dimanche 1 janvier 2012

Guettée. De la papauté. Chap.3.

(P.58).Guettée. De la papauté. Chap.3.III.LE TEMOIGNAGE DES PERES DE L’EGLISE.
L’Histoire va nous démontrer que les Pères & les Evêques, pendant les huit premiers siècles de l’Eglise, ont donné à la Sainte Ecriture le sens que nous venons d’exposer. Si l’Evêque de Rome eût joui « de droit divin » d’une autorité universelle dans l’Eglise, s’il eût été, à titre de successeur de Saint Pierre, le « vicaire » & le représentant de Jésus-Christ, le centre nécessaire de l’Eglise, nul doute que ces prérogatives n’eussent été reconnues par l’antiquité Chrétienne, gardienne fidèle de la Foy & des divines institutions. Si l’Eglise subit, avec les siècles, quelque décadence dans ce qu’elle a d’humain, c’est-à-dire dans les hommes qui la gouvernent ou qui en font partie, on ne peut soutenir que cette décadence se soit manifestée à l’origine. Il est naturel & logique de remonter aux commencements d’une institution pour en connaître le vrai caractère ; c’est là le point de départ nécessaire pour apprécier ses développements, ses progrès, ou ses déchéances dans la suite des siècles. Si nous prouvons que l’Eglise Originelle n’a pas reconnu à l’évêque de Rome l’autorité qu’il s’attribue aujourd’hui ; que cette autorité n’est qu’une usurpation qui ne date que du neuvième siècle, on devra nécessairement en conclure que cette autorité n’a pas une origine divine, que c’est un devoir par conséquent pour toutes les Eglises & pour tous les fidèles de protester contre elle & de la combattre.Or, nous pouvons affirmer, après l’étude approfondie & consciencieuse que nous avons faite des monuments historiques & doctrinaux des huit premiers siècles de l’Eglise, que l’évêque de Rome n’est point fondé à réclamer une autorité universelle ; que cette autorité n’a de fondement ni dans la Parole de dieu, ni dans les lois de l’Eglise.
1. SAINT CLEMENT.Le premier acte dont les partisans de la souveraineté papale se sont autorisés, c’est la lettre écrite par Saint Clément au nom de l’Eglise de Rome à l’Eglise de Corinthe. Ils ont prétendu qu’il l’avait écrite en vertu d’une autorité supérieure attachée à son titre d’évêque de Rome.Or, il est constant 1°) que Saint Clément n’était pas évêque de Rome, lorsqu’il écrivit aux Corinthiens ; 2°) qu’il n’agit point, en cette circonstance, avec une autorité qui lui fût propre, mais au nom de l’Eglise de Rome & par charité.(P.59).La lettre signée par Saint Clément a été écrite l’an 69 de Jésus-Christ, aussitôt après la persécution de Néron, qui eut lieu entre les années 64 & 68, comme tous les érudits en conviennent. Plusieurs savants, acceptant comme un fait indubitable que la lettre aux Corinthiens fut écrite lorsque Clément était évêque de Rome, en reculant la date jusqu’au règne de Domitien, c’est-à-dire l’an 93 de l’ère vulgaire, & tint ce siège jusqu’à l’an 102. Le témoignage d'Eusèbe de Césarée, en son Histoire Ecclésiastique – livre III, chap.II; & XIV; & XXXIV- ne peut laisser aucun doute sur ce point. L'on voit par la lettre elle-même qu'elle fut écrite après une persécution; si l'on prétend que cette persécution est celle de Domitien, il faut reculer la lettre jusqu'aux dernières années du premier siècle, puisque ce fut surtout dans les années 95 & 96 que la persécution de Domitien eut lieu. Or, il est facile de voir, par la lettre elle-même, qu'elle fut écrite avant cette époque, car on y parle des sacrifices judaïques comme existant encore dans le temple de Jérusalem. Or, le temple fut détruit avec la ville de Jérusalem par Titus, l'an 70 de l'ère vulgaire. La lettre fut donc écrite avant cette année. D'un autre côté, elle le fut après une persécution dans laquelle im y eut à Rome des Saints Martyrs très illustres. Or, il n'y en eut pas de cette sorte dans la persécution de Domitien. La persécution de Néron dura de l'année 64 à l'année 68. Il en résulte que la lettre aux Corinthiens ne put âtre écrite en l'an 69, c'est-à-dire vingt-quatre ans avant que Saint Clément fût évêque de Rome.En présence de ce simple calcul, que deviennent les considérations des partisans de la souveraineté papale sur l'importance de l'acte émanent du pape Saint Clément?Quand on soutiendrait que la lettre de Saint Clément fut écrite pendant son épiscopat, on ne pourrait rien en conclure, car cette lettre ne fut point écrite par lui en vertu d'une autorité supérieure & personnelle qu'il aurait possédée, mais par charité & au nom de l'Eglise de Rome. Ecoutons à ce sujet Eusèbe : « Il existe de Clément une lettre admise unanimement; elle est excellente & admirable; il l'écrivit au nom de l'Eglise des Romains à l'Eglise des Corinthiens, parmi lesquelles une grave discussion s'était élevée. Nous avons trouvé que, dans la plupart des Eglises comme dans la nôtre, on avait coutume, de Temps immémorial, de la lire. Hégésippe est un témoin très complet de cette dissension qui s'était élevée, chez les Corinthiens, du Temps de Clément. -(Eusèbe, Hist. Eccl., liv III, chap.XVI.)- »Eusèbe revient plus loin sur la lettre de Clément, & remarque encore qu'elle a été écrite au nom de l'Eglise des Romains. (- Ibidem, chap.XXXVIII.-). Il ne pouvait dire d'une manière plus explicite que Clément n'avait pas agi en cette circonstance de sa propre autorité, en vertu d'un pouvoir qu'il aurait possédé individuellement.(P.60).Rien dans cette lettre ne laisse soupçonner une telle autorité. Elle commence par ces mots : « L'Eglise de Dieu qui est à Rome à l'Eglise de Dieu qui est à Corinthe. » L'auteur parle du ministère ecclésiastique à l'occasion de plusieurs Prêtres que les Corinthiens avaient rejetés contre toute justice; il envisage ce ministère comme venant, en son entier, de la succession apostolique, & il n'attribue ni à lui ni à d'autres aucune primauté dans ce ministère.On a tout lieu de croire que Saint Clément fut le rédacteur de la lettre aux corinthiens. Dès les premiers siècles, elle a été considérée comme son oeuvre. Ce ne fut point à titre d'évêque de Rome qu'il l'écrivit, mais bien à titre de disciple des Apôtres. Sans être chargé de gouverner l'Eglise de Rome, il avait été ordonné Evêque par Saint Pierre, & il avait été le compagnon de Saint Paul dans plusieurs de ses courses apostoliques. Peut-être avait-il travaillé avec ce dernier Apôtre à la conversion des Corinthiens.Il était donc naturel qu'il fût chargé de rédiger la lettre de l'Eglise de Rome à une Eglise dont il avait été un des fondateurs. Aussi Clément leur parle-t-il au nom des Apôtres, & surtout de Saint Paul qui les avait enfantés à la Foy. Alors même qu'il aurait écrit à titre d'Evêque de Rome, on ne pourrait rien en inférer en faveur de son autorité. Saint Ignace d'Antioche, Saint Irénée de Lyon, Saint Denys d'Alexandrie, ont écrit des lettres à plusieurs Eglises, & même à celle de Rome, sans prétendre pour cela à une autre autorité que celle qu'ils possédaient, comme Evêque, de travailler partout à l'oeuvre de Dieu.On ne peut inférer, ni de la lettre elle-même, ni des circonstances dans lesquelles elle a été écrite, rien qui puisse faire considérer la démarche des Corinthiens comme une reconnaissance d'une autorité supérieure dans l'évêque ou dans l'Eglise de Rome, ni la réponse comme un acte d'autorité.Les Corinthiens s'adressaient à une Eglise où résidaient les collaborateurs de Saint Paul, leur Père dans la Foy; & cette Eglise, par l'organe de Clément, l'engageait à la paix & à la Concorde, sans la plus légère prétention à une autorité quelconque.On ne peut donc voir dans l'intervention de Clément aucune preuve en faveur de l'autorité prétendue des évêques de Rome. Clément a été le délégué du clergé de Rome en cette affaire, à cause de sa capacité, de la liaison qu'il avait eue avec les Corinthiens, de ses relations avec les Apôtres, & de l'influence qu'il avait à ces divers titres. Mais il n'agit point comme évêque de Rome, encore moins comme ayant autorité sur l'Eglise de Corinthe.(P.61).2. La question de la Pâque.Au deuxième siècle, la question de la Pâque fut agitée avec beaucoup de vivacité. Plusieurs Eglises orientales voulaient suivre les traditions judaïques conservées par plusieurs Apôtres pour la célébration de cette fête, & la fixer au quatorzième jour de la lune de mars.Au fond, la question n'était pas d'une haute importance; cependant, on pensait généralement que toutes les Eglises devaient célébrer ensemble la grande fête Chrétienne, & que les uns ne devaient pas être dans la joie de la Résurrection du Sauveur, tandis que les autres méditeraient les mystères de sa Mort.Comment la question fut-elle résolue? Vit-on l'évêque de Rome interposer son autorité & dominer la discussion comme il l'aurait fait dans le cas où il aurait joui d'une autorité suprême?Ecoutons le témoignage de l'Histoire. La question ayant été agitée, « des synodes & des assemblées d'évêques eurent lieu, dit Eusèbe – (Hist. Eccl., liv.V, chap.XXIII.)-, & tous, d'un consentement unanime, donnèrent, par des lettres, la règle ecclésiastique à tous les fidèles...Nous avons encore aujourd'hui la lettre de ceux qui s'assemblèrent en Palestine, & de Narcisse, évêque de Jérusalem. Il existe aussi une lettre du synode romain sur laquelle on lit le nom de l'évêque Victor. On possède encore celle des évêques du Pont, qui furent présidées par Saint Irénée; celle des Eglises établies dans les provinces d'Osrhoène & dans les villes de ce pays; celle de Bacchyle, évêque des Corinthiens, & plusieurs autres. Tous, professent la même Foy, & la même doctrine, rendirent une sentence semblable. »Il est évident qu'Eusèbe parle de la lettre du synode romain au même titre que des autres; ilne l'attribue pas à l'évêque Victor, mais à l'assemblée du clergé romain; enfin, il ne la mentionne que la seconde, après celle des évêques de la Palestine.Voilà déjà un point incontestablement établi : c'est que, dans la question de la Pâque, l'Eglise de Rome discuta & jugea au même titre que les autres Eglises, & que son évêque ne signa la lettre qu'au nom de synode qui représentait cette Eglise. Les partisans de l'autorité papale affirment que ce fut Victor qui ordonna d'assembler des Conciles. Cette assertion est de toute fausseté. - Parmi les théologiens catholiques romains qui émettent cette fausse assertion, nous nommerons particulièrement Barruel, dans son ouvrage intitulé: Du pape & de ses droits. Ce livre est le résumé de toutes les erreurs & de toutes les exagérations des théologiens catholiques romains.-Plusieurs évêques orientaux ne se conformèrent pas à la décision des autres. Polycrate, d'Ephèse, se déclara surtout contre cette décision. - ( Eusèbe, Hist. Eccl., liv. V, chap. XXIV.)-(P.62.)Alors une discussion vive s'éleva entre lui & Victor, évêque de Rome, qui parut croire que l'évêque d'Ephèse serait seul de son opinion, & l'engagea en conséquence à demander l'avis des autres évêques de sa province. Polycrate y consentit, & ces évêques se déclarèrent pour son opinion; il l'écrivit à Victor, qui menaça de les séparer de sa communion.Polycrate ne s'en émut pas; il lui répondit avec vigueur, & lui dit en particulier: « J'ai appris de ceux qui étaient plus grands que moi qu'il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes. » Victor, ayant reçu cette lettre, essaie, dit Eusèbe – op.cit.- de retrancher de la communion toutes les Eglises d'Asie & des provinces voisines, comme ayant des sentiments contraires à la Foy; il écrit à ce sujet des lettres dans lesquelles il condamne tous les frères qui sont dans ce pays, & prononce qu'ils sont séparés de l'unité. »On aurait peine à croire que les partisans des prétentions romaines aient trouvé dans ces paroles d'Eusèbe, & dans la conduite de Victor, une preuve en faveur de leur système. Ils auraient pu sans effort y trouver une preuve contraire. L'on doit remarquer d'abord cette expression d'Eusèbe, que Victor essaya de faire retrancher les Eglises d'Asie de la communion des autres Eglises; il est clair que celui qui essaie n'a pas en lui le pouvoir de faire ce qu'il a en vue; autrement l'acte suivrait la volonté. Victor cependant fait tout ce qu'il peut pour que cette excommunication soit reconnue; il la prononce même; mais cet acte ne reste qu'une tentative, & doit être ratifié par les autres Eglises pour qu'il ait quelque valeur. Victor n'avait donc pas, comme évêque de Rome, le pouvoir d'excommunier d'autres Eglises, puisque l'effet ne suivit pas la sentence qu'il se croyait en droit de porter au nom des Eglises d'Occident, à cause de l'importance de son siège.Les évêques qui se seraient soumis à sa sentence d'ils l'eussent reconnu pour le chef de l'Eglise, & investi d'une autorité universelle, non seulement ne lui obéirent pas, mais blâmèrent fortement sa conduite.« Cette conduite, dit Eusèbe de Césarée, - in Hist. Eccl.,liv.V, chap.XXIV -, ne plaisait pas à tous les Evêques; c'est pourquoi ils ehortèrent Victor à agir autrement, & à se pénétrer de sentiments plus pacifiques, plus conformes à l'unité & à la charité que l'on doit au prochain. »Ainsi, au lieu de croire que l'unité consiste dans l'unité avec Victor, les Evêques l'exhortèrent lui-même à mieux observer les vraies notions de l'unité. Plusieurs même allèrent plus loin : « Il existe, continue Eusèbe, des lettres dans lesquelles ils le reprennent avec plus d'énergie. Dans ce nombre est Saint Irénée de Lyon, qui lui écrivit au nom des frères de toute la Gaule qu'il avait présidés; dans sa lettre, tout en se montrant partisan de la décision qui fixait la célébration de la Pâque au jour de la Résurrection du Seigneur, il avertit cependant Victor en termes convenables, qu'il ne doit pas séparer de la communion des Eglises de Dieu qui conservent les Traditions de leurs Anciens. » Irénée chercha dans sa lettre à faire comprendre à Victor que les divergences dans la discipline ne nuisaient pas à l'unité, & il lui rappela que telle avait été la Doctrine de ses prédécesseurs; il lui dit en particulier :(P.63.).« Lorsque le bienheureux Polycarpe vint à Rome du Temps d'Anicet, & qu'une légère discussion se fut élevée entre eux sur certaines questions, ils se donnèrent aussitôt le baiser de Paix. Anicet n'avait pu persuader à Polycarpe d'abandonner un usage qu'il avait observé avec Jean, le Disciple de notre Seigneur, & avec les autres Apôtres dans l'intimité desquels il avait vécu. Polycarpe, de son côté, n'avait pu persuader à Anicet d'observer cet usage, parce que, disait-il, il devait maintenir celui qu'il avait reçu des Anciens qui avaient été avant lui. Les choses étant en cet état, ils communiquèrent l'un avec l'autre. Anicet céda même à Polycarpe l'honneur de célébrer les Saints Mystères, & tous ceux qui suivaient des usages différents restèrent dans la communion de toute l'Eglise...Irénée n'écrivit pas seulement à Victor, mais il envoya à beaucoup d'autres évêques des lettres conçues dans le même esprit. »Donc, Victor ne put, de son autorité retrancher véritablement de l'Eglise ceux qu'il avait déclarés excommuniés; les autre Evêques lui résistèrent avec énergie, & Saint Irénée, le grand Docteur de l'époque, combattit par ses lettres celles qu'il avait écrites pour provoquer le schisme.Cette discussion, qu'invoquent les partisans des prétentions papales en leur faveur, retombe donc sur eux de tout son poids avec une force qui ne peut être contestée de bonne foi.Anicet n'invoqua point son autorité contre Polycarpe; Victor ne l'invoqua pas plus contre Irénée & les autres Evêques. Polycarpe & Irénée raisonnaient & écrivaient comme égaux de l'Evêque de Rome en autorité épiscopale, & ne reconnaissaient qu'une règle : l'Ancienne Tradition.Comment les Eglises se réunirent-elles dans une pratique commune? Eusèbe, in Hist. Eccl., liv. V, chap.XXV - rapporte ainsi cet heureux résultat, qui ne fut certes pas dû à l'autorité de l'évêque de Rome.