lundi 6 avril 2020

L'Ancien Païssios de la Sainte Montagne.


Hiéromoine Isaac



L'ANCIEN PAÏSSIOS
DE LA SAINTE MONTAGNE



GRANDS SPIRITUELS ORTHODOXES
DU XXe SIECLE


L'AGE D'HOMME




TRADUCTION D'YVAN KOENIG




PREMIERE PARTIE


VIE


CHAPITRE I


LES ANCETRES
SELON LA CHAIR ET SELON L'ESPRIT


1. Les marches de Pharassa.


Pharassa ou "Varasio", la patrie de l'Ancien Païssios, était avant l'échange des populations (1) un chef-lieu prospère et bien tenu sur les marches de l'hellénisme de Cappadoce.
(1) : ( L'échange des populations entre la Grèce et la Turquie fut une conséquence du traité de Lausanne (1924) qui suivit la défaite grecque en Asie Mineure. Les Grecs d'Asie Mineure (plus d'un million et demi de personnes) durent gagner la Grèce, tandis que les Turcs vivant en Grèce durent aller en Turquie).


Les six villages de la région de Pharassa se trouvent à environ deux cents kilomètres au sud de Césarée. Bien qu'isolés au fin fond de l'Asie Mineure, ils réussirent à conserver inaltérée l'Orthodoxie, la conscience hellénique, ainsi que leur langue.
Les "Varasiotes" étaient renommés pour leur courage. Grâce à leur bravoure, leur village demeura inaccessible aux Tsétés, telle une parcelle libre de la Grèce aux extrémités de la Cappadoce, en sorte que beaucoup de Grecs pourchassés par les Turcs y trouvèrent refuge.
(2) : ( Bandits turcs).
C'est pourquoi les Pharasiotes furent appelés à juste titre des Maccabées (3).
(3) : ( Famille sacerdotale juive qui fut à l'avant-garde du combat contre Antiochus IV Epiphane (175-164 A.C.). Métaphoriquement désigne le combat ardent pour la foi et la patrie).
Les femmes de Pharassa n'étaient pas en reste quant au courage et à l'héroïsme. Un jour, les Turcs pourchassèrent un groupe de femmes pour s'en emparer. Parmi celles-ci se trouvaient aussi des parentes de l'Ancien. Elles préférèrent se jeter dans le fleuve et s'y noyer, pour préserver leur foi et leur honneur, plutôt que d'e^tre prisonnières des Turcs et avilies dans leurs harems.
Il y avait à Pharassa cinquante églises. Certaines provenaient d'anciens monastères qui avaient été jadis florissants. Il y avait beaucoup de sources saintes, connues dans toute la Cappadoce pour leurs miracles. L'église principale était consacrée aux saints martyrs Barachèse (4) et Jonas qui, selon la tradition, ont été martyrisés en ce lieu au milieu du IVe siècle.
(4) : ( Ou Barakhissios. Ce saint est fêté avec saint Jonas le 29 mars).
Les Pharasiotes étaient les héritiers d'une exceptionnelle tradition ascétique qui trouve son origine dans les illustres Pères Cappadociens. Ils aimaient l'Eglise, ils étaient pieux et témoignaient d'un esprit de lutteur. Lors du Grand Carême et des jours de jeûne, la plupart d'entre eux ne mangeaient pas avant la neuvième heure (5) byzantine.
(5) : ( C'est l'heure des Vêpres. C'était l'heure de la prière du soir dans le Temple de Jérusalem (Act 3, 3). C'est aussi l'heure à laquelle le Christ mourut).
L'ultime éclat et la réalisation la plus achevée de cette tradition fut le prêtre du village, saint ARsène de Cappadoce (1841-1924) (6).
(6) : ( Sa Vie a été écrite par l'Ancien Païssios : Saint Arsène de Cappadoce, traduction française par le monastère Saint-Jean-le-Théologien, Souroti, 1996).
Sa vie sainte et ses nombreux miracles firent que non seulement les chrétiens accouraient pour le voir, mais aussi des musulmans de toute la Cappadoce.


2. Sa famille.
Vivant dans cet environnement béni, les ancêtres de l'Ancien se distinguèrent par leur exceptionnelle piété.
Sa grand-mère Hadji-Christina avait sa propre chapelle consacrée à l'archange MIchel, loin du village. A l'occasion, elle y demeurait solitaire dasn l'hésychia*, se consacrant à la prière et au jeûne. Lorsqu'en hiver elle était isolée par la neige, elle trouvait un pain chaud à la fenêtre de la chapelle. Elle faisait une prière et le mangeait. Elle avait aussi une maison à Adana. Elle y donnait l'hospitalité à saint Arsène, lorsqu'il se rendait à pied en pèlerinage aux Lieux Saints.
A l'origine, leur nom de famille était Hadji-Digénis. Par la suite, ils furent obligés de prendre comme nom de famille le nom de l'arrière-grand père de l'Ancien, qui s'appelait Théodose. Son père s'appelait donc initialement Prodromos Théodosiou. Mais comme les Turcs le pourchassèrent, il changea encore une fois de nom et prit celui de Eznépidis, ce qui veut dire "étranger". Rejeton d'une famille noble de Pharassa, qui conservait l'administration du village depuis des générations, il en fut le maire pendant des décennies, parce qu'il avait un charisme d'administrateur. C'était quelqu'un de confiance et de pieux. Il vénérait particulièrement saint ARsène et il lui obéissait en tout.
Prodromos était un habile artisan; il savait tout faire. Il travaillait comme cultivateur à Pharassa, mais il avait aussi un four qui produisait du fer. Il était courageux, entreprenant et téméraire. Depuis sa jeunesse, il explorait les religions inaccessibles de Pharassa et excaladait des rochers escarpés. Âgé de seize ans, il blessa un lion en se battant avec lui. Mais c'était avant tout un patriote, un combattant courageux, un excellent tireur, et un acrite (7) intrépide.
(7) : ( Habitant et garde d'une zone frontalière du territoire grec).
Il sauva à plusieurs reprises le village des incursions des Tsétés. Un jour, il s'habilla comme une femme turque et se rendit dan sleur repaire. Là, il demanda à voir le chef, lui prit son arme et, aidé de ses jeunes gars, il chassa les Tsétés.
Il fut en danger à d enombreuses reprises; une fois il fut même fait prisonnier, mais les prières de saint Arsène le protégèrent.
Lorsque, en tant que maire du village, il se rendit à Adana pour les affaires du village et qu'il s eprésenta devant Kémal, celui-ci, appréciant son courage, le salua en disant : " Binvenue à mon petit gars grec!"
Plus tard, en Grèce, lorsque la guerre entre l'Italie et la Grèce fut déclarée, malgré son âge avancé et mû par un enthousiasme de jeune homme, il voulut se porter volontaire pour combattre.
Il était juste, aimant son prochain et charitable. Lorsque l'Etat distribua des terres pour l'installation des réfugiés, le vieux Prodromos, en tant qu'administrateur à Konitsa, s'occupa d'abord des autres habitants de Pharassa, et ne conserva pour sa famille que la plus mauvaise part, les champs les moins productifs. Pour les défricher et en enlever les broussailles, il y mit le feu - ce dont ses yeux eurent à souffrir.
La mère de l'Ancien s'appelait Evlogia (8), née Phragkopoulou, et elle était apparentée à saint ARsène.
(8) : ( L'Ancien avait demandé qu'on l'appelle Evlogia ( la bénie) et l'avait inscrite dans les diptyques sous le nom d'Evlogia, mais à Konitsa on la surnomma Evlabia ( la pieuse)).
C'était une femme pleine de sagesse, intelligente, travailleuse, très pieuse, et elle était nourrie des admonestations de saint Arsène. La charmante Evlogia se maria de bonne heure, âgée de quinze ans; elle épousa Prodromos Eznépidis.
Prodromos et Evlogia, ces âmes bienheureuses, eurent dix enfants. Les deux premiers, Catherine et Sotiria, moururent en bas âge. Lorsque saint Arsène baptisa le troisième, il recommanda de l'appeler Zoé (9).
(9) : ( Ce mot signifie en grec "vie").
Dès lors, tous vécurent. Leurs noms par ordre d'âge sont : Zoé, Maria, Raphaël, Amalia, Chaaralampos, Arsène ( l'Ancien Païssios), Christine et Luc. Raphaël et Christine sont encore en vie.


3. Baptême et déracinement.
C'est donc à Pharassa, saint rejeton de la Cappadoce, que naquit l'Ancien le 25 juillet 1924, jour d ela fête de sainte Anne.
Lors de son baptême, ses parents voulurent l'appeler Christos, du nom du grand-père. Saint Arsène dit alors à s agrand-mère : " Et alors, Hadji-Anna (10), j'ai baptisé tant de tes enfants! Ne donneras-tu pas mon nom au moins à l'un d'entre eux?"
(10) : ( Expression turque qui marque l'affection et le respect).
Et il dit aux parents : " Bon, vous, vous voulez laisser un enfant au grand-père, pourquoi est-ce que je ne voudrais pas avoir un moine comme descendant?" Et se tournant vers la marraine, il lui dit : " Appelle-le Arsène." Ainsi, il lui donna son nom et s abénédiction, et il prédit qu'il allait devenir moine, et cela se produisit effectivement.
L'Ancien naquit l'année de l'échange des populations, où l'hellénisme d'Asie Mineure fut déraciné de son foyer ancestral. La famille de l'Ancien, ainsi que les autres Pharasiotes et saint Arsène prirent le chemin de l'amer exil. Dans le bateau, dans la bousculade, quelqu'un marcha sur le nouveau-né qui se trouva en danger de mort. Mais Dieu conserva en vie son élu, parce qu'il était destiné à devenir le guide de bien des âmes sur le chemin du Royaume. L'Ancien dira plus tard, évidemment par humilité : " Si j'étais mort à ce moment, alors que j'avais la grâce du baptême, on m'aurait jeté à la mer pour nourrir les poissons. Alors il y aurait eu au moins un poisson pour me dire merci, et je serais allé au paradis." ( Il voulait dire par là que, dans son existence, il n'avait rien fait de bon.).
Ils restèrent un peu au Pirée. Ensuite on les transféra dans la citadelle de Corfou - où, conformément à s aprédiction, saint ARsène s'endormit et fut enterré - et, finalement, ils s'installèrent à Konitsa.
Ses parents apportèrent à la mère patrie Arsène le nouveau baptisé, un nourrisson âgé de quarante jours, un anonyme alors dans la foule des réfugiés, lui qui, quelques années plus tard, allait être connu dans le monde entier et qui allait conduire une multitude de gens vers la connaissance des choses divines. Dès les premiers jours, il connut la souffrance et les tourments des hommes; plus tard, il allait devenir un havre de consolation pour des milliers d'âmes tourmentées.




CHAPITRE II
PREMIERES ASCESES


1. Une éducation
"dans l'instruction et l'admonestation du Seigneur".


Le petit Arsène, avec le lait qu'il têta, apprit aussi de ses parents la piété. Au lieu de contes et d'histoires, ils lui racontèrent la vie et les miracles de saint Arsène. En lui se fit jour de l'admiration et de l'amour pour Hadji-Effendi, comme on surnommait saint ARsène. Dès son plus jeune âge, il voulut lui aussi devenir moine, pour ressembler à son saint.
La personne qui, après saint Arsène, influença pour son bien toute son existence, fut sa mère, pour laquelle il éprouvait une affection particulière et qu'il aidait autant qu'il pouvait. C'est d'elle qu'il apprit l'humilité. Elle lui conseilla de ne pas chercher à surpasser ses petits camarades d'école lorsqu'ils jouaient pour ensuite en tirer d el'orgueil, ni non plus de jouer des coudes pour arriver le premier sur la ligne, car cela revenait au même d'y arriver premier ou dernier.
De plus, elle lui enseigna la tempérance et à ne pas manger avant l'heure du repas. Elle considérait que désobéir à cette injonction équivalait à de la luxure.
Elle l'aida aussi à acquérir de la simplicité et d el'application au travail, à se comporter avec soin et attention avec les autres, et elle l'engagea à ne jamais mentionner le nom du tentateur ( le diable).
Deux fois par jour toute la famille priait devant les icônes familiales. Sa mère cependant continuait à prier tout en accomplissant ses têches domestiques en disant la prière de Jésus.
La piété de ses parents était telle que, même sur les aires de battage, ils emportaient d el'antidoron*.
Le petit Arsène, avec la vivacité d'esprit et l'intelligence dont il était pourvu, assimilait tout ce que ses parents disaient de bien.
Suivant leur exemple, il apprenait à jeûner, à prier, et à fréquenter l'église. C'était l'enfant chéri de la famille. "D'un côté, dira-t-il plus tard, mon père me chérissait parce que j'étais doué pour les travaux manuels et que je m'en sortais bien, d'autre part, ma mère m'aimait en raison de la prétendue piété dont je faisais preuve."


2. Ascèses enfantines.
Le zèle que mettait le petit Arsène à jeûner était admirable. Il jeûnait rigoureusement depuis son plus jeune âge. Il avait l'habitude de demander à s amère de lui préparer des légumes sans huile. Pour mieux être contraint de rester à jeun après la Divine Liturgie, il gardait l'antidoron* pour ne le consommer que plusieurs heures plus tard. Pour restreindre la quantité de nourriture qu'il mangeait, il serrait bien fort sa ceinture. Un jour, il jeûna tant qu'il tomba d'épuisement sur son lit. L'Ancien devait dire plus tard : " Mes mains étaient si menues qu'elles ressemblaient à celles des petits Africains, car mon organisme avait été privé des nourrritures de base alors que j'étais encore petit. Mon cou avait l'air d'une queue de cerise, et les enfants me disaient que ma tête allait tomber."
La pieuse Kaiti Pateras, qui était de Konitsa, et plus âgée que lui, disait à ce propos qu'elle l'avait interrogé un jour :
" Mon enfant, as-tu mangé quelque chose aujourd'hui?
- Je n'ai pas mangé. Que pourrais-je manger, puisque ma mère fait cuire toute la nourriture dans la même casserole, que ce soit de la viande ou de la nourriture de jeûne? Puisque c'est la même casserole qui absorbe tout, je ne peux pas manger!
- Mais, mon enfant, ta mère est quelqu'un d etrès propre : elle la lave soigneusement avec de l'alsivia (1).
(1) : ( Mélange d'eau et de cendres bouillies, qui était jadis utilisé pour laver les vêtements et la vaisselle).
- Je ne peux pas en manger", répondit-il.
Et il jeûnait, jeûnait encore, tout en s eretirant dans la solitude pour prier.
Lorsqu'il eut bien appris à lire, il découvrit l'Ecriture Sainte et, quotidiennement, il lisait avec attention un passage de l'Evangile. Il trouva aussi les Vies de saints, dont il faisait ses délices. Il avait bourré une boîte de Vies. Dès qu'il était rentré de l'école, sans même prendre le temps de manger, il commençait par ouvrir sa boîte pour en sortir des Vies de saints, qu'il lisait. Son frère aîné les lui cachait, bien qu'il fût lui aussi pieux, car il ne voulait pas que le petit Arsène s'absorbât trop dans des choses religieuses susceptibles de le distraire de ses études. Arsène ne disait rien. Il trouvait d'autres Vies de saints, qui le nourrissaient spirituellement. Selon son frère, "Arsène, depuis la dixième (2), lisait des ouvrages religieux et il s'isolait souvent pour prier.
(2) : ( Classe correspondant au CE1).
Il ne jouait pas comme les autres enfants".
Il s'efforçait d emettre en pratique tout ce qu'il lisait dans les Synaxaires*. AInsi, il avait lu que lorsqu'on a peur d'aller quelque part, il faut s'y rendre souvent pour chasser sa crainte (3).
(3) : ( Cf. S. Jean Climaque, L'Echelle sainte, XX, 7 : " N'hésite pas à te rendre en pleine nuit dans les lieux où d'habitude tu as peur. Mais si tu te laisses un peu aller à la crainte, cette passion puérile et risible se fortifiera en toi avec l'âge. Pendant que tu es en chemin, arme-toi de la prière. Quand tu es arrivé, étends les mains. Flagelle tes ennemis avec le nom de Jésus...". Cette citation et celles qui suivnt sont tirées de la traduction française de L'Echelle sainte par l'Archimandrite Placide Deseille, collection "Spiritualité orientale" n°24, Abbaye de Bellefontaine, 1987).
Comme il avait peur quand il passait devant un cimetière, il décida de s'y rendre de nuit pour chasser sa peur. Il était alors en huitième (4).
(4) : ( Classe correspondant au CM1).
Il racontait : " J'avais vu, pendant qu'il faisait jour, un tombeau vide. A la tombée de la nuit, le coeur battant, j'y suis allé et je suis entré dans la tombe. AU début, ce fut difficile, mais par la suite je m'y suis habitué. J'y suis resté suffisamment longtemps pour me familiariser avec l'endroit. J'ai pris courage et je suis passé de tombe en tombe, mais j'ai fait attention de ne pas être vu pour que l'on ne me prenne pas pour un fantôme. Et voilà, j'y suis allé trois soirs, pour y rester jusqu'à une heure avancée, et ma peur a disparu."
Il éprouvait un grand amour pour Dieu, et sa prière en était une manifestation. Lors des grandes fêtes, il restait éveillé, il allumait la veilleuse et restait debout en priant toute la nuit. Son grand frère tenta de l'empêcher de se lever la nuit pour lire le psautier. Alors il le mit sous ses couvertures. La tactique de son frère non seulement ne fléchit pas son zèle, mais elle augmenta son amour pour Dieu.
Depuis qu'il était petit, il allait dans la forêt pour ramasser des glands qu'il perçait avec un clou pour y faire passer une ficelle, et il en faisait des chapelets pour compter ses prières et ses prosternations.
Sa soeur Christine se souvient qu'un jour, alors que leurs parents étaient aux champs, il se mit à pleuvoir. Arsène pensait à eux, qui étaient sous la pluie. Il prit avec lui ses deux petites soeurs, ils allèrent devant l'iconoctasse, s'agenouillèrent, prièrent, et la pluie s'arrêta.
Lorsque les éclairs tombaient, il avait l'habitude de dire : " Grand est le nom de la Sainte Trinité."
Son penchant naturel pour le monachisme se manifesta tôt. Quand on lui demandait ce qu'il voulait faire plus tard, Arsène répondait avec constance : " Moine", sans avoir jusque-là jamais vu de moines.
Il raconta aussi ce qui suit : " Lorsque j'étais encore à l'école, je lisais les Vies des saints et je désirais dès lors devenir un ascète. Je sortais souvent du village. J'avais alors douze ans. J'avais repéré un gros rocher. Un jour, je me mis en route pour l'escalader, afin de devenir un stylite. Je ne pris qu'un morceau de fer avec moi, pour extraire quelques légumes à manger (5), comme les ascètes de jadis.
(5) : ( Ou plutôt pour rechercher des bulbes).
J'ai marché une heure et demie pour arriver dans les montagnes et j'ai trouvé le rocher. C'était un rocher élevé. J'y suis monté péniblement et j'ai commencé à prier. J'étais à bout de forces, et je me suis mis à réfléchir : " Les ermites avaient des racines qu'ils mangeaient, un peu d'eau, une datte. Toi, tu n'as rien du tout, là sur ton rocher. Comment vas-tu vivre?" Je mourais de faim, et je n'en pouvais plus, lorsque je me suis dit : " Allons manger quelque légume." Mais par où descendre? Je suis bien monté, mais comment vais-je descendre maintenant? Finalement, je fis une de ces glissades qui faillit me faire perdre la vie. La Toute Sainte me protégeait, et je ne me suis pas cassé le cou sur les rochers. Tout doucement, en boitant, je me suis mis en marche pour la maison. Mais je me suis perdu dans la nuit et je suis rentré vers minuit avec beaucoup de difficultés."


3. Menuisier.
Selon les témoignages de ses camarades, à l'école communale, il était un enfant attentif, sage et affectueux, faisant preuve d'une grande sensibilité dans son comportement et d epiété lors du catéchisme. C'était un bon élève, intelligent, souple et plein de zèle généreux (philotimo*). Son dévouement pour les autres allait jusqu'au sacrifice. Il avait des yeux vifs et expressifs, si lumineux qu'il fut surnommé "Goupisia", ce qui signifie "luciole" dans le dialecte des Pharasiotes.
Le petit Arsène termina l'école primaire avec une note de huit et une excellente appréciation sur sa conduite. Il ne voulait cependant pas continuer à étudier, étant donné qu'il n'y avait pas de lycée à Konitsa et qu'il désirait devenir menuisier, parce qu'il aimait la profession de notre Seigneur.
A l'époque où il travaillait avec le contremaître dans des maisons, il ne mangeait pas avec lui, mais il trouvait un prétexte pour rentrer chez lui. Plus tard son patron comprit qu'il agissait ainsi pour ne pas rompre son jeûne.
Lorsqu'il eut bien appris son métier, il fabriqua un beau support d'icônes pour la maison familiale ainsi qu'une croix, comme celle que tenaient les saints martyrs sur les icônes.
Plus tard il ouvrit s apropre menuiserie. Il fabriquait des encadrements d efenêtres, des plafonds, des planchers, des supports d'icônes, ainsi que des cercueils, pour lesquels il ne demandait jamais d'argent, prenant part à la douleur des gens. Dans son métier, il avait des "mains en or". Tout le monde était enchanté de son travail. Tous, à Konitsa, disaient : " Quel enfant que celui de Madame Evlampia! C'est un bon artisan, scrupuleux et rapide, doué d'un caractère droit et sincère." C'est pourquoi, ils le préféraient. Ainsi il gagnait de quoi vivre tout en aidant les siens et en faisant l'aumône.


4. Un enfant plein de grâce.
Parmi les habitants de Konitsa, la rumeur avait circulé selon laquelle le fils d'Eznépidis (Arsène) avait vu saint Georges, et qu'ensuite il avait jepuné pendant plusieurs jours. L'Ancien lui-même ne rapporta jamais rien à ce propos, et cela ne fut jamais confirmé par d'autres. Même s'il s'agit d'une rumeur, cela témoigne de la grande estime que ses compatriotes avaient pour lui. Ils le considéraient comme ayant été gratifié par Dieu d'une grâce particulière. Une Turque l'invitait chez elle chaque premier du mois, pour que le mois s epasse bien. Il allait à l'école avec les enfants de cette dernière, et certains furent baptisés. Elle lui témoigna son respect aussi lorsqu'elle le vit moine; elle lui dit : " Puissé-je m'offrir en sacrifice pour toi!" Emue, elle prenait de la poussière de ses chaussures et en enduisait avec recueillement son bras paralysé.


5. Sous le signe de la Croix.
L'Ancien racontait : " (Un jour), mes frères et soeurs travaillaient aux champs. Notre mère prépara la nourriture, mais elle n'avait personne pour la transporter et cela la chagrinait. Les champs étaient à deux heures de marche. Je lui dis alors : " Donne-la moi, je vais y aller.
- Mais comment vas-tu trouver ton chemin?
- Je demanderai", répondis-je.
Je me mis en route sans en parler à personne et en tenant la croix à la main, comme je l'avais vu faire par les saints martyrs sur les icônes, et sans bien comprendre où j'allais. J'arrivais au champ, j'y laissai la nourriture et revins aussitôt, parce que ma mère m'attendait."


6. Vision de Dieu.
L'Ancien racontait : " Dès l'âge de onze ans je me mis à lire des Vies de saints, à jeûner et à veiller. Mon grand frère prenait les Vies de saints pour les cacher. Mais cela ne lui servait à rien. J'allais dans les bois et je continuais. Un de ses amis d'alors, Cosats, lui dit : " Je vais te faire tout laisser tomber." Il vint et m'expliqua la théorie de Darwin. Je fus ébranlé et je lui dis : " Je vais aller prier, et si le Christ est Dieu, il m'apparaîtra pour que je croie. Il me manifestera quelque chose, une ombre, sa voix." C'est ce qui m'était venu à l'idée. Je me rendis alors dans les bois et je commençai les prosternations et les prières. Cela dura des heures, mais rien ne s eproduisit. A la fin, rompu, je dus m'arrêter. Alors, il me revint quelque chose que Costas m'avait dit : " Je veux bien que le Christ ait été un grand homme, juste, vertueux, qu'on a haï parce qu'on jalousait sa vertu et que ses compatriotes l'ont alors condamné." Alors je lui dis : " Puisqu'il était tel, et même s'il n'était qu'un homme, il mérite qu'on l'aime, qu'on lui obéisse et que l'on se sacrifie pour lui. Je ne veux ni Paradis, ni rien d'autre. A cause de sa sainteté et de sa bonté, il mérite que l'on sacrifie tout pour lui.""
" Dieu attendait que je fisse face, après ces événements, et peu après le Christ m'est apparu en personne, au milieu d'une lumière abondante. Il m'apparaissait depuis la taille jusqu'à la tête. Il m'a regardé avec beaucoup d'amour, et il m'a dit : " je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s'il meurt, vivra" ( Jn 1, 25). Ces paroles étaient aussi écrites sur l'Evangile qu'il tenait ouvert dans sa main gauche."
Cet événement dissipa chez le petit Arsène, alors âgé de quinze ans, les pensées de doute qui troublaient son âme enfantine, et il connut alors, par la grâce de Dieu, que le Christ est le vrai Dieu et le Sauveur du monde. Il a été confirmé dans sa connaissance du Dieu fait homme, non pas par un homme ou par des livres, mais par le Seigneur lui-même qui s'est révélé à lui, malgré son jeune âge. Désormais, affermi dans la foi, il disait tout haut : " Costas, quand tu veux, maintenant viens, que nous discutions."


7. Préparation à la vie monastique.
Dès lors, il se mit à combattre avec davantage de zèle et à réfléchir sérieusement sur sa consécration à Dieu. Il se rendit à la basilique de Ioannina et demanda au protosyncelle* s'il pouvait, malgré son âge, devenir moine. Celui-ci répondit : " Maintenant ce n'est pas possible. Plus tard. Il faut que tu grandisses." Il avait quinze ans.
Il se faisait une haute idée du monachisme et il s'y préparait du mieux qu'il pouvait. Il vivait et combattait comme un moine. A tous ceux qui lui proposaient un mariage, il coupait court une fois pour toutes : " Moi, je vais devenir moine", répondait-il. Lors d'un mariage, son père lui souhaita : " A ton mariage!" Dès lors il cessa de lui baiser la main, non pas par manque de respect, mais pour manifester silencieusement son désaccord, montrant ainsi qu'il souhaitait réaliser non pas son propre souhait, mais bien la prophétie de saint Arsène.
Les siens en avaient pris conscience. Il n'était d'ailleurs pas nécessaire de les persuader par des paroles. Sa vie et ses combats spirituels étaient la preuve de ce qu'il recherchait, et ils montraient ce que ce jeune homme plein d egrâce allait devenir.
Il passait son temps libre dans la chapelle de Sainte-Barbara, en compagnie d'autres jeunes gens pieux. Parmi eux se trouvait le futur Père Paul Zisakis, higoumène du saint monastère de la Grande Lavra au Mont-Athos, l'Ancien du kellion* de Bourazeri, aussi au Mont-Athos. Chaque jour ils y faisaient les offices. L'après-midi, ils célébraient les Vêpres, les Complies avec l'Hymne Acathiste*, pour ensuite étudier l'Ecriture Sainte et les Vies des saints.
Comme il n'y avait pas à proximité de monastère en activité, Arsène s emit à la recherche d'Anciens vertueux dans des régions plus éloignées. Un jour qu'il était avec le futur Père Paul Zisakis, ils firent la connaissance du Père Jacques Balodimos. L'Ancien disait que c'était un homme saint et un excellent père spirituel, et il racontait beaucoup de choses admirables à son sujet.
Arsène essayait d'observer les usages de la vie monastique. Il préférait les nourritures insipides. Il ne mettait pas de sel dans ses plats, pour ne pas boire beaucoup d'eau. Il lavait lui-même ses vêtements. Il ne laissait pas sa mère ou ses soeurs les laver. Il jeûnait rigoureusement depuis qu'il était très jeune, et pour s'empêcher de beaucoup manger, il serrait sa ceinture. Un jour, il jeûna tant, qu'il s'effondra sur son lit, épuisé. L'Ancien devait dire plus tard : " Mes mains étaient fines comme celles des petits Africains, parce que mon organisme avait été privé des nourritures de base quand j'étais petit. Mon cou était devenu une queue de cerise. Les enfants me disaient : " Ta tête va tomber!""
A un moment, alors qu'il se rendait aux champs avec ses frères et soeurs pour y travailler, arrivé à un endroit précis, il les laissa prendre de l'avance et lui-même resta en arrière. Par curiosité, ils l'observèrent en cachette, et voilà qu'ils le virent enlever ses chaussures et traverser en courant un champ de trèfle que l'on venait de couper. C'était comme courir sur des clous fins. Le trèfle coupé transperçait ses pieds et rentrait dans sa chair. La plante de ses pieds était couverte de sang. Il supportait cependant la souffrance avec joie à l'imitation des martyrs, comme ce qu'il lisait dans les Synaxaires*, essayant de se faire lui aussi participant et communiant à leurs épreuves. Son âme enfantine était enflammée par un tel esprit de martyre et un tel amour divin.
Il avait pour habitude de se rendre sur la montagne un jour par semaine. Il passait là son temps dans la quiétude, le jeûne, la prière de Jésus et les prosternations. L'hésychia* l'attirait et il désirait être rendu digne de vivre comme les ascètes et les ermites. Il portait sur lui une croix." J'avais alors une telle foi que, lorsque je montais sur la montagne avec la croix, je ne craignais rien."
Raphaël, son grand frère, le voyant se consacrer à de grands combats ascétiques, essaya d el'en empêcher. Mais alors qu'Arsène, jusqu'à l'âge de quinze ans avait accepté sa tutelle sans broncher, maintenant il avait grandi et il réagit. Depuis lors, Raphaël n'osa plus s'opposer à lui. Plus tard, lorsqu'il le revit moine, il lui demanda pardon. Cependant ses parents se réjouissaient et étaient fiers d'Arsène. Comme ils étaient pieux, ils comprenaient ses combats spirituels et ils n'étaient pas inquiets.
Arsène combattait non seulement avec un enthousiasme de jeune homme, mais aussi avec une sagesse d evieillard. Il accompagnait ses ascèses de beaucoup d'attention* et d emaîtrise de soi. Chaque jour il faisait son examen de conscience, analysant comment il avait parlé, ou si par son comportement il n'avait pas blessé quelqu'un.


