dimanche 28 mars 2010

Père Joseph l'Hésychaste, Entretiens spirituels

Le Père Joseph l’Hésychaste (1896-1959), moine sur le Mont Athos, fut un grand ascète et maître de la prière. A son flambeau se sont allumés beaucoup d’âmes : il avait le charisme de l’enseignement et envoyait à ses enfants dans le Christ des lettres qui constituent un vrai guide de la vie spirituelle. La Lumière du Thabor en a fait connaître quelques unes (n4, 8, 19, 29) et nous sommes heureux de publier ici un nouvel extrait de cet ouvrage utile à l’âme (lettres 32-34 de l’édition grecque). L’ensemble a été traduit par Presbytéra Anna.

Que lâcheté est mère d’impatience...

Voici, ma fille, que revient ton humble père, espérant par ses pauvres paroles réveiller un peu ton zèle endormi. Et toi mon enfant, viens avec moi, réveille‑toi du lourd sommeil de ta négligence. Ecoute‑moi, et désormais ne dors plus. Eveille-toi, secoue bien vite le vain engourdissement de ta molle acédie. Puis, une nouvelle fois revêts ta panoplie, arme‑toi de courage, et face aux ennemis, tiens bon.
Car, il importe, si nous tombons au combat, que nous tombions en vainqueurs et non que nous soyons vaincus.
Mais n'est‑ce pas étrange ? Dans le monde, les gens, s'ils veulent seulement sortir de l'eau de ridicules petits poissons, s'escriment la nuit entière. Alors, tandis qu'ils n'ont pas ici bas d'autre espérance que celle‑ci, leur vie s'achève, sur ce travail épuisant qui, jusqu'au dernier souffle, les aura tourmentés.
Mais nous, malheureux, quelle pitié ne méritons‑nous pas pour notre sombre ignorance ? Car le Christ aussi nous fait vivre d'une espérance immense, lui qui, pour notre rétribution, apprête le centuple du don qui fut nôtre ; qui, pour un seul jour où nous aurons travaillé, nous en acquitteras cent autres. Et tout cela pour qu'éternellement, nous soyons avec lui, pleins d'allégresse et tout réjouis d'une joie sans fin ; pour qu'en enfants légitimes de Notre Toute Sainte, nous demeurions auprès de Sa Mère Très Douce ; pareils aux Saints Anges, revêtus, comme d'un manteau, d'une aveuglante lumière, emplis tous d'une ineffable joie.
Mais parce que nous ne voyons pas -nous dont les sens sont aveugles- les biens invisibles, pour un seul gain visible -pour quelques poissons de rien, ou pour tout autre appât, également éphémère- à cause de cela seulement, nous refusons de prendre patience.
Or si nous étions nés esclaves, ce sont les soufflets et les coups qu'il nous eût chaque jour fallu essuyer. Mais pour être nés libres, nous ne supportons rien pas même une parole amère, échappée aux lèvres tremblantes d'un frère gravement malade.
Allons, insensés au coeur non circoncis ! Une seule petite épreuve et, aussitôt, l'on renonce ! Eh quoi, nous préférons donc une séparation éternelle d'avec le Christ, une union éternelle avec Satan, plutôt que de supporter avec un coeur contrit, l'épreuve d'un seul instant ?
Car qu'est‑ce d'autre, dis‑moi, âme que j'aime malgré toute sa mollesse, qu'est‑ce d'autre que ce discours que tu me tiens sur ta lâcheté ? «Allons, je trouverai bien un moyen d'attenter à ma vie pour finir là mes jours». O suprême aveuglement ! O ténèbres épaisses ! Ah ! Sera‑ce donc te tuer, ou bien plutôt t'unir au diable, éternellement ? Mettras‑tu seulement un terme à ta vie, ou bien descendras-tu pour jamais dans le profond Hadès ? Et ne crains‑tu donc pas le jugement éternel et, pis encore, d'être séparée toujours du très doux Jésus qui est notre vie, lui seul ?
