lundi 22 mars 2010
Témoignage sur le Saint Starets Ambroise de Paris
LECTEUR SEBASTIEN
TEMOIGNAGE SUR PERE AMBROISE
«Sous la barbe de mon Papouli»
aissez-moi, en préambule, vous poser cette question : «Qu'est-ce qu'un homme peut véritablement gagner un homme à se gorger de science ? de richesses ? A passer son temps en compagnie d’amis ? Ou bien dans l’étroit cercle de sa femme et de ses enfants ?» Bien des choses sans doute, mais qui, lorsqu'elles sont cueillies en dehors de l'amour du Christ, restent toujours éphémères.
Que dit plutôt le psalmiste en son psaume 133 : «O qu'il est agréable et qu'il est doux pour des frères de demeurer ensemble. C'est comme l'huile précieuse qui, répandue sur la tête, descend sur la barbe, la barbe d'Aaron». Pourquoi rappeler le psaume ? C’est ce que nous verrons.
Bien des hommes aujourd’hui échangent les récits de ce qu’ils ont pour leur part découvert en ce bas-monde, et moi, je veux vous dire comment j'ai trouvé ce que d'autres ont poursuivi en vain : un peu de paix sur cette terre, sur cette vallée de larmes. De quelle façon ? En trouvant l'Eglise du Christ et la Foi orthodoxe, en apprenant comment droitement la confesser. Et où donc ? Au risque de surprendre le lecteur sceptique, je répondrai : «Sous la barbe de notre Papouli». Et comme je ne cherchais ni un gourou, ni un maître, j'ai trouvé ce père dans l'Esprit-Saint que mon coeur recherchait. Voilà pourquoi ce fut là que mon âme se réjouit, là que je réfugiai, car l’on y était vraiment consolé. Le coeur et le sentimentalisme sont deux choses différentes. Aussi, sous la barbe de mon Papouli, je puis paraphraser le psaume et dire «qu'il y faisait bon». Tout comme l'Apôtre Jean, le bien-aimé du Seigneur à se pencher sur la poitrine du Christ, y trouva les trésors de la connaissance, de même, à me reposer sous la barbe de mon Papouli, je sentais y demeurer la force de l'amour du Christ. Aussi mon âme s’est-elle réjouie, car c'est là que j'ai reçu la Foi vivante : l'Orthodoxie. J'avais alors vingt trois ans. Nous étions en 1989.
Voici qu'il fut pour moi, pauvre pécheur, un père, une mère, un frère, un ami, un médecin pour mon âme. Il était tout cela, et bien plus encore : le serviteur du Christ, le saint prêtre du Seigneur. La première fois que mon âme très angoissée s'est jetée dans ses bras, ce fut lors d'un Noël. Je lui dit alors : «Je désespère, je doute, je ne sais plus où réside la vérité». O combien sa réponse me pacifia alors et m'éclaira. Il me répondit : «Mon enfant, lorsque tu ne vois plus le soleil parce qu'un gros nuage noir le cache, doutes-tu de l'existence du soleil ?» Je répondis : «Non». «Alors, reprit-il, ne doute pas de l'existence du soleil de justice qui est là et qui va t'éclairer». Ainsi, par le vent puissant de sa prière, les gros nuages noirs du doute s'éloignèrent durablement et le soleil de justice commenca à éclairer ma vie. Jusqu'à ce jour, d'ailleurs, je n'ai jamais revu ces gros nuages du doute que le soleil de justice a fait s'évanouir. C'est la lumière de Jésus-Christ qui m'éclaire et je dois cet état aux prières de son serviteur, notre Papouli. Je garde donc un souvenir particulier de ce jour-là, fête de la Nativité du Christ, qui devait marquer le jour de ma nouvelle vie.
