samedi 24 décembre 2011

Bienheureux Père Wladimir Guettée : De la papauté.

Bienheureux Père Wladimir Guettée.

De la papauté.

Première partie : La papauté Schismatique.

Deuxième partie: La papauté Hérétique.

Textes choisis & présentés par feu Père Patric Ranson.

Ed. de l'Age d'Homme.

Introduction
de feu Père Patric Ranson.

Guettée
ou
Le retour à l'Orthodoxie.


« J'étudiai la papauté non dans les livres de ses adversaires, mais dans ceux de ses défenseurs, les Bellarmin, les Zaccharia, & tant d'autres. Comme ils prétendaient que la papauté a pour fondement la Tradition Universelle, je contrôlai tous les Textes des Pères & des Conciles qu'ils ont cités. Je trouvai que tous les textes cités par eux étaient faux, tronqués, détournés de leur vrai sens. Je dus en conclure que la papauté n'était qu'une institution fondée sur le mensonge. »
Ainsi, dans ses Souvenirs d'un prêtre Romain devenu Prêtre Orthodoxe, Guettée résume-t-il son oeuvre & sa vie, celle d'un prêtre catholique romain, d'un savant historien gallican, conduit par ses recherches sur l'Eglise de France à une critique méthodique de l'institution & des dogmes de la papauté.
Héritier de la protestation gallicane contre l'extension du pouvoir des papes sur les Eglises locales, Guettée lui donne une force nouvelle en remontant aux causes profondes de l'institution de la paputé : L'introduction de dogmes nouveaux & inconnus jusque là dans l'Eglise.
Après avoir réuni ses recherches en plus de quarante volumes historiques, & pour rester fidèle à la Tradition Apostolique, Patristique, Originelle, & Universelle, de l'Eglise, Guettée devint Orthodoxe, & fut, durant presque trente ans, Prêtre de l'Eglise russe à Paris. - L'église que desservait le Père Wladimir Guettée était la chapelle de l'ambassade de Russie, rue de Grenelle-. Ce cheminement, & la rigueur, voire l'intransigeance en matière de dogme qu'il implique, lui valut une multitude d'ennemis, surtout dans les milieux alors triomphants de l'ultramontanisme & du légitimisme.
Les historiens catholiques, longtemps influencés par les polémiques qui entourèrent le concile de Vatican I, ont dédaigné ses ouvrages. D'autre part, le manichéisme qui régnait sur les questions religieuses durant la troisième république a empêché qu'un historien laïc ou indépendant s'intéressât à notre auteur. Pourtant, l'Oeuvre du premier grand écrivain Orthodoxe d'Occident qui ait fleuri depuis le Xème siècle, a exercé, dans sa solitude, une influence directe ou indirecte sur des courants de pensée aussi divers que le gallicanisme, le jansénisme, le vieux-catholicisme, le christianisme libéral, & même l'oecuménisme. Comme historien, il devance bien des prétendues découvertes de notre siècle, en particulier celle de Dvornik sur Saint Photios de Constantinople en son Schisme de Photios. Littérairement, il est probable qu'il ait inspiré Dostoïevsky pour sa légende du grand Inquisiteur. Pour ces raisons diverses, une réédition choisie de son oeuvre s'imposait, qui puisse encourager théologiens & universitaires à relire un de nos plus grands historiens, dont nous esquissons brièvement la vie & la pensée.
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PREMIERE PARTIE.


LA PAPAUTE SCHISMATIQUE.


CHAPITRE I.

L'AUTORITE PAPALE CONDAMNEE
PAR LA PAROLE DE DIEU.


(p.35)