« Les Evêques de la Palestine, dont nous avons parlé plus haut, c'est-à-dire Narcisse & Théophile; Cassius de Tyr; Clarus de Ptolémaïde, & ceux qui s'étaient assemblés avec eux, après avoir parlé de la Tradition du jour de Pâque, telle qu'elle était venue jusqu'à leur Temps par une succession non interrompue, traitèrent beaucoup d'autres questions, & terminèrent leur lettre par ces paroles: « Ayez soin que des exemplaires de notre lettre soient envoyés à toutes les Eglises, dans la crainte que nous ne soyons incriminés par ceux qui détournent facilement leurs âmes du droit sentier de la vérité. Nous vous faisons connaître en même Temps qu'à Alexandrie la fête de Pâque est célébrée le même jour que chez nous. Nous nous adressons mutuellement, les Evêques de ces contrées & nous, nos lettres, de sorte que nous célébrons ensemble le Saint Jour. »Plusieurs Eglises conservèrent cependant la tradition des Eglises de Smyrne & d'Ephèse, & ne furent pas regardées pour cela comme schismatiques, quoique Victor se fût séparé de leur communion.Les partisans du système papal attachent beaucoup d'importance à influence exercée par l'évêque de Rome dans la question de la Pâque & dans quelques autres circonstances; ils transforment cette influence en autorité. C'est là un paralogisme insoutenable.( P.64).Il n'est point étonnant que l'évêque de Rome ait joui dès le commencement d'une haute influence dans les questions religieuses; car il occupait le premier siège de l'Occident, &, à titre d'Evêque de la capitale de l'Empire, il était l'intermédiaire naturel entre l'Orient & l'Occident. On comprenait alors que l'Eglise catholique n'était exclusivement dans aucune contrée; que l'Orient ne jouissait pas plus que l'Occident d'une autorité universelle; voilà pourquoi certains hérétiques nés & condamnés en Orient cherchaient de l'appui en Occident, & surtout à Rome qui le représentait; voilà pourquoi encore des Saints comme Polycarpe de Smyrne, se rendaient à Rome pour conférer avec l'évêque de cette ville sur les questions religieuses. Mais on ne peut étudier consciencieusement ces faits, d'après les documents certains, sans qu'il en ressorte cette Vérité: que l'influence de l'Evêque de Rome ne venait point d'une autorité universelle; qu'elle n'avait pas même sa source dans une autorité reconnue par toutes les Eglises occidentales, mais qu'elle dérivait uniquement de l'importance de son siège épiscopal.SAINT IRENEE DE LYON.Rome était le centre de toutes les communications entre les différentes parties de l'empire. Les fidèles y affluaient de toutes parts, soit pour les affaires politiques, soit pour leurs intérêts particuliers; c'est pourquoi son témoignage d'Eglise apostolique se trouvait fortifié par les fidèles qui s'y rendaient de toutes parts, & qui y apportaient le témoignage de toutes les Eglises auxquelles ils appartenaient.Tel est le sens d'un passage de Saint Irénée dont les théologiens catholiques romains ont fait le plus étrange abus. Ce grand Docteur, s'adressant aux hérétiques qui cherchaient à corrompre les fidèles de Rome, établit contre eux la règle universelle de la Foy conservée « partout & toujours »;« mais, ajoute-t-il, - in Contre les Hérésies, liv.III, ch.III -, comme il serait très long d'énumérer dans cet ouvrage les successions de toutes les Eglises, nous indiquerons celle de l'Eglise très grande & très ancienne & connue de tous, qui fut fondée & établie à Rome par les deux très glorieux Apôtres Pierre & Paul, laquelle possède une Tradition qui vient des Apôtres ainsi que la Foy annoncée aux hommes, & qui nous l'a transmise par la succession de ses Evêques; par là, nous confondons tous ceux qui, de quelque manière que ce soit, ou par aveuglement, ou par mauvaise intention, ne recueillent pas où il le faudrait; car toute Eglise, c'est-à-dire les fidèles qui sont de partout, sont obligés de se rendre vers cette Eglise, à cause de la plus puissante principauté; dans cette Eglise, la Tradition qui vient des Apôtres a été conservée par ceux qui sont de partout. »Les théologiens catholiques romains affectent de mal traduire ce passage pour y trouver un argument en faveur de la souveraineté papale.(P.65).Au lieu de dire que les fidèles du monde entier étaient obligés de se rendre à Rome, parce qu'elle était la capitale de l'empire, le siège du gouvernement & le centre des affaires politiques & civiles, ils traduisent les mots latins « convenire ad » - (venir ensemble à) - par ces mots : « s'accorder avec », ce qui est un contre-sens; ils font rapporter « potentiorem principalitatem » à l'Eglise de Rome, & ils y voient sa primauté, tandis que ces mots ne sont dits que d'une manière générale, & que rien n'indique qu'ils ne désignent pas uniquement la ville capitale & principale de l'empire; ils traduisent « maximae, antiquissimae par : la plus grande, la plus ancienne, sans réfléchir qu'ils attribuent à Saint Irénée une assertion d'une évidente fausseté; car si l'on veut que l'Eglise de Rome ait été la plus grande de son temps, elle ne pouvait du moins être la plus ancienne, & tout le monde savait qu'un grand nombre d'églises avaient été fondées, en Orient, avant celle de Rome. Ils ne traduisent pas non plus de manière à faire dire à l'auteur, comme conclusion : que la Tradition apostolique a été conservée à Rome par ceux qui sont de partout, Ab his, etc., comme l'exige le texte; mais ils traduisent, comme Pie IX dans son Encyclique aux Chrétiens d'Orient : « En tout ce que les fidèles croient »; & ils ne réfléchissent pas qu'ils font ainsi un contre-sens, & qu'ils attrbuent un non-sens au Saint Docteur.Tout se tient dans le texte tel que nous l'avons traduit : Saint Irénée, après avoir établi que l'on ne doit admettre que la foi universelle, indique l'Eglise de Rome aux hérétiques de cette ville, comme leur offrant un témoignage d'autant plus fort que la Tradition apostolique y avait été conservée par les fidèles du monde entier.Comment Saint Irénée, qui s'applique à donner la Foy universelle comme règle de la croyance particulière, & qui s'étend précisément sur ce point dans le chapitre d'où le texte ci-dessus est tiré, aurait-il pu logiquement dire ce que les papes & leurs théologiens lui attribuent. Il eût alors ainsi raisonné : Il est nécessaire de prendre pour règle la croyance de toutes les Eglises; mais il suffit d'en appeler à celle de l'Eglise de Rome à laquelle on doit se rattacher & se soumettre à cause de sa primauté. Saint Irénée n'a pas émis une opinion aussi peu raisonnable. Il pose en principe la Foy universelle comme règle; & ilindique la Foy de l'Eglise de Rome comme vraie, grâce au concours de fidèles qui s'y rendaient de toutes parts, & qui y conservaient ainsi la Tradition apostolique. Comment la conservaient-ils? Parce qu'ils auraient protesté contre tout changement aux Traditions de leurs propres Eglises, dont ils étaient à Rome les témoins. Saint Irénée ne donne pas la prétendue autorité divine de l'évêque de Rome comme le principe de la conservation de la Tradition dans l'Eglise de cette ville; mais il attribue logiquement cette conservation aux fidèles des autres Eglises qui contrôlaient ses traditions par celles de leurs propres Eglises, & qui formaient ainsi un obstacle invincible à toute innovation.Il était naturel que l'évêque de la capitale de l'empire, précisément à cause des fidèles qui s'y rendaient de toutes parts, acquit une grande influence dans les choses religieuses, & prit même parfois l'initiative. Mais tous les monuments, comme les circonstances des faits dans lesquels il se trouve mêlé, attestent qu'il ne jouit pas d'une autorité supérieure à celle des autres évêques.(P.66).On voit qu'au fond toute la discussion relative au texte de Saint Irénée roule sur le sens que l'on doit attacher au mot "convenire". Si ce mot signifie "être en accord", il faut en conclure que le vénérable écrivain pensait qu'il faut, de toute nécessité, s'accorder avec l'Eglise romaine, & qu'on ne peut sans cela être dans l'unité. Si ce mot signifie " venir", tout l'échafaudage ultramontain tombera de lui-même; car on ne peut raisonnablement affirmer que tous les fidèles doivent de toute nécessité venir à Rome, alors même que l'Eglise établie dans cette ville serait l'Eglise principale & première, le centre de l'unité. Il faut donc déterminer le sens de ce mot d'une manière tellement évidente qu'il ne reste aucun doute à cet égard.Nous avons déjà remarqué que la proposition ad en fixait le sens; nous pouvons à cette preuve déjà péremptoire en ajouter d'autres.Si l'on possédait le texte grec du passage en question, nul doute que l'amphibologie qui résultedu mot latin n'existerait pas. Mais Eusèbe & Nicéphore nous ont conservé d'autres fragments du texte originel. Or, dans ces fragments, le Saint Docteur s'est servi précisément d'expressions que le traducteur latin a rendues par le mot "convenire", & qui n'ont pas d'autre sens que celui d'"aller, venir, ensemble", ou séparément.Au livre II, ch.XXII(éd. Migne, col.785), Saint Irénée dit: " Tous les Prêtres qui sont allés en Asie, auprès de jean, Disciple du Seigneur, en rendent Témoignage."Texte grec : "kai pantes hoi Presbuteroi martyrousin, hoi kata tèn Asian Ioanne-i toi tou Kyriou mathetei sumbeblekotes."Traduction latine : " Omnes seniores testantur qui in Asia, apud Joannem Discipulum Domini convenerunt."Au livre III, ch. XXI ( ed. Migne, col.947), parlant des Septante interprètes de l'Ecriture, Saint Irénée dit d'eux; "S'étant réunis chez Ptolémée".Rn grec; "Sunelthonto-n dè auton épi to hauto para toi Ptolemaio-i".Le traducteur latin a rendu ces mots par ceux-ci: "Convenientibus autem ipsis in unum apud Ptolemaeum."Le bénédictin dom Massuet, éditeur des oeuvres de Saint Irénée, prétend que le Saint Docteur a dû se servir dans le texte en question des mots "Sumbainein pros tèn tôn Romaîon Ekklesian." Puis il prétend que "sumbainein pros tina" est la même chose que " smbainein tini".Quand cette opinion serait inattaquable, cette érudition ne servirait de rien; car on se contente de supposer que le Saint Docteur s'est servi du mot sumbainein. Il nous semblerait plus naturel & plus logique de chercher le mot inconnu par les mots connus que le traducteur a rendus par le mot convenire. Or, de cette étude, il résulte que Saint Irénée ne se serait pas servi du mot sumbainein, mais de sumbeblekotes, qui a le sens de concours vers un lieu, ou de sunelthontès, qui a une signification analogue, puisque, dans les textes grecs qui ont été conservés, il s'est servi de ces mots pour exprimer l'idée que le traducteur a rendue par convenire.En général, le traducteur latin de Saint Irénée donne au mot convenire le sens de aller & non celui de s'accorder. Pourquoi donc lui donner ce sens dans le fameux texte en question, lorsque, dans ce texte lui-même, la préposition ad donne l'idée d'une direction vers un lieu, & que l'adverbe undique donne celle d'un départ de tous les lieux différents de Rome où se trouvaient des fidèles.(P.67).Rien ne manque pour prouver qu'il n'est pas permis de donner aux paroles de Saint Irénée le sens que lui attribuent les théologiens catholiques romains. Le Saint Docteur a donc dit simplement que le concours des fidèles de toutes les contrées, attirés à Rome par la nécessité de leurs affaires, parce que cette ville était la première & la plus puissante de l'empire, contribuait à y conserver la Tradition apostolique, parce que ces fidèles y apportaient la Foy des Eglises auxquelles ils appartenaient.Il est certain que Rome, en qualité d'Eglise apostolique, avait une très grande autorité pendant les premiers siècles, & c'est avec raison que Tertullien en appelait à son témoignage contre l'Hérétique, auquel il disait: "Tu as Rome, dont l'autorité est près de nous. Heureuse Eglise à laquelle les Apôtres ont donné toute la Doctrine avec leur sang!" ( De proescript., chap. XXXVI). Mais une Eglise apostolique ne peut-elle rendre témoignage de la Foy contre l'Hérésie sans jouir d'une autorité universelle & divine?Saint Cyprien avait raison d'appeler l'Eglise de Rome " chaire de Pierre, Eglise principale, d'où l'unité sacerdotale est sortie."(Saint Cyp.,épître 55 à Corneille). Mais pour cela prétendait-il qu'elle jouissait d'une autorité de droit divin? Il le croyait si peu que, dans son Traité de l'unité de l'Eglise, il entend par "chaire de Pierre" l'Episcopat tout entier; qu'il regarde Saint Pierre comme l'égal des autres Apôtres, & qu'il nie sa primauté; qu'il fait de Saint Pierre la simple figure de l'unité du Collège Apostolique; - ( cf : infra)-. C'est donc dans un sens restreint qu'il appelle l'Eglise de Rome "chaire de Pierre"; il en fait l'Eglise principale; mais cette principalité était un fait résultant de son importance extérieure. Elle était la source de l'unité sacerdotale, en ce sens que Pierre était le signe & la figure de l'unité de Collège Apostolique. Donner un autre sens au texte tiré de la lettre de Saint Cyprien à Corneille, ce serait contredire le Traité de l'unité de l'Eglise, attribuer à Saint Cyprien deux doctrines contradictoires, & lui enlever par conséquent toute logique & toute autorité.Ceux qui ont attaché une si haute importance au texte de Saint Cyprien, tiré de la lettre à Corneille, en ont oublié un autre, qui l'explique si bien qu'on à peine à comprendre qu'ils l'aient omis : c'est celui où il déclare que "Rome doit précéder Carthage, à cause de sa grandeur", "pro magnitudine sui." (-Saint Cyprien, lettre 59 à Corneille.)- Cette doctrine est conforme à celle de Saint Irénée & des autres Pères qui n'ont jamais parlé d'aucune prérogative divine dont Rome aurait été favorisée.Saint Optat, Saint Jérôme, le bienheureux Augustin, & plusieurs autres Pères occidentaux ont loué l'Eglise de Rome comme l'Eglise apostolique, & ont attaché une haute valeur à son témoignage dans les questions de Foy. Mais aucun ne lui a attribué d'autorité doctrinale, en ce sens que son témoignage suffirait pour terminer les discussions.(p.68).On doit même remarquer que le bienheureux Augustin oppose aux donatistes l'autorité des Eglises orientales, & ne leur parle point de celle de Rome, quoiqu'elle fût l'Eglise apostolique de l'Occident. Saint Irénée serait le seul qui l'aurait soutenu, si l'on interprétait son texte comme les théologiens catholiques romains. Mais, nous avons vu que cette interprétation est fausse, & qu'il n'a attribué au témoignage de l'Eglise de Rome une grande autorité qu'en ce sens qu'elle avait reçu la Tradition Apostolique, & que, grâce aux fidèles qui s'y rendaient de toutes parts, cette Tradition s'y était conservée pure jusqu'à son Temps. Ce n'était donc point parce que l'Eglise de Rome était la principale, la première, la plus puissante de la Chrétienté, que son témoignage avait surtout de la valeur, mais à cause des fidèles des autres Eglises, qui le fortifiaient par leur adhésion.Lorsque Constantinople- Nouvelle Rome fut devenue la capitale de l'empire romain, Saint Grégoire de Naziance dit de cette Eglise ce que Saint Irénée avait dit de celle de Rome, & avec des expressions plus formelles encore : " Cette cité, dit-il, est l'oeil du monde; les nations les plus reculées se rendent vers elle de toutes parts, & elles tirent d'elle, comme d'une source, les principes de la Foy" ( Grég. Naz., discours 42, §10, col. 470, éd. Migne). Le traducteur latin du grec de Saint Grégoire de Naziance s'est servi, comme celui de Saint Irénée, du mot « convenire » pour exprimer le concours des peuples à Constantinople. Faut-il lui donner le sens de s'accorder avec, parce que le Saint Docteur appelle Constantinople non seulement Eglise principale & puissante, mais « oeil du monde », & « source de la Foy »?
Le IXème canon du Concile d'Antioche, tenu au quatrième siècle, en 341, suffirait, à lui seul, pour déterminer le sens du texte de Saint Irénée. Voici ce canon : « Il faut que les Evêques qui sont établis dans chaque province sachent que l'Evêque de la ville métropole est chargé du soin de toute la province, parce que tous ceux qui ont des affaires viennent de toute part à la métropole. C'est pourquoi il a paru convenable de lui accorder un honneur supérieur. »
Si une simple métropole attirait les fidèles pour leurs affaires, à plus forte raison la capitale de l'empire, qui était un centre nécessaire pour eux, & dans laquelle ils devaient se rencontrer de toutes les parties de l'empire. Tel est le fait constaté par Saint Irénée, & dont il conclut que le témoignage de l'Eglise romaine pouvait suffire pour confondre les hérétiques.
Remarquons enfin qu'il ne s'agissait dans le chapitre du Saint Docteur que des hérétiques de Rome, auxquels il destinait son livre, & l'on sera convaincu que c'est abuser étrangement de ses paroles que de leur donner un sens absolu, se rapportant à tous les hérétiques en général, & à tous les Temps, car il a affirmé seulement que l'Eglise romaine avait conservé jusqu'à son Temps la Tradition apostolique, & non qu'elle la conserverait toujours.


