dimanche 5 avril 2020

Wladimir Guettée, De La Papauté (II).

DEUXIEME PARTIE


                       LA PAPAUTE HERETIQUE



                                            I

                        L'HERESIE DU FILIOQUE


         

Cette hérésie est relative au dogme de la sainte Trinité. Personne ne conteste que, dans l'Eglise romaine, on a ajouté au symbole de Nicée, après les mots : qui procède du Père, ceux-ci : et du Fils.
Ces mots renferment-ils une hérésie formelle, c'est-à-dire une doctrine opposée à celle qui a été admise dès l'origine de l'Eglise? Est-il vrai que la doctrine romaine soit une erreur destructive du dogme d ela Trinité? S'il en est ainsi, cette erreur formera une hérésie dont la papauté sera principalement responsable.
Nous reconnaissons que l'addition au symbole a été faite d'abord en Espagne au VIIe siècle; que l'Eglise de France travailla activement à sa propagation au VIIIe siècle; que le pape Léon III s'opposa à l'addition. Mais il n'en est pas moins vrai que, un siècle environ après, la papauté admit cette addition et que son exemple la consacra pour l'Occident tout entier.
Ce sont là des faits historiques sur lesquels nous n'avons pas à nous étendre, car ils ne sont contestés par aucun théologien sérieux.
Le principal argument dont on s'est servi pour excuser l'addition faite au symbole, c'est que les mots filioque n'expriment que l'ancienne foi, et que, de tout temps, les Eglises particulières ont joui du droit de compléter le symbole.
Le symbole primitif, disent les théologiens latins, et principalement le P. Perrone, a reçu des additions en diverses Eglises, sans que pour cela l'unité entre ces Eglises ait été rompue (209).
(209) : ( Perrone, Tract. de Trinit., c. V, proposit.2).
L'Eglise romaine a donc pu ajouter au symbole de Nicée le filioque sans que les Grecs aient raison de réclamer.
Ce raisonnement est faux de tout point. D'abord, il n'y a pas eu de symbole primitif avec une formule admise universellement. Chaque Eglise principale avait son symbole; dans tous les symboles sont exprimées les mêmes doctrines fondamentales du christianisme, et les différences qui existent entre eux, quant aux expressions, n'altèrent point le fond d ela doctrine qui était le même dans toutes les Eglises.
Il est donc faux de dire qu'un symbole primitif universellement admis a été modifié en quelques points secondaires dans certaines Eglises particulières.
Alors que ce fait serait vrai, l'addition du filioque n'en serait pas moins illégitime pour deux raisons : d'abord elle a été faite malgré une défense formelle du concile oecuménique d'Ephèse qui a décrété que l'on n'ajouterait rien au symbole tel qu'il était reçu de son temps; de plus, parce que cette addition renferme une grave erreur.
Sans doute, dans le cas où une hérésie nouvelle demanderait une nouvelle attestation de la foi constante de l'Eglise, un concile oecuménique aurait le droit d'insérer au symbole les mots nécessaires à la profession exacte et explicite de l'ancienne foi. Mais tel n'est pas le cas de l'addition des mots filioque introduits dans le symbole par une Eglise particulière, celle d'Espagne, qui n'avait pour cela aucune autorité. Si l'Eglise de France s'est ensuite prononcée pour la même addition, et si, enfin, Rome consentit à l'admettre après plus d'un siècle d'hésitation et entraîna dans l'erreur le reste des Eglises occidentales, tout cela ne forme pas la voix de l'Eglise universelle constatant sa foi antique. L'addition étant exclusivement occidentale est par là même illégitime et constitue une violation flagrante d'une loi émanant de l'autorité de l'Eglise elle-même par l'organe du concile oecuménique d'Ephèse.
L'addition des mots filioque au symbole est d'autant plus illégitime qu'ils renferment une erreur destructive du dogme de la Trinité, dogme qui forme la base du christianisme.
Depuis que, en Occident, on eut admis l'addition, on s'efforça de prouver que la doctrine dont elle est l'expression était celle des premiers siècles et de toute l'Eglise primitive. On cita des textes nombreux que l'on eut soin d'interpréter dans un sens favorable à la thèse qu'on voulait soutenir.
Ces textes peuvent être classés en trois catégories : les premiers sont absolument controuvés; les seconds sont altérés essentiellement; les troisièmes sont mal interprétés.
Un docte théologien, Zoernicaw, a consacré sa vie à l'examen de tous les textes relatifs à cette discussion. Le résultat de ses recherches a été que l'Eglise orientale avait raison; que les Eglises occidentales ne pouvaient se prévaloir de l'antique tradition. Ce résultat le conduisit à un autre : celui de la vérité de l'Eglise orientale dans laquelle il entra, après avoir abjuré les erreurs du protestantisme.
Nous n'entreprendrons pas certainement de refaire le travail de Zoernicaw. Mais il est nécessaire, pour convaincre la papauté d'hérésie touchant le dogme de la Trinité, de constater quelle a été la doctrine antique, et quelle est celle qu'elle soutient aujourd'hui.
Pour bien comprendre les textes des Pères dont on a prodigieusement abusé sur cette question, il faut d'abord exposer la doctrine générale sur la Trinité, d'après les plus anciens monuments doctrinaux de l'Eglise. La voici :
En Dieu unique, il y a trois personnes et une seule essence. Les trois personnes ont donc quelque chose de commun et quelque chose de distinct. Ce qui est commun, c'est ce qui est essentiel; ce qui est distinct, c'est ce qui est personnel; l'attribut personnel et distinctif du Père, c'est qu'il est Père ou principe; l'attribut personnel et distinctif du Fils, c'est qu'il est Fils ou engendré; l'attribut personnel et distinctif du Saint-Esprit, c'est qu'il procède ou émane.
De qui procède-t-il? Saint Jean, dans son Evangile, dit positivement qu'il procède du Père (Joann.XV, 26). Il ne pourrait en effet procéder du Fils sans que le Fils fût principe comme le Père; si le Fils était principe à un degré quelconque, il participerait à l'attribut personnel et distinctif du Père; sa personne se confondrait avec celle du Père, et le dogme trinitaire n'existerait plus, puisqu'il n'existe qu'à la condition que chaque attribut personnel reste distinct et incommunicable.
Tous les textes des Pères allégués par les théologiens latins et dont ils abusent ne peuvent se rapporter qu'à ce qui est essentiel dans la Trinité; leur faux raisonnement consiste en ce qu'ils font les font rapporter, à l'aide de sophismes subtils et souvent incompréhensibles, à ce qui est personnel, sans vouloir être convaincus qu'en agissant ainsi ils affirment que tous les Pères ont, ou nié le dogme fondamental du christianisme, ou manqué d'intelligence au point de soutenir une vérité qu'ils détruisaient en réalité par leurs raisonnements.
Parmi les Pères Latins, celui dont on a le plus abusé et qui, il faut le reconnaître, fournissait les textes les plus précis en faveur du dogme romain, est le bienheureux Augustin, évêque d'Hippone. Dans ses Traités sur saint Jean et son Traité de la Trinité, il semble si précis en faveur de la procession du Père et du Fils, qu'on le prendrait pour un moderne défenseur de cette erreur. Cependant, il n'en est rien, et c'est le bienheureux Angustin lui-même qui l'atteste dans une phrase que les défenseurs de l'erreur romaine se sont bien gardés de citer.
Après s'être étendu fort longuement sur les relations essentielles qui existaient entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit, le docte écrivain s'exprime ainsi, à la fin de son Traité de la Trinité (210) :
(210) : ( Saint August., De Trinit., § 47).
"Le Saint Esprit procède du Père principalement ( comme de son principe); il procède de l'un et l'autre communément. S'il procédait du Fils principalement, on dirait qu'il est le fils du Père et du Fils, puisque les deux l'auraient engendré, CE QUI REPUGNE AU BON SENS. Le Saint-Esprit n'a donc pas été engendré par l'un et l'autre, mais il procède de l'un et l'autre étant l'esprit des deux."
En lisant saint Augustin, après avoir médité cette maxime, on comprend parfaitement que le mot procéder est pris par lui en deux sens : avoir son origine de et sortir de. Dans le premier sens, il est contraire au bon sens de dire que le Saint-Esprit procède du Fils; dans le second sens, le Saint-Esprit vient du Père au Fils qui l'envoie en ce monde, le communique au monde.
Saint Augustin soutient ces deux doctrines que principalement ( comme de son principe) le Saint-Esprit ne procède que du Père; que le Fils ne le tient que du Père (211).
(211) : ( Ibid. Tract. XCIX, in Joann., § VI et sq).
Il contredit ainsi positivement la doctrine romaine : que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils, comme d'un principe unique; ou par le Fils, comme le moyen par lequel il aurait agi.
En comparant et en rapprochant les divers textes de saint Augustin sur le même sujet, on voit sans aucune difficulté qu'on n'a pu en faire un partisan de l'erreur cachée sous le filioque qu'en interprétant dans un sens erroné un mot qu'il entendait dans un sens orthodoxe.
Il y a une double expression, dans les Pères, pour exprimer les relations du Saint-Esprit avec le Père et le Fils. Les Pères grecs ne se servent que d'expressions conformes à celles de l'Evangile ( ekporeuesthai, ekporeusis, ekporeuma), pour désigner la procession du Père comme principe de l'Esprit. Ils emploient d'autres mots qui n'ont que le sens de communication pour signifier l'action du Fils envoyant l'Esprit qu'il tenait du Père.
Nous le prouverons dans la suite d ece travial.
Il en est de même dans les pères Latins qui se servent des mots fons, spiratio, ou autres analogues pour dire que le Saint-Esprit vient du Fils; mais qui réservent le mot processio pour exprimer l'acte éternel par lequel l'Esprit procède du Père comme de son principe.
Nous le prouverons également.
Toute l'habileté des théologiens latins consiste en ce qu'ils interprètent dans le sens de procession éternelle, tous les mots employés par les Pères pour exprimer, soit la relation éternelle et essentielle qui existe entre le Fils et le Saint-Esprit, soit l'envoi ou la mission du Saint-Esprit par le Fils. C'est au moyen de ce procédé qu'ils ont pu revendiquer la tradition catholique qui les condamne formellement.
Après ces considérations générales, nous allons entrer dans un examen plus précis de la doctrine des Pères de l'Eglise, afin de constater quelle a été la foi primitive, à laquelle nous comparerons ensuite la doctrine romaine.
Avant de citer les textes où les Pères ont enseigné, soit comme échos de la foi de leur temps, soit comme théologiens, il sera bon de faire connaître le sens qu'ils ont attribué aux textes de l'Ecriture, cités par les Occidentaux à l'appui de leur opinion. De cette manière, nous interpréterons l'Ecriture d'après la règle catholique, et les commentaires des docteurs de l'Eglise nous initieront à leur vraie doctrine.
L'Ecriture contient ce texte :
" Lorsque le consolateur, l'Esprit de vérité qui procède du Père, et que je vous enverrai de la part de mon Père, sera venu, il rendra témoignage de moi." ( Saint Jean, XV, 26). Est-il vrai que cette expression : qui procède du Père, désigne la procession éternelle du Saint Esprit, et non pas son envoi temporaire? S'il désignait son envoi temporaire, il faudrait admettre que le Sauveur a exprimé la même idée par les mots : qui procède et je vous enverrai. Or, il suffit de remarquer que l'action de procéder est exprimée par un verbe au présent comme un acte qui existe, et que la seconde est exprimée par un verbe au futur, comme un acte qui n'existe pas encore, pour être convaincu que Jésus-Christ a eu en vue deux actes différends : le premier qui a le Père pour principe, le second dont lui-même est l'agent de la part du Père. La procession éternelle du Père et l'envoi temporaire, du Père par le Fils, sont donc fort clairement indiqués dans le texte cité. Jésus-Christ a toujours désigné de la même manière l'envoi ou la communication de l'Esprit : " Il vous donnera un autre consolateur." (Jean, XIV, 16.) " Mon père l'enverra en mon nom." ( Ibid., 26) " Je vous l'enverrai de la part de mon Père." (Ibid., XIV, 26.)
Voici les commentaires des Pères de l'Eglise :
Saint Basile de Césarée s'exprime ainsi : " L'Esprit de Dieu procède du Père, c'est-à-dire de sa bouche; ne le prends donc pas pour quelque chose d'extérieur, de créé, mais glorifie-le comme tenant de Dieu son hypostase." (Homél. sur le Ps.XXXII.) Le saint évêque de Césarée entend donc bien, par le mot procéder, l'acte éternel par lequel le Saint-Esprit est produit. Dans son Homélie contre les Sabelliens, il donne le même sens au mot procéder : " Le Fils, dit-il, est sorti du Père, et l'Esprit procède du Père : l'un par génération, l'autre d'une manière inexprimable." Il met ainsi sur la même ligne les deux actes éternels du Père, en les distinguant parfaitement l'un d el'autre et en ne leur donnant que le Père pour principe.
" En restant dans les limites qui nous ont été posées, dit saint Grégoire le Théologien ( serm. 29, sur la tjéologie), nous prêchons Celui qui n'est pas né, Celui qui est né, et Celui qui procède du Père, comme le Verbe-Dieu l'a dit lui-même."
Saint Grégoire entendait donc de l'acte éternel, le mot procéder prononcé par Jésus-Christ, et il attribue cet acte au Père seul.
Saint Jean Chrysostome est aussi explicite :
"De même, dit-il ( 212), qu'il est écrit : l'Esprit de Dieu (Matth., XII, 28), et ailleurs ; l'Esprit qui est de Dieu (I Corinth., II, 11), ainsi il est dit : l'Esprit du Père ( Matth., X, 20);
(212) : ( Homélie sur le Saint-Esprit. Quelques érudits contestent l'authenticité de cette homélie que d'autres regardent comme très authentique. Les premiers, tout en prétendant qu'elle n'est pas du saint patriarche de Constantinople, conviennent qu'elle est digne d elui et d'un écrivain de la même époque. Cet aveu suffit pour qu'on puisse en appeler à son témoignage.)
et pour que tu ne voies pas là une simple analogie, le Sauveur confirme cette expression en disant : " Lorsque le Consolateur, l'Esprit de vérité, qui procède du Père, sera venu." Là, c'est de Dieu que l'Esprit procède; ici, c'est du Père. Comme il dit en parlant de lui-même : " Je suis sorti de Dieu," (Jean, XVI, 27), ainsi il atteste, en parlant du Saint-Esprit, qu'il procède du Père. Par conséquent, l'Esprit est à la fois, et l'Esprit de Dieu, et l'Esprit qui vient de Dieu le Père, et il procède du Père. Que signifie le mot procéder? Jésus-Christ ne dit pas: est engendré. Le Fils est engendré par le Père; le Saint-Esprit procède du Père. Quelle est la valeur du mot procède? Afin que l'on ne prenne pas l'Esprit pour le Fils, l'Ecriture n'emploie pas le mot est engendré, elle dit qu'il procède du Père, elle le représente procédant comme l'eau de sa source. Qui est-ce qui procède? Le Saint- Esprit. Comment? Comme l'eau de sa source. Si saint Jean, en rendant témoignage du Saint-Esprit, le nomme eau vive (Jean, VII, 38), et si le Père dit de lui-même : Ils m'ont abandonné, moi qui suis une source d'eau vive (Jean, VII, 38), et si le Père dit de lui-même : Ils m'ont abandonné, moi qui suis une source d'eau vive (Jér., II, 13), le Père est la source du Saint- Esprit, parce que l'Esprit procède de lui."
On ne pouvait mieux fixer le sens des paroles du Sauveur : Qui procède du Père.
On peut affirmer que tous les Pères les ont ainsi entendues de l'acte éternel en vertu duquel l'Esprit est produit, et le deuxième concile oecuménique les a interprétées de la même manière en les insérant dans le symbole pour exprimer cet acte éternel.
Les interpréter autrement, c'est non seulement torturer le texte en lui-même, mais se séparer de la tradition catholique, et préférer son interprétation individuelle à l'interprétation collective de l'Eglise.
Les théologiens occidentaux qui n'osent soutenir que les paroles de Jésus-Christ ne se rapportent pas à l'acte éternel qui produit le Saint-Esprit, prétendnet que le Sauveur, en disant, qui procède du Père, n'a pas exclu le Fils, parce que le Père et le Fils ont la même essence. Si la raison des Occidentaux est bonne, il faut en conclure que le Saint-Esprit procède aussi de lui-même, puisqu'il a la même essence que le Père et le Fils. Si l'on attribue à l'essence divine ce qui fait précisément la distinction des personnes, il faudra admettre que les actes propres du Père sont communs au Fils et au Saint-Esprit, et réciproquement; on détruira ainsi complètement le mystère de la sainte Trinité. Les théologiens occidentaux n'auraient pas commis leur étrange méprise s'ils avaient connu ces belles paroles de saint Grégoire de Nazianze : " L'éternité et la divinité sont communes au Père, au Fils et au Saint-Esprit; mais il appartient au Fils et au Saint-Esprit de tenir leur être du Père. L'attribut distinctif du Père, c'est de ne pas être né; celui du Fils, d'être engendré; celui de l'Esprit, de procéder." ( Grég. Naz., Sem. 25). Attribuer à une personne l'attribut qui en distingue une autre, c'est confondre deux personnes et détruire la Trinité. Ecoutons encore saint Grégoire de Nazianze : " Si le Fils et l'Esprit sont coéternels au Père, pourquoi ne sont-ils pas comme lui sans principe? Parce qu'ils sont du Père, quoiqu'ils ne soient pas après le Père."
Le Saint-Esprit est la troisième personne, dit le P. Perrone, le Fils est donc avant lui dans l'ordre de la production, et a contribué à sa procession. N'est-ce pas là nier ouvertement la coéternité des trois personnes divines? N'est-ce pas placer dans le temps la procession du Saint-Esprit; faire par conséquent du Saint-Esprit une simple créature? C'est à de pareils blasphèmes que les théologiens occidentaux ont été conduits par leurs efforts pour éluder les paroles la sainte Ecriture.
Il suffit, du reste, de comparer entre elles toutes les paroles de Jésus-Christ pour voir que, chaque fois qu'il parle de l'envoi du Saint-Esprit, il l'attribue au Père et à lui-même; mais qu'en parlant de la procession, il ne l'attribue qu'au Père, il ne mentionne que le Père. N'est-il pas évident qu'il établit ainsi une différence essentielle entre l'envoi qui est commun au Père et au Fils, et la procession qui appartient au Père seul.
Les théologiens occidentaux ont fait presque tous ce raisonnement à propos des paroles du Sauveur : " Je vous l'enverrai, etc" : Si le Fils envoie l'Esprit, c'est qu'il procède de lui. De ce raisonnement, il suivrait qu'une personne, dans la Trinité, ne pourrait être envoyée par une autre, sans en procéder. Alors, il faudrait dire que le Fils procède de l'Esprit puisqu'il a été envoyé par lui, selon cette parole d'Isaïe que Jésus-Christ s'est appliquée à lui-même : " L'Esprit du Seigneur est sur moi; c'est pourquoi il m'a sacré et m'a envoyé évangéliser, etc. ( Luc, IV, 18)." Les saints Pères ont considéré l'envoi comme un acte commun au Père, au Fils et au Saint-Esprit, à cuase d el'unité d'essence qui existe entre eux; c'est pourquoi l'envoi du Père est attribué au Saint-Esprit et au Père, et l'envoi du Saint-Esprit au Père et au Fils; mais ils n'attribuent qu'au Père la procession du Saint-Esprit et la génération du Fils. Les mêmes docteurs de l'Eglise n'ont considéré l'envoi que par-rapport à la manifestation AD EXTRA soit du Fils, soit du Saint-Esprit, car la divinité est une et ne peut être envoyée séparément. Cette doctrine de la tradition catholique confond tous les faux raisonnements des partisans de la procession ex Filio. Citons les textes de quelques Pères sur les deux points ci-dessus énoncés.
Saint Jean Chrysostome : " Quand tu entends dire au Christ : Je vous enverrai l'Esprit, ne prends pas cela au point de vue de la divinité, car Dieu ne peut être envoyé." Zoernikaw a cité une foule d'autres textes analogues tirés des Pères, ainsi que sur l'envoi du Fils par le Saint-Esprit. Saint Ambroise résume ainsi parfaitement cette doctrine de l'Eglise : " C'est le Père avec l'Esprit qui envoient le Fils, c'est de même le Père avec le Fils qui envoient l'Esprit. Si donc le Fils et l'Esprit s'envoient l'un l'autre, comme les envoie le Père, ce n'est pas l'effet d'une dépendance quelconque mais d'une communauté de pouvoir." ( De Spirit. Sanct., lib. III, c.1.) Le même docteur s'exprime ainsi dans un autre ouvrage : " Le Fils a dit : Qui procède du Père; c'est en vue de l'origine ( propter originem); il a dit : Je vous l'enverrai; c'est en vue de la communauté et d el'unité de l'essence." ( Lib. de Symb., c,10.) Saint Jérôme s'exprime d ela même manière : " le Saint-Esprit qui procède du Père, et qui, par communauté d'essence, est envoyé par le Fils." (Comment., XVI, in Jerem., 57). Saint Cyrille d'Alexandrie dit aussi : " Le Fils donne l'Esprit comme sien à cause de l'unité de son essence avec l'essence du Père." ( In Joann., c.10.)
On doit remarquer que la sainte Ecriture n'attribue au Père aucun acte ad extra qu'il n'ait fait par le Saint Esprit ou par le Fils. C'est pourquoi les Pères ne parlent que de l'envoi du Fils et du Saint-Esprit et en donnent pour principe le Père agissant avec l'Esprit à l'égard du Fils et avec le Fils à l'égard de l'Esprit, à cause de la communauté de l'essence.
Le Père est ainsi la cause première de l'envoi, comme il est le principe unique et éternel du Fils par génération et d el'Esprit par procession. Ces deux actes lui sont attribués exclusivement, tandis que l'envoi ou l'acte ad extra lui est attribué en communauté soit avec le Fils, soit avec l'Esprit.
Les partisans de la procession ex Filio n'ont pas voulu voir dans les monuments de la tradition catholique cette double action du Père avec le Fils et du Père avec l'Esprit. Ils n'ont voulu voir que la première, l'ont confondue avec l'opération éternelle, exclusive au Père, comme principe unique, et lui ont appliqué le raisonnement de la communauté d'essence, sans s'apercevoir qu'en raisonnant ainsi ils détruisaient la Trinité, comme nous l'avons démontré précédemment. De là les textes qu'ils ont cités à faux pour appuyer leur système erroné.
A la lumière de la tradition catholique, les faux raisonnements élevés sur ces mots : Je vous l'enverrai, etc., disparaissent comme une ombre.
Il en est de même de ceux que l'on a construits sur ces autres paroles du Sauveur : " L'esprit recevra de ce qui est à moi... Tout ce qu'a mon Père est à moi." (S. Jean, XVI, 12-15.) Si tout ce que possède le Père, le Fils le possède aussi, disent les théologiens occidentaux, il a donc, comme le Père, l'attribut de faire procéder le Saint-Esprit; donc le Saint-Esprit procède de lui comme du Père, et il a reçu de lui l'être, comme du Père.
D'abord, ces théologiens n'ont pas remarqué que les verbes dont se sert Jésus-Christ pour exprimer les actes de l'Esprit, sont au futur : il recevra. Si cet acte se rapporte à son être, il ne l'avait donc pas reçu lorsque le Sauveur parlait. Peut-on soutenir une pareille absurdité? Dès qu'il devait recevoir du Fils dans le futur, ce n'était pas son existence, donc on ne peut conclure de ces expressions, "il recevra de moi", qu'il procède de lui. D'un autre côté, si l'on entend de manière absolue ces mots : tout ce qu'a mon Père est à moi, il n'y a rien qui les distingue l'un de l'autre; on confond leur personnalité. Dès que l'on admet la distinction des personnes du Père et du Fils, on admet qu'il y a un arribut personnel qui distingue le Père du Fils; il faut donc entendre de ce sens restreint les paroles de Jésus-Christ, ou bien nier la Trinité. Or, quel est l'attribut personnel qui distingue le Père des deux autres personnes, si ce n'est celui en vertu duquel il les produit? Si l'on donne cet attribut au Fils ou à l'Esprit, on les confond avec le Père et l'on détruit la Trinité. Les paroles de Jésus-Christ se rapportent donc à l'essence divine qu'il a reçue du Père et non à l'attribut qui distingue le Père des deux autres personnes.
C'est ainsi que les Pères de l'Eglise ont enendu les paroles de Jésus-Christ. Didyme d'Alexandrie s'exprime ainsi ( Lib. II. De Spirit. S.) : " Le mot recevra doit s'entendre dans un sens qui convienne à la nature divine. Par conséquent, comme le Fils, en donnant, ne se dépossède point de ce qu'il communique, ainsi l'Esprit ne reçoit rien qu'il n'eût auparavant." Saint Cyrille d'Alexandrie exprime la même pensée (Lib. XXI, in Joann.) : " Ce que le Saint Esprit devait recevoir du Fils, c'était la doctrine; il ne devait pas la recevoir comme quelque chose de nouveau pour lui, mais cette doctrine qui est du Père, le Fils était envoyé par le Père et l'Esprit pour l'annoncer au monde, et l'Esprit était envoyé par le Père et le Fils pour la répandre dans les esprits, avec la conviction." Saint Jean Chrysostome développe aussi cette pensée : " Jésus dit : Il recevra de ce qui est à moi, c'est-à-dire : ce que j'ai dit, il le dira de même. Quand il parlera, il ne parlera pas de son chef, il ne dira rien de contraire à ce que j'ai dit; rien de son propre fonds; il dira seulement ce qui est de moi. De même qu'en parlant de sa personne, le Sauveur disait : Je ne parle point de moi-même, c'est-à-dire, je ne dis rien que ce qui est au Père, rien qui me soit propre, rien qui lui soit étranger, ainsi faut-il l'entendre également du Saint-Esprit. Cette expression : De ce qui est à moi signifie : de ce que je sais, de ma science, car ma science et celle d el'Esprit sont une seule et même chose. Il recevra de ce qui est à moi signifie : il parlera d'accord avec moi. Tout ce qu'a le Père est à moi; or, comme cela est à moi et que l'Esprit parlera des choses qui sont au Père, par conséquent, il parlera de ce qui est à moi." ( S. Chrys., Hom. in Joann.)
Il est évident que, d'après la tradition catholique, il ne s'agit point, dans les paroles de Jésus-Christ, de la procession du Saint-Esprit. Aussi les Pères n'y ont-ils vu qu'une preuve de la consubstantialité des personnes divines, de l'unité d'essence, conformément à ce passage de saint Athanase : " Tout ce qu'a le Père étant également propre au Fils, celui-ci est considéré avec raison comme étant consubstantiel au Père. C'est en prenant la chose dans ce sens, que les Pères reconnurent, au concile de Nicée, le Fils comme consubstantiel au Père et de substance même." ( Ath., Epist. ad Serap.) " Tout ce qu'a le Père, dit saint Grégoire le Théologien, le Fils l'a aussi, excepté d'être cause ou principe." (Greg., Serm., 34.) Pourquoi cette exception? Parce que l'attribut de principe unique est précisément son attribut distinctif et personnel. " Nous croyons, dit saint Cyrille, que le Fils est coéternel au Père et qu'il a tout en commun avec le Père, excepté de produire." ( Cyrill., Dialog. II ad Herm.) Telle est la doctrine traditionnelle, et l'on ne peut donner un autre sens aux paroles du Sauveur sans renier la règle catholique de l'interprétation de la sainte Ecriture, et sans faire violence au texte.
Plusieurs partisans de la doctrine de la procession ex Filio citent en faveur d eleur thèse quelques autres textes des saintes Ecritures, et les interprètent à leur manière, sans tenir compte du sens qu'on leur a toujours attribué dans l'Eglise. Ils n'ont pas voulu voir qu'en agissant ainsi, ils s'exposaient à mettre leurs propres pensées au lieu et place de la doctrine révélée, qui est un dépôt, et qui ne peut être par conséquent constatée que par la voix universelle, unanime et constante de la société chrétienne; qu'en laissant de côté cette voix, ils s'exposent à attribuer à Dieu leur propre doctrine erronée.
Parmi les textes cités à faux par les partisans du Filioque se trouve celui-ci, tiré de l'Epître aux Galates : " Parce que vous êtes enfants, Dieu a envoyé dans vos coeurs l'esprit de son Fils qui crie : Père! Père!" ( Galat., IV, 6.) Sur quoi, ils raisonnent ainsi : L'Esprit est appelé Esprit du Père (Matth., X, 20), parce qu'il procède du Père; s'il est appelé Esprit du Fils, c'est qu'il procède aussi du Fils.
On peut d'abord observer que dans le texte cité, il ne s'agit pas de l'hypostase du Saint-Esprit; mais seulement de l'Esprit humain enrichi, grâce à la rédemption du Dieu-Homme, des dons du Saint-Esprit.
On peut faire remarquer ensuite que l'Esprit est appelé Esprit du Père, non seulement parce qu'il procède de lui, mais aussi parce qu'il lui est consubstantiel. En ce sens, il est l'Esprit du Fils aussi bien que l'Esprit du Père, puisque le Père, le Fils et le Saint-Esprit ont la même substance. Les partisans du Filioque supposent donc gratuitement que le Saint-Esprit n'est l'Esprit du Père que parce qu'il en procède, afin d'établir sur cette supposition la procession ex Filio. Or, leur raisonnement, comme l'assertion sur laquelle il repose, sont contraires à l'enseignement des Pères de l'Eglise.
" Si le Saint-Esprit, dit saint Jean Chrysostome (hom. in Pentec.) est appelé tantôt Esprit du Père, tantôt Esprit du Fils, ce n'est point pour confondre le Fils avec le Père, mais pour signifier l'indivisibilité de l'essence divine." - " A cause de l'identité de nature, dit saint Jérôme (In Epist. ad Gal.), le Saint-Esprit est appelé indifféremment l'Esprit du Père et l'Esprit du Fils." - " C'est assez, dit saint Augustin, que le chrétien croie au Père, au Fils engendré par le Père, à l'Esprit Saint procédant du même Père, mais qui est en même temps l'Esprit du Père et du Fils." (Aug., Euch., c. IX.)
Telle est la foi parfaitement et clairement exprimée. Le Père, comme principe; le Fils engendré du Père; l'Esprit procédant du même Père, telle est la foi qui suffit, d'après saint Augustin; il y ajoute : qu'il faut croire que le Saint-Esprit est l'Esprit du Père et du Fils, mais non comme une conséquence de la procession. Pourquoi alors? Parce que selon le sentiment commun des Pères, le Saint-Esprit a la même essence que le Père et le Fils.
Les Pères, qui n'ont point entendu les expressions Esprit du Fils dans le sens d'identité d'essence, les ont interprétées de cette manière : que le Saint-Esprit est l'Esprit du Fils parce que ce dernier l'a envoyé dans le monde. "Que l'Esprit procède de Dieu, dit saint Basile, l'apôtre le confesse clairement lorsqu'il dit : Nous n'avons point reçu l'Esprit du monde, mais l'Esprit de Dieu; mais il montre avec évidence que l'Esprit a été manifesté par le Fils, lorsqu'il le nomme l'Esprit du Fils." ( Bas. Cont. Eun., lib. 5.) Le même saint ( De Spirit.S., c. 18) dit positivement : " L'Esprit est aussi nommé Esprit du Christ, parce qu'il lui est uni en essence." Ses deux interprétations ne se contredisent point, et aucune des deux ne favorise la procession ex Filio. Saint Jean Damascène a parfaitement résumé ainsi l'enseignement traditionnel : " Nous adorons le Saint-Esprit comme Esprit de Dieu le Père, c'est-à-dire, procédant de lui; nous l'adorons aussi comme Esprit du Fils, parce que c'est par lui qu'il apparut et fut communiqué à la créature, et non pas parce qu'il tient de lui l'hypsotase ou l'existence." (Damasc., Orat. de Sabb.)
D'après ce qui précède, on comprend cet autre texte de saint Paul tiré de l'Epître aux Romains (XIII, 9) : " Vous ne vivez pas selon la chair, mais selon l'esprit; car si quelqu'un n'a pas l'Esprit de Jésus-Christ, il n'est point à lui." Il est évident que le mot esprit de Jésus-Christ est employé ici dans un sens purement moral; si on veut l'entendre rigoureusement de la personne du Sain-Esprit, on sait, par les textes que nous avons cités, comment les Pères d el'Eglise ont entendu ces mots : esprit du Père, esprit du Christ. Du reste, les meilleurs théologiens occidentaux n'ont point eu recours aux textes tirés des Epîtres aux Galates et aux Romains, pour appuyer leur système sur la procession ex Filio. Ils ont compris qu'il ne s'y agissait même pas de la personne du Saint-Esprit. L'opposition que fait saint Paul entre les hommes qui vivent selon la chair et ceux qui vivent selon l'esprit est trop claire pour que les théologiens tant soit peu sérieux puissent se tromper sur le sens de l'apôtre. Cependant, quelques théologiens y ont eu recours, voilà pourquoi nous nous y sommes arrêté.
Après avoir expliqué, d'après les Pères, les textes de l'Ecriture relatifs aux relations entre les trois personnes de la très-sainte Trinité, nous devons citer les passages les plus importants dans lesquels les Pères ont parlé comme théologiens, afin qu'il ne reste aucun doute sur la doctrine primitive par rapport à la Procession du Saint-Esprit.
Plusieurs Pères établissent que le Saint-Esprit procède du Père, sans mentionner le Fils.
Saint Basile : " Comme le Verbe créateur affermit les cieux, de même l'Esprit qui est de Dieu, qui procède du Père, nous a apporté avec lui et d elui-même toutes les forces qui sont dans le Père." Dans le même texte, saint Basile explique la procession par l'expression : sorti de sa bouche, afin que l'on n'entende pas par cet acte quelque chose d'extérieur ou de créé.
Saint Grégoire le Théologien : "L'Esprit est vraiment l'Esprit-Saint qui procède du Père, non pas cependant comme le Fils, car il ne procède pas par génération, mais par procession. " (Sermon 39.)
Saint Jean Chrysostome : " Les sectateurs de Macedonius ne voulaient pas croire que le Saint-Esprit, qui procède du Père d'une manière ineffable, fût Dieu." ( Hom. in Ps. CXV.)
Saint Ephrem : " Le Saint-Esprit n'est point engendré, il procède de l'essence du Père, non imparfait et non confondu avec elle, car il n'est ni le Père ni le Fils, mais l'Esprit-Saint." (Serm. de Confess.)
Saint Epiphane : " Quoiqu'il y ait beaucoup d'esprits, cet Esprit est infiniment au-dessus des autres, car il a de toute éternité l'existence du Père même, et non d'aucun être créé... C'est d'une seule et même divinité que sont le Fils et le Saint-Esprit : le Fils étant engendré par le Père, et l'Esprit procédant du Père." ( Heres. LXXIV.)
Saint Cyrille d'Alexandrie : " Nous croyons aussi à l'Esprit-Saint... procédant du Père, non engendré; car il n'y a qu'un seul Fils unique et non créé... Nous savons qu'il procède du Père, mais nous ne cherchons point à approfondir comment il procède, restant dans les limites que nous ont tracées les théologiens et les bienheureux." (De S. Trinit., C. 19.)
Ainsi la foi primitive, d'après saint Cyrille, consiste à admettre : le Fils engendré par le Père, le Saint-Esprit procédant du Père.
Saint Ambroise : " Si tu nommes le Père, tu nommes en même temps et son Fils et l'Esprit de sa bouche... Si tu nommes l'Esprit, tu nommes également le Père de qui l'Esprit procède, et le Fils, parce qu'il est aussi l'Esprit du Fils." ( De Spirit.S., lib. 1, c. 3.)
Comme on voit, saint Ambroise ne fait point d'acte éternel en vertu duquel l'Esprit procède du Père la base de cette autre vérité : que l'Esprit est l'Esprit du Fils.
Saint Hilaire de Poitiers : " Viendra le Consolateur que le Fils ENVERRA du Père; c'est l'Esprit de vérité qui procède du Père." ( De Trinit., lib.VIII, § 19).
Saint Augustin : " Les Ariens disent le Fils engendré par le Père et le Saint-Esprit créé par le Fils; mais ils ne trouvent cela nulle part dans la sainte Ecriture; car le Fils dit lui-même que l'Esprit-Saint sort du Père... Il est vrai que le Père a donné à tout l'existence et que lui-même il n'a rien reçu de personne; mais il ne s'est point donné d'égal, excepté le Fils engendré par lui, et le Saint-Esprit qui procède de lui." (Cont. Arian., c. 21, 29.)
C'était bien le cas, pour saint Augustin, d'opposer aux Ariens l'action du Fils dans la procession de l'Esprit, s'il y eût cru. Mais le saint docteur n'y croyait pas.
Plusieurs Pères, en enseignant que le Saint-Esprit procède du Père, mentionnent un acte du Fils, différent de la procession, par rapport au Saint-Esprit.
Voici quelques-uns de leurs textes :
Saint Athanase : " S'ils ( les hérétiques) raisonnaient bien sur le Fils, ils le feraient aussi bien sur le Saint-Esprit qui procède du Père et qui, étant propre au Fils ( son allié), est accordé par lui à ses disciples comme à tous ceux qui croient en lui." (Ath., Epist., ad Serap., 1, 2.)
Le saint évêque d'Alexandrie distingue donc entre les deux actes du Père et du Fils par rapport à l'Esprit. En quel sens l'Esprit est-il propre au Fils ou l'allié du Fils? Il l'explique plus bas, dans le même ouvrage, en disant que c'est parce qu'ils ont en commun l'essence divine. Il affirme donc ces trois vérités de la foi : 1° l'Esprit procède du Père; 2° il est accordé par le Fils aux croyants; 3° le Fils et le Saint-Esprit sont consubstantiels au Père, et possèdent également l'essence divine.
Saint Basile ( Cont. Eunom., lib. 5) : " Que l'Esprit soit de Dieu, c'est ce qu'annonce clairement l'apôtre en disant : Nous n'avons point reçu l'Esprit du monde... mais l'Esprit de Dieu (I Cor., II, 12); qu'il ait été manifesté par le Fils, c'est ce que l'apôtre montre avec évidence en le nommant aussi Esprit du Fils."
Ainsi l'Esprit est du Fils non parce qu'il en procède, mais parce qu'il a été manifesté par lui. Saint Basile ajoute d'ailleurs ( De Spirit. Sanct., c.18) : "L'Esprit est de Dieu non pas comme tout est de Dieu, mais comme procédant de Dieu; procédant, non par génération comme le Fils, mais comme esprit de la bouche de Dieu... Il se nomme aussi Esprit du Christ en tant qu'il est uni au Christ par essence."
Le Saint évêque de Césarée professe ainsi les trois vérités enseignées par celui d'Alexandrie, et les distingue parfaitement l'une de l'autre.
Saint Grégoire de Nysse ( Adv. Eunom., lib.1) : " Figurons-nous, non point un rayon du soleil, mais un soleil qui, provenant d'un autre soleil non engendré, brillerait avec lui, en tirant de lui son existence... puis, une autre lumière semblable, et pareillement simultanée avec la lumière engendrée, brillant avec elle, mais tenant la cause de son existence de la lumière primitive."
Voilà bien le Fils exclu de l'acte en vertu duquel la troisième lumière ou l'Esprit a l'existence.
Saint Cyrille d'Alexandrie : " Pour formuler, touchant la Divinité, une idée saine et conforme à la vérité, nous disons que Dieu le Père engendre le Fils qui lui est consubstantiel... et produit le Saint-Esprit qui vivifie tout, procède du Père d'une manière ineffable et est accordé à la créature au moyen du Fils." (Cont. Jul., lib.IV.)
Euloge d'Alexandrie, que le pape saint Grégoire le Grand appelait son père et son maître, s'exprime ainsi dans son cinquième discours : " En vérité, Dieu est un... Le Fils connu dans le Père et le Père dans le Fils, l'Esprit procédant du Père, et ayant le Père pour principe, mais descendant sur la créature par le Fils, selon la bonne volonté de ceux qui le reçoivent."
Les Pères d'Occident sont d'accord avec ceux d'Orient dans l'enseignement des mêmes vérités.
Saint Hilaire de Poitiers : " C'est du Père que procède l'Esprit de vérité, mais c'est par le Fils qu'il est envoyé du Père." (De Trinit., lib. VIII, § 20.)
Saint Ambroise : " Le Seigneur dit dans l'Evangile : Lorsque le consolateur, l'Esprit de vérité qui procède du Père, sera venu, il rendra témoignage de moi. Par conséquent, l'Esprit procède du Père et rend témoignage du Fils." (De Spirit. Sa,ct., lib.1.)
Saint Jérôme : " Le Saint-Esprit sort du Père et, à cause de la communauté de nature, est envoyé par le Fils." (Comment, in Isa., lib.XVI, § 57.)
Saint AUgustin : " Il suffit aux chrétiens de croire... que Dieu est Trinité, le Père et le Fils engendré par le Père, et le Saint-Esprit procédant de ce même Père, mais seul et même Esprit du Père et du Fils." (Ench., c. 9.)
Le saint docteur enseigne ici ce qui est de foi; un point de foi est que le Saint-Esprit procède du Père, comme le Fils est engendré du Père; un autre point : c'est que l'Esprit est l'Esprit du Père et du Fils, mais il n'en tire pas une conclusion contraire à la première vérité qu'il établit : que le Saint-Esprit procède du Père. L'évêque d'Hippone a parfaitement distingué l'acte du Père dans la procession éternelle, de l'acte du Fils dans la mission temporaire du Saint Esprit.
Les Pères enseignent que dans la divinité il n'y a qu'un principe unique, lequel, par une double action analogue, engendre le Fils et produit le Saint-Esprit. Voici quelques passages dans lesquels ils établissent cette vérité :
L'auteur connu sous le nom de saint Denis l'Aréopagite : " Il n'y a qu'une seule source de divinité : Le Père. Ainsi, le Père n'est point le Fils, et le Fils n'est point le Père, et à chacune des personnes divines reviennent des louanges particulières... Nous avons appris de la Sainte Parole que la Divinité en sa source est le Père, mais que Jésus et l'Esprit sont, pour ainsi dire, des branches divinement plantées de la divinité née de Dieu. On dirait des fleurs et des lumières naturelles; mais comment cela, C'est ce qu'on ne saurait ni dire ni représenter." ( De Div. Nom., C. 2, §§ 5-7.)
Origène : " Il faut comprendre que le Fils et le Saint-Esprit émanent de la même source de Paternelle divinité. ( Comment. In Epist. ad Rom., c.5.) " C'est de cette source que viennent, et le Fils qui est né et l'Esprit qui procède." ( De Princip., lib. 1, c. 2.)
Saint Athanase : " Nous croyons à une seule et même divinité de la Trinité, venant du Père seul." (Epist. ad Serap;, § 28.) Dans la même lettre, saint Athanase n'attribue qu'au Père seul les qualifications de principe de la Divinité et non deux principes : voilà pourquoi il y a en Dieu monarchie (monarchia, unité de principe)."
Saint Basile : " Le Père a une existence parfaite; il est racine et source du Fils et du Saint-Esprit... Quoiqu'on dise que tout est de Dieu, il n'y a proprement de Dieu que le Fils sorti du Père, et l'Esprit procédant du Père; le Fils est de Dieu par génération, et l'Esprit, d'une manière ineffable." (Homil; cont. Sabell., §§ 4-7.)
Saint Grégoire le Théplogien : " Si le Fils et le Saint-Esprit sont coéternels au Père, pourquoi ne sont-ils pas comme lui sans principe, Parce qu'ils sont du Père, quoique non après le Père." (Serm. sur la théologie.)
Saint Augustin : " C'est du Père que reçoit l' Esprit, c'est aussi du Père que reçoit le Fils; car, dans cette Trinité, le Fils est engendré par le Père, et l'Esprit procède du Père; le Père seul n'est engendré de personne et ne procède de personne." (Tract. C. in Joann.)
" Quand le seigneur dit : Je vous l'enverrai DE MON PERE, il indique que l'Esprit est du Père et du Fils; car, après avoir dit : Mon Père vous l'enverra, il ajoute : en mon nom; mais il ne dit point : Mon Père vous l'enverra de ma part, comme il dit : Je vous l'enverrai DE LA PART DE MON PERE, marquant ainsi que le principe de toute divinité, ou plutôt de toute la divinité, c'est le Père." ( De Trinit., lib. IV, C. 20, § 29.)
Le saint évêque d'Hippone pouvait-il expliquer plus clairement qu'en disant que le Saint-Esprit est du Fils il n'entendait pas qu'il en procédait comme d'un principe, mais qu'il en venait seulement ad extra, comme nous l'avons exposé?
Dans un autre ouvrage ( Cont. Maxim;, lib. II, C. 14, § 1), saint Augustin dit encore : " C'est du Père qu'est le Fils; c'est aussi du Père qu'est le Saint-Esprit; il est CELUI de qui il procède." Saint Augustin n'a pas dit de ceux.
Saint Paulin de Nole : " Le Saint-Esprit et le Verbe de Dieu, également Dieu l'un et l'autre, demeurent dans le même chef, et viennent du Père leur unique source, le Fils par génération, et l'Esprit par procession; ils conservent chacun leur attribut personnel, et sont différents plutôt que divisés entre eux." ( Epit. 3, ad Amand.)
Nous avons encore à mentionner les Pères qui reconnaissent que le Saint-Esprit procède du Père et qui, en même temps, EXCLUENT, soit implicitement, soit explicitement l'idée qu'il procède également DU FILS.
Saint Basile : " Le Saint-Esprit est uni au Fils, et il tient l'être de son auteur, du Père, dont il procède; son attribut personnel a donc pour caractère distinctif : d'être connu après le Fils et avec lui, et de tenir l'existence du Père. Pour le Fils, qui fait connaître après lui et avec lui le Saint-Esprit qui procède du Père, il n'a, quant à son attribut distinctif, rien de commun avec le Père et le Saint-Esprit." ( Saint Basile, lettre 38 à son frère Grégoire, § 4.)
Pouvait-on exposer plus clairement que le Père est la source unique dans la Divinité; que chaque personne en Dieu a son caractère personnel propre, incommunicable à une personne différente; que le Fils n'a rien de commun avec le Père en ce qui constitue l'attribut personnel du Père; que cet attribut est d'être source unique du Fils par génération; du Saint-Esprit par procession, que l'Esprit est seulement connu ou manifesté par le Fils?
Le même docteur s'exprime encore ainsi : " Je me représente, dans le Saint-Esprit, une parenté avec le Père, parce qu'il procède du Père, et une autre avec le Fils, parce que je lis : Si quelqu'un n'a pas l'esprit du Christ, il n'est point à lui." ( Id., Homil. cont. Sabell., § 6.)
La parenté avec le Fils ne consiste donc que dans la manifestation et la communication de l'Esprit par le Christ.
Saint Grégoire le Théologien : " Ce que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ont de commun, c'est d'être incréés et Dieu; pour le Fils et le Saint-Esprit, c'est d'être du Père; mais ce qu'il y a de propre au Père c'est d'être inengendré; au Fils, d'être engendré; au Saint-Esprit, de procéder." (Orat. in Laud. Her., § 32.)
" Au Fils appartient tout ce qu'a le Père, excepté d'être cause; et tout ce que possède le Fils appartient au Saint-Esprit, sauf la qualité de Fils et tout ce qui est dit corporellement du Fils pour mon salut." (Orat. in AEgypt. adv.)
Donc d'après saint Grégoire, l'essence divine appartient aux trois personnes; mais chaque personne se distingue des deux autres par un attribut personnel ou hypostatique, et l'on ne peut confondre les attributs personnels, sans confondre les personnes, et par conséquent, sans nier la Trinité. L'attribut personnel du Père est d'être source ou cause; celui du Fils, d'être engendré; celui du Saint-Esprit, de procéder. Attribuer au Fils, soit directement, soit indirectement, la qualité d'être cause, c'est lui donner l'attribut personnel du Père, c'est confondre sa personne avec celle du Père. Or, dire que le Saint-Esprit procède de lui, d'une manière quelconque, c'est affirmer qu'il participe à ce qui fait le caractère distinctif du Père, c'est nier la Trinité.
Saint Grégoire de Nysse : " Dans la sainte Trinité, une seule et même personne, le Père engendre le Fils et produit le Saint-Esprit." ( Advers. Graec. Excomm.)
" L'Esprit est uni au Fils en ce sens que tous deux sont incréés, et qu'ils ont pour principe de leur être le Dieu de toutes choses; mais il s'en distingue en ce qu'il procède du Père autrement que le Fils unique, et qu'il est manifesté par le Fils." ( Cont. Eunom., lib; 1.)
Saint Augustin : " Le Père ne s'est point amoindri en engendrant le Fils, mais il a tiré de mon sein un autre lui-même, de telle façon qu'il reste tout entier et demeure tout entier dans le Fils. De même, l'Esprit Saint est un tout provenant d'un tout ( integer de integro). Il ne s'éloigne point de CELUI dont il procède, mais il est avec LUI, tel qu'il est de LUI, sans LUI rien faire perdre en LE quittant, ni rien gagner en demeurant en LUI." ( Lettre 170, § 5.)
Saint Augustin eût parlé au pluriel s'il eût cru que le Saint-Esprit procédait du Père et du Fils; Or, jamais il ne parle que du Père, dès qu'il traite de la procession proprement dite;
Rusticus, diacre de l'Eglise romaine : " Le Père a engendré, mais il n'est point engendré; le Fils est engendré, mais il n'a rien engendré de coéternel; le Saint-Esprit procède du Père, mais rien de coéternel n'est engendré ou ne procède de lui. Quelques anciens ajoutaient ceci aux attributs : de même que l'Esprit n'a engendré le Fils de concert avec le Père, de même aussi le Saint-Esprit ne procède pas du Fils, comme il procède du Père." ( Cont. Aceph. Disput.)
Rusticus, qui vivait au VIe siècle, ne veut pas se prononcer sur la procession du Fils; il constate seulement que les anciens ne l'admettaient pas, et il expose la doctrine sur les attributs divins de manière à exclure cette procession prétendue. Si, au VIe siècle, et à Rome même, l'opinion de la procession ex Filio était une simple opinion touchant laquelle on jouissait de sa liberté, comment peut-on prétendre que c'était un dogme de l'Eglise primitive? Comment une telle opinion a-t-elle pu passer à l'état de dogme?
Au IXe siècle, Anastase, bibliothécaire du pape, expliquait par l'envoi dans le monde la procession ex Filio que l'Orient reprochait à l'Occident d'admettre; il niait ainsi la doctrine de la procession du Fils, telle qu'elle a passé à l'état de dogme dans l'Eglise romaine. ( Anast. bibl., Epist. ap. Joann. diac.)
Il est hors de doute que la tradition catholique s'est exprimée sur les relations entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit, de manière à déterminer clairement ce qui constitue leur unité d'essence, et leur attributs personnels. De son témoignage il ressort que le Fils ne peut ni directement ni indirectement participer à l'attribut de principe dans la Trinité; qu'on ne peut l'y faire participer, d'une manière plus ou moins détournée, sans s'attaquer à la distinction fondamentale qui existe entre les personnalités divines, et sans détruire la Trinité.
Cette doctrine acquise, on se demande comment l'Eglise romaine peut enseigner sa doctrine du filioque sans s'apercevoir qu'en même temps elle nie la Trinité à laquelle cependant elle veut que l'on croie.
L'Eglise romaine va plus loin; elle prétend que la tradition catholique est pour elle. Nous avons indiqué précédemment par quels procédés ses théologiens ont pu élever une telle prétention. Nos études sur les Pères ont détruit leurs subterfuges les plus subtils. Il est bien évident en effet que toutes les expressions dont se sont servis les Pères de l'Eglise, en dehors des expressions évangéliques qui désignent la procession éternelle proprement dite, ne signifient que l'envoi, la mission du Saint-Esprit dans le monde, du Père, par le Fils; ou comme interprète du Fils ou du Verbe pour répandre dans les âmes la Vérité, expression éternelle de l'Etre éternel, c'est-à-dire le Verbe. Il n'est pas moins évident que les Pères n'ont entendu qu'en ce sens les expressions Esprit du Fils, dont les théologiens romains ont tant abusé.
Or, que l'on examine les textes allégués par les théologiens du romanisme pour s'attribuer la tradition catholique, et l'on sera convaincu qu'il n'en est pas un seul que l'on ne puisse retourner contre eux avec avantage, en dévoilant les subterfuges auxquels ils ont recours pour les interpréter en leur faveur.
Il serait fastidieux pour nos lecteurs d'entrer avec nous dans la discussion de tous les textes altérés sur lesquels l'Eglise romaine a appuyé son faux dogme. Nous avons exposé des principes généraux à l'aide desquels ceux qui voudraient entreprendre ce travail pourront le faire sans difficulté. Quel que soit le théologien romaniste qu'ils aient sous la main, il ne pourra leur échapper, dès qu'ils se souviendront des indications que nous avons données.
On pourra cependant rencontrer çà et là quelques textes qui sembleront plus favorables à l'hérésie romaine. Dans ce cas, il faudra remonter à la source. Alors on sera tout étonné de s'apercevoir que les textes en question ont été ou essentiellement falsifiés, ou absolument inventés.
Nous citerons quelques exemples.
Parmi ceux que les envoyés du concile d'Aix-la-Chapelle invoquèrent en faveur de l'addition, en présence du pape Léon III, on trouve celui-ci qu'ils disent tiré de l'Exposition du symbole, par saint Jérôme : " L'Esprit qui procède du Père et du Fils est coéternel au Père et au Fils et leur est égal en tout." Ces paroles ne se trouvent ni dans l'ouvrage cité, ni dans les autres textes de saint Jérôme. Au concile de Florence, les Romains citaient ce texte comme étant tiré de la Profession de foi du pape Damase : " Nous croyons au Saint-Esprit qui procède du Père et du Fils... Le Consolateur procède du Père et du Fils." Le pape Damase, dans sa Profession de foi, dit tout le contraire et affirme que le Saint-Esprit procède du Père seul.
Un des plus grands théologiens d'Occident, canonisé par l'Eglise romaine sous le nom de saint Thomas d'Aquin, a cité, dans son ouvrage Contre les Grecs, plusieurs textes de saint Athanase qu'il prétend tirés des discours prononcés par ce Père au concile de NIcée, et de sa lettre à Sérapion. AUcun de ces tetxes n'existe, comme en convient un critique appartenant à l'Eglise romaine, Casimir Oudin (213).
(213) : ( Casim. Oud. Dissert. de script. Thom. Aquinat.)
D'autres graves théologiens, comme Bellarmin et Vasquez, en ont appelé, d'après Thomas d'Aquin, à un passage de la lettre de saint Athanase à Sérapion, et ce passage n'existe pas (214).
(214) : ( Bellarm., de Christ., lib. II; Vasquez, In Prim. Part. Thom.)
D'autres textes ont été interpolés, soit dna sles manuscrits des Pères, soit dans les premières éditions, afin de fortifier la doctrine romaine. Nous citerons en particulier un passage de saint Athanase ( Troisième dicours contre les ariens); une autre du même Père ( Lettre à Sérapion); un texte de saint Ambroise ( Traité du Saint-Esprit); un de saint Grégoire de Nysse ( sur l'Oraison dominicale); un de saint Jérôme ( Explication du Symbole); un de saint Augustin ( Traité de la Trinité); un de saint Jean Damascène ( Histoire de Barlaam). On alla même jusqu'à ajouter le filioque à la lettre de Photius à Michel, roi des Bulgares. Dans tous ces textes cités par des théologiens occidentaux, on ajouta le filioque, et il a été constaté si clairement que cette addition avait été faite au moyen âge, qu'on l'a retranchée dans les meilleures éditions mêmes faites en Occident et par des érudits partisans de la procession ex Filio. Plusieurs de ces passages ont donc disparu des thèses sur cette question, mais d'autres y sont restés.
Un théologien romain encore vivant, le P. Perrone, cite la lettre du pape Hormisdas à Justinien, en 521, et prétend que dans cette lettre il faut lire que le Saint-Esprit procède du Fils. Cependant, Mansi qui a donné une édition complète des Conciles du P. Labbe, Mansi, dont les sentiments romains sont connus, convient que les mots et du Fils ont été intercalés par une main étrangère.
Le même théologien cite un passage de Didyme d'Alexandrie, favorable à sa thèse. AU neuvième siècle, Ratramne, moine de Corbie, cita le même texte où ne se trouvaient pas les mots favorables à l'addition; ce qui prouve qu'au neuvième siècle, ce texte n'était pas encore interpolé.
Le même théologien cite comme tiré de saint Basile Contre Eunome, un texte déjà cité à Florence contre les Grecs. Dès cette époque, Marc d'Ephèse prouvait qu'il ne se trouvait point dans les meilleurs manuscrits grecs. Aujourd'hui l'érudition a donné raison à Marc d'Ephèse. Dans les meilleures éditions faites en occident, on a admis le texte tel qu'il le soutenait; ce qui n'empêche pas le Père Perrone de le citer avec l'altération.
A côté des textes altérés par le P. Perrone, plaçons ceux de quelques autres théologiens et particulièrement de M. Pitzipios, un Grec vendu à Rome et dont le pamphlet contre l'Eglise orientale a été composé à peu près tout entier par des théologiens romains, et imprimé par la Propagande.
Ce dernier fait est constaté par le livre lui-même; le premier l'a été par l'auteur lorsque Rome, satisfaite d'avoir obtenu de lui ce qu'elle désirait, refusa de continuer ses payements.
Pitzipios cite ce texte prétendu de saint Basile :
" Cette expression : Le Père a créé le monde par le Fils, n'indique point l'imperfection du pouvoir du Père; elle ne diminue pas non plus l'action du Fils, mais elle marque l'unité de la volonté. AInsi l'expression créé par leFils n'attaque point, mais elle atteste la cause primitive.
" De même que ce terme : le Saint-Esprit procède du Père par le Fils, n'a pour but ni de qualifier d'imparfaite la procession du Père, ni de présenter comme faible la procession du Fils; mais elle démontre l'unité de la volonté. De telle sorte que l'expression par le Fils, n'attaque point, mais confirme la cause primitive."
M. Pitzipios renvoie à saint Basile, Sur le Saint-Esprit, à Amphiloque, ch. VIII.
Nous avons vérifié le passage. Nous avons trouvé dans saint Basile la première partie qui s erapporte à l'action créatrice et au Fils. Quant à la seconde partie qui s erapporte au Saint-Esprit et à sa procession, il n'y en a pas un seul mot dans saint Basile. M. Pitzipios a-t-il inventé lui-même ce texte, ou l'a-t-il emprunté à un autre faussaire? Nous l'ignorons. Mais un fait certain que chacun pourra vérifier, c'est que le texte cité n'existe pas dans saint Basile.
Texte de saint Cyrille : " Le Fils de Dieu par nature est de Dieu, car il est né de Dieu le Père, et le Saint-Esprit lui est aussi propre; il est en lui et procède de lui, comme il est entendu qu'il procède aussi de Dieu le Père lui-même."
Le texte grec est donné par M. Pitzipios qui renvoie à saint Cyrille, Commentaire du prophète Joël. Il n'a pas du tout le sens qu'on lui attribue. Saint Cyrille, expliquant les mots du prophète : Je répandrai mon Esprit, etc., expose que, en Jésus-Christ nouvel Adam, le Saint Esprit a été communiqué à la nature humaine et qu'il a été ainsi, par Jésus-Christ, le principe de notre génération. Quant à la procession, il n'en est pas dit un seul mot, ni dans ce passage ni dans les autres ouvrages de saint Cyrille.
Saint Grégoire de Nysse a expliqué en cinq discours le Pater ou oraison dominicale. M. Pitzipios a cru que ces derniers mots signifiaient prière du dimanche; il a tronqué un texte dans ce qu'il appelle Discours sur la prière du dimanche. On chercherait en vain le texte indiqué par M; Pitzipios dans les cinq discours de saint Grégoire de Nysse. On trouve, en revanche, dans le troisième discours, une colonne entière contraire au système de la procession ex Filio.
On doit remarquer, d eplus, que le texte faux de M. Pitzipios ne prouve rien, puisqu'on y lit seulement ceci : " Le Saint-Esprit vient du Père, et il est attesté qu'il vient aussi du Fils, car il est dit que celui qui n'a pas l'esprit du Christ ne lui appartient pas." Il ne s'agit ici que de l'Esprit en tant qu'il est communiqué aux chrétiens. Ce n'était vraiment pas la peine de tronquer un tetxe pour arriver à ce résultat.
Voici une nouvelle preuve de l'érudition de M. Pitzipios et des théologiens de Rome. Ils citent ce prétendu texte de saint Athanase : " Le Saint-Esprit vient du Père et du Fils; il n'en a pas été fait ni créé; il n'en est pas né, mais il en procède." Ils indiquent ce texte comme étant tiré de l'Homologation de la foi. On croirait, au premier abord, qu'il s'agit d'une oeuvre théologique du grand évêque d'Alexandrie; il n'en est rien. M. Pitzipios, qui est Grec, a traduit par homologation le mot grec qui, en français, signifie profession, et il a appelé homologation de foi la profession de foi connue sous le titre de Symbole de saint Athanase. Tous les érudits conviennent unanimement, et il est démontré que ce symbole a été composé par un écrivain qui ne serait pas antérieur au sixième siècle.
Noël-Alexandre expose parfaitement toutes les raisons qui ont décidé les érudits à rejeter le symbole en question comme étant du saint archevêque d'Alexandrie; il fait en particulier cette remarque importante : que ni saint Cyrielle d'Alexandrie, ni le concile d'Ephèse, ni saint Léon, ni le concile de Chalcédoine n'ont opposé ce symbole aux hérétiques Eutychès et Nestorius, dont les erreurs y sont cependant exposées et réfutées très catégoriquement. Saint Cyrille, en particulier, assis sur le même siège que saint Athanase, n'eût certainement pas négligé d'opposer aux hérétiques cette haute autorité. " Il faut ajouter à cela, continue Noël-Alexandre, le silence des Latins qui n'ont point opposé ce symbole aux Grecs, jusqu'au temps de Grégoire IX", c'est-à-dire jusqu'au treizième siècle. " Peut-on croire, en effet, dit le même historien, que si l'on avait regardé comme certain que ce symbole était de saint Athanase, on ne s'en serait pas servi comme d'un trait contre les Grecs schismatiques, car cet argument n'eût pas été d'un petit poids, à cause de l'autorité dont jouit saint Athanase dans les deux Eglises?" ( Natal. ALex., Hist. eccl. saecul. IV, cap. IV, § X.). Tillemont ( Mem. eccl. t. VIII, note 34, p. 668) remarque avec beaucoup de raison que les hérésies de Nestorius et d'Eutychès sont aussi clairement indiquées et réfutées dans le symbole dit de saint Athanase, que celle d'Arius, et que l'on n'a pu s'exprimer aussi théologiquement qu'on le fait dans ce symbole, qu'après la condamnation de ces hérésies, c'est-à-dire lorsque les conciles d'Ephèse et de Chalcédoine eurent élucidé toutes les questions soulevées par ces hérétiques et défini la vraie foi. Il aurait pu ajouter aux hérésies d'Eutychès et de Nestorius, celle des monothélites qui y est aussi réfutée et qui ne fut condamnée définitivement qu'au sixième concile général, à la fin du septième siècle. Le symbole dit de saint Athanase ne peut donc dater que du septième siècle.
Parmi les savants, les uns l'attribuent à Eusèbe de Veerceil, d'autres à Anastase le Sinaïte, d'autres à quelque théologien anonyme français, du temps de Pépin ou de Charlemagne. ( Natalis-Alexandre, loc. cit.)
Le P. Quesnel, dans sa quatorzième dissertation sur les oeuvres de saint Léon, l'attribue à Vigil de Tapse. ANthelmi a combattu cette opinion et a attribué le susdit symbole à Vincent de Lérins. Mais cette opinion a été rejetée par tous les érudits ou à peu près.
Parmi les preuves multipliées que l'on a données pour prouver que le symbole attribué à saint Athanase n'est pas de ce saint docteur, les écrivains occidentaux n'en ont pas fait valoir une qui est cependant péremptoire, c'est que la doctrine du filioque qui y est enseignée est contraire à celle que saint Athanase a exposée dans ses ouvrages authentiques, et en particulier dans sa Lettre à Sérapion sur le Saint-Esprit.
Il est bien évident, par les divers auteurs auxquels on attribue le symbole dit de saint Athanase, que les savants ne sont pas d'accord sur l'époque où cette profession de foi fut composée.
Vossius ( Dissert. de tribus symb.) affirme positivement que le premier écrivain qui l'attribua à saint Athanase est Abbon, abbé du monastère de Fleury, au dixième siècle. Mais Tillemont fait observer qu'il a été cité de la même manière au neuvième siècle, par Hincmar de Reims, et par Ratramne et Enée dans les ouvrages qu'ils ont composés pour la défense de l'addition filioque au symbole de Nicée.
Ce n'est donc que depuis cette discussion qu'il est attribué à saint Athanase. Il était antérieur à cette époque, et Tillemont dit que "l'on croit que le quatrième et le sixième conciles de Tolède, en 633 et en 638, en ont emprunté diverses expressions." La plus haute origine que l'on puisse attribuer au symbole dit de saint Athanase serait donc le septième siècle. Tillemont croit qu'il peut dater du sixième siècle, en même temps qu'il avoue qu'on n'en trouve quelques expressions que dans les conciles d'Espagne du septième siècle.
Il est remarquable que sa première apparition dans l'histoire concorde avec l'époque où l'on agita la question du filioque, et qu'elle ait eu lieu, en Espagne, à ces mêmes conciles de Tolède où la doctrine du filioque fut enseignée pour la première fois. Un autre fait également certain et qui a la plus haute importance, c'est que les érudits admettent généralement qu'il a été écrit en latin et qu'il ne peut émaner d'un autre grec qui aurait connu cette langue, car on n'y rencontre aucun hellénisme. De plus, il existe en grec plusieurs textes différents de ce symbole, ce qui prouve qu'il n'a pas été composé en cette langue, mais qu'il a été traduit du latin par plusieurs auteurs différents, et que l'Orient l'a accepté de l'Occident, moins les mots Et Filio.
Donc le symbole dit de saint Athanase n'est pas de ce saint docteur; il n'est pas antérieur à la doctrine du filioque; il est seulement, comme le filioque lui-même, antérieur au neuvième siècle où l'addition passa d'Espagne en France; il est contemporain de la doctrine du filioque; et il prit probablement naissance dans le même pays et dans les mêmes circonstances. On ne l'attribua pas à saint Athanase avant le neuvième siècle.