L'Evêque de Rome n'a point possédé pendant les huit premiers siècles, l'autorité DE DROIT DIVIN qu'il a voulu exercer depuis.
Ce sont les prétentions de l'Evêque de Rome à la souveraineté DE DROIT DIVIN sur toute l'Eglise qui ont été la vraie cause de la division.
Nous allons exposer les preuves à l'appui de ces conclusions. Mais avant de les présenter, nous croyons utile d'interroger la Sainte Ecriture, & d'examiner si les prétentions de l'Evêque de Rome à la souveraineté universelle de l'Eglise ont, comme il l'affirme, leur fondement dans la Parole de Dieu.
L'Eglise, selon Saint Paul, est un temple, un édifice religieux, dont tous les fidèles sont les pierres. « Vous êtes, dit-il aux fidèles d'Ephèse ( II, 20; X, 22), vous êtes construits sur le fondement des Apôtres & des Prophètes; & c'est Jésus-Christ qui est la pierre angulaire de l'édifice; c'est sur lui que l'édifice entier repose & s'élève, pour devenir un temple consacré au Seigneur; c'est sur Lui que vous êtes élevés comme un édifice spirituel que Dieu habite. »
Ainsi, d'après Saint Paul, l'Eglise est la société de tous les Fidèles de l'Ancien comme du Nouveau Testament; les premiers, instruits par les Prophètes, & les seconds, instruits par les Apôtres, forment ensemble un édifice spirituel, ayant pour base Jésus-Christ, attendu par les uns comme le Messie, adoré par les autres comme le Verbe Divin revêtu de l'humanité. Les Prophètes & les Apôtres forment les premières assises de l'édifice Mystique; les Fidèles s'élèvent sur ces bases & forment l'édifice lui-même; enfin, Jésus-Christ est la pierre principale, la pierre de l'angle, qui donne au monument sa solidité.
Il n'y a pas d'autre pierre fondamentale ou principale que Jésus-Christ. « Personne, » écrit Saint Paul aux Corinthiens ( I ad Corinth., III, 11), « personne ne peut poser d'autre fondement que celui qui a été posé, lequel est Jésus-Christ. » Paul donnait aux Corinthiens cette leçon, parce que, parmi eux, plusieurs s'attachaient aux prédicateurs de l'Evangile comme s'ils eussent été la pierre (angulaire) de l'Eglise : « J'ai été informé, » leur dit-il, « qu'il y a des contestations parmi vous. L'un dit : « Je suis à Paul »; l'autre : « Je suis à Apllo »; un troisième : « Je suis à Pierre »; un autre : « Je suis au Christ. » Est-ce que Christ est divisé? Est-ce que Paul a été crucifié pour vous? »
(p.36)
Pierre lui-même ne pouvait être, selon Saint Paul, regardé comme la pierre fondamentale de l'Eglise, comme le premier « vicaire » de Jésus-Christ, non plus que lui-même, ni Apollo, Pierre, & tous les autres Apôtres ou hommes Apostoliques, n'étaient, à ses yeux, que des ministres de Jésus-Christ, les premières assises de l'édifice mystique.
Saint Paul compare encore l'Eglise à un corps dont Jésus-Christ est la tête, & dont les membres sont les Prêtres & les Fidèles.
« Le Christ, » dit-il ( Eph.,IV, 11-16), a établi, les uns Apôtres, les autres Prophètes,les autres Evangélistes, les autres Prêtres ou Docteurs, afin que par l'Oeuvre du Ministère, ils travaillent à la construction du Corps de Jésus-Christ, jusqu'à ce que nous parvenions tous à l'unité dans la Foy & dans la Connaissance du Fils de Dieu, à l'état d'Homme Parfait, c'est-à-dire à la taille & à l'âge où le Christ sera pleinement formé en nous; afin que nous ne soyons plus, comme des enfants, flottants, ballottés par tout vent de doctrine, & par les artifices qu'emploient les hommes mauvais pour entraîner dans l'erreur, mais que nous agissions, au contraire, selon la Vérité, dans la Charité, & que nous grandissions, sous tous les rapports, dans le Christ, qui est la tête d'où le corps entier, dont les membres sont liés & unis avec de si justes proportions, reçoit le Principe de Vie, lequel Christ donne à chaque membre la force qui lui est nécessaire pour la fonction qui lui est propre, & au corps entier un accroissement qui a sa Perfection dans l'Amour de charité. »
Il n'y a donc qu'une Eglise, dont Jésus-Christ est le chef, qui est composée des Fidèles, aussi bien que des Prêtres, & au sein de laquelle les Prêtres travaillent à développer la Vie Chrétienne, ou la Charité, qui en est le résumé, par les divers Ministères qui lui sont confiés.
Aperçoit-on, dans ces notions de l'Eglise, une monarchie gouvernée par un pontife-souverain, absolu & infaillible?
Or, c'est l'Eglise, ainsi entendue dans son unité & son universalité, que Saint Paul regarde comme dépositaire de l'Enseignement Divin; c'est elle qu'il appelle la colonne & le fondement de la Vérité. ( I ad Timoth., III, 15).
Saint Pierre, dont les théologiens catholiques romains veulent faire le premier souverain absolu de l'Eglise, n'a pas eu la moindre idée des hautes prérogatives dont ils le gratifient, & qu'ils accordent si libéralement aux évêques de Rome, comme à ses successeurs. En s'adressant aux chefs de l'Eglise, il s'exprime ainsi ( I Epist. V, 1 & sq.) : « Je m'adresse à vous, qui êtes Prêtres, moi qui suis votre collègue dans le sacerdoce, & témoin des souffrances du Christ, & qui ai été confident de la Gloire qui sera un jour manifestée; paissez le troupeau de Dieu qui est avec vous, le conduisant, non avec violence, mais avec douceur, selon Dieu; non point pour un gain honteux, mais, sans intérêt; non pas en dominant sur l'héritage du Seigneur, mais en vous rendant le modèle du troupeau par votre vertu sincère; alors, lorsque le Prince des pasteurs apparaîtra, vous recevrez une couronne de Gloire qui ne se flétrira jamais. »
