lundi 6 avril 2020
L'Ancien Païssios de la Sainte Montagne.
Hiéromoine
Isaac
L'ANCIEN PAÏSSIOS
DE
LA SAINTE MONTAGNE
GRANDS
SPIRITUELS ORTHODOXES
DU XXe
SIECLE
L'AGE
D'HOMME
TRADUCTION
D'YVAN KOENIG
PREMIERE
PARTIE
VIE
CHAPITRE
I
LES
ANCETRES
SELON LA CHAIR ET
SELON L'ESPRIT
1.
Les marches de Pharassa.
Pharassa
ou "Varasio", la patrie de l'Ancien Païssios, était avant
l'échange des populations (1) un chef-lieu prospère et bien tenu
sur les marches de l'hellénisme de Cappadoce.
(1)
: ( L'échange des populations entre la Grèce et la Turquie fut une
conséquence du traité de Lausanne (1924) qui suivit la défaite
grecque en Asie Mineure. Les Grecs d'Asie Mineure (plus d'un million
et demi de personnes) durent gagner la Grèce, tandis que les Turcs
vivant en Grèce durent aller en Turquie).
Les
six villages de la région de Pharassa se trouvent à environ deux
cents kilomètres au sud de Césarée. Bien qu'isolés au fin fond de
l'Asie Mineure, ils réussirent à conserver inaltérée
l'Orthodoxie, la conscience hellénique, ainsi que leur langue.
Les
"Varasiotes" étaient renommés pour leur courage. Grâce à
leur bravoure, leur village demeura inaccessible aux Tsétés, telle
une parcelle libre de la Grèce aux extrémités de la Cappadoce, en
sorte que beaucoup de Grecs pourchassés par les Turcs y trouvèrent
refuge.
(2)
: ( Bandits turcs).
C'est
pourquoi les Pharasiotes furent appelés à juste titre des Maccabées
(3).
(3)
: ( Famille sacerdotale juive qui fut à l'avant-garde du combat
contre Antiochus IV Epiphane (175-164 A.C.). Métaphoriquement
désigne le combat ardent pour la foi et la patrie).
Les
femmes de Pharassa n'étaient pas en reste quant au courage et à
l'héroïsme. Un jour, les Turcs pourchassèrent un groupe de femmes
pour s'en emparer. Parmi celles-ci se trouvaient aussi des parentes
de l'Ancien. Elles préférèrent se jeter dans le fleuve et s'y
noyer, pour préserver leur foi et leur honneur, plutôt que d'e^tre
prisonnières des Turcs et avilies dans leurs harems.
Il
y avait à Pharassa cinquante églises. Certaines provenaient
d'anciens monastères qui avaient été jadis florissants. Il y avait
beaucoup de sources saintes, connues dans toute la Cappadoce pour
leurs miracles. L'église principale était consacrée aux saints
martyrs Barachèse (4) et Jonas qui, selon la tradition, ont été
martyrisés en ce lieu au milieu du IVe siècle.
(4)
: ( Ou Barakhissios. Ce saint est fêté avec saint Jonas le 29
mars).
Les
Pharasiotes étaient les héritiers d'une exceptionnelle tradition
ascétique qui trouve son origine dans les illustres Pères
Cappadociens. Ils aimaient l'Eglise, ils étaient pieux et
témoignaient d'un esprit de lutteur. Lors du Grand Carême et des
jours de jeûne, la plupart d'entre eux ne mangeaient pas avant la
neuvième heure (5) byzantine.
(5)
: ( C'est l'heure des Vêpres. C'était l'heure de la prière du soir
dans le Temple de Jérusalem (Act 3, 3). C'est aussi l'heure à
laquelle le Christ mourut).
L'ultime
éclat et la réalisation la plus achevée de cette tradition fut le
prêtre du village, saint ARsène de Cappadoce (1841-1924) (6).
(6)
: ( Sa Vie a été écrite par l'Ancien Païssios : Saint Arsène de
Cappadoce, traduction française par le monastère
Saint-Jean-le-Théologien, Souroti, 1996).
Sa
vie sainte et ses nombreux miracles firent que non seulement les
chrétiens accouraient pour le voir, mais aussi des musulmans de
toute la Cappadoce.
2.
Sa famille.
Vivant
dans cet environnement béni, les ancêtres de l'Ancien se
distinguèrent par leur exceptionnelle piété.
Sa
grand-mère Hadji-Christina avait sa propre chapelle consacrée à
l'archange MIchel, loin du village. A l'occasion, elle y demeurait
solitaire dasn l'hésychia*, se consacrant à la prière et au jeûne.
Lorsqu'en hiver elle était isolée par la neige, elle trouvait un
pain chaud à la fenêtre de la chapelle. Elle faisait une prière et
le mangeait. Elle avait aussi une maison à Adana. Elle y donnait
l'hospitalité à saint Arsène, lorsqu'il se rendait à pied en
pèlerinage aux Lieux Saints.
A
l'origine, leur nom de famille était Hadji-Digénis. Par la suite,
ils furent obligés de prendre comme nom de famille le nom de
l'arrière-grand père de l'Ancien, qui s'appelait Théodose. Son
père s'appelait donc initialement Prodromos Théodosiou. Mais comme
les Turcs le pourchassèrent, il changea encore une fois de nom et
prit celui de Eznépidis, ce qui veut dire "étranger".
Rejeton d'une famille noble de Pharassa, qui conservait
l'administration du village depuis des générations, il en fut le
maire pendant des décennies, parce qu'il avait un charisme
d'administrateur. C'était quelqu'un de confiance et de pieux. Il
vénérait particulièrement saint ARsène et il lui obéissait en
tout.
Prodromos
était un habile artisan; il savait tout faire. Il travaillait comme
cultivateur à Pharassa, mais il avait aussi un four qui produisait
du fer. Il était courageux, entreprenant et téméraire. Depuis sa
jeunesse, il explorait les religions inaccessibles de Pharassa et
excaladait des rochers escarpés. Âgé de seize ans, il blessa un
lion en se battant avec lui. Mais c'était avant tout un patriote, un
combattant courageux, un excellent tireur, et un acrite (7)
intrépide.
(7)
: ( Habitant et garde d'une zone frontalière du territoire grec).
Il
sauva à plusieurs reprises le village des incursions des Tsétés.
Un jour, il s'habilla comme une femme turque et se rendit dan sleur
repaire. Là, il demanda à voir le chef, lui prit son arme et, aidé
de ses jeunes gars, il chassa les Tsétés.
Il
fut en danger à d enombreuses reprises; une fois il fut même fait
prisonnier, mais les prières de saint Arsène le protégèrent.
Lorsque, en
tant que maire du village, il se rendit à Adana pour les affaires du
village et qu'il s eprésenta devant Kémal, celui-ci, appréciant
son courage, le salua en disant : " Binvenue à mon petit gars
grec!"
Plus
tard, en Grèce, lorsque la guerre entre l'Italie et la Grèce fut
déclarée, malgré son âge avancé et mû par un enthousiasme de
jeune homme, il voulut se porter volontaire pour combattre.
Il
était juste, aimant son prochain et charitable. Lorsque l'Etat
distribua des terres pour l'installation des réfugiés, le vieux
Prodromos, en tant qu'administrateur à Konitsa, s'occupa d'abord des
autres habitants de Pharassa, et ne conserva pour sa famille que la
plus mauvaise part, les champs les moins productifs. Pour les
défricher et en enlever les broussailles, il y mit le feu - ce dont
ses yeux eurent à souffrir.
La
mère de l'Ancien s'appelait Evlogia (8), née Phragkopoulou, et elle
était apparentée à saint ARsène.
(8)
: ( L'Ancien avait demandé qu'on l'appelle Evlogia ( la bénie) et
l'avait inscrite dans les diptyques sous le nom d'Evlogia, mais à
Konitsa on la surnomma Evlabia ( la pieuse)).
C'était
une femme pleine de sagesse, intelligente, travailleuse, très
pieuse, et elle était nourrie des admonestations de saint Arsène.
La charmante Evlogia se maria de bonne heure, âgée de quinze ans;
elle épousa Prodromos Eznépidis.
Prodromos
et Evlogia, ces âmes bienheureuses, eurent dix enfants. Les deux
premiers, Catherine et Sotiria, moururent en bas âge. Lorsque saint
Arsène baptisa le troisième, il recommanda de l'appeler Zoé (9).
(9)
: ( Ce mot signifie en grec "vie").
Dès
lors, tous vécurent. Leurs noms par ordre d'âge sont : Zoé, Maria,
Raphaël, Amalia, Chaaralampos, Arsène ( l'Ancien Païssios),
Christine et Luc. Raphaël et Christine sont encore en vie.
3.
Baptême et déracinement.
C'est donc
à Pharassa, saint rejeton de la Cappadoce, que naquit l'Ancien le 25
juillet 1924, jour d ela fête de sainte Anne.
Lors de son
baptême, ses parents voulurent l'appeler Christos, du nom du
grand-père. Saint Arsène dit alors à s agrand-mère : " Et
alors, Hadji-Anna (10), j'ai baptisé tant de tes enfants! Ne
donneras-tu pas mon nom au moins à l'un d'entre eux?"
(10)
: ( Expression turque qui marque l'affection et le respect).
Et
il dit aux parents : " Bon, vous, vous voulez laisser un enfant
au grand-père, pourquoi est-ce que je ne voudrais pas avoir un moine
comme descendant?" Et se tournant vers la marraine, il lui dit :
" Appelle-le Arsène." Ainsi, il lui donna son nom et s
abénédiction, et il prédit qu'il allait devenir moine, et cela se
produisit effectivement.
L'Ancien
naquit l'année de l'échange des populations, où l'hellénisme
d'Asie Mineure fut déraciné de son foyer ancestral. La famille de
l'Ancien, ainsi que les autres Pharasiotes et saint Arsène prirent
le chemin de l'amer exil. Dans le bateau, dans la bousculade,
quelqu'un marcha sur le nouveau-né qui se trouva en danger de mort.
Mais Dieu conserva en vie son élu, parce qu'il était destiné à
devenir le guide de bien des âmes sur le chemin du Royaume. L'Ancien
dira plus tard, évidemment par humilité : " Si j'étais mort à
ce moment, alors que j'avais la grâce du baptême, on m'aurait jeté
à la mer pour nourrir les poissons. Alors il y aurait eu au moins un
poisson pour me dire merci, et je serais allé au paradis." ( Il
voulait dire par là que, dans son existence, il n'avait rien fait de
bon.).
Ils
restèrent un peu au Pirée. Ensuite on les transféra dans la
citadelle de Corfou - où, conformément à s aprédiction, saint
ARsène s'endormit et fut enterré - et, finalement, ils
s'installèrent à Konitsa.
Ses
parents apportèrent à la mère patrie Arsène le nouveau baptisé,
un nourrisson âgé de quarante jours, un anonyme alors dans la foule
des réfugiés, lui qui, quelques années plus tard, allait être
connu dans le monde entier et qui allait conduire une multitude de
gens vers la connaissance des choses divines. Dès les premiers
jours, il connut la souffrance et les tourments des hommes; plus
tard, il allait devenir un havre de consolation pour des milliers
d'âmes tourmentées.
CHAPITRE
II
PREMIERES
ASCESES
1.
Une éducation
"dans
l'instruction et l'admonestation du Seigneur".
Le petit
Arsène, avec le lait qu'il têta, apprit aussi de ses parents la
piété. Au lieu de contes et d'histoires, ils lui racontèrent la
vie et les miracles de saint Arsène. En lui se fit jour de
l'admiration et de l'amour pour Hadji-Effendi, comme on surnommait
saint ARsène. Dès son plus jeune âge, il voulut lui aussi devenir
moine, pour ressembler à son saint.
La
personne qui, après saint Arsène, influença pour son bien toute
son existence, fut sa mère, pour laquelle il éprouvait une
affection particulière et qu'il aidait autant qu'il pouvait. C'est
d'elle qu'il apprit l'humilité. Elle lui conseilla de ne pas
chercher à surpasser ses petits camarades d'école lorsqu'ils
jouaient pour ensuite en tirer d el'orgueil, ni non plus de jouer des
coudes pour arriver le premier sur la ligne, car cela revenait au
même d'y arriver premier ou dernier.
De
plus, elle lui enseigna la tempérance et à ne pas manger avant
l'heure du repas. Elle considérait que désobéir à cette
injonction équivalait à de la luxure.
Elle l'aida
aussi à acquérir de la simplicité et d el'application au travail,
à se comporter avec soin et attention avec les autres, et elle
l'engagea à ne jamais mentionner le nom du tentateur ( le diable).
Deux fois
par jour toute la famille priait devant les icônes familiales. Sa
mère cependant continuait à prier tout en accomplissant ses têches
domestiques en disant la prière de Jésus.
La
piété de ses parents était telle que, même sur les aires de
battage, ils emportaient d el'antidoron*.
Le
petit Arsène, avec la vivacité d'esprit et l'intelligence dont il
était pourvu, assimilait tout ce que ses parents disaient de bien.
Suivant
leur exemple, il apprenait à jeûner, à prier, et à fréquenter
l'église. C'était l'enfant chéri de la famille. "D'un côté,
dira-t-il plus tard, mon père me chérissait parce que j'étais doué
pour les travaux manuels et que je m'en sortais bien, d'autre part,
ma mère m'aimait en raison de la prétendue piété dont je faisais
preuve."
2.
Ascèses enfantines.
Le
zèle que mettait le petit Arsène à jeûner était admirable. Il
jeûnait rigoureusement depuis son plus jeune âge. Il avait
l'habitude de demander à s amère de lui préparer des légumes sans
huile. Pour mieux être contraint de rester à jeun après la Divine
Liturgie, il gardait l'antidoron* pour ne le consommer que plusieurs
heures plus tard. Pour restreindre la quantité de nourriture qu'il
mangeait, il serrait bien fort sa ceinture. Un jour, il jeûna tant
qu'il tomba d'épuisement sur son lit. L'Ancien devait dire plus tard
: " Mes mains étaient si menues qu'elles ressemblaient à
celles des petits Africains, car mon organisme avait été privé des
nourrritures de base alors que j'étais encore petit. Mon cou avait
l'air d'une queue de cerise, et les enfants me disaient que ma tête
allait tomber."
La
pieuse Kaiti Pateras, qui était de Konitsa, et plus âgée que lui,
disait à ce propos qu'elle l'avait interrogé un jour :
"
Mon enfant, as-tu mangé quelque chose aujourd'hui?
-
Je n'ai pas mangé. Que pourrais-je manger, puisque ma mère fait
cuire toute la nourriture dans la même casserole, que ce soit de la
viande ou de la nourriture de jeûne? Puisque c'est la même
casserole qui absorbe tout, je ne peux pas manger!
-
Mais, mon enfant, ta mère est quelqu'un d etrès propre : elle la
lave soigneusement avec de l'alsivia (1).
(1)
: ( Mélange d'eau et de cendres bouillies, qui était jadis utilisé
pour laver les vêtements et la vaisselle).
-
Je ne peux pas en manger", répondit-il.
Et
il jeûnait, jeûnait encore, tout en s eretirant dans la solitude
pour prier.
Lorsqu'il
eut bien appris à lire, il découvrit l'Ecriture Sainte et,
quotidiennement, il lisait avec attention un passage de l'Evangile.
Il trouva aussi les Vies de saints, dont il faisait ses délices. Il
avait bourré une boîte de Vies. Dès qu'il était rentré de
l'école, sans même prendre le temps de manger, il commençait par
ouvrir sa boîte pour en sortir des Vies de saints, qu'il lisait. Son
frère aîné les lui cachait, bien qu'il fût lui aussi pieux, car
il ne voulait pas que le petit Arsène s'absorbât trop dans des
choses religieuses susceptibles de le distraire de ses études.
Arsène ne disait rien. Il trouvait d'autres Vies de saints, qui le
nourrissaient spirituellement. Selon son frère, "Arsène,
depuis la dixième (2), lisait des ouvrages religieux et il s'isolait
souvent pour prier.
(2)
: ( Classe correspondant au CE1).
Il
ne jouait pas comme les autres enfants".
Il
s'efforçait d emettre en pratique tout ce qu'il lisait dans les
Synaxaires*. AInsi, il avait lu que lorsqu'on a peur d'aller quelque
part, il faut s'y rendre souvent pour chasser sa crainte (3).
(3)
: ( Cf. S. Jean Climaque, L'Echelle sainte, XX, 7 : " N'hésite
pas à te rendre en pleine nuit dans les lieux où d'habitude tu as
peur. Mais si tu te laisses un peu aller à la crainte, cette passion
puérile et risible se fortifiera en toi avec l'âge. Pendant que tu
es en chemin, arme-toi de la prière. Quand tu es arrivé, étends
les mains. Flagelle tes ennemis avec le nom de Jésus...". Cette
citation et celles qui suivnt sont tirées de la traduction française
de L'Echelle sainte par l'Archimandrite Placide Deseille, collection
"Spiritualité orientale" n°24, Abbaye de Bellefontaine,
1987).
Comme
il avait peur quand il passait devant un cimetière, il décida de
s'y rendre de nuit pour chasser sa peur. Il était alors en huitième
(4).
(4)
: ( Classe correspondant au CM1).
Il
racontait : " J'avais vu, pendant qu'il faisait jour, un tombeau
vide. A la tombée de la nuit, le coeur battant, j'y suis allé et je
suis entré dans la tombe. AU début, ce fut difficile, mais par la
suite je m'y suis habitué. J'y suis resté suffisamment longtemps
pour me familiariser avec l'endroit. J'ai pris courage et je suis
passé de tombe en tombe, mais j'ai fait attention de ne pas être vu
pour que l'on ne me prenne pas pour un fantôme. Et voilà, j'y suis
allé trois soirs, pour y rester jusqu'à une heure avancée, et ma
peur a disparu."
Il
éprouvait un grand amour pour Dieu, et sa prière en était une
manifestation. Lors des grandes fêtes, il restait éveillé, il
allumait la veilleuse et restait debout en priant toute la nuit. Son
grand frère tenta de l'empêcher de se lever la nuit pour lire le
psautier. Alors il le mit sous ses couvertures. La tactique de son
frère non seulement ne fléchit pas son zèle, mais elle augmenta
son amour pour Dieu.
Depuis
qu'il était petit, il allait dans la forêt pour ramasser des glands
qu'il perçait avec un clou pour y faire passer une ficelle, et il en
faisait des chapelets pour compter ses prières et ses
prosternations.
Sa
soeur Christine se souvient qu'un jour, alors que leurs parents
étaient aux champs, il se mit à pleuvoir. Arsène pensait à eux,
qui étaient sous la pluie. Il prit avec lui ses deux petites soeurs,
ils allèrent devant l'iconoctasse, s'agenouillèrent, prièrent, et
la pluie s'arrêta.
Lorsque les
éclairs tombaient, il avait l'habitude de dire : " Grand est le
nom de la Sainte Trinité."
Son
penchant naturel pour le monachisme se manifesta tôt. Quand on lui
demandait ce qu'il voulait faire plus tard, Arsène répondait avec
constance : " Moine", sans avoir jusque-là jamais vu de
moines.
Il raconta
aussi ce qui suit : " Lorsque j'étais encore à l'école, je
lisais les Vies des saints et je désirais dès lors devenir un
ascète. Je sortais souvent du village. J'avais alors douze ans.
J'avais repéré un gros rocher. Un jour, je me mis en route pour
l'escalader, afin de devenir un stylite. Je ne pris qu'un morceau de
fer avec moi, pour extraire quelques légumes à manger (5), comme
les ascètes de jadis.
(5)
: ( Ou plutôt pour rechercher des bulbes).
J'ai
marché une heure et demie pour arriver dans les montagnes et j'ai
trouvé le rocher. C'était un rocher élevé. J'y suis monté
péniblement et j'ai commencé à prier. J'étais à bout de forces,
et je me suis mis à réfléchir : " Les ermites avaient des
racines qu'ils mangeaient, un peu d'eau, une datte. Toi, tu n'as rien
du tout, là sur ton rocher. Comment vas-tu vivre?" Je mourais
de faim, et je n'en pouvais plus, lorsque je me suis dit : "
Allons manger quelque légume." Mais par où descendre? Je suis
bien monté, mais comment vais-je descendre maintenant? Finalement,
je fis une de ces glissades qui faillit me faire perdre la vie. La
Toute Sainte me protégeait, et je ne me suis pas cassé le cou sur
les rochers. Tout doucement, en boitant, je me suis mis en marche
pour la maison. Mais je me suis perdu dans la nuit et je suis rentré
vers minuit avec beaucoup de difficultés."
3.
Menuisier.
Selon les
témoignages de ses camarades, à l'école communale, il était un
enfant attentif, sage et affectueux, faisant preuve d'une grande
sensibilité dans son comportement et d epiété lors du catéchisme.
C'était un bon élève, intelligent, souple et plein de zèle
généreux (philotimo*). Son dévouement pour les autres allait
jusqu'au sacrifice. Il avait des yeux vifs et expressifs, si lumineux
qu'il fut surnommé "Goupisia", ce qui signifie "luciole"
dans le dialecte des Pharasiotes.
Le
petit Arsène termina l'école primaire avec une note de huit et une
excellente appréciation sur sa conduite. Il ne voulait cependant pas
continuer à étudier, étant donné qu'il n'y avait pas de lycée à
Konitsa et qu'il désirait devenir menuisier, parce qu'il aimait la
profession de notre Seigneur.
A
l'époque où il travaillait avec le contremaître dans des maisons,
il ne mangeait pas avec lui, mais il trouvait un prétexte pour
rentrer chez lui. Plus tard son patron comprit qu'il agissait ainsi
pour ne pas rompre son jeûne.
Lorsqu'il
eut bien appris son métier, il fabriqua un beau support d'icônes
pour la maison familiale ainsi qu'une croix, comme celle que tenaient
les saints martyrs sur les icônes.
Plus
tard il ouvrit s apropre menuiserie. Il fabriquait des encadrements d
efenêtres, des plafonds, des planchers, des supports d'icônes,
ainsi que des cercueils, pour lesquels il ne demandait jamais
d'argent, prenant part à la douleur des gens. Dans son métier, il
avait des "mains en or". Tout le monde était enchanté de
son travail. Tous, à Konitsa, disaient : " Quel enfant que
celui de Madame Evlampia! C'est un bon artisan, scrupuleux et rapide,
doué d'un caractère droit et sincère." C'est pourquoi, ils le
préféraient. Ainsi il gagnait de quoi vivre tout en aidant les
siens et en faisant l'aumône.
4.
Un enfant plein de grâce.
Parmi les
habitants de Konitsa, la rumeur avait circulé selon laquelle le fils
d'Eznépidis (Arsène) avait vu saint Georges, et qu'ensuite il avait
jepuné pendant plusieurs jours. L'Ancien lui-même ne rapporta
jamais rien à ce propos, et cela ne fut jamais confirmé par
d'autres. Même s'il s'agit d'une rumeur, cela témoigne de la grande
estime que ses compatriotes avaient pour lui. Ils le considéraient
comme ayant été gratifié par Dieu d'une grâce particulière. Une
Turque l'invitait chez elle chaque premier du mois, pour que le mois
s epasse bien. Il allait à l'école avec les enfants de cette
dernière, et certains furent baptisés. Elle lui témoigna son
respect aussi lorsqu'elle le vit moine; elle lui dit : "
Puissé-je m'offrir en sacrifice pour toi!" Emue, elle prenait
de la poussière de ses chaussures et en enduisait avec recueillement
son bras paralysé.
5.
Sous le signe de la Croix.
L'Ancien
racontait : " (Un jour), mes frères et soeurs travaillaient aux
champs. Notre mère prépara la nourriture, mais elle n'avait
personne pour la transporter et cela la chagrinait. Les champs
étaient à deux heures de marche. Je lui dis alors : " Donne-la
moi, je vais y aller.
-
Mais comment vas-tu trouver ton chemin?
-
Je demanderai", répondis-je.
Je
me mis en route sans en parler à personne et en tenant la croix à
la main, comme je l'avais vu faire par les saints martyrs sur les
icônes, et sans bien comprendre où j'allais. J'arrivais au champ,
j'y laissai la nourriture et revins aussitôt, parce que ma mère
m'attendait."
6.
Vision de Dieu.
L'Ancien
racontait : " Dès l'âge de onze ans je me mis à lire des Vies
de saints, à jeûner et à veiller. Mon grand frère prenait les
Vies de saints pour les cacher. Mais cela ne lui servait à rien.
J'allais dans les bois et je continuais. Un de ses amis d'alors,
Cosats, lui dit : " Je vais te faire tout laisser tomber."
Il vint et m'expliqua la théorie de Darwin. Je fus ébranlé et je
lui dis : " Je vais aller prier, et si le Christ est Dieu, il
m'apparaîtra pour que je croie. Il me manifestera quelque chose, une
ombre, sa voix." C'est ce qui m'était venu à l'idée. Je me
rendis alors dans les bois et je commençai les prosternations et les
prières. Cela dura des heures, mais rien ne s eproduisit. A la fin,
rompu, je dus m'arrêter. Alors, il me revint quelque chose que
Costas m'avait dit : " Je veux bien que le Christ ait été un
grand homme, juste, vertueux, qu'on a haï parce qu'on jalousait sa
vertu et que ses compatriotes l'ont alors condamné." Alors je
lui dis : " Puisqu'il était tel, et même s'il n'était qu'un
homme, il mérite qu'on l'aime, qu'on lui obéisse et que l'on se
sacrifie pour lui. Je ne veux ni Paradis, ni rien d'autre. A cause de
sa sainteté et de sa bonté, il mérite que l'on sacrifie tout pour
lui.""
"
Dieu attendait que je fisse face, après ces événements, et peu
après le Christ m'est apparu en personne, au milieu d'une lumière
abondante. Il m'apparaissait depuis la taille jusqu'à la tête. Il
m'a regardé avec beaucoup d'amour, et il m'a dit : " je suis la
résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s'il meurt,
vivra" ( Jn 1, 25). Ces paroles étaient aussi écrites sur
l'Evangile qu'il tenait ouvert dans sa main gauche."
Cet
événement dissipa chez le petit Arsène, alors âgé de quinze ans,
les pensées de doute qui troublaient son âme enfantine, et il
connut alors, par la grâce de Dieu, que le Christ est le vrai Dieu
et le Sauveur du monde. Il a été confirmé dans sa connaissance du
Dieu fait homme, non pas par un homme ou par des livres, mais par le
Seigneur lui-même qui s'est révélé à lui, malgré son jeune âge.
Désormais, affermi dans la foi, il disait tout haut : " Costas,
quand tu veux, maintenant viens, que nous discutions."
7.
Préparation à la vie monastique.
Dès lors,
il se mit à combattre avec davantage de zèle et à réfléchir
sérieusement sur sa consécration à Dieu. Il se rendit à la
basilique de Ioannina et demanda au protosyncelle* s'il pouvait,
malgré son âge, devenir moine. Celui-ci répondit : "
Maintenant ce n'est pas possible. Plus tard. Il faut que tu
grandisses." Il avait quinze ans.
Il
se faisait une haute idée du monachisme et il s'y préparait du
mieux qu'il pouvait. Il vivait et combattait comme un moine. A tous
ceux qui lui proposaient un mariage, il coupait court une fois pour
toutes : " Moi, je vais devenir moine", répondait-il. Lors
d'un mariage, son père lui souhaita : " A ton mariage!"
Dès lors il cessa de lui baiser la main, non pas par manque de
respect, mais pour manifester silencieusement son désaccord,
montrant ainsi qu'il souhaitait réaliser non pas son propre souhait,
mais bien la prophétie de saint Arsène.
Les siens
en avaient pris conscience. Il n'était d'ailleurs pas nécessaire de
les persuader par des paroles. Sa vie et ses combats spirituels
étaient la preuve de ce qu'il recherchait, et ils montraient ce que
ce jeune homme plein d egrâce allait devenir.
Il
passait son temps libre dans la chapelle de Sainte-Barbara, en
compagnie d'autres jeunes gens pieux. Parmi eux se trouvait le futur
Père Paul Zisakis, higoumène du saint monastère de la Grande Lavra
au Mont-Athos, l'Ancien du kellion* de Bourazeri, aussi au
Mont-Athos. Chaque jour ils y faisaient les offices. L'après-midi,
ils célébraient les Vêpres, les Complies avec l'Hymne Acathiste*,
pour ensuite étudier l'Ecriture Sainte et les Vies des saints.
Comme il
n'y avait pas à proximité de monastère en activité, Arsène s
emit à la recherche d'Anciens vertueux dans des régions plus
éloignées. Un jour qu'il était avec le futur Père Paul Zisakis,
ils firent la connaissance du Père Jacques Balodimos. L'Ancien
disait que c'était un homme saint et un excellent père spirituel,
et il racontait beaucoup de choses admirables à son sujet.
Arsène
essayait d'observer les usages de la vie monastique. Il préférait
les nourritures insipides. Il ne mettait pas de sel dans ses plats,
pour ne pas boire beaucoup d'eau. Il lavait lui-même ses vêtements.
Il ne laissait pas sa mère ou ses soeurs les laver. Il jeûnait
rigoureusement depuis qu'il était très jeune, et pour s'empêcher
de beaucoup manger, il serrait sa ceinture. Un jour, il jeûna tant,
qu'il s'effondra sur son lit, épuisé. L'Ancien devait dire plus
tard : " Mes mains étaient fines comme celles des petits
Africains, parce que mon organisme avait été privé des nourritures
de base quand j'étais petit. Mon cou était devenu une queue de
cerise. Les enfants me disaient : " Ta tête va tomber!""