4. SAINT HILAIRE DE POITIERS ET SAINT EPIPHANE.

Un fait certain, c'est que les Pères qui semblent avoir entendu de la personne de Pierre les mots : « sur cette pierre », ne l'ont en réalité entendu que de l'objet de sa Foy, c'est-à-dire de Jésus-Christ Dieu-Homme.
(P.69).
Nous citerons pour exemple Saint Hilaire de Poitiers.
Ce Père, dans ses commentaires sur Saint Matthieu & sur les Psaumes, - S. Hil. De Poit., Comment, sur le ch.XVI de S. Matth. & sur le psaume CXXXI, §4 -, ce Père applique à Saint Pierre le mot de pierre de l'Eglise, & il l'en considère comme le fondement.
Mais dans son livre sur la Trinité, il reconnaît que c'est sur la pierre de sa confession de Foy, c'est-à-dire sur la Divinité de Jésus-Christ que l'Eglise est bâtie. - Cf : S. Hil. De Poit., De la Trinité, livre VI, chap.XXXVI.- « Il n'y a, ajoute-t-il, - in S. Hil. De Poit., De la Trinité, liv. II, ch.XXIII-, qu'un fondement immuable, c'est cette unique pierre confessée par la bouche de Pierre: « Tu es le Fils du Dieu Vivant; elle soutient sur elle autant d'arguments de la vérité que la perversité pourra agiter de questions, & l'infidélité de caalomnies. »
Il est évident que le Saint Docteur n'entend ici que l'objet de la Confession de Foy de Saint Pierre, c'est-à-dire la Divinité de Jésus-Christ. Si l'on prétendait qu'il a entendu sa foi subjective, c'est-à-dire son adhésion, & que les évêques de Rome auraient hérité de cette foi indéfectible, il suffirait de rappeler cet anathème du même Père à l'adresse du pape Libère, qui avait faibli dans la Confession de la Divinité de Jésus-Christ : « Je t'ai dit anathème, à toi Libère & à tes complices; Je te dis de nouveau anathème; je te le dis une troisième fois, à toi, Libère, prévaricateur ». - ( in S. Hil. De Poit., Fragm.) -
Donc, d'après Saint Hilaire de Poitiers, si Saint Pierre peut-être considéré comme la pierre de l'Eglise, ce n'est qu'au moyen de la Confession de Foy qu'il a faite au nom de tout le Collège Apostolique, & par l'objet même de cette Foy qui est la Divinité de Jésus-Christ. Sa doctrine est ainsi conforme à celle de Tertullien & des autres Pères, qui n'ont appliqué qu'en ce sens à Saint Pierre lui-même le titre de la pierre de l'Eglise. Si l'on ajoute que ce Père & les autres ne donnent même pas à entendre que ce titre appartienne aux évêques de Rome, & que leur enseignement est même tout-à-fait opposé à cette opinion, on conviendra que ce n'est que par un étrange abus de quelques-unes de leurs paroles, prises isolément & à contre-sens, que les théologiens romains ont cherché à étayer l'autocratie papale sur leu témoignage.
Saint Epiphane n'a pas enseigné une autre Doctrine que Saint Hilaire de Poitiers – (Cf: Epiph., Haeres., 59) - : « Pierre, prince des Apôtres, dit-il, a été pour nous comme une pierre solide sur laquelle la Foy du Seigneur est appuyée comme sur un fondement, sur laquelle l'Eglise a été construite de toutes manières; ce fut surtout parce qu'il Confessa le Christ fils du Dieu Vivant, qu'il entendit à son tour: Sur cette pierre de Foy solide, j'édifierai mon Eglise. »
L'Apôtre Pierre n'est point isolé du dogme qu'il a professé, & c'est ce dogme lui-même qui est la base & le fondement de l'Eglise.
Saint Epiphane appelle Pierre prince des Apôtres, nous ne le contestons pas; mais en quel sens entend-il ce mot ?
Les catholiques romains citent ce texte en leur faveur.
(P.70).
« André a le premier rencontré le Seigneur, parce que Pierre était le plus jeune. Mais ensuite, lorsqu'ils eurent renoncé à tout, c'est Pierre qui se trouva le premier; il prend alors le pas sur son frère. Ajoutez à cela que Dieu connaît les inclinations des coeurs, & il sait qu'il est digne de la première place. C'est pour cela qu'Il a choisi Pierre pour l'établir prince de ses Dissciples, comme cela est très clairement déclaré »; ( in S. Epiph., Haeres.51.)
Saint Epiphane a-t-il prétendu par là que Pierre était le chef & le fondement de l'Eglise, ou bien que l'Eglise a été fondée sur la Foy objective de cet Apôtre, c'est-à-dire sur la Divinité du Christ à laquelle il avait rendu hommage? Il répond ainsi lui-même, comme nous l'avons vu plus haut:
« « Sur Pierre,dit-il, est bâtie l'Eglise, parce qu'il a confessé le Christ comme le fils du Dieu Vivant, & qu'il a entendu cette Parole: sur cette pierre de Foy solide, je bâtirai mon Eglise. »
Au même endroit, Saint Epiphane enseigne que les paroles : » Pais mes brebis », ne furent pas dites par le Seigneur, pour confier à Pierre la conduite supérieure de l'Eglise, mais pour le réhabiliter dans la dignité de l'Apostolat qu'il avait perdue en abjurant le Christ: « Le Seigneur, dit-il, appelle de nouveau Pierre après son reniement, & pour effacer les trois reniements, il l'appelle trois fois à la Confession de Foy. »
Ailleurs, -(in S. Epiph. Haeres., 27)-, il fait de Saint Paul l'égal de Saint Pierre à Rome, en disant : « Pierre & Paul, les premiers de tous les Apôtres, furent EGALEMENT Evêques de Rome. »
Il parle ainsi de Saint Jacques de Jérusalem:
« Il ( Jacques) reçut le premier la chaire épiscopale (de Jérusalem); c'est à lui le premier que le Seigneur confia son trône sur la terre. » -(in S. Epiph. Haeres.,78)-. Il ne croyait donc pas que c'était Pierre qui avait hérité du trône du Seigneur en ce monde. Il croyait donc que la primauté accordée à Saint Pierre n'était qu'une priorité.