Saint Pierre ne connaissait qu'un Prince des Prêtres, Jésus-Christ. Quant à lui, il était le collègue des autres Prêtres par son Sacerdoce; il ne parle ni de sa primauté, ni de sa souveraineté.
(P.37).
Il ne s'élève pas au-dessus des autres Prêtres de l'Eglise, auxquels il s'adresse, au contraire, comme à ses frères & à ses égaux, ne s'appuyant, pour leur donner des conseils, que sur son titre de TEMOIN des souffrances de Jésus-Christ & de Sa Gloire future, qui lui avait été révélée sur le Thabor. Nous n'avons rencontré, dans les Saintes Ecritures, aucun texte relatif au sujet qui nous occupe, où Jésus-Christ ne soit considéré comme l'unique chef de toute l'Eglise, & où l'Eglise ne soit pas envisagée comme un tout, UN & identique, composée des Fidèles aussi bien que des Prêtres.
Ces Prêtres ont reçu de Jésus-Christ les pouvoirs nécessaires pour le bon gouvernement de l'Eglise, on ne peut le contester; l'on ne peut nier non plus que les pouvoirs donnés aux Apôtres ne l'aient été à leurs légitimes successeurs; car l'Eglise & le corps des Prêtres devaient, dans la Pensée de Jésus-Christ, se perpétuer dans tous les siècles. Avant de quitter la terre, Jésus-Christ dit à Ses Apôtres : « Allez, enseignez toutes les nations; baptisez-les, au nom du Père, du Fils, & du Saint- Esprit; apprenez-leur à observer tous mes commandements. Voici que je suis avec vous jusqu'à la fin du monde. » ( Matth., XXVIII, 19-20).
Ce pouvoir, donné d’une manière générale aux Apôtres, Jésus-Christ l’avait promis à Saint Pierre en particulier, & dans les mêmes termes. C’est une des preuves que les papes apportent à l’appui de leur théorie d’un pouvoir spécial & supérieur que Pierre aurait reçu de Jésus-Christ, & qu’il leur aurait transmis. Mais, ils ne remarquent pas que ce pouvoir fut donné à tous, qu’il ne fut pas promis à Pierre PERSONNELLEMENT, mais à tous les Apôtres dans sa personne : c’est l’observation de Saint Cyprien & de la plupart des Pères de l’Eglise. Les catholiques romains citent encore d’autres textes à l’appui de cette théorie. Nous allons les discuter. Voici le premier :
« Tu es Pierre, & sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, & les portes de l’Enfer ne prévaudront pas contre elle. » ( Matth., XVI, 18-19).
Si nous en croyons les papes, ce texte prouve que Saint Pierre, & les Evêques de Rome ses successeurs, ont été établis par Jésus-Christ comme la pierre fondamentale de l’Eglise, & que l’erreur, figurée par les portes de l’Enfer, ne prévaudra jamais contre cette pierre. De là, ils tirent cette conséquence : qu’ils sont les chefs souverains de l’Eglise.
Pour que ce raisonnement fût exact, il faudrait que Saint Pierre eût été, à l’exclusion des autres Apôtres, établi pierre fondamentale de l’Eglise, & que ce privilège ne lui êut pas été personnel, mais qu’il eût passé aux Evêques de Rome.
Il n’en est point ainsi.
D’abord, Saint Pierre n’a pas été nommé pierre de l’Eglise à l’exclusion des autres Apôtres. Il n’a pas été institué le chef absolu. Nous en voyons une preuve dans le texte de Saint Paul cité plus haut, & dans lequel cet Apôtre affirme positivement que les pierres fondamentales de l’Eglise sont les Prophètes & les Apôtres, joint ensemble par la pierre angulaire, qui est Jésus Christ.
On ne peut donner à Saint Pierre le titre de pierre de l’Eglise sans forcer le sens des Saintes Ecritures, sans détruire l’économie de l’Eglise, & sans abandonner la Tradition Universelle. Jésus-Christ a déclaré qu’il était Lui-même cette pierre, désignée par les Prophètes ( Matt., XXI, 42 ; Luc, XX, 17-18). Saint Paul dit que « Jésus-Christ était la pierre » ( I ad Corinth., X.4). Saint Pierre enseigne la même Vérité ( I Ep., II, 7, 8).
Ainsi, la plupart des Pères de l’Eglise n’ont-ils point admis le jeu de mots que les ultramontains prêtent à Jésus-Christ, & n’ont-ils point appliqué à Saint Pierre ces paroles : « Et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. » Pour être convaincu que leur interprétation est la plus vraie, il suffit de se rappeler les circonstances dans lesquelles Jésus-Christ a adressé à Saint Pierre les paroles dont les théologiens catholiques romains abusent. Il avait dit à Ses Disciples : « Que dit-on du Fils de l’Homme ? » Les Disciples avaient répondu : « Les uns disent qu’Il est Jean-Baptiste, les autres Elie, d’autres Jérémie, ou un autre Prophète.- Et vous, repartit Jésus, qui croyez-vous que je sois ? » Simon-Pierre, prenant la parole, dit : « Tu es le Christ, Fils du Dieu Vivant. » Jésus lui répondit : « Tu es Bienheureux, Simon, fils de Jonas ; car ce n’est ni la chair, ni le sang qui t’a révélé cela, mais mon Père, qui est dans les Cieux ; je te dis donc, parce que tu es Pierre, que sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, etc… »
Ces Paroles ne signifient pas autre chose que ceci : Je te dis donc à toi, que j’ai surnommé Pierre à cause de la fermeté de ta Foy, je te dis que la Vérité que tu viens de professer est la pierre fondamentale de l’Eglise, & que l’Erreur ne prévaudra jamais contre elle.
