mercredi 24 mars 2010

POEMES DE SAINT JEAN LE ROUMAIN.

PRESBYTERA ANNA


(ANNE RANSON-TERESTCHENKO)




SAINTS POEMES SPIRITUELS



LIBREMENT ADAPTES DE LA TRADUCTION GRECQUE
D'UN MOINE ANONYME DU MONASTERE ATHONITE DE GRIGORIOU,
ETABLIE SUR L'EDITION ORIGINALE EN ROUMAIN
DES SAINTS POEMES
DE NOTRE PERE ENTRE LES SAINTS,
SAINT JEAN LE NOUVEAU CHOZEVITE,
DIT SAINT JEAN LE ROUMAIN
(1913-1960)









Ce livre est dédié aux enfants orphelins
demeurés seuls au monde, pour leur consolation.



PROLOGUE LIMINAIRE
du Hieromoine Petronius de la Skyte Athonite du Précurseur Saint Jean le Baptiste,
augmenté d' extraits de
la VIE DE SAINT JEAN LE ROUMAIN
écrite par son Disciple & Syncelle* le Père Ermite Ioannichie.



Ce fut en 1933 que je rencontrai Saint Jean le Roumain, en Roumanie, dans la province de Moldavie, au grand Monastère Orthodoxe de Neamts, où il venait lors d'entrer en qualité de novice, pour y embrasser cette Vie Angélique qu'est la Vie Monastique. Et je ne peux faire, depuis lors, que je ne garde toujours présente à l'esprit, comme vivante, la figure maigre, si marquante pour ce qu' empreinte de Modestie et d'Humilité de ce pieux jeune homme de vingt ans.

Jeune moine, Elie - car tel était le nom qu' à son Saint Baptême il avait reçu - fut profondément marqué, à vif, par ses édifiantes lectures des Textes Saints : d'entre ces pages Inspirées de l'Esprit de Sainteté, il affectionnait plus particulièrement encore la Vie des grands Ascètes d'Egypte et de Palestine ; au point qu'il conçut bientôt, dans la pureté de son Coeur, le brûlant désir, comme irrésistible, d'à son tour mener la Vie Bien Heureuse des Saints Ascètes de Dieu. Ce désir bientôt le consuma tout, ne lui laissant plus nul repos d'esprit, jusqu'à ce qu'enfin, comme le dit le Psalmiste, (Ps 54,7), «il se réfugiât au désert», au lieu nommé Rouva, non loin du Saint Monastère de Chozéva, sis en le désert du Jourdain.
Derrière cette profonde aspiration qui tout au long de sa vie avait animé Saint Jean, sans doute deux expériences secrètes se profilent-elles, dont il nous fait dans ses poèmes la vibrante confession. Peut-être donc y insisterons-nous un peu.
L'enfant, dès son plus jeune âge, était demeuré doublement orphelin, de père comme de mère; aussi sa grand-mère Maria, pieuse femme à la foi ardente, l'avait-elle élevé.
Lorsqu'il eût grandi, et qu'il fut en mesure de lire ses premières lettres, sa grand-mère lui donna des livres de piété tels qu'en avaient alors les petites gens du peuple tout empreints d'une simplicité naïve. Parmi eux figuraient L'Epître de Notre Seigneur Jésus Christ et Le Songe de la Mère de Dieu. L'aïeule demandait encore au garçonnet de lui lire la Passion du Seigneur. Alors, comme chaque fois qu'elle en entendait le récit, elle se mettait à pleurer, de telle sorte que rien n'eût pu la consoler. Cela affligeait Elie. Ces sanglots brisaient son coeur d'enfant. Un jour enfin, avec son innocence coutumière, il risqua une question: «Mais qu'as-tu donc grand-mère à pleurer si fort?» Et l'Ancienne dans un murmure lui répondit: «Au temps où ton père vivait encore, j'avais fait cette promesse au Seigneur d'aller finir mes jours dans un saint monastère pour m'y soucier de mon salut. Mais lorsque tes parents moururent, il fallut bien que ce soit moi qui t'élève. Et il ne me reste plus à présent l'espoir d'entrer jamais dans l'état monastique. Mais je supplie Dieu pourtant que tu puisses t'acquiter un jour à ma place de ce saint désir qui fut toujours le mien, pour que j'en aie moi aussi quelque consolation, car je t'ai gardé comme on garde un trésor».*
Or Dieu qui dans sa bonté ne laisse pas d'entendre les soupirs de ses serviteurs, ni de voir leurs larmes, écouta la prière de l'Ancienne. Et dans le coeur pur de son petit-fils, il enracina ce même saint désir, qui, jour après jour, secrètement le poussait vers la vie monastique. Aussi, lorsqu'Elie en eut fini avec l'école, il ne choisit ni d'aller à l'université, ni d'embrasser une quelconque profession. Sa seule pensée allait au monastère, comme s'il eût voulu s'acquitter pour elle du voeu de sa grand-mère.
Tel est le mystère de la bonté de Dieu qui, loin de mépriser les soupirs ni les désirs de l'homme bon, s'attache à les accomplir.
De ce moment l'aïeule ne vécut plus longtemps. Bientôt elle s'en alla vers le Seigneur. Elie, pour la seconde fois demeura orphelin. Il était redevenu «l'enfant de personne».
Dès lors, il plaça tous ses espoirs dans le Seigneur. Et le Seigneur l'entendit, et il le consola d'une façon toute merveilleuse.
C'était l'après-midi du jour de Pâques. Tous les gens du village étaient allés au cimetière, pour s'y réjouir avec leurs frères endormis «dans l'espoir de la résurrection». Pour eux, ils allumaient sur les tombes des cierges et des chandelles, et s'embrassaient les uns les autres, dans le Christ Ressuscité.
Le monde était en liesse, et les cloches sonnaient joyeusement. Seul près de l'église de bois, un enfant pleurait en gémissant, penché sur une tombe fraîche pour y allumer un cierge. Et voici, comme il était tout entier la proie de sa peine, qu'il entend une voix, comme dans l'écho de la cloche: «Ne pleure pas mon enfant», disait-elle, «ne t'inquiète pas. Vois, je suis avec toi, Christ est Ressuscité !»
L'enfant effrayé se dressa. Il regardait tout autour de lui, cherchant à savoir d'où venait la voix. Devant l'autel alors, sur le mur noirci, il vit le Seigneur Ressuscité qui lui souriait1. Cette contemplation du doux et lumineux visage de Jésus Christ Ressuscité illumina dans l'âme le petit orphelin. Il sécha ses pleurs, et chaque fois désormais, qu'il entendait l'écho de la cloche, se souvenant d'avoir contemplé le Christ Ressuscité, il se consolait.
Quel grand mystère en vérité, recèle cette ineffable vision de la Face du Christ ! Zachée déjà, grimpé en haut du sycomore, avait vu le Seigneur lever les yeux sur lui! Et lors de la Passion l'Apôtre Pierre, après qu'il eût renié son maître, assis dans la cour du prétoire, se chauffait. «Alors», dit l'Evangile, «le Seigneur s'étant tourné regarda Pierre, et Pierre se souvint... Et étant sorti, il pleura amèrement» (Luc 22,61-62). La Sainte Tradition ajoute que toute sa vie ensuite, l'Apôtre Pierre, lorsqu'il entendait le chant du coq, se rappelant le regard du Seigneur, pleurait et gémissait.
Sans doute le désir que sa grand-mère n'avait jamais pu réaliser avait-il poussé le jeune Elie vers le monastère. Mais cette contemplation du trés doux Seigneur Ressuscité devait, elle, donner à sa vocation monastique l'ultime impulsion.
La joie et la consolation qu'il éprouvait à sentir vivante cette présence du Christ Ressuscité, saint Jean, sans en rien dire, la garda en son âme comme un secret mystère. Nous la percevons cependant, à son irrésistible désir de solitude, et qui le pressait, «telle une biche assoiffée courant vers les sources d'eau vive», de s'en aller aux Lieux Saints, à Néamtsou, à saint Savva, et jusqu'au fleuve du Jourdain - Pour s'y affranchir enfin de tous les soucis du monde, et demeurer seul avec son Christ Jésus, tant aimé et tant désiré. C'est là, dans l'immense solitude du désert, et dans cet unique lieu, que s'accomplissait son désir, là qu'il vivait avec son Seigneur des heures d'ineffables délices, là, que des nuits entières, il se consumait dans les larmes et la prière dont seul le Seigneur partage avec lui le secret.
Ce fut à cette époque de sa vie que saint Jean accomplit en peu de jours le temps de longues années, comme il est dit dans le livre des Proverbes (Sag. Sal. 4.13). Il redressa ses voies, et rachetant sa vie de cette nature déchue qui, depuis la chute, est le lot de la création entière, il devint un vase d'élection du très Saint Esprit, pour recevoir dès ce siècle le gage de la vie éternelle.

Il mourut à la veille de la Transfiguration du Seigneur, comme si Dieu nous montrait que dans son corps déjà, s'était opérée la transfiguration spirituelle, par quoi il nous faudrait passer avant que d'entrer dans l'éternité.
Son corps transfiguré fut libéré des liens de la matière et -ô miracle étonnant- demeura entièrement intact, tandis que toute la nature alentour, embaumait de la senteur paradisiaque qui fut celle de l'homme d'avant la chute.
Et lorsque ses frères chantèrent l'office des défunts, la création entière prit part à leur deuil, selon que Dieu le manifesta en envoyant les oiseaux sauvages du désert qui envahirent toute la grotte, joignant leur psalmodie à la célébration mystérieuse des anges invisibles. Les lamentations mêlées des oiseaux et des frères de saint Jean le Roumain, sans doute n'est-il pas de plus belle figure de la secrète renaissance de l'être nouveau, et de la réconciliation qu'opère avec le monde l'homme libéré du péché, puis transfiguré, déifié par sa vie spirituelle... Union avec Dieu, réunion avec lui-même de l'être déchiré par la chute, et réunion, par-delà son être propre, avec la création entière...

C'est donc avec joie que nous louons l'effort du traducteur, jeune moine du monastère cénobitique de Saint Grigoriou de l'Athos, qui avec la bénédiction de son vénérable higoumène et archimandrite, le père Georges, a traduit en grec le récit roumain de la vie si belle et si simple à la fois de saint Jean le Chozévite, ainsi que ses poèmes, pour l'édification spirituelle des lecteurs amis de Dieu, et pour la gloire du Seigneur, qui «est admirable dans ses saints».


Hiéromoine Petronius du Précurseur Skyte roumaine de Saint Jean Baptiste le Précurseur,
Sainte Montagne, 1984.




VIE DE NOTRE PERE ENTRE LES SAINTS

SAINT JEAN LE ROUMAIN

(1913-1960)

autrement appelé naguère

Saint Jean le Nouveau Chozévite,

dont notre Sainte Eglise Orthodoxe
célèbre la Sainte Mémoire Eternelle le 3 Octobre,

& qui fut, pour la Gloire de Dieu,
Hésychaste à la Skyte Sainte Anne,
près le Monastère de Chozéva,
de Saint Georges le Chozévite,
sis au Désert du Jourdain,

établie d'après le récit de Vie rapporté par son Syncelle,
sur le Témoignage de celui-ci, son Disciple & Témoin Oculaire,
le Père Ermite Ioannichie.



C'est la vie toute merveilleuse de notre Saint Père Jean le Roumain, Miracle Vivant de l'Orthodoxie, qui d'elle-même nous incite, pour le Salut de bien des âmes, à faire ici le récit de ce que nous avons de lui vu et entendu. Car, ce nouveau Saint Jean, réceptacle nouvel de la Grâce de l' Esprit de Sainteté, reçut de Dieu les plus riches Bénédictions qui se pussent d'en Haut octroyer, et les Saints Charismes en surabondance, entre lesquels celui, plus éclatant, et, en nos jours troublés, plus admirable encore, de l'Incorruptibilité, qui fut clairement manifesté en 1980, lorsque, le déterrant d'en sa grotte, vingt ans après sa mort, il advint que l'on trouva son corps parfaitement intact.

