jeudi 26 janvier 2012
GUETTEE. DE LA PAPAUTE. X.
GUETTEE.
DE LA PAPAUTE X.
L'IMMACULEE CONCEPTION.
I UN NOUVEAU DOGME.
(P.225).
L'église catholique romaine professe, touchent l'immculée conception de la Vierge Sainte, une doctrine formellement opposée au Dogme de la Rédemption. En effet, il est de foi que toute l'humanité, sans aucune exception, est frappée d'un vice originel, lequel vice est transmis par l'acte même de la génération. Il s'ensuit que l'humanité, dans la personne de Jésus-Christ, n'a point participé au vice commun, puisqu'elle n'a pas été engendrée d'après la loi commune. Mais la Sainte Vierge a été engendrée d'après cette loi; donc elle a été conçue avec le vice inhérent à la nature humaine; qu'elle en ait été purifiée, dès le sein de sa mère, comme Jérémie & Jean-Baptiste, là n'est pas la question. D'après la bulle de PieIX du 8 décembre 1854, promulguant la conception immaculée de la Sainte Vierge, il faudrait croire qu'elle n'a pas été conçue dans le péché originel; qu'elle en a été absolument préservée, de sorte qu'elle n'aurait pas eu besoin de purification. En effet, si elle avait eu besoin de purification, c'est que sa conception n'aurait pas été immaculée. Si elle n'en a pas eu besoin, c'est qu'elle n'appartient pas réellemnt à l'humanité. Un docteur de l'église catholique romaine, M. Newman, a tiré cette conséquence du dogme de 1854, & a soutenu, à la face de l'église catholique romaine qui ne l'a pas condamné, qu'à dater de la bulle de 1854, la Trinité a été complétée par la Sainte Vierge élevée au rang divin.
Malgré les nombreuses innovations que la papauté a fait subir à la Doctrine Orthodoxe universelle, jamais elle n'avait osé promulguer ouvertement un nouveau dogme; elle avait toujours conservé une certaine pudeur doctrinale, & elle enveloppait ses innovations d'un voile qui les dissimulait assez bien. Pie IX n'a pas de ces pudeurs que j'appellerai catholiques. Il a promulgué, en 1854, un dogme nouveau, & il a eu soin de dire aux évêques réunis autour de lui comme des enfants de choeur, selon l'expression parfaitement juste de l'abbé Combalot, qu'il définissait le dogme en vertu de sa propre autorité.
L'église catholique romaine, par l'organe de son chef, & avec l'assentiment de tous ses évêques, a donc été dotée, le 8 décembre 1854, d'un dogme nouveau. Mais on n'a pas craint d'affirmer que ce dogme nouveau n'était qu'une ancienne doctrine catholique, appartenant à une « tradition latente » de l'Eglise, & que la bulle ne faisait que mettre en lumière. -(N.d.a : Pie IX chargea M. Malou, évêque de Bruges, de soutenir cette thèse. M. Malou l'a fait en deux volumes réfutés par nous dans un ouvrage intitulé: Le Nouveau dogme en présence de l'Ecriture Sainte et de la tradition catholique.)-
(P. 226).
On a même osé prétendre que l'Eglise Orthodoxe universelle d'Orient professait la doctrine hérétique élevée par Pie IX à l'état de dogme.
Il ne nous sera pas difficile d'établir que Pie IX, par sa bulle du 8 décembre 1854, a proclamé un dogme absolument nouveau, & que l'église catholique romaine, en l'acceptant, PROFESSE UNE HERESIE contraire au dogme de la rédemption.
Afin de réfuter, non seulement la bulle de Pie IX, mais les théologiens catholiques romains qui en ont pris la défense, nous devons établir les règles toujours suivies dans l'Eglise pour les définitions dogmatiques.
Jésus-Christ n'est point un philosophe, inventeur d'un système susceptible de perfectionnements indéfinis, selon le progrès des sciences & de l'esprit humain; Il est le Fils de Dieu, le Verbe incarné, l'expression de l'éternelle & essentielle Vérité, qui est sortie du sein du Père, & est descendue pour illuminer tout homme venant en ce monde. La doctrine de Jésus-Christ est donc la Vérité; elle ne peut être par conséquent qu'un dépôt confié au monde, selon la belle expression de Saint Paul (I à Timothée, VI, 20): « O Timothée! Écrit-il à son Disciple chéri, ô Timothée! Garde le Dépôt de la Foy, évitant les profanes nouveautés de paroles! »
Lorsqu'une discussion s'élève dans l'Eglise, le devoir d'un Chrétien Orthodoxe universel est, selon Saint Vincent de Lérins (§III), de s'attacher d'abord à l'Eglise Orthodoxe originelle, qui ne peut être évidemment séduite par les fraudes de la nouveauté. Si dans l'Eglise Orthodoxe originelle on découvre plusieurs opinions, il faut s'attacher aux décrets qu'a rendus anciennement l'Eglise Orthodoxe universelle; s'il n'y a pas de semblables décrets, on doit examiner les opinions des docteurs qui vécurent en divers temps dans la communion de l'Eglise Orthodoxe, & croire, sans aucun doute, ce que tous, d'un consentement unanime enseignèrent ouvertement, fréquemment, & persévéramment. Le livre de Saint Vincent de Lérins a toujours été regardé dans l'Eglise Orthodoxe comme l'expression de la pensée générale.
Toute la Tradition Orthodoxe universelle y est conforme. Nous pourrions citer à peu près tous les Pères de l'Eglise. Nous nous contenterons d'indiquer l'ouvrage de Saint Irénée Contre les Hérésies, & le traité Des Prescriptions de Tertullien. Dans ces deux magnifiques oeuvres, la question est traitée avec la clarté & l'éloquence que nous avons remarquées dans l'Avertissement de Saint Vincent de Lérins.
Aucun Docteur, aucun Evêque, aucun Théologien n'a osé attaquer cette sublime théorie de la Foy Chrétienne.
Pour appliquer ces règles Orthodoxes universelles à la bulle de Pie IX, nous devons examiner quelle a été la Foy originelle, universelle, unanime, touchant la conception de la Sainte Vierge.
Les témoins de cette Foy Orthodoxe sont les Pères de l'Eglise. Si les Pères de l'Eglise ont unanimement, & dans tous les Temps, enseigné une Doctrine contraire à celle de la bulle de Pie IX, il s'ensuivra nécessairement que cette BULLE contient une doctrine nouvelle & par conséquent HERETIQUE.
(P.227).
Pie IX prétend que la doctrine de l'immaculée conception est soutenue dans l'Ecriture Sainte & dans la Tradition.
Comme les hérétiques dont parle Saint Vincent de Lérins, il vole à travers tous les livres de la Sainte Ecriture, depuis la Genèse jusqu'à l'Apocalypse pour étayer son opinion; mais, de tous les textes qu'il indique, nous ne craignons pas de dire qu'il n'en est pas un seul qui ait été appliqué à la conception de la Sainte Vierge par les Pères de l'Eglise.
Or il a été reçu de tout Temps dans l'Eglise Orthodoxe universelle que l'Ecriture Sainte doit être interprétée conformément à la Tradition de tous les siècles. Si aucun des Pères de l'Eglise n'a appliqué à la conception de la Sainte Vierge les passages indiqués dans la bulle, de quel droit les lui applique-t-on aujourd'hui?
Nous le disons hautement & sans crainte d'être confondu, aucun Père de l'Eglise, depuis les Temps apostoliques, n'a appliqué à la conception de la Sainte Vierge aucun texte de l'Ecriture Sainte; ce qui n'a pas empêché Pie IX de dire: « Que l'Eglise catholique, colonne de la vérité, avait toujours regardé l'innocence originelle de la Vierge comme une doctrine contenue dans le dépôt de la révélation...comme l'attestent les monuments de l'antiquité de l'Eglise orientale & occidentale. »
Si'il en était ainsi, on l'eût regardée anciennement, universellmnt, unanimement, comme un dogme.
Or la bulle elle-même qui crée ce dogme ne prouve-t-elle pas à elle seule qu'avant le 6 des ides de décembre de l'année 1854, il n'existait pas?
S'il était vrai, comme il a été dit dans la bulle, que tous les Pères avaient vu ce dogme dans l'Ecriture, & l'avaient tous proclamé, comment se fait-il qu'on l'ait nié pendant quatorze cents ans même dans l'église catholique romaine?
Mais c'est à tort qu'on invoque le témoignage des Pères.
Tout ce qui est indiqué dans la bulle comme s'appliquant à la conception de la Sainte Vierge se rapporte à l'innocence de sa vie, à sa virginité, à sa sanstification dans le sein de sa mère, à sa maternité divine; mais, nous le répétons, il n'y a pas un mot, un seul mot, dans les monuments de la Tradition des Eglises orientale & occidentale, pendant les douze premiers siècles, qui ait le moindre rapport à la conception.
Si nous en croyons M. Parisis, évêque d'Arras, le dogme de la conception immaculée était dans la Tradition comme un astre voilé que tous ne discernaient pas. C'est un aveu en faveur de ce que nous affirmons, c'est-à-dire que les p7res de l'Eglise n'ont point parlé de la conception. Seulement, M. Parisi veut faire entendre que les âmes privilégiées voyaient sous l'écorce de certaines expressions le dogme que le commun des fidèles n'apercevait pas.
Ce système & l'affirmation de la bulle tombent sous le poids écrasant de toute la Tradition Orthodoxe universelle; car il est constant que tous les Pères de l'Eglise, sans aucune exception, ont soutenu, comme enseignement de l'Eglise, une doctrine diamétralement & évidemment opposée à la conception immaculée de la Sainte Vierge.
Nous affirmons qu'IL N'EST PAS UN SEUL PERE DE L'EGLISE QUI SOUTIENNE une autre doctrine que celle qui est contenue dans les textes que nous avons cités.
(P.228).
Nous renvoyons ceux qui hésiteraient encore à le croire à l'ouvrage que Vincent de Bandellis compsa au XV°siècle sur la question qui nous occupe, & dans lequel il a indiqué plus de quatre mille textes des Pères, des papes, des docteurs & des théologiens faisant autorité dans l'Eglise, & il est loin d'avoir épuisé la matière. Plusieurs des textes ci-dessus ne sont pas indiqués par lui. Comment se fait-il donc que dans la bulle on ait dit que les Pères & les écrivains ecclésiastiques, instruits par les enseignements célestes, n'ont rien eu de plus cher dans leurs livres que de proclamer à l'envi & de prêcher le dogme de la conception immaculée?
Nous avons cherché dans ces livres des Pères & des écrivains ecclésiastiques, & nous y avons trouvé TOUT LE CONTRAIRE DE CE QUE LA BULLE AFFIRME, & nous n'y avons rien trouvé en faveur du dogme qu'elle proclame.
Quand bien même on citerait (ce qui n'est pas) quelques textes formels en faveur de la doctrine de la bulle; quand bien même ces textes seraient aussi nombreux que ceux qui lui sont contraires, la bulle n'en serait pas plus légitime; car alors il n'y aurait jamais eu dans l'Eglise de croyance constante, universelle, unanime, touchant la conception de la Sainte Vierge; d'où il suivrait qu'une opinion sur ce point ne pourrait être l'objet d'une définition dogmatique de la part de l'Eglise.
La bulle s'appuie sur les prédécesseurs de PieIX & sur la tradition de l'église catholique romaine.
Voyons quelle a été cette tradition.
Saint Innocent Ier ( ap. Aug. Cont. Julian.) soutient que le péché originel a été communiqué à tous les hommes, sans exception, qui sont engendrés par la voie ordinaire.
Saint Gélase Ier ( adv. Pélag.) professe la même Doctrine dans son livre contre Pélage: « C'est le propre de l'Agneau immaculé, dit-il, de n'avoir jamais eu aucun péché. »
Saint Léon le Grand dit & répète souvent ( serm. I, II, V, in Nativ. Dom.):
« Jésus-Christ, seul entre tous les enfants des hommes, a conservé son innocence en naissant, parce que lui seul a été conçu sans concupiscence charnelle. »
Saint Grégoire le Grand n'a pas d'autre Doctrine. Nous pourrions indiquer cent textes dans ses divers ouvrages. Citons seulement celui-ci, tiré de ses Morales ( in Job., lib. XVIII):
« Celui-là seul est né véritablement Saint, qui, pour vaincre la nature corrompue, n'a pas été conçu par la voie ordinaire. »
Le pape Innocent II ( serm. In Assumpt.):
« La Glorieuse Vierge a été conçue dans le péché, mais elle a conçu son Fils sans péché. »
Le pape Innocent III ( serm. In Purif.), commentant ces Paroles de l'Ecriture: « Le Saint-Esprit surviendra en toi, » dit :
« Le Saint-Esprit était déjà venu en elle, lorsque, étant encore dans le sein de sa mère, Il purifia son âme du péché originel. »
( P.229).
Le même pape fait ce parallèle entre Eve & Marie ( serm. In Assumpt) :
« Eve a été formée sans péché, mais elle a conçu dans le péché; Marie a été conçue dans le péché, mais elle a conçu sans péché. »
Le pape Innocent V s'exprime en ces termes touchant la Sainte Vierge ( Comment. In Lib.III, Sentent.) :
« La Bienheureuse Vierge a été sanctifiée dans le sein de sa mère, non pas avant que son âme eût été unie à son corps, parce qu'elle n'était pas encore capable de Grâce, ni dans le moment même de cette union, parce que, si cela était, elle aurait été exempte du péché originel, & n'eût pas eu besoin de la rédemption de Jésus-Christ, nécessaire à tous les hommes, ce qu'on ne doit pas dire. Mais il faut croire pieusement qu'elle a été purifiée par la Grâce & sanctifiée très peu de temps après cette union: par exemple, le même jour ou dans la même heure, non pas cependant dans l'instant même de l'union. »
Telle fut, pendant les douze premiers siècles de l'Eglise, la doctrine du siège romain, comme la Doctrine contante, universelle, unannime de toutes les Eglises de l'Orient & de l'Occident.
Vers le XII°siècle, on commença à parler dans l'église catholique occidentale de la conception immaculée. Les chanoines de Lyon ayant cru devoir célébrer dans leur église une fête en l'honneur de la conception de la Sainte Vierge, Bernard, abbé de Lairvaux, leur adressa sur cette innovation une lettre sévère, dans laquelle il n'est que l'écho de la tradition catholique, en soutenant d'une manière solennelle que la Sainte Vierge a été conçue dans le péché originel. Nous citerons quelques passages de cette lettre ( Epist. CLXXIV, ad Can. Lugd.) :
« Il a été nécessaire que Marie ait été sanctifiée après avoir été conçue, afin de pouvoir naître dans la sainteté qu'elle n'avait point eue dans la conception qui a précédé sa naissance. Direz-vous que sa naissance, quoique postérieure, communique sa sainteté à sa conception, qui est la première selon l'ordre des temps? Cela ne se peut; car la sanctification de Marie, qui a suivi sa conception, a bien pu s'étendre sur sa naissance; mais elle n'a pu remonter par un effet rétroactif, jusqu'au temps de sa conception. »
Bernard ne voit qu'un moyen de soutenir l'opinion de la conception immaculée, c'est de dire que Marie a été conçue par l'opération du Saint-Esprit; mais il ajoute aussitôt: « Une pareille assertion est inouïe, & pour parler le langage de l'église, toujours infaillible, je dis qu'elle a conçu, mais je ne dis pas qu'elle a été conçue du Saint-Esprit...
« Il en est peu qui soient nés Saints, mais nul n'a été conçu dans la Sainteté, à l'exception de Celui qui, devant sanctifier les hommes & expier le péché, en devait seul être exempt. »
Dans sa lettre entière aux chanoines de Lyon, Bernard, conformément à la Doctrine de tous les,Pères, affirme que la Sainte Vierge, engendrée par la voie ordinaire, a contracté le péché originel, dont elle a été purifiée avant sa naissance.
Le savant abbé trouvait dans cette doctrine un argument puissant pour s'opposer à la fête de la Conception;
(P.230)
on ne pouvait, selon lui, solenniser le seul instant où Marie avait été sous l'empire du péché.
Première lettre à Monseigneur Malou, évêque de Bruges, sur son livre, intitulé: L'Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge considérée comme dogme de foi.
(Note : Ces lettres de Guettée ont été écrites alors qu'il n'était pas encore Orthodoxe. Nous avons choisi ici trois des vingt-sept lettres de Guettée à Mgr Malou).
Paris, le 1er août 1857
Monseigneur,
Parmi les nombreux ouvrages qui ont été imprimés depuis quelque temps sur la Conception de la Sainte Vierge, j'ai distingué d'une manière toute particulière celui que Votre Grandeur vient de publier sous ce titre: L'Immaculée-Conception de la Bienheureuse Vierge Marie considérée comme dogme de foi. Votre position dans l'Eglise & la réputation dont vous jouissez dans l'épiscopat, auraient bien suffi pour donner à votre oeuvre une haute importance à mes yeux; d'autres considérations m'ont encore persuadé que je pouvais regarder votre travail comme le dernier mot de la science théologique de ceux qui ont adhéré à la définition promulguée par Pie IX, le 8 décembre 1854. En effet, Pie IX a accepté la dédicace de votre livre, & vous affirmez que vous avez profité de tous les ouvrages publiés avant le vôtre sur la même question.
Je vous l'avouerai tout d'abord, Monseigneur: J'appartiens à cette classe de catholiques timides dont vous parlez dans votre épître dédicatoire, & qui pensent que la définition de Pie IX ne pourra qu'éloigner de l 'Eglise les brebis errantes, sollicitées par la Grâce de rentrer au bercail du divin Pasteur.