Comme le fait remarquer le Bienheureux Augustin, il n’a pas été dit à Simon, fils de Jean : Tu es la pierre, mais : tu es pierre. Les paroles d’Augustin méritent de fixer l’attention : « Ce n’est pas, dit-il, sur toi qui es pierre, mais sur la pierre que tu as confessée…tu es pierre, & sur cette pierre que tu as confessée, sur cette pierre que tu as reconnue en disant : Tu es le Christ Fils du Dieu Vivant, sur cette pierre je bâtirai mon Eglise. Je te construirai sur moi, je ne serai pas construit sur toi. Ceux qui voulaient être construits sur des hommes disaient : Moi, je suis à Paul, moi à Apollo, moi à Céphas, c’est-à-dire à Pierre ; mais ceux qui ne voulaient pas être construits sur Pierre, mais sur la pierre, disaient : Moi je suis au Christ. » Dans la langue française, le nom donné à l’homme ayant la même désinence que celui de la chose, il y a une amphibologie qui ne se trouve ni dans le grec, ni dans le latin. Dans ces langues, le nom de l’homme a la désinence masculine, tandis que le nom de la chose a la désinence féminine, ce qui rend plus facile la distinction des deux objets que Jésus-Christ avait en vue ; de plus, il est facile de remarquer, dans ces deux langues, à l’aide du pronom & de l’article féminin qui précèdent le mot la pierre, que ces mots ne se rapportent pas au substantif masculin qui désigne l’homme, mais à un autre objet. On n’a pas assez remarqué, en outre, le mot grec hoti, que le latin a rendu fort exactement par le mot quia, & qui signifie parce que. En le traduisant ainsi en français, l’on évite l’amphibologie sur laquelle porte tout le raisonnement des papes & de leurs partisans.
(P.39).
Il est plusieurs fois parlé, dans les Saintes Ecritures, de la pierre, d’une manière figurative. Ce mot désigne toujours Jésus-Christ, & jamais, ni de près ni de loin, Saint Pierre. Le meilleur interprète de l’Ecriture est l’Ecriture elle-même. C’est donc avec raison que l’immense majorité des Pères & des Docteurs d’entre les Anciens, ont donné au passage en question l’interprétation que nous avons exposée, en faisant rapporter, soit à Jésus-Christ, soit à la Foy en Sa Divinité, le mot de pierre dont le Sauveur s’est servi. Cette interprétation a le triple avantage d’être plus conforme au texte, de mieux s’accorder avec les autres passages de l’Ecriture Sainte, & de ne point attribuer à Jésus-Christ un jeu de mots peu digne de lui.
Parmi les Pères qui ont donné cette interprétation au fameux passage : « Tu es Petrus » - Tu es Pierre-, nous nommerons : Saint Hilaire de Poitiers, De la Trinité, liv.6 ; Saint Grégoire de Nysse, De l’Avènement de notre Seigneur ; Saint Ambroise, liv.6 sur le chap.IX de Saint Luc, & sur le chap.II de l’Epître aux Ephésiens ; Saint Jérôme sur le verset 18 du chap.XVI de Saint Matthieu ; Saint Jean Chrysostome, Homélies 55 & 83 sur Saint Matthieu, & sur le chap.I de l’Epître aux Galates ; Augustin d’Hippone, Traités 7 & 123 sur Saint Jean, Sermon XIII sur les Paroles du Seigneur tirées de Saint Matthieu, liv.I des Rétractations ; Acace, homélie prononcée au Concile d’Ephèse ; Saint Cyrille d’Alexandrie, liv.IV sur Isaïe, liv. IV de la Trinité ; Saint Léon Ier, sermons 2 & 3 Sur son élévation à l’Episcopat, sermon sur la Transfiguration de Notre Seigneur, sermon 2 sur la nativité des Apôtres Pierre & Paul, Saint Grégoire le Grand, liv.3, épit.33 ; Saint Jean Damascène, Discours sur la Transfiguration de notre Seigneur.
Quant au petit nombre d’anciens écrivains qui admettent ce jeu de mots, il faut reconnaître qu’aucun d’entre eux n’a interprété le texte d’une manière favorable à la souveraineté papale, & n’en a tiré les conséquences exagérées de ce système. Ces conséquences sont diamétralement opposées à l’ensemble de leur doctrine.
Il est vrai que Jésus-Christ s’est adressé à Pierre directement ; mais il suffit de lire le texte en entier pour voir qu’il ne lui a pas donné pour cela un titre à l’exclusion des autres Apôtres. En effet, après avoir prononcé les paroles citées plus haut, Jésus-Christ, s’adressant toujours à Pierre, ajouta :
« Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux ; tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le Ciel. » Dans les deux premières parties du texte, Jésus-Christ ne fit à Pierre que deux promesses : la première, que l’Eglise serait si solidement établie dans la croyance à la Divinité à Sa Personne, que l’erreur ne prévaudrait jamais contre cette Vérité ; la seconde, qu’il donnerait à Pierre un Ministère important dans l’Eglise.
L’on ne peut soutenir que le pouvoir des clefs ait été accordé à Pierre à l’exclusion des autres Apôtres, car Jésus-Christ le leur donna à tous, dans le même Temps, & en employant les mêmes termes dont il s’était servi en le promettant à Pierre ( Matth., XVIII, 18) ; de plus, il a promis à tous les Apôtres collectivement, & non pas seulement à Pierre, d’être avec eux jusqu’à la fin du monde.
(P.40).
« Jésus, dit Saint Matthieu ( Matth., XXVIII, 18 & sq), s’approchant de Ses Apôtres, leur dit : « Toute Puissance m’a été donnée, dans le Ciel & sur la terre ; allez donc, instruisez toutes les nations, leur apprenant à observer ce que je vous ai enjoint. Voici que je suis avec vous, tous les jours , jusqu’à la consommation des siècles. »
Nous lisons dans Saint Jean ( Joann., XX, 21 & sq) : « Comme mon Père m’a envoyé, je vous envoie. » Après avoir dit ces Paroles, Il Souffla sur eux & leur dit : « Recevez le Saint-Esprit ; les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, & ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez. »