Ah ! vois comme Jésus s'afflige, vois comme est plein d'amertume l'Epoux de nos âmes, quand pour une épreuve de rien, une nouvelle fois, par notre ignorance, nous posons sur sa tête, la couronne d'épines.
A peine, par le saint privilège que nous confère le schème, l'appelons‑nous «Epoux», qu'aussitôt même nous le répudions. N'est‑ce pas là le fiel du reniement, venu se mêler au vinaigre de la funeste impatience ?
Mais prenons garde, mon enfant, qu'en faisant ainsi, nous affligeons beaucoup notre très doux Jésus, pour faire inconsidérément la joie du diable qui met son plaisir au mal.
Ah ! Qui me donnera des larmes, avec un deuil qui jamais ne finira, pour que jour et nuit je pleure sur mes frères, quand ils sont pusillanimes ?
Mon enfant, je prie que tu marches maintenant dans la voie droite, et que tu veilles désormais à ce que ne t'arrive plus semblable épreuve, ni à toi, ni à aucune autre de tes soeurs.
Soyez donc vigilantes, enfants bien-aimées du Christ, car ce sont là des choses qui arrivent à tous. Aussi loin de vous endurcir, gardez à votre gérondissa bénie, une parfaite obéissance, avec un amour sans faille ; et vous verrez qu'au temps de l'épreuve, la grâce de sa prière vous couvrira toutes.
Car où sont l'orgueil et la dureté, là sont aussi les scandales et la désobéissance. Mais où sont l'obéissance et l'humilité, là aussi Dieu a élu le lieu de son repos. Les Saints Pères disent : Avant la chute, l'orgueil, mais avant la grâce l'humilité. Quant à la lâcheté, elle est mère d'impatience. As‑tu vu un homme, as‑tu vu un moine sans la patience ? Il est pareil à une lampe sans huile, dont la clarté, bientôt s'éteindra.
De la lâcheté naît une foule d'avortons : la récrimination, la propriété, la grogne, l'impudicité, le blasphème, le désespoir, et bien d'autres encore. Quant à la dureté et à l'orgueil, ce sont aussi de proches cousins dont jaillit également une multitude de monstres, qui tous concourent à la ruine de l'âme. Mais abolis seulement toutes ces choses ensemble, et tu possèderas la parfaite obéissance et la sainte humilité.
Ah ! Songe, songe, mon enfant, à la bienheureuse obéissance. Que ton unique souci soit d'observer une soumission parfaite. Car maintenant que l'ennemi sait comme tu te laisses aisément vaincre, n'en doute pas, il ira faire trois tours et puis s'en reviendra. Allons, qu'il ne te trouve pas désoeuvrée, pour te prendre par surprise. Non ; tiens‑toi prête. Et quand il viendra, tâche de lui donner à comprendre que tu as, toi, pour te garder de toute part, les prières des tiens et la puissance du Christ.
Apprends encore à ne pas tomber pour si peu. Parce qu'à chacune de tes chutes, s'écroule aussi comme un pan de muraille, du camp retranché de ton âme, frayant à l'ennemi un accès plus facile, par où à la fin il investira la place entière et mènera son vaincu tout‑à‑fait prisonnier.
Mon enfant, te rappelles‑tu ce que je t'écrivais, quand tu t'en allais pour le monastère ? «Ces choses, te disais‑je alors, que tu m'écris maintenant, je veux, enfant bien-aimée, te les entendre dire encore dans quatre à cinq ans d'ici ; et que tout comme tu vois aujourd'hui tes soeurs, de ce même regard tu puisses les voir alors». Oui, mon enfant, si tu as entre les mains ces premières lettres que je t'écrivais, tu y retrouveras ces choses.
Je te le dis donc aujourd'hui : Sois vigilante. Sois vigilante parce que ce n'est encore que le début et qu'il se peut même que tu doives encore tout recommencer. Mais si au contraire tu omets maintenant de te faire violence, alors viendra un temps où, quand bien même tu le voudrais, il ne te serait plus donné jamais de pouvoir faire ce qu'aujourd'hui tu auras négligé.
