mercredi 4 janvier 2012

Guettée. De la papauté. Chap.IV.




















Guettée. De la papauté. CHAPITRE QUATRE.
IV.
LE TEMOIGNAGE DES CONCILES
OECUMENIQUES ET LOCAUX.

(P.91).
Les faits s’unissent aux témoignages doctrinaux pour démontrer que la papauté ne jouit point de l’autorité universelle pendant les trois premiers siècles de l’Eglise ; pour prouver que les évêques de Rome n’eurent, dans les affaires ecclésiastiques, qu’une influence qui découlait nécessairement de l’importance & de la dignité de leur siège, le seul qui fût généralement reconnu comme apostolique en Occident.
L’Eglise de Rome avait été, en outre, la mère de plusieurs autres Eglises, sur lesquelles elle exerçait une certaine autorité, comme nous l’apprend le sixième canon du Premier Concile Œcuménique, dit Concile de Nicée, tenu à Nicée en 325.
On a beaucoup disserté sur ce fameux canon, dans lequel les théologiens catholiques romains se sont efforcés de voir un témoignage en faveur de leurs opinions. Ils ont compulsé les manuscrits pour découvrir s’ils n’en trouveraient pas qui favoriseraient leurs desseins. Ils en ont rencontré en effet quelques-uns qui les servaient admirablement, par des additions qui ne laisseraient rien à désirer si elles étaient authentiques. Telle est celle-ci : « Lors donc que le saint-synode a confirmé la primauté du siège apostolique, qui est le mérite de Saint Pierre, lequel est le prince de l’épiscopat entier (-mot à mot : de la couronne épiscopale) & la dignité de la ville de Rome. » C’est là, certes, un beau préambule pour le sixième canon de Nicée ; mais il est malheureux que le faussaire se soit trahi, même par son style, qui ne peut dater que de l’époque du manuscrit lui-même, c’est-à-dire du moyen âge. (- Note : Nous donnons comme échantillon du genre : Cum igitur sedis apostolicae primatum, sancti Petri meritum qui princeps est episcopalis coronae, et Romanae dignitas civitatis, sacrae etiam synodi firmavit auctoritas. Il suffit d’avoir lu deux pages des monuments ecclésiastiques du quatrième siècle, pour découvrir la fraude à première vue, & pour être persuadé que ce verbiage baroque & ambitieux date d’une époque postérieure-). Dans un manuscrit catholique romain, on lit en tête du canon sixième : « L’église catholique romaine ait toujours la primauté. » Toutes ces additions n’étaient pas encore connues au neuvième siècle, puisque l’auteur des FAUSSES DECRETALES, qui vivait alors, & qui n’eut pas manqué d’en profiter, a donné les canons des Premiers Conciles d’après la collection de Denys le Petit.
(P.92).
Ce savant, qui fit à Rome même sa collection des canons, mourut dans la première moitié du sixième siècle. Selon Cassiodore, il avait une connaissance parfaite du grec. Sa version mérite donc une entière confiance. Or, on n’y trouve aucune des additions qui précèdent, & il donne ainsi le sixième canon du Concile de Nicée :
« Que l’on conserve l’ancienne coutume qui existe dans l’Egypte, la Lybie, & la Pentapole, de sorte que l’Evêque d’Alexandrie ait l’autorité dans tous ces pays, puisque cela est aussi passé en usage pour l’Evêque de Rome. Qu’à Antioche & dans les autres provinces, les Eglises conservent également leurs privilèges. Or, cela est de toute évidence : que si quelqu’un est fait évêque sans la bénédiction du Métropolite, le grand Concile définit qu’il ne faut pas qu’il soit Evêque, etc… »
L’objet de ce canon était de défendre l’autorité de l’Evêque d’Alexandrie contre les partisans de Mélétios, évêque de Lycopolis, qui refusaient de la reconnaître pour les ordinations épiscopales.
Le sixième canon n’a donc pour but que de confirmer les anciennes coutumes touchant ces ordinations, &, en général, les privilèges qui étaient consacrés par un usage ancien. Or, d’après une coutume ancienne, celle de Rome jouissait de certaines prérogatives qu’on ne lui contestait pas. Le Concile part de ce fait pour confirmer les prérogatives analogues d’Alexandrie, d’Antioche, & des autres Eglises.
Mais quelles étaient les Eglises sur lesquelles celle de Rome, d’après l’usage, exerçait un droit de surveillance ? Rufin les désigne sous le titre de suburbicaires. Cet écrivain, qui composa son Histoire ecclésiastique au quatrième siècle, qui naquit à Aquilée & qui habita Rome, devait connaître l’étendue de la juridiction de l’Eglise Orthodoxe romaine de son temps. Or, qu’entend-il par Eglises suburbicaires ? On sait qu’à dater du règne de Constantin, l’Eglise fut partagée en diocèses & en provinces comme l’empire lui-même. (- Note : On appelait alors diocèse la réunion de plusieurs provinces, & province une section de diocèse. Les mots ont changé de sens,&, aujourd’hui, une province ecclésiastique est composée de plusieurs diocèses.-) D’après ce fait incontesté, on connaît les Eglises suburbicaires ; c’étaient celles qui se trouvaient dans les localités qui avaient le m^^eme nom au quatrième siècle ; or, ces localités étaient celles qui dépendaient du diocèse ou préfecture de Rome, c’est-à-dire les sept provinces appelées « Sicilia, Corsica, Sardinia, Campania, Tuscia, Picenum Suburbicarium, Apulia cum Calabria, Bruttium, Samnium, Valeria. » L’Italie septentrionale formait un second diocèse, dont Milan était la préfecture, & ne dépendait pas de Rome ; le diocèse de Rome ne s’appelait pas l’Italie, mais le territoire romain. C’est ainsi que Saint Athanase appelle Milan, « métropole de l’Italie », & Rome, « métropole du territoire romain ». – (Cf : S. Athanase, Lettre aux solitaires)-. Au quatrième siècle, la juridiction des Evêques de Rome ne s’étendait donc que sur l’Italie méridionale, & sur les îles de la Sicile, de Corse, & de Sardaigne.
Lorsque les Pères de l’Eglise parlent du siège de Rome comme du premier de l’Orthodoxie, ils ne veulent point parler de sa juridiction universelle, mais de sa grandeur comme unique siège apostolique de ces contrées.
(P.93).
Les provinces que le Concile de Nicée soumit à la juridiction de l’Evêque d’Alexandrie formaient le diocèse d’Egypte, comme celles soumises à l’Evêque de Rome formaient le diocèse de Rome. Il établit entre l’un & l’autre un rapprochement qui confirme parfaitement le commentaire de Rufin.
Les sixième & septième canons du Concile de Nicée peuvent être considérés comme l’origine légale des patriarcats ; le titre n’était pas encore passé en usage, mais la chose était établie. D’après le principe admis par le Premier Concile général, le nombre des Patriarches n’était pas limité à quatre ; on y donne même à entendre qu’en dehors des quatre grandes Eglises Apostoliques de Rome, d’Alexandrie, d’Antioche, & de Jérusalem, il y en avait d’autres qui jouissaient de privilèges analogues. Les Evêques de ces Eglises n’obtinrent pas le titre de Patriarches, mais ils jouirent d’autres titres qui les élevaient au-dessus des simples Métropolites, tels sont ceux d’exarque & de primat.
Malgré les subterfuges des théologiens catholiques romains, ils ne peuvent échapper à ces deux conséquences du sixième canon de Concile de Nicée : 1°) Le Concile a prononcé que l’autorité de l’Evêque de Rome ne s’étendait que sur une contrée déterminée, comme celle de l’Evêque d’Alexandrie ; 2°) cette autorité n’était appuyée que sur la coutume.
Il suit de là que cette autorité, aux yeux du Concile, n’était PAS UNIVERSELLE ; qu’elle n’était PAS DE DROIT DIVIN. Le système ultramontain étant fondé tout entier sur le caractère universel & divin de l’autorité papale, il est diamétralement opposé au sixième canon du Concile Œcuménique de Nicée.
Cependant, il faut convenir que ce Concile, en s’autorisant de la coutume romaine pour confirmer celle d’Alexandrie, reconnut la légitimité de l’usage établi, & rendit hommage à la dignité du siège de Rome ; mais il faut ajouter que les prérogatives qu’il lui reconnaissait n’étaient point celles auxquelles il a prétendu depuis.