A
un moment, alors qu'il se rendait aux champs avec ses frères et
soeurs pour y travailler, arrivé à un endroit précis, il les
laissa prendre de l'avance et lui-même resta en arrière. Par
curiosité, ils l'observèrent en cachette, et voilà qu'ils le
virent enlever ses chaussures et traverser en courant un champ de
trèfle que l'on venait de couper. C'était comme courir sur des
clous fins. Le trèfle coupé transperçait ses pieds et rentrait
dans sa chair. La plante de ses pieds était couverte de sang. Il
supportait cependant la souffrance avec joie à l'imitation des
martyrs, comme ce qu'il lisait dans les Synaxaires*, essayant de se
faire lui aussi participant et communiant à leurs épreuves. Son âme
enfantine était enflammée par un tel esprit de martyre et un tel
amour divin.
Il
avait pour habitude de se rendre sur la montagne un jour par semaine.
Il passait là son temps dans la quiétude, le jeûne, la prière de
Jésus et les prosternations. L'hésychia* l'attirait et il désirait
être rendu digne de vivre comme les ascètes et les ermites. Il
portait sur lui une croix." J'avais alors une telle foi que,
lorsque je montais sur la montagne avec la croix, je ne craignais
rien."
Raphaël,
son grand frère, le voyant se consacrer à de grands combats
ascétiques, essaya d el'en empêcher. Mais alors qu'Arsène, jusqu'à
l'âge de quinze ans avait accepté sa tutelle sans broncher,
maintenant il avait grandi et il réagit. Depuis lors, Raphaël n'osa
plus s'opposer à lui. Plus tard, lorsqu'il le revit moine, il lui
demanda pardon. Cependant ses parents se réjouissaient et étaient
fiers d'Arsène. Comme ils étaient pieux, ils comprenaient ses
combats spirituels et ils n'étaient pas inquiets.
Arsène
combattait non seulement avec un enthousiasme de jeune homme, mais
aussi avec une sagesse d evieillard. Il accompagnait ses ascèses de
beaucoup d'attention* et d emaîtrise de soi. Chaque jour il faisait
son examen de conscience, analysant comment il avait parlé, ou si
par son comportement il n'avait pas blessé quelqu'un.
8.
Souci des autres.
Arsène,
par sa vie bien réglée et ses conseils, aidait spirituellement
aussi d'autres jeunes. Il fréquenatit habituellement les petits
enfants. Il les rassemblait dans la chapelle de Sainte-Barbara. Il
leur lisait des Vies de saints et il les incitait à faire des
prosternations et à jeûner. Quelques mères s'inquiétèrent et
interdirent à leurs enfants de le fréquenter. Les parents d'un
enfant avec lequel il priait, eurent peur qu'il ne devînt moine et
ne le laissèrent pas avoir des relations avec Arsène, ni combattre
spirituellement. Plus tard il alla travailler en Allemagne et il
mourut. Ses parents en eurent des remords et dirent : " Il
aurait mieux valu qu'il se fît moine!" Arsène voulut prendre
avec lui comme moine un enfant originaire de Pharassa et il essaya de
persuader sa mère. Il confirma un autre jeune dans s avocation de
prêtre. Un hiéromoine originaire de Konitsa reconnaît qu'il fut
aidé dans sa vocation par Arsène alors qu'il était encore laïc.
Arsène
portait beaucoup d'intérêt et il avait un grand désir que les gens
connaissent Dieu. Il aborda un jour un vieux berger qui vivait seul
sur la montagne et qui était allé deux ou trois fois à l'église
dans toute sa vie, et il parvint à le rapprocher du Christ.
Il
y avait à Konitsa un musulman nommé Baïram dont la mère était
malade. Le petit Arsène se rendit de nuit auprès de la malade et
lui vint en aide. A la suite de cela, Baïram manifesta le désir de
devenir chrétien.
Le
peu d'argent qu'il recevait comme apprenti menuisier, il le
distribuait en aumônes pour les enfants pauvres de l'orphelinat. Il
invitait aussi à manger chez lui de pauvres enfants.
Monsieur
Apostolos Hadji-Roumbis, habitant de Konitsa, rapporte dans une
lettre intitulée Mes souvenirs d'un saint :
"
Nous habitions avec Arsène dans des quartiers différents. La
première fois que je le vis, je fus impressionné par sa mobilité.
Lorsqu'il était apprenti menuisier, il se distinguait par son
agilité, sa bonne volonté et surtout par son humanité. Le
contremaître dira de lui plus tard : " Arsène, c'était
quelqu'un."
Enfants
d'agriculteurs, nous faisions paître nos chevaux sur les pâturages
communs. A cette époque, je reconnus la grandeur spirituelle
d'Arsène. Comme cela ressortait de nos petites disputes enfantines,
il était évident qu'il était le seul qui préférait subir un
einjustice plutôt que de risquer d'en commettre une.
A
chacune de nos rencontres, je reconnaissais que son unique désir
était de confesser le Seigneur. Il avait toujours dans sa poche un
livre religieux qu'il lisait souvent. Je me souviens de son zèle à
s'assurer un auditoire enfantin, à n'importe quel prix. Comme, par
exemple, le fait de se charger de la garde de nos animaux, de devenir
notre porteur d'eau, etc.; il lui suffisait, en échange, que nous
lui prêtions attention quand il nous lisait l'Ecriture Sainte.
Je
n'oublierai jamais la chaleur qu'il mettait lorsqu'il illustrait ce
qu'il disait, en rapportant la Crucifixion du Christ. Il devenait
expressif au point qu'il arrivait à attirer l'attention des enfants,
même les plus vifs. Je voyais très clairement dans son jeune visage
sa satisfaction et s ajubilation, pour avoir pu enseigner la parole
du Seigneur à un auditoire si pur. Pour autant que je me souvienne,
il a continué cette tactique pendant quatre ou cinq ans, jusqu'à ce
qu'il devienne soldat."
9.
Dangers et épreuves.
Arsène
passa sa jeunesse l'esprit libre des préoccupations du monde et dans
les combats ascétiques. Ensuite vinrent les années difficiles de la
guerre entre l'Italie et la Grèce, de l'occupation et d ela guerre
civile. Il connut alors beaucoup de difficultés et de dangers.
Pendant
l'occupation, beaucoup d epauvres se rendaient auprès de sa mère
pour échanger des objets précieux contre deux poignées de farine.
Elle leur donnait de la farine et du pain, mais elle n'acceptait ni
argent ni bijoux de famille. Elle pétrissait souvent. Le pain était
vite épuisé, parce qu'elle en distribuait beaucoup aux affamés.
Son frère Raphaël donnait du maïs, sans recevoir d'argent, ou il
l'échangeait contre de l'huile qu'il donnait à l'église. L'Ancien,
plus tard, était triste de ne pas avoir pu, en raison de son âge,
aider plus les gens durant les dures années de famine de
l'occupation. Lors de la guerre civile, les communistes l'arrêtèrent
et l'emprisonnèrent. Il pâtit pendant toute la période où il
resta en prison et il souffrit des poux et de la grande promiscuité.
Dans une petite pièce, ils mettaient beaucoup de monde. Lorsqu'on
s'allongeait, le dernier trouvait à peine un coin parmi eux!
Il fut
aussi éprouvé moralement, parce qu'ils l'enfermèrent seul dans une
pièce pour ensuite y mettre deux partisanes pratiquement nues. Il
pria avec force en invoquant la Toute Sainte et aussitôt il
ressentit "une puissance d'en haut", qui le confortait et
il les considéra impassiblement comme ses soeurs, comme Adam voyait
Eve au Paradis. Il leur parla avec aménité. Celles-ci reprirent
leurs esprits, eurent honte et repartirent en pleurant. Lors de
l'interrogatoire, l'enquêteur lui demanda :
"
Pourquoi t'a-t-on arrêté?
-
Parce que mon frère est avec Zervas (6), répondit-il.
(6)
: ( Napoléon Zervas était un officier de l'armée grecque. Lors de
l'occupation, il organisa un corps de volontaires. Il combattit
d'abord les Allemands et par la suite les communistes. Après la
libération, il participa à la vie politique).
-
Et pourquoi est-il avec Zervas?
-
Est-ce mon frère l'aîné ou moi? Est-ce que je peux donner des
ordres à mon frère?"
Comme
ils appréciaient sa sincérité et son courage, ils le laissèrent
en liberté.
Un
jour il donna du pain à des partisans affamés, en sachant qu'ils
pourchassaient son frère pour le tuer. Ces derniers le considérèrent
comme suspect, ne pouvant pas comprendre son amour désintéressé,
et il risquait d'être jugé. Il les protégea même de la vengeance
de ceux qui avaient perdu des parents à la guerre.
Plusieurs
incidents témoignent des épreuves successives et des dangers qu'il
affronta. Sa maison familiale servit pendant plusieurs mois de
bivouac à huit partisans, et Arsène se cacha durant deux mois dans
une maison turque. Une autre fois, en plein hiver et sous la neige,
il dut se cacher en plein air. Une autre fois encore, les partisans
le réquisitionnèrent, et l'emmenèrent jusqu'en Macédoine. Il
resta deux autres mois à Ioannina avec sa soeur Christine. C'est
alors qu'un ami, qui était devenu protestant évangélique, leur
rendit visite. Il leur laissa une valise avec des livres hérétiques.
Quand il les vit, Arsène dit à sa soeur de les brûler parce qu'ils
contenaient beaucoup de venin.
Lors de la
bataille de Konitsa, il rendit service comme volontaire pour
s'occuper des blessés et enterrer les morts.
10.
Soutien de famille.
Arsène
voyait souvent sa mère pleurer et se faire du souci pour ses frères
et soeurs qui se trouvaient engagés dans la guerre. Il fut sa
consolation et son soutien. Il ne cherchait pas alors à devenir
moine, durant cette période difficile, parce qu'ils avaient un
impérieux besoin de sa présence. " L'exil volontaire
(monastique) ce n'est pas que je me case et que je laisse tomber les
autres", dira-t-il plus tard. Il continuait bien sûr de
combattre, mais il reporta "pour plus tard" le fait
d'"accomplir ses voeux envers le Seigneur" ( Ps 115, 9).
Il
entreprit de faire tous les travaux agricoles de la maison, qui
étaient fort nombreux. Il embaucha un employé qui était un peu
effronté. Celui-ci montait le cheval mais Arsène marchait à pied.
C'est lui qui semblait être le patron et Arsène l'ouvrier. Il ne
lui disait jamais de travailler, mais lui travaillait dur, et
l'ouvrier agricole seulement quand il en avait envie. Lorsqu'il
emmenait paître les mulets, il enlevait leurs bâts et il allait à
pied. Il préférait souffrir et se fatiguer lui, plutôt que de
fatiguer les mulets. Quand on lui demanda pourquoi il les enlevait,
il répondit que c'était pour éviter qu'ils ne s eprennent dans les
branches. Lors de la moisson, lorsque les autres, à midi, se
reposaient, lui allait chercher des épis pour nourrir leur petit
cheval. Au lieu de manger les figues, il les donnait aux animaux. Il
se préoccupait plus des animaux que de lui-même.
Bien que la
guerre eût obligé Arsène à différer son départ, malgré tout
son zèle ne fléchissait pas. Aux combats spirituels et aux ascèses,
il ajouta de nouveaux combats et des ascèses plus rigoureuses. Il
voyait que la situation du pays était mauvaise. D'ici peu, on allait
l'appeler pour servir la patrie.
Dans
la chapelle de Sainte-Barbara, il supplia ainsi la Toute-Sainte : "
Laisse-moi souffrir, laisse-moi être en danger, seulement ne me
laisse pas tuer un homme, pour que je sois jugé digne de devenir
moine." C'est alors qu'il fit le voeu, si la Toute Sainte le
préservait durant la guerre, de servir pendant trois ans son
monastère que les Allemands avaient brûlé, et d'aider à
reconstruire le saint monastère du Stomion.
CHAPITRE
III
SERVICE
MILITAIRE
1.
Un agent de transmission plein de zèle généreux.
En 1945, il
fut enrôlé pour servir la patrie. Il s eprésenta à Nauplie et fut
désigné pour être agent de transmission. Ensuite, il fut transféré
à Agrinion. On lui demanda : " Quel piston as-tu pour recevoir
une telle qualification?
-
Je n'ai pas de piston.
-
A d'autres!
-
Eh bien... Dieu", répondit-il.
De
fait, "Dieu était avec lui et c'était un homme qui réussissait
(1)."
(1)
: ( Gn 39, 2).
Son amour
pour les autres allait jusqu'au sacrifice. Il faisait son devoir, en
travaillant beaucoup. Quand quelqu'un demandait une permission, il le
remplaçait volontiers. Beaucoup exploitaient sa bonté et le
considéraient comme un idiot. Lui, cependant, ressentait de la joie
à se sacrifier et, en même temps, il trouvait ainsi l'occasion de
s'isoler pour prier. Le gouverneur militaire disait de lui : "
Que va devenir cet homme? Il ne pense jamais à se reposer." Une
fois, il avait 39,5° de fièvre, mais il ne chercha pas à demander
un arrêt de travail. Finalement, n'en pouvant plus, il tomba
évanoui. Les soldats le mirent sur un brancard pour le porter à
l'hôpital et ils l'interpellaient avec des noms monastiques pour se
moquer de lui : " Eh, Benoît, Acace!" Ils avaient compris
qu'il allait devenir moine. Petit à petit, l'ironie fit place à du
respect et à d el'admiration. Son mode de vie, son grand amour, son
caractère intègre les transformèrent. Ils ne le considéraient
plus comme ridicule, mais comme quelqu'un d eprécieux et une
bénédiction pour l'unité.
De
toute façon, sa qualification de télégraphiste l'exempta de
participer aux combats de la guerre, et ainsi, avec la grâce de
Dieu, il lui fut épargné d'avoir à tuer un homme (2).
(2)
: ( Ce qui est considéré comme un empêchement pour devenir
prêtre).
Cela
préfigurait sa future qualification de moine où il enverrait des
messages à Dieu en priant.
2.
Tribulations.
Les
tribulations qu'il eut à subir sont incroyables, car le
demi-bataillon où il servait était engagé dans des opérations de
guerre.
Il
raconta que, un jour, la nourriture étant épuisée, ils mangèrent
de la neige. Une autre fois, ils restèrent à jeun pendant treize
jours et ils ne restèrent en vie qu'en mangeant des châtaignes
sauvages. Très souvent, ils souffraient d ela soif. Ils étaient
alors obligés de boire de l'eau stagnante qu'ils trouvaient dans les
traces laissées par les mulets. Le grand ennemi, c'était le froid.
Ils couchaient sous la tente et, au matin, ils s'éveillaient enfouis
sous la neige, et comptaient les hommes gelés. Un matin, il dégagea
vingt-six soldats gelés en creusant la neige avec une pioche. Il lui
arrivait de rester pendant trois jours sous la neige pour envoyer des
messages à l'état-major. Il souffrit lui aussi des engelures. La
chair des pieds se mit à peler. On l'envoya à l'hôpital, mais,
grâce à Dieu, il ne fut pas mutilé. Un jour un mulet lui décrocha
une ruade. Le coup était très violent. Sa poitrine noircit et les
traces des sabots apparurent. Il s'évanouit et, quand il revint à
lui, il reprit sa marche.
Il
se réjouissait quand il pleuvait, quand il faisait froid, quand lui
se fatiguait pour que les autres ne soient pas éprouvés. Certains
soldats, quand ils faisaient une bêtise, l'attribuaient à Arsène.
L'officier le réprimandait, et lui, pour ne pas les exposer,
supportait humblement et en silence les reproches.
Cependant,
le gouverneur militaire l'estimait et lui faisait confiance. Lors des
missions difficiles, il envoyait Arsène, parce qu'il savait qu'il
était compétent et qu'il réussissait ce qui lui était confié. Il
ne demanda une permission qu'une seule fois pour aller chez lui. Là,
il tomba malade, perdit beaucoup de sang et fut admis à l'hôpital
de Ioannina pendant quinze jours. Dès qu'il reprit des forces, il
retourna dans son unité.
3.
Ascèses et expériences.
Au
milieu de tant de tourments, il se livrait quand même au combat
spirituel. Il jeûnait et il priait. D'habitude, il ne mangeait que
la moitié de sa ration et, quand sonnait l'extinction des feux pour
dormir, Arsène montait sur la terrasse du bâtiment et se mettait à
prier. " Une fois, raconta-t-il, je suis resté cinq mois sans
Liturgie, car où aurais-je trouvé un prêtre et une église sur les
montagnes? Quand ensuite le gouverneur m'envoya à Agrinion pour y
prendre des pièces de rechange pour le poset émetteur, sur le
chemin que je pris, je passai devant une église, dans laquelle on
célébrait l'Hymne Acathiste. Je fis mon signe de croix, me
prosternai, et les larmes me vinrent. " Ma Toute Sainte, dis-je,
comment en suis-je arrivé là?" Comment aurais-je pu imaginer
que, plus tard, Dieu veillerait à ce que j'eusse une chapelle dans
ma calyve*!" Et il rendait grâce à Dieu pour cela du fond de
son coeur.
Comparant
les épreuves par lesquelles il était passé à l'armée, avec
l'ascèse qu'il fit en tant que moine, il disait sur un ton de
reproche envers lui-même : " Je n'ai rien fait pour le Christ.
Si j'avais accompli cette ascèse ( ce qu'il avait enduré à
l'armée) étant moine, je serais devenu un saint."
En
tant que soldat, il connut des expériences divines. Un jour, alors
qu'il priait dans un endroit isolé, il fut ravi en contemplation. Il
raconta aussi la chose suivante : " Un jour, alors que nous
étions allés sur le champ de tir à Tripoli, je vis une lueur
étrange sortir d'une ravine et se répandre sur tout le champ de tir
alors qu'il faisait jour. Je me demandais ce qu'était cette lumière,
que les autres ne voyaient pas! Par la suite, j'i compris. Etant
donné qu'il y avait eu des exécutions de condamnés et que
peut-être certains innocents avaient été exécutés injustement.
Dieu me protégeait pour que je ne fasse pas partie du peloton
d'exécution. Naturellement, je n'aurais pas pu (tuer)..."
4.
Il se sacrifie pour les autres.
La
plupart des soldats avaient un esprit de sacrifice, mais Arsène
n'avait pas peur du danger ni de la mort. A plusieurs reprises, il
risqua de se faire prendre et d'être prisonnier et il fit face à la
mort de très près.
Un
jour, il fallait tirer au sort pour décider qui irait au village
pour l'approvisionnement. " C'est moi qui irai", dit
Arsène. Les partisans le virent, mais ils le prirent pour un des
leurs. Il prit l'approvisionnement et revint.
Quand
on choisissait quelqu'un pour une garde dangereuse ou une patrouille,
Arsène lui demandait : " Quelle charge de famille as-tu ?"
S'il lui répondait : " Je suis marié et j'ai un enfant",
il lui disait : " Bon." Il allait voir l'adjudant et il
prenait s aplace. Il ne laissait l'autre radio-télégraphiste porter
ni le poste émetteur, ni la batterie, pour que, en cas de danger, il
soit libre de se sauver. " Lors d'une bataille, raconta-t-il,
j'avais creusé une petite fosse. Voilà qu'un autre arriva et me dit
: " Laisse-moi y entrer aussi." Je me suis poussé et nous
avons péniblement trouvé de la place. Un autre arriva. Je le
laissai entrer, lui aussi, et moi je sortis. Aussitôt, je me pris
une balle, qui me frôla la tête. Je n'avais pas de casque, je ne
portais qu'un bonnet. Je portai ma main à la tête, je n'y sentis
pas de sang. Je la mis de nouveau. Rien. La balle était passée à
ras de ma tête et ne m'avait enlevé que des cheveux en laissant une
ligne dénudée, large de six pouces, sans même m'égratigner.
J'avais agi selon mon coeur : " Il vaut mieux, m'étais-je dit,
que je sois tué plutôt que l'autre ne le soit, et qu'ensuite ma
conscience me harcèle durant toute ma vie. Comment pourrais-je
supporter plus tard de penser que j'avais la possibilité de le
sauver et que je ne l'aie pas fait? Et Dieu, bien sûr, aide beaucoup
celui qui se sacrifie pour les autres."
5.
Il fait du bien et est calomnié.
L'Ancien
raconta la chose suivante : " J'avais fait une collecte parmi
les soldats et j'avais acheté des cierges et des grands chandeliers
pour une chapelle consacrée à saint Jean le Précurseur, près de
laquelle bivouaquait notre demi-bataillon.
Pendant
l'hiver arrivèrent des gens du transport militaire, des paysans,
surtout des femmes et des enfants avec des animaux, pour nous
apporter des provisions. Comme le temps s'était gâté et qu'il
commençait à neiger, ils restèrent passer la nuit dans des tentes
de sapin improvisées.
Un
sous-lieutenant grossier importuna une jeune fille. La pauvrette
préféra mourir plutôt que d epécher. Elle s'enfuit, suivie par
une femme âgée. Elles marchèrent dans la neige et se retrouvèrent
devant la chapelle, mais la porte était close. Elles restèrent
dehors sous l'abri en tremblant de froid..
Cette même
nuit, la pensée obsédante me vint de me rendre à la chapelle pour
y allumer les veilleuses. J'y allai sans savoir ce qui s'était passé
et je trouvai à l'extérieur de la chapelle les deux femmes bleuies
par le froid. Je leur donnai un gant à chacune, et j'ouvris la
porte; elles entrèrent et, après avoir repris un peu de force,
elles me racontèrent ce qui leur était arrivé : " Pour ma
part, dit la plus jeune, j'ai fait tout ce que je pouvais.
Dorénavant, que Dieu fasse le reste!" Je pris en compassion ces
malheureuses et spontanément je leur dis : " Vos tourments sont
terminés. Demain vous rentrerez chez vous." C'est ce qui se
passa."
Quand le
sous-lieutenant apprit qu'Arsène les avait aidées et les avait
sauvées, il se répandit en calomnies - probablement pour dissimuler
son méfait - endisant qu'Eznépidis avait mis dans l'église les
gens du transport alimentaire avec leurs animaux. Le gouverneur
militaire le convoqua pour qu'il s'excuse. Mais il ne révéla pas
l'affaire du sous-lieutenant; il se défendit uniquement parce qu'on
l'accusait d'avoir méprisé la maison de Dieu.
6.
Il sauve son unité.
L'Ancien
raconta : " Un jour, notre demi-bataillon, se retrouva encerclé
par mille six cents partisans dans un retranchement rocheux naturel.
Tous les soldats transportaient des munitions, et le gouverneur me
demanda de laisser le poste de radio et d'en transporter moi aussi.
Et il me manaça même de son pistolet. Il pensait que j'allais
essayer de m'esquiver afin de me cacher.
J'en
transportai, mais j'allai aussi au poste de radio pour prendre
contact avec le Quartier Général. Après bien des tentatives, je
leur fis comprendre que nous nous trouvions dans une situation
difficile. Le lendemain, alors que les partisans s'étaient beaucoup
rapprochés, au point que nous entendions leurs injures, l'aviation
intervint et les dispersa."
Plus tard,
l'Ancien prenait cette péripétie en exemple pour tous ceux qui lui
demandaient : " A quoi servent les moines dans le désert,
pourquoi ne vont-ils pas dans le monde aider les autres?" "
Les moines, répondait-il, sont les radiotéléphonistes de l'Eglise.
Lorsqu'ils rentrent en communication avec Dieu par la prière, alors
Celui-ci vient et aide avec efficacité. Un fusil de plus n'aurait
servi à rien, alors que, lorsque l'aviation vint, elle décida du
sort de la bataille."
7.
Abnégation.
Le
moine Arsène de Corfou, qui se nommait alors Pantélis Tzékos,
était soldat avec l'Ancien. Il raconte ceci :
"
A Naupacte, alors que je recevais un message de Patras, Arsène
m'aborda et me dit : " Le sais-tu? Nous sommes frères. - En
quel honneur?" Il me montra ses deux pouces (3) en me disant : "
Nous avons les mêmes doigts, toi et moi, c'est pourquoi nous sommes
frères."
(3)
: ( Les mains de l'Ancien étaient caractéristiques : la dernière
phalange du doigt était plus courte que les autres, et les ongles
avaient presque la moitié de leur taille normale).
Dès
lors, une amitié fraternelle les unit, et un jour, Arsène le sauva
alors que sa vie était en danger."
Le
récit est mot pour mot celui de M. Pantélis, sauf qu'il fut
entrecoupé de sanglots et de larmes abondantes qui témoignent de
son émotion et de sa reconnaissance pour son ami et sauveur :
"
Près de Naupacte, il y eut une bataille. Alors que nous battions en
retraite parce que les partisans étaient plus nombreux que nous, à
un moment je tombai et fus blessé, parce que je portais un lourd
poste émetteur sur le dos. Lorsque les soldats eurent atteint la
ligne que nos officiers leur avaient désignée, Arsène s'aperçut
de mon absence. Il posa son poste et s emit à courir vers moi. Les
officiers et les soldats lui crièrent : " Laisse-le tomber,
c'en est fini de lui, il est perdu!" Il vint à côté de moi,
comme on me l'a raconté plus tard, il me souleva, me mit sur son dos
et me porta jusqu'aux lignes d eretraite. Lorsque je revins à moi,
j'entendis le capitaine qui lui disait : " Il faut qu'un saint
te protège, pour que tu aies pu lui venir en aide!" Je demandai
: " Que s'est-il passé les gars?" Alors on me raconta :
j'étais tombé à cent mètres des lignes des partisans et à deux
cents des nôtres."
8.
Il prie au milieu des balles.
"
Un jour, poursuivit M. Pantélis, on se trouvait sur une hauteur
appelée "Phonias". Les partisans nous avaient isolés, et
nous ne pouvions pas nous échapper parce qu'il n'y avait pas
d'issue. Arsène se tenait debout. Les balles tombaient en sifflant.
Je le tirai par la veste pour qu'il s'allonge sur le sol. Lui, rien.
Il regardait vers le haut et il avait les bras comme cela, en forme
de croix. Eh bien, on dirait que le Tout-Puissant a eu pitié de
nous, car quelques instants plus tard les avions arrivèrent et nous
dégagèrent la route. Tandis que nous partions, je lui dis :
"Eh
bien, mon ami, pourquoi ne t'es-tu pas allongé?
-
Je priais.
-
Tu priais? lui demandai-je stupéfait.
Sa
prière comme sa foi étaient si grandes qu'elles bravaient les
balles! Le plus vraisemblable est qu'il priait pour que lui soit tué
et que les autres soient épargnés. C'est pourquoi il était debout
à découvert. Et Dieu qui est juste, en voyant son abnégation, l'a
sauvé, lui ainsi que les autres.
9.
Désobéissance envers un blasphémateur.
L'Ancien
raconta un événement qui se produisit peu avant qu'il ne soit
libéré : " Nous revenions de Florina, après la fin de la
guerre. Sur le chemin du retour, j'entendis le capitaine blasphémer.
Je l'abordai alors en lui disant : " Désormais je refuse
d'obéir à quelque ordre que ce soit qui vienne de vous, car en
injuriant les choses saintes vous offensez et ma foi et mon serment (
Patrie-Religion-Famille). " En entendant cela, il fut froissé
et me traita d'impertinent. Lorsque, plus tard, il me dit : " Je
te l'ordonne", je lui répondis : " Je viens de vous dire
que désormais je n'accomplirai aucun d evos ordres." L'officier
me dit alors : " Considérons que l'affaire est close."
Lorsque nous arrivâmes au camp, je me rendis sans attendre chez le
gouverneur et je lui rapportai tout ce qui s'était passé. Celui-ci
me dit que le refus d'accomplir l'ordre d'un supérieur était
passible d ela cour martiale. Je lui redis que je refusais
d'accomplir les ordres du capitaine, parce que c'était un parjure
qui insultait Dieu, au nom duquel nous avions tous les deux juré. Et
je lui dis avec irritation : " Il faut obéir à Dieu plutôt
qu'aux hommes. (4)"".
(4)
: ( Ac. 5, 29).
Arsène,
après avoir servi la patrie pendant presque cinq ans, reçut son
certificat de congé de l'armée en mars 1950 à Makrakomi de Lamia.
Lorsqu'il
prit congé de son ami M. Pantélis, celui-ci l'engagea à
s'installer à Corfou avec lui, pour y construire une maison et
fonder une famille. Arsène refusa en lui disant qu'il voulait
devenir moine.
Ayant
achevé son service militaire, désormais il briguait un autre
engagement, son enrpolement dans l'armée des moines, pour servir le
Roi céleste.
CHAPITRE
IV
RECHERCHES
ET PREPARATIFS
1.
Premier séjour à la Sainte-Montagne.
Arsène
ne resta que peu de temps à Konitsa et se rendit ensuite au
Mont-Athos vêtu de son uniforme. Le premier soir, il fut hébergé
dans le kellion* du monastère de Lavra dédié à saint Jean le
Théologien en contrebas de Koutloumousou. Il cherchait un Ancien
pour se soumettre à lui. Il visita beaucoup de calyves*, skites* et
kellia*, parce qu'il était attiré par la vie hésychaste. Lorsqu'il
entendait parler d'Anciens vertueux, il accourait auprès d'eux comme
une abeille attirée par des fleurs odorantes...
En
se rendant à Sainte-Anne, lorsqu'il arriva à la "croix",
il prit une mauvaise direction et commença à monter vers le sommet
de l'Athos. C'est alors qu'il rencontra un anachorète au visage
lumineux et revêtu d'un froc raccommodé : ils discutèrent ensemble
(3).
(3)
: ( Fleurs du Jardin de la Mère de Dieu, Monastère de Souroti,
1997, p. 61-62).