Mets donc aussi ton obole, et la grâce de Dieu, elle, te donnera les mille talents. Jette‑toi à terre ; deviens boue, pour que l'on te piétine. Deviens tel Avakkoum. Fais-toi un coeur brisé et sanglote d'une âme éplorée, et Dieu, dès lors, aura pitié de toi. Mais j'ai beau pleurer pour toi, moi aussi, chaque jour, ce sont tes larmes aussi que le Seigneur demande.
Eveille‑toi donc, et chasse au loin ta lâcheté. Une fois pour toutes, jette‑bas l'ennemi, et apprends à le vaincre par la force du Seigneur. La victoire, mon enfant, c'est la patience ; la victoire, c'est l'humilité ; la victoire, c'est l'obéissance...
Et sache encore ceci : depuis tant d'années qu'avec toute sa science le Malin s'acharne à combattre les athlètes, lorsqu'après avoir fait feu de tous ses artifices contre leur bravoure, il ne peut pour autant parvenir à les vaincre, alors il peut encore dans sa rage impuissante leur susciter des maladies qui ne finissent hélas qu'avec leur mort. Et le corps bien souvent leur fait mal tout entier jusqu'à ce que leur être ne soit plus qu'une plaie, leur vie un râle continuel, où gémit leur douleur. Mais ces valeureux martyrs savent bien dès lors, que le temps de leur fin est proche, et avec elle celui du repos bienheureux.

Ah, soeurs bien‑aimées, pourrai‑je assez vous dire
combien se plaît notre Toute Sainte
à la modestie comme à la pureté ?

Tout ce que tu évoques là, mon enfant, nous ne connaissons que trop déjà, pour nous y être souvent heurtés, nous aussi, une fois, deux fois, et plus souvent même. Et sur ces altérations que tu subis aujourd'hui, nous avons même écrit un tout petit traité, pour le cas justement où quelqu'un dût à son tour les souffrir, de crainte que lui aussi, après toi, ne devînt la proie facile du découragement. Ne crois pas cependant que tu puisses rester ainsi à paresser encore, comme tu l'as fait jusqu'à présent. Non : il faut maintenant te faire violence, il te faut lutter, usant pour cela d'une grande humilité et d'une parfaite obéissance. Allons, ne reste pas là, figée, immobile. Mais, bien plutôt, crie : Jésou mou ! (mon Jésus !) Panaghia mou ! (Ma toute sainte !) Ah ! Ne sois donc pas si indolente. Ferme ta porte aux pensées. Et surtout, à pleine voix, appelle ton Christ.
Avant que le Malin n'ait eu le temps dans ton esprit de former une pensée, toi, forte de la prière, brise-le tout net.
Ne le laisse pas t'envahir, insidieusement.
Mais, que tu laisses en toi quelques vestiges à peine de pensées impures -traces de ce qu'au‑dedans de toi l'ennemi aura semé- alors, l'espace d'un instant, il t'aura enfoncée, enfouie en elles comme au plus profond de la terre. Et quelles luttes alors pour t'en purifier ! C'est pourquoi il faut te faire violence. Oui, il faut pour cela peiner et souffrir. Car il n'y a rien là, vois‑tu, d'une partie de plaisir. Ton coeur saignera, il dégouttera de sang. Jusqu'à la lie tu boiras le calice, de fiel et d'amertume. Mais c'est alors que pour ton salaire, tu recevras la liberté ; c'est alors que tu goûteras la douceur.
Et ne crois pas que ce soit là combat négligeable. Comme une folle plutôt il te faudra crier : Jésus ! Mon Jésus ! Sauve‑moi !... Mère de Dieu Toute Sainte, secours‑moi ! Que telle la navette, ta langue aille et vienne, disant et redisant : «Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi !» Et quand tu te seras beaucoup fatiguée à crier, alors te viendra la prière de supplication, comme jamais encore tu ne l'auras goûtée... Mais si, comme à présent tu tardes, si tu es négligente, alors pour te guérir, l'éternité même ne suffirait pas.