Je ne pense pas, comme vous le dites au même endroit, que, pendant plusieurs siècles, des milliers de fidèles aient aspiré au bonheur de voir le jour où le pape déclarerait doctrine de foi la croyance à l'Immaculée-Conception. La définition de Pie IX, au lieu de me paraître, comme à vous, l'évènement le plus glorieux de son pontificat, me semble un fait d'autant plus désastreux qu'on y avait attaché, de par Dieu & la Sainte Vierge, des bienfaits spirituels & temporels dont le monde n'a point joui, tant s'en faut! Vous vous applaudissez que Pie IX ait exercé sa puissance souveraine en proclamant dogme ce qui n'était auparavant qu'opinion; les réjouissances qui ont accompagné dans le monde chrétien tout entier la définition de ce que vous appelez la prérogative antique de la Mère de Dieu, vous persuadent que l'union la plus intime existe entre les membres du corps mystique de Jésus-Christ & leur chef. Hélas! Monseigneur, les réjouissances populaires prouvent bien peu de choses pour l'observateur calme & consciencieux.
(P.231).
On en provoquera facilement à l'occasion de tout événement extraordinaire; le peuple est aveugle, & ses réjouissances successives & contradictoires ne prouvent que son amour du changement & du plaisir.
Ce qui précède vous dit assez, Monseigneur, que je ne suis pas un des croyants au dogme de l'Immaculée-Conception.
Ai-je pour cela cesé d'être catholique? C'est là, Monseigneur, une question qui a pour moi la plus haute gravité. Avant la définition de Pie IX, j'étais catholique par conviction & sans restriction. J'adhérais à tout ce que l'église catholique m'avait transmis par une tradition constante & perpétuelle depuis les Apôtres. Ma foi était, grâce à Dieu, pure, solide, complète. Tout ce qui était de foi avait mon adhésion entière, absolue. J'avais par conséquent, pour la Sainte Mère de Jésus-Christ, le respect, la confiance, l'amour, tous les sentiments qui forment & constituent une vraie piété. Je m'occupais fort peu de la question de l'Immaculée-Conception. Tout en ne partageant point l'opinion de ceux qui mettaient une prérogative hypothétique au-dessus du privilège de la maternité divine, je n'aurais eu aucun éloignement pour admettre l'exemption du péché originel en la Sainte Vierge, si l'Ecriture Sainte & les Ecrits des Saints Pères m'eussent fourni sur ce point des lumières que je n'y trouvais pas.
Aaujourd'hui, Monseigneur, j'ai la même foi qu'avant la définition du 8 décembre 1854; j'ai la même piété envers le Sainte Vierge; mais, dans ma conscience, je ne puis me décider à admettre une définition que je considère comme erronée, & contraire aux vrais principes de la foi catholique.
A votre point de vue, je ne suis plus catholique; au mien, c'est vous qui êtes dans l'erreur. Qui de nous deux a raison? C'est ce que j'ai voulu examiner en lisant votre livre.
J'ai eu l'intention, en l'étudiant sérieusement, d'y adhérer si j'y trouvais l'éclaircissement de mes difficultés; je ne l'y ai point rencontré. Peut-être est-ce faute d'intelligence de ma part. Dans ce cas, j'espère que vous voudrez bien dissiper mes doutes. Je vais vous les exposer, Monseigneur, en toute simplicité. Je veux être catholique; je crois l'être. Je serais désolé de ne point appartenir à l'Eglise de Jésus-Christ. Mais faut-il, pour appartenir à l'Eglise, croire que Jésus-Christ lui ait révélé le dogme de l'Immaculée-Conception? L'Eglise a-t-elle parlé par la bouche de Pie IX? Les adhésions d'un grand nombre d'évêques sont-elles la voix de l'Eglise? Les Ecritures & la Tradition nous ont-elles enseigné le dogme défini par Pie IX? Ce dogme a-t-il pour lui la foi constante & unanime de tous les siècles chrétiens? Ce sont là, Monseigneur, autant de points sur lesquels des doutes nombreux assiègent mon esprit.
Me direz-vous simplement, Monseigneur, que je dois croire aveuglément à la parole du pape? Je ne puis le penser, Monseigneur. Puisque vous avez fait un livre pour prouver le dogme de l'Immaculée-Conception, c'est que vous voulez qu'on examine s'il appartient bien au dépôt de la Foy que le Fils de Dieu a confié à son Eglise. Vous n'ignorez pas, en outre, que l'infaillibilité du pape n'est point un dogme, & qu'il est impossible de croire, de foi divine, une vérité qui ne srait appuyée que sur une infaillibilité contestable.
(P.232).
Enfin, Monseigneur, vous savez que Saint Paul a formellement déclaré qu'il ne faudrait même pas croire à un ange qui descendrait du Ciel pour nous enseigner une doctrine contraire à celle qu'il avait prêchée.
Vous admettez comme moi, avec toute l'Eglise, que l'unique motif de la foi est la véracité de Dieu. Il ne faut donc croire que sur la Parole de Dieu ce qu'Il a bien voulu nous révéler; & accepter cette Parole de la bouche de l'Eglise catholique, c'est-à-dire de l'Eglise universelle de tous les temps. Jésus-Christ a-t-il révélé le dogme défini par Pie IX? L'Eglise catholique dans tous les siècles a t-elle rendu témoignage à ce dogme? Voilà les deux points auxquels se réduit nécessairement toute la discussion entre catholiques.
Je ne les perdrai jamais de vue, Monseigneur, dans les doutes que j'ose vous adresser. Je vous suivrai page par page; vous serez ainsi convaincu que j'ai étudié votre livre consciencieusement. Cette étude sérieuse, ma bonne foi, mon intention formelle de rester catholique, de posséder une foi aussi complète que vraie; ces dispositions vous engageront, je l'espère, Monseigneur, à donner quelque attention aux lettres que j'aurai l'honneur de vous adresser.
Je commence dès aujourd'hui, Monseigneur, à vous soumettre les remarques que j'ai faites sur votre préface.
Vous affirmez dès le début ( p.IX.), que les évêques qui se trouvèrent à Rome avec vous en 1854, pour la définition de Pie IX, furent unanimes sur la nécessité d'un ouvrage qui fût un exposé lucide de la croyance de l'église sur l'Immaculée-Conception, & un résumé exact des motifs qui ont déterminé le Saint-Siège à prononcer son jugement doctrinal. " L'Angleterre, dites-vous, l'Amérique, la France, l'Allemaagne,l'Italie même ne semblaient à leurs yeux pouvoir se passer d'une pareille publication." Telle fut aussi votre opinion, Monseigneur. Une réflexion surgit dans mon esprit en lisant de telles paroles: Si la croyance à l'Immaculée-Conception était celle de l'Eglise, comment les catholiques de tous les pays l'ignoraient-ils? l'Eglise n'est pas un être abstrait, elle est la société des fidèles. Si les membres de cette société, dans tous les pays, avaient un besoin absolu d'un ouvrage qui fût un exposé de la croyance qu'on voulait définir, c'est que l'Eglise, qui est la société chrétienne, ignorait cette croyance. Or, l'Eglise peut-elle ignorer un des points de la révélation qui lui aurait été transmis d'âge en âge sans interruption?
De plus, vous attribuez au Saint-Siège la définition du dogme de l'Immaculée-Conception. Votre expression ne serait juste qu'autant que Pie IX, en donnant cette définition, aurait été l'écho de la foi de son église de Rome à tous les siècles. S'il n'en était pas ainsi, sa définition lui serait purement personnelle. Aucun évêque ne peut être identifié avec son église ou son siège. Aliud sunt sedes, dit Saint Léon ( Epist.8, c.5), aliud praesidentes. Quoique premier pasteur de l'église ou du siège de Rome, vous n'êtes ni cette église ni ce siège; Pie IX n'est pas davantage l'Eglise ou le siège de Rome. Il ne peut parler au nom de son église qu'en s'unissant à la Tradition constante de cette Eglise; par cette union, il ne fera qu'un avec elle; mais, en dehors de cette union, il est seul, isolé. Nous verrons plus tard si Pie IX a parlé au nom de son église, & si votre expression, Monseigneur, est d'une rigoureuse exactitude.
(P.233)?
Je me contenterai donc de vous faire observer,Monseigneur, que vous-même aviez besoin de lumière touchant l'Immaculée-Conception, puisque vous avouez que ce ne fut qu'à Rome que votre esprit fut éclairé d''une lumière inattendue ( p.X). Il est vrai qu'elle fut si vive que le mystère de l'Immaculée-Conception vous apparut comme un des dogmes de foi les plus solidement établis que l'église catholique ait jamais proposés à notre croyance.
Je n'en suis que plus étonné de l'opinion émise par tous les évêques de la nécessité d'un exposé lucide de ce dogme; car encore une fois, comment se fait-il que l'ignorance fût si universelle sur ce point, & que depuis des siècles on ne le donnât que comme une simple opiinion? Je vous avoue, Monseigneur, que c'est là pour moi un problème insoluble. Qu'une conséquence éloignée d'un dogme ne fasse pas partie de l'enseignement dans l'Eglise, je vous comprends; que la foi sur cette conséquence ne soit qu'implicite, je le comprends encore; que l'autorité établie par Jésus-Christ pour veiller au dépôt de la révélation ne s'en préoccupe point, tant que ce dogme ne sera pas attaqué au moyen de cette conséquence éloignée, je n'ai aucune difficulté à l'admettre;mais que l'Eglise ait ignoré un seul instant un vrai dogme; que les évêques aient enseigné unanimement dans leurs rituels que l'Immaculée-Conception n'était qu'une opinion; que tous les théologiens catholiques, sans exception, aient écrit dans le même sens, quoique cette Immaculée-Conception fût un des dogmes de foi les plus solidement établis que l'église catholique ait jamais proposés à notre croyance, voilà ce dont je ne puis me rendre compte.
Les évêques qui se sont trouvés avec vous à Rome, vos anciens élèves de l'université de Louvain, & le pape lui-même, vous ont demandé, Monseigneur, le livre qui était si nécessaire à l'église; c'est ainsi que vous avez été amené à le publier. Vous y avez eu pour but de donner une explication approfondie du mystère de l'Immaculée-Conception, afin d'aider les pasteurs à le faire mieux comprendre à leurs ouailles.
Ces expressions sont-elles justes, Monseigneur? Peut-on expliquer & faire comprendre les mystères?
Quoi qu'il en soit, tel est le but que vous vous êtes proposé:
" Je voulais, dites-vous ( p.XI & XII), réunir en un faisceau les preuves les plus saillantes de la vérité que le Saint-Siège venait de définir, afin que les enfants de l'église, après en avoir pris connaissance, pussent sans effort rendre compte de leur foi. La pensée qui me guidait était celle-ci: Il importe de prouver que le dogme de l'Immaculée-Conception appartient à la révélation catholique; qu'il sort de cette tradition comme une fleur sort de sa tige. Il faut ontrer aux enfants de l'église les racines, le tronc, les branches, le fruit de cet arbre magnifique, afin que le décret dogmatique, prononcé par le Saint-Père, apparaisse à tous les yeux comme la conséquence nécessaire, inévitable des principes de la théologie & de l'enseignement perpétuel de l'église. Ce n'est point à la multitude des preuves qu'il faut viser, mais à leur choix, mais àla clarté & à la solidité de la démonstration.
(P.234).
Dans un sujet aussi vaste, la difficulté la plus grande consiste à être clair & complet, sans être long; à dire tout ce qui est nécessaire, en omettant tout ce qui serait superflu. Evitons,me disais-je, les formes polémiques & les discussions arides; réfutons les objections les plus spécieuses, par des réponses directes, courtes & substantielles; faisons justice des autres, en établissant les faits & les points de doctrine quiles renversent & les détruisent."
Je ne dirai rien, Monseigneur, de l'exposition détaillée de votre plan, puisque j'en étudierai chaque partie en particulier avec le plus grand soin. Je regretterai seulement que vous ayez pensé qu'il n'y avait que des ministres protestants ou des demi-savants désoeuvrés qui pussent élever des difficultés sur votre livre. Il y a, Monseigneur, nombre de catholiques & même de prêtres, qui ne sont peut-être pas sans science, qui pourraient même mériter un titre plus honorable que celui de demi-savants, & qui ne croient pas à la définition de Pie IX, & qui ne se regardent pas pour cela comme moins bons catholiques que vous. Il est de mauvais goût, Monseigneur, surtout pour un évêque, de se servir d'expressions outrageantes. C'est montrer de la passion, ce qui n'est ni utile ni expédient.
Enfin, vous êtes persuadé que vos preuves sont décisives au point de vue catholique, & que les Monuments de la Tradition sont en faveur de l'Immaculée-Conception aussi bien que le jugement infaillible de l'Eglise. J'ai, Monseigneur, à vous proposer de nombreuses difficultés sur ces deux points. Je commencerai dans maprochaine lettre.
Veuillez agrée l'hommage de mon profond respect.
P.S. - J'ai remarqué,Monseigneur, les paroles suivantes dans la prière que vous avez adressée àla Sainte Vierge à la fin de votre préface: " C'est de vous & de votre divin Fils, ô mère incomparable, que j'attends tout le fruit de mes travaux, & c'est à vous eule que je veux les rapporter."
Ainsi, vous associez l'action de la Sainte Vierge à celle du Dieu-Homme; vous ne donnez même que le second rang à Jésus-Christ, comme source des grâces dont votre livre pourrait être l'occasion; puis vous l'excluez formellement du motif qui vous dirige dans vos travaux. La Sainte Vierge est votre unique fin; c'est à elle seule que vous les rapportez.
La conséquence nécessaire d'une telle doctrine, c'est que la Sainte Vierge est votre Dieu. Pensez-vous, Monseigneur, par de telles exagérations que l'on pourrait si énergiquement caractériser, honorer l'humble Vierge qui se Glorifiait en Dieu son Sauveur?
3. Troisième lettre
(P.235).
Monseigneur,
Vous affirmez que l'Ecriture Sainte atteste clairement le grand privilège de l'Immaculée-Conception de la Sainte Vierge, & que les Monuments Traditionnels qui en témoignent sont si nombreux que vous avez éprouvé "un véritable embarras à les classer de manière à ce qu'ils n'éblouissent & n'écrasent pas vos lecteurs." ( p.19, 20.)
Pourquoi alors, Monseigneur, vous êtres donné la peine d'écrire les observations préliminaires qui remplissent votre deuxième chapitre? Si l'Ecriture & la Tradition parlent si clairement, il n'était vraiment pas besoin d'entrer en de si grands détails touchant la nature de la Tradition & des Témoignages qu'elle nous a transmis, & des formes différentes sous lesquelles elle s'offre à nous. Il me semble, Monseigneur, que l'idée de ces prolégomènes ne fût pas même venue à Votre Grandeur, si elle n'eût pas compris la nécessité de disposer d'avance le lecteur à donner à certains monuments un sens qu'on ne leur avait jamais attribué jusqu'à nos jours. Vous ne pouvez faire ouvertement le sacrifice de cette grande règle catholique qui reconnaît dans le témoignage constant & universel le critère du dogme révélé. Pie IX lui-même a été obligé de lui rendre hommage dans sa bulle Ineffabilis. Votre Grandeur a donc eu recours à tout ce que l'habileté théologique pouvait avoir de plus séduisant, afin de nous amener à la croyance dont vous êtes le défenseur autorisé.
Je vais examiner, Monseigneur, les divers points de votre théorie.
" Dès l'origine de la controverse touchant l'Immaculée-Conception, dites-vous, les défenseurs de ce privilège ne pouvaient avoir recours aux Monuments écrits de la Tradition, qui étaient encore ignorés. De nos jours, la Tradition a revêtu un éclat nouveau, par les travaux que le Saint-Siège a provoqu"s ou encouragés;mais si la Tradition n'était pas décisive à l'origine en faveur de l'Immaculée-Conception, les adversaires de ce privilège ne pouvaient établir non plus à son aide que Marie avait contracté le péché originel." ( p.20, 21.)
Ces affirmations, Monseigneur, ne sont pas exactes. Il est certain qu'au XII°siècle, & dans les temps qui suivirent, époque fixée par votre Grandeur pour l'origine de la controverse, les Monuments écrits de la Tradition n'étaient pas aussi universellement connus qu'ils l'ont été depuis l'invention de l'imprimerie. Cependant, Monseigneur, les hommes instruits de cette époque en connaissaient assez pour savoir certainement ce que la Tradition enseignait. Les bibliothèques des monastères possédaient tous les monuments que nous avons aujourd'hui, &, quoique les exemplaires en fussent moins multipliés, ils étaient en assez grand nombre pour que les écrivains d'autorité en eussent connaissance. Les ouvrages des docteurs du moyen âge, de saint Bernard, de saint Anselme, de saint Bonaventure, de saint Thoals d'Aquin, de Vincent de Beauvais, d'Albert le Grand, & de tant d'autres, sont là pour attester qu'ils connaissaient mieux la tradition catholique que la plupart de ceux qui, de nos jours, écrivent sur les matières théologiques.
(P.236).
Votre Grandeur a donc mal apprécié cette époque. C'est au nom de la tradition catholique que les grands docteurs du moyen âge résistèrent à ceux qui, par suite d'une piété plus vive qu'éclairée, selon saint Bernard, crurent que l'honneur dû à la Sainte Vierge demandait qu'elle eût été conçue sans péché. Vous semblez, Monseigneur, insinuer que Saint Bernard fut vaincu dans la controverse par ceux dont il condamnait l'opinion avec toute l'autorité de la science, du génie, & de la piété.(p.21.) Vous promettez de le faire voir dans la suite. Nous vous attendons.
