mardi 17 novembre 2020

LA PATERNITé SPIRITUELLE CHEZ LES PERES DU DESERT ET DANS LA TRADITION BYZANTINE. Par le Saint Père Ambroise ( Fontrier) de Paris.

 LA PATERNITé SPIRITUELLE CHEZ LES PERES DU DESERT ET DANS LA TRADITION BYZANTINE.

Par le Saint Père Ambroise ( Fontrier) de Paris.


CHOIX DE TEXTES


“Considère les années des générations passées...

Interroge ton Père (spirituel), & il te l’apprendra.

Tes Anciens, & ils te le diront...”

La Bible,

Deutéronome. 32, 7



Avant d’écrire les lignes qui suivent, nous confessons que, pour le Chrétien Orthodoxe, il n’y a qu’un seul et unique Maître Spirituel, qui est l’Esprit Saint, le Consolateur, l’Esprit de Vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit pas, et ne le connaît pas. “Vous le connaîtrez”, disait encore le Seigneur à Ses Apôtres, et à travers eux à tous ceux qui croiraient en lui, “vous le connaîtrez, car il demeurera avec vous et sera en vous...Il vous enseignera toute chose, & vous rappellera tout ce que je vous ai dit...Il vous conduira dans toute la Vérité...car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira tout ce qu’il aura entendu, et vous annoncera les choses à venir...

Sans le Saint Esprit, Esprit de Sainteté, nul ne peut recevoir l’Illumination spirituelle, nul ne peut contempler les Mystères, nul ne peut recevoir la Grâce déifiante, nul ne peut être changé & transformé, nul ne peut enseigner, nul ne peut être ni devenir Père spirituel Orthodoxe.

Le Seigneur a tracé la voie royale de la perfection : “ Si tu veux être parfait, va, et vends tes biens, distribue-les aux pauvres, et tu auras un trésor dans les Cieux. Puis, viens, et suis-moi.” Les Pères des Déserts, cette multitude d’hommes amoureux de Dieu, et plus qu’amants épris de Lui, au sens où Saint Paul dit “ J’ai été saisi, et pris par le Christ”, ont entendu l’appel du Seigneur, et, à cet appel, ont quitté ce monde, pour aller chercher la perfection, la purification et l’union avec Dieu, l’Union divine, dans “ les déserts et les montagnes, les cavernes,  grottes, et antres de la terre”, nous dit encore Saint Paul en son Epître. Ils ont pris à la lettre les commandements et préceptes de Dieu, les ont vécus, les ont médités jour et nuit.

Pour montrer combien la lutte est âpre, dure, & difficile, les Pères recouraient à cet adage, qu’ils usitaient à l’adresse de leurs enfants spirituels, pour les exhorter à persévérer dans le combat spirituel et la lutte ascétique - (car la constance est une grande vertu spirituelle, et très nécessaire autant que patience et la longanimité) : “Donne ton sang, et tu recevras l’Esprit.” C’est pourquoi ils sont devenus des Maîtres et des Pères spirituels, et ont formé cette lignée ininterrompue de Pneumatophores - ce qui est dire : Porteurs de l’Esprit (de Sainteté)-, de pasteurs véritables et authentiques, ayant atteint à la simplicité du coeur, la simplicité enfantine, celle de l’enfant spirituel, exigée par le Saint Evangile.

“Heureux les coeurs purs...et tous ceux qui, sans cesse, dans les profondeurs de leur coeur, méditent, invoquent, et prient le nom très glorieux & très désirable du Seigneur Jésus”, écrivent Callixte et Ignace, ces Saints Pères Théophores - ce qui signifie “ Porteurs de Dieu”-. Ceux-là peuvent voir la Lumière en leur intellect purifié...et parcourir en Dieu le restant de leur route & cheminement terrestre, marchant dans la Lumière de l’Esprit qui éclaire et illumine l’esprit, le coeur, et l’âme, puisque devenus fils de la Lumière de la Grâce illuminative et illuminatrice, d’un pas sûr et sans obstacle, la Providence, sans cesse déblayant la voie devant eux, et leur frayant un chemin sans encombres, puisque, dit le Psaume, qui ne ment pas : “ Les Anges te porteront, de crainte que ton pied ne heurte une pierre”, et comme  le dit encore Jésus, qui donne la Lumière de Sa Grâce, laquelle est Esprit aussi de Sainteté : “Pendant que vous avez avec vous la Lumière, croyez en la Lumière, afin de devenir fils de la Lumière.” Et aussi : “Je suis la Lumière du monde : Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la Lumière de la Vie.” Et David crie encore la même chose : “C’est en Ta Lumière que nous verrons la Lumière”. Et le divin Paul : “Dieu qui a dit que la Lumière brille au sein des ténèbres, c’est Lui qui a fait luire Sa clarté dans vos coeurs.” C’est par elle (la Lumière de la Grâce), comme de par une lampe inextinguible et toute brillante, que ceux qui croient en Vérité sont guidés mystériquement, et atteignent les choses spirituelles et mystérieuses qui sont au-delà des sens sensibles, et c’est par elle que s’ouvre à eux, par ce qu’ils sont purs de coeur, la porte céleste des Mystères mystiques, les menant en la Vie sublime qui les fait égaux aux Anges dans la chair purifiée. C’est alors que jaillit pour eux, non comme du disque solaire, mais du Christ-Soleil de Justice, le don de scruter, d’examiner, de discerner, de voir, de prévoir à l’avance, avec préscience, et d’autres dons semblables octroyés par la Grâce, & pour tout dire d’un mot, que leur sont sensiblement manifestés et tangiblement révélés les mystères indicibles et ineffables.  Ils sont lors emplis en Esprit, en force surnaturelle et divine, au point que, telle une poussière dans le soleil devenue subtile et comme  immatérielle, ils s’élèvent et semblent voler dans l’espace et le temps, et au-dessus de ces repères spatio-temporels même.