Ce n'est pas l'homme assis dans sa maison qui peut voyager et faire route vers la ville ; ni le moine négligent qui, tout en ne priant pas, devient digne à lui seul de la Jérusalem d'en‑haut.
C'est pourquoi, relève‑toi. Mets ton obole, et à ta suite la divine grâce aussi mettra pour toi ses mille talents. Montre seulement ta bonne disposition. Détourne ta face loin de l'ennemi. Que laisses‑tu davantage le démon souiller ton âme ?
Où donc est l'humilité, lorsque tu dis et vois que tous envers toi sont coupables et que toi seule es bonne? Non : L'humilité, c'est de voir tomber sa soeur et, sur le champ, avant même qu'elle ait eu, elle, le temps de demander pardon, lui faire une métanie, et lui dire : «Pardonne-moi ma soeur, et bénis-moi !»
Et que cela ne te paraisse pas non plus exigeant ni difficile. Ce n'est rien encore en regard de ce que le Christ notre Maître a bien voulu, Lui, faire pour nous. Devant les Anges il s'est abaissé, s'inclinant comme en une métanie depuis les cieux jusqu'à la terre, «et il a incliné les cieux, et il est descendu». Lui, le Dieu, parmi les hommes ! Et toi, tu mets le monde sens dessus dessous pour n'avoir pas à dire un simple : «Bénis, ma soeur !» Allons, dis‑moi : l'humilité, où donc est‑elle ?
En vérité, lorsque tu te seras humiliée, tous te paraîtront saints. Tandis que lorsque tu t'en fais accroire, tous t'apparaissent revêches et méchants.
Quoi de plus puant que l'orgueil, quoi de plus infect que les démons immondes ? Et tu tolères néammoins qu'ils viennent te salir, te souiller, t'infecter ? Si aisément tu les laisses forcer ta maison pour en abattre les murs ? Mais enfin, voyons ensuite s'ils en ressortiront ! Si aisément tu accueilles les pensées honteuses et impures ! Mais voyons ensuite si tu te purifieras !
Dieu ne hait rien tant que l'impureté du corps, qui transgresse pour le seul plaisir. Et celui qui avec les pensées impures commet l'adultère, celui‑là tout entier pue comme un chien crevé.
Mais celui qui lutte au contraire, gardant son corps pur, et un esprit vierge de la souillure infecte des pensées impures, celui‑là, comme un encens d'agréable odeur, voit monter aux cieux sa vie et sa prière.
Ce que je vous dit à présent, c'est l'expérience qui me l'a fait connaître : il n'est pas de sacrifice qui fût devant Dieu en odeur plus agréable, que cette pureté du corps, qui s'acquiert au prix du sang et d'une lutte sans merci.
De cette pureté bienheureuse, j'aurais tant à vous dire ! Elle dont j'ai goûtée, dont j'ai mangé le fruit ! Mais à cette heure encore, ni tes soeurs, ni toi, ne pourriez en soutenir, fût‑ce le récit.
Je ne vous dirai que cette seule chose : du vêtement de ces êtres-là, lorsqu'ils en changent -encore n'en changent-ils que tous les trois ou six mois- de leur habit, comme d'un coffret qu'emplit une myrrhe rafraîchissante, émane ce même parfum suave, qui bientôt embaume par toute la maison.
Dieu fait connaître cette pureté bienheureuse, cette virginité très sainte de ses vases d'élection.
Faites-vous donc violence, purifiant vos âmes et vos corps. Jamais en aucune façon n'accueillez les pensées impures. Et vous verrez ces merveilles que je vous dis. Alors, vous aurez foi en mes paroles. Et il en va de même pour tout ce que je vous ai écrit jusqu'à ce jour. Faites‑en l'épreuve, goûtant vous aussi ces choses, et vous trouverez que ce que je vous dis de la praxis n'est que la vérité même, et vérité d'expérience.