Evidemment, Jésus-Christ a donné à Ses Apôtres collectivement les prérogatives qu’Il avait promises à Pierre. La promesse faite à Pierre a été réalisée à l’égard du corps des Apôtres & de leurs successeurs les Evêques, ce qui prouve que Jésus-Christ ne parlait à Pierre que comme représentant ses collègues, comme étant la figure du corps apostolique. C’est ainsi qu’ont interprété ce texte : Origène, Sur Saint Matthieu ; Saint Cyprien, De l’unité de l’Eglise ; Augustin d’Hippone, Traités 50 & 118 sur Saint Jean ; Sermon 205 sur la nativité des Apôtres Pierre & Paul ; Saint Ambroise, Sur le psaume 38 ; Saint Pacien, Lettre III à Sempronius.
Mais, de ce qu’Il s’est adressé à lui seul dans une circonstance solennelle, ne doit-on pas conclure qu’Il lui a donné des prérogatives d’une manière spéciale & supérieure ?
Il faut remarquer que l’on ne voit pas dans l’Evangile qu’Il ait réalisé, à l’égard de Saint Pierre seul, la promesse qu’il lui avait faite. Pierre n’a reçu ce pouvoir qu’avec les autres Apôtres. Cependant, si, dans les desseins de Jésus-Christ, il devait y avoir, dans Son Eglise, un chef suprême & absolu, cette institution eût été assez importante pour qu’il fût fait, dans les Saints Livres, une mention particulière du moment où Jésus-Christ aurait délégué à ce chef suprême des pouvoirs supérieurs. Or l’on voit, au contraire, que l’assistance spéciale pour la conservation de la Vérité Révélée, aussi bien que le pouvoir des clefs, n’ont été donnés à Pierre que collectivement avec ses collègues de l’Apostolat.
Saint Paul n’a pas plus connu que les Evangélistes les pouvoirs suprêmes qui auraient été donnés à Saint Pierre. Outre les Textes que nous avons déjà cités, nous lisons dans l’Epître aux Galates ( XI,7,8,9) que Paul s’attribue à lui-même, parmi les Gentils, le même pouvoir qu’avait Pierre parmi les Juifs, & qu’il ne regardait pas Pierre comme supérieur à Jacques & à Jean, qu’il appelle, comme lui, les colonnes de l’Eglise ; il nomme même Jacques, Evêque de Jérusalem, avant Pierre, lorsqu’il leur donne ce titre de colonnes de l’Eglise ; il croyait si peu à l’autorité de Pierre, qu’il le reprit en face, parce que, dit-il, il était répréhensible.(Ibidem., 11 & sq).
Lorsque les Apôtres s’assemblèrent à Jérusalem, Pierre ne parla dans le Concile que comme un simple membre de l’assemblée, non pas le premier, mais après plusieurs autres. Il se crut obligé de renoncer publiquement, en présence des autres Apôtres, des Anciens, & des Fidèles, à son opinion sur la nécessité de la circoncision & des cérémonies judaïques. Jacques, Evêque de Jérusalem, fit le résumé de la discussion, décréta la résolution qui fut adoptée, & agit en véritable président de l’assemblée. ( Actes des Apôtres, XV, 7 & sq.).
(P.41).
Les Apôtres n’ont donc point considéré Saint Pierre comme la pierre fondamentale de l’Eglise. Par conséquent, l’interprétation papale du fameux texte : Tu es Petrus, est aussi contraire à l’Ecriture Sainte qu’à la Tradition Universelle.
Nous ne voyons aucune objection sérieuse à faire à la manière dont nous l’avons entendu. Notre interprétation ressort nécessairement de la comparaison des divers textes de l’Ecriture relatifs au même sujet. Au point de vue universel ou traditionnel, elle présente toutes les garanties ; enfin, le texte, considéré en lui-même, ne peut recevoir d’autre sens légitime. De la simple lecture du passage, il résulte que le Sauveur avait pour but principal de concentrer sur lui & sur sa mission divine toute l’attention de ses Disciples ; sa divinité est l’idée à laquelle se rapportent évidemment ses questions & la réponse de Pierre : la conclusion devait donc se rapporter à cette idée ; l’on ne peut appliquer à Saint Pierre, comme chef de l’Eglise, cette conclusion sans prétendre que Jésus-Christ, après avoir parlé de Sa Divinité, en tirerait pour conséquence le pouvoir pontifical, qui est une idée essentiellement différente.
Voyons maintenant si les autres textes cités par les théologiens catholiques romains en faveur de l’autorité papale prouvent que Jésus-Christ a véritablement établi cette autorité dans son Eglise.
Ils s’appuient sur ce passage de l’Evangile de Saint Luc : « Simon, Simon, Satan a demandé à vous passer au crible, comme on crible le froment ; mais j’ai Prié pour toi, afin que ta Foy ne défaille point : lors donc que tu seras converti, fortifie tes frères » (Luc, XXII, 31 & sq.)
Jésus-Christ s’adresse aux Apôtres dans la personne de Simon, surnommé Pierre. Il dit que Satan a demandé la permission de les cribler, c’est-à-dire de soumettre leur Foy à de rudes épreuves. Il faut remarquer dans le texte le terme « vous », en latin « vos », en grec, « humas ». Satan n’a pas obtenu la permission qu’il demandait. Les Apôtres ne perdront pas la Foy en présence des tentations que leur feront éprouver les souffrances & la Mort ignominieuse de leur Maître ; Pierre seul, en punition de sa présomption, succombera & reniera son Maître par trois fois. Mais, grâce à une Prière instante du Sauveur, il reviendra à résipiscence. Il aura alors un grand devoir à remplir à l’égard de ses frères scandalisés de sa chute : celui de les fortifier, & de réparer, par son zèle & sa Foy, la chute qu’il aura commise.