Le Concile Œcuménique de Constantinople, advenu au quatrième siècle, en 381, qui est le second des Conciles Œcuméniques, a fort bien interprété celui de Nicée par son troisième canon ainsi conçu : « Que l’Evêque de Constantinople ait la primauté d’honneur ( priores honoris partes) après l’Evêque de Rome, parce que Constantinople est la Nouvelle-Rome. »
L’Evêque de Rome était donc regardé comme le premier en honneur parce qu’il était l’Evêque de la capitale de l’empire ; Byzance étant devenue la seconde capitale sous le nom de Constantinople, son Evêque dut avoir le second rang, d’après le principe qui avait dirigé le Concile de Nicée dans la constitution extérieure de l’Eglise, & qui avait fait adopter pour elle les circonscriptions de l’empire.
(P.94).
Le Concile Œcuménique de Chalcédoine, qui fut assemblé en 481, au cinquième siècle, & un siècle après celui de Constantinople, jette de nouvelles lumières sur ce point ; il s’exprime ainsi dans son vingt-huitième canon :
« Suivant en tout les décrets des Saints Pères, & reconnaissant le canon qui vient d’être lu des cent cinquante Evêques très aimés de Dieu ( troisième canon du Deuxième Concile), nous décrétons & nous établissons la même chose touchant les privilèges de la Très Sainte Eglise de Constantinople, la nouvelle Rome. En effet, les Pères ont accordé avec raison au siège de l’ancienne Rome des privilèges, parce qu’elle était la ville régnante, la capitale. Mus par le même motif, les cent cinquante Evêques très aimés de Dieu accordèrent des privilèges égaux au très saint siège de la nouvelle Rome, pensant avec raison que la ville qui a l’honneur de posséder le siège de l’empire & celui du sénat doit jouir des mêmes privilèges que Rome, l’ancienne ville reine, dans les choses ecclésiastiques, puisqu’elle a été élevée & honorée autant qu’elle, quoiqu’elle ait existé après. » En conséquence de ce décret, le Concile soumit à la juridiction de l’Evêque de Constantinople les diocèses du Pont, d’Asie, & de Thrace. –( Note : On entendait par ce mot d’Asie, l’Asie Mineure, dont Ephèse était l’ancienne métropole. La partie de l’Asie Mineure soumise à la juridiction de l’Evêque d’Antioche s’appelait Orient.)-
Les légats du pape Léon Ier, au Concile de Chalcédoine, s’opposèrent à ce canon. Il n’en fut pas moins adopté. Seulement, les Pères du Concile adressèrent à Léon une lettre respectueuse dans laquelle, après avoir mentionné l’opposition des légats, ils disent : « Nous vous en prions donc, honorez notre jugement par vos propres décrets. »
Les théologiens catholiques romains ont voulu voir dans cette démarche une preuve que les Pères de Chalcédoine reconnaissaient à l’évêque de Rome une autorité suprême sur les décisions des Conciles, lesquelles n’auraient pas de valeur si elles n’étaient pas confirmées par lui. Il est plus juste de n’y voir qu’une démarche de haute convenance inspirée par l’amour de la paix & de la concorde. Le Concile devait désirer que l’Occident fût d’accord avec l’Orient. L’évêque de Rome étant le représentant de l’Occident au Concile, étant le seul qui possédât en Occident un siège apostolique ; d’un autre côté, son siège étant le premier en honneur dans l’Eglise universelle, on devait évidemment le prier d’adhérer à la décision du Concile. On ne lui demanda point de la confirmer, mais seulement d’honorer par ses propres décrets le jugement qui avait été adopté. Si la confirmation de l’évêque de Rome eût été nécessaire, le décret de Chalcédoine eût-il été un jugement, une décision promulguée avant cette confirmation ?
Saint Léon ne comprit pas la lettre du Concile de Chalcédoine comme les théologiens catholiques roamins. Il refusa, non pas de le confirmer de son autorité, mais seulement de l’admettre : « jamais, dit-il, ce décret ne pourra obtenir notre consentement. » (- in S. Léon, épître LIII, vet. Edit. ; LXXXIV edit. Quesn.-) Et pourquoi refusa-t-il son consentement ? Parce que le décret de Chalcédoine ôtait à l’Evêque d’Alexandrie le second rang, & à celui d’Antioche le troisième rang, & qu’il était ainsi contraire au sixième canon du Concile de Nicée ; parce que le même décret portait atteinte aux droits de plusieurs primats ou métropolites. » (Ibidem).
(P.95).
Dans une autre lettre adressée à l’empereur Marcien, (- in S. Léon, épître LIV, vet. Edit ; LXXVIII edit. Quesn.-), Saint Léon raisonne de la même manière : « L’évêque de Constantinople, malgré la gloire de son Eglise, ne peut faire qu’elle soit apostolique ; il n’a pas le droit de l’agrandir aux dépens des Eglises dont les privilèges, établis par les canons des Saints Pères, & fixés par les décrets du vénérable Concile de Nicée, ne peuvent être ni ébranlés par la perversité, ni violés par aucune nouveauté. »
L’Eglise de Rome a bien oublié ce principe de l’un de ses plus grands Evêques.
Dans sa lettre à l’impératrice Pulchérie, -( S. Léon, épître LV, vet. Edit ; LXXIX edit. Quesn.)-, Saint Léon déclare « qu’il a cassé le décret de Chalcédoine par l’autorité du bienheureux Apôtre Pierre. » Ces paroles semblent, au premier abord, faire croire qu’il s’attribuait une autorité souveraine dans l’Eglise, au nom de Saint Pierre ; mais, en examinant, avec plus d’attention, & sans idée préconçue, ses lettres & ses autres écrits, l’on reste convaincu que Saint Léon ne parlait que comme Evêque d’un siège apostolique ; qu’à ce titre, il s’attribuait le droit, au nom des Apôtres qui avaient fondé son Eglise & des contrées occidentales qu’il représentait, de s’opposer à ce que l’Eglise d’Orient prît à elle seule une détermination importante dans une affaire qui intéressait l’Eglise universelle.
La preuve qu’il envisageait ainsi les choses, c’est qu’il ne s’attribue aucune autorité personnelle qui lui serait venue, par Saint Pierre, d’une source divine, mais qu’il se donne, au contraire, comme le défenseur des canons, & qu’il regarde les droits & les devoirs réciproques des Eglises comme ayant été établis par les Pères, & fixés par le Concile de Nicée. Il ne prétend pas que son Eglise ait des droits exceptionnels, émanant d’une autre source ; seulement, de droit ecclésiastique, il est le premier Evêque de l’Eglise ; il est, en outre, sur le siège apostolique de l’Occident ; à ces deux titres, il doit intervenir & empêcher que l’ambition d’une Eglise particulière ne porte atteinte ni aux droits que les canons ont accordés à d’autres Evêques, trop faibles pour résister, ni à la paix de l’Eglise universelle. En lisant attentivement tout ce qu’a écrit Saint Léon contre le canon du Concile de Chalcédoine, on ne peut douter que tel n’ait été son sentiment ; il ne s’attribua donc point l’AUTOCRATIE dont les théologiens catholiques romains font la base de l’autorité papale. Dans sa lettre aux Pères du Concile de Chalcédoine, il ne se donne que comme « le gardien de la Foy Orthodoxe universelle & des constitutions des Pères », - ( S. Léon, épître LXI, vet.edit ; LXXX edit. Quesn.)-, & non pas comme le chef & le maître de l’église, DE DROIT DIVIN. –( in S. Léon, épître LXI, vet. Edit. ; LXXX edit. Quesn.)-Il considérait le canon du Concile de Chalcédoine comme attaché aux membres de cette assemblée par l’influence de l’Evêque de Constantinople, & il écrivait à celui d’Antioche –(in S. Léon Epître LXII, vet. Edit ; XCII edit. Quesn.)- qu’il devait le considérer comme non avenu, parce qu’il était contraire aux décrets de Nicée. Or, ajoute-t-il, « la paix universelle ne pourra subsister qu’à la condition que les canons seront respectés. »
(P.96).
Les papes modernes n’auraient pas écrit ainsi, & auraient mis leur autorité personnelle à la place des canons.
Anatokius de Constantinople, écrivit à Saint Léon qu’il avait eu tort d’attribuer à son influence le vingt-huitième canon de Chalcédoine ; que les Pères du Concile avaient joui de toute leur liberté, & que, pour lui personnellement, il ne tenait point aux privilèges qu’on lui avait conférés. Cependant, ces privilèges subsistèrent malgré l’opposition de l’Evêque de Rome, & furent reconnus même en Occident. Nous en citerons une preuve entre mille ; c’est une lettre d’un Evêque illustre des Gaules, de Saint Avitus, Métropolite de Vienne, à Jean, Evêque de Constantinople. –( V. Œuvres de Saint Avit, dans les Œuvres diverses du P. Sirmond-) Toutefois, l’on peut indiquer les luttes entre les évêques de Rome & de Constantinople à propos du canon de Chalcédoine, comme l’origine des dissensions qui qui amenèrent plus tard une rupture entière. En principe, Saint Léon avait raison de défendre les canons de Nicée ; mais il ne pouvait nier qu’un Concile œcuménique n’eût les mêmes droits qu’un autre Concile qui l’avait précédé, surtout en restant fidèle à l’esprit qui l’avait guidé. Le Concile de Nicée, en consacrant la coutume qui faisait regarder l’Evêque de Rome comme le premier en honneur dans l’Eglise, avait moins eu en vue l’origine apostolique de son siège que la splendeur qui résultait pour lui de l’importance de la ville de Rome, car bien d’autres Eglises avaient une origine également apostolique, & Antioche, comme Eglise fondée par Saint Pierre, avait la priorité sur Rome. Pourquoi, Constantinople étant devenue la seconde capitale de l’empire, le siège épiscopal de cette ville n’aurait-il pas eu le second rang, puisque celui de Rome n’avait le premier qu’à cause de son titre de première capitale ? L’on comprit que le Concile de Chalcédoine n’avait pas été infidèle à l’esprit qui avait inspiré celui de Nicée, & que s’il avait changé quelque chose à la lettre de ses dispositions, il l’avait fait en obéissant aux mêmes motifs qui avaient dirigé la première assemblée oecuménique, celle du Premier Concile œcuménique. Il s’appuyait, en outre, sur le Second Concile œcuménique, qui, sans donner à l’Evêque de Constantinople aucune juridiction patriarcale, l’avait cependant gratifié du titre de deuxième Evêque de l’Eglise Orthodoxe universelle, & cela sans que l’Evêque de Rome ni aucun autre Evêque d’Occident s’y fût opposé.
Le canon vingt-huitième de Chalcédoine était la conséquence du troisième canon de Constantinople ; il était d’autant plus urgent de donner à un Patriarche la juridiction sur les diocèses d’Asie, de Pont, & de Thrace, que des élections & consécrations épiscopales donnaient lieu, dans ces diocèses, à des luttes continuelles entre les Primats & les Métropolites. Le Concile de Nicée ayant consacré les droits fondés sur la coutume, chaque Primat, chaque Métropolite, prétendait avoir de ces droits.
C’est ainsi que l’Evêque d’Antioche avait voulu étendre sa juridiction sur l’île de Chypre ; mais, de Temps immémorial, cette Eglise s’était gouvernée elle-même, par ses Evêques unis au Métropolite.
(P.97).
La cause fut portée au Concile œcuménique d’Ephèse, qui se prononça en faveur de l’indépendance de l’Eglise de Chypre ; son motif fut « qu’il allait prendre garde de perdre, sous prétexte du sacerdoce, la liberté que nous a donnée, au prix de son sang, notre Seigneur Jésus-Christ, le Libérateur de tous les hommes. –(in S. Léon,épître XCII ; Labbe, Collect.concil ; Cabassut, Not. Eccl.,p.200)-. C’est pourquoi les Métropolites de Chypre s’intitulèrent, comme par le passé, autocéphales, ou indépendants ( autocéphaloï), & ne reconnurent la juridiction d’aucun évêque supérieur. L’Evêque de Jérusalem était également acéphale, ou sans chef, d’après le septième canon du Concile de Nicée, & il conservait l’ancien honneur de son siège.
Saint Léon avait donc raison de se prononcer en faveur du respect des canons ; mais il était dans son tort en plaçant des canons disciplinaires, sur la même ligne que des définitions dogmatiques. En effet, les premiers peuvent être modifiés, lorsque de graves circonstances l’exigent, même ils doivent l’être parfois, dans la lettre, si l’on veut en conserver l’Esprit ; tandis que les définitions de Foy ne doivent jamais être modifiées quant à la lettre, encore moins quant à l’Esprit.
Les canons des Premiers Conciles œcuméniques jettent incontestablement une vive lumière sur les prérogatives de l’Evêque de Rome : ils se complètent les uns par les autres ; le vingt-huitième canon de Chalcédoine, quand bien même l’opposition de l’Occident, dans la personne de l’Evêque de Rome, lui enlèverait son caractère d’oecuménicité, comme le prétendent certains théologiens catholiques romains, n’en contiendrait pas moins la Doctrine que nous défendons ; car il faut bien remarquer que Saint Léon ne le combattit pas comme opposé à l’autorité divine & universelle du siège de Rome, pour lequel il ne réclamait qu’une primauté ecclésiastique, mais uniquement parce qu’ilblessait le sixième canon de Nicée, en abaissant l’Evêque d’Alexandrie au troisième rang, & celui d’Antioche au quatrième.
Il était donc incontestable, à cette époque, que l’Evêque de Rome ne possédait PAS D’AUTORITE UNIVERSELLE, DE DROIT DIVIN, dans l’Eglise.
Ceci résulte encore mieux de la participation que les Evêques de Rome prirent aux Conciles. Un fait certain, c’est qu’ils ne convoquèrent pas les quatre Premiers Conciles œcuméniques ; qu’ils ne les PRESIDERENT PAS ; qu’ils ne les confirmèrent pas.
Nous allons le prouver pour chacun d’eux.