8. Souci des autres.
Arsène, par sa vie bien réglée et ses conseils, aidait spirituellement aussi d'autres jeunes. Il fréquenatit habituellement les petits enfants. Il les rassemblait dans la chapelle de Sainte-Barbara. Il leur lisait des Vies de saints et il les incitait à faire des prosternations et à jeûner. Quelques mères s'inquiétèrent et interdirent à leurs enfants de le fréquenter. Les parents d'un enfant avec lequel il priait, eurent peur qu'il ne devînt moine et ne le laissèrent pas avoir des relations avec Arsène, ni combattre spirituellement. Plus tard il alla travailler en Allemagne et il mourut. Ses parents en eurent des remords et dirent : " Il aurait mieux valu qu'il se fît moine!" Arsène voulut prendre avec lui comme moine un enfant originaire de Pharassa et il essaya de persuader sa mère. Il confirma un autre jeune dans s avocation de prêtre. Un hiéromoine originaire de Konitsa reconnaît qu'il fut aidé dans sa vocation par Arsène alors qu'il était encore laïc.
Arsène portait beaucoup d'intérêt et il avait un grand désir que les gens connaissent Dieu. Il aborda un jour un vieux berger qui vivait seul sur la montagne et qui était allé deux ou trois fois à l'église dans toute sa vie, et il parvint à le rapprocher du Christ.
Il y avait à Konitsa un musulman nommé Baïram dont la mère était malade. Le petit Arsène se rendit de nuit auprès de la malade et lui vint en aide. A la suite de cela, Baïram manifesta le désir de devenir chrétien.
Le peu d'argent qu'il recevait comme apprenti menuisier, il le distribuait en aumônes pour les enfants pauvres de l'orphelinat. Il invitait aussi à manger chez lui de pauvres enfants.
Monsieur Apostolos Hadji-Roumbis, habitant de Konitsa, rapporte dans une lettre intitulée Mes souvenirs d'un saint :
" Nous habitions avec Arsène dans des quartiers différents. La première fois que je le vis, je fus impressionné par sa mobilité. Lorsqu'il était apprenti menuisier, il se distinguait par son agilité, sa bonne volonté et surtout par son humanité. Le contremaître dira de lui plus tard : " Arsène, c'était quelqu'un."
Enfants d'agriculteurs, nous faisions paître nos chevaux sur les pâturages communs. A cette époque, je reconnus la grandeur spirituelle d'Arsène. Comme cela ressortait de nos petites disputes enfantines, il était évident qu'il était le seul qui préférait subir un einjustice plutôt que de risquer d'en commettre une.
A chacune de nos rencontres, je reconnaissais que son unique désir était de confesser le Seigneur. Il avait toujours dans sa poche un livre religieux qu'il lisait souvent. Je me souviens de son zèle à s'assurer un auditoire enfantin, à n'importe quel prix. Comme, par exemple, le fait de se charger de la garde de nos animaux, de devenir notre porteur d'eau, etc.; il lui suffisait, en échange, que nous lui prêtions attention quand il nous lisait l'Ecriture Sainte.
Je n'oublierai jamais la chaleur qu'il mettait lorsqu'il illustrait ce qu'il disait, en rapportant la Crucifixion du Christ. Il devenait expressif au point qu'il arrivait à attirer l'attention des enfants, même les plus vifs. Je voyais très clairement dans son jeune visage sa satisfaction et s ajubilation, pour avoir pu enseigner la parole du Seigneur à un auditoire si pur. Pour autant que je me souvienne, il a continué cette tactique pendant quatre ou cinq ans, jusqu'à ce qu'il devienne soldat."


9. Dangers et épreuves.
Arsène passa sa jeunesse l'esprit libre des préoccupations du monde et dans les combats ascétiques. Ensuite vinrent les années difficiles de la guerre entre l'Italie et la Grèce, de l'occupation et d ela guerre civile. Il connut alors beaucoup de difficultés et de dangers.
Pendant l'occupation, beaucoup d epauvres se rendaient auprès de sa mère pour échanger des objets précieux contre deux poignées de farine. Elle leur donnait de la farine et du pain, mais elle n'acceptait ni argent ni bijoux de famille. Elle pétrissait souvent. Le pain était vite épuisé, parce qu'elle en distribuait beaucoup aux affamés. Son frère Raphaël donnait du maïs, sans recevoir d'argent, ou il l'échangeait contre de l'huile qu'il donnait à l'église. L'Ancien, plus tard, était triste de ne pas avoir pu, en raison de son âge, aider plus les gens durant les dures années de famine de l'occupation. Lors de la guerre civile, les communistes l'arrêtèrent et l'emprisonnèrent. Il pâtit pendant toute la période où il resta en prison et il souffrit des poux et de la grande promiscuité. Dans une petite pièce, ils mettaient beaucoup de monde. Lorsqu'on s'allongeait, le dernier trouvait à peine un coin parmi eux!
Il fut aussi éprouvé moralement, parce qu'ils l'enfermèrent seul dans une pièce pour ensuite y mettre deux partisanes pratiquement nues. Il pria avec force en invoquant la Toute Sainte et aussitôt il ressentit "une puissance d'en haut", qui le confortait et il les considéra impassiblement comme ses soeurs, comme Adam voyait Eve au Paradis. Il leur parla avec aménité. Celles-ci reprirent leurs esprits, eurent honte et repartirent en pleurant. Lors de l'interrogatoire, l'enquêteur lui demanda :
" Pourquoi t'a-t-on arrêté?
- Parce que mon frère est avec Zervas (6), répondit-il.
(6) : ( Napoléon Zervas était un officier de l'armée grecque. Lors de l'occupation, il organisa un corps de volontaires. Il combattit d'abord les Allemands et par la suite les communistes. Après la libération, il participa à la vie politique).
- Et pourquoi est-il avec Zervas?
- Est-ce mon frère l'aîné ou moi? Est-ce que je peux donner des ordres à mon frère?"
Comme ils appréciaient sa sincérité et son courage, ils le laissèrent en liberté.
Un jour il donna du pain à des partisans affamés, en sachant qu'ils pourchassaient son frère pour le tuer. Ces derniers le considérèrent comme suspect, ne pouvant pas comprendre son amour désintéressé, et il risquait d'être jugé. Il les protégea même de la vengeance de ceux qui avaient perdu des parents à la guerre.
Plusieurs incidents témoignent des épreuves successives et des dangers qu'il affronta. Sa maison familiale servit pendant plusieurs mois de bivouac à huit partisans, et Arsène se cacha durant deux mois dans une maison turque. Une autre fois, en plein hiver et sous la neige, il dut se cacher en plein air. Une autre fois encore, les partisans le réquisitionnèrent, et l'emmenèrent jusqu'en Macédoine. Il resta deux autres mois à Ioannina avec sa soeur Christine. C'est alors qu'un ami, qui était devenu protestant évangélique, leur rendit visite. Il leur laissa une valise avec des livres hérétiques. Quand il les vit, Arsène dit à sa soeur de les brûler parce qu'ils contenaient beaucoup de venin.
Lors de la bataille de Konitsa, il rendit service comme volontaire pour s'occuper des blessés et enterrer les morts.


10. Soutien de famille.
Arsène voyait souvent sa mère pleurer et se faire du souci pour ses frères et soeurs qui se trouvaient engagés dans la guerre. Il fut sa consolation et son soutien. Il ne cherchait pas alors à devenir moine, durant cette période difficile, parce qu'ils avaient un impérieux besoin de sa présence. " L'exil volontaire (monastique) ce n'est pas que je me case et que je laisse tomber les autres", dira-t-il plus tard. Il continuait bien sûr de combattre, mais il reporta "pour plus tard" le fait d'"accomplir ses voeux envers le Seigneur" ( Ps 115, 9).
Il entreprit de faire tous les travaux agricoles de la maison, qui étaient fort nombreux. Il embaucha un employé qui était un peu effronté. Celui-ci montait le cheval mais Arsène marchait à pied. C'est lui qui semblait être le patron et Arsène l'ouvrier. Il ne lui disait jamais de travailler, mais lui travaillait dur, et l'ouvrier agricole seulement quand il en avait envie. Lorsqu'il emmenait paître les mulets, il enlevait leurs bâts et il allait à pied. Il préférait souffrir et se fatiguer lui, plutôt que de fatiguer les mulets. Quand on lui demanda pourquoi il les enlevait, il répondit que c'était pour éviter qu'ils ne s eprennent dans les branches. Lors de la moisson, lorsque les autres, à midi, se reposaient, lui allait chercher des épis pour nourrir leur petit cheval. Au lieu de manger les figues, il les donnait aux animaux. Il se préoccupait plus des animaux que de lui-même.
Bien que la guerre eût obligé Arsène à différer son départ, malgré tout son zèle ne fléchissait pas. Aux combats spirituels et aux ascèses, il ajouta de nouveaux combats et des ascèses plus rigoureuses. Il voyait que la situation du pays était mauvaise. D'ici peu, on allait l'appeler pour servir la patrie.
Dans la chapelle de Sainte-Barbara, il supplia ainsi la Toute-Sainte : " Laisse-moi souffrir, laisse-moi être en danger, seulement ne me laisse pas tuer un homme, pour que je sois jugé digne de devenir moine." C'est alors qu'il fit le voeu, si la Toute Sainte le préservait durant la guerre, de servir pendant trois ans son monastère que les Allemands avaient brûlé, et d'aider à reconstruire le saint monastère du Stomion.




CHAPITRE III


SERVICE MILITAIRE


1. Un agent de transmission plein de zèle généreux.
En 1945, il fut enrôlé pour servir la patrie. Il s eprésenta à Nauplie et fut désigné pour être agent de transmission. Ensuite, il fut transféré à Agrinion. On lui demanda : " Quel piston as-tu pour recevoir une telle qualification?
- Je n'ai pas de piston.
- A d'autres!
- Eh bien... Dieu", répondit-il.
De fait, "Dieu était avec lui et c'était un homme qui réussissait (1)."
(1) : ( Gn 39, 2).
Son amour pour les autres allait jusqu'au sacrifice. Il faisait son devoir, en travaillant beaucoup. Quand quelqu'un demandait une permission, il le remplaçait volontiers. Beaucoup exploitaient sa bonté et le considéraient comme un idiot. Lui, cependant, ressentait de la joie à se sacrifier et, en même temps, il trouvait ainsi l'occasion de s'isoler pour prier. Le gouverneur militaire disait de lui : " Que va devenir cet homme? Il ne pense jamais à se reposer." Une fois, il avait 39,5° de fièvre, mais il ne chercha pas à demander un arrêt de travail. Finalement, n'en pouvant plus, il tomba évanoui. Les soldats le mirent sur un brancard pour le porter à l'hôpital et ils l'interpellaient avec des noms monastiques pour se moquer de lui : " Eh, Benoît, Acace!" Ils avaient compris qu'il allait devenir moine. Petit à petit, l'ironie fit place à du respect et à d el'admiration. Son mode de vie, son grand amour, son caractère intègre les transformèrent. Ils ne le considéraient plus comme ridicule, mais comme quelqu'un d eprécieux et une bénédiction pour l'unité.
De toute façon, sa qualification de télégraphiste l'exempta de participer aux combats de la guerre, et ainsi, avec la grâce de Dieu, il lui fut épargné d'avoir à tuer un homme (2).
(2) : ( Ce qui est considéré comme un empêchement pour devenir prêtre).
Cela préfigurait sa future qualification de moine où il enverrait des messages à Dieu en priant.


2. Tribulations.
Les tribulations qu'il eut à subir sont incroyables, car le demi-bataillon où il servait était engagé dans des opérations de guerre.
Il raconta que, un jour, la nourriture étant épuisée, ils mangèrent de la neige. Une autre fois, ils restèrent à jeun pendant treize jours et ils ne restèrent en vie qu'en mangeant des châtaignes sauvages. Très souvent, ils souffraient d ela soif. Ils étaient alors obligés de boire de l'eau stagnante qu'ils trouvaient dans les traces laissées par les mulets. Le grand ennemi, c'était le froid. Ils couchaient sous la tente et, au matin, ils s'éveillaient enfouis sous la neige, et comptaient les hommes gelés. Un matin, il dégagea vingt-six soldats gelés en creusant la neige avec une pioche. Il lui arrivait de rester pendant trois jours sous la neige pour envoyer des messages à l'état-major. Il souffrit lui aussi des engelures. La chair des pieds se mit à peler. On l'envoya à l'hôpital, mais, grâce à Dieu, il ne fut pas mutilé. Un jour un mulet lui décrocha une ruade. Le coup était très violent. Sa poitrine noircit et les traces des sabots apparurent. Il s'évanouit et, quand il revint à lui, il reprit sa marche.
Il se réjouissait quand il pleuvait, quand il faisait froid, quand lui se fatiguait pour que les autres ne soient pas éprouvés. Certains soldats, quand ils faisaient une bêtise, l'attribuaient à Arsène. L'officier le réprimandait, et lui, pour ne pas les exposer, supportait humblement et en silence les reproches.
Cependant, le gouverneur militaire l'estimait et lui faisait confiance. Lors des missions difficiles, il envoyait Arsène, parce qu'il savait qu'il était compétent et qu'il réussissait ce qui lui était confié. Il ne demanda une permission qu'une seule fois pour aller chez lui. Là, il tomba malade, perdit beaucoup de sang et fut admis à l'hôpital de Ioannina pendant quinze jours. Dès qu'il reprit des forces, il retourna dans son unité.


3. Ascèses et expériences.
Au milieu de tant de tourments, il se livrait quand même au combat spirituel. Il jeûnait et il priait. D'habitude, il ne mangeait que la moitié de sa ration et, quand sonnait l'extinction des feux pour dormir, Arsène montait sur la terrasse du bâtiment et se mettait à prier. " Une fois, raconta-t-il, je suis resté cinq mois sans Liturgie, car où aurais-je trouvé un prêtre et une église sur les montagnes? Quand ensuite le gouverneur m'envoya à Agrinion pour y prendre des pièces de rechange pour le poset émetteur, sur le chemin que je pris, je passai devant une église, dans laquelle on célébrait l'Hymne Acathiste. Je fis mon signe de croix, me prosternai, et les larmes me vinrent. " Ma Toute Sainte, dis-je, comment en suis-je arrivé là?" Comment aurais-je pu imaginer que, plus tard, Dieu veillerait à ce que j'eusse une chapelle dans ma calyve*!" Et il rendait grâce à Dieu pour cela du fond de son coeur.
Comparant les épreuves par lesquelles il était passé à l'armée, avec l'ascèse qu'il fit en tant que moine, il disait sur un ton de reproche envers lui-même : " Je n'ai rien fait pour le Christ. Si j'avais accompli cette ascèse ( ce qu'il avait enduré à l'armée) étant moine, je serais devenu un saint."
En tant que soldat, il connut des expériences divines. Un jour, alors qu'il priait dans un endroit isolé, il fut ravi en contemplation. Il raconta aussi la chose suivante : " Un jour, alors que nous étions allés sur le champ de tir à Tripoli, je vis une lueur étrange sortir d'une ravine et se répandre sur tout le champ de tir alors qu'il faisait jour. Je me demandais ce qu'était cette lumière, que les autres ne voyaient pas! Par la suite, j'i compris. Etant donné qu'il y avait eu des exécutions de condamnés et que peut-être certains innocents avaient été exécutés injustement. Dieu me protégeait pour que je ne fasse pas partie du peloton d'exécution. Naturellement, je n'aurais pas pu (tuer)..."


4. Il se sacrifie pour les autres.
La plupart des soldats avaient un esprit de sacrifice, mais Arsène n'avait pas peur du danger ni de la mort. A plusieurs reprises, il risqua de se faire prendre et d'être prisonnier et il fit face à la mort de très près.
Un jour, il fallait tirer au sort pour décider qui irait au village pour l'approvisionnement. " C'est moi qui irai", dit Arsène. Les partisans le virent, mais ils le prirent pour un des leurs. Il prit l'approvisionnement et revint.
Quand on choisissait quelqu'un pour une garde dangereuse ou une patrouille, Arsène lui demandait : " Quelle charge de famille as-tu ?" S'il lui répondait : " Je suis marié et j'ai un enfant", il lui disait : " Bon." Il allait voir l'adjudant et il prenait s aplace. Il ne laissait l'autre radio-télégraphiste porter ni le poste émetteur, ni la batterie, pour que, en cas de danger, il soit libre de se sauver. " Lors d'une bataille, raconta-t-il, j'avais creusé une petite fosse. Voilà qu'un autre arriva et me dit : " Laisse-moi y entrer aussi." Je me suis poussé et nous avons péniblement trouvé de la place. Un autre arriva. Je le laissai entrer, lui aussi, et moi je sortis. Aussitôt, je me pris une balle, qui me frôla la tête. Je n'avais pas de casque, je ne portais qu'un bonnet. Je portai ma main à la tête, je n'y sentis pas de sang. Je la mis de nouveau. Rien. La balle était passée à ras de ma tête et ne m'avait enlevé que des cheveux en laissant une ligne dénudée, large de six pouces, sans même m'égratigner. J'avais agi selon mon coeur : " Il vaut mieux, m'étais-je dit, que je sois tué plutôt que l'autre ne le soit, et qu'ensuite ma conscience me harcèle durant toute ma vie. Comment pourrais-je supporter plus tard de penser que j'avais la possibilité de le sauver et que je ne l'aie pas fait? Et Dieu, bien sûr, aide beaucoup celui qui se sacrifie pour les autres."


5. Il fait du bien et est calomnié.
L'Ancien raconta la chose suivante : " J'avais fait une collecte parmi les soldats et j'avais acheté des cierges et des grands chandeliers pour une chapelle consacrée à saint Jean le Précurseur, près de laquelle bivouaquait notre demi-bataillon.
Pendant l'hiver arrivèrent des gens du transport militaire, des paysans, surtout des femmes et des enfants avec des animaux, pour nous apporter des provisions. Comme le temps s'était gâté et qu'il commençait à neiger, ils restèrent passer la nuit dans des tentes de sapin improvisées.
Un sous-lieutenant grossier importuna une jeune fille. La pauvrette préféra mourir plutôt que d epécher. Elle s'enfuit, suivie par une femme âgée. Elles marchèrent dans la neige et se retrouvèrent devant la chapelle, mais la porte était close. Elles restèrent dehors sous l'abri en tremblant de froid..
Cette même nuit, la pensée obsédante me vint de me rendre à la chapelle pour y allumer les veilleuses. J'y allai sans savoir ce qui s'était passé et je trouvai à l'extérieur de la chapelle les deux femmes bleuies par le froid. Je leur donnai un gant à chacune, et j'ouvris la porte; elles entrèrent et, après avoir repris un peu de force, elles me racontèrent ce qui leur était arrivé : " Pour ma part, dit la plus jeune, j'ai fait tout ce que je pouvais. Dorénavant, que Dieu fasse le reste!" Je pris en compassion ces malheureuses et spontanément je leur dis : " Vos tourments sont terminés. Demain vous rentrerez chez vous." C'est ce qui se passa."
Quand le sous-lieutenant apprit qu'Arsène les avait aidées et les avait sauvées, il se répandit en calomnies - probablement pour dissimuler son méfait - endisant qu'Eznépidis avait mis dans l'église les gens du transport alimentaire avec leurs animaux. Le gouverneur militaire le convoqua pour qu'il s'excuse. Mais il ne révéla pas l'affaire du sous-lieutenant; il se défendit uniquement parce qu'on l'accusait d'avoir méprisé la maison de Dieu.


6. Il sauve son unité.


L'Ancien raconta : " Un jour, notre demi-bataillon, se retrouva encerclé par mille six cents partisans dans un retranchement rocheux naturel. Tous les soldats transportaient des munitions, et le gouverneur me demanda de laisser le poste de radio et d'en transporter moi aussi. Et il me manaça même de son pistolet. Il pensait que j'allais essayer de m'esquiver afin de me cacher.
J'en transportai, mais j'allai aussi au poste de radio pour prendre contact avec le Quartier Général. Après bien des tentatives, je leur fis comprendre que nous nous trouvions dans une situation difficile. Le lendemain, alors que les partisans s'étaient beaucoup rapprochés, au point que nous entendions leurs injures, l'aviation intervint et les dispersa."
Plus tard, l'Ancien prenait cette péripétie en exemple pour tous ceux qui lui demandaient : " A quoi servent les moines dans le désert, pourquoi ne vont-ils pas dans le monde aider les autres?" " Les moines, répondait-il, sont les radiotéléphonistes de l'Eglise. Lorsqu'ils rentrent en communication avec Dieu par la prière, alors Celui-ci vient et aide avec efficacité. Un fusil de plus n'aurait servi à rien, alors que, lorsque l'aviation vint, elle décida du sort de la bataille."


7. Abnégation.
Le moine Arsène de Corfou, qui se nommait alors Pantélis Tzékos, était soldat avec l'Ancien. Il raconte ceci :
" A Naupacte, alors que je recevais un message de Patras, Arsène m'aborda et me dit : " Le sais-tu? Nous sommes frères. - En quel honneur?" Il me montra ses deux pouces (3) en me disant : " Nous avons les mêmes doigts, toi et moi, c'est pourquoi nous sommes frères."
(3) : ( Les mains de l'Ancien étaient caractéristiques : la dernière phalange du doigt était plus courte que les autres, et les ongles avaient presque la moitié de leur taille normale).
Dès lors, une amitié fraternelle les unit, et un jour, Arsène le sauva alors que sa vie était en danger."
Le récit est mot pour mot celui de M. Pantélis, sauf qu'il fut entrecoupé de sanglots et de larmes abondantes qui témoignent de son émotion et de sa reconnaissance pour son ami et sauveur :
" Près de Naupacte, il y eut une bataille. Alors que nous battions en retraite parce que les partisans étaient plus nombreux que nous, à un moment je tombai et fus blessé, parce que je portais un lourd poste émetteur sur le dos. Lorsque les soldats eurent atteint la ligne que nos officiers leur avaient désignée, Arsène s'aperçut de mon absence. Il posa son poste et s emit à courir vers moi. Les officiers et les soldats lui crièrent : " Laisse-le tomber, c'en est fini de lui, il est perdu!" Il vint à côté de moi, comme on me l'a raconté plus tard, il me souleva, me mit sur son dos et me porta jusqu'aux lignes d eretraite. Lorsque je revins à moi, j'entendis le capitaine qui lui disait : " Il faut qu'un saint te protège, pour que tu aies pu lui venir en aide!" Je demandai : " Que s'est-il passé les gars?" Alors on me raconta : j'étais tombé à cent mètres des lignes des partisans et à deux cents des nôtres."


8. Il prie au milieu des balles.
" Un jour, poursuivit M. Pantélis, on se trouvait sur une hauteur appelée "Phonias". Les partisans nous avaient isolés, et nous ne pouvions pas nous échapper parce qu'il n'y avait pas d'issue. Arsène se tenait debout. Les balles tombaient en sifflant. Je le tirai par la veste pour qu'il s'allonge sur le sol. Lui, rien. Il regardait vers le haut et il avait les bras comme cela, en forme de croix. Eh bien, on dirait que le Tout-Puissant a eu pitié de nous, car quelques instants plus tard les avions arrivèrent et nous dégagèrent la route. Tandis que nous partions, je lui dis :
"Eh bien, mon ami, pourquoi ne t'es-tu pas allongé?
- Je priais.
- Tu priais? lui demandai-je stupéfait.
Sa prière comme sa foi étaient si grandes qu'elles bravaient les balles! Le plus vraisemblable est qu'il priait pour que lui soit tué et que les autres soient épargnés. C'est pourquoi il était debout à découvert. Et Dieu qui est juste, en voyant son abnégation, l'a sauvé, lui ainsi que les autres.


9. Désobéissance envers un blasphémateur.
L'Ancien raconta un événement qui se produisit peu avant qu'il ne soit libéré : " Nous revenions de Florina, après la fin de la guerre. Sur le chemin du retour, j'entendis le capitaine blasphémer. Je l'abordai alors en lui disant : " Désormais je refuse d'obéir à quelque ordre que ce soit qui vienne de vous, car en injuriant les choses saintes vous offensez et ma foi et mon serment ( Patrie-Religion-Famille). " En entendant cela, il fut froissé et me traita d'impertinent. Lorsque, plus tard, il me dit : " Je te l'ordonne", je lui répondis : " Je viens de vous dire que désormais je n'accomplirai aucun d evos ordres." L'officier me dit alors : " Considérons que l'affaire est close." Lorsque nous arrivâmes au camp, je me rendis sans attendre chez le gouverneur et je lui rapportai tout ce qui s'était passé. Celui-ci me dit que le refus d'accomplir l'ordre d'un supérieur était passible d ela cour martiale. Je lui redis que je refusais d'accomplir les ordres du capitaine, parce que c'était un parjure qui insultait Dieu, au nom duquel nous avions tous les deux juré. Et je lui dis avec irritation : " Il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. (4)"".
(4) : ( Ac. 5, 29).


Arsène, après avoir servi la patrie pendant presque cinq ans, reçut son certificat de congé de l'armée en mars 1950 à Makrakomi de Lamia.
Lorsqu'il prit congé de son ami M. Pantélis, celui-ci l'engagea à s'installer à Corfou avec lui, pour y construire une maison et fonder une famille. Arsène refusa en lui disant qu'il voulait devenir moine.
Ayant achevé son service militaire, désormais il briguait un autre engagement, son enrpolement dans l'armée des moines, pour servir le Roi céleste.