Par cette puissance illuminatrice à eux communiquée en l’Esprit Saint, et bien qu’ils fussent encore dans la chair, mais une chair purifiée, certains Pères, tels des Incorporels et des Immatériels, ont traversé des fleuves et des mers, et ont marché sur les eaux comme à pied sec, ont parcouru en un clin d’oeil de longues & interminables routes, ont accompli des prodiges dans le Ciel, sur la terre, sous le soleil et sur le soleil, dans les mers, dans les déserts, dans les villes, les cités, les bourgs, et les campagnes, en tous lieux, pays, et contrées, parmi les fauves et les reptiles, d’un mot dans toute la Création entière et parmi tous les éléments...Et à leur mort, leurs corps vénérables portent le caractère de l’incorruptibilité, laquelle manifeste la Grâce qui les habite, et continue de les habiter, jusque dans leurs saintes reliques. Et après la Résurrection générale et universelle, par la puissance illuminatrice de l’Esprit, ils seront élevés, comme ayant des ailes, dans les airs, à la sainte rencontre du Seigneur, comme l’a dit l'initié aux choses ineffables, le divin Paul, et ils seront toujours avec Lui. Et David chante également : “ Seigneur, c’est dans la Lumière de Ta Face que nous marcherons, et dans Ton nom nous nous réjouirons tout le jour”, ce qui est dire : "Dans l’Eternité à  toujours”. Et se fait entendre aussi  la grande voix d’Isaïe : “Mais ceux qui se confient dans le Seigneur prennent des forces nouvelles (reçues d'En-Haut); ils s’élèveront dans leur vol...”

“Le Saint Père Spirituel”, dit Saint Basile le Grand, est celui qui ne vit plus selon la chair, mais qui vit mené, conduit, et (en toutes choses) guidé par l’Esprit de Dieu; qui, lors, est devenu fils de Dieu, à l' image du Fils de Dieu. Un tel homme peut être dit & appelé spirituel. ”Il ne suffit pas, pour être un Père spirituel, d’avoir un charisme de l’Esprit, mais il lui sied d’avoir la Grâce en abondance, comme l’on vient de le voir, ainsi qu’Elisée, le Prophète, demandait à Elie son maître spirituel, le Prophète : “Que j’obtienne, je te prie, une double part de ton Esprit”. Il faut avoir guéri et maîtrisé ses propres passions avant que d’éclairer les autres. En un mot, il faut d’abord avoir acquis, avant que de pouvoir distribuer à profusion. Il faut être l’homme spirituel dont parle l’Apôtre Paul le divin. Car si l’homme charnel, qui n’entend rien aux choses de l’Esprit de Sainteté, commet par exemple l’iniquité (l’injustice), si l’homme psychique ne la commet pas, mais ne veut pas la subir, l’homme spirituel, lui, l’homme parfait, l’imitateur du Christ, non seulement ne commet pas l’injustice, mais il la subit, en rendant grâces, et ne cherche point à s’en venger, mais à l’épargner à autrui, et à l’annihiler radicalement de la terre des hommes.

Si l’on interrogeait les Pères du Désert sur ce que doit être le Père spirituel, ils répondraient avec Abba Poemène que : “ Celui qui en enseigne un autre, il faut qu’il soit lui-même en parfaite santé d’âme & sans passions. Il ne  faut pas fonder, construire, édifier, & consolider la maison du voisin au prix de ruiner la sienne propre. Celui qui enseigne les autres & n’effectue ni ne réalise rien de ce qu’il enseigne, est semblable à un puits qui arrose et lave ce qui l’environne, alors que lui-même est plein de toutes sortes d’impuretés.”

Abba Hyperechios disait que celui qui enseigne non par des paroles, mais par des oeuvres, est un sage véritable et un autre Père. Et il  compare celui qui enseigne seulement en paroles, et sans oeuvres, à un arbre qui a des feuilles et ne porte pas de fruits spirituels...

Saint Nil l’Ascète dit que “ ceux qui ont charge d’âmes doivent posséder une parfaite connaissance spirituelle, afin de diriger avec prudence ceux qui leur sont confiés. Ils doivent enseigner avec sagesse tout ce qui regarde le combat spirituel, et ne pas se contenter d’indiquer d’un geste de la main les choses de la victoire contre le Diable, mais diriger la lutte contre l’Adversaire et l’Ennemi des âmes. Car la lutte spirituelle est plus difficile que le combat qui regarde les corps. Dans l’un, ce sont les corps qui ploient, mais peuvent se redresser sans peine. Dans l’autre, ce sont des âmes qui tombent, et risquent de retomber dès qu’elles se sont relevées...”