La théologie romaine en appelle à saint Jean Chrysostome qui aurait dit dans son Discours sur l'Incarnation ( lisez : sur la naissance) de Notre-Seigneur : " Jésus-Christ est venu parmi nous; il nous a donné l'Esprit qui procède de lui, et il a pris notre chair." Ce texte, à part le mot : qui procède de lui, lequel ne se trouve nulle part dans les oeuvres de saint Jean Chrysostome, ce texte, disons-nous, est imité du passage où le saint patriarche de Constantinople dit tout simplement : " Il a pris notre chair, et nous a donné son esprit." Il faut avoir de la bonne volonté pour voir dans une pareille phrase la procession ex Filio.
Voici maintenant un texte attribué à saint Epiphane et qui serait tiré de l'ouvrage intitulé : Encoratus. " Nous devons croire que le Saint-Esprit procède du Christ ou de tous les deux ( du Père et du Fils) puisque jésus-Christ dit : " Qui procède du Père et celui-ci recevra du mien."
Nous avons ouvert l'Encoratus de saint Epiphane, et nous y avons trouvé ce qui suit : " Il n'y a pas deux Fils, car le Fils est unique. AInsi, le Saint-Esprit est l'Esprit-Saint et l'Esprit de Dieu qui est toujours avec le Père et le Fils, non étranger à la divinité, mais existant par Dieu, et procédant du Père et recevant du Fils. ( § VII.)
" L'Esprit procède du Père et reçoit du Fils. (§ VII.)
" Et le Saint-Esprit aussi est unique, n'usurpant ni le nom de Fils, ni le titre de Père, mais appelé l'Esprit-Saint et non étranger au Père; car le Fils lui-même l'a appelé : l'Esprit du Père, et a dit : " Qui procède du Père et qui "recevra du mien", afin qu'il ne fût pas cru étranger au Père et au Fils, et que l'on sût qu'il avait la même substance et la même divinité." (§ VIII.)
C'est d ece dernier passage qu'est tiré le texte tronqué et falsifié par la théologie romaine. Saint Epiphane n'y attribue la Procession qu'au Père, et elle lui fait enseigner la Procession ex Filio. C'est tout le contraire de ce qu'enseigne le saint évêque de Chypre.
Pitzipios a osé en appeler à la liturgie orientale en faveur d el'hérésie romaine du filioque. Un de ses textes falsifiés est tiré de la légende de saint Denis l'Aréopagite écrite par Métaphraste, ouvrage qui n'appartient pas aux livres d'office de l'Eglise orientale. Que disent les textes allégués? Que le Saint-Esprit est l'image du Fils; que Jéus-Christ a envoyé le Saint-Esprit sur les nations infidèles pour les convertir; que le Saint-Esprit est le fleuve de la Divinité venant du Père par le fils sur le monde; que l'Esprit est l'Esprit du Fils et du Père; que le Fils a envoyé son Esprit sur le monde. M. Pitzipios traduit par procéder et procession les mots qui signifient l'envoi du Saint-Esprit dans le monde; quant au mot évangélique : qui procède (ekporeuetai), on ne le trouve pas une seule fois employé pour désigner l'acte du Fils envoyant le Saint-Esprit. Cette remarque est d'autant plus importante que la liturgie orientale a été écrite dans la même langue que l'Evangile. Si les auteurs de cette liturgie avaient voulu exprimer la procession ex FIlio, comment concevoir qu'ils n'aient pas employé le mot qui, dans l'Evangile, signifie procéder? Or, ils ne l'emploient pas une seule fois pour exprimer l'action du Fils par rapport au Saint-Esprit. Cela n'empêche pas l'auteur de voir partout la procession. L'Esprit Saint est de la même substance avec le Père et le Fils; il a reçu du Fils, qui est la vérité essentielle, cette vérité pour initier le monde à sa connaissance; par la vérité qu'il a apportée dans le monde, le Saint-Esprit est l'image du Fils, qui est vérité. Voilà toute la doctrine qui ressort des prières publiques de l'Eglise orientale. Quant à la procession ex Filio, on ne trouve pas un seul mot qui y ait rapport.
Terminons cette nomenclature de falsifications par une dernière qui a été faite par un théologien romain encore vivant, dans un ouvrage d'un évêque russe encore vivant.
Dans un ouvrage intitulé : Essai de conciliation entre l'Eglise latine et l'Eglise grecque non-unie, m. l'abbé Tilloy, docteur en théologie et en droit canon, et écrivain fort connu en France, dans le parti ultramontain, a essayé de prouver l'hérésie romaine du filioque à l'aide de textes falsifiés. Il en appelle enfin à une profession de foi qu'il attribue à l'Eglise russe. Citons ses paroles : " C'est Mgr Macaire qui, sans le vouloir sans doute, me fournit ce témoignage. Dans sa Théologie orthodoxe, il cite une profession de foi parfaitement connue, imprimée plusieurs fois, et, pour plus de sûreté, le théologien russe indique l'édition qu'il préfère; c'est celle que Kimmel a insérée dans les Libri symbolici Ecclesiae orientalis, dédiés au comte Protassof et publiés à Iéna en 1843. J'ouvre le livre à l'endroit indiqué par Mgr Macaire, et je lis : ..." Suivent deux passages tirés de la première profession de foi attribuée à Gennadius, patriarche de Constantinople, et dans lesquels on enseigne en effet la procession du Père et du Fils.
Avant d enous occuper de la valeur et de l'authenticité de la profession de foi en question, nous devons examiner préalablement si Mgr Macaire l'a donnée, dans sa Théologie orthodoxe, comme acceptée par l'Eglise russe; s'il a indiqué les passages cités par M. l'abbé Tilloy; s'il a recommandé l'édition de Kimmel. Notre docteur l'affirme; et nous affirmons, nous, qu'il faut avoir perdu toute pudeur pour oser le dire. Notre docteur n'a pas indiqué, et pour cause, l'endroit où Mgr Macaire aurait parlé de la profession de foi en question. Nous allons donner des indications précises et l'on pourra vérifier. Ce n'est pas dans la Théologie orthodoxe que le savant et vénérable évêque-théologien en a parlé, mais dans l'Introduction à la théologie orthodoxe, qui forme un ouvrage à part. Dans la deuxième partie de cet ouvrage, intitulée des Sources de la théologie orthodoxe, section III, chapitre IV, le docte théologien parle des expositions d ela foi. Ces expositions sont de deux classes : 1° celles qui appartiennent à l'ancienne Eglise oecuménique infaillible; 2° celles qui appartiennent à des églises particulières et qui n'ont de mérite qu'autant qu'elles sont conformes aux premières. Parmi les expositions d ela seconde classe, il distingue celles qui sont communes à toute l'Eglise orientale et celles qui sont particulières à l'Eglise russe.Il indique comme communes à toute l'Eglise orientale deux expositions de foi, qui n'ont aucun rapport avec celle qui est citée par M. Tilloy, puis celles qui sont contenues : dans le serment des évêques; dans les Questions dogmatiques pour les Juifs et les Sarrasins qui entrent dans l' Eglise; dans la profession de foi que récitent les membres des autres Eglises en entrant dans l'Eglise orthodoxe; dans la formule d'excommunication. AUcune de ces expositions de foi n'a de rapport avec celle qu'a citée M. Tilloy.
Celles que Mgr Macaire indique comme appartenant en particulier à l'Eglise de Russie sont 1° le Grand Catéchisme composé par Mgr Philarète, métropolite de Moscou, et publié par le Saint-Synode; 2° des ouvrages de controverse publiés par la même autorité, comme les Entretiens composés par Mgr Philarète de Moscou; la Pierre de la foi, etc.
Mgr Macaire remarque ensuite en note qu'on ne peut donner pour livre symbolique d'une Eglise qu'une exposition de foi publiée par tous ceux qui se trouvent à la tête de cette Eglise qu'une exposition de foi publiée par tous ceux qui se trouvent à la tête de cette Eglise, et non par un évêque en particulier, quelle que puisse être sa célébrité. " C'est pourquoi, ajoute-t-il, les théologiens étrangers ont grandement tort quand ils rangent parmi les livres symboliques de l'Eglise d'Orient, etc., etc." Le savant théologien, après avoir cité quelques exemples de confessions de foi purement particulières, s'exprime ainsi : " C'est le tort que s'est donné récemment Kimmel, dans la publication de son ouvrage intitulé Libri symbolici Ecclesiae orientalis, Ienae 1848." ( Introduction à la théologie orthodoxe, p. 609, édition de Paris, 1857.)
Ainsi Mgr Macaire blâme Kimmel d'avoir donné pour des expositions de foi de l'Eglise orientale, des oeuvres qui ne méritent pas ce titre. Il ne mentionne point, parmi les professions de foi de l'Eglise orientale en général, ni de l'Eglise russe en particulier, la première profession de foi, attribuée à Gennade et insérée dans la collection de Kimmel; il a soin d'établir que les professions de foi des particuliers ne peuvent appartenir aux Eglises, et M. Tilloy prétend qu'il a reconnu comme profession de foi de l'Eglise russe la première profession de Gennade dont il a cité des extraits; et qu'il a recommandé l'édition de Kimmel!
Comment caractériser un pareil procédé? Et c'est après avoir imputé au savant théologien russe le contraire de ce qu'il a enseigné, que M. Tilloy ose s'exprimer ainsi : " Après un tel aveu de la part de Mgr Macaire, on a lieu de s'étonner que le savant prélat ait consacré plus de cent pages de sa théologie pour soutenir une doctrine diamétralement opposée à celle de la confession de foi qu'il APPROUVE et dont il RECONNAIT L'ORTHODOXIE!" Quelle impudence dans ce triste et mauvais langage! Mais M. Tilloy se surpasse encore dans ce qui suit : " Une telle contradiction dans un prélat regardé à juste titre comme l'un des plus savants théologiens de l'Eglise russe serait inexplicable si l'on ne savait pas que les préjugés de secte, même dans un théologien, ont trop souvent plus d'empire sur l'esprit que la logique."
Voilà le digne corollaire d'un des plus grossiers mensonges qu'il nous ait été donné de rencontrer dans les ouvrages ultramontains, si féconds cependant en falsifications et en imputations calomnieuses.
Quant à la profession de foi citée par M. Tilloy, on peut s eposer cette question : Quel en est l'auteur. Kimmel en a publié deux qu'il attribue à Gennadius, patriarche de Constantinople. La première est en forme de dialogue entre le patriarche et le sultan Mohammed. C'est de celle-ci que M. Tilloy a tiré ses textes favorables à la procession ex Filio. Dans la seconde, le discours est suivi, et la doctrine est opposée formellement à la procession ex Filio. Kimmel n'a prouvé l'authenticité ni de l'une ni de l'autre. A la page 8 de ses Prolegomena, il dit, sans en donner de preuves, "que le patriarche semble avoir écrit la première profession de foi; et que le sultan la lui ayant ensuite demandée par écrit, il la rétracta, l'abrégea, et SEMBLE l'avoir publié dans cette dernière forme." Que signifient ces paroles du professeur protestant? Quelle garantie d'authencité offrent-elles?
Un fait certain, et qui ne peut être contesté, c'est que Georges Scholarius, qui fut depuis le patriarche Gennadius, après avoir un peu faibli au concile de Florence, se déclara si ouvertement en faveur de la doctrine orientale, après son retour à Constantinople, que Marc d'Ephèse, lui-même, lui confia le soin de l'orthodoxie après sa mort; il est certain que Georges Scholarius, n'étant pas encore patriarche, se montra le digne émule de Marc d'Ephèse dont il prononça l'éloge funèbre et dont il composa l'épitaphe. Peut-on croire que ce vigoureux défenseur de la doctrine orientale, cet adversaire du latinisme, aurait composé une profession de foi dans laquelle il aurait affecté de s'étendre sur la procession ex Filio?
La première profession de foi attribuée à Gennadius ne peut donc être de lui. Serait-elle de lui qu'elle n'aurait pas d'importance comme profession de foi d'une Eglise. M. l'abbé Tilloy a donc pris un apocryphe pour un écrit sérieux, et il a manqué aux premiers devoirs de l'honneur littéraire en prétendant que Mgr Macaire a donné cet apocryphe, émanant d'un particulier, comme une profession de foi orthodoxe reconnue par l'Eglise de Russie.
Du travail que nous venons de faire, nous sommes en droit de tirer ces deux conclusions :
1° La tradition catholique enseigne une doctrine formellement contraire à celle de l'Eglise romaine sur la procession du Saint-Esprit.
2° Les théologiens romains n'ont pu en appeler à la tradition qu'en altérant le sens des textes ou en les falsifiant.








II


L'IMMACULEE CONCEPTION




1. UN NOUVEAU DOGME


L'Eglise romaine professe, touchant l'immaculée conception de la sainte Vierge, une doctrine formellement opposée au dogme de la rédemption. En effet, il est de foi que toute l'humanité, sans aucune exception, est frappée d'un vice originel, lequel vice est transmis par l'acte même de la génération. Il s'ensuit que l'humanité, dans la personne de Jésus-Christ, n'a point participé au vice commun, puisqu'elle n'a pas été engendrée d'après la loi commune. Mais la sainte Vierge a été engendrée d'après cette loi; donc, elle a été conçue avec le vice inhérent à la nature humaine; qu'elle en ait été purifiée, dès le sein de sa mère, comme Jérémie et Jean-Baptiste, là n'est pas la question. D'après la bulle de Pie IX du 8 décembre 1854, promulguant la conception immaculée de la sainte Vierge, il faudrait croire qu'elle n'a pas été conçue dans le péché originel; qu'elle en a été absolument préservée, de sorte qu'elle n'aurait pas eu besoin de purificaion. En effet, si elle avait eu besoin de purification, c'est que sa conception n'aurait pas été immaculée. Si elle n'en a pas eu besoin, c'est qu'elle n'appartient pas réellement à l'humanité. Un docteur de l'Eglise romaine, M. Newman, a tiré cette conséquence du dogme de 1854, et a soutenu à la face de l'Eglise romaine qui ne l'a pas condamné, qu'à dater de la bulle de 1854, la Trinité a été complétée par la sainte Vierge élevée au rang divin.
Malgré les nombreuses innovations que la papauté a fait subir à la doctrine catholique, jamais elle n'avait osé prmulguer ouvertement un nouveau dogme; elle avait toujours conservé une certaine pudeur doctrinale, et elle enveloppait ses innovations, d'un voile qui les dissimuliat assez bien. Pie IX n'a pas de ces pudeurs que j'appellerai catholiques. Il a promulgué, en 1854, un dogme nouveau, et il a eu soin de dire aux évêques réunis autour de lui comme des enfants de choeur, selon l'expression parfaitement juste de l'abbé Combalot, qu'il définissait le dogme en vertu de sa propre autorité.
L'Eglise romaine, par l'organe de son chef, et avec l'assentiment de tous ses évêques, a donc été dotée, le 8 décembre 1854, d'un dogme nouveau. Mais on n'a pas craint d'affirmer que ce dogme nouveau n'était qu'une ancienne doctrine catholique, appartenant à une tradition latente de l'Eglise, et que la bulle ne faisait que mettre en lumière (215).
(215) : ( Pie IX chargea M. Malou, évêque de Bruges, de soutenir cette thèse. M. Malou l'a fait en deux volumes réfutés par nous dans un ouvrage intitulé : Le Nouveau dogme en présence de l'Ecriture sainte et de la tradition catholique).
On a même osé prétendre que l'Eglise catholique orientale professait la doctrine élevée par Pie IX à l'état de dogme.
Il ne nous sera pas difficile d'établir que Pie IX, par sa bulle du 8 décembre 1854, a proclamé un dogme absolument nouveau, et que l'Eglise romaine, en l'acceptant, professe une hérésie contraire au dogme de la rédemption.
Afin de réfuter, non seulement la bulle de Pie IX, mais les théologiens qui en ont pris la défense, nous devons établir les règles toujours suivies dans l'Eglise pour les définitions dogmatiques.
Jésus-Christ n'est point un philosophe, inventeur d'un système susceptible de perfectionnement indéfinis, selon le progrès des sciences et de l'esprit humain; il est le fils de Dieu, le Verbe incarné, l'expression de l'éternelle et essentielle vérité, qui est sortie du sein du Père, et est descendue pour illuminer tout homme venant en ce monde. La doctrine de Jésus-Christ est donc la vérité; elle ne peut être par conséquent qu'un dépôt confié au monde, selon la belle expression de saint Paul ( I ad Timoth., VI, 20) : " O Timothée! écrit-il à son disciple chéri, ô Timothée! garde le dépôt, évitant les profanes nouveautés de paroles!"
Lorsqu'une discussion s'élève dans l'Eglise, le devoir d'un chrétien catholique est, selon saint Vincent de Lérins (§ III), de s'attacher d'abord à l'antiquité, qui ne peut évidemment être séduite par les fraudes de la nouveauté. Si dans l'antiquité on découvre plusieurs opinions, il faut s'attacher aux décrets qu'a rendus anciennement l'Eglise universelle; s'il n'y a pas de semblables décrets, on doit examiner les opinions des docteurs qui vécurent en divers temps dans la communion de l'Eglise, et croire, sans aucun doute, ce que tous, d'un consentement unanime enseignèrent ouvertement, fréquemment et persévéramment. Le livre de saint Vincent de Lérins a toujours été regardé dans l'Eglise comme l'expression de la pensée générale.
Toute la tradition catholique y est conforme. Nous pourrions citer à peu près tous les Pères de l'Eglise. Nous nous contenterons d'indiquer l'ouvrage de saint Irénée xontre les Hérésies et le traité Des Prescriptions de Tertullien. Dans ces deux magnifiques oeuvres, la question est traitée avec la clarté et l'éloquence que nous avons remarquées dans l'Avertissement de saint Vincent de Lérins.
Aucun docteur, aucun évêque, aucun théologien n'a osé attaquer cette sublime théorie de la foi chrétienne.
Pour appliquer ces règles catholiques à la bulle de Pie IX, nous devons examiner quelle a été la foi ancienne, universelle, unanime, touchant la conception de la sainte Vierge.
Les témoins de cette foi sont les Pères de l'Eglise. Si les Pères de l'Eglise ont unanimement, et dans tous les temps, enseigné une doctrine contraire à celle de la bulle de Pie IX, il s'ensuivra nécessairement que cette bulle contient une doctrine nouvelle et par conséquent hérétique.
Pie IX prétend que le doctrine d el'immaculée conception est contenue dans l'Ecriture sainte et dans la tradition.
Comme les hérétiques dont parle saint Vincent de Lérins, il vole à travers tous les livres de la sainte Ecriture, depuis la Genèse jusqu'à l'Apocalypse, pour étayer son opinion; mais, de tous les textes qu'il indique, nous ne craignons pas de dire qu'il n'en est pas un seul qui ait été appliqué à la conception de la sainte Vierge par les Pères de l'Eglise.
Or il a été reçu de tout temps dans l'Eglise catholique que l'Ecriture sainte doit être interprétée conformément à la tradition de tous les siècles. Si aucun des Pères de l'Eglise n'a appliqué à la conception de la sainte Vierge les passages indiqués dans la bulle, de quel droit les lui applique-t-on aujourd'hui?
Nous le disons hautement et sans crainte d'être confondu, aucun Père de l'Eglise, depuis les temps apostoliques, n'a appliqué à la conception de la sainte Vierge aucun texte de l'Ecriture sainte; ce qui n'a pas empêché Pie IX de dire : " Que l'Eglise catholique, colonne d ela vérité, avait toujours regardé l'innocence originelle de la Vierge comme une doctrine contenue dans le dépôt de la révélation... comme l'attestent les monuments de l'antiquité de l'Eglise orientale et occidentale."
S'il en était ainsi, on l'eut regardée anciennement, universellement, unanimement, comme un dogme.
Or la bulle elle-même qui crée ce dogme ne prouve-t-elle pas à elle seule qu'avant le 6 des ides de décembre de l'année 1854, il n'existait pas?
S'il était vrai, comme on l'a dit dans la bulle, que tous les Pères avaient vu ce dogme dans l'Ecriture et l'avaient tous proclamé, comment se fait-il qu'on l'ait nié pendant quatorze cents ans même dans l'Eglise romaine?
Mais c'est à tort qu'on invoque le témoignage des Pères.
Tout ce qui est indiqué dans la bulle comme s'appliquant à la conception de la sainte Vierge se rapporte à l'innocence de sa vie, à sa virginité, à sa sanctification dans le sein de sa mère, à s amaternité divine; mais, nous le répétons, il n'y a pas un mot, un seul mot, dans les monuments de la tradition des Eglises orientale et occidentale, pendant les douze premiers siècles, qui ait le moindre rapport à la conception.
Si nous en croyons M. Parisis, évêque d'Arras, le dogme de la conception immaculée était dans la tradition comme un astre voilé que tous ne discernaient pas; C'est un eveu en faveur de ce que nous affirmons, c'est-à-dire que les Pères de l'Eglise n'ont point parlé d ela conception. Seulement, M. Parisis veut faire entendre que les âmes privilégiées voyaient sous l'écorce de certaines expressions le dogme que le commun des fidèles n'apercevait pas.
Ce système et l'affirmation de la bulle tombent sous le poids écrasant de toute la tradition catholique; car il est constant que tous les Pères de l'Eglise, sans aucune exception, ont soutenu, comme enseignement de l'Eglise, une doctrine diamétralement et évidemment opposée à la conception immaculée de la sainte Vierge.
Nous affirmons qu'il n'est pas un seul Père de l'Eglise qui soutienne une autre doctrine que celle qui est contenue dans les textes que nous avons cités.
Nous renvoyons ceux qui héisteraient encore à le croire à l'ouvrage que Vincent de Bandellis composa au XVe siècle sur la question qui nous occupe, et dans lequel il a indiqué plus de quatre mille textes des Pères, des papes, des docteurs et des théologiens faisant autorité dans l'Eglise, et il est loin d'avoir épuisé la matière. Plusieurs des textes ci-dessus ne sont pas insiqués par lui. Comment se fait-il donc que dans la bulle on ait dit que les pères et les écrivains ecclésiastiques, instruits par les enseignements célestes, n'ont rien eu de plus cher dans leurs livres que de proclamer à l'envi et de prêcher le dogme d ela conception immaculée?
Nous avons cherché dans ces livres des Pères et des écrivains ecclésiastiques, et nous y avons trouvé tout le contraire de ce que la bulle affirme, et nous n'y avons rien trouvé en faveur du dogme qu'elle proclame.
Quand bien même on citerait ( ce qui n'est pas) quelques textes formels en faveur de la doctrine de la bulle; quand bien même ces textes seraient aussi nombreux que ceux qui lui sont contraires, la bulle n'en serait pas plus légitimé; car alors il n'y aurait jamais eu dans l'Eglise de croyance constante, universelle, unanime, touchant la conception de la sainte Vierge : d'où il suivrait qu'une opinion sur ce point ne pourrait être l'objet d'une définition dogmatique de la part de l'Eglise.
La bulle s'appuie sur les prédécesseuers de Pie IX et sur la tradition de l'Eglise romaine.
Voyons quelle a été cette tradition.
Saint Innocent Ier ( ap. Aug. cont. Julian.) soutient que le péché originel a été communiqué à tous les hommes, sans exception, qui sont engendré par la voie ordinaire.
Saint Gélase Ier ( adv. Pelag.) professe la même doctrine dans son livre contre Pélage : " C'est le propre de l'Agneau immaculé, dit-il, de n'avoir jamais eu aucun péché."
Saint Léon le Grand dit et répète souvent ( serm. I, II, V, in Nativ. Dom.) :
" Jésus-Christ, seul entre tous les enfants des hommes, a conservé son innocence en naissant, parce que lui seul a été conçu sans concupiscence charnelle."
Saint Grégoire le Grand n'a pas d'autre doctrine. Nous pourrions indiquer cent textes dans ses divers ouvrages. Citons seulement celui-ci, tiré de ses Morales ( in Job, lib. XVIII) :
" Celui-là seul est né véritablement saint, qui, pour vaincre la nature corrompue, n'a pas été conçu par la voie ordinaire."
Le pape Innocent II ( serm. in Assumpt.) :
" La glorieuse Vierge a été conçue dans le péché, mais elle a conçu son fils sans péché."
Le pape Innocent III ( serm. in Purif.), commentant ces paroles de l'Ecriture : " Le Saint-Esprit surviendra en vous," dit :
" Le Saint-Esprit était déjà venu en elle, lorsque, étant encore dans le sein de samère, il purifia son âme du péché originel."
Le même pape fait ce parallèle entre Eve et Marie ( serm. in Assumpt.) :
" Eve a été formée sans péché, mais elle a conçu dans le péché; Marie a été conçue dans le péché, mais elle a conçu sans péché."
Le pape Innocent V s'exprime en ces termes touchant la sainte Vierge ( Comment. in Lib. III, Sentent.) :
" La bienheureuse Vierge a été sanctifiée dans le sein de sa mère, non pas avant que son âme eût été unie à son corps, parce qu'elle n'était pas encore capable de grâce, ni dans le moment même de cette union, parce que, si cela était, elle aurait été exempte du péché originel et n'eût pas eu besoin de la rédemption de Jésus-Christ, nécessaire à tous les hommes, ce qu'on ne doit pas dire. Mais il faut croire pieusement qu'elle a été purifiée par la grâce et sanctifiée très peu d etemps après cette union; par exemple, le même jour ou dans la même heure, non pas cependant dans l'instant même de l'union."
Telle fut, pendnat les douze premiers siècles de l'Eglise, la doctrine du siège romain, comme la doctrine constante, universelle, unanime de toutes les Eglises de l'Orient et de l'Occident.
Vers le XIIe siècle, on commença à parler dans l'Eglise occidentale de la conception immaculée. Les chanoines de Lyon ayant cru devoir célébrer dans leur église une fête en l'honneur de la conception de la sainte Vierge, Bernard, abbé de Clairvaux, leur adressa sur cette innovation une lettre sévère, dans laquelle il n'est que l'écho de la tradition catholique, en soutenant d'une manière solennelle que la sainte Vierge a été conçue dans le péché originel. Nous citerons quelques passages de cette lettre (Epist. CLXXIV, ad; Can. Lugd.) :
" Il a été nécessaire que Marie ait été sanctifiée après avoir été conçue afin de pouvoir naître dans la sainteté qu'elle n'avait point eue dans la conception qui a précédé sa naissance. Direz-vous que sa naissance, quoique postérieure, communique sa sainteté à sa conception, qui est la première selon l'ordre des temps? Cela ne s epeut; car la sanctification de Marie, qui a suivi sa conception, a bien pu s'étendre sur sa naissance; mais elle n'a pu remonter par un effet rétroactif, jusqu'au temps de sa conception."
Bernard ne voit qu'un moyen de soutenir l'opinion de la conception immaculée, c'est de dire que Marie a été conçue par l'opération du Saint-Esprit; mais il ajoute aussitôt : " Une pareille assertion est inouïe, et pour parler le langage de l'Eglise, toujours infaillible, je dis qu'elle a conçu, mais je ne dis pas qu'elle a été conçue du Saint-Esprit...
" Il en est peu qui soient nés saints, mais nul n'a été conçu dans la sainteté, à la réserve de CELUI qui, devant sanctifier les hommes et expier le péché, en devait seul être exempt."
Dans sa lettre entière aux chanoines de Lyon, Bernard, conformément à la doctrine de tous les Pères, affirme que la sainte Vierge, engendrée par la voie ordinaire, a contracté le péché originel dont elle a été purifiée avant sa naissance.
Le savant abbé trouvant dans cette doctrine un argument puissant pour s'opposer à la fête de la Conception : on ne pouvait, selon lui, solenniser le seul instant où Marie avait été sous l'empire du péché.


