samedi 20 mars 2010

De la dépossession et de la pauvreté volontaire

Sous les habits usés, loqueteux des ascètes, sous leurs misérables hardes, de si piètre apparence, s'abrite la richesse cachée de la vertu, ne laissant rien transparaître que le seul mépris de ce qui n'est que matériel, victoire de l'esprit purifié sur les perverses mentalités d'un monde matérialiste. Tout comme sous la vie si dure, sous les privations sans nombre, que s'infligent ces lutteurs, sous la perpétuelle violence exercée sur eux‑mêmes, se découvrent encore les trésors précieux de cette humilité sans fard, où se reflète, intègre, l'unique philosophie - seule vraie, seule capable, partant, d'acheminer à la vérité - celle de la Vie évangélique en Christ.
D'où cette prédilection, pour semblable accoutrement, de ceux qui véritablement mènent l'ascèse, se refusant à porter tout vêtement neuf, comme ils refusent aussi le prix de leurs services, ou les plaisirs aveugles d'un monde de mensonge. Si bien, pour finir, qu'ils vont jusqu'à renoncer eux‑mêmes, suivant ce précepte immuable du Dieu Eternel : « Que celui qui veut marcher à ma suite se renonce lui‑même ...» 1
A leur mise donc, à leur extérieur, non plus qu'à l'enveloppe de peau dont ils sont recouverts, les ascètes n'accordent nulle importance, aussi peu soucieux de chaussures et d'habits recherchés que d'arranger tant soit peu les traits de leur visage, ou bien leurs cheveux, et avec eux, tout ce qui est de la chair. Mais tous leurs soins, toute leur attention, se portent sur les profondeurs, sur l'essence, l'être, et son monde intérieur, sur l'ornement de l'esprit et du coeur, lorque s'y répand la beauté incrée, radieux éclat des splendeurs du divin...
Semblable athlète pour parler ainsi, du sacrifice et de la dépossession, des privations et de la vie frugale, fut l'ancien Callinique, moine chypriote venu sur l'Athos, pour y mener avec son frère Grégoire, l'ascèse à la Skyte Sainte Anne. Puis de retour à Chypre, il y alla poursuivre, au Monastère de Stravrovovnio, ses combats ascétiques. En sorte qu'à sa mort, son héritage ne consistait qu'en une paillasse pourrie infestée de punaises, à quoi s'ajoutaient une caisse, où dormaient des guenille - bonnes , tout juste, à être jetées au feu - une paire de godillots éculées, recousus de tous côtés, et deux ou trois sous posés dans un coin, pour l'enterrement. Et c'est avec larmes que l'higoumène Barnabé, qui avait été, lui aussi, son frère selon la chair, disait aux assistants : « Voyez, pères, quelle fut toute la fortune de l'Ancien Callinique, et ce qu'il amassa, tant d'années durant, tandis qu'il fut moine, et même higoumène de son monastère. Ah, c'est bien là qu'est moine en vérité celui qui en cette vie présente ne possède rien, si ce n'est son seul Christ.»

Il y eut sur l'Athos, une autre moine, cénobite lui aussi, qui soixante ans durant vécut portant le même manteau, qu'il avait reçu lors de sa tonsure.

L'évêque Hiérothée de Milet ??? qui vint à la Skyte Sainte Anne habiter la calyve de Saint Eleuthère, fut lui aussi d'une absolue pauvreté. A ses autres vertus, de douceur, de patience, et de tempérance, il joignait encore sa compassion pour les plus pauvres d'entre les ascètes, auxquels il partageait le maigre prix de son labeur. Il s'endormit, vieillard sanctifié, à l'âge avancé de quatre vingt huit ans.

A l'ermitage de l'Ancien Néophyte, l'on n'eût rien pu trouver qu'un vieux sac de biscottes. Le samedi et le dimanche seulement, il se rendait chez les Daniléens, qui étaient pour lui une consolation dans son désert. Ces jours‑là, il mangeait à leur table, après quoi il disparaissait à nouveau, pour la semaine entière.
L'on dit que lorsqu'il s'endormit à la Lavra, son visage resplendissait...

L'Ancien A..., moine à Karyès de la cellule de Saint Charalambos, avait atteint dans la dépossession à un degré si haut que jamais il ne portait d'autre rasso que celui de son trés aimé géronda.