CHAPITRE IV


RECHERCHES ET PREPARATIFS


1. Premier séjour à la Sainte-Montagne.
Arsène ne resta que peu de temps à Konitsa et se rendit ensuite au Mont-Athos vêtu de son uniforme. Le premier soir, il fut hébergé dans le kellion* du monastère de Lavra dédié à saint Jean le Théologien en contrebas de Koutloumousou. Il cherchait un Ancien pour se soumettre à lui. Il visita beaucoup de calyves*, skites* et kellia*, parce qu'il était attiré par la vie hésychaste. Lorsqu'il entendait parler d'Anciens vertueux, il accourait auprès d'eux comme une abeille attirée par des fleurs odorantes...
En se rendant à Sainte-Anne, lorsqu'il arriva à la "croix", il prit une mauvaise direction et commença à monter vers le sommet de l'Athos. C'est alors qu'il rencontra un anachorète au visage lumineux et revêtu d'un froc raccommodé : ils discutèrent ensemble (3).
(3) : ( Fleurs du Jardin de la Mère de Dieu, Monastère de Souroti, 1997, p. 61-62).
Arrivé à Sainte-Anne, il rencontra l'évêque de Milétopolis, Hiérothée. Du fait de ses tribulations et de sa contrariété il était devenu squelettique. Lorsqu'il le vit dans un tel état, le hiérarque vertueux l'accueillit avec bonté et le convia à sa table en remplissant pour lui un verre de vin.
" Monseigneur, je ne peux pas le boire.
- Bois-le donc, cela te fera du bien!" et il le bénit.
Il le conseilla adéquatement et lui donna sa bénédiction.
A Néa-Skiti, le Père Néophyte, de la calyve de Saint-Démètre, l'invita à rester quelque temps, pour qu'il réfléchît à ce qu'il allait faire, car il était dans un état tel qu'il ne pouvait prendre aucune décision. Il resta un peu pour se remettre de ses peines. C'est là qu'il entendit parler d'un anachorète nommé Séraphim, qui était devenu moine dans cette calyve et, par la suite, s'était installé dans une grotte sur l'Athos (4).
(4) : ( Ibid., p. 59-60).
Il était plein de simplicité et de sincérité. Et à quiconque l'interrogeait, il disait sa pensée et ses dispositions, et cela le faisait souffrir.
Il devait écrire plus tard : " J'ai beaucoup souffert comme débutant, jusqu'à ce que je trouve ce que je cherchais. Naturellement, ce n'est la faute de personne, si ce n'est celle de mes nombreux péchés ( pour que je m'acquitte de quelques-uns); et la seconde cause, c'est ma grossièreté payasanne qui m'a valu ces tribulations, car je me confiais à tous ceux que je rencontrais. Je rend sgrâce à Dieu pour tout, car cela me fut très utile (5).
(5) : ( Lettres, Monastère de Souroti, 2005, p. 23-24).
Et il devait dire aussi : " Au début, jusqu'à ce que me poussent des ailes spirituelles, personne ne m'a aidé; tous m'ont repoussé. Par la suite, j'ai rencontré des saints."
Bien qu'il n'eût pas trouvé ce qu'il cherchait, les tribulations dont il eut à souffrir lui furent utiles et lui apprirent beaucoup de choses. Et comme il risquait de perdre, comme il disait, le peu d ecervelle qu'il avait, il prit la décision de revenir dans le monde pour des raisons familiales. Il avait alors reçu une lettre de son père, lui demandant de leur venir en aide car, comme son frère aîné s'était marié, il avait des difficultés. Arsène répondit à l'appel paternel, car il avait une forte conscience de s aresponsabilité et de ses devoirs à l'égard de sa famille et surtout envers ses frères et soeurs plus jeunes. Mais c'était une âme forte. Sa visite sans résultat au Mont-Athos n'avait pas entamé son zèle, ni éteint son espérance.


2. Travaux et préparatifs.
Il recommença à travailler comme menuisier à Konitsa et dans les villages environnants. Il soutenait financièrement son père et l'aidait dans ses travaux agricoles. Il acheta une machine à coudre à sa petite soeur et il lui prépara une dote de 50 lires pour son mariage.
Il faisait l'aumône en cachette à beaucoup de pauvres. Il aidait les familles qui avaient perdu leurs parents à la guerre. Il leur fabriquait des portes et des fenêtres gratuitement. Tous l'aimaient.
Sa vie dans le monde était un combat permanent et une préparation à la vie monastique.
Pendant la journée, il travaillait beaucoup et il jeûnait, et il veillait la plus grande partie de la nuit en priant, en lisant des psaumes et en faisant des prosternations. Il habitait dans un sous-sol humide et, pour une plus grande ascèse, il dormait sur le ciment. Après la lassitude justifiée d'une journée fertile en labeurs, son corps demandait un peu de repos. Arsène, rempli de zèle pour Dieu, considérait qu'il n'avait aucune raison de se reposer à moins qu'on ne lui coupe les jambes. AInsi, il se forçait et il combattait avec un zèle généreux ( philotimo*).
Après l'armée, il ne toucha plus à la viande. Il se justifiait en disant aux autres que cela le dégoûtait, mais en vérité il évitait d'en manger pour s'accoutumer aux conditions de la vie monastique. Il vivait dans le monde, mais il combattait et se comportait comme s'il était moine. Il s'était aussi laissé pousser la barbe. Il allait se reposer dans une petite cabane dissimulée dans un ravin, mais lorsqu'on la découvrit, il l'abandonna. Il demeurait souvent dans la maison d'un ami, qui avait une petite chapelle consacrée au néo-martyr Georges de Ioannina. A cette époque, il passa la durée du Grand Carême dans un monastère du Péloponnèse.
Dans les villages, il travaillait très soigneusement; il parlait peu et quand il travaillait, il psalmodiait à voix basse. Lorsqu'il ne trouvait pas de nourriture de jeûne, il passait la journée dans l'abstinence.
A ses parents, il disait qu'il allait devenir moine mais, par délicatesse, il disait qu'il n'était pas encore prêt, pour qu'ils ne se sentissent pas gênés en pensant être la cause de son atermoiement et de ce qu'il restait encore dans le monde.
Il se mit en règle avec ses affaires, sans rien laisser en suspens. " Lorsque je suis parti pour devenir moine, personne n'avait rien à me reprocher", disait-il, entendant par là qu'il avait accompli jusqu'au bout son devoir et ses obligations à l'égard de sa famille.
En mars 1953, Arsène était désormais prêt à réaliser sa vocation monastique qui l'attirait depuis son jeune âge. Après avoir prié avec ferveur, il décida de retourner sans tarder au Mont-Athos.




CHAPITRE V


VIE CENOBITIQUE
A ESPHIGMENOU


1. Un obstacle avant le départ.


Alors qu'il se hâtait vers la Sainte-Montagne, il se produisit ceci : il avait distribué toutes ses économies aux pauvres et n'avait gardé que ce qu'il fallait pour le voyage jusqu'au Mont-Athos. C'est alors qu'un pauvre payasan lui demanda de l'aider à acheter un boeuf parce que le sien avait péri. Arsène affronta la situation avec discernement. Il dit au paysan : " " Excuse-moi, mais en ce moment je ne peux pas t'aider."
S'il lui avait donné de l'arget, cela aurait signifié un nouveau report de son renoncement au monde, jusqu'à ce qu'il ait rassemblé de nouveau l'argent nécessaire pour le voyage. C'est ce que le diable voulait. ALors que son coeur délicat compatissait aux difficultés du paysan, son discernement lui dicayit une meilleure conduite. " Il est permis de s'abstenir d'un bien en vue d'un bien meilleur (1)."
(1) : ( S. Jean Climaque, Lettre au Pasteur, 74, dans l'Echelle sainte, éd. cit., p. 325).


2. Cénobite à Esphigménou.
Il avait retiré de sa première visite au Mont-Athos une expérience et un savoir. C'est donc avec discernement qu'il résolut d'aller dan sun premier temps dans un monasstère cénobitique*, le temps que lui poussent des ailes spirituelles. Il pensait aller à Konstamonitou pour y être novice, parce qu'il avait entendu dire que c'était un monastère hésychaste et ascétique. Comme il y avait une tempête de ce côté, et considérant que c'était un signe de Dieu, il alla, à partir du nord, vers le monastère d'Esphigménou. Celui-ci n'était pas encore devenu un monastère zélote. Il y fut reçu par l'higoumène Callinique, il lui prêta obéissance (2), et commença son noviciat.
(2) : ( Par une prosternation que fait le novice pour montrer sa soumission à l'Ancien).
Le monastère avait une bonne règle et des Pères combatifs. En plus des longues heures passées à l'église, il y avait aussi les tâches communes et le "canon" (règle de prière) à accomplir en cellule. L'Ancien disait que "passer un carême à Esphigménou était un vrai calvaire. On n'avait qu'une assiette de nourriture bouillie par jour. C'était le monastère cénobitique le plus rigoureux. Lors de la première semaine de Carême, les pères passaient pratiquement toute la journée à l'église."
Il devait raconter plus tard : " Lorsque j'étais dans la communauté cénobitique, un père m'a beaucoup aidé. Il ne parlait pas du tout. Il ressentait le besoin de s'entretetnir avec le Christ. Il n'avait pas le coeur de parler avec les hommes. Il suffisait de le voir. Il m'aida plus que les Vies des Saints des Synaxaires*. Pour une faute commise, il n'avait pas communié pendant trois ans, alors que cette faute n'était même pas susceptible d'une suspension de vingt jours. Alors que les moines ne parlent pas quand ils éprouvent un tel état de grâce, même les laïcs qui les voient sont transformés. Telle est la prédication des moines."
Au monastère, parmi les pères vertueux, il y avait aussi un autre pieux combattant qu'il admirait. Sans envie ni jalousie, le bon frère priait Dieu de le faire ressembler au saint dont il portait le nom, et que lui-même connaisse l'état de grâce du moine vertueux. Il se considérait lui-même comme inférieur à tous.


3. Noviciat et diaconies*.
Le jeune novice progressait avec joie au milieu des labeurs de la vie cénobitique. Au début, on lui assigna, comme diaconie, d'être un aide au réfectoire et à la boulangerie. Le pétrissage était très fatigant. Il pétrissait avec les mains une grande quantité de farine dans un pétrin. Il fallait faire descendre la main jusqu'au fond du pétrin pour que la pâte soit bien pétrie et qu'on puisse la couper.
Puis on le mit à la menuiserie, parce qu'il en connaissait la technique. Toute la journée, à jeun, il rabotait des planches de châtaignier avec un grand rabot manuel. Pour chaque tâche, il se montrait habile, très capable et rapide. Il rendit même les bâts des mulets du monastère "semblables à des meubles".
Arsène, mû par son zèle pour Dieu, demanda la bénédiction d'aider aussi à l'hôtellerie lorsqu'il y avait un afflux de visiteurs.
Il était également responsable de deux chapelles qui se trouvaient à l'extérieur du monastère. Quotidiennement, il en allumait les veilleuses, il en prenait soin et veillait à ce qu'il y eût de temps à autre une Liturgie.


4. Les combats d'un débutant.
Ayant pour exemple les saints Pères de jadis, il essayait de les imiter. Il plaça comme fondement de sa vie monastique l'humilité et l'obéissance, et il se livra à des combats au-dessus de ses forces. Le jour, il travaillait corporellement, mais la nuit, il restait éveillé à prier et à rendre grâces à Dieu. Il ressentait une grande fatigue, mais était intransigeant dans son ascèse. Continuellement, il ajoutait de nouveaux combats, toujours avec la bénédiction et sous la direction de l'higoumène. Il faisait tout cela joyeusement. Il disait : " Après avoir beaucoup travaillé au tour toute la journée, le soir, je me rendais à l'hôtellerie où j'aidais jusqu'à 10 ou 11 heures. Il ne me restait plus de temps, même pour les tâches spirituelles. C'est pourquoi, lorsque plus tard je me rendais dans ma cellule, je ne dormais pas. Je restais seulement un quart d'heure les jambes en hauteur, pour qu'elles se reposent un peu et pour que le sang en descende ( il s'y rassemblait en raison des longues stations debout). Puis, je restais debout dans une cuvette pleine d'eau, pour que le sommeil ne me surprenne pas, et je faisais mes chapelets. Je dormais environ une demi-heure ou une heure, puis je me rendais à l'office pour y lire l'office de Minuit. Et comme je me disais que je n'arriverais peut-être pas, plus tard, à remplir mes obligations de oine du Grand Habit*, je demandai à l'higoumène la bénédiction d'accomplir le canon du moine du Grand Habit, bien que novice, ce qu'il m'accorda. Ce n'était pas par égoïsme, mais par crainte de ne pouvoir faire face aux obligations qui sont celles d'un moine du Grand Habit. Je ne le faisais pas par orgueil. Si je n'en suis pas capable, me disais-je, qu'au moins je ne me leurre pas moi-même."
A l'église, il ne s'asseyait pas du tout. Il restait debout dans sa stalle. Parfois le sommeil venait le surprendre, et il se reprenait aussitôt. L'hiver, il n'allumait pas de feu. Il y avait tant d'humidité dans la cellule que la moisissure se développait comme des morceaux de coton sur les murs. Lorsque le froid devenait insupportable, il avait une peau d'animal, comme on en utilise pour les bâts, et il en enveloppait ses jambes. Il travaillait dehors dans le froid, vêtu de sa seule soutane, et il y mettait, à l'intérieur, du papier pour se protéger un peu.
A table, il ne mangeait pas toute la nourriture. Il en laissait toujours un peu et, lorsqu'il y avait du fromage, il le mettait sous la nourriture et n'en mangeait pas. Avant le Grand Carême, il était de règle dans le monastère de donner à chacun des moines un carton de lait. Arsène ne prenait pas même cela, mais il le donnait au vieux Nikita qui était pré-tubrculeux. Lors du jeûne, il ne mâchait pas suffisamment les haricots, pour qu'ils tardent à être digérés et qu'ainsi ils le maintiennent un peu. Par ascèse, il dormait sur le sol en pierre et, parfois, sur des briques, qui "étaient plus amicales pour l'homme". Petit à petit, son ascèse fut remarquée par les pères. Les prêtres le préféraient à d'autres pour chanter pour eux dans les chapelles.


5. " Mon affection pour les miens me tracassait."
Comme si l'ascèse et la peine des diaconies ne suffisaient pas, le diable se chargeait aussi de le tracasser avec différentes pensées. Il trouva le point sensible : sa grande affection pour les siens. Il dira plus tard : " Au début, le diable me tracassait avec le souvenir des miens. Tantôt il me faisait me rappeler ma mère, tantôt d'autres parents. Dans mon sommeil, tantôt il me les montrait malades, tantôt morts. Le responsable, voyant que j'étais préoccupé, me demanda ce que j'avais. J'allais me confesser à l'higoumène et je trouvais la paix. Au début, il est pénible pour le moine de quitter sa petite famille pour entrer dans la grande famille d'Adam, de Dieu."
6. Apparitions démoniaques.
Le diable ne se contenta pas de lui faire la guerre par les pensées : comme il n'arrivait pas, avec celles-ci, à le détourner de sa combativité, il lui apparut de façon sensible. Il le vit de ses yeux et ils discutèrent. Le tentateur essaya de l'effrayer de toutes les façons possibles et de faire obstacle à ses combats. Il semble que, par expérience, il se rendit compte de ce que ce novice allait devenir. Asène n'était ni troublé ni effrayé par la présence du diable. Il disait : " Viens donc, tu me fais du bien. Tu m'aides à me souvenir de Dieu quand je l'oublie, et à prier." Plus tard, l'Ancien ajouta : " Le tentateur se le tint pour dit! Il disparut aussitôt. Il n'est pas idiot au point de tresser des couronnes aux moines."
"Géronda, par "tentation (3)", vous voulez dire les pensées?", lui demanda naïvement un moine.
(3) : ( En grec, le même mot signifie "tentation" et "tentateur").
"Mais non, je veux dire le tentateur ( le diable)! Tu comprends? Quelles pensées?"
" Grâce à son esprit délié, "par son ingéniosité humaine, il parvint à vaincre les ruses des démons (4)".
(4) : ( S. Jean Climaque, L'Echelle Sainte, IV, 26).




7. Rasoevkhi.
Le 27 mars 1954, après le temps de noviciat fixé, il fut tonsuré moine du premier degré sous le nom d'Averkios. L'higoumène lui proposa de recevoir le Grand Habit, mais il refusa. Il disait : " J'aurais pu devenir tout de suite moine du Grand Habit, parce que l'on m'avait dit : " Toi, tu as fini ton service, plus rien ne te fait obstacle." Mais j'ai répondu : " Le service du premier degré ( rasoevkhi*) me suffit."" Il se considérait lui-même comme indigne, mais il ne voulait pas non plus être lié par les promesses du Grand Habit, à cause de son désir de mener la vie hésychaste*.


8. Il voit l'Agneau tressaillir.
" J'aidais aussi à l'église, raconta-t-il, comme sacristain ( ekklésiastikos*) lors des vigiles*. Un jour, je me trouvais dans le sanctuaire et je suivais le prêtre qui faisait la proscomidie*. Il m'arriva alors quelque chose. Lorsqu'il prononça les paroles : " L'Agneau de Dieu est sacrifié", je vis l'Agneau (5) sur le diskos* tressaillir comme un agneau que l'on égorge.
(5) : ( C'est-à-dire la prosphore destinée à être consacrée).
Par la suite, je n'osais pas m'approcher! C'est pourquoi le sacrement commence dès le rite de préparation et non au moment de la consécration comme le disent certains..."


9. Ouvrier de la sobriété intérieure.
A partir de cette époque, il commença à conserver des notes sur tout ce qu'il lisait. Tout ce qui l'aidait dans son combat, il le recopiait sur un cahier et il essayait de le mettre en pratique. Son combat intérieur invisible consistait en ceci : un peu de lecture des textes ascétiques, beaucoup d'attention, une prière permanente et un effort obstiné pour se purifier des passions et pour acquérir la grâce divine.
Dans son travail spirituel personnel, comme dans ses diaconies* et les ouvrages accomplis en commun avec tous les moines, il essayait de ne pas interrompre sa prière. Il travaillait rapidement et silencieusement. L'Ancien Gérasime de Koutloumousiou, qui était l'un de ses vieux compagnons d'ascèse, se souvient : " Nous, quand nous travaillions aux corvées, nous parlions et nous riions; lui, rien de cela. Il travaillait à part, évitant le bavardage et la critique d'autrui. C'était un moine très attentif."
Parfois, le monastère envoyait des Pères à l'extérieur du Mont-Athos, parmi lesquels le Père Averkios, pour planter des peupliers sur un terrain lui appartenant. Plus loin, se trouvait la route sur laquelle passaient divers laïcs. Le Père Averkios s'obligeait en pensée comme dans son regard à ne voir personne; et de fait il réussit un exploit comparable à celui d'Abba Isidore de Scété (6), qui se rendit à Alexandrie sans voir personne d'autre que le Patriarche.
(6) : ( Apophtegmes des Pères du désert, série alphabétique, Isidore 8).
Ses yeux ne voyaient que les bons exemples des Pères aguerris, dont le comportement pouvait lui être utile.


10. Obéissance jusqu'à verser son sang.
L'Ancien raconta : " Un jour, il y avait au monastère un frère menuisier, que les pères avaient reçus par nécessité, parce que si au monastère il y avait au début sept menuisiers, à la fin il n'y en avait plus aucun, même pour les petits travaux. Comme ils en avaient besoin, ils lui avaient laissé aussi beaucoup d'initiative. Il avait acquis beaucoup d'importance; il devint aussi un des membres de la synaxe des Anciens, et il ne tenait compte de personne. Quiconque allait auprès de lui pour apprendre le métier ne pouvait rester près de lui plus d'une semaine. Moi, avec la grâce de Dieu, je suis resté deux ans et demi. Mais aussi, quel profit j'en ai retiré! Il invectivait, criait sans cesse. Il ne voyait pas bien, et quand il me disait de faire quelque chose dont je voyais que c'était à tort et qu'il faudrait, après, que nous le corrigions et que nous mettions des reprises, si j'osais le lui dire, il criait : " Tu n'as pas encore appris ta leçon? Toi tu n'as le droit de dire que deux mots : 'pardon' et 'que cela soit béni'!" Je me taisais, tout allait de travers. Nous faisions des fenêtres pour l'église avec des reprises. Si les pères posaient des questions, moi, je me taisais. Lui était aussi à la synaxe* et, s'il le voulait, il pouvait dire la vérité. Malgré cela, je mettais une drachme de côté ( c'est-à-dire : j'engrangeais un gain spirituel). J'eus des crachements de sang et il me criait : " Mais que fais-tu? Travaille! Toi, si ça continue comme ça, tu vas mourir." Lorsque la situation empira, le médecin me dit de rester de toute façon deux mois à l'hôpital du monastère. Il vint et me dit en poussant les hauts cris : " reviens vite, tu n'as rien." J'obéis et je me levai pour me rendre sur la montagne afin d'y couper des châtaigniers, pour les équarrir. Je pris un sentier retiré. Je n'y allai pas par le chemin principal, pour que les pères ne me voient pas et que le vieux père X. ne soit pas compromis. En chemin, mes artères s'ouvrirent et une hémorragie éclata. A cause de cela, je fus obligé de revenir sur mes pas. Par la suite, il vint à l'hôpital et me dit sévèrement : " Pourquoi n'es-tu pas revenu?"
Je n'ai aucune mauvaise pensée contre ce frère. Je me disais que Dieu permettait tout cela par amour, pour que je m'acquitte de quelque péché. Quand j'étais dans le monde, Dieu m'avait accordé le charisme d'être un bon menuisier. Les gens venaient me voir et, sans le vouloir, je prenais le travail des autres. Tous accouraient chez moi et des chefs de famille restaient sans travail. Pour y remédier, je leur disais : " Je vais être en retard; j'ai beaucoup de commandes", etc. Mais eux ne partaient pas. " Nous allons attendre", disaient-ils. C'est pour cela que maintenant je m'acquitte de ces péchés. En définitive, comme j'ai grandement profité d ece frère, Dieu qui est bon a eu pitié de lui. Alors qu'il n'y voyait plus rien, il devint humble à l'égard de tous et a été sauvé. Il m'a fait cracher du sang, mais il a fait de moi un homme."
Les saints Pères estimaient que l'obéissance était une confession de la foi. Mais, pour le Père Averkios, l'obéissance a été un martyre sanglant. De plus, c'était une obéissance non pas à l'égard de l'higoumène, mais à l'égard d'un moine plus âgé. Il supporta tout dans la joie et la patience.
Lorsque les supérieurs voyaient les fenêtres défectueuses et le lui faisaient remarquer, il ne se justifiait pas en disant qu'il avait fait comme le vieux Père X. lui avait dit de faire, mais il gardait le silence et il supportait les condamnations injustes comme si c'était de sa faute. Par la suite, le bon Dieu a révélé la vérité, et les supérieurs, comprenant ce qui s'était passé, lui demandèrent pardon.
A l'hôpital, le bon infirmier, pour lui donner un peu de force, lui donna à manger des noix avec du miel. Dès lors, le P. AVerkios était chagriné d'être au lit sans pouvoir aider "les pères et les frères qui se donnaient du mal". L'Infirmier lui dit alors : " Si tu fais des chapelets*, cela aura davantage de valeur. Dieu accordera de la force aux pères et enverra aussi des bénédictions sur le monastère." C'est ainsi que, plein de zèle pour Dieu, il se donna du mal en priant pour tous les frères. Lorsqu'il alla un peu mieux, l'higoumène lui donna la bénédiction d'avoir un petit récipient dans sa cellule pour boire quelque chose de chaud et recouvrer la santé. Recherchant un réchaud auprès des pères, il fut très ému de n'en trouver chez aucun; Comme il s'était tiré d'affaire avec difficulté et qu'il avait une ou deux fois préparé une tisane dans sa cellule, cette pensée, par la suite, le tracassa. Il jeta par la fenêtre le récipient - c'était une boîte de conserve - à la mer, et il consacra et confia à Dieu sa santé et tout ce qui le concernait.




11. Visite de la grâce divine.
La rigueur de son ascèse fut adoucie par un événement inédit : la visite de la grâce divine. " Lorsque mes batteries furent entièrement rechargées ( mes forces s'étaient épuisées), je vécus un événement exceptionnel. Une nuit, alors que je priais debout, je sentis quelque jour descendre sur moi et m'envelopper entièrement. Je ressentis de la jubilation, et mes yeux devinrent deux fontaines d'où coulaient continuellement des larmes. Je voyais et vivais sensiblement de la présence de la grâce. Jusqu'alors, j'avais ressenti de nombreuses fois des émotions et diverses autres choses, mais c'était la première fois que quelque chose de ce genre m'arrivait. Cette sensation était spirituellement si forte, qu'elle m'affermit et dura environ dix ans jusqu'à ce qu'au Sinaï, plus tard, je vive des états plus intenses d'une façon différente.


12. Départ pour la vie hésychaste.
Lorsque le Père Averkios se rendit au monastère, il demanda à l'higoumène de lui donner sa bénédiction pour n'y rester qu'un laps de temps, afin de pouvoir ensuite mener la vie hésychaste. Celui-ci acquiesça à sa requête. Il tira beaucoup de profit de tous les pères, et ce monastère, si riche en exploits spirituels, fut pour lui un bon point de départ. Mais conjointement, son désir de vie hésychaste devenait plus intense. Quand il priait, son esprit était ravi en contemplation. Son coeur était enflammé " par les charbons ardents de la vie érémitique (7)", et il ressentait l'appel du désert.
(Ps 119, 4. Traduction adaptée pour rendre le jeu de mots sur erimikois).
Il reçut l'autorisation de quitter le monastère pour vivre dans l'hésychia*. Il laissa les peines et les diaconies*, le sang et la sueur, et il partit en plaçant son espoir en Dieu et en la Toute Sainte, pour qu'ils le conduisent vers "une terre désertique".
Il commença par aller vénérer l'icône miraculeuse de la Mère de Dieu Portaïtissa (8) du monastère d'Iviron.
(8) : ( La "Gardienne de la Porte". L'une des icônes miraculeuses les plus célèbres du Mont-Athos).
Tandis qu'il la vénérait, le visage de la Toute Sainte se modifia : Il devint très doux. Par là, il fut informé que son départ était conforme à la volonté de Dieu.




CHAPITRE VI


AU MONASTERE IDIORYTHMIQUE
DE PHILOTHEOU


1. Disciple d'un Ancien.
Dans la skyte*de Saint-Pantéléïmon dépendant du monastère de Koutloumousiou, dans la calyve* de l'Entrée au Temple de la Mère de Dieu, le vertueux Ancien Père Cyrille se livrait à l'ascèse. Le Père Averkios, attiré par sa vertu dont il avait entendu parler, s'y rendit pour lui demander de l'accepter comme novice. De fait, l'Ancien le garda. Ils combattaient ensemble et le Père Averkios espérait pouvoir rester pour toujours à son obéissance.
Après être resté deux à trois mois avec le Père Cyrille, il lui demanda sa bénédiction pour aller chercher son frère Luc à Konitsa, afin qu'il devînt moine (1).
(1) : ( Selon les paroles de l'Ancien, son jeune frère Luc "était pieux et pur", et voulait devenir moine. Il pensait cependant que, pour cela, il fallait se livrer à des combats surhumains et mener une vie très austère et très ascétique, comme celle de son frère, le Père Averkios, lorsqu'il était laïc. Une telle abnégation ne lui était pas permise, parce qu'il était maladif. Une telle prévention l'empêcha de devenir moine).
" Il ne connaît pas le chemin pour venir tout seul?
- Il le connaît.
- Laisse-le donc. Cependant, s'il vient, tu devras l'aider et même lui donner ta cellule."
Alors que le Père Averkios avait trouvé un saint Ancien "selon son coeur" et un port tranquille qui l'apaisait, le diable, lui, ne s ereposait pas et lui suscita différentes tentations. Bien qu'il soit parti avec la bénédiction de l'higoumène, le représentant d'Esphigménou à Karyès lui dit de revenir au monastère car il lui était utile en tant que menuisier.
Alors le Père Cyrille lui demanda s'il connaissait quelqu'un ou s'il avait un parent dans un monastère; Il avait, au monastère de Philothéou, un lointain parent et compatriote, le hiéromoine Syméon qui avait connu saint Arsène. Il lui conseilla de se rendre auprès du Père Syméon.
Il obéit et se rendit à Philothéou qui était encore idiorythmique* et, de là, de temps en temps, il allait à pied voir le Père Cyrille pour lui demander conseil sur des questions spirituelles.
Souvent, le père Cyrille, informé par Dieu, prévoyait sa visite ainsi que le sujet qui le préoccupait. Il ne disait pas un mot, mais lui indiquait la réponse au moyen d'un passage qu'il avait marqué dans un livre.
Plus tard, l'Ancien mit par écrit tous les faits remarquables dont il fut le témoin auprès de ce saint Ancien, qui avait le charisme de clairvoyance, qui chassait les démons, et dont les larmes coulaient à flots quand il lisait l'Evangile (2).
(2) : ( Fleurs du Jardin de la Mère de Dieu, p. 124-128).