5. LE PAPE SAINT LEON LE GRAND.

Comme l'explique le pape Saint Léon dans ce passage: « La disposition de la vérité demeure », dit-il, -( S. Léon, Sermon 2, sur l'anniversaire de son élévation au pontificat.)- & le bienheureux Pierre a persévéré dans la force de la pierre qu'il avait reçue; il n'abandonna pas les rênes de l'Eglise qui lui avaient été confiées;il a reçu l'ordination avant les autres, afinque, lorsqu'il est appelé Pierre & fondement ...nous connaissions, par les mystères de ces titres, quelle union existe entre lui & le Christ. »
Ce texte prouve que Saint Léon ne voyait dans Saint Pierre qu'une priorité d'ordination; il croyait que c'est par l'ordination qui l'unissait à Jésus-Christ qu'il était pierre & fondement de l'Eglise. Il entend d'une manière aussi Orthodoxe le pouvoir de lier & de délier qui a été confié à Saint Pierre.
( P.71).
« Ce pouvoir lui est confié, dit-il (– idem, Sermon 3)-, d'une manière spéciale, parce que la forme de Pierre est proposée à tous les recteurs de l'Eglise. Donc, le privilège de Pierre demeure partout où l'on porte un jugement avec son équité. » Il conclut de là que cela seulement sera remis ou retenu, ce qui le sera conformément à une sentence juste ou digne de Pierre.
L'on comprend difficilement que les théologiens catholiques romains aient osé citer les deux textes qui précèdent à l'appui de l'autocratie papale, lorsqu'il est évident que Saint Léon n'attribue à Saint Pierre qu'une primauté ou plutôt une priorité d'ordination, & qu'au lieu d'attribuer à l'évêque de Rome seul le pouvoir de Pierre, il n'envisage cet Apôtre que comme la forme ou la figure du pouvoir apostolique qui est exercé réellement partout où il l'est avec équité.
Après cela, il ne reste aucune difficulté touchant le sens de ces autres paroles de Saint Léon, - (ibidem)-:
« De tout le monde, Pierre est choisi pour être préposé à la vocation de toutes les nations, et à tous les Apôtres, et à tous les Pères de l'Eglise; de sorte que, quoiqu'il y ait beaucoup de prêtres, & beaucoup de pasteurs, Pierre gouverne tous ceux que le Christ gouverne principalement. C'est une chose grande & admirable, bien-aimés, que Dieu ait daigné faire netrer cet homme en participation de Sa Puissance; s'Il a voulu qu'il y eût quelque chose de commun entre lui & les autres princes, il ne lui donna jamais que par lui-même ce qu'Il n'a pas refusé aux autres! » De telles phrases qui sentent le panégyrique doivent être interprétées doctrinalement, d'après l'enseignement positif qui ressort des autres textes du même Père.
Saint Léon ne prétend point que la puissance de Saint Pierre, quelle qu'elle fût ait passé aux évêques de Rome; sa lettre au Concile de Chalcédoine le prouve suffisamment. Quant à cette puissance du premier Apôtre, elle n'en a pas fait le maître des autres; elle a passé à tous les Evêques qui l'exercent légitimement; Pierre n'a été distingué que par la priorité de son ordination.