Arrivé à
Sainte-Anne, il rencontra l'évêque de Milétopolis, Hiérothée. Du
fait de ses tribulations et de sa contrariété il était devenu
squelettique. Lorsqu'il le vit dans un tel état, le hiérarque
vertueux l'accueillit avec bonté et le convia à sa table en
remplissant pour lui un verre de vin.
"
Monseigneur, je ne peux pas le boire.
-
Bois-le donc, cela te fera du bien!" et il le bénit.
Il
le conseilla adéquatement et lui donna sa bénédiction.
A
Néa-Skiti, le Père Néophyte, de la calyve de Saint-Démètre,
l'invita à rester quelque temps, pour qu'il réfléchît à ce qu'il
allait faire, car il était dans un état tel qu'il ne pouvait
prendre aucune décision. Il resta un peu pour se remettre de ses
peines. C'est là qu'il entendit parler d'un anachorète nommé
Séraphim, qui était devenu moine dans cette calyve et, par la
suite, s'était installé dans une grotte sur l'Athos (4).
(4)
: ( Ibid., p. 59-60).
Il
était plein de simplicité et de sincérité. Et à quiconque
l'interrogeait, il disait sa pensée et ses dispositions, et cela le
faisait souffrir.
Il
devait écrire plus tard : " J'ai beaucoup souffert comme
débutant, jusqu'à ce que je trouve ce que je cherchais.
Naturellement, ce n'est la faute de personne, si ce n'est celle de
mes nombreux péchés ( pour que je m'acquitte de quelques-uns); et
la seconde cause, c'est ma grossièreté payasanne qui m'a valu ces
tribulations, car je me confiais à tous ceux que je rencontrais. Je
rend sgrâce à Dieu pour tout, car cela me fut très utile (5).
(5)
: ( Lettres, Monastère de Souroti, 2005, p. 23-24).
Et
il devait dire aussi : " Au début, jusqu'à ce que me poussent
des ailes spirituelles, personne ne m'a aidé; tous m'ont repoussé.
Par la suite, j'ai rencontré des saints."
Bien
qu'il n'eût pas trouvé ce qu'il cherchait, les tribulations dont il
eut à souffrir lui furent utiles et lui apprirent beaucoup de
choses. Et comme il risquait de perdre, comme il disait, le peu d
ecervelle qu'il avait, il prit la décision de revenir dans le monde
pour des raisons familiales. Il avait alors reçu une lettre de son
père, lui demandant de leur venir en aide car, comme son frère aîné
s'était marié, il avait des difficultés. Arsène répondit à
l'appel paternel, car il avait une forte conscience de s
aresponsabilité et de ses devoirs à l'égard de sa famille et
surtout envers ses frères et soeurs plus jeunes. Mais c'était une
âme forte. Sa visite sans résultat au Mont-Athos n'avait pas entamé
son zèle, ni éteint son espérance.
2.
Travaux et préparatifs.
Il
recommença à travailler comme menuisier à Konitsa et dans les
villages environnants. Il soutenait financièrement son père et
l'aidait dans ses travaux agricoles. Il acheta une machine à coudre
à sa petite soeur et il lui prépara une dote de 50 lires pour son
mariage.
Il
faisait l'aumône en cachette à beaucoup de pauvres. Il aidait les
familles qui avaient perdu leurs parents à la guerre. Il leur
fabriquait des portes et des fenêtres gratuitement. Tous l'aimaient.
Sa
vie dans le monde était un combat permanent et une préparation à
la vie monastique.
Pendant la
journée, il travaillait beaucoup et il jeûnait, et il veillait la
plus grande partie de la nuit en priant, en lisant des psaumes et en
faisant des prosternations. Il habitait dans un sous-sol humide et,
pour une plus grande ascèse, il dormait sur le ciment. Après la
lassitude justifiée d'une journée fertile en labeurs, son corps
demandait un peu de repos. Arsène, rempli de zèle pour Dieu,
considérait qu'il n'avait aucune raison de se reposer à moins qu'on
ne lui coupe les jambes. AInsi, il se forçait et il combattait avec
un zèle généreux ( philotimo*).
Après
l'armée, il ne toucha plus à la viande. Il se justifiait en disant
aux autres que cela le dégoûtait, mais en vérité il évitait d'en
manger pour s'accoutumer aux conditions de la vie monastique. Il
vivait dans le monde, mais il combattait et se comportait comme s'il
était moine. Il s'était aussi laissé pousser la barbe. Il allait
se reposer dans une petite cabane dissimulée dans un ravin, mais
lorsqu'on la découvrit, il l'abandonna. Il demeurait souvent dans la
maison d'un ami, qui avait une petite chapelle consacrée au
néo-martyr Georges de Ioannina. A cette époque, il passa la durée
du Grand Carême dans un monastère du Péloponnèse.
Dans les
villages, il travaillait très soigneusement; il parlait peu et quand
il travaillait, il psalmodiait à voix basse. Lorsqu'il ne trouvait
pas de nourriture de jeûne, il passait la journée dans
l'abstinence.
A
ses parents, il disait qu'il allait devenir moine mais, par
délicatesse, il disait qu'il n'était pas encore prêt, pour qu'ils
ne se sentissent pas gênés en pensant être la cause de son
atermoiement et de ce qu'il restait encore dans le monde.
Il
se mit en règle avec ses affaires, sans rien laisser en suspens. "
Lorsque je suis parti pour devenir moine, personne n'avait rien à me
reprocher", disait-il, entendant par là qu'il avait accompli
jusqu'au bout son devoir et ses obligations à l'égard de sa
famille.
En
mars 1953, Arsène était désormais prêt à réaliser sa vocation
monastique qui l'attirait depuis son jeune âge. Après avoir prié
avec ferveur, il décida de retourner sans tarder au Mont-Athos.
CHAPITRE
V
VIE
CENOBITIQUE
A
ESPHIGMENOU
1.
Un obstacle avant le départ.
Alors
qu'il se hâtait vers la Sainte-Montagne, il se produisit ceci : il
avait distribué toutes ses économies aux pauvres et n'avait gardé
que ce qu'il fallait pour le voyage jusqu'au Mont-Athos. C'est alors
qu'un pauvre payasan lui demanda de l'aider à acheter un boeuf parce
que le sien avait péri. Arsène affronta la situation avec
discernement. Il dit au paysan : " " Excuse-moi, mais en ce
moment je ne peux pas t'aider."
S'il lui avait donné de l'arget,
cela aurait signifié un nouveau report de son renoncement au monde,
jusqu'à ce qu'il ait rassemblé de nouveau l'argent nécessaire pour
le voyage. C'est ce que le diable voulait. ALors que son coeur
délicat compatissait aux difficultés du paysan, son discernement
lui dicayit une meilleure conduite. " Il est permis de
s'abstenir d'un bien en vue d'un bien meilleur (1)."
(1)
: ( S. Jean Climaque, Lettre au Pasteur, 74, dans l'Echelle sainte,
éd. cit., p. 325).
2.
Cénobite à Esphigménou.
Il avait retiré de sa première
visite au Mont-Athos une expérience et un savoir. C'est donc avec
discernement qu'il résolut d'aller dan sun premier temps dans un
monasstère cénobitique*, le temps que lui poussent des ailes
spirituelles. Il pensait aller à Konstamonitou pour y être novice,
parce qu'il avait entendu dire que c'était un monastère hésychaste
et ascétique. Comme il y avait une tempête de ce côté, et
considérant que c'était un signe de Dieu, il alla, à partir du
nord, vers le monastère d'Esphigménou. Celui-ci n'était pas encore
devenu un monastère zélote. Il y fut reçu par l'higoumène
Callinique, il lui prêta obéissance (2), et commença son noviciat.
(2)
: ( Par une prosternation que fait le novice pour montrer sa
soumission à l'Ancien).
Le
monastère avait une bonne règle et des Pères combatifs. En plus
des longues heures passées à l'église, il y avait aussi les tâches
communes et le "canon" (règle de prière) à accomplir en
cellule. L'Ancien disait que "passer un carême à Esphigménou
était un vrai calvaire. On n'avait qu'une assiette de nourriture
bouillie par jour. C'était le monastère cénobitique le plus
rigoureux. Lors de la première semaine de Carême, les pères
passaient pratiquement toute la journée à l'église."
Il
devait raconter plus tard : " Lorsque j'étais dans la
communauté cénobitique, un père m'a beaucoup aidé. Il ne parlait
pas du tout. Il ressentait le besoin de s'entretetnir avec le Christ.
Il n'avait pas le coeur de parler avec les hommes. Il suffisait de le
voir. Il m'aida plus que les Vies des Saints des Synaxaires*. Pour
une faute commise, il n'avait pas communié pendant trois ans, alors
que cette faute n'était même pas susceptible d'une suspension de
vingt jours. Alors que les moines ne parlent pas quand ils éprouvent
un tel état de grâce, même les laïcs qui les voient sont
transformés. Telle est la prédication des moines."
Au monastère, parmi les pères
vertueux, il y avait aussi un autre pieux combattant qu'il admirait.
Sans envie ni jalousie, le bon frère priait Dieu de le faire
ressembler au saint dont il portait le nom, et que lui-même
connaisse l'état de grâce du moine vertueux. Il se considérait
lui-même comme inférieur à tous.
3.
Noviciat et diaconies*.
Le jeune novice progressait avec
joie au milieu des labeurs de la vie cénobitique. Au début, on lui
assigna, comme diaconie, d'être un aide au réfectoire et à la
boulangerie. Le pétrissage était très fatigant. Il pétrissait
avec les mains une grande quantité de farine dans un pétrin. Il
fallait faire descendre la main jusqu'au fond du pétrin pour que la
pâte soit bien pétrie et qu'on puisse la couper.
Puis on le mit à la menuiserie,
parce qu'il en connaissait la technique. Toute la journée, à jeun,
il rabotait des planches de châtaignier avec un grand rabot manuel.
Pour chaque tâche, il se montrait habile, très capable et rapide.
Il rendit même les bâts des mulets du monastère "semblables à
des meubles".
Arsène, mû par son zèle pour
Dieu, demanda la bénédiction d'aider aussi à l'hôtellerie
lorsqu'il y avait un afflux de visiteurs.
Il
était également responsable de deux chapelles qui se trouvaient à
l'extérieur du monastère. Quotidiennement, il en allumait les
veilleuses, il en prenait soin et veillait à ce qu'il y eût de
temps à autre une Liturgie.
4.
Les combats d'un débutant.
Ayant pour exemple les saints Pères
de jadis, il essayait de les imiter. Il plaça comme fondement de sa
vie monastique l'humilité et l'obéissance, et il se livra à des
combats au-dessus de ses forces. Le jour, il travaillait
corporellement, mais la nuit, il restait éveillé à prier et à
rendre grâces à Dieu. Il ressentait une grande fatigue, mais était
intransigeant dans son ascèse. Continuellement, il ajoutait de
nouveaux combats, toujours avec la bénédiction et sous la direction
de l'higoumène. Il faisait tout cela joyeusement. Il disait : "
Après avoir beaucoup travaillé au tour toute la journée, le soir,
je me rendais à l'hôtellerie où j'aidais jusqu'à 10 ou 11 heures.
Il ne me restait plus de temps, même pour les tâches spirituelles.
C'est pourquoi, lorsque plus tard je me rendais dans ma cellule, je
ne dormais pas. Je restais seulement un quart d'heure les jambes en
hauteur, pour qu'elles se reposent un peu et pour que le sang en
descende ( il s'y rassemblait en raison des longues stations debout).
Puis, je restais debout dans une cuvette pleine d'eau, pour que le
sommeil ne me surprenne pas, et je faisais mes chapelets. Je dormais
environ une demi-heure ou une heure, puis je me rendais à l'office
pour y lire l'office de Minuit. Et comme je me disais que je
n'arriverais peut-être pas, plus tard, à remplir mes obligations de
oine du Grand Habit*, je demandai à l'higoumène la bénédiction
d'accomplir le canon du moine du Grand Habit, bien que novice, ce
qu'il m'accorda. Ce n'était pas par égoïsme, mais par crainte de
ne pouvoir faire face aux obligations qui sont celles d'un moine du
Grand Habit. Je ne le faisais pas par orgueil. Si je n'en suis pas
capable, me disais-je, qu'au moins je ne me leurre pas moi-même."
A l'église, il ne s'asseyait pas
du tout. Il restait debout dans sa stalle. Parfois le sommeil venait
le surprendre, et il se reprenait aussitôt. L'hiver, il n'allumait
pas de feu. Il y avait tant d'humidité dans la cellule que la
moisissure se développait comme des morceaux de coton sur les murs.
Lorsque le froid devenait insupportable, il avait une peau d'animal,
comme on en utilise pour les bâts, et il en enveloppait ses jambes.
Il travaillait dehors dans le froid, vêtu de sa seule soutane, et il
y mettait, à l'intérieur, du papier pour se protéger un peu.
A
table, il ne mangeait pas toute la nourriture. Il en laissait
toujours un peu et, lorsqu'il y avait du fromage, il le mettait sous
la nourriture et n'en mangeait pas. Avant le Grand Carême, il était
de règle dans le monastère de donner à chacun des moines un carton
de lait. Arsène ne prenait pas même cela, mais il le donnait au
vieux Nikita qui était pré-tubrculeux. Lors du jeûne, il ne
mâchait pas suffisamment les haricots, pour qu'ils tardent à être
digérés et qu'ainsi ils le maintiennent un peu. Par ascèse, il
dormait sur le sol en pierre et, parfois, sur des briques, qui
"étaient plus amicales pour l'homme". Petit à petit, son
ascèse fut remarquée par les pères. Les prêtres le préféraient
à d'autres pour chanter pour eux dans les chapelles.
5.
" Mon affection pour les miens me tracassait."
Comme si l'ascèse et la peine des
diaconies ne suffisaient pas, le diable se chargeait aussi de le
tracasser avec différentes pensées. Il trouva le point sensible :
sa grande affection pour les siens. Il dira plus tard : " Au
début, le diable me tracassait avec le souvenir des miens. Tantôt
il me faisait me rappeler ma mère, tantôt d'autres parents. Dans
mon sommeil, tantôt il me les montrait malades, tantôt morts. Le
responsable, voyant que j'étais préoccupé, me demanda ce que
j'avais. J'allais me confesser à l'higoumène et je trouvais la
paix. Au début, il est pénible pour le moine de quitter sa petite
famille pour entrer dans la grande famille d'Adam, de Dieu."
6.
Apparitions démoniaques.
Le
diable ne se contenta pas de lui faire la guerre par les pensées :
comme il n'arrivait pas, avec celles-ci, à le détourner de sa
combativité, il lui apparut de façon sensible. Il le vit de ses
yeux et ils discutèrent. Le tentateur essaya de l'effrayer de toutes
les façons possibles et de faire obstacle à ses combats. Il semble
que, par expérience, il se rendit compte de ce que ce novice allait
devenir. Asène n'était ni troublé ni effrayé par la présence du
diable. Il disait : " Viens donc, tu me fais du bien. Tu m'aides
à me souvenir de Dieu quand je l'oublie, et à prier." Plus
tard, l'Ancien ajouta : " Le tentateur se le tint pour dit! Il
disparut aussitôt. Il n'est pas idiot au point de tresser des
couronnes aux moines."
"Géronda, par "tentation
(3)", vous voulez dire les pensées?", lui demanda
naïvement un moine.
(3)
: ( En grec, le même mot signifie "tentation" et
"tentateur").
"Mais
non, je veux dire le tentateur ( le diable)! Tu comprends? Quelles
pensées?"
"
Grâce à son esprit délié, "par son ingéniosité humaine, il
parvint à vaincre les ruses des démons (4)".
(4)
: ( S. Jean Climaque, L'Echelle Sainte, IV, 26).
7.
Rasoevkhi.
Le
27 mars 1954, après le temps de noviciat fixé, il fut tonsuré
moine du premier degré sous le nom d'Averkios. L'higoumène lui
proposa de recevoir le Grand Habit, mais il refusa. Il disait : "
J'aurais pu devenir tout de suite moine du Grand Habit, parce que
l'on m'avait dit : " Toi, tu as fini ton service, plus rien ne
te fait obstacle." Mais j'ai répondu : " Le service du
premier degré ( rasoevkhi*) me suffit."" Il se considérait
lui-même comme indigne, mais il ne voulait pas non plus être lié
par les promesses du Grand Habit, à cause de son désir de mener la
vie hésychaste*.
8.
Il voit l'Agneau tressaillir.
"
J'aidais aussi à l'église, raconta-t-il, comme sacristain (
ekklésiastikos*) lors des vigiles*. Un jour, je me trouvais dans le
sanctuaire et je suivais le prêtre qui faisait la proscomidie*. Il
m'arriva alors quelque chose. Lorsqu'il prononça les paroles : "
L'Agneau de Dieu est sacrifié", je vis l'Agneau (5) sur le
diskos* tressaillir comme un agneau que l'on égorge.
(5)
: ( C'est-à-dire la prosphore destinée à être consacrée).
Par
la suite, je n'osais pas m'approcher! C'est pourquoi le sacrement
commence dès le rite de préparation et non au moment de la
consécration comme le disent certains..."
9.
Ouvrier de la sobriété intérieure.
A
partir de cette époque, il commença à conserver des notes sur tout
ce qu'il lisait. Tout ce qui l'aidait dans son combat, il le
recopiait sur un cahier et il essayait de le mettre en pratique. Son
combat intérieur invisible consistait en ceci : un peu de lecture
des textes ascétiques, beaucoup d'attention, une prière permanente
et un effort obstiné pour se purifier des passions et pour acquérir
la grâce divine.
Dans
son travail spirituel personnel, comme dans ses diaconies* et les
ouvrages accomplis en commun avec tous les moines, il essayait de ne
pas interrompre sa prière. Il travaillait rapidement et
silencieusement. L'Ancien Gérasime de Koutloumousiou, qui était
l'un de ses vieux compagnons d'ascèse, se souvient : " Nous,
quand nous travaillions aux corvées, nous parlions et nous riions;
lui, rien de cela. Il travaillait à part, évitant le bavardage et
la critique d'autrui. C'était un moine très attentif."
Parfois, le monastère envoyait des
Pères à l'extérieur du Mont-Athos, parmi lesquels le Père
Averkios, pour planter des peupliers sur un terrain lui appartenant.
Plus loin, se trouvait la route sur laquelle passaient divers laïcs.
Le Père Averkios s'obligeait en pensée comme dans son regard à ne
voir personne; et de fait il réussit un exploit comparable à celui
d'Abba Isidore de Scété (6), qui se rendit à Alexandrie sans voir
personne d'autre que le Patriarche.
(6)
: ( Apophtegmes des Pères du désert, série alphabétique, Isidore
8).
Ses
yeux ne voyaient que les bons exemples des Pères aguerris, dont le
comportement pouvait lui être utile.
10.
Obéissance jusqu'à verser son sang.
L'Ancien raconta : " Un jour,
il y avait au monastère un frère menuisier, que les pères avaient
reçus par nécessité, parce que si au monastère il y avait au
début sept menuisiers, à la fin il n'y en avait plus aucun, même
pour les petits travaux. Comme ils en avaient besoin, ils lui avaient
laissé aussi beaucoup d'initiative. Il avait acquis beaucoup
d'importance; il devint aussi un des membres de la synaxe des
Anciens, et il ne tenait compte de personne. Quiconque allait auprès
de lui pour apprendre le métier ne pouvait rester près de lui plus
d'une semaine. Moi, avec la grâce de Dieu, je suis resté deux ans
et demi. Mais aussi, quel profit j'en ai retiré! Il invectivait,
criait sans cesse. Il ne voyait pas bien, et quand il me disait de
faire quelque chose dont je voyais que c'était à tort et qu'il
faudrait, après, que nous le corrigions et que nous mettions des
reprises, si j'osais le lui dire, il criait : " Tu n'as pas
encore appris ta leçon? Toi tu n'as le droit de dire que deux mots :
'pardon' et 'que cela soit béni'!" Je me taisais, tout allait
de travers. Nous faisions des fenêtres pour l'église avec des
reprises. Si les pères posaient des questions, moi, je me taisais.
Lui était aussi à la synaxe* et, s'il le voulait, il pouvait dire
la vérité. Malgré cela, je mettais une drachme de côté (
c'est-à-dire : j'engrangeais un gain spirituel). J'eus des
crachements de sang et il me criait : " Mais que fais-tu?
Travaille! Toi, si ça continue comme ça, tu vas mourir."
Lorsque la situation empira, le médecin me dit de rester de toute
façon deux mois à l'hôpital du monastère. Il vint et me dit en
poussant les hauts cris : " reviens vite, tu n'as rien."
J'obéis et je me levai pour me rendre sur la montagne afin d'y
couper des châtaigniers, pour les équarrir. Je pris un sentier
retiré. Je n'y allai pas par le chemin principal, pour que les pères
ne me voient pas et que le vieux père X. ne soit pas compromis. En
chemin, mes artères s'ouvrirent et une hémorragie éclata. A cause
de cela, je fus obligé de revenir sur mes pas. Par la suite, il vint
à l'hôpital et me dit sévèrement : " Pourquoi n'es-tu pas
revenu?"
Je
n'ai aucune mauvaise pensée contre ce frère. Je me disais que Dieu
permettait tout cela par amour, pour que je m'acquitte de quelque
péché. Quand j'étais dans le monde, Dieu m'avait accordé le
charisme d'être un bon menuisier. Les gens venaient me voir et, sans
le vouloir, je prenais le travail des autres. Tous accouraient chez
moi et des chefs de famille restaient sans travail. Pour y remédier,
je leur disais : " Je vais être en retard; j'ai beaucoup de
commandes", etc. Mais eux ne partaient pas. " Nous allons
attendre", disaient-ils. C'est pour cela que maintenant je
m'acquitte de ces péchés. En définitive, comme j'ai grandement
profité d ece frère, Dieu qui est bon a eu pitié de lui. Alors
qu'il n'y voyait plus rien, il devint humble à l'égard de tous et a
été sauvé. Il m'a fait cracher du sang, mais il a fait de moi un
homme."
Les saints Pères estimaient que
l'obéissance était une confession de la foi. Mais, pour le Père
Averkios, l'obéissance a été un martyre sanglant. De plus, c'était
une obéissance non pas à l'égard de l'higoumène, mais à l'égard
d'un moine plus âgé. Il supporta tout dans la joie et la patience.
Lorsque les supérieurs voyaient
les fenêtres défectueuses et le lui faisaient remarquer, il ne se
justifiait pas en disant qu'il avait fait comme le vieux Père X. lui
avait dit de faire, mais il gardait le silence et il supportait les
condamnations injustes comme si c'était de sa faute. Par la suite,
le bon Dieu a révélé la vérité, et les supérieurs, comprenant
ce qui s'était passé, lui demandèrent pardon.
A
l'hôpital, le bon infirmier, pour lui donner un peu de force, lui
donna à manger des noix avec du miel. Dès lors, le P. AVerkios
était chagriné d'être au lit sans pouvoir aider "les pères
et les frères qui se donnaient du mal". L'Infirmier lui dit
alors : " Si tu fais des chapelets*, cela aura davantage de
valeur. Dieu accordera de la force aux pères et enverra aussi des
bénédictions sur le monastère." C'est ainsi que, plein de
zèle pour Dieu, il se donna du mal en priant pour tous les frères.
Lorsqu'il alla un peu mieux, l'higoumène lui donna la bénédiction
d'avoir un petit récipient dans sa cellule pour boire quelque chose
de chaud et recouvrer la santé. Recherchant un réchaud auprès des
pères, il fut très ému de n'en trouver chez aucun; Comme il
s'était tiré d'affaire avec difficulté et qu'il avait une ou deux
fois préparé une tisane dans sa cellule, cette pensée, par la
suite, le tracassa. Il jeta par la fenêtre le récipient - c'était
une boîte de conserve - à la mer, et il consacra et confia à Dieu
sa santé et tout ce qui le concernait.
11.
Visite de la grâce divine.
La
rigueur de son ascèse fut adoucie par un événement inédit : la
visite de la grâce divine. " Lorsque mes batteries furent
entièrement rechargées ( mes forces s'étaient épuisées), je
vécus un événement exceptionnel. Une nuit, alors que je priais
debout, je sentis quelque jour descendre sur moi et m'envelopper
entièrement. Je ressentis de la jubilation, et mes yeux devinrent
deux fontaines d'où coulaient continuellement des larmes. Je voyais
et vivais sensiblement de la présence de la grâce. Jusqu'alors,
j'avais ressenti de nombreuses fois des émotions et diverses autres
choses, mais c'était la première fois que quelque chose de ce genre
m'arrivait. Cette sensation était spirituellement si forte, qu'elle
m'affermit et dura environ dix ans jusqu'à ce qu'au Sinaï, plus
tard, je vive des états plus intenses d'une façon différente.
12.
Départ pour la vie hésychaste.
Lorsque le Père Averkios se rendit
au monastère, il demanda à l'higoumène de lui donner sa
bénédiction pour n'y rester qu'un laps de temps, afin de pouvoir
ensuite mener la vie hésychaste. Celui-ci acquiesça à sa requête.
Il tira beaucoup de profit de tous les pères, et ce monastère, si
riche en exploits spirituels, fut pour lui un bon point de départ.
Mais conjointement, son désir de vie hésychaste devenait plus
intense. Quand il priait, son esprit était ravi en contemplation.
Son coeur était enflammé " par les charbons ardents de la vie
érémitique (7)", et il ressentait l'appel du désert.
(Ps
119, 4. Traduction adaptée pour rendre le jeu de mots sur
erimikois).
Il reçut l'autorisation de quitter
le monastère pour vivre dans l'hésychia*. Il laissa les peines et
les diaconies*, le sang et la sueur, et il partit en plaçant son
espoir en Dieu et en la Toute Sainte, pour qu'ils le conduisent vers
"une terre désertique".
Il
commença par aller vénérer l'icône miraculeuse de la Mère de
Dieu Portaïtissa (8) du monastère d'Iviron.
(8)
: ( La "Gardienne de la Porte". L'une des icônes
miraculeuses les plus célèbres du Mont-Athos).
Tandis
qu'il la vénérait, le visage de la Toute Sainte se modifia : Il
devint très doux. Par là, il fut informé que son départ était
conforme à la volonté de Dieu.
CHAPITRE
VI
AU
MONASTERE IDIORYTHMIQUE
DE
PHILOTHEOU
1.
Disciple d'un Ancien.
Dans la skyte*de
Saint-Pantéléïmon dépendant du monastère de Koutloumousiou, dans
la calyve* de l'Entrée au Temple de la Mère de Dieu, le vertueux
Ancien Père Cyrille se livrait à l'ascèse. Le Père Averkios,
attiré par sa vertu dont il avait entendu parler, s'y rendit pour
lui demander de l'accepter comme novice. De fait, l'Ancien le garda.
Ils combattaient ensemble et le Père Averkios espérait pouvoir
rester pour toujours à son obéissance.
Après être resté deux à trois
mois avec le Père Cyrille, il lui demanda sa bénédiction pour
aller chercher son frère Luc à Konitsa, afin qu'il devînt moine
(1).
(1)
: ( Selon les paroles de l'Ancien, son jeune frère Luc "était
pieux et pur", et voulait devenir moine. Il pensait cependant
que, pour cela, il fallait se livrer à des combats surhumains et
mener une vie très austère et très ascétique, comme celle de son
frère, le Père Averkios, lorsqu'il était laïc. Une telle
abnégation ne lui était pas permise, parce qu'il était maladif.
Une telle prévention l'empêcha de devenir moine).
"
Il ne connaît pas le chemin pour venir tout seul?
-
Il le connaît.
-
Laisse-le donc. Cependant, s'il vient, tu devras l'aider et même lui
donner ta cellule."
Alors que le Père Averkios avait
trouvé un saint Ancien "selon son coeur" et un port
tranquille qui l'apaisait, le diable, lui, ne s ereposait pas et lui
suscita différentes tentations. Bien qu'il soit parti avec la
bénédiction de l'higoumène, le représentant d'Esphigménou à
Karyès lui dit de revenir au monastère car il lui était utile en
tant que menuisier.
Alors le Père Cyrille lui demanda
s'il connaissait quelqu'un ou s'il avait un parent dans un monastère;
Il avait, au monastère de Philothéou, un lointain parent et
compatriote, le hiéromoine Syméon qui avait connu saint Arsène. Il
lui conseilla de se rendre auprès du Père Syméon.
Il obéit et se rendit à
Philothéou qui était encore idiorythmique* et, de là, de temps en
temps, il allait à pied voir le Père Cyrille pour lui demander
conseil sur des questions spirituelles.
Souvent, le père Cyrille, informé
par Dieu, prévoyait sa visite ainsi que le sujet qui le préoccupait.
Il ne disait pas un mot, mais lui indiquait la réponse au moyen d'un
passage qu'il avait marqué dans un livre.
Plus
tard, l'Ancien mit par écrit tous les faits remarquables dont il fut
le témoin auprès de ce saint Ancien, qui avait le charisme de
clairvoyance, qui chassait les démons, et dont les larmes coulaient
à flots quand il lisait l'Evangile (2).
(2)
: ( Fleurs du Jardin de la Mère de Dieu, p. 124-128).
2.
Un moine diligent et un combattant obscur.
Le
Père Averkios, bien qu'il souhaitât mener une vie hésychaste,
obéit et il se retrouva dans un monastère idiorythmique. Il se
chargea de la diaconie* de responsable des réserves (docheiaris) et
du réfectoire. C'est-à-dire qu'il distribuait la nourriture et le
vin aux Pères. Puis, on lui ajouta la menuiserie, et en plus il
était aide pour le pétrissage. Bien que sa diaconie fût fatigante,
il était toujours disposé à se sacrifier pour les autres, et à
aider quiconque en avait besoin.