2. PREMIERE LETTRE (216) A MONSEIGNEUR MALOU, EVEQUE DE BRUGES, SUR SON LIVRE, INTITULE : L'IMMACULEE-CONCEPTION DE LA B. VIERGE CONSIDEREE COMME DOGME DE FOI


Paris, 1er août 1857


Monseigneur,


Parmi les nombreux ouvrages qui ont été imprimés depuis quelque temps sur la Conception de la sainte Vierge, j'ai distinqué d'une manière toute particulière celui que Votre Grandeur vient de publier sous ce titre : L'Immaculée-Conception de la Bienheureuse Vierge Marie considérée comme dogme de foi. Votre position dans l'Eglise et la réputation dont vous jouissez dans l'épiscopat, auraient bien suffi pour donner à votre oeuvre une haute importance à mes yeux; d'autres considérations m'ont encore persuadé que je pouvais regarder votre travail comme le dernier mot de la science théologique de ceux qui ont adhéré à la définition promulguée par Pie IX, le 8 décembre 1854. En effet, Pie IX a accepté la dédicace de votre livre, et vous affirmez que vous avez profité de tous les ouvrages publiés avant le vôtre sur la même question.
Je vous l'avouerai tout d'abord, Monseigneur; j'appartiens à cette classe de catholiques timides dont vous parlez dans votre épître dédicatoire et qui pensent que la définition de Pie IX ne pourra qu'éloigner de l'Eglise les brebis errantes, sollicitées par la grâce de rentrer au bercail du divin Pasteur.
Je ne pense pas, comme vous le dites au même endroit, que, pendant plusieurs siècles, des milliers de fidèles aient aspiré au bonheur de voir le jour où le pape déclarerait doctrine de foi la croyance à l'Immaculée-Conception. La définition de Pie IX, au lieu de me paraître, comme à vous, l'événement le plus glorieux de son pontificat, me semble un fait d'autant plus désastreux qu'on y avait attaché, de par Dieu et la sainte Vierge, des bienfaits spirituels et temporels dont le monde n'a point joui, tant s'en faut! Vous vous applaudissez que Pie IX ait exercé sa puissance souveraine en proclamant dogme ce qui n'était auparavant qu'opinion; les réjouissances qui ont accompagné dans le monde chrétien tout entier la définition de ce que vous appelez la prérogative unique de la mère de Dieu, vous persuadent que l'union la plus intime existe entre les membres du corps mystique de Jésus-Christ et leur chef. Hélas! Monseigneur, les réjouissances populaires prouvent bien peu de chose pour l'observateur calme et consciencieux. On en provoquera facilement à l'occasion de tout événement extraordinaire; le peuple est aveugle, et ses réjouissances et contradictoires ne prouvent que son amour du changement et du plaisir.
Ce qui précède vous dit assez, Monseigneur, que je ne suis pas un des croyants au dogme de l'Immaculée-Conception.
Ai-je pour cela cessé d'âtre catholique? C'est là, Monseigneur, une question qui a pour moi la plus haute gravité. Avant la définition de Pie IX, j'étais catholique par conviction et sans restriction. J'adhérais à tout ce que l'Eglise catholique m'avait transmis par une tradition constante et perpétuelle depuis les apôtres. Ma foi était, grâce à Dieu, pure, solide, perpétuelle depuis les apôtres. Ma foi était, grâce à Dieu, pure, solide, complète; Tout ce qui était de foi avant mon adhésion entière, absolue. J'avais, par conséquent, pour la sainte mère de Jésus-Christ, le respect, la confiance, l'amour, tous les sentiments qui forment et constituent une vraie piété. Je m'occupais fort peu de la question de l'Immaculée-Conception. Tout en ne partageant point l'opinion de ceux qui mettaient une prérogative hypothétique au-dessus du privilège de la maternité divine, je n'aurais eu aucun éloignement pour admettre l'exemption du péché originel en la sainte Vierge, si l'Ecriture sainte et les écrits des saints Pères m'eussent fourni sur ce point des lumières que je n'y trouvais pas.
Aujourd'hui, Monseigneur, j'ai la même foi qu'avant la définition du 8 décembre 1854; j'ai la même piété envers la sainte Vierge; mais, dans ma conscience, je ne puis me décider à admettre une définition que je considère comme erronée et contraire aux vrais principes de la foi catholique.
A votre point d evue, je ne suis plus catholique; au mien, c'est vous qui êtes dans l'erreur. Qui de nous deux a raison? C'est ce que j'ai voulu examiner en lisant votre livre.
J'ai eu l'intention, en l'étudiant sérieusement, d'y adhérer si j'y trouvais l'éclaircissement de mes difficultés; je ne l'y ai point rencontér. Peut-être est-ce faute d'intelligence de ma part; Dans ce cas, j'espère que vous voudrez bien dissiper mes doutes. Je vais vous les exposer, Monseigneur, en toute simplicité. Je veux être catholique; je crois l'être. Je serais désolé de ne point appartenir à l'Eglise de Jésus-Christ. Mais faut-il, pour appartenir à l'Eglise, croire que Jésus-Christ lui ait révélé le dogme de l'Immaculée-Conception? L'Eglise a-t-elle parlé par la bouche de Pie IX? Les adhésions d'un grand nombre d'évêques sont-elles la voix de l'Eglise? Les Ecritures et la tradition nous ont-elles enseigné le dogme défini par Pie IX? Ce dogme a-t-il pour lui la foi constante et unanime de tous les siècles chrétiens? Ce sont là, Monseigneur, autant de points sur lesquels des doutes nombreux assiègent mon esprit.
Me direz-vous simplement, Monseigneur, que je dois croire aveuglément à la parole du Pape? Je ne puis le penser, Monseigneur. Puisque vous avez fait un livre pour prouver le dogme de l'Immaculée-Conception, c'est que vous voulez qu'on examine s'il appartient bien au dépôt que le Fils de Dieu a confié à son Eglise. Vous n'ignorez pas, en outre, que l'infaillibilité du Pape n'est point un dogme, et qu'il est impossible de croire, de foi divine, une vérité qui ne serait appuyée que sur une infaillibilité contestable. Enfin, Monseigneur, vous savez que saint Paul a formellement déclaré qu'il ne faudrait même pas croire à un ange qui descendrait du ciel pour nous ensigner une doctrine contraire à celle qu'il avait prêchée.
Vous admettez comme moi, avec toute l'Eglise, que l'unique motif de la foi est la véracité de Dieu. Il ne faut donc croire que sur la parole de Dieu ce qu'il a bien voulu nous révéler; et accepter cette parole de la bouche de l'Eglise catholique, c'est-à-dire de l'Eglise universelle de tous les temps. Jésus-Christ a-t-il révélé le dogme défini par Pie IX? L'Eglise catholique, dans tous les siècles, a-t-elle rendu témoignage à ce dogme? Voilà les deux points auxquels se réduit nécessairement toute la discussion entre catholiques.
Je ne les perdrai jamais de vue, Monseigneur, dans les doutes que j'ose vous adresser. Je vous suivrai page par page; vous serez ainsi convaincu que j'ai étudié votre livre consciencieusement. Cette étude sérieuse, ma bonne foi, mon intention formelle de rester catholique, d eposséder une foi aussi complète que vraie : ces dispositions vous engageront, je l'espère, Monseigneur, à donner quelque attention aux lettres que j'aurai l'honneur de vous adresser.
Je commence dès aujourd'hui, Monseigneur, à vous soumettre les remarques que j'ai faites sur votre préface.
Vous affirmez dès le début (p.IX), que les évêques qui se trouvèrent à Rome avec vous en 1854, pour la définition de Pie IX, furent unanimes sur la nécessité d'un ouvrage qui fût un exposé lucide de la croyance de l'Eglise sur l'Immaculée-Conception, et un résumé exact des motifs qui ont déterminé le Saint-Siège à prononcer son jugement doctrinal. " L'Angleterre, dites-vous, l'Amérique, la France, l'Allemagne, l'Italie même ne semblaient à leurs yeux pouvoir se passer d'une pareille publication." Telle fut aussi votre opinion, Monseigneur. Une réflexion surgit dans mon esprit en lisant de telles paroles : si la croyance à l'Immaculée-Conception était celle de l'Eglise, comment les catholiques de tous les pays l'ignoraient-ils? L'Eglise n'est pas un être abstrait, elle est la société des fidèles. Si les membres de cette société, dans tous les pays, avaient un besoin absolu d'un ouvrage qui fût un exposé de la croyance qu'on voulait définir, c'est que l'Eglise, qui est la société chrétienne, ignorait cette croyance. Or, l'Eglise peut-elle ignorer un des points de la révélation qui lui aurait été transmise d'âge en âge sans interruption?
De plus, vous attribuez au Saint-Siège la définition du dogme de l'Immaculée-Conception. Votre expression ne serait juste qu'autant que Pie IX, en donnant cette définition, aurait été l'écho de la foi de son Eglise de Rome à tous les siècles. S'il n'en était pas ainsi, sa définition lui serait purement personnelle. Aucun évêque ne peut être identifié avec son Eglise ou son siège. Aliud sunt sedes, dit saint Léon (Epist. 8, c.5), aliud praesidentes. Quoique premier pasteur de l'Eglise ou du siège de Bruges, vous n'êtes ni cette Eglise ni ce siège; Pie IX n'est pas davantage l'Eglise ou le siège de Rome. Il ne peut parler au nom de son Eglise qu'en s'unissant à la tradition constante de cette Eglise; par cette union, il ne fera qu'un avec elle; mais, en dehors de cette union, il est seul, isolé. Nous verrons plus tard si Pie IX a parlé au nom de son Eglise, et si votre expression, Monseigneur, est d'une rigoureuses exactitude.
Je me contenterai donc de vous faire observer, Monseigneur, que vous-mêmes aviez besoin de lumière touchant l'Immaculée-Conception puisque vous avouez que ce ne fut qu'à Rome que votre esprit fut éclairé d'une lumière inattendue (p.X). Il est vrai qu'elle fut si vive que le mystère de l'Immaculée-Conception vous apparut comme un des dogmes de foi les plus solidement établis que l'Eglise catholique ait jamais proposés à notre croyance.
Je n'en suis que plus étonné de l'opinion émise par tous les évêques de la nécessité d'un exposé lucide de ce dogme; car encore une fois, comment se fait-il que l'ignorance fût si universelle sur ce point, et que depuis des siècles on ne le donnât que comme une simple opinion? Je vous avoue, Monseigneur, que c'est là pour moi un problème insoluble. Qu'une conséquence éloignée d'un dogme ne fasse pas partie de l'enseignement dans l'Eglise, je le comprends; que la foi sur cette conséquence ne soit qu'implicite, je le comprends encore; que l'autorité établie par Jésus-Christ pour veiller au dépôt de la révélation ne s'en préoccupe point, tant que ce dogme ne sera pas attaqué au moyen d ecette conséquence éloignée, je n'ai aucune difficulté à l'admettre; mais que l'Eglise ait ignoré un seul instant un vrai dogme; que les évêques aient enseigné unanimement dans leurs rituels, que l'Immaculée-Conception n'était qu'une opinion; que tous les théologiens catholiques, sans exception, aient écrit dans le même sens, quoique cette Immaculée-Conception fût un des dogmes de foi les plus solidement établis que l'Eglise catholique ait jamais proposés à notre croyance, voilà ce dont je ne puis me rendre compte.
Les évêques qui se sont trouvés avec vous à Rome, vos anciens élèves de l'université de Louvain et le pape lui-même vous ont demandé, Monseigneur, le livre qui était si nécessaire à l'Eglise; c'est ainsi que vous avez été amené à le publier. Vous y avez eu pour but de donner une explication approfondie du mystère de l'Immaculée-Conception, afin d'aider les pasteurs à le faire mieux comprendre à leurs ouailles.
Ces expressions sont-elles justes, Monseigneur? Peut-on expliquer et faire comprendre les mystères?
Quoi qu'il en soit, tel est le but que vous vous êtes proposé :
" Je voulais, dites-vous ( p. XI et XII), réunir en un faisceau les preuves les plus saillantes de la vérité que le Saint-Siège venait de définir, afin que les enfants de l'Eglise, après en avoir pris connaissance, pussent sans effort rendre compte de leur foi. La pensée qui me guidait était celle-ci : Il importe de prouver que le dogme de l'Immaculée-Conception appartient à la révélation catholique; qu'il sort de cette tradition comme une fleur sort de sa tige. Il faut montrer aux enfants de l'Eglise les racines, le tronc, les branches, le fruit de cet arbre magnifique, afin que le décret dogmatique, prononcé par le Saint-Père, apparaisse à tous les yeux comme la conséquence nécessaire, inévitable des principes de la théologie et d el'enseignement perpétuel de l'Eglise. Ce n'est point à la multitude des preuves qu'il faut viser, mais à leur choix, mais à la clarté et à la solidité de la démonstration. Dans un sujet aussi vaste, la difficulté la plus grande consiste à être clair et complet, sans être long; à dire tout ce qui est nécessaire, en omettant tout ce qui serait superflu. Evitons, me disais-je, les formes polémiques et les discussions arides; réfutons les objections les plus spécieuses, par des réponses directes, courtes et substantielles; faisons justice des autres, en établissant les faits et les points de doctrine qui les renversent et les détruisent."
Je ne dirai rien, Monseigneur, d el'exposition détaillée de votre plan, puisque j'en étudierai chaque partie en particulier avec le plus grand soin. Je regretterai seulement que vous ayez pensé qu'il n'y avait que des ministres protestants ou des demi-savants désoeuvrés qui pussent élever des difficultés sur votre livre. Il y a, Monseigneur, nombre de catholiques et même de prêtres, qui ne sont peut-être pas sans science, qui pourraient même mériter un titre plus honorable que celui de demi-savants, et qui ne croient pas à la définition de Pie IX, et qui ne s eregardent pas pour cela comme moins bons catholiques que vous. Il est de mauvais goût, Monseigneur, surtout pour un évêque, de se servir d'expressions outrageantes. C'est montrer de la passion, ce qui n'est ni utile ni expédient.
Enfin vous êtes persuadé que vos preuves sont décisives au point de vue catholique et que les monuments de la tradition sont en faveur de l'Immaculée- Conception aussi bien que le jugement infaillible de l'Eglise. J'ai, Monseigneur, à vous proposer de nombreuses difficultés sur ces deux points. Je commencerai dans ma prochaine lettre.
Veuillez agréer l'hommage de mon profond respect.


P.S. - J'ai remarqué, Monseigneur, les paroles suivantes dans la prière que vous avez adressée à la sainte Vierge à la fin de votre préface : " C'est de vous et d evotre divin fils, ô mère incomparable, que j'attends tout le fruit de mes travaux, et c'est à vous seule que je veux les rapporter."
Ainsi vous associez l'action de la sainte Vierge à celle du Dieu-Homme; vous ne donnez même que le second rang à Jésus-Christ, comme source des grâces dont votre livre peut être l'occasion; puis vous l'excluez formellement du motif qui vous dirige dans vos travaux. La sainte Vierge est votre unique fin; c'est à elle seule que vous les rapportez.
La conséquence nécessaire d'une telle doctrine, c'est que la sainte Vierge est votre Dieu. Pensez-vous, Monseigneur, par de telles exagérations que l'on pourrait si énergiquement caractériser, honorer l'humble Vierge qui se glorifiait en Dieu son Sauveur?


3. TROISIEME LETTRE


Monseigneur,


Vous affirmez que l'Ecriture sainte atteste clairement le grand privilège de l'Immaculée-Conception de la sainte Vierge, et que les monuments traditionnels qui en témoignent sont si nombreux que vous avez éprouvé "un véritable embarras à les classer de manière à ce qu'ils n'éblouissent et n'écrasent pas vos lecteurs." ( p.19, 20.)
Pourquoi alors, Monseigneur, vous être donné la peine d'écrire les observations préliminaires qui remplissent votre deuxième chapitre? Si l'Ecriture et la tradition parlent si clairement, il n'était vraiment pas besoin d'entrer en de si grands détails touchant la nature de la tradition et des témoignages qu'elle nous a transmis, et des formes différentes sous lesquelles elle s'offre à nous. Il me semble, Monseigneur, que l'idée de ces prolégomènes ne fût pas même venue à Votre Grandeur, si elle n'eût pas compris la nécessité de disposer d'avance le lecteur à donner à certains monuments un sens qu'on ne leur avait jamais attribué jusqu'à nos jours. Vous ne pouvez faire ouvertement le sacrifice de cette grande règle catholique qui reconnaît dans le témoignage constant et universel le critérium du dogme révélé. Pie IX lui-même a été obligé de lui rendre hommage dans sa bulle Ineffabilis. Votre Grandeur a donc eu recours à tout ce que l'habileté théologique pouvait avoir d eplus séduisant, afin de nous amener à la croyance dont vous êtes le défenseur autorisé.
Je vais examiner, Monseigneur, les divers points de votre théorie.
" Dès l'origine de la controverse touchant l'Immaculée-Conception, dites-vous, les défenseurs de ce privilège ne pouvaient avoir recours aux monuments écrits d ela tradition, qui étaient encore ignorés. De nos jours, la tradition a revêtu un éclat nouveau, par les travaux que le Saint-Siège a provoqués ou encouragés; mais, si la tradition n'était pas décisive à l'origine en faveur de l'Immaculée-Conception, les adversaires de ce privilège ne pouvaient établir non plus à son aide que Marie avait contracté le péché originel." ( p. 20, 21.)
Ces affirmations, Monseigneur, ne sont pas exactes. Il est certain qu'au XII° siècle et dans les temps qui suivirent, époque fixée par Votre Grandeur pour l'origine de la controverse, les monuments écrits de la tradition n'étaient pas aussi universellement connus qu'ils l'ont été depuis l'invention de l'imprimerie. Cependant, Monseigneur, les hommes innstruits de cette époque en connaissaienta ssez pour savoir certainement ce que la tradition enseignait; Les bibliothèques des monastères possédaient tous les monuments que nous avons aujourd'hui, et quoique les exemplaires en fussent moins multipliés, ils étaient en assez grand nombre pour que les écrivains d'autorité en eussent connaissance. Les ouvrages des docteurs du moyen âge, de saint Bernard, de saint Anselme, de saint Bonaventure, de saint Thomas d'Aquin, de Vincent de Beauvais, d'Albert le Grand et de tant d'autres, sont là pour attester qu'ils connaissent mieux la tradition catholique que la plupart de ceux qui, de nos jours, écrivent sur les matières théologiques.
Votre Grandeur a donc mal apprécié cette époque. C'est au nom de la tradition catholique que les grands docteurs du moyen âge résistèrent à ceux qui, par suite dd'une piéété plus vive qu'éclairée, selon saint Bernard, crurent que l'honneur dû à la sainte Vierge demandait qu'elle eût été conçue ssans péché. Vous semblez, Monseigneur, insinuer que saint Bernard fut vaincu dans la controverse par ceux dont il condamnait l'opinion avec toute l'autorité de la science, du génie et de la piété. ( p. 21.) Vous promettez de le faire voir dans la suite. Nous vous attendons.
Les travaux des derniers siècles ont-ils été, Monseigneur, aussi satisfaisants que vous le dites? Si j'en crois Votre Grandeur, ils ont jeté une si vive lumière sur les monuments de la tradition, que vous n'êtes point surpris que des savants théologiens aient déclaré, depuis deux siècles, que l'Immaculée-Conception appartient aux doctrines de foi. (p. 22.) Cependant, des théologiens non moins savants, et même d'une réputation beaucoup plus grande, n'ont pas hésité à dire, depuis deux siècles, que cette opinion ne pouvait appartenir à la foi, ne pouvait être définie. Les monuments de la tradition ne leur paraissaient donc pas aussi clairs ni aussi certains qu'à Votre Grandeur et à ses savants théologiens. Cette diversité d'opinions chez des hommes également versés dans les études théologiques et dans la connaissance de la tradition, nous met déjà en garde contre les expressions un peu exagérées, ce semble, dont se sert Votre Grandeur, qui ne voit partout que lumières, évidences et clartés pour son dogme favori.
Telle est la théorie développée par Votre Grandeur touchant la tradition ( p. 22, 23) :
" Les traditions catholiques sont des vérités révélées que l'Eglise conserve dans son sein." Elles se manifestent de plusieurs manières : les unes ont toujours été connues et enseignées en termes clairs et précis; les autres n'ont été crues qu'implicitement, c'est-à-dire qu'elles étaient contenues en germe dans des vérités explicites; enfin, il y a un troisième ordre de vérités " qui, révélées d'une manière directe, mais obscure, se sont éclaircies par le rapprochement des vérités déjà certaines et par l'enseignement de plus en plus précis de l'Eglise."
Votre Grandeur n'a appuyé sur aucune preuve ces assertions. A mon avis, elles ne peuvent soutenir l'examen, et elles détruisent radicalement les principes de la foi chrétienne.
L'homme peut certainement progresser dans la connaissance approfondie des dogmes chrétiens, y découvrir de nouveaux aspects, en déduire de nouvelles conséquences; mais l'Eglise ne progresse pas ainsi; elle se contente d'attester sa foi, et d'opposer aux inventions humaines qui seraient opposées au dépôt qui lui a été confié le poids accablant de son témoignage constant et universel. L'Eglise, société permanente, ne fait que transmettre d'âge en âge les vérités révélées; il ne peut y en avoir pour elles d'inconnues ou d emieux éclaircies. Lorsqu'une hérésie s'élève, toutes les Eglises particulières attestent la foi antique par l'organe de leurs chefs respectifs, c'est-à-dire les évêques : à cette attestation est attachée l'infaillibilité, en vertu du privilège divin. A côté de cette attestation, seule infaillible, il ne peut y avoir les discussions, les conclusions des évêques; mais, dans ces discussions et conclusions, les évêques ne sont plus que des théologiens, et il faut soigneusement distinguer leur action personnelle de l'acte épiscopal par lequel ils témoignent de la foi constante de leurs Eglises. AInsi, lorsque l'arianisme, l'hérésie la plus artificieuse qui ait ravagé l'Eglise, eut contesté la divinité de Jésus-Christ, les évêques assemblés à Nicée opposèrent à tous ses sophismes cette vérité : le Christ était Dieu. Mais lorsqu'à Rimini les évêques voulurent entrer en discussion, les catholiques se laissèrent tromper par les ariens.
Si vous vous étiez contenté, Monseigneur, de dire que l'Eglise pouvait faire progresser l'homme dans la connaissance du dogme chrétien et lui faire apercevoir sous d enouveaux points de vue une vérité déjà connue, en déjouant par son témoignage accablant et uniforme tous les artifices des hérétiques, j'eusse partagé votre manière de voir; mais lorsque vosu dites que l'Eglise peut découvrir de nouvelles vérités, touchant lesquelles son enseignement n'était pas précis, je ne puis voir sous d etelles opinions qu'une attaque directe à la révalation elle-même. Non, Monseigneur, l'Eglise n'a jamais rien découvert et ne découvrira jamais rien de nouveau dans le dépôt intact et pur, et, lorsque vous parlez d'une Eglise qui a sur un point une foi qu'elle n'avait pas auparavant, vous oubliez que l'Eglise est une société immuable, et que l'Eglise catholique n'est plus dès que vous la distinguez à tel ou tel siècle. Elle n'existe, en effet, qu'à la condition d'être perpétuelle, c'est-à-dire catholique pour les temps, et ce n'est qu'à cette Eglise perpétuelle, et nécessairement une, que le privilège d'infaillibilité appartient.
Il est facile de comprendre, Monseigneur, la raison qui vous a porté à adopter votre théorie sur les vérités obscures. Vous cherchez à faire croire que le nouveau dogme est une de ces vérités implicites qui sont la conséquence rigoureuse de dogmes parfaitement définis. Quel est, Monseigneur, le dogme dont l'Immaculée- Conception serait la conséquence rigoureuse? Quant à moi, je n'en aperçois aucun, et je ne puis envisager l'Immaculée-Conception que comme une opinion ayant son être propre, son caractère particulier. Vous dites bien, Monseigneur : " Le mystère de l'Immaculée-Conception appartient à la catégorie des vérités divines, révélées implicitement dans d'autres vérités, et à celle des véritésnrévélées directement d'une manière obscure." Mais Votre Grandeur se garde bien d'indiquer la vérité révélée, qui contient implicitement le prétendu dogme qu'elle défend.
Pour démontrer qu'il appartient à la catégorie des vérités que vous avez inventées pour les besoins de votre cause, vous déroulez ce que vous appelez les sources de la tradition catholique.
La première source de la tradition est, selon Grandeur, la tradition vivante de l'Eglise, c'est-à-dire sa croyance universelle actuelle. AInsi, il n'est pas nécessaire de constater la foi des siècles antérieurs pour avoir un témoignage infaillible. La foi actuelle de l'Eglise, ou sa tradition vivante, est une règle infaillible de vérité, indépendamment de tout monument écrit et de tout argument théologique.
Vous ne vous êtes pas aperçu, Monseigneur, qu'en isolant l'Eglise de telle époque, de l'Eglise des siècles antérieurs, vous lui enleviez sa catholicité. Peut-on parler de l'Eglise d'une manière abstraite, comme vous l'avez fait? Peut-on supposer que, de nos jours, elle puisse avoir une foi universelle sur un dogme révélé, sans que cette foi puisse être constatée dans tous les siècles par les monuments écrits? Cette supposition serait toujours chimérique quand elle ne serait pas aussi erronée. C'est là encore une invention née des besoins de la cause. On s'imagine qu'on peut démontrer le nouveau dogme par ce raisonnement : aujourd'hui, on croit partout à l'Immaculée-Conception comme de foi, donc ce dogme a été révélé; mais encore une fois, Monseigneur, vous détruisez le témoignage catholique, vous détruisez l'Eglise par une théorie que la théologie n'a jamais connue.
Quand même nous l'admettrions, le nouveau dogme n'en serait pas plus solide, parce que la foi de l'Eglise actuelle n'a pas été constatée, et qu'il est ridicule de prendre pour un témoignage de la foi universelle certaines manifestations dont on exagère l'importance dans un but facile à découvrir; mais cette théorie, inutile pour ce but, est fausse de tout point, et condamnée par les principes de l'enseignement de l'Eglise sur la tradition. Qu'est-ce qu'une tradition vivante, une foi actuelle pour l'Eglise? N'avez-vous remarqué, Monseigneur, que ces deux termes se détruisent mutuellement, et ne peuvent être juxtaposés sans détruire toute idée de tradition? Le mot tradition signifie une chose reçue par héritage des siècles antérieurs. Une tradition vivante est un non-sens et pas autre chose. De plus, Monseigneur, que devient l'apostilicité dans votre système? Car vous ne pourrez persuader à personne que l'Eglise tienne des Apôtres une foi dont on n'aperçoit aucun vestige dans les monuments écrits qui constituent la tradition?
Non seulement, Monseigneur, vous détruisez l'Eglise et ses caractères essentiels, en isolant la société chrétienne de telle époque de celle de telle autre époque, vous la détruisez encore en la divisant en deux parties distinctes; Votre Grandeur prend à la lettre, et d'une manière rigoureuse, la distinction, introduite depuis peu de temps dans l'enseignement théologique, de l'Eglise enseignante et de l'Eglise enseignée. Que l'on admettre cette distinction en ce sens que les évêques sont la voix nécessaire de leurs Eglises respectives, nous n'y voyons pas un inconvénient très grave; mais d'aller prendre ces mots à la rigueur et de scinder l'Eglise, qui est une, c'est ce qu'aucun catholique ne doit souffrir. Les fidèles seuls ne font pas plus l'Eglise que les pasteurs seuls. Tous ensemble forment un corps compact, un, indivisible; et c'est à l'Eglise ainsi entendue que les promesses ont été faites : elle conserve infailliblement la vérité révélée : les évêques la proclament infailliblement, en attestant la foi constante, chacun pour son Eglise particulière; voilà toute la théorie catholique sur l'infaillibilité. Cette infaillibilité est une; et, distinguer une infaillibilité passive et une infaillibilité active dans l'Eglise qui est une et qui est seule infaillible, c'est se perdre en des expressions fausses, incorrectes, qui ne peuvent être que des sources d'erreurs : je crois l'Eglise catholique; voilà la formule nettement posée par les Apôtres; toutes les distinctions théologiques n'exprimeront jamais rien de plus précis, de plus vrai. Celles que vous avez adoptées, Monseigneur, ne font qu'ébranler cet article fondamental du Symbole apostolique.
Vous promettez, Monseigneur, de traiter in extenso, dans votre troisième chapitre, d ela tradition vivante de l'Eglise. Nous vous suivrons de nouveau sur ce terrain, lorsque vous y reviendrez.
Passons à vos principes sur la tradition écrite. Vous distinguez encore dans cette tradition deux ordres de vérités : celles que vous nommez explicites et les vérités implicites. Vous donnez pour exemple de vérité implicite, la définition du dogme des deux volontés en Jésus-Christ, contenu implicitement dans celui de l'incarnation du Verbe. Ainsi vous confondez, Monseigneur, les vérités non définies avec celles que vous appelez implicites et obscures. Il me semble, Monseigneur, que Votre Grandeur se trompe. De ce que le dogme des deux volontés en Jésus-Christ n'a été défini qu'au VII° siècle, vous avez tort d'en conclure que la foi de l'Eglise sur ce point n'était pas déterminée. L'Eglise ne fait de définition officielle sur tel ou tel dogme, qu'au moment où ce dogme est attaqué; mais, de ce qu'elle ne définit pas, il ne faut pas en conclure qu'elle ne possède pas explicitement la vérité qu'elle définit lorsqu'elle est obligée de défendre sa foi. La définition de l'Eglise n'est que la constatation de la foi catholique; on ne peut constater ce qui n'existe pas. Or, une vérité implicite n'est qu'une vérité inconnue! L'Eglise ne passe jamais de l'inconnu au connu comme l'homme; elle n'a pas d'intelligence à exercer comme l'individu : elle affirme ce qu'elle a reçu par tradition, ce qu'elle a cru de tout temps.
Vous n'avez posé votre principe, Monseigneur, que pour expliquer comment Pie IX a pu déclarer dogme de foi ce qui n'existait pas encore en 1853; mais si vos efforts prouvent votre bonne volonté, ils font peu d'honneur à la science théologique de Votre Grandeur. Par le procédé des vérités implicites, révélées d'une manière obscure et transmises par tradition vivante, sans monuments écrits, il est facile, Monseigneur, de changer la révélation tout entière et de substituer une nouvelle religion au christianisme. Est-il permis, en faveur d'un prétendu dogme de fraîche date, d'inventer des systèmes aussi dangereux, et d'absuer ainsi de quelques mots vagues et obscurs usités dans les chicanes théologiques?
Mais, en adoptant même votre système, on n'en réfute pas moins, Monseigneur, le nouveau dogme que vous voulez prouver. L'Eglise, dites-vous, a enseigné l'Immaculée-Conception en termes généraux, depuis son origine jusqu'à nos jours : depuis le V° siècle, elle l'a enseigné d'une manière fort claire et fort précise : la preuve, c'est sa tradition sur la sainteté indéfinie de la sainte Vierge, qui a toujours existé parallèlement à la tradition de la transmission du péché originel à tous les hommes. Ces deux traditions semblent contradictoires; mais la contradiction n'a pas existé, parce que l'exemption de Marie n'a été qu'une exception à la loi, qui n'en a pas moins été générale. La tradition de la sainteté indéfinie de la sainte Vierge renferme implicitement le privilège de l'Immaculée-Conception. C'est là, Monseigneur, ce qu'il faudrait prouver. Il ne suffit pas de faire des phrases, de produire des affirmations gratuites pour opérer la conviction dans l'esprit des hommes sérieux; Quand Votre Grandeur aura prouvé ce qu'elle a avancé du parallélisme de l'enseignement de l'Eglise sur le péché originel et sur l'Immaculée-Conception, nous pourrons discuter; pour le moment, nous opposons simplement nos négations à vos affirmations, et nous n'avons trouvé rien de vrai dans le tableau que vous avez tracé.
J'ai été, je vous l'avoue, Monseigneur, scandalisé profondément par le trait qui termine votre deuxième chapitre. Je ne m'attendais certes pas à vous voir escamoter aussi légèrement le grand principe catholique si nettement formulé par saint Vincent de Lérins : quod ubique, quod semper, quod ab omnibus. " Cette maxime, dites-vous, n'est point applicable à tous les dogmes catholiques, en ce sens que tous ont été crus et professés explicitement, toujours, partout, et par tous les fidèles."
Ces paroles prouvent au moins que la règle de saint Vincent de Lérins ne peut s'accorder avec la théorie des vérités implicites. Or, cette règle a toujours été reconnue comme le critérium de toute vérité catholique, sans exception; donc, la théorie des vérités implicites est opposée à la règle catholique.
Si cette règle ne s'applique pas à toutes les vérités révélées, on peut en inventer de nouvelles; on peut faire de nouveaux dogmes; la religion devient un système humain, n'est plus un fait divin; tout homme logique, en suivant vos théories, Monseigneur, rejettera non seulement l'Immaculée-Conception, en faveur de laquelle vous les avez exposées; il rejettera toute révélation et sera rationaliste. Tel est le résultat qu'obtiendra Votre Grandeur; car, encore une fois, jamais vous ne pourrez persuader qu'un dogme ait toujours été cru, parce qu'il vous plaira de dire qu'il était implicitement renfermé dans telle ou telle croyance.
Vos théories générales sont fausses. Nous allons les étudier dans l'application que vous en avez faite au dogme du 8 décembre 1854.
Agréez, Monseigneur, etc.


4. VINGT-CINQUIEME LETTRE


Monseigneur,
Nous voici arrivés au XIX° siècle, et nous n'avons pas rencontré une seule preuve, tant soit peu solide, à l'appui de votre opinion et de la définition de Pie IX. Vous enregistrez avec complaisance les autorisations accordées par Pie VII et par Grégoire XVI de joindre l'épithète Immaculée au mot Conception, dans la préface de la messe de la fête du 8 décembre; d'invoquer Marie, dans les litanies, comme ayant été conçue sans péché; vous parlez des demandes faites par des particuliers pour que le pape définît la question. Le cardinal Lambrruschini en 1843, et le P. Perrone, jésuite, en 1847, entreprirent de démontrer que cette question pouvait être définie. Ces ouvrages, selon Votre Grandeur, eurent beaucoup d'influence sur la détermination de Pie IX. Ils prouvent du moins qu'on avait besoin, à Rome même, de nouveaux éclaircissements pour savoir si l'Immaculée- Conception pouvait ou non être définie. Si cette opinion eût appartenu de tout temps à la croyance catholique, comme vous avez osé le prétendre, il n'en eût pas été ainsi.
En 1847, ou 1848, dites-vous, Pie IX nomma une commission pour examiner l'affaire. Ne dirait-on pas, à vous entendre parler ainsi, qu'on définit un dogme, comme on décide une affaire diplomatique. La commission suivit Pie IX de Rome à Gaëte. Elle était composée des plus grands partisans de la définition. Le P. Perrone, jésuite, y brillait à côté du P. Passaglia. Ce dernier est auteur de l'ouvrage le plus important sur la matière. Votre Grandeur en convient; elle en a pris les meilleurs textes, que nous avons prouvés être apocryphes ou nuls. Cependant c'est cet ouvrage, véritable Babel de textes faux, apocryphes, tronqués ou nuls, qui a servi de moule à la bulle de Pie IX. Vous êtes obligé de l'avouer : " La bulle de la définition, dites-vous, a été calquée sur cet ouvrage." (p. 348, note 4.)
C'est donc avec raison que nous avons désigné le P. Passaglia comme le principal inspirateur de Pie IX, et le véritable auteur de la bulle Ineffabilis. Pie IX s'est laissé tromper par ses commissions, dans lesquelles on n'avait laissé pénétrer aucun adversaire de la définition.
C'est là un fait acquis à l'histoire.
Ces commissions s'attachèrent à prouver qu'une définition pouvait être rendue par le pape sans qu'il eût besoin de téoignages de l'Ecriture, et d'une tradition non interrompue. Votre Grandeur l'avoue ( p. 352), et les preuves en sont écrites.
Les commissions ont donc méconnu la règle de foi catholique.
C'est là un second fait incontestable.
D'après votre Grandeur, il n'y a que l'ignorance ou le demi-savoir (p. 353) qui peuvent prétendre que les témoignages de l'Ecriture sainte et d'une tradition constante sont nécessaires pour une définition dogmatique. Il est peu flatteur, Monseigneur, d'être classé dans la catégorie des ignorants et des demi-savants. Nous vous avouerons cependant que nous aimons mieux y être placés par des savants comme vous, Monseigneur, ou comme le P. Passaglia, que de mériter à vos yeux le titre de savant. Votre science est peut-être fort étendue, mais nous sommes assez peu instruits pour croire que, l'Ecriture Sainte étant la parole de Dieu, et la tradition catholique son interprète, il vaut mieux les avoir pour nous que la parole du pape, corroborée de vos textes apocryphes et de vos systèmes. Que voulez-vous, Monseigneur, tout le monde ne comprend pas que l'on doive mettre le pape à la place de l'Eglise, et la sainte Vierge au milieu des personnes de la sainte Trinité. C'est un grand malheur à vos yeux, sans doute. Pour nous, nous regardons comme un plus grand malheur : que le pape ait été trompé par quelques fanatiques, qui ont osé dire tout haut qu'ils ne tenaient aucun compte de l'ancienne règle de foi de l'Eglise; et qu'un évêque comme vous, Monseigneur, qui a écrit pour obéir au pape, loue ces fanatiques de leur erreur, insulte ceux qui ne veulent pas la partager, et fasse l'apologie d'une bulle erronée, dont il voudrait faire porter la responsabilité à l'Eglise elle-même.
Comptez tant qu'il vous plaira, Monseigneur, les commissions instituées par Pie IX; parlez avec emphase des précautions prises par ce pape pour s'éclairer sur la question; énumérez les volumes imprimés pour répandre la lumière; tout cela prouve le contraire de ce que vous avez en vue. Nous vous dirons toujours : on n'eût pas eu besoin de se donner tant de peine si la croyance à l'Immaculée-Conceprion eût été une croyance universelle et constante dans l'Eglise; tous les efforts tentés pour le prouver n'ayant eu pour résultat que de faire appel à des tetxes nuls ou apocryphes, et à des systèmes inconnus jusqu'à nos jours, il s'ensuit que la définition était impossible, et que la bulle Ineffabilis doit être classée dans la catégorie déjà trop nombreuse des actes pontificaux rejetés comme erronés.
En même temps que Pie IX instituait ses commissions, il demandait aux évêques, par une circulaire, quelle était leur piété et la dévotion des fidèles de leurs diocèses envers l'Immaculée-Conception. Les évêques n'avaient pas à répondre sur la foi d eleur Eglise, touchant laquelle on ne les consultait pas; la demande et les réponses n'eurent donc qu'un caractère privé, et non un caractère épiscopal.
Tout était préparé à Rome pour la définition, dès 1853. Au commencement de 1854, "on sut que le souverain pontife avait pris la résolution de définir le mystère de l'Immaculée-Conception de la très sainte Vierge." Ce sont vos paroles, Monseigneur. ( p. 356.) Il prit cette résolution d'après les avis de ses commissions et d'après les réponses des évêques. Les avis étaient erronés, et les réponses n'avaient rien du caractère catholique et épiscopal. La bulle ne pouvait, par conséquent, être considérée que comme un acte particulier à Pie IX. Un certain nombre d'évêques furent invités à assister à la cérémonie de la définition. Cette invitation ne fut faite qu'à ceux qui s'étaient le plus distingués par leur ultramontanisme. Vous affirmez le contraire, Monseigneur, et vous prétendez prouver ce que vous avancez, en disant que M. Sibour, archevêque de Paris, connu par son opposition, fut invité à plusieurs reprises par le pape, et que M. Sibour vous le déclara à vous-même. Et nous vous dirons, nous, Monseigneur, parce que nous le savons de manière à n'en pas pouvoir douter, que M. Sibour ne fut invité qu'après avoir témoigné son étonnement et sa peine de ne l'avoir pas été; qu'arrivé à Rome, il s emontra indigné de trouver dans les Pareri un mémoire latin adressé par lui, ridiculisé au moyen de certains monosyllabes destinés à en relever les fautes; qu'il menaça de se retirer si ces insultes ne disparaissaient pas au moyen de cartons; qu'on le prit par son faible, qu'on l'adula, qu'on lui fit certaines promesses pour éteindre en lui les velléités d'opposition qu'on avait remarquées; qu'on affecta de lui faire porter le bougeoir à la cérémonie de la définition, ce qui fut pour les séminaristes, et pour d'autres encore, un sujet de plaisanteries assez multipliées.
Ces faits-là, nous les connaissons parfaitement, Monseigneur, et il en est beaucoup d'autres, à Paris comme ailleurs, qui les connaissent aussi bien que nous.
L'invitation de M. Sibour ne prouve donc point que les évêques connus par leur ultramontanisme ne furent pas choisis de préférence aux autres pour assister à la définition. Du reste, ce point a fort peu d'importance, car vous convenez que les évêques ne furent pas appelés à Rome pour juger la question, mais pour assister seulement à une fête et y remplir le rôle d'enfants de choeur, selon l'expression pittoresque si souvent répétée en chaire par M. l'abbé Combalot. Le cardinal Brunelli, qui les présida pendant les quatre séances où l'on daigna leur faire connaître le projet de bulle calqué sur l'ouvrage du P. Passaglia, le cardinal Brunelli, disons-nous, eut grand soin de les avertir " que le souverain pontife n'avait point eu l'intention de réunir les évêques en concile, ni d'autoriser une discussion sur le fond de la question ou sur l'opportunité de la définition, deux points dont il se réservait le jugement." Nous parlons d'après vous, Monseigneur. ( p. 359, 360.)
Votre Grandeur prétend que les témoignages des saints Pères contenus dans la bulle furent soumis à un examen sévère de la part des évêques. Vous faites peu d'honneur à leur érudition; car il n'est pas difficile d'en découvrir d'apocryphes, comme nous l'avons remarqué.
Nous avons eu déjà occasion de citer, Monseigneur, un extrait du discours que vous avez prononcé, dans une des séances, pour constater que les évêques n'avaient point été juges dans la question; que la définition appartenait au pape seul, en vertu de son infaillibilité. Contentons-nous donc de mentionner cette harangue et de dire que l'infaillibilité du pape est au moins contestée au sein de l'Eglise; nous sommes modestes; vous ne pouvez nous accorder moins; or, comment, en vertu d'une infaillibilité contestée, le pape a-t-il pu prononcer une définition dogmatique qui oblige tous les catholiques? Les évêques adhèrent, dites-vous; mais d'abord leur adhésion ne donne, selon vous, aucune valeur à la définition qui la reçoit toute de l'infaillibilité pontificale; de plus, les évêques n'ont pas été juges dans la question; vous en convenez avec l'assemblée réunie à Rome; s'ils n'ont pas jugé, ils n'ont pas agi en évêques; leurs adhésions n'ont qu'un caractère privé : il y a eu quelques centaines d'individus qui ont courbé la tête devant la volonté de Pie IX; il n'y a pas un seul évêque qui ait jugé ni adhéré en EVEQUE; il n'en est pas un seul qui ait osé dire qu'il était témoin de la foi constante et universelle de son Eglise; s'il n'y a pas eu de TEMOIGNAGE EPISCOPAL, l'EGLISE n'a pas parlé; le pape seul a défini en son nom et sous sa propre responsabilité. Telles sont, Monseigneur, les conséquences rigoureuses, nécessaires, de vos aveux. Ces aveux sont conformes aux faits, nous le reconnaissons; nous aimons votre franchise sur ce point, et nous en profitons pour le triomphe de la vérité.
Après les quatre séances employées à entendre le projet de bulle, il ne restait plus qu'à définir. Pour honorer les évêques qui y avaient assisté, le pape nomma évêques assistants au trône pontifical ceux qui n'étaient pas encore revêtus de cette dignité, c'est-à-dire qu'il leur donna le droit de s'asseoir à ses pieds, dans les cérémonies publiques. Ce droit est bien honorable vraiment pour la dignité épiscopale, il était digne de la déférence que l'on avait eue pour l'infaillibilité de Pie IX. Après la définition, le pape fit un nouvel honneur aux évêques : il leur donna à chacun une médaille commémorative, frappée d'avance et fabriquée avec l'or de l'Autriche. Cette circonstance est mentionnée sur la médaille et mérite d'être remarquée.
Au milieu des belles phrases, plus ou moins belges, que vous consacrez aux détails de la solennité, nous remarquons surtout le discours qu'adressa au pape le doyen du Sacré Collège, le cardinal Macchi. Nous en avons déjà parlé; mais il est bon de rappeler que cette Eminence affecta de dire que c'était par un jugement suprême et infaillible de Pie IX que l'Immaculée Conception était définie. Les catholiques qui ne croient pas à l'infaillibilité de ce jugement, comme ils en ont le droit, peuvent donc regarder la définition comme non avenue. En cela, ils sont très logiques. La base de l'adhésion au jugement de Pie IX n'étant que son infaillibilité, dès que cette infaillibilité est repoussée, le jugement ne peut subsister.
Vous faites, Monseigneur, un tableau enthousiaste de la joie qu'éprouvèrent ceux qui assistaient à la définition. Nous voulons bien y croire; mais croyez de votre côté, Monseigneur, que bon nombre de catholiques, et des plus sérieux, ont ressenti la plus vive douleur, en voyant la foi et l'Eglise compromises par les exagérations ultramontaines. Tous les catholiques, soyez-en certain, Monseigneur, ne partagent pas vos illusions sur l'opportunité et l'utilité de la définition.
A vos yeux, elle a été opportune, parce que le pape et les évêques en ont jugé ainsi. Lorsqu'on veut, Monseigneur, que l'on respecte les dignitaires de l'Eglise, il ne faut pas exagérer la soumission qu'on leur doit. On peut, sans manquer à l'autorité épiscopale, se prononcer contre une opinion du pape et des évêques. Ils se sont assez souvent trompés pour que l'on se tienne sur ses gardes; les principes avant les personnes; la foi avant les opinions : telles sont les règles de tout chrétien instruit. Si les fidèles avaient suivi le pape Libère et les évêques, du temps de l'arianisme, ils eussent été ariens. Le grand Hilaire de Poitiers dit anathème à LIbère, et il fit rentrer les évêques dans le devoir; on peut agir comme saint Hilaire sans cesser d'être catholique; à plus forte raison peut-on, sans cesser de l'être, refuser modestement son adhésion à un acte erroné, et discuter les preuves sur lesquelles on prétend l'appuyer.
Vous ne voulez pas, Monseigneur, que l'on juge que la définition a été inopportune, en ce qu'elle aurait été l'occasion des blasphèmes des impies; on ne doit pas prévenir, dites-vous, le scandale pharisaïque des hommes égarés : ce sont vos paroles. D'après l'Evangile, le devoir des pasteurs de l'Eglise est de courir après les brebis égarées; de les préférer, pour ainsi dire, à celles qui peuvent se passer de leurs soins, et de les ramener à la bergerie du Seigneur. Votre principe est donc diamétralement opposé à celui de l'Evangile.
" Les âmes faibles, les indifférents, les demi-savants, les demi-chrétiens qui s'embarrassent dans les objections que le faux savoir sème sous leurs pas, qui reculent devant un accroissement du symbole", ne méritaient pas plus d'être ménagés que les adversaires de l'Eglise et que les protestants, qui tendaient vers un rapprochement avec l'Eglise catholique. C'est vous qui l'affirmez. ( p. 382.)
Selon Votre Grandeur, les craintes que la définition leur faisait concevoir étaient chimériques. " Aujourd'hui, ajoutez-vous, les effets de la définition le prouvent." ( p. 383.) Vous vous êtes aperçu que, depuis la définition, il y a eu trêve dans la guerre faite à l'Eglise; que le mouvement de retour des protestants paraît s'être activé; vous voyez les choses en beau, Monseigneur : nous ne vous en félicitons pas.
La définition de Pie IX fut non seulement opportune à vos yeux, elle était devenue nécessaire, après tout ce qu'on avait fait, dans l'Eglise, en faveur d el'Immaculée-Conception, qui, de sa nature, appartient à la foi (p. 385.)
Tout ce qui se fait dans l'Eglise n'engage pas l'Eglise elle-même, vous devez le comprendre, Monseigneur. Les fêtes, les indulgences, les confréries de l'Immaculée-Conception, pouvaient très bien être laissées à certains papes, et aux jésuites qui les avaient provoquées par leurs pénitents couronnés, ou par leurs affiliés, et ne pas compromettre davantage l'Eglise. Vous prétendez que la croyance à l'Immaculée-Conception est, de sa nature, matière de foi. Bossuet, qui était un plus grand théologien que vous, Monseigneur, nous pouvons vous le dire sans vous humilier, prétend le contraire. Molanus lui avait parlé de cette question en ces termes, dans son projet de réunion des catholiques et des protestants : " Une partie de l'Eglise romaine approuve l'Immaculée-Conception de la Vierge Marie, et une partie l'improuve. Toute l'Eglise des protestants a décidé que la bienheureuse Marie, quoique très sainte et très pleine de grâce, a été conçue, cependant, avec le péché originel. Pour la paix et la concorde, les catholiques, dans l'assemblée projetée, seront priés de se ranger à la croyance que l'Eglise protestante entière a adoptée."
Bossuet lui répondit ainsi, dans son contre-projet : " Ce n'est pas une partie de l'Eglise, mais TOUTE l'Eglise romaine qui regarde l'Immaculée-Conception de la bienheureuse Vierge pour une chose indifférente et qui n'appartient pas à la foi." "Non pars Ecclesiae, sed TOTA Ecclesia romana Immaculatam Beatae Virginis Conceptionem pro re indifferenti habet, neque ad fidem pertinente."
D'après un docte Allemand, que vous respectez sans doute, Monseigneur, le savant prêtre Doellingen, Bossuet est le plus grand théologien qu'ait fourni l'épiscopat catholique depuis trois siècles. Que devient votre opinion sous le tonnerre de cette grande voix? Le plus grand théologien pouvait, à la fin du XVII° siècle, prononcer de telles paroles sans cesser d'être regardé comme le premier et le plus grand des défenseurs de l'Eglise; et aujourd'hui parce que Pie IX s'est laissé tromper par les pères Passaglia et Péronne, nous serions obligé de préférer votre opinion à celle de Bossuet! Non, Monseigneur, non, il n'en peut être ainsi.
Comment Votre Grandeur a-t-elle pu faire ce raisonnement incroyable?
" L'Immaculée-Conception, qui de sa nature est matière de foi, est admise par l'Eglise universelle; elle est donc évidemment révélée." (p. 386.)
Non, l'Immaculée-Conception n'est pas, de sa nature, matière de foi; elle n'est pas admise par l'Eglise universelle. L'Eglise universelle est catholique, en ce sens qu'elle est permanente dans la possession de la vérité révélée, depuis les apôtres jusqu'à nos jours. Votre ouvrage, à lui seul, Monseigneur, démontre que la doctrine de l'Immaculée-Conception est nouvelle, et qu'on ne peut en trouver de traces dans les onze premiers siècles qu'en tronquant ou en dénaturant les monuments traditionnels. Donc l'Eglise universelle ou catholique n'admet pas votre dogme. Même en entendant comme vous le mot universel, il est impossible que vous admettiez que le consentement de l'Eglise actuelle soit pour vous. L'Eglise n'a pas été consultée, elle n'a donc pas consenti. Entendez-vous par Eglise un troupeau de dévots ou de dévotes disposés à croire tout ce qu'on voudra, sous prétexte de piété? Si c'est là votre Eglise, dites-le franchement. Quant aux lettres des évêques, nous les avons réduites à leur juste valeur.
Si l'Eglise n'avait pas défini, dites-vous, lorsque le consentement universel était pour l'Immaculée-Conception, on n'eût pas considéré ce consentement universel comme décisif en matière de foi. Vous trouvez ce raiosnnement spécieux (p. 386); dites ridicule, Monsiegneur, le mot sera mieux choisi; le catholique qui le ferait donnerait la preuve la plus évidente qu'il ne connaît pas les premiers éléments d ela doctrine chrétienne. Est-ce dans le consentement actuel, quand bien même il serait universel, que la foi réside? Le quod ab omnibus de Vincent de Lérins est précédé du quod ubique et du quod semper. Admettre le dernier mot de la règle de foi catholique n'est pas l'admettre tout entière; en scindant cette règle de foi, vous scindez l'Eglise.
Allons, Monseigneur, de la bonne foi. Avouez que votre prétendue universalité n'existe pas; que l'immense majorité des catholiques sont indifférents pour le nouveau dogme ou s'en moquent; que les oppositions sont nombreuses parmi les catholiques les plus éclairés, comme dans le clergé. Si elles ne se manifestent pas davantage, surtout dans le clergé, vous en connaissez bien les raisons, Monseigneur. Les évêques eux-mêmes sont-ils libres à l'égard de Rome sur cette question? Pie IX, en leur annonçant d'avance, dans ses circulaires, qu'il voulait définir la question, et en leur faisant entendre que ses lettres n'étaient qu'une formalité, ne leur fermait-il pas la bouche? Plût à Dieu qu'ils eussent parlé, et qu'ils eussent attesté que jamais leurs églises n'avaient eu une pareille foi! Plût à Dieu qu'ils eussent pu, au moins, garder le silence sans se mettre en suspicion vis-à-vis du parti qui domine et violente l'Eglise! Mais, du moins, ils n'ont pas répondu en évêques, et vous ne pouvez réclamer, en faveur de la définition, que quelques centaines d'hommes plus ou moins instruits. Voilà, Monseigneur, votre universalité réduite à sa véritable expression.
Vous pouvez faire garnd bruit de cette universalité, l'exalter, vous en applaudir; vous ne convaincrez aucun chrétien instruit que l'universalité actuelle soit règle de foi; et personne ne croira même que cette universalité actuelle existe.
Vous affirmez qu'il fallait enfin être agréable, par la définition, aux pieux fidèles qui fatiguaient le Saint-Siège de leurs instances. (p. 336.)
Il eût mieux valu, Monseigneur, que Pie IX écrivît une bonne fois, dans un bref rendu public, que ces pieux fidèles n'avaient pas une dévotion assez éclairée; que la sainte Vierge ne serait ni plus respectée, ni plus glorieuse, quan dil donnerait la définition réclamée; et que, de plus, en la donnant, il porterait atteinte à la foi, causerait un grand scandale dans l'Eglise, et réjouirait les ennemis de la papauté.
Si Pie IX se fût prononcé une seule fois en ce sens, le SaintSiège n'eût plus été fatigué de réclamations; et ceux qui font aujourd'hui le plus de zèle en faveur de la définition, auraient montré le plus d'empressement à féliciter Pie IX de sa sagesse.