Les travaux des derniers siècles ont-ils été, Monseigneur, aussi satisfaisants que vous le dites? Si j'en crois Votre Grandeur, ils ont jeté une si vive lumière sur les Monuments de la Tradition que vous n'êtes point surpris que de savants théologiens aient déclaré, depuis deux siècles, que l'Immaculée-Conception appartient aux doctrines de foi. (P.22.) Cependant, des théologiens non moins savants, & même d'une réputation beaucoup plus grande, n'ont pas hésité à dire, depuis deux siècles, que cette opinion ne pouvait appartenir à la foi, ne pouvait être définie. Les monuments de la Tradition ne leur paraissaient donc pas aussi clairs ni aussi certains qu'à Votre Grandeur & à ses savants théologiens. Cette diversité d'opinions chez des hommes également versés dans les études théologiques & dans la connaissance de la tradition, nous met déjà en garde contre les expressions un peu exagérées, ce semble, dont se sert Votre Grandeur, qui ne voit partout que lumières, évidences, & clartés pour son dogme favori.
Telle est la théorie développée par Votre Grandeur touchant la Tradition ( p.22, 23) :
" Les traditions catholiques sont des vérités révélées que l'église conserve dans son sein." Elles se manifestent de plusieurs manières: les unes ont toujours été connues & enseignées en termes clairs & précis; les autres n'ont été crues qu'implicitement, c'est-à-dire qu'elles étaient contenues en germe dans des vérités explicites; enfin, il y a un troisième ordre de vérités " qui, révélées d'une manière directe, mais obscure, se sont éclaircies par le rapprochement des vérités déjà certaines & par l'enregistrement de plus en plus précis de l'église."
Votre Grandeur n'a appuyé sur aucune preuve ces assertions. A mon avis,elles ne peuvent soutenir l'examen, & elles détruisent radicalement les principes de la foi chrétienne.
L'homme peut certainement progresser dans la connaissance approfondie des dogmes chrétiens, y découvrir de nouveaux aspects, en déduire de nouvelles conséquences; mais l'église ne progresse pas ainsi; elle se contente d'attester sa foi, & d'opposer aux inventions humaines qui seraient opposées au Dépôt de la Foy qui lui a été confié le poids accablant de son témoignage constant & universel. L'église, société permanente, ne fait que transmettre d'âge en âge les vérités révélées; il ne peut y en avoir pour elles d'inconnues ou de mieux éclaicies. Lorsqu'une hérésie s'élève, toutes les églises particulières attestent la foi originelle par l'organe de leurs chefs respectifs, c'est-à-dire les évêques: à cette attestation est attachée l'infaillibilité, en vertu du privilège divin.
(P.237).
A côté de cette attestation, seule infaillible, il ne peut y avoir les discussions, les conclusions des évêques; mais, dans ces discussions & conclusions, les évêques ne sont plus que des théologiens, & il faut soigneusement distinguer leur action personnelle de l'acte épiscopal par lequel ils témoignent de la foi constante de leurs églises. Ainsi, lorsque l'arianisme, l'hérésie la plus artificieuse qui ait ravagé l'Eglise, eut contesté la divinité de Jésus-Christ, les Evêques assemblés à Nicée opposèrent à tous ces sophismes cette Vérité: le Christ était Dieu. Mais, lorsqu'à Rimini les évêques voulurent entrer en discussion, les catholiques se laissèrent tromper par les ariens.
Si vous vous étiez contenté, Monseigneur, de dire que l'église pouvait faire progresser l'homme dans la connaissance du dogme chrétien, & lui faire apercevoir sous de nouveaux points de vue une vérité déjà connue, en déjouant par son témoignage accablant & uniforme tous les artifices des hérétiques, j'eusse partagé votre manière de voir; mais lorsque vous dites que l'église peut découvrir de nouvelles vérités, touchant lesquelles son enseignement n'était pas précis, je ne puis voir sous de telles opinions qu'une attaque directe à la révélation elle-même. Non, Monseigneur, l'Eglise n'a jamais rien découvert, & ne découvrira jamais rien de nouveau dans le Dépôt de la Foy intact & pur, &, lorsque vous parlez d'une église qui a sur un point une foi qu'elle n'avait pas auparavant, vous oubliez que l'Eglise est une société immuable, & que l'Eglise universelle n'est plus dès que vous la distinguez à tel ou tel siècle. Elle n'existe, en effet, qu'à la condition d'être perpétuelle, c'est-à-dire universelle pour tous les temps, & ce n'est qu'à cette Eglise perpétuelle, & nécessairement une, que le privilège d'infaillibilité appartient.
Il est facile de comprendre, Monseigneur, la raison qui vous a porté à adopter votre théorie sur les vérités obscures. Vous cherchez à faire croire que le nouveau dogme est une de ces vérités implicites qui sont la conséquence rigoureuse de dogmes parfaitement définis. Quel est, Monseigneur, le dogme dont l'Immaculée-Conception serait la conséquence rigoureuse? Quant à moi, je n'en aperçois aucun, & je ne puis envisager l'Immaculée-Conception que comme une opinion ayant son être propre, son caractère particulier. Vous dites bien, Monseigneur: " Le mystère de l'immaculée-Conception appartient à la catégorie des vérités révélées directement d'une manière obscure." Mais Votre Grandeur se garde bien d'indiquer la vérité révélée, qui contient implicitement le prétendu dogme qu'elle défend.
Pour démontrer qu'il appartient à la catégorie des vérités que vous avez inventéess pour les besoins de votre cause, vous déroulez ce que vous appelez les sources de la tradition catholique.
La première source de la tradition est, selon Votre Grandeur, la tradition vivante de l'église, c'est-à-dire sa croyance universelle actuelle. Ainsi, il n'est pas nécessaire de constater la foi des siècles antérieurs pour avoir, selon vous, un témoignage infaillible. la foi actuelle de l'église, ou sa tradition vivante, est une règle infaillible de vérité, indépendamment de tout monument écrit & de tout argument théologique.
(P.238).
Vous ne vous êtes pas aperçu, Monseigneur, qu'en isolant l'église de telle époque, de l'Eglise des siècles antérieurs, vous lui enleviez sa catholicité, au sens de son universalité.
Peut-on parler de l'Eglise d'une manière abstraite, comme vous l'avez fait? Peut-on supposer que, de nos jours, elle puisse avoir une foi universelle sur un dogme révélé, sans que cette foi puisse être constatée dans tous les siècles par les Monuments écrits? Cette supposition serait toujours chimérique quand elle ne serait pas aussi erronée. C'est là encore une invention née des besoins de la cause. On s'imagine qu'on peut démontrer le nouveau dogme par ce raisonnement: aujourd'hui, on croit partout à l'immaculée-Conception comme de foi; donc ce dogme a été révélé; mais encore une fois, Monseigneur, vous détruisez le témoignage universel, vous détruisez l'église par une théorie que la théologie n'a jamais connue.
Quand même nous l'admettrions, le nouveau dogme n'en serait pas plus solide, parce que la foi de l'église actuelle n'a pas été constatée, & qu'il est ridicule de prendre pour un témoignage de la foi universelle certaines manifestations dont on exagère l'importance dans un but facile à découvrir; mais cette théorie, inutile pour ce but, est fausse de tout point, & condamnée par les principes de l'enseignement de l'Eglise sur la Tradition. Qu'est-ce qu'une foi actuelle pour l'église? N'avez-vous remarqué, Monseigneur, que ces deux termes se détruisent mutuellement, & ne peuvent être juxtaposés sans détruire toute idée de Tradition? Le mot Tradition signifie une chose reçue par héritage des siècles antérieurs. De plus, Monseigneur, que devient l'apostolicité dans votre système? Car vous ne pourrez persuader à personne que l'Eglise tienne des Apôtres une foi dont on n'aperçoit aucun vestige dans les Monuments écrits qui constituent la Tradition.
Non seulement, Monseigneur, vous détruisez l'église & ses caractères essentiels, en isolant la société chrétienne de telle époque de celle de telle autre époque, vous la détruisez encore en la divisant en deux parties distinctes; Votre Grandeur prend à la lettre, & d'une manière rigoureuse, la distinction, introduite depuis peu de temps dans l'enseignement théologique, de l'Eglise enseignate & de l'Eglise enseignée. Que l'on admette cette distinction en ce sens que les Evêques sont la voix nécessaire de leurs Eglises respectives, nous n'y voyons pas un inconvénient très grave;mais d'aller prendre ces mots à la rigueur, & de scinder l'église, qui est une, c'est ce qu'aucun catholique ne doit souffrir. Les fidèles seuls ne font pas plus l'église que les pasteurs seuls. Tous ensemble forment un corps compact, un, indivisible; & c'est à l'église ainsi entendue que les promesses ont été faites; elle conserve infailliblement la vérité révélée: les évêques la proclament infailliblement, en attestant la foi constante, chacun pour son église particulière; voilà toute la théorie catholique sur l'infaillibilité. Cette infaillibilité est une; &, distinguer une infaillibilité passive & une infaillibilité active dans l'église qui est une & qui est seule infaillible, c'est se perdre en des expressions fausses, incorrectes, qui ne peuvent être que des sources d'erreurs :
(P.239)
je crois en l'église universelle; voilà la formule nettement posée par les Apôtres; toutes les distinctions théologiques n'exprimeront jamais rien de plus précis, de plus vrai. Celles que vous avez adoptées, Monseigneur, ne font qu'ébranler cet article fondamental du Symbole apostolique du Credo.
Vous promettez, Monseigneur, de traiter in extenso, dans votre troisième chapitre, de la tradition vivante de l'Eglise. Nous vous suivrons de nouveau sur ce terrain, lorsque vous y reviendrez.
Passons à vos principes sur la tradition écrite. Vous distinguez encore dans cette tradition deux ordres de vérités: celles que vous nommez explicites & les vérités implicites. Vous donnez pour exemple de vérité implicite, la définition du dogme des deux volontés en Jésus-Christ, contenu implicitement dans celui de l'incarnation du Verbe. Ainsi, vous confondez, Monseigneur, les vérités non définies avec celles que vous appelez implicites & obscures. Il me semble, Monseigneur, que Votre Grandeur se trompe. De ce que le dogme des deux volontés en Jésus-Christ n'a été défini qu'au VII° siècle, vous avez tort d'en conclure que la Foy de l'Eglise sur ce point n'était pas déterminée. L'Eglise ne fait de définition officielle sur tel ou tel dogme, qu'au moment où ce dogme est attaqué; mais, de ce qu'elle ne définit pas, il ne faut pas en conclure qu'elle ne possède pas explicitement la vérité qu'elle définit lorsqu'elle est obligée de défendre sa Foy. La définition de l'Eglise n'est que la constatation de la Foy universelle; on ne peut constater ce qui n'existe pas. Or, une vérité implicite n'est qu'une vérité inconnue! L'Eglise ne passe jamais de l'inconnu au connu pour l'homme; elle n'a pas d'intelligence à exercer comme l'individu: elle affirme ce qu'elle a reçu par tradition, ce qu'elle a cru de tout temps.
Vous n'avez posé votre principe, Monseigneur, que pour expliquer comment Pie IX a pu déclarer dogme de foi ce qui n'existait pas encore en 1853; mais si vos efforts prouvent votre bonne volonté, ils font peu d'honneur à la science théologique de Votre Grandeur. Par le procédé des vérités implicites, révélées d'une manière obscure & transmises par tradition vivante, sans monuments écrits, il est facile, Monseigneur, de changer la révélation tout entière & de substituer une nouvelle religion au Christianisme/ Est-il permis, en faveur d'un prétendu dogme de fraîche datre, d'inventer des systèmes aussi dangereux, & d'abuser ainsi de quelques mots vagues & obscurs usités dans les chicanes théologiques?
Mais, en adoptant même votre système, on n'en réfute pas moins, Monseigneur, le nouveau dogme que vous voulez prouver. L'église, dites-vous, a enseigné l'Immaculée-Conception en termes généraux, depuis son origine jusqu'à nos jours : depuis le V°siècle, elle l'a enseigné d'une manière fort claire & fort précise : la preuve, c'est sa Tradition sur la Sainteté indéfinie de la Vierge Sainte, qui a toujours existé parallèlement à la tradition de la transmission du péché originel à tous les hommes. Ces deux traditions semblent contradictoires; mais la contradiction n'a pas existé, parce que l'exemption de Marie n'a été qu'une exception à la loi, qui n'en a pas moins été générale. La tradition de la sainteté indéfinie de la Sainte Vierge renferme implicitement le privilège de l'Immaculée-Conception.
(P.240).
C'est là, Monseigneur, ce qu'il faudrait prouver. Il ne suffit pas de faire des phrases, de produire des affirmations gratuites pour opérer la conviction dans l'esprit des hommes sérieux. Quand Votre Grandeur aura prouvé ce qu'elle a avancé du parallélisme de l'enseignement de l'Eglise sur le péché originel & sur l'Immaculée-Conception, nous pourrons discuter; pour le moment, nous opposons simplement nos négations à vos affirmations, & nous n'avons trouvé rien de vrai dans le tableau que vous avez tracé.
J'ai été, je vous l'avoue, Monseigneur, scandalisé profondément par le trait qui termine votre deuxième chapitre. Je ne m'attendais certes pas à vous voir escamoter aussi légèrement le grand pricipe universel si nettement formulé par Saint Vincent de Lérins: ne croire que « ce qui a été cru toujours, partout, et par tous. » « Cette maxime, dites-vous, n'est point applicable à tous les dogmes catholiques, en ce sens que tous ont été crus & professés explicitement, toujours, partout, et par tous les fidèles. »
Ces paroles prouvent au moins que la règle de Saint Vincent de Lérins ne peut s'accorder avec la théorie des vérités implicites. Or, cette règle a toujours été reconnue comme le crière de toute vérité universelle, sans exception; donc, la théorie des vérités implicites est opposée à la règle universelle.
Si cette règle ne s'applique pas à toutes les vérités révélées, on peut en inventer de nouvelles; on peut faire de nouveaux dogmes; la religion devient un système humain, n'est plus un fait divin; tout homme logique, en suivant vos théories, Monseigneur, rejettera non seulement l'Immaculée-Conception, en faveur de laquelle vous les avez exposées; il rejettera toute révélation & sera rationaliste. Tel est le résultat qu'obtiendra Votre Grandeur; car, encore une fois, jamais vous ne pourrez persuader qu'un dogme ait toujours été cru parce qu'il vous plaira de dire qu'il était implicitement renfermé dans telle ou telle croyance.
Vos théories générales sont fausses. Nous allons les étudier dans l'application que vous en avez faite au dogme du 8 décembre 1854.
Agréez, Monseigneur, etc.
4.Vingt-cinquième lettre.
Monseigneur,
Nous voici arrivés au XIX° siècle, & nous n'avons pas rencontré une seule preuve, tant soit peu valide, à l'appui de votre opinion, & de la définition de Pie IX. Vous enregistrez avec complaisance les autorisations accordées par Pie VII & par Grégoire XVI de joindre l'épithète Immaculée au mot Conception, dans la préface de la messe de la fête du 8 décembre; d'invoquer Marie, dans les litanies, comme ayant été conçue sans péché;
(P.241)
vous parlez des demandes faites par des particuliers pour que le pape définit la question. Le cardinal Lambruschini en 1843, & le P. Perrone, jésuite, en 1847, entreprirent de démontrer que cette question pouvait être définie. Ces ouvrages, selon Votre Granfeur, eurent beaucoup d'influence sur la détermination de Pie IX. Ils prouvent du moins qu'on avait besoin, à Rome même, de nouveaux éclaircissements, pour savoir si l'Immaculée-Conception pouvait ou non être définie. Si cette opinion êut appartenu de tout Temps à la croyance universelle, comme vous avez osé le prétendre, il n'en eût pas été ainsi.
En 1847, ou 1848, dites-vous, Pie IX nomma une commission pour examiner l'affaire. Ne dirait-on pas, à vous entendre parler ainsi, qu'on définit un dogme, comme on décide une affaire diplomatique. La commission suivit Pie IX de Rome à Gaëte. Elle était composée des plus grands partisans de la définition. Le P. Perrone, jésuite, y brillait à côté du P. Passaglia. Ce dernier est auteur de l'ouvrage le plus important sur la matière. Votre Grandeur en convient; elle en a pris les meilleurs textes, que nous avons prouvés être apocryphes ou nuls. Cependant, c'est cette BABEL DE TEXTES FAUX, APOCRYPHES, TRONQUéS, OU NULS, qui a servi de moule à la bulle de Pie IX. Vous êtes obligé de l'avouer: « La bulle de la définition, dites-vous, a été calquée sur cet ouvrage. » ( P.348, note 4.)
C'est donc avec raison que nous avons désigné le P. Passaglia comme le principal inspirateur de Pie IX, & le véritable auteur de la bulle Ineffabilis. Pie IX s'est laissé tromper par ses commissions, dans lesquelles on n'avait laissé pénétrer aucun adversaire de la définition.
C'est là un fait acquis à l'histoire.
Ces commisssions s'attachèrent à prouver qu'une définition pouvait être rendue par le pape sans qu'il eût besoin de témoignages de l'Ecriture, & d'une tradition non interrompue. Votre Grandeur l'avoue (P.352), et les preuves en sont écrites.
Les commissions ont don méconnu la règlede Foy universelle.
C'est là un second fait incontestable.
D'après Votre Grandeur, il n'y a que l'ignorance ou le demi-savoir (p.353) qui peuvent prétendre que les témoignages de l'Ecriture Sainte & d'une tradition constante sont nécessaires pour une définition dogmatique. Il est peu flatteur, Monseigneur, d'être calssé dans la catégorie des ignorants & des demi-savants. Nous vous avouerons cependant que nous aimons mieux y être placés par des savants comme vous, Monseigneur, ou comme le P. Passaglia, que de mériter à vos yeux le titre de savant. Votre science est peut-être étendue, mais nous sommes assez peu instruits pour croire que, l'Ecriture Sainte étant la Parole de Dieu, & la tradition universelle son interprète, il vaut mieux les avoir pour nous que la parole du pape, corroborée de vos textes apocryphes & de vos systèmes. Que voulez-vous, Monseigneur, tout le monde ne comprend pas que l'on doive METTRE LE PAPE A LA PLACE DE L'EGLISE, & la Vierge Sainte au milieu des personnes de la Sainte Trinité. C'est un grand malheur à vos yeux, sans doute. Pour nous, nous regardons comme un plus grand malheur :
(P.242)
que le pape ait été trompé par quelques fanatiques, qui ont osé dire tout haut qu'ils ne tenaient aucun compte de l'ancienne règle de Foi de l'Eglise; & qu'un évêque comme vous, Monseigneur, qui a écrit pour obéir au pape, loue ces fanatiques de leur erreur, insulte ceux qui ne veulent pas la partager, & fasse l'apologie d'une bulle erronée, dont il voudrait faire porter la responsabilité à l'Eglise elle-même.