Un
moine du même monastère raconte : " C'était un homme ouvert.
Souriant et plein de bonne volonté, il était toujours prêt à
aider les gens. On le voyait souvent qui, muni d'une pince et d'un
marteau, passait en courant pour réparer quelque dégât commis dans
les cellules des pères. Un jour que je m'étais disputé avec mon
Ancien, il le remarqua; il commença par me faire entrer dans sa
cellule, me fit du café, me parla et m'envoya faire une métanie* à
mon Ancien pour que je me réconcilie avec lui."
Un hiéromoine athonite, qui était
anciennement de Philothéou, le connaissait bien, et il se souvient :
" Ce qui impressionnait beaucoup tous les Pères de Philothéou,
c'était sa douceur, sa bonté et son caractère paisible. Comme
responsable du réfectoire, ce qui le caractérisait, c'était la
rapidité de ses mouvements lorsqu'il distribuait la nourriture.
Pendant toute la période où il eut ce service au réfectoire, il
n'y eut aucun malentendu avec les Pères. Il distribuait la
nourriture comme si c'était de l'antidoron*. Il nous avait tous
pacifiés. Il nous avait influencés en raison de son mode de vie, de
son caractère et de son comportement irréprochable avec les pères.
Il était prêt à se mettre au service de qui que ce fût. Il
portait de l'eau et du bois aux plus âgés. L'Ancien Eudokimos le
désignait en disant : " Lui, c'est un bon moine." Il aida
aussi le père hôtelier, le Père Auxance, qui était maladif.
Lorsque l'Ancien quitta Philothéou, l'hôtelier dit de lui: "
Nous avons perdu un homme béni de Dieu." Nous le voyions
uniquement lors de son service et à l'église, où il lisait la
neuvième heure et l'office de Minuit. Il n'avait ps beaucoup de
relations avec les autres. Il restait dans sa cellule et il priait.
Nous avions entendu dire qu'il jeûnait et veillait beaucoup. Il
faisait très attention à ce qu'il disait. Il ne parlait pas, disant
seulement : " Bénissez*!""
Le
Père Averkios participait avec assiduité à la vie liturgique du
monastère. En lus, dans sa cellule, il s elivrait secrètement à
une ascèse rigoureuse et priait beaucoup. Il se donna comme but
spirituel de se préparer du mieux qu'il pouvait au désert. Il avait
la cpacité de combattre sans se faire remarquer, parce que les
conditions de la vie idiorythmique étaient favorables à une telle
ascèse.
L'Ancien racontait : " Dans ma
cellule, j'avais une bûche de châtaignier comme oreiller. Comme
lit, deux planches avec un trou au milieu, pour que la colonne
vertébrale ne puisse pas se reposer ni s'échauffer. J'observais
continuellement la neuvième heure byzantine (3).
(3)
: ( Certains moines, et même certains laïcs rigoureux, ne mangent
pas avant les Vêpres, qui sont à la neuvième heure byzantine).
De
plus, pendant longtemps, je ne mangeais qu'une espèce de légumes
saisonniers, des tomates, des laitues, des légumes, jusqu'à ce que
mon organisme ne le supporte plus et que je n'aie plus envie d'en
manger. Je veillais chaque nuit. Je dormais peu. A l'église, je ne
m'asseyais pas dans ma stalle pour que le sommeil ne me surprenne
pas."
Philothéou est situé en altitude
de sorte que, en hiver, il y a beaucoup de neige et il fait très
froid. Mais le Père Averkios, par ascèse, n'allumait pas de feu
dans sa chambre. La grâce de Dieu lui tenait chaud et le protégeait
des maladies graves, bien que le plus souvent il souffrît de quelque
chose et qu'il ne fût jamais complètement en bonne santé. Il
s'affligeait quand il voyait un moine mettre son bois sous clef en
pensant qu'on pourrait le lui voler. Il considérait qu'il ne
convenait pas à un moine d'être soupçonneux. Il lui disait de ne
pas le mettre sous clé et que lui lui en apporterait, ou qu'il en
apporterait à tous pour qu'ils en aient et qu'ils n'aient pas besoin
de prendre le sien.
3.
Une pensée d'orgueil.
"
Alors qu'il ne me restait plus que la peau et les os, un soir je
ressentis que le tentateur était à côté de moi, comme un souffle
de femme à mon oreille. Aussitôt, je me levai, je commençai à
psalmodier et j'allumai la lumière. Le père spirituel, lorsque je
me fus confessé (4), me dit : " C'est que tu dois avoir de
l'orgueil caché, avec une ascèse pareille, une telle tentation
n'est pas justifiée."
(4)
: ( En Grèce, dans les paroisses et dans les monastères, la
fonction de confesseur n'est pas exercée par tous les prêtres, mais
seulement par ceux à qui l'évêque ou l'higoumène confie la charge
de pneumatikos ( père spirituel).
Et
effectivement, j'ai constaté moi-même, après un examen de
conscience, que ma pensée me disait quelquefois que j'étais
quelqu'un, et qu'au bout du compte j'arrivais à quelque chose.
Pouah... quelles foutaises!"
Pour se rabaisser et se purifier de
l'orgueil caché, le confesseur lui dit de se préparer
quotidiennement un plat cuisiné. Lui-même ne cuisinait pas, alors
que le Père Syméon, parce qu'il avait été atteint par la
tuberculose, faisait attention à son régime. Pendant un mois, le
Père Averkios venait lui apporter ses provisions et il recevait en
retour de la nourriture cuisinée. La tentation étant passée, il
reprit son jeûne, mais désormais il combattait avec plus d'humilité
et d econnaissance de soi.
4.
Tentations démoniaques.
Pendant un temps au début, le
diable lui suscita des pensées blasphématoires. Ce qu'il avait
entendu dire aux soldats, des années auparavant et auquel il n'avait
pas attaché d'importance, désormais le diable le lui mettait à
l'esprit à propos des saints au moment de la prière, même
lorsqu'il était dans l'église.
Il
se confessait à son père spirituel; il se rendait aussi dans la
chapelle du saint Précurseur pour y prier. Quand il vénérait son
icône, un parfum s'en exhalait et il repartait apaisait. Puis les
pensées blasphématoires revenaient. Il revenait prier dans la
chapelle et vénérait pareillement l'icône, qui embaumait de
nouveau.
Naturellement, le diable ne restait
pas tranquille. Il entendait souvent des coups et des cris lorsqu'il
dormait. Il s'éveillait et ne voyait rien. "Des blagues du
cinglé (5)", devait-il commenter plus tard.
(5)
: ( Il emploie le nom de "tangkalaki" pour désigner le
diable. Il l'avait entendu d'un vieil habitant du Pont et il lui
avait plu ( ce mot désigne quelqu'un qui a perdu la raison et fait
des choses insensées); dès lors, c'est ainsi qu'il surnomma le
Malin).
Un
jour, alors qu'il psalmodiait doucement le "Saint Dieu, Saint
fort, Saint immortel" pendant la Divine Liturgie, il vit entrer
une bête effrayante par la porte de la Litie. Sa tête était celle
d'un chien et des flammes jaillissaient de ses yeux et de sa gueule.
Il agitait la tête de haut en bas et disait en raillant : "
Ha... Ha... Ha... " Il se tourna furieux vers le Père Averkios
et grommela deux fois dans sa direction, parce qu'il psalmodiait le
"Saint Dieu...".
5.
Il invente une manière d'aider.
L'Ancien raconta ce qui suit : "
A Philothéouvivait un moine, le vieux Spyridon, dont le comportement
était rebelle. Dieu permet la possession diabolique, et plus
particulièrement lorsqu'il s'agit d'un moine du Grand Habit, afin
qu'il soit humilié et par là sauvé, chose qui se produisit dans ce
cas. Il faisait des tentatives comme sauter du balcon et autres
folies. On le conduisit chez le médecin. Les médecins se
concertèrent et dirent que seul Dieu pouvait le guérir. Un jour, je
lui dis : " Je ne me sens pas bien, allons donc ensemble voir le
prêtre pour qu'il dise une prière à mon intention." Je le
conduisis auprès du prêtre pour qu'il lui dise les exorcismes. Je
demandai de plus à ce dernier de les lire à voix basse, pour qu'il
n'entende pas, car alors il serait parti. Dès que nous fûmes
arrivés, je m'agenouillai en lui disant : " Agenouille-toi, toi
aussi." Mais lui resta debout à me regarder en disant : "
Si toi, tu ne vas pas bien, en quoi suis-je concerné?" Après
cela, il connut des mésaventures; se cassa la jambe, fut cloué au
lit; c'est ainsi qu'il se fit humble et que Dieu le prit auprès de
Lui.
Un
jour, alors qu'il était malade, il m'appela pour que je prie à son
intention. Je fis un chapelet, avec des signes de croix et en
répétant la prière suivante : " Seigneur Jésus Christ, aie
pitié du vieux Spyridon (6)."
(6)
: ( C'est la manière habituelle de parler d'un moine âgé).
Il
me dit alors : " Laisse tomber le 'vieux Spyridon' et dis
simplement 'Spyros'". Alors qu'au début, si je ne lui disais
pas "vieux Spyridon" ( je lui faisais honneur), il le
prenait mal, par la suite il devint humble. Que Dieu aie pitié de
lui!"
6.
En convalescence à Konitsa.
Le
Père Averkios souffrait déjà des problèmes de santé que l'on
sait et qui s'étaient alors aggravés. Les Anciens du monastère
s'inquiétaient et ils l'envoyèrent à Konitsa pour qu'il se soigne
lors de l'été 1956. Il ne voulait pas qu'on l'envoie à l'hôpital,
de crainte de faire dire que les moines finissent au sanatorium.
Conservant avec beaucoup de cohérence l'"état d'étranger"
propre à la profession monastique, il ne demeura pas chez lui. Il
s'en alla habiter dans la chapelle de Sainte-Barbara à laquelle il
était lié par ses combats ascétiques enfantins et des événements
surnaturels.
Là,
la nuit, il allumait un cierge et veillait en priant et en faisant
des prosternations sur les dalles; En sorte qu'un jour Dieu eut pitié
de lui, et Kaiti Patéras, qui pour un temps travaillait en dehors de
Konitsa, vint allumer les veilleuses.
"
Il faisait nuit, raconta-t-elle, je me rendis à la chapelle et je
vis un moine très maigre qui avait l'apparence d'un saint et un
visage comme celui du Christ. Au début, je ne l'ai pas reconnu. Il
était venu à Konitsa pour se soigner. Il ne voulait pas habiter
chez lui, parce qu'il disait que les moines se devaient de vivre
loin de leurs proches. Je lui proposai d'habiter chez nous, pour
qu'il tienne compagnie à ma mère qui était âgée et seule.
Par bonté, il inclina la tête et
vint chez nous. Du monastère, on lui envoya un kokoraki (8), qu'il
nous donna.
(8)
: ( Pièce d'une valeur d'un quart de livre).
Il
resta environ trois mois. Il commença le traitement avec de la
streptomycine. Le médecin veniat de Konitsa et le suivait. Sa soeur
lui faisait les injections; Il habitait dans une chambre à l'étage
et il passait la journée à lire, à prier et il voulait jeûner.
Moi, les quelques jours où j'habitais à la maison, avec s
apermission je lui préparais des plats revigorants. Je faisais cuire
de la viande, j'en prenais le jus, j'y ajoutais beaucoup d'huile,
pour qu'il ne se rende pas compte que c'était du jus de viande, et
je préparais une assiette de soupe. Son organisme était résistant,
et il se rétablit en peu de temps. Dès qu'il vit que sa ceinture le
serrait, et qu'il fallait qu'il la desserre, il cessa de manger les
soupes que je lui préparais et il faisait bouillir tout seul du blé
dans un petit récipient. C'est ainsi qu'il vivait.
Une
nuit, ma mère se leva et entendit un bruit régulier qui venait de
la pièce où dormait le Père Averkios, ding dang... Elle me
réveilla et m'envoya voir ce que faisait le moine. C'était à
minuit. Je frappai à la porte en disant : " Par les prières de
nos saints Pères... ", comme il m'avait dit de dire. Il ouvrit
la porte en me disant : " Eh, ma soeur, que se passe-t-il? Ne
t'inquiète pas. J'ai compris ce qui s'est passé. J'ai l'habitude de
passer ainsi la nuit. Parce que, d'une part en ce moment, je mène
une vie qui n'est pas monacale et que, d'autre part, j'ai
l'obligation de prier pour certaines personnes qui me viennent en
aide." Bien que malade, il passait la nuit à faire des
chapelets et des prosternations."
7.
La Providence divine.
L'Ancien raconta : " Alors que
je revenais au Mont-Athos, une jeune fille m'accosta à Ouranopolis
en me demandant de prier pour elle. Elle avait décidé de devenir
moniale, mais ses parents ne le voulaient pas. Elle était partie en
cachette sans rien emporter avec elle. C'était une âme en peine. Je
conservai un peu d'argent, juste ce qu'il fallait pour le billet
jusqu'à Daphni, et pour la suite, " A la grâce de Dieu!",
me suis-je dit, et je lui ai donné tout le reste de mon argent,
ainsi que le réveil qui pourrait lui être utile au monastère où
elle devait aller.
A
mon arrivée à Daphni, l'un des moines responsables de Philothéou
m'interpella : " J'ai là les mulets du monastère; Mets-y tes
affaires, et monte, toi aussi. Tu entends? Obéis!"
Je
suis arrivé reposé au monastère. Le même soir, un frère vint me
dire : " Quelqu'un m'a apporté un réveil. Mais j'en ai déjà
un. Peut-être que toi tu n'en as pas, Garde-le." Après cela,
je n'en revins pas de la Providence divine ( je ressentais de la
componction), que je voyais sensiblement s'occuper de moi,
l'infortuné."
8.
Petit Habit.
Le
Père Averkios, d'après le registre des moines (9), était rentré
au monastère le 12 mars 1956.
(9)
: ( Ou monachologion dans lequel sont inscrits les moines et les
novices de chaque monastère, qui se trouvent alors dispensés du
service militaire).
Après
une année de combats silencieux, il fut tonsuré moine du petit
habit. On lui donna le nom de Païssios, en l'honneur de l'actif
évêque de Césarée Païssios II, qui était originaire de
Pharassa. Sa tonsure eut lieu le 3 ars 1957. Son parrain fut le Père
Sabbas. Il l'honorait et le respectait parce que, selon le témoignage
de l'Ancien, il était "vertueux, savant et pieux". Il
correspondit avec lui par la suite depuis le Stomion, et il
souhaitait aussi recevoir de ses mains le Grand Habit. Ce dernier, de
son côté, aimait sincèrement le Père Païssios et lui faisait des
remontrances comme si c'était son enfant.
Après sa tonsure, on le
photographia, et il envoya à sa mère la photo, au verso de laquelle
il écrivit ce poème :
Ma
chère Maman, je te dis au revoir, je vais me faire moine
Je
quitte la vanité de la vie, pour me jouer du Trompeur.
C'est
dans la solitude, au désert, que je vais passer ma jeunesse.
Par
amour pour le Christ je sacrifie tout.
Tous
les biens du monde, je les quitte comme des dépouilles
Pour
accomplir le premier commandement : aimer Dieu
Pour
suivre Jésus en portant ma croix jusqu'au Golgotha
Et
je prie pour te rencontrer dans la Jérusalem céleste.
Je
quitte ta grande tendresse, ma chère maman, puissé-je y arriver!
Pour
que nous soyons éternellement ensemble, je vais prier Jésus.
C'est
pourquoi très jeune, j'ai voulu porter l'habit noir,
Pour
me consacrer au Christ, plaire à Dieu.
Et
pour mère désormais, j'aurai la Toute Sainte,
Pour
qu'elle me conserve intact de la ruse de l'Ennemi.
Ma
chère maman, avec componction, dans le désert ici, dans le calme,
Je
vais prier pour toi, et pour toute la cité.
Au
monastère de Philothéou. Mont-Athos, le 3-5-1957.
Dédié à ma vénérée mère.
Païssios.
9.
Relations avec des pères vertueux.
Lorsque le Père Païssios
entendait parler de pères vertueux qui vivaient dans l'ascèse et
connaissaient des états de grâce, il désirait les rencontrer pour
son édification. Il considérait que leurs conseils étaient
précieux, et il combattait pour leur ressembler en vertu. Il
conservait intérieurement leurs paroles et leur saint exemple comme
un trésor précieux, comme il le fit voir plus tard dans son livre
Fleurs du Jardin de la Mère de Dieu.
Dès
le deuxième jour de son arrivée au monastère, il rendit visite à
l'Ancien Augustin le Russe dans sa cellule, mais il était absent. Il
lui laissa quelques offrandes. L'Ancien Augustin le voyait dans
l'Esprit depuis la skite du prophète Elie, qui se trouvait à une
distance d'environ quatre heures. Par la suite, ils se lièrent
spirituellement. A son propos, le Père Païssios rapporte (10) qu'il
luttait contre les démons, qu'il voyait la lumière incréée, que
la Toute Sainte venait lui rendre visite dans l'hôpital du
monastère, etc.
L'Ancien Pierre, celui que l'on
surnommait " Petit Pierre", venait aussi de Katounakia, et
ils discutaient tous les deux de questions spirituelles. L'Ancien
l'admirait et le respectait plus que les autres ascètes qu'il
connaissait, et c'est pour cette raison qu'il voulait devenir son
disciple.
Un moine de son monastère se
souvient : " On aurait dit que tous les ascètes qui venaient du
désert au monastère étaient programmés : ils se rendaient
directement auprès du Père Païssios. Celui-ci nous faisait venir,
nous les plus jeunes, pour l'écouter et en tirer profit. Je me
rappelle la venue de l'Ancien Pierre, un saint homme, petit e maigre;
il tenait un petit roseau en guise de bâton et, lorsqu'il parlait du
Seigneur, il se levait. " Assieds-toi donc, mon bon", lui
disait alors le Père Païssios. Et lui de répondre : " Quand
on parle du Seigneur, il faut se lever.""
Il avait aussi gagné la confiance
de deux fols-en-Christ. L'un était de Philothéou : l'Ancien
Dometios; l'autre vivait dans un calyve : l'Ancien E. Celui-ci
l'entretenait confidentiellement de son expérience de fol-en-Christ
(11) et des ascèses qu'il faisait.
(11)
: ( Sur la folie pour le Christ comme mode de vie spirituelle, voir
J. C. Larchet, Thérapeutique dess maladies mentales, 2° éd.,
Paris, 2007, p. 133-168).
Il
conservait bien entendu des relations avec le Père Cyrille ainsi
qu'avec un important ascète roumain, le Père Athanase, de la skyte
de Lakkou*. Par la suite il fit aussi la connaissance d'autres
ascètes vertueux.
10.
Bénédictions de la Toute Sainte.
L'Ancien raconta : " C'était
le quinze août. Après la Divine Liturgie, l'higoumène* m'envoya
accomplir une tâche. J'étais fatigué par le jeûne et la veille de
la nuit précédente et, après la Divine Liturgie, je ne mangeai
rien, parce que l'Ancien ne m'avait rien dit.
J'arrivai à Iviron* et j'attendis
le bateau. Alors qu'il aurait dû venir dans l'après-midi, le soir
tombait et il ne se montrait pas. J'étais complètement épuisé. Je
me dis que j'allais faire un chapelet à la Toute Sainte, pour
qu'elle me prenne tant soit peu en pitié. Mais par la suite, je me
suis dit : " Mon pauvre gars, tu ne vas pas déranger la Toute
Sainte pour si peu." Je n'avais pas eu le temps de terminer
qu'un frère, venu de l'intérieur du monastère, me donna un petit
paquet en me disant : " Voilà, frère, de par la Grâce de
Notre-Dame, la Mère de Dieu." Je l'ouvris. Il y avait dedans la
moitié d'un morceau de pain, des figues et du raisin. J'eus du mal à
retenir mes pleurs jusqu'au départ du frère."
Ceci s eproduisit au kiosque
d'Iviron. Une autre fois encore, il reçut une expérience immédiate
de la protesction de la Mère de Dieu à l'embarcadère ( arsanas*)
du même monastère. Ces deux événements ont beaucoup de similitude
entre eux, mais aussi pas mal de différences. La deuxième fois, il
venait aussi de veiller, il était aussi à jeun et attendait le
bateau.
Il
raconta : " Epuisé, je ne me sentais pas bien. Je craignais de
m'évanouir sur-le-champ et d'être vu par les ouvriers. C'est
pourquoi je rassemblai mon courage et m'assis sur un tass de bois. Je
pensai un instant invoquer la Toute Sainte, mais je me dis : "
Misérable, solliciter la Toute Sainte pour un morceau de pain!"
A peine eus-je pensé cela que se présenta la Toute Sainte qui me
donna du pain chaud et du raisin!"
Une personne que l'Ancien avait
guérie d'une maladie incurable, en entendant le récit de l'Ancien,
lui demanda étonné : " Bon, Géronda, après que vous ayez
mangé les grains de la grappe, la tige vous est restée dans la
main?
-
La tige comme les miettes", répondit l'Ancien.
11.
Il reçoit une révélation.
Pendnat son bref séjour à
Philothéou, il ne cessa de penser au désert. Il ressentait encore
plus fortement le désir de l'hésychia*, que les hésychastes
comprenaient " comme les douleurs d'une femme qui enfante (12)".
(12)
: ( Ps 47, 7).
Il
fit plusieurs tentatives pour partir au désert, mais toutes
échouèrent. La route de l'hésychia restait fermée et pleine
d'obstacles. Le projet de Dieu était autre.
Un jour, il s emit d'accord avec un
batelier pour qu'il le laisse sur une île déserte afin d'y mener
une vie ascétique et solitaire, mais en définitive ce dernier ne
vint pas.
Il voulait aller à Katounakia pour
devenir le disciple du vieux Pierre, mais les Anciens du monastère
ne lui en donnèrent pas la bénédiction. Entre-temps, le vieux
Pierre s'endormit saintement dans le Seigneur. Par la suite l'Ancien
racontait : " Qu'est-ce que j'aurais eu à souffrir! Je serai
resté seul tout en me jetant dans une ascèse débridée. Qu'est-ce
que le diable m'aurait alors fait subir!"
Il s'était aussi entendu avec le
Père Ph. de Philothéou pour aller vivre ensemble en ascètes à
Katounakia. Le Père Païssios aurait frabriqué des objets
artisanaux que le Père Ph. aurait livré au monastère; celui-ci, en
échange, leur aurait donné du pain séché pour leur subsistance.
Mais une nuit, avant que le signal de l'office ne résonne sur la
simandre*, l'Ancien frappa à la porte de la cellule du Père Ph. et
lui dit que ce n'était pas la volonté de Dieu qu'ils partent. Le
Père Ph. lui raconta le rêve qu'il venait de faire : " Nous
courions sur le toit du monastère et, alors que nous étions prêts
à nous élancer, une femme vêtue de noir nous retint par l'épaule
et dit qu'il y avait là un précipice et que nous allions nous tuer.
C'est ainsi que moi aussi j'ai compris que Dieu ne désirait pas que
nous partions."
Le Père Païssios raconta plus
tard ce qui s'était produit et qui le poussa à partir pour le
monastère de Stomion au lieu qu'il aille à Katounakia : "
J'étais en train de prier dans ma cellule. Soudain, je fus
complètement paralysé. Je ne pouvais pas me lever. Une force
invisible m'immobilisait. Je compris que quelque chose se passait. Je
restais ainsi comme vissé pendant deux heures à deux heures et
demie. Je pouvais prier, penser, mais je ne pouvais absolument pas
bouger. Tandis que je me trouvais dans cet état, je vis comme à la
télévision d'un côté Katounakia et d el'autre le monastère de
Stomion à Konitsa. Alors que je tournais mes yeux pleins d'un ardent
désir vers Katounakia, une voix - c'était celle de la Toute Sainte
- me dit clairement : " Tu ne vas pas aller à Katounakia, tu
vas aller au monastère de Stomion. - Toute Sainte, moi je t'ai
demandé le désert et Toi, tu veux m'envoyer dans le monde?"
ai-je dit. J'entends de nouveau la même voix me dire sévèrement :
" Tu vas aller voir telle personne (13), qui t'aidera beaucoup."
(13)
: ( La personne en question était Catherine Roussis, mère du maire,
qui "était une sainte personne", selon l'Ancien.
En
même temps, pendant cet événement divin, beaucoup de réponses me
vinrent, au sujet de beaucoup d'incertitudes que j'avais. Aussitôt,
je fus délié de ce lien invisible et mon coeur déborda de grâce
divine. Puis je me rendis auprès de mon père spirituel. "
C'est la volonté de Dieu, me dit-il, mais ne parle pas de cet
événement. Dis que pour des raisons de santé - j'avais alors perdu
beaucoup de sang - il faut que tu sortes de la Sainte-Montagne, et
vas-y." Moi je voulais autre chose, mais Dieu avait son plan.
Comme cela apparut plus tard, la principale raison était qu'il
fallait aider les quatre-vingts familles qui étaient devenues
protestantes à redevenir orthodoxes."
CHAPITRE
VII
AU
MONASTERE DE STOMION
A
KONITSA
1.
Renouveau du monastère.
" Le Seigneur guide les pas de
l'homme (1)."
(1)
: (Ps. 36, 23).
C'est
par une révélation que le Seigneur dirige désormais les pas de
l'homme de Dieu Païssios vers le monastère de Stomion, dans la
province de Konitsa. Il avait soif d evie solitaire et il se
préparait pour le désert, mais se conformant au commandement de la
Toute Sainte, il se retrouva dans un monastère du monde.
Lui-même disait : " Le voeu
que j'avais fait à la Toute Sainte, si sa grâce me protégeait
pendant la guerre, d'aller trois ans durant aider à reconstruire son
malheureux monastère, je pensais que désormais la Toute Sainte ne
requerrait plus que je l'accomplisse une fois que je serais devenu
moine, mais il semble qu'elle voulait que je l'accomplisse quand
même."
C'est ainsi que l'Ancien se
retrouva dans le paisible monastère de Stomion en août 1958. Les
gens du lieu se réjouirent de sa venue et un assez grand nombre
d'entre eux lui rendirent visite.
Il
entreprit de rénover le monastère qui avait brûlé, sans avoir ni
l'argent ni les matériaux indispensables. l'évêque lui dit de
faire une tournée dans les villages avec les saintes reliques pour y
recevoir des offrandes. Là où ils se rendaient, les fidèles
venaient, vénéraient les reliques et ces pauvres gens donnaient
chacun une assiette de blé. L'un après l'autre, il remplissait des
sacs de ce grain, mais il ne le gardait pas pour les travaux de
restauration; il le donnait au prêtre de chaque village pour qu'il
le distribue aux familles les plus pauvres.
Mais la Toute Sainte, qui l'amena à
son monastère, agréa ses efforts. Elle éclaira certaines personnes
qui apportèrent de l'argent, des matériaux de construction ainsi
que leur travail personnel. De plus, à de nombreuses reprises,
l'Ancien ressentit et la collaboration et l'assistance directe de la
Mère de Dieu, comme il le raconta : " lorsque nous avons fait
le soubassement en béton, soixante-dix personnes vinrent nous aider.
Alors que le travail progressait, les maçons me dirent : " Il
manque vingt sacs de ciment." Alors que faire? Je me trouvais
dans une situation difficile. Que nous laissions le travail à moitié
fini, cela n'allait pas; apporter d'autres sacs de ciment, c'était
difficile, parce qu'il fallait pour les transporter quatre heures et
demie avec les mulets et ceux-ci étaient aux champs. Je courus alors
à l'église. J'allumai un cierge, je m'agenouillai et suppliai la
Toute Sainte de nous venir en aide. Puis je dis aux ouvriers de
continuer le travail, en faisant ce qui était fixé. Lorsqu'ils
eurent terminé, il y avait cinq sacs de ciment en trop."
Pendant ce temps, les femmes qui
cuisinaient avertirent l'Ancien qu'il n'y avait pas assez de pain et
de nourriture pour les ouvriers. Celui-ci les rassura en leur disant
de ne se faire aucun souci; De fait, tous "mangèrent et furent
rassasiés et l'on emporta les morceaux qui restaient (2)".
(2)
: ( Mc. 8, 8).
En
partant, ils emportèrent du pain dans un sac. De plus, pendant ce
travail, des nuages très noirs couvrirent le ciel, annonçant une
pluie torrentielle. S'il pleuvait, le dallage resterait à moitié
inachevé. Mais rapidement le soleil se montra et l'ouvrage put être
terminé.
Il
était aussi difficile de trouver des matériaux; de plus il fallait
les transporter par un sentier qui ressemblait à un sentier de
chèvres et qui, à certains endroits, se rétrécissait au point
qu'un animal bâté passait difficilement. De l'autre côté, il y
avait un précipice.
Un
ouvrier raconta : " Nous devions étendre le ciment pour le
dallage, et le Père Païssios avait transporté le gravier depuis la
rivière et il le monta jusqu'au monastère. Avec d'une part un sac
qu'il portait sur son dos, et d'autre part grâce à des bêtes qu'il
trouvait ici et là, il finit par y arriver et put faire le dallage,
mais il se fatigua beaucoup.
M.
