mardi 20 décembre 2011

Saint Césaire d'Arles. Sermon sur la grossesse de Rebecca.

Sermon IV de Saint Césaire d'Arles.
Sur la grossesse de Rébecca.
Edition de M.D.CC.LX.

I.
Je craindrais, mes chers frères, en expliquant l'Ecriture Sainte à votre charité, avec la méthode & la beauté de style, familières aux Saints Pères, de n'être entendu que des plus habiles d'entre vous, & que le reste du Peuple des Fidèles ne se trouvât sans l'Instruction Spirituelle & la nourriture nécesaire à leurs âmes. Je supplie donc humblement ceux d'entre vous qui sont plus instruits, de trouver bon que je me serve d'un style simple, & même rabaissé, afin que me proportionnant aux plus simples, aux moins instruits, tout le troupeau du Seigneur reçoive cette nourriture spirituelle. Les moins instruits, les simples, ne peuvent pas s'élever à la hauteur des plus habiles : Que ces derniers, donc, ne dédaignent pas de descendre à la portée des simples; ce que nous disons à la portée de ces derniers, les plus instruits peuvent l'entendre, & en faire leur profit; au lieu que, si nous élevions nos pensées & notre style au goût des plus habiles gens, less plus simples n'y entendraient rien.

II.

Il est question, aujourd'hui, dans la lecture que l'on vient de faire, du Saint Patriarche Isaac, de Rébecca, & de ses deux jumeaux qui s'entrechoquaient dans son sein. Personne de vous, sans doute, n'ignore qu'Isaac était la figure de notre Seigneur & Sauveur Jésus-Christ, & que Rébecca représentatit l'Eglise. Or, pour figurer l'Eglise des Gentils, Rébecca a été long Temps stérile. Mais, à la Prière d'Isaac, & par une Grâce particulière de Dieu, elle conçut enfin : « Mais les deux jumeaux dont elle était grosse s'entrechoquaient dans son ventre. ( Gen 25, 22). Affligée de cet événement, & ne pouvant en soutenir la peine, elle dit : « Si cela devait m'arriver, qu'était-il besoin que je conçusse? »(Ibidem.23). A quoi le Seigneur lui répondit : « Deux nations sont dans tes entrailles; & deux peuples, sortant de ton sein, se diviseront l'un contre l'autre. L'un de ces deux peuples surmontera l'autre; & l'aîné sera assujetti au plus jeune ». Toutes ces choses, mes très chers frères, qui arrivaient aux Anciens, nous dit l'Apôtre ( I. Cor. 10.11), étaient des figures, & elles ont été écrites pour nous instruire.
C'est donc à dire que Rebecca conçut d'Isaac, en signe, en figure de ce que l'Eglise devait concevoir Spirituellement de Jésus-Christ; & comme les deux enfants, dont Rébecca était enceinte, s'entrechoquaient dans son sein, de même les deux peuples que l'Eglise porte dans son sein, sont continuellement en guerre l'un contre l'autre. S'il n'y avait que des méchants dans l'Eglise, ou s'il n'y avait que des bons, il n'y aurait qu'un seul peuple; mais, comme il y a des bons & des méchants, ces deux peuples s'entrechoquent l'un contre l'autre dans le sein de cette Rébecca Spirituelle qu'est l'Eglise : Les superbes & arrogants contre les humbles; ceux qui se livrent aux plaisirs charnels, contre les amis de la pureté; les emportés, contre ceux qui sont doux; les envieux contre les débonnaires; ceux que la cupidité des biens de la terre dévore, contre ceux qui font des oeuvres de miséricorde. Les bons voudraient gagner les méchants, & ceux-ci ne veulent rien moins que se défaire des bons, & les éteindre. Tout le désir des bons est que les méchants se corrigent. Celui des méchants, aucontraire, est de détruire absolument les bons : Cela forme donc, dans le sein de l'Eglise, deux espèces d'hommes bien différents entre eux : les bons & les méchants; ceux qui sont pieux, & les impies. Les premiers s'élèvent vers le Ciel, en s'abaissant, en s'humiliant; les impies s'abîment dans l'Enfer par leur orgueil & leur arrogance. Esaü est la figure de tous ceux qui, dans le sein del'Eglise n'ont que le goût des choses de la terre, les aiment, les recherchent, y mettent toute leur ressource; ( Augustin d'Hippone,Sermon 4. n°31); Esaü est la figure de ceux même qui, ne voudraient servir Dieu que pour être plus honorés & plus riches: Il est clair qu'ils appartiennent , comme Esaü, à la félicitéde la terre. Esaü est donc la figure de tous ces Chrétiens charnels, & Jacob, celle des Spirituels. Dès le Temps de l'Apôtre, il y avait déjà de ces deux espèces de Chrétiens dans l'Eglise. Il en trace lui-même assez en détail les différents caractères: « Il est aisé de connaître les oeuvres de la chair, » dit-il aux Galates, « ce sont la fornication, l'impureté, l'impudicité, la luxure, l'idolâtrie, les empoisonnements, les contestations, les jalousies, les animosités,les querelles, les divisions, les hérésies, les envies, les meurtres, les ivrogneries, les débauches, etc... » (Galat.5.19). Toutes ces oeuvres sont celles d'Esaü, & de ceux dont il est la figure; auxquelles il oppose tout de suite les oeuvres de Jacob, & de ceux qui, comme lui, pratiquent la piété. Mais les Fruits de l'Esprit, dit-il, sont la charité, la joie, la paix, la longanimité, la foy, la bonté, la bienveillance, la modestie, la continence. ( Ibidem.2).