Là où sont les luttes, l'obéissance et l'humilité, jamais les démons ne prévalent, jamais ils n'ont pouvoir d'enchaîner ni d'emmener l'homme captif. Mais la dureté au contraire, l'orgueil et la désobéissance engendrent l'acédie avec la négligence, par où surgissent tous les démons qui de l'âme d'un homme font un fumier d'écurie et une porcherie. Et ils ne s'apaisent pas qu'ils ne lui aient d'abord fait rendre compte de l'ancien comme du nouveau péché, et que corps et âme ils ne se le soient asservi.
Faites‑vous donc violence, mon enfant, tes soeurs et toi. Car si vous êtes négligentes, il vous faudra subir les pires maux. Mais si tout au contraire vous vous faites violence, alors vous serez sauvées, éternellement. Vous serez devant Dieu en agréable odeur, comme un encens suave, comme une myrrhe de grand prix. Alors en vérité vous serez devenues ce sacrifice raisonnable, qui en tout point est agréable à Dieu.
Ah, soeur bien‑aimées, pourrai‑je assez vous dire combien se plaît notre Toute Sainte à la modestie comme à la pureté ? Et parce qu'elle est la Vierge Toute Pure, elle seule et unique, tous également elle nous voudrait purs, à cause de l'immense amour qu'elle a pour nous.
Et vois : à peine finissons-nous de l'appeler, qu'elle, déjà, se hâte à notre secours. «Toute Sainte Mère de Dieu, secours‑moi !» Ton balbutiement encore inachevé, la voici, comme l'éclair ! Et aussitôt, elle t'illumine l'esprit, tandis que ton coeur s'emplit d'une douce clarté. La Toute Sainte est venue, et voici qu'à la prière elle incline ton esprit, et ton coeur à l'Amour.
Alors en de tels instant, souvent il arrive que l'être, tout entier porté par Elle jusqu'aux lueurs de l'aube, mêle à la mélodie des hymnes, sanglots et gémissements, tant son coeur se fond à chanter ainsi la Mère de Dieu Très Pure.
Faites‑vous donc violence, bien‑aimées, chérissez le silence, priez, demeurez à l'obéissance, humiliez‑vous, et vous trouverez tous les biens. Vous avez pour exemple la gérondissa bénie, qui déjà exhale l'odeur suave du Christ. Gardez‑vous donc de l'affliger, ou de la contredire. Persévérez dans le silence, comme dans la prière, et laissez‑là, elle, toute à son hésychia. Car c'est quand elle sera morte, et que vous l'aurez perdue, quand vous resterez là comme des corneilles endeuillées, perdues, seules dans la plaine, c'est alors que vous apparaîtra clairement sa dignité d'antan ! Mais alors pour ce qui est de vous, ce sera trop tard.
Aussi, je t'en supplie encore, petite enfant de mon âme fais‑toi violence, et sans perdre de temps. Qu'il ne te suffise pas de me voir, fatigué, t'écrire ces lettres. Non. Mais éveille‑toi. Foule aux pieds tes ennemis. Deviens boue, boue que l'on piétine. Persévère dans l'obéissance. Et ton âme vivra éternellement.

En nous tous, mon enfant se produisent ces altérations

C'est aujourd'hui, mon enfant, après si longtemps que je reçois ta lettre !
Ah ! Que n'as‑tu vu mon angoisse passée ! Car comprenant à ta dernière lettre que tu n'allais pas bien, je t'en avais un peu blâmée. Mais si tu avais su depuis lors quel chagrin j'en ai eu, quelle peine dans mon pauvre coeur !
Mais voici qu'aujourd'hui je me réjouis, apprenant que tu te remets, que tu commences aussi à redresser un peu ton tout petit esquif pour naviguer enfin vers le port calme et tranquille de l'apatheïa bienheureuse.
Et c'est en vérité, mon enfant, qu'elle est difficile la lutte impitoyable contre les passions ; pourtant avec la grâce de Dieu, sache‑le, l'on vient à bout de toutes. Et l'impossible se fait possible.
En nous tous, mon enfant, se produisent ces altérations. Mais à cette lutte, il faut de la patience, toujours de la patience.