Comptez tant qu'il vous plaira, Monseigneur, les commissions instituées par Pie IX; parlez avec emphase des précautions prises par ce pape pour s'éclairer sur la question; énumérez les volumes imprimés pour répandre la lumière; tout cela prouve le contraire de ce que vous avez en vue. Nous vous dirons toujours: on n'eût pas eu besoin de se donner tant de peine si la croyance à l'Immaculée-Conception eût été une croyance universelle & constante dans l'Eglise; tous les efforts tentés pour le prouver n'ayant eu pour résultat que de faire appel à des textes nuls ou apocryphes, & à des système inconnus jusqu'à nos jours, il s'ensuit que la définition était impossible, & que la bulle Ineffabilis doit être classée dans la catégorie déjà trop nombreuse des ACTES PONTIFICAUX REJETéS COMME ERRONéS.
En même temps que Pie IX instituait ses commissions, il demandait aux évêques, par une circulaire, quelle était leur piété & la dévotion des fidèles de leurs diocèses envers l'Immaculée-Conception. Les évêques n'avaient pas à répondre sur la foi de leur église, touchant laquelle on ne les consultait pas; la demande & les réponses n'eurent donc qu'un caractère privé, non un caractère épiscopal.
Tout était préparé à Rome pour la définition, dès 1853. Au commencement de 1854, « on sut que le souverain pontife avait pris la résolution de définir le mystère de l'Immaculée-Conception de la très Sainte Vierge. » Ce sont vos paroles, Monseigneur. ( p.356.) Il prit cette résolution d'après les avis de ses commissions & d'après les réponses des évêques. Les avis étaient erronés, & les réponses n'avaient rien du caractère universel & épiscopal. La bulle ne pouvait, par conséquent, être considérée que comme un acte particulier à Pie IX. Un certain nombre d'évêques furent invités à assister à la cérémonie de la définition. Cette invitation ne fut faite qu'à ceux qui s'était le plus distingués par leur ultramontanisme. Vous affirmez le contraire, Monseigneur, & vous prétendez prouver ce que vous avancez, en disant que M. Sibour, archevêque de Paris, connu par son opposition, fut invité à plusieurs reprises par le pape, & que M. Sibour vous le déclara à vous-même. Et nous vous dirons, nous, Monseigneur, parce que nous le savons de manière à n'en pouvoir douter, que M. Sibour ne fut invité qu'après avoir témoigné son étonnement & sa peine de ne l'avoir pas été; qu'arrivé à Rome, il se montra indigné de trouver dans les Pareri un mémoire latin adressé par lui, ridiculisé au moyen de certains monosyllabes destiné à en relever les fautes; qu'il menaça de se retirer si ces insultes ne disparaissaient pas au moyen de cartons; qu'on le prit par son faible, qu'on l'adula, qu'on lui fit certaines promesses pour éteindre en lui les velléités d'opposition qu'on avait remarquées; qu'on affecta de lui faire porter le bougeoir à la cérémonie de la définition, ce qui fut pour les séminaristes, & pour d'autres encore, un sujet de plaisanteries assez multipliées.
(P.243).
Ces faits-là, nous les connaissons parfaitement, Monseigneur, & il en est beaucoup d'autres, 0 Paris comme ailleurs, qui les connaissent aussi bien que nous.
L'invitation de M; Sibour ne prouve donc point que les évêques connus par leur ultramontanisme ne furent pas choisis de préférence aux autres pour assister à la définition. Du reste, ce point a fort peu d'importance, car vous convenez que les évêques ne furent pas appelés à Rome pour juger la question, mais pour assister seulement à une fête & y remplir le rôle d'enfants de choeur, selon l'expression pittoresque & souvent répétée en chaire par M. l'abbé Combalot. Le cardinal Brunelli, qui les présida pendant les quatre séances où l'on daigna leur faire connaître le projet de bulle calqué sur l'ouvrage du P. Passiglia, le cardinal Brunelli, disons-nous, eut grand soin de les avertir « que le souverain pontife n'avait point eu l'intention de réunir les évêques en concile, ni d'autoriser une discussion sur le fond de la question ou sur l'opportunité de la définition, deux points dont il se réservait le jugement. » Nous parlons d'après vous, Monseigneur. ( p.359, 360.)
Votre Grandeur pr étend que les témoignages des Saints Pères contenus dans la bulle furent soumis à un examen sévère de la part des évêques. Vous faites peu d'honneur à leur érudition; car il n'est pas difficile d'en découvrir d'apocryphes, comme nous l'avons remarqué.
Nous avons eu déjà occasion de citer, Monseigneur, un extrait du discours que vous avez prononcé, dans une des séances, pour constater que LES EVEQUES N'AVAIENT POINT ETE JUGES DANS LA QUESTIONl; que la définition appartenait au PAPE SEUL, en vertu de son infaillibilité. Contentons-nous donc de mentionner cette harangue, & de dire que L'INFAILLIBILITé DU PAPE EST au moins CONTESTéE AU SEIN DE L'EGLISE; nous sommes modestes; vous ne pouvez nous accorder moins; or, comment, en vertu d'une infaillibilité contestée, le pape a-t-il pu prononcer une définition dogmatique qui oblige tous les catholiques? Les évêques adhèrent, dites-vous; mais d'abord leur adhésion ne donne, selon vous, aucune valeur à la définition qui la reçoit toute de l'infaillibilité pontificale; de plus, les évêques n'ont pas été juges dans la question; vous en convenez avec l'assemblée réunie à Rome; s'ils n'ont pas jugé, ils n'ont pas agi en évêques; leurs adhésions n'ont qu'un caractère privé : il y a eu quelques centaines d'individus qui ont courbé la tête devant la volonté de Pie IX; il n'y a pas un seul évêque qui ait jugé ni adhéré en évêque; il n'en est pas un seul qui ait osé dire qu'il était témoin de la foi constante & universelle de son église; s'il n'y a pas eu de témoignage épiscopal, l'Eglise n'a pas parlé; le pape seul a défini en son nom & sous sa propre responsabilité. Telles sont, Monseigneur, les conséquences rigoureuses, nécessaires de vos aveux. Ces aveux sont conformes aux faits, nous le reconnaissons; nous aimons votre franchise sur ce point, & nous en profitons pour le triomphe de la vérité.
Après les quatre séances employées à entendre le projet de bulle, il ne restait plus qu'à définir. Pour honorer les évêques qui y avaient assisté, le pape nomma évêques assistants au trône pontifical ceux qui n'étaient pas encore revêtus de cette dignité, c'est-à-dire qu'il leur donna le droit de s'asseoir à ses pieds, dans les cérémonies publiques. Ce droit est bien honorable vraiment pour la dignité épiscopale; il était digne de la déférence que l'on avait eue pour l'infaillibilité de Pie IX. Après la définition, le pape fit un nouvel honneur aux évêques : il leur donna à chacun une médaille commémorative, frappée d'avance, & fabriquée avec l'or de l'Autriche. Cette circonstance est mentionnée sur la médaille, & mérite d'être remarquée.
Au milieu des belles phrases, plus ou moins belges, que vous consacrez aux détails de la sollenité, nous remarquons surtout le discours qu'adressa au pape le doyen du Sacré Collège, cardinal Macchi. Nous en avons déjà parlé; mais il est bon de rappeler que cette Eminence affecta de dire que c'était par un jugement suprême & infaillible de Pie IX que l'Immaculée-Conception était définie. Les catholiques qui ne croient pas à l'infaillibilité de ce jugement, come ils en ont droit, peuvent donc regarder la définition comme non avenue. En cela, ils sont très logiques. La base de l'adhésion au jugement de Pie IX n'étant que son infaillibilité, dès que cette infaillibilité est repoussée, le jugement ne peut subsister.
Vous faites, Monseigneur, un tableau enthousiaste de la joie qu'éprouvèrent ceux qui assistaient à la définition. Nous voulons bien y croire; mais croyez de votre côté, Monseigneur, que bon nombre de catholiques, & des plus sérieux, ont ressenti la plus vive douleur, en voyant la Foi & l'Eglise compromises par les exagérations ultramontaines. Tous les catholiques, soyez-en certain, Monseigneur, ne partagent pas vos illusions sur l'opportunité & l'utilité de la définition.
A vos yeux, elle a été opportune, parce que le pape & les évêques en ont jugé ainsi. Lorsqu'on veut, Monseigneur, que l'on respecte les dignitaires de l'Eglise, il ne faut pas exagérer la soumission qu'on leur doit. On peut, sans manquer à l'autorité épiscopale, se prononcer contre une opinion du pape & des évêques. Ils se sont assez souvent trompés pour que l'on se tienne sur ses gardes; les principes avant les personnes; la foi avant les opinions : telles sont les règles de tout Chrétien instruit. Si les fidèles avaient suivi le pape Libère & les évêques, du temps de l'arianisme, ils eussent été ariens. Le grand Hilaire de Poitiers dit anathème à Libère, & il fit rentrer les évêques dans le devoir; on peut agir comme Saint Hilaire sans cesser d'être catholique; à plus forte raison peut-on, sans cesser de l'être, refuser modestement son adhésion à un acte erroné, & discuter les preuves sur lesquelles on prétend l'appuyer.
Vous ne voulez pas, Monseigneur, que l'on juge que la définition a été inopportune, en ce qu'elle aurait été l'occasion des blasphèmes des impies; on ne doit pas prévenir, dites-vous, le scandale pharisaïque des hommes égarés : ce sont vos paroles. D'après l'Evangile, le devoir des pasteurs de l'église est de courur après les brebis égarées; de les préférer, pour ainsi dire, à celles qui peuvent se passer de leurs soins, & de les ramener à la bergerie du Seigneur. Votre principe est donc diamétralement opposé à celui de l'Evangile.
(p.245.)
« Les âmes faibles, les indifférents, les demi-savants, les demi-chrétiens, qui s'embarrassent dans les objections que le faux-savoir sème sous leurs pas, qui reculent devant un accroissement du symbole », ne méritaient pas plus d'être ménagés que les adversaires de l'église & que les protestants qui tendaient vers un rapprochement avec l'église catholique. C'est vous qui l'affirmez. (p.382.)
Selon Votre Grandeur, les craintes que la définition leur faisait concevoir étaient chimériques. « Aujourd'hui, ajoutez-vous, les effets de la définition le prouvent. » (p.383.) Vous vous êtes aperçu que, depuis la définition, il y a eu trêve dans la guerre faite à l'église; que le mouvement de retour des protestants paraît s'être activé; vous voyez les choses en beau, Monseigneur : nous ne vous en félicitons pas.
La définition de Pie IX fut non seulement opportune à vos yeux, elle était devenue nécessaire, après tout ce que l'on avait fait, dans l'église, en faveur de l'Immaculée-Conception, qui de sa nature, dites-vous, appartient à la foi (p.385.)
Tout ce qui se fait dans l'église n'engage pas l'Eglise elle-même, vous devez le comprendre, Monseigneur. Les fêtes, les indulgences, les confréries de l'Immaculée-Conception, pouvaient très bien être laissées à certains papes, & aux jésuites qui les avient provoquées par leurs pénitents couronnés, ou par leurs affiliés, & ne pas compromettre davantage l'église. Vous prétendez que la croyance à l'Immaculée-Conception est, de sa nature, matière de foi. Bossuet qui était un plus grand théologien que vous, Monseigneur, nous pouvons vous le dire sans vous humilier, prétend le contraire. Molanus lui avait parlé de cette question en ces termes, dans son projet de réunion des catholiques & des protestants: « Une partie de l'église romaine approuve l'Immaculée-Conception de la Vierge Marie, & une partie l'improuve. Toute l'église des protestants a décidé que la Bienheureuse Marie, quoique très Sainte & très pleine de Grâce, a été conçue, cependant, avec le péché originel. Pour la paix & la concorde, les catholiques, dans l'assemblée projetée, seront priés de se ranger à la croyance que l'église protestante entière a adoptée. »
Bossuet lui répondit ainsi, dans son contre-projet: « Ce n'est pas une partie de l'église, mais toute l'église romaine quiregarde l'Immaculée-Conception de la Bienheureuse Vierge pour une chose indifférente & qui n'appartient pas à la foi. »
D'après un docte Allemand, que vous respectez sans doute, Monseigneur, le savant prêtre Doellingen, Bossuet est le plus grand théologien qu'ait fourni l'épiscopat catholique depuis trois siècles. Que devient votre opinion sous le tonnerre de cette grande voix? Le plus grand théologien pouvait, à la fin du XVII° siècle, prononcer de telles paroles sans cesser d'être regardé comme le premier & le plus grand des défenseurs de l'église; & aujourd'hui, parce que Pie IX s'est laissé tromper par les pères Passaglia & Péronne, nous serions obligé de préférer votre opinion à celle de Bossuet? Non, Monseigneur, non, il n'en peut être ainsi.
(p.246.)
Comment Votre Grandeur a-t-elle pu faire ce raisonnement incroyable?
« L'Immaculée-Conception, qui de sa nature est matière de foi, est admise par l'église universelle; elle est donc évidemment révélée. » (p.386.)
Non, l'Immaculée-Conception n'est pas, de sa nature, matière de foi; elle n'est pas admise par l'Eglise universelle. L'Eglise universelle est universelle en ce sens qu'elle est permanente dans la possession de la vérité révélée, depuis les Apôtres jusqu'à nos jours. Votre ouvrage, à lui seul, Monseigneur, démontre que la doctrine de l'Immaculée-Conception est nouvelle, & qu'on ne peut en trouver de traces dans les onze premiers siècles qu'EN TRONQUANT OU EN DENATURANT LES MONUMENTS ECRITS DE LA TRADITION. Donc l'Eglise universelle n'admet pas votre dogme. Même en entendant comme vous le mot universel, il est impossible que vous admettiez que le condentement de l'église actuelle soit pour vous. L'Eglise n'a pas été consultée, elle n'a donc pas consenti. Entendez-vous par Eglise un troupeau de dévots ou de dévotes disposés à croire tout ce qu'on voudra, sous prétexte de piété? Si c'est là votre église, dites-le franchement. Quant aux lettres des évêques, nous les avons réduites à leur juste valeur.
Si l'église n'avait pas défini, dites-vous, lorsque le consentement universel était pour l'Immaculée-Conception, on n'eût pas considéré ce consentement universel comme décisif en matière de foi. Vous trouvez ce raisonnement spécieux (p.386.); dites ridicule, Monseigneur, le mot sera mieux choisi; le catholique qui le fearit donnerait la preuve la plus évidente qu'il ne connaît pas les premiers éléments d ela doctrine chrétienne. Est-ce dans le consentement actuel, quand bien même il serait universel, que la foi réside? Le « qui est cru par tous » de Vincent de lérins est précédé du « qui est cru partout » & « qui est cru toujours ». Admettre le dernier mot de la règle de foi universelle n'est pas l'admettre tout entière; en scindant cette règle de foi, vous scindez l'Eglise.
Allons, Monseigneur, de la bonne foi! Avouez que votre prétendue universalité n'existe pas; que l'immense majorité des catholiques sont indifférents pour le nouveau dogme ou s'en moquent; que les oppositions sont nombreuses parmi les catholiques les plus éclairés, comme dans le clergé. Si elles ne se manifestent pas davantage, surtout dans le clergé, vous en connaissez bien les raisons, Monseigneur. Les évêques eux-mêmes sont-ils libres à l'égard de Rome sur cette question? Pie IX, en leur annonçant d'avance, dans ses circulaires, qu'il voulait définir la question, & en leur faisant entendre que ses lettres n'étaient qu'une formalité, ne leur fermait-il pas la bouche? Plût à Dieu qu'ils eussent parlé, & qu'ils eussent attesté que jamais leurs églises n'avaient eu une pareille foi! Plût à Dieu qu'ils eussent pu, au moins, garder le silence sans se mettre en suspicion vis-à-vis du parti qui domine & violente l'Eglise! Mais, du moins, ils n'ont pas répondu en évêques, & vous ne pouvez réclamer, en faveur de la définition, que quelques centaines d'hommes plus ou moins instruits. Voilà, Monseigneur, votre universalité réduite à sa véritable expression.
Vous pouvez faire grand bruit de cette universalité, l'exalter, vous en applaudir;
(p.247.)
vous ne convaincrez aucun CHRETIEN INSTRUIT que l'universalité actuelle soit règle de foi; & personne ne croira même que cette universalité actuelle existe.
Vous affirmez qu'il fallait enfin être agréable, par la définition, aux pieux fidèles qui fatiguaient le Saint-Siège de leurs instances. (p.336.)
Il eût mieux valu, Monseigneur, que Pie IX écrivît une bonne fois, dans un bref rendu public, que ces pieux fidèles n'avaient pas une dévotion assez éclairée; que la Sainte Vierge ne serait ni plus respectée, ni plus glorieuse, quand il donnerait la définition réclamée; & que, de plus, en la donnant, il porterait atteinte à la foi, causerait un grand scandale dans l'église, & réjouirait les ennemis de la papauté.
Si Pie IX se fût prononcé une seule fois en ce sens, le Saint-Siège n'eût plus été fatigué de réclamations; & ceux qui font aujourd'hui le plus de zèle en faveur de la définition, auraient montré le plus d'empressement à féliciter Pie IX de sa sagesse.