III.


Pour ce qu'il est dit: « L'un de ces peuples surmontera l'autre peuple, & l'aîné servira le plus jeune ».( Aug. Serm. 5.n°. 4 & 5, & sur le Psaume 40, n 9.14). Nous ne voyons point, dans l'Ecriture, que cela ait été accompli en Jacob & Esaü. Nulle part l'Ecriture ne dit qu'Esaü ait servi Jacob. Il faut donc l'entendre Spirituellement. Autrement l'Ecriture n'aurait pas même fait mention de cette circonstance.

En l'entendant donc ainsi, c'est-à-dire Spirituellement, pour peu qu'on y fasse attention, on voit aisément que, soit chez les Juifs, soit chez les Chrétiens, le peuple aîné est assujetti au plus jeune. Ne voyons-nous pas, par exemple, que tout le peuple Juif, qui est l'aîné, sert le peuple Chrétien, qui est le plus jeune; en ce que ce peuple aîné porte, par tout le monde, les livres de la loi de Dieu, pour l'instruction de toutes les Nations. Car, enfin, voulez-vous savoir pourquoi Dieu a dispersé ainsi le peuple Juif par toute la terre? Posez que nous voulions convertir un païen à laFoy, nous lui prouverions que tous les Prophètes ont annoncé Jésus-Christ. Mais, s'il nous répondait que ce n'est pas le Saint Esprit, mais nous-mêmes qui avons composé, après coup, ces livres,que nous décorons du titre de livres de la loi de Dieu, nous avons à cela une réponse sans réplique : Vous doutez de la sincérité de nos livres, lui dirions-nous; eh bien, consultez les livres des Juifs; nous ne pouvons être soupçonnés d'avoir ni composé, ni corrompu leurs livres. Lisez, relisez ces livres des Juifs : vous les trouverez exactement conformes aux nôtres. Ne soyez donc pas incrédule, mais Fidèle. Voilà une des manières en laquelle le peuple aîné sert le plus jeune: Il porte, il fournit les livres dont nous nous servons pour presser le peuple Gentil de croire en Jésus Christ.


IV.


Il y a encore une autre manière en laquelle le peuple âiné sert leplus jeune : Vous n'ignorez pas que les méchants sont utiles aux bons; non en les soulageant, mais en les persécutant. De quelle utilité n'ont pas été les persécuteurs aux Martyrs? Pour vous la représenter, cette utilité, permettez-moi de me servir de comparaisons familières : L'on ne dira pas que le marteau & la lime sont inutiles à l'or; les moulins au froment; les fours aux pains. Mettez de la paille & de l'or dans un creuset : La paille sera consumée, mais l'or n'en sortira que plus pur. Que les méchants donc d'élèvent, qu'ils se glorifient tant qu'ils voudront de leurpuissance, de leur supériorité, & des peines qu'ils font essuyer aux justes. Qui ne voit que ces mêmes passions, qui les portent à affliger les bons dans des choses temporelles, ont déjà d'avance causé la Mort à leurs âmes.

Oui,sans doute, la passion avait déjà donné la Mort à un méchant, avant de le porter à nuire, à fatiguer un juste. Par exemple, un homme violent se met en colère, s'anime de fureur contre un homme doux & pacifique : lui communiquera-t-il le feu de son emportement? Cela est bien douteux; au moins, cela n'est pas encore fait. Mais , il est clair, il est visible que cet homme violent est déjà dévoré par le feu de sa colère. Si donc la douceur & l'onction de l'Esprit Saint, qui réside dans cet homme pacifique, le préserve de cette colère, où l'on s'efforce de le précipiter. Si, possédant son âme par la patience, il conserve la paix & la douceur, qui ne voit alors que ce feu ne nuit & ne consume que celui qu'il dévorait déjà.