Le même Saint Nil du Désert dit en somme que celui qui est encore dans les passions ne peut pas être un guide spirituel. Et il illustre son enseignement spirituel en interprétant spirituellement la Sainte Ecriture, prenant comme exemple le Roi David, qui voulait construire le Temple de Dieu. “ Si celui qui combat encore dans la vie passionnelle, et dont les mains sont couvertes de sang, veut édifier le temple de Dieu avec des âmes raisonnables, il entendra ceci, de la voix de sa conscience mise en lui par Dieu pour le juger & redresser ses voies : “ Ce n’est pas toi qui m’élèveras un Temple, car tu es un homme de sang...” Il faut donc être en paix, et pacifié, “de la paix divine et mystérieuse qui est au-dessus de toute intelligence”, dit l’Ecriture Sainte, pour pouvoir édifier un temple spirituel à Dieu...Voilà pourquoi Moïse prend la tente, et la dresse hors du camp, manifestant par là que le maître spirituel se doit de se trouver loin des bruits de la guerre, loin de l’armée toute  éclaboussée de sang, et qu’il doit résider en un lieu de prière & de paix...”

Saint Barsanuphe le Grand appliqua rigoureusement la règle de vie de Saint Nil, et vécut reclus, emmuré en la cellule d’une skite, sise hors du monastère, près de Gaza, en Palestine. Il fut le Père spirituel non seulement des moines de son couvent, mais également d’un grand nombre de Chrétiens. Il ne voyait jamais personne, et l’on correspondait avec lui par petits billets de papier, et par l’entremise de l’Abba du Monastère. “C’est dans sa cellule”, écrit de lui Saint Nicodème l’Athonite, “qu’il récolta et goûta le très doux miel de l’hésychia. Il s’imposa une pénitence si rigoureuse qu’il ne trouva de consolation que dans les larmes...Il pouvait se passer de manger, de boire, & de se vêtir  - il n'avait que des guenilles -, car, sa nourriture, sa boisson, son vêtement, c’était le Saint Esprit...A  l’humilité  lui fut ajoutée la plus grande des vertus peut-être, celle du discernement spirituel...Au discernement, s’ajouta le don de voir & de scruter les raisons mystérieuses et les causes spirituelles des êtres sensibles, et des êtres intelligibles même. Puis, s’adjoignit en son âme le don de voir les choses lointaines, tout comme si elles étaient proches, le don de prophétie, le don de lire dans les coeurs, & comme à livre ouvert, & le don de connaître les pensées d’autrui....En père tendre qu’il était, il ne cessait jamais de prier  jour et nuit Dieu, pour qu’Il fît de ses frères des Théophores. Voici ses paroles : “ Avant que vous ne le demandiez, par la flamme embrasée qui brûle en moi pour le Christ qui a dit : “ Aime ton prochain comme toi-même”, par les ardentes - brûlantes- brûlures de l’Esprit Saint, je ne cesse jamais, de jour comme de nuit, de prier Dieu de vous faire tous Théophores, d’habiter en vous, d’envoyer en vous l’Esprit Saint...Je suis devenu pour vous un Père, qui met tout en oeuvre pour mobiliser Ses enfants pour le Roi de Gloire...”

Saint Barsanuphe est le modèle grandiose du Père spirituel, dont l’ambition est de faire de ses enfants des porteurs de Dieu. Dans l’amour du prochain, il parvient à la mesure spirituelle d’un Paul, d’un Moïse. “ Crois-moi, frère”, écrivit-il à quelqu’un, “ je suis prêt à dire à mon Maître Jésus Christ, qui se réjouit des demandes de Ses serviteurs : “ Introduis-moi dans Ton Royaume avec mes enfants, ou efface-moi de Ton Livre de Vie éternelle.”

L’Art, la manière d’enseigner du Père spirituel est toujours vivant, simple, comme une parabole de l’Evangile. Souvent, les exemples sont pris dans la Sainte Ecriture, comme dans le suivant, où Dieu dit à Ezéchiel : “ Toi, fils de l’homme, prends une brique, pose-la devant toi, et dessine sur elle une ville : “Jérusalem”. - & c’est la Jérusalem Céleste.- Par là, il est signifié, selon les Pères, que le maître spirituel doit faire de son disciple, qui est sur terre, un temple saint. “ Souligne bien”, dit Saint Nil, “ les mots : “ Pose-la devant toi”, car les progrès spirituels du disciple seront rapides si celui-ci se trouve en permanence sous les regards de son Père spirituel. Le spectacle continuel des bons exemples donnés par le saint Père imprimera des images semblables dans les âmes les plus sèches & les plus endurcies...” Puis, un nouvel exemple est emprunté à l’Ecriture : Judas a trahi dès qu’il s’est soustrait aux regards du Maître.

Voici une autre manière  usitée, celle d’un des Pères du Désert, pour redresser l’un de ses Fils venu le consulter.

“- Je viens te trouver, Père”, dit-il, “ pour te dire que je vais attaquer en justice un voisin qui me fait beaucoup de tort...”

“- Fais comme bon te semble,”lui répondit l’Ancien.

“-J’y vais donc de ce pas.

“Va. Mais, auparavant, prions un peu.” Et l’Ancien se mit en prière, & récita le Notre Père. Parvenu aux paroles : “ Remets-nous nos dettes, comme nous remettons à nos débiteurs...,” l’Ancien dit ceci : “ Ne nous remets pas nos dettes, comme nous ne remettons pas à nos débiteurs.”

“- Père!”, le coupa l’autre, “tu te trompes ! Ce n’est pas ainsi...”

“- Mais”, repartit l’Ancien, “ n’est-ce pas cela que tu as décidé de faire?”