Quelques années plus tard, ce sera aussi lors des solennités de Noël que mes yeux verront Papouli vivant ici-bas une dernière fois. Mais j'anticipe trop largement. Donc, après cet entretien, tenu par son amour et sa prière, convaincu d'avoir trouvé la Maison unique du Seigneur Jésus, je me préparai au baptême qui me fut conféré lors de la Pentecôte. Devenu enfant de l'Eglise, j'aimais Papouli encore et beaucoup plus fort, tant je ressentais combien il portait ses enfants dans son coeur. Une nouvelle anecdote illustre très bien son amour paternel. Un jour, à cause de son état, on dut l’hospitaliser, et une infirmière le prit en sympathie. Lors d'un de ses services, elle lui demanda s'il était seul, ou s'il avait des enfants et des petits-enfants. Il répondit : «Bien sûr, j'en ai déjà trente-trois !» Et, elle, toute interloquée, de répondre : «Trente trois ? Mais, c'est impossible ! - Si, bien sûr, répondit notre Papouli avec humour, en ce moment j'en porte sept». Et, disant cela, il portait la main sur son ventre. Il parlait, bien sûr, des futurs baptisés de cette année-là. Et, pour conclure, il ajouta : «Je les enfante dans le Christ». C'est lui-même qui me raconta cette histoire avec son humour habituel. Et d'ajouter : «Tu l'aurais vue, elle m'a sûrement pris pour un vieux fou !»
Je me souviens de ces jours d'un «autrefois» peu éloigné où chacun d'entre nous, à peine entré dans l'église, après avoir vénéré les icônes, s'empressait d'aller prendre sa bénédiction dans le modeste coin de l'église où, depuis sa maladie, il se tenait toujours assis. Moi-même, à peine entré, je jetais toujours un regard pour voir s'il n'était pas plus malade, car sa santé déclinait peu à peu et, selon son état, mon âme s'attristait ou se réjouissait. Toujours assis à la même place, lui aussi nous attendait pour prendre de nos nouvelles. Il était vraiment un grand médecin de l'âme, un modèle de douceur. Et, dans sa bénédiction, se trouvait la consolation, comme se trouvaient dans ses paroles le miel et le sel. Il ne nous laissait jamais aller sans quelques paroles «bonnes pour notre âme», comme disent les Pères. Un jour que je le retrouvais là où il se tenait toujours, il me demanda : «Alors, comment vas-tu mon petit poney ?» Franchement, je ne savais pas quoi répondre. Oui ou non ? Dire non, aurait été faux, mais le contraire n'aurait pas vraiment été juste. Mais lui qui voyait les coeurs me donna, de suite, de la lumière. Il me dit : «Regarde-moi». Car je tenais la tête baissée. Puis il sourit et dit : «Je vois un oeil triste à cause du monde, et un oeil joyeux à cause du Christ». Puis il m'embrassa et me serra dans ses bras en ajoutant : «Je voulais te dire quelque chose. Une remarque pour les lectures [c'était alors le Carême et l'on y faisait plusieurs lectures inconnues des «temps habituels» : grandes complies, etc.] Ah, je perds la mémoire, je deviens vieux [souvent, il disait cela]. Ah, cela me revient. Oui... les lectures... rassure-toi ; ce n'est point ta faute, aussi je n'ai pas à te gronder. Ce que je veux souligner, c'est à propros de la prière : «Roi du Ciel, Consolateur...», il ne faut plus dire «Toi qui es bonté», mais «Toi qui es bon», car le mot bonté est ici trop faible. C'est comme si on rajoutait quelque chose à Dieu. Dieu avec la bonté, cela reste trop extérieur. Dieu est bon. Il est bon par nature. Il est la bonté même. Il est plus que bon. On peut dire d'un homme qu'il est d'une grande bonté, mais de Dieu, cela est faux. La bonté de Dieu, c'est Son Christ, c'est Son Verbe. C'est pourquoi, il faut dire «Toi qui es bon» et non «bonté». C'est la même chose pour le psaume 104 dont j'ai dû corriger les anciennes épreuves en revoyant les sources : «Que Tes oeuvres, Seigneur, sont grandes, Tu les a toutes faites avec sagesse». Mauvaise traduction. «Tu as tout créé par Ta Sagesse» est plus juste. Par Son Verbe, Il a créé le monde. La Sagesse de Dieu, la Bonté de Dieu, c'est le Christ. Où est la bonté de Dieu ? Dans le Christ. De même que la vérité, la miséricorde, tout est dans le Christ. C'est pourquoi, en Lui, nous possédons la vie, la vie en Dieu, la vie éternelle. D'ailleurs on dit «le bon Dieu», bien que je n'aime pas beaucoup cette expression. C'est comme les Marseillais : ils ont prié la «bonne Mère», et ils ont perdu ; les Russes avaient l'icône sur le terrain, et ils ont gagné. Le Dieu bon, le Dieu bon et ami de l'homme... sache, mon petit, que le langage humain est toujours loin, très éloigné de pouvoir parler des choses divines ; aussi il faut toujours tenter d'être le plus précis, le plus juste possible. C'est pourquoi il faut que ce soit Dieu qui nous parle, pour que nous puissions parler de Lui». Notre entretien se termina là, car le temps de l'office était venu. Véritable théologien était notre Papouli à la barbe blanche, «grand-père» et «père Noël» pour les enfants.