Esaü& Jacob naissent en même Temps d'Isaac & de Rébecca, comme le peuple Chrétien est enfanté dans le sein de l'Eglise, par le Baptême de Jésus Christ notre Sauveur : Mais, la diversité des inclinations & des moeurs, ainsi que dans Jacob & dans Esaû, rend les uns charnels, & les autres Spirituels, comme il est aisé de le reconnaître par leurs oeuvres. L'Ecriture ajoute que l'aîné,le plus grand, servira le plus jeune, le plus petit, pour nous figurer que les méchants sont toujours en plus grand nombre que les bons : Enfin, comme ces deux jumeaux s'entrechoquaient dans le sein de Rébecca jusqu'à leur naissance, ainsi ces deux espèces de Chrétiens ne cesseront d'être opposés les uns aux autres jusqu'au Jugement. Jusques-là, les superbes & les arrogants seront opposés aux humbles, comme je vous le disais tout à l'heure; les sensuels, qui se livrent aux plaisirs de la chair, le seront à ceux dont la conduite est pure; les ivrognes, dont le nombre est si grand, se riront de ceux qui sont sobres; les envieux feront la guerre à ceux qui sont doux & débonnaires ; les ravisseurs du bien d'autrui, à ceux qui donnent le leur propre en aumône; les emportés examineraient volontiers ceux qui sont doux & pacifiques; enfin, ceux qui sont livrés aux plaisirs & aux biens de la terre, voudraient rendre semblables à eux ceux qui ne goûtent, qui ne soupirent, qui ne travaillent que pour acquérir les biens du Ciel.
Je vous prie donc, mes très chers frères, je supplie principalement ceux qui se sentent assujettis à ces passions, coupables de ces péchés, il est encore Temps, je les supplie de s'appliquer sérieusement, avec la Grâce de Dieu, à renoncer véritablement à ces passions & à leurs oeuvres déréglées, à se revêtir promptement des ornements de la Vertu, en en pratiquant les oeuvres, en un mot, à passer de la gauche à la droite, étant le seul moyen de se préserver de cette terrible sentence, que le souverain Juge prononcera au dernier jour, & de mériter d'entendre de sa bouche cette invitation amoureuse : "Courage, bon serviteur, entre dans la Joie de ton Seigneur".
( Matth. 25.21). Je vous avertis cependant, mes frères, & vous conjure instamment de venir aux prières des mâtines, & plus tôt que de coutume; d'être Fidèles à vous assembler pour les prières des Heures: celles de la troisième, de la sixième, & de la neuvième heure; de garder surtout la continence, pendant tout le Carême, & jusqu'à la fin des fêtes de Pâque, même avec vos propres épouses; de donner aux pauvres ce qui, dans un autre Temps, servirait à votre dîner; de vivre en paix les uns avec les autres; & de rétablir cette même paix entre ceux que vous sauriez être en division; de recevoir les étrangers & les voyageurs; de leur laver les pieds bien volontiers: Un Chrétien pourrait-il rougir d'accomplir une oeuvre dont Jésus Christ n'a pas dédaigné nous donner l'exemple? Donnez de bon coeur l'aumône aux pauvres, chacun selon vos facultés. Car Dieu aime celui qui donne avec joie. ( 2.Cor.9.7). Si vous ne pouvez pas abandonner absolument les affaires & les embarras de ce monde, au moins, modérez-les en quelque chose, pour vous ménager un Temps que vous employez à la lecture des Livres Saints & à la Prière; afin de mettre en réserve, dans le secret de vos saintes âmes, une plus grande abondance de la Parole de Dieu, comme un nectar Spirituel; & que, séparés, éloignés de tout crime & de tout péché, vous puissiez servir Dieu avec une conscience libre, pure, & sans reproches; & qu'observant enfin les règles de la charité, aussi bien avec les méchants qu'avec les bons, vous puissiez, à la sainte solennité de Pâque, vous approcher, avec une Sainte Joie, de l'Autel du Seigneur, y porter la pureté de coeur & de corps convenable, & mériter d'y recevoir son corps & son sang, non pour le Jugement & la condamnation d'aucun de vous, mais pour votre Sanctification. Je Prie notre Seigneur Jésus Christ de vous accorder cette grâce, lui à qui appartiennent toute Gloire, Honneur, & Puissance, avec le Père & le Saint Esprit, dans les siècles des siècles. Amin.

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