On ne conçoit vraiment pas comment les papes ont pu avoir recours à ce passage de Saint Luc pour établir leur système. Il faut remarquer que les paroles citées ont été adressées par Jésus-Christ à Saint Pierre le jour même om il devait le renier, & qu’elles ne contiennent que la prédiction de sa chute. Saint Pierre le comprit bien ainsi, puisqu’il répondit aussitôt à Jésus-Christ : « Seigneur, je suis tout prêt à aller avec toi en prison, & même à la Mort. » Mais, Jésus ajouta : « Pierre, je te le déclare, aujourd’hui même le coq ne chantera pas que tu ne m’aies renié trois fois. »
(P.42).
Le texte de l’Evangile de Saint Luc prouverait plutôt contre la fermeté de la Foy de Saint Pierre qu’en faveur de cette fermeté ; à plus forte raison ne peut-on en tirer aucune conséquence en faveur de sa supériorité en matière de doctrine ou de gouvernement. Aussi, les Pères de l’Eglise & les plus doctes interprètes des Saintes Ecritures n’ont-ils jamais songé à lui donner une pareille interprétation ; à part les papes modernes & leurs partisans ultramontains, qui veulent à tout prix se procurer des preuves, bonnes ou mauvaises, personne n’a vu dans les paroles citées ci-dessus qu’un avertissement donné à Pierre de réparer par sa Foy le scandale de sa chute & d’affermir les autres Apôtres, que sa chute ne pouvait qu’ébranler. - On ne trouve, jusqu’au neuvième siècle, aucun Père ni écrivain ecclésiastique qui ait admis l’interprétation ultramontaine-. Pour Pierre, l’obligation d’affermir découlait de ce scandale ; les mots « confirma fratres » ne sont que la conséquence du mot « conversus » ; si l’on veut donner aux premiers un sens général, pourquoi ne le donne-t-on pas aussi au second. Il en résulterait que, si les successeurs de Pierre ont hérité de la prérogative de confirmer leurs frères dans la Foy, ils auraient aussi hérité de celle d’avoir besoin de conversion, après avoir renié Jésus-Christ ; nous ne voyons pas ce que l’autorité pontificale pourrait y gagner.
Les papes, qui ont trouvé une si singulière preuve à l’appui de leurs prétentions dans les versets 31 & 32 du chapitre XXII de Saint Luc, se sont bien gardés de citer les versets qui les précèdent.
L’Evangéliste y raconte qu’il s’éleva entre les Apôtres une discussion pour savoir lequel d’entre eux devait être considéré comme le plus grand. Les fameuses paroles : « Tu es Petrus » étaient déjà prononcées alors, ce qui prouverait que les Apôtres ne les avaient point comprises comme les papes modernes. La veille même de la Mort de Jésus-Christ, ils ignoraient qu’il eût choisi Pierre pour être le premier d’entre eux & la pierre fondamentale de l’Eglise. Jésus-Christ intervient dans la discussion. C’était pour Lui une excellente occasion de relever le pouvoir de Pierre ; il était Temps qu’Il le fît, puisqu’Il allait être mis à Mort. L’a-t-Il fait ? Non seulement le Sauveur ne reconnut pas la supériorité qu’Il aurait promise à Pierre, mais Il donna à Ses Apôtres une leçon toute contraire, en disant : « Les rois des nations dominent sur elles, & ceux qui exercent sur elles le pouvoir sont appelés leurs bienfaiteurs. Qu’il n’en soit pas ainsi parmi vous ; mais que celui qui est le plus grand parmi vous soit comme le plus petit, & que celui qui gouverne soit comme celui qui sert. »
En rapprochant le récit de Saint Luc de celui de Saint Matthieu, on voit que la discussion élevée entre les Apôtres avait été occasionnée par une demande que la mère des Apôtres Jacques & Jean avait adressée à Jésus-Christ en faveur de ses enfants. Elle avait sollicité pour eux les deux premières places dans Son Royaume. Jésus-Christ ne lui répondit point qu’Il avait donné la première place à Pierre. Cette réponse eût été cependant bien naturelle, & même nécessaire, si Saint Pierre eût en effet été revêtu d’une autorité supérieure. Les dix autres Apôtres furent indignés de la demande ambitieuse que Jacques & Jean avaient faite par l’entremise de leur mère ;
(P.43).
Ils agitèrent entre eux la question de supériorité ; Jésus-Christ leur donna alors la leçon que nous avons rapportée, & qui précède immédiatement le texte sur lequel les théologiens catholiques romains prétendent appuyer leur système ( Matth., XX, 20 & sq.).
L’on peut apprécier, d’après le contexte, la valeur de leur prétendue preuve.
Ils citent encore en leur faveur ce passage de l’Evangile de Saint Jean ( XXI, 15 & sq.) :
« Jésus dit à Simon Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? » Il lui répondit : « Oui, Seigneur, Tu sais que je T’aime. » Jésus lui dit : « Pais mes agneaux. » Il lui demanda pour la troisième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? » Simon fut attristé de ce qu’Il lui avait demandé par trois fois : « M’aimes-tu ? », & il lui répondit : « Seigneur, Tu sais tout ; Tu sais que je T’aime. » Jésus lui dit : « Pais mes brebis. »
Les théologiens catholiques romains raisonnent ainsi d’après ce texte :
« Jésus-Christ a donné à Saint Pierre, d’une manière générale, le soin de paître ses agneaux & ses brebis ; or, les agneaux sont les fidèles, & les brebis sont les pasteurs ; donc Pierre &, en sa personne, ses successeurs ont reçu un pouvoir suprêmes sur les pasteurs & sur les fidèles. »
Pour que ce raisonnement fût juste, il faudrait prouver :1°) que la fonction confiée à Pierre ne l’a pas été aussi aux autres pasteurs de l’Eglise ; 2°) que les agneaux désignent les fidèles & les brebis les pasteurs.
