit auparavant : « Allez enseigner », et seulement ensuite « baptisez au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit » ; et cela afin que de l'enseignement naisse une Foi droite et que le sacrement du baptême soit uni à la Foi ». Et saint Athanase continue : « Il y a beaucoup d'autres hérésies qui prononcent seulement les noms du Père, du Fils et du Saint Esprit, mais étant fausses du point de vue de la Foi, elles baptisent sans efficacité, puisque leur piété est faible ; c'est pourquoi ceux que ces hérétiques baptisent sont plutôt tachés par l'impiété que lavés et purifiés… Ceux qui suivent les raisonnements d'Arius, bien qu'ils lisent les Écritures et prononcent la formule baptismale, égarent néanmoins ceux à qui ils administrent le baptême : eux-mêmes sont plus impies que les autres hérétiques et peu à peu ils les dépassent dans l'hérésie. Puisqu'ils reçoivent le baptême au nom du néant, ils ne reçoivent rien ».


De la même façon, saint Athanase condamne le baptême des hérétiques qui réduisent le Saint Esprit à une créature : « La Foi en la Trinité, qui nous a été transmise, est la seule vraie, elle nous unit à Dieu. Celui qui retire quoi que ce soit à la Trinité et baptise au nom du Père seul, ou du Fils seul, au nom du Père et du Fils sans le Saint Esprit, ne reçoit rien, mais ceux qu'il baptise et à qui il croit donner le baptême demeurent dans la vanité et ne sont pas sanctifiés, parce que le mystère doit être accompli au nom de la Trinité : Celui qui sépare le Fils du Père, ou réduit le Saint Esprit à une créature, n'a pas le Père ni le Fils, il est un athée de la pire espèce ; il est tout sauf chrétien ».


Tous ces arguments dogmatiques de saint Athanase le Grand sont incontestables et son analyse de l'Arianisme reflète en tous points la conviction générale de l'Église du IVe siècle et des siècles suivants. Cependant on ne baptisait pas les Ariens lors de leur conversion à l'Église. Pourquoi ne les recevait-on pas par le baptême ? Il s'agit bien évidemment d'une mesure d'économie, et non d'un enseignement dogmatique selon lequel les Ariens seraient des membres de l'Église Œcuménique du Christ, certes séparés d'elle, mais dont le baptême serait un mystère réellement efficace. Confrontée à l'hérésie d'une communauté séparée d'elle, l'Église recevait les membres de celle-ci sans les rebaptiser. Cela prouve que jamais l'Église ancienne n'a pensé que ceux qui étaient séparé d'elle demeuraient néanmoins ses membres et gardaient la grâce du Saint Esprit.


Cette idée lui est totalement étrangère. En recevant certains hérétiques et schismatiques sans les baptiser, en recevant même leur hiérarchie au rang de la prêtrise, l'Église Universelle se considérait toujours comme la seule véritable Église du Christ, détenant seule les dons charismatiques du Saint Esprit. Par cette pratique, elle ne déclarait pas que les Cathares, les Donatistes, les Ariens, les Nestoriens et les autres fissent partie de l'Église et eussent les dons sanctifiants du Saint Esprit ; il faut bien comprendre la signification des pratiques de l'Église à l'égard des hérétiques et des schismatiques qui voulaient se convertir : si c'était parce qu'on estimait que leur baptême avait la grâce sanctifiante, qu'on les recevait sans les baptiser, alors il aurait fallu déterminer avec exactitude, à chaque fois, qui, parmi les hérétiques a le baptême et qui ne l'a pas. Or jamais un tel discernement n'a été fait. L'Église permettait la diversité des usages selon les circonstances, sans faire de différence entre les enseignements dogmatiques des hérétiques. Autrement on arrive à une conclusion aberrante : selon les circonstances, les lieux et les époques, l'Église aurait modifié son enseignement dogmatique concernant son unité. Cette conclusion est, bien sûr, totalement inadmissible et la seule conclusion satisfaisante est celle qui a été proposée dans les pages précédentes.


On acceptera d'autant mieux cette explication si l'on conçoit l'essence du christianisme non comme une somme de propositions dogmatiques, mais comme la vie même de l'Église. Par l'action de la grâce du Saint Esprit, les défauts humains peuvent être réparés et le rite extérieur du baptême peut être transformé en mystère sanctifiant. On ne peut préserver l'unité de l'Église qu'en comprenant ainsi la signification dogmatique de la pratique de l'Église. De cette façon on préserve la pureté de l'Épouse sans tâche du Christ. Tout autre point de vue obscurcit la vérité de l'unité de l'Église : celle-ci est alors présentée comme une somme d'églises locales étrangères et hostiles les unes aux autres, s'anathématisant mutuellement. La conscience de l'Église ne peut admettre une si étrange conception de l'unité de l'Église !


Je ne peux m'empêcher de remarquer une certaine inexactitude dans vos arguments, principalement sur les faits historiques. Dans votre troisième lettre à l'archevêque Antoine, vous écrivez : « Il me semble qu'historiquement la question de la validité des mystères en dehors de l'Église Orthodoxe ne s'est pas posée avant la seconde moitié du XVIIIe siècle, à cause des activités diffamantes d'un moine ignorant. J'ai lu le récit de ce regrettable épisode dans « l'histoire de l'Église d'Orient sous le joug turc » écrite par A. Lébédev, qui reproche âprement à l'Église de Constantinople de s'être laissée entraîner par le moine Auxentios. Mais l'Église russe n'a pas suivi l'exemple de cette grande Église ; elle est restée fidèle à la tradition de l'Église byzantine ancienne, qui déplorait la séparation des Églises d'Orient et d'Occident, et priait, avec Balsamon, pour la conversion du Pape, tout en reconnaissant la validité du baptême et de l'ordination des chrétiens occidentaux… En fait, à une certaine époque, l'Église russe rebaptisait les Latins, mais le Concile de Moscou de 1667, essentiel dans l'histoire de l'Église russe, abandonna cette pratique. À mon avis, cette décision conciliaire prouve, de façon décisive, que l'Église Orthodoxe reconnaît les sacrements latins ».


Après avoir examiné la pratique de l'Église ancienne et sa signification dogmatique, je ne suis pas du tout convaincu que le fait de recevoir les Latins dans l'Église sans les baptiser montre la validité des sacrements latins pris en eux-mêmes, indépendamment de la réception des Latins dans l'Église Orthodoxe. D'autre part votre approche historique n'est pas juste : dans les siècles qui ont suivit la séparation de Rome, l'Église grecque et l'Église russe recevaient les Latins soit par la chrismation soit par le baptême. Pendant longtemps cette question n'a pas été réglée. Mais les témoignages historiques de baptême des Latins ne manquent pas. On peut citer en premier la fameuse bulle papale qui a marqué le début de la déplorable séparation. Les légats du Pape mettent les grecs en accusation : « Comme les Ariens ils rebaptisent ceux qui ont été baptisés au nom de la Sainte Trinité et particulièrement les Latins ; comme les Donatistes ils affirment qu'à l'exception de l'Église grecque, l'Église du Christ, du vrai sacrifice et du vrai baptême a sombré par le monde entier ».


Citons ensuite l'exemple de Stéphane Nemanya au XIIe siècle : son père, un prince serbe, fut forcé de le baptiser selon le rite latin, mais plus tard, quand il revint à Rascia, il le fit rebaptiser dans l'Orthodoxie.


L'évêque de Cracovie, Matthieu, dans une lettre de 1130 invite Bernard, l'Abbé de Clairvaux, à s'occuper de la conversion des Russes au papisme et affirme que ceux-ci rebaptisent les Latins.


C'est un fait reconnu que Manuel Ier a accueilli très chaleureusement à Constantinople en 1147 Ludwig VII ; cependant le récit de voyage en Orient de ce prince, « Odo de Dioglio » mentionne le fait que les Grecs rebaptisaient les Latins.
Toujours au XIIe siècle, notre évêque de Novgorod, Niphon, enseigne à Kyrikus que les Latins doivent être reçus par la Chrismation. Selon ses propres paroles, c'est comme cela qu'on les recevait dans l'Église à Constantinople ; cependant seuls les détails ayant rapport au rituel intéressent ici Niphon.