6. SAINT JEAN CHRYSOSTOME.


Les théologiens catholiques romains ont abusé des éloges que Saint Léon & d'autres Pères ont adressé à Saint Pierre d'une manière oratoire, sans vouloir réfléchir que, alors même que ces éloges devraient être pris à la lettre, ils ne constitueraient pas des privilèges dont les évêques de Rome auraient hérité, puisque aucun de ces Pères ne les leur a reconnus; mais, pour tout homme initié à la lecture des Pères, ces éloges ne peuvent être pris à la lettre. Nous le prouverons par les oeuvres de Saint Jean Chrysostome, qui est le Père dont les ultramontains ont le plus abusé, & qu'ils citent de préférence à l'appui de leur système.
(P.72).
Ils ont accumulé les textes pour prouver que le grand Evêque de Constantinople a donné à Saint Pierre les noms de premier, de grand Apôtre, de coryphée, de chef, de prince, de bouche des Apôtres.
Mais s'il a donné aux autres Apôtres les mêmes titres, que pourra-t-on en conclure en faveur de Saint Pierre?
Dans plusieurs de ses écrits, il dit de tous les Apôtres qu'ils furent les fondements, les colonnes, les chefs, les docteurs, les pilotes, les pasteurs de l'Eglise.
Il nomme Pierre & Jean, au même titre, princes des Apôtres. (-In Sur S. Matthieu, homélie 32-).
Il dit de Pierre, de Jacques, & de Jean, collectivement, qu'ils étaient « les premiers en dignité parmi les Apôtres, les fondements de l'Eglise, les premiers appelés, & les princes des Disciples. » (- In Sur le 1er chap. de l'épître aux Galates.-)
S'il dit de Saint Pierre: « Pierre a lavé son reniement de telle sorte qu'il devint le premier des Apôtres, & que l'univers entier lui fut confié, il dit également (-in Sur S. Jean, homélie 88-) de Pierre & de Jean que l'univers leur fut confié. Il dit de Saint Paul: « Des anges reçoivent souvent la mission de s'occuper du soin des nations, mais aucun d'eux ne gouverna le peuple qui lui fut confié comme Paul gouverna l'univers entier...Le peuple hébreu a été confié à l'archange Michel, & à Paul furent confiés la terre, la mer, les habitants de tout l'univers, & même le Désert. (-in Panégyrique de S. Paul, homélie 2. » Dans le Royaume du Ciel, « personne ne sert avant Paul, c'est là une chose évidente. » (-In Sur S. Matth., homélie 65-). Il le nomme encore le pilote de l'Eglise -(Sermon sur les douze Apôtres-), le vase d'élection, la trompette céleste, le guide de l'Epouse du Christ - ( c'est-à-dire de l'Eglise)-(In homélie sur ces paroles: Plaise à Dieu que vous patientiez un peu -. Dans le passage suivant, il place évidemment Saint Paul au-dessus de Saint Pierre : « Dans le lieu où les Chérubims sont couverts de Gloire, & où planent les Séraphims, là nous verrons Paul avec Pierre; Paul qui est le prince & le président (prostatès) du choeur des Saints. » -(in Hom. 32, sur l'épître aux Romains)-
Il est surtout important de remarquer que Saint Chrysostome attribue une égale dignité à ces deux Apôtres, quand il parle de tous les deux ensemble; nous allons en coter plusieurs exemples.
Dans le second Sermon sur la Prière, il dit que la Prière possède une telle force que : « elle a délivré des dangers Pierre & Paul, colonnes de l'Eglise, princes des Apôtres, les plus Glorieux au Ciel, les murs de l'univers, les gardiens de la terre & de la mer. » -(in De la Prière, disc.2)-
En parlant de la circonstance dans laquelle Paul reprit Pierre à Antioche, il s'exprime ainsi: « Quelqu'un serait-il troublé en entendant que Paul a résisté à Pierre, c'est-à-dire que les colonnes de l'Eglise se sont heurtées & qu'elles sont tombées l'une sur l'autre?
(P.73).
Car ils sont les colonnes qui soutiennent & portent le toit de la Foy; & non seulement les colonnes, mais encore les boucliers & les yeux du corps de l'Eglise, les sources &les trésors de tous les biens; & si quelqu'un disait d'eux tout ce qu'il pourrait imaginer, il ne saurait exprimer suffisamment leur dignité. » - (In Homélie sur les paroles : « J'ai résisté en face. »)- Plus loin il compare ces deux Apôtres à deux coursiers traînant ensemble le char de l'Eglise, en faisant remarquer que l'un d'eux, Pierre, paraissait boîter. ( Ibidem). C'était une allusion à la chute. Il ajoute enfin : « Comment toi, Paul, qui as été si doux & si bon avec tes Disciples, es-tu devenu inhumain envers ton coapôtre? » ( -Ibidem-). Est-il possible de dire plus clairement que Paul était égal à Pierre en dignité?
Cette vérité résulte encore du passage suivant, qui mérite une attention toute particulière :
« Le Christ confia les Juifs à Pierre & préposa Paul aux Conciles; je ne le dis pas moi-même, mais il faut écouter Paul qui dit: » Celui qui a agi efficacement en Pierre pour le rendre Apôtre des circoncis a aussi agi efficacement en moi pour me rendre Apôtre des incirconcis. ( Epître aux Galates, II, 8). Car, comme un sage empereur ( Basileus), qui, après avoir reconnu soigneusement les capacités, commet le pouvoir à l'un sur la cavalerie, & à l'autre sur l'infanterie, ainsi certainement le Christ partagea son armée en deux parties, & confia à Pierre les Juifs, & à Paul les Gentils. Les deux corps d'armée sont différents, mais l'empereur est unique. » (- Ibidem-).
Voilà donc la vraie Doctrine de Saint Jean Chrysostome : Les Apôtres furent égaux en dignité : Pierre & Paul ont été également les premiers parmi eux, l'un pour les Juifs, l'autre pour les Gentils; Pierre n'a jamais reçu aucune suprématie exclusive sur toute la Chrétienté; le seul chef de l'Eglise a été, est, & sera éternellement Jésus-Christ Lui-même. Remarquons bien ces Paroles de Saint Chrysostome: « Je ne le dis pas de moi-même ». Ce qui signifie: ce n'est pas là une opinion personnelle, c'est une vérité que l'Esprit-Saint nous a enseignée par le Saint Apôtre Paul.
Saint Jean Chrysostome n'a reconnu, dans l'Eglise, aucune dignité supérieure à l'Apostolat entendu d'une manière générale :
De toutes les magistratures spirituelles, dit-il, la plus grande est l'Apostolat. D'où constatons-nous cela? De ce que l'Apôtre précède les autres. Comme un consul est le premier des magistrats civils, de même l'Apôtre est le premier des magistrats spirituels, de même l'Apôtre est le premier des magistrats spirituels. Ecoutons Paul lui-même faisant l'énumération de ces dignités, & plaçant à leur sommet les prérogatives de l'Apostolat. Que dit-il : « Dieu a établi dans son Eglise: premièrement des Apôtres; secondement, des Prophètes; troisièmement, des Docteurs & des Prêtres. » Voyez-vous ici le faîte des dignités? Voyez-vous que l'Apôtre est au sommet de la hiérarchie, que personne n'est avant ni plus haut que lui?
(P.74).
Car il dit : « Premièrement les Apôtres ». Et non seulement l'Apostolat est la première de toutes les dignités, mais elle en est aussi la racine & le fondement. » -(in Homélie, de l'Utilité de la lecture des Ecritures.)-
Saint Chrysostome ne reconnaissait aucune suprématie dans l'Apostolat. S'il eût supposé que Jésus-Christ avait établi l'un des Apôtres au-dessus des autres, pour être son représentant sur la terre & le chef visible de Son Eglise, il l'aurait déclaré certainement, car il est manifeste que c'était le cas ou jamais d'en parler.
On peut donc apprécier à sa juste valeur l'impudence avec laquelle les catholiques romains osent avancer que, selon Saint Chrysostome, « l'autorité de Pierre était ce qu'il y avait de plus fondamental & de plus essentiel dans l'organisation de la hiérarchie que l'Eglise tient de Jésus-Christ. » Le Saint & grand Patriarche se charge lui-même de répondre aux falsificateurs de sa Doctrine, en leur disant que l'Apostolat appartient à tous les Apôtres également: « Qu'il est la première de toutes les dignités, que l'Apôtre est au sommet de la hiérarchie, que personne n'est avant lui, ni plus haut que lui. »
Les théologiens catholiques romains s'appuient principalement sur ce texte relatif à l'élection de Saint Mathias:
« Pierre prend toujours le premier la parole, parce qu'il est plein de zèle, parce que c'est à lui que Jésus-Christ a confié le soin du troupeau, & parce qu'il est le premier parmi les Apôtres. » Et, un peu plus loin, en se demandant si Pierre ne pouvait pas lui-même désigner celui qui devait prendre la place de Judas, il ajoute: « Sans doute, il le pouvait, mais il s'en abstint pour ne pas avoir l'air de faire une faveur à celui qu'il aurait nommé. » - (In Sur les Actes des Apôtres, homélie 3)-.
Commençons par observer que ces expressions: « Pierre prend toujours le premier la parole, parce qu'il est plein de zèle, parce que c'est à lui que Jésus-Christ a confié le soin du troupeau, & parce qu'il est le premier parmi les Apôtres. »-Et, un peu plus loin, en se demandant si Pierre ne pouvait pas lui-même désigner celui qui devait prendre la place de Judas, il ajoute: « Sans doute, il le pouvait, mais il s'en abstint pour ne pas avoir l'air de faire une faveur à celui qu'il aurait nommé. » -( in: Sur les Actes des Apôtres, Homélie 3)-.
Commençons par observer que ces expressions: « Pierre prend toujours le premier la parole, parce qu'il était plein de zèle, ...parce qu'il était le premier parmi les Apôtres », prouvent déjà d'elles-mêmes que Saint Chrysostome n'a pu avoir l'intention de dire : parce qu'il était le chef de l'Eglise. Aussi, placé entre ces deux « parce que », le troisième: « parce que c'est à lui que Jésus-Christ a confié le soin du troupeau », ne peut-il plus avoir le sens que voudraient lui attribuer les catholiques romains; ce serait mettre le Saint Docteur en contradiction avec lui-même, non seulement dans ce passage, mais encore avec tous ses écrits. Ce que nous affirmons est pleinement confirmé par l'explication que le grand Patriarche donne des paroles : « Pais mes agneaux, pais mes brebis », sur lesquelles s'appuient précisément nos adversaires pour soutenir que c'est à Pierre seul qu'elles furent adressées, que c'est à lui seul que fut confié le soin du troupeau : « Cela n'a pas été dit seulement aux Apôtres & aux Evêques, écrit Saint Chrysostome, mais encore à chacun de nous, quelque petit qu'il soit, qui a été chargé du soin du troupeau. » - (in Sur S. Matth., hom 77)-. Ainsi, selon Saint Chrysostome, ces paroles ne furent pas dites à Pierre seul & pour lui seul, elles ne lui conférèrent pas la dignité de grand Prêtre suprême des Apôtres & de l'Eglise, mais elles ont été adressées à tous les Apôtres en commun, & à tous les Evêques & Prêtres qui sont également les successeurs des Apôtres.
(P.75).
D'ailleurs, Saint Chrysostome n'aperçoit ni un honneur ni une autorité dans ces paroles, mais une recommandation de zèle & de sollicitude: « Trois fois, dit-il, le Seigneur interroge Pierre, & trois fois, il lui donne l'ordre, pour lui montrer combien de soin il faut prendre du Salut des brebis » -(in Sur Saint Jean, homélie 88)-.
Le Saint Docteur a répondu lui-même aux insinuations que les catholiques romains voudraient tirer du reste de son texte:
« Voyez, dit-il, comme Pierre fait tout d'un accord commun, & ne décide rien par sa propre autorité & par son propre pouvoir... » (- in Sur les Actes des Apôtres, homélie 3-). Ce ne fut pa Pierre qui présenta Matthias & Joseph, mais tous les Apôtres. Ainsi, Pierre ne fit que donner un conseil, en montrant qu'il ne venait pas de lui, mais qu'il avait été annoncé anciennement dans les prophéties; par conséquent, il fut l'interprète, mais non pas le maître. » Et, plus loin : « Remarquez la modestie de Jacques : quoiqu'il ait reçu l'épiscopat de Jérusalem, ilne dit rien dans cette circonstance; considérez aussi la grande modestie des autres Disciples, qui, après avoir accordé unanimement le trône à Jacques, ne disputent plus entre eux. Car cette Eglise était comme dans le Ciel, n'ayant rien de terrestre, ne brillant ni par ses murs, ni par des marbres, mais par la ferveur pieuse & unanime de ses membres. » Les théologiens catholiques romains citent la première partie du texte de Saint Jean Chrysostome, mais se gardent bien de citer la dernière; telle est leur méthode habituelle.
D'après le Saint Docteur, les Apôtres agirent donc d'un accord commun; ils choisirent tous ensemble les candidats à l'élection; Pierre ne parla pas en maître, mais en interprète des prophéties; Jacques, qui était le premier en dignité, & les autres Apôtres le laissèrent parler seul par modestie, & non parce qu'ils ne possédaient pas le même pouvoir que lui. Si Saint Jean Chrysostome a reconnu une dignité supérieure à un des Apôtres, l'on peut dire que c'est à Jacques de Jérusalem. En effet, outre le texte cité plus haut, nous trouvons encore le suivant dans ses écrits:
« Voyez : après Pierre, c'est Paul qui parle, & personne n'y trouve à redire; Jacques attend & reste paisible, car la primauté lui avait été confiée. Jean & les autres Apôtres ne parlent pas & se taisent dans aucun dépit, parce que leur âme était pure de toute vaine gloire...Après que Barnabé & Paul se furent tus, Jacques prit la parole & dit : « Simon vous a raconté comment Dieu jeta son regard sur les Gentils... » Le langage de Pierre avait été plus véhément, celui de Jacques est plus modéré. C'est toujours ainsi que doit agir celui qui possède un grand pouvoir : il laisse aux autres la sévérité & se réserve pour lui-même la modération. » Et plus loin, en analysant les paroles de Saint Jacques, il fait le raisonnement suivant : « Que veut dire : Je juge? Cela veut dire: J'affirme avec autorité que la chose est ainsi...Jacques a donc décidé de toute la question. » -(in Sur les Actes des Apôtres, homélie 33)-.
Si ce passage n'a aucune valeur aux yeux des catholiques romains en faveur de la primauté de Jacques, il n'en prouve pas moins contre la primauté de Pierre, entendue dans le sens d'autorité.
(P.76).
Les théologiens catholiques romains citent encore, à l'appui de leur système, les paroles suivantes de Saint Chrysostome, relatives à la chute de Saint Pierre: « Dieu a permis qu'il succombât, parce qu'il voulait l'établir prince de l'univers entier, afin que, se souvenant de ses propres fautes, il pardonnât à ceux qui tomberaient. » Nous avons vu déjà plus haut que Saint Chrysostome n'attachait pas au titre de prince de l'univers le sens que Rome s'efforce de lui attribuer; cette supposition écartée, le passage cité ne présente plus rien en faveur de la thèse papale. Quant à ce que pensait Saint Chrysostome de la chute de Saint Pierre, il se charge lui-même de l'expliquer ainsi: (- Cf : Sur le chapitre I de l'épître aux Galates-)
« Voulant corriger en Pierre ce défaut de la contradiction, le Christ permit que cet Apôtre le reniât...Ecoutez ce qu'il lui dit : « J'ai prié pour toi, afin que ta Foy ne défaille point ». Il lui tient ce langage pour le toucher avec plus de force, & lui montrer que sa chute serait plus lourde que celle des autres, & qu'elle exigerait un plus grand secours. Car il y avait un double crime: celui d'avoir contredit, & celui de s'être élevé au-dessus des autres. Il y en avait même un troisième plus grave, celui de compter entièrement sur ses propres forces. Pour guérir pierre, le Sauveur le laisse chuter, &, mettant de côté les autres Disciples, il lui dit : « Simon, Simon, Satan a demandé de vous cribler tous comme le froment, c'est-à-dire de vous troubler, de vous tenter, mais j'ai prié pour toi, afin que ta Foy ne défaille point. » Pourquoi, si Satan a demandé de cribler tous les Apôtres, pourquoi le Seigneur ne dit-il pas à tous: J'ai prié pour vous? N'est-ce point évidemment pour le motif que j'ai indiqué plus haut? N'est-ce point pour le toucher & lui montrer que sa chute sera plus lourde que celle des autres, qu'il adresse la parole à Pierre seul?...Comment donc Pierre a-t-il pu renier le Christ? C'est que le Christ ne lui a pas dit: Afin que tu ne me renies point; mais: « Afin que ta Foy ne défaille point, afin qu'elle ne périsse pas entièrement. » -( in Sur S. Matth., homélie 82)-.
Comment découvrir sous ce langage la moindre allusion à une suprématie d'autorité donnée à Saint Pierre à l'occasion de sa chute? Quelle hardiesse singulière est celle des catholiques romains, qui osent soutenir que le Seigneur eut l'intention d'établir une distinction en faveur de Pierre, & de lui indiquer son élévation sur les autres Apôtres, précisément au moment où il lui annonçait sa chute & son reniement!
Les paroles suivantes établissent d'une manière évidente le sens que le Saint Docteur attribuait à la primauté de Saint Pierre. Il dit d'abord que cet Apôtre était « le premier dans l'Eglise. » Or, le premier, dans une société, ne veut pas dire: le chef de cette société. Et plus loin, il ajoute : « Quand je dis Pierre, je dis la pierre solide, la base inébranlable, le grand Apôtre, le premier des Apôtres, le premier appelé, le premier obéissant. » (-in De l'Aumône, homélie 3-). On voit qu'il loue Pierre pour la solidité de la Foy qu'il avait confessée; il lui donne le titre de premier des Apôtres parce qu'il fut appelé le premier à l'Apostolat; il ne dit pas le premier en autorité, mais le premier obéissant.
(P.77).
Saint Pierre a donc eu la gloire d'être appelé le premier à l'Apostolat & d'être aussi le premier serviteur de Jésus-Christ.
Quant à la succession prétendue que les Evêques de Rome auraient reçue de Saint Pierre, les théologiens catholiques romains résument ainsi la doctrine de Saint Jean Chrysostome :
« L'Eglise d'Antioche a eu le bonheur de posséder Pierre quelque Temps; elle le reconnaît por son fondateur, mais elle ne l'a pas gardé. C'est à Rome qu'il a transporté son siège; c'est à Rome qu'il a reçu la palme du Martyre. C'est à Rome qu'est son tombeau, à Rome, dans la ville royale par excellence. »
Voici les paroles du Saint Docteur: (- in 2ème homélie sur le titre des Actes des Apôtres-):
« Une des prérogatives de notre ville d'Antioche est d'avoir eu, pour Docteur, Pierre, le coryphée des Apôtres. Il était juste que la ville qui, de l'univers entier, a eu, la première, l'avantage d'être ornée du nom de Chrétien, eût pour Prêtre le premier des Apôtres. Mais, l'ayant reçu pour Docteur, nous ne l'avons pas retenu toujours; nous l'avons concédé à la ville impériale de Rome; ou plutôt, nous l'avons toujours retenu, car si nous n'avons pas le corps de Pierre, nous retenons la Foy de Pierre, comme Pierre, puisqu'en tenant la Foy de Pierre, c'est comme si nous tenions Pierre lui-même. »
Pierre n'est donc quelque chose que par la Vérité à laquelle il a rendu témoignage. Saint Chrysostome le dit expressément dans le même discours. Il ajoute : « Dès que j'ai fait mention de Pierre, il s'est présenté à ma mémoire un autre Pierre – Flavien, Evêque d'Antioche, à l'époque où ce discours fut écrit), un Père & un Docteur commun à nous tous, qui a hérité de la vertu de Saint Pierre, & qui a reçu sa chaire en héritage. » Ensuite, dans l'Eloge de Saint Ignace, Evêque d'Antioche, nous lisons ce qui suit: « Saint Ignace a été le successeur de Pierre dans son principat. » Le traducteur a dit : « Saint Ignace a succédé à Saint Pierre dans la dignité de l'Episcopat. » C'est une incorrection. Le principat, dans le style des Pères, c'est l'Apostolat, qui est bien la source de l'Episcopat, mais qui le surpasse en dignité & en puissance. Du reste, que l'on traduise par principat ou par Episcopat, le témoignage de Saint Chrysostome n'en est pas moins opposé à la doctrine catholique romaine, d'après laquelle l'évêque de Rome serait l'unique héritier de Saint Pierre. Selon Saint Chrysostome, Saint Pierre n'a pu occuper réellement le siège d'une ville quelconque; il fut également, & dans un sens général, l'Evêque-Apôtre de toute les Eglises où il a prêché l'Evangile, & qui conservent son enseignement.
Dans ce même discours, Saint Chrysostome nomme Saint Ignace d'Antioche « docteur de Rome dans la Foy », & il explique ainsi la raison pour laquelle Pierre, Paul, & Ignace moururent à Rome : « Vous ( habitants d'Antioche), par la Grâce de Dieu, n'avez plus besoin d'instruction, car vous avez été enracinés dans la Religion; mais les habitants de Rome, à cause de la grande impiété qui y régnait, avaient besoin d'un discours plus puissant;
(P.78).
C'est pour cela que Pierre & Paul, & avec eux Ignace, tous les trois y furent mis à mort. » ( in Eloge de S. Ignace -). En développant ce sujet, il ajoute : « que la Mort de ces Apôtres & d'Ignace fut une preuve visible & une prédication en action de la Résurrection de Jésus-Christ. »
Dans un de ses autres discours, (- in Homélie 32, sur l'Epître aux Romains-), Saint Chrysostome témoigne, avec la même précision, qu'il n'attachait aucun droit de supériorité à la ville de Rome, quoique Pierre & Paul y fussent Morts; il s'exprime ainsi: « J'aime Rome pour sa magnificence, pour son antiquité, pour sa beauté, pour la multitude de ses habitants, pour sa puissance, pour sa richesse, pour ses exploits guerriers, mais surtout, je nomme cette ville bienheureuse parce que Paul écrivit aux Romains durant sa Vie, parce qu'il les a aimés, qu'il a parlé avec eux pendant son séjour parmi eux, & qu'il a fini sa vie chez eux. » Le Saint Docteur exprime simplement son sentiment personnel d'affection pour la ville de Rome; les éloges qu'il lui donne sont terrestres, temporels; il dit simplement: « J'aime Rome », mais il ne dit pas qu'il reconnaît l'Eglise de cette ville comme la reine des Eglises, comme la mère & la maîtresse des autres. Il ne lui attribue aucun privilège à cause de Saint Pierre. Il s'ensuit que les théologiens catholiques romains ont abusé de ses ouvrages en cherchant à abriter sous le nom d'un si grand Docteur les prérogatives qu'ils attribuent à la papauté.