Or, Saint Pierre lui-même nous apprend que tous les pasteurs de l’Eglise ont reçu le Ministère de paître le troupeau du Seigneur. Nous avons déjà cité le passage de sa première épître, dans lequel il dit à tous ceux qui étaient à la tête des différentes Eglises : » Paissez le troupeau de Dieu qui vous a été confié. » ( I, Pierre, V, 2).
La solennité avec laquelle Jésus-Christ donne cette fonction à Pierre ne signifie-t-elle pas qu’il la posséda d’une manière supérieure ? Rien ne le prouve. Les Pères de l’Eglise & les plus savants commentateurs n’ont jamais vu dans la triple attestation d’Amour que Jésus-Christ exigea de Pierre que l’expiation de son triple reniement. Pierre lui-même n’y vit pas autre chose, puisqu’il en fut attristé. S’il eût compris que Jésus-Christ lui concédait des pouvoirs supérieurs, il se fût plutôt réjoui qu’attristé des paroles qui lui étaient adressées ; mais il fut convaincu que le Sauveur lui demandait une triple déclaration publique de sa fidélité avant de le réhabiliter parmi les pasteurs de son troupeau, parce qu’il avait donné lieu à de légitimes soupçons en reniant son Maître. Jésus-Christ ne devait s’adresser qu’à lui, puisqu’il était le seul qui se fût rendu coupable de ce crime.
Maintenant, les agneaux désignent-ils les fidèles, & les brebis les pasteurs ? Cette interprétation est tout arbitraire ; on ne trouve rien dans la Tradition Universelle qui puisse la confirmer ; au contraire, la Tradition le contredit formellement, & il serait impossible de citer à l’appui un seul Père de l’Eglise.
(P.44).
De plus, cette interprétation n’est point conforme à l’Ecriture. Les mots « agneaux » & « brebis » sont employés indifféremment dans les Saints Livres pour désigner le même objet. Ainsi, nous lisons en Saint Matthieu : « Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. » ( Matth.,X,16). Et en Saint Luc : « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups. » ( Luc, X,3). Le mot de brebis, dans l’Ecriture, désigne les fidèles. On lit dans Ezéchiel : « Mes brebis ont été dispersées parce qu’il n’y avait pas de pasteur. » ( Ezech.,XXIV, 5). Jésus-Christ donne le nom de brebis aux fidèles : « J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie. » Saint Pierre, en s’adressant aux fidèles de Pont, de la Galatie, de Cappadoce, d’Asie, & de Bithynie, leur dit : « Vous étiez comme des brebis errantes, mais vous êtes revenus maintenant au pasteur & à l’évêque de vos âmes. » ( I Epitre de Pierre, II, 25). On ne peut donc être fondé ni à donner un sens différent aux mots brebis & agneaux, ni à interpréter le mot brebis dans le sens de pasteurs.
Si l’on tenait à donner aux deux expressions un sens différent, ne serait-il pas plus naturel d’entendre par agneaux les jeunes fidèles qui ont besoin de soins plus tendres, & par brebis ceux qui sont dans la maturité de l’âge viril, selon la Foy ?
L’interprétation papale de brebis & d’agneaux est tellement dénuée de fondement, qu’un commentateur des Evangiles, qui ne peut être suspect aux théologiens catholiques romains, le jésuite Maldonat, en parle en ces termes : « Il ne faut pas disputer subtilement pour savoir pourquoi Jésus-Christ s’est servi du mot agneaux plutôt que du mot brebis. Celui qui voudrait le faire doit observer avec beaucoup d’attention qu’il apprêtera par là à rire aux hommes doctes ; car il est incontestable que ceux que Jésus-Christ appelle ses agneaux sont les mêmes que ceux qu’Il appelle ses brebis. » ( Comment., in cap.XXI, Joann.,§30).
Saint Pierre n’a donc été institué ni pierre fondamentale de l’Eglise, ni son pasteur suprême.
On ne peut nier cependant qu’une certaine primauté n’ait été accordée à cet Apôtre. Quoiqu’il n’ait pas été le premier, par ordre de date, des Disciples choisis par Jésus-Christ pour Apôtres, il est appelé le premier par Saint Matthieu : Cet Evangéliste, voulant nommer les douze Apôtres, s’exprime ainsi : « Le premier fut Simon, surnommé Pierre, puis André son frère, etc… » ( Matth.X, 2, & sq.). Saint Luc & Saint Marc nomment aussi Saint Pierre le premier, quoiqu’ils ne suivent pas le même ordre en désignant les autres. ( Luc, VI, 13 & sq ; Marc, III, 16 & sq.). En plusieurs occasions, Jésus-Christ donna à Pierre des marques d’une considération toute particulière ; son surnom de Pierre, sans avoir toute l’importance qu’y attachent les théologiens catholiques romains, ne lui fut cependant donné que pour désigner la fermeté de sa Foy, & dans le but de l’honorer. Ordinairement, Pierre était le premier qui prenait la parole pour interroger Jésus-Christ, & pour lui répondre au nom des Apôtres ; les Evangélistes se servent de cette expression : « Pierre & ceux qui étaient avec lui », pour désigner le corps apostolique ( Marc, I, 36 ; Luc, VIII, 45 ; IX, 32). De ces faits, peut-on conclure, comme le Docteur de La Chambre, « que Jésus-Christ avait accordé à Saint Pierre, au-dessus de tous ses collègues dans l’apostolat, une primauté de juridiction & d’autorité dans le gouvernement de l’Eglise ? » ( Traité de l’Eglise, t.1er).
(P.45).