Saint Jean le Roumain naquit le 23 juillet 1913, au village de Chorodistéa, dans l'ancienne province de Dorohoi, - aujourd'hui comté de Bodosani, au nord-est de la Roumanie. Il était le fils unique, l'enfant chéri de ses parents Maxime et Catherine, tous deux aussi pauvres qu'ils étaient pieux et fidèles Chrétiens. A son Saint Baptême, ils donnèrent à leur fils le beau nom d'Elie. Mais nul encore ne se doutait que le petit Elie s'en irait quelque jour vivre sur les lieux mêmes où, mille ans plus tôt avait demeuré son protecteur, le Saint Prophète Elie le Thesbite.
Elie n'était encore qu'un bébé de six mois lorsque, au début de l'année 1914, sa mère mourut subitement, des suites d'une maladie infectieuse foudroyante. Trois ans plus tard, tandis que, partout, la première guerre mondiale faisait rage, son père, à son tour, sur le front de Hongrie, trouva la Mort des soldats Tués dans un Enfer de feu, d'acier, & de sang. Elie n'avait plus au monde que sa Grand-Mère paternelle Maria. Ce fut elle qui le recueillit, et qui, jusqu'à l'âge de dix ans, éleva l'Orphelin. L'Aïeule eût pourtant bien préféré se retirer loin du monde. Car, au Temps que le père de l'enfant vivait encore, elle avait fait au Seigneur le voeu de se faire Moniale. Elle voulait finir ses jours au Monastère de Kaldarousani, pour songer enfin au Salut de son âme. Il lui fallut pourtant renoncer à son dessein, son premier devoir étant dorénavant de veiller sur Elie. Elle devait, toute seule, lui servir de père et de mère ensemble, & de premier maître Spirituel aussi, tournant vers le Christ les premiers pas. de l'enfant esseulé. Et parce qu'en son coeur Maria était résolument Moniale, elle donna à son petit-fils une éducation spirituelle comme il en fut rarement d'aussi Spirituelle. Ensemble ils priaient, allaient à l'église, glorifiaient Dieu et supportaient en son nom toutes les afflictions. Ils jeûnaient aussi - et comment eût-il pu même en être autrement, puisqu'Elie dès sa plus tendre enfance avait acquis l'habitude du jeûne à cause de la misère qui régnait avec la guerre, une misère si terrible que Maria, ne sachant où trouver du lait - ce lait si rare dont un voisin compatissant lui donnait de temps à autre - dut élever le nourrisson au thé.
Aussi Maria avait-elle toutes les raisons de pleurer. Et elle pleurait tout le temps ( elle ne faisait que pleurer). Elle pleurait de pitié sur l'enfant, et elle pleurait de ne pouvoir aller au monastère. Elle pleurait aussi lorsqu'elle lui faisait la lecture. Car maintenant qu'Elie était un peu grandi et qu'il savait ses lettres, elle le priait de lui lire des vies de saints, des textes des Pères sur la Mère de Dieu, et surtout, le récit qu'elle affectionnait entre tous, celui de la Passion du Sauveur. Et tout le temps qu'Elie passait à le lui lire, Maria pleurait.
Un soir pourtant que comme à l'accoutumée le petit lui lisait la Passion, la voyant une fois de plus ( cette fois encore) pleurer à chaudes larmes, il fut pris soudain d'une grande tristesse: "Qu'as-tu donc Maman, lui dit-il, à pleurer si fort, quand je te lis la Passion de notre Petit Seigneur?" Maria se mit alors à sangloter de plus belle: "Ah, mon enfant, fit-elle, ne sais-tu donc pas le deuil de notre maison? ... Je ne suis pas ta mère... Non... Ta maman à toi est morte..." Alors au petit bouleversé, elle conta par le menu toute son histoire. Elle n'oublia pas de lui dire aussi sa peine si vive de ne pouvoir aller au monastère. Et pour finir, elle le supplia de prier Dieu plus tard, afin que par ses prières à lui, elle obtînt elle aussi le salut.
De ce jour qui avait vu une confession si déchirante, Elie, qui maintenant se savait seul au monde, ne put jamais plus ouvrir les livres saints qu'il ne se mît lui aussi à pleurer.
Hélas, Elie n'avait pas fini de pleurer. Lorsqu'il eut dix ans - c'était en 1924 - l'Ancienne partit pour l'éternité. Il perdait maintenant celle qui pour lui avait été père, mère, grand-mère et maître à la fois. Une fois encore, il perdait tout. Une fois encore, il demeurait seul au monde, " enfant de personne". L'aïeule l'avait bien en partant confié à un oncle, mais veuf et remarié avec une femme qui avait beaucoup d'enfants et qui sans cesse le persécutaient.
Elie était toujours en butte à leur jalousie. Parce qu'il était lui, un petit garçon brillant à l'école, ce que n'étaient pas les enfants de son oncle, il était sans cesse la cible de leurs railleries et de leurs mauvais traitements. A table même, parmi tous ces garnements, il se sentait plus seul qu'un étranger. Lésé par ceux qui eussent dû être ses parents, qui ne lui témoignaient ni compassion ni tendresse, c'est à peine s'il pouvait manger. Il se levait presque à jeun, encore affamé souvent, et s'en allait pour pleurer et prier un peu son Divin Père qui seul lui prodiguait ses consolations.
Et il lui arivait si souvent de jeûner et de pleurer, qu'à la fin, à peine adolescent, et avant même que l'on sût qu'il serait moine, il s'était acquis déjà les vertus d'un moine accompli - la pauvreté, l'humilité, le jeûne, la prière - et celle surtout qui le distnguait, comme elle distingue les vrais moines: la vertu d'être partout tel un étranger.
Ses premières classe, il les fit à l'école du village. Puis, lorsqu'il obtint son certificat d'études, le maître s'en alla trouver l'oncle Alecu - c'était le nom de l'oncle d'Elie -. Il venait le supplier de laisser Elie poursuivre ses études. "Oncle Alecu! implorait-il. Un garçon si intelligent! Quel crime pour lui de ne pas continuer ses études!" Oncle Alecu finit par se rendre aux conseils du maître. Il envoya Elie au lycée Costmani de Bukovina. Le jeune garçon passa là trois ans, après quoi on l'envoya terminer ses classes au Collège Cantemir de la ville de Tsernaoutsi. Il y obtint en 1932 son baccalauréat qu'il décrocha premier de tous ses camarades, après avoir également reçu le prix d'excellence.
Mais au lycée, comme à l'école, Elie avait eu beaucoup à souffrir. Car c'était au prix des plus dures privations qu'il avait pu poursuivre ses études. Certes il pouvait prendre ses repas et dormir au lycée avec les autres pensionnaires. Orphelin il était dispensé de payer les frais de scolarité. Mais jamais l'oncle Alecu ne lui envoyait un sou, ni pour les livres, ni pour l'uniforme, ni pour les excursions, ni pour quoi que ce fût. Aussi, sept ans durant, Elie qui n'avait pas ses manuels, dût-il emprunter chaque soir les livres de ses professeurs, les étudier pendant la nuit, et les rapporter au matin. Pour n'avoir pas l'uniforme, il était exclu des défilés et des fêtes, et des excursions. Car Elie ne possédait rien autre au monde que les vêtements qu'il portait. Et pour n'avoir aucun argent de poche, il ne pouvait pas non plus s'acheter la moindre provision de bouche lorsqu'il allait en ville avec ses camarades. Aussi était-il en butte aux railleries, aux méchancetés et au mépris de tous. C'est pourquoi le plus souvent, il restait seul au lycée, tandis que les autres s'en allaient. Son coeur bien sûr se serrait à les voir ainsi partir. Pourtant cette solitude qui était la sienne l'aidait à s'unir avec le Père Céleste. Depuis ses plus tendres années, il avait acquis une vertu éprouvée par les privations, toute de piété, d'hésychia, de silence, de prière, de larmes, d'amour pour le Christ et pour Son Eglise. Bien vite, sans perdre de temps, il montait au dortoir, et se mettait à étudier, à méditer et à prier sans relâche.
Puis chaque année, lorsque revenait l'été, et avec lui, le temps des vacances, le jeune Elie s'en retournait chez l'oncle Alecu. Il l'aidait aux travaux des champs, moissonnant, faisant les foins et le secondant( aussi) à la ferme. Nul ne le vit jamais alors perdre son temps en conversations ni même en regards curieux, ou bien se répandre en visites auprès du curé du village et de ses vieux maîtres d'école. Un peu plus tard, lorsque ses camarades d'études s'inscrivirent dans les écoles supérieures de leur choix, Elie ne sut que faire.Son succès en poche, le jeune bachelier alla trouver un père confesseur de Tsernaouti. Celui-ci lui conseilla de poursuivre ses études à la faculté. Elie s'inscrivit donc à un certificat de théologie. Mais des controverses ne tardèrent pas à s'élever, opposant certains prêtres à l'archimandrite qui avait conseillé Elie. Lui-même dut partir,(non) sans avoir d'abord conseillé au jeune homme de poursuivre la théologie, mais au monastère de Néamts, où il serait mieux, selon lui, qu'à l'université où régnait la cabale. Il lui remit donc une lettre de recommandation pour l'higoumène, qui était à l'époque l'évêque Nicodème Montéanu, que d'autres connurent plus tard comme Métropolite de Moldavie, et pour finir patriarche de Roumanie.
Elie fut longtemps à réfléchir avant de savoir quel parti prendre. Il voyait ses compagnons partir pour la faculté. Aucun n'allait au monatère. une nuit pourtant, et comme il avait longtemps prié, (était longtemps resté en prière), il entendit une voix résonner en lui: "Au monastère, au monastère." Elle vibrait bien fort (haut), tel(le) l'écho de cet appel qu'il entendait en son âme venue tout exprès de Dieu pour le convier à vivre la vie pure du monachisme, cette vie toute entière vouée au Seigneur, et dont il s'était dès longtemps senti la vocation secrète.
Le jeune soldat du Christ fit donc ses adieux au monde: reprenant la route de son village, il y fit un pèlerinage à l'église de son enfance, et baignant de ses larmes les tombes de ses parents, leur donna un ultime et tendre baiser. Alors, guidé par la Mère de Dieu, Protectrice des moines, il se dirigea vers le monastère de Néamts. Il avait vingt ans à peine. C'était à la veille de la Dormition de la Mère de Dieu.
Il dirigea ses pas vers le monastère de Néamts. Ce fut l'évêque Nicodème qui le reçut. Elie goûtait enfin quelque repos spirituel. Le caractère recueilli des offices, la douceur des moines, leur aspect angélique, l'expérience des Pères confesseurs, l'hésychia qui régnait en ce lieu et la Grâce du Saint Esprit que l'on y sentait présente, tout apaisait son coeur et contribuait à l'ancrer indissolublement dans la vie angélique. Le monastère de Néamts qui durant six siècles avait nourri spirituellement des dizaines de milliers de moines, fut pour le jeune novice une véritable école de piété et d'édification spirituelle. Elie devait y demeurer trois ans, de 1933 à 1936. Il servit (tout) d'abord d'assistant au moine grand-schème Job, qui était un pharmacien de grand talent. Après la pharmacie, il se vit l'année suivante confier la bibliothèque du monastère. De cette nouvelle diaconie de bibliothécaire, il s'acquitta durant prés de deux ans, avec beaucoup de conscience. Cependant, à toujours sortir de la réserve de vieux livres humides et tout moisis, comme à demeurer continûment exposé au froid des fenêtres et aux courants d'air des sous-sols, le jeune moine attrapa des rhumatismes dont il eût à souffrir toute sa vie.
Au monastère, il se lia d'amitié avec le plus vieux des pères. C'était aussi le plus cultivé. Il s'entretenait avec lui du salut de l'âme. Il lui parlait aussi du changement du calendrier. Bien qu'ancien calendariste de coeur, l'Ancien se voyait contraint par l'âge de demeurer au monastère de Néamts où le nouveau calendrier était en vigueur. Mais il s'en affligeait à l'extrême et peu à peu gagnait Elie à la cause de l'ancien calendrier, jusqu'à lui inspirer le désir de rejoindre un autre monastère, qui fût ancien calendariste.2
Dans le même temps, Elie se lia aussi avec un autre frère, originaire de Bukovina. Cette ville faisait partie d'un territoire qui avait été longtemps occupé par les Autrichiens. Et parce que les orthodoxes avaient eu à y souffrir de la part des latins de violentes persécutions, les consciences en étaient profondément marquées par la résistance à l'hérésie. Aussi ce frère avait-il un désir: de toutes ses forces, il souhaitait qu'Elie fût baptisé canoniquement, de la manière prêchée par les apôtres. C'est ainsi qu'Elie qui n'avait été qu'aspergé, à la façon des latins - comme c'était alors la coutume à Bukovina - fut bientôt authentiquement baptisé, c'est-à-dire baptisé par immersion, comme le veulent les canons de l'Eglise.
Peu après son baptême, Elie fut tonsuré moine. C'est alors qu'il décida de rejoindre le Mont athos. Là du moins, le Vrai Calendrier était observé... Cependant, il ne put obtenir le passeport. On lui objecta qu'il devait d'abord faire son service militaire. Mais Elie ne s'avouait pas vaincu. Il pensa qu'il obtiendrait plus aisément ses papiers s'il se mettait en civil. Il rasa aussi sa barbe. Hélas, tout cela ne servit de rien. Et honteux de lui-même, il n'osa plus retourner au monatère de Néamts.
On le revit un peu plus tard à Maglavit, au sud de la Roumanie, comme il visitait Petrache Lupu, où un paysan avait eu une vision miraculeuse. Sur le chemin du retour, Elie qui traversait la vallée de l'Olt, s'arrêta au monastère de Turnu, dont l'église avait brûlé quelques jours plus tôt. La communauté ne comptait alors que six pères, qui, lorsqu'il le virent, le supplièrent de rester. Ils n'avaient en effet personne d'assez jeune qui demeurât avec eux. Cette proposition emplit Elie de joie. C'est bien volontiers qu'il acceptait. Il resta là près d'une année entière. Sa santé d'ailleurs s'en trouva meilleure, car le monatère possédait un verger chargé de fruits dont il mangea, ce qui lui fit le plus grand bien.
Peu après cependant, les pères du monastère s'avisant de reconstruire leur église brûlée, voulurent dépêcher Elie de village en village pour y recueillir les donations, mais escorté d'une moniale, venue d'un autre monastère voisin. Mais le jeune moine, refusant d'accepter une telle diaconie, préféra s'en retourner au monastère de Néamts.
Cependant, le moment de son incorporation approchait. Elie devait maintenant accomplir son service militaire. Bien que les pères lui aient conseillé de devenir diacre pour échapper à l'armée, le jeune homme préféra se soumettre. Mais cette fois, il ne se rasa pas la barbe, et durant tout le temps du service, il continua de la porter, comme au temps du noviciat .
Libéré de l'armée, il retourna à Néamts. L'abba Valérios Moglan, qui en était à présent l'higoumène, voyant la fermeté de son caractère, la rigueur de son ascèse et sa foi inébranlable, le tonsura moine rasophore le 8 Avril 1936, lors de la Saint Pâque, et lui donna - fait remarquable - le nom d'un autre grand Prophète, Jean, le Précurseur et Baptiste de notre Seigneur. Nul ne savait encore qu'il serait digne un jour de vivre sur les lieux mêmes où avaient vécu ces deux grands prophètes, mais toujours le jeune homme les avait devant lui comme un miroir où il pût regarder son âme, et les invoquait pour qu'ils lui vinssent en aide dans ses épreuves et dans ses tentations.
De ce jour, le saint moine Jean désira se donner plus de peine pour l'amour de son Christ. Il redoubla ses jeûnes, ses prières, ses métanies, et ses humbles méditations qui lui étaient si chères. Il se fatiguait aussi dans les diaconies,ne ne se contentant pas d'être devenu l'assistant de l'higoumène et chargé d'enseigner le roumain aux frères du monastère. Mais surtout, il avait soin de toujours briser sa volonté propre, de participer à tous les saints offices, de lire et de psalmodier à l'église, d'étudier les livres des pères et, par les larmes brûlantes qu'il versait en abondance, de purifier le vêtement intérieur de son âme. Chérissant par-dessus tout l'hésychia, la prière et le silence, il allait, aux époques du jeûne, jusqu'à se retirer dans les skytes voisines, dites de l'Icône, et de Pocrov.
Là peu à peu, s'était allumé dans son coeur le désir enflammé d'aller en Terre Sainte, pour y vénérer les Lieux Saints, et marcher sur les pas du Seigneur. Dieu entendit sa prière, et le voeu de Jean fut exaucé: l'higoumène du monastère et l'évêque Nicodème, devenu par la suite métropolite de Moldavie - le même qui avait naguère donné au jeune homme la bénédiction d'entrer au monastère de Néamts - lui donnèrent tous deux la bénédiction tant espérée.
C'est ainsi qu'au déclin de l'année 1936, Jean alors âgé de 23 ans, se mit en route pour la Terre Sainte. Quelle joie pour Jean d'entrer dans Jérusalem! Cette joie se doublait encore d'une autre : celle d'y voir respecté le Saint Calendrier Orthodoxe, tel que l'Eglise l'avait hérité des Saints Pères...
Dans la ville sainte, il rencontra même deux frères de Néamts, le hiéromoine Claude Dérabréanou, et le moine Damascène Ignat, qui avait été berger au monastère. Après qu'ils eurent ensemble vénéré les Lieux Saints, ils s'en furent visiter les pères hésychastes de la vallée du jourdain. Ils étaient alors prés de cinquante frères roumains à mener l'hésychia dans une skyte auprès du jourdain. Ils vivaient là l'été, et l'hiver gagnaient le monatère de saint Savva, situé entre Bethléem et la Mer Morte. D'un commun accord, les trois frères de Néamts demeurèrent alors avec eux à la skyte Roumaine. L'année suivante, après huit mois de lutte ascétique, le moine Damscène tomba gravement malade, et fut contraint de retourner en Roumanie avec le hiéromoine Claude. Jean, quant à lui, désirait rester toujours en ces lieux bénis. Il obtint du patriarche de Jérusalem Damien de mener la vie cénobitique au monastère de saint Savvas. Son entrée à la Laure ne se fit cependant pas sans difficulté. Bien que ce fut depuis le seizième siècle une tradition bien établie que vivent en bonne intelligence à la Lavra de saint Savvas des grecs et des roumains, l'abba Nicolas se montra tout d'abord réticent. Il invoquait à cela deux raisons, la première étant qu'en 1962 le prince cuza-Voda de Roumanie avait exproprié les terres des monastères roumains, infligeant aussi de lourdes pertes à leur laure de Terre Sainte, et la seconde, qu'il se trouvait déjà au monastère un moine roumain, ainsi qu'un autre qui parlait bien le roumain, et qu'ils eussent pu former un "parti" avec le père Jean! Néammoins la Lavra manquait cruellement de jeunes recrues, au point même que l'abba Nicolas s'en alla trouver le Patriarche de Jérusalem pour lui demander son aide. "Comment!" lui dit alors le patriarche. "Mais puisque vous avez justement un jeune homme qui veut rentrer chez vous! Et vous ne voulez pas l'accepter!" Vaincu, l'abba Nicolas accepta père Jean.
Là, dans ce trés ancien monastère de saint Savva, le bienheureux lutta près de dix années. Avec un saint zèle pour l'accomplissement des commandements et pour son salut, il se voua corps et âme à la communauté des frères, comme à son ascèse personnelle. Père Jean parlait déjà un peu le grec, qu'il avait appris à l'école. Il l'apprit parfaitement, et put ainsi lire une foule d'écrits patristiques, faire de longues recherches dans la bibliothèque du monastère, et faire pour son propre usage une oeuvre énorme de traduction du grec en roumain. Outre cette diaconie de bibliothécaire, qu'il accomplit durant plus de sept ans, il dut aussi assumer tour à tour, les lourdes tâches d'assistant-économe, de bedeau - il avait alors la charge entière de deux églises et de quatre chapelles attenantes, qu'il devait entretenir et dont il devait allumer les veilleuses et les cierges -, comme aussi d'infirmier, chargé de soigner les malades et les frères âgés, pour lesquels il dépensait son temps sans compter.
Et lorsqu'épuisé, père Jean regagnait sa cellule à dix heures du soir, et qu'il tombait endormi, son voisin, un vieux moine malade, à l'esprit un peu dérangé, qui, lui, avait déjà suffisamment dormi, le réveillait en chantant des kondaks et des tropaires. Aussi, à onze heures, père Jean, qui n'avait donc dormi qu'une heure à peine, devait-il se lever, allumer les lampes et frapper la symandre pour réveiller les moines, qui avaient eux aussi pris plus de repos que lui. Mais il n'avait quant à lui, qu'un souci: que les veilleuses de l'église fussent toujours allumées!
Père Jean ne s'exerçait pas à la seule ascèse du sommeil. Il ne mangeait qu'une fois par jour à l'heure de none, et par ses luttes spirituelles provoquait l'admiration de tous. Aussi les frères l'estimaient-ils, tandis que les Anciens lui enseignèrent dans toute sa rigueur l'art de la prière - de la prière mentale, ou en esprit d'abord, puis de la prière du coeur-. Or parce qu'il luttait de la sorte, prenant soin également de garder son esprit pur des mauvaises pensées, Dieu le consola bientôt du don des larmes. Et ces larmes qui coulaient abondantes, de leur lumineuse douceur lénifiaient et métamorphosainet l'univers (le paysage intérieur) de son âme.
Dieu gardait aussi son fidèle serviteur de toute embûche: un jour qu'il s'en revenait de Jérusalem, située à quatre heures de marche du monastère, avec un onagre chargé de provisions et un indigène pour guide, père Jean, à mi-chemin, tomba dans une embuscade, que lui tendait une horde d'Arabes, massés en haut d'une colline. Ils attendaient l'économe, le hiéromoine Paul, qui les avait relevés de leur fonction, - ils apportaient alors les vivres au monatère -, et remplacés par d'autres qui lui avaient paru plus zélés. Furieux, ils voulaient le tuer, et de loin, pensant avoir affaire à lui, dépêchèrent un des leurs, pour lui assener à la tête un coup mortel. Déjà le jeune Arabe levait la main sur lui, et allait le frapper à mort, lorsque son père soudain lui cria: "Arrête, fils, ce n'est pas lui, mais un autre!" C'est ainsi que père Jean réchappa, par la grâce de Dieu, à une mort certaine.
Les mêmes arabes pourtant, parce que père Jean prenait soin des malades du monastère, et parfois des leurs, eurent l'occasion de constater son adresse. Il s'était déjà acquis parmi eux une réputation d'habile médecin - on l'appelait chez les Bédouins "le docteur du monastère", et l'on venait souvent lui soumettre les cas difficiles-, lorsque les Arabes à cette époque se dressèrent contre les Anglais. C'est alors qu'ils amenèrent au père Jean tous leurs blessés de guerre pour qu'il leur prodiguât ses soins. Le monastère de saint Savva ne fut bientôt plus qu'un hôpital. Partout régnait une folle angoisse, assortie d'un vacarme effrayant, chassant la prière et l'hésychia. Le père Jean, de son côté, déployait les efforts les plus surhumains pour secourir la foule des blessés arabes. Mais ce fut lui, qui pour finir, failit succomber. Une maladie rénale, l'insalubrité du climat et le régime qui ne lui convenait pas, aggravèrent dangereusement son état de santé déjà déficient. Il lui fallait du repos, s'il voulait guérir, mais il avait plus besoin encore de refaire ses forces spirituelles. Ayant donc reçu la bénédicton de son père spirituel, le pappa-Savva, il partit pour le désert, accompagné d'un de ses frères compatriotes, récemment arrivé de Roumanie, et d'un arabe qui les guida une partie du chemin, avant que de les laisser seuls s'enfoncer plus avant dans le désert. C'est ainsi qu'ils arrivèrent jusqu'à Vesca, que l'on appelle aujourd'hui Qumran, où vécurent jadis les Esséniens, et où l'on trouva de puis peu ces fragments de l'Ancien Testament, que l'on dit " manuscrits de la Mer Morte". Les deux frères avaient maintenant parcouru une longue route à travers le désert. La nuit approchait, leur provision d'eau dans la cruche était épuisée, et ils étaient épuisés. La température extérieure était de 40 degrés centigrades, et ils ne savaient où trouver de l'eau.
S'étant donc assis, à quelques pas de là, ils aperçurent soudain une nuée de frelons qui semblaient pulluler dans une gorge profonde entre des rochers. Ils s'approchèrent et, regardant de plus prés, virent de l'eau miroiter au-dessous d'eux. Hélas, comment l'atteindre? Heureusement ils avaient emporté une corde. L'un d'eux se la noua à la taille, tandis que l'autre, ainsi encadré, se laissa glisser au fond de ce puit naturel où subsistait un peu d'eau de pluie. Ils burent, refaisant leurs forces, et emplirent aussi leur cruche. Le jour suivant, s'étant remis en route, ils atteignirent la grotte tant désirée. Ils ne purent cependant y rester plus de deux semaines, car l'eau y était salée et les bédouins envahissaient les lieux, y menant paître leur troupeau. Ils partirent alors pour la grotte de Calomena, située à un kilomètre du monastère saint Gérasime, entre la mer Morte et le Jourdain. Pour n'être pas vu des Arabes, ils s'en allèrent de nuit, de nouveau traversant le désert, passant vallées et collines. Soudain sur une hauteur, à quelque distnace devant eux, ils aperçurent une bête, aussi grosse qu'un onagre. Elle s'arrêtait sans cesse pour les regarder. C'était une hyène, bête trés dangereuse, et cependant lâche, qui attaque à minuit. Mais Dieu protégeait ses moines, et la bête n'attaqua pas.
La grotte de Calomena était fort humide, quoique dépourvu de cette eau si précieuse qu'il fallait faire venir du Monastère Saint Gérasime. Ce fut sur ces entrefaites - trois mois après leur départ de saint Savva - que, découragé par les rigueurs du désert, le compagnon de père Jean s'en retourna en Roumanie. Bientôt pourtant, un autre moine roumain, de plusieurs années son aîné, Ioannichie, vint rejoindre père Jean, et jusqu'à sa mort demeura avec lui. Ils restèrent là un an et demi, dans les conditions de vie d'entre les plus pénibles qui fussent.
Ce fut là aussi que Jean traduisit l'hymne Acathiste à la Mère de Dieu. Il l'acheva le 5 Août, qui devait être également quelques années plus tard, le jour de sa mort. Mais il ne tarda pas à contracter la dysenterie, qui ruinant sa santé, le fit beaucoup souffrir durant dix-huit mois.
La seconde guerre mondiale était alors à son paroxysme. Comme les Allemands approchaient alors d'Alexandrie, les Anglais, prétextant que les roumains étaient les alliés des Allemands, emmenèrent en camp tous les allemands, les Italiens, et les Roumains dont ils purent se saisir. Père Jean, bien que moine, et malade qui plus est, fut emmené lui aussi, et gardé en captivité neuf mois, plus longtemps encore que les autres prisonniers, car il savait beaucoup de langues, ce qui était fort utile aux anglais.
Après quoi, lorsqu'il eut été enfin libéré, il s'en retourna au monastère de saint Savva. La fête de saint Théodose le Cénobite approchait. Père Jean vénérait beaucoup ce saint, fondateur du monachisme cénobitique. Aussi, le jour de sa fête, décida-t-il d'aller avec le frère Ioannochie vénérer ses reliques au monastère saint Théodose, où l'on conserve aussi tout son crâne. Devant les saintes reliques, il pria de toute son âme, et, suppliant avec ferveur le saint, vénéra sa tête. C'est alors qu'il sentit à ses souffrances un grand soulagement. Par la grâce de Dieu, saint Théodose avait fait don à père Jean de la guérison: il était à présent guéri de la dysenterie.
Après ce miracle - on était alors en 1945 - et parce que les affrontements anglo-arabes étaient terminés, père Jean retourna au monastère de saint Savva, où il reprit ses luttes, comme aussi ses anciennes diaconies. C'est alors que l'higoumène du monastère, voyant la maturité spirituelle de père Jean et quelles étaient ses vertus, le jugea digne du grand schème angélique.
Lorsqu'il eut revêtu le grand schème, père Jean ne fit en son âme que brûler davantage encore pour l'hésychia et la vie erémitique. Il aspirait chaque jour à vivre au plus profond du désert, auprès du Jourdain, là où saint Jean le Baptiste avait prêché le baptême de la repentance, là où le Christ notre Sauveur avait daigné se faire baptiser, là aussi où tant de saints Hésychastes avaient au cours des siècles lutté pour mener la vie parfaite. Au monastère au contraire, il ne trouvait pas cette hésychia tant désirée, et son corps affaibli, anémié, miné par la maladie et par un climat qui ne lui convenait pas, ne parvenait plus à s'acquitter de ces trop lourdes diaconies qui lui incombaient. Hélas, il n'était personne au monastère d'assez jeune pour en assumer l'écrasante charge. Aussi, bien que père Jean pensât constamment à la manière dont il pourrait se procurer un peu de repos, il ne voyait pas que ce fût possible.
Sur ces entrefaites, le patriarcat de l'Eglise Orthodoxe Roumaine avait fondé dans la vallée du Jourdain un monastère roumain - si petit qu'il ressemblait plutôt à une skyte composée qu'il était de deux simples pièces, d'un jardin et d'une chapelle attenante -, dédiée à saint Jean le Baptiste. On y avait également délégué des moines roumains, mais il fallait encore un père spirituel, un higoumène capable de diriger la skyte. C'est alors que le Patriarche de l'Eglise roumaine à Jérusalem, l'archimandrite Victorin, songea à père Jean qu'il connaissait depuis son entrée au monatère de Néamts. Il écrivit donc - sans rien en dire au père Jean - au Patriarche Nicodème, lui demandant d'intervenir aupès du patriarche de Jérusalem, pour que père Jean fût consacré hiéromoine, puis higoumène de la skyte roumaine du Jourdain. Bien que par deux fois naguère - la première fois à Turnu, et la seconde au monastère de Néamts - père Jean, pressé par les frères de devenir diacre, n'ait pas accepté, à présent cependant, pour trouver un peu de repos, il acceptait. Le Patriarche de son côté, avait approuvé l'ordination. C'est ainsi, le 13 Mai 1947, le jour de la fête de la sainte martyre Glykeria, dans l'église du Saint Sépulcre, que le père Jean fut ordonné diacre par l'archiprêtre Irinarque de Néocésarée, et le 14 Septembre de la même année, il devint prêtre et higoumène du monastère saint Jean Baptiste.
Durant sept années dès lors, de 1947 à 1953, le saint hiéromoine, avec beaucoup de sagesse et d'humilité, dirigea la communauté des frères, y célébrant les offices en langue roumaine. Il était encore le père spirituel des moines grecs et roumains du désert du Jourdain, et s'acquit beaucoup de disciples et d'enfants spirituels.
Ses disciples disent qu'il n'y eut pas dans tout le désert du Jourdain, d'hésychaste plus fervent dans la prière, plus combattif dans le jeûne et la veille que n'était l'higoumène Jean Jacob. Le jour, il recevait les fidèles, travaillait au jardin, écrivait des homélies spirituelles, tandis que la nuit souvent, s'éloignant vers les gorges de la vallée du Jourdain, il y priait la nuit entière, avant que de regagner au matin son monastère.
Il traduisait beaucoup aussi les Oeuvres Saints des Pères, qu'il affectionnait tous au plus haut point, et plus particulièrement peut-être les merveilleux écrits de saint Nicodème l'Aghiorite. Car son amour pour le salut du prochain poussait continûment père Jean à rendre accessible à ses frères orthodoxes de langue roumaine ces trésors de spiritualité dont la plupart étaient en grec. Il fit donc un gigantesque effort pour extraire de ces textes les enseignements les plus salutaires, et, pour les rendre plus attrayants encore, en écrivit même en vers la plupart. Cet énorme travail de traduction qui est aussi un recueil admirable des humbles méditations de père Jean lui-même et rassemblés sous le titre Lectures et méditations de la Divine Ecriture, fut publié pour la première fois, bien qu'en partie seulement, en 1968 par son disciple le Père Ioannichie, Moine Grand Schème, sous le titre "La nourriture spirituelle" qui parut en deux volumes, et dont sont extraites ces pages:
"J'ai souvent recopié les paroles des Pères pour le bien de mon âme, et il m'a semblé cependant que ces écrits pourraient être utiles à d'autres, qui n'ont pas le temps d'ouvrir des livres que peut-être ils ne possèdent pas. Je sais qu'aujourd'hui tous sont si pressés que les livres épais des Saint pères demeurent oubliés, et qu'il est rare que quelqu'un les lise. Car l'esprit du temps, les occupations des hommes, et la guerre invisible des démons sont tels que le travail spirituel, et la lecture surtout des livres saints n'ont plus guère de place dans la vie des laïcs, et que les moines eux-mêmes ont commencé d'ajuster leur vie au goût du jour et de la nouvelle mode. Les êtres sont à présent accaparés par les soucis des biens de ce monde, qu'ils ne trouvent pus même le temps de lire ni de méditer la Divine Ecriture. A peine s'ils ont une heure pour aller à l'église écouter vêpres et Mâtines; et même alors, leurs esprits sont obscurcis par le soin qu'ils prennent d'eux-mêmes, appesantis par les soucis de la vie. Ah! Comme il paraît difficile en ce siècle de trouver un peu de temps pour s'exercer à rendre le coeur moins dur! Et c'est ce défaut pourtant qui nous fait le plus de mal: ne prenant pas la peine de regarder vers les choses célestes, nous oublions le sens de la vie, et nous nous affaiblissons spirituellement, au point de tomber dans le désespoir lorsqu'enfin nous prenons conscience que notre vie s'est écoulée en vain. Or voici le remède que préconise à ce mal saint Nicodème l'Hagiorite: " tous les Chrétiens lettrés, " écrit-il, ont le devoir, l'obligation même, de lire la Sainte Ecriture car, ainsi que le dit saint Jean Chrysostome, sans lire la Sainte Ecriture, l'on ne peut être sauvé. " Dans son sermon sur saint Lazare, Saint Jean Chrysostome dit encore: " Il est impossible d'être sauvé si l'on n'adoucit pas son Coeur en lisant souvent les écrits spirituels." Saint Jean Climaque nous enseigne à son tour que la lecture des Livres Saints Illumine et rassemble, concentré, l'esprit auparavant dispersé, déracinant les vices et les mauvaises habitudes. Et Saint Ephrem le Syrien dit de même: "Tout comme le son de la trompette enflamme en temps de guerre le zèle des braves contre l'ennemi, ainsi l'Ecriture Sainte encourage à combattre les passions."
C'est pour quoi mon frère, montre-toi vaillant, et lutte pour t'appliquer toujours à lire la Sainte Ecriture: tu y apprendras à fuir les ruses de l'ennemi, et la manière d'atteindre à la vie éternelle. Car certains lisent mais ne s'efforce pas de comprendre ce qui est écrit."
Le Saint Apôtre Paul ne dit-il pas à son disciple Timothée: "Prête attention à ce que tu lis"! Et de Saint Basile le Grand, comme de Saint Grégoire le Théologien, l'historien Rufin rapporte qu'ils demeurèrent au Désert treize années entières, méditant les Ecritures. Or si maintenant nous songeons à nous-mêmes qui vivons en ce siècle, ne convient-il pas de nous interroger? S'il était si nécessaire dans les temps anciens de lire les Ecritures, combien cela doit-il être plus nécessaire encore aujourd'hui que les démons se multiplient de par le monde, que les bons pasteurs disparaissent, qu'il se trouve difficilement un être pour donner avec une direction spirituelle, l'exemple d'une Vie irréprochable? Oui, combien davantage aujourd'hui devrions-nous nous efforcer de lire l'Ecriture Sainte, puisque c'est en elle seulement que nous puiserons notre consolation par elle seule que nous serons illuminés! Saint Isaac le Syrien n'écrit-il pas: "Telle est la volonté du Saint Esprit: Que l'on devînt en vérité son bien-aimé. Or l'esprit de Dieu n'habite pas en ceux qui vivent dans le repos, parce que Dieu qui est bonté n'a pas voulu que ses bien-aimés serviteurs connaissent en cette vie le repos, mais plutôt la souffrance, la difficulté, l'inquiétude, la pauvreté, la nudité, la solitude, la misère, la maladie, la discrimination, la lutte, avec un coeur brisé dans un corps souffrant, offrant à l'homme l'image détestée d'êtres misérables, d'une condition qui ne se puisse jamais comparer à la leur, vivant isolés dans la solitude secrètes d'invisibles retraites, dépourvues de tout ce qui sur terre fait la consolation des hommes. Ainsi donc, les chrétiens pleurent et le monde rit; ils soupirent et le monde s'amuse; ils jeûnent, et le monde se divertit; les Chrétiens tout le jour s'épuisent, et la nuit s'apprêtent à souffrir davantage. Ils se soumettent volontairement aux labeurs pénibles et aux afflictions; certains sont persécutés, d'autres sont tués, et d'autres encore se terrent au plus profond de leurs cellules. En eux s'accomplit la parole: "Vous connaîtrez des afflictions, mais en moi vous possèderez la joie." Car le Seigneur sait que celui qui vit dans le repos ne peut demeurer dans son amour. Aussi le Christ Sauveur a-t-il gardé les siens du repos et de la satisfaction. Lui dont l'amour est plus puissant que la mort du corps a voulu manifester en nous aussi le pouvoir de son amour. Amen".
A lire ces pages tant de fois médité par saint Jean le Roumain, dont on connaît la destinée d'être déifié, parvenu au sommet de l'échelle des vertus, à la perfection de l'homme recrée par la grâce de l'esprit saint, à la contemplation, au sommet du Mont Thabor, de la Lumière Incréée, l'on croirait entendre résonner ici, comme une voix à l'accent prophétique, devenue la voix même de père Jean, proclamant l'Amour du Seigneur plus puissant que la mort du corps, amour dont Dieu a voulu manifester en lui aussi, saint Jean, le pouvoir, gardant son corps intact, tel qu'il avait été dès cette vie transfiguré.
Décembre 1948 arriva. La guerre entre les juifs et les Arabes était maintenant à son paroxysme. De plus, le Jourdain, comme le ruisseau qui coulait auprès du monastère avaient débordé et tout le jardin de la Skyte était désormais couvert de poussière et de sable. Les deux petites pièces où vivaient les moines, n'étaient plus extérieurement qu'une masure recouverte de boue. Le toit de l'église, jonché de tuiles brisées laissait maintenant passer l'eau; et il pleuvait sur les dalles, entre lesquelles poussait l'herbe. Les Moines durent improviser un four avec trois barriques enduites au sommet de poussière, qui servait également de lit. Un frère roumain de Jéricho leur apportait du pain, qu'il prenait sur sa propre ration, et leur fit aussi un petit sac avec du bois qu'il trouva dans le jardin de la Skyte.
Sur ces entrefaites, le Patriarche Nicodème s'éteignit. Tous les patriarches orthodoxes durent alors, comme c'était la tradition, offrir quarante jours de pannhikhides3 à la mémoire du défunt. Le Patriarche de Jérusalem ne manqua pas non plus de célébrer les quarante offices. C'est alors que l'archimandrite Victorin invita le père Jean à venir participer à l'une d'elle. Mais le père jean n'y alla pas, n'oubliant pas en sa conscience orthodoxe que le Patriarche Nicodème avait persécuté ceux qui persistaient à suivre le vrai calendrier Orthodoxe. Père Jean lui, avait été ordonné dans Jérusalem où était observé le calendrier des Pères. Loin de vouloir renier ses voeux et sa foi, il s'était toujours attaché à les garder purs et intacts, refusant de servir ou d'entretenir de quelconques relations avec des prêtres qui ne suivaient pas le vrai calendrier. Père Jean en amoureux de Dieu, ne souffrait nulle compromission dans le dogme orthodoxe. Il avait un si grand respect pour les canons de l'Eglise, qu'il comptait pour rien les nombreuses souffrances que lui valut cette inébranlable fermeté que d'autres jugeaient intransigeante. Mais le Père Jean, lui, dans son zèle immense pour la Foy Droite comme dans son Amour Ardent pour le Christ, était résolu à tout souffrir pour lui, quels que fussent les sarcasmes dont on pût l'accabler. Jamais par exemple père Jean n'eût donné les Saints mystères à des gens qui ne se fussent ni repentis, ni confessés. C'est ainsi qu'un jour où il célébrait au monastère la fête de saint Jean Baptiste, il refusa de donner la sainte communion à la femme d'un prêtre du village de Taibe, parce qu'elle avait mangé de la viande la veille, jour de l'Epiphanie, et n'avait pas avant de communier gardé le jeûne au moins trois jours. Dans les mêmes circonstances pourtant, son confesseur habituel, moins sévère que père Jean, lui donnait l'absolution et la communion.
Jamais non plus, depuis le temps de son ordination, père Jean n'avait concélébré avec un autre prêtre. Et lorsqu'il célébrait la sainte liturgie, il ne mentionnait pas à la proscomédie les noms de certains prêtres dont ils savaient qu'ils étaient francs-maçons.
Une autre fois, comme l'archimandrite Victorin était venu à sa skyte avec un riche américain, susceptible de faire de grands dons au monastère, père Jean, voyant que ses hôtes avait également invité le chauffeur, un (arabe) musulman, à se joindre à leur table, il ne vint pas s'asseoir avec eux. L'américain furieux s'en alla sans rien donner pour l'église. "Qu'à cela ne tienne, dit alors père Jean, mieux vaut être pauvre mais pur."
Mais la vie à la skyte saint Jean le Baptiste devenait de plus en plus difficile. Les arabes qui gardaient les défilés voisins lui rendaient la vie de plus en plus impossible, l'empêchant de prier et de se livrer à ses chères méditations. Il ressentait chaque jour davantage l'irrésistible besoin de s'exiler loin de la foule, pour être tout à Dieu et devenir aussi plus utile au monde qu'il secourait davantage par sa prière que par ses paroles. Or il avait de bonnes relations avec le monastère saint Georges le Chozevite, dont l'abba l'avait toujours soutenu et lui avait souvent fait parvenir des vivres. Il y alla donc, pour y retrouver un peu de sa chère hésychia. Et il y demeura un an, de novembre 1952 jusqu'à l'été 1953.
C'est là dans le désert de Chozeva, que le père Jean trouva enfin cette hésychia que désirait son coeur - ce désert où avait vécu tour à tour le prophète Elie, Joachim et Anne les ancêtres du Seigneur, saint Jean le Chozevite, saint Georges le Chozevite, et tant d'autres saints encore qui avaien su plaire à Dieu. Et maintenant, ces mêmes lieux bénis parlaient à l'âme du bienheureux père Jean.
Lui aussi, maintenant, parvenait à ce désert qui s'étend au pied d'un massif montagneux, à droite de la route menant de Jéricho à Jérusalem,et qu'emprunta jadis le prophète Joshua, le sucesseur du prophète Moïse, après la chute de Jéricho, - là où le torrent impétueux du Chérith, charriant en hiver ses eaux grossies et tumultueuses tout au long du ravin, y a ciselé avec les siècles, dans les temps bibliques une gorge profonde où paissait le troupeau du juste Joachim, le vertueux descendant de la lignée de David, l'ancêtre de Dieu. Non loin de là s'élève la grotte où l'infortuné Joachim vint , dit la tradition, quarante jours durant, prier et se lamenter de l'opprobre de la stérilité, à cause duquel les prêtres du temple lui avaient interdit d'offrir à Dieu un sacrifice. Mais durant le même temps sainte Anne accablée de chagrin, avait elle aussi gagnée une grotte non loin de sa maison à Jérusalem, au voisinage des portes du lion.... ( ensuite je ne comprends plus rien!!!!!! merci de faire des corrections plus claires... tout cela dit bien sûr avec le sourire! )
Après quarante jours de jeûne et de prière, un ange du Seigneur vint à chacun leur annoncer la naissance prochaine d'une fille bénie de Dieu. Plein de joie, le juste s'était hâté de s'en retourner à Jérusalem, auprès d'Anne , sa femme.
Et il en fut à peu près comme l'ange l'avait prédit. Plus tard, lorsque la vertueuse Sainte Anne eut mené au temple la Mère de Dieu sa fille, alors agée de trois ans, elle retourna suivie de quelques pieuses femmes dans la gorge de Koutilli, dans cette grotte où son mari était venu pleurer et se lamenter. Elle y vécut longtemps retirée avant que de s'y endormir, à près d'un km de la grotte d'Elie. Et de ce temps la grotte fut appelée en arabe "Deir Benet", le monastère de femmes ou la skyte de Sainte Anne. La tradition dit que le pied droit de Sainte Anne fut conservé à la skyte et au XV siècle , on dit que des moines s'y installèrent vénérant pieusement sa relique. Mais une invasion de Sarrasins les en chassa; craignant la persécution les moines s'enfuirent pour la sainte Montagne, emportant avec eux le pied de Ste Anne, et ils fondèrent sur le versant sud du Mont Athos une nouvelle skyte de Sainte Anne. Mais à Chozeva, cependant, la vie spirituelle n'avait jamais cessé. Au V siècle, un contemporain de saint Savva le sanctifié nommé saint Jean, qui naquit en Egypte, vint à Jérusalem vénérer les Lieux Saints. Trouvant en ce désert de Chozéva la solitude qu'il désirait, il y fonda la Lavra de Chozéva qui lui fit mériter le nom de saint Jean le Chozévite. Consacré dans sa vieillesse, et contre sa volonté, évêque de Césarée de Palestine, il n'eut de cesse qu'il fût revenu à sa chère Lavra où il s'endormit dans le Seigneur.
Par la suite, au cours des sixième, septième et huitième siècles, la Lavra ne cessa de s'agrandir, devenant un des monastères les plus florissants du désert, connu bientôt sous le nom de saint Georges le Chozévite, d'un de ses abbas qui fut également glorifié, et qui y repose aujourd'hui encore, dans une minuscule chapelle aménagée dans une grotte, non loin de deux autres caveaux auxquels mène un étroit passage creusé sous le roc et où sont rassemblés les ossements et les crânes de tous les ermites qui se sont endormis dans la Lavra.
Détruite par des hordes sauvages, la Lavra fut ensuite reconstruite en 1234. Au seizième siècle, tandis qu'une fois de plus elle avait été abandonnée, elle attira l'attention de deux anachorètes épris de solitude, qui tâchèrent de la reconstruire. Ce fut le Patriarcat de Jérusalem qui, pour finir, la restaura en 1880, dans son état actuel. C'est aujourd'hui un petit monastère qui, de par sa disposition rappelle l'un des monastères dit des "Quarante jours", que l'on peut voir à Jéricho, sur le Mont de la Tentation. Les cellules et l'église en sont construites à même le roc, à quelques vingt-cinq mètres au-dessus du torrent. L'on ne peut y accéder qu'à pied, ou à dos de mulet, en suivant un sentier qui longe le ravin, jusqu'à un pont jeté en travers de la gorge, par-dessus le torrent, à présent asséché la majeure partie de l'année, mais auquel semblent redonner vie les eaux courantes des torrents de montagne avoisinants, rassemblés en un canal aménagé au bord de la ravine qui les amène jusqu'à Jérusalem - donnant à croire dès lors, que le moulin à eau qui se dresse près des herbes sauvages dont se rehausse l'âpre beauté de cette gorge, pourrait s'éveiller soudain de ce long abandon...
A l'intérieur du monastère, l'église restaurée depuis peu, laisse encore voir, au-dessus des deux autels dédiés à Joachim et Anne, les vestiges de fresques d'une facture magnifique, évoquant des scènes de la vie du vertueux Joachim.
Par-delà la coupole bleue de l'église et la tour élancée du clocher, l'on découvre une grotte sur laquelle s'élève une église dédiée à saint Elie. C'est là, dans cette grotte, que selon la tradition vint vivre le prophète, lorsque persécuté par Jézabel, sous le règne du roi Ahab d'Israël, Dieu lui ordonna de quitter la Samarie et de " se cacher au bord du torrent du Chérith, qui est auprès du Jourdain." Dans cette belle cavité naturelle, dont le sol fut depuis aplani, un autel adossé contre un mur, fait face à une grande icône où figure le prophète recevant du corbeau sa nourriture. Car selon la tradition, durant trois ans et demi, le prophète demeura là et un corbeau le nourrissait. Et jusqu'à aujourd'hui l'on voit, au sommet des montagnes couronnant le ravin, tournoyer de grands corbeaux... 4
Lorsqu'il eut passé un an au monastère de Chozeva, le père Jean, aspirant à une solitude plus secrète, convint avec son disciple le père Ioanikie, de gagner les grottes de la skyte de sainte Anne. C'est donc là, dans la vallée de Chozéva, à quelques cinquante mètre en deçà du monastère saint Georges le Chozévite, qu'il établit à l'été 1953 la cellule où il devait passer les sept dernières années de sa vie. Telle un nid d'hirondelle, dans une falaise à la paroi presque verticale, la retraite de père Jean était quasiment inaccessible. Lorsqu'il y faisait venir son disciple, il lui lançait une échelle de corde haute de cinq mètres, qu'il retirait ensuite. De sorte que nul ne pouvait venir que l'ascète ne voulût recevoir. C'est ainsi que jamais par exemple, il ne reçut une femme. Seules des fenêtres et une porte que son disciple l'avait aidé à installer sur cette paroi rocheuse laissaient deviner une habitation humaine. Le père Ioannikie demeurait, lui, dans une autre cellule, voisine de la sienne, et tous deux célébraient la liturgie dans la chapelle contigÜe de Sainte Anne.
Sept ans durant, sans retourner même à Jéricho, le bienheureux Jean demeura dans sa grotte, endurant tout pour l'amour de son Christ - les pierres que lui lançaient les bédouins qui voulaient l'en chasser, les douleurs aigües que lui causaient ses rhumatismes, le froid glacial des nuits d'hiver, la chaleur du jour, qui durant l'été atteignait à l'extérieur quarante degrés centigrades, de sorte qu'il était continuellement incommodé par les chemises trempées qui lui collaient à la peau, la faim, la soif; car il ne se sustentait qu'une fois le jour, de pain dur et de quelques raisins secs, mais bien rarement de pain frais, que lui apportait parfois un frère roumain de Jéricho. Lors des grandes fêtes seulement, il s'accordait de retourner au monastère saint Georges le Chozévite, à un kilomètre à peine de sa grotte, pour y célébrer la liturgie: alors, il partageait le repas des frères du monastère, puis s'en retournait à sa grotte avec son disciple. Mais il préférait encore son pauvre ordinaire, ayant toute sa vie vécu dans cette pauvreté volontaire, à cette fin exprès, lorsqu'il aurait passé le seuil de cette vie, d'être enrichi par Dieu. Il ne s'accordait que trois ou quatre heures de sommeil, se vouant tout à l'ascèse, à la prière et à l'étude. Et là dans le silence de la nuit, à cinquante mètres au-dessus du lit de la vallée, parmi la solitude de sa grotte où avait prié sainte Anne, la mère de la Toute Sainte, - cette grotte sombre et dénudée qui maintenant tombait en ruines, - s'humiliait l'ascète, souffrant tout, pour plaire à Dieu, la maladie, la privation et toutes les épreuves que lui infligeait le diable. Il avait pour consolation l'Evangile de son Christ, les livres des Pères qu'il continuait de traduire, et ses admirables poèmes dont il écrivit la plupart sur le rythme et le mètre des tropaires et des hymnes de l'Eglise, et qu'il psalmodiait ensuite de sa belle voix douce. Poèmes savants et ornés, au rythme et à la forme artistement travaillée, dont il est imposssible, hélas de restituer dans une traduction le mètre et la rime, ce qui reflète mal l'art et le lyrisme de l'original roumain, mais qui s'avère un sacrifice nécessaire si l'on veut demeurer fidèle, sinon à la forme, du moins à la signification, et bannir toute intrusion de la "subjectivité" d'un traducteur, pour ne faire finalement apparaître que les vertus du saint, telles qu'elles transparaissent à travers ses compositions poétiques - car ce sont bien la volonté, la douceur et l'humilité qui imprègnent ces pages vibrantes d'émotion d'où ressurgissent soudain son enfance, sa vie d'orphelin, ses peines et ses joies de moine, au monastère de Néamts, comme plus tard au désert - reflet d'une grande âme, d'un esprit plus pur que les eaux limpides du Jourdain, et d'un coeur sans cesse uni à Dieu et aux hommes par la prière. C'est aussi tout l'enseignement ascétique de la perfection spirituelle de l'âme qui nous est livrée ici, depuis l'hésychia, le combat contre les passions, la privation et le renoncement à soi-même, en passant par les luttes pour atteindre à la pureté du coeur, à la paix des pensées, au désir et à l'amour ininterrompu du Christ, jusqu'au repos parfait de l'impassibilité et de la prière pure.
Mais ce qui donne à ces poèmes le bouleversant vibrato(?) qui en soulève les vers, c'est qu'on les sent parcouru par un accent de vérité - celui d'une âme qui s'est véritablement purifiée par l'ascèse et qui véritablement vécut dans toute leur acceptation chacune des souffrances et des joies qui y sont nécessairement attachées. Et c'est ce frémissement qui confère aux poèmes la force jaillissante que l'on y sent sourdre - non pas seulement la force de la vérité, mais bien la force vivifiante de l'Esprit dont fut revêtue saint Jean le Roumain pour prix de son ascèse, et sous l'inspiration duquel, comme il le confesse lui-même dans l'un de ses poèmes, il les composa. Oui, ce sont bien cette inspiration, cette illumination de l'Esprit que l'on perçoit dans ses vers, par quoi ils nous deviennent ce que son disciple Ioannikie nomme une autre "nourriture spirituelle" - celle 'de saintes méditations qui élèvent au ciel l'âme de l'homme."
Car à cette époque déjà, Dieu, voyant ce que pour l'amour de Lui faisait son serviteur, en avait fait un temple vivant du Saint Esprit, lui accordant le don des miracles.
Mais parce que père Jean voulait demeurer reclus dans la solitude d'une grotte, caché de la face des hommes, bien peu furent témoins de ses miracles, dont quelques uns seulement nous sont parvenus. C'est ainsi par exemple qu'un jour où des pilleurs de tombes menaçaient sa retraite, père Jean se mit en prières. Aussitôt un pan de la montagne s'écroula, recouvrant les vieilles tombes des ermites, à quelque distance de sa grotte, provoquant la fuite des bandits.
Le saint était également doué du charisme de la diorasis, que les pères nomment aussi le discernement, et qui est le don de lire dans les coeurs. Mais chez lui, ce charisme se doublait d'un autre plus grand, celui de la prophétie. Car Dieu l'avertissait à l'avance de ce que réservait l'avenir. C'est ainsi qu'un hiéromoine aghiorite du nom de Mitrophane vint un jour à sa grotte. Il était iconographe, et son talent de peintre le rendit plus sensible encore à la beauté du cadre de la skyte Sainte Anne. La solitude du site aussi l'enchantait. Il décida donc de quitter le Mont Athos pour venir s'installer auprès de père Jean. Mais il voulait d'abord retourner à la Sainte Montagne pour y arranger les affaires de sa cellule. Le père Jean lui dit alors: "Si tu veux venir ici, viens y dès maintenant, tel que tu es là ( même où tu es). Mais si tu t'en vas d'abord mettre de l'ordre dans ta maison, tu ne reviendras jamais."Néammoins le père Mitrophane ne l'écouta pas. Il s'en retourna au Mont Athos et se remit à ses travaux d'iconographies. Deux années passèrent de la sorte. Après quoi, l'un de ses disciples qui était enclin au vol, lui déroba des brosses de valeur. Père Mitrophane le réprimanda. Cela rendit le disciple si furieux, qu'il vint un soir le surprendre dans sa cellule et qu'il le tua misérablement. C'est ainsi que s'accomplit la prédiction de saint Jean. Cependant la fin du bienheureux approchait, et Dieu en avait aussi fait connaître le jour à son serviteur. Aussi en avait-il écrit la date sur le mur de sa grotte. Désormais, il attendait avec joie le temps marqué, chantant en son coeur le cantique de Syméon:
"Et maintenant Seigneur,
Tu laisses ton serviteur
S'en aller en paix,
Parce que mes yeux ont vu ta lumière... "