2. Un moine diligent et un combattant obscur.
Le Père Averkios, bien qu'il souhaitât mener une vie hésychaste, obéit et il se retrouva dans un monastère idiorythmique. Il se chargea de la diaconie* de responsable des réserves (docheiaris) et du réfectoire. C'est-à-dire qu'il distribuait la nourriture et le vin aux Pères. Puis, on lui ajouta la menuiserie, et en plus il était aide pour le pétrissage. Bien que sa diaconie fût fatigante, il était toujours disposé à se sacrifier pour les autres, et à aider quiconque en avait besoin.
Un moine du même monastère raconte : " C'était un homme ouvert. Souriant et plein de bonne volonté, il était toujours prêt à aider les gens. On le voyait souvent qui, muni d'une pince et d'un marteau, passait en courant pour réparer quelque dégât commis dans les cellules des pères. Un jour que je m'étais disputé avec mon Ancien, il le remarqua; il commença par me faire entrer dans sa cellule, me fit du café, me parla et m'envoya faire une métanie* à mon Ancien pour que je me réconcilie avec lui."
Un hiéromoine athonite, qui était anciennement de Philothéou, le connaissait bien, et il se souvient : " Ce qui impressionnait beaucoup tous les Pères de Philothéou, c'était sa douceur, sa bonté et son caractère paisible. Comme responsable du réfectoire, ce qui le caractérisait, c'était la rapidité de ses mouvements lorsqu'il distribuait la nourriture. Pendant toute la période où il eut ce service au réfectoire, il n'y eut aucun malentendu avec les Pères. Il distribuait la nourriture comme si c'était de l'antidoron*. Il nous avait tous pacifiés. Il nous avait influencés en raison de son mode de vie, de son caractère et de son comportement irréprochable avec les pères. Il était prêt à se mettre au service de qui que ce fût. Il portait de l'eau et du bois aux plus âgés. L'Ancien Eudokimos le désignait en disant : " Lui, c'est un bon moine." Il aida aussi le père hôtelier, le Père Auxance, qui était maladif. Lorsque l'Ancien quitta Philothéou, l'hôtelier dit de lui: " Nous avons perdu un homme béni de Dieu." Nous le voyions uniquement lors de son service et à l'église, où il lisait la neuvième heure et l'office de Minuit. Il n'avait ps beaucoup de relations avec les autres. Il restait dans sa cellule et il priait. Nous avions entendu dire qu'il jeûnait et veillait beaucoup. Il faisait très attention à ce qu'il disait. Il ne parlait pas, disant seulement : " Bénissez*!""
Le Père Averkios participait avec assiduité à la vie liturgique du monastère. En lus, dans sa cellule, il s elivrait secrètement à une ascèse rigoureuse et priait beaucoup. Il se donna comme but spirituel de se préparer du mieux qu'il pouvait au désert. Il avait la cpacité de combattre sans se faire remarquer, parce que les conditions de la vie idiorythmique étaient favorables à une telle ascèse.
L'Ancien racontait : " Dans ma cellule, j'avais une bûche de châtaignier comme oreiller. Comme lit, deux planches avec un trou au milieu, pour que la colonne vertébrale ne puisse pas se reposer ni s'échauffer. J'observais continuellement la neuvième heure byzantine (3).
(3) : ( Certains moines, et même certains laïcs rigoureux, ne mangent pas avant les Vêpres, qui sont à la neuvième heure byzantine).
De plus, pendant longtemps, je ne mangeais qu'une espèce de légumes saisonniers, des tomates, des laitues, des légumes, jusqu'à ce que mon organisme ne le supporte plus et que je n'aie plus envie d'en manger. Je veillais chaque nuit. Je dormais peu. A l'église, je ne m'asseyais pas dans ma stalle pour que le sommeil ne me surprenne pas."
Philothéou est situé en altitude de sorte que, en hiver, il y a beaucoup de neige et il fait très froid. Mais le Père Averkios, par ascèse, n'allumait pas de feu dans sa chambre. La grâce de Dieu lui tenait chaud et le protégeait des maladies graves, bien que le plus souvent il souffrît de quelque chose et qu'il ne fût jamais complètement en bonne santé. Il s'affligeait quand il voyait un moine mettre son bois sous clef en pensant qu'on pourrait le lui voler. Il considérait qu'il ne convenait pas à un moine d'être soupçonneux. Il lui disait de ne pas le mettre sous clé et que lui lui en apporterait, ou qu'il en apporterait à tous pour qu'ils en aient et qu'ils n'aient pas besoin de prendre le sien.


3. Une pensée d'orgueil.
" Alors qu'il ne me restait plus que la peau et les os, un soir je ressentis que le tentateur était à côté de moi, comme un souffle de femme à mon oreille. Aussitôt, je me levai, je commençai à psalmodier et j'allumai la lumière. Le père spirituel, lorsque je me fus confessé (4), me dit : " C'est que tu dois avoir de l'orgueil caché, avec une ascèse pareille, une telle tentation n'est pas justifiée."
(4) : ( En Grèce, dans les paroisses et dans les monastères, la fonction de confesseur n'est pas exercée par tous les prêtres, mais seulement par ceux à qui l'évêque ou l'higoumène confie la charge de pneumatikos ( père spirituel).
Et effectivement, j'ai constaté moi-même, après un examen de conscience, que ma pensée me disait quelquefois que j'étais quelqu'un, et qu'au bout du compte j'arrivais à quelque chose. Pouah... quelles foutaises!"
Pour se rabaisser et se purifier de l'orgueil caché, le confesseur lui dit de se préparer quotidiennement un plat cuisiné. Lui-même ne cuisinait pas, alors que le Père Syméon, parce qu'il avait été atteint par la tuberculose, faisait attention à son régime. Pendant un mois, le Père Averkios venait lui apporter ses provisions et il recevait en retour de la nourriture cuisinée. La tentation étant passée, il reprit son jeûne, mais désormais il combattait avec plus d'humilité et d econnaissance de soi.


4. Tentations démoniaques.
Pendant un temps au début, le diable lui suscita des pensées blasphématoires. Ce qu'il avait entendu dire aux soldats, des années auparavant et auquel il n'avait pas attaché d'importance, désormais le diable le lui mettait à l'esprit à propos des saints au moment de la prière, même lorsqu'il était dans l'église.
Il se confessait à son père spirituel; il se rendait aussi dans la chapelle du saint Précurseur pour y prier. Quand il vénérait son icône, un parfum s'en exhalait et il repartait apaisait. Puis les pensées blasphématoires revenaient. Il revenait prier dans la chapelle et vénérait pareillement l'icône, qui embaumait de nouveau.
Naturellement, le diable ne restait pas tranquille. Il entendait souvent des coups et des cris lorsqu'il dormait. Il s'éveillait et ne voyait rien. "Des blagues du cinglé (5)", devait-il commenter plus tard.
(5) : ( Il emploie le nom de "tangkalaki" pour désigner le diable. Il l'avait entendu d'un vieil habitant du Pont et il lui avait plu ( ce mot désigne quelqu'un qui a perdu la raison et fait des choses insensées); dès lors, c'est ainsi qu'il surnomma le Malin).
Un jour, alors qu'il psalmodiait doucement le "Saint Dieu, Saint fort, Saint immortel" pendant la Divine Liturgie, il vit entrer une bête effrayante par la porte de la Litie. Sa tête était celle d'un chien et des flammes jaillissaient de ses yeux et de sa gueule. Il agitait la tête de haut en bas et disait en raillant : " Ha... Ha... Ha... " Il se tourna furieux vers le Père Averkios et grommela deux fois dans sa direction, parce qu'il psalmodiait le "Saint Dieu...".


5. Il invente une manière d'aider.
L'Ancien raconta ce qui suit : " A Philothéouvivait un moine, le vieux Spyridon, dont le comportement était rebelle. Dieu permet la possession diabolique, et plus particulièrement lorsqu'il s'agit d'un moine du Grand Habit, afin qu'il soit humilié et par là sauvé, chose qui se produisit dans ce cas. Il faisait des tentatives comme sauter du balcon et autres folies. On le conduisit chez le médecin. Les médecins se concertèrent et dirent que seul Dieu pouvait le guérir. Un jour, je lui dis : " Je ne me sens pas bien, allons donc ensemble voir le prêtre pour qu'il dise une prière à mon intention." Je le conduisis auprès du prêtre pour qu'il lui dise les exorcismes. Je demandai de plus à ce dernier de les lire à voix basse, pour qu'il n'entende pas, car alors il serait parti. Dès que nous fûmes arrivés, je m'agenouillai en lui disant : " Agenouille-toi, toi aussi." Mais lui resta debout à me regarder en disant : " Si toi, tu ne vas pas bien, en quoi suis-je concerné?" Après cela, il connut des mésaventures; se cassa la jambe, fut cloué au lit; c'est ainsi qu'il se fit humble et que Dieu le prit auprès de Lui.
Un jour, alors qu'il était malade, il m'appela pour que je prie à son intention. Je fis un chapelet, avec des signes de croix et en répétant la prière suivante : " Seigneur Jésus Christ, aie pitié du vieux Spyridon (6)."
(6) : ( C'est la manière habituelle de parler d'un moine âgé).
Il me dit alors : " Laisse tomber le 'vieux Spyridon' et dis simplement 'Spyros'". Alors qu'au début, si je ne lui disais pas "vieux Spyridon" ( je lui faisais honneur), il le prenait mal, par la suite il devint humble. Que Dieu aie pitié de lui!"


6. En convalescence à Konitsa.
Le Père Averkios souffrait déjà des problèmes de santé que l'on sait et qui s'étaient alors aggravés. Les Anciens du monastère s'inquiétaient et ils l'envoyèrent à Konitsa pour qu'il se soigne lors de l'été 1956. Il ne voulait pas qu'on l'envoie à l'hôpital, de crainte de faire dire que les moines finissent au sanatorium. Conservant avec beaucoup de cohérence l'"état d'étranger" propre à la profession monastique, il ne demeura pas chez lui. Il s'en alla habiter dans la chapelle de Sainte-Barbara à laquelle il était lié par ses combats ascétiques enfantins et des événements surnaturels.
Là, la nuit, il allumait un cierge et veillait en priant et en faisant des prosternations sur les dalles; En sorte qu'un jour Dieu eut pitié de lui, et Kaiti Patéras, qui pour un temps travaillait en dehors de Konitsa, vint allumer les veilleuses.
" Il faisait nuit, raconta-t-elle, je me rendis à la chapelle et je vis un moine très maigre qui avait l'apparence d'un saint et un visage comme celui du Christ. Au début, je ne l'ai pas reconnu. Il était venu à Konitsa pour se soigner. Il ne voulait pas habiter chez lui, parce qu'il disait que les moines se devaient de vivre loin de leurs proches. Je lui proposai d'habiter chez nous, pour qu'il tienne compagnie à ma mère qui était âgée et seule.
Par bonté, il inclina la tête et vint chez nous. Du monastère, on lui envoya un kokoraki (8), qu'il nous donna.
(8) : ( Pièce d'une valeur d'un quart de livre).
Il resta environ trois mois. Il commença le traitement avec de la streptomycine. Le médecin veniat de Konitsa et le suivait. Sa soeur lui faisait les injections; Il habitait dans une chambre à l'étage et il passait la journée à lire, à prier et il voulait jeûner. Moi, les quelques jours où j'habitais à la maison, avec s apermission je lui préparais des plats revigorants. Je faisais cuire de la viande, j'en prenais le jus, j'y ajoutais beaucoup d'huile, pour qu'il ne se rende pas compte que c'était du jus de viande, et je préparais une assiette de soupe. Son organisme était résistant, et il se rétablit en peu de temps. Dès qu'il vit que sa ceinture le serrait, et qu'il fallait qu'il la desserre, il cessa de manger les soupes que je lui préparais et il faisait bouillir tout seul du blé dans un petit récipient. C'est ainsi qu'il vivait.
Une nuit, ma mère se leva et entendit un bruit régulier qui venait de la pièce où dormait le Père Averkios, ding dang... Elle me réveilla et m'envoya voir ce que faisait le moine. C'était à minuit. Je frappai à la porte en disant : " Par les prières de nos saints Pères... ", comme il m'avait dit de dire. Il ouvrit la porte en me disant : " Eh, ma soeur, que se passe-t-il? Ne t'inquiète pas. J'ai compris ce qui s'est passé. J'ai l'habitude de passer ainsi la nuit. Parce que, d'une part en ce moment, je mène une vie qui n'est pas monacale et que, d'autre part, j'ai l'obligation de prier pour certaines personnes qui me viennent en aide." Bien que malade, il passait la nuit à faire des chapelets et des prosternations."


7. La Providence divine.
L'Ancien raconta : " Alors que je revenais au Mont-Athos, une jeune fille m'accosta à Ouranopolis en me demandant de prier pour elle. Elle avait décidé de devenir moniale, mais ses parents ne le voulaient pas. Elle était partie en cachette sans rien emporter avec elle. C'était une âme en peine. Je conservai un peu d'argent, juste ce qu'il fallait pour le billet jusqu'à Daphni, et pour la suite, " A la grâce de Dieu!", me suis-je dit, et je lui ai donné tout le reste de mon argent, ainsi que le réveil qui pourrait lui être utile au monastère où elle devait aller.
A mon arrivée à Daphni, l'un des moines responsables de Philothéou m'interpella : " J'ai là les mulets du monastère; Mets-y tes affaires, et monte, toi aussi. Tu entends? Obéis!"
Je suis arrivé reposé au monastère. Le même soir, un frère vint me dire : " Quelqu'un m'a apporté un réveil. Mais j'en ai déjà un. Peut-être que toi tu n'en as pas, Garde-le." Après cela, je n'en revins pas de la Providence divine ( je ressentais de la componction), que je voyais sensiblement s'occuper de moi, l'infortuné."


8. Petit Habit.
Le Père Averkios, d'après le registre des moines (9), était rentré au monastère le 12 mars 1956.
(9) : ( Ou monachologion dans lequel sont inscrits les moines et les novices de chaque monastère, qui se trouvent alors dispensés du service militaire).
Après une année de combats silencieux, il fut tonsuré moine du petit habit. On lui donna le nom de Païssios, en l'honneur de l'actif évêque de Césarée Païssios II, qui était originaire de Pharassa. Sa tonsure eut lieu le 3 ars 1957. Son parrain fut le Père Sabbas. Il l'honorait et le respectait parce que, selon le témoignage de l'Ancien, il était "vertueux, savant et pieux". Il correspondit avec lui par la suite depuis le Stomion, et il souhaitait aussi recevoir de ses mains le Grand Habit. Ce dernier, de son côté, aimait sincèrement le Père Païssios et lui faisait des remontrances comme si c'était son enfant.
Après sa tonsure, on le photographia, et il envoya à sa mère la photo, au verso de laquelle il écrivit ce poème :


Ma chère Maman, je te dis au revoir, je vais me faire moine
Je quitte la vanité de la vie, pour me jouer du Trompeur.
C'est dans la solitude, au désert, que je vais passer ma jeunesse.
Par amour pour le Christ je sacrifie tout.


Tous les biens du monde, je les quitte comme des dépouilles
Pour accomplir le premier commandement : aimer Dieu
Pour suivre Jésus en portant ma croix jusqu'au Golgotha
Et je prie pour te rencontrer dans la Jérusalem céleste.


Je quitte ta grande tendresse, ma chère maman, puissé-je y arriver!
Pour que nous soyons éternellement ensemble, je vais prier Jésus.
C'est pourquoi très jeune, j'ai voulu porter l'habit noir,
Pour me consacrer au Christ, plaire à Dieu.


Et pour mère désormais, j'aurai la Toute Sainte,
Pour qu'elle me conserve intact de la ruse de l'Ennemi.
Ma chère maman, avec componction, dans le désert ici, dans le calme,
Je vais prier pour toi, et pour toute la cité.


Au monastère de Philothéou. Mont-Athos, le 3-5-1957.
Dédié à ma vénérée mère.
Païssios.


9. Relations avec des pères vertueux.
Lorsque le Père Païssios entendait parler de pères vertueux qui vivaient dans l'ascèse et connaissaient des états de grâce, il désirait les rencontrer pour son édification. Il considérait que leurs conseils étaient précieux, et il combattait pour leur ressembler en vertu. Il conservait intérieurement leurs paroles et leur saint exemple comme un trésor précieux, comme il le fit voir plus tard dans son livre Fleurs du Jardin de la Mère de Dieu.
Dès le deuxième jour de son arrivée au monastère, il rendit visite à l'Ancien Augustin le Russe dans sa cellule, mais il était absent. Il lui laissa quelques offrandes. L'Ancien Augustin le voyait dans l'Esprit depuis la skite du prophète Elie, qui se trouvait à une distance d'environ quatre heures. Par la suite, ils se lièrent spirituellement. A son propos, le Père Païssios rapporte (10) qu'il luttait contre les démons, qu'il voyait la lumière incréée, que la Toute Sainte venait lui rendre visite dans l'hôpital du monastère, etc.
L'Ancien Pierre, celui que l'on surnommait " Petit Pierre", venait aussi de Katounakia, et ils discutaient tous les deux de questions spirituelles. L'Ancien l'admirait et le respectait plus que les autres ascètes qu'il connaissait, et c'est pour cette raison qu'il voulait devenir son disciple.
Un moine de son monastère se souvient : " On aurait dit que tous les ascètes qui venaient du désert au monastère étaient programmés : ils se rendaient directement auprès du Père Païssios. Celui-ci nous faisait venir, nous les plus jeunes, pour l'écouter et en tirer profit. Je me rappelle la venue de l'Ancien Pierre, un saint homme, petit e maigre; il tenait un petit roseau en guise de bâton et, lorsqu'il parlait du Seigneur, il se levait. " Assieds-toi donc, mon bon", lui disait alors le Père Païssios. Et lui de répondre : " Quand on parle du Seigneur, il faut se lever.""
Il avait aussi gagné la confiance de deux fols-en-Christ. L'un était de Philothéou : l'Ancien Dometios; l'autre vivait dans un calyve : l'Ancien E. Celui-ci l'entretenait confidentiellement de son expérience de fol-en-Christ (11) et des ascèses qu'il faisait.
(11) : ( Sur la folie pour le Christ comme mode de vie spirituelle, voir J. C. Larchet, Thérapeutique dess maladies mentales, 2° éd., Paris, 2007, p. 133-168).
Il conservait bien entendu des relations avec le Père Cyrille ainsi qu'avec un important ascète roumain, le Père Athanase, de la skyte de Lakkou*. Par la suite il fit aussi la connaissance d'autres ascètes vertueux.


10. Bénédictions de la Toute Sainte.
L'Ancien raconta : " C'était le quinze août. Après la Divine Liturgie, l'higoumène* m'envoya accomplir une tâche. J'étais fatigué par le jeûne et la veille de la nuit précédente et, après la Divine Liturgie, je ne mangeai rien, parce que l'Ancien ne m'avait rien dit.
J'arrivai à Iviron* et j'attendis le bateau. Alors qu'il aurait dû venir dans l'après-midi, le soir tombait et il ne se montrait pas. J'étais complètement épuisé. Je me dis que j'allais faire un chapelet à la Toute Sainte, pour qu'elle me prenne tant soit peu en pitié. Mais par la suite, je me suis dit : " Mon pauvre gars, tu ne vas pas déranger la Toute Sainte pour si peu." Je n'avais pas eu le temps de terminer qu'un frère, venu de l'intérieur du monastère, me donna un petit paquet en me disant : " Voilà, frère, de par la Grâce de Notre-Dame, la Mère de Dieu." Je l'ouvris. Il y avait dedans la moitié d'un morceau de pain, des figues et du raisin. J'eus du mal à retenir mes pleurs jusqu'au départ du frère."
Ceci s eproduisit au kiosque d'Iviron. Une autre fois encore, il reçut une expérience immédiate de la protesction de la Mère de Dieu à l'embarcadère ( arsanas*) du même monastère. Ces deux événements ont beaucoup de similitude entre eux, mais aussi pas mal de différences. La deuxième fois, il venait aussi de veiller, il était aussi à jeun et attendait le bateau.
Il raconta : " Epuisé, je ne me sentais pas bien. Je craignais de m'évanouir sur-le-champ et d'être vu par les ouvriers. C'est pourquoi je rassemblai mon courage et m'assis sur un tass de bois. Je pensai un instant invoquer la Toute Sainte, mais je me dis : " Misérable, solliciter la Toute Sainte pour un morceau de pain!" A peine eus-je pensé cela que se présenta la Toute Sainte qui me donna du pain chaud et du raisin!"
Une personne que l'Ancien avait guérie d'une maladie incurable, en entendant le récit de l'Ancien, lui demanda étonné : " Bon, Géronda, après que vous ayez mangé les grains de la grappe, la tige vous est restée dans la main?
- La tige comme les miettes", répondit l'Ancien.


11. Il reçoit une révélation.
Pendnat son bref séjour à Philothéou, il ne cessa de penser au désert. Il ressentait encore plus fortement le désir de l'hésychia*, que les hésychastes comprenaient " comme les douleurs d'une femme qui enfante (12)".
(12) : ( Ps 47, 7).
Il fit plusieurs tentatives pour partir au désert, mais toutes échouèrent. La route de l'hésychia restait fermée et pleine d'obstacles. Le projet de Dieu était autre.
Un jour, il s emit d'accord avec un batelier pour qu'il le laisse sur une île déserte afin d'y mener une vie ascétique et solitaire, mais en définitive ce dernier ne vint pas.
Il voulait aller à Katounakia pour devenir le disciple du vieux Pierre, mais les Anciens du monastère ne lui en donnèrent pas la bénédiction. Entre-temps, le vieux Pierre s'endormit saintement dans le Seigneur. Par la suite l'Ancien racontait : " Qu'est-ce que j'aurais eu à souffrir! Je serai resté seul tout en me jetant dans une ascèse débridée. Qu'est-ce que le diable m'aurait alors fait subir!"
Il s'était aussi entendu avec le Père Ph. de Philothéou pour aller vivre ensemble en ascètes à Katounakia. Le Père Païssios aurait frabriqué des objets artisanaux que le Père Ph. aurait livré au monastère; celui-ci, en échange, leur aurait donné du pain séché pour leur subsistance. Mais une nuit, avant que le signal de l'office ne résonne sur la simandre*, l'Ancien frappa à la porte de la cellule du Père Ph. et lui dit que ce n'était pas la volonté de Dieu qu'ils partent. Le Père Ph. lui raconta le rêve qu'il venait de faire : " Nous courions sur le toit du monastère et, alors que nous étions prêts à nous élancer, une femme vêtue de noir nous retint par l'épaule et dit qu'il y avait là un précipice et que nous allions nous tuer. C'est ainsi que moi aussi j'ai compris que Dieu ne désirait pas que nous partions."
Le Père Païssios raconta plus tard ce qui s'était produit et qui le poussa à partir pour le monastère de Stomion au lieu qu'il aille à Katounakia : " J'étais en train de prier dans ma cellule. Soudain, je fus complètement paralysé. Je ne pouvais pas me lever. Une force invisible m'immobilisait. Je compris que quelque chose se passait. Je restais ainsi comme vissé pendant deux heures à deux heures et demie. Je pouvais prier, penser, mais je ne pouvais absolument pas bouger. Tandis que je me trouvais dans cet état, je vis comme à la télévision d'un côté Katounakia et d el'autre le monastère de Stomion à Konitsa. Alors que je tournais mes yeux pleins d'un ardent désir vers Katounakia, une voix - c'était celle de la Toute Sainte - me dit clairement : " Tu ne vas pas aller à Katounakia, tu vas aller au monastère de Stomion. - Toute Sainte, moi je t'ai demandé le désert et Toi, tu veux m'envoyer dans le monde?" ai-je dit. J'entends de nouveau la même voix me dire sévèrement : " Tu vas aller voir telle personne (13), qui t'aidera beaucoup."
(13) : ( La personne en question était Catherine Roussis, mère du maire, qui "était une sainte personne", selon l'Ancien.
En même temps, pendant cet événement divin, beaucoup de réponses me vinrent, au sujet de beaucoup d'incertitudes que j'avais. Aussitôt, je fus délié de ce lien invisible et mon coeur déborda de grâce divine. Puis je me rendis auprès de mon père spirituel. " C'est la volonté de Dieu, me dit-il, mais ne parle pas de cet événement. Dis que pour des raisons de santé - j'avais alors perdu beaucoup de sang - il faut que tu sortes de la Sainte-Montagne, et vas-y." Moi je voulais autre chose, mais Dieu avait son plan. Comme cela apparut plus tard, la principale raison était qu'il fallait aider les quatre-vingts familles qui étaient devenues protestantes à redevenir orthodoxes."




CHAPITRE VII


AU MONASTERE DE STOMION
A KONITSA


1. Renouveau du monastère.
" Le Seigneur guide les pas de l'homme (1)."
(1) : (Ps. 36, 23).
C'est par une révélation que le Seigneur dirige désormais les pas de l'homme de Dieu Païssios vers le monastère de Stomion, dans la province de Konitsa. Il avait soif d evie solitaire et il se préparait pour le désert, mais se conformant au commandement de la Toute Sainte, il se retrouva dans un monastère du monde.
Lui-même disait : " Le voeu que j'avais fait à la Toute Sainte, si sa grâce me protégeait pendant la guerre, d'aller trois ans durant aider à reconstruire son malheureux monastère, je pensais que désormais la Toute Sainte ne requerrait plus que je l'accomplisse une fois que je serais devenu moine, mais il semble qu'elle voulait que je l'accomplisse quand même."
C'est ainsi que l'Ancien se retrouva dans le paisible monastère de Stomion en août 1958. Les gens du lieu se réjouirent de sa venue et un assez grand nombre d'entre eux lui rendirent visite.
Il entreprit de rénover le monastère qui avait brûlé, sans avoir ni l'argent ni les matériaux indispensables. l'évêque lui dit de faire une tournée dans les villages avec les saintes reliques pour y recevoir des offrandes. Là où ils se rendaient, les fidèles venaient, vénéraient les reliques et ces pauvres gens donnaient chacun une assiette de blé. L'un après l'autre, il remplissait des sacs de ce grain, mais il ne le gardait pas pour les travaux de restauration; il le donnait au prêtre de chaque village pour qu'il le distribue aux familles les plus pauvres.
Mais la Toute Sainte, qui l'amena à son monastère, agréa ses efforts. Elle éclaira certaines personnes qui apportèrent de l'argent, des matériaux de construction ainsi que leur travail personnel. De plus, à de nombreuses reprises, l'Ancien ressentit et la collaboration et l'assistance directe de la Mère de Dieu, comme il le raconta : " lorsque nous avons fait le soubassement en béton, soixante-dix personnes vinrent nous aider. Alors que le travail progressait, les maçons me dirent : " Il manque vingt sacs de ciment." Alors que faire? Je me trouvais dans une situation difficile. Que nous laissions le travail à moitié fini, cela n'allait pas; apporter d'autres sacs de ciment, c'était difficile, parce qu'il fallait pour les transporter quatre heures et demie avec les mulets et ceux-ci étaient aux champs. Je courus alors à l'église. J'allumai un cierge, je m'agenouillai et suppliai la Toute Sainte de nous venir en aide. Puis je dis aux ouvriers de continuer le travail, en faisant ce qui était fixé. Lorsqu'ils eurent terminé, il y avait cinq sacs de ciment en trop."
Pendant ce temps, les femmes qui cuisinaient avertirent l'Ancien qu'il n'y avait pas assez de pain et de nourriture pour les ouvriers. Celui-ci les rassura en leur disant de ne se faire aucun souci; De fait, tous "mangèrent et furent rassasiés et l'on emporta les morceaux qui restaient (2)".
(2) : ( Mc. 8, 8).
En partant, ils emportèrent du pain dans un sac. De plus, pendant ce travail, des nuages très noirs couvrirent le ciel, annonçant une pluie torrentielle. S'il pleuvait, le dallage resterait à moitié inachevé. Mais rapidement le soleil se montra et l'ouvrage put être terminé.
Il était aussi difficile de trouver des matériaux; de plus il fallait les transporter par un sentier qui ressemblait à un sentier de chèvres et qui, à certains endroits, se rétrécissait au point qu'un animal bâté passait difficilement. De l'autre côté, il y avait un précipice.
Un ouvrier raconta : " Nous devions étendre le ciment pour le dallage, et le Père Païssios avait transporté le gravier depuis la rivière et il le monta jusqu'au monastère. Avec d'une part un sac qu'il portait sur son dos, et d'autre part grâce à des bêtes qu'il trouvait ici et là, il finit par y arriver et put faire le dallage, mais il se fatigua beaucoup.
M. Georges Baïppas raconta : " Un jour le professeur d'archéologie, M. Dakaris, vint. Il vit que l'église était pavée avec des dalles de pierre et dit au Père Païssios : " Je vais t'envoyer du marbre blanc. " Effectivement, il en envoya et il le laissa au pont. L'Ancien avertit alors les habitants de Konitsa pour qu'ils le transportent avec leurs bêtes. Ceux-ci vinrent, virent les plaques de marbre, trouvèrent qu'elles étaient trop grandes et dirent que les mulets ne pouvaient pas les transporter, d epeur qu'ils ne glissent et tombent dans le ravin. L'Ancien leur dit : " Bon." Rien d'autre. Il descendit et prit deux blocs de marbre sur son dos pour les monter au monastère. D'aucuns le virent : " Que fais-tu, Père? - Eh bien, puisque les mules des habitants de Konitsa font défaut, c'est moi qui vais les transporter." Eux alors se mirent à courir et dirent : " Qu'avez-vous à rester ainsi au café pendant que le Père Païssios transporte les blocs de marbre sur son dos tout seul? " Ils furent alors emplis de zèle, vinrent avec leurs mulets et les transportèrent, et c'est ainsi que le sol de l'église fut recouvert de marbre blanc."
Il acheta du bois et, tout seul, il fabriqua des portes, de sfenêtres, des stalles, des tables et tout ce qui était nécessaire. Il changea aussi le toit d el'église, il fit des cellules pour les moines, une hôtellerie, une citerne et d'autres travaux. Sa soeur Christine se souvient : " Le monastère était une ruine, et je suis allée l'aider. AU début quand nous y allions, nous apportions quelques denrées sur une mule. ALors qu'il y avait une chambre et une cuisine, et une pièce à la porte, il s efabriqua une petite baraque avec des planches, tout juste ce qu'il fallait pour y habiter, sans pouvoir s'étendre. Je lui ai dit : " C'est là que tu vas demeurer? Les rats vont te manger." Il me répondit : " Si quelqu'un vient, il faut qu'il ait une pièce où habiter." Il me retourna la nourriture : " Prends-la, parce que ce sont les rats qui vont la manger." Il y habita jusqu'à ce qu'arrivent les deux autres Pères; alors il fit trois petites cellules. Plus tard il fit dans le coin la cellule où il habitait."
M. Baïppas rapporta : " Le Père Païssios était un menuisier accompli. C'est lui qui restaura le monastère, qui était détruit, en se donnant beaucoup d emal. Il était malade mais il respectait quand même le jeûne. Il ne relâchait jamais le jeûne."
M. Jean Hadji-Roubis tépoigne aussi : " Nous rendîmes visite à l'Ancien au Stomion et nous vîmes avec quel soin digne d'un maître de maison il s'était occupé du monastère. Ses travaux suscitaient l'admiration. Alors, il nous dit que le torrent qui se trouve en contrebas était difficile à traverser en hiver. Il construisit lui-même un petit pont. Nous nous proposâmes pour l'aider. Plus tard, huit personnes vinrent l'aider pour y mettre du ciment."