Un jour, je lui dis tout de go : «Pourquoi est-ce que je t'aime si fort, mon Papouli ?» Il sourit et je sentis une grande joie dans son coeur, puis il me répondit : «Nous sommes comme des rayons d'une roue du soleil, dont le centre est le Christ. Plus nous nous rapprochons du centre, plus nous sommes près les uns des autres jusqu'à pénétrer dans le centre et être unis à Lui et les uns aux autres. C'est en aimant Dieu que l'on aime son prochain et que l'on s'en rapproche. C'est dans l'amour pour Dieu et pour son prochain qu'on se rapproche du centre». Je le vis comme pris d'angoisse et saisi d'une grande et profonde tristesse avant qu'il ne continue en précisant : «Vois combien ceux qui n'aiment pas le Christ sont loin, combien sont loin les hérétiques qui n'avancent pas vers la Vérité, encore plus loin ceux qui Le persécutent, ceux qui haïssent l'Eglise. Plus les hommes sont éloignés du centre, plus ils sont éloignés les uns des autres. Ils sont seuls dans le noir, loin du Soleil qui, par ses rayons, disperse les ténèbres». Je crois bien que, ce jour-là, je pris conscience que l'homme peut se rendre lui-même dans l'enfer en s'opposant à l'amour du Christ.
Je reviens donc à cette dernière Nativité qu'il passa parmi nous, comme je l'ai dit plus haut. Lors d'autres solennités semblables, Papouli nous avait dit que là se trouvait le plus grand des miracles du Christ, plus grand que la Création, plus grand que Sa Résurrection. «Oui -disait-il, le plus grand des miracles, c'est que le Dieu qui remplit tout s'est fait petit enfant dans le sein de sa Très sainte Mère et nous est né. Dieu s'est fait homme. Le Tout-Puissant se fait petit enfant ! Voilà le plus grand des miracles !». Ce jour-là Papouli avait quitté le choeur et était rentré dans le sanctuaire pendant la liturgie tant il se sentait mal. Il s'était assis. Son visage s'était défait. Père Patric, après avoir communié, s'en inquiéta. Et, peu de temps avant l'homélie, Papouli lui dit : «Je n'en peux plus». A mes yeux, il se trouvait dans un état qui me faisait penser à celui du Christ dans le Jardin des Oliviers pendant son agonie, au moment où il disait : «Père, que cette coupe s'éloigne de moi, mais non pas comme je veux, mais comme tu veux». Des gouttes de sueur tombaient de son front et des larmes coulaient de ses yeux. Je dis et décris ce que j'ai vu. Aussi mon coeur se serra tant mon Papouli me faisait de la peine. J'avais envie de l'embrasser et de pleurer, mais il était revêtu de ses ornements sacerdotaux, je n'osais pas. Je pensais prendre alors sa bénédiction, mais nous venions de communier. Alors il me dit : «Non, ne fais pas cela. Nous venons de prendre la communion. Ordinairement, embrasser la main du prêtre, prendre la bénédiction, c'est recevoir la grâce. Mais maintenant tu viens de recevoir la plus grande des grâces, la grâce des grâces. A ce point là, il n'y a plus rien. Nous sommes tous égaux. Le Corps du Christ est en toi comme il est en moi, et le Sang du Christ est en moi comme il est en toi. Nous sommes frères. Le Christ est en tous. Où est le prêtre ? Où est le fidèle ? Nulle importance. Le Christ est en nous, voilà ce qui importe». Après, il prit son bâton et sortit et fit un sermon d'une force dont chacun se souvient. Je pense que ce sermon réveilla, dans bien des coeurs, l'amour de Dieu qui souvent y dort du sommeil plombé de la mort. Les dernières paroles de notre grand et saint Papouli dans l'église paroissiale de Paris représentent toute sa vie : «Christ est né» et les fidèles répondirent : «En vérité, il est né», scellant ainsi son témoignage. Or, le Seigneur dit dans son Evangile : «Celui qui me confessera devant les hommes, Je le confesserai aussi devant Mon Père».