DE LA PAPAUTE X.
L'IMMACULEE CONCEPTION.
I UN NOUVEAU DOGME.
(P.225).
L'église catholique romaine professe, touchent l'immculée conception de la Vierge Sainte, une doctrine formellement opposée au Dogme de la Rédemption. En effet, il est de foi que toute l'humanité, sans aucune exception, est frappée d'un vice originel, lequel vice est transmis par l'acte même de la génération. Il s'ensuit que l'humanité, dans la personne de Jésus-Christ, n'a point participé au vice commun, puisqu'elle n'a pas été engendrée d'après la loi commune. Mais la Sainte Vierge a été engendrée d'après cette loi; donc elle a été conçue avec le vice inhérent à la nature humaine; qu'elle en ait été purifiée, dès le sein de sa mère, comme Jérémie & Jean-Baptiste, là n'est pas la question. D'après la bulle de PieIX du 8 décembre 1854, promulguant la conception immaculée de la Sainte Vierge, il faudrait croire qu'elle n'a pas été conçue dans le péché originel; qu'elle en a été absolument préservée, de sorte qu'elle n'aurait pas eu besoin de purification. En effet, si elle avait eu besoin de purification, c'est que sa conception n'aurait pas été immaculée. Si elle n'en a pas eu besoin, c'est qu'elle n'appartient pas réellemnt à l'humanité. Un docteur de l'église catholique romaine, M. Newman, a tiré cette conséquence du dogme de 1854, & a soutenu, à la face de l'église catholique romaine qui ne l'a pas condamné, qu'à dater de la bulle de 1854, la Trinité a été complétée par la Sainte Vierge élevée au rang divin.
Malgré les nombreuses innovations que la papauté a fait subir à la Doctrine Orthodoxe universelle, jamais elle n'avait osé promulguer ouvertement un nouveau dogme; elle avait toujours conservé une certaine pudeur doctrinale, & elle enveloppait ses innovations d'un voile qui les dissimulait assez bien. Pie IX n'a pas de ces pudeurs que j'appellerai catholiques. Il a promulgué, en 1854, un dogme nouveau, & il a eu soin de dire aux évêques réunis autour de lui comme des enfants de choeur, selon l'expression parfaitement juste de l'abbé Combalot, qu'il définissait le dogme en vertu de sa propre autorité.
L'église catholique romaine, par l'organe de son chef, & avec l'assentiment de tous ses évêques, a donc été dotée, le 8 décembre 1854, d'un dogme nouveau. Mais on n'a pas craint d'affirmer que ce dogme nouveau n'était qu'une ancienne doctrine catholique, appartenant à une « tradition latente » de l'Eglise, & que la bulle ne faisait que mettre en lumière. -(N.d.a : Pie IX chargea M. Malou, évêque de Bruges, de soutenir cette thèse. M. Malou l'a fait en deux volumes réfutés par nous dans un ouvrage intitulé: Le Nouveau dogme en présence de l'Ecriture Sainte et de la tradition catholique.)-
(P. 226).
On a même osé prétendre que l'Eglise Orthodoxe universelle d'Orient professait la doctrine hérétique élevée par Pie IX à l'état de dogme.
Il ne nous sera pas difficile d'établir que Pie IX, par sa bulle du 8 décembre 1854, a proclamé un dogme absolument nouveau, & que l'église catholique romaine, en l'acceptant, PROFESSE UNE HERESIE contraire au dogme de la rédemption.
Afin de réfuter, non seulement la bulle de Pie IX, mais les théologiens catholiques romains qui en ont pris la défense, nous devons établir les règles toujours suivies dans l'Eglise pour les définitions dogmatiques.
Jésus-Christ n'est point un philosophe, inventeur d'un système susceptible de perfectionnements indéfinis, selon le progrès des sciences & de l'esprit humain; Il est le Fils de Dieu, le Verbe incarné, l'expression de l'éternelle & essentielle Vérité, qui est sortie du sein du Père, & est descendue pour illuminer tout homme venant en ce monde. La doctrine de Jésus-Christ est donc la Vérité; elle ne peut être par conséquent qu'un dépôt confié au monde, selon la belle expression de Saint Paul (I à Timothée, VI, 20): « O Timothée! Écrit-il à son Disciple chéri, ô Timothée! Garde le Dépôt de la Foy, évitant les profanes nouveautés de paroles! »
Lorsqu'une discussion s'élève dans l'Eglise, le devoir d'un Chrétien Orthodoxe universel est, selon Saint Vincent de Lérins (§III), de s'attacher d'abord à l'Eglise Orthodoxe originelle, qui ne peut être évidemment séduite par les fraudes de la nouveauté. Si dans l'Eglise Orthodoxe originelle on découvre plusieurs opinions, il faut s'attacher aux décrets qu'a rendus anciennement l'Eglise Orthodoxe universelle; s'il n'y a pas de semblables décrets, on doit examiner les opinions des docteurs qui vécurent en divers temps dans la communion de l'Eglise Orthodoxe, & croire, sans aucun doute, ce que tous, d'un consentement unanime enseignèrent ouvertement, fréquemment, & persévéramment. Le livre de Saint Vincent de Lérins a toujours été regardé dans l'Eglise Orthodoxe comme l'expression de la pensée générale.
Toute la Tradition Orthodoxe universelle y est conforme. Nous pourrions citer à peu près tous les Pères de l'Eglise. Nous nous contenterons d'indiquer l'ouvrage de Saint Irénée Contre les Hérésies, & le traité Des Prescriptions de Tertullien. Dans ces deux magnifiques oeuvres, la question est traitée avec la clarté & l'éloquence que nous avons remarquées dans l'Avertissement de Saint Vincent de Lérins.
Aucun Docteur, aucun Evêque, aucun Théologien n'a osé attaquer cette sublime théorie de la Foy Chrétienne.
Pour appliquer ces règles Orthodoxes universelles à la bulle de Pie IX, nous devons examiner quelle a été la Foy originelle, universelle, unanime, touchant la conception de la Sainte Vierge.
Les témoins de cette Foy Orthodoxe sont les Pères de l'Eglise. Si les Pères de l'Eglise ont unanimement, & dans tous les Temps, enseigné une Doctrine contraire à celle de la bulle de Pie IX, il s'ensuivra nécessairement que cette BULLE contient une doctrine nouvelle & par conséquent HERETIQUE.
(P.227).
Pie IX prétend que la doctrine de l'immaculée conception est soutenue dans l'Ecriture Sainte & dans la Tradition.
Comme les hérétiques dont parle Saint Vincent de Lérins, il vole à travers tous les livres de la Sainte Ecriture, depuis la Genèse jusqu'à l'Apocalypse pour étayer son opinion; mais, de tous les textes qu'il indique, nous ne craignons pas de dire qu'il n'en est pas un seul qui ait été appliqué à la conception de la Sainte Vierge par les Pères de l'Eglise.
Or il a été reçu de tout Temps dans l'Eglise Orthodoxe universelle que l'Ecriture Sainte doit être interprétée conformément à la Tradition de tous les siècles. Si aucun des Pères de l'Eglise n'a appliqué à la conception de la Sainte Vierge les passages indiqués dans la bulle, de quel droit les lui applique-t-on aujourd'hui?
Nous le disons hautement & sans crainte d'être confondu, aucun Père de l'Eglise, depuis les Temps apostoliques, n'a appliqué à la conception de la Sainte Vierge aucun texte de l'Ecriture Sainte; ce qui n'a pas empêché Pie IX de dire: « Que l'Eglise catholique, colonne de la vérité, avait toujours regardé l'innocence originelle de la Vierge comme une doctrine contenue dans le dépôt de la révélation...comme l'attestent les monuments de l'antiquité de l'Eglise orientale & occidentale. »
Si'il en était ainsi, on l'eût regardée anciennement, universellmnt, unanimement, comme un dogme.
Or la bulle elle-même qui crée ce dogme ne prouve-t-elle pas à elle seule qu'avant le 6 des ides de décembre de l'année 1854, il n'existait pas?
S'il était vrai, comme il a été dit dans la bulle, que tous les Pères avaient vu ce dogme dans l'Ecriture, & l'avaient tous proclamé, comment se fait-il qu'on l'ait nié pendant quatorze cents ans même dans l'église catholique romaine?
Mais c'est à tort qu'on invoque le témoignage des Pères.
Tout ce qui est indiqué dans la bulle comme s'appliquant à la conception de la Sainte Vierge se rapporte à l'innocence de sa vie, à sa virginité, à sa sanstification dans le sein de sa mère, à sa maternité divine; mais, nous le répétons, il n'y a pas un mot, un seul mot, dans les monuments de la Tradition des Eglises orientale & occidentale, pendant les douze premiers siècles, qui ait le moindre rapport à la conception.
Si nous en croyons M. Parisis, évêque d'Arras, le dogme de la conception immaculée était dans la Tradition comme un astre voilé que tous ne discernaient pas. C'est un aveu en faveur de ce que nous affirmons, c'est-à-dire que les p7res de l'Eglise n'ont point parlé de la conception. Seulement, M. Parisi veut faire entendre que les âmes privilégiées voyaient sous l'écorce de certaines expressions le dogme que le commun des fidèles n'apercevait pas.
Ce système & l'affirmation de la bulle tombent sous le poids écrasant de toute la Tradition Orthodoxe universelle; car il est constant que tous les Pères de l'Eglise, sans aucune exception, ont soutenu, comme enseignement de l'Eglise, une doctrine diamétralement & évidemment opposée à la conception immaculée de la Sainte Vierge.
Nous affirmons qu'IL N'EST PAS UN SEUL PERE DE L'EGLISE QUI SOUTIENNE une autre doctrine que celle qui est contenue dans les textes que nous avons cités.
(P.228).
Nous renvoyons ceux qui hésiteraient encore à le croire à l'ouvrage que Vincent de Bandellis compsa au XV°siècle sur la question qui nous occupe, & dans lequel il a indiqué plus de quatre mille textes des Pères, des papes, des docteurs & des théologiens faisant autorité dans l'Eglise, & il est loin d'avoir épuisé la matière. Plusieurs des textes ci-dessus ne sont pas indiqués par lui. Comment se fait-il donc que dans la bulle on ait dit que les Pères & les écrivains ecclésiastiques, instruits par les enseignements célestes, n'ont rien eu de plus cher dans leurs livres que de proclamer à l'envi & de prêcher le dogme de la conception immaculée?
Nous avons cherché dans ces livres des Pères & des écrivains ecclésiastiques, & nous y avons trouvé TOUT LE CONTRAIRE DE CE QUE LA BULLE AFFIRME, & nous n'y avons rien trouvé en faveur du dogme qu'elle proclame.
Quand bien même on citerait (ce qui n'est pas) quelques textes formels en faveur de la doctrine de la bulle; quand bien même ces textes seraient aussi nombreux que ceux qui lui sont contraires, la bulle n'en serait pas plus légitime; car alors il n'y aurait jamais eu dans l'Eglise de croyance constante, universelle, unanime, touchant la conception de la Sainte Vierge; d'où il suivrait qu'une opinion sur ce point ne pourrait être l'objet d'une définition dogmatique de la part de l'Eglise.
La bulle s'appuie sur les prédécesseurs de PieIX & sur la tradition de l'église catholique romaine.
Voyons quelle a été cette tradition.
Saint Innocent Ier ( ap. Aug. Cont. Julian.) soutient que le péché originel a été communiqué à tous les hommes, sans exception, qui sont engendrés par la voie ordinaire.
Saint Gélase Ier ( adv. Pélag.) professe la même Doctrine dans son livre contre Pélage: « C'est le propre de l'Agneau immaculé, dit-il, de n'avoir jamais eu aucun péché. »
Saint Léon le Grand dit & répète souvent ( serm. I, II, V, in Nativ. Dom.):
« Jésus-Christ, seul entre tous les enfants des hommes, a conservé son innocence en naissant, parce que lui seul a été conçu sans concupiscence charnelle. »
Saint Grégoire le Grand n'a pas d'autre Doctrine. Nous pourrions indiquer cent textes dans ses divers ouvrages. Citons seulement celui-ci, tiré de ses Morales ( in Job., lib. XVIII):
« Celui-là seul est né véritablement Saint, qui, pour vaincre la nature corrompue, n'a pas été conçu par la voie ordinaire. »
Le pape Innocent II ( serm. In Assumpt.):
« La Glorieuse Vierge a été conçue dans le péché, mais elle a conçu son Fils sans péché. »
Le pape Innocent III ( serm. In Purif.), commentant ces Paroles de l'Ecriture: « Le Saint-Esprit surviendra en toi, » dit :
« Le Saint-Esprit était déjà venu en elle, lorsque, étant encore dans le sein de sa mère, Il purifia son âme du péché originel. »
( P.229).
Le même pape fait ce parallèle entre Eve & Marie ( serm. In Assumpt) :
« Eve a été formée sans péché, mais elle a conçu dans le péché; Marie a été conçue dans le péché, mais elle a conçu sans péché. »
Le pape Innocent V s'exprime en ces termes touchant la Sainte Vierge ( Comment. In Lib.III, Sentent.) :
« La Bienheureuse Vierge a été sanctifiée dans le sein de sa mère, non pas avant que son âme eût été unie à son corps, parce qu'elle n'était pas encore capable de Grâce, ni dans le moment même de cette union, parce que, si cela était, elle aurait été exempte du péché originel, & n'eût pas eu besoin de la rédemption de Jésus-Christ, nécessaire à tous les hommes, ce qu'on ne doit pas dire. Mais il faut croire pieusement qu'elle a été purifiée par la Grâce & sanctifiée très peu de temps après cette union: par exemple, le même jour ou dans la même heure, non pas cependant dans l'instant même de l'union. »
Telle fut, pendant les douze premiers siècles de l'Eglise, la doctrine du siège romain, comme la Doctrine contante, universelle, unannime de toutes les Eglises de l'Orient & de l'Occident.
Vers le XII°siècle, on commença à parler dans l'église catholique occidentale de la conception immaculée. Les chanoines de Lyon ayant cru devoir célébrer dans leur église une fête en l'honneur de la conception de la Sainte Vierge, Bernard, abbé de Lairvaux, leur adressa sur cette innovation une lettre sévère, dans laquelle il n'est que l'écho de la tradition catholique, en soutenant d'une manière solennelle que la Sainte Vierge a été conçue dans le péché originel. Nous citerons quelques passages de cette lettre ( Epist. CLXXIV, ad Can. Lugd.) :
« Il a été nécessaire que Marie ait été sanctifiée après avoir été conçue, afin de pouvoir naître dans la sainteté qu'elle n'avait point eue dans la conception qui a précédé sa naissance. Direz-vous que sa naissance, quoique postérieure, communique sa sainteté à sa conception, qui est la première selon l'ordre des temps? Cela ne se peut; car la sanctification de Marie, qui a suivi sa conception, a bien pu s'étendre sur sa naissance; mais elle n'a pu remonter par un effet rétroactif, jusqu'au temps de sa conception. »
Bernard ne voit qu'un moyen de soutenir l'opinion de la conception immaculée, c'est de dire que Marie a été conçue par l'opération du Saint-Esprit; mais il ajoute aussitôt: « Une pareille assertion est inouïe, & pour parler le langage de l'église, toujours infaillible, je dis qu'elle a conçu, mais je ne dis pas qu'elle a été conçue du Saint-Esprit...
« Il en est peu qui soient nés Saints, mais nul n'a été conçu dans la Sainteté, à l'exception de Celui qui, devant sanctifier les hommes & expier le péché, en devait seul être exempt. »
Dans sa lettre entière aux chanoines de Lyon, Bernard, conformément à la Doctrine de tous les,Pères, affirme que la Sainte Vierge, engendrée par la voie ordinaire, a contracté le péché originel, dont elle a été purifiée avant sa naissance.
Le savant abbé trouvait dans cette doctrine un argument puissant pour s'opposer à la fête de la Conception;
(P.230)
on ne pouvait, selon lui, solenniser le seul instant où Marie avait été sous l'empire du péché.
Première lettre à Monseigneur Malou, évêque de Bruges, sur son livre, intitulé: L'Immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge considérée comme dogme de foi.
(Note : Ces lettres de Guettée ont été écrites alors qu'il n'était pas encore Orthodoxe. Nous avons choisi ici trois des vingt-sept lettres de Guettée à Mgr Malou).
Paris, le 1er août 1857
Monseigneur,
Parmi les nombreux ouvrages qui ont été imprimés depuis quelque temps sur la Conception de la Sainte Vierge, j'ai distingué d'une manière toute particulière celui que Votre Grandeur vient de publier sous ce titre: L'Immaculée-Conception de la Bienheureuse Vierge Marie considérée comme dogme de foi. Votre position dans l'Eglise & la réputation dont vous jouissez dans l'épiscopat, auraient bien suffi pour donner à votre oeuvre une haute importance à mes yeux; d'autres considérations m'ont encore persuadé que je pouvais regarder votre travail comme le dernier mot de la science théologique de ceux qui ont adhéré à la définition promulguée par Pie IX, le 8 décembre 1854. En effet, Pie IX a accepté la dédicace de votre livre, & vous affirmez que vous avez profité de tous les ouvrages publiés avant le vôtre sur la même question.
Je vous l'avouerai tout d'abord, Monseigneur: J'appartiens à cette classe de catholiques timides dont vous parlez dans votre épître dédicatoire, & qui pensent que la définition de Pie IX ne pourra qu'éloigner de l 'Eglise les brebis errantes, sollicitées par la Grâce de rentrer au bercail du divin Pasteur.