1. LE CONCILE DE NICEE.

Voici ce que rapporte Eusèbe de Césarée – in Eusèbe, Vie de Constantin, liv.III, chap.V & suiv.-) de la convocation, de la présidence, & de la confirmation du Premier Concile œcuménique de Nicée : « Constantin entreprit de faire la guerre à l’ennemi invisible qui troublait l’Eglise. Afin de diriger contre lui comme une armée divine, il convoqua un Concile général invitant, par des lettres respectueuses, les Evêques de toutes les contrées à s’y rendre le plus tôt possible. Ce ne fut pas un ordre pur & simple qu’il donna ;
(P.98).
Mais l’empereur y montra beaucoup de bonté ; il mit au service des uns les voitures publiques ; il procura aux autres des montures. De plus, le lieu le plus convenable fut assigné à la réunion : Ce fut la ville qui a pris son nom de « victoire », Nicée, en Bithynie. L’ordre de l’empereur ayant été porté dans toutes les provinces, tous accoururent avec empressement…Ils étaient au nombre de plus de deux cent cinquante. Les Prêtres, les Diacres, & les Clercs qui les avaient accompagnés étaient presque innombrables. Parmi ces Ministres de Dieu, les uns étaient distingués par la sagesse de leur discours, d’autres par la gravité de leur vie, & par les souffrances qu’ils avaient supportées ; d’autres avaient pour ornement la modestie & les bonnes mœurs. Quelques Anciens étaient en très grand honneur à cause de leur vieillesse ; d’autres brillaient par la vigueur juvénile du corps & de l’Esprit. Il y en avait qui ne faisaient que d’entrer dans le Ministère. L’empereur avait ordonné de leur distribuer à tous, en abondance, ce dont ils avaient besoin.
« Le jour fixé pour la réunion, tous les membres du Saint Synode se hâtèrent de s’assembler. Tous ceux qui avaient été convoqués furent introduits dans la plus grande salle du palais, où l’on avait disposé des sièges des deux côtés, & chacun s’assit à sa place. L’assemblée étant assise avec une modestie exemplaire, tous gardèrent d’abord le silence en attendant l’entrée de l’empereur. Bientôt, un des parents de l’empereur, puis un autre, puis un troisième entrèrent : ils n’étaient pas précédés de soldats ou de gardes, selon l’usage, mais seulement de quelques amis qui professaient la Foy du Christ.
« Au signal qui fut donné pour annoncer l’empereur, tous se levèrent. Alors l’empereur s’avança jusqu’au milieu de l’assemblée ; il ressemblait à un ange de Dieu…Etant arrivé à l’endroit où se trouvaient les premiers sièges, il s’assit sur le premier du milieu, mais seulement après que les Evêques lui eurent fait signe de s’asseoir. Tous prirent séance après l’empereur. Alors, celui des Evêques qui occupait le premier siège à droite adressa à l’empereur une courte allocution. »
Ce récit prouve que ce fut l’empereur qui convoqua le Concile, & qui donna pour cela des ordres formels, & que ce fut lui qui occupa dans l’assemblée la place du président.
Sans doute qu’il n’avait pas le droit ecclésiastique de convoquer le Concile ; mais si l’intervention directe des empereurs dans la convocation des Conciles des Premiers Siècles ne prouve pas qu’ils eussent des droits ecclésiastiques, elle prouve du moins que l’Eglise ne possédait alors PAS DE POUVOIR CENTRAL, qui pût convoquer tous les Evêques. Autrement, les empereurs Chrétiens se seraient adressés à cette autorité, & tout ce qu’ils auraient entrepris, sans son intervention, aurait été considéré comme nul & illégitime. Or, il n’en fut pas ainsi.
(P.99).
L’Evêque le plus haut placé au Concile de Nicée n’occupait que la première place du rang de droite. Saint Constantin l’empereur était placé au milieu, au fond de la salle, & sur un siège séparé. Quel était l’Evêque placé le premier ? Eusèbe ne le nomme pas, ce qui donnerait à penser que ce fut lui. L’historien Socrate soutient en effet que c’était bien Eusèbe, Evêque de Césarée en Palestine. Ce siège était un des plus importants de l’Orient, & le premier de la Palestine depuis la ruine de Jérusalem. Au commencement de sa Vie de Constantin, Eusèbe s’exprime ainsi : « Moi-même, j’ai adressé récemment des louanges au prince victorieux assis dans l’assemblée des Ministres de Dieu. » Si ces paroles ne sont pas une preuve démonstrative, elles donnent cependant une grande probabilité à l’affirmation de Socrate.
Mais, que ce soit Eusèbe de Césarée, ou Eustathe d’Antioche, comme l’affirme Théodoret –( cf Théodoret, Histoire Ecclésiastique, livre I, chap. VII)-, ou Alexandre d’Alexandrie, comme le prétend Nicétas d’après Théodore de Mopsueste –(in Nicetas : Trésor de la Foy Orthodoxe, livre V, chap.VII)-, peu importe. Ce qui est certain, c’est que les envoyés de l’Evêque de Rome ne présidèrent pas. C’est là un fait admis par tous les historiens dignes de foi. Il faut descendre jusqu’à Gélase de Cysique pour lire que, prétendument, l’évêque de Rome présida le Concile de Nicée dans la personne d’Osius de Cordoue, son délégué. D’abord, Osius ne fut point le délégué de l’évêque de Rome ; il ne prend ce titre ni dans les Actes du Concile, ni ailleurs ; l’Evêque de Rome n’était représenté que par les prêtres Viton & Vincent, & non par Osius. Donc, quand bien même Osius eût présidé le Concile, ce fait ne prouverait rien en faveur de la prétendue autorité de l’évêque de Rome. Mais il est certain qu’Osius n’eut pas cet honneur, & que l’assemblée fut présidée ecclésiastiquement par les Evêques des plus grands sièges, comme Alexandrie, Antioche, & Césarée de Palestine, sous la présidence civile de l’empereur lui-même.
Après avoir entendu les louanges du premier Evêque de l’assemblée, le Saint empereur Constantin prononça un discours dans lequel il dit qu’il avait convoqué tous les Evêques dans le but de travailler à la Paix, & qu’il les priait de la procurer au Monde Chrétien. Lorsqu’il eut fini, il donna la parole aux présidents du Concile. –( in Eusèbe de Césarée, Vie de Constantin, Liv.III, chap.XIII)-. Il y avait donc plusieurs présidents. Devant cette déclaration d’Eusèbe, témoin oculaire, déclaration que rien ne contredit, peut-on raisonnablement soutenir que le Concile fut présidé par l’Evêque de Rome dans la personne d’Osios son délégué ? Quel fait peut autoriser une pareille affirmation, diamétralement opposée au témoignage si grave & si positif d’Eusèbe ?
Ce docte historien a parfaitement tracé le rôle de Constantin.
Dès qu’il eut accordé la parole aux Evêques, des discussions vives s’élevèrent : » L’empereur, continue Eusèbe, écoutant tout avec beaucoup de patience, comprit bien les questions qui étaient proposées ; il donna son avis, fit ses réflexions, & finit par concilier ceux qui luttaient avec le plus de passion. Comme il parlait à tous avec calme, & qu’il se servait de la langue grecque, qu’il connaissait parfaitement, il ravit tout le monde par sa douceur ; il amène les uns à son sentiment par la force de ses raisons ; il prie, il fléchit les autres ; il les exhorte tous à la paix ; il loue ceux qui ont bien parlé ; enfin, il parvient à établir un accord parfait entre tous ceux qui étaient auparavant en discussion. »
(P.100).
Le Saint empereur Constantin convoqua le Concile & le présida. Ce sont là deux faits que l’on ne peut, de bonne foi, contester. Un troisième fait non moins constant, c’est que ce fut lui qui en promulgua les décrets. Pour l’établir, il suffit de traduire ces passages de la lettre qu’il adressa à tous les Evêques qui n’avaient pas assisté à l’assemblée, « afin, dit Eusèbe, -( in Vie de Const., liv.III, ch XVI & XVII)- de leur donner l’assurance de ce qui y avait été fait. » C’est Eusèbe lui-même qui nous a conservé cette lettre.