Et le Chrétien partit spirituellement édifié, instruit, le regard intérieur tourné sur sa faute.

Le Saint Père spirituel, celui qui est véritablement un maître, dit Saint Cassien le Romain, est indispensable à celui qui veut pratiquer l’Art spirituel. ( & ce, dans les premiers temps surtout de son initiation à la vie spirituelle).

Si pour les arts & les sciences humaines nous avons des leçons à recevoir, & s’il nous faut nous en instruire, par devoir, dans le but & la visée d’y progresser notablement, bien que ces choses soient pour nous à portée de mains, d’yeux, & d’oreilles, s’il ne nous en faut pas moins un maître éprouvé pour nous y diriger doctement, n’est-ce pas folie que de prétendre apprendre sans maître l’Art spirituel, lequel est l’Art de tous arts le plus difficile, un Art caché, mystérique, secret, invisible, où la Grâce, mystérieusement,  agit, & tel que celui-là seul peut le saisir qui a le coeur purifié? Echouer en cet art n’est point simplement dommageable. Mais il y va de la perdition & de la mort éternelle de l’âme. Aussi est-ce à un Saint Père Orthodoxe, & à un Saint seulement, qu’il nous faut confier notre âme néophyte comme à un maître en l’Art des arts.

“ On ne peut apprendre de soi-même  la science des vertus”, enseigne encore un autre Père, Saint Grégoire le Sinaïte, bien que certains aient recouru à l’expérience comme maître. Celui qui agirait ainsi, & ne prendrait pas conseil auprès de ceux qui ont progressé est un présomptueux. Si le Fils ne fait rien qu’Il ne voit faire au Père, si l’Esprit Saint ne parle pas de Lui-Même, quel est donc celui qui peut prétendre être monté si haut dans la vertu sans personne pour l’initier? Folle témérité! S’il croit posséder la vertu, il se trompe. Remettez-vous donc à ceux qui connaissent les douleurs de la vertu pratique, c’est-à-dire le jeûne jusqu’à la faim, la chaste continence, les veilles prolongées dans la nuit, les prosternations épuisantes, jusqu’au nombre de trois cents & plus pour les moines Grands Schèmes du Grand Habit Angélique, la station debout & immobile, la prière  persévérante, l’humilité véritable, la contrition du coeur, les soupirs incessants invoquant l’Esprit, le silence béni enveloppant la prière du coeur, &, en toute chose, la longanime patience... L’Ecriture Sainte dit bien : “Tu mangeras les peines & les douleurs de tes vertus”, et aussi : “ Le Royaume des Cieux appartient à ceux qui en forcent l’entrée.”

Bien qu’il ait vécu en ascète dans la pratique de toutes les vertus, un souci préoccupait Saint Grégoire le Sinaïte : celui de trouver un homme spirituel qui fût en mesure spirituelle de le conduire & de le mener là où il n’était pas parvenu de lui-même, car  il sentait au fond de son coeur comme un vide encore qu’il fallait combler, & le besoin d’apprendre ce que les Anciens qu’il avait connus ne lui avaient pas enseigné. “ Dieu exauça sa demande, & lui donna le guide spirituel qu’il cherchait. Il révéla à un certain Père Arsène, anachorète, l’existence de Grégoire, & son désir ardent de s’élever plus haut encore sur les cîmes spirituelles. Arsène, poussé par le Saint Esprit, se  rendit chez Grégoire, qui le reçut avec joie. Après les salutations d’usage, propres aux moines, le vieillard & saint Ancien Arsène commença de parler, comme s’il lisait en un Livre divin. Il parla de la garde de l’intellect, de la purification du coeur, de l’attention & de la vigilance neptiques, de la prière intellective et hyper-noétique, dévoilant comment l’intellect se purifie par la pratique des commandements & des divins préceptes, & comment l’esprit devient Lumière, sous l’effet de la Grâce déifiante.

Puis, s’adressant à Grégoire, il lui demanda :

- Et toi, donc, mon fils, quel est ton labeur et ton oeuvre spirituelle ?

Le divin Grégoire lui cexposa tout ce qu’il avait fait depuis le commencement : sa séparation d’avec le monde, son amour de la solitude, tous les combats qu’il y avait livrés...

Le divin Arsène, qui connaissait parfaitement la voie fort ascendante qui mène aux sommets de la vertu, sourit, et lui dit :

“- Tout cela, mon enfant, tout ce que tu viens de me conter se dénomme, selon les Pères Théophores, “Praxis”- “Pratique”-, & non point encore Théoria - “Contemplation.” En entendant ces paroles, Grégoire tomba aux pieds de l’Ancien, & le supplia, au nom du Seigneur, de lui enseigner ce qu’était la prière intellective & hyper-noétique, l’hésychia priante, la garde de l’intellect, & la prière du coeur.  Arsène prit là occasion, sans perdre plus de temps, d’entreprendre  d’initier son nouveau disciple, & de lui commmuniquer tout ce que lui-même avait reçu de la Grâce divine.