III


LE SACRE-COEUR,
HERESIE SUR L'INCARNATION


Nous ne pensons pas que l'on puisse raisonnablement contester ce que nous avons établi touchant l'hérésie de la papauté, relative à la sainte Trinité. Les théories prétendues philosophiques à l'aide desquelles on a essayé de justifier l'addition du filioque au symbole ne supportent pas l'examen. On comprend même à peine que l'on ait tenté ce genre de preuves dans une Eglise qui enseigne que la Trinité est un mystère incompréhensible, et que la preuve traditionnelle est seule admissible lorsqu'il s'agit de constater l'existence d'un dogme révélé.
Nous ne perdons pas de temps à discuter des théories se rapportant à un dogme incompréhensible. Nous avons employé la seule méthode raisonnable en exposant, sous tous les rapports, et dans tous ses détails, la tradition constante de l'Eglise chrétienne.
Le dogme papal étant contraire à cette tradition est une hérésie.
Du premier dogme fondamental du christianisme, nous passons au second, c'est-à-dire, au mystère de l'Incarnation. La papauté a imposé aux Eglises occidentales plusieurs hérésies desctructives de ce dogme.
Exposons d'abord en quoi il consiste.
Toutes les Eglises chrétiennes ont professé et professent que le Verbe, deuxième personne de la Trinité, s'est fait homme; qu'il a pris un corps humain et une âme humaine; qu'il est apparu dans le monde sous le nom de Jésus, et avec la qualification de Christ.
Il y a donc en Jésus-Christ deux natures, la divine et l'humaine. Cependant, il n'y a qu'un Jésus-Christ, c'est-à-dire une seule personne en lui; cette personne est celle du Verbe, de sorte que Jésus-Christ, Dieu-Homme, est appelé à juste titre Fils de Dieu.
De ce qu'en Jésus-Christ il n'y a qu'une seule personne, et que cette personne est divine, il doit être adoré, c'est-à-dire qu'on lui doit le culte de latrie qui ne peut s'adresser qu'à Dieu.
Nestorius a contredit cet enseignement chrétien. Il n'osa pas, comme les anciens Gnostiques, dire ouvertement qu'il y avait en Jésus-Christ deux personnes, mais il attribua à chacune des deux natures un état tellement distinct que l'on pouvait bien en conclure qu'il considérait chaque nature comme une personnalité. Il allait jusqu'à séparer tellement la nature humaine de la nature divine qu'il prétendait que la divinité devait être adorée séparément de l'humanité.
Si, dans la personne unique de Jésus-Christ, on pouvait séparer l'humanité de la divinité, il esst bien évident que cette humanité ne mériterait pas le culte de latrie qui n'est dû qu'à Dieu; car, séparée de la divinité, l'humanité est créature et n'est pas Dieu. C'est à cette conséquence que tendait Nestorius qui voulait faire de l'homme en Jésus-Christ, une personne humaine, distincte de la personne divine.
Pour répondre à son hérésie, l'Eglise devait proclamer qu'une seule adoration s'adressait à Jésus-Christ, parce qu'il n'y a en lui qu'une personne qui est celle du Fils de Dieu. C'est ce que décida le concile oecuménique d'Ephèse.
Les cinquième et sixième conciles oecuméniques proclamèrent la même vérité, conformément à l'enseignement de l'Eglise primitive, dont saint Athanase d'Alexandrie était l'organe lorsqu'il disait : " Nous n'adorons pas une chose créée, mais le maître des choses créées, le Verbe de Dieu fait chair, quoique la chair elle-même considérée séparément, fasse partie des choses créées, cependant elle est devenue le corps de Dieu; nous n'adorons pas ce corps, après l'avoir séparé du Verbe; de même, nous ne séparons pas le Verbe du corps lorsque nous voulons l'adorer; mais sachant que le Verbe s'est fait chair, nous reconnaissons comme Dieu le Verbe existant dans la chair." (S. Ath. Epist. ad Adelph., § 3.) Tel est le dogme défini depuis par les conciles oecuméniques, et admis par toutes les Eglises, y compris celle de Rome.
Il n'est pas nécessaire de nous étendre davantage sur la constatation d'un point de foi qui n'est pas contesté. Pour prouver que la papauté a été hérétique sur ce point, nous devons seulement démontrer que, à côté de l'enseignement commun, elle en a ajouté un particulier, qui détruit radicalement le dogme de l'unité de personne en Jésus-Christ, qu'elle n'adore pas Jésus-Christ d'une seule adoration se rapportant à sa personne divine; qu'elle adresse un culte spécial à son humanité et même à des parties de son corps, spécialement au coeur, et qu'elle adresse à ce coeur, abstraction faite de la personne divine, un culte de latrie.
Si nous prouvons ce fait, on devra en conclure que la papauté a enseigné et imposé aux Eglises occidentales une hérésie plus déplorable encore que le Nestorianisme.
Quelques mots sur l'origine du culte du Sacré-Coeur sont nécessaires pour l'intelligence de ce que nous allons dire.
Le premier théologien qui l'ait enseigné est un jésuite nommé La Colombière, mort en 1682. Il était confesseur d'une religieuse de la congrégation dite de la Visitation et nommée Marie Alacoque. Le père La Colombière prêta à sa pénitente une foule de révélations, qui passèrent, de ses papiers, dans plusieurs publications faites par les jésuites, et dans la vie de Marie Alacoque, publiée par Languet évêque de Soissons, évêque jésuite s'il en fut jamais.
Lorsque Languet publia cet ouvrage, il y eut un tel scandale que, de concert avec le curé de Saint-Sulpice de Paris, son frère, il se hâta de faire disparaître les exemplaires. Quelques-uns cependant avaient été vendus, et il en parut une traduction italienne. Le pape Clément XIV la condamna aussitôt en 1772.
Marie Alacoque, religieuse de Paray-le-Monial, au diocèse d'Autun, était morte dès 1690.
Par ces dates, on voit que le culte du Sacré-Coeur ne remonte pas à une très haute antiquité; à la fin du dix-huitième siècle, la papauté ne lui était pas encore favorable.
Mais les jésuites se mirent si bien à l'oeuvre depuis cette époque, que le culte qui avait leur prédilection fit d erapides progrès. Leur but évident était d'établir le Nestorianisme. Deux de leurs Pères, Hardoin et Berruyer, avaient enseigné cette hérésie. Tandis que les évêques, unis au pape, condamnaient les ouvrages de ce dernier écrivain, les bons Pères en faisaient publier secrètement une seconde édition (217).
(217) : ( V. Notre Histoire de l'Eglise de France, pour les preuves).
Ne pouvant braver ostensiblement l'autorité ecclésiastique par un enseignement théologique évidemment hérétique, ils urent recours à la dévotion pour insinuer leur erreur sous une pieuse apparence, et par leurs récits surnaturels, ils lui donnèrent comme une consécration divine. Berruyer fut abandonné; le père La Colombière et sa Marie Alacoque conduisirent plus sûrement au même but.
Marie Alacoque prétendait que la dévotion au Sacré-Coeur avait été révélée. Un jour qu'elle était en prière devant le saint sacrement, Jésus lui dit, en lui montrant son coeur, qu'il exigeait d'elle que le vendredi après la Fête-Dieu fût consacré au culte de son coeur, en récompense des témoignages d'amour qu'il avait donnés aux hommes; adresse-toi, continua-t-il, à mon serviteur le Père La Colombière, jésuite; dis-lui de ma part de travailler autant qu'il lui sera possible à établir cette dévotion, afin de donner ce plaisir à mon coeur. Marie Alacoque communiqua au P. La Colombière la mission divine qu'elle avait reçue et ajouta : Jésus-Christ espère beaucoup de votre Compagnie.
La Compagnie des Jésuites, après s'être ainsi délégué de la part de Jésus-Christ la mission d'établir la dévotion au Sacré-Coeur, y travailla par tous ses moyens ordinaires.
D'abord les révélations se multipièrent, si nous en croyons le P. La Colombière et l'historien Languet. Marie Alacoque, d'après eux, passait des nuits presque entières en colloques amoureux avec son bien-aimé Jésus. Un jour, il lui permi d'appuyer sa tête sur sa poitrine et lui demanda son coeur. Elle y consentit; alors Jésus le prit, le mit dans le sien, puis le lui rendit. Dès lors, elle sentit une douleur continuelle au côté par où son coeur était sorti et rentré. Jésus lui conseilla de se faire saigner quand la douleur serait trop forte.
Marie Alacoque donna son coeur à Jésus par un acte en bonne forme qu'elle signa de son sang en cette manière : " Soeur Marguerite Marie, disciple du divin amour de l'adorable Jésus." En retour de cet acte, Jésus lui en fit un autre par lequel il la constitua héritière de son coeur pour le temps de l'éternité : " N'en sois pas chiche, lui dit-il, je te permets d'en disposer à ton gré, tu seras le jouet de mon bon plaisir." A ces mots Marie Alacoque prit un canif et traça sur sa poitrine le nom de Jésus en caractères grands et profonds.
Un jour, la sainte Vierge lui apparut, tenant dans ses bras Jésus enfant. Elle lui permit de le caresser et d ele tenir entre ses bras. Marie Alacoque lui dit, entre autres choses intéressantes, qu'elle voulait être en prison dans son coeur jusqu'à ce qu'elle eût payé toutes ses dettes.
Languet s'étend fort longuement sur la promesse de mariage intervenue entre Jésus et Marie Alacoque, sur les fiançailles et les épousailles. Le respect pour nos lecteurs nous interdit de citer les expressions dont s'est servi l'évêque jésuite.
Les soeurs de Marie Alacoque n'avaient pas, à ce qu'il paraît, autant de ferveur qu'on l'eût désiré. Mais la dévotion au Sacré-Coeur suppléait au reste; aussi, devant cette dévotion, le diable fut-il forcé de déguerpir du couvent, non sans renverser les rideaux et les tringles de la grille du choeur. Il devait au moins commettre une espièglerie, en quittant les lieux.
Le grave historien Languet raconte ces belles choses sans rire. Il nous apprend que le premier vendredi de chaque mois, les douleurs de côté de son héroîne étant fort vives, elle s efaisait saigner, comme Jésus le lui avait conseillé. Seulement, il n'a pas réfléchi que les saignées ayant été pratiquées chaque mois, d epuis l'apparition en 1674, jusqu'à la mort de Marie Alacoque en 1690, il s'ensuivrait qu'elle aurait été saignée cent quatre-vingt-douze fois en l'honneur du Sacré-Coeur. Si elle n'a pas succombé à un tel traitement, c'est encore par miracle sans doute.
Les jésuites, en donnant une origine céleste à la dévotion au Sacré-Coeur, profitaient de la circonstance pour recommander leurs autres doctrines de prédilection. AUtant les bons pères sont rigoureux pour ceux qui n'aiment pas leur Compagnie, autant ils sont débonnaires pour les autres. Si les vertus des premiers ne leur servent point pour le salut, les péchés des seconds ne peuvent leur nuire dès qu'ils ont aimé la pieuse Société. Aussi, Marie Alacoque vit-elle un jour le purgatoire, et fut-elle très heureuse d'y apercevoir une foule d'âmes qui n'avaient sur elles que cette étiquette : Elle n'a pas haï le Seigneur ( lisez : la Compagnie de Jésus). S'il suffit de ne pas haïr le Seigneur pour être sauvé, en passant par le purgatoire, il est bien évident qu'il n'y aura de damnés que ceux qui auront haï la sainte Compagnie.
L'Immaculée-Conception devait nécessairement être recommandée par le Sacré-Coeur. Marie Alacoque la faisait entrer dans l'esprit au moyen de petits billets que l'on devait avaler en guise de pilules. Elle écrivait donc à son frère qui était prêtre : " Nous avons promis que vous prendriez les billets que je vous envoie, un, chaque jour, à jeu, et que vous diriez ou que vous feriez dire neuf messes, durant neuf samedis, en l'honneur de l'Immaculée-Conception, et autant de messes de la Passion, pendant neuf vendredis, en l'honneur du Sacré-Coeur. Je crois que nul ne périra de ceux qui lui seront particulièrement consacrés."
On sait que les jésuites sont très prodigues du salut pour tous ceux qui consentent à suivre aveuglément leurs ordonnances. Le sang rédempteur n'est plus pour rien dans le salut de l'homme, dès qu'une invocation au Sacré-Coeur et à l'Immaculée-Conception vous rendent certain du salut.
Nous reviendrons sur ce sujet à propos des hérésies de l'Eglise romaine, contraires à la doctrine catholique sur la rédemption.
Nous pourrions citer une foule de miracles très singuliers racontés par les cordicoles, pour établir l'origine divine de leur culte de prédilection (218);
(218) : ( Il faut lire Larguet, dans sa Vie de Marie Alacoque, et le Culte de l'amour divin ou la Dévotion au Sacré-Coeur de Jésus, par Fumel, évêque de Lodève. Depuis ces deux ouvrages, on en a publié par centaines plus ridicules et plus hérétiques les uns que les autres).
mais il serait inutile de chercher à prouver que l'hérésie nestorienne, cachée sous la dévotion au Sacré-Coeur, est donnée comme un erévélation divine; personne ne le conteste dans l'Eglise romaine, surtout aujourd'hui que par la faveur de Pie IX, Marie Alacoque est placée au nombre des saintes.
Pour établir que le coeur charnel de Jésus est réellement l'objet du culte, il suffit de jeter un coup d'oeil sur le premier livre venu relatif à cette dévotion. On s'adresse à lui comme à un être distinct dans toutes les litanies et prières qui lui sont adressées. On y lit, par exemple : " Coeur de Jésus, riche envers ceux qui vous invoquent! Coeur de Jésus, propitiation pour nos péchés, etc, etc., intercédez pour nous!" On l'invoque dans le ciel, dans l'Eucharistie, partout où l'on place Jésus-Christ; il a ses prières spéciales; on en fait un objet séparé que l'on offre au Père, au Fils, au Saint-Esprit; on parle de ses palpitations, de sa dilatation; on affirme qu'il a été formé du sang de David; qu'il est tissu de fibres d'une exquise sensibilité; que son mouvement est doux, etc., etc. (219).
(219) : ( V. Recueil de différents exercices de piété en l'honneur du très-saint Coeur de Jésus; la Dévotion au Sacré-Coeur, etc., etc.).
Un jésuite, le P. Galifet, a cherché à excuser le culte rendu au Sacré-Coeur par celui que l'Eglise romaine rend à la chair de Jésus-Christ dans le fête du Saint-Sacrement, appelée vulgairement Fête-Dieu. Il est certain que cette fête est appelée dans les livres liturgiques romains : Festum Corporis, le Fête du Corps. Sur cela, le Père Galifet raisonne ainsi : "Le seul et propre objet de la Fête-Dieu est la chair de Jésus-Christ : d'où l'on doit conclure qu'on n'a pas précisément institué cette fête pour honorer la personne de Jésus-Christ, mais pour honorer sa chair, son corps, son sang, puisque ni l'ême, ni la divinité, ni la personne ne sont l'objet formel de cette fête. L'objet direct et immédiat est la chair très sainte de Jésus-Christ dans le sacrement (220)".
(220) : ( Dévotion au Sacré-Coeur, liv. II. c. 2).
Le P. Galifet raisonne bien. En effet, si l'Eglise romaine a établi la fête du corps de Jésus-Christ, sans relation à la personne divine, elle a pu établir celle du sacré-Coeur. Seulement, du raisonnement du P. Galifet résultent deux preuves au lieu d'une à l'appui du nestorianisme de l'Eglise romaine.
On ne se fit point illusion à Rome sur le caractère hérétique de la dévotion au Sacré-Coeur. Aussi, lorsque les jésuites sollicitèrent l'établissement d'une fête du Sacré-Coeur, leur demande fut-elle rejetée par la Congrégation des Rites. Après cet échec, éprouvé en 1797, ils attendirent trente ans pour adresser une nouvelle requête; mais ils profitèrent largement de ce délai pour répndre la dévotion nouvelle dans le peuple ignorant et dévot. Les images, les médailles, les petits livrets, les miracles, les prophéties, les prédications, les exhortations au confessionnal, les congrégations, tous ces moyens par lesquels les jésuites préparent les doctrines qu'ils veulent définir, furent employés. Le terrain étant ainsi préparé, deux requêtes sont adressées coup sur coup pour l'établissement de la fête, en 1727 et en 1729.
La Congrégation des Rites avait alors pour promoteur de la foi Prosper Lamberini qui fut depuis le pape Benoît XIV. Il était instruit et peu jésuite. Il fit rejeter les requêtes. C'est lui qui a conservé les détails de cette affaire dans son ouvrage intitulé : De la Canonisation des Saints. Si l'on demande, dit-il, une fête pour le Sacré-Coeur de Jésus, pourquoi n'en pas demander aussi pour le sacré côté, les sacrés yeux, et même pour le coeur de la sainte Vierge?
Cette dernière est aujourd'hui en usage dans l'Eglise romaine. Benoît XIV ne se doutait pas que ce qu'il trouvait ridicule, serait institué de la part de Dieu.
L'échec des jésuites ne les découragea pas. Les miracles se multiplièrent; on avait fait surtout grand bruit de la peste de Marseille. Cette ville avait, en 1722, pour évêque un ancien jésuite nommé Belzunce, lequel n'avait quitté la Société, comme tant d'autres, que pour la mieux servir dans l'épiscopat (221).
(221) : ( On sait que les jésuites sont doués d'un si admirable désintéressement que, en restant jésuites, ils ne peuvent être évêques : seulement il y a plusieurs manières d'être jésuite, et avec le ciel et le désintéressement, il y a des accommodements).
On lui avait inspiér l'idée de dédier sa ville épiscopale au Sacré-Coeur, pour arrêter le fléau. Il fait cette consécration avec une mise en scène très émouvante. Quel en fut le résultat? Rome ne se laissa point toucher; le jésuite Galifet et Languet, contemporains du fait, dirent timidement que le fléau avait commencé à diminuer, à dater du jour de la consécration. Mais il fallait quelque chose de plus positif; c'est pourquoi, Drouas, évêque de Toul, élève de Languet, assura, en 1763, que la contagion avait cessé le jour même de la consécration. En 1823, M. de Quélen, archevêque de Paris, affirmait que la contagion avait cessé subitement.
Aujourd'hui tout le monde, dans l'Eglise romaine, accepte ce miracle subit. Ce fait, très bien exploité, servit beaucoup à la propagation de la dévotion nouvelle et prépara l'institution de la fête.
Deux papes, amis des jésuites, Clément XI et Clément XIII, firent les premières concessions. Ce dernier se fit adresser des lettres par quelques évêques polonais; il supposa en avoir reçu une de Philippe V, roi d'Espagne, lequel, en étant averti, fit déclarer que cette prétendue lettre était apocryphe. Les jésuites, le pape et son ministre Torrégiani étaient dans ce complot ténébreux. Cependant, Clément XIII n'osa pas établir une fête en l'honneur du coeur matériel de Jésus-Christ; il autorisa seulement, en 1765, une fête en l'honneur du coeur symbolique, c'est-à-dire de l'amour du Sauveur pour les hommes. Cependant, son décret fut interprété dans le sens du culte rendu au coeur matériel par Fumel, évêque de Lodève. Rome intervint par l'organe du canoniste Blasi qui publia, en 1771, une dissertation dans le but d'établir que le culte du coeur matériel n'était pas autorisé. Depuis, le pape Pie VI fit une déclaration analogue.
Ceci prouve évidemment que Rome ne se faisait point illusion sur la nature du nouveau culte et sur l'hérésie qu'il couvrait; afin d'y échapper, les cordicoles imaginèrent de dire qu'ils adoraient le coeur en ce sens qu'il était uni hypostatiquement à la divinité, et ils ne s'apercevaient pas qu'ils s'exprimaient comme Nestorius, lequel adorait ce qui paraissait, à cause de ce qui était caché. En effet, le coeur matériel était toujours à leurs yeux l'objet direct du culte nouveau. Ils n'osaient pas dire avec le jésuite Berruyer : " Jesu Christi humanitas est in se directe et in recto adoranda et cultu latriae prosequenda"; mais ils n'en faisaient pas moins du coeur matériel personnifié l'objet direct de leur culte; c'est à lui qu'ils adressent leirs prières; Du reste, en remontant à l'origine de la dévotion, il est évident que le coeur matériel est l'objet exclusif du culte. Le P. Galifet l'affirme de cette manière : " Il s'agit du ceour de Jésus-Christ dans sa signification propre et naturelle et nullement métaphorique. Jésus-Christ parle de son coeur réellement pris ( dans les révélations de Marie Alacoque); cela est manifeste par l'action qu'il fait de découvrir son coeur et de le montrer; il parle de ce coeur qu'il découvre et qu'il montre; c'est ce coeur qu'il veut qu'on honore, et dont il veut qu'on fasse la fête. On ne peut prendre dans un autre sens le mot de coeur répété plusieurs fois dans cette révélation, sans faire manifestement violence aux paroles et aux actions de Jésus-Christ. D'ailleurs, il est manifeste, dans la vie de la vénérable mère Marguerite ( Marie Alacoque) que, dans tous les endroits où elle parle de cette dévotion, elle a toujours pris le coeur de Jésus dans le sens naturel. Voilà donc l'objet sensible de la dévotion que Jésus-Christ veut établir (222). "
(222) : ( De l'excellence de la dévotion au Coeur adorable de Jésus-Christ).
La doctrine du P. Galifet qui était celle de tous les cordicoles, l'emporta sur les réticences de Rome.
La plupart des évêques, à la fin du XVIII° siècle, firent des mandements pour établir dans leurs diocèses le culte du Sacré-Coeur, et indiquèrent le coeur matériel comme objeet du culte; ils composèrent des offices qui furent insérés dans les Bréviaires et les Missels de leurs diocèses; ils laissèrent répandre des livrets, des prières, des exercices de piété, où le coeur matériel était donné le plus explicitement possible comme objet d'adoration.
Après la révolution française, la dévotion au Sacré-Coeur devint le point de ralliement de tous ceux qui se déclaraient pour le trône et l'autel; de vastes associations s'établirent, semi-politiques, semi-religieuses; le culte du Sacré-Coeur acquit ainsi une nouvelle et à mesure qu'il s'étendait, il s'accentuait avec moins de ménagement dans le sens nestorien. Les papes entrèrent dans la même voie. Les indukgences furent prodiguées au nouveau culte; on prétendit que la nouvelle dévotion était destinée à vaincre l'impiété, comme si ceux qui refusaient d'être disciples de Jésus-Christ allaient devenir ceux de Marie Alacoque.
De nos jours, Marie Alacoque a été mise dans le catalogue des saints par Pie IX. Cette béatification est l'approbation directe de ses révélations et de sa doctrine. Or, comme il est impossible d'élever le plus léger doute sur ce que Marie Alacoque entendait par le coeur de Jésus-Christ, Rome a abandonné les distinctions théologiques de Clément XIII et de Pie VI, pour proclamer le coeur matériel de Jésus-Christ digne d'adoration, sans aucune relation à la personne divine, conformément à la doctrine de Marie Alacoque, expliquée par La Colombière, Galiget, les deux Languet de Sens et de Saint-Sulpice de Paris, Fumel et cent autres docteurs cordicoles.
Aussi cette doctrine ne fait-elle plus doute aujourd'hui. Nous pourrions citer plusieurs ouvrages autorisés qui le prouvent jusqu'à l'évidence. Nous préférons donner la parole à un évêque qui, il y a quelques jours '223), s'exprimait ainsi dans un mandement publié pour vouer son diocèse au Sacré-Coeur :
(223) : ( Mandement de l'évêque du Mans, en date du 16 mai 1872).
" Dans quelques jours, l'Eglise, après avoir entouré des hommages de sa foi et de son amour le corps du Sauveur toujours vivant pour nous dans la sainte Eucharistie, adressera des adorations spéciales au coeur sacré de Jésus, à ce coeur toujours palpitant pour nous de tendresse et d'amour...
" Pour répondre à notre double nature, cette dévotion, comme toutes les autres, a un double objet, l'un matériel et sensible, l'autre spirituel. C'est d'abord le coeur matériel même de Jésus à cause de son union avec la divinité. L'humanité tout entière de notre divin Sauveur est, en effet, l'objet de notre adoration...
" Comment donc le coeur de jésus ne serait-il pas l'objet d'un culte spécial? Non seulement il est uni à la divinité, mais n'est-il pas ce qu'il y a de plus excellent dans la création? N'est-il pas la partie la plus noble de sa vie physique? N'est-ce pas de ce coeur que sont sorties toutes les gouttes du sang répandu sur la croix et qu'il nous est donné de recueillir dans le calice eucharistique? Ce coeur enfin, percé sur la croix par la lance du soldat, ne nous présente-t-il pas une des plaies les plus touchantes de notre doux Sauveur?...
" Si le coeur matériel de Jésus-Christ est déjà digne de tous nos hommages, que sera-ce si, en nous conformant au langage universel, nous considérons ce coeur comme le siège, comme l'emblème et le symbole de l'amour infini du Verbe éternel, de l'amour de Dieu fait homme pour nous?"
L'évêque qui a prononcé de telles paroles s'étend en vain sur l'union de l'humanité avec le Verbe et sur le coeur symbolique; il n'en a pas moins affirmé : que l'humanité de Jésus-Christ en elle-même est adorable; que le corps est adorable; qu'ils ne sont pas adorés d'une seule et même adoration s'adressant à la personne divine.
Il est vrai que l'évêque du Mans n'enseigne pas une doctrine qui lui soit personnelle; sa doctrine est celle de son Eglise, comme il a soin de le déclarer.
Or, cette doctrine ets hérétique, et a été condamnée par les deux conciles oecuméniques d'Ephèse et de Constantinople.
Le premier de ces conciles approuva le huitième anathème de saint Cyrille dans lequel on condamnait celui qui n'adorait pas l'Emmanuel ou la personne divine Jésus-Christ par une seule adoration.
Le deuxième concile oecuménique de Constantinople s'exprime ainsi : " Si quelqu'un soutient que Jésus-Christ doit être adoré dnas chacune de ses deux natures, de manière qu'il introduise deux adorations, l'une de Dieu, l'autre de l'homme en Jésus-Christ, au lieu d'adorer par une seule et unique adoration le Verbe incarné et la nature humaine qu'il s'est rendue propre et sienne, ainsi que l'Eglise, par une tradition constante, l'a toujours cru et observé, qu'il soit anathème."
Les cordicoles cherchent à échapper à cette condamnation, en prétendant que leur adoration ne s'adresse au coeur qu'à cause de l'union hypostatique de l'humanité avec la divinité. Nestorius avait recours au même subterfuge, comme le lui reprochait Théodote d'Ancyre en plein concile d'Ephèse, mais ce subterfuge n'empêcha pas les Pères de condamner ses erreurs, car il n'y avait recours que pour dissimuler la division qu'il établissait dans la personne unique du Verbe incarné.
L'Eglise romaine divise non seulement la personne unique du Verbe pour rendre à chacune des deux natures une adoration, mais elle divise même la nature humaine pour adorer séparément le coeur matériel de Jésus-Christ; elle va donc plus loin que Nestorius lui-même, et son hérésie est plus monstrueuse encore.


IV


DIFFERENTS POINTS DE CONTROVERSE




1. LE BAPTEME ET LA CONFIRMATION


Baptême


Mais, à côté de ces rites essentiels, il en est qui sont si respectables et si antiques, qu'une Eglise ne peut les abolir sans encourir le reproche mérité d'innovation et d'irrévérence à l'égard des traditions apostoliques.
Parmi ces rites, nous en indiquerons deux principaux : La triple immersion dans l'eau, et l'union des deux sacrements de baptême et de confirmation.
La papauté s'est rendue coupable de l'abolition de ces deux institutions dans les Eglises occidentales.
On ne pourrait fixer d'une manière absolument certaine l'époque précise où l'on a abandonné, en Occident, la pratique apostolique de la triple immersion baptismale. Il est probable que cette innovation s'est établie peu à peu, et non en vertu d'un décret de date certaine. Dans tous les livres rituels ou pontificaux manuscrits de cinq cents ans et au-dessus, on ne mentionne que le baptême donné par immersion (224).
(224) : ( Don Martène l'affirmait, il y a environ deux siècles, des manuscrits qui alors avaient trois cents ans de date. De antiq. Eccl. Rit. Lib. I. C.I. art. 14, ! 6).
On peut affirmer en conséquence que, au XIV° siècle, on conservait encore le rite apostolique dans l'administration du baptême.
Avait-on conservé la triple immersion en usage dans l'antiquité, ou baptisait-on par une immersion unique?
L'hérétique Eunomius, à la fin du IV° siècle, fut le premier qui enseigna que le baptême devait être administré par une immersion unique (225).
(225) : ( Act. Concil. I. Constantinopol; Sozomen. Hist. Eccl. I. VI. c. 26).
Deux disciples de cet hérésiarque, Théophronius et Eutychius, contribuèrent surtout à répandre cette innovation.
Elle se répandit en Occident, de sorte que, à la fin du VI° siècle, on y suivait indifféremment les deux rites d'une seule immersion ou de trois. Léandre, évêque de Séville, en Espagne, ayant consulté à ce sujet Grégoire le Grand, évêque de Rome, celui-ci répondit que l'on pouvait suivre légitimement l'un ou l'autre usage (226).
(226) : ( Gregor. Magn. Epist. Lib. I. Epist. 41).
Le quatrième concile de Tolède alla plus loin, et décréta que l'on devrait baptiser par une seule immersion (227).
(227) : ( Concil. Toletan. IV. C. 6).
Hildephonse, archevêque de Tolède (228), donne comme motif de ce règlement, que les hérétiques, par la triple immersion, avaient l'intention de diviser l'essence divine.
(228) : ( Hildeph. Annot. de Cognit. Bapt. Lib. I. C. 117).
Ce fut sous le même prétexte que les évêques d'Espagne ajoutèrent le filioque au symbole, sans réfléchir qu'en voulant enseigner l'unité d'essence, ils s'attaquaient à la Trinité des Personnes.
L'usage espagnol n'avait pas pénétré en France, au IX° siècle. En effet, à cette époque, le docte Alcuin s'éleva contre lui aussi bien que contre l'addition du filioque, et blâma sévèrement les hérésies espagnoles (229).
(229) : ( Alcuin. Epist. 69 ad Lugdun.; Epist. 81 ad Paulm.).
Walfrid blâma également, à la même époque, l'innovation espagnole (230);
(230) : (Walfrid. De reb. Eccl.)
mais, en 868, un concile de Worms en prit la défense, et affirma que les deux usages de trois immersions ou d'une seule étaient également légitimes (231).
(231) : (Conc. Wormat. C. 5).
La coutume d'une immersion unique s'était conservée en France, dans le diocèse de Saint-Malo, jusqu'au XVII° siècle (232).
(232) : ( V. Statut. Guillelm. ann. 1620).
A la fin du XIII° siècle, des prêtres du diocèse d'Angers s'étaient permis de baptiser, les uns par une immersion unique, les autres en versant d el'eau sur les baptisés. L'évêque Nicolas Gélant, dans son synode de 1275 (233), blâma ces deux usages et ordonna de suivre le rite apostolique de la triple immersion.
(233) : ( V. D'Archery Spicil. T. XI).
D'après ce document, on voit que le baptême par infusion commençait à être administré par quelques prêtres, à la fin du XIII° siècle, mais que cet usage était considéré comme blâmable. Il arrivait parfois que, pour donner le baptême, on plongeait seulement trois fois la tête du catéchumène dans l'eau (234).
(234) : ( Hiéron. Dialog. adv. Luciferian.).
Cet usage s'est conservé à Milan jusqu'au XVII° siècle. Il fut probablement le rite intermédiaire entre l'immersion et l'infusion.
A dater du XIV° siècle, le baptême administré par infusion s'établit dans l'Occident tout entier, sans que la papauté, dont l'autorité y était universellement reconnue, s'y soit opposée. Elle doit en conséquence porter la responsabilité d'une innovation contraire au rite apostolique de l'administration du baptême.
Nous ne prétendons pas que le baptême, administré par infusion ou par aspersion soit invalide. Quelques Grecs l'ont prétendu, mais d'autres Grecs et l'immense majorité des orthodoxes acceptent comme valide le baptême administré de cette manière. On sait que, dans la primitive Eglise, on baptisait ainsi les malades obligés de garder le lit et que l'on désigne dans les antiques monuments par le nom de cliniques ( alités). L'Eglise n'eût pas conféré le baptême de cette manière, même aux malades, si elle l'eût considéré comme nul. Il est à remarquer qu'elle ne le renouvelait pas. Seulement on n'admettait pas aux ordres ceux qui avaient été ainsi baptisés, et le baptême des cliniques n'était pas accompagné de l'imposition des mains, c'est-à-dire de la confirmation.
D'après ces dispositions, que l'on rencontre dans les plus anciens documents canoniques, il est évident que le baptême adminsitré aux cliniques par aspersion ou infusion, tout en étant valide, était cependant considéré comme défectueux, en ce sens qu'il n'était pas administré selon le rite apostolique. C'était un baptême de nécessité, et non pas un baptême régulier.
Peut-on dire que la papauté ait pu introduire ou laisser introduire impunément, dans les Eglises soumises à son autorité, un baptême considéré comme défectueux par l'Eglise primitive? qu'elle a pu décider qu'un baptême administré d'une manière défectueuse et dans des cas de nécessité, pouvait licitement devenir le baptême ordinaire et légal?
D'après ce que nous avons dit plus haut, on peut fixer le fin du XIV° siècle et le commencement du XV° comme l'époque où s'établit l'inovation. AUssi rencontre-t-on encore, dans plusieurs Eglises antérieures à cette époque, les baptistères qui servaient au baptême par immersion. Ces vieilles pierres sont autant de témoins muets de l'innovation romaine.
A dater du commencement du XV° siècle, cette innovation s'était tellement répandue que, au XVI°, les protestants qui avaient la prétention de ramener l'Eglise à sa pureté primitive, l'acceptèrent et la mirent en pratique. Aujourd'hui encore, ceux d'entre eux qui baptisent, le font par infusion ou par aspersion, et souvent, dans certaines sectes, avec une telle légèreté, que l'on peut douter si leur baptême peut être considéré comme réel, s'il n'est pas un vain simulacre de sacrement.




Confirmation


Une grave erreur s'est introduite dans l'Eglise romaine relativement au sacrement de confirmation.
L'ancienne coutume, dit Dom Martène (235), coutume qui s'est perpétuée presque jusqu'à notre temps, était de donner le sacrement de confirmation aux enfants aussitôt après le baptême.
(235) : ( Dom Martène. De antiq. Eccl. Rit. Lib. I. C.2, art. I).
Non seulement les rituels et les pontificaux l'attestent, mais encore tous les Pères qui ont écrit sur ce sujet.
La raison de cette coutume, c'est que par le baptême on naît seulement à la vie régénérée, et que l'on a besoin de la vertu du Saint-Esprit pour croître et devenir homme parfait. Selon la sainte Ecriture, on doit renaître en même temps par l'eau et par l'Esprit. On renaît par l'eau au moyen du baptême; on renaît par l'Esprit au moyen de la confirmation.
En consultant les plus anciens sacramentaires occidentaux, on acquiert la preuve que l'ancienne Eglise latine professait la même doctrine que l'Eglise orientale actuelle, touchant l'union des deux sacrements de baptême et de confirmation, leur administration et leur ministre.
Dans l'ancien sacramentaire gélasien, édité par le cardinal Thomasi, on trouve, après le rite du baptême, celui de la confirmation. On y lit cette règle : " Par trois fois tu immergeras l'enfant dans l'eau; puis quand il sera retiré des fonts, l'enfant sera marqué du chrême sur la tête par le prêtre qui dira : " Dieu Tout-Puissant, Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui t'a régénéré par l'eau et le Saint-Esprit, et qui t'a accordé la rémission de tes péchés, te fait l'onction avec le chrême du salut, en Jésus-Christ, Notre Seigneur, pour la vie éternelle."
Le samedi saint, lorsque le baptême était donné d'une manière solennelle, l'évêque ajoutait une prière pour demander les sept dons du Saint-Esprit.
Mais le vrai sacrement de confirmation était administré par l'onction du chrême; et c'est l'évêque qui faisait lui-même cette onction lorsqu'il donnait la confirmation (236).
(236) : ( Codex S. Remog. Rem. (mss du VIII° siècle). Ap. Marten. Lib.I, C.2, art 18).
Il la donnait ordinairement le samedi saint avec le baptême. Dans un vieux manuscrit du IX° siècle (237), on indique la prière suivante pour conférer la confirmation :
"Dieu Tout-puissant éternel qui as daigné régénérer tes serviteurs ici présents par l'eau et le Saint-Esprit, et qui leur as donné la rémission des péchés, envoie du ciel sur eux ton esprit septiforme, ton saint paraclet, l'esprit de sagesse et d'intelligence, l'esprit de conseil et de force, l'esprit de science et de piété; remplis-les de l'esprit de ta crainte et, dans ta bonté, marque-les du signe de la croix pour la vie éternelle."
Il est évident que cette formule est la même que celle du sacramentaire gélasien citée plus haut; seulement un peu plus détaillée.
Elle est indiquée, avec de légères modifications, comme la formule de la confirmation, qu'elle soit récitée par l'évêque, lors du baptême solennel de la veille de Pâques, ou par le prêtre après le baptême ordinaire (238).
(238) : ( Lib. Sacrament. monast. Moisacens.; mss, Gemmet, et d'autres anciens manuscrits l'attribuent à l'évêque; d'autres l'attribuent au prêtre; V. Cod. Gladbac.; Ritual. Lemovic.; Vet. Missale Rom. ad usum Minorum; Rit Cadom.; Rit. Ambrosian. ap. D. Martène, De antiq. Eccl. Ritib. Lib. I. C. 1, art.18).
Il est à remarquer que, dans l'office du baptême, tel qu'il est administré aujourd'hui dans l'Eglise romaine, on a conservé l'onction du chrême et la prière indiquée dans tous les anciens rituels et sacramentaires occidentaux pour la formule du sacrement de confirmation. On doit en conclure que ce sacrement est encore conféré aujourd'hui par le prêtre, aussitôt après le baptême, selon l'ancienne coutume.
Cependant, on enseigne aujourd'hui, dans l'Eglise romaine, que l'évêque seul peut donner la confirmation, et que le prêtre ne la confère pas, tout en faisant l'onction du chrême et en y joignant la prière en usage, de temps immémorial, pour l'administrer, et dont on s'est servi pour cela jusqu'au XIII° siècle (239).
(239) : ( D. Martène. Lib. I.C. 1, art.I, §3).
Il faut remonter assez haut pour trouver l'origine de cette erreur. En effet, dès le IX° siècle, le patriarche Photius reprochait à l'évêque de Rome, Nicoals Ier, d'enseigner qu'il était interdit aux prêtres de conférer la confirmation. " D'où vient cette loi? disait-il (240);
(240) : ( St Photios, Encyclique aux Patriarches Orientaux. Trad. française : Oeuvres Trinitaires, t. 1, Ed. Lumière du Thabor, Paris, 1989, p. 60).
quel en est le fondateur? Serait-ce un des apôtres? Serait-ce un des Pères? Serait-ce un des conciles?"
On ne pouvait donner à cette loi aucune de ces origines et l'on peut penser que certains évêques cherchaient, dès le IX° siècle, à en abuser au profit de leur autorité dont ils cherchaient à exagérer les prérogatives.
Sans doute, c'était l'évêque qui, primitievement, donnait le baptême, à certains jours solennels; et c'était lui aussi, par conséquent, qui donnait la confirmation aux nouveaux baprisés. Mais lorsque l'usage s'établit d'administrer le baptême tous les jours et partout, le prêtre l'administra et, avec lui, la confirmation.
Le reproche adressé par Photius à l'évêque de Rome donne à penser que ce fut dans cette Eglise que l'on commença à réserver à l'évêque l'administration de la confirmation. C'est pourquoi on retrouve des traces de l'ancienne coutume jusqu'au XIII° siècle; et l'on a conservé jusqu'aujourd'hui les rites unis des deux sacrements.