Mon père spirituel n'était en aucune façon semblable à ces hommes qui asservissent les âmes pour étancher leur soif de domination. Son humilité se voit à la réponse qu'il me fit lorsqu'un jour je lui fis cette demande : «Papouli, le jour où tu partiras, tu me prépareras une petite place avec toi». Et je pensais «sous ta barbe». Il me répondit gravement : «Je ne sais où je serais», si grande était la crainte du Jugement qui l'animait. Il disait souvent : «Heureux qui a un parent dans Jérusalem», mais lui-même se jugeait pécheur et ne pensait pas trouver grâce devant Dieu.
Aujourd'hui, nous avons tous, avec lui, un parent dans la haute Jérusalem qu'est le Royaume céleste. Nous savons tous que Papouli possédait l'amour du Christ plus fort que la mort. Et c'est cet amour que j'ai pris pour passeport. Le jour du Jugement, j'irai me cacher sous la barbe de mon Papouli, disant comme les disciples des Anciens : «Par les prières de mon père spirituel, Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi».
Vous comprenez maintenant pourquoi je me référais au psaume 104 dont la suite couronne le témoignage que je donne en toute reconnaissance à celui qui m'a enseigné et m'a conduit au Christ : «C'est comme l'huile précieuse qui, répandue sur la tête, descend sur la barbe, la barbe d'Aaron, qui descend sur le bord de ses vêtements. C'est comme la rosée de l'Hermon qui descend sur les montagnes de Sion, car c'est là que le Seigneur envoie la bénédiction et la vie pour toujours».
A ceux qui ne sont pas au Christ, ce témoignage apparaîtra comme le simple fruit d'un coeur peiné d’une perte humaine cruellement ressentie. L'essentiel leur demeurera caché et toutes leurs diverses interprétations, nées de l'homme psychique, seront vaines. Pour ceux qui sont au Christ, il aura ce goût de la vérité qui ne se peut parfaitement décrire, et ils le reconnaîtront, l’ayant déjà goûté.
Pardonnez-moi, frères et soeurs, et priez pour l'indigne serviteur du Christ, l'enfant de Père Ambroise, le moindre d’entre les chrétiens orthodoxes,
Sébastien, lecteur.
TEMOIGNAGE SUR PERE AMBROISE
«Sous la barbe de mon Papouli»
aissez-moi, en préambule, vous poser cette question : «Qu'est-ce qu'un homme peut véritablement gagner un homme à se gorger de science ? de richesses ? A passer son temps en compagnie d’amis ? Ou bien dans l’étroit cercle de sa femme et de ses enfants ?» Bien des choses sans doute, mais qui, lorsqu'elles sont cueillies en dehors de l'amour du Christ, restent toujours éphémères.
Que dit plutôt le psalmiste en son psaume 133 : «O qu'il est agréable et qu'il est doux pour des frères de demeurer ensemble. C'est comme l'huile précieuse qui, répandue sur la tête, descend sur la barbe, la barbe d'Aaron». Pourquoi rappeler le psaume ? C’est ce que nous verrons.
Bien des hommes aujourd’hui échangent les récits de ce qu’ils ont pour leur part découvert en ce bas-monde, et moi, je veux vous dire comment j'ai trouvé ce que d'autres ont poursuivi en vain : un peu de paix sur cette terre, sur cette vallée de larmes. De quelle façon ? En trouvant l'Eglise du Christ et la Foi orthodoxe, en apprenant comment droitement la confesser. Et où donc ? Au risque de surprendre le lecteur sceptique, je répondrai : «Sous la barbe de notre Papouli». Et comme je ne cherchais ni un gourou, ni un maître, j'ai trouvé ce père dans l'Esprit-Saint que mon coeur recherchait. Voilà pourquoi ce fut là que mon âme se réjouit, là que je réfugiai, car l’on y était vraiment consolé. Le coeur et le sentimentalisme sont deux choses différentes. Aussi, sous la barbe de mon Papouli, je puis paraphraser le psaume et dire «qu'il y faisait bon». Tout comme l'Apôtre Jean, le bien-aimé du Seigneur à se pencher sur la poitrine du Christ, y trouva les trésors de la connaissance, de même, à me reposer sous la barbe de mon Papouli, je sentais y demeurer la force de l'amour du Christ. Aussi mon âme s’est-elle réjouie, car c'est là que j'ai reçu la Foi vivante : l'Orthodoxie. J'avais alors vingt trois ans. Nous étions en 1989.