Deux semaines avant sa bienheureuse dormition, il vit un soir paraître dans le ciel absolument pur des signes étonnants: à droite resplendissait une couronne de feuilles de palmes tressées, à l'intérieur de laquelle il ne put distinguer que ce mot : "Bienheureux ... ", tandis qu'à gauche, tombaient la foudre et les éclairs, pareils à des traits acérés, encadrant le premier mot d'une sentence effrayante qu'il ne put déchiffrer: "Maudits..."
Il confessa sa vision à son disciple Ioanichie, lui promettant que si tombait un peu la forte fièvre qui l'accablait, il lui en dirait davantage. Il souffrait d'une vive douleur à l'estomac, mais loin de proférer une seule plainte, il se réjouissait plutôt et rendait grâces à Dieu pour cette ultime maladie, venue lui annoncer le grand voyage pour l'éternité.
Au matin du 4 août 1960, - c'était un mercredi - sachant que sa fin approchait, il communia seul et pour la dernière fois aux Purs et Saints Mystères, consommant les Dons Présanctifiés. Après quoi, il voulut dire quelque chose à son disciple, pour lui parler sans doute de sa vision, mais ne put y parvenir. Sa température montait constamment, et il allait sans cesse s'affaiblissant. Au dehors, en ce mois d'aôut, régnait une chaleur écrasante. La température était de quarante degrés centigrades. A bout de forces, le bienheureux s'accorda enfin de s'étendre sur son lit. Le père Ioannichie posa sur le corps brûlant du saint un linge humide pour tâcher de la rafraîchir un peu. Le bienheureux trouva encore la force de l'en remercier. ll ne proférait pas un cri de douleur. Accoutumé par une vie entière de souffrances et de privations, à tout supporter, il tenait toujours son esprit constamment fixé sur les souffrances du Christ pendu sur le bois pour le salut du monde - son Christ au Golgotha, à qui toujours alla sa pensée, jour et nuit, jusqu'à la fin - pour atteindre à la soumission des passions et à l'union à Dieu. Et s'unissant à Dieu par la prière, l'on eût dit déjà qu'il était passé par delà les limites étroites du corps et de la chair. Il savait qu'il s'en allait bien jeune encore, à quarante-sept ans à peine. Mais cela ne l'attristait pas, ni ne lui importait même. Il s'y était dès longtemps préparé, avec beaucoup de forces spirituelles et un désir inassouvi de Dieu. Non, cela seul comptait maintenant: il allait voir la face de son Seigneur...
Dans la nuit, père Jean se dressa un peu sur son lit, comme s'il eût voulu dire quelque chose. Mais, n'y parvenant pas, il se laissa retomber. Une heure plus tard, il éleva sa main droite, et bénit du signe de la croix les quatre points de l'horizon, murmurant la bénédiction des Pères Saints: "Paix à tous" Alors, à l'aube du 5 août 1960, son âme s'envola entre les mains de son créateur.
Avec lui s'en allait aussi le dernier hésychaste roumain qui eût mené l'ascèse au désert du Jourdain.
Le père Ioannichie s'en fut alors au monastère saint Georges le Chozévite, à trois quart d'heure de là, pour aller y chercher l'higoumène, le père Amphilochios qui avait été le père spirituel du bienheureux.
L'abba et les frères arrivèrent à la skyte vers dix heures du matin, et commencèrent l'office des morts. C'est alors qu'un vol d'oiseaux sauvages entra dans la grotte, en si grand nombre, qu'ils envahirent bientôt tout le lieu. Les frères, croyant qu'ils venaient réclamer les miettes dont père Jean les nourrissaient leur jetèrent des raisins et du pain. Mais ils n'y touchèrent pas. Ils voletaient au-dessus de la dépouille, s'asseyant sur la tête, la poitrine et les pieds, piaillant tous ensemble, et chacun séparément. Leur vacarme était tel qu'ils gênaient la lecture des prières. Ils voletaient par toute la grotte, éteignant les cierges, et dans leurs battements d'ailes fermant les livres des pères. Ils comprirent alors que c'était Dieu qui les avait envoyés pour associer leur douleur à celle des hommes, et escorter pour son dernier voyage celui qui sur la terre avait été leur père et bienfaiteur, montrant ainsi combien l'âme transfigurée de saint Jean avait retrouvé l'état bienheureux d'avant la chute où régnait la concorde entre Adam et les animaux.
Après quoi, les pères placèrent les restes du saint géronda dans un ancien tombeau qui se trouvait à l'intérieur de la grotte, que le père Jean s'était préparée pour lui même et où bien des ermites déjà par le passé avaient été ensevelis. Les frères recouvrirent la tombe de simples planches, qu'ils enduisirent de boue au sommet. Alors seulement s'en allèrent aussi les oiseaux. Au-dessus de la tombe, Ioannichie son disciple écrivit le poème testament du père Jean : Ecrit sur ma tombe pour mes compatriotes.
( Alors seulement s'en allèrent aussi les oiseaux.)?
Vingt ans après, en 1980, saint Jean indiqua par un rêve à son disciple Ioannichie d'ouvir sa tombe pour transférer ses reliques. cependant l'higoumène et les Anciens du monastère décidèrent de le laisser reposer toujours là où il était, car ce n'était pas la coutume de déterrer les hésychastes des cellules et des grottes.
A la fin de Juillet 1980 pourtant, un groupe de grecs américains se rendit en pèlerinage au monastère saint Georges le Chozévite. Certains connaissaient saint georges le Chozévite pour s'être naguère confessés à lui. C'est pourquoi ils prièrent l'higoumène de les emmener à la skyte Sainte Anne pour y vénérer la tombe de celui qui avait été leur père spirituel et leur géronda. Le père Amphiloccios fit quelques objections à cause de la configuration abrupte des lieux, mais les visiteurs insistèrent et il finit par céder à leur prière. S'aidant d'une échelle de corde, ils montèrent donc à la grotte. Là de nouveau ils supplièrent l'higoumène, le priant d'ouvrir la tombe pour qu'ils pussent vénérer les reliques du géronda.
En dépit de ses hésitations, le père Amphilochios finit par leur donner sa bénédiction. Alors, à peine eurent-ils retiré la première planche que la grotte s'emplit toute entière de ce parfum d'odeur agréable dont embaument les saints. Et le miracle apparut, miracle si admirable qu'ils ne se fussent jamais attendus à en voir de semblable: le corps de saint Jean était absolument intact. Interdits de stupeur, les frères voyaient son corps tout entier, tel qu'ils l'avaient déposé dans la tombe vingt ans plus tôt. Comme s'ils l'y eussent mis depuis quelques heures, quelques instants à peine. Son visage même n'avait pas changé. Il apparaissait là, dans l'encadrement du cercueil, dans toute la netteté de ses traits, avec ses cheveux et sa barbe d'un noir brillant. Et sa figure était si agréable à regarder, qu'on eût dit qu'il dormait et qu'il allait se mettre à parler. Ses vêtements étaient intacts eux aussi; les couleurs de son schème et de son étole n'avaient même pas passé avec le temps. Et les souliers qu'il portait - des chaussures de l'armée grecque - aussi étaient comme neufs. Tout paraissait absolumen neuf.
Les frères bouleversés, ne faisaient que murmurer : "Kyrie Eleison". Etait-ce l'imagination ou bien la réalité? "Vous aussi, géronda, interrogent-ils, vous voyez ce miracle?" "Oui, répondit l'higoumène. Et si vous n'étiez pas venus, la tombe n'aurait jamais été ouverte". Ils vénérèrent le saint, puis avant que de s'en aller demandèrent à emporter une "bénédiction" du bienheureux. L'higoumène leur coupa un petit morceau de son vêtement. Alors refermant provisoirement la tombe, ils repartirent.
Revenu au monastère, l'higoumène rassembla la synaxe des pères, afin de décider de ce qu'ils feraient de la relique. Fallait-il la laisser dans la grotte ou bien le ramener dans le monastère? Il y avait à craindre pourtant, si elle restait là-bas, que les Juif ou les Bedouins ne le trouvent et ne la brûlent ou ne la profanent. Car il en venait souvent, qui exploraient les grottes en quête de vieux objets. Il fut finalement décidé que la moitié des pères, aidés de fidèles laïcs iraient à Jérusalem pour y acheter son cercueil. Mais le monastère manquait d'argent, et ils ne purent se procurer qu'une pauvre bière qu'ils hissèrent ensuite avec des cordes jusqu'à la grotte. Posant le cercueil à terre, ils ouvrirent la tombe. Le saint, de nouveau, apparût intact! L'higoumène le prit sous les omoplates, des pères par la taille, d'autres encore par les pieds et les jambes, et, tout doucement, ils le posèrent dans le cercueil. L'higoumène sortit un peigne et coiffa la barbe et les cheveux du saint. Puis il lui remit sa skouffia et son voile. Le bienheureux était tout pareil à ce qu'il était avant de s'endormir. Seule sa skouffia avait laissé une petite trace noire sur le front... Puis avec les cordes, ils redescendirent tout doucement le cercueil. ils l'amenèrent au monastère, et le mirent dans l'église. Mais ils ne l'exposèrent pas à la vue des pèlerins, jugeant que le saint ne reposait pas dans un cercueil digne de lui.
A la même époque en Australie, une pieuse femme qui était aussi mère d'un prêtre, le père Charalambos, vit lui apparaître en rêve un moine inconnu, la priant d'organiser une collecte d'argent, afin d'acheter un beau reliquaire, pour un saint dont le corps était intact. Mais il ne lui dit pas quel était ce saint, ni en quel lieu il se trouvait. Elle raconta sa vision, mais nul ne sut lui dire ce qu'elle signifiait. Peu de temps après, une personne de son entourage s'en alla à Jérusalem, et fut amenée à vénérer les reliques du saint nouvellement manifesté. Lorsqu'elle vit père Jean intact dans son cercueil, elle comprit soudain le rêve de son amie. Elle savait maintenant que le reliquaire devait être destiné à saint Jean le nouveau du monastère de Chozéva, dit saint Jean le Roumain. C'est ainsi qu'avec de l'argent récolté en Australie, l'on fit faire pour saint Jean une belle châsse de verre que l'on plaça dans la petite église de saint Stéphane, auprès de la tombe de saint Georges le Chozévite. Les fidèles dès lors vinrent en foule vénérer le saint, et vivement impressionnés par le miracle, embrasser son cercueil avec foi et dévotion, et lui demander sa prière et sa bénédiction.
C'est ainsi qu'une pieuse femme venue de Grèce en pèlerinage avec un groupe de visiteurs, émue, voyant saint Jean le Roumain, intact dans sa châsse de verre, se mit à trembler et se jugeant indigne de sa vue, elle s'affligea d'être venue. "Ah! se disait-elle, comme il eût mieux valu que je ne le voie pas!" Le soir retournée à l'hôtel où elle séjournait, elle s'endormit, et dans son rêve soudain, vit saint Jean lui apparaître, resplendissant de lumière. Il était d'une beauté et d'une grâce indicibles. "Hélène, lui dit-il, pourquoi ma vue t'a t-elle causée tant de frayeur? C'est moi, Jean. Quel mal t'ai-je fait?" Hélène implora son pardon, mais elle n'eut pas le temps de lui demander sa bénédiction. Déjà le saint s'était évanoui. Aussi revint-elle l'année suivante au monastère pour y vénérer le saint et demander une photographie de sa relique.
Cependant, peu après que le corps du saint eût été exposé dans l'église, le père Amphilocios dut partir en Grèce, récolter des dons, destinés à couvrir les frais d'aménagement de la route qui menait au monastère, et qui était alors en piteux état. Il était à peine parti, que des prêtres du patriarcat, jugeant inconvenant que les reliques d'un nouveau saint, et qui plus est d'un saint étranger, pussent demeurer là, en avisèrent le Patriarche et décidèrent la réunion d'une commission dont les membres viendraient au monastère pour y prendre le corps et le transférer ailleurs. L'évêque du lieu, lui, ne voulait rien décider en l'absence de l'abba. La translation n'eut pas lieu cependant, car sur ces entrefaites le Patriarche mourut, l'évêque atteint d'une maladie rénale, dut subir une intervention chirurgicale, et un autre encore fut victime d'une crise cardiaque. Tout se passait comme si le saint, mécontent de ce transfert que l'on voulait faire subir à sa relique, permettait que fussent punis successivement les membres de la commission.
A son retour l'higoumène craignant de mécontenter le saint, interdit désormais que l'on dérange ses reliques. Elles reposent depuis en paix dans leur monastère saint Georges le Chozévite, pour la gloire de Dieu, et l'édification des fidèles, leur offrant l'exemple d'un être déifié, qui simple chrétien d'abord, parvint ensuite, par un effort toujours continué, au terme de l'ascension spirituelle vers la perfection, cet état bienheureux d'amour achevé, libre de toute passion, et d'union de l'âme avec Dieu. Car telles sont bien les sublimes âmes spirituelles auxquelles atteignit saint Jean le Roumain au terme de la divine métamorphose qui transfigura sa nature purifiée et illuminée par le saint Esprit.
Puisse le Seigneur, par les prières de saint Jean le Roumain, prendre pitié de nous!


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Sources biographiques.



1. Hiéromoine p.Ioannichie Balan (auteur roumain du Gérondikou ( Sentences des Pères) roumain). Vie de saint Jean le Roumain.
2. Moine Ioannikie Piriala (en roumain). (Disciple de saint Jean, aujourd'hui moine du monastère saint Georges le Chozévite). Vie de saint Jean le Roumain.
3. P. Amphilocios, archimandrite. (Higoumène du monatère saint Georges le Chozevite, qui fut le géronda et le père spirituel de saint Jean). Vie de saint Jean le Roumain.
4. Orthodox Life 1980, vol 30, n6, Nov-Déc, pp 14-20.
5. Orthodox Life
Vie de saint Jean le Roumain, étude traduite du roumain par Borislav P Sorakov, revue et corrigée par P. Dimitri , Tatulescu et Jean Shaw.















« Nourritures spirituelles »:
Livre très humble et merveilleux de poèmes
qui élèvent au ciel l'âme humaine,
Ecrits en vers par le Hiéromoine grand Schème Jean Jacob,
qui mena l'ascèse à la Skyte Sainte Anne,
auprès du Monastère de Chozéva,
Saint Georges le Chozévite,
au Désert du Jourdain.


Publié par le moine Ioanichie, son disciple.
Jérusalem, 1968


Les Flammes du Coeur




La strophe, de son quatrain paisible,
Dans la peine me console,
Quand souvent pleure mon Coeur,
De douleur affligé.

Comme jaillit l'étincelle,
De façon secrète aussi,
En l'Âme fervente surgi,
Le vers, inquiet, s'élève.

Que les tourments s'amoncellent,
Que les obstacles s'érigent,
La strophe -ô merveille !-
Telle eau de roche vient sourdre, & les érose.

Si la peine, hélas! m'abat,
Que vacillent mes forces,
Le poème, lui, me console
En ses infinies volutes.

Si d'une Spirituelle Joie
Eclate soudain mon coeur,
Alors, sitôt palpitant,
Il entonne à Dieu son hymne.

Si tu voulais apprendre
Ce qu'a perçu, senti mon Coeur,
Mes vers, sans fard, te le diraient,
A toi, mon Lecteur Bien-Aimé.


***



La Garde de l'Âme



Pour seule Oeuvre au monde,
Je n'ai que mon Salut.
Or, si ne m'en soucie,
Quel autre pour moi le fera ?

D'un corps et d'une âme,
Dieu me fit don précieux.
Contre quelle peine ?
Mon Coeur ne veut dire

La tâche du Salut,
Qui vaut pour les siècles,
Las ! ne peut se faire
Par nul autre que moi.

La sentence est tombée :
Il me faut donc Mourir !
Quand ? Le sais-je? Demain
Peut-être ? Ou quelque jour prochain ?

N'en sais l'heure, non plus.
Sur-le-champ ? Dormant ?
Pris au seuil ? Devant l'âtre,
Ou traînant en chemin ?

En quel état donc
Me saisira la Mort ?
Serai-je Pénitent ?
Esclave du péché ?

Si je ne Meurs soudain,
Un mal m'en préviendra.
Mais sous son lourd fardeau
Aurai-je un peu de Temps encore ?

J'ai ce jour mes esprits.
Mais, à l'Heure affreuse
Feront-ils l'examen
D'une Vie entière ?


Aurai-je Coeur contrit,
Poli comme marbre ?
Souvent, je me soucie :
Serai-je seulement lucide ?

A mes entours, mes Frères
En pleurs feront cercle.
D'autres me fouilleront,
Cherchant quelques legs d'héritage.

Si je suis riche alors,
Trop contents de l'aubaine,
Ils m'auront prié pour sûr
De coucher un testament.

Occupés de tant de soins
Ils n'iront pas quérir
-Que je me confesse-,
Mon vénérable Ancien.

A toute extrémité
Pour mes péchés viendra,
Las, ma langue liée sera,
& mon esprit, hors d'état de songer.

Ma pensée désormais
Dans l'Au-Delà sera.
Quant à mon Repentir,
Sais-je si Dieu bien en voudra ?

Ah ! Visions horribles,
A cet instant parues...
De quel front pourrai-je
Communier, inique ?

A mourir belle Mort
Dès ce jour m'apprête,
Mes armes en chemin
Fourbissant les Vertus !

Il est Temps encore,
Mes effets j'assemble,
- Pour ce qu'au dernier jour
Plus ne pourrai lutter -.

Une confession vraie,
Un Esprit Humilié,
Vigilance gardée
Des traits blessant au Coeur.

Mais que ma confession
N'eût point été sincère,
Que sera redoutable
La dure départie !

Comme il nous pèsera
Voir, lors, nos chutes,
N'ayant aux péages,
Terribles & Redoutables, point d'échappée nulle.

Une grand-peur nous prend,
Toute l'éternité
Ne sachant si nous guettent
Tourments ou Joie sans fin.

Ah ! Jamais n'oublions
Que trop vite, nous mourrons,
Et que, du corps Mortel,
Sort, Immortelle, l'Âme.

Si ce Jour & cette Heure
Etaient donc les derniers,
Qu'ainsi finît ma vie,
Quel serait mon espoir ?

Vois, sitôt après la Mort,
Combien sera changé mon corps,
Immobile, hideux,
Atrocement puant.

Vers l'Eglise allumée,
Il sera escorté,
Et puis, dans la tombe,
Sous terre, il descendra.

De mon Esprit l'écho,
Du monde évanoui,
Les hommes, en peu de Temps
Désapprendront mon nom.

Ainsi va s'éparpillant,
Au vent, ce corps glorieux, en sa superbe,
Qui, de son vain souci,
Seul absorba mon entière vie.

A chacun de mes pas
Puissé-je en Fin comprendre
Qu'à ce court Temps présent tient,
En suspens, mon salut.

Ô Dieu compatissant!
Toi, ne m'abandonne pas,
Car je crains d'oublier
La Repentance aussi.

Que l'idée de la Mort
-«Voix de la trompette»-
Toujours nous harcèle,
Sur la brèche resté.

Mort, je laisse au monde,
Pour toute fugitive trace,
Ce Livre de ma Vie,
Où dorment mes Pensées.

Las! je crains fort seulement
Que n'y soit rien écrite
Que l'Oeuvre qu'il m'eût fallu,
Cette vie, dûment accomplir
.
Que n'y figurent ces maux
Qu'il m'eût fallu d'abord fuir.
Malheur à moi! le tout
En sera donc souillé !

Si ce Jour d'aujourd'hui,
A l'heure fatale je songe,
Je crois voir assemblé
Le Divin Tribunal pour moi!

A ma gauche, un Démon
Des fautes prend note,
Les péchés recensant,
Commis avec lui.

Sévère, à ma droite,
Un Ange Lumineux
Lit les rares Oeuvres Bonnes
Qu'il me Vit accomplir.

Qu'ainsi Dieu le Veuille,
J'entrerai dans Sa Joie,
Des Anges Saints escortés,
D'allégresse Radieux.

Mais si rien écrit ne figure
Qui méritât compassion,
Les Ténébreux Démons
De force m'agripperont.