À la fin du XIIe siècle, Théodore Basalmon interdit aux prisonniers latins l'accès aux sacrements tant qu'ils n'ont pas renoncé aux dogmes et aux usages latins, tant qu'ils n'ont pas été catéchisés selon les Canons et il affirme qu'on ne peut les considérer comme orthodoxes. Balsamon prouve la nécessité de traiter ainsi les latins par le fait que ces derniers se sont séparés de l'Église et que le Pape n'est pas commémoré avec les Patriarches. D'après l'interprétation du Canon 14 du IVe Concile Œcuménique, Basalmon montre que les Orthodoxes exigeaient des Latins la renonciation à leur hérésie s'ils désiraient se convertir. Il est tout à fait possible que par « soient catéchisés » dans le premier cas et par « renonciation » dans le second, le baptême des Latins ne soit pas désigné, mais Basalmon considère que les Latins n'appartiennent pas à l'Église. Le IVe Concile de Latran, en 1215, montre qu'après l'apostasie de Rome, les Grecs se mirent à rebaptiser ceux qui l'avaient été par les Latins, et continuèrent à le faire au XIIIe siècle.


À peu près à la même époque l'archevêque bulgare Démétrius Chomatinos affirme qu'il y avait diverses attitudes à l'égard des Latins et de leurs sacrements.


En 1222 le Pape Honorius III mentionne dans une lettre aux juges de Livonia le fait que l'évêque de cette ville l'a informé « quod Rutheni Latinorum Baptismum, quasi rem detestabilem execrantes… »


En 1232, le Pape Grégoire IX a écrit au clergé polonais pour l'enjoindre d'interdire le mariage de femmes catholiques romaines avec des russes car ils les font baptiser selon leurs propres rites (in contemptum fidei Christianae secundum ritum ipsorum denuo baptizari faciunt).


Des sources russes montrent qu'au XIVe siècle on baptisait les Latins. Nos chroniques de 6841 (1333) rapportent comment le Grand Duc Yvan Danilovich a marié son fils Semyon : « De la Lithuanie ils firent venir une princesse du nom d'Augusta qui fut baptisée sous le nom d'Anastasia ».


Au XVe siècle l'Église grecque cessa de baptiser les Latins. C'est par la chrismation qu'elle les reçut désormais. C'est le Concile de Constantinople de 1484 qui décréta que, pour être reçus dans l'Église, les Latins devaient renoncer au « filioque », à l'emploi du pain azyme et aux autres coutumes latines ; « après quoi ils seraient immédiatement oints du Saint Chrême par le prêtre ». Quoique ne baptisant pas les Latins, ils les recevaient néanmoins comme l'Église ancienne recevait les Ariens, les Macédoniens et les autres. Il est remarquable que les écrivains grecs du XVe siècle prouvent que les Latins sont des hérétiques par le fait qu'on les reçoit par la Chrismation.


Ainsi saint Marc d'Éphèse écrit : « Les ordonnances de la piété disent que même ceux qui se séparent de l'Église Orthodoxe pour la moindre raison sont des hérétiques et tombent ainsi sous le coup des sentences concernant les hérétiques. Pourquoi donc chrismons-nous ceux qui s'unissent à nous ? Il est évident que c'est parce qu'ils sont hérétiques ».


Les écrits de saint Marc d'Éphèse montrent que les Latins étaient simplement chrismés mais cela ne signifie nullement qu'il considère ceux-ci comme des membres de l'Église. Sa position sur cette question est claire et bien nette : « Ils se sont coupés de l'Église et séparés du Corps du Christ… Nous les avons abandonnés comme hérétiques et nous nous sommes séparés d'eux ». Saint Marc d'Éphèse se réfère au VIIe Concile Œcuménique pour prouver que les Latins étaient reçus dans l'Église comme les hérétiques dans l'Église ancienne et que, par conséquent, eux-aussi sont des hérétiques.


Au contraire à partir du XVe siècle la règle dans l'Église russe fut de rebaptiser les Latins. Ainsi les chroniques observent qu'au XVe siècle Jean Friazini, un vénitien qui travaillait à Moscou comme monnayeur, « a été baptisé parmi nous ».


Il y a énormément de témoignages concernant le rebaptême des Latins à partir du XVIe siècle. Au Concile de Latran Jean Lasski, archevêque de Guezno, affirme ce qui suit des Russes : « Ils disent que tous ceux qui se sont soumis à l'Église de Rome ne sont pas des véritables chrétiens et ne seront pas sauvés… Ils profanent, méprisent, tournent en dérision tous les sacrements de l'Église ».


Vers 1670, Daniel, Prince de Buchor se rendit à Moscou en tant qu'ambassadeur extraordinaire de l'Empereur Autrichien. Dans son ouvrage « Naissance et essor de Moscou », on peut lire : « Ils rebaptisent ceux de nos compatriotes qui se convertissent à leur Foi, car, pour eux, notre baptême n'est pas valable. Ils invoquent la raison suivante pour justifier cela : le baptême est une immersion et non une aspersion. Comme le Grand Duc donne de l'argent aux insensés qui acceptent de se faire rebaptiser, cette pratique est fréquente et offense grandement notre religion catholique ».


À la fin de sa vie, le Tsar Ivan IV se mit à courtiser Mary Hastings, nièce de la reine Élisabeth d'Angleterre. L'attitude despotique du Tsar Ivan IV à l'égard de l'Église Orthodoxe est bien connue, cependant lorsque Bowes, l'ambassadeur d'Élisabeth rétorqua au Tsar – qui demandait que sa future épouse soit baptisée – que l'Église est Une, Ivan fit cette réponse définitive : « La princesse que j'épouserai doit d'abord être baptisée dans la Foi chrétienne ».


En avril 1590, la reine Élisabeth écrivit au Tsar Féodor Ivanovich pour se plaindre qu'on « forçait certains marchands à recevoir de nouveau le baptême alors qu'ils avaient déjà été baptisés et faits chrétiens ».
Nicolas Varkoch, ambassadeur du Saint Empire Romain, qui était en Russie en 1593 écrit dans le récit de son voyage : « S'il arrive que des chrétiens baptisés se convertissent à leur Foi, ils doivent se laisser à nouveau baptiser par les Russes, parce que les Moscovites ont des doutes sur la validité de leur baptême. Le pauvre pécheur qui accepte d'être baptisé doit renier le baptême qu'il a reçu et être baptisé de nouveau ».


Dans sa lettre Encyclique du 14 juin 1613, Sylvestre, archevêque de Volgda écrit à Bartholomé, prêtre à Archangelsk : « Quand vous recevrez cette lettre, vous, prêtres et diacres d'Archangelsk, prierez ces étrangers de se préparer au baptême. Et vous les baptiserez dans la vraie Foi Orthodoxe, selon les Canons des saints Apôtres et des saints Pères ; vous leur commanderez de maudire leur hérésie et d'y renoncer, de renier le paganisme et de se tourner vers le vrai Dieu ; après le baptême et la communion, vous leur ordonnerez de jeûner le plus possible ».


Au début du XVIIe siècle, à la fin du « temps des troubles » « Smutnoe Vremia »), la question du baptême des Latins prit une dimension politique à Moscou parce qu'en 1613, la Russie se trouva enfin sous une dynastie russe – à la place d'une polonaise – et aussi parce que le peuple et la hiérarchie russes étaient convaincus de la nécessité de rebaptiser les Latins. Quand la couronne fut proposée au prince polonais Vladislav, le peuple exigea qu'il fût auparavant baptisé dans la Foi Orthodoxe.