Dans l’Orthodoxie, ce n’est pas la règle qui fait le moine, mais le Saint Père & maître spirituel. Nous avons connu des moines qui ont quitté leur monastère pour aller vivre auprès d’un saint Père spirituel, puis en chercher à nouveau un autre après la mort de ce dernier. Saint Grégoire a formé des disciples dignes du Royaume des Cieux. C’est lui qui a manifesté au monde Saint Maxime le Kavsokalyvite - le Brûleur de cabanes-, qui jusque là errait dans les déserts athonites,  se faisant passer pour fou. Un maître et Père spirituel non manifesté par un autre, non recommandé,  dirions-nous,  par un autre maître connu de ses Pères & éprouvé par ses fils spirituels,  est un faux maître,  & peut-être même un gourou, dont il faut se garder. Le Christ se réfère à Son Père, & le Père le manifeste au monde. Il a deux témoins lors de son Baptême dans le Jourdain, le Père & l’Esprit, descendu sur Lui sous forme de colombe. L’Esprit ne parle pas de lui-même, mais il dit ce qu’il a entendu auprès du Père. Nous avons souvent entendu chez les anachorètes poser la question suivante : “ De qui es-tu disciple? De quel saint Père & maître spirituel? ”, qu’ils se posent lorsqu’ils se rencontrent la première fois, pour savoir aussitôt à qui ils ont affaire. Et nous avons entendu de saints moines avouer aussi qu’ils ne se déplaçaient pas toujours pour aller accueillir les pèlerins qui leur arrivaient, fût-ce de très loin : “ Cela dépend de qui il s’agit”, disaient-ils, &, traduisant en anglais, au cas où l’on ne les aurait pas compris : “ It depends on who it is.” Car les Saints ont aussi entre eux leurs “ V.I.P” - “Very Important Personns”-.

Revenons à Saint Grégoire & à son disciple Kalliste, qui devint plus tard Patriarche de Constantinople, & pénétrons, grâce à celui-ci, dans la sphère intime et la familiarité de son maître, par le récit & l’entretien qui suit :

“- Je le questionnais d’une manière simple & dépourvue de curiosité, quand je le voyais sortir de sa cellule, le visage en joie...Et il me disait :

- L’âme qui s’attache à Dieu, qui a été blessée de Son Amour, qui est montée & s’est élevée au-dessus de toute la création, qui vit au-dessus de tout le visible, qui est tout entière enchaînée par le désir de Dieu, ne peut plus se cacher tout-à-fait totalement ni complètement à la vue des autres. Car la Grâce, de toutes parts transpire de cet être, et jusqu’au plus loin de lui rayonne mystérieusement, & surpuissamment. Du reste, le Seigneur Lui-Même annonça de tels prodiges, lorsqu’Il dit : “ Ton Père, qui voit dans le secret (des coeurs) se manifestera au vu & au su de tous.” Et encore : “Qu’ainsi brille votre lumière devant les hommes, afin que, voyant vos oeuvres bonnes, ils rendent gloire à votre Père qui est dans les Cieux.” Car le coeur danse de  joie, l’esprit tressaille d’allégresse, le visage rayonne de joie, selon le Sage qui a dit : “ Le Coeur en liesse fait resplendir de joie le visage.”

- Je lui dis encore : “Divin Père, enseigne-moi, pour l’amour de la Vérité, ce qu’est l’âme , & comment les Saints la prennent en vue. Oui, dis-moi : Comment la considèrent-ils?

Lui, accueillant favorablement ma requête, & avec toute la sérénité tranquille qui lui était coutumière :

“ Très cher enfant spirituel”, me répondit-il, “ ne cherche pas ce qui est au-dessus de ta portée, & n’examine pas ce qui est plus profond que toi. Devant la question d’importance que tu viens de poser, tu n’es encore qu’un enfant, ce qui est dire spirituellement imparfait.

Tu ne peux ingérer encore une nourriture solide, non plus qu’appréhender ni saisir des choses qui sont au-dessus de ta mesure spirituelle, & dont la compréhension, de ce fait, par imparticipation à leurs Faits Mystériques,  t’échappe. La nourriture  solide & substantielle des hommes faits ne convient pas aux nourrissons qui ne peuvent absorber & digérer que du lait.

Je tombai à ses pieds, et les pressai fortement, le suppliant avec plus d’insistance encore de m’en donner l’explication. & lui, condescendant à ma prière, me dit, quoique  très  brièvement, & comme en passant, &, par souci d’humilité, comme l’air de rien :

- Si quelqu’un ne voit pas la Résurrection de son âme, il ne peut apprendre ce qu’est exactement l’âme toute spiritualisée.

De nouveau, insistant respectueusement, je le priai de m’en dire plus :

- Montre-moi, Père, si tu es parvenu au sommet de cette  ascension spirituelle, c’est-à-dire si tu as appris, toi, ce qu’est l’âme spiritualisée toute, entièrement devenue spirituelle.

Lors, c’est avec beaucoup  d’humilité qu’il me fit cette réponse, toute simple, & confondante, en vérité, de sainte simplicité :

- Oui.

- Pour l’amour du Seigneur, repris-je alors, enseigne-moi encore cela, pour le bien de mon âme.