Malheur à moi maudit,
Dont le pire tourment
Sera cette pensée
D'être à jamais damné.

Lors que viendra le Temps
Du grand Second Avènement,
De signes branleront
La lune et le soleil.

Le Jugement soudain
Nous surprendra, naïfs,
Pêcheurs impénitents,
Sans repentir vivant indolents.

Lors, le Fleuve de Feu
Brûlera rois & gens,
Oiseaux, poissons, bétail,
& Tout le Règne de Nature.

Lorsque la Voix de l'Ange
Par Tout retentira,
Mon corps d'entre les Morts,
Droit surgi, Ressuscitera.

Sur l'ordre de son Dieu
Mon Âme rappelée,
Avec mon corps mortel
A nouveau s'unira.

Ils se vêtiront tous deux
De leur Vêture d'Immortalité,
Sera-ce pour ma perte? Ou si c'est pour ma Joie,
Je l'ignore, & n'en sais rien encore.

Sur les Nuées alors,
Dans son Eclat Glorieux,
En vrai Juge Eternel paru,
Voici Dieu, lors, et la Croix.


***
La voix du bon berger




ô ma créature,
Pourquoi m'abandonner,
Pourquoi errer ailleurs
Loin du sentier de vie ?

Vois l'ami de l'Homme,
Le «Dieu de compassion».
Qu'es-tu donc l'esclave
De mon adversaire ?

C'est pour toi que jadis
J'ai oeuvré au salut;
Jusque sur la terre,
J'ai incliné les cieux.

Devenu esclave,
Et né de la Vierge,
J'ai vécu sur la terre,
Humble et misérable.

Souffrant persécutions,
Insultes et peines,
J'offris mon corps aux coups,
Et ma Face aux crachats.

Descendu des hauteurs
Pour que tu y montes,
A toi, ô fils ingrat,
J'ai laissé ma gloire.

Souffrant l'iniquité,
Je t'ai rendu la joie.
Moi qui vécus pauvre,
Pour que tu sois riche.
L'on me tailla de plaies,
Gouttant sur la terre,
Pour refermer ta plaie,
En arrêtant ton sang.

Je n'ai pas plaint mon sang,
J'ai perdu ma Beauté,
Pour orner ton âme
Sous sa laideur figée.

C'est toi qui as péché
Dès le commencement,
Mais j'ai pris charge, moi,
Du faix de ton péché.

Tu devais à jamais
Un tribut éternel.
J'ai payé ta dette
Comme à la mort son dû.

A la croix suspendu,
J'ai bu vinaigre et fiel.
Mais du bois trés amer
J'ai tiré un doux fruit.

Entre les deux larrons,
De tous je fus maudit,
Pour te rendre ton lot,
T'appelant à la vie.

Mais c'est ce même amour
Que tu paies de haine,
Pour mon Economie
N'ayant rien que mépris.

Là où ce jour tu vis,
Aime-moi donc, sers-moi,
Loin d'aimer les passions,
T'en faisant l'esclave.
Dis, que t'a-t-il manqué
Que je ne t'aie donné,
Pour fuir si loin de moi,
Telle une âme errante ?

Mais si tu veux les biens,
J'en suis, vois, la source,
Dès sur cette terre,
Dans les siècles sans fin.

Si tu veux acquérir
La béatitude,
Du bonheur de l'âme
Je suis dispensateur.

Si tu veux revêtir
La beauté, vois, je suis
L'ornement du monde,
Et le doux Paradis.

Si tu veux la gloire,
Je suis le fils de Dieu,
Né ineffablement
Du Père et de Marie.

Cherches-tu encore la
Puissance des rois ?
Je suis le Roi de gloire,
Seigneur des puissances.

Mais si tu enviais
Les trésors du monde,
Je suis, moi, perle
De tous les biens du ciel.

Si c'est la sagesse,
Sois de mes disciples:
Je suis le Fils Glorieux,
Ton illumination.
Veux-tu de vrais amis,
A jamais fidèles?
Je suis, moi, ta myrrhe,
Viens à ton fiancé.

Veux-tu la justice ?
Elle n'est pas ici-bas.
Je suis le juste juge,
Sans acception d'aucun.

Quand viendra l'épreuve,
Si tu veux du secours,
C'est moi qui aussitôt
Serai à tes côtés.

Ne t'attriste donc pas,
Fût-ce au pire moment :
Je suis le médecin
Des âmes et des corps.

Si ton besois est grand,
Dès que le chagrin t'ennuie,
Viens, l'âme inconsolée,
Je te consolerai.

Sur le chemin de vie,
Si ton faix te pèse,
Je suis moi, ton repos,
Maintenant et toujours.

Si ton âme en sa paix
Mise à mal s'est troublée,
Hâte-toi, reviens moi,
Je suis Prince de Paix.

Si tu crains trop la mort,
Ne te tourmente plus.
Je suis la Vie de tous,
Dans les siècles sans fin.
Aux nasses du péché
Si tu t'es pris vivant,
Reviens dans la clarté
De mon soleil sans nuit.

Chez les hommes, un pur,
N'en cherche pas vraiment.
Pour ton salut je suis
Le Saint de tous les saints.

Toi qui t'en vas au gré
Des vagues de la vie,
Viens, je suis le chemin
Qui te conduis au port.

Si tu n'as maintenant
De guide jusqu'au ciel,
Je suis le Bon Berger
Qui ne te laisse seul.

Si de tes fautes honteux
Tu n'oses plus venir,
Entre, je suis L'Hôte
Miséricordieux.

Venez à moi vous tous,
Chargés et fatigués,
Et je vous donnerai
De goûter au repos.





Le don de Grand-Mère




Là-bas, sur le balcon ensoleillé
L'Ancienne5 assise auprès de son petit,
Tous deux se tiennent devant l'horizon,
Où sont les fils des araignées d'argent.

Sur ses épaules bien voûtées déjà
Tombe la neige de ses cheveux blancs;
Las, pour consolation de ses ans,
Elle n'a que ce petit orphelin.

A l'église c'était fête aujourd'hui ;
Aussi Grand-mère a sorti son livre,
Pour y faire lire à son garçonnet
«La passion de Jésus Christ le Seigneur».

«Mais qu'as-tu donc, maman chérie,
Que toujours tu pleures ainsi ta peine,
Quand je te lis ces choses sur la croix
Et ce "songe de la Mère de Dieu" ?»

De sa voix douce -oh ! ineffablement-,
Au travers des sanglots qui l'étouffent,
Elle lui répond, et dans son regard
S'épanche plus de douceur encore.

«Oh mon fils ! Quand tu me lis ces pages
Peignant la Vierge et les douleurs du Christ,
Lors je songe à la mort davantage,
Car vois maintenant, je suis bien vieillie».

Une fois encore, elle se souvient,
De son Maxime qui partit là-bas
Combattre à la guerre, et qu'en vain attend,
Son coeur brisé de mère infortunée.

-«Quel est, Maman, celui que tu pleures,
Quand tu t'assieds, filant ta laine ?
Fut-il aussi prisonnier des Hébreux,
Ou seulement n'est-il pas revenu ?»

-«Mon oiseau ! Tu as le coeur trop simple,
Comment pourrais-tu comprendre ?
En quelle douleur passe notre vie
Je ne voulais si tôt te l'apprendre».

-«Je t'en prie ! Que te caches-tu de moi,
Et que pleures-tu qui te peine tant ?
Ou que veux-tu qu'ici je t'apporte
Pour ton bonheur, qui te fasse heureuse ?»

-«De bonheur petit, je n'en ai d'autre
Que toi, -"enfant de nulle part", dit-on-
De ton père, à ce jour, je ne sais rien,
Et ta mère, hélas, la pauvre n'est plus !

Mais mon Maxime, quand il s'en alla
Avant toute chose me supplia
D'être toujours père et mère ensemble
De son bien-aimé petit enfançon.

Ah ! Toujours impatient mon coeur s'attend
A le voir s'en revenir de guerre.
Mais tous ceux qui s'en sont revenus, las,
Je le vois, ne me disent rien de lui.

Des jours entiers je scrute l'horizon ;
D'autres fois, me tenant sur la route,
Il semble au loin que je le vois venir.
-Oui, là-bas ! Ce sera lui sans doute !-
Comme s'il allait dès à présent venir !
L'on dit bien qu'il était à combattre,
Avec les Hongrois, dans les Carpathes,
Et que d'entre son régiment beaucoup,
-Mais lui donc ?- furent emmenés captifs.

Jusqu'à ce jour je nourris cet espoir
Que je verrai son retour sans doute...
Mais voici que les années ont passé,
Et que ma joie tarde encore à venir !

Ma peine, sûr, ne serait si grande,
Si tu eusses été plus grand déjà.
Mais si petit, tu tiens dans ma paume,
Quand demain, peut-être, il me faut mourir.

Mais après moi, qui aura compassion,
Pour te donner ses soins, comme je fis ?
Nul, si ce n'est le Dieu compatissant,
Notre Dieu, seul miséricordieux.

En lui seul place ton espérance,
Lui seul, avec ferveur, supplie toujours,
Car il est pour les âmes souffrantes
Plus infiniment que père et mère.

Du temps que ma pauvre mère vivait,
Au Seigneur je donnai ma promesse
De m'en aller au monastère
Pour n'y songer qu'à la pénitence.

Mais quand tes parents t'eurent laissé seul,
Il me fallut bien t'élever pour eux,
Et, pauvre, il ne me resta plus dès lors
D'espoir de mener la vie des anges.

Si Dieu voulait bien accomplir en toi
Ce cher désir que j'avais eu pour moi,
J'aurais consolation de ma peine,
Moi qui te veillai comme l'or précieux.»
Alors, essuyant ses yeux l'Ancienne
Avec amour embrasse son petit,
Et lui, reprenant son livre, achève
Les souffrances de Jésus son Seigneur.




Le signe de la croix vénérable




Le signe de la croix,
Bouclier du salut,
Au loin chasse le mal,
Nous donnant tous les biens.

De la juste façon
Faisons le sceau du Christ,
Car les hostiles fuient
Le Bois Vénérable.

Ceux qui, jouant du luth,
Déforment ce signe,
Sont déjà incroyants
Tenant un faux-scellé.

Sans piété dans l'âme,
Ni pudeur du regard,
Eux qui ne courbent point
Leur nuque trop raide.

Dieu pourtant voulut bien
Incliner bas les cieux,
Et la foule bénie
Devant lui s'incline.

Si Dieu même a voulu
Sur la croix se pendre,
Ose, homme, te signer
Sans dégoût ni honte.

Sur le bois en mourant
Dieu daigna nous sauver.
Mais, chrétien, tu rougis
De ton signe de croix ?



Dans les bras paternels




Enfant orphelin, demeuré seul au monde,
Qu'on appelait «Petit garçon de nulle part»,
Dans le Seigneur j'ai placé mon espérance,
Implorant de lui secours et protection.

Mamie -Dieu lui pardonne et la prenne en pitié-
Trés tôt, parmi les pieux replis de mon âme,
Pour jamais sema les beaux mystères de foi,
Et c'est leur fruit bienheureux qui me garde en vie.

A chère Ancienne, Gérondissa6, ma sainte,
De ce que j'ai, qu'est-il que je ne te doive,
Toi qui pour le lait tari me fit tôt sucer
La haute théologie du Père des Cieux.

Quand mon père -ainsi qu'il est dit dans le psaume-
Comme aussi ma mère, orphelin me laissèrent,
Alors ce fut le Dieu du ciel qui me reçut
Dans les bras divins de Sa miséricorde.

Et mon âme humble, dès toujours humiliée,
En sa prière fervente ne rêvait plus,
Frémissant des ailes, que s'envoler d'amour
Auprès de son Seigneur, son Souverain toujours.

Pour avoir fait descendre l'esprit dans le coeur7,
Toi qui par ce miracle t'es rendu voyant,
Tâche donc de chercher la source secrète
D'où jaillit en eaux vives la vraie Vie du Christ,
Lui qui te donnera le salut éternel.

Suivant désormais ce sentier salutaire,
Va, mène une vie retirée d'hésychaste,
Dès le jour d'aujourd'hui remettant au Seigneur
Chacun de tes inutiles soucis d'homme.





Larmes oubliées




Mes parents, chères âmes,
Moururent il y a longtemps,
-J'étais petit encore,
Trop pour les savoir pleurer-.

Plus tard pourtant vint le temps,
Où longtemps je les pleurai,
Tandis que j'étais auprès
D'une autre tombe chère.

Car Dieu dans sa prescience
Avait ainsi disposé :
J'aurais une grand mère
Pour père et mère ensemble.

Hélas, l'Ancienne en allée
Au ciel avec son âme,
Alors orphelin vraiment,
Je restai seul au monde.

Quand il fallut sur elle
Verser mes larmes de feu,
Dans le même temps aussi
Je pleurai mes parents morts.

Si lourde était la peine
Dont s'étouffait mon âme,
Que la blessure toujours
Sans se refermer saignait.

Or cette plaie ancienne
Ce jour un peu se ferme
Que le Seigneur m'appelle
A cette oeuvre divine.



Sur d'autres rives




Chaque fois qu'enfant je contemplais l'horizon,
Je n'avais que ce seul, cet unique désir :
C'était -je rêvais- devenu grand voyageur
De parcourir un jour les terres et les mers.

Et je voyais là-bas, au firmament lointain,
Le ciel toujours pur, serein, sans un nuage,
Comme d'un monde angélique, immuablement,
D'une autre vie, qui n'aurait larmes ni peines.

Mais telle l'illusion oubliée d'un rêve,
Sur la pointe des pieds s'en fut mon enfance,
Et la joie, comme l'oiseau, à tire d'aile,
Avec elle aussi, bien vite s'en est allée.

Dans ce monde agité, démonté d'aujourd'hui,
Partout à grands frais je me suis mis en quête
De ce hâvre de paix dont je rêvais enfant ;
Sur la terre pourtant, je ne l'ai point trouvé.

Il y a sur la mer, las, les mêmes vagues,
Une vie de souffrance, des poissons amers,
Pour nos péchés le dur assaut des épreuves,
Voici ce que je trouve aujourd'hui comme hier.

Un autre rivage, un seul maintenant m'attend,
Etranger aux vagues furieuses du monde,
Et ce rivage a nom Jérusalem d'en haut,
Où le ciel par-dessus elle, est toujours serein.

Là il n'est plus ni plainte, ni pleur, ni chagrin,
Là il n'est plus ni mal, ni soupir, ni peine ;
Le soleil là-bas n'a ni coucher ni déclin,
Le ciel reste pur au jour sans crépuscule.



Le petit orphelin




C'est la résurrection,
Sonnent les cloches, sonnent,
Les anciens sont aux balcons,
Les autres, là, sur leur seuil.

En habits du dimanche,
Les enfants, les jeunes gens,
S'en vont qui se rencontrent
Là-bas au cimetière.

Le doux parfum mystique
De cette sainte fête
S'exhale du suave encens,
Et des corolles de fleurs.

Vois, les prés ont revêtu
Leur plus belle parure,
Tout maintenant apparaît
Plus nouveau sur la terre.

Là, auprès du saint autel
Dans l'église de cyprès,
Un enfant s'approche offrant
Des lampes et de l'huile.

Puis il embrasse la croix
Devant la tombe fraîche,
Et pleurant s'agenouille
Dans un gémissement.

Lorsque sonnent les cloches
Bien haut, à toute volée,
Là-bas, auprès de sa croix,
L'orphelin plaint sa peine.
Et tandis qu'il s'abîme
Dans ses larmes, ses sanglots,
Dans l'écho de la cloche,
S'entend une voix douce :

Ne pleure pas, mon enfant,
Ce jour, ne t'inquiète pas.
Vois, je suis auprès de toi,
Ton Christ est ressuscité.

C'est la voix de sa mère,
De par-delà la tombe
Venue chasser la peine
De son coeur douloureux.

L'orphelin lors se lève,
Le regard extasié,
Il cherche partout en l'air
Qui lui a ainsi parlé.

Là, devant le saint autel,
Sur le mur noirci d'encens
Le Seigneur ressuscité
Trés doucement lui sourit.

Son petit coeur s'éclaire,
Son visage s'apaise,
Sa peine s'est en allée,
Puis en esprit il songe.

«Si c'est bien là le Seigneur
Le Ressuscité des morts,
Lors ma chère mère aussi
Doit être ressuscitée».

Et sur de telles pensées,
Il se prosterne, humble,
Pour embrasser la tombe,
Avant de s'en retourner !
Dans son séjour sur terre
Solitaire, il demeure,
Lui dont le pauvre père
Mourut, las, à la guerre.

Souvent dort sur leur tombe,
Puis à l'aube s'en va seul,
Et courant à sa maison,
Il y pleure tout le jour.

Or c'est la Résurrection ;
Et l'orphelin revenu,
Comme chaque fois pleure,
Dans ses larmes s'étouffant.

Mais il entend la cloche
Au cimetière tinter ;
Et la voix de sa mère,
Cette fois lui murmure :

«Ne pleure pas, mon enfant,
Ce jour, ne t'inquiète pas.
Vois, je suis auprès de toi,
Ton Christ est ressuscité».

Et notre orphelin pour lors
Sèche ses pauvres larmes,
Et quand sonne la cloche,
Douce, elle le console.





Prière




ô mon Seigneur, mon Dieu,
Miséricordieux,
Sur les voies du monde
Eclaire-moi toujours.

ô mon tendre père,
Viens adoucir ma vie.
Mais la crainte me prend,
M'en sachant indigne !

Prodigue-moi Seigneur
Ta grâce abondante,
Pour qu'il me soit donné
De te glorifier mieux.





Au port spirituel




Au terme de ton voyage, ô mon âme humble,
Tâche de cingler vite jusque dans le port.
Car la mer de la vie, je le vois, t'engloutit,
Et le grain te surprend durant la traversée.

Or tu navigues sur une barque sans fond,
Et tu n'as pas mis les voiles du mât de hume.
La route est incertaine, encombrée de périls.
Comment peux-tu seulement naviguer ainsi ?

Le saint monastère, voilà ton port béni ;
Tu y vivras une vie calme et tranquille,
Et tu pourras, disant ta règle de moine,
Obtenir par surcroît le salut éternel.

Entends de Dieu la paternelle supplique,
Entends la douce voix du Sauveur te dire :
«Allons, dépose tous les soucis du monde,
Viens sur tes épaules charger mon joug léger.

Et si tu as en lui une foi sans faille,
Empruntant la voie droite libre de récifs,
Sain et sauf, sache-le, tu parviendras bientôt
Jusque dans le port qu'a désiré ton âme.

Oui, suis la voie facile, sans écueil aucun,
Celle qu'avant toi prirent tes chers ancêtres:
Au bout, ils trouvèrent le pays du bonheur,
Et leur âme depuis, vois, t'y attends toujours.

Car sans se lasser jamais, pour toi ils supplient
Dieu compatissant et miséricordieux,
Qu'avec eux aussi tu ais ta part de ses biens ;
Mon humble petite âme, cingle vers le port !



En mémoire de ma grand-mère Marie




Je te vois encore avec les yeux de l'âme
Comme tu étais alors, Mamie, ma sainte,
Avec ton doux visage, tel celui des saints,
Et ta voix d'ange, d'une douceur pareille.

Faible, tu marchais à pas comptés, lentement,
A l'épaule halant la besace de la vie,
Et les larmes, si souvent brouillaient ton regard,
A songer au vide où ton coeur s'abîmait tout.

C'était ton seul désir, le seul de ton âme,
Cette promesse que tu n'avais pu tenir,
De finir ce peu qui te restait à vivre
Moniale, retirée au fond d'une skyte.

Et ton unique empêchement, le seul, hélas,
Je le sais, Grand mère, me le pardonnes-tu ?
C'était moi, le malheureux pauvret, l'indigne,
Qui aujourd'hui même écris ici ces lignes.

C'était moi qui chargeais tes épaules lasses
De ce fardeau trop lourd que tu portais toujours,
Moi qui tout enfant avait dû, seul au monde,
Rester sans parents ni personne pour l'aimer.

Ce fut toi dès lors qui sur ton dos me portas
Tout le long du chemin qui passe à travers champs,
Toi qui tant de fois jusqu'aux lueurs de l'aube
Tel un ange lumineux veilla ton trésor.

Toi la première me donnas -chose inconnue-
L'amour d'une mère pour le fruit de son sein.
Et tu m'offris, toi seule, un joyau trés précieux,
Ciselant dans mon coeur la crainte du Seigneur.
Puisse-tu là haut, Grand-mère, ma grand-mère,
Heureuse enfin, pour jamais reposer en paix,
Loin, trés loin, où si souvent mon esprit léger
Vers toi s'envole, voulant goûter à ta paix.

Pour avoir désormais accompli ton dessein,
D'élever ce petit, pauvre déshérité,
Vers les séjours de la joie tu t'es en allée...
Reçois l'hommage qu'il rend à ta mémoire !

Si tu as obtenu, Grand-mère, la grâce
Du Seigneur de bonté, miséricordieux,
Implore-le, je t'en prie, toujours supplie-le
De pardonner aussi à ton pauvre orphelin.



Sur mon chemin de croix




Secours-moi, ô Maître, Seigneur mon Dieu,
Que je fasse aussi mon chemin de croix,
Car large était la route de la vie
Dans laquelle j'ai si longtemps marché.

Lorsque sous le poids de la lourde croix
Faiblit mon échine pliée déjà,
Mon Dieu, hâte-toi, viens à mon secours,
Comme vint au tien le Cyrénaïque.

O Maître, quand approchera ma fin,
Quand sur moi s'abattront tous les tourments,
Fais-moi selon mon désir entendre
La promesse que tu fis au larron.

Que j'aie du moins cette consolation
De prendre part au festin des noces,
Comme tu la prodiguas sur la croix
A celui qui partageait ta gloire.

Et comme tu vis ta Mère, debout
Auprès de ta croix, veillant sur son Fils,
Qu'ainsi se tienne auprès de moi toujours,
Un saint de Dieu pour garder mon âme.

Lorsque de mon corps se séparera
Cette âme, reçois-là, Seigneur, mon Dieu,
Avant que sur elle, ne prévalent
Les affreux péages invisibles.

Puis quand il me faudra comparaître
Devant ton Tribunal, Seigneur, pitié,
Ne me livre pas aux flammes de feu,
Ni aux tourments éternels de l'enfer.




Les épreuves d'un commençant




Comme l'hiver les corbeaux
Dépècent les charognes
Ainsi tournoient mes pensées,
Autour de mes vains soucis.

Vois, ma pauvre chère âme,
Où je voudrais tant aller...
Las, les assauts de Bélial
Ne me laissent pas en paix.

Si je tiens même un livre,
Pour en emplir ma tête,
Comme brebis dans l'enclos
Les pensées me gouvernent.

Si, pour chasser mes tourments,
Je cours à la prière,
Alors, par terre et par mer,
Vient la pensée mauvaise.

Que je chante à l'église,
Que j'y lise les canons,
Les pensées me combattent,
Tempête de mon âme.

Si voulant m'en délivrer
J'oeuvre à quelque diaconie,
En bandes elles s'agglutinent,
Tels les oiseaux d'un square.

Si par hasard m'échappe
Un seul mot édifiant,
Ma pensée bien haut me crie
Que me voici un grand saint.




Au monatère de Neamts, 1933

Exhortation à un ami hésychaste




Si dans ce pauvre monde, ô mon ami aimé,
Tu avais à vivre fût-ce une once de vie,
A ton âme, sans balancer sacrifie-la
Déposant maintenant les soucis du monde.

Te reste-t-il un an ? La moitié peut-être ?
Et quand ce ne serait que ce mois seulement,
Ou même d'aujourd'hui le seul, l'unique jour,
Ou le court espace encore de cette heure !

Car autant à l'homme demeurent ignorées
Les limites qu'à sa vie Dieu veut accorder,
Autant il faut te hâtant, juger plus courte
La route qui d'ici te conduit au tombeau.

Ne songe plus à la douceur d'être ensemble
Avec ceux qui naguère furent tes amis,
Car à l'heure terrible où il te faudra mourir,
De nul secours ne te sera plus l'amitié.

Pour vrais amis, sache qu'il ne te faut prendre
Que le deuil des moines et la prière du coeur :
Car le deuil éteins les flammes éternelles
Et la prière t'élève sur les âmes.

Si tu veux à cela en ajouter d'autres,
Prends pour amis les commandements de Jésus,
Puis avec amour, tâche ta vie entière
Avec une âme ardente de les pratiquer.

Même les plus belles amitiés du monde,
A l'heure de la mort, ingrates, t'oublieront,
Mais les oeuvres de la foi -nulles autres qu'elles-
Par-delà le tombeau te feront cortège.



Prière II




Comme naguère, Seigneur,
Tu illuminas Zachée,
De moi aussi, je t'en prie,
Fais ton zélé serviteur.

Sous mes pas appesantis
Toujours je crains de tomber,
Et ma vie restée sans fruit
De l'enfer se rapproche.

Las de mon corps indigne
Je ne sais la guérison ;
Trop tôt je l'ai corrompu,
Pour aujourd'hui le vaincre.

Car j'ai vieilli dans le mal,
Plus ne peux m'en affranchir.
Il n'a cessé de croître,
Jusqu'en haut de ma tête.

Mes amis, tous m'ont laissé,
Et beaucoup de mes frères,
Ne voyant que scandales,
Se tiennent bien loin de moi.

Eclaire, ô Dieu mon chemin ;
Renouvelle moi ton don,
Que ta céleste douceur
Soit la joie de mon âme.

Donne-moi incessante
Ta mémoire divine,
Et dans mon coeur pacifié
Apprête un lieu lumineux.



Epigramme




Si l'esprit ne s'élève,
Par-delà la mort trés haut
Dans les cieux il s'égare,
Parmi les trop vains discours.

Lorsque se repose en nous
La compassion de la paix,
Nous n'avons que prétexte
A querelle et dispute.

Mais si de cette science
Nous n'avons point le souci,
Ce qu'alentour l'on publie
N'est qu'oeuvres étrangères.





Pensées au vent




Notre âme -oh, non jamais !-
La paix ne trouvera
Si l'esprit ne monte
Jusqu'au Seigneur de vie.

Tel l'enfant au berceau,
Qui ne cesse ses pleurs
Tant qu'est loin sa mère,
L'âme en Dieu s'apaise.

Au Seigneur est la paix,
En lui, j'ai mon repos,
Lui seul est la vraie Voie,
Aujourd'hui et toujours.

Mais lorsque mon esprit
Vers Dieu prend son essor,
Au fond de moi l'Autre
Vient affoler mes sens.

Comme poussière au vent
Ma pensée s'évanouit,
S'efforçant d'abaisser
Mes regards vers le sol.

Le Malin déroule
Le mirage d'ailleurs,
Pour faire choir la pensée
Loin du lieu de la paix.

Le marbre de mon coeur,
Pierre d'une tombe,
De son poids m'écrase,
Vers le bas m'attirant.
Puissè-je un jour mouvoir
Ce roc de mon âme,
Pour être un vase saint
De l'éclat du père.

Les obscures passions
Règnent sur mon âme,
Les pousses des vertus,
Toutes, se sont flétries.





Hymnes d'actions de grâce rendues à Dieu




ô céleste Bonté,
A te voir assister
Tous mes pas dans tes voies
Je ne sais que songer.

Mais de la perdition,
Garde-moi, je t'en prie,
Brisant sous ta force
Les pièges du pervers.

Quand la faux de la mort
Rageuse m'atteindra,
Quelque temps encore
Eloigne-la de moi.

Les princes hostiles
Tôt creusent ma tombe,
Sans cesse s'attachant
A m'y faire tomber.

Quand mes pas, ô Maitre,
Faiblissent chancelants,
Bien vite étends vers moi
Ton bras compatissant.

Si les plaies de mon coeur
Me font par trop souffrir,
Puisses-tu les guérir
Par ta grâce prompte.

La peine de mon coeur,
Toi seul, mon Dieu, la vois ;
Quand tu l'y reverras,
Viens, et allège-là.
De mes faiblesses, ô Christ,
Soulève un peu le faix,
Toi qui pris de plein gré
Le fardeau de la croix.

Plus qu'un autre je suis
A jamais coupable ;
Mais nul si ce n'est toi
Ne m'est Dieu et Seigneur.

L'habit de mon âme
Je le sais est lambeaux,
Mais le secret de foi
A nul n'ai dévoilé.

Ma nature est faible
Et j'achoppe toujours,
Mais l'espoir je garde
De faire mon salut.





A la gloire du Créateur




Que tu es grand Seigneur !
Mes yeux s'émerveillent,
Contemplant l'harmonie
Du monde visible.

Si tu as tant orné
Les objets sensibles,
Combien plus splendides
Faut-il que soient les cieux !

Si mon esprit voyait
La beauté celeste,
A chaque heure, mon Christ,
Il chanterait ton nom.

Si je savais haïr
Les plaisirs du monde,
L'éclat de ta gloire
Réjouirait mon coeur.

Mais mon esprit trop lourd
Ici-bas se vautre,
Muselant mon âme
En son désir divin.

Vil, passionné, bourbeux,
Ce corps colle à l'âme,
Me séparant de Dieu
Qui me fit son souffle.

Aide au ciel ma pensée
A prendre son essor !
Ote-moi tôt ce corps,
Laissant ma seule âme !





Chanson de rimes sur les habitudes mauvaises




Les péchés de l'orgueil,
L'avarice honteuse,
La colère entêtée
Sont les pires des maux.