2. Il impose le respect.
L'Ancien ne faisait pas que s edépenser dans les travaux de construction : la vie vertueuse qu'il menait et les conseils pertinents qu'il prodiguait aux pèlerins imposèrent le respect quant à la sainteté du monastère. Il pensait que les fêtes et les danses, avec tout ce qui s'ensuit, étaient indécentes. Il considérait cela comme un blasphème contre Dieu et une offense envers la Toute Sainte, l'église étant consacrée à sa Nativité (3).
(3) : ( Les vers ci-dessous, composés par l'Ancien, reflètent son grand amour pour le monastère de Stomion, mais aussi la grande souffrance qu'il éprouvait pour tout ce qui s'y était passé :
" Petit monastère isolé, orné par la nature,
C'est avec piété que nos ancêtres t'avaient construit,
En te dotant de bien des offrandes,
Sans cesse gardé par des moines et un prêtre;
Mais aujourd'hui te voici en ruines,
Ta veilleuse s'est éteinte bien des fois,
Ta petite église, qui incite au recueillement pleure tristement,
Inconsolable à cause de ta bâtisse brûlée par les Allemands.
La Toute Sainte a consenti à ce qu'elle brûle à cause de nos péchés,
Parce que, d enos jours, nous les jeuness, nous nous somme détournés,
Nous avons abandonné nos chansons klephtiques et nos danses nationales
Pour tomber dans les horreurs de l'Occident. Malheur à notre aveuglement!
Mais de nouveau nous n'avons pas compris Notre Dame :
Que nous devons célébrer les fêtes toujours avec des vigiles,
Et non pas avec des danses obscènes et des chansons bruyantes,
Insultant ce qui est sacré devant ton saint narthex.")
Tout d'abord, avant l'entrée du monastère, à droite dan sun petit tertre, il creusa un tombeau. Il y dressa une croix et, quotidiennement, il allumait une veilleuse et l'encensait. Il le fit pour se souvenir de la mort, mais surtout pour que les laïcs ne se divertissent pas en ce lieu. Les parties de plaisir et les danses cessèrent. Il considérait qu'il n'était pas convenable qu'un office se déroule dans l'église, alors qu'à l'extérieur, on prenait du bon temps. Lors des fêtes uniquement, il leur permettait par économie d'aller sous les hêtres qui s etrouvaient en face pour y manger, car on y trouvait aussi de l'eau courante. Il avait aménagé l'espace; il y avait de plus mis des planches pour que l'on y soit protégé du froid. Mais il ne leur permettait pas de boire des boissons alcoolisées. Malgré cela, quelqu'un désobéit. Il apporta avec lui un récipient plein d'ouzo qu'il vendait aux gens. L'Ancien s'en rendit compte et lui demanda :
" Qu'est-ce que tu as là?
- De l'eau, dit-il.
- La source qui est là a aussi de l'eau."
Comme le récipient d'ouzo était près du ravin, il le poussa du pied, et il roula en bas de la pente jusqu'au fleuve Aoüs.
En contrebas du monastère, avant le petit pont de ciment, au lieu dit "Gavros", il mit deux panneaux. L'un indiquait le monastère, et il y écrivit : " Vers le monastère de Stomion, ceux qui sont habillés décemment."; l'autre indiquait le fleuve et disiat : " Vers le fleuve Aoüs, ceux qui sont habillés indécemment." En particulier, il ne voulait pas qu'entrassent dans le monastère des femmes habillées d'une façon indécente. Sur la porte extérieure du sanctuaire, il mit un écriteau : " Entrée interdite aux laïcs."
Un vendredi, des laïcs vinrent au monastère. Ils prirent la poële du monastère et commencèrent à faire frire des poissons qu'ils avaient apportés avec eux. Au début, l'Ancien ne les avait pas remarqués parce qu'il était occupé. Mais dès qu'il s'en rendit compte, son zèle s'enflamma et il se rendit sur les lieux, prit la poële et la jeta dans le ravin avec les poissons.


3. Un saut dans le ravin.
Un jour, il transportait les saintes reliques, et le reliquaire était lié par des courroies à ses épaules. A un endroit du chemin nommé "La grande échelle", la courroie céda et le reliquaire tomba dans le ravin. Mû par son amour et par sa dévotion pour les saintes reliques, sans prendre soin de lui-même et sans la moindre hésitation, l'Ancien sauta aussitôt dans le ravin pour les devancer. Le reliquaire dégringola et heurta les rochers. En définitive, lui-même fut sauf, par la grâce de Dieu; il n'eut aucune blessure, pas même une égratignure! Le reliquaire avec ses reliques ft également intact, alors que l'étui métallique qui était adapté au reliquaire était tout cabossé par les chocs. Le ravin était si profond et si raide qu'il était impossible que l'Ancien remonte. Pour revenir sur le sentier, il suivit pendant longtemps le lit du fleuve.


4. Invention des reliques de saint Arsène.
L'année où il arriva au monastère de Stomion il décida de procéder à l'invention (4) des reliques de saint ARsène. Plus d etrente ans avaient passé et il était encore enseveli dans le cimetière de Corfou. Il confia le monastère à son frère Raphaël et, en octobre 1958, il s erendit à Corfou. Là, il s emit à la recherche de son ancien ami et compagnon sous les drapeaux Pantélis Tzéko. Il le trouva à l'usine où il travaillait. M. Pantélis ne le reconnut pas et, courbé sur son bureau, lui demanda : " Père que voulez-vous?" L'Ancien ne dit rien. " Puis-je vous être utile en quoi que ce soit?", lui demanda-t-il encore. " Pour cela", lui dit l'Ancien en lui montrant ses deux index. Alors il le reconnut et, plein de joie et d'émotion de voir de façon inattendue son ami et son sauveur, il l'étreignit et l'embrassa.
Chez lui, il dit à sa mère et à son épouse de préparer une table richement garnie et il pria l'Ancien de lui faire le plaisir de rester.
" Puisque moi je vais te faire ce plaisir, toi, à ton tour, fais m'en un autre.
- Tout ce que tu veux!"
Il lui demanda de ne manger que des légumes, auxquelsil ajouta trois gouttes d'huile et deux ou trois olives; Rien d'autre.
Ils dormirent dans la même chambre. A trois reprises pendnat la nuit, après qu'il ait observé si M. Pantélis dormait, lequel faisait semblant, il se leva, s'agenouilla sur le lit et se mit à prier. Au matin, ils s emirent en marche vers le cimetière sous une pluie diluvienne. L'Ancien dit à M. Pantélis : " N'aie pas peur; sur le chemin que nous prenons, la pluie va s'arrêter." Petit à petit la pluie s'arrêta, jusqu'à cesser complètement.
Pendant l'invention, l'Ancien lava les ossements avec du vin et d el'eau, il les enveloppa ensuite dans des morceaux de drap blanc et il les mit dans une boîte noire qui ressemblait à une valise. Il trouva aussi la bouclede la ceinture de saint Arsène. A un moment, elle tomba sur M. Pantélis. Celui-ci s'appuya de s amain sur le mur (5).
(5) : ( Cet endroit du mur était pour M. Pantélis une marque. C'est d elui qu'il se souvint trente-sept ans plus tard, pour montrer au bienheureux Métropolite de Corfou, Timothée, l'endroit de la tombe de saint Arsène. Alors, le samedi 8 août 1995, eut lieu la deuxième invention et l'on trouva une partie du pied droit avec les doigts de pieds et six vertèbres).
Comme le fossoyeur protestait pour être venu un jour de pluie, l'Ancien, bien qu'il eût reçu la permission de l'évêque, par sensibilité dit à M. Pantélis : " Puisque l'homme est contrarié, laissons donc deux ou trois os et quand je reviendrai l'année prochaine, nous les sortirons."
Après l'invention, un rayon de soleil traversa les cyprès et éclaira le tombeau.
Lorsqu'ils eurent terminé, il s'en alla demeurer dans un hôtel. Il ne voulait pas aller avec les reliques dans la maison de M. Pantélis, car celui-ci étant un jeune marié, il craignait que les femmes ne l'interprètent mal. Au matin, alors qu'ils se rencontrèrent, M. Pantélis vit qu'il était transformé par la grâce divine. Il lui dit : " Tu es très beau aujourd'hui! Mais comme tu es beau!"
L'Ancien lui raconta ce qui suit : " Laisse-moi te dire ce qui m'est arrivé hier soir. Je suis allé ouvrir le reliquaire pour vénérer les reliques, et une force m'accabla, cherchant à m'étouffer. A cet instant, je dis : " Saint Arsène, aide-moi!", et aussitôt je fus délivré (6)."
(6) : ( Ces témoignages relatifs à la translation de saint Arsène proviennent de M; Pantélis Tzékos, désormais moine Arsène. Pour le dernier fait rapporté, voir aussi le livre de l'Ancien, Saint Arsène de Cappadoce, p. 8-9).
Il revint joyeuxà Konitsa et il passa la nuit chez kaiti Patéras. Là, il les déposa sous l'iconostase. Celle-ci alluma une veilleuse et, par la suite, s'occupa des tâches ménagères. Mais elle vit que venaient de la pièce où étaient les reliques, comme des éclairs, et elle se dit qu'il allait pleuvoir. Elle se hâta d'aller chercher son parapluie parce que le lendemain, elle voulait aller en bas de Konitsa assister à la Liturgie. L'Ancien essaya de lui expliquer que ces "éclairs" ne venaient pas du ciel, parce que le temps dehors était beau et qu'il y avait des étoiles, mais qu'ils venaient des saintes reliques; D'après son témoignage, c'était "une lumière térange, comme s'il y avait des éclairs, non pas comme une lueur qu'on allume".


5. Peines, ascèses et hésychia.
Le "petit jardin de la Toute Sainte", comme l'Ancien nommait le Stomion pour lui rappeler la Sainte-Montagne, possédait une beauté sauvage et vierge. C'est une des plus belles régions du monde selon les connaisseurs.
Cependant, les conditions de vie y étaient très difficiles. Le monastère n'avait pas même un mulet. L'Ancien racontait : " J'avais beaucoup de forces; Je parcourais une distance de deux heures trosi quarts. L'eau que je buvais devenait du sang. Il arrivait que je me rende de Stmion à Konitsa trois ou quatre fois par jour en transportant des matériaux sur mon dos pour le pauvre monastère." A elle seule, une telle marche constituait une dure et pénible ascèse. Mais cela le réjouissait, parce qu'il aimait la peine.
Souvent, il enlevait ses chaussures et marchait pieds nus, en empruntant un sentier difficilement praticable en face du vieux monastère. Il priait et revenait en suivant le val creusé par le fleuve Aoüs, cela en deux ou trois heures. A un jeune, qui lui demanda pourquoi il agissait ainsi, il répondit : " J'aurais dû me faire moine plus tôt." Il voulait dire que pour acquitter tout ce qu'il aurait dû faire s'il était devenu moine plus tôt, il s'imposait des ascèses supplémentaires.
Tandis qu'il "s'absorbait dans les travaux de Marthe", comme il appelait les travaux de construction, il subvenait aussi aux besoins des gens; il poursuivait son ascèse et il l'accroissait malgré sa santé défaillante. Il jeûnait sévèrement, et il domptait de toutes les façons son corps fragile, alors qu'il suivait un traitement avec des piqûres. Parfois, il passait une journée complète avec un verre d'eau. Bien qu'il cultivât dans le jardin du monastère des légumes de toutes sortes, sa nourriture habituelle consistait en tisane et en morceaux de pain séché, ou en noix pilées.
Mme Pénélope Barbouti rapporte qu'"il allait au jardin nu-pieds et que, le soir,il enlevait les épines de ses pieds. Il mangeait un morceau de pain séché le matin et un le soir. Parfois, il buvait de la tisane sans sucre. Il travaillait énormément et ne dormait pratiquement pas. Il essayait de ne désobliger personne, et il voulait que tout le monde soit à l'aise. Il ne disait jamais non. Ses mains étaient devenues calleuses à cause de ses nombreuses prosternations. Ses jambes n'étaient que des os. Il avait beaucoup de problèmes de santé."
Le jour, il travaillait dur et la nuit il veillait. Il lisait seul tous les offices, comme il l'avait appris à la Sainte-Montagne. Il ne laissait rien de côté de tout ce que prévoit le typikon* monastique. Il accomplissait ses obligations monastiques personnelles avec beaucoup d'exactitude et, en plus, il priait avec le chapelet* pour les vivants et les morts en général, ainsi que pour des personnes qui en avaient plus particulièrement besoin.
Le soin nécessaire accordé aux hommes et aux travaux n'altérèrent aucunement sa soif de solitude; au contraire ils l'attisèrent, et il inventait des moyens pour ne pas interrompre son activité intérieure et sa communion avec Dieu. Il brûlait d'envie de se réfugier dans des grottes tranquilles pour pouvoir prier sans distraction " en désirant et en recherchant Dieu". Telle était sa joie spirituelle : être seul dans l'hésychia* avec Dieu seul. Il y prenait plaisir et était nourri par la communion avec Dieu par le moyen de la prière intérieure qui était l'objet de son désir.
Bien que le monastère se trouvât dans une région déserte et calme, l'Ancien se retirait parfois dans une grotte pour y prier. Il s'y rendait de nuit et y faisait des veilles avec le chapelet et un nombre incalculable de prosternation. Mais il y faisait sombre et l'eau suintait.
C'est pourquoi il avait creusé aussi une autre grotte dans une zone exposée au soleil, petite comme un fourneau, où il ne pouvait se tenir que courbé. Il la cacha avec des branches pour qu'on ne la vît pas. Plus tard, il trouva le creux d'un chêne. C'était un endroit plus ensoleillé et plus sec. Il voulait le tailler jusqu'à ce qu'il le contînt, pour y demeurer dans l'hésychia en hiver, parce que durant cette période le soleil n'arrive pas jusqu'au monastère.
S'il n' y avait pas de pélerins, il s'enfermait, certaines heures durant, dans sa cellule. Il liasit, priait et se livrait seul à des oeuvres spirituelles. Il laissait la porte de la cellule entrouverte, pour voir l'entrée du monastère, au cas où quelqu'un y viendrait. Ensuite il reprenait ses occupations.
Les jours où il y avait des pèlerins, il trouvait avec discernement le temps d'accomplir ses tâches spirituelles. Lorsque beaucoup d egens arrivaient, il laissait quelqu'un de sa connaissance veiller sur l'église et lui-même se retirait pour accomplir ses obligations monastiques et, ensuite, il revenait. Lorsqu'il allait prier, il laissait toujours la porte du réfectoire ouverte pour que, si quelqu'un venait à passer, il trouve toujours quelque chose à manger. Il avait du pain, des conserves, des tomates, etc.


6. Protecteur des pauvres et des orphelins.
En dehors des travaux de construction, il prenait soin aussi de tous ceux qui s etrouvaient dans le besoin. Et ils étaient nombreux. Dans les villages autour de Konitsa régnait une grande pauvreté, ainsi que l'isolement et la misère. L'Ancien collectait des vêtements, d el'argent, d ela nourriture et de smédicaments, dont il faisait des colis qu'il envoyait à ceux qui étaient dans le besoin. Dans cette oeuvre charitable, il avait comme aides des femmes pieuses. Toutes celles qui en avaient la disposition, il les envoyait aider des personnes souffrantes, surtout des vieillards, qui n'avaient aucun parent auprès d'eux.
Il avait reçu l'autorisation de la police de pouvoir laisser dans chaque quartier de Konitsa un tronc pour collecter de l'argent et il avait désigné aussi un responsable. Il y en avait aussi un en plus à l'extérieur du poste de police. Il institua un comité, qui avait pour charge de gérer l'argent, et d ele distribuer selon les besoins de chacun.
Il s'intéressa aux enfants pauvres et orphelins, pour qu'ils puissent poursuivre leurs études. Il les confiait aux personnes appropriées, mais il les aidait aussi économiquement lui-même autant qu'il le pouvait. Beaucoup d'entre eux sont aujourd'hui des gens instruits et pleins de reconnaissance pour l'Ancien.
Il donnait les terres du monastère à des familles pauvres pour qu'elles les cultivent. Il ne demandait pas de loyer. Il leur disait que, s'ils avaient une bonne récolte, ils pouvaient offrir au monastère ce qu'ils voulaient. Si l'année était mauvaise, il ne demandait rien.
Toutes les fois que sa soeur Christine apportait des vêtements ou de la nourriture, il ne les prenait pas. Il lui disait de les apporter chez des familles dont il savait qu'elles en étaient privées.
Lors de la Théophanie, il passait dans les maisons avec de l'eau bénite, et les gens lui donnaient quelque chose pour le monastère. Il passa un jour par une maison dans laquelle s etrouvait un enfant infirme. La maîtresse de maison se pérparait à mettre quelque chose dans le tronc. L'Ancien lui dit alors : " La Toute Sainte ne te demande rien; car toi tu es dans le besoin." Et aussitôt de vider le tronc sur la table avec tout l'argent qu'il avait collecté.
Kaiti Patéras rapporte : " Il aida quantité de gens. Car il était très généreux. Un jour, je lui fisun gilet. Lorsqu'il rencontra en chemin une femme folle, il enleva aussitôt le gilet et le lui donna, pour que cette malheureuse n'ait pas froid. Je lui ai donné aussi d'autres choses, mais lui, il les donnait au premier venu."
M. Thomas Tasios témoigne : " Un vieillard demeurait tout seul abandonné dans une grotte. Chaque semaine, l'Ancien lui apportait la nourriture nécessaire et le lavait de ses mains. Il quittait le monastère à l'aube et il allait le voir sans que personne ne le sache."


7. Il affronte la tentation tel un martyr.
L'Ancien se préoccupait non seulement des besoins matériels des gens, mais aussi et surtout du salut de leurs âmes immortelles. Lui-même rapporte : " J'ai demandé des nouvelles d'une camarade d'école, et on m'a dit qu'elle avait pris un mauvais chemin. Bon, alors j'ai prié pour que Dieu l'éclaire et qu'elle vienne me voir pour que je lui dise un mot. J'avais rassemblé des extraits de textes sur le thème du repentir. Elle vint un jour avec deux ou trois autres personnes. Par la suite, elle vint souvent avec son enfant et des cierges et de l'huile. Un jour, quelqu'un me dit : " Père, elle se moque de vous. Elle fait l'hypocrite avec vous, mais elle sort avec les policiers."
Lorsqu'elle est venue la fois suivante, je l'ai réprimandée sévèrement et elle est partie en pleurs. Peu après, je sentis que tout mon corps était brûlant d'un échauffement charnel. Je priai, rien n'y fit. Je m'étonnais de ce que cette tentation m'accable. Je priai de nouveau, sans résultat. Je pris alors la hache, je mis la patie arrière de ma jambe gauche sur un morceau de bois, je posais sur elle le tranchant et je frappais sur la hache avec un marteau. J'ai découpé huit petits morceaux de chair. J'espérais qu'avec la douleur de la coupure, l'échauffement charnel diminuerait, mais rien. Ma chaussure était pleine de sang, mais la guerre ne diminuait pas. Alors je me suis levé, j'ai laissé le monastère ouvert et j'ai pris la direction de la forêt. Je me suis dit qu'il valait mieux que les ours me mangent... Exténué par le trajet, je tombai d'épuisement au bout du sentier. je me demandai comment cette tentation m'était arrivée, et je tentai de trouver une explication qui puisse rendre compte de sa cause. C'est alors que je pensai à la femme que j'avais réprimandée. Je me dis alors : " Mon Dieu, si elle ressent une telle guerre de la chair, comment la pauvre peut-elle y faire face?" C'était cela! Je me repentis de ma critique sévère à l'égard de cette femme, je demandai pardon à Dieu, et aussitôt il me sembla que je sortais d'un bain frais. L'échauffement avait disparu."
Et, pour conclure, il ajouta : " Lorsqu'un désir charnel nous trouble, la chair n'est pas toujours la responsable. Car la guerre charnelle peut provenir aussi de pensées de blâmes et d'orgueil. Cherchons donc d'abord la cause de la tentation, et ensuite agissons en conséquence. Ne nous mettons pas tout de suite à jeûner, à veiller, etc."
Cet événement révèle son esprit de martyr. Il a montré qu'il préférait mourir, devenir la proie des bêtes sauvages plutôt que de pécher ne serait-ce qu'en pensée. Il a vraiment donné du sang pour recevoir l'Esprit (7).
(7) : ( Cf. Apophtegmes des Pères du désert, série alphabétique Longin, 5 : " Donne ton sang, et tu recevras l'Esprit).
Dans les Vies de saints, de tels faits sont attestés. Quand, par exemple, Abba Pachôn fut tenté, il se rendit dans des tanières d'hyènes et, plus tard, il mit un serpent venimeux sur son corps, mais Dieu le protégea et lui fit don de l'impassibilité (8).
(8) : ( Pallade, Histoire Lausiaque, 23).
Les cicatrices de ses coupures furent visibles sur sa jambe jusqu'à sa dormition. Ceux qui ont entendu le récit de l'Ancien les virent, les touchèrent et en témoignent.


8. Luttes contre les hérétiques.
Des hérétiques évangélistes s'étaient déjà manifestés à Konitsa. Ils faisaient du prosélytisme et ne cessaient de s'étendre. Ils aveint leur propre salle et s'y réunissaient. C'était un danger mortel pour la foi. Dieu utilisa le Père Païssios qui, bien que peu cultivé, était "rempli de la grâce et de la puissance du Saint Esprit" et d'un egrande sensibilité orthodoxe, pour chasser les loups de l'erreur protestante.
Pour commencer, il s'informa avec précision d eleur foi. Il écrivit un texte expliquant ce qu'étaient les évangélistes et il le laissa au monasstère pour que les pèlerins le lisent.
Lors de leurs réunions, il leur envoyait des gens à lui pour qu'ils notent ceux qui suivaient les conférences. Ensuite, il convoquait séparément les auditeurs des prédications hérétiques et il les admonestait. Ainsi, ils ne se rendaient plus aux réunions des hérétiques. De plus, il embaucha certains d'entre eux comme travailleurs au monastère et il les persuada d'interrompre leur relation avec l'organisation hérétique. Ceux-ci devinrent d'excellents chrétiens.
Il donna ensuite une bénédiction* à quelques enfants qui vinrent de nuit et enlevèrent la pancarte qu'ils avaient placardée à l'extérieur de leur salle. Par la suite, après un entretien qu'il eut avec leur chef qui venait de Thessalonique, il réussit à le persuader de ne plus revenir à Konitsa. Par ses prières, son action, et sa confrontation pleine de discernement, il retourna tous ceux qui avaient été entraînés par les évangélistes, et Konitsa redevint " un seul troupeau, avec un seul berger".
Ensuite apparurent des makrakistes (9), mais l'Ancien entrava aussi leur action.
(9) : ( Apostolos Makrakis (1831-1905). Figure importante de la Grèce du XIX° siècle. Doué d'une vive sensibilité religieuse, mais d'une imagination excentrique, il fut condamné par le Patriarcat ainsi que par le Saint-Synode de l'Eglise de Grèce. Néanmoins, par son insistance sur la lecture assidue de la Bible, la nécessité de la communion fréquente, la nécessaire cohérence entre foi et vie sociale, il fut l'un des inspirateurs d'Eusébios Mathopoulos (1849-1929), fondateur de la fraternité laïque Zoï).
Il agit énergiquement et opportunément, et eux aussi repartirent bredouilles.
Il s'intéressa aussi aux musulmans de Konitsa. Il les entoura d'affection et d'intérêt. Il les aida dans leurs besoins et, chaque vendredi, il les rassemblait dans une de leurs maisons, et ils discutaient. Il espérait qu'avec l'amour et une juste confrontation, ils pourraient devenir chrétiens. Certains d'entre eux sont aujourd'hui baptisés.


9. " Mû par l'Esprit..."
L'Ancien raconta : " Deux Pères vinrent demeurer avec moi au monastère de Stomion. J'avais une grande cellule et je voulais la diviser en deux, masi je n'avais pas d'argent. Je décidai d'emprunter 500 drachmes .
Un jour, en cheminant, je rencontrai un petit oratoire. Je fis mon signe de croix, j'allumai la veilleuse et continuai mon chemin. J'arrivai devant une maison, et quelque chose me poussa à frapper. C'était le matin. En me voyant, le maître de maison se réjouit. " Je t'attendais, me dit-il. J'ai mis de côté cet argent pour la Toute Sainte", et il me donna 500 drachmes, juste ce dont j'avais besoin.
Songeant à ce fait, une autre fois aussi je ressentis une sollicitation intérieure de cette sorte, quelque chose qui me poussait intérieurement , pour que j'aille dans une grande ville (Ioannina). Ne pouvant agir autrement, j'obéis et je partis. Je ne savais pas ce que j'allais y faire; je n'avais pas de but précis. Marchant dans les rues, je passai devant un magasin, j'y entrai pour acheter quelques coupes pour les veilleuses de l'église, comme ça, parce qu'elles se trouvaient là. Lorsque j'arrivais devant une maison, dans une rue de traverse, cet élan intérieur me poussa à y entrer. J'obéis et je frappai à la porte. Une femme vêtue de noir vint m'ouvrir, âgée d'environ quarante-cinq ans. Dès qu'elle me vit, elle tomba à mes pieds et une quinzaine de fois dit sans s'arrêter : " Mon Jésus, je te remercie, je te remercie, mon Jésus." Nous entrâmes, deux autres femmes se trouvaient déjà à l'intérieur.
De 11 heures du matin jusqu'à 5 heures de l'après-midi, nous restâmes assis à discuter. ensuite nous célébrâmes un office d'intercession à la Toute Sainte. La femme, à genoux, pleurait en psalmodiant l'office qu'elle connaissait par coeur.
Cette femme était devenue veuve encore jeune. Elle était très riche. Elle donna à des petites orphelines une partie de sa fortune, que leurs proches administraient; Elle attendait que sa fortune soit utilisée correctement pour qu'elle puisse se retirer ensuite dans un monastère. En attendant, elle s'était rendue à Jérusalem et y était devenue moniale en cachette; Elle portait des habits noirs, comme une moniale. Elle avait supplié Dieu avec insistance pour qu'il lui envoie un moine susceptible de lui enseigner la vie monastique.
Après avoir mis en ordre sa fortune de cette façon, elle se rendit par la suite dans un monastère situé dans une île (10).
(10) : ( Au monastère de Phaeneromeni, à Salamine. Là, elle devint moniale, et elle s'endormit sous le nom de soeur Anna, et selon le monde Athina Hadji laquelle, durant les années de l'Occupation, avait exercé une grande influence).
Celle-ci me dit qu'une autre moniale cachée tenait un kiosque. Je m'y rendis et discutai avec elle. Elle avait entrepris de s'occuper des orphelins laissés par son frère, qui avaient aussi perdu leur mère. Souvent, son esprit était ravi en contemplation! Les gens qui venaient faire leurs courses ne comprenaient pas combien élevé était son état spirituel. Il pensait que, à la suite d'un excès de chagrin, elle avait un peu perdu la tête et qu'elle avait des absences. Ils prenaient eux-mêmes les marchandises du kiosque et ils lui laissaient l'argent. Toutes les deux étaient des âmes d'élite."