2. LE PAIN AZYME


(Sur ce point, comme sur quelques autres, Guettée reste très dépendant du vocabulaire et des notions scolastiques : il parle de "forme" et de "matière" du sacrement. Remarquablement, il retourne cette scolastique contre elle-même : l'hostie n'est même plus du pain, le sacrement n'existe donc pas).


Au XI° siècle, il était encore d'usage en Occident de consacrer un seul pain, d'une assez grande dimension et qui servait à la communion du prêtre et des fidèles. Le cardinal Humbert l'attestait positivement en 1054, dans son ouvrage en faveur du pain azyme dirigé contre le patriarche de Constantinople Michel Caerularius. Cependant, vers la fin du même siècle, Bernard, prêtre de Constance, dans ses notes sur l'Ordre romain, atteste que le pain eucharistique était réduit, de son temps, à d epetites proportions. Au XII° siècle, on lui avait donné la forme d'une pièce de monnaie (241).
(241) : ( Ernulp. Episc. Roff. Epistol. ad Lambert. ap. d'Achéri, Spicil., T.2).
Au même siècle on fit de petites hosties spécialement destinées aux fidèles, lesquels, dès lors, ne communièrent pas du même pain que le prêtre (242).
(242) : ( Eodem saeculo (Duodecimo), breviores hostiae quas populo communicanti distribuimus adhiberi coeperunt. Juénin. Comment. de Sacrement. Dissert., IV., C., I. Art. III, n°4).
Primitivement, le pain eucharistique dont on se servait en Occident, était, comme en Orient, du pain ordinaire dans lequel il y avait du levain. Le père Sirmond, jésuite, convient que, en Occident comme en Orient, le pain avec levain fut en usage pendant les neuf premiers siècles; que l'Eglise romaine changea l'antique usage, de la fin du IX° siècle à la première moitié du onzième (243).
(243) : ( Sirmond, de Azymo).
Le cardinal Bona (244) adopta l'opinion du père Sirmond.
(244) : ( Bona. Rerum. Liturg. Lib. 1., C.23).
Le père Mabillon émit, il est vrai, une opinion contraire (245). Mais nous n'avons pas à intervenir dans cette discussion, et nous constatons seulement que les arguments du père Sirmond, acceptés par le cardinal Bona, ont été si peu détruits par le savant bénédictin que les théologiens romains les plus doctes se réfugièrent dans un système qui donnerait raison aux deux opinions et qui consiste à dire que, dans les premiers siècles, on se servait indifféremment de pain azyme ou de pain fermenté (246).
(246) : ( Juénin. Comment. de Sacrament. Dissert., IV., C.I. Art. 4, §5, n°1).
Ils ajoutent que ni les grecs ni les latins n'ont le droit aujourd'hui de changer la coutume de leur Eglise (247).
(247) : ( Ibid., § 3).
Ce système n'est évidemment qu'un moyen d'échapper au fait constaté par Sirmonde et Bona et d'après lequel l'Eglise romaine aurait changé, à partir de la fin du IX° siècle, l'ancienne coutume suivie depuis le commencement par l'Eglise universelle.
Est-il vrai que le pain azyme puisse être la matière de l'Eucharistie?
C'est une question qui a été très vivement agitée, et les deux opinions contradictoires ont eu de nombreux et énergiques défenseurs. Nous n'avons pas à la discuter et l'Eglise ne s'est pas prononcée sur ce point. Nous devons cependant faire observer qu'il y a une grande différence entre le pain azyme, tel qu'il est fabriqué, par exemple, par les juifs, et tel qu'il le fut sans doute dans l'Eglise romaine au début de l'innovation, et celui qui est fabriqué aujourd'hui. Ce dernier est-il du pain, dans l'cception usuelle du mot? Non, évidemment. Suffit-il que, dans une composition de farine et d'eau non soumise à une vraie cuisson, cette farine et cette eau existent, pour que l'on appelle cette composition du pain? On peut le soutenir; mais on peut soutenir le contraire. De là il résulte qu'il est incertain que l'Eglise romaine ait conservé la vraie matière du sacrement eucharistique, et que sa consécration soit valide.
C'est ainsi qu'aujourd'hui la question nous paraît devoir être posée entre l'Eglise orthodoxe et l'Eglise latine. Elle acquiert incontestablement beaucoup plus de gravité qu'à l'époque où l'Eglise orientale commença à reprocher à l'Eglise latine de se servir de pain azyme, puisque ce pain était alors du vrai pain, quoiqu'il ne fût pas fermenté; tandis que, à travers les modifications auxquelles l'azyme fut soumis, l'Eglise papale se sert aujourd'hui, pour la célébration de l'Eucharistie, d'une matière qui n'est peut-être pas du pain.




3. L'EPICLESE (248)


(248) : ( Guettée est très bref sur l'épiclèse. Le lecteur se rapportera principalement à Nicolas Cabasilas, Explication de la divine liturgie, Coll. Sources Chrétiennes 4 bis, Paris, 1967).
Pour ce qui est de la forme du sacrement, comme disent les scolastiques de l'Eglise latine, c'est-à-dire de la formule de consécration, il existe un différend fort grave entre les Eglises d'Orient et d'Occident.
On croit, dans l'Eglise latine, que le pain et le vin sont consacrés par le prêtre au moment où il fait mémoire de l'institution du sacrement, et où il répète, d'une manière historique, les paroles de l'institution : " Prenez et mangez, ceci est mon corps... Buvez-en tous, ceci est mon sang..."
Toutes les Eglises orientales, sans exception, croient que la consécration n'a pas lieu au moment où le prêtre raconte ce qui s'est passé à la dernière cène, mais lorsque, après avoir invoqué le Saint-Esprit, le prêtre le prie de bénir et consacrer les dons par sa grâce toute-puissante.
On peut douter que l'invocation au Saint-Esprit existe réellement dans la Liturgie romaine suivie aujourd'hui par toute l'Eglise latine. Elle existait dans plusieurs anciennes liturgies occidentales, par exemple, la liturgie espagnole ou mozarabique. Elle existe encore dans la liturgie écossaise. Mais peut-on affirmer positivement qu'elle existe d'une manière équivalente dans les prières du Canon romain? Nous coyons qu'on en peut douter. Il y aurait donc doute au sujet de la validité de la consécration dans l'Eglise romaine, aussi bien qu'au sujet de la matière du sacrement. Le doute n'existerait pas s'il était absolument certain que le Canon de la messe n'a subi aucune modification depuis le VIII° siècle. Mais cela est-il absolument certain (249)?
(249) : ( Il est même certain qu'il a subi un grand nombre de modifications dans plusieurs églises. V. D. Martène, De antiq. Eccl. Rélib. Lib. I., C. 4., art. 9).
Un fait certain c'est que les ancienne sliturgies attribuées à saint Jacques et à saint Clément de Rome, contiennent l'invocation au Saint-Esprit, aussi bien que celles de saint Basile et de saint Jean Chrysostome. Peut-on croire que l'ancienne liturgie romaine aurait seule fait exception dans l'Eglise (250) ?
(250) : ( On sait que les Sacramentaires de S. Gélase et de S. Grégoire le Grand ne nous sont connus que par des manuscrits postérieurs au huitième siècle, et qui ont pu être interpolés, comme tant d'autres monuments, par les copistes. On ne peut donc affirmer que l'invocation au Saint-Esprit ne s'y trouvait pas primitivement).
Suffit-il de dire, avec la plupart des théologiens romains, que Jésus-Christ consacra par les paroles de l'institution? Nous ne craignons pas de dire que cet argument est ridicule. Jésus-Christ, en prononçant ces paroles : " Ceci est mon corps... ceci est mon sang..." ne les prononça pas d'une manière historique, mais d'une manière positive qui entraînait avec elles leur effet. Peut-on affirmer qu'il en soit ainsi du prêtre?
Le père Lebrun (251) a émis un système intermédiaire.
(251) : ( Explication d ela messe, I.I. Part. 4, art.6).
Il affirme que la consécration a lieu au moyen des paroles de l'institution, mais il ajoute que la prière de l'Eglise est nécessaire aussi pour que l'effet soit produit, et regarde comme la formule de la consécration toute la prière Quam oblationem... qui renfermerait équivalemment l'invoaction au Saint-Esprit.
Sur cette question, comme sur celle du pain eucharistique, on voit que les théologiens romains les plus graves essayent quelques moyens de conciliation, afin de dissimuler autant que possible la position fâcheuse où leur Eglise s'est mise par ses changements continuels.


4. LE PAIN EUCHARISTIQUE


L'Eglise romaine avait primitivement le même usage que l'Eglise orientale touchant les dimensions du pain consacré. Comme nous l'avons établi précédemment, ce ne fut qu'au XII° siècle qu'elle consacra une hostie pour le prêtre, et des hosties plus petites pour les fidèles. Elle a détruit ainsi un des plus touchants mystères de la communion. Saint Paul l'avait indiqué par ces paroles : " Le calice de bénédiction que nous avons béni, n'est-il pas la communication au sang du Christ? et le pain que nous avons rompu, n'est-il pas la participation au corps du Seigneur? Quoisue nombreux, nous ne sommes qu'un seul pain, qu'un seul corps, nous tous qui participons à un pain unique." ( 1 Cor. 10, 16, 17.)
La participation à un seul pain eucharistique est le symbole de l'unité des chrétiens qui ne forment qu'un seul corps, dans le Corps et le Sang du Christ auxquels ils participent.
Par son invention des petites hosties pour les fidèles, l'Eglise romaine a bouleversé un des plus touchants mystères de la communion; elle a considéré comme non avenues les paroles de saint Paul qui montrent si clairement quelle importance on attachait, du temps des apôtres, à la participation au pain unique consacré; elle a mis de côté l'exemple de Jésus-Christ lui-même qui a consacré un seul morceau de pain qu'il distribua à ses apôtres.
Une Eglise peut-elle être irréprochable, lorsqu'elle méprise ainsi l'exemple de Jésus-Christ, et une coutume primitive sous laquelle les apôtres apercevaient un si touchant et si profond mystère?
Nous n'hésitons donc pas à dire que l'Eglise romaine s'est rendue coupable, par son invention des petites hosties pour les fidèles, d'une innovation très blâmable.




5. LA COMMUNION DES ENFANTS


Elle s'est rendue également criminelle, en abolissant la communion des enfants.
Lorsque les Eglises occidentales, entraînées dans le schisme par la papauté, se furent séparées de l'Orient catholique, elles perdirent tellement le sens chrétien, que leurs théologiens reprochèrent aux Eglises orientales la communion des enfants comme un abus énorme. Les protestants joignirent leurs clameurs à celles des Romains. Il faut dire qu'ils étaient plus intéressés que ces derniers à crier contre l'abus de l'Orient, car il détruisait leur théorie de la participation par la foi au Corps et au Sang du Christ.
L'usage de donner la communion aux enfants n'a cessé, dans l'Eglise romaine, qu'au XII° siècle (252).
(252) : ( Recueil de jurisprudence, par Guy du Roussaud de Lacombe. V° Communion. Renaudot, Perpétuité de la foi sur les Sacrements. Liv. II. C.C. 8 et 9).
Le concile de Trente (253) reconnaît l'antiquité de cet usage;
(253) : ( Conc. Trident. Sess. 21. C. 4).
il n'ose pas blâmer ceux qui l'observeraient dans les Eglises où il serait conservé encore au XVI° siècle. Seulement il décida que la communion n'était pas nécessaire au salut des enfants.
Dans cette décision comme dans la plupart de celles qu'il a rendues, le concile de Trente se plaçait systématiquement à côté de la question. Il ne s'agissait pas de décider que les enfants baptisés pouvaient être sauvés, sans avoir reçu la communion, mais si la communion leur était nécessaire pour développer en eux la vie chrétienne. Il est incontestable que, considérée ainsi, la question ne souffrait pas de difficulté. Dans l'Eglise occidentale primitive on jugeait que la communion était nécessaire aux enfants de cette manière, et il nous suffit de citer comme preuves les témoignages multipliés de saint Augustin et de saint Innocent premier, évêque de Rome (254).
(254) : ( Voir Aug. De Peccat. Rem. Lib III. C. 4; Saint Innocent. Epist. 26 ad Synod. Milevit.).
Le concile de Trente a esquivé la difficulté, ne voulant blâmer ni l'ancienne doctrine occidentale, ni l'usage qui s'était établi dans l'Eglise romaine depuis trois ou quatre siècles, de priver les enfants de la communion.
Dès le XIII° siècle, un concile de Bordeaux défendait de donner la communion aux enfants, et prescrivait de leur donner à Päques un morceau de pain bénit à la place (255).
(255) : ( Concil. Burdigal. ann. 1255).
La défense formulée par le concile de Bordeaux passa dans le reste de l'Eglise romaine. Les protestants ayant conservé cette erreur romaine, Bossuet leur en demandait le motif, puisque la suppression de la communion pour les enfants n'était pas fondée sur l'Ecriture, mais sur une décision de l'Eglise. " Je leur ai demandé, dit-il (256), si CE PRECEPTE : mangez ceci, et buvez-en tous, qu'ils croient si universel, ne regarde pas tous les chrétiens? Mais s'il regarde tous les chrétiens, quelle loi a excepté les petits enfants, qui sans doute sont chrétiens étant baptisés?"
(256) : ( Bossuet, Traité de la Communion sous les deux espèces, deuxième partie. Défense de la tradition sur la communion sous une espèce, première partie C. 5).
L'Eglise, selon Bossuet, avait le droit de changer l'antique usage; mais comment l'Eglise peut-elle abolir un PRECEPTE divin? En combattant les protestants, l'évêque de Meaux flagellait sa propre Eglise. Son argument ad hominem pouvait être bon contre les protestants; mais que prouve-t-il contre les catholiques orientaux qui croient que l'Eglise n'a pas le droit d'abolir un précepte divin? Si l'Eglise catholique n'a pas ce droit, comment une Eglise particulière, comme celle qu'on nomme romaine, l'aurait-elle?
Renaudot, qui connaissait bien l'antiquité chrétienne et la doctrine des Eglises orientales, s'élève avec beaucoup d'énergie contre les théologiens modernes qui ont traité d'abus la communion des enfants. Cette accusation, dit-il ( 257), retombe sur les anciens pères des temps les plus florissants de l'Eglise.
(257) : ( Renaudot, Perpétuité de la foi sur les Sacrements, liv.II. C.C. 8 et 9).
Il ajoute : " On ne peut, sans ignorer entièrement l'ancienne discipline de l'Eglise, douter qu'elle n'ait été telle que nous la trouvons encore parmi les Grecs, les Syriens, les AEgyptiens, les Arméniens et tous les chrétiens d'Orient, de quelque langue et de quelque secte qu'ils soient. Ce consentement général en fait voir l'universalité et l'antiquité dont on a un grand nombre de preuves."
Renaudot prouve fort bien, contre les exagérations de certains théologiens occidentaux, que les orientaux sont restés fidèles à l'ancienne discipline, en administrant la communion aux enfants; et qu'ils n'ont point enseigné qu'un enfant baptisé ne serait pas sauvé s'il n'avait pas participé à la communion.
Mais le docte orientaliste n'a pas osé soulever la question du précepte divin de la communion pour tous les chrétiens sans distinction. Il voulait ménager l'Eglise romaine à laquelle il appartenait; c'est pourquoi il n'a voulu voir qu'une question de discipline dans un usage qui repose sur la Parole même de Dieu.
Alors même qu'il n' y aurait là qu'une question de discipline, on pourrait demander de quel droit l'Eglise romaine a-t-elle aboli une règle universelle et dont l'origine remonte positivement aux temps apostoliques?
Mais Jésus-Christ ayant ordonné, d'une manière générale, à tous ses disciples, de communier, peut-on dire que l'Eglise romaine observe ce commandement, en privant d ela communion les enfants jusqu'à l'âge de dix ou douze ans? Elle n'a pas la même excuse que les protestants, ceux-ci ne croyant pas à la présence réelle, ne croyant qu'à une participation idéale, par la foi de celui qui communie. D'après ce système, le communiant doit savoir ce qu'il fait et avoir la foi subjective. Mais l'Eglise romaine croit à l'effet produit par le sacrement, en dehors des dispositions du communiant; qu'il reçoive dignement ou indignement le sacrement, il participe au Corps et au Sang de Jésus-Christ, pour sa justification ou pour sa condamnation. Comment, lorsqu'on enseigne une telle doctrine, priver l'âme pure et innocente des enfants de la participation à un sacrement qui peut développer sûrement en elle l'esprit chrétien et lui communiquer la grâce?
On peut donc dire que l'Eglise romaine n'a pu abolir la communion des enfants sans porter atteinte à sa propre doctrine sur l'efficacité des sacrements; sans s'attaquer à une règle universelle et apostolique de la discipline de l'Eglise; sans manquer au précepte divin de la communion imposée à tous les chrétiens.
Sa culpabilité est donc incontestable, et son innovation est contraire à la sainte Ecriture et à la tradition universelle de l'Eglise catholique.




6. LA COMMUNION SOUS LES DEUX ESPECES


Elle s'est rendue également coupable en abolissant la communion sous les deux espèces du pain et du vin.
Pour défendre l'innovation de l'Eglise romaine sur ce point, on a essayé de prouver : 1° que c'était là une question de pure discipline et que l'Eglise avait pu modifier sa discipline sur ce point; 2° que l'on participait à Jésus-Christ tout entier, soit que l'on communiât sous les deux espèces, ou sous une seule; 3° que dans l'Eglise primitive, on a donné quelquefois la communion sous une espèce, quoi qu'il fût d'usage de la donner ordinairement sous les deux.
Nous répondons : 1° qu'alors même qu'il s'agirait seulement de discipline, l'Eglise romaine, qui n'est qu'une Eglise particulière, n'avait pas le droit d'abolir une règle universelle et apostolique de l'Eglise catholique.
Nous répondons secondement que, tout en admettant que l'on reçoit Jésus-Christ tout entier, en communiant sous l'une des deux espèces, il n'en est pas moins vrai que Jésus-Christ a établi le sacrement sous les deux espèces, qu'il a dit à tous ses disciples : Prenez et mangez... Buvez-en TOUS. On n'obéit donc pas au précepte divin en communiant sous une seule espèce.
Nous répondons troisièmement que, alors même que les faits allégués seraient certains et bien compris, ils ne constitueraient que des exceptions légitimées par la nécessité, et qui ne feraient que confirmer la règle générale suivie par toute l'Eglise.
Après avoir posé ainsi la question d'une manière générale, examinons-la dans ses détails.
Il y avait primitivement trois manières de participer à la communion sous l'espèce du vin (258).
(258) : D. Marten. de Antiq. Eccl. Rit. Lib. I. C. 4, art. 8, § 13).
On humait le vin consacré à l'aide d'un chalumeau; ou bien on approcahit le calice des lèvres; ou enfin, on recevait le pain consacré trempé dans le vin consacré.
Cette dernière manière était usitée dans tout l'Orient. En Occident on suivait le même usage dans plusieurs Eglises. Le troisième concile de Brague (259), l'interdit, tandis qu'un concile de Tours (260), le prescrivit.
(259) : ( Concil. Bracaren. III, can. I).
(260) : ( Ap. Burch. Lib. 5. C. 9).
La raison que ce concile donne à l'appui, c'est que le prêtre en distribuant la communion n'aurait pas pu dire sans cela : Que le corps et le sang du Seigneur te soient utiles. Au XII° siècle, l'usage de donner ainsi la communion était devenu presque général (261), et on le regardait comme très bon, en ce sens que les fidèles communiaient ainsi sou les deux espèces, sans que l'on fût exposé à répandre le vin consacré, comme cela arrivait souvent lorsqu'on approchait le calice des lèvres des communiants.
(261) : ( Ernulph. Epist. ad Lambert. ap. D. D'achéri Spicileg T. 2; Renaudot, Perpétuité de la foi sur les Sacrements, liv. VIII, Ch. I et suivants).
Cependant il y eut des protestations contre cet usage, qui ne fut que toléré, principalement pour les enfants et les malades qui ne pouvaient recevoir le pain consacré sans être imbibé.
Telle était encore, au XII° siècle, la doctrine dans l'Eglise romaine.
Bientôt après, l'usage s'établit peu à peu de distribuer la communion sous la seule espèce du pain, et on supprima la communion sous l'espèce du vin. Ce sont les moines de Cîtaux qui, les premiers, la supprimèrent officiellement dans leur chapitre général de 1261. Leur exemple a été suivi par l'Eglise romaine tout entière. Peut-on justifier son innovation?
Le plus grand théologien de l'Eglise romaine, Bossuet, a traité ex professo, contre les protestants, de la communion sous les deux espèces. Cette question, dit-il (262), "n'a qu'une difficulté apparente, qui peut être résolue par une pratique constante et perpétueelle de l'Eglise et par des principes dont les prétendus réformés demeurent d'accord."
(262) : ( Bossuet, Traité de la communion sous les deux espèces).
Bossuet aurait dû élargir la question. Quoiqu'il n'eût en vue que les prétendus réformés, il savait parfaitement que l'Eglise catholique orientale était d'accord avec eux sur ce point, et que l'on ne pouvait la traiter comme une secte protestante. Mais restons dans les termes fixés par Bossuet et examinons s'il a prouvé que "la pratique et le sentiment de l'Eglise dès les premiers siècles" ont été favorables à la pratique et au sentiment de l'Eglise romaine actuelle.
Il affirme que "la pratique de l'Eglise dès les premiers siècles est qu'on y communiât sous une ou sous deux espèces, sans qu'on se soit jamais avisé qu'il manquât quelque chose à la communion, lorsqu'on n'en prenait qu'une seule." Quelle preuve le célèbre évêque de Meaux donne-t-il à l'appui de cette assertion? On peut, dit-il, des paroles de saint Luc et de saint Paul (263), conclure que Jésus-Christ donna son corps pendant le souper et son sang après le souper. Le corps et le sang peuvent donc être reçus séparément et l'effet que devait que devait avoir la réception du corps n'a pas été suspendu jusqu'à ce que les apôtres eussent reçu le sang.
Nous oserons dire, sauf le respect que nous professons pour le grand Bossuet, que ce raisonnement est une pure chicane.
Nous ne contestons nullement que Jésus-Christ n'ait donné séparément son corps et son sang; que la réception du Corps ne soit accompagnée de l'effet du sacrement aussi bien que la réception du Sang. Là n'est pas la question. Nous n'avons donc point à entrer dans la discussion du texte de saint Luc pour savoir si le Corps fut donné pendant le souper et le sang après; pour savoir si la particule ou dans le texte de saint Paul équivaut à la particule et, comme le prétendait, contre Bossuet, le ministre Jurieu. Nous posons la question d'une manière beaucoup plus simple, et nous demandons : Jésus-Christ a-t-il institué son sacrement sous l'espèce du pain et sous l'espèce du vin? Jésus-Christ, en donnant son corps, a-t-il dit à ses apôtres, et en leur personne à toute l'Eglise : Prenez et mangez, ceci est mon corps? A-t-il dit, en donnant son sang : Buvez-en TOUS, ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, etc. etc.? On ne peut que répondre affirmativement à ces deux questions. Nous en concluons que, pour rester fidèle à l'institution de Jésus-Christ, on doit participer à son Corps sous l'espèce du pain, et à son Sang sous l'espèce du vin. De quel droit un théologien peut-il prétendre que la participation au Corps suffit, lorsque Jésus-Christ a établi la participation au Sang? De quel droit décide-t-il que le sacrement est complet, lorsqu'on n'accomplit que la moitié de ce qu'a établi Jésus-Christ? De quel droit décide-t-il que l'on participe au Corps et au Sang, en communiant sous une seule espèce, lorsque Jésus-Christ en a établi deux, une pour le Corps, l'autre pour le Sang?




7. L'EVOLUTION LITURGIQUE


Nous avons exposé les trois erreurs de l'Eglise romaine sur la communion. Maintenant, il nous reste à prouver qu'elle a erré en permettant de célébrer des messes privées; et qu'elle a opéré dans les rites de la messe des changements qui en dénaturent l'esprit.
Au sujet des messes privées, un canoniste romain (264), s'exprime ainsi : " L'usage des messes basses n'a commencé que dans le IX° siècle.
(264) : ( Guy du Rousseaud de Lacombe, Recueil de Jurisprudence. V° Messe).
Il n' y avait qu'une église publique ou paroissiale en chaque ville où se célébrait la messe publique appelée depuis paroissiale."
Il suffit de jeter un coup d'oeil sur toutes les liturgies sans distinction, pour être convaincu que toute messe devait être publique, et dite à haute voix, puisque l'ensemble de toutes ces liturgies n'est, pour ainsi dire, qu'un dialogue entre le célébrant, le diacre et les assistants.
Saint Justin, dans sa seconde Apologie, ne mentionne que la liturgie du dimanche, à laquelle tous les fidèles se rendaient. Mais, dès le IV° siècle, saint Epiphane regardait comme une coutume apostolique celle de célébrer la liturgie trois fois par semaine : les dimanche, mercredi et vendredi. Tertullien, dans son livre De la prière, mentionne également ces trois jours de liturgie. Cependant, dans certaines églises, on célébrait la liturgie le samedi et à certaines fêtes de martyrs, ainsi que l'atteste saint Basile (Epist. 289 ad Caesar. Patric.). Les Eglises d'Alexandrie et de Rome condamnaient l'usage de célébrer la liturgie le samedi, et s'en tenaient à l'usage primitif des trois jours par semaine (265).
(265) : ( Socrat. Hist. eccl. Lib. V. C. C. 22, 34).
Encore, selon l'historien Socrate, l'Eglise d'Alexandrie ne permettait-elle, les mercredis et vendredis, que des réunions où on lisait et commentait les saintes Ecritures. La liturgie n'y aurait été célébrée que le dimanche. Saint Innocent, évêque de Rome (Epist. ad Decent.), condamne la liturgie du samedi, et même, selon certains interprètes, celle du vendredi.
Il est vrai que, dans les Sacramentaires de saint Gélase et de saint Grégoire le Grand, on trouve des messes pour le samedi. Mais ces collections ont passé par les mains des moines compistes du moyen-âge pour arriver jusqu'à nous. C'est-à-dire qu'elles ont subi des modifications, selon le temps où elles ont été copiées. Il en est de ces Sacramentaires comme des Chroniques orientales dans lesquelles les moines copistes intercalaient les traditions des Eglises ou des monastères d'Occident.
Malgré la règle généralement suivie des trois jours liturgiques, on célébrait, dans certaines églises, une messe tous les jours, ou à certains jours déterminés (266).
(266) : ( D. Martène, De antiq. Eccl. Rit. Lib. I. C. 2. Art. 3).
Mais, en Occident, s'établit bientôt l'usage pour chaque prêtre de célébrer tous les jours. Cet usage date du X° siècle. On ne se contenta bientôt plus d'une messe, et chaque prêtre en célébrait plus de trois (267).
(267. Ibid.).
Il est bien évident qu'en raison même de la quantité des messes, devait s'établir l'usage de les célébrer à voix basse et aussi rapidement que possible.
Telle a été l'origine des messes basses ou privées qui sont restées en usage dans l'Eglise romaine.
L'Eglise orientale a conservé l'usage primitif d'une seule messe ou liturgie publique et chantée, les dimanche, mercredi et vendredi de chaque semaine. Elle autorise également une messe à certaines fêtes, ou pour des raisons particulières, les autres jours de la semaine.
Elle est restée ainsi dans l'esprit primitif; toute messe devant être célébrée par le prêtre en commun avec les fidèles, et étant composée de prières récitées alternativement par le prêtre, le diacre et les fidèles, à haute voix.
L'Eglise romaine, au contraire, a abandonné le véritable esprit de la liturgie, par l'usage des messes basses ou privées. La messe devient ainsi une prière particulière. Le pape Alexandre II essaya de rétablir l'ancienne discipline en décrétant (268) que chaque prêtre ne chanterait qu'une messe par jour, mais l'abus persista, et l'usage actuel, c'est que chaque prêtre ne récite plus qu'une messe basse chaque jour, excepté à Noël où il en récite trois.
(268) : ( Ap. Gratian., De Conscrat. Dist. 1).
Cet usage date du XIII° siècle (269).
(269) : (D. Martène. loc. cit.).
Une chose digne de remarque, c'est que, à l'époque où le prêtre célébrait plusieurs messes, il était obligé de changer d'autel pour chaque messe (270).
(270) : ( D. Martène. loc. cit.).
L'église orientale ne permet pas de célébrer la messe deux fois en un jour sur le même autel. L'église romaine suivait cette ancienne règle, même après en avoir aboli d'autres non moins antiques et respectables. Mais aujourd'hui, elle laisse la liberté de dire, sur le même autel, autant de messes que l'on veut.
Peut-on dire que tous les changements qui se sont opérés dans l'Eglise romaine soient innocents, et qu'elle ne s'est pas rendue criminelle en les permettant?
Outre qu'une messe basse ne peut réellement être considérée comme une liturgie (271), ou service public, on ne peut la célébrer sans se mettre en opposition avec l'esprit de l'Eglise primitive, et sans exposer le prêtre à tomber dans une routine sacrilège. Il n'est pas rare de voir les prêtres réciter les prières de la liturgie avec une rapidité scandaleuse, sans esprit de foi, et uniquement pour gagner les émoluments attachés à la récitation des prières. Cet abus détestable résulte nécessairement de l'obligation imposée au prêtre de dire la messe chaque jour sans être astreint aux rites du culte public.
On ne peut non plus considérer comme licites les nombreux changements que l'Eglise romaine a fait aux rites de la liturgie. Les anciennes liturgies existent encore; elles sont connues et conservées par les diverses Eglises orientales; on n'a qu'à les comparer à la liturgie romaine actuelle pour être renseigné sur les modifications dont la liturgie romaine a été l'objet (272).
(272) : ( Ces modifications sont indiquées, au moins en partie, dans le grand ouvrage du père Martène sur les anciens rites de l'Eglise).
On ne peut étudier les Pères de l'Eglise occidentale primitive sans être convaincu que, d eleur temps, la liturgie occidentale était à peu près la même que celle de l'Eglise d'Orient. Les différences ne portaient que sur des détails qui ne modifiaient point l'économie générale des rites.
Aujourd'hui, quand on voit célébrer la liturgie orientale, qui est restée comme elle l'éatit aux premiers siècles, et qu'on voit ensuite célébrer la liturgie romaine, il est impossible de trouver entre elles quelque rapport. Cependant, quand on approfondit cette dernière liturgie et que l'on en étudie tous les rites, on peut retrouver ce qu'elle a conservé de primitif, et connaître ainsi les nombreuses modifications qu'elle a fait subir aux anciens rites.
Nous sortirions de notre sujet en nous étendant sur les preuves que nous pourrions donner à l'appui des considérations qui précèdent. Aucun homme, tant soit peu instruit, ne peut contester les modifications qui sont indiquées, même par les écrivains liturgiqtes de l'Eglise romaine. D'un autre côté, il suffit, pour en comprendre l'importance, de rapprocher la messe romaine de l'idée fondamentale de la liturgie. Cette idée a été de représenter la vie entière et le sacrifice du Sauveur. Or, peut-on voir un tableau exact et expressif de cette vie et de ce sacrifice dans les rites romains actuels? Dans les anciennes liturgies, tous les détails concourent à exprimer parfaitement et complètement le précepte exprimé par Jésus-Christ dans ces paroles : Faites ceci en mémoire de moi; La liturgie primitive est donc comme un drame mystérieux dans lequel le Christ apparaît dans les grandes circonstances de sa vie terrestre, depuis sa naissance jusqu'à son ascension et son règne éternel à la droite de son Père.
La messe romaine, modifiée, taillée, remaniée de mille manières depuis mille ans, exprime-t-elle l'idée fondamentale de la vraie liturgie catholique? Il suffit de voir célébrer une messe basse par un prêtre assisté d'un enfant de choeur pour répondre négativement.
En parcourant, même à la suite des liturgistes occidentaux, les variations de l'acte le plus important du culte chrétien, on ne peut que s'étonner de la rage d'innovtions que possède l'Eglise romaine depuis sa séparation de l'Eglise catholique. Ce qui frappe encore en lisant ces liturgistes, c'est la peine qu'ils se donnent pour expliquer certaines cérémonies dont on ne comprend pas au premier abord la raison d'être. Les explications qu'ils en donnent appartiennent parfois à la plus haute fantaisie mystique. S'ils avaient plus approfondi les liturgies orientales, ils auraient compris que ces cérémonies, qui y existent encore, y apparaissent dans leur vraie signification; et que si elles sont insignifiantes ou à peu près, dans l'Eglise romaine, la raison en est dans le retranchement ou la modification inintelligente des rites que ces cérémonies devaient représenter ou accompagner.
Pour la liturgie, l'Eglise romaine n'a été fidèle que dans la conservation de la langue latine. Or, en cela elle s'est encore éloignée de l'esprit de l'Eglise primitive. Les fidèles devant prendre une large part aux rites et aux prières, il s'ensuit que la liturgie doit être célébrée, sinon en langue usuelle, du moins en langue compréhensible. Aussi chaque peuple ayant sa langue propre, a-t-il toujours possédé la liturgie dans cette langue. Primitivement, il y eut deux langues principales dans l'Eglise la grecque et la latine. Les Latins célébraient en latin, et les Grecs en grec. Ainsi, dans les colonies grecques du midi de la Gaule, on célébrait encore la liturgie en grec au VI° siècle. A mesure que les peuples dits Barbares embrassèrent le christianisme, on traduisit pour eux la liturgie et l'Ecriture sainte. La langue latine n'étant plus parlée nulle part, aurait dû disparaître de la liturgie. Mais Rome, au lieu d'imiter la primitive Eglise, affecte de la contredire. Elle a donc décidé que, dans toutes les églises occidentales, on célébrait en latin, quoique les fidèles ne comprennent point cette langue, et que même les prêtres la comprennent peu.
Le peuple est ainsi isolé du prêtre, et ne peut plus prendre au sacrifice la part qui lui revient.
Chose étonnante! Dans une chose antique que l'Eglise romaine veut absolument conserver sans la modifier, elle s'éloigne autant de l'esprit de l'Eglise primitive, par cette conservation, que par ses innovations. C'est assez dire que l'Esprit de Dieu l'a abandonnée, et qu'elle n'est point la vraie Eglise du Christ.




8. LE MARIAGE
L'Eglise romaine, s'exprimant par le concile de Trente (273), a déclaré qu'elle ignorait si le prêtre était ou non ministre du sacrement de mariage, et s'il n'était pas seulement témoin nécessaire. Ainsi, lorsque deux fidèles déclarent en présence du prêtre de leur paroisse, qu'ils se marient, ils sont mariés légitimement sans la bénédiction du prêtre, et, sans cette bénédiction, leur mariage est un sacrement.
A côté de cette étrange doctrine, l'Eglise romaine se montre très sévère contre le mariage civil, en certaines contrées, tandis qu'elle s emontre très large en d'autres pays, où elle ne pourrait agir autrement sans inconvénient.
On peut donc dire qu'elle n'a, au sujet du mariage, que des doctrines de circonstance.
Le sujet, cependant, paraît en lui-même être de la plus grande simplicité.
Le mariage est un contrat naturel; ce contrat est la matière du sacrement, et la bénédiction du prêtre en est la forme. C'est donc par suite de cette bénédiction que le contrat naturel du mariage est élevé à la dignité de sacrement de l'Eglise.
Que ce contrat soit déposé devant l'autorité civile pour obtenir ses effets extérieurs, cette circonstance ne peut absolument avoir aucun effet pour le sacrement; elle ne lui est ni favorable, ni contraire.
Que, dans certaines contrées, le mariage bénit par le prêtre obtienne ses effets civils; il n'y a encore là aucun inconvénient, dès que l'autorité civile n'en voit pas.
On comprendrait donc difficilement les déclamations, parfois furibondes, des papes et des évêques contre le mariage civil, si l'on ne savait qu'ils sont mus par un motif tout autre que celui qu'ils mettent en avant. Ils pensent que ceux qui se marieraient civilement pourraient bien avoir idée de se passer du mariage religieux.
On comprendrait cette susceptibilité dans une Eglise qui aurait conservé la doctrine du sacrement de mariage conféré par le prêtre; mais dès que l'Eglise romaine ne croit le prêtre nécessaire que comme témoin, le sacrement en lui-même subsiste sans lui. Le contrat naturel entre deux fidèles est sacrement; et c'est le sacrement qu'ils vont faire enregistrer par l'autorité civile.
L'Eglise romaine professe une autre erreur au sujet du mariage. Quoique Jésus-Christ ait enseigné positivement que le mariage est indissoluble, excepté pour cause d'adultère ( 274), le mariage est indissoluble.
(274) : (Evangel. S. Matth.c. XIX, 9).
Les théologiens ont épuisé toutes les chicanes pour prouver qu'il ne fallait pas entendre les paroles de Jésus-Christ dans leur sens clair et évident. Mais ces chicanes ne peuvent rien contre ces divines paroles.
Le mariage, selon l'Evangile, est l'unité corporelle de deux êtres qui n'en font plus qu'un moralement. L'adultère rompt cette unité, la détruit. Par conséquent, par suite de l'adultère, l'unité matrimoniale est anéantie.
Donc, dès que l'adultère est juridiquement prouvé, l'autorité ecclésiastique doit prononcer la dissolution du mariage, au profit de la partie innocente; car il est évident que le coupable ne peut bénéficier de sa faute.
Telle est la règle suivie dans l'Eglise catholique orientale, fidèle à l'esprit et à la lettre de l'Evangile.


9. LA FAUSSE PIETE.
Dans son ouvrage sur le miracle de Lourdes, M. Henri Laserre prétend que la sainte Vierge est bien apparue à une jeune fille dans la grotte de Lourdes, quoique personne ne l'ait vue, à part la jeune fille extatique. Il en donne pour preuves : les miracles qui s'opèrent journellement, et l'apparition d'une fontaine dans la grotte.
On dit que la sainte Vierge apparaissant à l'extatique de Lourdes, lui aurait dit : Je suis l'Immaculée-Conception. Mettre dans la bouche de la sainte Vierge ce mot ridicule, surtout lorsqu'on l'applique à une personne, c'est insulter la sainte Vierge et lui faire consacrer une hérésie. Cela seul prouve que, s'il y a eu apparition à l'extatique, cette apparition est démoniaque. M. H. Laserre croit raisonner d'une manière très logique, en donnant certaines guérisons comme autant de miracles à l'appui de l'apparition dont il s'est fait l'apologiste. Nous lui ferons observer que ses guérisons n'offrent pas en leur faveur autant de preuves que celles qui sont contenues dans le livre de Montgéron, sur les miracles du diacre Pâris, et dans les procès-verbaux publiés par les prétendus jansénistes. Il ne veut pas certainement que les miracles des prétendus jansénistes prouvent en faveur de leur thèse? Alors comment veut-il que ce qu'il rapporte prouve en faveur de la sienne? Acceptons que ses récits sont vrais. Mais ce qu'il appelle miracles, ne sont-ils pas des faits extraordinaires dus à l'influence du démon? Nous ne nous donnerons pas la peine de les discuter; car, pour nous, ils ne peuvent être que faux ou démoniaques, alors qu'ils sont faits en faveur de l'Immaculée-Conception, une hérésie condamnée par la foi constante de l'Eglise, même de l'Eglise romaine, jusqu'en 1854. Jésus-Christ a averti que des faits merveilleux auraient lieu à l'appui de l'erreur, mais qu'il n'y faudrait pas croire, et que le devoir des fidèles serait de s'en tenir à la foi reçue. Donc, lorsqu'un ange viendrait du ciel nous annoncer un nouveau dogme, nous le condamnerions lui et son dogme, et ses miracles, comme autant d'émanations de l'enfer. Si M. H. Laserre avait connu ce critérium du vrai catholique, il se serait dispensé d'écrire son gros volume qui ne prouve absolument rien, ou plutôt qui prouverait, si les faits relatés par lui sont vrais, que le démon exerce sa puissance dans l'Eglise dont il fait partie. Cette action démoniaque prouverait, une fois de plus, que l'Esprit de Dieu s'en est éloigné.