« Constantin Auguste, aux Eglises :

« Ayant compris, par l’état prospère où se trouve la république, combien grande a été à notre égard la Bonté de Dieu Tout-Puissant, j’ai pensé qu’il était de mon devoir de m’appliquer principalement à faire régner parmi les Peuples très religieux de l’Eglise Orthodoxe universelle une seule Foy, une Charité sincère, une Religion uniforme envers le Dieu Tout-Puissant. Mais, comme il était impossible de rendre les choses solides & stables sans réunir tous les Evêques, ou du moins le plus grand nombre d’entre eux pour discuter préalablement ce qui appartient à la très Sainte Religion Orthodoxe, j’ai assemblé le plus qu’il m’a été possible d’Evêques, & en ma présence, comme étant un d’entre vous ( car je ne le nie point, & c’est même pour moi un bonheur de le dire, je suis un des vôtres), toutes choses ont été examinées avec soin avant de rendre une sentence agréable à Dieu qui voit toutes choses, pour établir l’unité, afin de ne plus laisser aucun prétexte aux dissensions & aux controverses touchant la Foy. »
Après ce préambule, qui est par lui-même significatif, Saint Constantin notifie le décret du Concile sur la célébration de la Pâque ; il en explique les raisons, & exhorte à l’observer. Avant de congédier les Evêques, Constantin leur adressa un discours pour les exhorter à entretenir la Paix entre eux. Il recommanda particulièrement « à ceux qui étaient le plus haut placés de ne point s’élever au-dessus de ceux qui leur étaient inférieurs, car, ajouta-t-il, il n’appartient qu’à Dieu de juger de la vertu & de la supériorité de chacun. »( Ibidem, liv. III, ch.XXI)- ». Il leur donna quelques conseils, & leur permit ensuite de retourner à leurs Eglises. Tous se retirèrent joyeux, attribuant à l’intervention de l’empereur l’accord qui avait été établi entre ceux qui différaient d’opinion.
Pour ce qui est de la question la plus grave qui ait été agitée au Concile, c’est-à-dire celle de l’arianisme, Saint Constantin empereur en écrivit en Egypte, où cette discussion avait pris naissance : « Ils confirment, dit Eusèbe, & ils sanctionnent les décrets du Concile sur ce sujet. » -(Ibidem, ch. XXIII)-.
(P.101).
Ainsi, rien ne manque à l’intervention du Saint empereur Constantin à Nicée : C’est lui qui convoque le Concile, qui le préside, qui en confirme les décrets. Eusèbe de Césarée, historien contemporain témoin des évènements, & qui y prit part, l’atteste positivement, & les historiens postérieurs & dignes de foi, tels que Socrate, Sozomène, & Théodoret de Cyr, rendent témoignage de l’exactitude de son récit.
Gélase de Cysique, auteur d’un roman sur le Concile de Nicée, & qui vivait au cinquième siècle, est le premier qui ait fait mention, comme nous l’avons dit, d’une intervention de l’évêque de Rome dans la convocation & la présidence du Concile de Nicée. Son erreur se propagea en Orient, & le Sixième Concile œcuménique, au septième siècle, ne réclama pas contre elle, lorsqu’on l’émit en sa présence. Mais on conviendra que l’assertion erronée d’un écrivain qui contredit l’Histoire entière, & les Monuments d’Erudition les plus clairs ne peut être admise comme vraie par la raison qu’on n’aurait pas protesté contre elle dans un Concile tenu à une époque postérieure, qui n’était point appelé à se prononcer sur cette question, laquelle n’était même pas de sa compétence. On ne peut donc, de bonne foi, opposer de pareilles preuves aux témoignages multipliés des écrivains contemporains, & à celui du Concile lui-même qui, dans ses lettres, ne parle jamais de l’intervention de l’évêque de Rome.
Il est certain que Constantin ne s’attribua point de droits ecclésiastiques ; qu’il ne présida le Concile que pour assurer la liberté de discussion ; qu’il laissa les décisions au jugement épiscopal. Mais il n’en est pas moins vrai qu’il convoqua le concile, qu’il le présida, qu’il le confirma ; que, sous lui, l’assemblée eut plusieurs Evêques présidents ; que les envoyés de l’Evêque de Rome ne présidèrent pas ; qu’Osius, qui signa le premier les actes du Concile, n’était point le délégué de l’Evêque de Rome, quoi qu’en ait dit Gélase de Cysique, dont le témoignage n’a aucune valeur, de l’aveu même des théologiens catholiques romains les plus instruits. ( - Note de l’auteur : Voici le jugement porté par le jésuite Feller sur cet écrivain : « Auteur grec du cinquième siècle, qui a écrit « L’histoire du Concile de Nicée tenu en 325. Cette histoire n’est qu’un roman, au jugement des meilleures critiques ; du moins, dans plusieurs points, ne s’accorde-t-elle pas avec les actes du Concile, & les relations les plus dignes de foi. » En bon ultramontain, Feller affirme que Gélase a eu d’excellents motifs ; & c’est ce qui lui a fait broder un peu son histoire. Ainsi, d’après Feller, Gélase de Cyzique a menti ; mais ses mensonges sont excusables, parce qu’il avait dirigé son intention, & que ses motifs étaient bons. Feller était fidèle à l’esprit de sa compagnie des jésuites-).