L'Ancien Chrysanthe de Sainte Anne contait que lorsque le vertueux Ancien Chariton s'endormit à Sainte Anne, l'on ne trouva dans sa cellule rien d'autre qu'un pichet à eau.

Jamais le père Auxence l'Hégoriate d'éternelle mémoire ne mit un vêtement neuf. Il n'avait, pour toute garde‑robe, que de rares tuniques, partout ravaudées, assorties d'une unique paire de chaussures, qu'encore il ne portait qu'à l'intérieur de l'église, cependant, le reste du temps, qu'il s'en allait toujours pieds nus, par les chemins caillouteux et les sentiers inégaux de l'Athos., au mépris de la boue, des rocailles, et des halliers épineux de la contrée. Quant au reste de ses biens, un étroit lit de planches disjointes, une table minuscule, de pauvres icônes pendues à son chevet, et çà et là épars, sur une étagère, quelques ustensiles de première nécessité. C'était là tous l'ornement intérieur de sa petite cellule.

Mikkaïl le Lavriste, qui était infirme, n'avait, lui non plus, rien dans sa cellule. Mais lorsqu'il s'endormit, il fut digne qu'un évêque vînt célébrer ses funérailles. Ce jour‑là, son visage paisible resplendissait du doux éclat de l'ambre et de la cire.

Un Ancien, trés pauvre au demeurant, disait :
- Il y avait sur l'Athos un petit Géronda, lequel avait su, comme l'on dit « se simplifier la vie ». Il n'avait personne pour l'aider dans son ménage. Et c'est ainsi que s'affranchit l'homme, pour ce que toutes ces choses que nous nommons aujourd'hui «facilités», fût‑ce un lambeau d'éponge, sont plutôt pour nous l'occasion de difficultés nouvelles.
Or qu'est‑ce que la facilité, sinon le fait de simplifier sa vie, se limitant, pour ce faire, au seul indispensable? Alors, véritablement, l'homme est enfin libéré.

A la skyte de Xénophon vivait l'Ancien Euthyme, dans un cayolar de berger dédié aux Saint Archanges. Il vécut là, dans ce pauvre ermitage, avec pour tout mobilier le petit sac de biscottes qui renfermait son ordinaire, suspendu au milieu de sa cabane.

Parlant à un laïc, un ascète disait : Jeûne, veille et prière :
Qui dans sa vie met cela en pratique, obtient de grands biens. Et pour toi, dans ta vie, sois simple. vois‑tu cette calyve, dénuée de tout superflu? Mieux vaut qu'il n'y ait dans la maison que les choses nécessaires. La multitude des objets, loin d'aider, nuit à la vie spirituelle.

Naguère s'endormit du sommmeil du juste - c'était en 1986(?) - un pappouli d'éternelle mémoire, l'Ancien Théophylacte de la Nouvelle skyte, celui qui sut être simple, humble, sans méchanceté aucune, comme longanime aussi dans les épreuves, celles que lui suscitaient les démons comme celles que lui causaient les hommes. Au déclin de sa vie, devenu même aveugle, jamais il ne se plaignit, seulement d'avoit été privé de ce doux bien qu'est la lumière des yeux.
Typiques de son être sanctifié furent sa pauvreté, toute apostolique, et son insouciance pour les biens matériels comme pour sa nourriture et sa conservation même. Ni il ne travaillait de ses mains, ni il ne se préoccupait d'argent. Mais il priait sans cesse, en toute chose remerciant Dieu. D'abord novice du bienheureux Joachim de Spétsé ‑ dont il m'entretenait toujours, et cela, bien que je fusse, pour ma part, le moindre d'entre les moines - il fut disciple, ensuite, du bienheureux Ancien Joseph le Spiliste.
Avant que de devenir aveugle, il avait pour diaconie la charge ingrate de la correspondance, comme celle aussi d'allumer les cierges sur les quatre chandeliers de tous les proskynitères2 de la skyte, qu'il visitait chacun deux fois par jour quel que fût le temps qui régnât au‑dehors.

A la calyve hésychaste de Yannakopoula demeuraient deux pères, Gabriel et Sophonios, tous deux ascètes de renom. Non loin de là, dédiée à la Nativité du sauveur, vivait un ascète toumain, lequel menait une vie tout‑à‑fait angélique. Il ne travaillait pas de ses mains,

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