10. LE PURGATOIRE
L'Eglise romaine professe qu'avant le jugement dernier et général, ceux qui meurent subissent un jugement particulier, d'après lequel ceux qui doivent être punis ou récompensés, sont envoyés en Enfer ou en Paradis pour l'éternité.
Elle prétend, en outre, que parmi ceux qui sont passés à l'autre vie, il en est qui n'ont absolument mérité ni la récompense ni la punition éternelles. Elle les place donc dans un lieu intermédiaire qu'elle appelle Purgatoire, où ils souffriraient le tourment du feu, en expiation de leurs fautes vénielles, jusqu'à ce qu'ils aient entièrement satisfait à la justice de Dieu. Après cette satisfaction complète, ils entreraient en Paradis.
Les âmes enfermées dans le Purgatoire peuvent recevoir du soulagement des prières et des bonnes oeuvres des vivants; elles peuvent même être délivrées absolument de leurs peines par l'application d'une indulgence plénière; car le pape se prétend le droit d'accorder des indulgences plénières applicables aux âmes du Purgatoire.
S'il en est ainsi, nous ne voyons pas comment le Purgatoire peut exister pour l'Eglise romaine, dès que le pape peut si facilement délivrer les âmes qui y souffrent. Son devoir serait d'appliquer des indulgences plénières quotidiennes à ces pauvres âmes souffrantes, et il pourrait attacher ces indulgences à des oeuvres si faciles des vivants, qu'elles seraient immanquablement gagnées et appliquées.
Le Purgatoire n'existe donc que par la volonté du pape. Ceci est vrai sous un double rapport : d'abord, parce que c'est une invention des papes; ensuite, parce qu'ils pourraient le supprimer, s'ils le voulaient, au moyen de leurs indulgences plénières.
Parmi les théologiens romains, les plus savants, comme Bossuet, ont réduit le plus possible la doctrine du Purgatoire, de manière à se rapprocher très près de l'orthodoxie. Le concile deTrente leur avait donné l'exemple de ces atténuations (275).
(275) : (Concil. Trident. Sess. 25. Décret de Purgat.; Bossuet; Exposition de la doctrine catholique).
Ce concile blâme les superstitions et les fausses doctrines dont le Purgatoire était l'occasion, et réduit ce Purgatoire à un lieu dans lequel les âmes qui y sont détenues peuvent être aidées par les prières et les bonnes oeuvres des fidèles, et surtout par le sacrifice de la messe.
La doctrine du Purgatoire est tout autre dans la pratique de l'Eglise romaine. Pour s'en convaincre, on peut lire les innombrables traités qui sont chaque jour publiés sur ce sujet, avec approbation de l'autorité ecclésiastique. On y verra, à toutes les pages, que les âmes condamnées au Purgatoire, y souffrent dans un feu violent; que ce feu les purifie et possède une vertu d'expiation. C'est, du reste, l'idée qu'emporte avec lui le nom seul de Purgatoire.
Si le concile de Trente avait ses raisons de réduire autant que possible la doctrine du Purgatoire, à cause des attaques trop justifiées des protestants, les théologiens qui commentèrent officiellement sa doctrine n'observèrent pas les mêmes ménagements. Nous lisons, en effet, dans le catéchisme romain, dit du concile de Trente ou ad Parochos (276), ce qui suit :
" Par le mot enfer, on entend d'abord le lieu où sont les damnés... On entend de plus, le feu purgatoire dans lequel les âmes des personnes pieuses souffrent pendant un temps déterminé, en expiation de leurs fautes, afin que l'entrée leur soit ouverte dans l'éternelle patrie où rien de souillé n'entre."
Les théologiens auteurs du catéchisme prétendent que cette doctrine est appuyée sur l'Ecriture sainte et la tradition apostolique; ce qu'ils ne prouvent pas, et pour cause, car il n'en est fait la moindre mention ni dans les saintes Ecritures, ni dans les monuments d ela tradition catholique.
Tout ce que l'on rencontre dans les monuments traditionnels, c'est que les âmes des défunts peuvent recevoir du secours des prières et des bonnes oeuvres des vivants, et surtout du sacarifice eucharistique; parce que ces prières, ces bonnes oeuvres, ce sacrifice, excitent en leur faveur la bonté de Dieu, en vue des mérites du seul rédempteur Jésus-Christ.
Mais on ne trouve point dans la tradition que certaines âmes soient dans un feu expiatoire. Or, c'est en cela principalement que consiste la doctrine romaine du Purgatoire.
L'Eglise primitive n'admettait pas de jugement particulier après la mort; tous damettaient que le jugement général qui aurait lieu à la fin du monde, fixerait définitivement le sort des élus et des réprouvés. Tous les Pères de l'Eglise sont unanimes sur ce sujet.
En conséquence, toutes les âmes des défunts sont dans un état provisoire, jusqu'au jugement dernier. Celles des saints ont un avant-goût du bonheur dont elles jouiront éternellement; celles des coupables souffrent avant d'être condamnées pour l'éternité. La parabole du pauvre Lazare et du mauvais riche ne laisse aucun doute à cet égard; mais leur sort ne sera cependant irrévocablement fixé qu'après la sentence de Jésus-Christ au jugement dernier. En attendant, des liens de communion existent entre les vivants et les morts qui peuvent, comme sur la terre, prier les uns pour les autres, d'une manière utile.
Pour comprendre la différence qui existe entre la doctrine primitive et celle de l'Eglise romaine, il ne sera pas inutile de les réduire l'une et l'autre à quelques propositions fort claires :
La doctrine de l'Eglise primitive peut être ainsi formulée :
1° Après la mort les âmes sont en des états différents selon les bonnes oeuvres qu'elles ont faites, ou les fautes qu'elles ont commises;
2° Les mêmes relations de communion existent entre les vivants et les morts, qu'entre les vivants sur la terre;
3° Ils peuvent prier mutuellement le suns pour les autres; de sorte que les saints peuvent prier utilement pour les vivants, et que les vivants peuvent prier utilement pour ceux qui ne seraient pas morts justifiés. Le sacrifice eucharistique peut surtout leur appliquer les mérites de Jésus-Christ.
La croyance de l'Eglise romaine peut être formulée de la manière suivante :
1° Outre le ciel où sont les saints avec Dieu, et l'enfer où souffrent les damnés, il y a un lieu appelé purgatoire où sont les âmes de ceux qui n'ont pas mérité la damnation, mais qui avaient des péchés à expier au moment de la mort;
2° Dans ce lieu, les âmes souffrent de la peine du feu, et leurs souffrances sont expiatoires, les purifient, et les font satisfaire à la justice divine;
3° Les prières et les bonnes oeuvres des fidèles, et le sacrifice de la messe peuvent aider les âmes du purgatoire;
4° Le pape peut leur appliquer des indulgences même plénières.
Ce simple rapprochement des deux doctrines suffit pour en faire comprendre la différence.
A l'appui des erreurs de l'Eglise romaine, nous pouvons non seulement nous appuyer sur le catéchisme romain ou du concile de Trente, mais sur un canon du concile de Florence que l'on considère comme oecuménique dans l'Eglise romaine. En effet, ce concile a décrété que les "âmes de ceux qui sont morts avant d'avoir satisfait par de dignes fruits de pénitence sont purifiées après la mort par les peines du purgatoire... Animos poenis purgatorii post mortem purgari."
L'historien autorisé du concile de Trente, le cardinal Jésuite Pallavicini, traitant la question du purgatoire, déclare erronée et absurde la doctrine de quelques scolastiques du moyen âge, laquelle se rapprochait beaucoup de celle de l'Eglise primitive (227).
(227) : ( Pallavic. Histoire du Concile de Trente, liv. I, c. 8. Il convient d'ajouter que Guettée, encore marqué par les notions de mérite et de satisfaction, ne développe pas la doctrine entière des Pères sur l'après-vie. Pour eux, l'enfer n'est ni un lieu ni une condition créés par Dieu pour châtier, mais la façon dont le pécheur perçoit l'amour divin. Le même amour de Dieu est paradis pour le juste et feu pour le pécheur).
Il ne se faisait donc pas illusion sur les atténuations du concile de Trente, et il les complétait comme l'a fait le catéchisme du même concile.
Par suite de son erreur sur l'état définitif des âmes des justes et des réprouvés, aussitôt après la mort, l'Eglise romaine a admis deux autres erreurs : l'une qui consiste à dire que les justes jouissent de la vision béatifique; la seconde, que le pape peut décréter que telle personne qui a été vertueuse sur la terre est admise dans le ciel, ce qu'on appelle canonisation.
Le pape Jean XXII, dans un ebulle fameuse, lncée ex cathedra et avec solennité, avait décidé, par une réminiscence de la doctrine orthodoxe, que la vision béatifique n'aurait lieu qu'après le jugement dernier, lorsque le sort des justes serait irrévocablement fixé par le décret du Juge souverain, Jésus-Christ.
Mais ses successeurs ont condamné solennellement et également ex cathedra, la doctrine de Jean XXII.
Les infaillibles n'ont pas toujours été d'accord.
Une fois l'erreur de la vision béatifique immédiate adoptée, les papes se sont accordés le droit d'imposer à Dieu des saints, en les canonisant. Le pape s'attribue ainsi une autorité directe sur les justes, comme sur les âmes du purgatoire. Il élève les uns à la vision béatifique par ses canonisations; il délivre les autres par ses indulgences!
Du reste, le pape actuel n'a-t-il pas élevé la sainte Vierge elle-même en décrétant son Immaculée-Conception? Et les théologiens romains ne prétendent-ils pas chaque jour que cette décision a été un degré de gloire d eplus pour la sainte Mère de Dieu? Le père Newman, un théologien autorisé, n'a-t-il pas osé dire que, par ce décret, la Trinité était devenue plus parfaite?
On ne pourrait croire à de telles hérésies, à de telles absurdités, si on ne les imprimait tous les jours avec l'autorisation du pape et des évêques.






V
LA TRES SAINTE INQUISITION
ET AUTRES POLEMIQUES




1. LA TRES SAINTE INQUISITION ET LES BENEDICTINS


(L'extrait suivant, paru dans l'Union Chrétienne en 1870, est une note d electure de Guettée, composée principalement d'un extrait des Mémoires du R. P. Dom des Pilliers. Nous l'avons introduit ici du fait de son influence probable sur Dostoïevsky et le récit du Grand Inquisiteur. Voir notre Introduction, 3° partie, La Postérité de Guettée.
On remarquera aussi que le célèbre liturgiste Dom Guéranger était, comme la plupart des ultramontains, partisan du retour à l'Inquisition).


" Parmi les institutions du moyen âge, si pompeusement célébrées en récréation par Dom Guéranger, figure en première ligne l'Inquisition qu'il a soin de qualifier toujours de très sainte.
" - Ah! dit-il avec transport, l'Espagne n'est restée profondément catholique que grâce à ce sacré tribunal! Si la France l'avait fait heureusement fonctionner jusqu'à nos jours, nous n'aurions pas dans notre infortunée patrie deux millions d'hérétiques, tant de millions d'incrédules de toutes dénominations, et enfin nous n'aurions point eu à subir l'exécrable Révolution de 89.
" Avec la très-sainte Inquisition tous les esprits rebelles ou téméraires rentreraient vite dans le giron de la sainte Eglise; car les justes châtiments infligés aux plus mutins imprimeraient à tout le monde une crainte salutaire. Les hérétiques mêmes fuiraient au moins comme au temps de la révocation de l'Edit de Nantes. La France ne formerait qu'un peuple homogène par l'unité de sa croyance et de ses aspirations, et, comme au moyen âge où elle donnait le mouvement à toute l'Europe, elle redeviendrait le bras droit de l'Eglise, sa fille aînée dont elle tient encore à honneur de porter le glorieux titre.
"- Mais, dit un religieux, de même que vos attaques contre les liturgies gallicanes entachées de jansénisme ont été couronnées de succès, de même aussi, mon Révérendissime abbé, si vous composiez un ouvrage dans lequel, montrant la nécessité de la foi catholique pour le salut des fidèles et pour la grandeur même des nations, vous établiriez comme moyen infaillible, mais indispensable de leur garantir cette foi précieuse, l'institution en France et dans tout l'univers catholique du sacré tribunal de l'Inquisition, il est à présumer que cet ouvrage porterait, comme celui des Inquisitions liturgiques, ses conséquences naturelles, savoir : l'établissement de ce saint tribunal.
"- Oui, lui dit Sa Paternité, si je venais à suivre votre beau conseil, nous pourrions nous attendre à voir prochainement fermer notre abbaye.
" Pensez donc à tout ce qu'un pareil livre déchaînerait contre nous de fureurs, de violences et de passions mauvaises!
" Les protestants, les incrédules, les rationalistes, les gallicans, et tant de catholiques superficiels qui n'ont du catholicisme que le nom, feraient dans les journaux et dans mille brochures, un tel vacarme pour exciter les passions antireligieuses et antisociales, que le gouvernement profiterait de la circonstance pour faire dissoudre peut-être même par le Saint-Siège, notre Congrégation victime de son zèle à servir les intérêts de l'Eglise et de la société civile elle-même.
" - Par le Saint-Siège, mon Révérendissime?
" - Certainement, Dom N... Le Saint-Siège redoute les embarras, surtout dans un moment où il ne se sent pas le plus fort. Si quelques-uns des siens le servent autrement qu'il ne le juge convenable selon les circonstances, il ne craint point de les qualifier d'imprudents et de compromettants. En conséquence, si la partie adverse lui demande de les sacrifier de par son autorité suprême, le Saint-Siège, pour éviter un conflit nuisible à son influence, transige avec le gouvernement en lui accordant ce qu'il désire et lui demandant en retour un dédommagement qui, dans une pareille occurence, lui est toujours gracieusement octroyé.
" Aujourd'hui que je réfléchis à ce langage, je me demande comment un homme jugeant le Saint-Siège capable d etrahir aainsi ses défenseurs et de tirer de cette lâcheté une prime lucrative, peut continuer à le servir et à vouloir lui créer des millions d'adhérents, même par l'Inquisition.
" Peut-on concevoir, ou une perversité plus diabolique, ou une aberration plus monstrueuse?
" Mais continuons le dialogue.
" - Alors, répliqua le religieux, il faut désespérer de voir rétablir la sainte Inquisition, et les voeux que nous formons sont des voeux superflus?
" - Vous vous trompez, mon cher Père; il est d'autres moyens d'arriver à notre but impunément et sans danger.
" - Lesquels, mon Révérendissime abbé?
" - Il faut commencer par détruire le gallicanisme, et c'est à quoi je travaille de tous mes efforts avec nos bons amis, les rédacteurs et collaborateurs de l'Univers.
" Cela fait, nous prêcherons la nécessité du droit canonique romain.
" La lumière s'étant bien répandue dans le clergé d'abord, ensuite, par son influence, chez les laïcs instruits, on sentira le besoin de mettre d'accord la législation civile, encore athée, avec les saintes lois de l'Eglise reconnue pour directrice suprême de toutes les consciences.
" De là, vous le comprenez, il n'y aura plus qu'un pas à l'établissement de la Sainte-Hermandad, et ce pas sera bientôt fait. On obtiendra facilement, sinon de la piété, au moins de la sage politique du chef d'un pays aussi profondément catholique que le sera devenue la France, l'emploi du moyen que l'expérience de l'Espagne a montré comme seul capable de maintenir intacte la pureté de la foi.
" Un grand nombre de mes confrères applaudirent de tout leur coeur ce beau langage.
" Ils s'extasiaient en exprimant leur ferme espoir de l'établissement plus ou moins prochain de la très-sainte Inquisition fonctionnant, dans toutes les nations devenues ultramontaines, pour l'extermination complète, par le feu, des hérétiques de ces pays, et cela, ad majorem Dei gloriam!
" L'un d'eux, même, dont je tiens le nom en réserve, que j'avais cru jusqu'à ce jour beaucoup moins fanatique, transporté tout à coup d'une joie féroce, nous tint ce discours :
" - Oh! que ne puis-je voir ce beau temps et être nommé Grand-Inquisiteur! Je pardonnerai volontiers encore à ceux qui se rétracteraient avec des signes non équivoques de repentir. Mais quelle puissance j'éprouverais à condamner au feu les relaps opiniâtres ou hypocrites, violateurs sacrilèges de leurs promesses!
" Mon suprême bonheur serait d'être leur bourreau, DE LES TOURNER ET RETOURNER DE MES PROPRES MAINS, A L'AIDE D'UN LONG FOURGON, SUR LE BRASIER INCANDESCENT DU BUCHER."
" Plusieurs rirent aux éclats d'un rire d'allégresse en savourant ces nobles sentiments.
" Que l'on dise maintenant que le monachisme qui les inspire n'est pas la perfection même du christianisme, comme les moines cherchent à le persuader aux bonnes âmes!
" N'y eut-il pas de protestations contre ce langage d'énergumène? peut-on me demander.
" Oui, mais une seule; ce fut la mienne.
" - Quels voeux horribles! m'écriai-je. Est-il possible que des sentiments aussi barbares sortent d ela bouche d'un moine?
"- Dom des Pilliers, me fut-il répondu, vous nous faites l'air d'avoir de la sympathie pour les hérétiques et de blâmer l'Eglise qui, elle, cette tendre mère! n'a pas craint de les livrer au bras séculier pour les faire brûler.
" Du reste, si Dieu lui-même brûle les hérétiques pendant toute l'éternité, l'Eglise peut bien brûler leurs corps ici-bas pour empêcher que l'erreur ne se répande et ne fasse des millions de victimes des flammes éternelles.
" Qu'un jour la France, redevenue franchement catholique, établisse les tribunaux de la très-sainte Inquisition, vous serez alors l'un des premiers que nous ferions brûler si vous ne rétractiez solennellement vos erreurs relatives à la légitimité même de ces sacrés tribunaux.
" - Si vous attendez cette époque, mes chers confrères, je puis longtemps encore vivre en paix. La France, fort heureusement, n'est pas à la veille d'adopter vos idées.
" - Fort heureusement? me dit le Révérendissime; mais vous exprimez là, mon cher père, un sentiment tout à fait hérétique. Pour un prêtre, originaire même d'une province naguère encore espagnole, je vous assure que vous me surprenez étrangement. Mon désir de vous excuser ici devant vos confrères me porte à croire que vous avez voulu faire une plaisanterie afin de provoquer les réponses si orthodoxes qu'ils vous ont faites.
" - Dans une matière aussi grave, mon Révérendissime abbé, je ne me permettrais pas de plaisanter; je crois n'exprimer qu'un sentiment chrétien en blâmant l'Inquisition espagnole comme monstrueuse et contraire aux maximes de l'Evangile.
"- Voyons, Dom des Pilliers, comment établiriez-vous ce paradoxe?
" - La vérité que je soutiens, mon Révérendissime, je l'établis sur ce qui suit :
" Lorsque les apôtres demandèrent à Jésus-Christ de faire descendre le feu du ciel sur les habitants d'un bourg de Samarie qui avaient refusé de le recevoir, le Christ, au lieu d'y consentir, les réprimanda fortement et leur dit :
" Vous ne savez pas à quel esprit vous êtes appelés, le Fils de l'homme n'est pas venu pour perdre les hommes, mais pour les sauver." ( Luc, IX, 54, 56).
" - D'abord, mon cher Père, il n'est pas question de la foi dans le texte que vous citez.
" D'ailleurs, Jésus-Christ n'avait point encore établi son Eglise; elle ne pouvait donc avoir des droits.
" De plus, dans les trois premiers siècles, celle-ci n'étant pas en mesure de disposer du bras séculier, qui loin de la soutenir la persécutait à outrance, elle ne pouvait songer à établir des moyens de se maintenir par la force.
" Mais quand, plus tard, elle fut devenue une société parfaite, elle en acquit naturellement tous les droits. Or, le premier et le plus incontestable, assurément, est celui de se conserver et de se défendre contre les agressions soit intestines, soit étrnagères; de là l'établissement fort légitime de la très-sainte Inquisition. Qu(avez-vous à dire à l'encontre?
" - J'ai entendu votre raisonnement, mon Révérendissime; voici le mien :
" Si le Christ qui, comme Dieu, est tout-puissant, voulait que son Eglise usât de la force et non simplement de la persuasion, de la prière et d ela patience pour se maintenir et se propager, il eût certainement communiqué cette force matérielle à ses apôtres, à ses disciples, aux évêques, aux prêtres et aux chrétiens des trois premiers siècles qui constituaient aussi bien son Eglise que peuvent la constituer aujourd'hui le pape, les cardinaux, les huit cents évêques, les trois à quatre cent mille prêtres et les cent quatre-vingts à deux cent millions d'âmes de la catholicité. Or, vous voyez les apôtres et les disciples de Jésus-Christ, les évêques et des millions de chrétiens des trois premiers siècles, manquant totalement de cette force matérielle, triompher néanmoins de tous leurs ennemis du dedans et du dehors, hérétiques et païens, apostats et persécuteurs, non en les envoyant au bûcher, mais en mourant eux-mêmes, à l'exemple du Maître, pour la défense de la vérité.
" Cette conduite de la primitive Eglise et le triomphe qui en a été le résultat sont donnés même par tous les panégyristes comme une preuve spéciale de son institution divine.
" Si donc aujourd'hui l'Eglise avait besoin, pour se maintenir, du secours des forces humaines, on pourrait en conclure que la force divine l'a délaissée et qu'elle n'est plus la véritable épouse du Christ.
" - La belle âme que celle de notre bon Père des Pilliers! dit en raillant le Révérendissime qui évita de répondre à mon argument; il se laisserait égorger sans défense par les hérétiques, lors même qu'il aurait en mains le pouvoir de réprimer leur rébellion. Il voudrait ramener l'Eglise à son berceau et lui rendre ses langes par une fausse compassion pour des pervers que son bras, devenu puissant, est à même de soumettre à son autorité ou de rendre incapables de lui nuire.
" Pour ramener au giron de l'Eglise des âmes égarées, ne pourrait-on pas, lui dis-je, trouver des moyens plus conformes à l'esprit du Christ que de rôtir ses semblables?
" - Vous oubliez, Dom des Pilliers, que mettre les méchants dans l'impuissance de pervertir les bons, c'est la meilleure charité à exercer envers ceux-ci, en même temps que l'on fait justice des coupables.
"Quant au choix des châtiments, il est avantageux d'employer les plus terribles comme étant les plus efficaces pour arrêter l'audace des mécréants révoltés contre Jésus-Christ et son Eglise.
" D'ailleurs, voici un raisonnement péremptoire : l'Inquisition est l'oeuvre de l'Eglise; or, tout ce que fait l'Eglise ets conforme à l'esprit du Christ, parce qu'elle est son épouse infaillible : donc l'Inquisition est justement appelée très-sainte et doit être considérée comme telle par quiconque se croit et se dit l'enfant de l'Eglise. Répondez à ce syllogisme, mon cher Père Dom des Pilliers.
" - Cela ne me paraît point fort difficile, mon Révérendissime abbé.
" D'abord, je ne puis accepter votre majeure; car, loin d'admettre que l'Inquisition soit l'oeuvre de l'Eglise, bon nombre d'ouvrages, sortis de la plume d'ecclésiastiques et d erelogieux, rejettent sur les gouvernements civils tout l'odieux des bûchers de l'Inquisition pour en disculper absolument la sainte épouse du Christ.
" - C'est vrai, répliqua Dom Guéranger; mais ces auteurs n'en usent ainsi que pour atténuer l'impression défavorable que ce nom d'Inquisition, devenu odieux à tant de soi-disant catholiques, produit sur ces âmes faibles qu'il est bon de ménager dans leur propre intérêt; car, vu leurs dispositions du moment, elles seraient exposées à rompre avec l'Eglise si on la leur montrait responsable du supplice des criminels livrés par elle au bras séculier. Ces auteurs, mon cher Père, suivant le principe : " Que toute vérité n'est pas bonne à dire", cachent cette dernière dans d'excellentes intentions; mais, entre nous, aucun motif ne s'oppose à ce que nous nous la disions à nous-mêmes, c'est-à-dire les uns aux autres. De la sorte nous nous animons réciproquement à aimer d'une affection filiale et respectueuse toutes les institutions de notre mère la sainte Eglise.
" Quand les esprits seront moins prévenus, et que la simplicité de la foi catholique animera tous les enfants de l'Eglise, alors ce sera le temps d'affirmer bien haut que la très-sainte Inquisition est parfaitement son oeuvre.
" - Dès lors, mon Révérendissime, ces auteurs trompent le public en disculpant l'Eglise d'une responsabilité qui lui incombe, et la Congrégation de l'Index devrait censurer de pareils livres.
" - L' Eglise ne met à l'Index que les ouvrages qui tendent à lui nuire; ces derniers, au contraire, lui étant favorables, comment voulez-vous qu'elle les censure? Peut-elle se détruire de ses propres mains?
" Mais il me semble que l'Eglise, avant tout, doit défendre la vérité dont elle se dit l'infaillible dépositaire, mon Révérendissime.
" - Mon cher Père Dom des Pilliers, vous devenez bien raisonneur aujourd'hui, tandis que vous devez vous soumettre à l'Eglise en vous fondant sur ce principe catholique : l'Eglise agit de telle manière; donc c'est bien, donc c'est conforme à l'esprit du Christ; donc la très-sainte Inquisition est excellente.
" - Si vous n'aimez pas m'entendre raisonner, je consens volontiers à me taire, mon Révérendissime. Toutefois, je garde les sentiments que je viens d'émettre tant que je ne verrai pas l'Eglise prendre ouvertement sous sa responsabilité la Sainte-Hernandad avec tout son cortège de tortures. Jusque-là je ne pourrai croire que l'inquisition soit l'oeuvre de l'Epouse du Christ.
" Ainsi se termina la discussion.
" Maintenant je pourrais dire de moi-même comment ce tribunal proclamé saint, était organisé et de quelle manière il fonctionnait. Mais je préfère citer ici l'article d'un prêtre, docteur en théologie, l'abbé Moréri, tel qu'il se trouve dans son grand dictionnaire au titre : Inquisition espagnole. Le voici in extenso :
" L'Inquisition connaît des crimes d'hérésie, de judaïsme, de mahométanisme, de sodomie, de sortilège et de polygamie. La coutume est que le roi d'Espagne nomme au pape un inquisiteur général pour tous les royaumes, et Sa Sainteté le confirme. Cet inquisiteur général nomme ensuite les inquisiteurs particuliers de chaque lieu qui ne peuvent pourtant exercer leurs charges avant que d'avoir eu le consentement et l'agrément du roi. Le roi, de plus, met un conseil au sénat pour cette matière dans le lieu où est le roi, de plus, met un conseil au sénat pour cette matière dans le lieu où est le souverain inquisiteur ou président, et le conseil a une juridiction souveraine sur toutes les affaires qui regardent l'Inquisition. Les seigneurs les plus considérables se font officiers de l'Inquisition sous le nom de familiers. Leur fonction est de faire la capture des accusés. Le respect extrême qu'on porte aux familiers et la terreur que cette juridiction jette dans les esprits autorise si fort les emprisonnements, qu'un accusé se laisse emmener sans oser rien dire dès qu'un familier lui a prononcé ces paroles : De la part de la sainte Inquisition. Aucun voisin n'ose murmurer; le père même livre ses enfants et le mari sa femme, et s'il arrivait quelque révolte, on mettrait en la place du criminel tous ceux qui auraient refusé de donner main-forte pour empêcher son évasion. On met les prisonniers un à un ou deux à deux dans de petites cellules d'où on les tire les jours de conseil, pour être interrogés à la manière de ce tribunal, où on ne leur dit pas de quoi ils sont accusés, mais on se contente de leur demander de quoi ils se sentent coupables.
" D'abord tous les parents du criminel s'habillent en deuil et en parlent comme d'un homme mort. Ils n'osent solliciter pour sa grâce ni même s'approcher de la prison, tant ils craignent d'être suspects et enveloppés dans le même malheur, jusque-là que les parents se réfugient quelquefois dans les pays étrangers : car chacun craint d'être pris pour complice. Quand il n'y a point de preuves contre l'accusé, on le renvoie après une longue prison; mais il perd toujours la meilleure partie de son bien qui s econsume pour fournir aux frais de l'Inquisition.
" Le secret de toute la procédure est gardé si étroitement qu'on ne sait jamais le jour destiné à prononcer leur sentence. Ce jugement se rend, pour tous les accusés, une fois l'année, en un jour choisi par les inquisiteurs. L'arrêt qu'on y donne s'appelle un auto-da-fé, c'est-à-dire un arrêt de foi, et il est aussitôt suivi de l'exécution des coupables.
" On rend cet arrêt en public avec des solennités extraordinaires.
" On élève un théâtre de charpentes qui occupe presque toute la place publique, et qui peut tenir jusqu'à trois mille personnes. On y dresse un autel richement paré, et à côté on élève des rangs de sièges en façon d'amphithéâtre, pour faire asseoir les familiers et les accusés.
" Vis-à-vis est une chaire fort haute, où un des inquisiteurs appelle chaque accusé l'un après l'autre, pour écouter la lecture des crimes dont on l'accuse et l'arrêt de condamnation qu'on lui prononce.
" Les prisonniers qui sortent de la prison pour venir sur le théâtre jugent de leurs destinées par les différents habits qu'on leur a donnés.
" Ceux qui ont leurs habits ordinaires en sont quittes pour une amende.
"Ceux qui ont un san-benito, qui est une manière de justaucorps sans manche, chargé d'une croix rouge de saint André cousue dessus, sont assurés de la vie; mais ils perdent leurs biens qui sont confisqués au profit d ela chambre royale et pour payer les frais de l'Inquisition.
" Ceux à qui l'on a fait porter sur le san-benito quantité de flammes de serge rouge, cousues dessus sans aucune croix, sont convaincus d'être relaps et d'avoir eu déjà une fois leur grâce, et sont menacés d'être brûlés en cas de rechute.
" Mais ceux qui, outre les flammes représentées sur leur san-benito, y portent leur propre tableau environné de figures de diables, sont destinés à la mort.
" Les inquisiteurs étant ecclésiastiques ne prononcent point l'arrêt de mort; ils dressent seulement un acte qu'ils lisent à l'accusé où ils marquent que, le coupable ayant été convaincu de crimes, la sainte Inquisition le livre avec douleur au bras séculier; Cet acte est mis entre les mains de sept juges qui sont au côté gauche de l'autel, lesquels condamnent les criminels à être brûlés, après avoir été étranglés, si ce n'est qu'ils soient juifs, car en ce cas on les brûle tout vifs.
" On dresse des fagots avec un poteau au milieu, où le criminel, étant assis, est étranglé par l'exécuteur, puis brûlé.
" La Confrérie de la Miséricorde est présente à ce spectacle, où elle vient avec une bannière suivie de plusieurs prêtres qui conduisent le criminel au lieu patibulaire et font des prières pour lui."
" Voilà ce que j'avais à citer de l'abbé Moréri sur l'Inquisition espagnole.
"Et telle est l'admirable institution du moyen-âge dont l'abbé et les moines de Solesmes s'efforcent de préparer l'établissement dans notre chère patrie!
" C'est là le but ultérieur des travaux de Dom Guéranger et de la direction qu'il imprime à sa Congrégation, ainsi qu'aux évêques s'inspirant de ses conseils et de son esprit.
" Qu'on laisse agir les moines dans l'ombre et se développer à leur aise par les moyens habituels dont ils usent, et les gouvernements devront plus tard compter avec eux comme avec une puissance d'autant plus formidable qu'elle sera plus occulte et plus mystérieuse."


2. LA PAPAUTE ET LES JUIFS
Le concile de Latran de 1215, présidé par le pape et regardé comme oecuménique par l'Eglise romaine, décida que les juifs devraient porter sur leur habit une marque particulière qui les ferait distinguer des chrétiens. Dans quel but fit-on un tel décret? Etait-ce pour faire des juifs un objet de respect ou de répulsion?
Etait-ce dans un esprit de tolérance que le pape Grégoire IX écrivait à tous les évêques des contrées européennes : " Nous vous ordonnons que le premier samedi du carême prochain, lorsque les juifs seront assemblés dans leurs synagogues, vous fassiez prendre tous leurs livres, en vertu de notre autorité, chacun dans votre province, que vous les fassiez garder soigneusement chez les Frères Prêcheurs ou Mineurs, en implorant, s'il est nécessaire, le bras séculier."
Le pape Alexandre II a loué les évêques d'Espagne d'avoir pris la défense des juifs contre ceux qui les massacraient; mais puisque l'évêque jésuite de Smyrne a lu sa lettre avec tant de transport, pourquoi ne l'a-t-il pas citée? On y aurait alors lu ce passage : " Dieu les a conservés (les juifs) par s amiséricorde pour vivre dispersés par toute la terre, après avoir perdu leur patrie et leur liberté en punition du crime de leurs pères."
C'était donc à titre d'exécuteur de la condamnation providentielle portée contre les juifs que la papauté voulait la conservation des juifs. Cette idée était celle de tous ceux qui prenaient la défense de cette malheureuse nation. Ecoutons saint Bernard cité par l'évêque jésuite de Smyrne : " Les juifs, dit-il ( Epist. 36), sont les plus grands ennemis des chrétiens; ils sont pires que les Sarrasins; toutefois, il ne faut pas les faire mourir, mais les réserver à un plus grand supplice, celui d'être toujours esclaves, fugitifs et sous l'étreinte de la frayeur." En conséquence, saint Bernard demande au roi de France de les punir dans ce qu'ils ont d eplus cher, c'est-à-dire dans leur argent. L'abbé de Cluny, pénétré de sentiments identiques, priait le même roi de prélever sur les juifs l'argent nécessaire pour faire la guerre aux Sarrasins.
Telle fut, de tout temps, la politique du clergé romain à l'égard des juifs : les laisser vivre, mais les tenir dans l'esclavage, sans droits politiques ni civils; leur fixer des quartiers particuliers dans les villes, et les marqyer d'infamie.
Ils sont encore en cet état à Rome, malgré les phrases pompeuses de l'évêque jésuite de Smyrne sur les actes du pape régnant.
L'Eglise orientale, qui ne s'occupe pas de politique, n'a jamais enseigné, touchant les juifs, de semblables théories; elle n'a pas plus approuvé les massacres dont ils ont été victimes, que le système d'humiliation et d'esclavage suivi de tout temps et encore aujourd'hui par la papauté. Elle a cherché au contraire à inspirer à ses fidèles, à l'égard des juifs comme de tous les autres ennemis du christianisme, des sentiments de tolérance et de charité chrétienne...


Revue du mois


Paris, 3/15 juin 1870


Eglise orthodoxe. - Les journaux grecs publient une lettre adressée, par S.S. le patriarche de Constantinople, aux chrétiens orthodoxes de son diocèse, contre les préjugés que des chrétiens nourrissent depuis longtemps au sujet des juifs. Voici cette lettre :
" Le préjugé est une chose terrible! Malheureusement, chez presque tous les peuples d'orient, a prédominé l'idée extravagante que les juifs boivent du sang humain, et surtout chrétien, soit comme une boisson sanctifiante, soit à cause de leur ancienne haine contre les chrétiens. De là arrivent quelquefois des soupçons et des outrages qui troublent l'harmonie sociale et la sympathie que les habitants d'une même patrie et les sujets d'un même Etat doivent conserver les uns à l'égard des autres. Dernièrement encore, on répandait le bruit que plusieurs enfants avaient été enlevés, ce qui raviva les haines et les accusations. Quant à nous, nous rejetons ce bruit comme invraisemblable et nous le considérons comme un préjugé d'hommes simples et crédules; c'est pourquoi nous le condamnons officiellement. En même temps, nous engageons tout vrai chrétien à juger avec plus de douceur nos concitoyens israélites; à penser que la loi de Moïse, leur développement social et leur civilisation actuelle ne justifient point les préjugés entretenus contre eux; à prendre en considération : d'un côté, la dignité humaine, l'image divine et l'antiquité historique des Israélites; de l'autre, l'incomparable beauté morale et la grandeur de la perfection évangélique de notre céleste Maître et Sauveur Jésus-Christ, qui a défendu, sous peine de la géhenne, les simples mots de Raca et de fou; qui nous recommande l'amour et la charité, même envers nos ennemis; qui a donné cet ordre exprès : " Que votre lumière ( c'est-à-dire la lumière de vos oeuvres) luise tellement devant les hommes qu'ils voient vos oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux." ( Math. V, 16.)
" Donné au Patriarcat, le 18 février (1er mars) 1870."
Le peuple orthodoxe se montre animé des mêmes sentiments de douceur et de tolérance que S.S. le Patriarche. A peu près à la même époque où était publiée la communication du patriarche Grégoire, les orthodoxes de Corfou élisaient membres du conseil municipal trois Israélites, hommes d'une réputation connue et d'une capacité distinguée.
A propos de cette élection et d ela lettre patriarcale, la Revue orthodoxe d'Athènes s'exprime ainsi au sujet de la tolérance :
" La tolérance est une vertu chrétienne; elle serait erronée seulement si son motif était l'indifférence à l'égard des diverses religions; cette dernière tolérance équivaudrait au scepticisme. Mais elle est une vertu chrétienne quand, en croyant fermement à la vérité de la religion chrétienne, on ne veut pas cependant imposer cette religion aux autres d'une manière violente; quand on cherche à persuader de sa vérité seulement par la parole, et qu'on laisse les autres libres de la recevoir ou non. C'est ce qu'enseigne S. Lactantius : "Religio cogi non potest; et, verbis potius quam verberibus res agenda est, ut sit voluntas; et, nihil est tam voluntarium, quam religio; et, nos non expectamus, ut Deum nostrum, qui est omnium, velint, nolint, colat aliquis invitus, nec si non coluerit irascimur". (La religion ne peut être imosée de force; et il faut y conduire par le verbe plutôt que par les verges, afin d ela faire accepter par la volonté; il n'y a rien de plus libre que la religion, et nous ne souhaitons pas nous-mêmes voir qui que ce soit adorer de force, bon gré, mal gré, notre Dieu, qui est celui de tous les hommes, pas plus que nous n'avons de colère si quelqu'un ne l'adore pas). (Institutiones, V. 19, 20.) Nous comprenons ainsi la tolérance chrétienne envers les dissidents; cette tolérance est une conséquence immédiate du commandement évangélique de l'amour envers tous, même envers nos ennemis... Si nous passons d'Orient en Occident, nous voyons en Rome 156 membres du concile qui soumettent un projet concernant les juifs, dont l'état religieux paraît occuper lesdits Pères; après leur avoir fait subir de si nombreuses persécutions et injustices, on songe à les appeler au giron de l'Eglise catholique romaine. Mais les vénérables Pères auraient dû savoir qu'une telle invitation pourrait être adressée aux juifs plutôt d ela part de toute autre Eglise que de l'Eglise romaine. Non seulement pendant le moyen âge les juifs trouvèrent dans l'Eglise latine un ennemi implacable, mais encore jusqu'à nos jours, au sein de la Ville éternelle, ils ne peuvent jouir des droits communes. Les 156 Pères semblent ignorer volontairement l'histoire de la nation israélite, comme aussi celle de leur conversion au christianisme. Les persécutions et les invitations solennelles ne réussiront jamais à convertir les juifs au christianisme; c'est la parole de l'Evangile et la vie sainte des chrétiens qui peuvent seules convaincre les Israélites comme tout autre dissident et leur faire embrasser le christianisme."


3. LES INDULGENCES
Dans le principe, l'Eglise accordait à des pécheurs condamnés aux pénitences publiques, des adoucissements, soit à cause de leurs bonnes dispositions exceptionnelles, soit sur les instances des martyrs qui intercédaient pour les pécheurs, et dont l'intercession était agréée par l'Eglise.
Le mot indulgence n'eut d'abord que ce sens d'adoucissement aux pénitences canoniques. Mais peu à peu, l'Eglise romaine en a dénaturé le caractère, de sorte qu'aujourd'hui le mot indulgence a un sens complètement différent. Il signifie l'application faite à un individu des mérites de Jésus-Christ, de la sainte Vierge et des saints. Ces mérites formeraient, par leur surabondance, un trésor qui serait à la disposition du pape, et duquel il pourrait tirer des mérites qu'i appliquerait, selon sa volonté, à d'autres que ceux qui les ont eus, lesquels accompliraient certaines conditions déterminées.
Le pouvoir du pape, dans la dispensation du trésor des mérites surabondants serait si grand, qu'il pourrait les appliquer non seulement aux pécheurs vivants, mais aux pécheurs morts qui seraient condamnés à expier leurs péchés dans un lieu appelé Purgatoire (278).
(278) : ( Concil. Trident. Sess. 26, Decret. de Indulg.).
Nous avons déjà examiné la doctrine erronée du Purgatoire. Nous nous contentons ici d'enregistrer la prétention du pape d'étendre son pouvoir jusque dans l'autre monde.
La doctrine des indulgences repose sur une fausse notion des mérites de la sainte Vierge et des saints que l'on place pêle-mêle, dans un même trésor avec ceux de Jésus-Christ. Cette erreur est contraire à la sainte doctrine de la rédemption et de la Justification, par Jésus-Christ, seul médiateur entre Dieu et l'humanité coupable. Personne n'a devant Dieu de mérite personnel, sinon en Jésus-Christ et par Jésus-Christ. Les mérites de la sainte Vierge et des saints n'ont donc de valeur que par Jésus-Christ; alors comment peut-on les dire surabondants, et les mettre, dans un prétendu trésor, à côté de ceux de Jésus-Christ dont ils seraient distincts, dont ils formeraient comme un supplément. Si la sainte Vierge et les saints ont des mérites surabondants, ils ont donc été plus que saints, plus que justifiés devant Dieu?
Il n'y a aucune proportion entre les oeuvres auxquelles on attache des indulgences, et ces faveurs spirituelles. Pour établir ce point, nous n'avons pas besoin de citer une foule d'indulgences fort singulières, pour ne pas dire ridicules, dont les divers traités d'indulgences sont remplis.
Il nous suffira d eciter celles-ci, reconnues comme authentiques dans toute l'Eglise romaine et par les plus graves théologiens.
1° Quatre cents jours pour tous ceux qui, s'étant confessés, assistent à la grand'messe le jour de la fête du très-saint Sacrement; autant pour ceux qui assistent aux matines ou aux vêpres du même jour; cent soixante pour ceux qui assistent à l'une des petites heures, et la moitié de tout cela pour ceux qui assistent à la messe ou aux matines, etc... pendant l'octave. Sixte IV a accordé les mêmes indulgences à ceux qui assistent aux mêmes offices le jour et pendant l'octave de l'Immaculée-Conception, et Clément VIII à ceux qui assistent à l'office du saint nom de Jésus.
2° Sixte IV a accordé trois cents jours d'indulgences à ceux qui récitent dévotement les litanies du saint nom de Jésus, et deux cents à ceux qui récitent celles de la sainte Vierge.
3° Sept années sept fois quarante jours d'indulgences à ceux qui portent un cierge ou un flambeau lorsqu'on porte le saint Viatique aux malades. Trois années et trois quarantaines à ceux qui le font porter, ne pouvant le porter eux-mêmes. Cinq années et cinq quarantaines à ceux qui accompagnent le saint Viatique sans porter de lumière. ( Innocent XII, par un indult du 5 Janvier 1695.)
4° Indulgence plénière à tous ceux qui, étant confessés, contrits et communiés, assistent aux prières des quarante heures. ( Grégoire XIII par son indult du 5 avril 1580.)
5° Indulgence plénière une fois le mois, le jour que l'on choisira à son gré, à tous ceux qui, étant confessés, contrits et communiés, réciteront ce jour-là, à genoux, l'Angelus Domini, le matin, à midi et le soir au son de la cloche, et cents jours d'indulgence chaque fois qu'on le récitera de même les autres jours. ( Benoît XIII, par son indult du 14 septembre 1724.) Le même pape, par ses lettres in forma brevis du 5 septembre 1727, a étendu la même indulgence aux religieux qui, étant occupés à quelques exercices réguliers pendant qu'on sonne l'Angelus, le réciteraient à genous dans un autre temps. Benoît XIV a confirmé la même indulgence le 20 avril 1742, et a ajouté qu'on la gagnerait en récitant le Regina caeli au temps de Pâques, avec le verset et l'oraison Deus, qui per resurrectionem, etc., pour ceux qui le savent, en sorte néanmoins que ceux qui ne savent ni le Regina ni cette oraison gagneront également cette indulgence en récitant l'Angelus. On gagnera aussi l'indulgence, sans dire à genoux soit le Regina caeli, soit l'Angelus, pendant le temps pascal et tous les dimanches de l'année, partout où ce n'est pas la coutume de réciter ces prières à genoux.
6° Indulgence de cent jours à ceux qui se salueront l'un en disant Laudetur Christus, ou loué soit Jésus-Christ, l'autre répondant In saecula, dans tous les siècles, ou amen, ainsi soit-il, ou semper, toujours. Même indulgence pour les prédicateurs ou pour les autres fidèles qui tâcheront d'introduire cette manière de saluer. De plus, indulgence plénière à l'article de la mort pour ceux qui, s'étant servis à l'ordinaire de cette façon de se saluer pendant leur vie, invoqueront au moins de coeur, s'ils ne le peuvent de bouche, les noms de Jésus et de Marie. ( Par indult de Sixte V, renouvelé par Benoît XIII le 22 janvier 1728.)
Les ordres religieux ont leurs indulgences particulières.
Les indulgences se divisent en locales, réelles et personnelles. L'indulgence locale est attachée à un certain lieu, comme chapelle, église, etc. On la gagne en visitant ce lieu et en observant toutes les conditions marquées par la bulle; en sorte que si la bulle ordonne d'entrer réellement dans l'église ou d'y faire quelque exercice qui exige réellement cette entrée, comme d'y communier, d'y visiter cinq autels, etc., on ne gagnera point l'indulgence sans y entrer réellement, quoiqu'on en soit empêché ou par la violence ou par la multitude; au lieu que si la bulle exige seulement de visiter l'église et d'y prier, on gagnera l'indulgence en priant à la porte de l'église dans laquelle on ne pourra entrer, parce que l'on sera censé pour lors l'avoir visitée et y avoir prié moralement parlant. Lorsqu' une église à laquelle est attachée une indulgence tombe en ruine par partie, et se réédifie de même, l'indulgence subsiste, parce que l'église subsiste elle-même. Mais si l'église tombe entièrement et n'est point rétablie, l'indulgence cesse. Que si l'on rétablit l'église dans le même lieu ou dans un autre, il est plus sûr de demander de nouvelles indulgences, quoiqu'il soit probable que les anciennes subsistent dans le premier cas et même dans le second, lorsqu'elles sont accordées en vue du patron d'un tel endroit, ou à l'église qu'une communauté y possède.
L'indulgence réelle est celle qui est attachée à certaines choses mobiles et passagères, comme rosaires, grains bénits, médailles, et accordée aux fidèles qui portent ces choses avec dévotion. Lorsque ces choses sont changées, de façon qu'elles cessent d'être les mêmes, selon l'estimation commune des hommes, l'indulgence cesse; mais si les choses subsistent et sont censées les mêmes, malgré le changement qui leur est arrivé, l'indulgence subsiste. Tel serait le changement d'un rosaire auquel on aurait mis un cordon nouveau, ou quelques grains en moindre nombre que cex qui susbsistent.
L'indulgence personnelle est celle qu'on accorde immédiatement à quelques personnes en particulier, ou en commun aux personnes, par exemple, d'une certaine confrérie. Ces personnes peuvent gagner ces sortes d'indulgences en quelque lieu que ce soit, ou saines, ou malades ou mourantes.
Nous n'entrerons pas dans des détails plus circonstanciés sur les indulgences. Ceux qui voudront en savoir davantage pourront lire, s'ils en ont le courage, des traités spéciaux. Les plus doctes sont ceux du père Wolf, plus connu comme téhologien sous son nom latinisé de Lupus; des pères Théodore du Saint-Esprit, et Honoré de Sainte-Marie.
Ce que nous avons dit suffit pour établir notre thèse, c'est-à-dire que les indulgences sont des faveurs tout à fait disproportionnées avec les oeuvres prescrites pour les mériter.
Pour légitimer les indulgences, les théologiens de l'Eglise romaine confondent les indulgences modernes de cette Eglise avec celles que l'Eglise primitive accordait aux pécheurs repentants, lesquels, par leurs excellentes dispositions, méritaient qu'on leur remît une partie des pénitences publiques fixées par les canons. Il est bien évident que l'Eglise qui a établi ces pénitences, qui en a déterminé la nature et la durée, peut modifier sa législation, dans certaines circonstances de lieu, de temps, de personnes. Mais lorsque l'Eglise romaine a laissé tomber en désuétude, non seulement les pénitences canoniques, mais les pénitences générales, recommandées à tous les chrétiens, comme les jeûnes de carêmes et les abstinences, peut-on soutenir que ses indulgences soient des actes de même nature que ceux de l'Eglise primitive, abrégeant pour certaines personnes la durée des pénitences publiques?
Les théologiens de l'Eglise romaine raisonnent donc fort mal lorsqu'ils ont recours à ces actes de l'Eglise primitive pour légitimer les indulgences modernes.
Pour trouver l'origine de ces indulgences, il faut remonter à la fin du neuvième siècle (279).
(279) : ( V. Juenin. Dissert. de Indulgent. c.2.; Morin. de Paenit.).
Une disposition du concile de Tribur, près de Mayence, tenu en 895, est le premier document que l'on puisse citer à l'appui de la faculté de se rattacher, moyennant une certaine somme d'argent, des pénitences canoniques. Dès qu'il fut permis d'échapper à ces pénitences en payant, elles furent bientôt abolies, et les canonistes occidentaux, comme Réginon et Pierre de Poitiers, ne s'appliquèrent plus qu'à déterminer la somme qui puvait compenser telle ou telle pénitence.
Tel était l'état de la question à la fin du dixième siècle. On avait eu soin de multiplier les années de pénitence en théorie, pendant qu'on les abolissait en pratique; de sorte que les canonistes indiquaient gravement quelles prières il fallait réciter, combien d'argent il fallait verser, combien de coups il fallait s'administrer, pour compenser cinquante, cent ou mille années de pénitences canoniques. Dès qu'on pouvait facilement se racheter de si longues pénitences, on en déduisait naturellement que l'on pouvait faire beaucoup d epéchés. Mais comment concilier de si longues pénitences avec les limites de la vie humaine? On ne le pouvait, mais on imagina que les pénitences qui n'étaient pas accomplies en ce monde devaient l'être dans l'autre, et que, dès cette vie on pouvait se racheter pour la vie future. C'est de là qu'est sortie la doctrine du Purgatoire et des indulgences applicables aux âmes qui souffriraient en ce lieu.
Au onzième siècle, on inventa l'indulgence plénière, c'est-à-dire la remise totale de toutes les pénitences que l'on serait obligé de faire soit en cette vie soit en l'autre. On eut recours à ce moyen pour exciter le zèle pour les croisades. Au concile de Clermont, en 1096, où fut proclamée la première croisade, le pape Urbain II d'accord avec les évêques présents, décida que "le voyage à Jérusalem pour la délivrance de cette Eglise tiendrait lieu de toute pénitence."
En 1122, au premier concile de Latran, le pape Callixte II confirma l'indulgence plénière d'Urbain II et l'étendit à ceux qui iraient combattre les Musulmans en Espagne. En 1145, le pape Eugène III la confirma de nouveau, et en 1195, Clément III en fit autant.
Selon Bernard de Clairvaux (280), les scélérats et les impies, les ravisseurs, les sacrilèges, les homicides, les parjures, les adultères, s'engagèrent pour un an, comme croisés, et débarrassèrent les lieux témoins de leurs crimes. Cependant des hommes pieux voulurent aussi en profiter, selon le même écrivain (281).
(281) : ( Ibid. Epist. 246).
D'après la population qui formait la majorité dans les croisades, on ne peut s'étonner des crimes et des atrocités qui furent commis pendant ces expéditions.
Le zèle pour l'indulgence des croisades se refroidissant, le pape Boniface VIII annonça avec beaucoup d'éclat une indulgence plénière pour tous ceux qui visiteraient Rome la première année du XIV° siècle. L'an 1300 fut indiqué comme une année sainte, et on lui donna le nom de Jubilé, en réminiscence du Jubilé de l'Ancienne Alliance. Une foule innombrable de pèlerins se rendirent à Rome et y apportèrent beaucoup d'argent. La cour papale prit goût à des démonstrations aussi utiles à ses intérêts. Clément VI, élu pape en 1342, décida qu'un Jubilé avec indulgence plénière aurait lieu à chaque demi-siècle. Le pape Grégoire XI, qui mourut en 1378, publia une bulle pour instituer un Jubilé à chaque tiers de siècle. Cette bulle ne fut pas observée par ses successeurs jusqu'à Paul II, à la fin du XV° siècle. ce pape décida qu'un Jubilé aurait lieu à chaque quart de siècle, et c'est la règle qui a été suivie depuis.
Les évêques s'attribuaient d'abord le droit de distribuer des indulgences, ce qui portait préjudice aux intérêts de Rome. Innocent III voulut remédier à cet inconvénient. C'est pourquoi, dans le quatrième concile de Latran, en 1215, il se plaignit des indulgences épiscopales qui énervaient la discipline. Celles de Rome l'affermissaient-elles? Le concile réduisit le droit des évêques à une indulgence d'un an qui pourrait être accordée à l'occasion de la consécration d'une basilique, et une de quarante jours à l'occasion de l'anniversaire de cette consécration.
Les évêques cherchaient, au moyen des indulgences, à attirer le plus de pèlerins possibles dans leurs diocèses, surtout lorsqu'on avait besoin d'argent pour bâtir ou décorer des églises.
Le décret du quatrième concile de Latran passa dans le corps du droit canonique occidental.
Le pape Sixte IV (1471) paraît être le premier qui ait appliqué les indulgences aux âmes des défunts; Léon X condamna une proposition dans laquelle Luther affirmait que les indulgences n'étaient pas utiles aux morts.
Quant au trésor des mérites de Jésus-Christ, de la sainte Vierge et des saints, qui serait confié au pape, on en trouve la première mention nettement exprimée dans l'Extravagante Unigenitus du pape Clément VI (1342).
Ces notes historiques sur les indulgences disent assez à quels abus on se laissa entraîner dans toutes les Eglises occidentales. Nous pourrions faire le tableau de ces abus mais notre thèse n'en serait pas mieux démontrée. Pour tout homme instruit et impartial, il reste constaté que les indulgences en usage dans l'Eglise romaine ne sont point analogues à celles dont l'Eglise primitive usait à l'égard des pénitents qui avaient accompli avec édification et des dispositions exceptionnelles, une partie des pénitences publiques qui leur avaient été imposées. Il est également démontré que le sindulgences romaines sont une atteinte grave portée à la doctrine catholique de la Satisfaction, et à la discipline de l'Eglise (282).
(282) : ( Outre Juénin et Morin que nous avons cités plus haut, et les autres théologiens que nous avons mentionnés, on peut consulter le père Perrone, Tract. de Indulgent., pour s'assurer que nous avons exposé exactement la doctrine romaine).
L'Eglise romaine a erré sur la doctrine de la pénitence, non seulement par ses indulgences, mais encore par les dispenses dont elle fait le plus étrange abus.
Non seulement l'Eglise romaine prodigue ses indulgences pour remplacer les oeuvres satisfactoires, mais elle prodigue aussi les dispenses au moyen desquelles, avec de l'argent, on peut se soustraire à toutes les obligations.
L'Eglise romaine possède des dispenses pour toutes ses lois. Elle dispense des voeux; des irrégularités pour les ordres; des empêchements de mariage; des censures; des crimes secrets; du célibat; des abstinences et des jeûnes du carême et autres jours d epénitence; des serments; de la récitation du bréviaire c'est-à-dire de l'office quotidien imposé au clergé; enfin de toutes les lois, quelle qu'en soit la nature; seulement pour les lois divines, on n'en dispense qu'indirectement, et les casuistes ont exercé leur art sur ce point comme sur tant d'autres. Les évêques peuvent accorder certaines dispenses; mais les plus importantes sont réservées au pape qui possède deux congrégations pour les expédier la sacrée Pénitencerie et la sacrée Daterie.
Les canonistes font généralement des réserves touchant la validité de certaines dispenses; mais on peut dire que, dans la pratique, ces réserves sont éludées à l'aide des mille distinctions de la casuistique. En thèse générale, on peut dire que l'on obtient de Rome tout ce que l'on veut, pourvu qu'on paye bien.
On a dressé plusieurs tarifs pour les dispenses; la nomenclature des obligations ou des crimes dont on peut se libérer, argent comptant, est véritablement scandaleuse. Plusieurs de ces tarifs ont été publiés; Rome s'est hâtée de protester contre leur authenticité; mais cette protestation n'était que de pure forme. Pour le fond, ces traifs sont authentiques; ils sont connus de tous ceux qui ont eu recours aux dispenses de Rome, et certains bureaux intermédiaires ont pris soin d'en publier le résumé; car il existe auprès des congrégations des Agences qui se chargent d'obtenir toutes les dispenses, et qui communiquent aux clients les prix auxquels leurs boutiques peuvent les procurer.
Certaines dispenses sont particulières, et données dans des cas spéciaux; mais il en est aussi de générales. C'est ainsi que chaque année, officiellement et du haut de la chaire, les évêques, soit en leur nom, soit au nom du pape, dispensent des obligations du carême; permettent d'user de tels ou tels aliments; de manger de la viande à certains jours, le tout sous la réserve pour chacun de donner une somme d'argent proportionnée à ses moyens.
On peut dire, d'une manière générale, qu'avec de l'argent, et moyennant quelques actes ou prières faciles auxquels on a attaché le sindulgences les plus étendues, on peut, dans l'Eglise romaine, se dispenser de faire pénitence, et se bercer de l'espoir d'aller en Paradis sans beaucoup de peine, pourvu toutefois que l'on ne fasse pas d'opposition aux bons Pères ou à leurs amis. Dans ce cas, l'enfer est incontestablement votre partage, alors même que vous seriez très vertueux.
Nous pourrions citer des cas de dispense vraiment scandaleux, et faire le tableau des abus de la cour romaine, sous ce rapport; mais notre but, dans cet ouvrage, n'est pas de faire du scandale; nous voulons seulement discuter des questions de doctrine. Or, ce que nous avons dit suffit pour faire comprendre combien l'Eglise romaine, par sa théorie des dispenses et des indulgences, a nui à la pénitence.