Le 17 août 1610 saint Hermogène, Patriarche de Moscou, les Métropolites, les Archevêques, les Évêques, les Archimandrites, les Prêtres et toute l'Église, les boyards, les gens de la cour, les dignitaires, militaires et civils de tout rang, rédigèrent des « Instructions » destinées à l'ambassade, qui avait à sa tête le Métropolite Philarète de Rostov et était envoyée en mission auprès du Roi Sigismond III pour le prier de laisser le Prince Vladislav libre d'accéder au trône du Tsar. Dans ces « Instructions », on trouve au premier plan la condition suivante, maintes fois répétée : « Si sa Majesté le Prince Vladislav Sigismundovich voulait bien être baptisé dans la Foi Orthodoxe selon le Canon grec… »


Au boyard le Prince Vasy Vasilevich et ses compagnons dirent : « Nous savons que sa Majesté le Prince a été baptisé dans la foi romaine selon le canon romain, mais que sa Majesté ait pitié de nous car il est bon que sa Majesté reçoive le vrai et saint baptême de notre Sainte Église selon le Canon grec ».


Ils envoyèrent également une lettre à Vladislav au nom du Patriarche Hermogène, de tout le clergé russe et des laïcs de tout rang et de toutes vocations. Dans cette lettre l'idée centrale est : « Acceptez le saint baptême avec paix, douceur et humilité » ; ils lui citent en exemple saint Wladimir, égal aux Apôtres.


En regard de tous ces témoignages, je pense qu'il est inexact de considérer comme une innovation la décision du Concile de Moscou de 1620. Le Concile de Moscou lui-même considérait sa décision non comme une nouveauté mais comme la confirmation d'un usage ancien.


Le Patriarche Philarète explique clairement les raisons qui ont motivé la décision de 1620 : « En la deuxième année de mon apostolat, en l'année 7128 (1620) depuis la création du monde, deux prêtres Ivan et Euphimy de l'Église de la Vénérable et Glorieuse Nativité de la très Sainte Mère de Dieu et toujours Vierge Marie, qui se trouve à Stolechniki, m'ont informé des faits suivants concernant Jonah, Métropolite de Sarsk et Podonsk : ce Métropolite a ordonné à ces deux prêtres, Ivan et Euphimy, de ne pas baptiser les Polonais venant du Catholicisme et voulant se convertir et qui portent les noms de Jan Slobotsky et Matvey Svetisky, mais de se contenter de les oindre du Saint Chrême, puis de leur donner la communion au précieux Sang et au Corps de Notre Seigneur. Ils m'ont apporté une lettre du Métropolite Jonah leur ordonnant de ne pas baptiser mais seulement de chrismer. Quant à moi, l'humble Philarète, je n'ai négligé ce schisme de peur que les brebis du troupeau du Christ ne périssent, et j'ai voulu mettre l'affaire qui m'a été rapportée à l'épreuve de l'Écriture et de la Vraie Foi, afin qu'en vérité, aucun reste de paganisme ou de judaïsme ne soit mêlé au blé mûr, mais soit arraché comme l'ivraie, pour nettoyer le champ de l'Église ; c'est pourquoi j'ai convoqué le Métropolite Jonas ». Le Patriarche rappela au Métropolite le cas du Patriarche Ignatius qui, voulant plaire aux hérétiques, fit entrer Marinka, papiste et hérétique, dans la Cathédrale de la Dormition et ne la baptisa pas du saint baptême des chrétiens, mais se contenta de la oindre du saint Chrême pour finalement la marier à un prêtre défroqué. Comme Judas le traître il a insulté le Christ ; et pour cette faute les hiérarques de la Sainte Église Russe déposèrent Ignatius et le déchurent de son rang épiscopal, en l'an 7116 (1606), pour avoir méprisé les Canons des Saints Apôtres et des Saints Pères ».
Le Patriarche Philarète rappelle d'autre part que saint Hermogène l'envoya auprès de Vladislav « pour le faire Tsar et le baptiser dans la vraie Foi Orthodoxe, selon le canon grec. Et notre Père, le très saint Patriarche Hermogène me donna une lettre reproduisant les Canons des Saints Apôtres et des Saints Pères pour l'affermissement de tous et pour expliquer à tous les hérétiques quels qu'ils soient la nécessité d'être baptisés ».


Le Patriarche dit qu'après avoir étudié les Canons, il a compris que « tous les hérétiques, quels qu'ils soient, sont privés du vrai et saint baptême par l'eau et par l'Esprit. C'est pourquoi, dit-il, que tous les hérétiques qui viennent à la Foi Orthodoxe reçoivent le vrai baptême… ». Et il ajoute contre Jonah : « Mais comment vous permettez-vous, à Moscou, la cité impériale, d'introduire et d'établir une règle contraire aux canons des Saints Pères, aux Sept Conciles Œcuméniques et aux Saints Patriarches ? Pourquoi n'ordonnez-vous pas à ceux qui viennent du catholicisme d'être baptisés par la triple immersion ? Pourquoi ne considérez-vous pas leur hérésie et vous contentez-vous de les oindre du saint Chrême ? Moi, l'humble serviteur, je ne veux pas entendre parler des nouveautés trompeuses que vous avez introduites, car il est contraire aux divins canons d'introduire et d'enseigner des choses nouvelles, comme vous le faites, lorsque vous prétendez qu'il n'est pas bon que ces papistes soient baptisés et qu'en cela vous respectez les canons des Saints Pères… Car depuis l'époque du Grand Duc Wladimir, de bienheureuse mémoire, celui qui a illuminé toute la Sainte Russie du saint Baptême qu'il reçut des Grecs, et jusqu'à nos jours de cette année 7128, personne d'entre nous n'a osé commettre un si scandaleux acte d'hérésie, sauf Ignatius le Patriarche déchu et vous-même… Depuis le début de l'État de Moscou jusqu'à nos jours, pas une seule fois des hérétiques papistes ou d'autres n'ont été reçus sans baptême, sauf par Ignatius, le Patriarche déchu, qui a été déposé ».


En 1621 le Patriarche Philarète fit paraître un décret sur la question des Russes de Russie Blanche : lesquels baptiser, lesquels chrismer, lesquels recevoir sans chrismation ni baptême ? Il répondait que ceux qui avaient été baptisés par les Uniates devraient être baptisés par la triple immersion « parce qu'ils avaient été baptisés par un apostat qui prie Dieu pour le Pape ». Mais en écrivant ces directives le Patriarche Philarète rappelait également qu'il « n'avait pas introduit une nouvelle tradition, mais n'avait fait que renouveler et affermir l'ancienne ».


Tous ces propos du Patriarche Philarète ont un fondement historique authentique. C'est pourquoi même les étrangers qui se trouvaient à Moscou après 1620, quand ils songent au rebaptême des Latins ne parlaient pas de cette pratique comme si elle venait tout juste d'apparaître.


Dans les années 1630, Adam O'Leany s'intéressa à la question du baptême dans l'ancienne Russie. Il décrit les rites, examine la question du rebaptême d'un point de vue historique : «  Les Russes, ont sans aucun doute, emprunté aux Grecs la pratique du rebaptême des chrétiens qui viennent à eux. Les Grecs, en effet, après s'être séparés de l'Église Latine ont considéré que le baptême latin n'est pas suffisant ; ainsi donc ils baptisent une seconde fois ceux de l'Église romaine qui viennent à eux et deviennent membres de l'Église grecque ». O'Leany cite ensuite les actes du Concile de Latran. Chez O'Leany on pourrait s'attendre à trouver des remarques concernant l'innovation récente qui consiste à rebaptiser les chrétiens occidentaux à Moscou et pourtant on ne trouve rien de semblable.


Le Baron Augustin Maierberg qui était à Moscou en 1661 rapporte, sans autre précision, que : « Les Moscovites pensent que le baptême n'a pas d'effet si le baptisé n'est pas plongé trois fois dans l'eau, selon l'usage de l'Église ancienne. C'est pourquoi, si un catholique romain vient à la Foi Orthodoxe, ils le rebaptisent par une triple immersion, parce qu'il n'aurait pas été baptisé selon le rite de l'Église ; ils annulent même son mariage, s'il était marié auparavant, car ils considèrent qu'il n'aurait pas dû aller vers les autres sacrements alors qu'il n'appartenait pas encore à l'Église, n'ayant pas reçu le saint baptême. Tout de suite après ils signent le baptisé du saint Chrême, car ils n'accordent aucune valeur à la chrismation des Latins, la considérant comme inefficace ».