Et n'oublie pas : tous ces désordres anormaux, ce trouble, ce dégoût, cette haine, ces mouvements sauvages des passions, tout cela vient de Satan. Aussi, à tout cela également, il faut opposer une même aversion ; l'opposer avec force, avec douleur, avec désespoir ; l'opposer ausitôt; au tout premier instant ; avant même que les passions n'aient pu s'insinuer en toi, s'y saisir de tes biens et tarir tes eaux, pour affamer et assoiffer ton âme, quand elles l'auront privées de la rosée céleste dont elle se nourrissait.
Car c'est, vois‑tu, lorsqu'on acquiesce aux pensées -semées en nous par le Malin- qu'aussitôt se tarit le flux, que la prière, librement, épanchait.
A présent, regarde : l'autre t'a coupé les vivres ; il a tari tes eaux ; et dans quelques jours à peine il te fera mourir, mourir affamée. Au commencement pourtant, tu eusses pu sans trop de peine résister aux pensées, les refouler même. Mais dans ta négligence, au contraire, tu as relâché ton effort, et prêté l'oreille à leurs paroles fourbes. C'est pourquoi, elles sont entrées, pour te traîner après elles comme leur prisonnière.
Sois donc vigilante, et montre‑toi moins crédule, quand bien même tu t'imagines qu'elles ont dû fuir au loin. Certes, les prières de tes aînées, pour quelques temps les ont chassées ; mais elles persistent, néammoins, à vouloir revenir. La grâce divine, pour laisser un peu l'âme s'enhardir, leur a bien mis un frein, mais, de nouveau, elles vont revenir.
Ainsi donc, en temps de paix, loin d'être négligente, redresse‑toi et prie : c'est ainsi que tu prépareras la guerre. Allons, prends courage ! Et patience ! Et soumets‑toi encore à la parfaite obéissance. De la sorte tu pourras quelque jour t'en délivrer tout‑à‑fait. Mais n'oublie‑pas : ce sera pourtant au prix d'une très dure lutte, et d'une vigilance jamais prise en défaut.
Pour chaque pas en avant que veut faire le moine, il lui faut verser des larmes -bien des larmes- du sang -beaucoup de sang- et passer du temps -tellement de temps. Cependant vient le diable, le vieux mal, qui lui assène à la tête un coup, avec sa barre de fer, si haut, si fort, que si la grâce et la prière des frères ne l'en eussent à temps prévenu, il lui eût fait bien vite retourner sa veste. Après quoi il faut au moine, une nouvelle fois, recommencer au commencement. Une nouvelle fois, voir couler son sang.
C'est pourquoi, mon enfant, il est besoin de patience. Allons, ne te décourage pas. Ne sois donc pas si lâche. Demeure seulement à l'obéissance, et la grâce toujours te couvrira. N'as‑tu pas en outre beaucoup d'âmes avec toi pour te soutenir ?
Et n'oublie‑pas : chacun des pas que tu fais vers l'ultime réjouissance, pour moi aussi est réjouissance, allègement subit. Car ton élévation fait s'élever mon âme.
La grâce, tu le vois est à présent revenue. Sois vigilante pourtant, car de nouveau bientôt elle s'enfuiera. Alors, si une nouvelle fois elle t'échappe, toi, garde courage, prends patience, demeure à la parfaite obéissance, et de nouveau elle reviendra. Je te disais qu'elle reviendrait à Noël. Vois, elle est revenue, mais, pour n'avoir pas trouvé en toi une garde vigilante, elle n'est pas restée. Et maintenant qu'elle est revenue, elle s'en ira encore pour te purifier encore de toutes tes passions. Et il en sera ainsi, tant que tu ne seras pas devenue comme te veut le Seigneur, pour que sa grâce divine pût reposer en toi. Aussi fais‑toi violence à l'heure du combat. Et ne sois pas si molle. Ne laisse plus le temps s'envoler de la sorte. Car ce temps que chaque jour, au hasard et en vain tu gaspilles, jamais plus tu ne le retrouveras. Or c'est de tous les jours, de toutes les heures, et de tous les instants de ta vie que tu auras à rendre compte. Ce n'est pas à seule fin de courir que l'homme doit parcourir la carrière de sa vie, mais dans le stade aussi il lui faut mesurer à l'empan les coudées de sa course. Toi donc, ne reste plus à la traîne, ne demeure pas en arrière avec ta négligence.