Je ne pense pas, comme vous le dites au même endroit, que, pendant plusieurs siècles, des milliers de fidèles aient aspiré au bonheur de voir le jour où le pape déclarerait doctrine de foi la croyance à l'Immaculée-Conception. La définition de Pie IX, au lieu de me paraître, comme à vous, l'évènement le plus glorieux de son pontificat, me semble un fait d'autant plus désastreux qu'on y avait attaché, de par Dieu & la Sainte Vierge, des bienfaits spirituels & temporels dont le monde n'a point joui, tant s'en faut! Vous vous applaudissez que Pie IX ait exercé sa puissance souveraine en proclamant dogme ce qui n'était auparavant qu'opinion; les réjouissances qui ont accompagné dans le monde chrétien tout entier la définition de ce que vous appelez la prérogative antique de la Mère de Dieu, vous persuadent que l'union la plus intime existe entre les membres du corps mystique de Jésus-Christ & leur chef. Hélas! Monseigneur, les réjouissances populaires prouvent bien peu de choses pour l'observateur calme & consciencieux.
(P.231).
On en provoquera facilement à l'occasion de tout événement extraordinaire; le peuple est aveugle, & ses réjouissances successives & contradictoires ne prouvent que son amour du changement & du plaisir.
Ce qui précède vous dit assez, Monseigneur, que je ne suis pas un des croyants au dogme de l'Immaculée-Conception.
Ai-je pour cela cesé d'être catholique? C'est là, Monseigneur, une question qui a pour moi la plus haute gravité. Avant la définition de Pie IX, j'étais catholique par conviction & sans restriction. J'adhérais à tout ce que l'église catholique m'avait transmis par une tradition constante & perpétuelle depuis les Apôtres. Ma foi était, grâce à Dieu, pure, solide, complète. Tout ce qui était de foi avait mon adhésion entière, absolue. J'avais par conséquent, pour la Sainte Mère de Jésus-Christ, le respect, la confiance, l'amour, tous les sentiments qui forment & constituent une vraie piété. Je m'occupais fort peu de la question de l'Immaculée-Conception. Tout en ne partageant point l'opinion de ceux qui mettaient une prérogative hypothétique au-dessus du privilège de la maternité divine, je n'aurais eu aucun éloignement pour admettre l'exemption du péché originel en la Sainte Vierge, si l'Ecriture Sainte & les Ecrits des Saints Pères m'eussent fourni sur ce point des lumières que je n'y trouvais pas.
Aaujourd'hui, Monseigneur, j'ai la même foi qu'avant la définition du 8 décembre 1854; j'ai la même piété envers le Sainte Vierge; mais, dans ma conscience, je ne puis me décider à admettre une définition que je considère comme erronée, & contraire aux vrais principes de la foi catholique.
A votre point de vue, je ne suis plus catholique; au mien, c'est vous qui êtes dans l'erreur. Qui de nous deux a raison? C'est ce que j'ai voulu examiner en lisant votre livre.
J'ai eu l'intention, en l'étudiant sérieusement, d'y adhérer si j'y trouvais l'éclaircissement de mes difficultés; je ne l'y ai point rencontré. Peut-être est-ce faute d'intelligence de ma part. Dans ce cas, j'espère que vous voudrez bien dissiper mes doutes. Je vais vous les exposer, Monseigneur, en toute simplicité. Je veux être catholique; je crois l'être. Je serais désolé de ne point appartenir à l'Eglise de Jésus-Christ. Mais faut-il, pour appartenir à l'Eglise, croire que Jésus-Christ lui ait révélé le dogme de l'Immaculée-Conception? L'Eglise a-t-elle parlé par la bouche de Pie IX? Les adhésions d'un grand nombre d'évêques sont-elles la voix de l'Eglise? Les Ecritures & la Tradition nous ont-elles enseigné le dogme défini par Pie IX? Ce dogme a-t-il pour lui la foi constante & unanime de tous les siècles chrétiens? Ce sont là, Monseigneur, autant de points sur lesquels des doutes nombreux assiègent mon esprit.
Me direz-vous simplement, Monseigneur, que je dois croire aveuglément à la parole du pape? Je ne puis le penser, Monseigneur. Puisque vous avez fait un livre pour prouver le dogme de l'Immaculée-Conception, c'est que vous voulez qu'on examine s'il appartient bien au dépôt de la Foy que le Fils de Dieu a confié à son Eglise. Vous n'ignorez pas, en outre, que l'infaillibilité du pape n'est point un dogme, & qu'il est impossible de croire, de foi divine, une vérité qui ne srait appuyée que sur une infaillibilité contestable.
(P.232).
Enfin, Monseigneur, vous savez que Saint Paul a formellement déclaré qu'il ne faudrait même pas croire à un ange qui descendrait du Ciel pour nous enseigner une doctrine contraire à celle qu'il avait prêchée.
Vous admettez comme moi, avec toute l'Eglise, que l'unique motif de la foi est la véracité de Dieu. Il ne faut donc croire que sur la Parole de Dieu ce qu'Il a bien voulu nous révéler; & accepter cette Parole de la bouche de l'Eglise catholique, c'est-à-dire de l'Eglise universelle de tous les temps. Jésus-Christ a-t-il révélé le dogme défini par Pie IX? L'Eglise catholique dans tous les siècles a t-elle rendu témoignage à ce dogme? Voilà les deux points auxquels se réduit nécessairement toute la discussion entre catholiques.
Je ne les perdrai jamais de vue, Monseigneur, dans les doutes que j'ose vous adresser. Je vous suivrai page par page; vous serez ainsi convaincu que j'ai étudié votre livre consciencieusement. Cette étude sérieuse, ma bonne foi, mon intention formelle de rester catholique, de posséder une foi aussi complète que vraie; ces dispositions vous engageront, je l'espère, Monseigneur, à donner quelque attention aux lettres que j'aurai l'honneur de vous adresser.
Je commence dès aujourd'hui, Monseigneur, à vous soumettre les remarques que j'ai faites sur votre préface.
Vous affirmez dès le début ( p.IX.), que les évêques qui se trouvèrent à Rome avec vous en 1854, pour la définition de Pie IX, furent unanimes sur la nécessité d'un ouvrage qui fût un exposé lucide de la croyance de l'église sur l'Immaculée-Conception, & un résumé exact des motifs qui ont déterminé le Saint-Siège à prononcer son jugement doctrinal. " L'Angleterre, dites-vous, l'Amérique, la France, l'Allemaagne,l'Italie même ne semblaient à leurs yeux pouvoir se passer d'une pareille publication." Telle fut aussi votre opinion, Monseigneur. Une réflexion surgit dans mon esprit en lisant de telles paroles: Si la croyance à l'Immaculée-Conception était celle de l'Eglise, comment les catholiques de tous les pays l'ignoraient-ils? l'Eglise n'est pas un être abstrait, elle est la société des fidèles. Si les membres de cette société, dans tous les pays, avaient un besoin absolu d'un ouvrage qui fût un exposé de la croyance qu'on voulait définir, c'est que l'Eglise, qui est la société chrétienne, ignorait cette croyance. Or, l'Eglise peut-elle ignorer un des points de la révélation qui lui aurait été transmis d'âge en âge sans interruption?
De plus, vous attribuez au Saint-Siège la définition du dogme de l'Immaculée-Conception. Votre expression ne serait juste qu'autant que Pie IX, en donnant cette définition, aurait été l'écho de la foi de son église de Rome à tous les siècles. S'il n'en était pas ainsi, sa définition lui serait purement personnelle. Aucun évêque ne peut être identifié avec son église ou son siège. Aliud sunt sedes, dit Saint Léon ( Epist.8, c.5), aliud praesidentes. Quoique premier pasteur de l'église ou du siège de Rome, vous n'êtes ni cette église ni ce siège; Pie IX n'est pas davantage l'Eglise ou le siège de Rome. Il ne peut parler au nom de son église qu'en s'unissant à la Tradition constante de cette Eglise; par cette union, il ne fera qu'un avec elle; mais, en dehors de cette union, il est seul, isolé. Nous verrons plus tard si Pie IX a parlé au nom de son église, & si votre expression, Monseigneur, est d'une rigoureuse exactitude.
(P.233)?
Je me contenterai donc de vous faire observer,Monseigneur, que vous-même aviez besoin de lumière touchant l'Immaculée-Conception, puisque vous avouez que ce ne fut qu'à Rome que votre esprit fut éclairé d''une lumière inattendue ( p.X). Il est vrai qu'elle fut si vive que le mystère de l'Immaculée-Conception vous apparut comme un des dogmes de foi les plus solidement établis que l'église catholique ait jamais proposés à notre croyance.
Je n'en suis que plus étonné de l'opinion émise par tous les évêques de la nécessité d'un exposé lucide de ce dogme; car encore une fois, comment se fait-il que l'ignorance fût si universelle sur ce point, & que depuis des siècles on ne le donnât que comme une simple opiinion? Je vous avoue, Monseigneur, que c'est là pour moi un problème insoluble. Qu'une conséquence éloignée d'un dogme ne fasse pas partie de l'enseignement dans l'Eglise, je vous comprends; que la foi sur cette conséquence ne soit qu'implicite, je le comprends encore; que l'autorité établie par Jésus-Christ pour veiller au dépôt de la révélation ne s'en préoccupe point, tant que ce dogme ne sera pas attaqué au moyen de cette conséquence éloignée, je n'ai aucune difficulté à l'admettre;mais que l'Eglise ait ignoré un seul instant un vrai dogme; que les évêques aient enseigné unanimement dans leurs rituels que l'Immaculée-Conception n'était qu'une opinion; que tous les théologiens catholiques, sans exception, aient écrit dans le même sens, quoique cette Immaculée-Conception fût un des dogmes de foi les plus solidement établis que l'église catholique ait jamais proposés à notre croyance, voilà ce dont je ne puis me rendre compte.
Les évêques qui se sont trouvés avec vous à Rome, vos anciens élèves de l'université de Louvain, & le pape lui-même, vous ont demandé, Monseigneur, le livre qui était si nécessaire à l'église; c'est ainsi que vous avez été amené à le publier. Vous y avez eu pour but de donner une explication approfondie du mystère de l'Immaculée-Conception, afin d'aider les pasteurs à le faire mieux comprendre à leurs ouailles.
Ces expressions sont-elles justes, Monseigneur? Peut-on expliquer & faire comprendre les mystères?
Quoi qu'il en soit, tel est le but que vous vous êtes proposé:
" Je voulais, dites-vous ( p.XI & XII), réunir en un faisceau les preuves les plus saillantes de la vérité que le Saint-Siège venait de définir, afin que les enfants de l'église, après en avoir pris connaissance, pussent sans effort rendre compte de leur foi. La pensée qui me guidait était celle-ci: Il importe de prouver que le dogme de l'Immaculée-Conception appartient à la révélation catholique; qu'il sort de cette tradition comme une fleur sort de sa tige. Il faut ontrer aux enfants de l'église les racines, le tronc, les branches, le fruit de cet arbre magnifique, afin que le décret dogmatique, prononcé par le Saint-Père, apparaisse à tous les yeux comme la conséquence nécessaire, inévitable des principes de la théologie & de l'enseignement perpétuel de l'église. Ce n'est point à la multitude des preuves qu'il faut viser, mais à leur choix, mais àla clarté & à la solidité de la démonstration.
(P.234).
Dans un sujet aussi vaste, la difficulté la plus grande consiste à être clair & complet, sans être long; à dire tout ce qui est nécessaire, en omettant tout ce qui serait superflu. Evitons,me disais-je, les formes polémiques & les discussions arides; réfutons les objections les plus spécieuses, par des réponses directes, courtes & substantielles; faisons justice des autres, en établissant les faits & les points de doctrine quiles renversent & les détruisent."
Je ne dirai rien, Monseigneur, de l'exposition détaillée de votre plan, puisque j'en étudierai chaque partie en particulier avec le plus grand soin. Je regretterai seulement que vous ayez pensé qu'il n'y avait que des ministres protestants ou des demi-savants désoeuvrés qui pussent élever des difficultés sur votre livre. Il y a, Monseigneur, nombre de catholiques & même de prêtres, qui ne sont peut-être pas sans science, qui pourraient même mériter un titre plus honorable que celui de demi-savants, & qui ne croient pas à la définition de Pie IX, & qui ne se regardent pas pour cela comme moins bons catholiques que vous. Il est de mauvais goût, Monseigneur, surtout pour un évêque, de se servir d'expressions outrageantes. C'est montrer de la passion, ce qui n'est ni utile ni expédient.
Enfin, vous êtes persuadé que vos preuves sont décisives au point de vue catholique, & que les Monuments de la Tradition sont en faveur de l'Immaculée-Conception aussi bien que le jugement infaillible de l'Eglise. J'ai, Monseigneur, à vous proposer de nombreuses difficultés sur ces deux points. Je commencerai dans maprochaine lettre.
Veuillez agrée l'hommage de mon profond respect.
P.S. - J'ai remarqué,Monseigneur, les paroles suivantes dans la prière que vous avez adressée àla Sainte Vierge à la fin de votre préface: " C'est de vous & de votre divin Fils, ô mère incomparable, que j'attends tout le fruit de mes travaux, & c'est à vous eule que je veux les rapporter."
Ainsi, vous associez l'action de la Sainte Vierge à celle du Dieu-Homme; vous ne donnez même que le second rang à Jésus-Christ, comme source des grâces dont votre livre pourrait être l'occasion; puis vous l'excluez formellement du motif qui vous dirige dans vos travaux. La Sainte Vierge est votre unique fin; c'est à elle seule que vous les rapportez.
La conséquence nécessaire d'une telle doctrine, c'est que la Sainte Vierge est votre Dieu. Pensez-vous, Monseigneur, par de telles exagérations que l'on pourrait si énergiquement caractériser, honorer l'humble Vierge qui se Glorifiait en Dieu son Sauveur?
3. Troisième lettre
(P.235).
Monseigneur,
Vous affirmez que l'Ecriture Sainte atteste clairement le grand privilège de l'Immaculée-Conception de la Sainte Vierge, & que les Monuments Traditionnels qui en témoignent sont si nombreux que vous avez éprouvé "un véritable embarras à les classer de manière à ce qu'ils n'éblouissent & n'écrasent pas vos lecteurs." ( p.19, 20.)
Pourquoi alors, Monseigneur, vous êtres donné la peine d'écrire les observations préliminaires qui remplissent votre deuxième chapitre? Si l'Ecriture & la Tradition parlent si clairement, il n'était vraiment pas besoin d'entrer en de si grands détails touchant la nature de la Tradition & des Témoignages qu'elle nous a transmis, & des formes différentes sous lesquelles elle s'offre à nous. Il me semble, Monseigneur, que l'idée de ces prolégomènes ne fût pas même venue à Votre Grandeur, si elle n'eût pas compris la nécessité de disposer d'avance le lecteur à donner à certains monuments un sens qu'on ne leur avait jamais attribué jusqu'à nos jours. Vous ne pouvez faire ouvertement le sacrifice de cette grande règle catholique qui reconnaît dans le témoignage constant & universel le critère du dogme révélé. Pie IX lui-même a été obligé de lui rendre hommage dans sa bulle Ineffabilis. Votre Grandeur a donc eu recours à tout ce que l'habileté théologique pouvait avoir de plus séduisant, afin de nous amener à la croyance dont vous êtes le défenseur autorisé.
Je vais examiner, Monseigneur, les divers points de votre théorie.
" Dès l'origine de la controverse touchant l'Immaculée-Conception, dites-vous, les défenseurs de ce privilège ne pouvaient avoir recours aux Monuments écrits de la Tradition, qui étaient encore ignorés. De nos jours, la Tradition a revêtu un éclat nouveau, par les travaux que le Saint-Siège a provoqu"s ou encouragés;mais si la Tradition n'était pas décisive à l'origine en faveur de l'Immaculée-Conception, les adversaires de ce privilège ne pouvaient établir non plus à son aide que Marie avait contracté le péché originel." ( p.20, 21.)
Ces affirmations, Monseigneur, ne sont pas exactes. Il est certain qu'au XII°siècle, & dans les temps qui suivirent, époque fixée par votre Grandeur pour l'origine de la controverse, les Monuments écrits de la Tradition n'étaient pas aussi universellement connus qu'ils l'ont été depuis l'invention de l'imprimerie. Cependant, Monseigneur, les hommes instruits de cette époque en connaissaient assez pour savoir certainement ce que la Tradition enseignait. Les bibliothèques des monastères possédaient tous les monuments que nous avons aujourd'hui, &, quoique les exemplaires en fussent moins multipliés, ils étaient en assez grand nombre pour que les écrivains d'autorité en eussent connaissance. Les ouvrages des docteurs du moyen âge, de saint Bernard, de saint Anselme, de saint Bonaventure, de saint Thoals d'Aquin, de Vincent de Beauvais, d'Albert le Grand, & de tant d'autres, sont là pour attester qu'ils connaissaient mieux la tradition catholique que la plupart de ceux qui, de nos jours, écrivent sur les matières théologiques.
(P.236).
Votre Grandeur a donc mal apprécié cette époque. C'est au nom de la tradition catholique que les grands docteurs du moyen âge résistèrent à ceux qui, par suite d'une piété plus vive qu'éclairée, selon saint Bernard, crurent que l'honneur dû à la Sainte Vierge demandait qu'elle eût été conçue sans péché. Vous semblez, Monseigneur, insinuer que Saint Bernard fut vaincu dans la controverse par ceux dont il condamnait l'opinion avec toute l'autorité de la science, du génie, & de la piété.(p.21.) Vous promettez de le faire voir dans la suite. Nous vous attendons.