2. LE DEUXIEME CONCILE OECUMENIQUE.

Quelle a été l’intervention de l’Evêque de Rome dans le deuxième Concile œcuménique ? Elle a été NULLE.
Ce Concile fut convoqué par l’empereur Théodose (381) qui ne prit même pas l’avis de l’Evêque de Rome. Cet Evêque, qui était alors Damase, n’y envoya pas de légats ; aucun autre Evêque d’Occident n’y prit part. Le Concile fut composé de cent cinquante présents, parmi lesquels on distinguait des hommes comme Saint Grégoire de Naziance, Saint Grégoire de Nysse, Saint Pierre de Sébaste, Saint Amphilochios d’Icone, Saint Cyrille de Jérusalem. Il fut présidé par Saint Mélèce d’Antioche.
(P.102).
Or, il y avait à Antioche un schisme qui durait depuis assez longtemps. Cette ville possédait deux Evêques : Mélèce & Paulin. L’Evêque de Rome était en communion avec ce dernier, & regardait par conséquent Mélèce comme schismatique, ce qui n’empêcha pas ce dernier d’être Saint aux yeux des Eglises d’Occident , aussi bien que de l’Orient. Le Second Concile œcuménique fut donc présidé par un Evêque qui n’était pas en communion avec celui de Rome. Mélèce mourut pendant le Concile. Ceux d’entre les Pères qui étaient connus pour leur éloquence prononcèrent son éloge. Il ne nous reste que le discours de Saint Grégoire de Nysse. Les Fidèles prodiguèrent, à l’envi, au Saint Evêque d’Antioche les marques de leur vénération ; tous le regardaient comme un Saint, & lorsqu’on transporta son corps à Antioche, le voyage fut un continuel triomphe.
Saint Grégoire de Naziance présida le Concile après la Mort de Saint Mélèce. L’assemblée du Saint-Synode ne reconnut pas Paulin pour légitime Evêque d’Antioche, quoiqu’il fût en communion avec l’Evêque de Rome, & ne tint aucun compte d’un compromis en vertu duquel le survivant de Mélèce ou de Paulin serait reconnu pour Evêques par tous les Orthodoxes. Il choisit donc Saint Flavien pour succéder à Saint Mélèce, & l’Eglise d’Antioche, excepté les partisans de Paulin, adhéra à ce choix.
Saint Grégoire de Naziance, ayant obtenu l’autorisation de quitter son siège de Constantinople, fut remplacé, comme président du Concile, d’abord par Timothée d’Alexandrie, & ensuite par Nectaire de Constantinople. Ces présidents successifs n’eurent aucune relation avec l’Evêque de Rome.
Le Concile n’en fit pas moins des décrets dogmatiques importants, & ses décisions se confondirent avec celles du Concile de Nicée dans le symbole de la Foy ou Credo ; de plus, il changea l’ordre de la hiérarchie ecclésiastique, en donnant à l’Evêque de Constantinople le second rang dans l’Eglise, & en plaçant après lui ceux d’Alexandrie, d’Antioche, & de Jérusalem. On y fit en outre un grand nombre de canons de discipline ascétique qui furent adoptés par toute l’Eglise. (- Cf : les Actes du Concile, dans la collection de P. Labbe ; les Histoires ecclésiastiques de Socrate, de Sozomène, & de Théodoret ; les Œuvres de Saint Grégoire de Nysse, & de Saint Grégoire de Naziance, etc…-).
L’année qui suivit le Concile de Constantinople, l’empereur Gratien en assembla un à Rome. (-Cf : les Histoires Ecclésiastiques de Sozomène & de Théodoret ; les Lettres de Saint Jérôme, & de Saint Ambroise ; la collection des Conciles, du P.Labbe -). Paulin d’Antioche s’y trouva. On s’y déclara pour lui contre Saint Flavien, qui n’en fut pas moins reconnu pour légitime Evêque par la plupart des provinces qui dépendaient du Patriarcat. Les Occidentaux avaient élevé des plaintes sur ce que l’Orient avait décidé des questions graves sans la participation de l’Occident. Mais, à part la légitimité de Flavien, on adhéra à tout le reste, & le Concile de Constantinople fut universellement considéré comme œcuménique, quoique l’Evêque de Rome ne l’eût ni convoqué, ni présidé, ni confirmé.
(P.103).
Que devient, en présence de tels faits, la prétention de l’Evêque de Rome à l’AUTOCRATIE ABSOLUE dans l’église ? Il affirme aujourd’hui que toute juridiction vient de lui, & voici un Concile présidé par un Saint Evêque avec lequel Rome n’est pas en communion, qui promulgue les décrets dogmatiques & ascétiques les plus graves ; & ce Concile est un de ceux que Saint Grégoire le Grand vénérait comme un des quatre Evangiles !

3. LE TROISIEME CONCILE OECUMENIQUE.

Le Troisième Concile œcuménique, tenu à Ephèse, au cinquième siècle, en 431, fut convoqué par l’empereur Orthodoxe Théodose II & son collègue, qui signèrent l’un & l’autre la lettre de convocation, adressée, selon l’usage, aux Métropolites de chaque province : « Les troubles de l’Eglise, y disent-ils –( Cf : Œuvres de Saint Cyrille d’Alexandrie ; Collect. Des Conciles du P. Labbé ; Histoire Ecclésiastique de Socrate)-, les troubles de l’Eglise nous ont fait juger indispensable de convoquer les Evêques du monde entier. En conséquence, Sa Béatitude fera en sorte de se rendre à Ephèse pour le jour de la Pentecôte, & d’amener avec Elle les Evêques qu’elle jugera convenable, etc… »
On lit dans les Actes du Concile que Saint Cyrille était le premier comme tenant la place de Célestin, Evêque de Rome. Mais comme le remarque Fleury, en son Histoire Ecclésiastique, livre XXV, chap.XXXVII, « il aurait aussi pu présider par la dignité de son siège. » Cette réflexion est fort juste. Toutefois, comme le Second Concile œcuménique avait donné à l’Evêque de Constantinople le second rang dans l’Episcopat, Nestorius aurait pu disputer à Saint Cyrille, son antagoniste, la présidence de l’assemblée. C’était donc avec raison que Cyrille s’était entendu avec Célestin, Evêque de Rome, afin que l’assemblée de Saint-Synode ne fût pas présidée par l’Hérétique qu’elle devait condamner.
On comprend ainsi pourquoi l’Evêque d’Alexandrie dut se présenter au Concile avec les prérogatives de l’Evêque de Rome. Mais l’on aurait tort d’en conclure qu’il fut le légat de cet Evêque, qui se fit représenter par deux Evêques occidentaux & par un Prêtre romain. Dans aucun des Actes du Concile, Cyrille ne fit mention de son titre de légat de l’Evêque de Rome ; & lorsqu’il était personnellement en cause, il cédait la présidence, non pas aux délégués de l’Evêque de Rome, mais à l’Evêque de Jérusalem, qui était le premier après lui, puisque celui d’Antioche n’assistait pas au Concile.
Après avoir lu le Symbole de Nicée, ou Credo, l’on donna lecture d’une lettre dogmatique de Saint Cyrille à Nestorius, & les Evêques présents l’adoptèrent comme l’expression de la Foy. On lut ensuite une lettre où Nestorius exposait sa doctrine hérétique. Elle fut condamnée. Juvénal de Jérusalem proposa de lire la lettre du très Saint Archevêque de Rome à Nestorius ; puis, l’on lut la troisième lettre dogmatique de Saint Cyrille ; c’était la lettre synodale avec les douze anathèmes. On déclara que la doctrine de l’Evêque de Rome & celle de Saint Cyrille étaient conformes au symbole de Nicée.