Ils portent dans l'âme
Le glaive de Bélial,
Eloignant la grâce,
Et la repentance.

Les autres sans nombre
Font des plaies pareilles,
Mais l'âme s'en guérit,
Le temps en a raison.

Pour la molle acédie,
Et la voracité,
Les vices de ton coeur
En sont bien la cause.

De ces vices en pluie
Que l'on nomme mondains,
Et dont l'âme est ternie,
Long est le repentir.

O ma petite âme,
Nous péchons en secret,
Mais tout au Jugement
En plein jour paraîtra.

Dès ce jour nous-mêmes,
Dénonçons nos péchés,
Car si nous les cachons,
L'Autre nous trahira.





Pensées rimées, inspirées du «Je crie vers toi»




Quand, mon Dieu, faudra-t-il que tu viennes,
Qu'à ma langueur enfin, ô mon doux Christ,
Soit donné, implorant ta justice,
D'obtenir la guérison de mon âme ?

O mon Seigneur, toi qui aimes la paix,
Pour nous en avoir fait le don précieux,
Tu me vois pauvret, la proie vivante
Du vain tumulte et de l'agitation.

Les oeuvres de pureté candide
Voilà ce que de nous tu implores ;
Pour moi, hélas, c'est dans l'impureté
Que chaque jour, j'ai souillé mon âme.

Tu es, mon Dieu et Maître, la source
Miséricordieuse de tous les biens.
Mais dans le gouffre de ma vilainie,
Je n'ai témoigné nulle compassion.

En toute chose, au ciel et sur la terre,
Paraît en toi ta justice sainte.
Mais pour moi, indigne et misérable,
De l'iniquité je suis l'esclave.

De ce qui vit et respire, Seigneur,
Tu es le souffle avec la lumière,
Mais moi, l'aveugle, avant que de mourir
Je ne suis ici-bas qu'un mort vivant.

Tu es, ô Seigneur, la joie du monde,
Et la source vive des guérisons.
Mais moi, esclave des passions, je gis
Paralytique, par leurs maux rivé.





Nouvelles croix, nouvelles plaies




Pourquoi ton sang, mon Christ, coule-t-il encore
De ton flanc transpercé par la lance inique ?
Qui donc aujourd'hui t'a-t-il à nouveau frappé,
Au Golgotha renouvelant ton calvaire ?

C'est, dit le Seigneur, le spectacle de ta vie,
Et de ton coeur impénitent qui m'afflige,
Lui, qui par ses passions funestes me blesse,
Me faisant souffrir jusqu'à la Crucifixion.

Les plaies qu'injustement m'affligèrent jadis
Juifs et infidèles, enfin se fermèrent,
Mais toi, mon pauvre enfant, qui te dis trés chrétien,
Les coups que tu m'assènes sont pis que les leurs !

Or le sang du rachat, le prix de la rançon,
C'est pour toi, mon bien-aimé, que je l'ai versé.
Viens, redresse tes voies, et fais pénitence,
Sans plus m'infliger le tourment de tes péchés.

Ne t'irrite pas, Christ, ne te courrouce pas.
Toi seul de ma nature sais la faiblesse,
Qui toujours incline vers ces viles passions,
Ces passions d'hommes, hideuses, qui te peinent.

Allège, Seigneur, le poids trop lourd de mon corps,
Qui toujours en tyran tâche de m'accabler,
Faisant à mon âme, légère et subtile,
Souffrir le mal affreux de la suffocation.

Jussqu'au jour de me descendre dans la tombe,
Accorde-moi le don divin de ta grâce,
Que je ne cesse dans les flots de mes larmes
De laver ma robe souillée par mes péchés.





La connaissance de l'âme




Si l'esprit trop oublie
De se bien connaître,
Vers l'antre du péché
S'envole la pensée.

Si d'oublier la mort
Nous sommes coutumiers,
En butte aux vains soucis,
Vite ils nous dominent.

Si oublieux du bien,
Nous ne voulons dire
La prière du coeur,
La vanité nous perd.

Du manger, du boire
Si trop nous abusons,
Nous livrons notre esprit
A l'horrible acédie.

Pauvres sycophantes,
Si nous voulons rester
A notre tour dupés,
Le mal même nous lie.

Si nous ne maîtrisons
Nos oreilles et nos yeux,
L'âme toujours en pâtit,
Et tombe à son piège.

Où il n'est de lutte,
La vile habitude
Couve les noirs corbeaux
Des passions hideuses.





La robe des noces, je n'ai pas revêtue




Si souvent à ta Cène mystique,
En convive, je me suis approché....
Mais la tunique de mon âme, las,
Mon Christ, je n'ai point encore lavée !

Pour toi, ô mon Seigneur compatissant,
Ne me jette pas loin de ta face.
Oui, attends un peu de temps encore,
Espérant qu'un jour me trouve changé.

Mais vois ma vie cependant a passé,
Et je demeure sans repentance,
Le coeur pris sous l'étau de sa glace,
Et l'âme maculée de souillures.

Puissé-je n'être pour jamais perdu,
Moi qui de tous suis l'être le plus vil ;
ô mon Christ et Seigneur, accorde-moi
Le don d'une repentance prompte.

Sur moi répands ta divine pitié,
ô mon Seigneur miséricordieux,
Et ne dédaigne pas, je t'en supplie,
Mon pauvre coeur tout meurtri et blessé.

Car tu es toi le bon Samaritain,
Qui autrefois passas à Jericho,
Pour me mener jusqu'à l'hotellerie
De la Sion céleste des bienheureux.

Aussi hâte-toi, Seigneur de bonté,
Viens me relever encore,
Car nul désormais, si ce n'est toi seul,
Ne vient plus à passer sur ma route.

Prière aux humbles versets




Aie pitié de moi, ô maître,
Dans ta compassion infinie ;
Et dans ton amour sans bornes,
Viens et efface mon péché.

Je connais mon iniquité,
Je n'ignore pas mes fautes.
Dans le péché je fus conçu,
Dans l'iniquité enfanté.

Toutes les beautés du monde
Pour gagner le ciel ne sont rien :
Parmi la race des hommes,
Tu ne veux que des coeurs humbles.

Un coeur en vérité contrit,
Avec un esprit humilié,
Est l'holocauste agréable
Que chante David pénitent.

Ta grâce aisément s'épanche
Sur les hommes au coeur simple,
Comme entre leurs rangs il te plaît
D'élire tes vases bénis.

Dans les tourments et la peine
Pour le salut de notre âme
Tu voudrais que nous travaillons,
Nous qui pour joug avons ta croix.
Parce que nos larmes et nos sueurs
Offertes en sacrifice
Pour Dieu sont un feu dévorant,
Qui seul purifie nos âmes.





Quand esclaves de la terre, nous perdons la fin première




Le temps secrètement, las,
Se hâte, vole et s'enfuit ;
Nous, pris à son vertige,
En oublions notre âme.

Jour après jour esclaves
D'un corps si tyrannique,
Nous quittons tôt la route
Qui mène jusqu'au port des cieux.

L'horizon s'évanouit
De la patrie céleste,
Tant notre esprit en captif
S'attache au pauvre homme seul.

Lors les ailes de l'esprit
Aux passions se brûlent ;
Pour lors nous prend en chasse
L'autre à l'affût épiant.

Et notre âme infortunée,
Tel un mort que l'on descend
Dans son étroite tombe
Est pour jamais maudite.

Notre vie s'en est allée
Déjà, mais vide et vaine,
Tout comme aujourd'hui le jour
N'eut ni souffle ni soleil.

Et notre fin première
De faire notre salut,
En vain reste à attendre,
Immobile, à la porte.





Nos temps et les temps anciens




Sur les traces oubliées
Des jours et des temps anciens
Qu'animait l'esprit chrétien,
Ouvrons l'intelligence.

Lors notre voix se fige,
Contemplant ces saints d'antan,
Et nous nous sentons petits,
Pareils à des nouveaux-nés.

De l'Orient, d'Occident
Monte l'incrédulité
Qui sans répit nous combat,
Confesseurs orthodoxes.

Nous saisissons quelle foi
Telle un feu les dévorait
Quand à son faîte glorieux
Resplendissait l'Eglise.

Lors demeure extasiée
Notre pensée qui plonge,
Au temps des catacombes,
Vers ce passé sublime.

Comme géants se dressent
Ces saints chrétiens de jadis,
Et nous sommes, nous chétifs
Devant eux comme des nains.

Du diadème orné leur front
Tant chatoie des rais divins,
Que nous ne pouvons même
Sans honte le contempler.
Nous qui petits dans l'âme
Souffrons de grandes passions,
Nous n'osons point approcher
La Jérusalem d'en haut.






Sans le Seigneur




Que suis-je, pauvre manant, sans mon Seigneur ?
Sinon poussière, poudre d'os désséchés,
Pour servir de pâture aux vers du tombeau
Ou pour les siècles ils seront à l'oeuvre.

Car mon esprit, si sur lui ne rayonne
La lumière céleste de mon Christ Dieu
N'est à jamais qu'une infinie ténèbre,
Couchant éternel, au déclin du soleil.

Mes yeux, s'ils ne voient point tous deux ensemble,
Fixant là-haut, le Père des lumières,
Ne diffèrent point des lunettes noires
Qui des aveugles couvrent la cécité.

Mes lèvres, si ne s'en vient point déposer
Le souffle vivifiant de mon Seigneur,
Résonnent comme une cloche sans battant
Dont la voix s'est pour les siècles éteinte.

Mes pauvres oreilles de même sorte,
Sans le trés saint et vivifiant esprit,
Ne sont que pauvres hardes pendues au vent,
Qui ondulent, tournoient et virevoltent.

Si le Seigneur ne prend pour ses esclaves
Mes mains et mes pieds, que je lui dévouai,
Toutes mes oeuvres lors, et mes démarches
Ne me peuvent mener qu'à la damnation.

Sans la grâce de la croix vénérable,
Je ne suis qu'une charogne puante,
Car ma vie, tôt privée de la lumière,
Voit son espérance bientôt se mourir.





Pensées pour les jours difficiles




En ma vie écoulée au désert,
Mon âme bien souvent se fâche,
Mais mon coeur, lui, ne veut comprendre,
Que la mort sans répit le poursuit.

Je la vois préparer son orgue,
La cloche prête à sonner déjà,
Lorsque la voix de la trompette
Couvre le son du tambour voilé.

Il faut que malade j'entende
La trompette annonciatrice,
De sorte que jamais je n'oublie
Que j'ai reçu ordre de mourir.

Mais mon pauvre coeur misérable
Toujours veut abuser ma pensée,
Car la mort en odieuse ennemie
A ma petite âme répugne.

Parfois pourtant, mes sens endormis
De leur torpeur un peu s'éveillent,
Et mon esprit qui vagabondait
Pour lors retrouve la vie droite.

O maître miséricordieux,
Toi qui de tous est l'ultime fin,
Tu connais aussi tous les péchés
Auxquels je n'ai point su remédier.

Il ne fut oncques un criminel
Pour t'avoir autant que moi blessé.
Mais toi, Seigneur, source de bonté,
Viens, je t'en prie, sauver mon âme.
Dans mon corps, ma vie s'est éteinte.
A mon secours, ô maître, hâte-toi,
Que mon esprit ne se trouble point
L'heure venue de quitter la chair.

Au temps de l'exode donne-moi
De voir tout joyeux à mes côtés
Cet ange dont tu fis mon gardien,
Mais non pas mon délateur cruel.

Pour que les péages de la mort
Ne me fassent point lors obstacle
Dès aujourd'hui, Seigneur, aide-moi
A faire sourdre la repentance.

Pour peser plus lourd que mes actes
Sur la balance mets, il suffit,
Une goutte de ta compassion,
Et j'échapperai aux supplices.

De la tête fais un seul signe,
Et les anges prendront mon âme
Aux griffes acérées des démons,
Tandis que je te glorifierai.

Lors même que je suis indigne
Par mes oeuvres d'être justifié,
J'ai du moins par ta sainte grâce,
O mon maître, gardé la vraie foi.

De mon esprit noir et ténébreux
Chasse la brume nuageuse,
Que je ne glisse plus, ô mon Christ,
Ni ne tombe hors de la voie droite.






Humbles pensées




ô mon âme , petite et humble,
Sache prodiguer à l'Eternel
Qui passe en gloire toutes gloires
Mille et mille hymnes de louanges.

Si tu oeuvres à faire le bien,
Garde toi de l'enflure vile,
Pour ce que sans la sainte grâce
Jamais n'advient d'ouvrage de bien.

Le soir quand le sommeil te gagne
Rends grâce et gloire à ton Seigneur
De ce qu'au terme de ce jour d'huy
Tu parviens libre, encore épargné.

Quand tu t'éveilles, loue Dieu aussi,
De ce que dans sa grande pitié,
Loin de t'avoir maudit et damné,
Il te laissa en vie et santé.

Et devant ton pain dis, n'oublie pas
«Je te remercie Père des cieux,
Pour l'eau, pour l'air que tu prodigues,
Et pour ses saint dons de ta droite».

Si te tourmente une maladie,
Aucun remède, sache-le bien,
Sans la grâce du saint médecin,
Ne te sera un soulagement.

Au plus fort même de l'épreuve,
Avec joie remercie ton Seigneur,
Car empruntant la voie étroite,
C'est dans ses pas que tu mets tes pas.





Humbles pensées




Comme doucement en tremblant,
La lampe peu à peu s'éteint,
La vie aussi s'amenuise,
Prise par l'éternel sommeil.

Puissions-nous songer sans trêve
Au mystère de l'exode,
Afin d'attendre sans crainte
Cette heure de la départie.

Et dans les pleurs nous souvenir
De tous nos frères endormis,
Car eux pour nos âmes toujours,
Supplient notre Maître et Seigneur.

Ah ! Puissions nous comprendre
Que si la grâce s'éloigne,
Tous les trésors de l'univers,
Ne sont que dérisoires riens.

Qu'en notre Dieu intemporel
Demeure notre espérance,
Non dans la gloire ni l'argent,
Ni dans le vain raisonnement.

Notre néant d'inanité,
Foulons-le maintenant aux pieds
Plutôt que d'offenser le Christ
Par nos péchés d'infatués.

Puisse en toutes choses la foi
Agir comme puissant levain,
Et puisse notre vie loger
A l'enseigne du pur amour !
Que loin de garder à l'esprit
Fût-ce une pensée mauvaise,
Nous implorions notre pardon,
Avec la paix du Seigneur Dieu.






L'éternité de l'âme




Ame, radiation sainte,
De l'astre intelligible,
Trésor inestimable
Plus précieux que les anges !

La création visible,
Le ciel avec ses beautés,
Pour toi sont ainsi parés,
ô mon âme, mon joyau !

Si tout vient à se perdre,
Je n'ai rien perdu pourtant,
Car l'univers m'est moins cher
Que tu n'es, ô mon âme !

Si de toi l'on m'eût privé,
Alors j'eusse tout perdu :
La gloire qu'on m'apprête,
Et ce que j'ai de meilleur.

De l'antique damnation
Rachetée au prix du sang
Comme le Christ si tu veux,
Tu embaumes la myrrhe.

Toi qui à ton baptême
Eus le gage mystique,
Au jour des noces ton Dieu
Devant lui te conviera.

Ciel et terre passeront,
Mais mon âme demeure
Comme l'image à jamais
Du Dieu d'avant les siècles.





Sainte naissance




ô soleil de justice,
De tes rais éclaire-moi,
A mon âme sensible
Redonnant la lumière.

Toi qui revêtant la chair
Naquit homme à Bethléem,
Je t'en prie, conduit mes pas
Vers l'Eden au jour sans nuit.

Dans ma faiblesse, mon Christ,
Vivifie-moi, sauve-moi,
Oubliant tous les crimes
Dont je t'ai seul contristé.

A mon passé trop sombre,
Viens arracher mon esprit,
Chassant la malignité,
Et apaisant mon âme.

Dis-moi où je puis trouver
La sérénité sans fin,
Là où il n'est ni peine,
Ni affliction ni soupir ?

De ton amour céleste
A jamais embrase-moi,
A mon Seigneur et mon Dieu,
Maître miséricordieux.

Sous le manteau de ta chair
Resplendissant de gloire,
Témoigne ta compassion
Aux exilés d'ici-bas.





Le désir divin




Ton sépulcre, ô Maître, j'eusse aimé le baigner
Des larmes brûlantes de ma repentance,
Et par d'autres pleurs, d'autres sanglots encore
Te témoigner un peu ma reconnaissance !

Dénué de la myrrhe des oeuvres bonnes,
Plus rien, non plus rien, aujourd'hui ne m'importe,
Rien autre que de purifier mon être
Dans mes soupirs et mes incessantes larmes!

Hélas, vois, j'ai dilapidé l'héritage
Dont pour ma naissance tu me fis le présent !
Il ne me reste plus désormais que mes pleurs,
Et le don précieux de ta miséricorde.

Viens vite, Seigneur, et sans tarder me secours,
Que je puisse voir enfin mon désir comblé,
De marcher aprés toi sur tes saintes traces,
Au long de cette amère et misérable vie.

Et de ta radieuse lumière quelque jour
Quand de ton sépulcre tu la feras jaillir,
Illumine mon âme brisée de chagrin,
Y épanchant l'ondée de ton Trés Saint Esprit.

Que venu jusqu'au rocher du saint Golgotha
Sur le bois de la croix je te vois suspendu,
Et pareil au larron de la dernière heure
Que pour mon salut j'implore ta compassion.

Que tout comme lui, mon Seigneur, mystiquement
J'entende ta douce et sainte voix me dire,
D'ajouter foi à cette espérance folle
Que du Paradis j'hériterai peut-être.





A mes sens




Une gloire mensongère,
ô mon pauvre esprit t'égare.
Suspends donc là ton errance,
Et que d'humbles pensées te lient.

Vous, mes yeux tellement curieux
Des jouissances de ce monde
Que vos regards ne s'attachent
Qu'aux spirituelles beautés.

Toi, mon nez, qui trop désiras
Les parfums de la terre,
Sens, si tu veux être sage,
La pestilence de la mort.

Toi, bouche, qui ne tarissait
De diatribes les plus sottes,
Ne sache plus à présent
Que les mots de l'Ecriture.

Vous, oreilles maîtresses,
Qui tant vous berciez de douceurs,
Qu'à votre tympan résonne
La trompette du Jugement.

Mes mains, longtemps les servantes
D'oeuvres toutes éphémères,
Elevez-vous en prière,
Et tôt servez votre prochain !

Et vous, mes pieds, puissiez-vous
Entrer par la porte étroite,
Vous dépêchant sur le chemin
Qui seul vous conduit à la vie !





Blâme à mon insensibilité,
tel qu'il me fut mystiquement adressé d'en-haut




ô création, reflet de Ma gloire !
Pour toi J'endurai la mort honteuse,
Quand tu ne fis, oeuvrant à l'impiété,
Que te modeler sur le mal hideux.

Tes forfaits odieux et misérables
Me causent des douleurs plus pénibles
Que les quatre clous qui me trouèrent
Quand Je fus cruellement crucifié.

La couronne d'épines acérées
Me fut une souffrance moins vive
Que de te voir toujours traîner ta vie
Semblable à celle d'une vermine.

Crachats et soufflets, épines et coups,
Voilà ce que dans ta malignité
M'infligent tes sots discours d'homme fat
Et tes mondains plaisirs d'inanité.

La lance de tes passions, chaque jour
Au côté, sans pitié me transperce,
Quand en bourreau tu présentes Mes flancs
A la flagellation qui déchire.

Commandé par ton impudicité,
Comme autrefois les Juifs, tu Me couvres
Du manteau rouge de la dérision,
Livrée de la honte et de l'outrage.

Ta langue, de ressentiment injectée,
Semant l'envieuse désolation,
Plus violemment qu'à Ma crucifixion,
Comme le roseau cingle Ma face.

Si parfois tu te mets en prière,
L'esprit de vanité te domine,
Et ta bile qui sur Moi s'épanche
Me fait souffrir une seconde mort.

Ne sais-tu point que ce fut ton salut
Qui m'importa plus alors que les coups,
Que les supplices et que les tourments,
Quand au bois pour toi Je me suspendis ?

Les Juifs qui Me prirent en telle haine
Ne me crucifièrent qu'une fois,
Mais toi, par tes oeuvres impudentes,
A chaque instant tu Me remets en croix.

Dans la prison du prétoire, gardé,
Je souffrais moins de maux et de peines
Que ne m'en fait endurer ton âme
Méchante, froide et indiférente.

D'auprès de moi je bannis Pierre,
Mais lui, toute sa vie se repentit.
Que déshonoras-tu, toi, mille fois
Le second baptême dans les larmes

Sur la croix attaché le larron,
Avec ferveur implora son salut ;
Mais toi, si tu souffres un unique instant,
Pauvre indolent, tu M'appelles à l'aide.

Les Myrrhophores, lors de Ma Passion,
Avec courage suivirent Mes pas ;
Mais toi, quand vient l'épreuve, étonnée,
Atterrée, ton âme n'a plus de foi.

La courtisane pleura sur Mes pieds,
Qu'ensuite elle essuya de ses boucles ;
Mais toi, quand tu confesses tes fautes,
Tu dissimules encore ta haine.

Le publicain qui voulait tant me voir
S'alla jucher sur un sycomore.
Mais toi, lorsque tu approches l'Autel,
Comme un indigne tu y es reçu.

Zachée, à tous ceux qu'il avait lésés,
Restitua quatre fois sa dette.
Puisses-tu, par des larmes brûlantes,
De ton péché acquitter la rançon.

Lorsque Véronique avec son voile
De Ma passion essuya les sueurs,
Ma Face sur le linge s'imprima,
Me peignant trait pour trait comme j'étais.

Pour toi aussi, ce sera tout pareil:
Si dans les larmes tu te purifies,
Lors, sur ton âme je m'imprimerai,
Sous l'aspect de ma première forme.

Sur Mes pas, le long du chemin de croix,
Les pèlerins, par milliers se pressent,
Et beaucoup -tels Simon de Cyrène-
Pleins de zèle m'aident à porter ma croix.

C'est Moi que jusqu'à ce jour confesse
La multitude immense des martyrs,
A leur tour suivant mon chemin de croix,
Eux qui pour moi ont préféré mourir.

Et les anachorètes du désert,
Comme la foule des chrétiens orthodoxes,
Des flots de leurs précieuses sueurs,
Avec leurs larmes mouillent Mes traces.

Sur la voie étroite et difficile,
Le coeur enflammé du désir divin,
Accourent nombreux larrons et publicains ;
Mais toi, l'indifférent, tu restes au loin !

Ils courent, l'âme emplie d'espérance,
Implorant de moi le don du salut,
Et dans leurs soupirs heurtent à la porte
De la divine miséricorde.

Moi, debout, Je leur tends Mes bras ouverts,
Tel qu'autrefois Je fus crucifié,
A chaque instant recevant dans les cieux
Tout âme qui, sincère, se repent.

Et comme J'ai de plein gré soulevé,
Jadis, le fardeau si lourd de la croix,
C'est Moi, le Même, qui prend aujourd'hui
Le faix de tous les péchés du monde.

Viens maintenant, poussé par le désir
Car sur la croix Je t'attends encore,
Avec le gage de la promesse,
Comme autrefois je l'offris au larron.





Versets au lecteur




Je suis, ô mon frère, ce serviteur,
A qui le Maître et Seigneur Jésus Christ,
Donna le talent pour qu'il fructifiât,
Quand je ne fis que l'enfouir sous terre.

Pourtant voyant les autres serviteurs
Qui font eux fructifier leur talent,
Je crains de recevoir un châtiment
Digne du misérable que je suis.

La maladie qui tant de fois me prit,
Me fit connaître l'inéluctable :
Que l'heure bien sûrement approche
De ma défense au divin Tribunal.

Tout tremblant je me tiens dans la crainte,
A l'image du mauvais serviteur,
Redoutant un châtiment de mon maître,
Lorsqu'il viendra me réclamer son dû.

Et cependant incapable encore
De faire mieux fructifier mon talent,
Je l'offre a ceux qui dans le fond du coeur
Brûlent pour lui d'une flamme ardente.

Espérant ainsi -lorsque les autres
Acquèreraient quelque fruit spirituel-
Qu'à moi aussi, il me serait donné
D'obtenir avec eux ma part du don.

Ah ! Puissent ceux qui sauront élever
La trés haute tour des vertus du Christ,
Prendre un peu de mes humbles poèmes,
Et s'en faire quelques pauvres briques !




A mes compatriotes qui voudront à ma tombe
rendre des honneurs




Vite, elles passeront les années de la vie,
Et moi aussi, qui par un beau jour m'en irai,
Tandis que sur ces lieux, dans ce désert prochain,
D'autres viendront sans doute, et de meilleurs que moi.

Voyant ma tombe, ils s'arrêteront peut-être,
A des années d'ici, me voulant honorer,
Trop ignorants de ce qu'était ma vie passée,
Et quel misérable, je fus dans le secret.

Sachez-le donc, frères qui passerez par là,
Ma vie toute entière fut privée des vertus
Qui plaisent tant à Dieu par leur parfum si doux,
Comme d'une myrrhe, dont l'air est embaumé.

Hélas, j'ai perdu mes jours, abusant en vain,
Dans des plaisirs sans joie ma jeunesse égarée,
Et je ne fis rien, mon existence durant,
Qu'enterrer plus profond le talent confié.

Et néammoins de partout battu, fouetté
Par l'assaut des vains soucis et des maladies,
Toujours davantage je me hâtai vers mon port,
L'«horizon nouveau» -la Jérusalem d'en haut-.

Des contrées de mon pays m'étant arraché
Je parvins enfin à ce Jourdain bienheureux,
Tant pour son Christ se consumait ma pauvre âme
Du désir enflammé de le suivre au désert.

Mais l'endroit cependant à mon esprit inquiet
N'offrit point la paix dont il était en quête.
C'est pourquoi bientôt je m'en fus également
De la skyte ombreuse qui m'avait accueilli.

Je n'y avais, las, dans ma grande paresse
Fait d'ordinaire qu'appesantir mes compagnons,
Mes frères de lutte auxquels j'avais laissé ce soin
De porter pour moi ma besace de glaise.

Quand donc vous le verrez, n'ayez nulle estime
Pour ce corps rétif et sans obéissance,
Qui sans pleurs jamais ne voulut rien supporter,
Ni dire sans geindre la règle des moines.

Mais lorsque vous passerez auprès, en hâte
Qu'il vous suffise de faire une prière,
Saintement, pieusement demandant à Dieu
Qu'il m'accordât le pardon de sa compassion.






Prières et humbles pensées,
pareilles à celles du Fils Prodique.




La tunique lumineuse
Par mes passions s'est perdue.
Las, je ne puis sans la robe
Entrer au festin des noces.
ô mon Christ, illumine-moi !

Ta croix trois fois vénérable
Me racheta, pauvre rebut,
Quand, par les passions détruit,
Dans mes péchés j'avais sombré.
Tel Pierre, ô Christ, secours-moi,
De l'abîme retire-moi !

ô Toute-Pure, ma Reine,
Trésor des miséricordes
De la terre des orphelins,
Viens, je t'en prie, ramène-moi,
Car aux oeuvres impies,
J'ai perdu mon héritage.

ô mon Maître compatissant,
Ne m'abandonne pas, gisant,
Sur la route en proie aux brigands.
Personne pour me relever...
Je n'ai plus que ton seul amour,
Qui passe l'intelligence !

Saint Jean Baptiste admirable,
Qui, sans rien celer au monde,
Fus le précurseur du Seigneur,
Par tes ferventes suppliques,
De grâce, intercède pour nous !

ô mon fiancé mystique !
Vois ta chambre nuptiale
Dès ce jourd'hui toute parée !
Las, ma lampe s'est éteinte !
Quand la porte sera fermée,
En vain s'épancheront mes pleurs !

Moi, le misérable vaurien,
Comment me nourrit la terre ?
Et comment le soleil sur moi
Verse-t-il sa lumière d'or ?
Je ne suis plus digne, Seigneur,
De fixer sur toi mes regards !

Si je n'avais eu la grâce,
Dans l'enfer je serais déjà,
Car mon corps, ami des plaisirs,
Incline aux oeuvres du diable.
Dieu, que ne me ravisse pas
L'Autre qui me hait de haine !

Vois, la mort est là, devant moi !
Et je fais moi, l'indifférent,
Car je ne veux du tout songer
A ton terrible avènement.
Dieu, donne-moi la sagesse
De ne t'oublier un seul jour !

Je condamne les étrangers,
Moi qui ne m'examine pas.
Aussi, sur la voie étroite,
Toujours j'achoppe et je tombe
Sois vigilante, ô mon âme,
Tu vas au-devant du malheur.

Qu'un frère veule me haïr,
Mesquin, lors, je le condamne.
Mais pour mes glorieux bienfaiteurs,
Mon âme toute enténébrée
Soigneusement les ignore.
Ainsi me mène mon vouloir !

Ah ! De la prière pure
Comme je suis loin encore !
Dans le monde gagnant mon pain
Je n'éprouvais point tant de maux !
La terre, la boue m'aveuglent,
Et le monde se rit de moi !

Dans mon pauvre coeur dénudé,
Des brigands la nuit sont venus.
Et voici qu'ils en ont fait, las,
Un repère infesté du mal.
ô Dieu, dépêchant ta grâce,
Viens et restaure mon âme !