10. Attaques des démons.
Il avait entendu dire que jadis les pères du monastère descendaient dans le ravin pour y trouver l'hésychia, et il essaya d'y descendre aussi. Il prit une corde, s'y attacha, et attacha l'autre extrémité à un arbre. A un endroit, il trouva une surface plate, d'environ un mètre carré et il s'y arrêta. Il voulait y prier. Il trouva quelques pierres qu'il mit au bord comme un muret. Dès qu'il commença à prier, le tentateur se manifesta sous la forme d'une trombe d'eau qui le poussa violemment vers le précipice. Il implora alors la Toute Sainte : " Ma Toute Sainte, sauve-moi!" Aussitôt la trombe d'eau s'arrêta et il fut sauvé, alorsq u'il était arrivé au bord du ravin et qu'il prenait appui de sa jambe sur les pierres. Ce précipice est redoutable et, rien qu'à le voir, on est saisi par le vertige.
L'Ancien rapportait aussi une autre agression démoniaque : " J'étais dans l'église, en train de prier, quand vers minuit j'entendis le verrou de la porte qui bougeait sans cesse en grinçant. A une heure, il ne s'était pas arrêté. On entendait en même temps des voix et des coups. Il n'y avait personne d'autre au monastère. Je me suis dit que puisque le diable était à la porte, je ne pouvais sortir, et j'entrai dans le sanctuaire où je passai la nuit."


11. Sauvé par la Providence divine.
"Quand je restaurais le monatsère, racontait l'Ancien, il fallut que j'aille de façon urgente porter quelques matériaux à une distance de deux heures. En chemin, à un endroit difficile que je nommais "Golgotha", je recontrai une connaissance accompagnée de trois bêtes chargées de bois. Leurs bâts s'étant renversés, une des bêtes se trouvait près du précipice et risquait d'y tomber.
Je me dis que si je lui venais en aide, je me mettrais en retard; mais ma conscience ne me laissa pas indifférent et je m'y arrêtai. " C'est Dieu qui t'envoie, Père!", me dit-il. Je l'aidai à décharger les bêtes et à les déplacer, et je partis. Je m'étais mis en retard d'environ vingt minutes. En route, je vis qu'il s'était produit un éboulement sur une longueur de trois cents mètres. On me dit qu'i s'était produit au moment même où j'aidais cet homme, ce qui me fit prendre conscience que si je ne l'avais pas secouru, je me serais trouvé à cet endroit au moment précis de l'éboulement et je n'aurais pu être sauvé. Tout cela s'était produit selon la Providence divine. Dieu, pour me sauver, avait tourmenté cet homme. J'avais été sauvé d'une mort certaine. L'homme me dit mille fois "merci". Je revins sur mes pas et je lui criai d eloin : " Barba-Anastasis, tu m'as sauvé la vie : c'est Dieu qui t'a envoyé!"


12. Visite nocturne de la Toute Sainte.
Deux pieuses femmes de Konitsa, Mme Popi Mourelatos et Mme Pénélope Barboutis, l'aidaient à entretenir le jardin.
Un soir, après les Complies, elles se rendirent à l'hôtellerie et se couchèrent de bonne heure. Elles furent réveillées en entendant que quelqu'un frappait la simandre. Elles sortirent de la pièce. Elles virent l'Ancien qui sortait de sa cellule et qui leur dit : " Chères amies, ne vous avais-je pas dit de ne pas frapper la simandre de nuit?"
Avec étonnement, elles répondirent qu'elles n'avaient rien fait de la sorte et, au même moment, en rentrant dans l'église, elles virent une femme qui s'éclipsait. Elles la virent de côté, de l'épaule aux pieds, ainsi que son bras et son voile. C'était la Toute Sainte, dont la venue avait été annoncée par les coups spontanés de la simandre. L'Ancien qui, jusque-là, parlait à haute voix, par la suite, par crainte et respect, fit un geste silencieux pour indiquer aux deux femmes de retourner dans leur chambre. Lui-même revint dans sa cellule. Vers minuit, il les invita à aller à l'église faire un office d'intercession. Puis, il leur dit : " Dieu vous a jugées dignes de voir la Toute Sainte, mais gardez cela pour vous."


13. Une vision démoniaque qui a l'apparence du vrai.
" Une nuit, raconta l'Ancien, alors que j'étais assis dans ma cellule sur un escabeau en récitant la prière, j'entendis soudain, venant de la cour, une musique de violons et de tambourins, des voix et des danses. Je me levai pour regrader par la fenêtre ce qui se passait; il n'y avait personne. Calme plat. Je compris alors que tout cela venait du diable.
A peine m'étais-je rassis sur mon escabeau pour continuer ma prière, que ma cellule s'illumina soudain d'une forte lumière. Le toit s'effaça, la lumière atteignait le ciel. Au sommet de la colonne de lumière, il y avait comme un visage d'un jeune homme blond qui ressemblait au Christ. La moitié du visage était visible. Une inscription lumineuse disait : " Gloire à Dieu au plus haut des cieux." Alors, je me suis levé pour regarder vers le haut afin d emieux voir le visage. J'entendis une voix qui disait : " Yu as été jugé digne de voir le Christ!"
A cet instant précis, je regardai vers le sol pour voir où j'allais me placer pour changer d eplace afin d evoir la totalité du visage, mais en même temps je me suis dit : " Mais moi, qui suis-je, indigne, pour voir le Christ?" Aussitôt la lumière et l'apparition du soi-disant Christ disparurent, et le plafond se retrouva à sa place."
Le diable ne réussit pas à l'induire en erreur avec s afausse vision, mais pour se venger, il lui fit des égratignures aux jambes d'om s'écoula du sang.
A propos des visions, en relation avec cet événement, il conseillait : " Ainsi commence l'illusion spirituelle. Si le Seigneur ne m'était pas venu en aide en me faisant comprendre que cette vision était démoniaque, le Malin aurait commencé son show télévisé. En veux-tu, en voilà, et du Christ, et de la Toute Sainte, et des prophètes, etc. C'est ainsi que l'on tombe dans l'illusion spirituelle. C'est pourquoi les visions sont utiles et elles sont aussi voulues par Dieu, pour que nous ne les acceptions pas facilement. Alors Dieu se réjouit d'une certaine façon, car nous avons ainsi fait preuve de l'humilité et de l'attention qu'Il requiert de nous. Il sait alors comment nous montrer ce qu'Il attend de nous et comment nous éduquer d'une autre manière."


14. Familiarité avec les animaux sauvages.
Le grand amour de l'Ancien pour Dieu et pour son image, l'homme, inondait son coeur, et son débordement atteignait même les créatures privées de raison. Il aimait particulièrement les animaux sauvages; ceux-ci, à leur tour, ressentaient son amour et l'approchaient.
Un faon venait manger dans sa main. Il fit une croix sur son front avec de la peinture. Il avertit les chasseurs de ne pas chasser près du monastère et de faire attention à ce faon marqué d'une croix afin que, où qu'il soit, ils ne tirent pas sur lui. Malheureusement, un chasseur, passant outre son injonction, rencontra un jour le faon et le tua. L'Ancien en fut grandement peiné et fit une prophétie qui s evérifia dans sa totalité. On ne mentionnera pas le nom de la personne, car elle vit encore.
Dans la forêt qui entoure le monastère vivent des ours. L'un d'entre eux rencontra l'Ancien sur un étroit sentier, alors qu'il montait au monastère avec un ânon bien chargé. L'ours se blottit à une extrémité du sentier pour laisser passer l'Ancien. Lui derechef lui fit un signe de la main pour qu'il passe le premier. " Mais lui, racontait-il en badinant, étendit la patte et me toucha la main pour que je passe d'abord." Il lui dit : " Ne te montre pas demain en bas, parce que j'attends du monde. Sinon, je te prendrai par l'oreille et je t'enfermerai dans l'étable."
Il racontait que l'ours aime faire le fanfaron et que lorsqu'il est en danger, il commence par montrer qu'il n'a pas peur, mais que, par la suite, il s'enfuit en courant.
Un ours venait souvent, il s'était habitué à lui, et l'Ancien le nourrissait. Les jours où il y avait du monde au monastère, l'Ancien l'avertissait afin qu'il ne se montre pas, pour ne pas effrayer les gens. Parfois, l'ours transgressait son ordre, il s emontrait inopinément, et tous ceux qui le voyaient en avaient peur. Beaucoup le virent, entre autres Kaiti Patéras qui raconta que, une nuit, alors qu'elle montait au monastère avec une lampe pour arriver à temps à la Divine Liturgie, elle entendit un bruit, éclaira l'endroit et vit un animal qui ressemblait à un gros chien. " Il me suivit et lorsque je fus arrivée, je demandai au Père Païssios si le chien était au monastère; et il me répondit : " Celui-là un chien? Regarde mieux, c'est un ours.""


15. Autres événements au Stomion.
Un jour, on vola dans la maison de Mme Pénélope Barboutis ses maigres économies : 550 drachmes, en tout et pour tout. Chagrinée, elle monta aussitôt au monastère pour informer l'Ancien.
Lui, l'attendait à l'extérieur du monastère, près du mûrier. Il lui cria de loin : " Ne sois pas triste, on les retrouvera! Cinq cent cinquante drachmes, n'est-ce pas? D'ici quinze jours, on les aura retrouvées." Treize jours plus tard, elle rencontra l'Ancien et lui dit que l'on n'avait toujours pas retrouvé l'argent. Il lui répondit : " Ma chère, ne t'avais-je pas dit dans quinze jours? Pourquoi t'impatientes-tu?"
De fait, le quinzième jour, une femme apporta à Mme Pénélope l'argent que son fils lui avait volé.


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Lorsqu'il n'y avait pas de Divine Liturgie le dimanche au monastère, il descendait pour participer à la Liturgie et communier à Koritsa. Le samedi à minuit, il fermait le monastère et, en une heure, il était sur place. Il attendait dans l'ossuaire et, pendant six à sept heures, il priait pour les vivants et les morts, jusqu'à ce que le sacristain lui ouvre la porte.
L'une de ces nuits, il vit les ossements irradier d ela lumière. C'était sans doute là un signe pour lui montrer que les âmes de sdéfunts ressentaient l'effet de ses prières.
*
A un certain moment, M. Lazaros Stérgiou travaillait au monastère et il rapporte que, un samedi, il faisait un coffrage pour construire un mur en torchis tandis que le Père Païssios nettoyait l'église. " Vers les onze heures, voulant me dire quelque chose, il me fit un geste. Arriva midi, nous allâmes manger, mais il ne parlait pas. Il avait perdu la voix. Je lui demandai : " Que se passe-t-il, Père Païssios?" Lui était calme, comme si rien ne se passait. Je lui demandai : " Voulez-vous que je descende chercher un médecin?", mais il ne m'y autorisa pas; nous communiquions par gestes. Le samedi suivant, alors qu'il lavait les veilleuses, je l'entendis psalmodier. Il sortit portant l'icône de la Toute Sainte. De joie, je l'embrassai."
Ces jours-là, Mme Pénélope Barboutis montait aussi au monastère; elle se rendit compte qu'il ne parlait plus et se mit à pleurer. Après qu'il eut retrouvé sa voix, elle lui demanda ce qui s'était passé. L'Ancien lui répondit que cela lui était déjà arrivé à la Sainte- Montagne, mais qu'il avait la certitude intérieure que cela ne se reproduirait pas, et cela ne se reproduisit plus.


*


Mme Kaiti Patéras raconte que, "un jour, l'Ancien vint au village de Saint-Georges pour voir sa mère alors qu'elle arrangeait la maison. Un petit garçon âgé de huit ans, nommé Etienne, tomba d el'étage supérieur sur du ciment et se cogna la tête. Il s'y fit une blessure ouverte, et le sang se mit à couler en abondance. Tout le monde, la grand-mère, la mère poussèrent des cris sans savoir que faire. L'Ancien leur dit : " Mais, que faites-vous?" Il descendit, lui fit un signe de croix avec une croix qu'il avait, demanda un peu de coton, le mit sur la plaie, et il n'y eut même pas besoin d'un médecin; il n'eut pas même une cicatrice!"


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Un jour, il s'attarda à Konitsa à catchiser des musulmans. Pour ne pas sauter les Vêpres, il les dit sur son chapelet* en montant au monastère de nuit. Les démons lui arrachèrent le chapelet des mains. Il resta à genoux à prier et dit qu'il ne partirait pas tant qu'ils ne lui auraient pas rendu son chapelet, et eux, contraints par la puissnace de sa prière, le lui rapportèrent!


*
Un jour , le maire d ela ville, accompagné par d'autres personnalités, rendit visite au monastère. L'Ancien ne chercha pas à les flatter pour qu'ils aident le monastère. Il n'avait pas appris à jeter de la poudre aux yeux des gens en les flattant. Lorsqu'il vint pour leur offrir un rafraîchissement, il ne commença pas par le maire, mais par le vieux Georges, un villageois simple et pieux, parce qu'il était plus digne de respect que les autres. Bien qu'il respectât les personnes qui avaient des charges, là, il honora la vertu - "La valeur d'un homme, c'est sa vertu (11)" - et non pas seulement la personnalité qui dispose d'une charge sans l'accompagner de vertu.
(11) : ( S. Jean Chrysostome, Commentaire sur Psaume 48, PG 55, 232).


*
M. Thomas Tasios, de Konitsa, raconte que, un jour, il rencontra l'Ancien à la gare routière (12) de Ioannina. Ils voyagèrent ensemble. En route se produisit un quadruple accident : trois autocars et un camion emboutirent des pylônes électriques. Notre car, comme mû par une puissance invisible, sortit de la route sur cinq mètres, sans dommage. Thomas dit à l'Ancien : " Si tu n'avais pas été là, Père Païssios, nous serions devenus une colonne de sel." Il me répondit : " As-tu vu quelqu'un faire son signe de croix? Quand tu montes dans un car, dis la prière pour que tout se passe bien!"


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Mme Pénélope Barboutis rapporte que lorsqu'il avait mal à la tête, il l'appuyait sur l'icône de la Toute Sainte, et la douleur s'en allait.
Il pétrissait des prosphores sans levain. Il les bénissait et elles levaient.
Un jour, il me dit de cuisiner des haricots, parce que trois chasseurs allaient venir. Effectivement, ils vinrent et demandèrent des haricots à manger. Ils avaient du gibier dans la gibecière, mais ils la suspendirent à un arbre à l'extérieur parce que l'Ancien ne permettait pas que l'on fasse cuire d ela viande à l'intérieur du monastère.
A Ioannina, il connaissait une laïque qui avait le charisme de clairvoyance. Il voulait acheter des verres pour les lampes à pétrole, mais il n'avait pas assez d'argent. Alors qu'il passait devant sa maison, il l'entendit dire à quelqu'un : " Donne au Père treize drachmes pour qu'il achète des verres pour les lampes."


16. Départ de Stomion.
Les habitants de la région respectaient le "moine", comme ils appelaient l'Ancien. Ils l'aimaient sincèrement et ils l'aidaient, même s'ils ne s erendaient pas vraiment compte du trésor qu'il cachait en lui. Ils discernaient sur son visage quelque chose de spécila. Ils avaient été captivés par son amour et par sa bonté. Il était leur ange gardien, leur consolation, leur appui dans les moments difficiles. Ceux qui alors étaient de petits enfants et qui sont aujourd'hui des hommes mûrs, se souviennent d'un moine squelettique qui parcourait les rues de Konnitsa d'un pas vif, marchant l'air concentré, sans laisser son regard errer ça et là.
La réputation de sa vertu dépassa les limites de Konitsa. Des gens d'autres régions venaient le voir. Un groupe de jeunes gens qui étudiaient la théologie était en relation avec lui. Ils entretenaient une correspondance avec lui, lui rendaient visite et demeuraient au monastère. Ils reçurent de sa part une aide spirituelle et preque tous devinrent moines.
Malgré cela, certains visiteurs ne cessaient pas de l'importuner avec leurs façons mondaines, dont ils n'entendaient pas se séparer. Il y eut des démarches officielles pour construire une route et un téléphérique jusqu'au monastère. Certains d'entre eux avaient été contrariés que l'Ancien ait supprimé les réjouissances mondaines dans la cour du monastère le jour de la fête de celui-ci et réagirent. Quelques-uns cherchèrent à le chasser du monastère, pour s'emparer des bâtiments et de la forêt. Il y avait aussi d'autres raisons.
Au début, il quitta pour un mois le monastère. La veille de la fête de celui-ci, il se rendit dans l'église pour y célébrer l'office et, quand il eut terminé, il vit que l'on avait allumé des feux dans la cour et que l'on y dansait. Il prit son rasso* et partit de nuit pour le Mont-Athos, affligé, en se disant qu'ils n'étaient pas encore mûrs spirituellement. Mais peu après, et quasiment derechef, il revint au monastère, cédant aux prières de beaucoup.
En 1961, il partit pour la Sainte-Montagne. Les habitants de Konitsa firent pression pour qu'il revienne en envoyant au saint monastère de Philothéou une lettre couverte de signatures.
Dans une lettre il écrivait : " Dès que je fus parti de Konitsa, les habitants se mobilisèrent. Quelques jours après mon arrivée au saint monastère de Philothéou, arriva un document du maire, contenant beaucoup de signatures dont celle du préfet, pour que l'on me permette de revenir dans le saint monastère d eStomion, parce qu'il en avait grandement besoin, etc. Bien qu'ils en aient les raisons, tous les Pères du monastère n'étaient pas d'accord ici pour me donner la permission d epartir. Ils voulaient faire appel au Patriarche Athénagoras et à Averof, qui était ministre des Affaires Etrangères pour qu'il intervînt auprès de l'administration civile de la Sainte-Montagne qui dépend de ce ministère."
Après de pressantes sollicitations, l'Ancien revint encore une fois au monastère de Stomion, recevant un congé du saint monastère de Philothéou le 7 août 1961.
Son frère Luc et Dimitri Kortsinoglou, en voyant les difficultés auxquelles il s eheurtait au Stomion, prirent l'initiative de construire, au bout de Konitsa, une petite maison avec une cellule, une chapelle et un atelier, om ils espéraient que l'Ancien aller demeurer. Ils ne voulaient pas qu'il parte, en sorte qu'ils soient privés de sa précieuse présence.
Pendant la période où il restaurait le monastère, il avait chassé les hérétiques ( ce fut là peut-être son plus grand bienfait) et il était venu en aide à beaucoup de gens. Il avait cependant l'idée qu'il n'avait rien fait de bon et, souvent il se blâmait lui-même en se disant qu'il était moine et qu'il n'avait rien à faire dan sle monde. Et il disait avec affliction à la Toute Sainte : " Ma Toute Sainte, moi je recherchais le désert, et toi tu m'as amené dans le monde!"
Il semble qu'il reçut une réponse à sa prière. De fait, lorsque plus tard le Père Cosmas, maintenant higoumène de Stomion, lui demanda comment il était parti, il répondit : " Eh, j'ai dit à la Toute Sainte de me montrer où elle voulait que j'aille, et elle m'a dit d'aller au Sinaï."
A l'occasion de la visite d'un théologien qui demeurait alors au Mont Sinaï, Mgr Damianos, qui est maintenant archevêque du Sinaï, l'Ancien entra en correspondance avec l'archevêque de l'époque, Mgr Porphyrios. Il lui demanda s'il acceptait qu'il demeurât au Sinaï, à l'extérieur du monastère, sans que le monatsère eût la moindre obligation à son égard. IL reçut une réponse positive. Ainsi, lorsqu'il vit que sa mission dans le monde était terminée et, ayant accompli le voeu qu'il avait fait à la Toute Sainte, il quitta définitivement le Stomion le 30 septembre 1962 et partit pour la sainte montagne du Sinaï. Il ne mentionna pas les raisons de son départ, car les gens se seraient mobilisés et l'en auraient empêché. Il dit qu'il partait pour se soigner. Lorsqu'il partit, beaucoup pleurèrent, car il était leur consolateur.
Non seulement il rénova le monastère et écrivit l'histoire du saint monastère de Stomion sous la forme d'une chronique, mais il écrivit lui-même s apropre histoire (un synaxaire) là, parmi les rochers de Stomion, avec les combats et les événements surnaturels qu'il y vécut. Les habitants de Konitsa conservent pieusement dans leur mémoire le souvenir du "moine" qui désormais est connu sous le nom de " Père Païssius".




CHAPITRE VIII


ERMITE AU MONT SINAÏ,
LA MONTAGNE FOULEE PAR DIEU


1. Transfert au Sinaï.
M. Stavros Baltoyannis, peintre et restaurateur d'icônes, habitant Athènes, rapporte :
" A l'automne 1962, à la suite d'une invitation, je me rendis au Mont Sinaï, dans le but de travailler à la restauration d'icônes.
Au Caire dans le métochion* du monastère, un après-midi à l'heure du repas de midi, je fis la connaissance du moine Païssios qui s'apprêtait, lui aussi, à se rendre au Sinaï. Il était extrêmement maigre, mangeait exceptionnellement peu et restait d'habitude silencieux. Une toux persistante témoignait qu'il avait un problème de santé.
En attendant que soit organisé notre voyage au monastère, nous restâmes tous les deux pendant environ une semaine au Caire. Pendant ce temps, j'eus l'occasion de constater que le Père Païssios évitait systématiquement la nourriture que l'on nous offrait, et qu'il ne mangeait que lorsqu'il sentait qu'il devait obéir. Dès lors, et pendant le temps où je vécus plus tard au monastère, je compris que l'obéissance authentique et consciente faisait partie de ses vertus monastiques.
Lorsque les formalités de notre départ furent réglées, nous portâmes nos valises jusqu'au taxi et nous partîmes. Je me souviens que le Père Païssios resta muet dans son coin dans la voiture pendant tout notre tajet jusqu'à Suez. Là, un de nos compagnons de voyage et moi-même, fîmes quelques courses : pendant notre petit arrêt à Suez, qui servait aussi de détente pendant le voyage, il nous fallait manger quelque chose. répondant à notre invitation, le Père Païssios ne fit aucune difficulté à participer à notre repas. Lui-même se limita simplement à se rafraîchir en humectant ses lèvres avec le peu de jus d'un petit citron égyptien qu'il portait sur lui et qui constitua sa seule provision de bouche.
Nous passâmes la nuit au Ouadi Pharan et, au matin, nous nous mêmes en route pour le Sinaï. Nous y arrivâmes en fin d'après-midi. Le Père Païssios fut rapidement conduit à sa cellule et je restai avec mon confrère Tasor Margaritoff, qui m'attendait pour que nous puissions travailler ensemble au programme de conservation des icônes. Nous apprîmes rapidement que le Père Païssios, en entrant dans sa cellule, en avait aussi sorti le matelas et enlevé la lampe électrique qui éclairait le lieu. Sa frugalité, son comportement ascétique, sa candeur et sa consécration totale à Dieu ne tardèrent pas à être connus. Il s'appliquait silencieusement à participer aux tâches communes et à ses devoirs cénobitiques, et il devint rapidement un membre utile et efficace du monastère.
Rapidement, ses autres capacités et connaissances furent connues, comme son habileté dans le travail et l'ajustage du bois. Cela nous donna l'idée de demander au monastère que le nouveau moine nous aide pour les travaux de menuiserie, qui font normalement partie du travail de restauration des icônes.
Il travailla particulièrement et avec succès à la fabrication d'un deuxième support, sur lequel fut déposée l'icône du Christ (1), qui en raison d'une ancienne détérioration, était divisée en deux planches. Avec habileté et talent il fabriqua un support avec un espace creusé aux dimensions originelles de l'icône, au sein duquel les deux parties de l'icône s'ajustèrent parfaitement, laissant entre elles le vide que nous avons estimé y avoir été créé, lequel, comme cela se produit souvent, serait comblé par l'oeil du pèlerin; C'est ainsi que le Père Païssios resta travailler avec nous et fit face avec soin et rapidité aux besoins de la menuiserie pour les travaux de conservation. Pendant tout ce temps, il travaillait en silence et avec concentration, respirant à la fois la modestie et la sainteté. Son abstention habituelle du repas de midi, sa maigreur frappante et sa toux persistante firent que nous nous inquiétâmes pour sa santé et que nous essayâmes souvent de le détourner de son ascèse si rigoureuse. Je n'oublierai jamais son visage lumineux, lorsque parfois il se sentait obligé de répondre à de tels avertissements de ma part, et me disait : " Stavros, laisse cela, cela nous concerne, nous les moines."
Nous restâmes au monastère environ quarante jours, et le Père Païssios restait toujours le même. Candide, incroyablement spirituel, pensif et peut-être en train de prier pendant les moments où il s'appliquait à effectuer le travail qu'il devait accomplir alors. Le dernier jour et après le moment des adieux, je partis avec la certitude que je laissais derrière moi un saint.
De temps en temps, j'apprenais que le Père Païssios devenait de plus en plus exigeant à l'égard de lui-même. Peu après mon départ, comme je m'y attendais, j'appris que le Père Païssios était parti loin du monastère sur un rocher du mont Sinaï, où il vivait de façon totalement ascétique, ne descendant que certains jours au monastère."


2. Il fait cesser la sécheresse.
Quand il se rendit pour la première fois au Sinaï, il y avait une grande sécheresse. En raison des conditions naturelles de la région, il ne pleut que très rarement. Cette année-là, le manque d'eau se faisait cruellement sentir. Une caravane se préparait à apporter de l'eau depuis une région éloignée. L'Ancien leur dit : " Attendez, ne partez pas ce soir." Pendant la nuit, il pria, et il plut à verse.