Cette âme divine & toute vénérable satisfit alors à mon saint désir, & me dispensa cet enseignement si spirituel :

- Lorsque l’âme a mis toute sa volonté entière à combattre les passions par le moyen et truchement de la mise en oeuvre  de toutes les vertus  pratiques, avec  la raison surrationnelle & le discernement spirituel,  peu à peu elle les réduit,  & progressivement se les soumet . Après les avoir soumises, elle cultive les vertus naturelles qui l’enseignent et la conduisent aux choses qui sont au-dessus de la nature, l’y faisant monter comme par une Sainte Echelle spirituelle, dont les degrés sont les vertus. Quand l’intellect purifié, par la Grâce du Christ, & désembarrassé de toute pensée mauvaise, est parvenu dans la sphère supérieure qu’est le monde spirituel, il est alors illuminé par la Lumière du Saint Esprit. Il s’élargit lors, lumineusement, dans la contemplation des choses saintes,  il s’élève au-dessus de lui-même, se dépasse, & se surpasse, selon la mesure de la Grâce de l’Esprit de Sainteté que Dieu lui a répartie, et il voit plus clairement, plus purement, jusqu’en leur intime, la nature profonde des êtres, selon l’ordre & la relation qui leur sont propres, & non plus comme spéculent, en un rapport d’extériorité,  les philosophes du dehors, qui ne perçoivent que l’ombre des choses, & qui ne cherchent pas à suivre, comme il convient, l’opération de la nature. Car, comme l’enseigne l’Ecriture  Divine, “ils se sont égarés dans leurs vains raisonnements,  & leur coeur sans intelligence s’est rempli de ténèbres.”

Mais l’ame qui a reçu les embaumantes arrhes de la Grâce du Saint Esprit, par les fréquentes contemplations qu’elle a des choses d’en bas & d’En Haut, peu à peu délaisse ce qui est en bas, pour ne plus faire que  monter &  s’élever  vers ce qui est En Haut, le plus divin. Comme le dit Saint Paul aux Philippiens, “ oubliant ce qui est derrière moi, & m’élançant vers ce qui est devant moi,  je cours vers le but suprême...” L’Ame,  ainsi éclairée & illuminée par l’Esprit de Sainteté, brille, resplendit, scintille, & lumine toute. Elle est peu à peu élevée jusque sur les sommets de la contemplation. Unie à l’Epoux céleste, Christ, par l'immortel Eros - car cet Amour pour Dieu est,  pour le Saint, Erotique Divine-,  s’entretient continûment avec Dieu, comme dialoguant toujours avec Lui, qui surabondamment la comble, & de Ses richesses l’adorne.”

“ Lorsqu’on rencontre & que l’on trouve de tels maîtres spirituels, “ dit Nil l’Ascète, “ les disciples, lors,  se doivent dans les premiers Temps de renoncer à eux-mêmes, & à leurs volontés propres, au point de ne différer plus, presque, d’un corps inanimé, pour devenir telle la matière docile, ductile, & le matériau façonnable de la glaise montant au tour entre les mains heureuses du Saint potier qui lui confère forme, art, & signification... Car c’est ainsi, oui, c’est ainsi que travaille la vertu le Maître chez ses disciples bénis,  par ses Saintes Prières devenus assez  dociles, dans leur si grand soif d’apprendre les Mystères de son Art, pour ne le contredire jamais, le sachant saint.

“ Ne te leurre donc pas, mon enfant, en te croyant capable de te guider tout seul dans le labyrinthe ardu des choses spirituelles,” conseille Abba Poemène. “ Va te soumettre à un Ancien, & laisse-le te diriger en tout.” Un autre Père du Désert, instruisant un novice, lui disait : “ Sois, frère, comme le chameau. Charge-toi de tes imperfections, & laisse-toi guider par un Père spirituel sur la voie sainte qu’il connaît mieux que toi, ô combien! incomparablement.” Car le fils spirituel auprès de son Saint Père a la semblance d’un nain aux côtés d’un géant; sa lumière est celle d’une lanterne sourde auprès d’un astre irradiant son irrésistible chaleur; et sa science est celle d’un néophyte se mesurant à un génie de l’humanité, hélas!

“ Si l’on veut critiquer les recettes de Vie auxquelles recourt le maître, l’on ne progressera jamais, car ce qui, aux yeux du disciple, peut paraître sans importance, voire insensé,” dit encore Saint Nil, est en vérité  fort bon, & de très longue date, et du tréfonds, et de Très Haut éprouvé. Celui qui est Artiste, & celui qui ne l’est pas, mais ne comprend rien à l’Art, jugent différemment l’oeuvre  d’art. Le premier a la science pour règle, ou plutôt il donne à la nature son génie pour seule & unique règle de tout, que, pour finir, il lui impose, de par la force de son art, & le second n’a pour critère que la ressemblance aux choses déjà vues, conformes à ses préjugés banals & à ses préventions indigentes.”

L’on dit qu’Abba Jean le Kolobe, avant de devenir ascète, vécut de longues années, sous la direction spirituelle d’un Ancien, dans la Thébaïde. Son maître, au commencement, qui voulait l’éprouver, un jour le prit, & lui fit faire une interminable & harassante marche de douze longues heures, depuis leur hutte de branchages jusqu’en un lieu aride du désert. Là, l’Ancien prit son bâton, le piqua dans la terre, & ordonna au jeune Jean, son disciple, de venir tous les jours l’y arroser, en y venant porter un lourd seau d’eau depuis sa hutte, située, donc, nous l’avons vu, à douze heures de là. Le bon disciple fit nonobstant avec zèle ce que son maître & Père spirituel lui avait enjoint de faire. &, trois ans après, voici que le bois sec reprit vie, & se mit à produire des noix fraîches. L’Ancien les cueillit, &, le Dimanche suivant les apporta aux Ermites, qui, une fois la semaine, ce saint jour, se retrouvaient à l’Eglise. Après l’Office divin, il les leur distribua donc, leur disant : “ Venez, Frères, & goûtez aux fruits de l’obéissance.”