7. LES CAPPADOCIENS : SAINT GREGOIRE DE NAZIANZE, SAINT GREGOIRE DE NYSSE ET SAINT BASILE DE CESAREEE.

Les théologiens catholiques romains n'ont pas moins abusé de la Doctrine de Saint Grégoire de Nazianze, qui peut être résumée tout entière dans ce texte, relativement à Saint Pierre : « Tu vois, dit-il, (- in S. Greg. Nazian.,Disc.26.)-, comment, d'entre les Disciples du Christ, tous également grands & élevés & dignes d'élection, celui-ci est appelé la pierre, pour qu'il reçoive sur sa Foy le fondement de l'Eglise. » Le Saint Docteur ne dit pas que c'était sur la persenne de Pierre que l'Eglise devait être bâtie, mais sur sa Foy; non pas sur sa foi subjective, qui devait si tristement faiblir au moment de son triple reniement, mais sur sa Foy objective, cette Foy en la Divinité de Jésus-Christ qu'il avait confessée.
Les théologiens catholiques romains invoquent le témoignage de Saint Grégoire de Nysse, qui s'exprime ainsi : (-in Grég. Nyss., Panégyr. De S. Etienne.-):
« On célèbre la mémoire de Saint Pierre, qui est le chef des Apôtres, & en lui, on honore les autres membres de l'Eglise; car, c'est sur lui que l'Eglise de Dieu s'appuie, puisqu'il est, en vertu de la prérogative qu'il tient du Seigneur, la pierre ferme & solide sur laquelle le Sauveur a bâti Son Eglise. »
Cette traduction erronée appartient aux théologiens catholiques romains. Mais voici la tradition littérale du grec :
(P.79).
« On célèbre la mémoire de Pierre, qui est le chef des Apôtres; & ENSEMBLE avec lui sont glorifiés les autres membres de l'Eglise; & l'Eglise de Dieu est affermie, puisqu'en vertu du Don qui lui a été fait par le Seigneur, il est la ferme & la plus solide pierre sur laquelle le Sauveur a édifié l'Eglise. »-(Cf: Greg. Nyss PG 46, 733)-.
Par leur traduction fautive, les théologiens catholiques romains essaient de donner l'idée que Pierre reçut une prérogative exceptionnelle, qui l'aurait rendu le fondement unique de l'Eglise. Saint Grégoire nie positivement les erreurs qu'ils voudraient lui attribuer, par les passages suivants, extraits du même discours, qu'ils ont cité en le dénaturant:
« Nous faisons principalement aujourd'hui mémoire de ceux qui ont brillé par une grande & éclatante splendeur de piété; je veux dire: Pierre, Jacques, & Jean, qui sont les princes de l'ordre apostolique...Les Apôtres du Seigneur furent des astres qui éclairèrent tout ce qui se trouve sous le Ciel. Leurs princes & chefs, Pierre, Jacques, & jean, dont nous célébrons aujourd'hui le Martyre, souffrirent de différentes manières...Il est juste de célébrer le même jour la mémoire de ces hommes que nous venons de nommer, non pas seulement parce qu'ils furent unanimes dans leur prédication, mais à cause de l'EGALITE DE LEUR DIGNITE ( ton homotimon)... ».
« Celui ( Pierre) qui tient la première place ( pro-tostatès), & qui est le chef du Collège Apostolique, reçut la faveur d'une Gloire qui convenait à sa dignité, ayant été honoré d'une passion semblalble à celle du Sauveur...Mais Jacques a eu la tête tranchée, en aspirant à la possession du Christ qui est REELLEMENT (ontos) SON CHEF, car le chef de l'homme est le Christ, & il est en même temps LE CHEF DE TOUTE L'EGLISE...
« Les Apôtres sont les fondements de l'Eglise, les colonnes, & les piliers de la Vérité. Ils sont des sources constantes de Salut, desquelles découlent des torrents abondants de la Doctrine Divine. »
Après avoir donné les mêmes titres à Pierre, à Jacques, & à Jean, Saint Grégoire ajoute: « Du reste, nous n'avons pas dit tout cela pour rabaisser les autres Apôtres, mais pour témoigner de la Vertu de ceux dont nous parlons, ou, pour dire encore mieux, afin de faire l'ELOGE COMMUN DE TOUS LES APOTRES. » Ainsi, tous ces titres, tous ces éloges que Saint Grégoire donne à Pierre, à Jacques, & à Jean, ne se rapportent pas à la dignité de leur apostolat, cette dignité étant la même pour tous les Apôtres, mais seulement à leur vertu personnelle. Il met un soin particulier à ne laisser aucun doute sur la valeur véritable de ces éloges & sur la Doctrine de l'EGALITE réelle DES APOTRES, car il ajoute: « QUANT A LA VERITE DU DOGME, semblables aux membres LES APOTRES REPRESENTENT UN MEME CORPS, & si un membre est glorifié, comme dit l'Apôtre ( I, Corinthiens, XII, 26), TOUS LES AUTRES SONT GLORIFIES AVEC LUI. De même que leurs travaux pour la Religion LEUR FURENT COMMUNS, de même LES HONNEURS qui leur reviennent pour la prédication de la Foy LEUR SONT COMMUNS. »
(P.80).
« Pourquoi, dit encore le Saint Docteur, aurions-nous la témérité de vouloir exprimer ce qui est au-dessus de notre pouvoir, & de faire des efforts pour célébrer dignement la Vertu des Apôtres? Nos éloges ne se rapportent pas à Simon Pierre, connu pour avoir été pécheur, mais à sa Foy ferme, qui sert d'appui à l'Eglise. Nous n'exaltons pas non plus les fils de Zébédée ( Jacques & Jean), mais les Boanerges, ce qui veut dire les enfants du Tonnerre. »
Ce n'est donc pas la personne de Pierre qui est la pierre de l'Eglise, mais la Foy qu'il a confessée, c'est-à-dire Jésus-Christ, Fils de Dieu, ou la Divinité du Christ, à laquelle il avait rendu témoignage.
Parmi les Pères grecs, il n'en est pas un seul qui ait enseigné une doctrine différente de celle des Chrysostome & des Grégoire de Nysse.
Nous en dirons autant de celle de Saint Basile de Césarée. C'est en vain que les théologiens catholiques romains ont voulu s'appuyer sur son autorité; il suffit de le lire pour acquérir la preuve qu'il n'a point fait de l'Apôtre Pierre la pierre de l'Eglise, comme les partisans de la papauté le prétendent. « La maison du Seigneur, dit-il -( S. Basil., Sur le chapitre II d'Isaïe)-, bâtie sur le sommet des montagnes, est l'Eglise, selon le sentiment de l 'Apôtre qui dit: Il faut savoir comment on doit se conduire dans la maison de Dieu qui est l'Eglise du Dieu vivant; ses fondements sont sur les saintes montagnes, car elle est bâtie sur le fondement des Apôtres & des Prophètes. Une de ces montagnes était Pierre, sur laquelle pierre le Seigneur avait promis de bâtir son Eglise. C'est avec raison que des âmes sublimes, élevées au-dessus des choses terrestres, sont appelées des montagnes. Or, l'âme du bienheureux Pierre fut appelée une pierre sublime, parce qu'elle eut de fermes racines dans la Foy, & qu'elle supporta constamment & avec courage les coups qui furent portés dans l'épreuve. »
Saint Basile en conclut qu'en imitant cette Foy & ce courage, nous serons aussi des montagnes sur lesquelles la maison de Dieu sera élevée.

8.LE TEMOIGNAGE DES OCCIDENTAUX : SAINT AMBROISE & SAINT JEROME.

Saint Ambroise.

Quelques Pères occidentaux des quatrième & cinquième siècles semblent être plus favorables à l’autorité papale que les Pères orientaux ; Cependant, au fond, il n’en est rien. Déjà nous avons présenté la Doctrine de Tertullien, de Saint Hilaire de Poitiers, de Saint Léon. Celle des Saints Ambroise, Augustin, Optat, Jérôme, est la même.
D’après le témoignage du bienheureux Augustin, Saint Ambroise avait fait rapporter, dans ses Hymnes, le mot la pierre à la personne de l’Apôtre Pierre, ce qui avait été pour lui un motif d’admettre d’abord cette interprétation.
(P.81).
Cependant, Saint Ambroise s’est expliqué lui-même en d’autres endroits de ses écrits, comme dans celui-ci, - (in S. Ambros., De Incarnat.)- : « La Foy est le fondement de l’Eglise, car ce n’est point de la personne, mais de la Foy de Pierre qu’il a été dit : que les portes de l’Enfer ne prévaudront pas contre elle ; c’est la confession de la Foy qui a vaincu l’Enfer. » La vérité confessée par Saint Pierre est donc le fondement de l’Eglise ; & aucune promesse n’a été faite à sa personne, ni par conséquent à sa foi subjective.
Parmi les textes de Saint Ambroise, Rome & ses théologiens catholiques s’appuient principalement sur le suivant ( - Cf : S. Ambr., in Luc, et passim -) : « Le Seigneur qui interrogeait ne doutait pas ; Il interrogeait non pour apprendre, mais pour enseigner quel était celui qu’il laisserait, avant de monter au Ciel, comme le vicaire de Son Amour…Parce que seul de tous il confesse, il est préféré à tous…Pour la troisième fois le Seigneur ne lui demande plus : m’affectionnes-tu ? mais, m’aimes-tu ? Et alors, il ne lui confie pas, comme la première fois, les agneaux qui ont besoin d’être nourris de lait ; ni les petites brebis, comme la seconde fois ; mais il lui ordonne de les paître toutes, afin qu’étant plus parfait, il gouvernât les plus parfaites. »
Or, disent gravement les théologiens catholiques romains, après avoir cité ce texte : ces brebis les plus parfaites qu’étaient-elles, sinon les autres Apôtres ? Puis, ils supposent que le pape remplace Saint Pierre, que les évêques remplacent les Apôtres, & par là, ils arrivent à conclure que les évêques sont des brebis à l’égard du pape.
Saint Ambroise a-t-il dit un mot qui puisse autoriser de telles conséquences ? Il n’attribue aucun caractère dogmatique à ce qu’il dit de Saint Pierre ; c’est une interprétation mystique & pieuse qu’il propose ; il ne songe point à confondre les Apôtres, qui sont des pasteurs, avec des brebis ; il songe encore moins aux privilèges des évêques de Rome, dont il ne fait aucune mention. Et c’est sur des bases aussi chancelantes que l’on prétend élever un si haut édifice ! Saint Ambroise, comme Saint Hilaire de Poitiers, attribue tantôt à la personne de Pierre, tantôt à sa Foy, ou plutôt à l’objet de sa Foy, le titre de : la pierre. Il ne l’attribue même à sa personne que d’une manière figurative, & par extension. « Jésus-Christ, dit-il, est la pierre. Il n’a pas refusé la grâce de ce nom à Son Disciple en l’appelant Pierre, parce qu’il tenait de la pierre la constance & la solidité de sa Foy. Fais donc toi-même tes efforts pour être une pierre ; ta pierre, c’est ta Foy, & la Foy, c’est le fondement de l’Eglise. Si tu es une pierre, tu seras dans l’Eglise, parce que l’Eglise est bâtie sur la pierre. » Cette explication laisse-t-elle l’ombre d’un doute sur le sens que Saint Ambroise attribuait à ce mot fameux sur lequel les théologiens catholiques romains édifient le prodigieux monument des prérogatives papales ? Pourquoi Pierre a-t-il reçu ce nom ? « C’est, ajoute Saint Ambroise, que l’Eglise a été bâtie sur la Foy de Pierre. » Mais quelle foi ? Est-ce sa croyance personnelle, ou la vérité à laquelle il a cru ? Saint Ambroise répond au même endroit : « Pierre a été ainsi nommé parce qu’il a été le premier qui ait jeté les fondements de la Foy parmi les nations. »
(P.82).
Est-ce son adhésion personnelle qu’il a prêchée ? On ne pourrait le soutenir. C’est donc la vérité à laquelle il a cru qu’il a enseignée, & c’est cette vérité qui est le fondement de l’Eglise.
Les œuvres de Saint Ambroise sont pleines de témoignages contre les prétentions papales. Nous pourrions multiplier les textes, mais à quoi bon ? Il suffit de jeter un coup d’œil sur ses ouvrages pour être persuadé qu’on ne peut invoquer son autorité en faveur de l’ultramontanisme. Nous nous contenterons donc de citer les textes suivants, dans lesquels il expose sa croyance sur la primauté de Pierre.
Expliquant ces paroles de l’épître aux Galates : J’allai à Jérusalem pour voir Pierre, il s’exprime ainsi : « Il convenait que Paul allât voir Pierre. Pourquoi ? Est-ce que Pierre était son supérieur & celui des autres Apôtres ? NON ; mais parce que, entre tous les Apôtres, il était le premier à qui le Seigneur avait confié le soin des Eglises. Est-ce parce qu’il avait besoin de recevoir instruction ou mission de Pierre ? NON ; mais afin que Pierre connût que Paul avait reçu la Puissance qui lui avait été donnée à lui-même. »
Saint Ambroise explique ainsi ces autres paroles : Ayant connu que la Puissance d’annoncer l’Evangile aux Gentils m’avait été confié : « Il ( Paul) ne nomme que Pierre & ne se compare qu’à lui, parce que, comme Pierre avait reçu la primauté pour fonder l’Eglise des Juifs, lui, Paul, avait été choisi de la même manière pour avoir la primauté dans la fondation des Eglises des Gentils. » Puis, il s’étend sur cette idée qui détruit radicalement les prétentions papales. En effet, d’après Saint Ambroise, Rome, qui n’appartenait pas aux Juifs, comme personne ne le conteste, n’aurait point à se glorifier de la primauté de Pierre, mais de celle de Paul. Du reste, elle serait ainsi beaucoup plus dans la vérité historique, car il est démontré que Paul l’a évangélisée avant Pierre ; que ses deux premiers Evêques ont été ordonnés par Paul ; que sa succession par Pierre ne remonte qu’à Clément son troisième Evêque.
Enfin, en quel sens Saint Ambroise entendait-il le mot primauté ? Il n’y attachait aucune idée d’honneur ou d’autorité, puisqu’il dit positivement : « Dès que Pierre entendit ces mots : Que dites-vous que je suis ? se souvenant de sa place, il exerça la primauté, primauté de confession, non d’honneur ; primauté de Foy, non d’ordre. » N’est-ce pas là rejeter toute idée de primauté telle que l’entendent les théologiens catholiques Romains ? Ils abusent donc de l’autorité de Saint Ambroise.