L'ancienne pratique russe, confirmée par le Concile de 1620 fut modifiée au Concile de Moscou de 1667. Et cela est bien compréhensible. Le Concile de 1667 se caractérise par le fait que, dirigé par des Grecs, hommes de peu de valeur en l'occurrence, il condamna tout ce qui différait de l'usage grec et même les rites mineurs de l'Église russe. Et jusqu'à aujourd'hui la malédiction lancée par le Concile contre le rite vieux-croyant, considéré comme une hérésie, provoque des remous dans l'Église russe. Témoignant d'un respect excessif du gouvernement séculier, ces Grecs étaient à cette époque, prêts à proclamer l'État supérieur à l'Église et seules les protestations de la hiérarchie russe empêchèrent d'aboutir cette solution radicale au problème de l'Église et de l'État.


À propos du rebaptême des Latins, le Concile de 1667 décida qu'il n'est pas juste de rebaptiser les Latins, mais s'ils renient leur hérésie, confessent leurs péchés, font une déclaration écrite, qu'ils soient oints du saint Chrême, qu'ils reçoivent les saints et très purs mystères et qu'ils soient ainsi unis à la sainte Église Catholique et Apostolique. Mais le Concile ne put justifier son décret qu'en invoquant la décision du Concile de Constantinople de 1484 et les paroles de saint Marc d'Éphèse.


Il faut noter que la décision du Concile de 1667 ne modifia pas immédiatement les usages russes en ce qui concerne la réception des chrétiens occidentaux ; à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe on continuait à les rebaptiser.


Voici ce que John Corb qui était à Moscou en 1698 écrit dans son « journal » : « Les Russes ne considèrent pas comme vraiment baptisés et comme chrétiens ceux qui, selon le rite latin sont baptisés en Christ par une simple aspersion au nom de la très Sainte Trinité. Les Moscovites, s'entêtant dans leur superstition, affirment que le baptême doit être accompli par immersion, puisque le vieil homme doit être noyé dans l'eau et que ceci ne peut être fait qu'en le plongeant dans l'eau et non simplement par aspersion. Les Russes, tenant fermement à leur erreur, admettent les chrétiens, quelles que soient leurs confessions, au baptême, quand ces derniers acceptent volontairement le schisme russe ».


Heinrich Sederberg qui se trouvait en Russie de 1704 à 1718 écrit dans ses « Notes sur la religion et la morale du peuple russe » : « Bien qu'ils considèrent les catholiques romains comme chrétiens, ils pensent néanmoins que leur enseignement est plein d'innombrables erreurs et ils ne les traitent pas différemment de ceux qui viennent à leur foi ; ils les baptisent à nouveau, en disant qu'ils sont des Latins ». Sur ce point, si l'on en juge par les remarques de Sederberg, les Russes différaient alors des Grecs.


Or exactement à la même époque, l'Église de Constantinople décida que les décrets du Concile de 1484 s'appliqueraient aussi aux Luthériens et aux Calvinistes. Le Tsar Pierre Ier, ami de tous les Luthériens allemands demanda au Patriarche de Constantinople comment il fallait recevoir les Luthériens dans l'Orthodoxie. En 1718 le Patriarche Jérémie répondit par une lettre qui fut par la suite incluse dans le « Recueil complet des lois de l'Empire Russe » (vol. 5, no3325) ; dans cette lettre le Patriarche, qui voulait plaire au Tsar russe décréta que « Ceux qui se détournent de l'hérésie luthérienne ou calviniste ne seront plus rebaptisés, mais faits parfaits chrétiens, fils de la Lumière et héritiers du Royaume des Cieux par la seule onction du saint Chrème ».


Par la suite, sans qu'il y ait eu de décision conciliaire – l'ordre conciliaire de l'Église Russe ayant été aboli par Pierre Ier – on se mit à recevoir les Latins sans même les chrismer.
À partir du XVIIe siècle, la théologie russe commença à subir l'influence latine. À Kiev, au XVIIIe siècle les usages étaient différents de ceux de Moscou. Dans le « Trebnik » de Pierre Moghila apparaît une idée totalement étrangère à l'Église ancienne : les mystères administrés en dehors de l'Église auraient une forme de validité. Dans ce « Trebnik », on dit des Luthériens et des Calvinistes qu'il « n'est pas juste de les rebaptiser puisqu'ils ont déjà le baptême », et des Latins : « Mais quant à eux, non seulement nous ne les baptisons pas, mais si les leurs les ont chrismés, nous ne répétons pas la Chrismation ». Dans le « Trebnik » de Pierre Moghila, on donne un fondement dogmatique à un usage qui, dans l'Église ancienne était alors admis seulement par économie. Le baptême, la chrismation et la prêtrise ne sont pas répétés parce qu'ils sont censés « laisser une marque qui est un sceau indélébile sur l'âme du baptisé… Car le baptême scelle l'âme du baptisé, qui devient un agneau du troupeau du Christ, dont le nom est écrit dans le livre de la vie ; la chrismation laisse une marque ou un sceau sur celui qui est chrismé, qui est inscrit au nombre des soldats du Christ et est distinct ainsi de celui qui ne l'est pas ».


Mais comment peut-on être agneau en dehors du troupeau du Christ ? Comment peut-on être soldat du Christ tout en faisant la guerre à l'Église du Christ ? C'est la théologie latine de « l'opus operatum » qui fonde cette théorie de la validité des mystères administrés en dehors de l'Église Une du Christ, théologie adoptée par certains néo-théologiens russes.


Le Patriarche Jérémie a, dans le document cité ci-dessus, un argument qu'il veut définitif : « Nous confirmons et nous établissons que ceci est valable pour l'éternité… et sera préservé à jamais par la postérité ». Il ne se passa pourtant pas quarante ans que l'Église de Constantinople elle-même se mît à baptiser les hérétiques qui se convertissaient à l'Église.


Sous le Patriarche Cyrille V en 1756, il fut décidé de considérer ceux qui venaient des confessions occidentales « comme non sanctifiés et non baptisés ». Puis le document se réfère à l'unité de la Vraie Église Apostolique qui possède les Mystères : « Le baptême des hérétiques étranger à l'ordonnance divine et apostolique n'est que de l'eau sans effet, selon l'expression du divin Ambroise et du grand Athanase ; il n'accorde pas la sanctification à celui qui le reçoit et il est inefficace pour purifier les péchés. Il doit par conséquent être rejeté ».


À la fin du XVIIIe siècle fut composé le « Pidalion » grec dans lequel le baptême des latins est dit « faussement appelé baptême » ; le Canon premier de saint Basile le Grand, dans son aspect dogmatique, y est appliqué à la hiérarchie latine (« ils sont devenus des laïcs »). Il est vrai que la décision de 1756 fut prise dans une période extrêmement troublée de la vie de l'Église. À cette époque le peuple se rebella contre le Patriarche Païssius et éleva à nouveau au trône patriarcal Cyrille V, qui, déjà lors de son premier règne patriarcal (de 1748 à 1751) s'était prononcé pour le rebaptême des latins. Il ne faut pas expliquer les événements de 1756 par les seules activités et par la seule prédication du moine Auxentios, les Turcs l'avaient étranglé et noyé dans la mer avant que Cyrille V soit élevé au trône patriarcal. Le Professeur A. Lebedev peut désapprouver la décision de 1756, il peut citer les paroles de Vendotis à l'encontre du Patriarche Cyrille V, il peut se moquer du « Pidalion » grec, néanmoins cela ne changera rien au fait qu'à partir du milieu du XVIIIe siècle les Grecs se mirent à rebaptiser les Latins. Notons cependant qu'en Orient, on ne suivit pas toujours cet usage, comme par exemple, lors de la réception dans l'Église de Catholiques romains arabes à Ptolemaïdes ou de Syriens melkites en 1861.