Georges Baïppas raconta : " Un jour le professeur
d'archéologie, M. Dakaris, vint. Il vit que l'église était pavée
avec des dalles de pierre et dit au Père Païssios : " Je vais
t'envoyer du marbre blanc. " Effectivement, il en envoya et il
le laissa au pont. L'Ancien avertit alors les habitants de Konitsa
pour qu'ils le transportent avec leurs bêtes. Ceux-ci vinrent,
virent les plaques de marbre, trouvèrent qu'elles étaient trop
grandes et dirent que les mulets ne pouvaient pas les transporter, d
epeur qu'ils ne glissent et tombent dans le ravin. L'Ancien leur dit
: " Bon." Rien d'autre. Il descendit et prit deux blocs de
marbre sur son dos pour les monter au monastère. D'aucuns le virent
: " Que fais-tu, Père? - Eh bien, puisque les mules des
habitants de Konitsa font défaut, c'est moi qui vais les
transporter." Eux alors se mirent à courir et dirent : "
Qu'avez-vous à rester ainsi au café pendant que le Père Païssios
transporte les blocs de marbre sur son dos tout seul? " Ils
furent alors emplis de zèle, vinrent avec leurs mulets et les
transportèrent, et c'est ainsi que le sol de l'église fut recouvert
de marbre blanc."
Il acheta du bois et, tout seul, il
fabriqua des portes, de sfenêtres, des stalles, des tables et tout
ce qui était nécessaire. Il changea aussi le toit d el'église, il
fit des cellules pour les moines, une hôtellerie, une citerne et
d'autres travaux. Sa soeur Christine se souvient : " Le
monastère était une ruine, et je suis allée l'aider. AU début
quand nous y allions, nous apportions quelques denrées sur une mule.
ALors qu'il y avait une chambre et une cuisine, et une pièce à la
porte, il s efabriqua une petite baraque avec des planches, tout
juste ce qu'il fallait pour y habiter, sans pouvoir s'étendre. Je
lui ai dit : " C'est là que tu vas demeurer? Les rats vont te
manger." Il me répondit : " Si quelqu'un vient, il faut
qu'il ait une pièce où habiter." Il me retourna la nourriture
: " Prends-la, parce que ce sont les rats qui vont la manger."
Il y habita jusqu'à ce qu'arrivent les deux autres Pères; alors il
fit trois petites cellules. Plus tard il fit dans le coin la cellule
où il habitait."
M.
Baïppas rapporta : " Le Père Païssios était un menuisier
accompli. C'est lui qui restaura le monastère, qui était détruit,
en se donnant beaucoup d emal. Il était malade mais il respectait
quand même le jeûne. Il ne relâchait jamais le jeûne."
M. Jean Hadji-Roubis tépoigne
aussi : " Nous rendîmes visite à l'Ancien au Stomion et nous
vîmes avec quel soin digne d'un maître de maison il s'était occupé
du monastère. Ses travaux suscitaient l'admiration. Alors, il nous
dit que le torrent qui se trouve en contrebas était difficile à
traverser en hiver. Il construisit lui-même un petit pont. Nous nous
proposâmes pour l'aider. Plus tard, huit personnes vinrent l'aider
pour y mettre du ciment."
2.
Il impose le respect.
L'Ancien ne faisait pas que s
edépenser dans les travaux de construction : la vie vertueuse qu'il
menait et les conseils pertinents qu'il prodiguait aux pèlerins
imposèrent le respect quant à la sainteté du monastère. Il
pensait que les fêtes et les danses, avec tout ce qui s'ensuit,
étaient indécentes. Il considérait cela comme un blasphème contre
Dieu et une offense envers la Toute Sainte, l'église étant
consacrée à sa Nativité (3).
(3)
: ( Les vers ci-dessous, composés par l'Ancien, reflètent son grand
amour pour le monastère de Stomion, mais aussi la grande souffrance
qu'il éprouvait pour tout ce qui s'y était passé :
"
Petit monastère isolé, orné par la nature,
C'est avec piété que nos
ancêtres t'avaient construit,
En te dotant de bien des
offrandes,
Sans cesse gardé par des moines
et un prêtre;
Mais aujourd'hui te voici en
ruines,
Ta veilleuse s'est éteinte bien
des fois,
Ta petite église, qui incite au
recueillement pleure tristement,
Inconsolable à cause de ta
bâtisse brûlée par les Allemands.
La Toute Sainte a consenti à
ce qu'elle brûle à cause de nos péchés,
Parce que, d enos jours, nous
les jeuness, nous nous somme détournés,
Nous avons abandonné nos
chansons klephtiques et nos danses nationales
Pour tomber dans les
horreurs de l'Occident. Malheur à notre aveuglement!
Mais de nouveau nous n'avons
pas compris Notre Dame :
Que nous devons célébrer
les fêtes toujours avec des vigiles,
Et non pas avec des danses
obscènes et des chansons bruyantes,
Insultant ce qui est sacré
devant ton saint narthex.")
Tout d'abord, avant l'entrée du
monastère, à droite dan sun petit tertre, il creusa un tombeau. Il
y dressa une croix et, quotidiennement, il allumait une veilleuse et
l'encensait. Il le fit pour se souvenir de la mort, mais surtout pour
que les laïcs ne se divertissent pas en ce lieu. Les parties de
plaisir et les danses cessèrent. Il considérait qu'il n'était pas
convenable qu'un office se déroule dans l'église, alors qu'à
l'extérieur, on prenait du bon temps. Lors des fêtes uniquement, il
leur permettait par économie d'aller sous les hêtres qui s
etrouvaient en face pour y manger, car on y trouvait aussi de l'eau
courante. Il avait aménagé l'espace; il y avait de plus mis des
planches pour que l'on y soit protégé du froid. Mais il ne leur
permettait pas de boire des boissons alcoolisées. Malgré cela,
quelqu'un désobéit. Il apporta avec lui un récipient plein d'ouzo
qu'il vendait aux gens. L'Ancien s'en rendit compte et lui demanda :
"
Qu'est-ce que tu as là?
-
De l'eau, dit-il.
-
La source qui est là a aussi de l'eau."
Comme
le récipient d'ouzo était près du ravin, il le poussa du pied, et
il roula en bas de la pente jusqu'au fleuve Aoüs.
En contrebas du monastère, avant
le petit pont de ciment, au lieu dit "Gavros", il mit deux
panneaux. L'un indiquait le monastère, et il y écrivit : "
Vers le monastère de Stomion, ceux qui sont habillés décemment.";
l'autre indiquait le fleuve et disiat : " Vers le fleuve Aoüs,
ceux qui sont habillés indécemment." En particulier, il ne
voulait pas qu'entrassent dans le monastère des femmes habillées
d'une façon indécente. Sur la porte extérieure du sanctuaire, il
mit un écriteau : " Entrée interdite aux laïcs."
Un vendredi, des laïcs vinrent au
monastère. Ils prirent la poële du monastère et commencèrent à
faire frire des poissons qu'ils avaient apportés avec eux. Au début,
l'Ancien ne les avait pas remarqués parce qu'il était occupé. Mais
dès qu'il s'en rendit compte, son zèle s'enflamma et il se rendit
sur les lieux, prit la poële et la jeta dans le ravin avec les
poissons.
3.
Un saut dans le ravin.
Un
jour, il transportait les saintes reliques, et le reliquaire était
lié par des courroies à ses épaules. A un endroit du chemin nommé
"La grande échelle", la courroie céda et le reliquaire
tomba dans le ravin. Mû par son amour et par sa dévotion pour les
saintes reliques, sans prendre soin de lui-même et sans la moindre
hésitation, l'Ancien sauta aussitôt dans le ravin pour les
devancer. Le reliquaire dégringola et heurta les rochers. En
définitive, lui-même fut sauf, par la grâce de Dieu; il n'eut
aucune blessure, pas même une égratignure! Le reliquaire avec ses
reliques ft également intact, alors que l'étui métallique qui
était adapté au reliquaire était tout cabossé par les chocs. Le
ravin était si profond et si raide qu'il était impossible que
l'Ancien remonte. Pour revenir sur le sentier, il suivit pendant
longtemps le lit du fleuve.
4.
Invention des reliques de saint Arsène.
L'année où il arriva au monastère
de Stomion il décida de procéder à l'invention (4) des reliques de
saint ARsène. Plus d etrente ans avaient passé et il était encore
enseveli dans le cimetière de Corfou. Il confia le monastère à son
frère Raphaël et, en octobre 1958, il s erendit à Corfou. Là, il
s emit à la recherche de son ancien ami et compagnon sous les
drapeaux Pantélis Tzéko. Il le trouva à l'usine où il
travaillait. M. Pantélis ne le reconnut pas et, courbé sur son
bureau, lui demanda : " Père que voulez-vous?" L'Ancien ne
dit rien. " Puis-je vous être utile en quoi que ce soit?",
lui demanda-t-il encore. " Pour cela", lui dit l'Ancien en
lui montrant ses deux index. Alors il le reconnut et, plein de joie
et d'émotion de voir de façon inattendue son ami et son sauveur, il
l'étreignit et l'embrassa.
Chez lui, il dit à sa mère et à
son épouse de préparer une table richement garnie et il pria
l'Ancien de lui faire le plaisir de rester.
"
Puisque moi je vais te faire ce plaisir, toi, à ton tour, fais m'en
un autre.
-
Tout ce que tu veux!"
Il
lui demanda de ne manger que des légumes, auxquelsil ajouta trois
gouttes d'huile et deux ou trois olives; Rien d'autre.
Ils
dormirent dans la même chambre. A trois reprises pendnat la nuit,
après qu'il ait observé si M. Pantélis dormait, lequel faisait
semblant, il se leva, s'agenouilla sur le lit et se mit à prier. Au
matin, ils s emirent en marche vers le cimetière sous une pluie
diluvienne. L'Ancien dit à M. Pantélis : " N'aie pas peur; sur
le chemin que nous prenons, la pluie va s'arrêter." Petit à
petit la pluie s'arrêta, jusqu'à cesser complètement.
Pendant l'invention, l'Ancien lava
les ossements avec du vin et d el'eau, il les enveloppa ensuite dans
des morceaux de drap blanc et il les mit dans une boîte noire qui
ressemblait à une valise. Il trouva aussi la bouclede la ceinture de
saint Arsène. A un moment, elle tomba sur M. Pantélis. Celui-ci
s'appuya de s amain sur le mur (5).
(5)
: ( Cet endroit du mur était pour M. Pantélis une marque. C'est d
elui qu'il se souvint trente-sept ans plus tard, pour montrer au
bienheureux Métropolite de Corfou, Timothée, l'endroit de la tombe
de saint Arsène. Alors, le samedi 8 août 1995, eut lieu la deuxième
invention et l'on trouva une partie du pied droit avec les doigts de
pieds et six vertèbres).
Comme le fossoyeur protestait pour
être venu un jour de pluie, l'Ancien, bien qu'il eût reçu la
permission de l'évêque, par sensibilité dit à M. Pantélis : "
Puisque l'homme est contrarié, laissons donc deux ou trois os et
quand je reviendrai l'année prochaine, nous les sortirons."
Après l'invention, un rayon de
soleil traversa les cyprès et éclaira le tombeau.
Lorsqu'ils eurent terminé, il s'en
alla demeurer dans un hôtel. Il ne voulait pas aller avec les
reliques dans la maison de M. Pantélis, car celui-ci étant un jeune
marié, il craignait que les femmes ne l'interprètent mal. Au matin,
alors qu'ils se rencontrèrent, M. Pantélis vit qu'il était
transformé par la grâce divine. Il lui dit : " Tu es très
beau aujourd'hui! Mais comme tu es beau!"
L'Ancien lui raconta ce qui suit :
" Laisse-moi te dire ce qui m'est arrivé hier soir. Je suis
allé ouvrir le reliquaire pour vénérer les reliques, et une force
m'accabla, cherchant à m'étouffer. A cet instant, je dis : "
Saint Arsène, aide-moi!", et aussitôt je fus délivré (6)."
(6)
: ( Ces témoignages relatifs à la translation de saint Arsène
proviennent de M; Pantélis Tzékos, désormais moine Arsène. Pour
le dernier fait rapporté, voir aussi le livre de l'Ancien, Saint
Arsène de Cappadoce, p. 8-9).
Il revint joyeuxà Konitsa et il
passa la nuit chez kaiti Patéras. Là, il les déposa sous
l'iconostase. Celle-ci alluma une veilleuse et, par la suite,
s'occupa des tâches ménagères. Mais elle vit que venaient de la
pièce où étaient les reliques, comme des éclairs, et elle se dit
qu'il allait pleuvoir. Elle se hâta d'aller chercher son parapluie
parce que le lendemain, elle voulait aller en bas de Konitsa assister
à la Liturgie. L'Ancien essaya de lui expliquer que ces "éclairs"
ne venaient pas du ciel, parce que le temps dehors était beau et
qu'il y avait des étoiles, mais qu'ils venaient des saintes
reliques; D'après son témoignage, c'était "une lumière
térange, comme s'il y avait des éclairs, non pas comme une lueur
qu'on allume".
5.
Peines, ascèses et hésychia.
Le "petit jardin de la Toute
Sainte", comme l'Ancien nommait le Stomion pour lui rappeler la
Sainte-Montagne, possédait une beauté sauvage et vierge. C'est une
des plus belles régions du monde selon les connaisseurs.
Cependant, les conditions de vie y
étaient très difficiles. Le monastère n'avait pas même un mulet.
L'Ancien racontait : " J'avais beaucoup de forces; Je parcourais
une distance de deux heures trosi quarts. L'eau que je buvais
devenait du sang. Il arrivait que je me rende de Stmion à Konitsa
trois ou quatre fois par jour en transportant des matériaux sur mon
dos pour le pauvre monastère." A elle seule, une telle marche
constituait une dure et pénible ascèse. Mais cela le réjouissait,
parce qu'il aimait la peine.
Souvent, il enlevait ses chaussures
et marchait pieds nus, en empruntant un sentier difficilement
praticable en face du vieux monastère. Il priait et revenait en
suivant le val creusé par le fleuve Aoüs, cela en deux ou trois
heures. A un jeune, qui lui demanda pourquoi il agissait ainsi, il
répondit : " J'aurais dû me faire moine plus tôt." Il
voulait dire que pour acquitter tout ce qu'il aurait dû faire s'il
était devenu moine plus tôt, il s'imposait des ascèses
supplémentaires.
Tandis qu'il "s'absorbait dans
les travaux de Marthe", comme il appelait les travaux de
construction, il subvenait aussi aux besoins des gens; il poursuivait
son ascèse et il l'accroissait malgré sa santé défaillante. Il
jeûnait sévèrement, et il domptait de toutes les façons son corps
fragile, alors qu'il suivait un traitement avec des piqûres.
Parfois, il passait une journée complète avec un verre d'eau. Bien
qu'il cultivât dans le jardin du monastère des légumes de toutes
sortes, sa nourriture habituelle consistait en tisane et en morceaux
de pain séché, ou en noix pilées.
Mme
Pénélope Barbouti rapporte qu'"il allait au jardin nu-pieds et
que, le soir,il enlevait les épines de ses pieds. Il mangeait un
morceau de pain séché le matin et un le soir. Parfois, il buvait de
la tisane sans sucre. Il travaillait énormément et ne dormait
pratiquement pas. Il essayait de ne désobliger personne, et il
voulait que tout le monde soit à l'aise. Il ne disait jamais non.
Ses mains étaient devenues calleuses à cause de ses nombreuses
prosternations. Ses jambes n'étaient que des os. Il avait beaucoup
de problèmes de santé."
Le jour, il travaillait dur et la
nuit il veillait. Il lisait seul tous les offices, comme il l'avait
appris à la Sainte-Montagne. Il ne laissait rien de côté de tout
ce que prévoit le typikon* monastique. Il accomplissait ses
obligations monastiques personnelles avec beaucoup d'exactitude et,
en plus, il priait avec le chapelet* pour les vivants et les morts en
général, ainsi que pour des personnes qui en avaient plus
particulièrement besoin.
Le
soin nécessaire accordé aux hommes et aux travaux n'altérèrent
aucunement sa soif de solitude; au contraire ils l'attisèrent, et il
inventait des moyens pour ne pas interrompre son activité intérieure
et sa communion avec Dieu. Il brûlait d'envie de se réfugier dans
des grottes tranquilles pour pouvoir prier sans distraction " en
désirant et en recherchant Dieu". Telle était sa joie
spirituelle : être seul dans l'hésychia* avec Dieu seul. Il y
prenait plaisir et était nourri par la communion avec Dieu par le
moyen de la prière intérieure qui était l'objet de son désir.
Bien que le monastère se trouvât
dans une région déserte et calme, l'Ancien se retirait parfois dans
une grotte pour y prier. Il s'y rendait de nuit et y faisait des
veilles avec le chapelet et un nombre incalculable de prosternation.
Mais il y faisait sombre et l'eau suintait.
C'est pourquoi il avait creusé
aussi une autre grotte dans une zone exposée au soleil, petite comme
un fourneau, où il ne pouvait se tenir que courbé. Il la cacha avec
des branches pour qu'on ne la vît pas. Plus tard, il trouva le creux
d'un chêne. C'était un endroit plus ensoleillé et plus sec. Il
voulait le tailler jusqu'à ce qu'il le contînt, pour y demeurer
dans l'hésychia en hiver, parce que durant cette période le soleil
n'arrive pas jusqu'au monastère.
S'il n' y avait pas de pélerins,
il s'enfermait, certaines heures durant, dans sa cellule. Il liasit,
priait et se livrait seul à des oeuvres spirituelles. Il laissait la
porte de la cellule entrouverte, pour voir l'entrée du monastère,
au cas où quelqu'un y viendrait. Ensuite il reprenait ses
occupations.
Les
jours où il y avait des pèlerins, il trouvait avec discernement le
temps d'accomplir ses tâches spirituelles. Lorsque beaucoup d egens
arrivaient, il laissait quelqu'un de sa connaissance veiller sur
l'église et lui-même se retirait pour accomplir ses obligations
monastiques et, ensuite, il revenait. Lorsqu'il allait prier, il
laissait toujours la porte du réfectoire ouverte pour que, si
quelqu'un venait à passer, il trouve toujours quelque chose à
manger. Il avait du pain, des conserves, des tomates, etc.
6.
Protecteur des pauvres et des orphelins.
En
dehors des travaux de construction, il prenait soin aussi de tous
ceux qui s etrouvaient dans le besoin. Et ils étaient nombreux. Dans
les villages autour de Konitsa régnait une grande pauvreté, ainsi
que l'isolement et la misère. L'Ancien collectait des vêtements, d
el'argent, d ela nourriture et de smédicaments, dont il faisait des
colis qu'il envoyait à ceux qui étaient dans le besoin. Dans cette
oeuvre charitable, il avait comme aides des femmes pieuses. Toutes
celles qui en avaient la disposition, il les envoyait aider des
personnes souffrantes, surtout des vieillards, qui n'avaient aucun
parent auprès d'eux.
Il avait reçu l'autorisation de la
police de pouvoir laisser dans chaque quartier de Konitsa un tronc
pour collecter de l'argent et il avait désigné aussi un
responsable. Il y en avait aussi un en plus à l'extérieur du poste
de police. Il institua un comité, qui avait pour charge de gérer
l'argent, et d ele distribuer selon les besoins de chacun.
Il s'intéressa aux enfants pauvres
et orphelins, pour qu'ils puissent poursuivre leurs études. Il les
confiait aux personnes appropriées, mais il les aidait aussi
économiquement lui-même autant qu'il le pouvait. Beaucoup d'entre
eux sont aujourd'hui des gens instruits et pleins de reconnaissance
pour l'Ancien.
Il donnait les terres du monastère
à des familles pauvres pour qu'elles les cultivent. Il ne demandait
pas de loyer. Il leur disait que, s'ils avaient une bonne récolte,
ils pouvaient offrir au monastère ce qu'ils voulaient. Si l'année
était mauvaise, il ne demandait rien.
Toutes les fois que sa soeur
Christine apportait des vêtements ou de la nourriture, il ne les
prenait pas. Il lui disait de les apporter chez des familles dont il
savait qu'elles en étaient privées.
Lors de la Théophanie, il passait
dans les maisons avec de l'eau bénite, et les gens lui donnaient
quelque chose pour le monastère. Il passa un jour par une maison
dans laquelle s etrouvait un enfant infirme. La maîtresse de maison
se pérparait à mettre quelque chose dans le tronc. L'Ancien lui dit
alors : " La Toute Sainte ne te demande rien; car toi tu es dans
le besoin." Et aussitôt de vider le tronc sur la table avec
tout l'argent qu'il avait collecté.
Kaiti Patéras rapporte : " Il
aida quantité de gens. Car il était très généreux. Un jour, je
lui fisun gilet. Lorsqu'il rencontra en chemin une femme folle, il
enleva aussitôt le gilet et le lui donna, pour que cette malheureuse
n'ait pas froid. Je lui ai donné aussi d'autres choses, mais lui, il
les donnait au premier venu."
M. Thomas Tasios témoigne : "
Un vieillard demeurait tout seul abandonné dans une grotte. Chaque
semaine, l'Ancien lui apportait la nourriture nécessaire et le
lavait de ses mains. Il quittait le monastère à l'aube et il allait
le voir sans que personne ne le sache."
7.
Il affronte la tentation tel un martyr.
L'Ancien se préoccupait non
seulement des besoins matériels des gens, mais aussi et surtout du
salut de leurs âmes immortelles. Lui-même rapporte : " J'ai
demandé des nouvelles d'une camarade d'école, et on m'a dit qu'elle
avait pris un mauvais chemin. Bon, alors j'ai prié pour que Dieu
l'éclaire et qu'elle vienne me voir pour que je lui dise un mot.
J'avais rassemblé des extraits de textes sur le thème du repentir.
Elle vint un jour avec deux ou trois autres personnes. Par la suite,
elle vint souvent avec son enfant et des cierges et de l'huile. Un
jour, quelqu'un me dit : " Père, elle se moque de vous. Elle
fait l'hypocrite avec vous, mais elle sort avec les policiers."
Lorsqu'elle est venue la fois
suivante, je l'ai réprimandée sévèrement et elle est partie en
pleurs. Peu après, je sentis que tout mon corps était brûlant d'un
échauffement charnel. Je priai, rien n'y fit. Je m'étonnais de ce
que cette tentation m'accable. Je priai de nouveau, sans résultat.
Je pris alors la hache, je mis la patie arrière de ma jambe gauche
sur un morceau de bois, je posais sur elle le tranchant et je
frappais sur la hache avec un marteau. J'ai découpé huit petits
morceaux de chair. J'espérais qu'avec la douleur de la coupure,
l'échauffement charnel diminuerait, mais rien. Ma chaussure était
pleine de sang, mais la guerre ne diminuait pas. Alors je me suis
levé, j'ai laissé le monastère ouvert et j'ai pris la direction de
la forêt. Je me suis dit qu'il valait mieux que les ours me
mangent... Exténué par le trajet, je tombai d'épuisement au bout
du sentier. je me demandai comment cette tentation m'était arrivée,
et je tentai de trouver une explication qui puisse rendre compte de
sa cause. C'est alors que je pensai à la femme que j'avais
réprimandée. Je me dis alors : " Mon Dieu, si elle ressent une
telle guerre de la chair, comment la pauvre peut-elle y faire face?"
C'était cela! Je me repentis de ma critique sévère à l'égard de
cette femme, je demandai pardon à Dieu, et aussitôt il me sembla
que je sortais d'un bain frais. L'échauffement avait disparu."
Et, pour conclure, il ajouta : "
Lorsqu'un désir charnel nous trouble, la chair n'est pas toujours la
responsable. Car la guerre charnelle peut provenir aussi de pensées
de blâmes et d'orgueil. Cherchons donc d'abord la cause de la
tentation, et ensuite agissons en conséquence. Ne nous mettons pas
tout de suite à jeûner, à veiller, etc."
Cet
événement révèle son esprit de martyr. Il a montré qu'il
préférait mourir, devenir la proie des bêtes sauvages plutôt que
de pécher ne serait-ce qu'en pensée. Il a vraiment donné du sang
pour recevoir l'Esprit (7).
(7)
: ( Cf. Apophtegmes des Pères du désert, série alphabétique
Longin, 5 : " Donne ton sang, et tu recevras l'Esprit).
Dans
les Vies de saints, de tels faits sont attestés. Quand, par exemple,
Abba Pachôn fut tenté, il se rendit dans des tanières d'hyènes
et, plus tard, il mit un serpent venimeux sur son corps, mais Dieu le
protégea et lui fit don de l'impassibilité (8).
(8)
: ( Pallade, Histoire Lausiaque, 23).
Les
cicatrices de ses coupures furent visibles sur sa jambe jusqu'à sa
dormition. Ceux qui ont entendu le récit de l'Ancien les virent, les
touchèrent et en témoignent.
8.
Luttes contre les hérétiques.
Des
hérétiques évangélistes s'étaient déjà manifestés à Konitsa.
Ils faisaient du prosélytisme et ne cessaient de s'étendre. Ils
aveint leur propre salle et s'y réunissaient. C'était un danger
mortel pour la foi. Dieu utilisa le Père Païssios qui, bien que peu
cultivé, était "rempli de la grâce et de la puissance du
Saint Esprit" et d'un egrande sensibilité orthodoxe, pour
chasser les loups de l'erreur protestante.
Pour
commencer, il s'informa avec précision d eleur foi. Il écrivit un
texte expliquant ce qu'étaient les évangélistes et il le laissa au
monasstère pour que les pèlerins le lisent.
Lors de leurs réunions, il leur
envoyait des gens à lui pour qu'ils notent ceux qui suivaient les
conférences. Ensuite, il convoquait séparément les auditeurs des
prédications hérétiques et il les admonestait. Ainsi, ils ne se
rendaient plus aux réunions des hérétiques. De plus, il embaucha
certains d'entre eux comme travailleurs au monastère et il les
persuada d'interrompre leur relation avec l'organisation hérétique.
Ceux-ci devinrent d'excellents chrétiens.
Il
donna ensuite une bénédiction* à quelques enfants qui vinrent de
nuit et enlevèrent la pancarte qu'ils avaient placardée à
l'extérieur de leur salle. Par la suite, après un entretien qu'il
eut avec leur chef qui venait de Thessalonique, il réussit à le
persuader de ne plus revenir à Konitsa. Par ses prières, son
action, et sa confrontation pleine de discernement, il retourna tous
ceux qui avaient été entraînés par les évangélistes, et Konitsa
redevint " un seul troupeau, avec un seul berger".
Ensuite apparurent des makrakistes
(9), mais l'Ancien entrava aussi leur action.
(9)
: ( Apostolos Makrakis (1831-1905). Figure importante de la Grèce du
XIX° siècle. Doué d'une vive sensibilité religieuse, mais d'une
imagination excentrique, il fut condamné par le Patriarcat ainsi que
par le Saint-Synode de l'Eglise de Grèce. Néanmoins, par son
insistance sur la lecture assidue de la Bible, la nécessité de la
communion fréquente, la nécessaire cohérence entre foi et vie
sociale, il fut l'un des inspirateurs d'Eusébios Mathopoulos
(1849-1929), fondateur de la fraternité laïque Zoï).
Il
agit énergiquement et opportunément, et eux aussi repartirent
bredouilles.
Il
s'intéressa aussi aux musulmans de Konitsa. Il les entoura
d'affection et d'intérêt. Il les aida dans leurs besoins et, chaque
vendredi, il les rassemblait dans une de leurs maisons, et ils
discutaient. Il espérait qu'avec l'amour et une juste confrontation,
ils pourraient devenir chrétiens. Certains d'entre eux sont
aujourd'hui baptisés.
9.
" Mû par l'Esprit..."
L'Ancien raconta : " Deux
Pères vinrent demeurer avec moi au monastère de Stomion. J'avais
une grande cellule et je voulais la diviser en deux, masi je n'avais
pas d'argent. Je décidai d'emprunter 500 drachmes .
Un
jour, en cheminant, je rencontrai un petit oratoire. Je fis mon signe
de croix, j'allumai la veilleuse et continuai mon chemin. J'arrivai
devant une maison, et quelque chose me poussa à frapper. C'était le
matin. En me voyant, le maître de maison se réjouit. " Je
t'attendais, me dit-il. J'ai mis de côté cet argent pour la Toute
Sainte", et il me donna 500 drachmes, juste ce dont j'avais
besoin.
Songeant à ce fait, une autre fois
aussi je ressentis une sollicitation intérieure de cette sorte,
quelque chose qui me poussait intérieurement , pour que j'aille dans
une grande ville (Ioannina). Ne pouvant agir autrement, j'obéis et
je partis. Je ne savais pas ce que j'allais y faire; je n'avais pas
de but précis. Marchant dans les rues, je passai devant un magasin,
j'y entrai pour acheter quelques coupes pour les veilleuses de
l'église, comme ça, parce qu'elles se trouvaient là. Lorsque
j'arrivais devant une maison, dans une rue de traverse, cet élan
intérieur me poussa à y entrer. J'obéis et je frappai à la porte.
Une femme vêtue de noir vint m'ouvrir, âgée d'environ
quarante-cinq ans. Dès qu'elle me vit, elle tomba à mes pieds et
une quinzaine de fois dit sans s'arrêter : " Mon Jésus, je te
remercie, je te remercie, mon Jésus." Nous entrâmes, deux
autres femmes se trouvaient déjà à l'intérieur.
De
11 heures du matin jusqu'à 5 heures de l'après-midi, nous restâmes
assis à discuter. ensuite nous célébrâmes un office
d'intercession à la Toute Sainte. La femme, à genoux, pleurait en
psalmodiant l'office qu'elle connaissait par coeur.
Cette
femme était devenue veuve encore jeune. Elle était très riche.
Elle donna à des petites orphelines une partie de sa fortune, que
leurs proches administraient; Elle attendait que sa fortune soit
utilisée correctement pour qu'elle puisse se retirer ensuite dans un
monastère. En attendant, elle s'était rendue à Jérusalem et y
était devenue moniale en cachette; Elle portait des habits noirs,
comme une moniale. Elle avait supplié Dieu avec insistance pour
qu'il lui envoie un moine susceptible de lui enseigner la vie
monastique.