(P.104).
On opposa ensuite les témoignages des Pères d’Orient & d’Occident aux erreurs de Nestorius. On donna lecture de la lettre écrite par l’Evêque de Carthage au nom des Evêques d’Afrique qui n’avaient pu se rendre au Concile, & dont Saint Cyrille était le délégué. Elle fut approuvée. Enfin, on prononça la sentence, qui fut signée par tous les Evêques. Saint Cyrille signa ainsi : « Cyrille, Evêque d’Alexandrie, j’ai souscrit en jugeant avec le Concile. » Les autres Evêques se servirent de la même formule. On doit remarquer que Saint Cyrille ne signa pas comme représentant de l’Evêque de Rome. S’il pouvait s’autoriser de la délégation de Célestin, c’était donc uniquement pour le cas où Nestorius aurait voulu lui disputer la préséance : cette délégation n’avait point en conséquence l’importance que les théologiens catholiques romains voudraient lui attribuer.
L’Evêque d’Antioche n’était pas arrivé lorsque la condamnation de Nestorius fut prononcée. On prétendit que Cyrille était juge et partie contre l’Evêque de Constantinople ; l’empereur se déclara pour ce dernier, & son parti prétendit qu’il fallait recommencer les délibérations. Ce fut sur ces entrefaites que l’Evêque de Rome envoya trois légats pour le représenter. Ils étaient porteurs d’une lettre qui commençait ainsi : » L’assemblée des Evêques manifeste la Présence du Saint Esprit ; car un concile est Saint, & l’on doit le vénérer, parce qu’il représente une nombreuse réunion d’Apôtres. Jamais les Apôtres n’ont été abandonnés du Maître qu’ils avaient ordre de prêcher ; ce Maître Lui-même enseignait par eux, car il leur avait appris ce qu’ils devaient enseigner, & il avait assuré que c’était lui qu’on entendait par Ses Apôtres. Cette charge d’Enseigner a été transmise à tous les Evêques ; nous la possédons tous par droit d’héritage, nous tous qui annonçons, à la place des Apôtres, le nom du Seigneur dans les divers pays du monde, selon ce qui a été dit : « Allez, instruisez toutes les nations. Vous devez remarquer, mes frères, que nous avons reçu un ordre général, & que Jésus-Christ a voulu que tous nous nous y conformions, en nous acquittant de ce devoir. Nous devons tous participer aux travaux de ceux auxquels nous avons tous succédé. » Un pape qui écrivait ainsi à un Concile était bien éloigné des théories de la papauté moderne. La lettre de Célestin fut approuvée par l’assemblée, qui, dans son enthousiasme, s’écria : « A Célestin nouveau Paul ! A Cyrille nouveau Paul ! A Célestin sauveur & gardien de la Foy ! A Célestin qui s’accorde avec le Concile ! Tout le Concile rend grâces à Célestin. Célestin & Cyrille sont un ! La Foy du Concile est une ! C’est celle de toute la terre. »
Célestin & Cyrille étaient mis sur la même ligne comme défenseurs de la Foy Orthodoxe universelle. L’un & l’autre n’avaient d’autorité que par la conformité de leur Doctrine avec celle du Concile. Au lieu de considérer Célestin comme ayant hérité de Saint Pierre une autorité universelle, on le compare à SAINT PAUL l’Apôtre des Nations & grand Docteur de l’Eglise Orthodoxe universelle.
Les légats prirent connaissance des Actes du Concile & déclarèrent qu’ils les regardaient comme canoniques, « puisque, dirent-ils, les Evêques d’orient & d’Occident ont assisté au Concile, eux-mêmes ou par leurs délégués. » Ce n’était donc pas parce que l’Evêque de Rome l’avait dirigé & le confirmait.
(P.105).
Le Concile, dans sa Lettre Synodale adressée à l’empereur, s’appuie de même sur l’adhésion des Evêques d’Occident, dont le pape Célestin était l’interprète, pour prouver que sa sentence contre l’hérétique Nestorius était canonique.
En présence de ces faits & de cette doctrine, l’on doit convenir que Saint Cyrille aurait présidé le Concile d’Ephèse aussi bien sans délégation de l’Evêque de Rome qu’avec cette délégation ; que s’il s’applaudissait de représenter Célestin, c’était uniquement pour avoir la préséance sur Nestorius, malgré le canon du Concile de Constantinople qui donnait à ce dernier le premier rang après l’Evêque de Rome ; que les trois envoyés du pape ne se rendirent point à Ephèse pour diriger l’assemblée ou la confirmer, mais pour y apporter l’adhésion des Evêques occidentaux réunis en Concile par Célestin.
Il est donc faux de dire que le pape présida le Concile par Saint Cyrille qui aurait été son légat en cette circonstance. Autre chose est de céder pour une circonstance quelconque les honneurs attachés par l’Eglise au titre de premier Evêque, autre chose est de donner le droit de présider un Concile œcuménique. La qualité de légat de l’Evêque de Rome n’emportait pas le droit à la présidence, comme on le voit par les Conciles où les envoyés de cet Evêque assistèrent, sans les présider. Les prérogatives de premier Evêque déléguées à Saint Cyrille lui donnaient la préséance sur Nestorius, dans le cas où cet hérétique aurait voulu s’autoriser du troisième canon du Concile de Constantinople pour présider le Concile d’Ephèse. Les théologiens catholiques romains ont donc fort mal compris le fait dont ils voudraient se faire une arme contre la Doctrine Orthodoxe universelle. Ils n’ont pas remarqué que, même après l’arrivée des légats de l’Evêque de Rome à Ephèse, lorsque Saint Cyrille ne présidait pas le Concile, c’était Juvénal, Evêque de Jérusalem, qui avait cet honneur. L’Evêque d’Antioche s’étant rangé au parti hérétique de Nestorius, & n’assistant pas aux séances, c’était à l’Evêque de Jérusalem que revenait le droit de présider, puisqu’il était le cinquième Evêque dans l’ordre hiérarchique établi par les Conciles de Nicée & de Constantinople. Ce fait prouve bien contre l’opinion qui attribue à l’Evêque de Rome le droit de présider les Conciles, soit par lui-même, soit par ses délégués. S’il y eût assisté, & si le Concile n’avait pas eu de motifs de le mettre en cause ou de l’exclure, il eût présidé certainement, en vertu de son titre ecclésiastique de premier Evêque ; mais, dès qu’il se faisait représenter, ses délégués n’avaient aucun droit à la présidence, & ne présidèrent en effet jamais. Les Evêques de Rome savaient eux-mêmes si bien qu’ils n’avaient pas ce droit qu’ils chargeaient le plus souvent de leur délégation de simples Prêtres ou des Diacres qui n’auraient pu convenablement présider des assemblées d’Evêques.