           Abba Hyperéchios disait que l’obéissance était le joyau le plus précieux du moine. Celui qui le possède sera exaucé de Dieu, & entrera dans la familiarité du Crucifié, qui s’est fait obéissant jusqu’en mourir.

Saint Marc l’Ascète, fidèle à la Tradition des Pères Saints, enseigne de même : “ Il est dangereux de vivre seul, selon sa fantaisie, sans nul témoin, ou avec des hommes sans expérience réelle du combat spirituel. Les machinations du Mauvais sont innombrables, celées, et fort dissimulées, & ces pièges de l’Ennemi sont de surcroît divers et variés, & partout habilement posés & disposés. C’est pourquoi, dans la mesure du possible, il faut s’appliquer à vivre avec des hommes sages & vertueux, ou les voir fréquemment. Quand on ne possède pas la lampe de la connaissance véritable, pour n’avoir pas atteint encore l’âge spirituel des parfaits, étant encore enfant inexpérimenté de ces pièges de l’ennemi des âmes, il sied de suivre celui qui possède, porte, et tient haut la lampe, en manière de ne pas marcher à l’aveugle pour trébucher dans les ténèbres, de ne s’exposer pas aux périls des tumultueux orages, & des froids intenses, et ne courir point le risque de tomber tout vivant en la gueule des fauves anti-spirituels qui peuplent ces ténèbres, & s’emparent, pour les dévorer tous crus, jusqu’à l’os de l’âme, de ceux qui marchent dans le noir de leurs âmes égarées, sans la lampe spirituelle de la divine parole de l’Esprit du Verbe.”

Relativement à cette fréquentation de sages hommes saints, plus d’une histoire de Désert nous viennent à l’esprit: Un Ancien disait que celui qui entre dans une parfumerie, même s’il n’achète rien, en ressort tout imprégné de bonnes odeurs & de suaves effluves. La même chose advient à celui qui fréquente de saints hommes, car il s’imprègne, sans même s’en aviser parfois, du parfum de leurs embaumantes vertus.

“ Trois Anciens”, lit-on dans la Vie de Saint Antoine, “ avaient coutume de se rendre une fois l’an au Mont de l’Abba Antoine, pour y recevoir l’enseignement spirituel du grand Saint. Une fois, deux d’entre eux lui posèrent des questions sur l’ascèse de l’âme & du corps, pour donner ainsi au saint occasion d’épancher la sagesse divine qui jaillissait de ses lèvres saintes. Le troisième écoutait en silence, & ne posait nulle question. Le saint lui dit alors :

- “Depuis tant d’années que tu me viens visiter, tu n’as pas encore posé une seule question. Ne veux-tu rien apprendre de l’ascèse?”

- “Il me suffit de te regarder, Abba”, repartit l’autre Ancien. Cela m’a beaucoup enseigné”.

De tout ce qui précède, nous apprenons qu’il n’est pas d’autre voie sûre que celle de confesser tout le jour ses pensées, dans l’entretien spirituel, & la vie quotidienne aux côtés de l’Ancien & des Pères qui ont le don de discernement spirituel, de ne recevoir que d’eux seuls la règle de leur conduite dans la vertu, & de ne se fier jamais à son jugement propre...Car, se confesser à quelqu’un qui n’a pas & ne possède pas le discernement spirituel, non plus qu’il n’a davantage l’expérience pratique & théorétique de la vie spirituelle, c’est risquer sa propre perte, & jusqu’à la sienne ensemble. Abba Poemène conseille donc de ne pas livrer ni confier le secret de sa confession à quelqu’un sur qui notre conscience ne nous avertit pas de ce qu’il est réellement au fond de lui.

Abba Cassien et la suite de ses moines visitèrent Abba Moïse - qui fut un ancien brigand Ethiopien devenu, par la vertu de la pénitence, l’un des plus grands saints, des plus illustres, et des plus réputés du Désert-, et ils l’interrogèrent sur la confession des pensées. Moïse leur répondit : “ Il est très bon, mes enfants, de ne pas celer ni cacher ses pensées aux Pères, mais de les confesser librement & purement. Il ne faut pas écouter ses jugements propres, ni se fier à soi, mais se soumettre sans restriction à ceux des Pères Saints. Il ne faut cependant pas davantage livrer à n’importe qui les secrets de son coeur, mais à des Anciens seulement, devenus spirituels, qui savent discerner, qui ont le bon témoignage de beaucoup de leurs Pères, & non point seulement des cheveux blancs & chenus. Car, nombreux sont ceux qui s’attachent à la forme extérieure du Père, & croyant livrer leurs pensées à un saint, c’est à un gourou égaré qu’ils les dévoilent; lors, au lieu de la guérison spirituelle, c’est le désespoir qu’ils en obtiennent, à cause de l’inexpérience de ceux qui les ont entendus, & de l’abus de confiance & de liberté qu’ils en ont fait.”

Saint Maxime le Cavsocalyvite - le Brûleur de cabanes, car il brûlait toutes ses cellules l’une après l’autre, par crainte de par trop s’y attacher- fut ainsi la victime, d’abord, d’un confesseur inexpérimenté & usurpateur de cette fonction spirituelle de confesseur, auquel il avait confessé  ses visions spirituelles, & l’apparition de la Mère de Dieu, qu’il avait rencontrée au sommet du Mont Athos. Lequel faux confesseur le traita, lui, d’égaré & de fou. Mais, ce fut une grâce pour Saint Maxime, qui usa de cette catégorisation arbitraire et erronée, & de l’épithète même, discriminante, diffamante, humiliante, & vexatoire, “d’égaré”, pour se préserver de la louange des hommes, criant à tous ceux qui tentaient de l’approcher : “ Eloignez-vous de moi, je ne suis qu’un égaré.”