Les travaux des derniers siècles ont-ils été, Monseigneur, aussi satisfaisants que vous le dites? Si j'en crois Votre Grandeur, ils ont jeté une si vive lumière sur les Monuments de la Tradition que vous n'êtes point surpris que de savants théologiens aient déclaré, depuis deux siècles, que l'Immaculée-Conception appartient aux doctrines de foi. (P.22.) Cependant, des théologiens non moins savants, & même d'une réputation beaucoup plus grande, n'ont pas hésité à dire, depuis deux siècles, que cette opinion ne pouvait appartenir à la foi, ne pouvait être définie. Les monuments de la Tradition ne leur paraissaient donc pas aussi clairs ni aussi certains qu'à Votre Grandeur & à ses savants théologiens. Cette diversité d'opinions chez des hommes également versés dans les études théologiques & dans la connaissance de la tradition, nous met déjà en garde contre les expressions un peu exagérées, ce semble, dont se sert Votre Grandeur, qui ne voit partout que lumières, évidences, & clartés pour son dogme favori.
Telle est la théorie développée par Votre Grandeur touchant la Tradition ( p.22, 23) :
" Les traditions catholiques sont des vérités révélées que l'église conserve dans son sein." Elles se manifestent de plusieurs manières: les unes ont toujours été connues & enseignées en termes clairs & précis; les autres n'ont été crues qu'implicitement, c'est-à-dire qu'elles étaient contenues en germe dans des vérités explicites; enfin, il y a un troisième ordre de vérités " qui, révélées d'une manière directe, mais obscure, se sont éclaircies par le rapprochement des vérités déjà certaines & par l'enregistrement de plus en plus précis de l'église."
Votre Grandeur n'a appuyé sur aucune preuve ces assertions. A mon avis,elles ne peuvent soutenir l'examen, & elles détruisent radicalement les principes de la foi chrétienne.
L'homme peut certainement progresser dans la connaissance approfondie des dogmes chrétiens, y découvrir de nouveaux aspects, en déduire de nouvelles conséquences; mais l'église ne progresse pas ainsi; elle se contente d'attester sa foi, & d'opposer aux inventions humaines qui seraient opposées au Dépôt de la Foy qui lui a été confié le poids accablant de son témoignage constant & universel. L'église, société permanente, ne fait que transmettre d'âge en âge les vérités révélées; il ne peut y en avoir pour elles d'inconnues ou de mieux éclaicies. Lorsqu'une hérésie s'élève, toutes les églises particulières attestent la foi originelle par l'organe de leurs chefs respectifs, c'est-à-dire les évêques: à cette attestation est attachée l'infaillibilité, en vertu du privilège divin.
(P.237).
A côté de cette attestation, seule infaillible, il ne peut y avoir les discussions, les conclusions des évêques; mais, dans ces discussions & conclusions, les évêques ne sont plus que des théologiens, & il faut soigneusement distinguer leur action personnelle de l'acte épiscopal par lequel ils témoignent de la foi constante de leurs églises. Ainsi, lorsque l'arianisme, l'hérésie la plus artificieuse qui ait ravagé l'Eglise, eut contesté la divinité de Jésus-Christ, les Evêques assemblés à Nicée opposèrent à tous ces sophismes cette Vérité: le Christ était Dieu. Mais, lorsqu'à Rimini les évêques voulurent entrer en discussion, les catholiques se laissèrent tromper par les ariens.
Si vous vous étiez contenté, Monseigneur, de dire que l'église pouvait faire progresser l'homme dans la connaissance du dogme chrétien, & lui faire apercevoir sous de nouveaux points de vue une vérité déjà connue, en déjouant par son témoignage accablant & uniforme tous les artifices des hérétiques, j'eusse partagé votre manière de voir; mais lorsque vous dites que l'église peut découvrir de nouvelles vérités, touchant lesquelles son enseignement n'était pas précis, je ne puis voir sous de telles opinions qu'une attaque directe à la révélation elle-même. Non, Monseigneur, l'Eglise n'a jamais rien découvert, & ne découvrira jamais rien de nouveau dans le Dépôt de la Foy intact & pur, &, lorsque vous parlez d'une église qui a sur un point une foi qu'elle n'avait pas auparavant, vous oubliez que l'Eglise est une société immuable, & que l'Eglise universelle n'est plus dès que vous la distinguez à tel ou tel siècle. Elle n'existe, en effet, qu'à la condition d'être perpétuelle, c'est-à-dire universelle pour tous les temps, & ce n'est qu'à cette Eglise perpétuelle, & nécessairement une, que le privilège d'infaillibilité appartient.
Il est facile de comprendre, Monseigneur, la raison qui vous a porté à adopter votre théorie sur les vérités obscures. Vous cherchez à faire croire que le nouveau dogme est une de ces vérités implicites qui sont la conséquence rigoureuse de dogmes parfaitement définis. Quel est, Monseigneur, le dogme dont l'Immaculée-Conception serait la conséquence rigoureuse? Quant à moi, je n'en aperçois aucun, & je ne puis envisager l'Immaculée-Conception que comme une opinion ayant son être propre, son caractère particulier. Vous dites bien, Monseigneur: " Le mystère de l'immaculée-Conception appartient à la catégorie des vérités révélées directement d'une manière obscure." Mais Votre Grandeur se garde bien d'indiquer la vérité révélée, qui contient implicitement le prétendu dogme qu'elle défend.
Pour démontrer qu'il appartient à la catégorie des vérités que vous avez inventéess pour les besoins de votre cause, vous déroulez ce que vous appelez les sources de la tradition catholique.
La première source de la tradition est, selon Votre Grandeur, la tradition vivante de l'église, c'est-à-dire sa croyance universelle actuelle. Ainsi, il n'est pas nécessaire de constater la foi des siècles antérieurs pour avoir, selon vous, un témoignage infaillible. la foi actuelle de l'église, ou sa tradition vivante, est une règle infaillible de vérité, indépendamment de tout monument écrit & de tout argument théologique.
(P.238).
Vous ne vous êtes pas aperçu, Monseigneur, qu'en isolant l'église de telle époque, de l'Eglise des siècles antérieurs, vous lui enleviez sa catholicité, au sens de son universalité.
Peut-on parler de l'Eglise d'une manière abstraite, comme vous l'avez fait? Peut-on supposer que, de nos jours, elle puisse avoir une foi universelle sur un dogme révélé, sans que cette foi puisse être constatée dans tous les siècles par les Monuments écrits? Cette supposition serait toujours chimérique quand elle ne serait pas aussi erronée. C'est là encore une invention née des besoins de la cause. On s'imagine qu'on peut démontrer le nouveau dogme par ce raisonnement: aujourd'hui, on croit partout à l'immaculée-Conception comme de foi; donc ce dogme a été révélé; mais encore une fois, Monseigneur, vous détruisez le témoignage universel, vous détruisez l'église par une théorie que la théologie n'a jamais connue.
Quand même nous l'admettrions, le nouveau dogme n'en serait pas plus solide, parce que la foi de l'église actuelle n'a pas été constatée, & qu'il est ridicule de prendre pour un témoignage de la foi universelle certaines manifestations dont on exagère l'importance dans un but facile à découvrir; mais cette théorie, inutile pour ce but, est fausse de tout point, & condamnée par les principes de l'enseignement de l'Eglise sur la Tradition. Qu'est-ce qu'une foi actuelle pour l'église? N'avez-vous remarqué, Monseigneur, que ces deux termes se détruisent mutuellement, & ne peuvent être juxtaposés sans détruire toute idée de Tradition? Le mot Tradition signifie une chose reçue par héritage des siècles antérieurs. De plus, Monseigneur, que devient l'apostolicité dans votre système? Car vous ne pourrez persuader à personne que l'Eglise tienne des Apôtres une foi dont on n'aperçoit aucun vestige dans les Monuments écrits qui constituent la Tradition.
Non seulement, Monseigneur, vous détruisez l'église & ses caractères essentiels, en isolant la société chrétienne de telle époque de celle de telle autre époque, vous la détruisez encore en la divisant en deux parties distinctes; Votre Grandeur prend à la lettre, & d'une manière rigoureuse, la distinction, introduite depuis peu de temps dans l'enseignement théologique, de l'Eglise enseignate & de l'Eglise enseignée. Que l'on admette cette distinction en ce sens que les Evêques sont la voix nécessaire de leurs Eglises respectives, nous n'y voyons pas un inconvénient très grave;mais d'aller prendre ces mots à la rigueur, & de scinder l'église, qui est une, c'est ce qu'aucun catholique ne doit souffrir. Les fidèles seuls ne font pas plus l'église que les pasteurs seuls. Tous ensemble forment un corps compact, un, indivisible; & c'est à l'église ainsi entendue que les promesses ont été faites; elle conserve infailliblement la vérité révélée: les évêques la proclament infailliblement, en attestant la foi constante, chacun pour son église particulière; voilà toute la théorie catholique sur l'infaillibilité. Cette infaillibilité est une; &, distinguer une infaillibilité passive & une infaillibilité active dans l'église qui est une & qui est seule infaillible, c'est se perdre en des expressions fausses, incorrectes, qui ne peuvent être que des sources d'erreurs :
(P.239)
je crois en l'église universelle; voilà la formule nettement posée par les Apôtres; toutes les distinctions théologiques n'exprimeront jamais rien de plus précis, de plus vrai. Celles que vous avez adoptées, Monseigneur, ne font qu'ébranler cet article fondamental du Symbole apostolique du Credo.
Vous promettez, Monseigneur, de traiter in extenso, dans votre troisième chapitre, de la tradition vivante de l'Eglise. Nous vous suivrons de nouveau sur ce terrain, lorsque vous y reviendrez.
Passons à vos principes sur la tradition écrite. Vous distinguez encore dans cette tradition deux ordres de vérités: celles que vous nommez explicites & les vérités implicites. Vous donnez pour exemple de vérité implicite, la définition du dogme des deux volontés en Jésus-Christ, contenu implicitement dans celui de l'incarnation du Verbe. Ainsi, vous confondez, Monseigneur, les vérités non définies avec celles que vous appelez implicites & obscures. Il me semble, Monseigneur, que Votre Grandeur se trompe. De ce que le dogme des deux volontés en Jésus-Christ n'a été défini qu'au VII° siècle, vous avez tort d'en conclure que la Foy de l'Eglise sur ce point n'était pas déterminée. L'Eglise ne fait de définition officielle sur tel ou tel dogme, qu'au moment où ce dogme est attaqué; mais, de ce qu'elle ne définit pas, il ne faut pas en conclure qu'elle ne possède pas explicitement la vérité qu'elle définit lorsqu'elle est obligée de défendre sa Foy. La définition de l'Eglise n'est que la constatation de la Foy universelle; on ne peut constater ce qui n'existe pas. Or, une vérité implicite n'est qu'une vérité inconnue! L'Eglise ne passe jamais de l'inconnu au connu pour l'homme; elle n'a pas d'intelligence à exercer comme l'individu: elle affirme ce qu'elle a reçu par tradition, ce qu'elle a cru de tout temps.
Vous n'avez posé votre principe, Monseigneur, que pour expliquer comment Pie IX a pu déclarer dogme de foi ce qui n'existait pas encore en 1853; mais si vos efforts prouvent votre bonne volonté, ils font peu d'honneur à la science théologique de Votre Grandeur. Par le procédé des vérités implicites, révélées d'une manière obscure & transmises par tradition vivante, sans monuments écrits, il est facile, Monseigneur, de changer la révélation tout entière & de substituer une nouvelle religion au Christianisme/ Est-il permis, en faveur d'un prétendu dogme de fraîche datre, d'inventer des systèmes aussi dangereux, & d'abuser ainsi de quelques mots vagues & obscurs usités dans les chicanes théologiques?
Mais, en adoptant même votre système, on n'en réfute pas moins, Monseigneur, le nouveau dogme que vous voulez prouver. L'église, dites-vous, a enseigné l'Immaculée-Conception en termes généraux, depuis son origine jusqu'à nos jours : depuis le V°siècle, elle l'a enseigné d'une manière fort claire & fort précise : la preuve, c'est sa Tradition sur la Sainteté indéfinie de la Vierge Sainte, qui a toujours existé parallèlement à la tradition de la transmission du péché originel à tous les hommes. Ces deux traditions semblent contradictoires; mais la contradiction n'a pas existé, parce que l'exemption de Marie n'a été qu'une exception à la loi, qui n'en a pas moins été générale. La tradition de la sainteté indéfinie de la Sainte Vierge renferme implicitement le privilège de l'Immaculée-Conception.
(P.240).
C'est là, Monseigneur, ce qu'il faudrait prouver. Il ne suffit pas de faire des phrases, de produire des affirmations gratuites pour opérer la conviction dans l'esprit des hommes sérieux. Quand Votre Grandeur aura prouvé ce qu'elle a avancé du parallélisme de l'enseignement de l'Eglise sur le péché originel & sur l'Immaculée-Conception, nous pourrons discuter; pour le moment, nous opposons simplement nos négations à vos affirmations, & nous n'avons trouvé rien de vrai dans le tableau que vous avez tracé.
J'ai été, je vous l'avoue, Monseigneur, scandalisé profondément par le trait qui termine votre deuxième chapitre. Je ne m'attendais certes pas à vous voir escamoter aussi légèrement le grand pricipe universel si nettement formulé par Saint Vincent de Lérins: ne croire que « ce qui a été cru toujours, partout, et par tous. » « Cette maxime, dites-vous, n'est point applicable à tous les dogmes catholiques, en ce sens que tous ont été crus & professés explicitement, toujours, partout, et par tous les fidèles. »
Ces paroles prouvent au moins que la règle de Saint Vincent de Lérins ne peut s'accorder avec la théorie des vérités implicites. Or, cette règle a toujours été reconnue comme le crière de toute vérité universelle, sans exception; donc, la théorie des vérités implicites est opposée à la règle universelle.
Si cette règle ne s'applique pas à toutes les vérités révélées, on peut en inventer de nouvelles; on peut faire de nouveaux dogmes; la religion devient un système humain, n'est plus un fait divin; tout homme logique, en suivant vos théories, Monseigneur, rejettera non seulement l'Immaculée-Conception, en faveur de laquelle vous les avez exposées; il rejettera toute révélation & sera rationaliste. Tel est le résultat qu'obtiendra Votre Grandeur; car, encore une fois, jamais vous ne pourrez persuader qu'un dogme ait toujours été cru parce qu'il vous plaira de dire qu'il était implicitement renfermé dans telle ou telle croyance.
Vos théories générales sont fausses. Nous allons les étudier dans l'application que vous en avez faite au dogme du 8 décembre 1854.
Agréez, Monseigneur, etc.
4.Vingt-cinquième lettre.
Monseigneur,
Nous voici arrivés au XIX° siècle, & nous n'avons pas rencontré une seule preuve, tant soit peu valide, à l'appui de votre opinion, & de la définition de Pie IX. Vous enregistrez avec complaisance les autorisations accordées par Pie VII & par Grégoire XVI de joindre l'épithète Immaculée au mot Conception, dans la préface de la messe de la fête du 8 décembre; d'invoquer Marie, dans les litanies, comme ayant été conçue sans péché;
(P.241)
vous parlez des demandes faites par des particuliers pour que le pape définit la question. Le cardinal Lambruschini en 1843, & le P. Perrone, jésuite, en 1847, entreprirent de démontrer que cette question pouvait être définie. Ces ouvrages, selon Votre Granfeur, eurent beaucoup d'influence sur la détermination de Pie IX. Ils prouvent du moins qu'on avait besoin, à Rome même, de nouveaux éclaircissements, pour savoir si l'Immaculée-Conception pouvait ou non être définie. Si cette opinion êut appartenu de tout Temps à la croyance universelle, comme vous avez osé le prétendre, il n'en eût pas été ainsi.
En 1847, ou 1848, dites-vous, Pie IX nomma une commission pour examiner l'affaire. Ne dirait-on pas, à vous entendre parler ainsi, qu'on définit un dogme, comme on décide une affaire diplomatique. La commission suivit Pie IX de Rome à Gaëte. Elle était composée des plus grands partisans de la définition. Le P. Perrone, jésuite, y brillait à côté du P. Passaglia. Ce dernier est auteur de l'ouvrage le plus important sur la matière. Votre Grandeur en convient; elle en a pris les meilleurs textes, que nous avons prouvés être apocryphes ou nuls. Cependant, c'est cette BABEL DE TEXTES FAUX, APOCRYPHES, TRONQUéS, OU NULS, qui a servi de moule à la bulle de Pie IX. Vous êtes obligé de l'avouer: « La bulle de la définition, dites-vous, a été calquée sur cet ouvrage. » ( P.348, note 4.)
C'est donc avec raison que nous avons désigné le P. Passaglia comme le principal inspirateur de Pie IX, & le véritable auteur de la bulle Ineffabilis. Pie IX s'est laissé tromper par ses commissions, dans lesquelles on n'avait laissé pénétrer aucun adversaire de la définition.
C'est là un fait acquis à l'histoire.
Ces commisssions s'attachèrent à prouver qu'une définition pouvait être rendue par le pape sans qu'il eût besoin de témoignages de l'Ecriture, & d'une tradition non interrompue. Votre Grandeur l'avoue (P.352), et les preuves en sont écrites.
Les commissions ont don méconnu la règlede Foy universelle.
C'est là un second fait incontestable.
D'après Votre Grandeur, il n'y a que l'ignorance ou le demi-savoir (p.353) qui peuvent prétendre que les témoignages de l'Ecriture Sainte & d'une tradition constante sont nécessaires pour une définition dogmatique. Il est peu flatteur, Monseigneur, d'être calssé dans la catégorie des ignorants & des demi-savants. Nous vous avouerons cependant que nous aimons mieux y être placés par des savants comme vous, Monseigneur, ou comme le P. Passaglia, que de mériter à vos yeux le titre de savant. Votre science est peut-être étendue, mais nous sommes assez peu instruits pour croire que, l'Ecriture Sainte étant la Parole de Dieu, & la tradition universelle son interprète, il vaut mieux les avoir pour nous que la parole du pape, corroborée de vos textes apocryphes & de vos systèmes. Que voulez-vous, Monseigneur, tout le monde ne comprend pas que l'on doive METTRE LE PAPE A LA PLACE DE L'EGLISE, & la Vierge Sainte au milieu des personnes de la Sainte Trinité. C'est un grand malheur à vos yeux, sans doute. Pour nous, nous regardons comme un plus grand malheur :
(P.242)
que le pape ait été trompé par quelques fanatiques, qui ont osé dire tout haut qu'ils ne tenaient aucun compte de l'ancienne règle de Foi de l'Eglise; & qu'un évêque comme vous, Monseigneur, qui a écrit pour obéir au pape, loue ces fanatiques de leur erreur, insulte ceux qui ne veulent pas la partager, & fasse l'apologie d'une bulle erronée, dont il voudrait faire porter la responsabilité à l'Eglise elle-même.