4. LES JESUITES, INSPIRATEURS DE LA PAPAUTE
L'inspirateur de la papauté, c'est le jésuitisme. Depuis sa fondation, la Compagnie de Loyola n'a eu qu'un but : détruire dans les Eglises latines tout ce qui pouvait faire obstacle à sa domination, et élever la papauté sur les ruines de l'Eglise. Ce n'est pas que le jésuite aime la papauté; mais il comprit de bonne heure que, par lui-même, il ne pourrait arriver à son but; qu'il n'y parviendrait qu'en investissant le pape d'un pouvoir absolu, et en se seravnt du pape, comme d'un instrument : tel est le secret de son dévouement apparent pour la papauté. Il a marché dans sa voie avec une opiniâtreté que rien n'a pu ébranler. Lorsqu'il a rencontré des obstacles, il les a brisés ou il les a tournés habilement; quelques papes se montrèrent impatients du joug qu'il voulait leur imposer, il les fit disparaître; il ne recula jamais devant le crime lorsqu'il ne put se débarrasser autrement de ses adversaires.
L'histoire de la Compagnie de Loyola n'est qu'une série de conspirations contre l'épiscopat, contre les doctrines et les institutions ecclésiastiques qui pouvaient lui faire obstacle. D'un côté elle démolit; de l'autre, elle poursuit sans relâche l'exaltation de la papauté. C'est elle qui a dicté aux papes les nouveaux dogmes qu'ils ont promulgués depuis trois siècles; qui leur a inspiré cette ambition démesurée dont ils ont donné tant de preuves, qui leur a dicté ces entreprises audacieuses qui ont occasionné tant de désastres. Le jésuite est sur le point de remporter une complète victoire par la définition conciliaire de l'infaillibilité du pape. Depuis trois siècles, cette doctrine est enseignée par les théologiens de sa secte; ils l'ont infiltrée dans les écoles ecclésiastiques; ils l'ont prêchée dans toutes les chaires. Ils ont gagné des complices, en grand nombre, même au sein de l'épiscopat, et c'est tout au plus si l'on rencontre aujourd'hui un écrivain catholique romain assez hardi pour la contester, même timidement.
En fait, l'infaillibilité papale existe au sein de l'Eglise latine; mais ce n'est pas encore assez pour le jésuite. Il faut poursuivre jusqu'en ses derniers retranchements le gallican le plus modeste qui chercherait dans l'épiscopat un refuge contre les envahissements du papisme. On ne veut plus lui permettre de dire que l'épiscopat n'a pas adhéré formellement; que l'infaillibilité papale n'a pas été promulguée par lui : qu'elle ne peut être un dogme. Le jésuite veut donc que l'épiscopat proclame le pape infaillible.
Dès lors, il possède l'instrument le plus redoutable pour étendre sa domination sur toute l'Eglise. Il s'empare du pape et le fait servir à ses desseins. Tous les hommes, toutes les doctrines qu'il déteste, il les fait condamner par le pape; la plus légère aspiration vers un ensiegnement plus chrétien, il l'étouffe; il pose, au moyen du pape, sa main de fer sur les consciences, sur les intelligences; il fait des membres de l'Eglise latine un troupeau d'esclaves qu'il dirige comme il lui plaît.
Voilà ce que rêve le jésuite depuis la fondation de sa Compagnie; il est sur le point de triompher.
La papauté y perdra la plus garnde partie de ce qui lui reste encore de fidèles intelligents; mais le jésuitisme y gagnera, car il possédera tous ceux qui n'auront ni assez d'intelligence ni assez d'énergie pour se soustraire au joug qui leur sera imposé. L'Eglise latine ne sera plus qu'une Compagnie de jésuites, c'est-à-dire d'esclaves n'ayant d'autre conscience ni d'autre intelligence que celles qui leur seront données au nom du pape. Les iniquités de Babylone seront alors à leur comble, et l'ange du Seigneur fera entendre ces terribles paroles : " Mon peuple, sortez de Babylone afin que vous ne participiez ni à ses iniquités ni aux plaies qui vont tomber sur elle." (Apocalypse, XVIII, 4).


5. LA PAPAUTE USURPATRICE
Le pape est roi et se prétend souverain pontife de l'Eglise chrétienne.
Les défenseurs de la papauté commettent donc d'abord une erreur historique des plus grossières, en faisant remonter la papauté, c'est-à-dire la souveraineté papale, à l'origine du christianisme. Cette erreur les a conduits à mille autres; car ils ont voulu trouver dans l'histoire de l'Eglise et dans les récits des anciens Pères des preuves à l'appui de leur fausse théorie. Ils ont donc torturé les faits, dénaturé les témoignages. Ils ont osé s'attaquer même à l'Ecriture sainte et, par des interprétations mensongères, anti-catholiques, la forcer à donner un faux témoignage en faveur de leur système.
C'est ainsi que l'Eglise de Rome a donné, la première, l'exemple de ces interprétations individuelles qu'elle reproche si amèrement au protestantisme. La première, elle a abandonné la règle catholique de l'interprétation des livres sacrés; elle a laissé de côté l'interprétation collective dont les Pères de l'Eglise ont été les fidèles échos, et, de sa propre autorité, elle a voulu voir dans l'Ecriture ce que l'Eglise n'y a pas vu. Elle est arrivée ainsi à attribuer à sa souveraineté usurpée une base divine. Elle a tiré de ce principe toutes les conséquences qui en découlent le pape est devenu le vicaire de Jésus-Christ, le centre nécessaire de l'Eglise, le pivot du christianisme, l'organe infaillible du ciel.
Ces erreurs papales furent si habilement répandues dans les contrées occidentales qu'elles y furent peu à peu généralement adoptées. Les réclamations qu'elles soulevèrent furent permanentes, il est vrai; mais, avec le temps, elles prirent un caractère moins accentué; ceux mêmes qui s'élevaient contre les abus de la papauté admettaient comme incontestable la base divine de cette institution.
Depuis plusieurs années nous la poursuivons avec persévérance, et, grâce à Dieu, nos travaux n'ont pas été sans utilité. Nous espérons que le nouvel ouvrage aue nous publions portera aussi ses fruits, et qu'il viendra en aide à ces hommes religieux, dont le nombre s'accroît chaque jour; qui, en présence des abus, des excès de tout genre, commis par la papauté, ne peuvent plus à son égard conserver leurs anciennes illusions. Habitués à voir en elle le centre divin de l'Eglise, ils ne peuvent plus le reconnaître dans ce foyer d'innovations, d'usurpations sacrilèges; ils se demandent : Où est donc l'Eglise de Jésus-Christ?
Le pape veut, dans son intérêt, circonscrire l'Eglise en ceux qui reconnaissent sa souveraineté, afin de les absorber ensuite et de dire : l'Eglise, c'est moi. Rompons les digues qu'il a élevées, et aussitôt, nous verrons l'Eglise dans toute sa beauté, s'épanouissant en liberté, sans être entravée par des démarcations territoriales; ayant pour membres toutes les Eglises particulières, liéées entre elles par la même foi; communiquant entre elles par des pasteurs également apostoliques, identifiées en Jésus-Christ, le grand pontife, le seul chef de l'Eglise, et dans l'Esprit Saint qui la dirige.
Qui a rompu cette admirable unité des premiers siècles chrétiens?
Le pape.
Il a usurpé la place de Jésus-Christ, et il a dit à toutes les Eglises : " C'est à moi et par moi que vous serez unies; le ministère de vos pasteurs viendra d emoi; la doctrine vous viendra de moi. Je suis le pasteur suprême. J'ai droit de tout gouverner. Je suis le juge suprême, je puis tout juger sans être jugé par qui que ce soit; je suis l'écho du ciel, l'interprète infaillible de Dieu."
Est-ce parce que la papauté a profité des circonstances extérieures pour étendre sa domination usurpée sur un certain nombre d'Eglises particulières, que l'harmonie de l'Eglise catholique sera détruite? Non assurément. Au lieu de mettre en dehors de cette harmonie les Eglises qui ont résisté à ses usurpations, c'est elle-même qui s'y est placée. Non seulement, elle a rompu avec les Eglises vraiment catholiques, mais elle a brisé les traditions de sa propre Eglise; elle les a scindées en deux parties distinctes, comme l'épiscopat romain lui-même. Les traditions romaines des huit premiers siècles ne sont pas les mêmes qu'aux siècles postérieurs. La papauté a donc perdu sa véritable perpétuité dans les points où elle a innové.
Donc, un membre de l'Eglise romaine qui remonte à la doctrine primitive de cette Eglise, qui rejette les innovations de la papauté, rentre aussitôt dans l'harmonie catholique, appartient à la véritable Eglise de Jésus-Christ, à cette Eglise qui s'est maintenue avec son double caractère de perpétuité, d'universalité.
Loin donc de nous ces déplorables accusations de schisme lancées à de vénérables Eglises qui ont conservé la doctrine révélée dans sa pureté primitive, qui ont conservé le ministère apostolique! La papauté les appelle schismatiques, parce qu'elles ont refusé de reconnaître ses usurpations. Il est temps d'en finir avec un pareil malentendu.
Nous allons donc prouver que c'est la papauté elle-même qui est coupable du schisme; qu'après avoir provoqué la division, elle l'a perpétuée et affermie par ses innovations, enfin qu'elle l'a fait passer à l'état de schisme.
Ceci prouvé, nous serons en droit de conclure que ceux qui sont considérés par la papauté comme schismatiques, à cause de leur opposition à son autocratie, ceux-là sont les vrais catholiques, et que c'est elle-même qui s'est séparée de l'Eglise en voulant en séparer les autres.
Il en est, en Occident, qui veulent donner la papauté comme le développement légitime de l'idée chrétienne, comme le Christianisme arrivé à son complet développement. La vérité est qu'elle est la négation de l'idée évangélique, de l'idée chrétienne. Or, la négation d'une idée peut-elle en être considérée comme le développement?
On sera étonné peut-être de nous voir aborder un tel sujet avec cette franchise. Nous répondrons qu'à l'époque où nous vivons, il faut parler nettement, sans arrière-pensées. Nous ne comprenons pas les ménagements à l'égard de l'erreur. Indulgent, charitable pour les hommes qui se trompent, nous croyons obéir à un vrai sentiment de charité en poursuivant à outrance l'erreur qui trompe les hommes : " Dire la vérité, comme l'écrivait le patriarche Photius au pape Nicolas, c'est le plus grand acte de charité."


6. LA PAPAUTE OU LA GRANDE HERESIE OCCIDENTALE
Les hérésies, erreurs et innovations qui ont souillé les Eglises occidentales depuis le IX° siècle ne sont pas émanées toutes de la papauté, comme d'une source corrompue. Mais c'est la papauté qui leur a donné leur caractère d'institutions ou de doctrines occidentales, en les enseignant, en les approuvant, en les propageant et même en les imposant, au besoin, à toutes les Eglises qui montraient, parfois, de bonnes intentions pour le maintien ou la défense de l'orthodoxie.
C'est donc avec raison que nous lui faisons porter la responsabilité de toutes les erreurs de l'Occident.
Aujourd'hui, non seulement on ne conteste pas que la papauté ait eu une influence toute-puissante sur les Eglises latines; mais on s'autorise de cette toute-puissance pour affirmer que ce qu'elle a fait a toujours été bien; qu'en vertu d'un privilège divin, elle ne peut se tromper; qu'il suffit qu'elle décrète une doctrine, pour que cette doctrine soit nécessairement vraie.
Nous prouverons au contraire qu'on a voulu abriter sous l'autorité papale des erreurs pour en faire des vérités; que cette autorité est illégitime; qu'elle a prouvé elle-même son illégitimité par ses erreurs; qu'au lieu de l'accepter comme une institution divine, on doit la rejeter comme une institution funeste et anti-évangélique.
Il y a eu, dans la puissance de la papauté, deux phases bien distinctes.
Pendant les neuf premiers siècles de l'Eglise, le pape n'était que l'évêque de Rome et n'avait de juridiction que sur les Eglises qui se trouvaient dans la province dont Rome était la capitale.
Après le IX° siècle, des circonstances dans le détail desquelles nous n'entrerons pas pour le moment, investirent la papauté d'un pouvoir spirituel et temporel sur l'Occident. Dès lors, les évêques de Rome s'efforcèrent de faire considérer ce double pouvoir comme un droit inhérent à leur dignité, et donnèrent ainsi naissance à l'opinion que l'on appelle ultramontanisme, et qui ne fut nettement formulée qu'au XVI° siècle.
Depuis cette époque, tous les catholiques intelligents ont protesté contre le système de l'absolutisme papal; mais des hommes serviles et ambitieux l'ont soutenu par intérêt, et ont formé un parti qui ne recule devant aucune absurdité pour soutenir ses erreurs.
Croirait-on que d enos jours ce parti est parvenu à acquérir une foule d'adeptes, qui ont exagéré jusqu'à l'absurde le système ultramontain?
Grâce à l'ignorance presque générale du droit canonique et de la théologie, l'ultramontanisme fait chaque jour de nouveaux progrès.
Vraiment nos romains choisissent bien leur temps pour essayer d'implanter des doctrines que les siècles passés ont répudiées; des doctrines qui ont fait perdre à l'Eglise la moitié de ses enfants! Quoi! c'est de nos jours où l'intelligence fait de si nobles conquêtes; où la raison agrandit son domaine d'une manière si surprenante, que des chrétiens s'en viennent exalter des doctrines du moyen âge? Lorsqu'une institution est soutenue par des moyens diamétralement opposés aux tendances, à l'esprit d'une époque, elle doit nécessairement tomber. Les institutions sont faites pour les hommes, elles doivent, en conséquence, s'harmoniser avec les goûts des peuples. La loi du progrès, ou, si l'on veut, de transformation, est un des principes fondamentaux de l'humanité. L'Eglise, dépositaire de la vérité et établie sur des bases divines, ne peut subir sans doute de modifications essentielles. Elle n'en a pas besoin, du reste, pour ce qui lui vient de Dieu; sous ce rapport, elle sera toujours en harmonie avec tous les progrès possibles de l'esprit humain et de la société; mais l'Eglise, qui d'un côté tient à Dieu, tient de l'autre à l'homme; or, il faut soigneusement distinguer en elle ce qui est divin de ce qui est humain; car ce qui est humain doit être modifié suivant les circonstances. Ceux qui se glorifient du titre de romains, rêvent l'établissement universel de l'absolutisme papal et l'admettent jusque dans ses dernières conséquences. Non seulement ils concentrent toute l'Eglise dans le pape, mais ils gratifient libéralement de privilège de l'infaillibilité de simples congrégations, et essayent de faire des avis de ces congrégations autant de lois générales pour l'Eglise. Le néo-ultramontanisme laisse donc bien loin derrière lui Bellarmin et ces vieux ultramontains qui croyaient le pape infaillible, mais qui mettaient à cette prérogative des conditions qui les feraient condamner par nos modernes romains comme gallicans. Ils crieraient bien haut à l'hérésie, s'ils entendaient aujourd'hui le docte et vertueux cardinal Contarini (283) leur répéter ce qu'il disait à Paul III.
(283) : ( Contarini, de Composit. ap. Roccabert. Biblioth.).
" C'est de l'idolâtrie de prétendre que le pape n'a aucune autre règle que sa volonté pour établir et pour abolir le droit positif. La loi du Christ est une loi de liberté, et elle défend une servitude aussi grossière, que les luthériens avaient tout à fait raison de comparer à la captivité de Babylone. Peut-on bien appeler gouvernement ce qui n'a pour règle que la volonté d'un homme? Un pape doit savoir que c'est sur des hommes libres qu'il exerce son autorité."
C'est ainsi que raisonnait un cardinal au XVI° siècle. Aujourd'hui, non seulement on abjure le libéralisme de Contarini; on ne veut même plus de l'ultramontanisme de Bellarmin. On n'admet plus, avec ce théologien, qu'un pape puisse être hérétique et déposé par l'Eglise. On fait du pape un Dieu; et nos ultramontains modernes diraient volontiers, avec Champvalon, que le pape a plus de pouvoir que Jésus-Christ.
N'est-ce pas un devoir rigoureux pour tout chrétien de s'élever avec énergie contre de telles folies, dont on voudrait faire l'Eglise responsable?
C'est principalement sur la nature de l'autorité dans l'Eglise qu'ont erré les ultramontains. Ils ont tellement faussé les idées, qu'il est nécessaire de leur rappeler les vrais principes sur ce point.
Jésus-Christ nous a donné, sur la nature et l'exercice de l'autorité, des enseignements que l'on s'est trop aplliqué à oublier. Nous lisons dans l'Evangile selon saint Matthieu (284) :
(284) : (Matth., C. XX, V. 25 et seq. - Luc., Evang., C.XXII, V. 25 et seq.).
" Les princes des nations dominent sur elles, et ceux qui sont plus élevés exercent sur elles le pouvoir. Il n'en sera pas ainsi parmi vous. Celui qui voudra être plus grand parmi vous sera votre serviteur; à l'exemple du Fils de l'homme qui est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie pour la rédemption d'un grand nombre."
Ainsi, d'après Jésus-Christ, la domination ne doit pas être confondue avec l'autorité dans son Eglise. L'homme ne doit être soumis dans son intelligence qu'à Dieu, et personne à son égard ne doit prendre le titre de maître (285).
(285) : ( Matth., C. XXIII, V. 8, 10. - Jacob., Epist. cath., C. III, V. 1.).
L'autorité dans l'Eglise, au lieu d'être une domination, n'est qu'un service social, un ministère (286) dont la première condition est le dévouement absolu de l'individu à la société spirituelle dont il est ministre.
(286) : ( Matth., C. XXIII, V. 11 et C. XX, V. 26. - Luc., C. XXII, V. 26).
L'autorité ecclésiastique est donc obligée d'éloigner d'elle tout ce qui pourrait la faire confondre avec le despotisme. Un despote mitré est un monstre : c'est Bélial assis sur le trône de Dieu. Trouve-t-on cependant au sein de l'Eglise beaucoup de dignitaires qui comprennent en chrétiens la mission qui leur est confiée? Nous nous contentons de poser la question, laissant le soin de répondre à ceux qui, ayant autorité dans l'Eglise, comprennent l'Evangile et peuvent rappeler les autres à la justice et à la vérité. S'il en est qui, au lieu d'être l'exemple de leur troupeau, dominent sur lui comme sur un héritage (287), ils exercent l'autorité en païens;
(287) : (Pet., Epist. 1, C. V, V. 3.).
car ils procèdent violemment, ce qui est le caractère de l'autorité païenne, tandis que l'autorité ecclésastique s'exerce sans coaction, avec spontanéité, selon Dieu, avec désintéressement et sans contrainte (288) comme un service et un ministère.
(288) : (Pet., Epist. 1, C. V, V.2).
Voilà sur quelles bases doit être appuyée l'autorité ecclésiastique, dans l'exercice qui lui est propre, c'est-à-dire dans le droit qu'elle a reçu de Jésus-Christ de faire des lois pour le bon gouvernement de la société chrétienne. Il faut soigneusement distinguer ce droit que possède l'autorité ecclésiastique de gouverner la société chrétienne, de celui qu'elle a de définir le dogme chrétien. Cette distinction est essentielle; et, pour ne l'avoir pas faite, une foule d'écrivains sont tombés en des erreurs très pernicieuses. Dans les lois qu'elle établit, l'autorité ecclésiastique doit être obéie, parce qu'elle a droit de les porter; mais elle n'est pas infaillible dans l'établissement de ces lois, qu'elle doit modifier suivant les temps et les circonstances.
Dans la définition du dogme chrétien, elle ne procède pas par manière d'autorité, mais de déclaration; et dans cette déclaration elle est infaillible, pour vu qu'elle se contente d'affirmer la foi catholique de l'Eglise touchant tel ou tel fait dogmatique ou moral, qui fait partie du dépôt sacré de la révélation. Hors de là, il n'y a plus d'autorité infaillible, et nous ne voyons, dans l'Eglise comme ailleurs, que des hommes gouvernant une société par des moyens qu'ils trouvent sans doute bons, qui peuvent du moins leur paraître tels, et qui peuvent l'être dans les circonstances où ils les emploient, mais qui, cependant, ont besoin d'être modifiés pour être en harmonie avec les besoins des peuples.
Les ultramontains ne font pas, dans l'exercice de l'autorité ecclésiastique, cette distinction, qui n'a pas échappé cependant aux grands théologiens occidentaux; ils ne voient que l'autorité en général, prétendent qu'on ne peut mériter le titre de catholique qu'en la poussant jusqu'à ses dernières limites. Nous ne partageons pas cette opinion, et nous pensons que cette autorité n'en sera que plus respectée si on la circonscrit dans les bornes au-delà desquelles son droit pourrait être contesté.
Ainsi : l'autorité ecclésiastique a le droit de faire des lois, et c'est un devoir pour les fidèles d'obéir à ces lois, quoique, en les portant, l'autorité ne soit pas infaillible; car, dans toute société, il est de première nécessité d'obéir à une autorité légitimement constituée, sous peine de voir cette société se dissoudre.
Pour ce qui tient au dépôt de la révélation, l'Eglise, c'est-à-dire la société chrétienne représentée par ses chefs légitimes, décide seulement une question de fait, lorsqu'elle est appelée à formuler une décision. Les chefs de l'Eglise n'imposent pas leur manière de voir, n'érigent pas en dogme leur opinion, mais ils affirment seulement que tel ou tel point dogmatique ou moral a été toujours et partout admis comme révélé.
Ainsi l'homme, dans le domaine de l'intelligence, ne reconnaît réellement que Dieu pour maître. En dehors des vérités révélées, il conserve toute sa liberté, et c'est une impiété d'oser porter atteinte à cette liberté que Dieu a écrite dans le coeur de tout homme, comme le caractère nécessaire et sacré de tout être intelligent. Sans la liberté, sans la noble indépendance de toute autre autorité que de celle de Dieu, dans le domaine de la pensée, l'homme ne serait plus homme; sa conscience et sa raison seraient annulées; il ne serait plus qu'un être passif que l'autorité formerait à son image, une table rase sur laquelle l'autorité écrirait ses principes. Tel n'a pas été le dessein de Dieu en créant l'homme. De puis la déchaéance de l'humanité, il a été nécessaire que Dieu vint en aide par son VERBE à l'intelligence obscurcie de l'homme, mais il n'a pas détruit cette intelligence, et il a laissé à son activité un vaste domaine où elle peut s'exercer en toute liberté.
Les grands écrivains de l'antiquité chrétienne ont parfaitement compris les droits de la raison humaine, tout en respectant ceux de l'autorité. Qu'on lise le traité des Prescriptions de Tertullien, ou l'Avertissement de saint Vincent de Lérins; l'on y trouvera toute la doctrine que nous venons d'exposer, mais on y chercherait en vain les principes émis par les ultramontains. L'autorité, telle que nous venons de la définir, est celle qui a été reconnue par toute l'antiquité chrétienne.
La foi, appuyée sur une telle autorité, est bien cette obéissance raisonnable qu'exige saint Paul de tout fidèle : Rationabile obsequium. Par ces deux mots, l'Apôtre exprime les deux conditions nécessaires à l'adhésion de tout être intelligent : l'obéissance à une autorité légitime sans laquelle il n'existe pas plus de société intellectuelle que de société extérieure, et la raison sans laquelle aucune adhésion ne peut être intelligente, ne peut être par conséquent digne de l'homme.
Que l'on compare cette notion de l'autorité ecclésiastique avec celle que cherchent à répandre nos ultramontains, et l'on verra qu'il y a autant de différence entre elles qu'entre la raison et la folie, entre l'obéissance et le servilisme.
Cependant nos contempteurs de la raison humaine, qui semblent garder rancune à l'intelligence, se prétendent seuls bons catholiques. Bel hommage vraiment qu'ils rendent à l'Eglise en posant, comme première condition d'adhésion à ses dogmes, l'abnégation de la raison! La raison, aussi bien que la religion, a Dieu pour auteur; il ne peut en conséquence y avoir contradiction entre elles. Sans doute, l'homme s'égare souvent dans ses pensées, mais est-ce un motif pour nier la raison et ses droits? Il faudrait alors nier la conscience parce que l'homme s'égare dans ses sentiments et qu'il fait plus souvent le mal que le bien. Malgré l'égarement moral de l'homme, sa conscience subsiste et ses droits sont incontestables; il en est de même de la raison. L'homme a beau se perdre au milieu des erreurs et des préjugés, il reste toujours au fond de son âme les vérités premières qui forment en lui une conscience intellectuelle, comme les grands principes moraux forment sa conscience morale. De même qu'il y a harmonie entre les principes qui font la base de la conscience morale de l'homme et les principes moraux de l'Evangile, ainsi il y a harmonie entre les dogmes évangéliques et les premiers principes intellectuels qui constituent la raison. Heurter ces principes, froisser la raison dans sa liberté et dans ses droits, poser l'abnégation de la raison comme base de la foi, c'est saper l'autorité religieuse, c'est faire à l'Eglise une guerre d'autant plus redoutable qu'on la fait, dit-on, pour la défendre et la sauver.
Nous voulons croire que les ultramontains ne sont pas de propos délibéré ennemis de l'Eglise; mais, en vérité, ils ne feraient pas mieux, s'ils avaient entrepris contre elle une guerre hypocrite, s'ils avaient juré de la détruire en paraissant la servir. Nous n'hésitons pas à dire que si jamais l'Eglise a eu à soutenir une lutte dangereuse, c'est bien celle que lui font, sans le savoir peut-être, les partisans exagérés de l'absolutisme papal.
Que les ultramontains remontent à la source du christianisme, et ils verront qu'alors tout était appuyé sur le caractère catholique ou d'universalité; que l'on ne fait aucune mention de cette infaillibilité épiscopale ou papale qu'ils posent comme base de leur système anticatholique, antichrétien. On dirait que les ultramontains repoussent ce titre de catholique qui fait notre gloire; car ils essayent de faire dégénérer en parti, en coterie, cette Eglise chrétienne dont l'universalité a toujours été la gloire et la force; de circonscrire dans l'étroite province de Rome cette belle Eglise qui a su jusqu'ici se faire toute à tous, s'accommoder aux coutumes des nations pour les gagner toutes à Jésus-Christ.
Que l'on approfondisse l'histoire des huit premiers siècles de l'Eglise, et l'on ne trouvera aucune preuve en faveur du système papal. Tous les docteurs ne parlent que de l'autorité catholique ou universelle des Eglises, pour mettre un terme aux discussions touchant la doctrine; les conciles oecuméniques où chaque évêque est convoqué, où un grand nombre viennent attester la foi de leurs Eglises, sont seul reconnus comme témoins et interprètes infaillibles de la révélation. Dans les écrits nombreux, dans les faits éclatants qui remplissent ces huit siècles de l'histoire du christianisme, les papistes ne peuvent glaner que quelques mots vagues, sans portée, qui n'ont de valeur pour eux que séparés de leur contexte. En revanche, ils en trouvent dans les fausses décrétales et dans les écrits des papes du moyen âge. Il faut avouer que les règles de la logique et du sens commun sont renversées, si, pour connaître la constitution véritable de l'Eglise chrétienne, il faut préférer à l'histoire entière des huit premiers siècles, quelques écrits d'une authenticité au moins contestable, ou les assertions de certains papes, élevés par les circonstances au faîte d'une souveraineté temporelle et absolue, et intéressés à faire envisager cette souveraineté comme une des prérogatives de leur dignité spirituelle.
L'église orthodoxe est en butte, depuis quelque temps, à une recrudescence de calomnies de la part des journeaux papistes. Ils sont si fiers de leurs triomphes, ces papistes! La gloire les suffoque; leurs zouaves à 500 francs par tête leur inspirent un tel enthousiasme que déjà ils rêvent une victoire universelle. Il va sans dire que l'église orthodoxe est celle qu'ils voudraient soumettre tout d'abord; c'est un témoin par trop gênant de toutes les innovations qui ont défiguré le christianisme en Occident. Depuis huit siècles que la papauté remplace les doctrines primitives par ses systèmes de circonstance, l'Eglise orthodoxe est là pour lui dire : " On ne croyait pas ainsi autrefois; tu mets tes idées à la place des dogmes révélés. Arrière tes systèmes, qui n'ont l'avantage ni d'être philosophiques ni d'être chrétiens!" Si la papauté entreprend de faire croire à ses adeptes que ses dogmes nouveaux sont anciens et ont toujours été crus; si elle en appelle à de prétendus textes des Pères et des conciles de l'Eglise primitive pour faire illusion; l'Eglise orthodoxe est là pour lui dire : " Les textes que tu cites sont tronqués; tu dénatures les écrits des Pères et les actes des conciles pour en faire les complices de tes erreurs." Lorsqu'il prend à la papauté la fantaisie d'invoquer les témoignages de la sainte Ecriture, pour mettre sur le compte de Dieu le produit de son esprit d'innovation, l'Eglise orthodoxe est là pour lui dire : " Tu falsifies l'Ecriture; et la preuve : c'est que tu ne l'interprètes pas comme on l'interprétait dans l'Eglise primitive, dans cette Eglise qui a été l'écho sincère et vrai de l'enseignement apostolique."
C'est donc, pour la papauté et pour son Eglise, un témoin bien gênant que l'Eglise orthodoxe; un témoin d'autant plus redoutable qu'il est impossible de contester son origine apostolique et d'indiquer, dans son existence dix-huit fois séculaire, un seul instant où elle ait changé une doctrine quelconque.
On comprend donc pourquoi la papauté se livre à tant d'intrigues pour soumettre l'Eglise orthodoxe. Mais, depuis des siècles, ses efforts n'ont pas eu de résultat, quoiqu'elle ait appelé à son aide, d'abord le fanatisme des Croisés, et, de nos jours, la politique et l'argent. Quoi qu'elle fasse, elle ne réussira pas.






APPENDICE I


DU GALLICANISME A L'ORTHODOXIE


( Dans ses souvenirs, Guettée a raconté sa vie et le cheminement intellectuel et spirituel qui l'a conduit à l'Eglie Orthodoxe. Nous donnons ici quelques extraits des Souvenirs de Guettée ainsi que le récit qu'il fit, dans ses lettres au Père J. Wassilieff, de son voyage en Russie).


1. DECOUVERTE DE L'ORTHODOXIE


Je ne regrette pas d'avoir été en butte aux attaques de la secte (289).
(289) : ( Les Jésuites).
J'envisageai de plus près cette papauté qui voulait se donner comme infaillible, même dans les questions historiques, et qui essayait de comprimer la science et l'intelligence. Bientôt je la vis sous son vrai jour. Il n'y avait qu'un fil entre le gallicanisme et l'orthodoxie. Le gallican voulait une papauté soumise aux canons, soumise au concile oecuménique qui était la plus haute autorité dans l'Eglise. Seulement il admettait, en théorie, le pape comme chef de l'Eglise de droit divin. C'était une inconséquence. Un chef de droit divin ne peut être soumis ni à une autorité humaine, ni à des lois ecclésiastiques. Les ultramontains ont profité de ce manque de logique pour battre en brèche le gallicanisme. J'étudiai de près leurs arguments. Je lus les ouvrages des plus savants défenseurs de la papauté; je les lus, non pas au point de vue gallican, mais avec la plus entière indépendance. Je fus convaincu que gallicans et ultramontains n'appuyaient leurs thèses que sur des textes faux, altérés, tronqués, mal interprétés et j'arrivai à cette conclusion : que la papauté n'existait que depuis le neuvième siècle, et n'était qu'une usurpation sacrilège sur les droits de l'Eglise représentée par l'épiscopat.
J'arrivai ainsi à l'orthodoxie avant d'être officiellement orthodoxe.
Ce grand pas une fois fait, je ne pouvais plus voir une Eglise schismatique dans cette vénérable Eglise orientale, touchant laquelle j'avais accepté quelques-uns des préjugés que soutiennent tous les écrivains occidentaux, soit gallicans, soit ultramontains, pour se donner raison dans leurs systèmes touchant la papauté.
C'est ainsi que les attaques injustes de mes ennemis m'ont fait acquérir de nouvelles lumières et m'ont conduit à l'orthodoxie véritable.
Nous avons reçu la lettre suivante :


" Monsieur l'abbé,


" Je lis avec le plus grand soin tout ce qui paraît d'important sur l'Eglise et sur la papauté, car ce sont là, ce me semble, les questions importantes du moment. Je lisais ces jours derniers les conférences de M. l'abbé Besson sur l'Eglise. J'y cherchais quelque chose, et je n'ai trouvé que des phrases. Des phrases, nous en avons déjà trop; des faits, nous n'en aurons jamais assez; car, au fond, laq uestion de l'Eglise et celle de la papauté sont avant tout historiques. Ce que j'aime surtout dans vos publications, M.l'abbé, c'est que vous procédez en véritable historien, par des faits; en véritable théologien catholique, par des témoignages traditionnels. Aussi vos ouvrages, et particulièrement la Papauté schismatique, ont-ils fait beaucoup d'impression sur moi.
" Permettez-moi donc de m'adresser à vous pour vous demander si réellement l'Eglise gallicane a toujours professé, je ne dirai pas l'ultramontanisme, puisque nous avons assisté à l'inauguration de ce système dans l'enseignement ecclésiastique, mais la doctrine gallicane, telle que je la trouve, par exemple, dans les oeuvres de Bossuet.
Les études approfondies que vous avez faites sur notre Eglise gallicane, comme le prouve votre belle Histoire de l'Eglise de France, me persuadent que vous pourrez, sans difficulté, répondre à la question que je me permets de vous adresser. Ce n'est point, de ma part, une simple curiosité, mais le désir de m'instruire de plus en plus, sur un sujet qui me péroccupe beaucoup.
" Je vois l'Eglise si dénaturée, de nos jours, en Occident, sa constitution tellement bouleversée, les innovations si multipliées, que je ne sais vraiment plus où trouver un abri solide pour ma foi, sinon dans cette Eglise orientale que vous avez le courage de proclamer la véritable Eglise, au milieu même du romanisme et du jésuitisme, qui vous payent largement, en haine, les travaux que vous faites pour la vérité.
" Croyez bien que, dans le clergé latin, vous avez des amis qui vous lisent avec sympathie et qui vous suivraient bientôt, si jamais une Eglise orthodoxe occidentale existait chez nous. Peut-être que la solution de la question que je vous adresse pourra hâter le moment où l'on comprendra mieux, qu'en suivant nos vraies traditions gallicanes, nous devons adhérer à l'orthodoxie orientale. S'il en était ainsi, j'en serais, pour ma part, bien heureux.
" Agréez, monsieur l'abbé, l'assurance de mes sympathies et de mon respect.


R.,
"Prêtre."


Nous croyons pouvoir répondre à la question qui nous est proposée de manière à satisfaire notre honorable correspondant.
S'il veut bien remonter seulement au moyen âge, il rencontrera un enseignement qui, s'il n'est pas absolument l'orthodoxie orientale, y mène tout droit.
Cet enseignement s'est perpétué jusqu'au seizième siècle. A cette époque, les jésuites ont systématisé toutes les prétentions des papes appuyées sur les Fausses Décrétales, et en ont formé ce qu'on a appelé depuis ultramontanisme.
Ce système apparut, en France surtout, sous la Ligue. Il n'eut pas beaucoup de succès, et un des plus chauds partisans en devint même l'adversaire le plus redoutable : je veux parler de Richer, qui réagit contre la doctrine des jésuites avec une vigueur étonnante, et revint à l'ancien enseignement gallican. Mais, tout en ne gagnant pas beaucoup d'adeptes déclarés à leur système ultramontain, les jésuites, grâce à leurs procédés habituels, imprimèrent au gallicanisme un caractère plus timide, plus indécis. De là les contradictions accumulées chez les théologiens, comme dans la conduite de l'épiscopat français, pendant les dix-septième et dix-huitième siècles.
Ce gallicanisme mitigé a pour expression authentique les quatre articles de 1682. Bossuet surtout le mit en faveur; non pas qu'il regardât les quatre articles comme l'expression d'une doctrine de foi, mais il pensait que, vu les circonstances, on ne pouvait mieux faire. Il essaya de concilier le gallicanisme avec le premier principe de l'ultramontanisme, qui est la papauté de droit divin, et s'il mit ce dernier point si fort en relief dans son discours officiel sur l'unité, c'était, come il le dit lui-même dans une de ses lettres, pour flatter les tendres oreilles des romains et les amener à accepter ce que les articles contenaient de gallican.
Rome rejeta les articles; Bossuet échoua comme diplomate. Quant à la science théologique qu'il dépensa en faveur des quatre articles, elle est de bon aloi dès qu'il se place résolument sur le terrain gallican; mais dès qu'il aborde la papauté de droit divin, il n'a à son service qu'un petit nombre de textes, détournés évidemment de leur signification.
Si le génie de Bossuet a échoué dans une pareille tâche, qui pourra réussir? Si l'aigle de Meaux, que personne n'admire plus que moi, n'a pu concilier le gallicanisme avec le premier principe romain, qui jamais pourra se flatter de mieux faire?
Arrivons maintenat à une question pratique.
Il est bien évident que si l'évêque de Rome est devenu formellement et ouvertement hérétique, il a perdu, par là-même, la primauté que l'Eglise lui avait donnée.
Le vrai gallican doit admettre cette conséquence, et il ne s'agit pour lui que d'examiner cette question de fait :
Le pape professe-t-il une doctrine nouvelle, hérétique, inconnue à l'ancienne Eglise?
La réponse n'est pas difficile.
Autre question pratique :
L'épiscopat romain a-t-il erré avec son chef?
C'est encore une question à laquelle il est facile de répondre.
Que doit donc faire le gallican logique?
Rejeter dans l'évêque de Rome une primauté qu'il ne possédait que de droit ecclésiastique, et qu'il a perdue;
Reconnaître que l'épiscopat romain ne représente pas l'Eglise infaillible;
Chercher ailleurs une Eglise qui n'ait point innové.
Elle est facile à trouver, il n'y en a qu'une, la sainte Eglise apostolique d'Orient.
C'est ainsi qu'en partant du gallicanisme vrai, on arrive directement à l'orthodoxie, et qu'en embrassant l'orthodoxie on reprend les saines traditions de l'ancienne Eglise gallicane, qui ont leur source dans la doctrine de l'Eglise orientale et occidentale des huit premiers siècles.