Les vanités de ce siècle
Tapissent mon esprit ruiné ;
Et je n'ai plus souvenance
D'un seul mot de l'Ecriture.
Oh, quel rebut inutile,
Quel néant suis-je devenu !

Chaque jour comme à chaque heure,
De m'amender je fais le voeu.
Mais tel les vers dans la vase,
Je ne veux quitter mes vices.
Lors, entrant dans l'autre monde,
Quelle sera mon excuse ?

De ma bouche impure et souillée,
J'ai commis, las l'iniquité.
Comment pourrais-je désormais
Proférer Tom nom plus que saint ?
Ah ! Juge-moi digne, Seigneur,
De mourir vite à cette vie !

Mes yeux déviés par les passions
S'arrêtent à de honteux objets.
Comment dès lors dans Ton temple
Oserais-je Te regarder ?
De la ténèbre mène-moi
A la lumière de ton jour !

A une vie de débauche
Je me suis par plaisir livré.
C'est pourquoi je crains maintenant
D'approcher les saints Mystères.
Mets-moi la robe des noces
Et ouvre-moi ton royaume.

L'orgueil, cet appât du diable
Continuement me dirige.
Mais toi, tu descendis même
Jusque dans un étroit tombeau.
Ah ! Je comprends mieux mes chutes
Et, vois, j'en suis humilié.

Sur les voies de l'iniquité
Se sont appesantis mes pas.
Mais du haut de ta Croix, Seigneur,
Montre-moi le chemin vers toi.
Et vous, saintes myrrophores,
M'attendrez-vous sur la route ?

Captif de la molle acédie,
Dormant du sommeil de la mort,
Je n'ai en leur temps accompli
Mes saintes promesses au Seigneur.
Mais toi, ô Père, éveille-moi,
Car nul ne vient me relever.

Sur le chemin de croix ardu,
Versant larmes, sang et sueurs,
Dans tes pas marchèrent les saints.
Mais moi, les soucis du monde,
De tous les côtés m'assaillent.





De la terre des fils prodigues
Prologue




Pour que fût intelligible
Ce poème qu'ici j'écris,
J'ajoute en vue de l'éclaircir
Des traits de l'Enfant Prodigue.

Lors du voyage de la vie
Deux routes à nous se présentent :
L'une mène à la géhenne,
Et l'autre vers le Paradis.

La première est large et unie,
Et le paresseux la trouve ;
La seconde est difficile,
Semée de tribulations.

Nous voyons pareillement
Les hommes être de deux sortes :
Le talent des uns fructifie,
Les autres sont liés au mal.

Les premiers sont les fidèles
Dont la vie est sans souillure
Puis, après eux, les prodigues,
Victimes de leurs désordres.

Ceux-ci empruntent la route
Dont ils savent qu'elle plaît à Dieu.
Mais les autres au coeur de pleutres
Dévient loin de la voie droite.





L'invite au retour
d'un père à son fils prodigue




Mon enfant, mon bien-aimé, reviens !
Quitte les voies de l'égarement !
Comme jadis je te vêtirai
De ton vêtement immaculé.

Oui, sache-le ; si le coeur contrit,
Tu reviens frapper à ma porte,
En toute hâte j'accourerai,
Et joyeux, je te prendrai chez moi.

Alors, me suspendant à ton cou,
Sur mon coeur, fort je te presserai,
La voix brisée, à l'oreille
Je te chuchoterai : «Mon enfant !»

Et quand m'eût assez consumé
La flamme ardente du péché,
La divine grâce soudain
Du sein de l'enfer me tira.

Je ne suis plus digne aujourd'hui
De fouler aux pieds ton lieu saint,
Ni de vivre avec mes frères,
Si je ne suis leur serviteur !





Les remords de la conscience



ô mon Jésus compatissant,
Ne me châtie pas encore,
Mais de ta sainte demeure,
Donne-moi quelques jours de vie.

Las, pour avoir dans le monde
Paressé ma vie entière,
Au pays de l'éternité,
Dans la joie je n'entrerai pas.

Ma robe spirituelle,
Ma méchanceté l'a souillée,
Et lorsque finira ma vie,
Mon âme n'aura qu'à pleurer.

Par leur laide curiosité,
Mes yeux m'ont déjà fait damner,
Et pour cette négligence,
J'aurai des visions horribles.

Mes lèvres intarissables
Me portèrent préjudice ;
Aussi, lorsque viendra l'heure
Quelle sera donc mon excuse ?

A respirer les doux parfums,
Longtemps, je me suis enivré ;
Mais la puanteur de la mort,
Comment la supporterai-je ?

A mes oreilles tintèrent
Les plus beaux chants du monde.
Quant à l'invite éternelle,
Pourrai-je aussitôt l'entendre ?

Aux oeuvres de l'iniquité,
Mes mains se sont accoutumées ;
Pourtant, si elles ne font le bien,
Malheur à moi misérable !





D'en haut, l'appel à la vie angélique




Viens à moi aujourd'hui,
Car, vois, doux est mon joug,
Et le fardeau de la vie
T'en paraîtra léger !

Laisse pères et amis,
Et plaisirs et gloires,
Puis viens à ma suite,
Dans la joie céleste.

Quand jusqu'à la tombe,
Tu auras pris ta croix,
Tu ceindras ma gloire,
Couronne éternelle.






Venue d'en haut, l'illumination intérieure




Laisse un monde incrédule
Qu'étouffent les scandales,
Et pars au monastère
En quête de ton salut.

Une lampe sans huile,
Voilà ton esprit à nu.
Implore donc le Seigneur,
Qu'y jaillisse la flamme.

Le pouvoir et la beauté
Sont le pur éphémère.
L'habitude mauvaise
T'aggripe, elle, par ruse.

Sous ton torse enténébré,
Dort ton sang passionné.
Le sommeil permet aux morts
De vivre toujours pour Dieu.

La crainte du grand départ
N'oublie pas de l'acquérir.
L'indolent qui n'y songe
Mène son âme à la mort.

La prière fervente
Demande à la posséder,
Car par sa grâce de paix,
S'évanouit la haine.

La morgue de ton esprit,
Rejette-la bien au loin ;
Dans les âmes hautaines
Hurlent les vents d'impudeur.
Tes vices nés de paresse
N'embarque pas avec toi ;
Sur l'insensible indolent
S'abat l'indifférence.

A ton Maître et Seigneur Dieu
Témoigne d'un pur amour,
Et pour le seul spirituel
Oublie tes anciennes amours.

Geins souvent et soupire
Affine en pleurant ton coeur ;
A l'eau de l'humilité
Sont abreuvés tous les saints.






La voix de la conscience




Vois le monde t'incite
A te fondre en jouissance ;
Mais si tu ne t'en gardes,
La honte te poursuivra.

Des habits à la mode,
L'on te fait l'épouvantail.
Mais la robe de l'âme,
La gardes-tu sans tâche ?

Des bons mots et courbettes,
Tu connais tout l'art subtil,
Mais debout en prière,
Point ne te prosternes.

Aux pompeuses visites
Te mène ton caprice ;
A la liturgie pourtant,
Ton coeur est nu et vide.

De science et de physique
Tu abreuves ton esprit;
Mais quant à l'éternité,
Tu ne veux rien apprendre.

Jusqu'à quand sera-t-il temps
De chercher encore un port ?
Voici, le soleil se meurt,
Sombre la barque de vie...

Fuis loin de ce vain monde
Qu'emplissent les scandales.
Puis ennobli par la foi,
Chéris la repentance.
Ferme les livres impies,
Pécheurs et blasphémateurs ;
Mais ouvre les livres saints
Tu sauras ce qu'est la vie.

Des amitiés du monde
N'aie nullement le désir
Mais la seule pureté
Tiens en ta haute estime.

La bise d'apostasie
Hurle sa chanson fausse.
Mais toi, si tu l'écoutes,
Tes chants se feront danses.






Les sept péchés mortels,
dont en kyrielle s'engendrent tous les autres




Telles sont les sept mortelles plaies
Qui toujours sur moi s'abattent,
Et dont tant fut affaiblie
Mon âme humiliée déjà :


1. L'orgueil.


Or si tu veux maintenant
Mon âme t'enorgueillir,
Viens, descendons seulement,
Là, jusqu'au cimetière !

Tu y verras à l'aise
L'objet de tant d'orgueil,
Ce qu'est la gloire du monde,
Et d'une vie humaine.

Ce crâne hideux seul resté,
Voilà ce qui subsiste
D'un trés illustre archonte,
Qui vécut faste et glorieux.

Plus loin encore, un autre,
D'un homme qui fut un gueux,
Et s'en allait humblement
Aprés lui traînant ses jours.
Quel est maintenant, dis-moi,
Des deux le plus fortuné ?
L'altier qui se dorlota,
Ou l'autre, qui fut pauvre ?

Voici le défunt maire
Au ventre si rond jadis,
Qui chassait les remites
Et que l'on disait benêt.

Dans ce val dort le crâne
D'un pauvre ascète inconnu
Qui vécut dans sa grotte
Nu, hésychaste affamé.

Qu'est donc cette gloire, dis,
Des enrichis de Basan ?
Ne vois-tu ce qui reste
De l'humble infortune ?


2. La haine.


Si par l'horrible haine
Tu te voyais combattu,
Sache que cette passion
A grand-peine se guérit.

Les autres passions, elles,
Sont d'humaine nature,
Et lorsque tu leur cèdes,
Tu crois y prendre plaisir.

Mais pour la haine à rebours,
Tu la sens comme le vers
Ronger sans trêve ton coeur,
-Poison qui le pénètre.

Aussi te faut-il souvent,
Pour combattre la haine,
Te confesser purement,
Et prier avec flamme.

La passion de la haine
Est ouvrage du démon,
Qui t'ôte la paix même
A voir monter tes frères.

Ne laisse donc pas empirer
Un péché non confessé,
De crainte de perdre aussi
Les prémices des vertus.


3. L'avarice.


Lorsque tu tombes au piège
De l'avide avarice,
Avec tous nos Pères Saints
Tiens là pour calamité.

Habitude secrète,
Difficile à surprendre,
Elle en a pourtant ruiné
Tant, tous à l'or asservis.

Des apostats et infidèles
Vient la racine du mal,
Lui dont Judas est le chef
Et l'inique modèle.


4. La luxure.


Au plaisir des débauchés
Si tu t'es accoutumé,
Viens en esprit, malheureux,
Jusqu'au seuil du roi David.

Là, imagine en esprit
Que tu vois au dernier jour
Le Trône du Jugement,
Terrible, pour nous dressé.

Comment dès lors affronter
La colère du Juge ?
Comment franchir le fleuve
D'où couleront des flammes ?

Comment souffrir la peine
S'abattant sur ta tête ?
Et les tourments des démons
T'entraînant au supplice ?






5. La gloutonnerie.


Si ton ventre insatiable
Est aveugle et sourd, viens
En secret au Golgotha
Auprès de la croix du Christ !

Va contempler, mon âme,
Comme le roc s'est fendu,
Voyant la crucufixion
Du Dieu inestimable.

Si souvent en silence
Tu montes au Golgotha,
Tu deviendras tempérant
Pour avoir le coeur brisé.


6. L'acédie.

Si tu vois le siège
Du mal esprit d'acédie,
Songe à ta mort prochaine,
Quand le feu ne s'éteind plus.


7. La colère.


Mon âme prompte à la colère,
Et qui trop aisément s'emporte,
Que tu passes loin, malheureuse,
Des béatitudes divines.

Tu n'hériteras point le monde
De la félicité céleste,
Pour ce, comme a dit le Seigneur,
Qu'elle est le lot des doux bienheureux.

Or viens ça, nature orgueilleuse,
Viens contempler le trés doux Agneau,
Qui pendu sur le bois de la Croix,
Pour l'amour de nous supporta tout.

Fais donc à tes frères bon accueil,
Les traitant avec grande douceur,
Si tu veux hériter le monde
Des doux éternellement. Amen.






L'ode de Manassé
ou mes craintes et mes tremblements.
Poème sur l'humilité




Jadis Manassé, lorsqu'il eut longtemps pleuré,
Sur la terre obtint de Dieu miséricorde.
Mais moi misérable, comme lui égaré,
Que ferai-je Seigneur, sans un esprit contrit ?

Oui, comment ma vie s'est-elle ainsi désséchée,
Plus qu'une eau dans son lit sous l'ardeur du soleil ?
ô mon âme, pleure donc soupire et gémis,
Que le Dieu de bonté te fasse compassion.

ô mon Dieu, Seigneur et Maître longanime,
Qui du haut du ciel regarde toute chose,
De ton saint nom accorde-moi la mémoire,
Que je jouisse de ce nectar si doux.

ô Toute Pure, Trés Sainte Mère, ma Reine,
Vois mon coeur hélàs plus durci que la marbre.
Adoucis-moi, brisant là cette dureté,
Du flot de mes larmes lavant mes paupières !

Quand tu eus dans ton sein planté le Paradis,
Par toi le Golgotha fut rendu glorieux,
Où ton Fils, ce fruit béni, nous rendit l'Eden.
ô toi Mère de Dieu, notre arme invincible !

Car c'est toi qui nous apprit la repentance,
Toi qui nous fit voir l'Agneau de Dieu sans tâche
Qu'aujourd'hui baptise Jean le saint Prophète,
Auquel la Trinité rendit dans les cieux témoignage.

ô saint Jean le Baptiste, précurseur du Christ,
Tu es le plus grand parmi les fils de l'homme ;
Gloire des apôtres, clarté des hiérarques,
Par toi la foule innombrable des ascètes
Ceignirent la couronne de de la joie sans fin.

Et toi, Ange gardien, qui veille sur mon âme,
Vois, hélas, comme je t'ai toujours ignoré ;
Mais patiente encore et demeure avec moi,
De ton lumineux éclat dirigeant mes pas.

ô ma pauvre âme, l'indigne, la maudite,
Comment t'es-tu tellement éloignée du Christ ?
Vois çi le sépulcre où dormira mon corps vil,
Qui voulut s'asservir au prince des démons.

ô mon Dieu Tu le sais, Toi qui connais les coeurs:
Tes biens précieux, en vain je les ai dissipés.
En terre hostile, privé des biens de l'âme
Je n'eus pour me nourrir que le rebut des porcs.

Ah ! Considère, je t'en prie, ma détresse,
Garde-moi, ne m'enlève pas avant le temps,
Mais laisse-moi, ô maître, vivre encore un peu,
Que j'acquière enfin les doux fruits du repentir.

Loin des miens naguère, je me suis exilé ;
Mais aux passions, dès lors, je me suis allié,
Par elles livrant mon âme à la perdition,
Quand pour moi le Seigneur avait souffert la mort.

Pour m'être examiné connaissant mon état,
Par l'expérience instruit je puis assez voir
Combien le Christ, le Dieu unique est bon pour moi,
Lui qui de mon âme est le souffle vivifiant.

Que mon esprit jamais ne veuille se hâter
Dans ses paroles de condamner un frère,
Et que mes oreilles non plus n'entendent point
Les calomnies qu'y versent les sycophantes.

Pour vous, mes yeux qui toujours êtes curieux,
Et qui tant aimez à épier le monde,
Corrigez le regard secret de mes pensées,
Avant d'être assignés au divin Tribunal.

Mes lèvres qui mielleusement susurrez
De mondaines diatribes dans le goût du jour,
Vous feriez mieux, méditant les Ecritures,
De nous apprendre à cueillir les fruits de l'Esprit.

Pourquoi don, ô ma vie, t'être ainsi égarée,
Et pourquoi n'avoir pas mieux gardé ton âme ?
Jusqu'à l'heure de mourir, mon humilité,
Ma douce humilité, ne m'abandonne pas.

ô mon humble esprit, souffle exhalé de ton Dieu,
Auprès du donateur de vie, envole-toi,
Implorant la patience, et la consolation,
Pour ce corps de glaise qui voudrait le servir.

Fais de moi Seigneur, un être spirituel,
Car vois, il n'est rien, rien en ce monde menteur,
Qui fût capable, sans la prière du coeur,
De m'élever vers toi jusqu'au lieu de joie.

Accueille-moi, le coeur glacé, l'âme en ruine,
Qui viens à toi, ô mon maître compatissant ;
Dis-moi comment il faut dire la prière,
Et, avec les yeux de l'esprit, te contempler.

Lorsque tu médites, ô mon âme, sur ton Dieu,
Sa toute-puissance éclate, magnifique ;
Alors, toujours et partout, tu vois le Seigneur,
Et sans peine tu suis la voie de vérité.

Ceci encore mon âme, sache-le bien,
Que Bélial, qui sans répit nous espionne,
Se tient à l'affût, consignant tous tes péchés,
Pour mieux te dénoncer au divin Tribunal.
Voici que mon corps de pécheur vil, aujourd'hui,
Sur le saint Golgotha reçut la guérison !
Ah ! Rends-moi digne en retour de souffrir la mort,
Qu'ainsi je confesse ma foi glorieuse.

Mon sang qui autrefois dans mes jeunes veines
Brûla pour les passions d'un feu incandescent,
Puissé-je aujourd'hui , Seigneur, pour toi l'épancher,
Vivant holocauste offert en sacrifice.

Faisant don au Christ d'oeuvres spirituelles,
Des profondeurs, ô mon âme, relève-toi,
Que tes yeux aveugles fussent illuminés,
Toi qui de ton Seigneur es la sainte image.

Vois, ô mon Christ, du pauvre corps que je porte
L'âme enfouie, làs, est comme déjà morte ;
Ah ! Dissipe cet esprit d'indifférence,
Et dans ma ténèbre rallume ta lampe.

Jusqu'à l'heure où je parviendrai sur ta tombe,
Par les Saints Dons fais que je sois fortifié,
Que de terre soit relevée ton image,
Et je te chanterai une hymne éternelle !






Poème d'action de grâces à
Saint Théodose le Cénobiarque




ô saint médecin thaumaturge,
Tu m'as, en ce jour de ta fête,
Par ton miraculeux charisme,
Guéri de mon mal effroyable.

Mais de quel présent convenable
M'acquitter pour ma dette en retour ?
Moi, ton obligé, vois-tu, n'ai rien
Que les soupirs de mon coeur contrit.

J'eusse tant voulu par des larmes
Te rendre des actions de grâce...
Mais qui donc saura-t-il ameublir
La pierre dure de mon âme ?

Toi qui viens d'éteindre la flamme
Dont se consummaient mes entrailles,
Sur moi maintenant, mon Père Saint,
Répands l'ondée de l'humilité.






Nouvelles actions de grâce à saint Théodose8




ô saint médecin thaumaturge,
Au jour béni de ta mémoire,
Par ton charisme je fus guéri
Du mal affrreux qui me tourmentait.

Que t'offrir en reconnaissance ?
Quel don t'apparaitrait-il sincère ?
Hélas, mon âme pécheresse
Ne possède nulle oeuvre bonne !

ôr ce sont des fleuves de larmes
Qu'il me faut pour toi épancher.
Mais vois, mon pauvre coeur est vide,
Stérile, et ne donne point de fruit.

Comme de façon merveilleuse
Tu guéris les attaques du mal,
Accorde-moi, oh ! je t'en supplie,
Le don des larmes perpétuelles.






Le Fils de l'homme, fiancé de la peine



ô mon Seigneur, Dieu tout-puissant,
Toi qui juges tous les hommes,
Pour nous tu te fis condamner
Au tribunal d'iniquité.

De la pourpre de dérision,
Ces impies vêtirent ton dos,
Puis en raillant te ceignirent
De la couronne d'épines.

Dans ta droite toute pure,
Ils mirent l'infâme roseau.
Et toi pour ces âmes viles,
Tu vis et tu meurs sur la croix !

Moqué et raillé, ô mon Christ,
Par des esclaves souffleté,
Tu fus blessé à la tête,
Sous les volées de leurs verges.

Dans la prison du prétoire,
Ils souffrirent, tes divins pieds,
Liés, serrés étroitement,
En des étaus de torture.

Les scribes et les Pharisiens
Injustement t'accusèrent,
Après quoi ils te pendirent
Sur la croix, entre deux larrons.

Toi qu'assoiffaient les supplices,
De fiel amer on t'abreuva,
Tandis que tel un criminel,
Tu souffrais la peine de mort.






Humbles pensées sur la douleur de la Mère de Dieu




Par la pensée, ô Toute Sainte,
Je te vois gravir le Golgotha,
Et ma triste conscience affligée,
Tel le larron jadis m'accuse.

J'entends, las, tes lamentations,
Et sévèrement je me blâme,
Car c'est pour moi que souffre la mort
Ton Fils et Seigneur compatissant.

A le voir nu, pendu sur le bois,
Le corps percé d'innombrables plaies,
Je me sens plus coupable encore
Que ses bourreaux impitoyables.

Si seulement, quelque temps plus tôt,
Le Maître m'eût vu un coeur moins dur,
Il eût eu cette consolation,
Et la soif ne l'eût point tourmenté.

Peut-être aussi le rocher dès lors
Ne se fût-il point entier fendu,
Si le Seigneur, pour ma pauvre âme,
N'eût souffert tant d'affreux supplices.

Et toi, Pure, à voir souffrir ton fils,
L'épée prophétique peut-être,
Avec une violence moindre
Eut pénétré ton coeur de Mère.
Sur l'ineffable douceur et la longanimité du Seigneur




Ta longanime patience, ô Christ,
Comment la célébrer dignement ?
Vois, j'en demeure comme frappé,
Seigneur, ô mon Sauveur et Maître.

Le monde entier te persécuta,
Sans nul répit, depuis Hérode,
Jusqu'à l'ultime, l'odieux affront
Du peuple assis dans les ténèbres.

Mais toi, tu n'as haï personne,
Nul être, toi le trés doux Agneau,
Qui, depuis ton humble avènement,
Attend le repentir des êtres.

De Judas même tu voulus bien
Recevoir le baiser perfide ;
Tandis qu'un esclave te frappait,
Avec douceur tu l'excusais.

Quand les hébreux te crucifiaient,
Tu priais pour leurs pauvres âmes,
Et le larron, à cette heure-là,
Tu le reçus dans le paradis.

Ta longanimité étrange ;
ô mon Sauveur et Maître trés doux,
Fit trembler toute la création,
Sur la terre jusque dans les cieux.

Les fondements s'en ébranlèrent,
Le roc, les pierres remuèrent,
Le soleil cacha sa lumière,
Les anges furent dans la crainte.






Aujourd'hui, la piété et l'esprit du monde




Où es-tu Marie Trés Sainte,
Pour dire aux êtres d'aujourd'hui
Quel fut celui qui prit sur lui
Le fardeau si lourd de leurs maux ?

En ce monde de jouissance
Règne partout l'esprit du mal,
Faisant demeurer loin de lui
L'Esprit de Dieu vivifiant.

A la porte de Caïphe,
L'homme dans les plaisirs,
Se hâte tout comme Pierre
De renier son Seigneur Dieu.

Las, il ne veut point s'adoucir,
Pas plus à la voix de l'ange
Qu'à la vue de l'air courroucé
Du Seigneur qui règne à jamais.

La loi règne, crucifiant Dieu,
Tout comme au temps de Christ Jésus,
Lorsque scribes et pharisiens
Dans leur crainte s'étaient cachés.

Quelques femmes Myrrhophores,
Lors de la Passion naguère,
Vers le Golgotha se hâtaient,
Pour y vénérer leur Seigneur.
C'est la sainte Eglise sacrée
Qui sur cette terre exilée
Combat et garde les Lieux Saints,
Chantant les hymnes des Pères.

Garde ton courage Seigneur,
Donne-leur de voir ta Face,
Comme à Véronique en chemin,
Lorsque tu allais au tombeau.

Et quand la vérité soudain,
Du tombeau lors se lèvera,
Accorde-leur comme à Mathias
Un lieu qui plaise à leurs âmes.

La joie de la résurrection,
Accorde à ton pauvre peuple,
Lui qui du mensonger esprit
Se garde de suivre la loi.

Aux pharisiens aujourd'hui
Avec ceux qui leur ressemblent,
Donne, mon Seigneur, d'entendre,
La trompette du jugement.

Aux Pierres aussi qui te renient,
Donne des fleuves de larmes,
Leur épargnant bien d'imiter
Les Caïphes vils et pervers.





Aujourd'hui, les tourmenteurs du Ressuscité




Voici qu'il y a trois jours déjà,
Les Juifs d'abord t'ont crucifié ;
De même aujourd'hui les Chrétiens,
Hypocrites, te mettent en croix.

Combien avec turpitude
Reprenant à nouveau ton corps,
Dans le prétoire l'enferment,
Tout comme ont fait les soldats.

De leur odieuse hypocrisie
Te faisant une tunique,
Chacun à son tour, faussement,
Prétend adorer ta face.

Or les Pharisiens perfides,
Et les scribes te condamnent,
Comme aujourd'hui pareillement
Les légions grossies des sans Dieu !

Croyant en leur fausse science,
Ils t'ont érigé une Croix,
Ou dans l'esprit de confusion,
Te crucifient leurs blasphèmes.

Au monument d'impiété
Ils inscrivent, gravé, ton nom,
Et leur mode de perversion,
Ils la nomment «évolution».

Voyant de la Résurrection
L'éclat qu'ils ne peuvent celer,
Lors, en pasteurs mercenaires,
Ils veulent perdre les élus.






Pensées I




ô Dieu, mon Seigneur tant aimé,
Qui sur terre vins dans un corps,
Que l'homme ne vénéra-t-il
Ce don qu'en ton nom tu lui fis ?

Tous les beaux esprits du monde,
Les plus éclairés eux-mêmes,
Ne sauraient faire comprendre
Sa grande compassion pour nous.

Vois, l'homme édifié pour l'homme,
Un paradis de jouissance,
Comme s'il y devait demeurer,
Pour y régner dans les siècles.

Par la désobéissance
Fut perdu le lieu du bonheur.
Lors, de mort et de corruption
L'homme fut pour longtemps chatié.

Mais parce qu'il ne voulut pas
Que nous fussions toujours maudits,
Dieu sur la terre descendit,
Pour nous rendre le Paradis.

Lui-même, venant parmi nous,
Mystiquement rouvrit l'Eden,
Du vêtement de sa grâce
Sanctifiant nos natures.
Puis de la vie immortelle,
Nous, terrestres, fûmes ornés,
Devenus fils de gloire,
Dans la splendeur du Christ Sauveur !





Pensées II

Sur l'économie divine




Dieu miséricordieux
Tu ne voulus point abandonner l'homme
Pour jamais déshérité
Et soumis au châtiment.

Car le perfide serpent
Avait enchaîné Adam ;
Mais pour le rendre à la vie,
Tu devins nouvel Adam.

Notre nature déchue
S'étant interdit les cieux,
Dieu en son hypostase
Vers nous inclina les cieux.

Par la chute ancestrale,
La porte restait close,
Qui autrefois dans les cieux,
Pour nous s'ouvrit sur l'Eden,

-Aux hommes misérables,
Eternellement fermée-
Lorsque vint dans le monde
Le Christ, pour nous racheter.

Le monde entier sacrifié,
Avec le choeur des anges,
Seuls n'eussent pu nous lever
De la faute adamique.

La réunion des hommes
Avec le Père des Cieux,
Tu l'opéras, Toi mon Christ,
Toi le pur Agneau de Dieu.






Pensées III

Sur la divine humilité du Sauveur




Ton humilité, ô mon Christ compatissant,
J'eusse aimé en des poèmes la célébrer,
Mais quelque zèle cependant qui m'anime,
Je ne sais point les mots d'une telle grandeur.

Tu es venu dans le monde, ô Jésus mon Christ,
Empruntant les habits de notre pauvre chair,
Toi qui, dans le splendide éclat de ta gloire,
Naquis avant les siècles, pour l'éternité.

Ah ! Quel est cet insaisissable mystère ?
Lorsque, roi de gloire, tu descendais du ciel,
Il ne s'est point trouvé par toute la terre
Un lieu pour t'accueillir dans ton humanité.

Seule une étroite grotte, avec sa mangeoire,
T'octroya son pauvre et misérable asile ;
Après quoi tu menas une vie obscure
Ne t'offrant que la Croix pour unique repos !

Ce sont les simples bergers avec leurs troupeaux
Qui les premiers annoncèrent ta naissance,
Comme les pauvres pécheurs de la Galilée
Furent les tous premiers d'entre tes disciples.

Quand des publicains tu partageas la table,
Tu frayas sans crainte avec les pécheurs même,
Sans acception d'aucun les guérissant,
Miraculeusement, de maux incurables.

Aux pauvres tu annonças la gloire à venir,
Dans le jour sans crépuscule du Paradis,
Et ceux qui vivaient dans l'ombre et la ténèbre,
Tu les menas vers la splendeur de ton éclat.





Au jour du Grand Vendredi, l'Agneau du rachat




Voyez-le pendu sur le Bois,
De toute part pressé d'impies,
Par Judas le ladre, trahi,
Des siens eux-mêmes renié.

Las, son corps n'est plus qu'une plaie,
Sa tête ceinte d'épines ;
Regardez-le tous les peuples,
Vous qui avez nom «Chrétiens».

C'est lui le Fils de la Vierge,
Le Roi de gloire céleste,
La rançon de notre rachat,
Dieu qui revêtit notre chair.

De ses mains qu'ont percés les clous,
Il est venu rouvrir l'Eden,
Et par son sang pour nous versé
Il nous a rachetés, maudits.

Voyez son pitoyable aspect,
Lui que les Juifs ont humilié :
Mystiquement vous percevrez
Alors que Dieu est avec nous !