Comptez tant qu'il vous plaira, Monseigneur, les commissions instituées par Pie IX; parlez avec emphase des précautions prises par ce pape pour s'éclairer sur la question; énumérez les volumes imprimés pour répandre la lumière; tout cela prouve le contraire de ce que vous avez en vue. Nous vous dirons toujours: on n'eût pas eu besoin de se donner tant de peine si la croyance à l'Immaculée-Conception eût été une croyance universelle & constante dans l'Eglise; tous les efforts tentés pour le prouver n'ayant eu pour résultat que de faire appel à des textes nuls ou apocryphes, & à des système inconnus jusqu'à nos jours, il s'ensuit que la définition était impossible, & que la bulle Ineffabilis doit être classée dans la catégorie déjà trop nombreuse des ACTES PONTIFICAUX REJETéS COMME ERRONéS.
En même temps que Pie IX instituait ses commissions, il demandait aux évêques, par une circulaire, quelle était leur piété & la dévotion des fidèles de leurs diocèses envers l'Immaculée-Conception. Les évêques n'avaient pas à répondre sur la foi de leur église, touchant laquelle on ne les consultait pas; la demande & les réponses n'eurent donc qu'un caractère privé, non un caractère épiscopal.
Tout était préparé à Rome pour la définition, dès 1853. Au commencement de 1854, « on sut que le souverain pontife avait pris la résolution de définir le mystère de l'Immaculée-Conception de la très Sainte Vierge. » Ce sont vos paroles, Monseigneur. ( p.356.) Il prit cette résolution d'après les avis de ses commissions & d'après les réponses des évêques. Les avis étaient erronés, & les réponses n'avaient rien du caractère universel & épiscopal. La bulle ne pouvait, par conséquent, être considérée que comme un acte particulier à Pie IX. Un certain nombre d'évêques furent invités à assister à la cérémonie de la définition. Cette invitation ne fut faite qu'à ceux qui s'était le plus distingués par leur ultramontanisme. Vous affirmez le contraire, Monseigneur, & vous prétendez prouver ce que vous avancez, en disant que M. Sibour, archevêque de Paris, connu par son opposition, fut invité à plusieurs reprises par le pape, & que M. Sibour vous le déclara à vous-même. Et nous vous dirons, nous, Monseigneur, parce que nous le savons de manière à n'en pouvoir douter, que M. Sibour ne fut invité qu'après avoir témoigné son étonnement & sa peine de ne l'avoir pas été; qu'arrivé à Rome, il se montra indigné de trouver dans les Pareri un mémoire latin adressé par lui, ridiculisé au moyen de certains monosyllabes destiné à en relever les fautes; qu'il menaça de se retirer si ces insultes ne disparaissaient pas au moyen de cartons; qu'on le prit par son faible, qu'on l'adula, qu'on lui fit certaines promesses pour éteindre en lui les velléités d'opposition qu'on avait remarquées; qu'on affecta de lui faire porter le bougeoir à la cérémonie de la définition, ce qui fut pour les séminaristes, & pour d'autres encore, un sujet de plaisanteries assez multipliées.
(P.243).
Ces faits-là, nous les connaissons parfaitement, Monseigneur, & il en est beaucoup d'autres, 0 Paris comme ailleurs, qui les connaissent aussi bien que nous.
L'invitation de M; Sibour ne prouve donc point que les évêques connus par leur ultramontanisme ne furent pas choisis de préférence aux autres pour assister à la définition. Du reste, ce point a fort peu d'importance, car vous convenez que les évêques ne furent pas appelés à Rome pour juger la question, mais pour assister seulement à une fête & y remplir le rôle d'enfants de choeur, selon l'expression pittoresque & souvent répétée en chaire par M. l'abbé Combalot. Le cardinal Brunelli, qui les présida pendant les quatre séances où l'on daigna leur faire connaître le projet de bulle calqué sur l'ouvrage du P. Passiglia, le cardinal Brunelli, disons-nous, eut grand soin de les avertir « que le souverain pontife n'avait point eu l'intention de réunir les évêques en concile, ni d'autoriser une discussion sur le fond de la question ou sur l'opportunité de la définition, deux points dont il se réservait le jugement. » Nous parlons d'après vous, Monseigneur. ( p.359, 360.)
Votre Grandeur pr étend que les témoignages des Saints Pères contenus dans la bulle furent soumis à un examen sévère de la part des évêques. Vous faites peu d'honneur à leur érudition; car il n'est pas difficile d'en découvrir d'apocryphes, comme nous l'avons remarqué.
Nous avons eu déjà occasion de citer, Monseigneur, un extrait du discours que vous avez prononcé, dans une des séances, pour constater que LES EVEQUES N'AVAIENT POINT ETE JUGES DANS LA QUESTIONl; que la définition appartenait au PAPE SEUL, en vertu de son infaillibilité. Contentons-nous donc de mentionner cette harangue, & de dire que L'INFAILLIBILITé DU PAPE EST au moins CONTESTéE AU SEIN DE L'EGLISE; nous sommes modestes; vous ne pouvez nous accorder moins; or, comment, en vertu d'une infaillibilité contestée, le pape a-t-il pu prononcer une définition dogmatique qui oblige tous les catholiques? Les évêques adhèrent, dites-vous; mais d'abord leur adhésion ne donne, selon vous, aucune valeur à la définition qui la reçoit toute de l'infaillibilité pontificale; de plus, les évêques n'ont pas été juges dans la question; vous en convenez avec l'assemblée réunie à Rome; s'ils n'ont pas jugé, ils n'ont pas agi en évêques; leurs adhésions n'ont qu'un caractère privé : il y a eu quelques centaines d'individus qui ont courbé la tête devant la volonté de Pie IX; il n'y a pas un seul évêque qui ait jugé ni adhéré en évêque; il n'en est pas un seul qui ait osé dire qu'il était témoin de la foi constante & universelle de son église; s'il n'y a pas eu de témoignage épiscopal, l'Eglise n'a pas parlé; le pape seul a défini en son nom & sous sa propre responsabilité. Telles sont, Monseigneur, les conséquences rigoureuses, nécessaires de vos aveux. Ces aveux sont conformes aux faits, nous le reconnaissons; nous aimons votre franchise sur ce point, & nous en profitons pour le triomphe de la vérité.
Après les quatre séances employées à entendre le projet de bulle, il ne restait plus qu'à définir. Pour honorer les évêques qui y avaient assisté, le pape nomma évêques assistants au trône pontifical ceux qui n'étaient pas encore revêtus de cette dignité, c'est-à-dire qu'il leur donna le droit de s'asseoir à ses pieds, dans les cérémonies publiques. Ce droit est bien honorable vraiment pour la dignité épiscopale; il était digne de la déférence que l'on avait eue pour l'infaillibilité de Pie IX. Après la définition, le pape fit un nouvel honneur aux évêques : il leur donna à chacun une médaille commémorative, frappée d'avance, & fabriquée avec l'or de l'Autriche. Cette circonstance est mentionnée sur la médaille, & mérite d'être remarquée.
Au milieu des belles phrases, plus ou moins belges, que vous consacrez aux détails de la sollenité, nous remarquons surtout le discours qu'adressa au pape le doyen du Sacré Collège, cardinal Macchi. Nous en avons déjà parlé; mais il est bon de rappeler que cette Eminence affecta de dire que c'était par un jugement suprême & infaillible de Pie IX que l'Immaculée-Conception était définie. Les catholiques qui ne croient pas à l'infaillibilité de ce jugement, come ils en ont droit, peuvent donc regarder la définition comme non avenue. En cela, ils sont très logiques. La base de l'adhésion au jugement de Pie IX n'étant que son infaillibilité, dès que cette infaillibilité est repoussée, le jugement ne peut subsister.
Vous faites, Monseigneur, un tableau enthousiaste de la joie qu'éprouvèrent ceux qui assistaient à la définition. Nous voulons bien y croire; mais croyez de votre côté, Monseigneur, que bon nombre de catholiques, & des plus sérieux, ont ressenti la plus vive douleur, en voyant la Foi & l'Eglise compromises par les exagérations ultramontaines. Tous les catholiques, soyez-en certain, Monseigneur, ne partagent pas vos illusions sur l'opportunité & l'utilité de la définition.
A vos yeux, elle a été opportune, parce que le pape & les évêques en ont jugé ainsi. Lorsqu'on veut, Monseigneur, que l'on respecte les dignitaires de l'Eglise, il ne faut pas exagérer la soumission qu'on leur doit. On peut, sans manquer à l'autorité épiscopale, se prononcer contre une opinion du pape & des évêques. Ils se sont assez souvent trompés pour que l'on se tienne sur ses gardes; les principes avant les personnes; la foi avant les opinions : telles sont les règles de tout Chrétien instruit. Si les fidèles avaient suivi le pape Libère & les évêques, du temps de l'arianisme, ils eussent été ariens. Le grand Hilaire de Poitiers dit anathème à Libère, & il fit rentrer les évêques dans le devoir; on peut agir comme Saint Hilaire sans cesser d'être catholique; à plus forte raison peut-on, sans cesser de l'être, refuser modestement son adhésion à un acte erroné, & discuter les preuves sur lesquelles on prétend l'appuyer.
Vous ne voulez pas, Monseigneur, que l'on juge que la définition a été inopportune, en ce qu'elle aurait été l'occasion des blasphèmes des impies; on ne doit pas prévenir, dites-vous, le scandale pharisaïque des hommes égarés : ce sont vos paroles. D'après l'Evangile, le devoir des pasteurs de l'église est de courur après les brebis égarées; de les préférer, pour ainsi dire, à celles qui peuvent se passer de leurs soins, & de les ramener à la bergerie du Seigneur. Votre principe est donc diamétralement opposé à celui de l'Evangile.
(p.245.)
« Les âmes faibles, les indifférents, les demi-savants, les demi-chrétiens, qui s'embarrassent dans les objections que le faux-savoir sème sous leurs pas, qui reculent devant un accroissement du symbole », ne méritaient pas plus d'être ménagés que les adversaires de l'église & que les protestants qui tendaient vers un rapprochement avec l'église catholique. C'est vous qui l'affirmez. (p.382.)
Selon Votre Grandeur, les craintes que la définition leur faisait concevoir étaient chimériques. « Aujourd'hui, ajoutez-vous, les effets de la définition le prouvent. » (p.383.) Vous vous êtes aperçu que, depuis la définition, il y a eu trêve dans la guerre faite à l'église; que le mouvement de retour des protestants paraît s'être activé; vous voyez les choses en beau, Monseigneur : nous ne vous en félicitons pas.
La définition de Pie IX fut non seulement opportune à vos yeux, elle était devenue nécessaire, après tout ce que l'on avait fait, dans l'église, en faveur de l'Immaculée-Conception, qui de sa nature, dites-vous, appartient à la foi (p.385.)
Tout ce qui se fait dans l'église n'engage pas l'Eglise elle-même, vous devez le comprendre, Monseigneur. Les fêtes, les indulgences, les confréries de l'Immaculée-Conception, pouvaient très bien être laissées à certains papes, & aux jésuites qui les avient provoquées par leurs pénitents couronnés, ou par leurs affiliés, & ne pas compromettre davantage l'église. Vous prétendez que la croyance à l'Immaculée-Conception est, de sa nature, matière de foi. Bossuet qui était un plus grand théologien que vous, Monseigneur, nous pouvons vous le dire sans vous humilier, prétend le contraire. Molanus lui avait parlé de cette question en ces termes, dans son projet de réunion des catholiques & des protestants: « Une partie de l'église romaine approuve l'Immaculée-Conception de la Vierge Marie, & une partie l'improuve. Toute l'église des protestants a décidé que la Bienheureuse Marie, quoique très Sainte & très pleine de Grâce, a été conçue, cependant, avec le péché originel. Pour la paix & la concorde, les catholiques, dans l'assemblée projetée, seront priés de se ranger à la croyance que l'église protestante entière a adoptée. »
Bossuet lui répondit ainsi, dans son contre-projet: « Ce n'est pas une partie de l'église, mais toute l'église romaine quiregarde l'Immaculée-Conception de la Bienheureuse Vierge pour une chose indifférente & qui n'appartient pas à la foi. »
D'après un docte Allemand, que vous respectez sans doute, Monseigneur, le savant prêtre Doellingen, Bossuet est le plus grand théologien qu'ait fourni l'épiscopat catholique depuis trois siècles. Que devient votre opinion sous le tonnerre de cette grande voix? Le plus grand théologien pouvait, à la fin du XVII° siècle, prononcer de telles paroles sans cesser d'être regardé comme le premier & le plus grand des défenseurs de l'église; & aujourd'hui, parce que Pie IX s'est laissé tromper par les pères Passaglia & Péronne, nous serions obligé de préférer votre opinion à celle de Bossuet? Non, Monseigneur, non, il n'en peut être ainsi.
(p.246.)
Comment Votre Grandeur a-t-elle pu faire ce raisonnement incroyable?
« L'Immaculée-Conception, qui de sa nature est matière de foi, est admise par l'église universelle; elle est donc évidemment révélée. » (p.386.)
Non, l'Immaculée-Conception n'est pas, de sa nature, matière de foi; elle n'est pas admise par l'Eglise universelle. L'Eglise universelle est universelle en ce sens qu'elle est permanente dans la possession de la vérité révélée, depuis les Apôtres jusqu'à nos jours. Votre ouvrage, à lui seul, Monseigneur, démontre que la doctrine de l'Immaculée-Conception est nouvelle, & qu'on ne peut en trouver de traces dans les onze premiers siècles qu'EN TRONQUANT OU EN DENATURANT LES MONUMENTS ECRITS DE LA TRADITION. Donc l'Eglise universelle n'admet pas votre dogme. Même en entendant comme vous le mot universel, il est impossible que vous admettiez que le condentement de l'église actuelle soit pour vous. L'Eglise n'a pas été consultée, elle n'a donc pas consenti. Entendez-vous par Eglise un troupeau de dévots ou de dévotes disposés à croire tout ce qu'on voudra, sous prétexte de piété? Si c'est là votre église, dites-le franchement. Quant aux lettres des évêques, nous les avons réduites à leur juste valeur.
Si l'église n'avait pas défini, dites-vous, lorsque le consentement universel était pour l'Immaculée-Conception, on n'eût pas considéré ce consentement universel comme décisif en matière de foi. Vous trouvez ce raisonnement spécieux (p.386.); dites ridicule, Monseigneur, le mot sera mieux choisi; le catholique qui le fearit donnerait la preuve la plus évidente qu'il ne connaît pas les premiers éléments d ela doctrine chrétienne. Est-ce dans le consentement actuel, quand bien même il serait universel, que la foi réside? Le « qui est cru par tous » de Vincent de lérins est précédé du « qui est cru partout » & « qui est cru toujours ». Admettre le dernier mot de la règle de foi universelle n'est pas l'admettre tout entière; en scindant cette règle de foi, vous scindez l'Eglise.
Allons, Monseigneur, de la bonne foi! Avouez que votre prétendue universalité n'existe pas; que l'immense majorité des catholiques sont indifférents pour le nouveau dogme ou s'en moquent; que les oppositions sont nombreuses parmi les catholiques les plus éclairés, comme dans le clergé. Si elles ne se manifestent pas davantage, surtout dans le clergé, vous en connaissez bien les raisons, Monseigneur. Les évêques eux-mêmes sont-ils libres à l'égard de Rome sur cette question? Pie IX, en leur annonçant d'avance, dans ses circulaires, qu'il voulait définir la question, & en leur faisant entendre que ses lettres n'étaient qu'une formalité, ne leur fermait-il pas la bouche? Plût à Dieu qu'ils eussent parlé, & qu'ils eussent attesté que jamais leurs églises n'avaient eu une pareille foi! Plût à Dieu qu'ils eussent pu, au moins, garder le silence sans se mettre en suspicion vis-à-vis du parti qui domine & violente l'Eglise! Mais, du moins, ils n'ont pas répondu en évêques, & vous ne pouvez réclamer, en faveur de la définition, que quelques centaines d'hommes plus ou moins instruits. Voilà, Monseigneur, votre universalité réduite à sa véritable expression.
Vous pouvez faire grand bruit de cette universalité, l'exalter, vous en applaudir;
(p.247.)
vous ne convaincrez aucun CHRETIEN INSTRUIT que l'universalité actuelle soit règle de foi; & personne ne croira même que cette universalité actuelle existe.
Vous affirmez qu'il fallait enfin être agréable, par la définition, aux pieux fidèles qui fatiguaient le Saint-Siège de leurs instances. (p.336.)
Il eût mieux valu, Monseigneur, que Pie IX écrivît une bonne fois, dans un bref rendu public, que ces pieux fidèles n'avaient pas une dévotion assez éclairée; que la Sainte Vierge ne serait ni plus respectée, ni plus glorieuse, quand il donnerait la définition réclamée; & que, de plus, en la donnant, il porterait atteinte à la foi, causerait un grand scandale dans l'église, & réjouirait les ennemis de la papauté.
Si Pie IX se fût prononcé une seule fois en ce sens, le Saint-Siège n'eût plus été fatigué de réclamations; & ceux qui font aujourd'hui le plus de zèle en faveur de la définition, auraient montré le plus d'empressement à féliciter Pie IX de sa sagesse.
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