Nous avons esquissé ici l'histoire des modes de réception des chrétiens occidentaux dans l'Église après que le Patriarcat de Rome se fut séparé de l'Église Orthodoxe. Pendant des siècles, les usages de l'Église Orientale furent variés, oscillant entre le baptême et la chrismation ; les Églises locales prirent différentes décisions conciliaires, qui varièrent selon les siècles. En 1484, l'Église Grecque décréta qu'il fallait chrismer les Latins, mais à la même époque l'Église Russe exigeait de plus en plus souvent un nouveau baptême, ce qui fut confirmé plus tard au Concile de 1620. En 1667, sous l'influence des Grecs, l'Église Russe, décréta qu'il fallait chrismer les Latins et, au début du XVIIIe siècle elle décréta que même les Luthériens seraient reçus par la chrismation. L'Église Russe allait même jusqu'à tolérer que ceux qui avaient été chrismés dans l'Église Latine ne fussent pas rechrismés. En 1756, à la même époque, l'Église Grecque rétablit la pratique du rebaptême des Latins et des Luthériens, tout en usant parfois d'économie quand les Catholiques étaient d'origine arabe ou syrienne.


Que devons-nous penser de ces faits historiques ? En ma qualité de membre de l'Église Orthodoxe et de prêtre, quelle attitude dois-je adopter à leur égard ? Puis-je admettre que cette pratique soit indissolublement liée à l'enseignement dogmatique orthodoxe sur l'unité de l'Église ? Le fait de recevoir les Latins sans les baptiser signifie-t-il que ceux-ci appartiennent à la même Église que moi ?


Dans ce cas que dois-je penser de mon Église qui tantôt reconnaît les Latins comme ses membres, possédant les dons de la grâce, et tantôt les baptise comme des païens ou des juifs ? Si tous les Latins doivent être baptisés, pourquoi ne pas baptiser aussi les Catholiques romains d'origine arabe ? Que signifie alors l'attitude de saint Hermogène, Patriarche de Moscou martyrisé par les latins, qui exigea le rebaptême du Prince Vladislav. N'a-t-il pas demandé, malgré le 10e article du Credo, un second baptême ?


Si le rebaptême des Latins était un second baptême, alors des centaines de hiérarques ne méritent-ils pas d'être déposés, selon le 47e Canon Apostolique : « Si un évêque ou un prêtre baptisent quelqu'un qui a déjà reçu le baptême, ou s'ils ne baptisent pas ceux qui ont été souillés par les impies, qu'ils soient déposés car ils insultent la Croix et la mort du Seigneur et ne discernent pas les prêtres des faux prêtres ».


Non, je n'ose pas imaginer que les églises locales, russes et grecques, aient, à travers les siècles insulté la Croix et la Mort du Seigneur et continuent de le faire. Si hors de l'Église les sacrements sont valables et sanctifiants, il faut les accepter ; mais modifier les usages concernant la réception des convertis, comme l'ont fait les Russes et les Grecs à partir du XIe siècle devient un blasphème, qui tombe sous l'anathème des Canons. Je ne peux admettre que mon Église blasphème ou ait blasphémé.


C'est pourquoi seules des raisons d'économie expliquent les usages de l'Église à l'égard des Latins et non des considérations dogmatiques sur l'unité de l'Église du Christ. L'Église orientale, tout comme l'Église ancienne, ne s'est pas égarée ou fourvoyée. À cause du salut de l'âme des Latins désireux de se convertir, elle a eu parfois l'indulgence de ne pas exiger leur baptême dans l'Église Orthodoxe, bien que leur rite de l'aspersion diffère, dans ses formes, du rite de l'Église Orthodoxe. Elle a néanmoins gardé intact son enseignement dogmatique concernant l'unité de l'Église.


Les décisions de l'Église et les Pères qui font autorité exigeaient la Chrismation des Latins. La réception des Latins dans l'Église sans la Chrismation n'était qu'une coutume locale de l'Église Russe introduite sous l'influence du « Trebnik » de Pierre Moghila et encouragée par l'esprit théologique du Catholicisme lui-même. Toutes les tristes conséquences de l'influence de la Scolastique latine sur notre théologie ne doivent pas avoir plus d'autorité que l'enseignement de l'Église ancienne et de l'Église Orientale, l'héritière directe de ses dons vivifiants.


N'est-il pas convaincant que dans l'Église Orientale, on ait toujours eu pour règle de recevoir les Latins par la Chrismation, tout comme l'Église ancienne recevait les Ariens, les Macédoniens et les Apollinaristes ? L'Église n'a-t-elle pas montré par là qu'elle considérait que les Latins ne font pas davantage partie de l'Église que les Ariens et les autres hérétiques ?
Dans vos lettres à l'archevêque Antoine, vous ne dites pas ce que vous pensez des usages passés et présents concernant le rebaptême des Latins. Mais je ne crois pas me tromper en condamnant absolument vos réflexions à ce sujet.


Notre pratique de baptiser les Latins vous semble, bien sûr, une erreur et même un blasphème contre un sacrement. Pierre Moghila le latinisant a aussi, dans son « Trebnik », tendance à proclamer un peu vite que : « Celui qui ose administrer une seconde fois les Saints Mystères commet un sacrilège, il crucifie une seconde fois le Christ et L'insulte ».


Il y a soixante-dix ans à peu près, le théologien anglais W. Palmer, dans une lettre au remarquable A. S  Khomiakov, condamna directement l'Église Orthodoxe pour le rebaptême des chrétiens. Palmer considérait cela comme un signe de fausseté, parce qu'en modifiant ses usages, l'Église Orthodoxe admettait elle-même qu'elle pouvait se tromper.


Dans sa réponse A. S. Khomiakov semble un peu ébranlé, pourtant l'esprit de ce théologien de valeur n'est pas resté sans répondre par « d'authentiques arguments que je veux citer ici : « les erreurs locales ne sont pas les erreurs de l'Église, mais des erreurs d'individus qui ignorent les règles ecclésiastiques. Ce sont donc ces individus qui sont responsables (qu'ils soient évêques ou laïcs). L'Église elle-même est pure et sans tache, elle corrige les erreurs locales sans avoir besoin d'être réformée. J'ajouterai qu'à mon avis, même dans ce cas l'Église n'a jamais changé de doctrine, et que s'il y a eu des variantes dans le rite, sa signification, elle n'a jamais été altérée. Tous les sacrements ne sont accomplis que dans le sein de la Véritable Église, et la forme importe peu. La réconciliation renouvelle ou complète les sacrements, donnant un sens plein et orthodoxe au rite qui, auparavant, était insuffisant ou hétérodoxe, et la réception des sacrements précédents est contenue virtuellement dans le rite ou l'acte de réconciliation. Par conséquent la répétition visible du baptême ou de la chrismation, même si elle n'est nécessaire, ne peut-être considérée comme une erreur et n'établit qu'une différence de rite sans qu'il y ait différence d'opinion. Vous comprendrez mieux mon point de vue si je compare tout cela à un autre fait de l'histoire ecclésiastique. L'Église considère le mariage comme un sacrement et pourtant admet les païens mariés en son sein sans les remarier. C'est la conversion qui donne valeur de sacrement à l'union antérieure sans que le rite soit répété. Vous devez admettre cet argument, sinon vous admettrez l'impossible, à savoir que le sacrement de mariage était en lui-même parfait, lors de l'union légitime du couple païen. L'Église ne remarie pas les païens et les juifs. Mais serait-il faux de les remarier ? Certainement pas, même si le rite semblait alors modifié ».


Ainsi vous le voyez, la position de Khomiakov est presque identique à celle que l'Église a toujours eue. Beaucoup ne la comprennent pas, à cause de la doctrine latine des sacrements qui soutient que les sacrements peuvent être accomplis même en dehors de l'Église Une du Christ. La Foi vivante de A. S  Khomiakov en l'unité de l'Église lui permet d'expliquer la diversité des pratiques de l'Église en ce qui concerne les hétérodoxes sans détruire la doctrine de l'unité de l'Église. Ma Foi en l'unité de l'Église du Christ que nous confessons dans le 9e article du Credo m'empêche absolument d'accepter la conception de l'unité de l'Église que vous exposez dans vos lettres et vos brochures.