De sa sueur, la terre a bu,
Et du sang de l'Agneau trés saint,
Dans la gloire elle s'est parée,
Car vers elle s'inclina Dieu.
La croix, outil de sa peine,
Par sa Passion sanctifiée,
Est signe de sa puissance,
Le sceptre du Roi de Gloire !





L'épée de douleur




Dans ton coeur douloureux de mère, ô Pure,
Pénétra une épée qui le fit saigner,
Tandis que tu voyais, ô Sainte, ton Fils,
Par des soldats iniques cloué au bois.

Comme est redoutable la crucifixion
Que souffrit longanime l'Agneau trés doux;
Mais toi aussi, Mère, par ton affliction,
Avec lui sur le bois, tu fus crucifiée.

Voyant s'altérer la Face de ton fils,
Soudain, dans ton coeur pur, égal et serein,
Comme la vague marine déferla
Toute l'affliction des mères du monde.

Celui que dans la crèche à Bethléem
Mère, tu portais nourrisson dans tes bras,
Cest le même quaujourd'hui hélas voient tes yeux,
Supplicié, nu, étendu sur la croix.

Celui qui sema la Bonne Parole
Dans l'unique souci de notre salut,
Tu le contemples maintenant blasphémé
Par la bouche d'un peuple sale et abject.

Celui qui guérit les lépreux d'Israël,
Tu l'aperçois à cette heure transpercé,
Et les mêmes qu'il couvrit de ses bienfaits
Aujourd'hui lui causent les plus grands tourments.

Lui qui ressuscita son cher Lazarre,
Mort depuis quatre jours qui sentait déjà,
Paraît aujourd'hui comme mort sur la Croix,
Par les impies de toute part assailli.





Le thrène de la Mère de Dieu




Lève-toi, mon Fils, ô ma douceur,
Reviens et console ta Mère,
Lazare, lui aussi t'appelle,
Te pressant d'aller à sa maison.

Regarde, mes larmes me brûlent,
Reviens, je t'en prie, sors du tombeau,
Et comme tu faisais naguère,
Epanche, Seigneur, ta Parole !

Toi, ô mon Soleil de justice,
Viens, foule les portes de la nuit,
Car voici la race des hommes
T'attend pour échapper à la mort !

Toi qui es avec ton Père au Ciel,
Sois aussi avec moi sur terre,
Au Paradis, avec le larron,
Dans l'Enfer, avec tes ancêtres.

Reviens, affermis tes disciples,
Terrés dans la crainte des impies,
Puis va, et retourne en Galilée
Y rejoindre Pierre et les autres !

La gloire de ta connaissance
Aujourd'hui apparaît aux hommes ;
Et sous le soc de l'Evangile,
La terre s'ouvre en profonds sillons.

Par ta Resurrection des morts,
Sanctifie, Seigneur, la nature,
A jamais rouvrant pour les âmes
Les glorieux lintaux du Paradis !





Joie de la Mère de Dieu au jour de la Sainte Résurrection




Réjouis-toi, ô Vierge,
Qui longtemps d'abord pleuras :
Vois, du tombeau ton Fils Dieu
En gloire est ressuscité !

La nature célèbre
La Résurrection du Christ,
Et tout, comme d'un manteau,
Se revêt de lumière.

Les anges et les hommes
Chantent d'une seule voix ;
Dans l'Eden se réjouit
Adam, avec le larron.

Plus n'est nulle garde
Au céleste Paradis ;
Pour le peuple des chrétiens,
La porte en est rouverte.

Car la croix même n'est plus
Instrument de supplice,
Mais symbole de gloire,
Signe de la victoire !

Le breuvage trop amer
Par le Christ fut adouci,
Le royaume de la mort
Pour jamais fut affranchi !

Toi qui fus auparavant
Mère des saintes douleurs,
Voici tu es aujourd'hui
Mère du Ressuscité !




La source divine




Lumière sans crépuscule,
Lors enfouie sous la terre,
Tu fis apparaître ta vie
Paix nouvelle sur la terre.

Et pour ton glorieux tombeau,
ô mon Christ, mon Sauveur trés doux,
Tu en fis le don aux Chrétiens
Comme d'une source sainte.

Oui, là par miracle jaillit
La flamme du Ressuscité,
Epanchant sur le monde entier
L'admirable consolation.

Le peuple infidèle même
Y reconnut ta compassion
Et puise sa force à la Vie
De la Résurrection du Christ.

Les grands peuvent parler de paix,
Ils ne tiennent que vains propos,
S'ils ne s'inclinent devant le Christ,
Le protecteur de nos âmes.

Silence, accusateurs de Dieu!
Honte à l'esprit de confusion !
Car de l'Orient éternel
Naît la lumière mystique.

Que tout mortel avec désir
Dès maintenant s'approche,
Pour prendre de la lumière
A la source de la Vraie Foi !





L'Hymne à la Foi


ô Foi trés glorieuse,
-Puissance de mon âme-
Je t'emprunte la force
Pour ma quête du vrai Dieu.

Lorsque par ton lait divin
Ma vie demeure allaitée,
-Joie !- ma peine s'allège,
L'imagination se meurt !

Quand les vagues menacent
De chavirer ma barque,
C'est en toi, ma Foi sainte,
Que fermement je m'ancre.

Si ma faiblesse est cause
Que j'attriste mon Seigneur,
Dans la prière tu me cries
De ne désespérer point.

En ce monde si amer,
Par toi je suis affermi,
ô ma Foi toute bénie,
Mon joyau trés précieux !

Quand veulent me terrasser
Les ennemis de la paix
A leur plus grande honte,
Tu es ma délivrance.

Sur le déclin de ma vie,
En ces jours, je l'espère,
Tu me garderas du mal
Et des tourments horribles.






A la bonne Myrrhophore




De l'ombre de la perdition,
Le Seigneur te délivra,
Et toi, femme Myrrhophore,
Avec flamme tu le servis.

Tandis qu'il marchait vers la mort,
Toi, tu ne l'abandonnas pas,
Mais sans balancer un instant,
A sa passion tu le suivis.

Tu n'as seulement eu égard
Aux soldats cruels et impies,
Ni aux menaces terribles
Des Juifs au coeur enténébré.

Tu fus de la Crucifixion
En vérité participante,
Toi qui par le Maître choisie,
La première vit sa gloire.

C'est pourquoi, dans les cieux dès lors,
Toujours se réjouit Marie,
Près du jardinier du monde,
Le Christ en son hypostase !

A nos âmes de Chrétiens,
Marie, fiancée à l'amour,
En ces mystères tous divins,
Voulut montrer un zèle pur.

Aussi tes saintes reliques,
-Fontaine d'où sourd la grâce-
Guérissent-elles la peine
Du peuple des orthodoxes !






La lumière de la sainte Résurrection




ô saintes Myrrhophores,
Soyez dans l'allégresse,
Car voici, notre Sauveur
A rouvert la voie des Cieux !

Viens, Marie-Madeleine,
Ce jour dire aux morts d'antan
Comment le Christ, par deux fois,
Près du tombeau t'apparut !

Quel est donc ce jardinier
Qui vint à ta rencontre ?
Que t'apprit sur la tombe,
Dis, l'Ange de lumière ?

Laisse-là ta myrrhe, et cours
Le conter aux disciples !
Au monde, aux infidèles,
Clame la Résurrection !

Aux impies, fous insensés,
Aux oreilles sourdes, crie :
Qu'enfin les éveille aussi
Le tranchant de cette épée !

Les tentures de la mort,
Arrache-les, et sauve
Ceux qui perdent leur âme
Dans ce minuit du monde.

S'ils ne veulent entendre
Prêcher la Résurrection,
Sur le tombeau épanche
Le reste de ta myrrhe.




Les signes de la victoire




Du triste séjour des morts,
Tu ressuscites en gloire,
Mon Christ, la plaie au côté,
Avec la marque des clous.

Et dans le siècle à venir,
Ton front gardera toujours,
-Signe de la victoire-
La trace des épines.

Sur le trône de gloire,
La croix est le Saint Trophée,
Que vénèrent les anges,
Et qu'adorent les hommes.

ô Mystère insondable,
Unique par le monde,
Qui te mène à ta gloire
Paré de ton martyre !

Les rois armés en guerre
Remportent des victoires,
Mais Toi, en T'offrant pour nous,
C'est la mort que Tu détruis !

Sur la croix tendant les bras,
Mystiquement Tu devins
L'Epoux longanime et doux,
Notre Dieu de compassion !

Au Paradis de la joie,
Dans Ta miséricorde
Tu fis avant les autres
Entrer le larron repenti.





Le tumulte de la vie




Les secondes qui s'enfuient,
Sur le cadran se mouvant,
Sont en ce siècle présent
D'inestimables instants.

Entendant l'un, puis l'autre,
Des coups d'horloges égrenés,
Songeons : la mort, chaque fois,
En emmène un sous terre...

Tous les hommes du monde
A la serpe passeront
De la mort à son heure
Venue faucher notre vie.

Survient un premier instant,
Qui prend ici un homme,
Puis aussitôt un second,
En mer saisit un autre.

Ici un prêtre, un moine,
Et plus loin un monarque,
Ailleurs c'est une vieille,
Là-bas un patriarche.

Cest le tour à présent
D'un veillard à l'hospice ;
L'instant d'après vient celui
D'un innocent enfançon.

De la mort frappe l'épée,
Alentour semant l'horreur,
Nous tuant çi un frère,
Et là un ami chrétien.
Demeurons inquiétés,
Dans l'attente de la mort,
Car en un temps trés proche,
Notre tour, lui, s'apprête !






Sur le chemin de croix




Qu'as-tu, mon âme, à te troubler ainsi,
Et que te contristes-tu encore ?
Mets donc en Dieu seul ton espérance,
A lui confessant toute ta peine.

Si d'auprès de lui, tu t'es éloignée,
Entends ses appels se faire pressants.
Il te veut voir sur le chemin de Croix,
Regagnant la maison de ton Père.

Allons ! Pourquoi ces pensées de crainte ?
Ne sais-tu donc en quel lieu te fixer ?
Interroge aujourd'hui le centenier,
Lui, sans doute, saura te répondre.

Sur la route faisant une halte,
Tout autant qu'en un jour il est d'heures,
Regarde si d'autres à ta suite,
Empruntent aussi l'âpre chemin de Croix.

Lors, te voyant seul monter, achève :
Là-haut, sur la Croix t'attend le Seigneur...
Vois, tu te tiendras au lieu où les Juifs
Lui donnèrent le vinaigre et le fiel.

Sur le trés saint rocher du Golgotha,
Mystiquement t'attend toujours le Christ,
Et cette fois, comme au larron jadis,
A toi, mon âme, il parlera ainsi :
«Je te le dis à toi aussi : Amen!
Tu seras dans le Paradis dès lors
Que tu voudras aussitôt me suivre,
Renonçant à tout ce que tu possèdes !

Mais comme Pierre se chauffant au feu,
Lorsqu'on t'interroge : - Et toi, qui es-tu?,
Aussitôt, par le Conseil effrayé,
Tu vas jusqu'à renier ton Maître.

Ou si tu ne renies ouvertement,
Tes oeuvres mauvaises, elles, me renient,
Car ta vie en vérité n'est autre
Que le reflet fidèle de ta foi !

Ferme la porte sur la vanité,
Puis comme Pierre, pleure amèrement.
Et notre Dieu qui est compatissant,
Par son saint don te renouvellera !»






Au jour du Nouvel An




Vois, une année avec ses jours, s'en est allée,
Trop lente, ô mon âme, à te sanctifier,
Emplie toute de vains, de futiles désirs,
Vide aussi de sens, si loin de la vie en Christ.

Quant aux hommes, hélas, ils regardent toujours
Leurs propres intérêts, aux Chrétiens étrangers,
Voulant croire en leurs promesses d'un bonheur faux,
Et pensant bientôt vaincre leurs nécessités.

Or ce pauvre monde encore s'illusionne :
Oui, comment peut-il, sans en douter seulement,
S'imaginer en naïf qu'un quelconque mieux
En lui porte les germes d'une évolution ?

C'est sur ce modèle, vraiment, qu'il raisonne:
Voici, dit-il, menons une vie de progrès,
Seule capable de multiplier les fruits
Du bonheur qu'à la fin l'on pourra recueillir.

Mais ce qui de cela clairement apparaît,
Sous cet universel esprit de changement,
C'est que la vie des êtres sur cette terre
Va se dégradant jusqu'à sa fin dernière.

Si pour ce que l'on nomme «civilisation»,
Nous courons plus vite qu'il ne se peut dire,
Pour le spirituel nous allons à rebours,
Chaque jour à reculons, vers l'apostasie.

Nous volons comme la mythique chimère,
Comme le vent dans l'air bleuté tourbillonnant,
Et toujours plus profond creusons notre tombe,
Tout au long d'une vie sans esprit ni souffle.





Pensées nées d'une affliction profonde




ô mon Jésus crucifié,
Mon Seigneur, mon trés saint Sauveur,
Qui m'accordera le repos,
Et sa cordiale tendresse ?

C'est en toi seul compatissant,
Que je puis trouver mon aplomb,
Et nul autre que toi ne saura
La peine que je veux dire :

Las, mon coeur est insensible !
Mais toi, ne me rejette pas ;
Comme jadis à Manassé,
Ce jour montre-moi ta pitié.

En dépit de mes passions,
Si tu me donnes mon salut,
Ce sera miracle plus grand
Que l'autre opéré lors pour lui.

A la sienne unissant ma croix
Sans cesse je te chanterai,
Pour m'avoir sauvé de la mort,
Et rendu à la vie sans fin.





Autres pensées, en manière de confession




Quand je me remets en l'esprit
Les jours en allés de ma vie,
Je ne sais nul homme, Seigneur,
Qui, las, fût plus pervers que moi.

Et lorsque je scrute encore
Les dons que tu me prodiguas
Je ne puis croire qu'un autre
Obtint plus que moi ta pitié.

Or après semblable examen
M'apparaît le salaire aussi,
Ce châtiment effroyable
Que je connaîtrai quelque jour.

Mais toi, Seigneur compatissant,
Puisses-tu patient m'attendre,
Quand me corrompent les vices
De ma pauvre âme infortunée.

Oui, prends, je t'en prie patience,
Et donne-moi l'humilité,
Espérant que je produise
Les fruits de la repentance.

Sur moi épanche ta pitié,
ô mon Seigneur, mon Dieu Trés Saint,
Que toujours je te glorifie,
Jusqu'au temps d'entrer au tombeau.

Seigneur miséricordieux,
Infinies sont ta patience,
Et cette longanimité
Que tu me prodiguas, pécheur !

Le mal me retient enchaîné,
Mais toi, tu m'attends cependant,
Et mystiquement tu heurtes
Devant l'huis de ma conscience.
Accablé d'affliction, mon coeur
Plus n'est déjà que guenilles,
Mais toi, du haut des cieux envoie
Ta douce miséricorde.

Si mon coeur se trouble encore,
Eclaire, Seigneur, mon esprit,
Que je me signe de la croix,
-Notre garde salutaire !-

Quand mes pas sous moi chancellent,
Ta grâce, je le vois bien alors,
Puissante et prompte à me sauver,
Aussitôt vient me conforter.

Moi que décevaient à mourir
Les vanités de ce monde,
Je sens l'ineffable douceur
M'emplir à dire ton saint nom.

Et quand me semblent amères
Les douces peines du moine,
Je vois sur moi se réfléchir
Ton amour tendre de Père.

Aux portes de la miséricorde

Prière à la Mère de Dieu




ô mère de Dieu, Vierge sainte,
Espoir de mon âme enténébrée,
C'est pour moi que tu intercèdes
Devant le Dieu miséricordieux.

Sans l'arche de ton intercession
Par qui s'élève la terre au ciel
La vie nous eût semblé un désert
Plus dépouillé qu'un étroit tombeau.

Si tu n'eusses été la porte
Ouverte sur les siècles sans fin,
Pour nous l'hiver eût toujours régné,
Le soleil ne nous eût point souri.

Sur le monde tout ensommeillé
Si tu n'eusses fait luire ton jour,
La ténèbre et l'ombre de la mort
Se fussent à jamais perpétuées.

Si ce jour même, ô Mère de Dieu,
Quand nous suivons les sentiers du mal,
Avec feu tu n'implorais ton fils,
Il nous eût renoncés peut-être.

Fais donc, suscitant des prodiges,
Que se repente ton peuple errant,
Et fortifie la foi ébranlée
De nos pauvres âmes égarées.

ô Sainte, Mère Toute Pure,
Brise nos liens d'hommes serviles,
Et dans les tourments accorde-nous
La patience et la force d'en-haut.






Réponse à un frère bien-aimé
demeuré en terre roumaine

Au hiéromoine Claude,
du monastère de Neamts.




N'est-ce que lorsque tu sentiras l'air épais,
Tout empli de mauvais relents de la guerre,
Que malgré l'amour qui te retient au pays,
Tu songeras quelque jour à nous revenir ?

Tu es venu déjà, la patrie dans l'âme,
Trop effrayé d'éternellement l'oublier,
Elle, qu'empli d'une nostalgie profonde,
Tu te hâtas bien vite d'aller retrouver.

De ses mille beautés notre pays roumain
Te retenaient captif, à leur charme attaché,
Et cette vie aisée sous ses climats heureux,
Et ces amis d'enfance qui point ne s'oublient.

Là-bas pour te ravir, sont les monts majestueux,
Dont les pentes fleuries doucement s'inclinent,
Comme pour y nicher, dans l'ardeur de l'été,
Les myriades si gaies des rossignols chanteurs.

Là-bas sont les longs fleuves et leurs eaux bruissantes,
Qui coulent entre les sapinières ombreuses,
Et les truites moirées aux reflets bleu argent,
Si vivaces que l'oeil ne les y peut suivre.

L'été, le soleil lentement chauffe l'azur,
Mais sans brûler comme ici la terre rougie ;
Plus tard le froid de l'hiver endurci l'être,
Faisant les nobles, les vaillants pallicares.

Nous, sur cette terre étrangère mal-aimés,
Subissons le marasme des sacrifiés.
Pourtant, de toutes les patries que j'ai connues,
La privation est encore la plus belle.

Oui, nous qui vivons au désert des oubliés,
Nous avons les palmiers pour unique ornement,
Pour seuls compagnons les chacals et les hyènes,
Qui la nuit en bandes hurlent sous la lune.

Si donc tu viens à nous, oublie tout le reste
De ce que par quoi hier était charmé ton coeur
Et tu verras dès lors, mon frère bien-aimé,
Que ton âme à jamais se tiendra dans la paix.

Mais ne reviens pas, surtout, la patrie au coeur,
Jamais plus ici tu ne saurais l'oublier ;
Pour le seul amour de ta terre roumaine,
Au désert tu ne souffrirais point de vivre.

Allons, laisse la patrie aux âmes jeunes,
Qui devant eux ont longtemps à vivre encore ;
Mais pour toi, père saint, mon vénérable ami,
Le temps s'approche et vient, où il te faut mourir.

Meurs donc plutôt à tout ce qui est du monde,
Et qui tel un rêve, à tire-d'aile s'enfuit ;
Car tu obtiendras la douceur en partage,
Comme les anges, au jour sans nuit du Paradis.
Là-bas, au lieu de mon désir




Non, là-bas ne sera plus
De visage pour haïr,
Ni comme ici un ami
Pour médire contre nous.

Là-bas, pour fleuve de vie,
D'en haut sourdra le Jourdain,
Et point ne déclinera
Le soleil de Justice.

Là-bas sera l'oiseau bleu,
Pour les archanges de Dieu,
Et sur l'arbre vivace,
Le bel or d'hespéridée.

Tout là-bas resplendira
Du splendide éclat du Christ,
Tout là-bas sera radieux,
Les corps incorrompus.

La faim sera inconnue,
Nul n'aura plus de souci,
Car dans la vallée d'Eden
Est planté l'arbre de vie.

Là, le printemps règnera,
Les gens plus ne mangeront,
Tous d'une inneffable joie
Sans fin se réjouiront.

De froid ni chaud ne sera,
Ni frimas pour glacer,
Point ne serons nous mangés
Par mouches ni moustiques.

Là-bas ne seront ni mal,
Ni tristesse ni peine,
Ni vent, ni pluie, ni grésil ;
Le ciel toujours sera pur.

La paix, rien n'y troublera ;
Là-bas, ni bruit de guerre,
Ni aquilon furieux,
Ni pierre pour achopper.
Là-bas si tu veux aller,
Rien ne nous séparera ;
Mais Dieu veut qu'ici d'abord,
Nous apprêtions nos âmes.

Qu'au monde étrangers déjà,
Comme morts pour le Seigneur,
De cette patrie de l'exil,
Nous fuyions la vanité.

Toujours songeant à la mort,
Menant une obscure vie,
Pardonnant sans balancer
Les offenses des frères.

Sans médire de l'autre,
Ni diffamer personne,
Mais endurant avec joie
Les maux qui nous surprennent.

Que tel le faon du chevreuil
Se hâtant vers la source,
Qu'ainsi nous courions à Dieu,
Portés par un saint désir.

Comme s'affaiblit le corps,
L'esprit d'autant s'affermit,
Lui qui seul nous mènera
Au lieu de notre désir.

Là-bas est notre patrie,
Qu'avec flamme nous cherchons,
Nouvelle Jérusalem,
Où plus n'est pleur ni peine.






Lettre à un frère du pays de Roumanie




ô mon âme,

Ne regarde point ailleurs qu'à ton seul salut,
Vois le tranchant de la mort approcher ton cou.

Lors, l'on te fera des questions effrayantes,
Aux supplices, sans pitié, l'on te traînera.

Si tu ne veux, ce jour, faire pénitence,
En auras-tu le temps, ou la force même ?

Ainsi veille, ne diffère point à demain
La prière ni la sainte obéissance.

Lorsque telle un voleur te surprendra la mort,
A la voir soudain là, tu frémiras d'horreur.

Des autres alentour tu chercheras l'aide,
Mais eux, devant la mort, seront sans nul pouvoir.

Elle a pour la servir des esclaves cruels,
Et tous tes pleurs alors ne te serviront de rien.

Allons, dépose le vain souci du monde,
Vite, à ces sottes niaiseries renonce ;

Ne te fais point le prisonnier d'inanité,
Méprise le raffinement de ses fadeurs.

Puis, ayant fait silence, rentre en toi-même,
Sans regarder aux luttes ni aux dissensions ;

Mais avec tous, demeure en harmonie de paix,
Te gardant de jamais accuser quiconque.
Si tu tiens quelqu'un en amitié profonde,
Ne va point par malice lui envier ses biens.

Et si tu désirais lier une amitié,
Vois, il n'en est d'autre que la spirituelle.

Si c'est le salut que de tout ton coeur tu veux,
Demande la myrrhe de la virginité.

Le coeur brisé, invoque le nom de ton Christ,
Car c'est lui qui par la main te mène en la vie.

Quand finiront tes jours, implorant sa pitié,
En vain tu gémiras, trop tard tu pleureras.






Le crâne de Barsanuphe
au cimetière du monastère de Saint Savva.




Regarde en ce beau miroir
Ce qu'est la tête d'un mort,
Puis songe à ce qu'est l'homme,
Glaise et tas d'os dégarnis.

Acquiers les oeuvres bonnes,
-Il en est temps encore-
Mais au jour du Jugement,
Plus ne sera de pardon.

Suppose donc qu'aujourd'hui,
Te convoque le Juge,
Que serait ta défense,
Ne t'étant point apprêté ?

Ah ! Si de ta pauvre âme
Tu eusses ouvert les yeux,
Quelle terreur en ce jour
T'eût tout entier parcouru !

Pour moi, frère, je suis las
Des mondaines puissances ;
J'ai goûté les joies fausses,
Les délices du monde.

Les pensées qui t'assaillent,
Moi aussi m'assaillent,
Quand aux passions du péché
Sans nul frein je m'adonnai.

Si comme homme de terre
J'ai las, péché moi aussi,
D'un repentir sincère
J'ai purifié mon âme.

Si la pensée des passions
A ton tour te combattent,
Viens contempler mon crâne,
Et redis-toi humblement :

«Les vanités du monde
Toutes ne sont que glaise
Comme sont aussi ces os,
Ceux d'un homme comme moi».

Pleure Arsène, et sanglote,
Car moi que tu vois ici,
En ce monde illusoire
Je fus hier moi aussi.

Fais du silence un ami,
Du bien-être un ennemi ;
Prends une conduite humble,
Chéris la tempérance,
Et pour l'obéissance,
Mortifie ta volonté.

La mort, garde la toujours
En ta mémoire gravée ;
Si tu fais toujours ainsi,
Tu n'auras point de tourments.

Il est grand le mystère
De la mort qui s'approche ;
Demain ce sera ton tour,
Comme à présent vient le mien.

Ah ! Si tu veux Arsène,
Quelque beau jour parvenir
Au seul bien véritable,
Fais d'abord ce que j'ai fait !





Après ma mort




Quand ma bouche, ô mon frère bien-aimé ,
Pour l'éternité se sera fermée,
Lorsque ma main débile et alanguie
Pour jamais aura cessé d'écrire,

Toi l'inconnu, viens lors chercher ces vers,
Tels qu'en ces feuillets je les aurai mis,
Naguère, en une heure trés paisible,
Où mon esprit tranquille et réfléchi.

Puis avec soin, médite longtemps :
Car la grâce de l'illumination
A mon humble entendement les porta,
Pour y naître, comme d'une mère.

Quand tu seras auprès de mon cercueil,
Si tu en ressentais quelque peine,
Prends alors le chemin de la skyte :
J'y viendrai aussi, invisiblement.

Tâche d'y venir plutôt au printemps,
Lorsque la terre en liesse se pare,
Et lorsque passeront les cigognes,
En robes roses, dans le ciel roumain.

Lors à ma grotte, tu psalmodieras
Les tropaires du Jourdain bienheureux,
Dont les eaux, de leur si doux murmure,
Vite te rendront ta sérénité.

Lui connaît une langue secrète,
Qui, faiblement bruissant et murmurant,
Aux oiseaux chanteurs renvoie leur écho,
Pour qu'à l'unisson résonne leur choeur !





La croix de la vie




Un chrétien quelque jour
Gémissait se plaignant
Que fût lourde la croix
Dont Dieu l'avait chargé.

«Quand s'en va la grâce,
Les tourments m'assaillent ;
Tel le boeuf je peine,
Accablé sous le joug.

D'autres sont indolents,
Qui vivent aisément ;
Mais sur moi seul l'on crie :
"Hue ! Boeufs qui renâclez!"

Le chrétien de gémir,
Plaignant sa destinée ;
Nul jamais ne l'entend
Du tout se réjouir.

Mais le Père des Cieux
Console l'affligé :
Des cieux, il l'aperçoit,
L'accompagne des yeux.

Quand épuisé, il dort,
Dieu lui donne un ange,
Qui le prend par la main,
Sur un mont le hissant.

Lors, se lève le jour ;
Là, l'ange et l'homme voient,
Une forêt de croix,
De différents éclats.
Les unes étaient d'or,
D'autres de bois, de fer,
Certaines en argent,
Nulle comme l'autre.

«Maintenant»dit l'ange,
Prends la croix de ton choix.
Veille à la bien peser,
Puis, retourne chez toi».

L'homme en hâte d'abord,
Avide pour ses fils,
Tâchant à la redresser
Veut saisir la croix d'or.

Mais son éclat est tel
Qu'il ne la peut fixer,
Et quand il la saisit,
Trop lourde, elle retombe.

Comme il essaie en vain,
De désespoir alors,
Il en prend une autre,
Cette fois de bronze.

Le voici dépité,
-«Ah ! trop lourde encore !-
Celle en marbre l'est plus,
La croix de fer aussi».

Auprès dans la vallée,
Plus bas sous un arbre,
En est une en chêne,
Qui peut lui convenir.

Il la prend et s'en va ;
L'ange sur la route
Lui demande à présent
S'il est ainsi content.
«Grâce à Dieu, répond-il,
M'en voici tout heureux,
Car c'est la seule croix
Que je puis soulever !»

«Ingrat !» lui dit l'ange.
«Vois : La croix de ta vie,
Toujours tu gémissais
De la devoir porter !

Ce jour, je t'ai mené
Choisir ta propre croix ;
Tu n'as rien pu porter,
Sinon la croix de bois !

Telle était bien pourtant
La vraie croix de ta vie !
Aussi rends gloire à Dieu,
Et plus ne proteste.

Les croix précieuses
Sont pour les hommes saints,
Luttant en vrais moines,
Jusqu'au sang patientant.

Mais pour toi paresseux,
Ta croix te sauvera,
Si patient dans les maux,
Tu gardes la vraie foi.







Le lutteur orgueilleux




Dans une skyte vivait
Un grand moine qui luttait,
Mais qui de soi-même avait
Une opinion bien haute.

D'un coup fort et robuste
Plus que ceux de la skyte,
Il faisait deux diaconies,
Et double était son canon.

Jusqu'à soixante-quinze
Chapelets il égrenait,
Mais les autres, plus faibles,
Jugeaient sa règle austère.

Ils pleuraient leur faiblesse,
A rebours de ce moine,
Qui, lui, riait à les voir,
Croyant bien les surpasser.

Mais le Dieu compatissant
Ne laissa son serviteur
Perdre sa peine ainsi en vain
Que lui gâtaient ses pensées.