4. LE QUATRIEME CONCILE OECUMENIQUE.

Les Actes du Quatrième Concile œcuménique, tenu à Chalecédoine, au cinquième siècle, en 451, ne sont pas favorables au Système papal, quoi qu’en disent les théologiens catholiques romains.
(P.106).
Le Concile fut convoqué par l’empereur Marcien, qui en donna avis à l’Evêque de Rome, Saint Léon. (-Note : Toutes les pièces auxquelles nous faisons allusion dans ce récit se trouvent dans la Collection des Conciles du P. Labbe. Cf aussi les Œuvres de Saint Léon-). L’impératrice Pulchérie lui en écrivit aussi, & lui dit qu’il a plu au très pieux empereur, son mari, de réunir en Concile les Evêques orientaux, afin d’aviser aux besoins de la Foy Orthodoxe universelle. Elle le prie d’y donner son consentement, afin que les décisions soient conformes aux règles. Il était en effet juste & nécessaire de demander l’adhésion de l’occident pour que le Concile fût œcuménique, c’est-à-dire universel. Saint Léon répondit que les doutes suscités touchant la Foy Orthodoxe rendaient un Concile nécessaire ; en conséquence, l’empereur Marcien & Valentinien, son collègue, adressèrent à tous les Evêques leurs lettres de convocation.
On doit remarquer que Saint Léon consentit seulement à la convocation du Concile. Il ne se croyait donc le droit ni de le convoquer ni de terminer lui-même les discussions, en vertu de son autorité. Ses lettres à Marcien, à Pulchérie, & aux Pères du Concile ne laissent aucun doute à cet égard.
Ce fait préliminaire est de la plus haute gravité.
Léon avait demandé que le Concile eût lieu en Italie ; mais l’empereur s’y refusa, & l’indiqua à Nicée, puis à Chalcédoine. Dans presque toutes ses sessions, le Concile reconnaît qu’il a été convoqué par les très pieux empereurs, & il ne mentionne jamais, à ce sujet, l’Evêque de Rome. Un Concile Orthodoxe romain, sous le pape Gélase, affirme que le Concile de Chalcédoine fut assemblé par l’intervention de l’empereur Marcien & d’Anatolius, Evêque de Constantinople. L’initiative leur appartient en effet. Seulement Saint Léon y consentit, & on lui laissa, à cette occasion, comme on le devait, ses prérogatives de premier Evêque. En conséquence, il envoya à Chalcédoine ses légats, qui étaient : Boniface un de ses co-Prêtres de la ville de Rome, comme il le dit dans plusieurs de ses lettres à Marcien ; -( in Lettres 49° & 50° de l’ancienne édition, & 69° & 74° de l’édition de Quesn -) ; ainsi que Pashasinus, Evêque de Sicile ; l’Evêque Julien & Lucentius.
« Que Votre Fraternité, dit-il dans sa lettre aux Pères du Concile, pense que par eux je préside à votre assemblée. Je suis présent au milieu de vous par mes vicaires. Vous savez, d’après l’ancienne Tradition, ce que nous croyons ; vous ne pouvez donc pas douter de ce que nous désirons. »
Comme on le voit, Saint Léon en appelle à l’ancienne Tradition, & laisse le Concile juge des questions, sans interposer sa prétendue autorité doctrinale.
Le mot présider dont il se sert doit-il être pris dans le sens rigoureux du mot ?
En examinant attentivement les Actes du Concile, on voit que les délégués de l’empereur y occupèrent la première place ; que l’assemblée eut plusieurs présidents ; que les légats de l’Evêque de Rome, & Anatolius de Constantinople agirent simultanément comme présidents ecclésiastiques ; la session douzième, surtout, en offre la preuve. Aussi un Concile de Sardaigne, dans une lettre adressée à l’empereur Léon, -( cf : Int. Act. Conc. Chalced.)-, dit-il
(P.107)
que le Concile de Chalcédoine fut présidé « par Léon, le très Saint Archevêque de la grande Rome, en la personne de ses légats, & par le très Saint & vénérable Archevêque Anatolius. »
Saint Photios de Constantinople, au livre septième des Synodes, désigne comme présidents du Concile, Anatolius, les légats de l’Evêque de Rome, l’Evêque d’Antioche & l’Evêque de Jérusalem. Cédrène, Zonare, & Nil de Rhodes rapportent la même chose.-(cf : Ced., Compend. Hist ; Zonar., annal ; Nil. Rhod., De Synod.)-.
D’un autre côté, dans la Relation adressée à Saint Léon par les Pères du Concile, on lit que l’assemblée fut présidée par les officiers délégués de l’empereur. Il faut donc admettre que le Concile de Chalcédoine eut lieu dans les mêmes conditions que celui de Nicée ; que l’autorité civile y eut la première place, & que les Evêques des sièges appelés depuis patriarcaux le présidèrent simultanément. Nous n’avons aucune peine à convenir, après cela, que l’Evêque de Rome y occupa la première place parmi les Evêques, dans la personne de ses légats ; mais autre chose est d’occuper la première place, autre chose de présider, surtout dans le sens que les théologiens catholiques romains attachent à ce mot.
Un fait incontestable, c’est que la lettre dogmatique adressée par Saint Léon aux Pères du Concile y fut examinée, & qu’elle y fut approuvée pour cette raison qu’elle était conforme à la Doctrine des Saints Célestin & Cyrille, confirmée par le Concile d’Ephèse. Lorsqu’on eut lu, dans la seconde session, deux lettres de Saint Cyrille, les très glorieux juges & toute l’assemblée dirent : « Qu’on lise maintenant la lettre de Léon, très digne en Dieu, Archevêque de la royale & ancienne Rome. » Cette lecture finie, les Evêques s’écrièrent : « Telle est la Foy des Pères ; c’est la Foy des Apôtres. Nous croyons tous ainsi. Anathème à qui ne croit pas ainsi. Pierre a parlé par Léon. Les Apôtres ont ainsi enseigné. Léon a enseigné selon la Piété & la Vérité. Cyrille a ainsi enseigné. » Quelques Evêques ayant élevé des doutes sur la doctrine contenue dans la lettre de Léon, on décida que, dans le délai de cinq jours, ils se réuniraient chez Anatolius, Evêque de Constantinople, afin d’en conférer avec lui, & de recevoir des éclaircissements. Si une telle commission eût été donnée aux légats de l’Evêque de Rome, nul doute que les théologiens catholiques romains n’en tireraient de nombreuses conséquences en faveur de leur système. Mais les légats ne furent appelés par Anatolius que pour expliquer certains mots latins, qui paraissaient obscurs à ceux qui hésitaient, lesquels, après les explications des légats, adhérèrent, comme les autres, à la lettre de Saint Léon.
Tout ce qui fut fait dans le Concile, au sujet de cette lettre, démontre de la manière la plus évidente qu’elle ne fut pas approuvée parce qu’elle venait d’un Evêque ayant autorité, mais bien parce qu’elle était conforme à l’enseignement traditionnel. Il suffit de parcourir les Actes pour en trouver de nombreux témoignages. Des théologiens catholiques romains n’ont voulu apercevoir que ces mots : « Pierre a parlé par Léon », comme si ces expressions pouvaient avoir un sens ultramontain, placée comme elle l’est au milieu des autres acclamations, & en présence d’une foule de déclarations qui ne lui laissent que le sens que nous avons indiqué.
(P.108).
Comme on a beaucoup abusé des expressions honorifiques que l’on rencontre, dans les Actes du Concile, à l’adresse de l’Evêque de Rome, nous devons en indiquer le véritable sens.
Saint Grégoire le Grand, dans ses lettres contre le titre d’Evêque œcuménique que prenait Jean le jeûneur, Patriarche de Constantinople, nous apprend que le Concile de Chalcédoine avait offert ce titre à l’Evêque de Rome. Nous voyons en effet, dans les Actes du Concile, que ce titre lui fut donné par les légats. Le premier d’entre eux souscrivit en ces termes à la profession de Foy, dans la sixième session : » Paschasinus, evêque, vicaire de Monseigneur Léon, Evêque de l’Eglise Orthodoxe universelle, de la ville de Rome, président au Synode, j’ai statué, consenti, & signé. » Les autres légats signèrent à peu près dans les mêmes termes.
Déjà, dans la troisième session, les légats, en parlant de Saint léon, disaient : « Le Saint & très Bienheureux pape Léon, tête de l’Eglise universelle, doué de la dignité de l’Apôtre Pierre, qui est le fondement de l’Eglise &la pierre de la foi, etc… »
Dans la quatrième session, le légat Paschasinus donna aussi à Léon le titre de pape de l’Eglise universelle.
Les Pères du Concile ne virent dans ces expressions qu’un titre honorifique qu’ambitionnait sans doute l’Evêque de Rome, pour mieux déterminer sa supériorité sur celui de Constantinople que le Deuxième Concile œcuménique avait élevé au second rang, & qui, comme Evêque de la nouvelle capitale de l’empire, devait prendre naturellement, dans les affaires de l’Eglise, une influence prépondérante, à cause de ses relations fréquentes avec les empereurs. Il y a donc tout lieu de croire que le Concile, dans le but de ménager la susceptibilité de l’Evêque de Rome, lui donna le titre d’Evêque œcuménique. C’était un moyen de faire adopter à Rome le vingt-huitième canon dont nous avons parlé plus haut, dans lequel on développait celui du Deuxième Concile œcuménique sur l’élévation de l’Evêque de Constantinople au second rang dans l’épiscopat. Mais les Evêques de Rome, si nous en croyons Saint Grégoire, leur successeur, regardèrent ce titre comme illicite.
Devant une pareille décision des papes eux-mêmes, peut-on attacher de l’importance aux paroles des légats de Saint Léon, & s’en servir comme de preuves en faveur d’une autorité dont l’expression seule était condamnée à Rome ? Remarquons de plus que le Concile, en offrant aux Evêques de Rome un titre, décidait indirectement qu’ils n’y avaient pas droit en vertu de leur dignité, & qu’ils ne pourraient jamais que lui attribuer une valeur purement ecclésiastique.
Quant à la confirmation des Actes du Concile, on doit observer deux choses : que ce fut le Concile qui confirma la lettre dogmatique de Saint Léon, & que les Pères ne s’adressèrent à lui que pour lui demander son adhésion & celle de l’Eglise occidentale. Léon refusa d’admettre le vingt-huitième canon, comme nous l’avons dit, ce qui n’a pas empêché qu’il ne fût universellement admis, en Occident comme en Orient.
Ainsi, l’Evêque de Rome ne convoqua pas le Concile de Chalcédoine ; il ne le présida pas seul par ses légats, qui n’y eurent la première place que parce qu’il était le premier Evêque, en vertu des canons ; il ne confirma pas le Concile ; & les titres honorifiques qu’on lui donna ne prouvent rien en faveur de l’autorité universelle & souveraine que l’on voudrait attribuer à la papauté.
Les récits que nous venons de présenter ne peuvent laisser aucun doute sur la manière dont on envisageait universellement l’autorité des Evêques de Rome pendant les quatrième & cinquième siècles.