Cette conséquence n’est pas logique : d’abord on peut être le premier dans un corps quelconque sans avoir pour cela juridiction & autorité ; on peut y être, comme l’on dit, « primus inter pares », « premier entre égaux. » Ensuite, Saint Pierre n’est pas toujours nommé le premier dans les Saintes Ecritures ; ainsi, Saint Jean nomme André avant lui ( I, 44) ; Saint Paul ne le nomme qu’après Jacques ( Galates, II, 9) ; il le nomme même après les autres Apôtres & les frères du Seigneur ( I Corinthiens, IX, 5). « Pierre n’a donc été le premier parmi les Apôtres que comme Etienne le fut parmi les diacres. » Ces paroles sont d’Augustin d’Hippone ( sermon 316). Origène ( in Sur Saint Jean), Saint Cyprien ( lettre 71 à Quint), sont du même sentiment qu’Augustin d’Hippone. L’on peut affirmer qu’aucun Père de l’Eglise n’a vu dans la primauté de Pierre un titre à la juridiction, à l’autorité dans le gouvernement de l’Eglise. Ils n’auraient pu tirer cette conséquence sans contredire l’Ecriture elle-même.
Jésus-Christ a défendu à Ses Apôtres de prendre à l’égard les uns des autres, les titres de maître, de docteur, & même de père ou pape. Ses paroles sont formelles ( Matth., XXIII, 7 & sq.) : « Ne vous faites point appeler rabbi, car vous n’avez qu’un Maître, & vous êtes tous frères ; ne donnez à personne sur la terre le nom de père ; vous n’avez qu’un Père, qui est dans les Cieux ; ne vous faites point appeler docteurs, car vous n’avez qu’un docteur, qui est le Christ ; le plus grand d’entre vous sera votre serviteur. »
Que l’on rapproche ces Paroles de l’Evangile des tableaux que font les théologiens catholiques romains des prérogatives de l’évêque de Rome, & l’on verra sans peine que ces théologiens ne sont pas dans la Vérité.
Saint Matthieu rapporte que Pierre, ayant interrogé Jésus-Christ touchant les prérogatives des Apôtres, Jésus lui répondit : « Je vous dis, en vérité, que vous qui m’avez suivi à l’époque de la régénération, lorsque le Fils de l’homme sera sur le siège de Sa majesté, vous serez assis, vous aussi, sur douze sièges, jugeant les douze tribus d’Israël. »
Si Jésus-Christ eût destiné à Pierre un siège supérieur à ceux des autres, s’Il lui eût accordé une plus haute puissance, aurait-il dit à Pierre lui-même que les douze Apôtres seraient assis sur douze sièges, sans distinction ?
La conclusion de tout ceci est qu’il n’y a dans l’Eglise qu’un Maître, qu’un Seigneur, qu’un seul Prêtre suprême, le Christ.
« C’est moi, » dit Jésus-Christ, qui suis le bon berger ; vous m’appelez Maître & Seigneur, & vous avez raison ; car je le suis. » ( Jean, X, 11 & sq.). & : « Vous n’avez qu’un seul maître, le Christ » ( Matt., XXXIII, 10).
Il est assis seul sur le trône de Sa Majesté, dans la Cité Sainte « dont la muraille repose sur douze fondements où sont les noms des douze Apôtres de l’Agneau » ; les premiers Prêtres y sont assis sur leurs chaires, jugeant les tribus du nouveau Peuple de Dieu( Apocalypse, XXI) ; s’il s’y élève des discussions que l’on ne puisse apaiser charitablement, il faut les porter à leur Tribunal ; non pas au tribunal d’un seul, mais de toute l’Eglise, représentée par ceux qui sont institués pour la gouverner.
(P.46)
Il n’y a donc rien dans les Ecritures du Nouveau Testament qui soit favorable, même de loin, à l’autorité souveraine que les théologiens catholiques romains accordent à Saint Pierre & aux évêques de Rome, qu’ils considèrent comme ses successeurs.
L’on peut même dire que cette autorité y est formellement condamnée. Nous avons cité supra (plus haut) des Paroles assez formelles de Jésus-Christ. Le livre des Actes & les Epîtres contiennent des faits qui démontrent évidemment que Saint Pierre ne jouit d’aucune supériorité dans le collège apostolique.On lit, en effet, dans les Actes des Apôtres ( VIII, 14) : « Les Apôtres qui étaient à Jérusalem ayant appris que ceux de Samarie avaient reçu la Parole de Dieu, ils leur envoyèrent Pierre & Jean. » Pierre était donc subordonné, non seulement au collège apostolique dans son ensemble, mais à plusieurs Apôtres formant une réunion à Jérusalem, puisqu’il en reçut une mission. Dans le même livre (XI, 2-3), on lit que les fidèles circoncis firent des reproches à Pierre de ce qu’il était allé chez les infidèles, & que Pierre s’en excusa en racontant qu’il avait obéi à un ordre exprès de Dieu. Est-ce ainsi qu’on en agit envers un chef souverain,& que ce chef en agit à l’égard de subordonnés ? Au concile de Jérusalem ( Actes, XV,7 & sq), Pierre ne présida point ; c’est Jacques qui prononça ce mot : « Je juge ». Pierre ne parla qu’à son tour, comme un simple membre ; cependant, la présidence lui eût appartenu de droit s’il eût été chef revêtu d’autorité & de juridiction sur tout le corps apostolique. Saint Paul ( Epit. Aux Galates, II, 7, 8, 9, 14) nie la primauté de Pierre ; il affirme qu’il est son égal ; il le place après Jacques, & raconte qu’il lui fit une réprimande parce qu’il ne marcahit pas selon la Vérité de l’Evangile. Il la nie encore ( I. Corinthiens, III, 4-5) lorsqu’il affirme formellement que Pierre n’est qu’un simple Ministre, comme lui-même, comme Apollo, & qu’il ne faut pas plus s’attacher à l’un qu’à l’autre comme Maître, mais uniquement à Jésus-Christ. Enfin, Saint Pierre lui-même nie la primauté dont on voudrait le gratifier, puisqu’en s’adressant aux Prêtres des Eglises qu’il avait fondées, il ne se donne que comme leur collègue ( Ière Epître de Saint Pierre, V,1).

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