Saint Jérôme.

Avant de terminer cet examen de la Doctrine des Pères Saints des quatrième & cinquième siècles, nous devons mentionner, en forme d’objections, quelques textes de Saint Jérôme qui semblent favoriser les exagérations papales.
(P.83).
Préalablement, nous ferons remarquer 1°) que, alors même que les paroles de ce Père devraient être prises à la lettre, elles ne prouveraient rien, puisqu’il serait seul contre tous, & que l’opinion d’un seul Père ne prouve absolument rien quant à la Doctrine Universelle ; 2°) que l’on ne peut prendre à la lettre les textes de Saint Jérôme sans le mettre en contradiction avec lui-même.
Ecrivant au pape Damase, son ami & protecteur, Jérôme s’exprime ainsi –(in S. Hieron., Epist. 57 ad Damas)- : « Quoique votre grandeur m’effraye, votre bonté me rassure. Je demande au Prêtre la victime du Salut, au pasteur le secours qu’il doit à une brebis. Je parle au successeur du pécheur, au Disciple de la Croix. Ne suivant AUCUN PREMIER, si ce n’est le Christ, je suis uni de communion avec Sa Béatitude, c’est-à-dire avec la chaire de Pierre ; je sais que c’est sur cette pierre que l’Eglise a été bâtie. Qui ne mange point l’agneau dans cette maison est un profane ; quiconque ne se trouva point dans l’arche de Noé périra au Temps du Déluge…Je ne connais pas Vital ; je repousse Mélèce ; je ne connais pas Paulin – Note : C’est une allusion aux dissensions de l’Eglise d’Antioche-) ; Quiconque ne moissonne pas avec vous, disperse sa moisson ; c’est-à-dire que celui qui n’est pas du Christ, est de l’Anti-Christ. » Il demande ensuite à Damase s’il doit parler des Hypostases Divines ou se taire.
En s’adressant à Damase ou aux dames romaines, en particulier à Eustochia, Saint Jérôme parle à peu près dans le même sens du siège de Rome.
Doit-on prendre ses paroles à la lettre, ou bien ne doit-on y voir qu’une flatterie à l’adresse du pape Damase ? On peut d’autant mieux y voir une flatterie que Damase avait donné à Jérôme des témoignages non seulement de protection mais aussi d’amitié. Quoi qu’il en soit, il est certain qu’on ne peut les entendre littéralement sans mettre Saint Jérôme en contradiction avec lui-même. Il faut d’abord remarquer qu’il ne reconnaît qu’un premier dans l’Eglise, Jésus-Christ ; de plus, il appelle l’Apôtre Saint Pierre la pierre sur laquelle l’Eglise est bâtie, & il affirme en même Temps que Jésus-Christ seul est cette pierre, & que le titre de pierres secondaires appartient également à tous les Apôtres & aux Prophètes. « Les pierres, dit-il (- in S. Hieron. Adv. Jovin.-), doivent s’interpréter des Prophètes & des Apôtres. L’Eglise est la pierre fondée sur la pierre la plus solide. »
Il enseigne que l’Eglise est représentée par les Apôtres & les Prophètes, en ce sens qu’elle est établie sur les uns & les autres, super Prophetas et Apostolos constituta. Cependant, dans sa lettre à Damase, il semble dire que Pierre est le fondement de l’Eglise à l’exclusion des autres.
Mais peut-être a-t-il sous-entendu que Pierre avait quelque supériorité comme base de l’Eglise ? Non, puisqu’il dit positivement le contraire –(ibidem-) : « La solidité de l’Eglise, dit-il, est appuyée sur eux ( Prophètes & Apôtres) D’UNE MANIERE EGALE. » Il appelle Saint Pierre prince des Apôtres ; mais il dit aussi : « Le Christ nous montre Pierre & André princes des Apôtres, établis Docteurs de l’Evangile. »
(P.84).
La principauté de Saint Pierre était-elle une autorité, comme on pourrait l’inférer de la lettre à Damase ? Jérôme s’explique dans ce passage (-Idem, advers.Pelag., lib.I, c. IV-) : « Que peut-on attribuer à Aristote que l’on ne trouve en Platon ? à Paul qui n’appartienne à Pierre ? Commece dernier fut le prince des philosophes, Pierre fut le prince des Apôtres, sur lequel l’Eglise du Seigneur a été établie comme sur un rocher solide. » Dans un autre endroit, (- Idem, Commentaire sur l’Epître aux Galates-), il fait dire à Saint Paul : « Je ne suis EN RIEN inférieur à Pierre, parce que nous avons été ordonnés par le même Dieu pour le même Ministère. » Il est évident que celui qui n’est inférieur EN RIEN ( in nullo) est EGAL EN TOUT.
Les théologiens catholiques romains ne peuvent nier que les Saints Pères aient enseigné généralement l’EGALITE des Apôtres entre eux ; sur ce point, la Tradition est unanime. On ne pourrait citer un seul des Pères de l’Eglise qui ait enseigné une autre doctrine. Mais ces théologiens affectent de ne pas attacher d’importance à un fait aussi grave. Ils croient se débarrasser du témoignage accablant des Pères Saints par cette distinction : Les Apôtres étaient égaux, disent-ils, quant à l’apostolat, mais non quant à la primauté. Mais cette primauté, telle qu’on l’entend à Rome, peut-elle coexister avec une égalité quelconque ? Evidemment, non. Les Pères ne peuvent enseigner l’égalité des Apôtres sans nier la supériorité de l’un d’entre eux. Ils enseignent cette égalité sans restriction. Donc, on dénature leur témoignage en recourant à une distinction qui lui ôte son caractère absolu.
Mais Saint Jérôme a-t-il accordé au siège de Rome des prérogatives exceptionnelles, comme le donneraient à penser ses lettres à Damase & à Eustochia ? Voici ce que dit le Saint Docteur dans une autre lettre –( S. Jérôme. Lettre 146 à Eustochia)- :
« Il ne faut pas croire que la ville de Rome soit une Eglise différente de celle de tout l’univers : Les Gaules, la Bretagne, l’Afrique, la Perse, l’Orient, l’Inde, toutes les nations barbares adorent Jésus-Christ & observent une seule règle de Vérité ; si l’on cherche l’autorité, l’univers est plus grand qu’une ville. Partout où il y a un Evêque, qu’il soit à Rome ou à Eugube, à Constantinople ou à Rhège, à Alexandrie ou à Tanis, il a la MEME AUTORITE, le même mérite, ayant le même sacerdoce. Le pouvoir que donnent les richesses, ou la bassesse à laquelle la pauvreté réduit, ne rendent un Evêque ni plus ni moins grand. »
Peut-on dire plus clairement que la règle de la Vérité n’est que dans le corps épiscopal tout entier, & non pas à Rome ; que l’Evêque de Rome n’est pas plus, comme Evêque, que le plus humble Evêque de l’Eglise ; que le pouvoir qu’il possédait, à cause de ses richesses, ne le rendait pas supérieur aux autres ?
(P.85).
Ne dirait-on pas que Saint Jérôme s’est appliqué, dans tous ses ouvrages, à réfuter ses lettres à Damase ?
Mais, ajoutent les théologiens catholiques romains, les prérogatives papales étaient si bien reconnues que l’hérétique Jovinien lui-même en fait mention. En effet, voulant prouver à Saint Jérôme que l’état du mariage était supérieur à l’état de virginité, il lui dit : « Saint Jean était vierge, & Saint Pierre était marié ; pourquoi Jésus-Christ a-t-il préféré Saint Pierre à Saint Jean pour édifier sur lui son Eglise ? » Les théologiens catholiques romains s’en tiennent là & ne donnent pas la réponse de Saint Jérôme à Jovinien. Ce procédé ne prouve pas en faveur de leur bonne foi, comme on va le voir. Voici la réponse de Saint Jérôme – ( in S. Hieron., liv.I, Cont. Jovin.)- : « S’Il a choisi Pierre plutôt que Jean pour cette honorable distinction, c’est qu’il ne convenait pas de la conférer à un jeune homme, ou plutôt à un enfant tel que Jean, pour ne pas exciter de la jalousie. Mais si Pierre est Apôtre, Jean l’est aussi. L’un est marié, l’autre est vierge. Mais Pierre n’est qu’Apôtre, & jean est Apôtre, Evangéliste, & Prophète. »
De bonne foi, Saint Jérôme eût-il raisonné de cette manière s’il eût eu de la primauté de Saint Pierre l’idée que l’on a à Rome de celle du pape ? Il eût mal raisonné contre Jovinien, si cet hérétique eût considéré la primauté de Pierre autrement que comme une priorité en vertu de laquelle il était le représentant du collège apostolique & le symbole de l’unité ; car il appuie son argumentation sur ce point incontesté : que Pierre n’était qu’Apôtre comme les autres. Si Jovinien eût cru qu’il était autre chose, l’argument de Saint Jérôme eût été ridicule. Or, le Saint Docteur eût-il posé ce premier principe de son argumentation ? eût-il placé Saint Jean au-dessus de Saint Pierre à cause de ses titres d’Evangéliste & de Prophète, si Saint Pierre eût été le chef, le prince des Apôtres dans le sens que Rome attribue aujourd’hui à ces expressions ?
Après le tableau que nous venons de faire de la Tradition constante & universelle des cinq premiers siècles de l’Eglise, on reste stupéfait lorsqu’on entend le cardinal Orsi affirmer que l’on ne peut opposer aux prétentions papales que des textes isolés, & qui ne contiennent pas le sens de la Tradition Universelle ; lorsqu’on entend tous les partisans de la papauté affirmer que la Tradition universelle est pour leur Système, principalement dans les premiers siècles !