3. Bienheureuse est la vie d'ermite.
L'Ancien demanda l'autorisation de demeurer seul dans le désert. Il s'installa dans l'ermitage de saint Galaction et de sainte Epistimée, qui est constitué par une chapelle et une toute petite cellule adjacente. Il est situé dans un bel endroit en hauteur, juste en face du sommet de la sainte montagne, et il n'est distant du monastère que de moins d'une heure.
Deux cents mètres plus haut, se trouve la grotte de saint Galaction, et juste derrière, la skyte où demeurait sainte Epistimée avec les autres femmes ascètes. C'est une région sainte et bénie. Malgré toute leur aridité, ces rochers inspirent. Là, en hauteur, tel un aigle, l'Ancien installa son nid, où plutôt l'aigle d el'esprit y fit son aire.
Très près, à un jet de pierre de l'ermitage, il y avait une petite source. Elle produisait en vingt-quatre heures deux à trois litres d'eau. L'Ancien racontait qu'il s'y rendait avec un bidon pour y puiser de l'eau pour faire du thé ou pour en humecter un peu son front et en disant l'Hymne Acathiste*. Avec reconnaissance, ses yeux se remplissaient de larmes : " Mon Dieu, disais-je, juste un peu d'eau à boire; je ne désire rien d'autre." Tellement ce filet d'eau était précieux pour lui qui voulait vivre ici dans le désert. Mais même cela, l'Ancien le partageait avec les animaux sauvages et les oiseaux assoiffés du désert.
Un jour, quelqu'un lui demanda : " Géronda, comment viviez-vous au Sinaï?" Il lui répondit :
"Ma nourriture était constituée par du thé avec du pain séché que je fabriquais moi-même.
Je faisais une petoura (2), que je faisais sécher au soleil.
(2): ( Fine feuille de pâte).
Elle devenait si dure qu'elle se cassait comme du verre. Parfois je faisais bouillir du riz pilé dans une boîte de conserve. Celle-ci me servait à la fois de cruche, de casserole, de plat et de verre. Cette boîte de conserve et une cuillère un peu plus petite qu'une cuillère à soupe constituaient toute ma vaisselle.
J'avais aussi un gilet de flanelle, que je mettais la nuit pour affronter le froid. Je buvais aussi du thé noir pour m'aider pendant la nuit entière sans sommeil de l'agrypnie*, et j'y ajoutais même une cuillère de sucre qui correspondait à un autre gilet de flanelle ( il voulait dire que les calories que lui apportait en complément le sucre équivalaient à un autre gilet de flanelle). J'avais aussi un épais vêtement de rechange, parce que, la nuit, il faisait très froid. Je n'avais ni lanterne, ni lampe de poche, mais uniquement un briquet pour voir un peu dans l'obscurité, lorsque je marchais sur un sentier rocheux avec des marches. Je m'en servais aussi pour allumer parfois du feu avec des brindilles, pour faire chauffer quelque chose. J'avais également quelques pierres à briquet et une toute petite bouteille de pétrole pour le briquet. Rien d'autre.
Une fois, j'ai planté un plant de tomates, mais par la suite ma pensée m'a tracassé et je l'ai arraché pour ne pas provoquer les bédouins. Il me semblait déplacé, alors que les pauvres bédouins n'avaient pas de tomates d'avoir, moi qui étais moine, ne serait-ce qu'un plant.
Pendant la journée, je disais la prière de Jésus et je faisais du travail manuel. Prière et travail manuel. Telle était ma règle. La nuit, je passais plusieurs heures à faire des métanies, sans les compter. Je ne lisais pas l'office, mais je le faisais sur mon chapelet*.
Pour éviter que les curieux ne m'importunent, je fis, avec de la peinture à l'huile, des têtes de morts vertes (en signe de danger) sur les rochers. Un jour, un touriste allemand voulut monter. Il pensa que c'était un champ de mines, mais puisqu'il semble qu'il s'y connaissait, il fit attention où il marchait, et il réussit à arriver jusqu'en haut. Moi je suivais sa progression depuis le haut. Je le laissai s'approcher, puis je rentrai dans la grotte de saint Galaction et je mis un fagot d'épines devant l'entrée. il a cherché, mais il n'a pas réussi à me trouver et il est revenu sur ses pas."
Il avait beaucoup simplifié sa vie et il se livrait à l'ascèse de toutes ses forces, sans distraction. Il disait plus tard avec nostalgie : " Le désert apaise les passions. Quand tu le respectes et quand tu t'y adaptes, il te fait sentir sa consolation", résumant en quelques mots son expérience du désert du Sinaï.
L'Ancien aimait visiter des lieux où avaient vécu des ascètes. A un endroit, subsistait une petite citerne; à un autre, le rocher semblait noirci en raison du feu qu'ils allumaient de temps à autre pour faire la cuisine. Ces anciens ermitages l'inspiraient et l'émouvaient. Il rendit visite aussi à l'ermitage de saint Georges l'Arsélaïte, qui se trouve dans un endroit très isolé et approprié aux ascètes. Il passait le Grand Carême dans l'ermitage de saint Etienne, qui est mentionné dans L'Echelle sainte (3), en contrebas du sommet de la sainte montagne. Il y observait un jeûne rigoureux, presque sans nourriture. Il y avait un bidon, pour puiser de l'eau au puits du prophète Elie qui se trouvait un peu plus bas.
(3) : ( S. Jean Climaque, L'Echelle sainte, VII, 50. Saint Jean Climaque fut l'higoumène du monastère Sainte-Catherine du Sinaï et mentionne dans son traité différents lieux du site).
Il avait pour règle de ne pas porter de chaussures; Ses talons s'étaient fendus, et il en coulait du sang. Il portait ses chaussures dans son sac et il ne les mettait que quand il descendait au monastère ou quand il rencontrait quelqu'un en chemin. Pour qui connaît les conditions de vie au désert, il est très pénible de marcher nu-pieds sur les rochers ou sur le sable; La journée est si torride que les bédouins mettent des oeufs dans le sable et ils deviennenet mollets, alors que pendant la nuit les rochers sont si froids que l'on a l'impression de marcher sur de la glace.
Il descendait au monastère tous les dimanches ou tous les quinze jours. Il aidait à célébrer l'office et il communiait. Il avait une petite cellule, très isolée dans la tour, là où séjournaient jadis ceux qui avaient été exilés au Sinaï. Il participait aux travaux communautaires du monastère, aux travaux de menuiserie, et à la taille des oliviers. En dehors de cela, il n'était pas à la charge du monastère. Il ne prenait pas la nourriture qui était partagée entre tous les moines. Même les petites aumônes que tous les moines du Sinaï ont le droit de recevoir, il ne les prenait pas.
Quelques pères le consultaient et il les aidait par son expérience et son discernement. Il avait aussi un disciple, le novice euthyme Skliris - le futur Père Athanase de Stavronikita - qui demeurait dans le monastère, mais c'était lui qui était son père spirituel.
Même l'archevêque du Sinaï de l'époque, Mgr Porphyrios, prélat bon et humble, lui témoiganit du respect et prenait en considération tout ce que l'Ancien lui proposait pour le développement de la vie monastique au Sinaï. Il dit au sujet de l'Ancien : " Je suis depuis bien des années au Sinaï, et je n'y ai jamais vu de moine aussi ascétique et habile dans le travail manuel que le Père Païssios, sauf peut-être un gendarme à la retraite, qui était humble, silencieux et vertueux, mais qui n'avait cependant pas la grâce qu'avait reçue le Père Païssius."


4. " Je ressentis la Sainte Communion..."
Au début, lorsqu'il arriva au Sinaï, il décida de monter dans son ermitage et d'y rester deux semaines, sans descendre au monastère. Il avertit les Pères pour qu'ils ne s'inquiètent pas. Le Père Sophronios lui demanda : " Tu vas tenir le coup là-haut, Géronda? - Je vais essayer, je supplierai Dieu de m'aider."
Plus tard, il raconta : " Ce que je dus supporter comme tentation là-haut pendant quinze jours est indicible; on ne peut pas l'imaginer! Le diable n'arrêtait pas de me dire de descendre au monastère pour y rencontrer des gens, pour me réconforter. Je ne te dirai qu'une chose : pendant cette quinzaine, j'avais l'impression d'être cloué sur la Croix. Passé le deuxième dimanche, je suis descendu au monastère pour y assister à la Liturgie. Lorsque j'ai communié, la sainte communion me sembla être une viande très tendre (4) et je sentis qu'une force était en moi. C'était le Corps et le Sang du Christ."
(4) : (L'expression semble étrange. Elle est à replacer dans le contexte de la vie du moine où la viande, dont il s'abstient totalement, apparaît comme un mets exceptionnel, rare et de qualité).
Conforté par ce signe et regardant depuis le monastère vers l'ermitage, il dit au diable : " Viens donc maintenant si tu le veux, que nous nous battions!"


5. Travail manuel et aumônes.
Le travail manuel de l'Ancien consistait à sculpter le bois. Lui-même rapportait :
" Je faisais des icônes de bois sculpté représentant le prophète Moïse recevant les dix commandements; Je coupais le bois moi-même. Là, dans la ravine, devant les saints Anargyres, il y avait une sorte de bosquet de peupliers, quelques arbres qui ressemblaient à des peupliers. Après avoir coupé et fait sécher quelques-une d'entre eux, j'en tirais tout seul des plaques dont je faisais de petites icônes. Souvent, pendant la nuit, j'ouvrais un peu la porte de la cellule et, à la lumière de la lune, je disais la prière tout en les passant au papier de verre, et je préparais les plaques de bois. Comme outils, je ne disposais que des deux ciseaux tirés d'une paire de ciseaux de marque Singer que j'avais apportée de Grèce; j'avais séparé les deux parties, les avais aiguisées, et je les avais recouvertes d'une couche de peinture à l'huile verte pour qu'elles ne reflètent pas les rayons du soleil et ne m'éblouissent pas. Au début, pour terminer une petite icône il me fallait trois jours. Par la suite, il ne fallut plus que onze heures.
Je les donnais au monastère qui les vendait; elles étaient achetées en un clin d'oeil par les pèlerins. L'argent que je recevais, je le donnais à des chauffeurs de taxi venus du Caire que je connaissais. Je leur disais d'aller acheter des vêtements, des casquettes, des biscuits, de la nourriture, etc. Puis, je remplissais ma musette de cadeaux et je demandais où se trouvaient les campements de bédouins. Je me dirigeais vers leurs tentes, j'appelais de l'extérieur les petits enfants et je leur distribuais les cadeaux.
Un jour, un petit enfant, Soliman, mû par la reconnaissance, prit un coq et s'apprêtait à l'égorger pour me préparer un repas. Il voulait me remercier des dons que je leur avais apportés : " Laisse-le, Soliman, une autre fois!" Comment aurais-je pu lui expliquer?"
En raison de son grand amour pour les créatures de Dieu, l'Ancien se mettait lui-même de côté, il se donnait du mal pour les aider, et il n'alla pas en pèlerinage à Jérusalem alors qu'il en avait très envie, pour que les petits bédouins ne soient pas privés de ses dons. Et eux se rendaient compte de la grandeur de son amour qui n'était guidé ni par l'opportunisme ni par l'intérêt personnel, et ils l'aimaient beaucoup. C'était une vraie fête et leur joie se manifestait chaque fois que leur bien-aimé "Abouna Païzi", leur rendait visite.
Même quand les petits bédouins se rendaient à son ermitage les pieds pleins d ecrevasses, parce qu'ils marchaient nu-pieds, il mettait d ela cire sur leurs crevasses, et il leur donnait en plus une paire de sandales. A d'autres, il distribuait des casquettes pour que le soleil ne leur fasse pas tourner la tête. Mais il y en avait tant que l'argent de son travail manuel ne suffisait pas.
Il se trouva bientôt dans un dilemme : " Est-ce que je suis venu ici pour venir en aide aux bédouins ou pour prier pour le monde entier?" Pour cette raison, il prit la décision de limiter son travail manuel, en espérant que Dieu lui viendrait en aide. Le jour même, un médecin grec qui vivait à l'étranger lui rendit visite. Il resta assis avec lui pendant des heures, discutant plein d'affection; il lui donna des conseils et lui révéla aussi quelques traits personnels. Celui-ci, impressionné par le charisme de l'Ancien, lui donna quelques livres égyptiennes en lui disant : " Voilà, Père, pour aider les bédouins, pour que tu ne modifies pas ton mode de vie et que tu ne délaisses pas la prière."
" C'est plus que je ne pouvais en supporter", devait-il dire plus tard. " Je le laissai planté là à l'extérieur, et je rentrai dans mon ermitage, car je ne pouvais plus contenir mes larmes devant la rapidité de la réponse de Dieu. Sa providence et Son amour me faisaient fondre."
Finalement, l'Ancien l'accompagna et le guida en lui faisant prendre un raccourci parce qu'il faisiat nuit. De plus, avec l'argent de son travail manuel, il put aider aussi un orphelin qui étudiait la théologie en Grèce.


6. "Il fut tenté dans le désert..."
Un jour qu'il faisait son travail manuel en disant la prière assis sur un rocher, alors que sous lui s'ouvrait un précipice, le diable lui apparut et lui dit : " Saute dans l'abîme, je te promets qu'il ne t'arrivera rien". L'Ancien continua sans broncher sa prière et son travail manuel. Il n'accorda aucune importance au diable. Le tentateur continua de le solliciter pour qu'il saute dans le précipice en répétant la même promesse. Cela dura environ une heure et demie. Pour finir, il prit une pierre, la jeta dans le précipice et dit au diable : " Voilà; pour apaiser ta pensée." Le diable, voyant qu'il avait échoué à le faire se jeter dans le ravin, lui dit avec une admiration feinte : " Même le Christ ne m'a pas fait une si belle réponse. Tu as mieux répondu que lui." Il lui répondit : " Le Christ est Dieu. Moi je ne suis qu'un guignol. Va-t'en loin de moi, Satan!"
Ainsi, avec la grâce divine qui demeurait en lui, il échappa à la première tentation, et il échappa au précipice encore plus profond de l'orgueil, en repoussant la louange du diable, qui lui suggérait de se considérer comme supérieur au Christ.


*
Dans son ermitage, il avait un vieux réveil qui, pour fonctionner, devait être agité. Un jour, alors qu'il balançait le réveil de droite à gauche pour le mettre en marche, le tentateur lui suggéra une pensée : " Si tu étais marié, c'est comme cela qu'aujourd'hui tu bercerais un enfant." Une telle chose ne lui était jamais venue à l'esprit, même lorsqu'il était laïc. Il réagit sur-le-champ sans hésiter. comme il tenait le réveil, il le jeta de toutes ses forces devant lui sur le rocher à une distance de trois mètres. Alors qu'il aurait dû se briser, arrivé à une distance de dix centimètres du rocher, il s'arrêta brusquement, se mit droit, et commença à fonctionner normalement. il l'entendait qui faisait son tic-tac. " Eh bien alors toi, le diable!", dit-il en voyant l'action du tentateur. Puis il prit une pierre et brisa le réveil. Le plus remarquable dans cet incident, c'est la réaction immédiate de l'ermite. il n'a pas hésité un seul instant devant la suggestion démoniaque, il n'a pas argumenté, ni cherché à répondre, mais il a réagi avec la vitesse de l'éclair.


*
Il racontait également la chose suivante : " Une nuit, alors que je descendais un sentier avec des marches, alors que je tentais d'allumer mon briquet à pierre pour voir où je mettais les pieds, soudain apparut devant moi une main qui tenait une lumière qui illuminait le sentier et tous les alentours; Je fermai aussitôt les yeux et je détournai la tête, et je dis au diable : " Puissé-je être dispensé de tes lumières!", parce qu'il savait que c'était lui qui était à l'origine de la manifestation des fausses lumières.


7. Une compagnie pour l'ermite.
" Quand j'étais au Sinaï, racontait-il, j'avais deux perdrix. Je traversais alors une période de chagrins, et les oiseaux venaient me tenir compagnie et me consoler. Lorsque j'arrivais, dès qu'elles m'entendaient, elles venaient à ma rencontre. Lorsque je sculptais des icônes, elles se perchaient sur mes épaules, elles se perchaient sur mes épaules. Une fois, je fus malade pendant une semaine. Lorsque je fus rétabli, j'allai au sommet de la hauteur, comme j'en avais l'habitude, et j'appelai les oiseaux pour les nourrir. ils ne se montrèrent pas. Je laissai la nourriture et je partis. Le lendemain, lorsque j'y allai, les oiseaux vinrent à ma rencontre sur le chemin en voletant autour de moi. Ils n'avaient pas touché à leur nourriture, mais dès qu'ils me virent, ils se mirent à manger. Les animaux sauvages ont beaucoup d ezèle généreux (philotimo*). J'ai trouvé plus de zèle généreux chez les bêtes sauvages que chez beaucoup d'hommes. Il vaut mieux nouer amitié avec elles plutôt qu'avec les gens du monde; Si tu veux avoir un vrai ami, après Dieu, deviens l'ami des saints ou alors celui des animaux sauvages."
Il rapportait aussi : " Une fois, j'avais fait une bouillie avec du riz, et le lendemain j'ai nettoyé la boîte de conserve où j'avais fait bouillir le riz, et j'ai jeté le reste aux rats. Depuis ce jour-là, lorsque je sculptais des icônes et que les petits morceaux de bois sautaient, les rats, entendant du bruit et voyant les morceaux, croyaient que c'était du riz et se rassemblaient. Vous voyez : même les animaux sauvages sont apaisés à notre approche lorsque nous vivons une vie selon Dieu."


8. L'impassibilité des parents de la Mère de Dieu.
L'Ancien vécut au Sinaï dans l'Esprit Saint un événement surnaturel; il fut informé de la chaste et bienheureuse relation des saints parents de la Mère de Dieu, grâce à laquelle fut conçue et enfantée la Mère de Dieu. C'est ainsi qu'il fut informé que "les saints Joachim et Anne étaient parfaitement spirituels, dépourvus de la moindre pensée charnelle. Ce fut le couple le plus dépourvu de passion qui existât jamais; Tout d'abord ils prièrent Dieu avec des larmes, chacun de son côté, pour qu'il leur accordât un enfant, puis ils le conçurent par obéissance à Dieu et non pas à cause d'un désir charnel. C'est-à-dire que la conception eut lieu sans jouissance. La Toute Sainte était toute pure. Elle n'était pas, bien sûr, exempte du péché ancestral - comme le croient les catholiques qui sont dans l'erreur, parce qu'elle fut conçue d'une façon naturelle ( c'est-à-dire à partir d'une semence), mais d'une façon totalement dépourvue de passion, comme Dieu voulait que les hommes fussent engendrés."
Un jour qu'il insistait encore une fois sur ces vérités lors d'une discussion, sentant une certaine réserve chez son interlocuteur, il lui dit en haussant le ton : " Cet événement, je l'ai vécu!" Il voulait établir clairement que ce qu'il disait était le fruit non de ses pieuses réflexions mais bien une révélation divine.


9. Au kellion des Quarante-Martyrs.
C'était la période après Pâques et il était allé avec d'autres prêtres célébrer une liturgie au kellion* des Quarante-Martyrs. Ils avaient emporté avec eux suffisamment d'oeufs rouges (5).
(5) : ( Dans les pays orthodoxes, c'est la coutume de préparer des oeufs (symbole de renouveau et de vie éternelle) peints en rouge ( symbolisant le sang versé par le Christ et Son éclat lors de Sa résurrection) pour les distribuer et les consommer à l'issue de la fête de Pâques).
Après la Divine Liturgie, des Bédouins arrivèrent et ils leur distribuèrent les oeufs. Il y avait quarante oeufs et c'est précisément quarante bédouins qui vinrent au kellion des Quarante-Martyrs.


10. La dormition de sa mère.
Un jour, il ressentit une consolation spirituelle particulière, un réconfort inexpliqué ainsi qu'un grand amour pour la Mère de Dieu. Il se demanda ce qui lui arrivait. Il nota la date (6 octobre 1963) et il apprit plus tard que c'était le jour de la mort de sa mère, pour laquelle il avait une très grande affection, mais qu'il avait abandonnée par amour du Christ et de la Toute Sainte. C'est comme si la Mère de Dieu lui avait dit : " Ne sois pas triste; ta mère, c'est moi." Celle-ci l'avait adopté d'une certaine façon dès l'instant où il était devenu moine. De plus, il fut jugé digne plus tard de voir la Toute Sainte à plusieurs reprises, de parler avec elle et de recevoir de la nourriture de ses mains immaculées.


11. Le nom de Kazantzakis.
Un jour, il monta en compagnie de deux Pères du Sinaï jusqu'au sommet du mont Sainte-Catherine pour y célébrer la Divine Liturgie. Lorsqu'ils eurent terminé, les autres commencèrent à descendre. L'Ancien, ayant apporté un burin, se rendit jusqu'au rocher sur lequel Kazantzakis (6) avait gravé son nom, et il effaça le nom de l'athée déclaré.
(6) : ( Célèbre écrivain grec d'origine crétoise (1883-1957) dont les oeuvres furent condamnées par le Saint Synode de l'Eglise de Grèce, particulièrement La dernière tentation du Christ et le film qui en a été tiré).
Il considérait qu'il ne convenait pas à la sainteté du lieu que les pèlerins voient le nom d'un blasphémateur et qu'il y ait "l'abomination de l'athéisme en un lieu saint (7)".
(7) : ( Allusion à Mt 14, 15).
L'un des Pères était crétois. Pendant qu'il descendait, il entendit le Père Païssios qui frappait de son burin, et pensant qu'il aménageait le sentier de pierre, il l'appela : " Viens, Père Païssios, laisse donc maintenant le sentier. Viens donc que nous puissions partir."
L'Ancien lui répondit en souriant : " Je fais ce que je peux, Géronda..." Le Père Païssios éprouvait d ela répulsion pour Kazantzakis à cause de son athéisme et de ses blasphèmes, et il ne supportait pas même de voir ou d'entendre mentionner son nom.


12. Il est réconforté sans communier.
Un dimanche matin, il vit des pèlerins qui montaient vesr le sommet de la sainte montagne. Il comprit qu'ils allaient célébrer la Divine Liturgie. Il se mit à les suivre. Il demanda la bénédiction pour communier, après avoir confessé au prêtre que la veille il avait rompu le jeûne; il avait mis une cuillerée d'huile dans la nourriture parce que c'était samedi et il ne savait pas qu'il y aurait une Liturgie en ce lieu, alors qu'il avait passé toute la semaine à manger des aliments secs sans huile. Mais le prêtre ne lui permit pas de communier. L'Ancien obéit humblement et ne communia pas. Mais il ressentit de la concolation et de la joie comme s'il avait communié.


13. Combat invisible et états ineffables.
Dans une lettre datée du 1er mars 1964, l'Ancien rapporte que, souvent, le démon l'importunait, bien qu'il eut annihilé la chair : " Je remercie la Toute Sainte qui ne m'a pas pris en aversion, mais qui ne cesse de m'aider. Dieu, qui n'est que bonté, autorise les tentations pour que nous puissions combattre et que par le combat nous recevions la couronne inflétrissable de la victoire. Il y a plusieurs jours, il m'a beaucoup importuné dans mon ermitage, pendant presque toute une semaine, alors que je me préparais à communier au sommet de la sainte montagne où devait être célébrée une Divine Liturgie. Je remercie le Dieu de bonté qui m'a protégé, car la guerre était très violente... Après ce combat, Dieu qui est bon m'a jugé digne de communier au saint sommet, parce qu'Il m'avait protégé. J'avais ressenti une telle joie ce jour-là que je ne puis la décrire. J'étais confondu par le grand amour de Dieu dont je ressentais la présence à mes côtés. C'est pour cette raison que le diable hostile me faisait une guerre si dure, afin de pouvoir me priver de cette jubilation spirituelle qui m'avait approvisionné pour longtemps..."
L'ascète du Sinaï menait désormais une vie dégagée de la matière... Il était captif de l'amour de Dieu. Sa prière était ininterrompue, comme sa respiration, et elle ne s'interrompai pas, même dans son sommeil. " La grâce l'allaitait." Il vivait fortement la présence de Dieu, ainsi que les grands événements qui s'étaient produits en ces lieux au temps du prophète Moïse. Il décrivait parfois la grotte du prophète : " Toute la montagne, tout le rocher étaient devenus moelleux comme d ela pâte, "parce que Dieu y était descendu dans le feu (8) ".
(8) : ( Ex 19, 18).
C'est pourquoi le prophète Moïse avait même imprimé dans la grotte la trace de son dos."
En outre, comme on l'a rapporté auparavant, commentant l'événement qu'il vécut à Esphigménou, il dit : " Au Sinaï, j'ai vécu de plus intenses états spirituels d'une autre façon."
Mais il ne voulut jamais décrire avec précision ce qu'il vécut sur la montagne où Moïse vit Dieu. Il se contentait de cette allusion. Mais, de toute façon, c'était quelque chose de comparable, mais dont l'intensité était plus forte que l'événement antérieur; c'est pourquoi il y avait une relation entre eux.
Très probablement ce n'était pas une vision, un miracle. C'étaient des états de grâce souvent vécus, au cours desquels il recevait un surcroît de grâce, ce qui avait comme conséquence de modifier complètement son état spirituel pour un état supérieur. " Je sens que se lève en moi avec douceur quelque chose d'autre", écrivait-il.
Avec tout ce que vivait l'Ancien, sans compter tout ce que nous ignorons, la grâce divine le préparait secrètement pour son oeuvre ultérieure.


14. Il abandonne le doux désert.
Tandis qu'il menait une telle existence et se réjouissait d'avoir enfin trouvé ce qu'il cherchait depuis des années, sa santé se dégrada. Il souffrait de migraines dues au manque d'oxygène causé par l'altitude. Mais Dieu le nourrissait avec la manne céleste, et le consolait par sa grâce. Au début, il n'accorda pas d'importance à ces symptômes, mais par la suite, il fut contraint par la force des choses à le faire. Il écrit à ce sujet dans une lettre datée du 1er mars 1964 : " De toute façon, je vois que Dieu me rabaisse toujours plus bas. Désormais, je me trouve au monastère depuis une semaine, car j'ai de l'asthme, et comme l'ermitage était à 2000 mètres d'altitude, j'ai beaucoup souffert, et bien que je m'y sois efforcé, il m'était impossible d'y rester, car le souffle me manquait. Ici, au monastère, on est approximativement 400 mètres plus bas. Si je souffre ici aussi, j'irai en Grèce... De toute façon, je laisse la décision à Dieu, et Lui, qui est bon par nature, qu'Il agisse dans l'intérêt de mon âme! Pour l'instant, il n'y a rien de sûr."
Finalement, quand il s'aperçut que l'état de ssa santé s'aggravait, il prit à regret la décision d'abandonner le doux désert du Sinaï, car il désirait y rester pour toujours "afin de rendre un culte à Dieu sur cette montagne (9)".
(9). (Cf. Ex 3, 12).
Jusqu'à la fin de sa vie, il eut la nostalgie du Sinaï, et il se préoccupa de lui fournir des moines, ainsi que de son rayonnement spirituel.
Retournant à la Sainte-Montagne, il rencontra à athènes, dans une église, le professeur de théologie Panaghiotis Bratsiotis. Celui-ci fut impressionné par cet ascète qui, bien que malade, se tint debout devant lui pendant toute la durée de l'office. Il l'aborda en lui disant : " Même maintenant, tu ne t'assieds pas un peu?"
Comme le dit le verset, "il vit l'iniquité et la contestation dans la ville" d'Athènes.
(10) : ( Cf. Ps 54, 10).
Le diable entreprit de le mettre à l'épreuve, non plus en lui apparaissant, comme au Sinaï, mais par l'intermédiaire d'un séide. Alors qu'il cherchait son chemin pour se rendre chez une connaissance, il s'adressa à quelqu'un qui le conduisit jusqu'à une maison, lui ouvrit la porte et le fit entrer à l'intérieur. C'était une maison de perdition! L'Ancien, au début, fut effrayé. Puis il invoqua Dieu pour qu'Il lui vienne en aide, donna un coup dans la porte et s'enfuit, "comme du piège la gazelle, ou comme l'oiseau du filet de l'oiseleur (11)".
(11) : (Pr 6, 5).




CHAPITRE IX
A LA SKYTE D'IVIRON


1. Vie solitaire ou vie communautaire?
De retour à la Sainte-Montagne, l'Ancien prit la direction du saint désert de Kapsala, endroit calme et ascétique près de Karyès. Mais il ne trouva pas là un lieu de repos. Par obéissance à un Ancien, il se rendit à la skyte* d'Iviron, où il trouva la calyve* des Archanges ( l'acte d'attestation de la maison (1) porte la date du 12 mai 1964).
Lui-même dans une lettre ( du 24 juillet 1964) rapporte : " J'ai pris, avec la grâce de Dieu, une calyve dans la skyte isolée d'Iviron. Il y a là toutes les conditions requises pour mener une vie hésychaste. Sur les quinze calyves, seules sept sont habitées. Les samedis et dimanches, nous ne célébrons que les Liturgies dans l'église de la skyte (kyriakon), les autres offices ont lieu dans nos calyves. Ma calyve a une chapelle, consacrée aux saints Archanges, un peu de terrain avec des oliviers, un petit jardin avec de l'eau, etc. La maison est, bien sûr, ancienne, et j'y fais des réparations. Je vois que les choses s'orientent vers la constitution d'une petite communauté. Il est vrai que cela me contrarie beaucoup, car j'ai vécu seul et je vois en moi-même que ce n'est que seul que je pourrai progresser correctement. J'ai invoqué le Seigneur a de nombreuses reprises, mais je m'aperçois que c'est sa volonté. Je suis allé voir mon confesseur le Père Tikhon, un ermite russe, et il m'a dit qu'il faudra que j'accepte tous ceux qui désirent demeurer avec moi. Tout au plus, m'a-t-il dit, tu pourras te construire une petite calyve plus loin, pour avoir un peu de tranquillité.
J'ai commencé à réparer la calyve, car peut-être que d'ici peu mes amis vont venir, et il faudra que je les accueille autant que possible. Tout me manque. Il faudrait que je m'occupe de la maison; il faudrait aussi que j'acquière d'autres choses, etc., avant de pouvoir commencer à exercer un petit travail manuel. En l'espace de trois mois, j'ai travaillé dur. Gloire à Dieu, j'ai pu arranger pas mal de choses. Il faudrait que d'ici un an tout soit réglé, pour que nous commencions notre principal travail : la prière et la méditation (2), et aussi accessoirement un peu de travail manuel.
(2) : ( La prière désigne ici les offices, et la méditation : la Prière de Jésus, selon un nom très ancien donné à celle-ci).
Ainsi nous pourrons vivre dans l'insouciance qui aspire les frères vers le haut. L'huile sera fournie par les oliviers, y compris pour la chapelle. Le jardin fournira tous les produits, comme les pommes de terre et les haricots, ainsi que des légumes pour l'hiver. Il y a quelques arbustes de différentes espèces, et suffisamment de vignes. Lorsque les frères font un peu de travail manuel pour se distraire, et non pour être absorbés par celui-ci, ils peuvent se concentrer sur eux-mêmes et par là trouver Dieu. Dieu, qui est bon, vient en aide aux bons comme aux méchants; tel un bon Père, Il nous viendra en aide, j'en suis persuadé. Surtout s'il relève de Sa volonté que quelque chose advienne ici pour Sa gloire. Plus tard, j'ai l'intention de construire des petites cabanes à cent mètres les unes des autres pour les frères, pour que tous soient ensemble tout en étant tous séparés, car j'ai vécu toutes ces différentes formes de vies monastiques et je me suis aperçu que c'est dans la vie solitaire ( hésychia) que se produit l'affinage."