“Les Pères expérimentés”, enseigne Cassien le Romain, ne se meuvent pas d’eux-mêmes, mais leur motion et leur agir sont célestes, car c’est Dieu, l’Esprit de Grâce Providente, et ce sont les Ecritures inspirées aussi qui les meuvent. Qu’il faut interroger ceux là seuls qui sont avancés dans la vertu, c’est ce que l’on peut apprendre de par nombre de passages de l’Ecriture Sainte, comme dans la Vie de Saint Samuel, qui fut, tout enfant, consacré à Dieu par sa Mère, qui fut digne de converser avec le Seigneur, & qui pourtant ne se fia point à son jugement, & s’en fut consulter son Père spirituel Eli, pour apprendre de lui ce qu’il devait répondre à Dieu. Et bien que Dieu l’eût, par Son appel, rendu digne de Lui, Il continuait de le vouloir soumis à son Père spirituel, afin de le faire progresser dans l’humilité.

De même, le Christ qui choisit Paul, & l’appela, sur le chemin de Damas, eût pu lui ouvrir immédiatement les yeux, et lui montrer aussitôt, et d’emblée, la voie de la perfection spirituelle. Et cependant, il l’envoya d’abord à Ananie, et lui enjoignit d’apprendre de ce dernier la voie de la Vérité, lui disant : “ Lève-toi, rentre dans la ville, & là, l’on te dira ce que tu devras faire.” Par là, & de telles choses, il nous est donc enseigné de nous laisser  guider par ceux qui sont parfaits...” Je montai,” dit Paul, “ à Jérusalem, pour voir Pierre & Jacques, pour leur exposer l’Evangile que je prêchais, de peur de courir ou d’avoir couru en vain”, & ce, bien que la Grâce du Saint Esprit le suivît dans la puissance des miracles qu’il accomplissait. Quel est l’orgueilleux & le présomptueux qui osera se fier à son propre jugement sur lui-même, quand le vase d’élection confesse qu’il a besoin de l’avis des Saints Apôtres? Il est donc clair - et ces faits le démontrent- que le Seigneur ne révèle à personne la voie de la perfection, si ce n’est à ceux qui y sont guidés par leurs Pères spirituels, & si & seulement si encore ceux-ci sont véritablement Saints & Orthodoxes. C’est pourquoi Dieu dit par le Prophète : “ Interroge ton Père, & il te l’apprendra, tes Anciens, et ils te le diront...”

Comme l’Apôtre, le Saint Père spirituel connaît les douleurs de l’enfantement spirituel, dans les attaques des démons déchaînés contre lui, car les démons revendiquent & convoitent à mort l’âme du fils spirituel, dit Nil l’Ascète, & viennent le troubler de nuit comme de jour, suscitant contre lui les calomnies, les difficultés de toutes sortes, les dangers, & les périls sans nombre, jusqu’à leur cessation, après que  l’ascète a remporté le prix et le trophée de la victoire spirituelle sur le Diable.

“Il advient parfois, ” dit Saint Jean le Carpathe, que le maître se livre au déshonneur, & subisse des épreuves pour le bien de ses disciples. “ Nous sommes sans honneur et méprisé, vous, vous êtes glorieux et forts en Christ”, écrit Paul aux Corinthiens.

Saint Syméon le théologien fut attaqué par ses propres moines, incités & excités à ce faire par le Diable. Le Patriarche de l’époque, affecté par leurs calomnies, les condamna à l’exil, mais, sur la demande et les prières du saint revint sur sa décision, & se contenta de les disperser. Mais, en bon berger qu’était le saint, ne pouvant souffrir de voir sa bergerie & son bercail vides, il se mit en quête de les retrouver tous, & leur fit parvenir ce qui était indispensable à leur vie et à leur subsistance. Il s’en alla les trouver ensuite un à un, leur demandant pardon comme s’il les avait offensés. C’est ainsi qu’au bout d’un temps, il parvint à les rassembler tous dans son monastère.

“ Reçois donc et écoute avec piété les Instructions spirituelles & divines des Pères. Les choses spirituelles sont inaccessibles à ceux qui manquent d’expérience Spirituelles”, dit Saint Macaire. La communication et communion du Saint Esprit, - c’Est l' Esprit de Sainteté - , est octroyée en don à l’âme fidèle, puis sainte...C’est à celui qui a acquis l’expérience que sont sensiblement et tangiblement manifestés les trésors célestes de l’Esprit. Mais, celui qui n’est pas initié n’y peut absolument rien comprendre.”

    Les Saints Kalliste et Ignace nous apprennent encore ceci : “ Ecoute donc avec  piété ce que ton Père saint te dit de ces choses, jusqu’à ce que tu deviennes digne de les recevoir à ton tour. Tu verras alors, par les yeux expérimentés de l’âme, à quels biens supérieurs et à quels divins Mystères les âmes des Vrais Chrétiens Orthodoxes peuvent dès ci-bas communier mystériquement...”


                                                                          (R.P.)Révérend Père Ambroise (Fontrier).


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