Vous ne devez pas donner une fausse image de l'Église « qui est la colombe, la seule mère des chrétiens » (Canon 68 du Concile de Carthage). Je ne peux croire en une pseudo-Église « Une », dans laquelle les Églises locales sont en guerre les unes contre les autres, ne communiant pas au même pain, baptisant ou chrismant ceux qui viennent d'une autre Église locale, et dans laquelle une Église locale crée des missions spécialement destinées à calomnier et détruire les autres. Comment peut-on appeler ceci une « Église Une » ? Quelle contre-vérité ! Et, en matière de Foi, les contre-vérités ne sont pas permises. Elles ne peuvent que nuire à l'œuvre d'unité des chrétiens.


N'allez pas croire que par mon désaccord fondamental avec vous sur la question de l'unité de l'Église, je condamne l'idée même d'une conférence mondiale des chrétiens. Je considère avec bienveillance ce projet et je prie pour sa réussite. Mais je suis fermement convaincu qu'un grand pas vers l'unité serait fait si la conférence reconnaissait en premier lieu la vérité de l'unité de l'Église, et ne considérait pas toutes les confessions et les sectes chrétiennes contemporaines réunies comme l'Église Une du Christ qui aurait perdu son unité visible.


Permettez-moi de donner un exemple pour illustrer la conception de l'unité de l'Église que je développe dans cette lettre et pour servir véritablement à l'œuvre de l'unité. Vous savez qu'il y a eu, dans l'Église latine, de nombreuses querelles concernant la validité des ordres anglicans. Dans nos Écoles de Théologie, on se pose le même problème. Je pense que ce problème, dans les termes où il est posé est sans issue. La question est ramenée sur le terrain des recherches historiques sans fin, elle est réduite, en général, à l'explication des circonstances entourant l'ordination de Parker. On débat toujours pour savoir si les anglicans ont la succession apostolique, mais, pour moi, le problème ne se pose pas. Si l'on suit le premier Canon de saint Basile, en dehors de l'Église la grâce n'existe pas, toute succession apostolique est illégitime, puisque c'est alors un laïc (et, en réalité moins que cela) qui impose les mains sur un autre laïc, sans lui communiquer la moindre grâce, puisqu'en dehors de l'Église il n'y a pas et il n'y en aura jamais.


Les théologiens russes qui débattent de la légitimité de la hiérarchie anglicane partent du principe prétendument irréfutable que les premiers évêques romains d'Angleterre étaient de véritables évêques possédant la grâce de l'Église, et cette solution positive suffit à prouver la continuité de la succession apostolique. Mais d'après le canon de saint Basile le Grand, il est impossible de recevoir la grâce de l'Église par l'intermédiaire d'évêques appartenant à une communauté étrangère à l'Église, comme l'étaient les évêques latins d'avant la Réforme en Angleterre, car la grâce s'était déjà tarie depuis le schisme de 1054. Vous pensez : quel rigorisme ! Quelles sombres perspectives ! Comment l'unité pourrait-elle être réalisée si l'on soutient pareille thèse ?


Eh bien ! Elle devient tout à fait possible au contraire et s'en trouve facilitée. D'après le 79e Canon du Concile de Carthage que j'ai déjà cité, tout le clergé anglican peut être reçu dans l'Église sans qu'aient lieu toutes ces recherches érudites et ces querelles. Selon ce Canon, « il ne faut pas faire obstacle à l'union si c'est pour le salut des âmes ». Je pense que la manière contemporaine de poser les problèmes fait « obstacle à l'union ». Un examen historique du problème ne peut que motiver l'application du 79e Canon du Concile de Carthage. Mais j'ai déjà assez invoqué ces raisons, et les querelles se prolongent parce que la question est mal formulée ; il est absurde, en effet, de vouloir établir sur des faits historiques une vérité dogmatique qui n'a absolument aucun rapport avec ces faits. J'espère que cet exemple vous convaincra.


Puisse l'enseignement que j'ai présenté sur l'unité de l'Église et l'unité de la grâce servir l'œuvre d'union des chrétiens et n'être pas un facteur de division. L'union avec l'Église – la participation au corps de l'Église du Christ Une et vivante – est la première des priorités. Ce qu'un homme a été avant de rejoindre l'Église ne doit pas compter : ce qui compte pour son salut c'est qu'il devienne, en s'unissant à l'Église, un membre du Corps du Christ.


Par conséquent nous ne fermerons pas les yeux devant la triste réalité, nous ne craindrons pas non plus de confesser que nous n'appartenons pas tous ensemble à l'Église Une du Christ. Parler d'union, tout en détruisant et en rendant obscure l'idée même de l'Église Une du Christ servira-t-il l'œuvre d'unité ? Pourquoi bâtir un édifice sur le sable quand nous avons le roc sûr et indestructible de l'Église du Christ ?
Notre lot est de vivre en des temps de grands bouleversements mondiaux. La tour culturelle de Babel est en train de s'effondrer. Dans un futur proche ne poserons-nous pas de nouvelles pierres sur l'édifice mystique de l'Église Une du Christ ? Si seulement cela pouvait être vrai ! Si seulement l'inimitié et la guerre étaient remplacées par la joie dans les cieux et sur la terre devant l'accroissement du nombre des enfants de la vraie Église Une !


Je prie Dieu de m'accorder, à moi qui suis encore jeune, de vivre des temps où nous serons tous deux réunis dans l'Église Une du Christ, et où de tous les coins du monde nous communierons au même pain.


18 janvier 1917.
Mémoire de nos Pères parmi les Saints.
Athanase et Cyrille d'Alexandrie.


Appendice
Nous présentons ici, en appendice, le texte de la déclaration ou « Tome » de l'Église Orthodoxe daté de 1756 à Constantinople qui a une valeur œcuménique puisqu'il a été signé ou reconnu par les quatre grands patriarcats de l'Orient. Il est signé, en effet, du Patriarche Cyrille V de Constantinople, de Matthieu d'Alexandrie, de Parthène de Jérusalem et il a été reconnu officiellement par le Patriarche d'Antioche Sylvestre qui n'a pas assisté à ce concile de 1756.


Le texte en est paru en grec du vivant du Patriarche Cyrille V qui a terminé sa vie en se sanctifiant comme ermite près de la Skite de Sainte Anne sur la Sainte Montagne. Une seconde édition grecque, latine et italienne est parue en 1758 à Leipzig dans un livre intitulé « Réfutation de l'aspersion ». Ce tome de 1756 a une très grande importance, car jamais l'Église Grecque, ni celle de Constantinople ne sont revenues officiellement sur lui. Certes, aujourd'hui, l'Église de Constantinople, surtout dans la diaspora et du fait de l'œcuménisme, a adopté la théologie hérétique d'un Pierre Moghila et reconnaît dans la pratique le baptême des hétérodoxes. Mais, en Grèce comme dans le Patriarcat de Jérusalem, « la mère des Églises », la situation est différente et l'on reçoit par le baptême les hétérodoxes qui se convertissent.


Cette fidélité à la tradition n'est pas ici le seul fait des Confesseurs orthodoxes en butte à l'œcuménisme – que l'on nomme parfois vieux-calendaristes ou zélotes – dont la lutte est à l'image des Pères du passé ; mais, même l'Église d'État en Grèce continue de baptiser les hétérodoxes et de considérer les Latins comme « hors de l'Église ». Ainsi un document assez récent de tous les théologiens grecs, c'est-à-dire de tous ceux qui sont issus d'une École de Théologie, est paru dans le numéro d'avril-juin 1980 de la revue « Koinonia », niant tout caractère « d'Église » à Rome et aux Latins. Les écrits du Professeur Mouratidès, du P. Georges Métallinos et de l'admirable théologien laïc qu'est le Docteur Alexandre Kalomiros viennent confirmer, aujourd'hui encore, l'autorité du Concile de 1756 et la règle patristique du baptême des hétérodoxes. De même, à Jérusalem, les Latins sont baptisés selon les règles orthodoxes, car ils n'ont pas même la forme du baptême, c'est-à-dire la triple immersion, qui autoriserait de les chrismer tout en les considérant toujours comme étrangers à l'Église.