2. LE PERE J. WASSILIEFF ET LA DECOUVERTE DE L'EGLISE ORTHODOXE


Je continuais à poursuivre le système papal et j'en étais arrivé sur ce point à l'orthodoxie. Je n'avais lu cependant encore aucun ouvrage orthodoxe; mais j'avais lu avec la plus sérieuse attention les ouvrages des ultramontains et j'avais vérifié les textes des Pères et des conciles qu'ils sitaient en faveur de leur système. Je fus ainsi initié à toute la tradition sur la fameuse question de la papauté. J'avais acquis la certitude que tous les textes cités en faveur de la papauté étaient faux, tronqués, détournés de leur vrai sens; que l'on avait fabriqué avec eux une tradition fausse, absolument opposée à la vraie. L'Observateur catholique était devenu une véritable publication orthodoxe.J'y publiai, en particulier, un travail spécial sur la papauté pour établir que cette institution ne datait que du neuvième siècle, qu'elle n'avait aucune base divine; que le pape n'était le premier patriarche de l'Eglise que par décision des premiers conciles oecuméniques.
Lorsque je faisais imprimer ce travail, je reçus la visite d'un Russe, M. Serge Souchkoff. Pendant son séjour à Paris M.S Souchkoff avait eu des relations avec quelques-uns de ses compatriotes qui avaient abandonné l'orthodoxie et qui cherchaient à l'attirer à eux. Pour répondre à leurs attaques contre l'Eglise orthodoxe, M.S. Souchkoff s'adressa à M. l'archiprêtre Joseph Wassilieff, alors supérieur de l'Eglise russe de Paris. Celui-ci était abonné à l'Observateur catholique. Il montra à M.S. Souchkoff le travail que j'avais publié contre la papauté en lui disant qu'il y trouverait les réponses à toutes les objections des pseudo-Russes. M. Souchkoff lut mon travail et en fut si satisfait qu'il voulut faire ma connaissance personnelle. Il vint me voir; c'était le premier Russe que je voyais. Je le reçus avec empressement, et il m'engagea à faire visite à M. l'archiprêtre J. Wassikieff, s'offrant pour être notre intermédiaire. J'acceptai et j'allai avec lui faire visite à M. l'archiprêtre. Aussitôt des relations plus suivies et plus intimes s'établirent. Naturellement, la conversation roula sur des questions théologiques.
Après quelques entretiens, M. J. Wassilieff me dit : " Si vous aviez fait vos études théologiques à l'académie ecclésiastique de Moscou, vous ne seriez pas plus orthodoxe que vous ne l'êtes". Au fond, j'avais toujours été orthodoxe, excepté sur la prétendue autorité divine du pape que l'on m'avait donnée comme un dogme de foi et que j'avais acceptée comme on accepte les dogmes d'une Eglise à laquelle on apparient par sa naissance. Cette erreur m'avait nécessairement conduit à d'autres erreurs de fait qui en étaient la conséquence; mais, dès que les excentricités ultramontaines dont j'étais victime m'eurent conduit à l'examen approfondi de tout le système papal, ce système et les erreurs de fait qui en découlaient tombèrent comme les murs de Jéricho au son des trompettes de Josué.
Sur toutes les autres questions, l'enseignement des grands théologiens occidentaux était orthodoxe, et j'étais orthodoxe avec eux. C'est ainsi que M.J. Wassilieff me trouva orthodoxe comme si j'avais étudié à l'académie ecclésiastique de Moscou.
Dans les entretiens que j'eus avec M.J. Wassilieff, je soulevai la question d'une Revue orthodoxe dans laquelle viendrait se fondre mon Observateur catholique qui verrait ainsi s'agrandir le cercle de son action. Dans la nouvelle revue on ne se bornerait pas à attaquer les erreurs occidentales, l'Eglise catholique orthodoxe d'Orient se ferait entendre et opposerait ses doctrines apostoliques aux erreurs de la papauté et de ses adhérents. Mon idée fut acceptée; c'est ainsi que fut fondée l'Union chrétienne, le premier journal orthodoxe qui parut en Occident. Je fis le numéro-programmequi eut un grand retentissement. Il intéressa principalement les anglicans et m'attira les colères des papistes.
L'Union chrétienne était fondée lorsque Mgr Leontius, évêque-vicaire de Mgr Isidor, métropolitain de Novgorod et Saint-Pétersbourg, arriva à Paris pour consacrer l'église russe orthodoxe que M. l'archiprêtre J. Wassilieff avait fait construire.
J'assistai à la cérémonie de la consécration et au dîner qui suivit. Je fus placé auprès de Monseigneur qui fut rempli de bienveillance pour moi. Le résumé de notre conversation fut que, sans appartenir à l'Eglise orthodoxe, j'étais cependant un écrivain orthodoxe, et que je n'appartenais plus à l'Eglise papiste qui me condamnait et que je combattais moi-même. " Tout mon désir, dis-je à Monseigneur, c'est d'appartenir à l'Eglise orthodoxe de Russie, mais je ne sais pas le russe et je ne pourrai par conséquent me rendre utile." Monseigneur voulut bien me répondre que, en résidant à Paris et en continuant à travailler pour l'orthodoxie je serais très utile à l'Eglise. Il fut donc convenu que je remettrais entre ses mains une demande au Saint-Synode, suppliant le vénérable Concile de vouloir bien m'accepter parmi les prêtres de l'Eglise orthodoxe de Russie. Mgr Leontius remit cette supplique au Saint-Synode, et quelque temps après je reçus l'oukase par lequel j'étais accepté et autorisé à exercer toutes les fonctions du ministère sacerdotal auprès des orthodoxes.
C'est ainsi que je suis entré dans la sainte et vénérable Eglise orthodoxe de Russie.
Mes adversaires, et spécialement M. Pallu, évêque de Blois, se flattaient que je deviendrais protestant, et ils s'en réjouissaient; à leurs yeux, en entrant dans le protestantisme, j'aurais abjuré ma foi. Cependant, dans le protestantisme, j'aurais abjuré ma foi. Cependant, dans le protestantisme on rencontre de meilleurs chrétiens qu'eux.
Je n'avais aucune tendance pour le protestantisme. Ses principes fondamentaux n'avaient pas mon adhésion. Toutes mes études, en me conduisant à l'orthodoxie, me confirmaient dans les vrais principes catholiques, et je retrouvais ces principes dans toute leur pureté au sein de l'Eglise orthodoxe. Je m'étais toujours cru exclusivement catholique au sein du papisme. Mes études me démontrèrent que je m'étais trompé, et que la papauté au lieu d'être catholique, dans le vrai sens de ce mot, avait créé un schisme dans l'Eglise de Jésus-Christ. Je devais donc devenir orthodoxe pour être véritablement catholique.
Dans tous mes ouvrages, je n'ai jamais dévié de cette doctrine, et c'est au nom du vrai principe catholique que j'attaquai l'Eglise qui usurpe le titre de catholique et qui ne l'est pas.
Mes ennemis furent décontenancés en me voyant prendre cette voie. Ils crièrent que j'étais devenu schismatique en entrant dans une Eglise schismatique. Je leur répondis par un volume intitulé la Papauté schismatique. Cette publication mit mes ennemis en fureur. Je reçus une foule de lettres anonymes dans lesquelles on m'insultait de la manière la plus stupide. Au lieu de me répondre, on m'appelait horrible schismatique et l'on me disait que ma main avait dû trembler en écrivant seulement le titre de mon épouvantable volume.
Ma main n'avait pas tremblé du tout et j'étais bien convaincu, en mon âme et conscience, que le plus horrible schismatique était le pape.
On pouvait m'injurier; mais me réfuter, non.
Mon excellent ami Martin de Noirlieu comprit parfaitement mon entrée dans l'Eglise orthodoxe. En traversant la Bavière pour aller présenter ses hommages à son roi, le comte de Chambord, il rendit visite au plus grand théologien allemand et lui demanda son avis touchant la Papauté schismatique. Il répondit : " C'est là un de ces ouvrages qu'il est impossible de réfuter".
Un jour, M. Martin de Noirlieu se rendit à l'église russe de Paris. Après l'avoir examinée dans tous ses détails, il se prosterna sur les degrés du sanctuaire devant la Porte Sainte et dit à demi voix : " Mon Dieu, je vous rends grâce de ce que vous m'avez fait voir votre Eglise telle qu'elle était dans les anciens jours", et le bon prêtre se retira après avoir donné de nouvelles marques de son respect et de sa vénération.
La curie romaine qui n'aurait pu me réfuter, eut assez de talent pour me censurer et me mettre sur le catalogue de l'Index. Au lieu d'entrer en polémique avec la Sacrée Congrégation, je la remerciai de l'honneur qu'elle avait bien voulu me faire.
Le jour où j'apprenais par les journaux la mise à l'index de mon ouvrage, je recevais une lettre très élogieuse de Sa Sainteté le patriarche oecuménique de Constantinople. Ce vénérable évêque est le premier patriarche de l'Eglise, depuis que l'évêque de Rome, par son schisme et ses hérésies, a perdu les droits que les premiers conciles oecuméniques lui avaient accordés.
Si j'avais eu besoin d'être consolé de la censure de l'Index, je l'aurais été surabondamment par les éloges du premier évêque de l'Eglise. Comme on voit, j'entrais dans l'Eglise orthodoxe sous d'heureux auspices.
Parmi les lettres des évêques orthodoxes russes qui me félicitèrent de mon entrée dans leur vénérable Eglise, je dois citer celle de Son Eminence Mgr Isidor qui m'écrivait comme à un frère, et celle de S. Em. Mgr Philarète de Moscou. C'est sur l'initiative de ce saint et savnt évêque que l'académie ecclésiastique de Moscou me proposa au Saint-Synode pour le titre de docteur à l'effet de me récompenser de mon ouvrage intitulé : Papauté schismatique et tous les autres écrits orthodoxes que j'avais publiés.
Je fus d'autant plus flatté de cet honneur que je ne l'avais pas sollicité, et qu'il m'était accordé sur l'initiative d'un savant évêque, vénéré dans toute l'Eglise de Russie. C'est avec respect que je vois sur le diplôme qui me fut adressé, la signature de l'illustre métropolite, suivie de celles des docteurs Gorsky et Ternowsky, et des autres professeurs de la docte académie. Un tel diplôme m'a amplement dédommagé des attaques injurieuses de quelques écrivassiers papistes qui, malgré leurr désir de me trouvr en faute n'ont jamais pu relever dans mes nombreux écrits une seule erreur véritable. Ils n'ont pu me reprocher qu'une chose : de n'avoir pas courbé la tête devant les honteuses doctrines ultramontaines. Je l'avoue, ils ont eu raison d eme faire ce reproche, mais je m'en honore, et je suis heureux qu'avant même d'appartenir à la vénérable Eglise orthodoxe, j'ai pu découvrir si nettement la vérité sur une foule de questions que le papisme a dénaturées.




3. LETTRES DE RUSSIE


Première lettre à M. l'Archiprêtre J. Wassilieff


Saint-Pétersbourg, 5 juin 1865


Vénérable et très cher ami,


Je vous ai promis de vous écrire quelquefois pendant mon voyage en Russsie, et d evous faire connaître mes impressions. Je vous dirai tout de suite que ces impressions sont celles que je pressentais à l'avance. Les relations que j'avais eues, soit par lettre, soit de vive voix, avec plusieurs vénérables évêques et prêtres de l'Eglise orthodoxe, m'avaient donné la plus juste idée du caractère élevé et des vertus des pasteurs de cette vénérable Eglise; ce que j'ai vu de mes propres yeux, n'a fait que confirmer, fortifier, augmenter encore l'idée que j'en avais conçue.
Je n'ai encore point quitté Saint-Pétersbourg. Depuis mon arrivée dans cette belle capitale de la Russie, j'ai eu l'honneur d'être reçu par les membres du Saint-Synode; j'ai visité un grand nombre de prêtres et d'hommes religieux. Je les ai tous trouvés aussi distingués par l'amabilité de leur caractère, que par leurs connaissances et leur esprit profondément chrétien. Je voudrais que ceux qui, en Occident, parlent de l'Eglise et du clergé orthodoxe de Russie avec tant de passion et d'amertume, pussent faire trêve, seulement pour un jour, avec leurs préjugés, et examiner, de sang-froid et avec justice, ce clergé et cette Eglise. Ils comprendraient aussitôt qu'au lieu de leur départir l'injure avec tant de prodigalité, ils leur devraient respect et vénération.
Vous pensez bien, très cher ami, que ma première visite a été pour Son Eminence Mgr le métropolite de Saint-Pétersbourg. Je me suis donc rendu au magnifique monastère de Saint-Alexandre Newski, sa résidence, et j'ai été reçu par Son Eminence avec une simplicité vraiment épiscopale, avec une bienveillance qui m'a profondément touché; Son Eminence m'a invité à officier avec elle, le lendemain, aux matines des fêtes de la Sainte-Trinité et du Saint-Esprit, ainsi que le dimanche à la liturgie et aux vêpres célébrées par elle pontificalement, dans la grande église du monastère. Les matines, chantées le samedi soir, ont duré trois heures et demie; l'office du lendemain a duré quatre heures et demie. Pendant la liturgie, Son Eminence m'a revêtu solennellement de l'épigonate; C'est une distinction dont je me trouve très honoré.
J'ai été frappé du caractère religieux des solennités auxquelles j'ai pris part. Tout était grand, pompeux, magnifique dans les rites et dans les chants; mais il n'y avait rien de théâtral, et c'est en cela que j'ai surtout remarqué la différence qui existe entre l'Eglise orthodoxe et l'Eglise romaine, quant au culte extérieur. Dans les offices pontificaux d'Occident, les instruments de musique, les cérémonies exécutées, pour ainsi dire, géométriquement, jouent le grand rôle, et il faut connaître à fond l'histoire des transformations liturgiques qui ont eu lieu successsivement dans l'Eglise romaine, pour retrouver le sens de la plupart des cérémonies. Il n'en est pas ainsi dans l'Eglise orthodoxe. Tout est resté en même temps dans la simplicité primitive; il suffit de voir pour comprendre. Comme j'aime les chants si harmonieux de l'Eglise russe dans la bouche des clercs et sans mélange d'instruments! Ces chants n'ébranlent pas les nerfs; ils disposent doucement à la piété; ils remuent et impressionnent le coeur comme un bon sentiment. Les rites, dans leur grave simplicité, reportent tout naturellement l'esprit vers les âges primitifs, où évêques, prêtres et fidèles se réunissaient pour chanter ensemble les louanges de Dieu, célébrer sa gloire et ses bienfaits, implorer sa miséricorde.
Dès le commencement des offices, l'église de Saint-Alexandre Newski était comble, et pas un seul des assistants n'est sorti avant la dernière bénédiction. Pauvres et riches étaient placés côte à côte, sans distinction. Les hommes étaient au moins aussi nombreux que les femmes. Tous se tenaient debout dans l'attitude la plus respectueuse, en silence et dans le recueillement. Ils suivaient avec une attention soutenue toutes les cérémonies, s'inclinaient respectueusement et faisaient le signe de la croix, lorsque, dans les prières, on implorait avec plus de sentiment la miséricorde de Dieu. Quand les chants cessaient et que Son Em. Mgr le métropolite récitait une prière, la foule immense qui remplissait l'église était si recueillie, qu'on n'entendait que le religieux écho d ela prière.
Le sentiment religieux du peuple russe m'a singulièrement frappé, et chacun s'accorde à me dire que Saint Pétersbourg, sous ce rapport, n'approche pas de Moscou. Cependant, tel qu'il m'apparaît à Saint Pétersbourg, il m'inspire déjà des réflexions qui ne sont point à l'avantage de l'Eglise romaine. Que sont devenues, sous l'influence de cette Eglise, toutes les populations occidentales? Ne sont-elles pas dévorées par le scepticisme et l'indifférence? La foi n'a-t-elle pas disparu? Et, parmi les peuples que l'on cite encore comme religieux, est-ce un véritable sentiment chrétien qui y règne? N'est-ce pas plutôt la superstition? Les innovations du papisme ont donc détruit la vraie foi; elles ont détruit tout sentiment religieux, et l'Eglise romaine ne possède plus aujourd'hui qu'une immense majorité sceptique, et une faible minorité superstitieuse. Tel est le résultat qu'elle devait nécessairement obtenir. Or, si comme le veut Notre Seigneur Jésus-Christ, on doit juger l'arbre par les fruits qu'il produit, que doit-on penser de l'Eglise romaine?
Ce sont là, très cher ami, quelques unes des réflexions que je faisais en voyant la foule si sincèrement recueillie qui remplissait la grande église de Saint Alexandre Newsky.
Monseigneur le Métropolite me fit l'honneur de m'inviter au dîner qui eut lieu, après l'office du dimanche, au réfectoire du monastère. C'était la fête du couvent; la règle n'en fut pas moins observée. On fit une lecture pieus ependant le repas et l'on n'y servit que du poisson et des légumes; tous les habitants du monastère, y compris son Eminence, ne mangent jamais de viande. Monseigneur le Métropolite me dit, pendant le repas, les choses les plus aimables, et j'eus là une nouvelle occasion d'apprécier tout ce qu'il y a de bon et d'apostolique dans le coeur de ce digne prélat; J'avais admiré sa profonde piété pendant les offices; mes relations personnelles avec son Eminece me convainquirent que la haute position qu'elle occupe ne lui ont inspiré ni vanité ni orgueil.
Les évêques de Russie savent garder leur dignité; les prêtres leur témoignent un profond respect; mais je n'ai remarqué ni servilisme dans le respect des prêtres, ni orgueil dans la dignité des évêques. La foi anime et dirige les uns et les autres.
Vous connaissez, très cher ami, ma franchise parfois un peu rude. Vous savez que j'aimerais mieux me taire que flatter ceux qui ne mériteraient pas d'éloges. Vous croirez donc à la sincérité de mes paroles. Eh bien, d'après ce que j'ai vu jusqu'ici à Saint-Pétersbourg, j'ai l'intime conviction que le clergé de Russie est aussi distingué par la gravité de ses meours que par ses connaissances et son esprit vraiment ecclésiastiques; n'en déplaise au clergé de France qui passe en Occident, et avec raison, pour le meilleur de l'Eglise romaine, et que je ne veux pas rabaisser plus qu'il ne le mérite, je lui souhaite de tout mon coeur de ressembler à celui de Saint-Pétersbourg.
Mais je m'aperçois, très cher ami, que ma lettre dépasse les bornes légitimes. Je m'arrête donc, et je me réserve de vous écrire de nouveau après avoir visité Moscou.
Agréez, etc.




Deuxième lettre à M. l'Archiprêtre Wassilieff


Saint-Pétersbourg, 12 juin 1865




Très cher ami,


Je ne veux pas partir pour Moscou sans vous écrire encore une fois de Saint-Pétersbourg, où je viens d'assister aux funèbres cérémonies de l'arrivée du corps du feu grand-duc héritier, et du convoi de ce jeune prince si estimé, si aimé, et, on peut le dire, si vénéré en Russie. Je n'oublierai jamais le tableau qu'il m'a été donné de voir. Jamais, en France, je n'ai été témoin de pareilles scènes. Je ne vous parle point, comme vous le pensez bien, d ela pompe du cortège, des troupes, de la foule immense qui se pressait surtout aux abords de la cathédrale de Saint-Pierre et Saint-Paul, le Saint-Denis de la famille impériale de Russie. On est trop habitué, à Paris, aux cérémonies pompeuses, aux troupes, à la foule, pour que tout cela ait pu faire impression sur moi, à Saint-Pétersbourg. Mais ce dont j'ai été frappé, c'est de la douleur de la famille impériale, et surtout de Sa Majesté l'empereur qui oubliait, pendant la célébration des offices religieux, qu'il était le souvearin d'un immense empire, et qui se rappelait seulement qu'il était père. Selon une coutume touchante qui existe en Russie, le cercueil du grand-duc avait été ouvert à son arrivée, et sa figure et ses mains restèrent à découvert, depuis son entrée à la cathédrale jusqu'au moment du convoi. Pendant plusieurs jours les offices se succédèrent devant le corps. J'y officiai plusieurs fois avec Son Eminence Mgr le métropolite, et je pus voir ainsi, de mes propres yeux, avec quel amour l'empereur et son auguste famille rendirent les derniers devoirs au défunt grand-duc. Sa ajesté l'impératrice n'assistait pas aux offices publics, mais elle s erendait chaque jour auprès de son fils bien-aimé; sa douleur et sa piété étaient si touchantes, que tous ceux qui en étaient témoins ne pouvaient retenir leurs larmes. L'empereur assistait à tous les offices; il faisait de vains efforts pour comprimer sa douleur; le père l'emportait sur l'empereur, et son émotion se communiquait à tous ceux qui l'entouraient. J'ai vu plus d'un vieux militaire essuyer furtivement une larme lorsqu'il voyait pleurer son souverain, qu'il nomme si affectueusement son père.
A la fin de chaque office, l'empereur et tous les membres de la famille impériale s'approchaient du corps du défunt, l'embrassaient sur la figure et sur les mains. Cette pieuse coutume des deniers adieux existe dans le peuple comme dans les familles les plus élevées en Russie. Les morts n'y inspirent pas une sotte terreur comme en Occident; au contraire, on les conserve le plus longtemps possible, on leur prodigue les témoignages de la plus vive affection; on les entoure des soins les plus délicats, et on ne laisse pas fermer leur cercueil sans leur avoir prodigué les derniers embrassements. Cette pieuse coutume m'a vivement ému.
L'Eglise orthodoxe, de son côté, entoure les corps des morts d'une grande vénération. On comprend qu'elle les considère, avec les yeux de la foi, comme ayant été la dmeure de l'âme rachetée par le sang de Jésus-Christ, comme les organes qui ont servi, par les sacrements, à la régénération de l'âme elle-même, comme des vases consacrés dans lesquels Dieu a déposé un germe d'immortalité. Toutes les prières exxpriment ces hautes pensées; elles sne sont pas pénétrées, comme les prièress de l'Eglise latine, d'une sombre tristesse; elles sont plutôt remplies d'espérance; on sent que, pour l'Eglise orthodoxe, le tombeau est le berceau d'une vie meilleure, et, autour du cercueil, elle fait entendre l'Alleluia que l'âme du défunt chanté déjà, en présence de Dieu, dans la société des élus. Comme une bonne mère, elle console ceux qu'une séparation douloureuse a jetés dans la tristesse; elle leur fait voir que ceuxx qui restent en ce monde sont plus à plaindre que celui qui a passé à la vie immortelle.
Pendant les cérémonies funèbres, j'ai eu l'occasion de faire connaissance avec un grand nombre de prêtres de l'Eglise orthodoxe, et la bonne opinion que j'ai émise à leur sujet, dans ma précedente lettre, n'a fait que se confirmer.
Dimanche dernier, j'ai assisté à la liturgie dans la belle et riche église métropolitaine de Saint-Isaac; j'ai officié au Te Deum avec Mgr le métropolite, qui a eu pour moi les attentions les plus délicates, et qui m'a prodigué les témoignages de son affection paternelle.
Le premier évêque de Russie était au milieu des prêtres comme un bon père; tous se sont assis à la même table chez le vénérable archiprêtre de Saint-Isaac, digne et zélé pasteur, aussi distingué par ses vertus et ses talents que par son aménité. A la fin de l'office, j'ai été singulièrement frappé de l'empressement de tous les fidèles à demander la bénédiction de Son Eminence le métropolite. La vaste basilique était comble, ce qui vous donnera une idée de la foule qui s eprécipitait au devant du saint évêque; tous, grands et petits, hommes et femmes, riches et pauvres voulaient lui baiser la main, et ce n'est qu'à travers les flots de cette foule pieuse qu'il a pu gagner sa voiture, qui l'attendait au bas des degrés de l'église. Son Eminence m'y fit asseoir à côté d'elle, et je pus voir alors l'immense place couverte de fidèles qui tous, respectueusement découverts, faisaient le signe d ela croix, en recevant les dernières bénédictions. Quel respect ont les fidèles orthodoxes pour le caractère épiscopal! ce respect leur fait honneur, mais il honore en même temps les évêques qui savent mériter tant de vénération.
A la vue de tant de choses qui m'étonnent et qui m'édifient ici, je fais, vénérable ami, de bien tristes réflesxions sur ma chère France, si douce, si bonne, si intelligente et qui mériterait si bien de connaître la vérité. Hélàs! ne dirait-on pas que tout conjure contre elle! Tandis que le romanisme, par ses innovations et son fanatisme y éteint les dernières étincelles de la foi chrétienne, tous les systèmes soi-disant philosophiques réunissent en un faisceau toutes leurs contradictions pour fausser les esprits, et répandre partout les ténèbres. Cependant, le Français reste religieux au fond de son âme. Il n'aime pas le romanisme; il n'aime pas davantage le protestantisme; le philosophisme échoue contre son bon sens naturel, mais il se trouve sans culte, sans Eglise, et il paraît insensible à tout ce qui porte un caractère religieux. Pourquoi? parce qu'il sent que la vérité n'est pas au fond de tous les systèmes qu'on lui offre sous les fausses étiquettes de christianisme ou de phiosophie. Oh! si l'Eglise orthodoxe pouvait se faire mieux connaître en France! Si elle pouvait s'y manifester clairement! tous retrouveraient en elle l'Eglise de leurs pères si étrangement défigurée par le romanisme, et ils s'y réfugieraient comme dans l'arche sainte du salut. Plus je vois l'Eglise ortodoxe dans sa vie, mieux je comprends que c'est à elle qu'appartient l'avenir. Je la connaissaiss en théorie; je savais que sa doctrine, ses lois, sa liturgie, sont celles de l'Eglise primitive; mais aujourd'hui que je la vois vivre, agir, sous mes yeux, je la comprends mieux encore. J'étais étonné jadis lorsque, par hasard, je rencontrais à Paris des Russes qui répétaient, ou les diatribes anticléricales de nos libéraux, ou les non-sens mystiques de ces petites jésuitières qu'ils appellent pompeusement les Salons du faubourg Saint-Germain. Je déplorais l'aveuglement qui les empêchait de comprendre, ou que les reproches adressés au clergé romain ne peuvent s'appliquer sous aucun rapport, au clergé orthodoxe, ou que les petites anecdotes du faubourg Saint-Germain ne sont que de perfides insinuations des bons Pères. Mais, aujourd'hui, je suis encore beaucoup plus étonné de la simplicité de ces Russes cosmopolites qui croient se distinguer en laissant ça et là les lambeaux de leur beau caractère national et orthodoxe, pour s'affubler des oripeaux ridicules des charlatans des divers peuples qu'ils visitent. Heureusement que les pseudo-Russes sont rares et qu'ils ne forment que des exceptions, même parmi ceux qui voyagent à l'étranger.
Vous voyez, très cher ami, que mon voyage en Russie ne sera pas inutile pour moi au point de vue religieux, et que j'en rapporterai une idée plus complète de la sainte et vénérable Eglise orthodoxe.
Je pars, dans deux jours, pour Moscou, d'où je vous écrirai une nouvelle lettre.
Agréez, etc.




Troisième lettre à M. l'Archiprêtre Wassilieff




Moscou, 10/22 juin 1865


Monsieur et très cher ami,


Je vous écris de Moscou, l'ancienne capitale de l'empire de Russie, et encore aujourd'hui la capitale de l'Eglise orthodoxe, par le souvenir des anciens patriarches et par la foi qui règne dans toute sa population. Le jour même de mon arrivée, je me suis rendu au Kremlin qui est en même temps une citadelle, un couvent, un lieu saint dominé par les cocupoless de plusieurs magnifiques églises, enfin un palais rempli de souvenirs des vieux souverains et que les nouveaux se plaisent à enrichir chaque jour. Je suis entré par cette porte que les empereurs eux-mêmess ne franchissent qu'en se découvrant avec respect, et j'ai joui, du haut des terrasses, d'une vue grandiose et peut-être unique dans le monde. Je voyais à mes pieds toute la ville composée d'élégantes villas ensevelies dans la verdure, et dominée par une forêt de clochers aux formes gracieuses, les uns étincelants d'or, les autres ornés de peintures variées. J'ai compris, au premier coup d'oeil, que Moscou est une ville éminemment chrétienne. Je n'ai donc point été surpris, en la parcourant, de rencontrer à chaque pas des actes de foi, de piété, de respect pour le sacerdoce de Jésus-Christ. A tout moment, des hommes du peuple s'approchaient de moi, me demandant ma bénédiction et baisant la croix suspendue à mon cou, et cela, sans autre intention que d etémoigner leur respect pour le caractère sacerdotal et pour la croix du Sauveur. La foi candide et pure de ces braves gens avait quelque chose de bien touchant, et je me reportais tout naturellement à nos contéres occidentales où la vue du prêtre excite des sentiments tout contraires. D'où vient cette différence? Je ne pourrais répondre à cette question sans entrer en des considérations qui m'éloigneraient trop du but que je me suis proposé en vous écrivant cette lettre.
Du reste, ce n'est pas seulement à Moscou que le peuple orthodoxe témoigne de son respect pour le sacerdoce. A Saint-pétersbourg, malgré le mélange de la population, on ne peut parcourir pendant cinq minutes une des rues de la ville, sans être témoin d'un de ces actes qui attestent la foi sincère et profonde que le sacerdoce orthodoxe a su comuniquer aux fidèles qui lui sont confiés.
Cependant, en Russie, la plus large tolérance règne pour tous les cultes. Même à Moscou, tous les cultes ont leurs églises; les catholiques romains y jouissent de la plus entière liberté, et la colonie française, en particulier y a son clergé et son église. Mais ces cultes divers n'ont aucune influence sur les orthodoxes, qui sentent la supériorité de leur vénérable Eglise qui n'a jamais eu à se reprocher la plus légère innovation dans le dépôt de la doctrine divine. Permettez-moi une petite réflexxion au sujet de la tolérance de la Russie : c'est qu'il existe des nations qui parlent beaucoup de tolérance, et qui la pratiquent beaucoup moins qu'on ne le fait en Russie.
Le lendemain de mon arrivée à Moscou, j'ai été reçu par le vénérable métropolite Philarète. Je n'ai point à vous faire l'éloge de ce grand évêque qui est âgé aujourd'hui de quatre-vingt-trois ans et qui, depuis quarante-trois ans, occupe si dignement la chaire métropolitaine. Tout le monde connaît sa science, son éloquence, ses vertus, et la Russie entière le vénère déjà comme un saint. En mettant le pied sur le seuil de son humble habitation, on comprend tout de suite que là doit demeurer un évêque profondément imbu de l'esprit apostolique. Tout est simple et modeste dans cette maison qui n'est un palais que par la dignité de celui qui l'habite. J'ai rencontré, chez son Eminence le métropolite, un de ses vicaires, Mgr Léonide, auquel je rendis visite le lendemain et qui m'offrit gracieusement un logement chez lui. Le disciple est digne du maître. On ne dirait pas que Mgr Léonide fut jadis un officier distingué. Il a oublié le monde pour ne se souvenir que de ses devoirs de moine et d'évêque.
Je ne pouvais visiter Moscou sans aller jusqu'au monastère de saint Serge, car, à côté de ce couvent historique qui fut le rempart de la nationalité russe à l'époque de l'invasion polonaise, on trouve l'Académie ecclésiastique. Or, je devais des remerciements au digne et savant recteur Gorsky; à l'inspecteur, l'archimandrite Michel; aux docteurs et professeurs de ce corps savant qui ont signé le diplôme qui m'a élevé à la dignité du doctorat. J'ai donc eu l'occasion de voir à Saint Serge, comme à Moscou et à Saint-Pétersbourg un grand nombre de prêtres, et je suis d eplus en plus persuadé que j'ai été trop réservé dans les éloges que j'ai faits du clergé orthodoxe, en vous écrivant de Saint-Pétersbourg. Chez tous les prêtres que j'ai vus, j'ai remarqué le plus grand mérite uni à la plus aimable modestie. J'aurais voulu faire connaissance avec un plus grand nombre d'entre eux; mais ce qui est différé n'est pas perdu. Je sais maintenant le chemin de la Russie et j'y reviendrai. Je m'y trouve trop bien au milieu de pères et de frères qui rivalisent de bons procédés à mon égard, pour ne pas désirer vivement de me retrouver au milieu d'eux. La plupart comprennent le français quoiqu'ils ne puissent pas le parler, faute de pratique. Je suis beaucoup plus ignorant et je comprends fort mal le russe; mais je me fortifierai dans cette langue; j'en sens le besoin. Outre le plaisir d em'entretenir avec des hommes distingués, il y a en Russie une littérature religieuse aussi riche que variée et que l'Occident ignore absolument. Il faut la faire connaître, surtout à ces théologiens romains si riches de présomption, à ces Tilloy qui se permettent d'aussi injustes critiques contre un clergé dont ils ne connaissent ni la science ni les vertus. Je me dévouerai à cette oeuvre avec l'aide de quelques amis, et pour commencer tout de suite, je vous adresserai dans quelques jours, la traduction d'un fort beau discours adressé au Saint-Synode par l'évêque-recteur de l'Académie ecclésiastique de Saint-Pétersbourg, lors de son élévation à l'épiscopat. Ce discours est aussi fortement pensé qu'élégamment écrit et donne d'utiles renseignements sur l'Eglise de Russie.
Revenons à Moscou. Il ne faudrait qu'un séjour de plusieurs mois dans cette intéressante ville pour en visiter les églises et les couvents; pour admirer toutes les richesses religieuses et artistiques qu'elle renferme. Je suis obligé, à mon grand regret, de n'y rester que neuf jours. Je ne la quitterai pas, du moins, sans emporter la plus haute opinion de son Eglise, et les meilleurs sentiments pour l'aménité et la gracieuse hospitalité de la société moscovite. On m'a fait promettre de revenir, je tiendrai ma promesse, soyez en certain. Une autre raison encore, très cher ami, me fait aimer Moscou, c'est qu'on vous y aime vous-même. Tout le monde me parle de vous en des termes que je ne vous répéterai pas, mais qui, je vous assure, pourraient flatter qui que ce soit. Je vous arriverai à Paris avec une énorme cargaison d'amitiés, de compliments, de respects, etc., du reste, Saint-Pétersbourg n'est pas en retard sur ce point, et je me trouve très heureux en Russie d'être considéré comme votre ami.
Je devrais, en quittant Moscou, aller à Kiev, la ville sainte de la Russie; visiter ses catacombes et saluer ce beau fleuve Dnieper, où vos ancêtres ont été régénérés par le baptême. J'y ai été cordialement invité par monseigneur le métropolitain de Kiev, un de ces évêques comme en possédait l'Eglise primitive et comme en possède encore l'Eglise orthodoxe, mais je dois ajourner mon pèlerinage à Kiev. Le chemin de fer ne va pas encore jusqu'à cette ville et j'ai trop peu de temps à passer en Russie pour entreprendre d'y voir tout ce qui mérite d'être visité. Donc, à mon futur voyage, mon pèlerinage à Kiev et à tant d'autres lieux saints que possède votre excellent pays. Du reste, j'ai vu Monseigneur de Kiev à Saint-Pétersbourg, et je n'ai pas besoin de vous dire quels sont mes sentiments de respect et d'amour filial pour ce bon et saint métropolitain, vous les connaissez depuis longtemps.
J'espère pouvoir vous écrire encore une fois à mon retour à Saint-Pétersbourg, et avant de quitter la Russie. Donc, à bientôt et croyez-moi toujours votre ami bien sincère.






APPENDICE II


GUETTEE ET L'UNIVERSALITE DE L'EGLISE




( Pour Guettée, être orthodoxe ne signifiait pas devenir russe ou grec, mais revenir à la foi apostolique et à l'Eglise véritable. Aussi a-t-il été le premier à s'intéresser à la création d'une orthodoxie française comme en témoigne le texte ci-dessous qui est aussi un appel à l'aide des orthodoxes grecs, russes, serbes, roumains, pour la documentation de l'Histoire de l'Eglise).




L'ORTHODOXIE FRANCAISE




Depuis que nous avons été admis dans la sainte Eglise orthodoxe, nous n'avons été préoccupé que d'une seule pensée : la faire connaître en Occident, et la défendre contre les attaques des romanistes et des protestants.
Nous ne pouvions, en entrant dans l'Eglise orthodoxe, espérer la servir par les fonctions du ministère sacerdotal; car cette vénérable Eglise a assez de prêtres respectables, soit à l'intérieur, soit à l'étranger, pour satisfaire aux besoins spirituels de ses fidèles.
Notre ligne était donc tracée d'avance : consacrer notre vie tout entière à écrire en faveur de l'orthodoxie. C'est ce que nous avons fait jusqu'ici; c'est ce que nous ferons encore exclusivement, tant que nos travaux seront bénis par la haute autorité de laquelle nous relevons, et dont les simples désirs seront toujours pour nous des ordres.
Plusieurs journaux orthodoxes ont annoncé, il y a quelque temps, que nous avions l'intention de fonder à Paris une église orthodoxe de langue française, et que nous allions ainsi abandonner la vie studieuse et retirée d'écrivain ecclésiastique, pour la vie active du ministère. Ces journaux, dont la sympathie nous aprofondément touché, ont été trompés par le projet dont nous avons entretenu les lecteurs de l'Union chrétienne et dont l'initiative est due, non pas à nous, mais à des grecs pieux et zélés. Nous avons reçu plusieurs lettres très pressantes, dans lesquelles on nous engageait à établir à Paris une église où la divine liturgie et les saints offices seraient célébrés en français, à l'usage des orthodoxes qui n'entendent pas la langue slave, et qui, à cause de leurs relations avec la France, comprennent le français.
Nous aurions été heureux de pouvoir obéir au désir de nos honorables correspondants; mais nous avons dû répondre aue, par caractère, nous nous sentions peu fait pour la vie active que demanderait la réalisation d'un pareil projet; qu'il vaudrait mieux que l'église orthodoxe française fût élevée par les soins d'un comité d'orthodoxes; et que tout ce qu'il nous était possible de promettre, c'était notre coopération comme écrivain et comme prêtre, dans le cas où nous obtiendrions pour cela l'autorisation, d'abord du Saint Synode de Russie, dont nous sommes le fils soumis, puis des vénérables patriarches et synode d'Orient, qui pourraient seuls autoriser leurs fidèles à s'adresser à notre ministère.
Les choses en sont restées là; et peut-être que, dans les vues de la Providence, le temps n'est pas encore venu d'établir à Paris une église orthodoxe d elangue française. Quand Dieu le voudra, il saura bien inspirer à quelqu'un de ses enfants la volonté d'en prendre l'initiative et aplanir tous les obstacles.
En attendant, nous n'avons à poursuivre que notre but principal et le plus conforme à nos goûts, celui de former, par nos écrits, des orthodoxes solides, convaincus, qui seront, plus tard, les premiers membres d'une Eglise française.
C'est cette pensée qui nous a guidé dans l'Exposition de la doctrine orthodoxe, ouvrage bien minime sans doute, en lui-même, et relativement à son volume, mais qui est reçu, en Russie comme en Orient, en Angleterre et en Amérique, comme en France, avec une faveur qui prouve que nous avons répondu à un besoin général; et nous pouvons espérer que notre humble opuscule contribuera à faire tomber une foule de préjugés contre la sainte Eglise orthodoxe. Il atteindra d'autant mieux ce but qu'il est plus court, et qu'il peut être ainsi lu par un grand nombre de personnes qui sont d'ordinaire effrayées par les gros volumes de théologie.
L'Exposition, s'adressant à tous, nous avons dû être sobre d'érudition pour ne pas lui donner des proportions qui eussent empêché le grand nombre de la lire. Mais nous comprenons que, pour les hommes d'étude, il est nécessaire de composer un travail plus érudit et plus complet. C'est pour cela que, depuis plusieurs années, nous travaillons à une Histoire de l'Eglise, qui ne sera que l'exposition et la démonstration de l'orthodoxie par les faits et les témoignages de tous les siècles.
Nous avions concçu ce projet lorsque nous étions encore prêtre de l'Eglise romaine, et notre évêque de Blois, monseigneur Fabre des Essarts, de vénérée mémoire, nous avit fait promettre d'y travailler, aussitôt après avoir mis la dernière main à l'Histoire de l'Eglise d eFrance que nous publiions alors avec son approbation. Nous nous applaudissons de n'avoir pas commencé ce travail lorsque notre impartialité et notre amour de la vérité auraient été gênés par les préjugés que nous avait imposés une éducation romaniste. Aujourd'hui que, par suite d'études approfondies et d'une conviction ferme, nous sommes devenus prêtre de la sainte, catholique et apostolique Eglise orthodoxe, et que nous sommes débarrassé des préjugés romains, nous pourrons accepter, sans arrière-pensée, sans réserves, dans toute leur exactitude, les monuments de l'histoire de l'Eglise, et composer un ouvrage rigoureusement vrai.
Pour obtenir complètement ce résultat, nous avons besoin du concours de nos frères d'Orient. C'est pour cela que nous nous sommes permis de composer le présent article, que nous prions de considérer comme un appel à tous les amis de la vérité et de l'Eglise, sans le secours desquels nous ne pourrions exécuter le plan que nous avons formé.
Sans doute les documents ne manquent pas en Occident, mais nous pensons que, dans les archives des patriarcats et dans les bibliothèques des anciens couvents d'Orient, on doit posséder des pièces importantes qui nous mettront à même de faire, aussi complète que possible, l'histoire, si inconnue jusqu'ici, en Occident, des Eglises orientales, depuis les invasions des Turcs.








( Les textes présents sont extraits des ouvrages suivants :
La Paputé schismatique
La Papauté moderne condamnée par saint Grégoire-le-Grand
Histoire de l'Eglise
La Papauté hérétique
Le Nouveau Dogme... ou Lettres à Mgr Malou
L'Union Chrétienne
Les Souvenirs d'un prêtre Romain devenu prêtre Orthodoxe).






TABLE DES MATIERES


INTRODUCTION.
GUETTEE OU LE RETOUR A L'ORTHODOXIE


I La Vie de l'Abbé Guettée


II L'Oeuvre du Père Guettée


III La postérité de Guettée
Guettée et l'orthodoxie française
Guettée et l'oecuménisme
Guettée à l'origine du mouvement
vieux-catholique : l'Abbé Michaud
Guettée inspirateur de Dostoïevsky
et de la légende du Grand Inquisiteur


IV Les limites de l'oeuvre de Guettée
L'augustinisme de Guettée
L'influence de la théologie académique russe




PREMIERE PARTIE.
LA PAPAUTE SCHISMATIQUE.


I L'Autorité Papale condamnée par la Parole de Dieu


II Les Règles de la Tradition.
1. Saint Cyprien
2. Saint Vincent de Lérins
3. Conclusion : le témoignage
des monuments dogmatiques


III Le témoignage des Pères de l'Eglise
1. Saint Clément
2. La question de la Pâque
3. Saint Irénée
4. Saint Hilaire de Poitiers et saint Epiphane
5. Le Pape saint Léon le Grand
6. Saint Jean Chrysostome
7. Les Cappadociens : St Grégoire de Naziance,
St Grégoire de Nysse et St Basile de Césarée
8. Le témoignage des Occidentaux :
Saint Ambroise et Saint Jérôme
9. L'Invention de la "Papauté"


IV Le Témoignage des Conciles oecuméniques et locaux
1. Le Concile de Nicée
2. Le Deuxième Concile Oecuménique
3. Le Troisième Concile Oecuménique
4. Le Quatrième Concile Oecuménique
5. Faits et textes


V La Papauté moderne
condamnée par le Pape Saint Grégoire le Grand


VI La Crise du IXème siècle
Le Concile de 879 ( VIIIème Oecuménique)


VII 1054


DEUXIEME PARTIE.
LA PAPUTE HERETIQUE


I L'hérésie du Filioque


II L'Immaculée Conception
1. Un nouveau dogme
2. Première lettre à Monseigneur Malou...
3. Troisième lettre
4. Vingt-cinquième lettre


III Le Sacré-Coeur, Hérésie sur l'Incarnation


IV Différents points de controverse
1. Le Baptême et la Confirmation
2. Le Pain Azyme
3. L'Epiclèse
4. Le Pain Eucharistique
5. La Communion des Enfants
6. La Communion sous les deux espèces
7. L'Evolution Liturgique
8. Le Mariage
9. La Fausse Piété
10. Le Purgatoire


V La Très Sainte Inquisition et autres polémiques
1. La Très Sainte Inquisition
et les Bénédictins
2. La Papauté et les Juifs
3. Les Indulgences
4. Les Jésuites inspirateurs de la Papauté
5. La Papauté Usurpatrice
6. La Papauté ou la Grande Hérésie Occidentale
7. Conclusion. Le Témoin Gênant : l'Orthodoxie


Appendice I. Du Gallicanisme à l'Orthodoxie
1. Découverte de l'Orthodoxie
2. Le Père J. Wassilieff et la découverte
de l'Eglise Orthodoxe
3. Lettres de Russie


Appendice II. Guettée et l'Universalité de l'Eglise
L' orthodoxie française


(QUATRIEME DE COUVERTURE)
" J'étudiai la Papauté non dans les livres de ses adversaires, mais dans ceux de ses défenseurs, les Bellarmin, les Zaccharia et tant d'autres. Comme ils prétendent que la papauté a pour fondement la tradition catholique, je contrôlai tous les textes des Pères et des Conciles qu'ils ont cités. Je trouvai que tous les textes cités par eux étaient faux, tronqués, détournés de leur vrai sens. Je dus en conclure que la papauté n'était qu'une institution fondée sur le mensonge."
Ainsi, dans ses Souvenirs d'un prêtre Romain devenu prêtre Orthodoxe, Guettée résume son oeuvre et sa vie, celle d'un prêtre catholique, d'un savant historien gallican conduit par ses recherches sur l'Eglise de France à une critique méthodique de l'institution et des dogmes de la papauté.
Héritier de la protestation gallicane contre l'extension du pouvoir des papes sur les Eglises locales, Guettée lui donne une force nouvelle en remontant aux causes profondes de l'institution de la papauté : l'introduction de dogmes nouveaux et inconnus jusque-là dans l'Eglise.
Après avoir réuni ses recherches en plus de quarante volumes historiques, et pour rester fidèle à la tradition catholique universelle de l'Eglise, Guettée devint orthodoxe, ouvrant ainsi la voie, avec un siècle d'avance, à tous ceux qui, en Occident, ont soif de la doctrine authentique et d ela vie en Christ qui est celle des Apôtres et des Pères de l'Eglise.


De la Papauté est un choix des meilleurs textes de Guettée, ceux qui influencèrent le grand historien Döllinger, inspirèrent le vieux-catholicisme suisse, renouvelèrent l'étude de l'Histoire de l'Eglise et sont l'une des sources probables de la légende du Grand Inquisiteur de Dostoïevski.







































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