2. Aspects de la vie de la skyte.
Parmi les quelques Pères de la skyte, on remarquait le Père Pachôme, de la communauté du Père Nil (3).
(3) : (Fleurs de la Mère de Dieu, p. 17-18).
Il prenait dans ses mains serpents et scorpions. L'Ancien racontait aussi beaucoup de choses sur la simplicité, la vertu et la parfaite obéissance à son Ancien. Pour toutes ces raisons, l'Ancien aimait bien le Père Pachôme et il lui envoyait souvent des bénédictions (4).
(4) : (Petits cadeaux sous la forme d'un fruit ou d'un objet).
Quelques moines vinrent s'établir auprès de l'Ancien, parmi lesquels les hiéromoines Basile et Grégoire, qui plus tard reconstituèrent la communauté du monastère de Stavronikita dont le Père Basile (5) est devenu l'higoumène.
(5) : ( Le Père Basile Gondikakis qui, après avoir restauré le monastère de Stavronikita, est devenu higoumène du monastère d'Iviron).
Pendant quelque temps, il mit à la disposition des membres de sa communauté sa calyve, et lui-même se construisit un tout petit "cabanon" avec des planches de châtaignier.
Il veillait quotidiennement avec un nombre incalculable de prosternations et de nombreux chapelets*. Son principal travail était la prière. Il essayait de ne pas interrompre sa communion intérieure avec Dieu, pour qu'elle reste continuelle.
Malgré sa santé défaillante, il se faisait violence, en jeûnant jusqu'à l'épuisement. Et lorsque les "batteries étaient à plat" et qu'il arrivait au "Amen", contre toute attente, il recouvrait des forces et poursuivait ses combats.
Lorsqu'il descendait au débarcadère ( arsanas, en grec (6)), il marchait pieds nus comme au Sinaï. Il avait ses chaussures dans un sac et il les mettait quand il voyait quelqu'un venir au loin.
(6) : ( Vieux mot vénitien passé en grec et qui désignait à l'origine un chantier naval).
Comme graveur sur bois autodidacte, il gravait de très belles croix de poitrine et des croix pour la bénédiction des eaux. Avec le fruit de son travail manuel, qu'il vendait pour sa propre subsistance, il aidait aussi quiconque en avait besoin.
Dans la skyte, il aidait avec empressement les Pères ainsi que tous ceux qui requéraient son aide; il accourait joyeusement pour soulager son prochain.
Il assuma la charge de dikaios (7) de la skyte. Après avoir rempli ses obligations dans l'église de la skyte (kyriakon), pour ne pas nuire à l'hésychia, il laissait une note à l'attention des visiteurs qui sonnaient de la cloche à peine arrivés. Il l'entendait depuis son cabanon où il restait dans l'hésychia; il descendait, s'occupait des visiteurs, les apaisait et les restaurait aussi bien corporellement que spirituellement.
Durant cette période se produisit également sa rencontre avec un visiteur extraordinaire, docker au Pirée, qui par sa prière avait fait revenir à la vie son beau-père blasphémateur, pour qu'il se repente.
L'Ancien raconta aussi l'événement suivant : " Un jour, un prêtre vint à la skyte. Lorsque je le vis, je ne fus pas "informé" spirituellement. Au cours de la conversation, je compris qu'il était catholique; En sorte que je lui dis sévèrement : " Vous devriez porter une capuche (c'est-à-dire le couvre-chef des moines latins) et visiter ainsi les monastères!"
Cet homme était un prêtre catholique nommé Boniface, comme je devais l'apprendre plus tard, et où qu'il aille, il s'habillait de façon à tromper les gens. Avec les grecs orthodoxes, il s'habillait comme un prêtre grec, avec les prêtres russes, comme un prêtre russe, etc."
L'Ancien, bien qu'il vît les cheveux, la barbe et le froc "orthodoxes", ne fut pas trompé par eux; La grâce divine témoigna en lui que celui qui avait l'apparence d'un prêtre n'avait pas la prêtrise.
"Il n'avait besoin d'être renseigné sur personne : lui, savait ce qu'il y a dans l'homme. (8)"
(8) : ( Jn 2, 25).


3. Il aide l'âme d'un défunt.
L'Ancien racontait : " A peine arrivé à la skyte, le vieil Athanase, le garde forestier (kourtzis), l'apprit et, de Philothéou, il vint me rendre visite. C'était une connaissance, et il m'apporta des bénédictions*, parce que, au début, je n'avais rien.
Je le remerciai et lui demandai d'écrire les noms de ses parents défunts, pour les commémorer. Celui-ci, influencé par un témoin de Jéhovah, me dit : "Dès que l'homme meurt, il n'y a plus rien; après la mort tout périt." Peu de temps après, celui-ci vint à mourir. Lorsque je l'appris, je me rendis à Philothéou et je trouvai sa tombe. Je fis chaque jour une prière du fond du coeur pour que Dieu accorde le repos à son âme.
Vingt jours après sa dormition, j'appris que quelqu'un de Philothéou me cherchait. Il arriva bouleversé; il était aussi épitrope (9) du monastère.
(9) : ( L'épitrope (intendant) s'occupe des finances du monastère et de l'organisation matérielle).
Il me dit : " Père, le défunt, le vieil Athanase, est venu me voir pour s eplaindre que je l'ai oublié et que je n'ai rien fait pour lui et il m'a dit que toi seul tu l'aides par ta prière. De fait, je ne le mentionne pas dans ma prière. J'ai reçu la charge de responsable ( proïstaménos) et je m'occupe du bureau; j'ai beaucoup de travail. Que faire? J'ai même abandonné ma règle de prière!
- Eh bien, désormais tu devra en faire un peu plus!"
Cet événement conforta l'Ancien, et il pria davantage pour les âmes de tous les défunts.


4. La protesction du saint Précurseur.
L'Ancien racontait : " En voyant le ravin, j'ai ressenti un désir, un amour divin. Mon coeur tressaillit à l'idée de demeurer là, à la recherche de plus d'hésychia et de prière. Je me rendis auprès d'un des responsables du monastère d'Iviron (10) afin de recevoir sa bénédiction pour y construire une petite cabane. Mais lui de pousser des cris : " Que venez-vous faire ici, vous les soi-disant ascètes?" Mais, pendant la nuit, le saint Précurseur (11) (c'est le Saint Patron de la skyte d'Iviron) apparut au supérieur et commença à le frapper (12).
(12) : ( Parce qu'il avait témoigné du mépris pour l'Ancien).
Terrorisé, celui-ci s'éveilla et se rendit à l'église. Il demanda avec insistance aux Pères d'interrompre leur office, et de se rassembler pour qu'il leur dise ce qui lui était arrivé, parce qu'il ne pouvait trouver le repos. Ils lui répondirent : " Nous ne pouvons interrompre l'office, prend patience et attends que nous ayons terminé." Puis ils se rassemblèrent, et il leur raconta ce qui lui était arrivé. A la suite de cela, le responsable, non seulement il me donna sa bénédiction pour construire ma cabane, mais m'envoya des matériaux de construction avec les mulets. Ce lieu était si humide que l'eau gouttait des clous. C'était la raison pour laquelle les Pères avaient abandonné cet endroit. En m'y installant, je me mis cracher du sang. Ce fut la raison pour laquelle je laissai deux côtes au sanatorium. Je m'étais fatigué à transporter des matériaux pour construire ma cabane (13).
(13) : ( On peut la voir encore aujourd'hui à côté de la vieille église de la skyte et à quelques mètres de la fontaine du fondateur de la skyte, le saint néomartyr Jacques).
Je me sentais malgré tout en pleine forme! C'était une joie spirituelle, mais pas uniquement. La joie céleste, c'est autre chose; c'est une énergie de la grâce divine."


5. Une lapidation diabolique.
Un jour, un pauvre moine passa par la skyte, muni d'une pantachoussa (14) pour demander l'aumône.
(14) : ( Document délivré par la Sainte Communauté qui donne l'autorisation de solliciter des aumônes auprès des monastères).
L'Ancien donna tout son argent au pauvre, une somme qui, à cette époque, était élevée. Même les monastères ne lui avaient pas donné autant d'argent. Le diable ne supporta pas de voir "dématérialisé ce qui est matériel" et, rendu furieux par son aumône exemplaire, il lui jeta une grosse pierre, laquelle était prise dans le plafond et tomba sur la tête de l'Ancien!


6. Le Grand Habit.
L'Ancien avait fait la connaissance du Père Tykhon à l'époque où il était à Esphigménou. Dès lors, il en fit son père spirituel. Régulièrement, il se rendait dans son kellion pour le voir et recevoir ses conseils. Souvent, le Père Tykhon lui demandait :
" Quand vas-tu prendre l'Habit?
- Quand Dieu l'autorisera, Géronda*, cela ne me préoccupe pas."
Bien que le Père Païssios fût moine depuis des années, il n'avait pas encore reçu le Grand Habit. Ce qui l'intéressait avant tout, c'était de vivre en moine, c'est-à-dire pas seulement de recevoir formellement le Grand Habit, mais aussi la Grâce de l'Habit. Il accordait plus d'importance au fait de le porter intérieurement. C'est-à-dire de devenir moine selon l'homme intérieur. C'est pourquoi il disait : " Je n'ai jamais été préoccupé par le fait de savoir quand j'allais devenir moine du Grand Habit. Même si l'on ne m'avait pas fait moine, cela ne m'aurait pas dérangé. Ce qui m'intéressait, c'était de vivre comme un moine. Si l'âme n'est pas labourée, elle n'a pas d'armes inétrieures, bien que l'Habit soit une arme, il ne sert à rien. Comme la moindre désobéissance est porteuse d'une très grande responsabilité après l'Habit, il faut faire preuve d'une plus grande rigueur. Il faut faire des efforts pour observer les promesses, même avant l'Habit." Il ne chercha pas à recevoir le Grand Habit de lui-même, parce que, par humilité, il s'en considérait lui-même comme indigne, et parce qu'il voulait être fidèle pour toujours à ses promesses.
Mais maintenant, poussé par son Ancien, il accepta de prononcer ses voeux monastiques et il reçut le Grand Habit Angélique des vénérables mains du Père Tykhon, le 11 janvier 1966, à la calyve de la Précieuse-Croix, qui dépendait de Stavronikita.


7. Nourri par un ange.
L'Ancien raconta : " C'était pendant le carême de la Mère de Dieu (15), et il y avait déjà des jours que je jeûnais.
(15) : ( Le carême qui précède la fête de la Dormition).
Sur ces entrefaites, on me demanda de descendre un Père malade jusqu'au rivage. Je le descendis; et par après, je resentis une terrible faiblesse. Juste avant d'arriver à mon kellion, quelqu'un s eprésenta à moi et me donna un petit panier avec des fruits, des raisins et des figues, et il disparut aussitôt."


8. Opération aux poumons.
Depuis l'époque où il était jeune moine, l'Ancien ressentait une gêne aux poumons. Déjà à l'époque où il était à Esphigménou, il avait eu des crachements de sang et une hémorragie interne, et il avait été hospitalisé à l'infirmerie du monastère. Par la suite, toute sa vie durant, il eut à souffrir de cette affection.
Il fut obligé de quitter Philothéou pour aller dans le monde se faire soigner. Cette fragilité pulmonaire, qui s'aggrava en raison du manque d'oxygène dû à l'altitude, fut la raison pour laquelle il fut obligé d'abandonner le Sinaï.
Même lui ne savait pas précisément de quoi il souffrait. Les médecins diagnostiquèrent par erreur une tuberculose. Par obéissance, il fit, inutilement, des centaines d'injections de streptomycine. Sa chair était devenue dure comme de la pierre au point qu'un jour l'aiguille se tordit, mais l'Ancien resta immobile et insensible à la douleur.
Le pieux docteur Daïkos fit le premier diagnostic correct en diagnostiquant une bronchectasie : " Que Dieu bénisse Daïkos", disait l'Ancien.
Sa maladie ne cessait cependant d'empirer, c'est pourquoi il fut obligé de sortir de l'Athos pour faire des examens, qui montrèrent que de toute façon il fallait qu'il soit opéré. L'intervention eut lieu au "Centre des maladies du thorax de la Grèce du Nord". On lui enleva pratiquement tout le poumon gauche, et on lui enleva également deux côtes. Dans une lettre envoyée de la clinique chirurgicale de l'hôpital et datée du 10 décembre 1966, l'Ancien décrit ainsi l'opération : " Ce fut une opération très lourde. On m'enleva le lobe gauche ( du poumon), en même temps qu'un peu du droit. Le lobe était plein de petites poches (bronchectasie). L'opération dura près de dix heures. Pendant l'opération, le sang ne s'arrêta pas de couler, ce qui la rendit plus difficile. On eut besoin de quatre litres de sang... On me fit un drainage (16) pendant neuf jours, et je souffris d'une grande indisposition au point que l'on dut me ramener en salle d'opération pendant deux heures et que l'on remit les drains en place, et cela pour plus de vingt jours.
(16) : ( Sans doute un drainage aspiratif).
Cela m'occasionna aussi une infirmité aux yeux. Le droit voit très bien, mais l'autre, qui a été opéré, est très fermé et voit très mal. Ceci ne me préoccupe pas, car d'autres sont nés pratiquement aveugles.
Il est vrai que je souffre beaucoup, mais je ne pense pas qu'il eût mieux valu ne pas avoir d'affection et échapper à un tel petit martyre, car j'en ai retiré un grand profit.
Auparavant, je lisais la Passion du Seigneur, dans l'Ecriture Sainte, comme une simple histoire, comme les Vies des saints dans le Synaxaire*. Désormais je vais la ressentir, parce que j'ai éprouvé quelques souffrances. Cela fait maintenant vingt-cinq jours que je n'ai pas connu le repos."
Son bulletin de sortie de l'hôpital porte : " A été hospitalisé au " Centre des maladies du thorax de la Grèce du Nord". Entré le 4 août 1966, sorti le 15 décembre 1966. Atteint de bronchectasie du poumon gauche, lobe inférieur. Après avoir été opéré, est ressorti en bonne santé."
Pendant la durée de son traitement au sanatorium de Asvestochorio, il obéit aux médecins et mangea de la viande. C'est alors que son père selon la chair mourut (le 10 août 1966). Dès qu'il en fut informé, il prit le Livre des Heures et lut le psaume 118 (17).
(17) : ( Ce psaume est lu lors de l'office des funérailles et le samedi lors de l'office des défunts).
Lorsqu'il eut terminé, un malade lui dit qu'il venait juste d'être informé de la dormition d'un proche. Alors l'Ancien relut le même psaume.


9. Fondation d'un monastère féminin.
A l'hôpital, il se lia spirituellement avec quelques jeunes femmes pieuses qui aimaient le monachisme. Elles lui rendirent visite et lui donnèrent le sang dont il eut besoin durant l'opération. L'Ancien ressentit l'obligation de les aider spirituellement plus tard de toutes les façons possibles. Il se sentait si redevable qu'il disait qu'il portait comme un gilet de crin sur la peau, et qu'il voulait l'enlever, c'est-à-dire donner une contrepartie au bienfait dont elles l'avaient gratifié. C'est pourquoi il les aida à trouver un lieu où devenir moniales, et c'est ainsi que fut fondé le fameux monastère Saint-Jean-le-Théologien à Souroti. Par la suite, jusqu'à sa dormition, il les dirigea spirituellement, et c'est là qu'il voulut que reposât son corps si éprouvé. Il reçut du sang des soeurs et il leur donna l'esprit, c'est-à-dire une aide spirituelle.


A son retour de l'hôpital, il poursuivit son valeureux combat ascétique dans la skyte, avec ses affaires et ses soucis, parce que le nombre des pères avait augmenté, ce qui ranima le désir de l'Ancien de trouver davantage de solitude. Mais, surtout, son opération l'obligeait à changer de climat et à demeurer dans un endroit sec. Son père spirituel, le Père Tykhon, lui conseilla d'aller à Katounakia. " Il fallait que j'obéisse à l'Ancien", disait-il. Le 11 juillet 1967 il reçut son autorisation de congé du monastère d'Iviron et partit pour Katounakia.




CHAPITRE X


DANS LES ERMITAGES
DE KATOUNAKIA


1. La calyve d'Hypatios.
Pour l'amour de son hésychia bien-aimée et en raison de sa santé déficiente, le Père Païssios se rendit à Katounakia où il prit la calyve d'Hypatios, à l'endroit appelé "Vlachika", au-dessus de la maison des Daniléens ( les disciples du saint Ancien Daniel).
Il écrivit dans une lettre ( datée du 18 septembre 1967) : " ... Gloire à Dieu, je me porte très bien. Je ne suis pas oppressé parce que je peux ouvrir la fenêtre jour et nuit, car il n'y a pas d'humidité. Je n'ai pas non plus de voisinage."
C'était une pauvre petite calyve sans chapelle avec deux ou trois murets de pierre alentour. Quelques mètres plus loin, il y avait aussi une autre petite calyve en tôle. Elle recélait et conférait une bénédiction particulière, parce qu'en celle-ci avait vécu l'Ancien Ephrem " le Miséreux" (+ 1962) (1).
(1) : ( Voirs Fleurs du Jardin de la Mère de Dieu, p. 109-111).
L'Ancien s'y rendait souvent, il y priait et ressentait la grâce du lieu. Cent mètres plus haut se trouvait une grotte, jadis refuge de bandits, dans laquelle l'ancien Ephrem avait également vécu. La vie à Katounakia était tranquille, sans trouble et très pauvre. Comme travail manuel, il gravait des icônes en bois de cyprès représentant la Crucifixion avec la Mère de Dieu et saint Jean. Il en vendait quelques-unes pour son entretien, mais le plus souvent il les distribuait en bénédiction*. Il fabriquait aussi des petites icônes faites à la presse, qu'il distribuait aussi en bénédiction.
C'est alors qu'il fit l'exhumation du précédent habitant de la calyve, l'Ancien Hypatios le Roumain.
L'Ancien aidait aussi les Daniléens (2) lors de leurs fêtes.
(2) : ( Communauté fondée au XIX° s. par l'Ancien Daniel, connue pour la qualité de ses iconographes et de ses chantres. Cette communauté est la plus nombreuse et la mieux organisée de Katounakia, ce qui lui permet de venir fréquemment en aide aux ermites de la région).
Parmi les servants se trouvait un moine de Kavsocalyvia, auquel ce moine inconnu de lui ( le P. Païssios) fit une grande impression, car il servait avec une grande agilité pendant la fête, autant que deux ou trois autres servants réunis, silencieux et priant sans jamais se reposer.
Un jour, l'Ancien prit le bateau pour aller de Daphni à Katounakia. Il aborda un moine qu'il voyait pour la première fois, lui fit humblement une métanie* et l'appela de son nom. C'était l'Ancien Gabriel, le grand ascète de Karoulia (3).
(3) : ( Karoulia se trouve en contrebas de Katounakia et en bordure de mer. C'est sur ces rochers abrupts et sans consolations que vivent des ermites).
Et celui-ci fut content de connaître le Père Païssios, parce qu'il avait entendu parler d'un ascète qui habitait à Vlachika. Avec une charité sincère et familiarité, ils s'assirent à part et s'entretinrent spirituellement. Plus tard, l'Ancien devait dire : " L'Ancien Gabriel était un vrai ascète, mais l'Ancien Pétros ("Pétrakis") avait quelque chose de spécial. Il avait une douceur (apalada) spirituelle."
A Katounakia, il eut aussi des relations spirituelles avec d'autres Pères qui avaient atteint une haute stature spirituelle.
Cette hésychia*, qu'il désirait ardemment, était interrompue par les visiteurs, comme il nous le rapporta lui-même : " Je venais d'être opéré lorsque je revins à Katounakia, et les gens commencèrent à me rendre visite. Les ayant reçus autant qu'il était nécessaire, je les renvoyais en leur souhaitant bonne route. Eux alors se mettaient en route mais, peu après, ils revenaient sur leurs pas en me disant qu'ils voulaient passer la nuit chez moi, et ils s'installaient. Et moi, alors, de leur faire la cuisine, de leur préparer un lit. Où trouver la force de m'occuper d'eux? Qu'est-ce que j'ai dû endurer! Je souffrais et les médicaments ne me soulageaient pas. Mais je disais : " Gloire à Toi, notre Dieu, qui m'as accordé, malgré mon indignité, de ressentir un peu ce qu'ont ressenti les saints martyrs.""


2. Des gilets pour l'ascète.
L'Ancien apportait aussi à des pères malades et âgés des bénédictions* consistant en vêtements et en nourriture. Un vieillard âgé avait mis devant la porte de son kellion ( sa cellule) un écriteau : " Ne me dérangez pas. Je suis vieux et malade." Il ne voulait rien recevoir de personne. Le Père Païssios réussit à lui faire accepter ce qu'il lui apportait, en disant : " Garde-le, Géronda*, puisque tu e svieux et malade."
Un jour, il rendit visite à l'ancien Sabbas de Katounakia et lui donna quelques " bénédictions*". En partant, il lui demanda s'il avait besoin de quelque chose. Il lui répondit qu'il avait besoin de vêtements de dessous en flanelle. Sur le chemin, en revenant à sa calyve, il rencontra un visiteur qui venait le voir et tenait un colis pour lui. L'Ancien l'ouvrit et admira la providence divine. Le colis contenait des flanelles. Il fit aussitôt demi-tous et les donna à l'ancien Sabbas.


3. Le possédé.
"Un jour, en remontant vers ma calyve assez chargé, raconta l'Ancien, je rencontrai un laïc de Trikala qui souhaitait m'aider. Mais le malheureux était possédé et, en chemin, il fut saisi de soubresauts à cause du démon et il tomba sur le sol. Je fis sur lui le signe de croix avec la croix de mon chapelet. Le possédé se saisit de ma main droite et fut sur le point de la briser. Alors j'ai pris mon chapelet* de ma main gauche, et j'ai fait sur lui le signe de croix en disant : " Au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, sors, esprit impur!" Aussitôt il se calma et me demanda pardon." L'Ancien ajouta alors avec admiration : " Le chapelet* a une grande puissance, oh là là!"


4. " Il a dénoué mon noeud gordien"
Témoignage d'un prêtre anonyme : " En 1968, j'ai rendu visite à l'Ancien alors que j'étais séminariste. Mon grand problème, qui m'étouffait littéralement, c'était que j'avais choisi de vivre comme un prêtre célibataire, car on m'avait présenté le mariage d'une façon partiale et suivant une perspective erronée. J'ai ouvert mon coeur avec confiance à l'Ancien. Il m'écouta avec attention et lorsque j'eus terminé, il me dit : " Ecoute, mon enfant, le menuisier fait des meubles de luxe avec le bois approprié. Il en est de même pour le forgeron : celui-ci, avec du fer, fabrique d'excellents meubles en métal. Toi, mon enfant, il faut que tu t'examines soigneusement : de quel matériau es-tu fait? Si, par exemple, tu es en bois, en aucune façon tu ne dois aller chez le forgeron, parce qu'il te consumera avec le chalumeau dont il se sert. C'est seulement si tu es de fer que tu dois aller chez le forgeron."
J'étais alors dans la confusion la plus totale mais, dès cet instant, je me sentis soulagé parce que l'Ancien, avec un exemple simple et plein de sagesse, avait dénoué le noeud gordien qui, depuis tant d'années, m'oppressait. Je suis reparti tout joyeux, persuadé qu'il y avait une issue qui s'ouvrait à l'horizon même pour moi. Je m'étais ainsi assuré que je pouvais, sans nuire et sans trahir l'idéal de vie du célibat, suivre le conseil que Dieu m'avait prodigué par la bouche de l'Ancien Païssios. L'intervention de l'Ancien Païssios fut décisive pour ma vie ultérieure."


5. Pauvreté.
Un jour, alors qu'il était assis dans la cour de sa pauvre calyve, il s'aperçut que quelqu'un était caché dans le bois et l'observait. Il donnait l'impression d'un homme qui cherche une occasion pour voler.
L'Ancien réfléchit et se dit : " Le malheureux doit être dans le besoin." Il partit aussitôt en laissant la porte de sa calyve ouverte. Le voleur put pénétrer librement à l'intérieur. Mais, malheureusement pour lui, il ne trouva rien qui vaille la peine d'être emporté. Il n'y avait qu'un matelas de paille et quelques petits objets sans valeur. " Bien que le voleur ait été, selon l'Ancien, un homme rude, il fut ému et, par la suite, il m'amenait du ravitaillement." Se repentant, il demanda pardon, ce que l'Ancien lui accorda bien volontiers et de tout coeur.


6. " Moi, je mange tout le temps..."
Un jour, le père Daniel de la communauté des Daniléens lui rendit visite. Il frappa à la porte, en disant : " Par les prières de nos saints Pères...", et pendant longtemps, il n'y eut pas de réponse. Enfin, l'Ancien ouvrit. Il avait le visage couvert de larmes et il tenait dans ses mains un oignon et du pain séché, et il mangeait. Le Père Daniel lui demanda : " Comment vas-tu, Père Païssios? - Comment puis-je aller, Père? Eh, ne le vois-tu pas? Je mange. Moi, je mange tout le temps..." Et tout en disant cela, il mangeait d el'oignon et du pain séché, et ses larmes ne cessaient de couler. A ce qu'il semble, il était dans un état spirituel de grande componction, au point qu'il ne pouvait retenir ses larmes. En entendant la voix du Père Daniel, il fit un effort pour se dominer, parce qu'il devait ouvrir la porte. Mais ne pouvant contenir ses larmes, il trouva cet artifice avec l'oignon. Mais le Père Daniel, qui raconta cet incident, comprit de quoi il retournait, et il donna cette explication.


7. Lumière très douce.
A Katounakia, il fit aussi des expériences divines : " Un jour, raconta-t-il, alors que je disais la Prière* pendant la nuit, une grande joie m'envahit. Je continuai de dire la Prière et, soudain, ma cellule fut baignée de lumière. Celle-ci était blanche avec une légère tendance au bleu. Mon coeur battait doucement. Je continuai à faire le chapelet* jusqu'au lever du soleil. La lumière était si forte! Plus forte que la lumière du soleil. Le soleil était une lueur à côté d'elle. Je voyais le soleil, et sa lumière me semblait pâle, comme l'est la lumière de la lune pendant la pleine lune. Je vis cette lumière pendant longtemps. Par la suite, quand la lumière se retira, la grâce aussi diminua; alors je ne trouvai plus ni consolation ni joie. Parce que j'étais passé d'un état spirituel à un autre inférieur, je me considérais moi-même comme un animal. J'allais manger, boire de l'eau, faire mon travail manuel, et je me sentais comme un animal. J'avais complètement oublié cet événement et je m'en suis souvenu avant-hier (4), quand un pieux avocat qui se livrait à la prière mentale me le rappela, parce qu'il vivait un état spirituel..."
(4) : ( Le 23 juin 1984).
L'Ancien ne dit pas explicitement que la lumière qu'il vit était incréée, bien qu'il n'y ait aucun doute qu'il s'agissait bien d ela lumière incréée. Il ne décrit rien d eplus; il ajouta seulement : " On la voit même les yeux fermés, comme aussi avec les yeux ouverts; même la nuit dans l'obscurité et le jour au soleil."
Par d etelles interventions spirituelles, la grâce divine consolait l'ascète Païssios qui, volontairement, s'était fait pauvre en pratiquant l'ascèse et en renonçant à lui-même dans le désert sans consolation de Katounakia.










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