Un canoniste contemporain, Pierre l'Huillier, pourtant hostile à la règle du baptême, doit reconnaître ce fait : « Le décret sur la rebaptisation édicté au XVIIIe siècle à Constantinople n'a jamais depuis lors été aboli ; de même les instructions contenues dans le Pidalion n'ont pas davantage fait l'objet d'une quelconque réprobation officielle ».


Le Pidalion est le recueil des Canons de l'Église Orthodoxe commenté par Saint Nicodème Haghiorite ; il fait autorité dans l'Église Orthodoxe et il a été confirmé par un décret officiel de l'Église de Constantinople daté de 1802. Nous en présentons ici un court extrait traduit et introduit par le Père Ambroise Fontrier où l'on peut voir clairement la position de Saint Nicodème concernant le « baptême » des Latins ; ce texte est paru en 1982 dans la « Catéchèse Orthodoxe » n°34. Dieu voulant, nous publierons prochainement l'ensemble des Commentaires de Saint Nicodème sur le baptême.
Nous avons lu aussi, dans la vie de Jean le Roumain, un ascète contemporain, publiée par le journal « Orthodox life », un fait intéressant. Jean le Roumain, qui quitta la Roumanie à cause du modernisme et du changement de calendrier, est vénéré en Palestine comme un grand saint et son corps est parfaitement incorrompu. Du fait de l'esprit très latinisant qui régnait au début de notre siècle en Roumanie le futur hiéromoine Jean, nommé alors Élie, n'avait pas été baptisé de façon orthodoxe, mais à la façon des Latins, par aspersion. Avant de devenir moine au monastère de Neamt auprès des derniers descendants spirituels de l'admirable Païssius Velichkovsky, il demanda à être rebaptisé selon les règles orthodoxes, croyant avec saint Nicodème qu'un baptême sans la triple immersion ne peut pas même être reconnu par économie, car il est la transgression de la règle même du baptême, la triple immersion, figure de la mort et de la Résurrection de notre Seigneur Jésus Christ.
Nous citons ce fait car l'exemple des Pères et des saints montre quel respect et quelle crainte exige le mystère du saint baptême. Nombreux, en effet, sont ceux qui s'attaquent aujourd'hui à ce mystère qui est celui de notre incorporation à l'Église Une. Sous prétexte d'économie, du fait du contexte confus de l'œcuménisme, ils suivent et dépassent même la théologie augustinienne et hérétique de Pierre Moghila qui ne date pourtant que du XVIIIe siècle en Russie. Ainsi ils reconnaissent les sacrements des hétérodoxes et placent au fronton de nos « Églises » des signes nouveaux, des signes que nous ne connaissons pas (Psaume 73), comme, par exemple, le rite du crachement sur l'Occident pour la réception des hétérodoxes (sans chrismation ni baptême).


Grâce à Dieu, une partie de l'Église Russe est revenue à la règle orthodoxe puisqu'en 1971, le Concile des évêques de l'Église Russe Hors Frontières publiait une déclaration demandant à tous ses clercs de respecter la tradition patristique du baptême des hétérodoxes, et d'user d'économie seulement quand les circonstances l'exigeraient vraiment.


Dans la « Hiérarchie Ecclésiastique », le grand Denys de l'Aéropage décrit le mystère du baptême, et comment « l'homme enflammé par l'amour des réalités qui ne sont pas de ce monde » et qui veut naître de Dieu pour atteindre l'union avec son créateur, demande le baptême à l'Église, par lequel il deviendra une créature nouvelle dans l'humanité nouvelle qu'est l'Église. Parlant de la grandeur de ce mystère, saint Denys écrit : « Initions-nous maintenant aux divers symboles de la naissance de Dieu en nous. Mais qu'aucun profane surtout n'assiste à ce spectacle. Car il n'est pas sans danger pour des yeux faibles de fixer les rayons du soleil, on ne saurait toucher sans péché à ces mystères qui nous dépassent ».


Puissent de nombreux occidentaux, persuadés de la grandeur du mystère du baptême demander eux-mêmes « à revêtir le Christ », selon les règles de la Sainte Église Orthodoxe pour que soit glorifié le Père, le Fils et le Saint Esprit. AMEN.


TOME
DE LA SAINTE ÉGLISE DU CHRIST
CONCERNANT LE BAPTÊME DONNÉ PAR DIEU
ET CONDAMNANT LES DIVERS BAPTÊMES ADMINISTRÉS PAR LES HÉRÉTIQUES


Parmi les divers moyens qui existent pour nous rendre dignes d'être sauvés et qui sont liés les uns aux autres par degré dans le même but de notre salut, le premier est le baptême donné par Dieu aux saints Apôtres ; son importance est telle que sans lui les autres sont sans effet, puisque le Seigneur a dit que celui qui n'est pas né par l'eau et par l'Esprit n'entrera pas dans le Royaume des Cieux. Il était opportun et même nécessaire de créer ainsi une naissance différente de la première naissance qui fait entrer l'homme dans la vie mortelle, une naissance spirituelle, qui ne commence pas et qui ne finisse pas par la corruption, et grâce à laquelle il nous est possible d'imiter l'auteur de notre salut, le Seigneur Jésus Christ.


Ainsi, dans le baptême, l'eau des fonts baptismaux tient lieu de sein maternel, et celui qui en naît devient enfant du Christ, comme nous le dit saint Jean Chrysostome. Et l'Esprit Saint qui recouvre les eaux façonne là aussi divinement « l'embryon ». Enfin, comme le Seigneur qui a demeuré trois jours dans le tombeau, puis est ressuscité le troisième jour, le croyant sort – non du tombeau mais des eaux baptismales – et la triple immersion lui confère la grâce de la Résurrection du troisième jour, les eaux ayant été sanctifiés par la descente du Saint Esprit afin que le corps soit illuminé par l'eau visible et l'âme par l'Esprit invisible. Ainsi, comme l'eau fortement chauffée acquiert la chaleur du feu, l'eau du baptême, transformée en puissance divine par l'Énergie du Saint Esprit, purifie et rend digne de l'adoption divine ceux qui en sont baptisés. En revanche, ceux qui sont baptisés d'une autre façon, loin d'être purifiés et adoptés, demeurent impies et enfants des ténèbres.
Depuis trois ans maintenant, la question se pose de savoir s'il est possible d'accepter les baptêmes des hérétiques qui veulent se joindre à nous et qui ont été accomplis contrairement à la tradition des Saints Apôtres et des Saints Pères et aux prescriptions de l'Église Universelle et Apostolique.
Par la grâce de Dieu, nous avons été nourris et nous avons grandi dans l'Église Orthodoxe en suivant les Canons des Saints Apôtres et des Pères Saints et nous savons que notre Église est seule l'Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique ; aussi d'elle seule nous acceptons le Baptême et les Saints Mystères. Au contraire les mystères des hérétiques sont des inventions d'hommes corrompus parce qu'ils ne sont pas administrés comme le Saint Esprit l'a ordonné aux saints Apôtres et comme l'Église du Christ les accomplit encore aujourd'hui. Ainsi, les sachant totalement étrangers à la Tradition Apostolique, de façon unanime, nous les avons en horreur.


Nous recevons donc comme profanes et non baptisés ceux d'entre les hérétiques qui viennent à nous, suivant en cela notre Seigneur Jésus Christ qui a ordonné à ses disciples : « Baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit » et les saints et divins Apôtres qui ont ordonné que ceux qui s'approchent soient baptisés par la triple immersion et l'invocation des trois hypostases de la Sainte Trinité.
Nous suivons en cela le saint et vraiment « égal aux Apôtres » Denys qui dit : « Celui qui vient à nous se dévêt et est immergé trois fois dans les fonts contenant l'eau et l'huile sainte alors que l'on invoque les trois Hypostases de la Divine Bonté. Immédiatement après le baptisé reçoit le sceau de la Myrrhe divine et devient participant de la très sainte Eucharistie ».