5. FAITS ET TEXTES.
Mais afin de ne laisser sans réponse aucune des assertions des théologiens catholiques romains, nous allons examiner les faits & les textes dans lesquels ils ont cru trouver des preuves à l’appui de leur système.
Les principaux faits des quatrième & cinquième siècles sur lesquels ils se sont appuyés sont ceux qui sont relatifs à Saint Athanase, aux Donatistes, à Saint Jean Chrysostome. Consultons sur ces faits les données positives de l’Histoire.
Un des résultats du sixième canon de Nicée avait été de laisser à l’Evêque de Rome le premier rang dans l’Eglise. De plus, par suite des circonstances où se trouvait l’Occident, il devait en être considéré comme l’interprète. En conséquence, cette règle ecclésiastique passa en usage –(cf : Socrate, Histoire Ecclésiastique, livre II, chap. XVII)- : qu’on devait toujours le convoquer aux Conciles orientaux qu’on assemblerait, & que l’on ne devait rien décider sans avoir son sentiment. Cette règle était juste, car l’Orient, à lui seul, ne forme pas plus l’Eglise universelle que l’Occident, & l’Evêque de Rome représentait l’Occident entier à une époque où ces contrées étaient bouleversées par les Barbares, où les Evêques ne pouvaient pas quitter leurs sièges pour aller en Orient porter leur témoignage dans des discussions où leurs églises particulières n’étaient point intéressées. C’est la raison que donne Sozomène –( cf : Sozom., Histoire Ecclésiastique, livre III, chap. VI.)- : « Ni l’Evêque de la ville de Rome, dit-il, ni aucun autre Evêque d’Italie ou des provinces plus éloignées n’assistèrent à ce Concile (d’Antioche), car les Francs ravageaient alors les Gaules. »
Paul de Constantinople & Athanase d’Alexandrie, fidèles à la Fot de Nicée, étant persécutés & condamnés par des évêques orientaux soutenus de la puissance impériale, devaient naturellement s’adresser à l’Eglise occidentale, & en appeler à l’Evêque de Rome qui la représentait. « L’Evêque de la ville de Rome, dit Sozomène – (in Sozom. Hist. Eccl. Livre III, chap. VII)-, & tous les Evêques d’Occident ne regardèrent la déposition des évêques Orthodoxe que comme une injure qui leur était faite ; car ils avaient approuvé dès le commencement la croyance du Concile de Nicée, & ils avaient persévéré jusqu’alors dans les mêmes sentiments.
(P.110).
C’est pourquoi ils reçurent avec bienveillance Athanase qui venait à eux, & ils prétendirent avoir le droit de juger sa cause. Eusèbe de Nicomédie en fut vivement chagrin, & en écrivit à Jules. »
C’est Eusèbe de Nicomédie qui représente les Orientaux ariens, & c’est l’Evêque de Rome qui représente les Evêques d’Occident. Cet Evêque était Jules. Il prit la défense des évêques persécutés, les soutint contre les Orientaux, & usant de la prérogative de son siège –(cf Socrate, Histoire Ecclésiastique, livre II, chap. XV)-, reconnut comme véritables Evêques ceux que les hérétiques Ariens avaient injustement déposés. Ceux-ci se réunirent à Antioche, & adressèrent à Jules une lettre dans laquelle ils lui dirent avec aigreur qu’ils n’avaient pas plus à se mêler de ceux qu’ils avaient expulsés, qu’ils ne s’étaient eux-mêmes occupés de l’affaire de Novat qu’il avait chassé de son Eglise. Sozomène –( Sozom. Livre III, chap. VIII)- donne plus de détails sur cette lettre. Il nous apprend que les évêques orientaux dirent : « Que l’Eglise Orthodoxe des romains était glorieuse, parce qu’elle avait été habitée par les Apôtres ; & qu’elle avait été, dès le commencement, la métropole de la piété, quoique les Docteurs de la Foy fussent venus de l’Orient. Il ne leur paraissait pas juste cependant d’être regardés comme inférieurs, parce qu’ils étaient surpassés en nombre & en magnificence par une Eglise, lors même qu’ils étaient supérieurs en Vertu & en Courage. » Jules ne leur répondit pas qu’il était chef de l’Eglise de droit divin ; mais il leur rappela la règle ecclésiastique citée plus haut, & en vertu de laquelle il aurait dû être convoqué & consulté. Sozomène ajoute –( Sozom. Liv. III, c.VIII)- que cette prérogative , due à la dignité de son siège, lui donnait le droit de prendre soin de tous ceux qui s’étaient adressés à lui, pour chercher un refuge contre les persécutions de la faction hérétique arienne de l’Orient, & qu’il rendît à chacun son Eglise.
Les prétentions de l’Evêque de Rome n’allaient pas au-delà d’une prérogative ecclésiastique. Les Orientaux ne voulurent pas croire que Jules fût l’interprète de l’Eglise occidentale, comme il le prétendait dans la réponse qu’il leur adressa. -( in Lettre de Jules aux Orientaux, dans l’Apologie de Saint Athanase, § 26.)- C’est pourquoi les évêques de cette partie de l’Eglise Orthodoxe universelle furent convoqués afin de décider la question qui, des Orientaux ou de l’Evêque de Rome, avait raiso, dans la cause des Evêques persécutés & surtout de Saint Athanase. Tel fut le but du Concile de Sardique, au quatrième siècle, en l’année 347. –( cf Socrate, Hist. Eccl., livre I, chap.XX)-.
Ce fait seul suffit déjà pour prouver que L’AUTORITE UNIVERSELLE DE L’EVEQUE DE ROME N’ETAIT PAS RECONNUE, & que ses prérogatives ecclésiastiques étaient subordonnées au jugement du Concile.
Jules écrivit au Concile de Sardique pour s’excuser de ne pouvoir se rendre à lalettre de convocation qui lui avait été adressée. Il envoya deux Prêtres & un Diacre pour le représenter, & l’assemblée fut présidée par Osios, Evêque de Cordoue.
On examina la cause d’Athanasee & celles des autres Evêques déposés en Orient par la faction hérétique des Ariens avec l’appui du pouvoir impérial.
(P.111).
On reconnut leur innocence & leur Orthodoxie, & ils furent confirmés comme légitimes Evêques de leurs sièges. Un Concile assemblé à Rome par Jules avait déjà rendu une sentence semblable, mais on l’avait trouvée insuffisante. Un autre concile des Occidentaux tenu à Milan pria l’empereur Constant de s’entendre avec son frère, qui résidait à Constantinople, pour réunir les Evêques des deux empires. Ce fut alors que les deux empereurs convoquèrent le Concile de Sardique, où les Orientaux devaient s’unir aux Occidentaux pour terminer la discussion. Les évêques hérétiques ariens, se trouvant en minorité, opposèrent des fins de non-recevoir pour ne pas assister au Concile, qui n’en tint pas moins ses séances, sous la présidence d’Osios, Evêque de Cordoue.
Le Concile de Sardique ne fut ni convoqué ni présidé par l’Evêque de Rome ; Osios n’y fut point son légat, comme le prétendent, sans pouvoir en donner de preuves, les théologiens catholiques romains ; & ses envoyés n’y jouirent d’aucun honneur particulier.
Dans sa lettre écrite aux Orientaux, au nom du concile romain –(cf Athanase, Apologie, §36)-, Jules les avait blâmés d’avoir jugé Athanase & les autres Evêques attachés à la Foy de Nicée, sans tenir compte de la coutume qui s’était établie de ne rien décider en Orient sans en référer au siège apostolique de l’Occident : « Ignorez-vous, leur dit-il, que telle est la coutume, que l’on nous écrive d’abord ? » -(Ap. Athan., Apolog.,§35)-.
Le Concile de Sardique fortifia cette coutume par son troisième canon, qui fut ainsi proposé par Osios : « Si deux évêques de même province ont une discussion, aucun des deux ne pourra prendre pour arbitre un évêque d’une autre province. Si un évêque qui a été condamné est si certain de son bon droit qu’il veuille être jugé de nouveau dans un Concile, honorons, si vous le trouvez bon, la mémoire de l’Apôtre Saint Pierre : que ceux qui ont examiné la cause écrivent à Jules, EVEQUE DE ROME : S’il juge à propos de recommencer le jugement, qu’il désigne des juges ; s’il ne croit pas qu’il y ait lieu d’y revenir, on s’en tiendra à ce qu’il aura ordonné. »
Le Concile approuva cette proposition, & l’Evêque Gaudence ajouta ( canon 4), que, pendant l’appel, on n’ordonnerait point d’Evêque à la place de celui qui aurait été déposé, jusqu’à ce que l’Evêque de Rome eût jugé la cause. Le Concile ( canon5 grec, 7 latin) réglementa les appels à Rome.
Les théologiens catholiques romains triomphent de ces canons. Il suffit cependant de les lire avec attention pour voir qu’ils sont tout-à-fait contraires à leur système. En effet, le Concile, bien loin de reconnaître à l’Evêque de Rome une autorité universelle & divine, ne légalisa même pas d’une manière générale la coutume qui s’était établie d’en appeler au siège de Rome comme représentant de l’Occident ; il ne prit que des dispositions de circonstance. Outre les Evêques des grands sièges persécutés par les ariens, & dont les Conciles devaient juger la cause, il y avait un grand nombre de petits Evêques & de Prêtres en Orient dont l’Eglise entière ne pouvait s’occuper ; –( in la lettre de Jules aux Orientaux, dans l’Apologie de Saint Athanase)-.
(P.112).
Ce sont ces Evêques que le Concile renvoie, en dernier ressort, à Jules, EVEQUE DE ROME. Il ne les renvoie pas à l’Evêque de Rome, en général, mais à Jules ; il ne fait pas de son règlement une obligation ; ces appels sont purement facultatifs ; enfin, il croit honorer la mémoire de Saint Pierre, en attribuant à un Evêque de Rome une prérogative qu’il envisage comme nouvelle & exceptionnelle. Une telle décision n’équivaut-elle pas à cette déclaration formelle : que le pape ne possédait légalement aucun droit, même dans les questions ascétiques, & dans le gouvernement général de l’Eglise ? S’il eût cru à l’Evêque de Rome un droit quelconque, eût-il pensé lui faire un si grand honneur en lui accordant une prérogative transitoire ?
Le Concile notifia ses déclarations par plusieurs lettres synodales. –( cf. Athanase, Apol. Contre les Ariens ; Hilaire de Poitiers, Fragments ; Théodoret., Histoire Ecclésiastique)- . Il y entra dans les détails de l’affaire de Saint Athanase & des autres Evêques Orthodoxes persécutés par les hérétiques Ariens, & injustement privés par eux de leurs sièges.
Les théologiens catholiques romains citent surtout avec orgueil celle qui fut écrite à l’Evêque de Rome, à cause de ces paroles qui s’y trouvent :
« Et toi, frère bien-aimé, séparé de corps, tu as été avec nous en esprit à cause de ton désir, & de l’accord qui est entre nous. L’excuse que tu as donnée pour ne pas assister au Concile est bonne & fondée sur la nécessité ; car les loups schismatiques auraient pu, pendant ton absence, commettre des vols & dresser des embûches ; les chiens hérétiques auraient pu aboyer &, dans leur rage insensée, faire des ravages ; enfin, le serpent infernal aurait pu répandre le venin de ses blasphèmes. Il eût été bon & très convenable de réunir les Evêques de toutes les provinces à la capitale, c’est-à-dire au siège de Pierre ; mais tout ce qui a été fait, vous l’apprendrez par nos lettres ; & nos frères dans le sacerdoce, Archidamus & Philoxenus, & notre fils le Diacre Léon vous feront tout connaître de vive voix. »
Nous avons traduit par capitale le mot caput, & nous croyons que tel était en effet le sens que le Concile avait en vue ; car il le met en opposition avec celui de provinces, dans la même phrase. Il aurait donc été bien, selon le Concile, que l’assemblée eût lieu, comme Jules le désirait, à Rome, pour le double motif que cette ville était la capitale de l’empire, & en même temps le siège de Rome. Les théologiens catholiques romains traduisent le mot caput par celui de chef ; mais leur cause n’y gagne rien, car ce mot signifie en même temps tête & premier dans l’ordre hiérarchique. Que l’Evêque de Rome soit la tête de l’Eglise à titre de premier & comme occupant le siège le plus élevé, personne ne le nie ; qu’il soit le premier dans l’ordre hiérarchique établi par l’Eglise, tout le monde en convient. Il ne sert donc de rien d’interpréter d’une manière peu rationnelle le texte du Concile de Sardique, pour étayer un système qu’il ne peut favoriser d’aucune manière.
Ceux qui ont cherché à tirer un si grand avantage d’un mot employé par le Concile de Sardique ont passé sous silence les faits qui ressortent évidemment des actes mêmes de cette Sainte assemblée, c’est-à-dire qu’il fut convoqué par les empereurs Constant & Constance, comme l’affirment le concile lui-même & tous les historiens ;
(P.113)
qu’il fut convoqué pour examiner une décision rendue par le pape dans un concile de Rome ; qu’il fut présidé par Osius & non par les légats ; enfin, qu’au lieu d’être confirmé par le pape, ce fut le concile qui confirma la sentence du pape, & qui lui accorda quelques prérogatives ecclésiastiques.
Ces faits incontestables en disent plus qu’un mot mal interprété, touchant l’autorité papale, & donnent à l’appel de Saint Athanase son véritable caractère.

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