Voici qu'il fut pour moi, pauvre pécheur, un père, une mère, un frère, un ami, un médecin pour mon âme. Il était tout cela, et bien plus encore : le serviteur du Christ, le saint prêtre du Seigneur. La première fois que mon âme très angoissée s'est jetée dans ses bras, ce fut lors d'un Noël. Je lui dit alors : «Je désespère, je doute, je ne sais plus où réside la vérité». O combien sa réponse me pacifia alors et m'éclaira. Il me répondit : «Mon enfant, lorsque tu ne vois plus le soleil parce qu'un gros nuage noir le cache, doutes-tu de l'existence du soleil ?» Je répondis : «Non». «Alors, reprit-il, ne doute pas de l'existence du soleil de justice qui est là et qui va t'éclairer». Ainsi, par le vent puissant de sa prière, les gros nuages noirs du doute s'éloignèrent durablement et le soleil de justice commenca à éclairer ma vie. Jusqu'à ce jour, d'ailleurs, je n'ai jamais revu ces gros nuages du doute que le soleil de justice a fait s'évanouir. C'est la lumière de Jésus-Christ qui m'éclaire et je dois cet état aux prières de son serviteur, notre Papouli. Je garde donc un souvenir particulier de ce jour-là, fête de la Nativité du Christ, qui devait marquer le jour de ma nouvelle vie.
Quelques années plus tard, ce sera aussi lors des solennités de Noël que mes yeux verront Papouli vivant ici-bas une dernière fois. Mais j'anticipe trop largement. Donc, après cet entretien, tenu par son amour et sa prière, convaincu d'avoir trouvé la Maison unique du Seigneur Jésus, je me préparai au baptême qui me fut conféré lors de la Pentecôte. Devenu enfant de l'Eglise, j'aimais Papouli encore et beaucoup plus fort, tant je ressentais combien il portait ses enfants dans son coeur. Une nouvelle anecdote illustre très bien son amour paternel. Un jour, à cause de son état, on dut l’hospitaliser, et une infirmière le prit en sympathie. Lors d'un de ses services, elle lui demanda s'il était seul, ou s'il avait des enfants et des petits-enfants. Il répondit : «Bien sûr, j'en ai déjà trente-trois !» Et, elle, toute interloquée, de répondre : «Trente trois ? Mais, c'est impossible ! - Si, bien sûr, répondit notre Papouli avec humour, en ce moment j'en porte sept». Et, disant cela, il portait la main sur son ventre. Il parlait, bien sûr, des futurs baptisés de cette année-là. Et, pour conclure, il ajouta : «Je les enfante dans le Christ». C'est lui-même qui me raconta cette histoire avec son humour habituel. Et d'ajouter : «Tu l'aurais vue, elle m'a sûrement pris pour un vieux fou !»
Je me souviens de ces jours d'un «autrefois» peu éloigné où chacun d'entre nous, à peine entré dans l'église, après avoir vénéré les icônes, s'empressait d'aller prendre sa bénédiction dans le modeste coin de l'église où, depuis sa maladie, il se tenait toujours assis. Moi-même, à peine entré, je jetais toujours un regard pour voir s'il n'était pas plus malade, car sa santé déclinait peu à peu et, selon son état, mon âme s'attristait ou se réjouissait. Toujours assis à la même place, lui aussi nous attendait pour prendre de nos nouvelles. Il était vraiment un grand médecin de l'âme, un modèle de douceur. Et, dans sa bénédiction, se trouvait la consolation, comme se trouvaient dans ses paroles le miel et le sel. Il ne nous laissait jamais aller sans quelques paroles «bonnes pour notre âme», comme disent les Pères. Un jour que je le retrouvais là où il se tenait toujours, il me demanda : «Alors, comment vas-tu mon petit poney ?» Franchement, je ne savais pas quoi répondre. Oui ou non ? Dire non, aurait été faux, mais le contraire n'aurait pas vraiment été juste. Mais lui qui voyait les coeurs me donna, de