Nous suivons également les Saints Conciles Œcuméniques de Constantinople et Quinisexte qui ordonnent de considérer comme non baptisés ceux qui viennent à l'Orthodoxie sans avoir été baptisés de la triple immersion ou sans que le nom d'une hypostase de la Sainte Trinité ait été prononcé à chaque immersion.


Fidèles à ces préceptes saints et divins, nous déclarons que les baptêmes des hérétiques, du fait qu'ils sont effectivement étrangers aux décrets apostoliques et divins, sont des eaux inutiles, comme l'affirment saint Ambroise et saint Athanase le Grand ; ces « baptêmes » là ne donnent aucune sanctification à ceux qui les reçoivent, et ne leur apportent en rien la rémission des péchés. Ils doivent donc être rejetés et évités comme une abomination.


Quant à ceux qui viennent à l'Orthodoxie avec l'un de ces faux baptêmes, nous les recevons comme des non-baptisés et nous les baptisons sans crainte en suivant les canons apostoliques et synodaux sur lesquels notre mère à tous, l'Église Sainte, Catholique et Apostolique du Christ est bâtie.


Telle est notre décision et notre résolution commune et nous appliquons notre sceau à ce Tome qui est en harmonie avec les décrets apostoliques et synodaux, le confirmant encore par notre signature.


En l'année de notre salut 1756.


CYRILLE, par la miséricorde de Dieu, Archevêque de Constantinople, Nouvelle Rome, et Patriarche Œcuménique.


MATTHIEU, par la miséricorde de Dieu, Pape et Patriarche de la grande cité d'Alexandrie et juge de l'Œcuménè.


PARTHÈNE, par la miséricorde de Dieu, Patriarche de la cité sainte de Jérusalem et de toute la Palestine.


(SYLVESTRE, Patriarche d'Antioche, absent du Concile, a approuvé la déclaration).


LES CANONS 46 ET 47 DES APÔTRES
COMMENTÉS PAR SAINT NICODÈME L'ATHONITE

Saint Nicodème l'Athonite (+ 1809), dans l'introduction à son recueil des CANONS appelé en grec PIDALION, c'est-à-dire GOUVERNAIL, dit que le Livre des Saints Canons est, après « la Sainte Écriture, après l'Ancien et le Nouveau Testament, un testament ; après les paroles premières, divines et inspirées, des paroles secondes également inspirées. Ce livre contient les Bornes Éternelles, que nos Pères ont placées, les Lois faites pour l'Éternité… décrétées par le Saint Esprit, lors des Conciles Œcuméniques et locaux… Ce livre est le gouvernail de l'Église. Gouvernée par lui, elle conduit au Port du Royaume Céleste, en toute sécurité, les marins et les passagers – j'entends les clercs et les laïcs – qui prennent place à son bord… Ce livre est le fruit, le résultat, le but pour lesquels des Patriarches ont œuvré, une foule d'évêques théophores et pneumatophores, souvent vieux et malades, sont venus des confins du monde, pour participer aux Conciles Œcuméniques et locaux… » « Les saints et divins Canons, dit encore saint Nicodème, sont des sources d'eaux vives, des fondements spirituels… »


Nous allons citer ces CANONS ou RÈGLES, suivant l'ordre d'ancienneté, suivis des notes et des commentaires de notre saint. Et voici le 46e CANON des saints Apôtres.


L'ÉVÊQUE OU LE PRÊTRE QUI RECONNAITRA (comme valables) LE BAPTÊME OU LE SACRIFICE (Eucharistie) DES HÉRÉTIQUES, QU'IL SOIT DÉPOSÉ. CAR QUEL ACCORD Y-A-T-IL ENTRE LE CHRIST ET BÉLIAL OU QUELLE PART A LE FIDÈLE AVEC LES INFIDÈLES ?


COMMENTAIRE


Les chrétiens orthodoxes doivent éviter les hétérodoxes et leurs offices. L'évêque ou le prêtre orthodoxe, doit réfuter, instruire et exhorter l'hétérodoxe à renoncer à son égarement. Voilà pourquoi le présent canon ordonne que soit déposé l'évêque ou le prêtre qui reconnaîtra comme valable le baptême et l'eucharistie des hérétiques. Car quel accord y a-t-il entre le Christ et Bélial, c'est-à-dire le diable, ou quel part a le fidèle avec l'infidèle ? Ceux qui reconnaissent les « sacrements » des hérétiques communient à leurs doctrines, et ce faisant ils prouvent qu'ils n'ont aucun désir de les délivrer de leur cacodoxie. Et ceux qui participent à leurs fêtes, comment pourront-ils les exhorter à renoncer à leur égarement ?

CANON 47


L'ÉVÊQUE OU LE PRÊTRE QUI BAPTISERA À NOUVEAU CELUI QUI AURA REÇU LE VRAI BAPTÊME, OU QUI NE BAPTISERA PAS CELUI QUI A ÉTÉ SOUILLÉ PAR LES IMPIES, SERA DÉPOSÉ ; CAR IL AURA, CE FAISANT, TOURNÉ EN DÉRISION LA CROIX ET LA MORT DU SEIGNEUR, EN NE DISCERNANT PAS LES PRÊTRES DES FAUX PRÊTRES.

COMMENTAIRE


Il n'y a qu'UN SEUL BAPTÊME, celui que le Seigneur, les divins Apôtres et les saints Pères ont transmis aux chrétiens orthodoxes. Il n'y a qu'un seul baptême, parce que Une est la Croix, Une la Mort du Seigneur dont le Baptême est la figure. « Il y a un Seul Seigneur, une Seule Foi, un seul Baptême… » écrit l'Apôtre Paul (Éph. 4, 6). Voilà pourquoi ce 47e Canon des Apôtres ordonne que l'évêque ou le prêtre qui baptisera à nouveau et complètement celui qui a déjà reçu le Vrai Baptême, selon les prescriptions du Seigneur, des Apôtres et des Saints Pères, qu'il soit déposé, déchu, parce qu'en rebaptisant, il crucifie le Fils de Dieu et l'expose à l'ignominie (Héb. 6, 4 ; Rom. 6, 5). De même l'évêque ou le prêtre, QUI NE BAPTISERA PAS DU VRAI BAPTÊME DE L'ÉGLISE, celui qui aura reçu le baptême « souillé » des impies, c'est-à-dire des hérétiques, cet évêque ou ce prêtre sera déchu, déposé de sa charge ; car en reconnaissant comme figure de la Croix et de la Mort du Seigneur, le baptême « souillé » des hérétiques, il tourne en dérision la Croix et la Mort du Seigneur. Il sera aussi déchu, pour n'avoir pas discerné les vrais prêtres orthodoxes des pseudo-prêtres des hérétiques et pour les avoir considérés comme ses égaux.


Ceux qui sont baptisés par les hérétiques ne peuvent être de vrais chrétiens, leurs ordinations sont sans valeur et leurs prêtres ne sont pas de vrais prêtres, selon le 68e Canon des Apôtres.


Nous avons dit plus haut que le baptême était la figure de la Croix et de la Mort du Christ, écoutons maintenant saint Paul le confirmer : « Ignorez-vous, écrit-il aux Romains (6, 3), que nous tous, qui avons été baptisés en Jésus Christ, c'est en sa mort que nous avons été baptisé. Nous avons été ensevelis avec Lui par le Baptême en sa Mort… Nous sommes devenus une même plante avec Lui, par la conformité à sa mort ». La Croix, elle aussi, a été appelée BAPTÊME par le Seigneur Lui-même : « Il est un BAPTÊME dont je dois être baptisé, et combien je suis angoissé jusqu'à ce qu'il soit accompli » (Lc 12, 50).

Saint Nicodème ajoute, à la fin du commentaire de ce Canon : « À propos des Latins nous ne disons pas que nous les rebaptisons, mais que nous les baptisons, parce que leur baptême est faux ; ce n'est pas un baptême mais une simple aspersion ».

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