Après avoir mis en ordre sa
fortune de cette façon, elle se rendit par la suite dans un
monastère situé dans une île (10).
(10)
: ( Au monastère de Phaeneromeni, à Salamine. Là, elle devint
moniale, et elle s'endormit sous le nom de soeur Anna, et selon le
monde Athina Hadji laquelle, durant les années de l'Occupation,
avait exercé une grande influence).
Celle-ci me dit qu'une autre
moniale cachée tenait un kiosque. Je m'y rendis et discutai avec
elle. Elle avait entrepris de s'occuper des orphelins laissés par
son frère, qui avaient aussi perdu leur mère. Souvent, son esprit
était ravi en contemplation! Les gens qui venaient faire leurs
courses ne comprenaient pas combien élevé était son état
spirituel. Il pensait que, à la suite d'un excès de chagrin, elle
avait un peu perdu la tête et qu'elle avait des absences. Ils
prenaient eux-mêmes les marchandises du kiosque et ils lui
laissaient l'argent. Toutes les deux étaient des âmes d'élite."
10.
Attaques des démons.
Il
avait entendu dire que jadis les pères du monastère descendaient
dans le ravin pour y trouver l'hésychia, et il essaya d'y descendre
aussi. Il prit une corde, s'y attacha, et attacha l'autre extrémité
à un arbre. A un endroit, il trouva une surface plate, d'environ un
mètre carré et il s'y arrêta. Il voulait y prier. Il trouva
quelques pierres qu'il mit au bord comme un muret. Dès qu'il
commença à prier, le tentateur se manifesta sous la forme d'une
trombe d'eau qui le poussa violemment vers le précipice. Il implora
alors la Toute Sainte : " Ma Toute Sainte, sauve-moi!"
Aussitôt la trombe d'eau s'arrêta et il fut sauvé, alorsq u'il
était arrivé au bord du ravin et qu'il prenait appui de sa jambe
sur les pierres. Ce précipice est redoutable et, rien qu'à le voir,
on est saisi par le vertige.
L'Ancien rapportait aussi une autre
agression démoniaque : " J'étais dans l'église, en train de
prier, quand vers minuit j'entendis le verrou de la porte qui
bougeait sans cesse en grinçant. A une heure, il ne s'était pas
arrêté. On entendait en même temps des voix et des coups. Il n'y
avait personne d'autre au monastère. Je me suis dit que puisque le
diable était à la porte, je ne pouvais sortir, et j'entrai dans le
sanctuaire où je passai la nuit."
11. Sauvé par la Providence
divine.
"Quand je restaurais le
monatsère, racontait l'Ancien, il fallut que j'aille de façon
urgente porter quelques matériaux à une distance de deux heures. En
chemin, à un endroit difficile que je nommais "Golgotha",
je recontrai une connaissance accompagnée de trois bêtes chargées
de bois. Leurs bâts s'étant renversés, une des bêtes se trouvait
près du précipice et risquait d'y tomber.
Je
me dis que si je lui venais en aide, je me mettrais en retard; mais
ma conscience ne me laissa pas indifférent et je m'y arrêtai. "
C'est Dieu qui t'envoie, Père!", me dit-il. Je l'aidai à
décharger les bêtes et à les déplacer, et je partis. Je m'étais
mis en retard d'environ vingt minutes. En route, je vis qu'il s'était
produit un éboulement sur une longueur de trois cents mètres. On me
dit qu'i s'était produit au moment même où j'aidais cet homme, ce
qui me fit prendre conscience que si je ne l'avais pas secouru, je me
serais trouvé à cet endroit au moment précis de l'éboulement et
je n'aurais pu être sauvé. Tout cela s'était produit selon la
Providence divine. Dieu, pour me sauver, avait tourmenté cet homme.
J'avais été sauvé d'une mort certaine. L'homme me dit mille fois
"merci". Je revins sur mes pas et je lui criai d eloin : "
Barba-Anastasis, tu m'as sauvé la vie : c'est Dieu qui t'a envoyé!"
12.
Visite nocturne de la Toute Sainte.
Deux
pieuses femmes de Konitsa, Mme Popi Mourelatos et Mme Pénélope
Barboutis, l'aidaient à entretenir le jardin.
Un
soir, après les Complies, elles se rendirent à l'hôtellerie et se
couchèrent de bonne heure. Elles furent réveillées en entendant
que quelqu'un frappait la simandre. Elles sortirent de la pièce.
Elles virent l'Ancien qui sortait de sa cellule et qui leur dit : "
Chères amies, ne vous avais-je pas dit de ne pas frapper la simandre
de nuit?"
Avec
étonnement, elles répondirent qu'elles n'avaient rien fait de la
sorte et, au même moment, en rentrant dans l'église, elles virent
une femme qui s'éclipsait. Elles la virent de côté, de l'épaule
aux pieds, ainsi que son bras et son voile. C'était la Toute Sainte,
dont la venue avait été annoncée par les coups spontanés de la
simandre. L'Ancien qui, jusque-là, parlait à haute voix, par la
suite, par crainte et respect, fit un geste silencieux pour indiquer
aux deux femmes de retourner dans leur chambre. Lui-même revint dans
sa cellule. Vers minuit, il les invita à aller à l'église faire un
office d'intercession. Puis, il leur dit : " Dieu vous a jugées
dignes de voir la Toute Sainte, mais gardez cela pour vous."
13.
Une vision démoniaque qui a l'apparence du vrai.
"
Une nuit, raconta l'Ancien, alors que j'étais assis dans ma cellule
sur un escabeau en récitant la prière, j'entendis soudain, venant
de la cour, une musique de violons et de tambourins, des voix et des
danses. Je me levai pour regrader par la fenêtre ce qui se passait;
il n'y avait personne. Calme plat. Je compris alors que tout cela
venait du diable.
A
peine m'étais-je rassis sur mon escabeau pour continuer ma prière,
que ma cellule s'illumina soudain d'une forte lumière. Le toit
s'effaça, la lumière atteignait le ciel. Au sommet de la colonne de
lumière, il y avait comme un visage d'un jeune homme blond qui
ressemblait au Christ. La moitié du visage était visible. Une
inscription lumineuse disait : " Gloire à Dieu au plus haut des
cieux." Alors, je me suis levé pour regarder vers le haut afin
d emieux voir le visage. J'entendis une voix qui disait : " Yu
as été jugé digne de voir le Christ!"
A
cet instant précis, je regardai vers le sol pour voir où j'allais
me placer pour changer d eplace afin d evoir la totalité du visage,
mais en même temps je me suis dit : " Mais moi, qui suis-je,
indigne, pour voir le Christ?" Aussitôt la lumière et
l'apparition du soi-disant Christ disparurent, et le plafond se
retrouva à sa place."
Le
diable ne réussit pas à l'induire en erreur avec s afausse vision,
mais pour se venger, il lui fit des égratignures aux jambes d'om
s'écoula du sang.
A
propos des visions, en relation avec cet événement, il conseillait
: " Ainsi commence l'illusion spirituelle. Si le Seigneur ne
m'était pas venu en aide en me faisant comprendre que cette vision
était démoniaque, le Malin aurait commencé son show télévisé.
En veux-tu, en voilà, et du Christ, et de la Toute Sainte, et des
prophètes, etc. C'est ainsi que l'on tombe dans l'illusion
spirituelle. C'est pourquoi les visions sont utiles et elles sont
aussi voulues par Dieu, pour que nous ne les acceptions pas
facilement. Alors Dieu se réjouit d'une certaine façon, car nous
avons ainsi fait preuve de l'humilité et de l'attention qu'Il
requiert de nous. Il sait alors comment nous montrer ce qu'Il attend
de nous et comment nous éduquer d'une autre manière."
14.
Familiarité avec les animaux sauvages.
Le
grand amour de l'Ancien pour Dieu et pour son image, l'homme,
inondait son coeur, et son débordement atteignait même les
créatures privées de raison. Il aimait particulièrement les
animaux sauvages; ceux-ci, à leur tour, ressentaient son amour et
l'approchaient.
Un
faon venait manger dans sa main. Il fit une croix sur son front avec
de la peinture. Il avertit les chasseurs de ne pas chasser près du
monastère et de faire attention à ce faon marqué d'une croix afin
que, où qu'il soit, ils ne tirent pas sur lui. Malheureusement, un
chasseur, passant outre son injonction, rencontra un jour le faon et
le tua. L'Ancien en fut grandement peiné et fit une prophétie qui s
evérifia dans sa totalité. On ne mentionnera pas le nom de la
personne, car elle vit encore.
Dans
la forêt qui entoure le monastère vivent des ours. L'un d'entre eux
rencontra l'Ancien sur un étroit sentier, alors qu'il montait au
monastère avec un ânon bien chargé. L'ours se blottit à une
extrémité du sentier pour laisser passer l'Ancien. Lui derechef lui
fit un signe de la main pour qu'il passe le premier. " Mais lui,
racontait-il en badinant, étendit la patte et me toucha la main pour
que je passe d'abord." Il lui dit : " Ne te montre pas
demain en bas, parce que j'attends du monde. Sinon, je te prendrai
par l'oreille et je t'enfermerai dans l'étable."
Il racontait que l'ours aime faire
le fanfaron et que lorsqu'il est en danger, il commence par montrer
qu'il n'a pas peur, mais que, par la suite, il s'enfuit en courant.
Un
ours venait souvent, il s'était habitué à lui, et l'Ancien le
nourrissait. Les jours où il y avait du monde au monastère,
l'Ancien l'avertissait afin qu'il ne se montre pas, pour ne pas
effrayer les gens. Parfois, l'ours transgressait son ordre, il s
emontrait inopinément, et tous ceux qui le voyaient en avaient peur.
Beaucoup le virent, entre autres Kaiti Patéras qui raconta que, une
nuit, alors qu'elle montait au monastère avec une lampe pour arriver
à temps à la Divine Liturgie, elle entendit un bruit, éclaira
l'endroit et vit un animal qui ressemblait à un gros chien. "
Il me suivit et lorsque je fus arrivée, je demandai au Père
Païssios si le chien était au monastère; et il me répondit : "
Celui-là un chien? Regarde mieux, c'est un ours.""
15.
Autres événements au Stomion.
Un jour, on vola dans la maison de
Mme Pénélope Barboutis ses maigres économies : 550 drachmes, en
tout et pour tout. Chagrinée, elle monta aussitôt au monastère
pour informer l'Ancien.
Lui, l'attendait à l'extérieur du
monastère, près du mûrier. Il lui cria de loin : " Ne sois
pas triste, on les retrouvera! Cinq cent cinquante drachmes, n'est-ce
pas? D'ici quinze jours, on les aura retrouvées." Treize jours
plus tard, elle rencontra l'Ancien et lui dit que l'on n'avait
toujours pas retrouvé l'argent. Il lui répondit : " Ma chère,
ne t'avais-je pas dit dans quinze jours? Pourquoi t'impatientes-tu?"
De
fait, le quinzième jour, une femme apporta à Mme Pénélope
l'argent que son fils lui avait volé.
*
Lorsqu'il n'y avait pas de Divine
Liturgie le dimanche au monastère, il descendait pour participer à
la Liturgie et communier à Koritsa. Le samedi à minuit, il fermait
le monastère et, en une heure, il était sur place. Il attendait
dans l'ossuaire et, pendant six à sept heures, il priait pour les
vivants et les morts, jusqu'à ce que le sacristain lui ouvre la
porte.
L'une
de ces nuits, il vit les ossements irradier d ela lumière. C'était
sans doute là un signe pour lui montrer que les âmes de sdéfunts
ressentaient l'effet de ses prières.
*
A un certain moment, M. Lazaros
Stérgiou travaillait au monastère et il rapporte que, un samedi, il
faisait un coffrage pour construire un mur en torchis tandis que le
Père Païssios nettoyait l'église. " Vers les onze heures,
voulant me dire quelque chose, il me fit un geste. Arriva midi, nous
allâmes manger, mais il ne parlait pas. Il avait perdu la voix. Je
lui demandai : " Que se passe-t-il, Père Païssios?" Lui
était calme, comme si rien ne se passait. Je lui demandai : "
Voulez-vous que je descende chercher un médecin?", mais il ne
m'y autorisa pas; nous communiquions par gestes. Le samedi suivant,
alors qu'il lavait les veilleuses, je l'entendis psalmodier. Il
sortit portant l'icône de la Toute Sainte. De joie, je l'embrassai."
Ces jours-là, Mme Pénélope
Barboutis montait aussi au monastère; elle se rendit compte qu'il ne
parlait plus et se mit à pleurer. Après qu'il eut retrouvé sa
voix, elle lui demanda ce qui s'était passé. L'Ancien lui répondit
que cela lui était déjà arrivé à la Sainte- Montagne, mais qu'il
avait la certitude intérieure que cela ne se reproduirait pas, et
cela ne se reproduisit plus.
*
Mme Kaiti Patéras raconte que, "un
jour, l'Ancien vint au village de Saint-Georges pour voir sa mère
alors qu'elle arrangeait la maison. Un petit garçon âgé de huit
ans, nommé Etienne, tomba d el'étage supérieur sur du ciment et se
cogna la tête. Il s'y fit une blessure ouverte, et le sang se mit à
couler en abondance. Tout le monde, la grand-mère, la mère
poussèrent des cris sans savoir que faire. L'Ancien leur dit : "
Mais, que faites-vous?" Il descendit, lui fit un signe de croix
avec une croix qu'il avait, demanda un peu de coton, le mit sur la
plaie, et il n'y eut même pas besoin d'un médecin; il n'eut pas
même une cicatrice!"
*
Un
jour, il s'attarda à Konitsa à catchiser des musulmans. Pour ne pas
sauter les Vêpres, il les dit sur son chapelet* en montant au
monastère de nuit. Les démons lui arrachèrent le chapelet des
mains. Il resta à genoux à prier et dit qu'il ne partirait pas tant
qu'ils ne lui auraient pas rendu son chapelet, et eux, contraints par
la puissnace de sa prière, le lui rapportèrent!
*
Un jour , le maire d ela
ville, accompagné par d'autres personnalités, rendit visite au
monastère. L'Ancien ne chercha pas à les flatter pour qu'ils aident
le monastère. Il n'avait pas appris à jeter de la poudre aux yeux
des gens en les flattant. Lorsqu'il vint pour leur offrir un
rafraîchissement, il ne commença pas par le maire, mais par le
vieux Georges, un villageois simple et pieux, parce qu'il était plus
digne de respect que les autres. Bien qu'il respectât les personnes
qui avaient des charges, là, il honora la vertu - "La valeur
d'un homme, c'est sa vertu (11)" - et non pas seulement la
personnalité qui dispose d'une charge sans l'accompagner de vertu.
(11)
: ( S. Jean Chrysostome, Commentaire sur Psaume 48, PG 55, 232).
*
M. Thomas Tasios, de Konitsa,
raconte que, un jour, il rencontra l'Ancien à la gare routière (12)
de Ioannina. Ils voyagèrent ensemble. En route se produisit un
quadruple accident : trois autocars et un camion emboutirent des
pylônes électriques. Notre car, comme mû par une puissance
invisible, sortit de la route sur cinq mètres, sans dommage. Thomas
dit à l'Ancien : " Si tu n'avais pas été là, Père
Païssios, nous serions devenus une colonne de sel." Il me
répondit : " As-tu vu quelqu'un faire son signe de croix? Quand
tu montes dans un car, dis la prière pour que tout se passe bien!"
*
Mme Pénélope Barboutis
rapporte que lorsqu'il avait mal à la tête, il l'appuyait sur
l'icône de la Toute Sainte, et la douleur s'en allait.
Il pétrissait des prosphores
sans levain. Il les bénissait et elles levaient.
Un jour, il me dit de cuisiner
des haricots, parce que trois chasseurs allaient venir.
Effectivement, ils vinrent et demandèrent des haricots à manger.
Ils avaient du gibier dans la gibecière, mais ils la suspendirent à
un arbre à l'extérieur parce que l'Ancien ne permettait pas que
l'on fasse cuire d ela viande à l'intérieur du monastère.
A Ioannina, il connaissait une
laïque qui avait le charisme de clairvoyance. Il voulait acheter des
verres pour les lampes à pétrole, mais il n'avait pas assez
d'argent. Alors qu'il passait devant sa maison, il l'entendit dire à
quelqu'un : " Donne au Père treize drachmes pour qu'il achète
des verres pour les lampes."
16.
Départ de Stomion.
Les habitants de la région
respectaient le "moine", comme ils appelaient l'Ancien. Ils
l'aimaient sincèrement et ils l'aidaient, même s'ils ne s
erendaient pas vraiment compte du trésor qu'il cachait en lui. Ils
discernaient sur son visage quelque chose de spécila. Ils avaient
été captivés par son amour et par sa bonté. Il était leur ange
gardien, leur consolation, leur appui dans les moments difficiles.
Ceux qui alors étaient de petits enfants et qui sont aujourd'hui des
hommes mûrs, se souviennent d'un moine squelettique qui parcourait
les rues de Konnitsa d'un pas vif, marchant l'air concentré, sans
laisser son regard errer ça et là.
La réputation de sa vertu dépassa
les limites de Konitsa. Des gens d'autres régions venaient le voir.
Un groupe de jeunes gens qui étudiaient la théologie était en
relation avec lui. Ils entretenaient une correspondance avec lui, lui
rendaient visite et demeuraient au monastère. Ils reçurent de sa
part une aide spirituelle et preque tous devinrent moines.
Malgré cela, certains visiteurs ne
cessaient pas de l'importuner avec leurs façons mondaines, dont ils
n'entendaient pas se séparer. Il y eut des démarches officielles
pour construire une route et un téléphérique jusqu'au monastère.
Certains d'entre eux avaient été contrariés que l'Ancien ait
supprimé les réjouissances mondaines dans la cour du monastère le
jour de la fête de celui-ci et réagirent. Quelques-uns cherchèrent
à le chasser du monastère, pour s'emparer des bâtiments et de la
forêt. Il y avait aussi d'autres raisons.
Au début, il quitta pour un mois
le monastère. La veille de la fête de celui-ci, il se rendit dans
l'église pour y célébrer l'office et, quand il eut terminé, il
vit que l'on avait allumé des feux dans la cour et que l'on y
dansait. Il prit son rasso* et partit de nuit pour le Mont-Athos,
affligé, en se disant qu'ils n'étaient pas encore mûrs
spirituellement. Mais peu après, et quasiment derechef, il revint au
monastère, cédant aux prières de beaucoup.
En 1961, il partit pour la
Sainte-Montagne. Les habitants de Konitsa firent pression pour qu'il
revienne en envoyant au saint monastère de Philothéou une lettre
couverte de signatures.
Dans une lettre il écrivait : "
Dès que je fus parti de Konitsa, les habitants se mobilisèrent.
Quelques jours après mon arrivée au saint monastère de Philothéou,
arriva un document du maire, contenant beaucoup de signatures dont
celle du préfet, pour que l'on me permette de revenir dans le saint
monastère d eStomion, parce qu'il en avait grandement besoin, etc.
Bien qu'ils en aient les raisons, tous les Pères du monastère
n'étaient pas d'accord ici pour me donner la permission d epartir.
Ils voulaient faire appel au Patriarche Athénagoras et à Averof,
qui était ministre des Affaires Etrangères pour qu'il intervînt
auprès de l'administration civile de la Sainte-Montagne qui dépend
de ce ministère."
Après de pressantes
sollicitations, l'Ancien revint encore une fois au monastère de
Stomion, recevant un congé du saint monastère de Philothéou le 7
août 1961.
Son
frère Luc et Dimitri Kortsinoglou, en voyant les difficultés
auxquelles il s eheurtait au Stomion, prirent l'initiative de
construire, au bout de Konitsa, une petite maison avec une cellule,
une chapelle et un atelier, om ils espéraient que l'Ancien aller
demeurer. Ils ne voulaient pas qu'il parte, en sorte qu'ils soient
privés de sa précieuse présence.
Pendant la période où il
restaurait le monastère, il avait chassé les hérétiques ( ce fut
là peut-être son plus grand bienfait) et il était venu en aide à
beaucoup de gens. Il avait cependant l'idée qu'il n'avait rien fait
de bon et, souvent il se blâmait lui-même en se disant qu'il était
moine et qu'il n'avait rien à faire dan sle monde. Et il disait avec
affliction à la Toute Sainte : " Ma Toute Sainte, moi je
recherchais le désert, et toi tu m'as amené dans le monde!"
Il
semble qu'il reçut une réponse à sa prière. De fait, lorsque plus
tard le Père Cosmas, maintenant higoumène de Stomion, lui demanda
comment il était parti, il répondit : " Eh, j'ai dit à la
Toute Sainte de me montrer où elle voulait que j'aille, et elle m'a
dit d'aller au Sinaï."
A
l'occasion de la visite d'un théologien qui demeurait alors au Mont
Sinaï, Mgr Damianos, qui est maintenant archevêque du Sinaï,
l'Ancien entra en correspondance avec l'archevêque de l'époque, Mgr
Porphyrios. Il lui demanda s'il acceptait qu'il demeurât au Sinaï,
à l'extérieur du monastère, sans que le monatsère eût la moindre
obligation à son égard. IL reçut une réponse positive. Ainsi,
lorsqu'il vit que sa mission dans le monde était terminée et, ayant
accompli le voeu qu'il avait fait à la Toute Sainte, il quitta
définitivement le Stomion le 30 septembre 1962 et partit pour la
sainte montagne du Sinaï. Il ne mentionna pas les raisons de son
départ, car les gens se seraient mobilisés et l'en auraient
empêché. Il dit qu'il partait pour se soigner. Lorsqu'il partit,
beaucoup pleurèrent, car il était leur consolateur.
Non seulement il rénova le
monastère et écrivit l'histoire du saint monastère de Stomion sous
la forme d'une chronique, mais il écrivit lui-même s apropre
histoire (un synaxaire) là, parmi les rochers de Stomion, avec les
combats et les événements surnaturels qu'il y vécut. Les habitants
de Konitsa conservent pieusement dans leur mémoire le souvenir du
"moine" qui désormais est connu sous le nom de " Père
Païssius".
CHAPITRE
VIII
ERMITE
AU MONT SINAÏ,
LA
MONTAGNE FOULEE PAR DIEU
1.
Transfert au Sinaï.
M. Stavros Baltoyannis, peintre et
restaurateur d'icônes, habitant Athènes, rapporte :
"
A l'automne 1962, à la suite d'une invitation, je me rendis au Mont
Sinaï, dans le but de travailler à la restauration d'icônes.
Au
Caire dans le métochion* du monastère, un après-midi à l'heure du
repas de midi, je fis la connaissance du moine Païssios qui
s'apprêtait, lui aussi, à se rendre au Sinaï. Il était
extrêmement maigre, mangeait exceptionnellement peu et restait
d'habitude silencieux. Une toux persistante témoignait qu'il avait
un problème de santé.
En
attendant que soit organisé notre voyage au monastère, nous
restâmes tous les deux pendant environ une semaine au Caire. Pendant
ce temps, j'eus l'occasion de constater que le Père Païssios
évitait systématiquement la nourriture que l'on nous offrait, et
qu'il ne mangeait que lorsqu'il sentait qu'il devait obéir. Dès
lors, et pendant le temps où je vécus plus tard au monastère, je
compris que l'obéissance authentique et consciente faisait partie de
ses vertus monastiques.
Lorsque les formalités de notre
départ furent réglées, nous portâmes nos valises jusqu'au taxi et
nous partîmes. Je me souviens que le Père Païssios resta muet dans
son coin dans la voiture pendant tout notre tajet jusqu'à Suez. Là,
un de nos compagnons de voyage et moi-même, fîmes quelques courses
: pendant notre petit arrêt à Suez, qui servait aussi de détente
pendant le voyage, il nous fallait manger quelque chose. répondant à
notre invitation, le Père Païssios ne fit aucune difficulté à
participer à notre repas. Lui-même se limita simplement à se
rafraîchir en humectant ses lèvres avec le peu de jus d'un petit
citron égyptien qu'il portait sur lui et qui constitua sa seule
provision de bouche.
Nous passâmes la nuit au Ouadi
Pharan et, au matin, nous nous mêmes en route pour le Sinaï. Nous y
arrivâmes en fin d'après-midi. Le Père Païssios fut rapidement
conduit à sa cellule et je restai avec mon confrère Tasor
Margaritoff, qui m'attendait pour que nous puissions travailler
ensemble au programme de conservation des icônes. Nous apprîmes
rapidement que le Père Païssios, en entrant dans sa cellule, en
avait aussi sorti le matelas et enlevé la lampe électrique qui
éclairait le lieu. Sa frugalité, son comportement ascétique, sa
candeur et sa consécration totale à Dieu ne tardèrent pas à être
connus. Il s'appliquait silencieusement à participer aux tâches
communes et à ses devoirs cénobitiques, et il devint rapidement un
membre utile et efficace du monastère.
Rapidement, ses autres capacités
et connaissances furent connues, comme son habileté dans le travail
et l'ajustage du bois. Cela nous donna l'idée de demander au
monastère que le nouveau moine nous aide pour les travaux de
menuiserie, qui font normalement partie du travail de restauration
des icônes.
Il
travailla particulièrement et avec succès à la fabrication d'un
deuxième support, sur lequel fut déposée l'icône du Christ (1),
qui en raison d'une ancienne détérioration, était divisée en deux
planches. Avec habileté et talent il fabriqua un support avec un
espace creusé aux dimensions originelles de l'icône, au sein duquel
les deux parties de l'icône s'ajustèrent parfaitement, laissant
entre elles le vide que nous avons estimé y avoir été créé,
lequel, comme cela se produit souvent, serait comblé par l'oeil du
pèlerin; C'est ainsi que le Père Païssios resta travailler avec
nous et fit face avec soin et rapidité aux besoins de la menuiserie
pour les travaux de conservation. Pendant tout ce temps, il
travaillait en silence et avec concentration, respirant à la fois la
modestie et la sainteté. Son abstention habituelle du repas de midi,
sa maigreur frappante et sa toux persistante firent que nous nous
inquiétâmes pour sa santé et que nous essayâmes souvent de le
détourner de son ascèse si rigoureuse. Je n'oublierai jamais son
visage lumineux, lorsque parfois il se sentait obligé de répondre à
de tels avertissements de ma part, et me disait : " Stavros,
laisse cela, cela nous concerne, nous les moines."
Nous restâmes au monastère
environ quarante jours, et le Père Païssios restait toujours le
même. Candide, incroyablement spirituel, pensif et peut-être en
train de prier pendant les moments où il s'appliquait à effectuer
le travail qu'il devait accomplir alors. Le dernier jour et après le
moment des adieux, je partis avec la certitude que je laissais
derrière moi un saint.
De
temps en temps, j'apprenais que le Père Païssios devenait de plus
en plus exigeant à l'égard de lui-même. Peu après mon départ,
comme je m'y attendais, j'appris que le Père Païssios était parti
loin du monastère sur un rocher du mont Sinaï, où il vivait de
façon totalement ascétique, ne descendant que certains jours au
monastère."
2.
Il fait cesser la sécheresse.
Quand il se rendit pour la première
fois au Sinaï, il y avait une grande sécheresse. En raison des
conditions naturelles de la région, il ne pleut que très rarement.
Cette année-là, le manque d'eau se faisait cruellement sentir. Une
caravane se préparait à apporter de l'eau depuis une région
éloignée. L'Ancien leur dit : " Attendez, ne partez pas ce
soir." Pendant la nuit, il pria, et il plut à verse.
3.
Bienheureuse est la vie d'ermite.
L'Ancien demanda l'autorisation de
demeurer seul dans le désert. Il s'installa dans l'ermitage de saint
Galaction et de sainte Epistimée, qui est constitué par une
chapelle et une toute petite cellule adjacente. Il est situé dans un
bel endroit en hauteur, juste en face du sommet de la sainte
montagne, et il n'est distant du monastère que de moins d'une heure.
Deux cents mètres plus haut, se
trouve la grotte de saint Galaction, et juste derrière, la skyte où
demeurait sainte Epistimée avec les autres femmes ascètes. C'est
une région sainte et bénie. Malgré toute leur aridité, ces
rochers inspirent. Là, en hauteur, tel un aigle, l'Ancien installa
son nid, où plutôt l'aigle d el'esprit y fit son aire.
Très près, à un jet de pierre de
l'ermitage, il y avait une petite source. Elle produisait en
vingt-quatre heures deux à trois litres d'eau. L'Ancien racontait
qu'il s'y rendait avec un bidon pour y puiser de l'eau pour faire du
thé ou pour en humecter un peu son front et en disant l'Hymne
Acathiste*. Avec reconnaissance, ses yeux se remplissaient de larmes
: " Mon Dieu, disais-je, juste un peu d'eau à boire; je ne
désire rien d'autre." Tellement ce filet d'eau était précieux
pour lui qui voulait vivre ici dans le désert. Mais même cela,
l'Ancien le partageait avec les animaux sauvages et les oiseaux
assoiffés du désert.
Un jour, quelqu'un lui demanda : "
Géronda, comment viviez-vous au Sinaï?" Il lui répondit :
"Ma nourriture était
constituée par du thé avec du pain séché que je fabriquais
moi-même.
Je faisais une petoura (2), que je
faisais sécher au soleil.
(2):
( Fine feuille de pâte).
Elle
devenait si dure qu'elle se cassait comme du verre. Parfois je
faisais bouillir du riz pilé dans une boîte de conserve. Celle-ci
me servait à la fois de cruche, de casserole, de plat et de verre.