suite, de la lumière. Il me dit : «Regarde-moi». Car je tenais la tête baissée. Puis il sourit et dit : «Je vois un oeil triste à cause du monde, et un oeil joyeux à cause du Christ». Puis il m'embrassa et me serra dans ses bras en ajoutant : «Je voulais te dire quelque chose. Une remarque pour les lectures [c'était alors le Carême et l'on y faisait plusieurs lectures inconnues des «temps habituels» : grandes complies, etc.] Ah, je perds la mémoire, je deviens vieux [souvent, il disait cela]. Ah, cela me revient. Oui... les lectures... rassure-toi ; ce n'est point ta faute, aussi je n'ai pas à te gronder. Ce que je veux souligner, c'est à propros de la prière : «Roi du Ciel, Consolateur...», il ne faut plus dire «Toi qui es bonté», mais «Toi qui es bon», car le mot bonté est ici trop faible. C'est comme si on rajoutait quelque chose à Dieu. Dieu avec la bonté, cela reste trop extérieur. Dieu est bon. Il est bon par nature. Il est la bonté même. Il est plus que bon. On peut dire d'un homme qu'il est d'une grande bonté, mais de Dieu, cela est faux. La bonté de Dieu, c'est Son Christ, c'est Son Verbe. C'est pourquoi, il faut dire «Toi qui es bon» et non «bonté». C'est la même chose pour le psaume 104 dont j'ai dû corriger les anciennes épreuves en revoyant les sources : «Que Tes oeuvres, Seigneur, sont grandes, Tu les a toutes faites avec sagesse». Mauvaise traduction. «Tu as tout créé par Ta Sagesse» est plus juste. Par Son Verbe, Il a créé le monde. La Sagesse de Dieu, la Bonté de Dieu, c'est le Christ. Où est la bonté de Dieu ? Dans le Christ. De même que la vérité, la miséricorde, tout est dans le Christ. C'est pourquoi, en Lui, nous possédons la vie, la vie en Dieu, la vie éternelle. D'ailleurs on dit «le bon Dieu», bien que je n'aime pas beaucoup cette expression. C'est comme les Marseillais : ils ont prié la «bonne Mère», et ils ont perdu ; les Russes avaient l'icône sur le terrain, et ils ont gagné. Le Dieu bon, le Dieu bon et ami de l'homme... sache, mon petit, que le langage humain est toujours loin, très éloigné de pouvoir parler des choses divines ; aussi il faut toujours tenter d'être le plus précis, le plus juste possible. C'est pourquoi il faut que ce soit Dieu qui nous parle, pour que nous puissions parler de Lui». Notre entretien se termina là, car le temps de l'office était venu. Véritable théologien était notre Papouli à la barbe blanche, «grand-père» et «père Noël» pour les enfants.
Un jour, je lui dis tout de go : «Pourquoi est-ce que je t'aime si fort, mon Papouli ?» Il sourit et je sentis une grande joie dans son coeur, puis il me répondit : «Nous sommes comme des rayons d'une roue du soleil, dont le centre est le Christ. Plus nous nous rapprochons du centre, plus nous sommes près les uns des autres jusqu'à pénétrer dans le centre et être unis à Lui et les uns aux autres. C'est en aimant Dieu que l'on aime son prochain et que l'on s'en rapproche. C'est dans l'amour pour Dieu et pour son prochain qu'on se rapproche du centre». Je le vis comme pris d'angoisse et saisi d'une grande et profonde tristesse avant qu'il ne continue en précisant : «Vois combien ceux qui n'aiment pas le Christ sont loin, combien sont loin les hérétiques qui n'avancent pas vers la Vérité, encore plus loin ceux qui Le persécutent, ceux qui haïssent l'Eglise. Plus les hommes sont éloignés du centre, plus ils sont éloignés les uns des autres. Ils sont seuls dans le noir, loin du Soleil qui, par ses rayons, disperse les ténèbres». Je crois bien que, ce jour-là, je pris conscience que l'homme peut se rendre lui-même dans l'enfer en s'opposant à l'amour du Christ.