8. L’INVENTION DE LA « PAPAUTE ».

En présence de l’enseignement des Eglises occidentales pendant les premiers siècles, nous devons placer l’enseignement erroné de l’église catholique romaine, afin de prouver, d’une manière incontestable, qu’il y a entre les deux doctrines une différence essentielle.
La doctrine de l’église catholique romaine n’est pas arrivée tout d’un coup au degré de développement où nous la voyons aujourd’hui.
(P.86).
Ce n’est qu’à partir du neuvième siècle que l’on rencontre, dans l’Histoire, les prétentions de l’évêque de Rome à l’autorité universelle dans l’Eglise. Ce siècle peut donc être considéré comme l’époque de la fondation de la papauté.
Mais, lorsque l’évêque de Rome formula pour la première fois ses prétentions, il ne donna pas comme une innovation l’autorité qu’il s’attribuait ; il essaya même de prouver que cette autorité était un droit qui avait toujours & partout été reconnu. Il réussit à imposer cette doctrine aux Eglises occidentales par trois moyens principaux ; le premier fut la fabrication de certains faux documents, que l’on donna comme anciens, & qui furent acceptés comme tels en Occident, plongé alors dans une ignorance presque complète des vrais monuments historiques ; le second fut la falsification des textes de ceux de ces monuments qui étaient alors connus ; le troisième fut une interprétation fantaisiste de nombreux textes que l’on ne prenait pas la peine de falsifier matériellement.
C’est ainsi que l’on vit sortir, pendant le moyen âge, des ateliers de copistes qui, presque tous, n’existaient que dans les couvents, les Fausses Décrétales ; -(Cf : Archives du blog : Anonyme, Histoire des papes-) ; ainsi que des copies altérées des ouvrages des Pères de l’Eglise ; des traités théologiques dans lesquels on ne tenait aucun compte du sens traditionnel des Ecritures.
Pendant les premiers siècles, les Pères de l’Eglise, ne se doutant point de l’abus que l’on ferait plus tard de leurs ouvrages, donnaient à Saint Pierre les éloges que méritaient sa Foy & son zèle ; ils l’appelaient le premier des Apôtres ; ils remarquaient que Jésus-Christ avait eu pour lui une espèce de préférence en plusieurs occasions ; ils commentaient, d’une manière oratoire, quelques textes évangéliques où le premier des Apôtres semblait honoré d’une manière exceptionnelle.
On rencontre des textes de ce genre dans Origène, Tertullien, Saint Cyprien, Saint Basile de Césarée, Saint Grégoire de Naziance, Saint Hilaire de Poitiers, Saint Grégoire de Nysse, Saint Ambroise, Saint Jean Chrysostome, le bienheureux Augustin, Saint Léon, & autres Pères Saints
Mais ces vénérables écrivains & auteurs ecclésiastiques, en exaltant Saint Pierre, ne songeaient pas que leurs éloges seraient détournés du sujet qu’ils avaient en vue & appliqués à l’évêque de Rome. Ce fut l’œuvre des théologiens catholiques romains, à partir du neuvième siècle, de faire subir à leurs paroles cette transformation, sous l’influence & la direction des évêques de Rome.
Par quels moyens arrivèrent-ils à ce but ? En affirmant que l’évêque de Rome était successeur de Saint Pierre, lequel avait fondé l’Eglise Orthodoxe romaine, en aurait été le premier Evêque, & aurait transmis ses prérogatives au premier Prêtre de cette Eglise.
On supposa donc d’abord que Saint Pierre avait été évêque de Rome. On s’empressa de recueillir toutes les preuves que le premier des Apôtres s’était rendu à Rome. On en conclut qu’il avait été Evêque de cette ville. La déduction n’était pas rigoureuse ; mais on l’accepta, & bientôt on accepta aussi sans difficulté l’épiscopat de vingt-cinq ans, malgré la Saint Ecriture, & malgré les monuments historiques les plus certains.
L’ignorance de l’Histoire ecclésiastique, le défaut absolu de critique, le mouvement que l’église de Rome imprimait à l’Occident, tout favorisait le développement de ces deux grandes erreurs qui furent la base de la papauté :
(P.87)
1°) Saint Pierre, premier des Apôtres, fut évêque de Rome ;
2°) Il légua à son successeur les prérogatives exceptionnelles dont il avait été investi par Jésus-Christ.
Ainsi : l’exagération dans le sens des prérogatives de Saint Pierre, & dans les textes des Ecritures & des Pères qui les ont mentionnées ;
La falsification du sens de ces textes, en les appliquant à l’évêque de Rome ;
L’erreur historique qui fait de Saint Pierre le premier évêque de Rome ;
Le sophisme en vertu duquel on fait, des éloges adressés à la personne de Saint Pierre, des prérogatives qui devaient passer à d’autres comme une succession.
Telles sont les bases fragiles que l’évêque de Rome put faire accepter comme des preuves à l’appui de son autorité personnelle, en y joignant, comme nous l’avons dit, la fabrication de faux documents, & la falsification des textes.
Il y eut, même en plein moyen-âge, des protestations contre l’œuvre papale, en occident, sans compter la grande & constante protestation de l’Orient Chrétien ; mais les protestations occidentales furent absorbées dans l’opinion admise presque universellement ; & lorsque, à l’aurore de la renaissance, quelques hommes instruits se trouvèrent en face de la grande erreur papale, ils n’osèrent l’attaquer de front ; ils se rattachèrent à un système intermédiaire qu’ils considéraient comme devant donner satisfaction à la science sans trop froisser le préjugé généralement accepté.
Le premier qui formula ce système d’une manière explicite fut le cardinal de Cusa, dans son livre De la concordance catholique. Il est à remarquer que ce cardinal enseigna à Rome son système, au quinzième siècle, & qu’il jouit de la plus haute réputation de sainteté. Or il enseignait 1°) que la primauté d’un évêque de l’église était de droit divin ; 2°) qu’elle avait été donnée à Saint Pierre.
Par ces deux affirmations, il est évident que l’évêque de Rome ne posséderait la primauté que de droit ecclésiastique, & qu’il ne jouirait que des prérogatives attachées par l’église à la primauté.
(P.88).
Le cardinal de Cusa eut des disciples. En France, au seizième siècle, sa doctrine était généralement admise ; Dominique de Soto l’enseignait en Espagne ; & le cardinal d’Ailly est d’accord sur ce point avec le docte Fauchet.
Rome était bien éloignée de condamner ce vieux gallicanisme qui avait, pour ainsi dire, pris naissance dans son sein. Mais bientôt les jésuites apparurent, qui prirent à tâche de systématiser la doctrine que la papauté avait cherché à développer pendant le moyen âge, & de lui donner des apparences scientifiques en même temps qu’un masque de catholicité, ce qui est dire d’universalité.
Bellarmin peut-être considéré comme le fondateur du papisme moderne ; c’est lui qui posa les principes dont les conséquences pratiques se sont manifestées de nos jours, dans le Syllabus & les décrets du concile de Vatican. Tous les jésuites sont venus en aide à leur père Bellarmin, soit par des ouvrages écrits dans le même sens, soit par l’enseignement scolaire. Constamment pratiquée par la papauté, la doctrine jésuitique conquit de nombreux & puissants adeptes, & le gallicanisme, dès le dix-septième siècle, était obligé de se modifier pour éviter une scission avec Rome.
Ce fut alors que Bossuet essaya d’un compromis entre le vieux gallicanisme & le papisme des jésuites.
-(Cf : Michel Terestchenko : Amour & désespoir. Ed. Seuil. Coll. Points)-.
Il accepta, en principe, que le pape possédait la primauté DE DROIT DIVIN, mais il ajouta que les prérogatives de cette primauté devaient être exercées de concert avec l’épiscopat, & dans les limites fixées par les lois ecclésiastiques.
La papauté ne condamna pas ce système ; elle comprenait qu’il n’était qu’un pas en avant vers la doctrine jésuitique ; qu’il était illogique, & qu’il ne tiendrait pas longtemps devant l’action incessante & énergique des jésuites, au sein de l’église catholique romaine. Bossuet avait trop de génie pour ne pas comprendre l’incohérence d’un système dans lequel une autorité divine, possédée de droit divin par un seul, était subordonnée à des inférieurs, & à des lois ecclésiastiques. Mais il croyait amener Rome, par des concessions, à renoncer à ses prétentions exagérées ; il pensait que la seconde proposition de son système annulerait la première. C’est le contraire qui arriva.
Le gallicanisme de Bossuet & de l’assemblée gallicane de 1682 tomba peu à peu de concessions en concessions, jusqu’à celui de M. Frayssinous & du cardinal de Bausset, pour en arriver enfin à celui de MM. Maret, Gratry, & Dupanloup. L’enseignement & l’action des jésuites avait formé une masse papiste, pour laquelle toute doctrine devait disparaître devant celle du pape tout-puissant & infaillible. Cette masse inepte & fanatique dans son ignorance est devenue tellement puissante, dans l’église catholique romaine, qu’elle a imposé sa volonté aux évêques, en présence & avec l’assentiment desquels Pie IX a formulé & promulgué comme autant de dogmes divins, tous les points de la doctrine jésuitique.
Jusqu’à nos jours, on pouvait discuter sur la nature & l’étendue de la doctrine papiste. Les divers systèmes gallicans n’ayant pas été ostensiblement condamnés, on pouvait contester, en partant des données de tel ou tel système, l’exactitude des reproches adressés aux prétentions papales. Il n’en est plus ainsi aujourd’hui. Le gallicanisme le plus subtil a été poussé dans ses derniers retranchements, de sorte qu’il n’y a plus qu’à se soumettre,
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Comme M.Maret, son dernier & très inoffensif défenseur, ou à rompre entièrement avec l’erreur papale, pour en revenir à l’Orthodoxie des huit premiers siècles, conservées par l’Orient Chrétien.
Nous n’avons donc pas besoin, pour constater la divergence qui existe entre l’enseignement des premiers siècles & celui de l’église catholique romaine actuelle, de citer un grand nombre de témoignages. Le dernier concile du Vatican nous suffit. Le pape l’a convoqué, l’a présidé, l’a confirmé, & promulgué. Aucun évêque occidental n’a protesté ; l’immense majorité de l’épiscopat a accepté les décrets avec enthousiasme ; ceux qui avaient semblé, tout d’abord, vouloir résister à l’erreur se sont soumis. Nous pouvons donc affirmer, sans crainte d’être contredit, que Rome professe aujourd’hui sur les neuf points que nous avons indiqués, une doctrine diamétralement opposée à celle de l’Eglise Orthodoxe originelle d’Occident, & que l’on peut formuler ainsi :
1°) L’évêque de Rome possède, de droit divin, la supériorité de tous les évêques ; & aucun évêque n’est légitime s’il ne le délègue, & ne lui donne l’institution ;
2°) Son autorité est supérieure à celle de tout le reste de l’épiscopat, de même que celle de Saint Pierre était supérieure à celle des autres Apôtres ;
3°) Il possède, de droit divin, des prérogatives sur tous les autres évêques ;
4°) Seul il est le centre & le signe de l’unité de l’église.
5°) C’est lui qui conserve infailliblement les vérités révélées ; il a le droit de leur donner les développements qu’il juge utiles, & il exerce le droit sans pouvoir se tromper ;
6°) Il promulgue de nouveaux dogmes, & par le fait même de sa promulgation, il s’ensuit que ces dogmes nouveaux faisaient partie de la foi de l’Eglise, & existaient dans la Tradition à l’état latent ; quand il promulgue un dogme, les évêques & les fidèles n’ont qu’à se soumettre à sa parole infaillible ;
7°) Les conciles ne sont point réunis pour constater la Foy constante & universelle de l’Eglise, mais pour donner plus de solennité à la manifestation de l’autorité papale ;
8°) Seul il possède l’autorité doctrinale, & il promulgue les dogmes en vertu de sa propre autorité.
9°) La seule condition pour être catholique, c’est d’être soumis au pape.
En rapprochant ces neuf propositions de celles dans lesquelles nous avons résumé la doctrine des premiers siècles, il est clair qu’il y a opposition complète, absolue, entre l’ancienne Doctrine Orthodoxe originelle & la doctrine papale actuelle ; que le pape, par la nouvelle doctrine qu’il enseigne, nie plusieurs articles de Foy, ceux par exemple, qui se rapportent à l’unité de l’apostolat & de l’épiscopat ; 2°) à l’autorité traditionnelle de l’Eglise ; 3°) à la charge épiscopale qui consiste en ce que les évêques sont tous également les échos de la Foy Orthodoxe de leurs Eglises respectives, à tel point que l’Eglise parle par eux ; 4°) à la nature de l’unité qui consiste dans l’union permanente & universelle dans les croyances.
On peut dire que, par ses nouvelles doctrines, la papauté nie la règle universelle de la Foy Orthodoxe originelle ; l’autorité de l’Eglise Orthodoxe, les caractères essentiels de l’Episcopat ; qu’elle désorganise l’Eglise entière ; qu’elle en rejette la divine constitution.
Telle est sa première Hérésie.

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