Cette boîte de conserve et une cuillère un peu plus petite qu'une
cuillère à soupe constituaient toute ma vaisselle.
J'avais aussi un gilet de flanelle,
que je mettais la nuit pour affronter le froid. Je buvais aussi du
thé noir pour m'aider pendant la nuit entière sans sommeil de
l'agrypnie*, et j'y ajoutais même une cuillère de sucre qui
correspondait à un autre gilet de flanelle ( il voulait dire que les
calories que lui apportait en complément le sucre équivalaient à
un autre gilet de flanelle). J'avais aussi un épais vêtement de
rechange, parce que, la nuit, il faisait très froid. Je n'avais ni
lanterne, ni lampe de poche, mais uniquement un briquet pour voir un
peu dans l'obscurité, lorsque je marchais sur un sentier rocheux
avec des marches. Je m'en servais aussi pour allumer parfois du feu
avec des brindilles, pour faire chauffer quelque chose. J'avais
également quelques pierres à briquet et une toute petite bouteille
de pétrole pour le briquet. Rien d'autre.
Une fois, j'ai planté un plant de
tomates, mais par la suite ma pensée m'a tracassé et je l'ai
arraché pour ne pas provoquer les bédouins. Il me semblait déplacé,
alors que les pauvres bédouins n'avaient pas de tomates d'avoir, moi
qui étais moine, ne serait-ce qu'un plant.
Pendant la journée, je disais la
prière de Jésus et je faisais du travail manuel. Prière et travail
manuel. Telle était ma règle. La nuit, je passais plusieurs heures
à faire des métanies, sans les compter. Je ne lisais pas l'office,
mais je le faisais sur mon chapelet*.
Pour
éviter que les curieux ne m'importunent, je fis, avec de la peinture
à l'huile, des têtes de morts vertes (en signe de danger) sur les
rochers. Un jour, un touriste allemand voulut monter. Il pensa que
c'était un champ de mines, mais puisqu'il semble qu'il s'y
connaissait, il fit attention où il marchait, et il réussit à
arriver jusqu'en haut. Moi je suivais sa progression depuis le haut.
Je le laissai s'approcher, puis je rentrai dans la grotte de saint
Galaction et je mis un fagot d'épines devant l'entrée. il a
cherché, mais il n'a pas réussi à me trouver et il est revenu sur
ses pas."
Il
avait beaucoup simplifié sa vie et il se livrait à l'ascèse de
toutes ses forces, sans distraction. Il disait plus tard avec
nostalgie : " Le désert apaise les passions. Quand tu le
respectes et quand tu t'y adaptes, il te fait sentir sa consolation",
résumant en quelques mots son expérience du désert du Sinaï.
L'Ancien aimait visiter des lieux
où avaient vécu des ascètes. A un endroit, subsistait une petite
citerne; à un autre, le rocher semblait noirci en raison du feu
qu'ils allumaient de temps à autre pour faire la cuisine. Ces
anciens ermitages l'inspiraient et l'émouvaient. Il rendit visite
aussi à l'ermitage de saint Georges l'Arsélaïte, qui se trouve
dans un endroit très isolé et approprié aux ascètes. Il passait
le Grand Carême dans l'ermitage de saint Etienne, qui est mentionné
dans L'Echelle sainte (3), en contrebas du sommet de la sainte
montagne. Il y observait un jeûne rigoureux, presque sans
nourriture. Il y avait un bidon, pour puiser de l'eau au puits du
prophète Elie qui se trouvait un peu plus bas.
(3)
: ( S. Jean Climaque, L'Echelle sainte, VII, 50. Saint Jean Climaque
fut l'higoumène du monastère Sainte-Catherine du Sinaï et
mentionne dans son traité différents lieux du site).
Il
avait pour règle de ne pas porter de chaussures; Ses talons
s'étaient fendus, et il en coulait du sang. Il portait ses
chaussures dans son sac et il ne les mettait que quand il descendait
au monastère ou quand il rencontrait quelqu'un en chemin. Pour qui
connaît les conditions de vie au désert, il est très pénible de
marcher nu-pieds sur les rochers ou sur le sable; La journée est si
torride que les bédouins mettent des oeufs dans le sable et ils
deviennenet mollets, alors que pendant la nuit les rochers sont si
froids que l'on a l'impression de marcher sur de la glace.
Il
descendait au monastère tous les dimanches ou tous les quinze jours.
Il aidait à célébrer l'office et il communiait. Il avait une
petite cellule, très isolée dans la tour, là où séjournaient
jadis ceux qui avaient été exilés au Sinaï. Il participait aux
travaux communautaires du monastère, aux travaux de menuiserie, et à
la taille des oliviers. En dehors de cela, il n'était pas à la
charge du monastère. Il ne prenait pas la nourriture qui était
partagée entre tous les moines. Même les petites aumônes que tous
les moines du Sinaï ont le droit de recevoir, il ne les prenait pas.
Quelques pères le consultaient et
il les aidait par son expérience et son discernement. Il avait aussi
un disciple, le novice euthyme Skliris - le futur Père Athanase de
Stavronikita - qui demeurait dans le monastère, mais c'était lui
qui était son père spirituel.
Même l'archevêque du Sinaï de
l'époque, Mgr Porphyrios, prélat bon et humble, lui témoiganit du
respect et prenait en considération tout ce que l'Ancien lui
proposait pour le développement de la vie monastique au Sinaï. Il
dit au sujet de l'Ancien : " Je suis depuis bien des années au
Sinaï, et je n'y ai jamais vu de moine aussi ascétique et habile
dans le travail manuel que le Père Païssios, sauf peut-être un
gendarme à la retraite, qui était humble, silencieux et vertueux,
mais qui n'avait cependant pas la grâce qu'avait reçue le Père
Païssius."
4.
" Je ressentis la Sainte Communion..."
Au début, lorsqu'il arriva au
Sinaï, il décida de monter dans son ermitage et d'y rester deux
semaines, sans descendre au monastère. Il avertit les Pères pour
qu'ils ne s'inquiètent pas. Le Père Sophronios lui demanda : "
Tu vas tenir le coup là-haut, Géronda? - Je vais essayer, je
supplierai Dieu de m'aider."
Plus
tard, il raconta : " Ce que je dus supporter comme tentation
là-haut pendant quinze jours est indicible; on ne peut pas
l'imaginer! Le diable n'arrêtait pas de me dire de descendre au
monastère pour y rencontrer des gens, pour me réconforter. Je ne te
dirai qu'une chose : pendant cette quinzaine, j'avais l'impression
d'être cloué sur la Croix. Passé le deuxième dimanche, je suis
descendu au monastère pour y assister à la Liturgie. Lorsque j'ai
communié, la sainte communion me sembla être une viande très
tendre (4) et je sentis qu'une force était en moi. C'était le Corps
et le Sang du Christ."
(4)
: (L'expression semble étrange. Elle est à replacer dans le
contexte de la vie du moine où la viande, dont il s'abstient
totalement, apparaît comme un mets exceptionnel, rare et de
qualité).
Conforté par ce signe et regardant
depuis le monastère vers l'ermitage, il dit au diable : " Viens
donc maintenant si tu le veux, que nous nous battions!"
5.
Travail manuel et aumônes.
Le travail manuel de l'Ancien
consistait à sculpter le bois. Lui-même rapportait :
"
Je faisais des icônes de bois sculpté représentant le prophète
Moïse recevant les dix commandements; Je coupais le bois moi-même.
Là, dans la ravine, devant les saints Anargyres, il y avait une
sorte de bosquet de peupliers, quelques arbres qui ressemblaient à
des peupliers. Après avoir coupé et fait sécher quelques-une
d'entre eux, j'en tirais tout seul des plaques dont je faisais de
petites icônes. Souvent, pendant la nuit, j'ouvrais un peu la porte
de la cellule et, à la lumière de la lune, je disais la prière
tout en les passant au papier de verre, et je préparais les plaques
de bois. Comme outils, je ne disposais que des deux ciseaux tirés
d'une paire de ciseaux de marque Singer que j'avais apportée de
Grèce; j'avais séparé les deux parties, les avais aiguisées, et
je les avais recouvertes d'une couche de peinture à l'huile verte
pour qu'elles ne reflètent pas les rayons du soleil et ne
m'éblouissent pas. Au début, pour terminer une petite icône il me
fallait trois jours. Par la suite, il ne fallut plus que onze heures.
Je
les donnais au monastère qui les vendait; elles étaient achetées
en un clin d'oeil par les pèlerins. L'argent que je recevais, je le
donnais à des chauffeurs de taxi venus du Caire que je connaissais.
Je leur disais d'aller acheter des vêtements, des casquettes, des
biscuits, de la nourriture, etc. Puis, je remplissais ma musette de
cadeaux et je demandais où se trouvaient les campements de bédouins.
Je me dirigeais vers leurs tentes, j'appelais de l'extérieur les
petits enfants et je leur distribuais les cadeaux.
Un
jour, un petit enfant, Soliman, mû par la reconnaissance, prit un
coq et s'apprêtait à l'égorger pour me préparer un repas. Il
voulait me remercier des dons que je leur avais apportés : "
Laisse-le, Soliman, une autre fois!" Comment aurais-je pu lui
expliquer?"
En
raison de son grand amour pour les créatures de Dieu, l'Ancien se
mettait lui-même de côté, il se donnait du mal pour les aider, et
il n'alla pas en pèlerinage à Jérusalem alors qu'il en avait très
envie, pour que les petits bédouins ne soient pas privés de ses
dons. Et eux se rendaient compte de la grandeur de son amour qui
n'était guidé ni par l'opportunisme ni par l'intérêt personnel,
et ils l'aimaient beaucoup. C'était une vraie fête et leur joie se
manifestait chaque fois que leur bien-aimé "Abouna Païzi",
leur rendait visite.
Même quand les petits bédouins se
rendaient à son ermitage les pieds pleins d ecrevasses, parce qu'ils
marchaient nu-pieds, il mettait d ela cire sur leurs crevasses, et il
leur donnait en plus une paire de sandales. A d'autres, il
distribuait des casquettes pour que le soleil ne leur fasse pas
tourner la tête. Mais il y en avait tant que l'argent de son travail
manuel ne suffisait pas.
Il
se trouva bientôt dans un dilemme : " Est-ce que je suis venu
ici pour venir en aide aux bédouins ou pour prier pour le monde
entier?" Pour cette raison, il prit la décision de limiter son
travail manuel, en espérant que Dieu lui viendrait en aide. Le jour
même, un médecin grec qui vivait à l'étranger lui rendit visite.
Il resta assis avec lui pendant des heures, discutant plein
d'affection; il lui donna des conseils et lui révéla aussi quelques
traits personnels. Celui-ci, impressionné par le charisme de
l'Ancien, lui donna quelques livres égyptiennes en lui disant : "
Voilà, Père, pour aider les bédouins, pour que tu ne modifies pas
ton mode de vie et que tu ne délaisses pas la prière."
"
C'est plus que je ne pouvais en supporter", devait-il dire plus
tard. " Je le laissai planté là à l'extérieur, et je rentrai
dans mon ermitage, car je ne pouvais plus contenir mes larmes devant
la rapidité de la réponse de Dieu. Sa providence et Son amour me
faisaient fondre."
Finalement, l'Ancien l'accompagna
et le guida en lui faisant prendre un raccourci parce qu'il faisiat
nuit. De plus, avec l'argent de son travail manuel, il put aider
aussi un orphelin qui étudiait la théologie en Grèce.
6.
"Il fut tenté dans le désert..."
Un jour qu'il faisait son travail
manuel en disant la prière assis sur un rocher, alors que sous lui
s'ouvrait un précipice, le diable lui apparut et lui dit : "
Saute dans l'abîme, je te promets qu'il ne t'arrivera rien".
L'Ancien continua sans broncher sa prière et son travail manuel. Il
n'accorda aucune importance au diable. Le tentateur continua de le
solliciter pour qu'il saute dans le précipice en répétant la même
promesse. Cela dura environ une heure et demie. Pour finir, il prit
une pierre, la jeta dans le précipice et dit au diable : "
Voilà; pour apaiser ta pensée." Le diable, voyant qu'il avait
échoué à le faire se jeter dans le ravin, lui dit avec une
admiration feinte : " Même le Christ ne m'a pas fait une si
belle réponse. Tu as mieux répondu que lui." Il lui répondit
: " Le Christ est Dieu. Moi je ne suis qu'un guignol. Va-t'en
loin de moi, Satan!"
Ainsi, avec la grâce divine qui
demeurait en lui, il échappa à la première tentation, et il
échappa au précipice encore plus profond de l'orgueil, en
repoussant la louange du diable, qui lui suggérait de se considérer
comme supérieur au Christ.
*
Dans son ermitage, il avait un
vieux réveil qui, pour fonctionner, devait être agité. Un jour,
alors qu'il balançait le réveil de droite à gauche pour le mettre
en marche, le tentateur lui suggéra une pensée : " Si tu étais
marié, c'est comme cela qu'aujourd'hui tu bercerais un enfant."
Une telle chose ne lui était jamais venue à l'esprit, même
lorsqu'il était laïc. Il réagit sur-le-champ sans hésiter. comme
il tenait le réveil, il le jeta de toutes ses forces devant lui sur
le rocher à une distance de trois mètres. Alors qu'il aurait dû se
briser, arrivé à une distance de dix centimètres du rocher, il
s'arrêta brusquement, se mit droit, et commença à fonctionner
normalement. il l'entendait qui faisait son tic-tac. " Eh bien
alors toi, le diable!", dit-il en voyant l'action du tentateur.
Puis il prit une pierre et brisa le réveil. Le plus remarquable dans
cet incident, c'est la réaction immédiate de l'ermite. il n'a pas
hésité un seul instant devant la suggestion démoniaque, il n'a pas
argumenté, ni cherché à répondre, mais il a réagi avec la
vitesse de l'éclair.
*
Il
racontait également la chose suivante : " Une nuit, alors que
je descendais un sentier avec des marches, alors que je tentais
d'allumer mon briquet à pierre pour voir où je mettais les pieds,
soudain apparut devant moi une main qui tenait une lumière qui
illuminait le sentier et tous les alentours; Je fermai aussitôt les
yeux et je détournai la tête, et je dis au diable : "
Puissé-je être dispensé de tes lumières!", parce qu'il
savait que c'était lui qui était à l'origine de la manifestation
des fausses lumières.
7.
Une compagnie pour l'ermite.
"
Quand j'étais au Sinaï, racontait-il, j'avais deux perdrix. Je
traversais alors une période de chagrins, et les oiseaux venaient me
tenir compagnie et me consoler. Lorsque j'arrivais, dès qu'elles
m'entendaient, elles venaient à ma rencontre. Lorsque je sculptais
des icônes, elles se perchaient sur mes épaules, elles se
perchaient sur mes épaules. Une fois, je fus malade pendant une
semaine. Lorsque je fus rétabli, j'allai au sommet de la hauteur,
comme j'en avais l'habitude, et j'appelai les oiseaux pour les
nourrir. ils ne se montrèrent pas. Je laissai la nourriture et je
partis. Le lendemain, lorsque j'y allai, les oiseaux vinrent à ma
rencontre sur le chemin en voletant autour de moi. Ils n'avaient pas
touché à leur nourriture, mais dès qu'ils me virent, ils se mirent
à manger. Les animaux sauvages ont beaucoup d ezèle généreux
(philotimo*). J'ai trouvé plus de zèle généreux chez les bêtes
sauvages que chez beaucoup d'hommes. Il vaut mieux nouer amitié avec
elles plutôt qu'avec les gens du monde; Si tu veux avoir un vrai
ami, après Dieu, deviens l'ami des saints ou alors celui des animaux
sauvages."
Il
rapportait aussi : " Une fois, j'avais fait une bouillie avec du
riz, et le lendemain j'ai nettoyé la boîte de conserve où j'avais
fait bouillir le riz, et j'ai jeté le reste aux rats. Depuis ce
jour-là, lorsque je sculptais des icônes et que les petits morceaux
de bois sautaient, les rats, entendant du bruit et voyant les
morceaux, croyaient que c'était du riz et se rassemblaient. Vous
voyez : même les animaux sauvages sont apaisés à notre approche
lorsque nous vivons une vie selon Dieu."
8.
L'impassibilité des parents de la Mère de Dieu.
L'Ancien vécut au Sinaï dans
l'Esprit Saint un événement surnaturel; il fut informé de la
chaste et bienheureuse relation des saints parents de la Mère de
Dieu, grâce à laquelle fut conçue et enfantée la Mère de Dieu.
C'est ainsi qu'il fut informé que "les saints Joachim et Anne
étaient parfaitement spirituels, dépourvus de la moindre pensée
charnelle. Ce fut le couple le plus dépourvu de passion qui existât
jamais; Tout d'abord ils prièrent Dieu avec des larmes, chacun de
son côté, pour qu'il leur accordât un enfant, puis ils le
conçurent par obéissance à Dieu et non pas à cause d'un désir
charnel. C'est-à-dire que la conception eut lieu sans jouissance. La
Toute Sainte était toute pure. Elle n'était pas, bien sûr, exempte
du péché ancestral - comme le croient les catholiques qui sont dans
l'erreur, parce qu'elle fut conçue d'une façon naturelle (
c'est-à-dire à partir d'une semence), mais d'une façon totalement
dépourvue de passion, comme Dieu voulait que les hommes fussent
engendrés."
Un jour qu'il insistait encore une
fois sur ces vérités lors d'une discussion, sentant une certaine
réserve chez son interlocuteur, il lui dit en haussant le ton : "
Cet événement, je l'ai vécu!" Il voulait établir clairement
que ce qu'il disait était le fruit non de ses pieuses réflexions
mais bien une révélation divine.
9.
Au kellion des Quarante-Martyrs.
C'était la période après Pâques
et il était allé avec d'autres prêtres célébrer une liturgie au
kellion* des Quarante-Martyrs. Ils avaient emporté avec eux
suffisamment d'oeufs rouges (5).
(5)
: ( Dans les pays orthodoxes, c'est la coutume de préparer des oeufs
(symbole de renouveau et de vie éternelle) peints en rouge (
symbolisant le sang versé par le Christ et Son éclat lors de Sa
résurrection) pour les distribuer et les consommer à l'issue de la
fête de Pâques).
Après
la Divine Liturgie, des Bédouins arrivèrent et ils leur
distribuèrent les oeufs. Il y avait quarante oeufs et c'est
précisément quarante bédouins qui vinrent au kellion des
Quarante-Martyrs.
10.
La dormition de sa mère.
Un
jour, il ressentit une consolation spirituelle particulière, un
réconfort inexpliqué ainsi qu'un grand amour pour la Mère de Dieu.
Il se demanda ce qui lui arrivait. Il nota la date (6 octobre 1963)
et il apprit plus tard que c'était le jour de la mort de sa mère,
pour laquelle il avait une très grande affection, mais qu'il avait
abandonnée par amour du Christ et de la Toute Sainte. C'est comme si
la Mère de Dieu lui avait dit : " Ne sois pas triste; ta mère,
c'est moi." Celle-ci l'avait adopté d'une certaine façon dès
l'instant où il était devenu moine. De plus, il fut jugé digne
plus tard de voir la Toute Sainte à plusieurs reprises, de parler
avec elle et de recevoir de la nourriture de ses mains immaculées.
11.
Le nom de Kazantzakis.
Un jour, il monta en compagnie de
deux Pères du Sinaï jusqu'au sommet du mont Sainte-Catherine pour y
célébrer la Divine Liturgie. Lorsqu'ils eurent terminé, les autres
commencèrent à descendre. L'Ancien, ayant apporté un burin, se
rendit jusqu'au rocher sur lequel Kazantzakis (6) avait gravé son
nom, et il effaça le nom de l'athée déclaré.
(6)
: ( Célèbre écrivain grec d'origine crétoise (1883-1957) dont les
oeuvres furent condamnées par le Saint Synode de l'Eglise de Grèce,
particulièrement La dernière tentation du Christ et le film qui en
a été tiré).
Il
considérait qu'il ne convenait pas à la sainteté du lieu que les
pèlerins voient le nom d'un blasphémateur et qu'il y ait
"l'abomination de l'athéisme en un lieu saint (7)".
(7)
: ( Allusion à Mt 14, 15).
L'un des Pères était crétois.
Pendant qu'il descendait, il entendit le Père Païssios qui frappait
de son burin, et pensant qu'il aménageait le sentier de pierre, il
l'appela : " Viens, Père Païssios, laisse donc maintenant le
sentier. Viens donc que nous puissions partir."
L'Ancien lui répondit en souriant
: " Je fais ce que je peux, Géronda..." Le Père Païssios
éprouvait d ela répulsion pour Kazantzakis à cause de son athéisme
et de ses blasphèmes, et il ne supportait pas même de voir ou
d'entendre mentionner son nom.
12.
Il est réconforté sans communier.
Un dimanche matin, il vit des
pèlerins qui montaient vesr le sommet de la sainte montagne. Il
comprit qu'ils allaient célébrer la Divine Liturgie. Il se mit à
les suivre. Il demanda la bénédiction pour communier, après avoir
confessé au prêtre que la veille il avait rompu le jeûne; il avait
mis une cuillerée d'huile dans la nourriture parce que c'était
samedi et il ne savait pas qu'il y aurait une Liturgie en ce lieu,
alors qu'il avait passé toute la semaine à manger des aliments secs
sans huile. Mais le prêtre ne lui permit pas de communier. L'Ancien
obéit humblement et ne communia pas. Mais il ressentit de la
concolation et de la joie comme s'il avait communié.
13.
Combat invisible et états ineffables.
Dans une lettre datée du 1er mars
1964, l'Ancien rapporte que, souvent, le démon l'importunait, bien
qu'il eut annihilé la chair : " Je remercie la Toute Sainte qui
ne m'a pas pris en aversion, mais qui ne cesse de m'aider. Dieu, qui
n'est que bonté, autorise les tentations pour que nous puissions
combattre et que par le combat nous recevions la couronne
inflétrissable de la victoire. Il y a plusieurs jours, il m'a
beaucoup importuné dans mon ermitage, pendant presque toute une
semaine, alors que je me préparais à communier au sommet de la
sainte montagne où devait être célébrée une Divine Liturgie. Je
remercie le Dieu de bonté qui m'a protégé, car la guerre était
très violente... Après ce combat, Dieu qui est bon m'a jugé digne
de communier au saint sommet, parce qu'Il m'avait protégé. J'avais
ressenti une telle joie ce jour-là que je ne puis la décrire.
J'étais confondu par le grand amour de Dieu dont je ressentais la
présence à mes côtés. C'est pour cette raison que le diable
hostile me faisait une guerre si dure, afin de pouvoir me priver de
cette jubilation spirituelle qui m'avait approvisionné pour
longtemps..."
L'ascète du Sinaï menait
désormais une vie dégagée de la matière... Il était captif de
l'amour de Dieu. Sa prière était ininterrompue, comme sa
respiration, et elle ne s'interrompai pas, même dans son sommeil. "
La grâce l'allaitait." Il vivait fortement la présence de
Dieu, ainsi que les grands événements qui s'étaient produits en
ces lieux au temps du prophète Moïse. Il décrivait parfois la
grotte du prophète : " Toute la montagne, tout le rocher
étaient devenus moelleux comme d ela pâte, "parce que Dieu y
était descendu dans le feu (8) ".
(8)
: ( Ex 19, 18).
C'est
pourquoi le prophète Moïse avait même imprimé dans la grotte la
trace de son dos."
En outre, comme on l'a rapporté
auparavant, commentant l'événement qu'il vécut à Esphigménou, il
dit : " Au Sinaï, j'ai vécu de plus intenses états spirituels
d'une autre façon."
Mais il ne voulut jamais décrire
avec précision ce qu'il vécut sur la montagne où Moïse vit Dieu.
Il se contentait de cette allusion. Mais, de toute façon, c'était
quelque chose de comparable, mais dont l'intensité était plus forte
que l'événement antérieur; c'est pourquoi il y avait une relation
entre eux.
Très probablement ce n'était pas
une vision, un miracle. C'étaient des états de grâce souvent
vécus, au cours desquels il recevait un surcroît de grâce, ce qui
avait comme conséquence de modifier complètement son état
spirituel pour un état supérieur. " Je sens que se lève en
moi avec douceur quelque chose d'autre", écrivait-il.
Avec tout ce que vivait l'Ancien,
sans compter tout ce que nous ignorons, la grâce divine le préparait
secrètement pour son oeuvre ultérieure.
14.
Il abandonne le doux désert.
Tandis qu'il menait une telle
existence et se réjouissait d'avoir enfin trouvé ce qu'il cherchait
depuis des années, sa santé se dégrada. Il souffrait de migraines
dues au manque d'oxygène causé par l'altitude. Mais Dieu le
nourrissait avec la manne céleste, et le consolait par sa grâce. Au
début, il n'accorda pas d'importance à ces symptômes, mais par la
suite, il fut contraint par la force des choses à le faire. Il écrit
à ce sujet dans une lettre datée du 1er mars 1964 : " De toute
façon, je vois que Dieu me rabaisse toujours plus bas. Désormais,
je me trouve au monastère depuis une semaine, car j'ai de l'asthme,
et comme l'ermitage était à 2000 mètres d'altitude, j'ai beaucoup
souffert, et bien que je m'y sois efforcé, il m'était impossible
d'y rester, car le souffle me manquait. Ici, au monastère, on est
approximativement 400 mètres plus bas. Si je souffre ici aussi,
j'irai en Grèce... De toute façon, je laisse la décision à Dieu,
et Lui, qui est bon par nature, qu'Il agisse dans l'intérêt de mon
âme! Pour l'instant, il n'y a rien de sûr."
Finalement, quand il s'aperçut que
l'état de ssa santé s'aggravait, il prit à regret la décision
d'abandonner le doux désert du Sinaï, car il désirait y rester
pour toujours "afin de rendre un culte à Dieu sur cette
montagne (9)".
(9).
(Cf. Ex 3, 12).
Jusqu'à
la fin de sa vie, il eut la nostalgie du Sinaï, et il se préoccupa
de lui fournir des moines, ainsi que de son rayonnement spirituel.
Retournant à la Sainte-Montagne,
il rencontra à athènes, dans une église, le professeur de
théologie Panaghiotis Bratsiotis. Celui-ci fut impressionné par cet
ascète qui, bien que malade, se tint debout devant lui pendant toute
la durée de l'office. Il l'aborda en lui disant : " Même
maintenant, tu ne t'assieds pas un peu?"
Comme le dit le verset, "il
vit l'iniquité et la contestation dans la ville" d'Athènes.
(10)
: ( Cf. Ps 54, 10).
Le
diable entreprit de le mettre à l'épreuve, non plus en lui
apparaissant, comme au Sinaï, mais par l'intermédiaire d'un séide.
Alors qu'il cherchait son chemin pour se rendre chez une
connaissance, il s'adressa à quelqu'un qui le conduisit jusqu'à une
maison, lui ouvrit la porte et le fit entrer à l'intérieur. C'était
une maison de perdition! L'Ancien, au début, fut effrayé. Puis il
invoqua Dieu pour qu'Il lui vienne en aide, donna un coup dans la
porte et s'enfuit, "comme du piège la gazelle, ou comme
l'oiseau du filet de l'oiseleur (11)".
(11)
: (Pr 6, 5).
CHAPITRE
IX
A
LA SKYTE D'IVIRON
1.
Vie solitaire ou vie communautaire?
De
retour à la Sainte-Montagne, l'Ancien prit la direction du saint
désert de Kapsala, endroit calme et ascétique près de Karyès.
Mais il ne trouva pas là un lieu de repos. Par obéissance à un
Ancien, il se rendit à la skyte* d'Iviron, où il trouva la calyve*
des Archanges ( l'acte d'attestation de la maison (1) porte la date
du 12 mai 1964).
Lui-même
dans une lettre ( du 24 juillet 1964) rapporte : " J'ai pris,
avec la grâce de Dieu, une calyve dans la skyte isolée d'Iviron. Il
y a là toutes les conditions requises pour mener une vie hésychaste.
Sur les quinze calyves, seules sept sont habitées. Les samedis et
dimanches, nous ne célébrons que les Liturgies dans l'église de la
skyte (kyriakon), les autres offices ont lieu dans nos calyves. Ma
calyve a une chapelle, consacrée aux saints Archanges, un peu de
terrain avec des oliviers, un petit jardin avec de l'eau, etc. La
maison est, bien sûr, ancienne, et j'y fais des réparations. Je
vois que les choses s'orientent vers la constitution d'une petite
communauté. Il est vrai que cela me contrarie beaucoup, car j'ai
vécu seul et je vois en moi-même que ce n'est que seul que je
pourrai progresser correctement. J'ai invoqué le Seigneur a de
nombreuses reprises, mais je m'aperçois que c'est sa volonté. Je
suis allé voir mon confesseur le Père Tikhon, un ermite russe, et
il m'a dit qu'il faudra que j'accepte tous ceux qui désirent
demeurer avec moi. Tout au plus, m'a-t-il dit, tu pourras te
construire une petite calyve plus loin, pour avoir un peu de
tranquillité.
J'ai commencé à réparer la
calyve, car peut-être que d'ici peu mes amis vont venir, et il
faudra que je les accueille autant que possible. Tout me manque. Il
faudrait que je m'occupe de la maison; il faudrait aussi que
j'acquière d'autres choses, etc., avant de pouvoir commencer à
exercer un petit travail manuel. En l'espace de trois mois, j'ai
travaillé dur. Gloire à Dieu, j'ai pu arranger pas mal de choses.
Il faudrait que d'ici un an tout soit réglé, pour que nous
commencions notre principal travail : la prière et la méditation
(2), et aussi accessoirement un peu de travail manuel.