Je reviens donc à cette dernière Nativité qu'il passa parmi nous, comme je l'ai dit plus haut. Lors d'autres solennités semblables, Papouli nous avait dit que là se trouvait le plus grand des miracles du Christ, plus grand que la Création, plus grand que Sa Résurrection. «Oui -disait-il, le plus grand des miracles, c'est que le Dieu qui remplit tout s'est fait petit enfant dans le sein de sa Très sainte Mère et nous est né. Dieu s'est fait homme. Le Tout-Puissant se fait petit enfant ! Voilà le plus grand des miracles !». Ce jour-là Papouli avait quitté le choeur et était rentré dans le sanctuaire pendant la liturgie tant il se sentait mal. Il s'était assis. Son visage s'était défait. Père Patric, après avoir communié, s'en inquiéta. Et, peu de temps avant l'homélie, Papouli lui dit : «Je n'en peux plus». A mes yeux, il se trouvait dans un état qui me faisait penser à celui du Christ dans le Jardin des Oliviers pendant son agonie, au moment où il disait : «Père, que cette coupe s'éloigne de moi, mais non pas comme je veux, mais comme tu veux». Des gouttes de sueur tombaient de son front et des larmes coulaient de ses yeux. Je dis et décris ce que j'ai vu. Aussi mon coeur se serra tant mon Papouli me faisait de la peine. J'avais envie de l'embrasser et de pleurer, mais il était revêtu de ses ornements sacerdotaux, je n'osais pas. Je pensais prendre alors sa bénédiction, mais nous venions de communier. Alors il me dit : «Non, ne fais pas cela. Nous venons de prendre la communion. Ordinairement, embrasser la main du prêtre, prendre la bénédiction, c'est recevoir la grâce. Mais maintenant tu viens de recevoir la plus grande des grâces, la grâce des grâces. A ce point là, il n'y a plus rien. Nous sommes tous égaux. Le Corps du Christ est en toi comme il est en moi, et le Sang du Christ est en moi comme il est en toi. Nous sommes frères. Le Christ est en tous. Où est le prêtre ? Où est le fidèle ? Nulle importance. Le Christ est en nous, voilà ce qui importe». Après, il prit son bâton et sortit et fit un sermon d'une force dont chacun se souvient. Je pense que ce sermon réveilla, dans bien des coeurs, l'amour de Dieu qui souvent y dort du sommeil plombé de la mort. Les dernières paroles de notre grand et saint Papouli dans l'église paroissiale de Paris représentent toute sa vie : «Christ est né» et les fidèles répondirent : «En vérité, il est né», scellant ainsi son témoignage. Or, le Seigneur dit dans son Evangile : «Celui qui me confessera devant les hommes, Je le confesserai aussi devant Mon Père».
Mon père spirituel n'était en aucune façon semblable à ces hommes qui asservissent les âmes pour étancher leur soif de domination. Son humilité se voit à la réponse qu'il me fit lorsqu'un jour je lui fis cette demande : «Papouli, le jour où tu partiras, tu me prépareras une petite place avec toi». Et je pensais «sous ta barbe». Il me répondit gravement : «Je ne sais où je serais», si grande était la crainte du Jugement qui l'animait. Il disait souvent : «Heureux qui a un parent dans Jérusalem», mais lui-même se jugeait pécheur et ne pensait pas trouver grâce devant Dieu.
Aujourd'hui, nous avons tous, avec lui, un parent dans la haute Jérusalem qu'est le Royaume céleste. Nous savons tous que Papouli possédait l'amour du Christ plus fort que la mort. Et c'est cet amour que j'ai pris pour passeport. Le jour du Jugement, j'irai me cacher sous la barbe de mon Papouli, disant comme les disciples des Anciens : «Par les prières de mon père spirituel, Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi».
Vous comprenez maintenant pourquoi je me référais au psaume 104 dont la suite couronne le témoignage que je donne en toute reconnaissance à celui qui m'a enseigné et m'a conduit au Christ : «C'est comme l'huile précieuse qui, répandue sur la tête, descend sur la barbe, la barbe d'Aaron, qui descend sur le bord de ses vêtements. C'est comme la rosée de l'Hermon qui descend sur les montagnes de Sion, car c'est là que le Seigneur envoie la bénédiction et la vie pour toujours».
A ceux qui ne sont pas au Christ, ce témoignage apparaîtra comme le simple fruit d'un coeur peiné d’une perte humaine cruellement ressentie. L'essentiel leur demeurera caché et toutes leurs diverses interprétations, nées de l'homme psychique, seront vaines. Pour ceux qui sont au Christ, il aura ce goût de la vérité qui ne se peut parfaitement décrire, et ils le reconnaîtront, l’ayant déjà goûté.
Pardonnez-moi, frères et soeurs, et priez pour l'indigne serviteur du Christ, l'enfant de Père Ambroise, le moindre d’entre les chrétiens orthodoxes,
Sébastien, lecteur.
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