Et sache encore cela : Si tu en viens quelque jour à possèder l'amour du Christ et de la Mère de Dieu, sans nul surcroît de peine, tu auras par là‑même atteint à la vigilance, et à la contemplation. Car si toutes les autres vertus sont bonnes, elles aussi, quand elles viennent en leur temps, l'amour de Dieu pourtant est encore au‑dessous d'elles.
Et l'amour de Dieu, voici à quoi tu le reconnaîtras : lorsque tu étreindras l'icône comme si elle eût été vivante, lorsqu'en versant des larmes brûlantes tu la couvriras de baisers, lorsque tu crieras : «Manoula mou ! (ma petite maman), ma Toute Sainte, sauve‑moi qui suis perdue, si seulement tu songes à m'abandonner ! Mon Dieu, Seigneur ! Par l'intercession de tous tes saints et de Ta Mère Toute Pure, aie pitié de moi !» Et lorsqu'à dire ces mots tu sentiras en toi un très grand amour, qu'ardemment tu désireras tenir entre tes bras l'icône, ce sera le signe alors, qu'elle t'aura rendu ton baiser. Pour moi, il peut me suffire de n'embrasser qu'une seule fois l'icône de la Mère de Dieu pour m'en séparer ensuite. Mais lorsque je m'en approche, comme un aimant, elle m'attire à elle. Et j'ai grand besoin alors d'être seul. Car à l'embrasser, je passe de longues heures. Et mon âme ensuite est toute emplie comme d'un souffle vivant, tandis que m'inonde la grâce qui ne me laisse plus partir. T'est‑il déjà arrivé d'entrer dans une église dont une icône fût miraculeuse ? L'Amour alors, le désir de Dieu, tels une flamme de feu, dès le seuil te saisissent, tandis que s'exhale alentour un souffle si suave que des heures durant, hors de ton corps tu demeures en extase, enivré, là, à cet embaumant parfum de fleur de Paradis. Oui, c'est une grâce pareille qu'octroie Notre Mère de Dieu Toute Sainte à ceux qui par amour pour elle, ont gardé leurs corps pur.
Car j'ai compris quelque jour combien notre Toute Sainte chérissait la pureté. C'est pourquoi aussi, avant toute autre passion, ce fut contre la chair d'abord que je m'acharnais à combattre. Et le Seigneur me fit don de la pureté, à tel point maintenant que je ne fais plus même la différence entre un homme ou une femme. Mais jamais plus désormais la passion de la chair ne vient me troubler. Avec ce don du Christ, comme un sixième sens, j'ai reçu la pureté.
Or si je vous écris cela, mon enfant, à tes soeurs et à toi, c'est qu'à mon imitation vous vous fissiez violence. Sans quoi, mes enfants, jamais je ne vous eusse fait part de mon état spirituel. Je n'ai pas voulu m'attirer non plus aucune louange de vous. Seulement, comme votre frère en Christ, frère si proche à tant d'égards -vous gardant toujours enfouis avec moi dans mon coeur, autant que je le puis, je brûle de vous venir en aide. Que chacune donc, fasse l'expérience de cette vérité que je vous disais. Et si vous vous faites violence, vous connaîtrez quel amour a pour nous la Mère de Dieu Toute Sainte.
Mais écoutez encore : Un soir que j'embrassais son icône, je me sentis gagner par un léger sommeil. Je m'assis dans une stalle et m'assoupis un peu. Alors une grâce, un parfum indicibles émanés de l'icône soudain envahirent mon corps.
Et je vis l'enfant céleste caresser mon visage, tandis que comme s'il eût été vivant, j'embrassais, moi, son petit bras potelé. Or ne crois pas que tout cela fût un rêve. Non, c'était là, comme la perception fugitive d'une autre vie trop étrangère encore, d'une vie inconnue et que n'ont pu goûter ceux qui n'ont pas reçu mystérieusement connaissance.

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