(2)
: ( La prière désigne ici les offices, et la méditation : la
Prière de Jésus, selon un nom très ancien donné à celle-ci).
Ainsi
nous pourrons vivre dans l'insouciance qui aspire les frères vers le
haut. L'huile sera fournie par les oliviers, y compris pour la
chapelle. Le jardin fournira tous les produits, comme les pommes de
terre et les haricots, ainsi que des légumes pour l'hiver. Il y a
quelques arbustes de différentes espèces, et suffisamment de
vignes. Lorsque les frères font un peu de travail manuel pour se
distraire, et non pour être absorbés par celui-ci, ils peuvent se
concentrer sur eux-mêmes et par là trouver Dieu. Dieu, qui est bon,
vient en aide aux bons comme aux méchants; tel un bon Père, Il nous
viendra en aide, j'en suis persuadé. Surtout s'il relève de Sa
volonté que quelque chose advienne ici pour Sa gloire. Plus tard,
j'ai l'intention de construire des petites cabanes à cent mètres
les unes des autres pour les frères, pour que tous soient ensemble
tout en étant tous séparés, car j'ai vécu toutes ces différentes
formes de vies monastiques et je me suis aperçu que c'est dans la
vie solitaire ( hésychia) que se produit l'affinage."
2.
Aspects de la vie de la skyte.
Parmi les quelques Pères de la
skyte, on remarquait le Père Pachôme, de la communauté du Père
Nil (3).
(3)
: (Fleurs de la Mère de Dieu, p. 17-18).
Il
prenait dans ses mains serpents et scorpions. L'Ancien racontait
aussi beaucoup de choses sur la simplicité, la vertu et la parfaite
obéissance à son Ancien. Pour toutes ces raisons, l'Ancien aimait
bien le Père Pachôme et il lui envoyait souvent des bénédictions
(4).
(4)
: (Petits cadeaux sous la forme d'un fruit ou d'un objet).
Quelques moines vinrent s'établir
auprès de l'Ancien, parmi lesquels les hiéromoines Basile et
Grégoire, qui plus tard reconstituèrent la communauté du monastère
de Stavronikita dont le Père Basile (5) est devenu l'higoumène.
(5)
: ( Le Père Basile Gondikakis qui, après avoir restauré le
monastère de Stavronikita, est devenu higoumène du monastère
d'Iviron).
Pendant
quelque temps, il mit à la disposition des membres de sa communauté
sa calyve, et lui-même se construisit un tout petit "cabanon"
avec des planches de châtaignier.
Il veillait quotidiennement avec un
nombre incalculable de prosternations et de nombreux chapelets*. Son
principal travail était la prière. Il essayait de ne pas
interrompre sa communion intérieure avec Dieu, pour qu'elle reste
continuelle.
Malgré sa santé défaillante, il
se faisait violence, en jeûnant jusqu'à l'épuisement. Et lorsque
les "batteries étaient à plat" et qu'il arrivait au
"Amen", contre toute attente, il recouvrait des forces et
poursuivait ses combats.
Lorsqu'il descendait au débarcadère
( arsanas, en grec (6)), il marchait pieds nus comme au Sinaï. Il
avait ses chaussures dans un sac et il les mettait quand il voyait
quelqu'un venir au loin.
(6)
: ( Vieux mot vénitien passé en grec et qui désignait à l'origine
un chantier naval).
Comme graveur sur bois autodidacte,
il gravait de très belles croix de poitrine et des croix pour la
bénédiction des eaux. Avec le fruit de son travail manuel, qu'il
vendait pour sa propre subsistance, il aidait aussi quiconque en
avait besoin.
Dans
la skyte, il aidait avec empressement les Pères ainsi que tous ceux
qui requéraient son aide; il accourait joyeusement pour soulager son
prochain.
Il
assuma la charge de dikaios (7) de la skyte. Après avoir rempli ses
obligations dans l'église de la skyte (kyriakon), pour ne pas nuire
à l'hésychia, il laissait une note à l'attention des visiteurs qui
sonnaient de la cloche à peine arrivés. Il l'entendait depuis son
cabanon où il restait dans l'hésychia; il descendait, s'occupait
des visiteurs, les apaisait et les restaurait aussi bien
corporellement que spirituellement.
Durant cette période se produisit
également sa rencontre avec un visiteur extraordinaire, docker au
Pirée, qui par sa prière avait fait revenir à la vie son beau-père
blasphémateur, pour qu'il se repente.
L'Ancien raconta aussi l'événement
suivant : " Un jour, un prêtre vint à la skyte. Lorsque je le
vis, je ne fus pas "informé" spirituellement. Au cours de
la conversation, je compris qu'il était catholique; En sorte que je
lui dis sévèrement : " Vous devriez porter une capuche
(c'est-à-dire le couvre-chef des moines latins) et visiter ainsi les
monastères!"
Cet homme était un prêtre
catholique nommé Boniface, comme je devais l'apprendre plus tard, et
où qu'il aille, il s'habillait de façon à tromper les gens. Avec
les grecs orthodoxes, il s'habillait comme un prêtre grec, avec les
prêtres russes, comme un prêtre russe, etc."
L'Ancien, bien qu'il vît les
cheveux, la barbe et le froc "orthodoxes", ne fut pas
trompé par eux; La grâce divine témoigna en lui que celui qui
avait l'apparence d'un prêtre n'avait pas la prêtrise.
"Il
n'avait besoin d'être renseigné sur personne : lui, savait ce qu'il
y a dans l'homme. (8)"
(8)
: ( Jn 2, 25).
3.
Il aide l'âme d'un défunt.
L'Ancien racontait : " A peine
arrivé à la skyte, le vieil Athanase, le garde forestier
(kourtzis), l'apprit et, de Philothéou, il vint me rendre visite.
C'était une connaissance, et il m'apporta des bénédictions*, parce
que, au début, je n'avais rien.
Je
le remerciai et lui demandai d'écrire les noms de ses parents
défunts, pour les commémorer. Celui-ci, influencé par un témoin
de Jéhovah, me dit : "Dès que l'homme meurt, il n'y a plus
rien; après la mort tout périt." Peu de temps après, celui-ci
vint à mourir. Lorsque je l'appris, je me rendis à Philothéou et
je trouvai sa tombe. Je fis chaque jour une prière du fond du coeur
pour que Dieu accorde le repos à son âme.
Vingt jours après sa dormition,
j'appris que quelqu'un de Philothéou me cherchait. Il arriva
bouleversé; il était aussi épitrope (9) du monastère.
(9)
: ( L'épitrope (intendant) s'occupe des finances du monastère et de
l'organisation matérielle).
Il
me dit : " Père, le défunt, le vieil Athanase, est venu me
voir pour s eplaindre que je l'ai oublié et que je n'ai rien fait
pour lui et il m'a dit que toi seul tu l'aides par ta prière. De
fait, je ne le mentionne pas dans ma prière. J'ai reçu la charge de
responsable ( proïstaménos) et je m'occupe du bureau; j'ai beaucoup
de travail. Que faire? J'ai même abandonné ma règle de prière!
-
Eh bien, désormais tu devra en faire un peu plus!"
Cet événement conforta l'Ancien,
et il pria davantage pour les âmes de tous les défunts.
4.
La protesction du saint Précurseur.
L'Ancien racontait : " En
voyant le ravin, j'ai ressenti un désir, un amour divin. Mon coeur
tressaillit à l'idée de demeurer là, à la recherche de plus
d'hésychia et de prière. Je me rendis auprès d'un des responsables
du monastère d'Iviron (10) afin de recevoir sa bénédiction pour y
construire une petite cabane. Mais lui de pousser des cris : "
Que venez-vous faire ici, vous les soi-disant ascètes?" Mais,
pendant la nuit, le saint Précurseur (11) (c'est le Saint Patron de
la skyte d'Iviron) apparut au supérieur et commença à le frapper
(12).
(12)
: ( Parce qu'il avait témoigné du mépris pour l'Ancien).
Terrorisé,
celui-ci s'éveilla et se rendit à l'église. Il demanda avec
insistance aux Pères d'interrompre leur office, et de se rassembler
pour qu'il leur dise ce qui lui était arrivé, parce qu'il ne
pouvait trouver le repos. Ils lui répondirent : " Nous ne
pouvons interrompre l'office, prend patience et attends que nous
ayons terminé." Puis ils se rassemblèrent, et il leur raconta
ce qui lui était arrivé. A la suite de cela, le responsable, non
seulement il me donna sa bénédiction pour construire ma cabane,
mais m'envoya des matériaux de construction avec les mulets. Ce lieu
était si humide que l'eau gouttait des clous. C'était la raison
pour laquelle les Pères avaient abandonné cet endroit. En m'y
installant, je me mis cracher du sang. Ce fut la raison pour laquelle
je laissai deux côtes au sanatorium. Je m'étais fatigué à
transporter des matériaux pour construire ma cabane (13).
(13)
: ( On peut la voir encore aujourd'hui à côté de la vieille église
de la skyte et à quelques mètres de la fontaine du fondateur de la
skyte, le saint néomartyr Jacques).
Je
me sentais malgré tout en pleine forme! C'était une joie
spirituelle, mais pas uniquement. La joie céleste, c'est autre
chose; c'est une énergie de la grâce divine."
5.
Une lapidation diabolique.
Un jour, un pauvre moine passa par
la skyte, muni d'une pantachoussa (14) pour demander l'aumône.
(14)
: ( Document délivré par la Sainte Communauté qui donne
l'autorisation de solliciter des aumônes auprès des monastères).
L'Ancien
donna tout son argent au pauvre, une somme qui, à cette époque,
était élevée. Même les monastères ne lui avaient pas donné
autant d'argent. Le diable ne supporta pas de voir "dématérialisé
ce qui est matériel" et, rendu furieux par son aumône
exemplaire, il lui jeta une grosse pierre, laquelle était prise dans
le plafond et tomba sur la tête de l'Ancien!
6.
Le Grand Habit.
L'Ancien avait fait la connaissance
du Père Tykhon à l'époque où il était à Esphigménou. Dès
lors, il en fit son père spirituel. Régulièrement, il se rendait
dans son kellion pour le voir et recevoir ses conseils. Souvent, le
Père Tykhon lui demandait :
"
Quand vas-tu prendre l'Habit?
-
Quand Dieu l'autorisera, Géronda*, cela ne me préoccupe pas."
Bien
que le Père Païssios fût moine depuis des années, il n'avait pas
encore reçu le Grand Habit. Ce qui l'intéressait avant tout,
c'était de vivre en moine, c'est-à-dire pas seulement de recevoir
formellement le Grand Habit, mais aussi la Grâce de l'Habit. Il
accordait plus d'importance au fait de le porter intérieurement.
C'est-à-dire de devenir moine selon l'homme intérieur. C'est
pourquoi il disait : " Je n'ai jamais été préoccupé par le
fait de savoir quand j'allais devenir moine du Grand Habit. Même si
l'on ne m'avait pas fait moine, cela ne m'aurait pas dérangé. Ce
qui m'intéressait, c'était de vivre comme un moine. Si l'âme n'est
pas labourée, elle n'a pas d'armes inétrieures, bien que l'Habit
soit une arme, il ne sert à rien. Comme la moindre désobéissance
est porteuse d'une très grande responsabilité après l'Habit, il
faut faire preuve d'une plus grande rigueur. Il faut faire des
efforts pour observer les promesses, même avant l'Habit." Il ne
chercha pas à recevoir le Grand Habit de lui-même, parce que, par
humilité, il s'en considérait lui-même comme indigne, et parce
qu'il voulait être fidèle pour toujours à ses promesses.
Mais maintenant, poussé par son
Ancien, il accepta de prononcer ses voeux monastiques et il reçut le
Grand Habit Angélique des vénérables mains du Père Tykhon, le 11
janvier 1966, à la calyve de la Précieuse-Croix, qui dépendait de
Stavronikita.
7.
Nourri par un ange.
L'Ancien raconta : " C'était
pendant le carême de la Mère de Dieu (15), et il y avait déjà des
jours que je jeûnais.
(15)
: ( Le carême qui précède la fête de la Dormition).
Sur
ces entrefaites, on me demanda de descendre un Père malade jusqu'au
rivage. Je le descendis; et par après, je resentis une terrible
faiblesse. Juste avant d'arriver à mon kellion, quelqu'un s
eprésenta à moi et me donna un petit panier avec des fruits, des
raisins et des figues, et il disparut aussitôt."
8.
Opération aux poumons.
Depuis l'époque où il était
jeune moine, l'Ancien ressentait une gêne aux poumons. Déjà à
l'époque où il était à Esphigménou, il avait eu des crachements
de sang et une hémorragie interne, et il avait été hospitalisé à
l'infirmerie du monastère. Par la suite, toute sa vie durant, il eut
à souffrir de cette affection.
Il
fut obligé de quitter Philothéou pour aller dans le monde se faire
soigner. Cette fragilité pulmonaire, qui s'aggrava en raison du
manque d'oxygène dû à l'altitude, fut la raison pour laquelle il
fut obligé d'abandonner le Sinaï.
Même
lui ne savait pas précisément de quoi il souffrait. Les médecins
diagnostiquèrent par erreur une tuberculose. Par obéissance, il
fit, inutilement, des centaines d'injections de streptomycine. Sa
chair était devenue dure comme de la pierre au point qu'un jour
l'aiguille se tordit, mais l'Ancien resta immobile et insensible à
la douleur.
Le
pieux docteur Daïkos fit le premier diagnostic correct en
diagnostiquant une bronchectasie : " Que Dieu bénisse Daïkos",
disait l'Ancien.
Sa
maladie ne cessait cependant d'empirer, c'est pourquoi il fut obligé
de sortir de l'Athos pour faire des examens, qui montrèrent que de
toute façon il fallait qu'il soit opéré. L'intervention eut lieu
au "Centre des maladies du thorax de la Grèce du Nord". On
lui enleva pratiquement tout le poumon gauche, et on lui enleva
également deux côtes. Dans une lettre envoyée de la clinique
chirurgicale de l'hôpital et datée du 10 décembre 1966, l'Ancien
décrit ainsi l'opération : " Ce fut une opération très
lourde. On m'enleva le lobe gauche ( du poumon), en même temps qu'un
peu du droit. Le lobe était plein de petites poches (bronchectasie).
L'opération dura près de dix heures. Pendant l'opération, le sang
ne s'arrêta pas de couler, ce qui la rendit plus difficile. On eut
besoin de quatre litres de sang... On me fit un drainage (16) pendant
neuf jours, et je souffris d'une grande indisposition au point que
l'on dut me ramener en salle d'opération pendant deux heures et que
l'on remit les drains en place, et cela pour plus de vingt jours.
(16)
: ( Sans doute un drainage aspiratif).
Cela
m'occasionna aussi une infirmité aux yeux. Le droit voit très bien,
mais l'autre, qui a été opéré, est très fermé et voit très
mal. Ceci ne me préoccupe pas, car d'autres sont nés pratiquement
aveugles.
Il est vrai que je souffre
beaucoup, mais je ne pense pas qu'il eût mieux valu ne pas avoir
d'affection et échapper à un tel petit martyre, car j'en ai retiré
un grand profit.
Auparavant, je lisais la Passion du
Seigneur, dans l'Ecriture Sainte, comme une simple histoire, comme
les Vies des saints dans le Synaxaire*. Désormais je vais la
ressentir, parce que j'ai éprouvé quelques souffrances. Cela fait
maintenant vingt-cinq jours que je n'ai pas connu le repos."
Son bulletin de sortie de l'hôpital
porte : " A été hospitalisé au " Centre des maladies du
thorax de la Grèce du Nord". Entré le 4 août 1966, sorti le
15 décembre 1966. Atteint de bronchectasie du poumon gauche, lobe
inférieur. Après avoir été opéré, est ressorti en bonne santé."
Pendant la durée de son traitement
au sanatorium de Asvestochorio, il obéit aux médecins et mangea de
la viande. C'est alors que son père selon la chair mourut (le 10
août 1966). Dès qu'il en fut informé, il prit le Livre des Heures
et lut le psaume 118 (17).
(17)
: ( Ce psaume est lu lors de l'office des funérailles et le samedi
lors de l'office des défunts).
Lorsqu'il
eut terminé, un malade lui dit qu'il venait juste d'être informé
de la dormition d'un proche. Alors l'Ancien relut le même psaume.
9.
Fondation d'un monastère féminin.
A
l'hôpital, il se lia spirituellement avec quelques jeunes femmes
pieuses qui aimaient le monachisme. Elles lui rendirent visite et lui
donnèrent le sang dont il eut besoin durant l'opération. L'Ancien
ressentit l'obligation de les aider spirituellement plus tard de
toutes les façons possibles. Il se sentait si redevable qu'il disait
qu'il portait comme un gilet de crin sur la peau, et qu'il voulait
l'enlever, c'est-à-dire donner une contrepartie au bienfait dont
elles l'avaient gratifié. C'est pourquoi il les aida à trouver un
lieu où devenir moniales, et c'est ainsi que fut fondé le fameux
monastère Saint-Jean-le-Théologien à Souroti. Par la suite,
jusqu'à sa dormition, il les dirigea spirituellement, et c'est là
qu'il voulut que reposât son corps si éprouvé. Il reçut du sang
des soeurs et il leur donna l'esprit, c'est-à-dire une aide
spirituelle.
A son retour de l'hôpital, il
poursuivit son valeureux combat ascétique dans la skyte, avec ses
affaires et ses soucis, parce que le nombre des pères avait
augmenté, ce qui ranima le désir de l'Ancien de trouver davantage
de solitude. Mais, surtout, son opération l'obligeait à changer de
climat et à demeurer dans un endroit sec. Son père spirituel, le
Père Tykhon, lui conseilla d'aller à Katounakia. " Il fallait
que j'obéisse à l'Ancien", disait-il. Le 11 juillet 1967 il
reçut son autorisation de congé du monastère d'Iviron et partit
pour Katounakia.
CHAPITRE
X
DANS
LES ERMITAGES
DE
KATOUNAKIA
1.
La calyve d'Hypatios.
Pour l'amour de son hésychia
bien-aimée et en raison de sa santé déficiente, le Père Païssios
se rendit à Katounakia où il prit la calyve d'Hypatios, à
l'endroit appelé "Vlachika", au-dessus de la maison des
Daniléens ( les disciples du saint Ancien Daniel).
Il
écrivit dans une lettre ( datée du 18 septembre 1967) : " ...
Gloire à Dieu, je me porte très bien. Je ne suis pas oppressé
parce que je peux ouvrir la fenêtre jour et nuit, car il n'y a pas
d'humidité. Je n'ai pas non plus de voisinage."
C'était une pauvre petite calyve
sans chapelle avec deux ou trois murets de pierre alentour. Quelques
mètres plus loin, il y avait aussi une autre petite calyve en tôle.
Elle recélait et conférait une bénédiction particulière, parce
qu'en celle-ci avait vécu l'Ancien Ephrem " le Miséreux"
(+ 1962) (1).
(1)
: ( Voirs Fleurs du Jardin de la Mère de Dieu, p. 109-111).
L'Ancien
s'y rendait souvent, il y priait et ressentait la grâce du lieu.
Cent mètres plus haut se trouvait une grotte, jadis refuge de
bandits, dans laquelle l'ancien Ephrem avait également vécu. La vie
à Katounakia était tranquille, sans trouble et très pauvre. Comme
travail manuel, il gravait des icônes en bois de cyprès
représentant la Crucifixion avec la Mère de Dieu et saint Jean. Il
en vendait quelques-unes pour son entretien, mais le plus souvent il
les distribuait en bénédiction*. Il fabriquait aussi des petites
icônes faites à la presse, qu'il distribuait aussi en bénédiction.
C'est
alors qu'il fit l'exhumation du précédent habitant de la calyve,
l'Ancien Hypatios le Roumain.
L'Ancien aidait aussi les Daniléens
(2) lors de leurs fêtes.
(2)
: ( Communauté fondée au XIX° s. par l'Ancien Daniel, connue pour
la qualité de ses iconographes et de ses chantres. Cette communauté
est la plus nombreuse et la mieux organisée de Katounakia, ce qui
lui permet de venir fréquemment en aide aux ermites de la région).
Parmi
les servants se trouvait un moine de Kavsocalyvia, auquel ce moine
inconnu de lui ( le P. Païssios) fit une grande impression, car il
servait avec une grande agilité pendant la fête, autant que deux ou
trois autres servants réunis, silencieux et priant sans jamais se
reposer.
Un
jour, l'Ancien prit le bateau pour aller de Daphni à Katounakia. Il
aborda un moine qu'il voyait pour la première fois, lui fit
humblement une métanie* et l'appela de son nom. C'était l'Ancien
Gabriel, le grand ascète de Karoulia (3).
(3)
: ( Karoulia se trouve en contrebas de Katounakia et en bordure de
mer. C'est sur ces rochers abrupts et sans consolations que vivent
des ermites).
Et
celui-ci fut content de connaître le Père Païssios, parce qu'il
avait entendu parler d'un ascète qui habitait à Vlachika. Avec une
charité sincère et familiarité, ils s'assirent à part et
s'entretinrent spirituellement. Plus tard, l'Ancien devait dire : "
L'Ancien Gabriel était un vrai ascète, mais l'Ancien Pétros
("Pétrakis") avait quelque chose de spécial. Il avait une
douceur (apalada) spirituelle."
A
Katounakia, il eut aussi des relations spirituelles avec d'autres
Pères qui avaient atteint une haute stature spirituelle.
Cette hésychia*, qu'il désirait
ardemment, était interrompue par les visiteurs, comme il nous le
rapporta lui-même : " Je venais d'être opéré lorsque je
revins à Katounakia, et les gens commencèrent à me rendre visite.
Les ayant reçus autant qu'il était nécessaire, je les renvoyais en
leur souhaitant bonne route. Eux alors se mettaient en route mais,
peu après, ils revenaient sur leurs pas en me disant qu'ils
voulaient passer la nuit chez moi, et ils s'installaient. Et moi,
alors, de leur faire la cuisine, de leur préparer un lit. Où
trouver la force de m'occuper d'eux? Qu'est-ce que j'ai dû endurer!
Je souffrais et les médicaments ne me soulageaient pas. Mais je
disais : " Gloire à Toi, notre Dieu, qui m'as accordé, malgré
mon indignité, de ressentir un peu ce qu'ont ressenti les saints
martyrs.""
2.
Des gilets pour l'ascète.
L'Ancien apportait aussi à des
pères malades et âgés des bénédictions* consistant en vêtements
et en nourriture. Un vieillard âgé avait mis devant la porte de son
kellion ( sa cellule) un écriteau : " Ne me dérangez pas. Je
suis vieux et malade." Il ne voulait rien recevoir de personne.
Le Père Païssios réussit à lui faire accepter ce qu'il lui
apportait, en disant : " Garde-le, Géronda*, puisque tu e
svieux et malade."
Un
jour, il rendit visite à l'ancien Sabbas de Katounakia et lui donna
quelques " bénédictions*". En partant, il lui demanda
s'il avait besoin de quelque chose. Il lui répondit qu'il avait
besoin de vêtements de dessous en flanelle. Sur le chemin, en
revenant à sa calyve, il rencontra un visiteur qui venait le voir et
tenait un colis pour lui. L'Ancien l'ouvrit et admira la providence
divine. Le colis contenait des flanelles. Il fit aussitôt demi-tous
et les donna à l'ancien Sabbas.
3.
Le possédé.
"Un jour, en remontant vers ma
calyve assez chargé, raconta l'Ancien, je rencontrai un laïc de
Trikala qui souhaitait m'aider. Mais le malheureux était possédé
et, en chemin, il fut saisi de soubresauts à cause du démon et il
tomba sur le sol. Je fis sur lui le signe de croix avec la croix de
mon chapelet. Le possédé se saisit de ma main droite et fut sur le
point de la briser. Alors j'ai pris mon chapelet* de ma main gauche,
et j'ai fait sur lui le signe de croix en disant : " Au nom de
notre Seigneur Jésus-Christ, sors, esprit impur!" Aussitôt il
se calma et me demanda pardon." L'Ancien ajouta alors avec
admiration : " Le chapelet* a une grande puissance, oh là là!"
4.
" Il a dénoué mon noeud gordien"
Témoignage d'un prêtre anonyme :
" En 1968, j'ai rendu visite à l'Ancien alors que j'étais
séminariste. Mon grand problème, qui m'étouffait littéralement,
c'était que j'avais choisi de vivre comme un prêtre célibataire,
car on m'avait présenté le mariage d'une façon partiale et suivant
une perspective erronée. J'ai ouvert mon coeur avec confiance à
l'Ancien. Il m'écouta avec attention et lorsque j'eus terminé, il
me dit : " Ecoute, mon enfant, le menuisier fait des meubles de
luxe avec le bois approprié. Il en est de même pour le forgeron :
celui-ci, avec du fer, fabrique d'excellents meubles en métal. Toi,
mon enfant, il faut que tu t'examines soigneusement : de quel
matériau es-tu fait? Si, par exemple, tu es en bois, en aucune façon
tu ne dois aller chez le forgeron, parce qu'il te consumera avec le
chalumeau dont il se sert. C'est seulement si tu es de fer que tu
dois aller chez le forgeron."
J'étais alors dans la confusion la
plus totale mais, dès cet instant, je me sentis soulagé parce que
l'Ancien, avec un exemple simple et plein de sagesse, avait dénoué
le noeud gordien qui, depuis tant d'années, m'oppressait. Je suis
reparti tout joyeux, persuadé qu'il y avait une issue qui s'ouvrait
à l'horizon même pour moi. Je m'étais ainsi assuré que je
pouvais, sans nuire et sans trahir l'idéal de vie du célibat,
suivre le conseil que Dieu m'avait prodigué par la bouche de
l'Ancien Païssios. L'intervention de l'Ancien Païssios fut décisive
pour ma vie ultérieure."
5.
Pauvreté.
Un jour, alors qu'il était assis
dans la cour de sa pauvre calyve, il s'aperçut que quelqu'un était
caché dans le bois et l'observait. Il donnait l'impression d'un
homme qui cherche une occasion pour voler.
L'Ancien réfléchit et se dit : "
Le malheureux doit être dans le besoin." Il partit aussitôt en
laissant la porte de sa calyve ouverte. Le voleur put pénétrer
librement à l'intérieur. Mais, malheureusement pour lui, il ne
trouva rien qui vaille la peine d'être emporté. Il n'y avait qu'un
matelas de paille et quelques petits objets sans valeur. " Bien
que le voleur ait été, selon l'Ancien, un homme rude, il fut ému
et, par la suite, il m'amenait du ravitaillement." Se repentant,
il demanda pardon, ce que l'Ancien lui accorda bien volontiers et de
tout coeur.
6.
" Moi, je mange tout le temps..."
Un jour, le père Daniel de la
communauté des Daniléens lui rendit visite. Il frappa à la porte,
en disant : " Par les prières de nos saints Pères...", et
pendant longtemps, il n'y eut pas de réponse. Enfin, l'Ancien
ouvrit. Il avait le visage couvert de larmes et il tenait dans ses
mains un oignon et du pain séché, et il mangeait. Le Père Daniel
lui demanda : " Comment vas-tu, Père Païssios? - Comment
puis-je aller, Père? Eh, ne le vois-tu pas? Je mange. Moi, je mange
tout le temps..." Et tout en disant cela, il mangeait d
el'oignon et du pain séché, et ses larmes ne cessaient de couler. A
ce qu'il semble, il était dans un état spirituel de grande
componction, au point qu'il ne pouvait retenir ses larmes. En
entendant la voix du Père Daniel, il fit un effort pour se dominer,
parce qu'il devait ouvrir la porte. Mais ne pouvant contenir ses
larmes, il trouva cet artifice avec l'oignon. Mais le Père Daniel,
qui raconta cet incident, comprit de quoi il retournait, et il donna
cette explication.
7.
Lumière très douce.
A Katounakia, il fit aussi des
expériences divines : " Un jour, raconta-t-il, alors que je
disais la Prière* pendant la nuit, une grande joie m'envahit. Je
continuai de dire la Prière et, soudain, ma cellule fut baignée de
lumière. Celle-ci était blanche avec une légère tendance au bleu.
Mon coeur battait doucement. Je continuai à faire le chapelet*
jusqu'au lever du soleil. La lumière était si forte! Plus forte que
la lumière du soleil. Le soleil était une lueur à côté d'elle.
Je voyais le soleil, et sa lumière me semblait pâle, comme l'est la
lumière de la lune pendant la pleine lune. Je vis cette lumière
pendant longtemps. Par la suite, quand la lumière se retira, la
grâce aussi diminua; alors je ne trouvai plus ni consolation ni
joie. Parce que j'étais passé d'un état spirituel à un autre
inférieur, je me considérais moi-même comme un animal. J'allais
manger, boire de l'eau, faire mon travail manuel, et je me sentais
comme un animal. J'avais complètement oublié cet événement et je
m'en suis souvenu avant-hier (4), quand un pieux avocat qui se
livrait à la prière mentale me le rappela, parce qu'il vivait un
état spirituel..."
(4)
: ( Le 23 juin 1984).
L'Ancien ne dit pas explicitement
que la lumière qu'il vit était incréée, bien qu'il n'y ait aucun
doute qu'il s'agissait bien d ela lumière incréée. Il ne décrit
rien d eplus; il ajouta seulement : " On la voit même les yeux
fermés, comme aussi avec les yeux ouverts; même la nuit dans
l'obscurité et le jour au soleil."
Par d etelles interventions
spirituelles, la grâce divine consolait l'ascète Païssios qui,
volontairement, s'était fait pauvre en pratiquant l'ascèse et en
renonçant à lui-même dans le désert sans consolation de
Katounakia.
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