A ses yeux soudain parut
Un archange lumineux
Venu, un crible à la main,
Y passer ses chapelets.

«Tu es sûr de toi !» dit-il
«Je te vois t'enorgueillir
Des chapelets que tu fais,
Te plaisant à les compter !
Mais regarde le crible
Passer tous tes chapelets.
Et disant ces mots, l'ange
Commença de les passer.

Lors au «grand saint» stupéfait,
Il s'empressa de montrer
Que trois pauvres chapelets
Du crible n'étaient tombés.

«Vois, des soixante quinze
Quelle était la vraie valeur,
Des chapelets égrenés
Dieu n'en agréant que trois ?

Au début de ton canon,
Ton esprit se rassemblait,
Mais lorsque l'heure passait,
Il s'éparpillait ailleurs.

Tu ne savais que compter
Les chapelets du salut,
Mais ton esprit dispersé
Rêvait pouvoir et gloire.

Aussi de ton long canon
Que chaque jour tu faisais,
Les trois premiers chapelets
Seuls Dieu voulait agréer.

Mais les autres, eux, se perdaient,
Ainsi que poussière au vent,
Car ton esprit, loin du ciel,
Se traînait sur la terre.

Or le Seigneur ne veut point
Qu'on le prie l'esprit ailleurs ;
Mieux vaut peu de chapelets
Dits d'un coeur humble et brisé.
Car du malade, il dit :
S'il me fait trois métanies,
Elles me sont agréables
Plus qu'un long canon entier.

Si quelqu'un, par faiblesse,
Ne peut dire sa règle,
Mais prie selon ses forces,
Dieu entend sa prière.

Et s'il en est empêché
Par une diaconie, un mal,
Dieu ne lui demande rien
Que de le glorifier.

L'action de grâces alors,
En esprit, d'un malade,
A Dieu plaît davantage
Que le canon du moine !

Si l'indolent se force,
Il est à Dieu plus plaisant
Que l'excessive ascèse
Du grand lutteur orgueilleux !

Car il décroît sans un fruit
Le vain lutteur orgueilleux,
Mais tel le cèdre monte
Le moine qui est humble !

Que chacun donc reçoive
Le don que Dieu lui offre,
Oeuvrant selon ses forces,
Dans l'humilité, toujours».






Le prêtre que protégeaient les défunts




Des paroissiens de bien loin
Vinrent à leur évêque,
Pour accuser leur prêtre
De n'être rien qu'un buveur.

Témoignant de la sorte,
Ils insistaient, le chargeant
Tant qu'enfin le hiérarque
Suspendit son office.

Il fit donc une lettre
Portant sa condamnation,
Pour aviser le peuple
De cette déposition.

Quand au bas de l'épître,
L'évêque voulut signer,
Lors se fit une clameur
De mille voix ensemble.

«Non ! non ! non ! Ne signe pas !»
Criaient ces voix dans les airs !
La plume lui échappa,
Et son esprit se troubla.

Se ressaisissant un peu,
Il attribua ces bruits
A la fatigue, aux veillles,
Lui troublant l'ouïe, peut-être.

Il reprit donc la plume,
Voulant apposer son sceau,
Lorsque de nouveau les voix,
Ensemble s'écrièrent :
«Non ! non ! non ! Pardonne-lui !»
Clamaient-elles haut et fort.
Apeuré le hiérarque
N'osait désormais signer.

Bientôt reprenant ses sens,
Il voulut sceller le pli,
Ne voyant plus en ces voix
Que rêves chimériques.

Lors pour la troisième fois,
Sa main encore trembla :
Car le grondement des voix
Résonnait de plus belle.

Rejetant donc la plume,
Il renonce à sa griffe,
Appelle le coupable,
Pour doucement lui dire :

«Vois, vénérable père,
Ce que de toi l'on conte.
Est-ce bien la vérité,
Ou calomnie mauvaise ?»

«Las, père vénérable,
Tout cela n'est que trop vrai ;
Esclave de mon vice,
Il me faut être chatié !

D'autres passions funestes
Dieu voulut me délivrer,
Mais celle de la boisson,
Toujours sur moi l'emporte.»

«Comment, lui dit l'évêque,
Peux-tu faire l'office ?
Reçois ta pénitence :
Sept années je te suspends !»
«Las, vénérable père,
Du jour où tu m'ordonnas,
Je ne fus à l'église,
Y mentionner un vivant !

Mais d'une chose pourtant,
J'ai le trés humble souci :
Toujours je mentionne
Les âmes de nos défunts.»

Or à ces mots l'évêque
Saisit quelles sont ces voix ;
Déchirant sa lettre, il dit :
Retourne à ta paroisse.»

«Quant à moi», ajoute-t-il,
«Je ne saurai te punir,
Ou ce serait mille âmes
Que dès lors je lèserais.

Jugeant sur l'apparence,
Les vivants te condamnaient,
Mais de l'au-delà surgis,
Les défunts tous t'ont absous !»

Les flammes d'amour




Dans les temps anciens, un moine,
Au nombre des plus grands lutteurs,
Ne voulait mentionner les siens,
Comme les ayant renoncés.

Or c'était au monastère
Un canon pour tous les prêtres
Que de mentionner chaque jour
Les moines avec leurs proches.
«Mais pour moi, je suis mort aux miens,
Sans plus père, frère, ni soeur»,
Répétait-il aux prêtres saints,
Quand humblement ils l'en priaient.

«J'ai assez de prier pour moi,
Comment prierais-je pour d'autres ?
Car ce n'est point l'âme d'autrui
Qu'à ma tonsure j'engageai !»

Or il advint aussi un jour,
Selon l'usage de la Lavra,
Qu'il dut, par obéissance,
L'été aller au métoque.

Lors donc que descendit le soir,
Il fit une étape en chemin,
Chez un bon maître d'école,
Amoureux sans fard du Seigneur.

Ses hôtes, le coeur sur la main,
Lui cédèrent leur propre lit,
Et s'entassèrent à l'étroit,
Dans le réduit prés du poêle.

Mais à tant d'hospitalité,
Lui n'étant point accoutumé,
Fut pris d'une si grande honte,
Qu'il n'en put trouver le sommeil.

Or voici que sur le minuit,
Notre moine encore éveillé
Derrière le poêle voit s'allumer
La flamme trés haute d'un feu !

Puis quelque deux heures plus tard,
La flamme du feu s'éteignit,
Mais un peu de temps encore,
Et elle s'éleva plus haut.
Sur le chandelier trois cierges
S'étaient d'eux mêmes allumés,
Et leurs flammes merveilleuses,
Hautes, trés hautes se dressaient.

Cette admirable étrangeté,
Aux premières lueurs du jour,
Le saint l'admirait encore,
Grandement s'en émerveillant.

Au petit matin ses hôtes,
Séparément le prièrent
De dire avec eux l'office,
Comme ils avaient accoutumé.
«Il faut t'avouer» dit l'époux,
«Qu'enfant, j'ai pris cet usage,
De me lever sur le minuit
Pour célébrer mon office.»

«Explique-moi», s'enquit l'abba,
«Quelle est alors ta prière».
«Je ne demande rien, père,
Sinon d'échapper aux tourments !»

Et lorsqu'il eut interrogé
L'épouse aussi sur son canon :
«Père saint» fut sa réponse,
«Voici quelle est ma coutume :

Lorsque mon ami repose,
Tout doucement je me lève,
Pour faire seule mon canon,
Agenouillée dans quelque coin.

Et je me tiens là prosternée,
Priant silencieusement
Pour l'époux qui est mon ami,
Pour notre enfant, et puis pour moi.»

Or à ces mots le moine enfin
Saisit en intelligence
Ce qu'étaient ces flammes,
Qui lors lui étaient apparues.

Voici que notre saint perçoit
Que par ce signe tout divin
Dieu lui a montré la force
De cette prière d'amour.
Et de ce jour il fit mention
Des vivants et des morts même,
Voulant voir en sa cellule
Briller les flammes de l'amour.





Sur le chemin d'éternité




Ma voix doucement s'éteint,
Et mes paupières se glacent,
A me voir insensible
Aux choses de chaque jour.

Ceux que j'avais avec moi,
Las, maintenant ne sont plus,
Et leurs tendres paroles
A jamais sont évanouies.

Mes pauvres jambes ce jour
Ne me veulent plus porter,
Qui désormais empruntent
Une voie plus lointaine.

Mes mains vers l'iniquité
Dédaignent de se tendre,
Mais pour lors immobiles,
Me montrent le Jugement.

Mes yeux plus ne désirent
Rien mettre en leurs pupilles ;
Là, voici que s'ouvre à eux
Un autre monde inconnu !

Narines délicates,
Qui d'odeurs vous délectiez,
A présent ne sentez plus
Que charogne et puanteur !

Mon gosier qui naguère
Fut insatiable glouton,
Tu as pour jamais perdu
Le désir de te nourrir.
Mes oreilles que charmaient
Les plus douces musiques,
Ne veulent plus entendre
Que l'invite éternelle !

Ma tombe obscure et sombre,
Mes frères la scelleront,
Sans qu'il pût même y filtrer
Un seul rai de lumière.

Mon corps, tel un cierge fond,
Qui bientôt se corrompra ;
Voici, dans quarante jours,
Mon coeur lent s'arrêtera.

Mais mon esprit tout ce temps
Restera sur la terre,
De çi de là voletant,
Sur les lieux de son passé.

Tous mes pas en cette vie,
Pour lors seront dévoilés,
Du temps de ma naissance
Jusqu'à mon dernier souffle.

Voyant comme en un miroir
Ses gestes reflétés,
Mon esprit de ses actes,
Triste, se lamentera.

Ah ! Quel sera mon désir
De revivre sur terre,
Pour laver dans mes larmes
Mes actions mauvaises !

De pénitence pourtant,
Si tard, point ne sera plus
Car déjà se dressera
Le trône du Jugement !
Trois jours après, mon âme,
Sur ma tombe contemplant
Ces vestiges de gloire,
En hâte s'envolera.

Vient le temps du voyage,
Du grand départ sans retour,
Oui, je vais en vérité
Là où s'en ira chacun.

Voici par l'ange escorté
Mon esprit qui aujourd'hui
Dans la crainte s'approche
Des terribles péages.

Ah ! Puissent mystiquement
Mes tendres frères y passant,
Sur ma tombe psalmodier
Le «Mé-moi-re é-ter-n-elle !»





Pour que fût sanctifiée notre vie




Je sais une grotte bénie,
Désertée qui attend déjà
L'hésychaste digne d'elle ;
Las, mes forces m'abandonnent,
Et je descends dans la plaine.

Soleil, qui me brûlais l'été,
Si chaud qu'à l'ombre plus fraîche
Je me voulais réfugier,
Viens, sans plus être inquiété,
Entre dans la grotte vide.

Quand viendra l'hiver trop rude,
Dont pleurent les nuages en pluies,
Dis, torrent, ta chanson triste,
Pour moi gisant sur ma couche,
Qui sur tes bords plus ne viendrai.

Aux jours du printemps en liesse
Qui vous rendront à votre nid,
ô mes oiseaux si gracieux,
Lorsqu'à Dieu vous psalmodierez,
Chantez-moi aussi vos trilles.

Vous qui laisserez les vôtres,
Sans craindre le désert voisin
Entrez donc en cet asile
Que vous voyez de chaux blanchi,
Car mon corps déjà s'y glace.

Et toi, torrent dans la vallée,
Où plus bas tu vas murmurer,
Viens, n'oublie pas, à la skyte,9
Puis passe auprès de ma tombe,
Au lieu de mon dernier séjour.

Dévalant la pente douce,
Quelque chose en chemin t'attend,
La vieille plaque qu'un moine,
Théophane, en roumain grava !-
Pour qu'au Jourdain tu la roules.

Las, qui saura lire encore
Les restes des roumains glorieux,
Et songer qu'ici quelque jour,
D'autres menèrent l'hésychia,
Loin de ma Roumanie aimée.






Poème sur ma fin




Voici, frères, ma tombe,
Là où repose mon corps,
Car la terre, voyez-vous,
Toujours son dû réclame.

Où est ma gloire passée,
Où le visage de Jean ?
Evanouis, comme sur l'eau,
Dans le vallon l'écume.

Mon corps, las, n'est pas digne
De recevoir les honneurs,
Qui fut inutile objet,
Mon compagnon d'offense.

Sur la terre avec ses pensées
Vécut mon pauvre esprit,
Qui jamais ne se fia
En ce félon de glaise.

La prière et le jeûne
A grand-peine il endurait,
Et plus souvent entravait
Mon beau désir de salut.

Mais le ciel compatissant
De me sauver se soucia,
En ce monde éphémère
Fustigeant mes faiblesses.

Scellez ce jour ma tombe,
Comme de tous je fus reclus,
Et mentionnez mon nom,
Qu'ouverte me soit la Voie !
Celle de l'éternité
N'a point vers vous de retour...
Las, pour moi tout changera
Jusqu'à l'aube du grand Jour.

Comme il fut toujours écrit,
De nouveau, quoi qu'il en soit,
A la terre nous irons,
Qui est notre origine !

A votre frère roumain
Donnez l'ultime étreinte,
Car tous nous sommes issus
D'Adam le protoplaste !





Crâne, notre commun miroir




Suspendez çi vos pas,
ô mes doux frères en Christ,
Et jetez sur ma tombe
Un regard compatissant.

Car moi aussi naguère,
J'aimais la vie heureuse ;
Mais, voyez, dans la tombe,
Plus ne suis que terre et boue.

Ma tête délicate,
A l'esprit bien éveillé,
N'est qu'un crâne mutilé,
Dont le spectacle est hideux.

A la place où naguère
Curieux brillaient mes yeux vifs,
Les gros rats gris aujourd'hui
Ont fait leur sale logis !

Là où se mouvait jadis
Ma langue intarissable,
Des vermines infectes
Sont à leur aise installées.

Mon nez et mes oreilles
Qui n'exigeaient que plaisir,
Nul écho, nulle senteurs
Ce jour ne les charme plus.

Hélas, mes mains et mes pieds,
Dès à présent sont liés,
Et jusqu'à l'Ultime Jour
Ces attaches resteront.
Mais préparez le chemin
De la Cité céleste,
Et dès lors tous ensemble
En un même lieu serons.

Quelle sera notre vie,
Cela nous ne le savons,
Mais la mort inflexible,
Oui, nous le savons viendra.

Le pauvre monde aujourd'hui,
Dans le luxe s'ingénie
A oublier en esprit
Jusqu'à l'idée de la mort.

Les modernes trouvailles
De matière engluent l'homme,
Tant qu'il se croit sur la terre
Immortel et éternel.

La radio crie, l'on danse,
Le canon tonne plus fort,
Tandis que peu demeurent
Pour sonder les mystères.

Ne soyez point occupés
Des trompeuses jouissances
Sachant vous y garder d'elles
Par la pensée de la mort.

La vie telle une rosée,
-L'illusion vraie d'un rêve-
Vite s'enfuit et se perd
Dans les siècles des siècles.

En priant n'oubliez pas
D'autres âmes en allées,
Car à votre tour demain
Vous nous rejoindrez ici.





Gloire à ma tombe




ô mon frère bien-aimé,
Qu'ici t'arrêtent tes pas,
Et sur ma pauvre tombe,
Jette ton regard triste.

Car désormais je n'ai plus
Rien, ni langage ni voix ;
Mais toi, viens, lis seulement
Ces vers que je t'écrivis.

Lis et longtemps sanglote,
Puis, au fond de ton coeur, prie :
Tu me donneras ainsi
Sous la terre un grand repos.

Cette supplique humble
Oh, ne le méprise pas !
Tant que tu auras de vie
Toujours mentionne mon nom !

ô mort, comment dirai-je
Ta profondeur secrète ?
Mystiquement je te vois,
Mais, je ne te puis peindre !

Toi mon frère, hâte-toi,
Vite apprête le chemin,
Et de ton âme veille :
Déjà ton tour approche.

Fleurs du jourdain10




Que de fois, divin Jourdain,
N'ai-je arpenté ta plaine,
Pressé d'un brûlant désir
D'y rester en extase.

Loin des soucis du monde,
Là, dans la vallée des eaux,
Je vivais avec l'écho
Léger des oiseaux chanteurs.

Puissè-je entendre encore
Souffler les vents du désert,
Et la nature chanter :
«ô Trinité, gloire à toi !»

Dans tes eaux merveilleuses,
J'eusse pour jamais vécu,
-Piscine de miracles,
Où Jean baptisa le Christ.

Tes eaux mystiques chantent,
Et les roseaux sous le vent
Glorifient la Trinité
Qui y fut manifestée.

Plus bas, près de sa source,
Au pied d'une colline,
S'entretenaient le Sauveur
Et saint Jean le Prophète.

Là, que de grands mystères
Par Dieu furent évoqués,
A l'ombre d'une grotte,
Abritée des rais ardents.

Un saint abba qui passait,
Allant au Mont Sinaï,
S'étant assis entendit
La voix dire : «Lève-toi !»

«Ne foule pas ce lieu saint !»
Jean -c'était lui- ajouta :
«Ici venait le Sauveur
Avec moi s'entretenir !»

Lors, par prodige il voit
Un feu dedans la grotte...
Il y fonda, illustre,
La laure de Saint Savva.

Près du Jourdain, ce désert
Miraculeux abrita
Le saint abba Zosime
Et Marie l'Egyptienne.

Puis saint Coron à son tour,
Lui qu'accablaient les pensées,
En ce lieu fut délivré
Par la grâce de Saint Jean.

Plus haut sur le roc de sel,
Que nomme l'Ecriture,
Saint Parthène -l'un des sept-,
Demeura ermite.

Dans la gorge profonde,
Tel un fortin du salut,
Se dresse notre skyte,
Vrai Paradis des âmes.
Oasis qui recueille,
De nos riantes contrées
Les Roumains en libre exil
Loin du monde impétueux.

En tes eaux vivifiantes,
ô Jourdain de mon salut,
J'ai laissé mon vieux désir
De marcher dans l'errance.

Car tu es l'Arche Sainte,
La voie de nos prophètes,
Toi, le hâvre d'hésychia,
Père d'enfants prodiques.







Cher coûte l'intempérance
Apologue emprunté à la vie des oiseaux




Une oiselle au désert,
Belle, jaune et verte,
Près de moi fit son nid,
Couvant ses deux petits.

Mais pour ses oisillons,
La mère dut quérir
Bourdons, sauterelles,
Graines et vermisseaux.

Devant ma grotte un jour,
Sans merci combattent
Pour ce butin chacun,
L'oiseau contre un serpent.

L'oiseau le becquetant
Ne prit garde, pauvret,
Que le serpent vengeur
De venin le piquait.

Reparti en chasse,
Ne put rentrer au nid
La mort l'ayant pris vif,
Combattant le serpent.

Crient, crient les orphelins,
En vain s'égosillant.
Point ne parut leur mère ;
Et nul qui d'eux prît soin.

Mon coeur pleure, il saigne :
A mes côtés l'on meurt ;
Comment les secourir ?
Si haut ne puis monter !

Que l'âme chrétienne
Des autres s'éloigne !
C'est leur méchanceté
Qui laisse inconsolé.

Des maîtres estimés,
Loin d'agir en pères,
De modes empoisonnées
Corrompent les esprits.

C'est en vain qu'espère
En eux le monde fou ;
A voir ces êtres morts,
Il cherche où est la vie.

Les parents eux aussi,
Ignorants du salut,
Ne montrent que vices,
Dont meurent les âmes.

Leurs conflits sans issue
Nul ne font progresser ;
Les conviant aux passions,
Ils tuent leurs propres fils.




Au bord de l'éternité




Là-bas dans la vallée
Je vois l'eau qui coule,
Se hâtant d'arriver
Sur les bords de la mer.
De même s'écoule
Goutte à goutte ma vie,
Jusqu'au port éternel
Maintenant si proche.

Dans le val gémit l'eau
Qui aux rocs se frappe,
Cascade retombant
Au fond des lagunes.

Avec un cri pareil,
Se fait mon voyage :
Mon corps lourd me pèse,
Et la route est dure.

Comme jonchent les eaux
D'opalines le fond,
Lorsque viendra ma fin,
L'oubli sera mon lit.





Voix prophétiques




Dans les derniers temps, dit-on,
Emportés par le monde,
De leurs ouailles les pasteurs
N'auront plus souci aucun.

Pour leur fol égarement
Laissant la voie des pères,
Sur la flûte à leurs brebis
Ne voudront plus psalmodier.

De leur prétendu progrès
Ils incendieront l'enclos,
Dont la fumée produira
L'hérésie des papistes.

Le monde avec sa science
Fera des découvertes,
Mais c'est elle qui tuera
La crainte et la foi en Dieu.

Seuls les simples du peuple,
Craignant les tourments sans fin,
Garderont pur le dépôt
Des divins commandements.

Mais vivant sans gouverne
Ni guide spirituel
Du pouvoir seront haïs,
Et beaucoup emprisonnés.
Aux seules oeuvres bonnes,
Pleins de zèle ils se voueront,
Mais le monde les regardera
Comme ayant perdu le sens.

La sagesse des hommes
Se fera des idoles,
Et les êtres matériels
Y verront tout leur salut.

Barbes et cheveux rasés,
Habits réduits au plus court,
L'on ne fera plus de lois
Que dans le goût du siècle.

Jeunes gens impudiques,
Frères aux soeurs étrangers,
La mode à la débauche
Incitera les êtres.

Dieu, dans sa colère alors,
Considèrant les mortels,
En fera mourir beaucoup,
Comme à Sodome jadis.

La terre sera sans fruit,
L'ouvrage ira décroissant,
Car trop croiront à Satan,
Leur frère, leur liberté.

D'une fureur aveugle
Le monde entier lors brûlé,
Marmite au feu bouillira
Et plus ne sera de paix.

De là des guerres en chaîne,
Dont la plus effrayante,
Devant Constantinople,
-Celle des sept puissances !-

Ces peuples civilisés,
Ayant chacun progressé,
Tels des fauves affamés,
Entre eux se dévoreront.

Des engins ailés de mort,
Avec leur queue de scorpion,
Sèmeront la confusion,
Comme à la tour de Babel.

Puis des dragons effrayants
Au métal dévastateur,
Par la gueule cracheront
Un âcre venin mortel.

Des hommes du monde, un tiers
A la fin réchappera.
Les autres à la guerre,
Tous auront péri de mort.
Un ange du ciel venu,
Devant Constantinople,
D'une voix forte criera
De cesser le massacre.

Puis les anges donneront
A un saint le royaume,
Auquel tous se soumettront,
Dans l'universelle paix.

Et l'orthodoxie enfin
Sur le monde brillera,
Tout le mal disparaîtra
Entre tous sera l'amour.






L'homme éphémère des temps modernes




Pauvre homme des temps modernes,
Fils de la «civilisation» !
De quel galop poursuis-tu
Ta trompeuse imagination ?

Tu voudrais une chimère
Une fantaisie, un rêve :
Tu cherches sa fausse beauté
Qui t'est plus chère que l'Eden.

Et parce que tu désires
T'édifier un bonheur humain,
De cette amère joie sans Dieu
Est en quête ton errance.

Tu découvrais tant de choses,
Tant d'aises et de facilités,
Que de même tu te flattais
D'atteindre à un bonheur parfait.

Mais l'exact inverse t'advint :
Plus tu poursuivais ce bonheur,
Plus il s'enfuyait loin de toi,
Seul avec tes maux demeuré.

Tu peux marcher au fond des mers,
Toujours plus haut voler au ciel,
Par un prodige te trouver
Sur le champ au bout du monde.

Tu rends parfait tous les métiers,
Comme les fonctions des hommes,
Iras-tu dans l'autre monde
Dicter, naïf, tes volontés ?
Dans ta quête du mirage,
-Ce bonheur que tu t'es forgé,-
Ton corps jamais n'est satisfait,
Et ta pauvre âme est négligée.

Tout ce qu'offre au monde égaré
Une science ennemie du Christ,
Quatre mille ans en arrière
Le mène aux préhistoriques.

Voici qu'à Babel revenus,
Nous mêlons aussi les races,
Et comme jadis ignorons
Ces sentiers que nous empruntons.

Comme l'animal sauvage
La créature élue de Dieu,
Jamais avant nos temps présents
N'eut semblable perversité.

Regarde l'immense peine
Que tout le jour en vain tu perds,
Puis vois quel est ton beau progrès,
Et ce bonheur que tu cherches.

Vois combien de cimetières
Se sont en peu d'années remplis,
Combien de milliers d'exilés,
Ce jour, sont errants sans patrie.

Vois dans les camps de fortune
Les files interminables
De mutilés et d'infirmes,
-Pauvres, veuves, et orphelins.

Vois, dans la vallée des larmes
Ceux qui vivent un temps de progrés,
Entends gémir le peuple en deuil,
Là-bas exhalant sa peine.
Est-ce donc ce bonheur, dis-moi,
Que tu voulais et que tu veux ?
Sans la foi, que l'estimeront
Dieu bon et sa Providence ?

De ta nature tu sais tout,
Mais ton âme est une oubliée ;
Des couleurs, tu fais le spectre,
Mais ton esprit est ténébreux.

L'air sauvage de ton être,
Tu l'as, penses-tu, bien dompté,
Mais tu déchaînes tes passions,
Pour les faire plus sauvages.

Tu bâtis de vastes cités,
Navigues des villes fortes
Aux ailes plombées de métal
Volant sur l'océan des mers.

Mais sous le mirifique éclat
Des inventions du monde,
Triste, règne sur les âmes
L'obscurité ténébreuse.

Les usines qui vomissent,
De leurs déchets souillent l'éther ;
-ô misère insupportable
D'une existence sans souffle !

Les voitures soufflent et crachent,
Les chauffeurs la mine hâve,
L'air furieux et fatigué,
Empestent une âcre fumée.

Tu croyais que tes chimistes,
Forts de leurs belles théories,
Sauraient bien t'inventer
Un bonheur d'une autre sorte.
Mais par leurs inventions mêmes
Les puissances se détruisent,
Et sacrifiant à la mode
Tu creuses ta propre tombe.

Toi qui dans ton égoïsme
Désirais atteindre au progrès,
Vois depuis le pauvre monde
Boire ses larmes et sa peine.

Ce jour lassé de la guerre,
Il se voit contraint, malheureux,
De tenir des conférences
Pour sceller une paix sans Dieu !

Mais la paix, Dieu seul la donne,
Unique Prince de la paix,
Et si tu ne recours à lui,
En vain tu poursuis ton progrés.

D'abord, sois avec Dieu en paix,
Faisant ta vie spirituelle,
Mais si tu n'y veux consentir,
Ton oeuvre n'est rien que fumée.

De ton frère acquiers l'amour pur
Qui méconnaît l'hypocrisie ;
Mais si tu n'as pas sa beauté,
Ton argent ne te sers de rien.

Chéris la tempérance,
Renonce à tes habits voyants,
Car si tu ne le comprneds pas,
A tort tu te crois policé.

Sur le passé de l'Eglise,
De ton esprit jette les yeux ;
La Foi te dira
Ce qu'aujourd'hui tu as perdu.
Comme tu ne peux dans la main,
Sur l'étang prendre la lune,
Tu ne peux même un seul siècle
Garder ta vie éphémère.

Las, cette civilisation
Ne fait qu'aliéner ton esprit,
Et te dégoûtant du salut
Te mène loin de son éclat.

Quand tournent les satellites
Sur leur orbite sans cesse,
Court aujourd'hui la chimère
De l'homme oublieux du Seigneur.

Et pour avoir laissé sa Voie
Comme mille autres tu oeuvres
En vain, parcourant en éclair
Les sentiers de la perdition.






A la mode du monde




J'en entends quelques-uns dire :
«Le monde aujourd'hui progresse ;
Seuls la scouffia et le rasso11
Sont vraiment passés de mode !»

Les mêmes se trouvent offensés
Par tes longs cheveux de moine
Et sous cape ou bien au grand jour
T'accablent de leurs railleries.

Même un lion sans sa crinière
Prêterait bien moins à rire
Qu'un moine dans sa soutane,
Les cheveux jusqu'à l'épaule.

Le monde aujourd'hui estime
Les loups qui prêchent tête nue,
Avec un ventre en baudruche,
Comme pantins de carnaval.

Ce monde nouvelle vogue
Se bouche aussi les oreilles
Lorsqu'il entend à l'église
Les voix des choses surannées.

Quoi ? N'avez-vous pas la radio ?
Comment, pauvre moine en scouffia !
Que vivez-vous misérables,
Sans prêter égard au progrès ?

Le monde aujourd'hui progresse,
Comme aussi les modes de vie !
Vous, Pappoulis à la traîne,
Vous ne songez qu'au Paradis!






Le malheur du monde et la radio




Les Lieux Saints de Palestine
Aujourd'hui ne sont qu'un désert,
Car tous les hommes sont rivés
Devant leur poste de radio.

Mais dans les camps soviétiques
Atrocement l'on torture
Les pauvres fous qui ont choisi
De n'aimer que leur seul Seigneur.

Or les soldats sur leurs têtes
Balancent des projectiles,
Pour laisser leurs femmes veuves,
Avec leurs enfants orphelins.

Les russes en cimetières
Ont mué les îles d'horreur,
Où ils en privent par milliers,
Las, de leur vie naturelle.

La radio, elle, susurre
Les bêtises de ses chanteurs,
Et les grotesques simagrées
Des imitateurs en fête.

Dans leur misérable taudis,
Blottis tout contre le poêle,
Des orphelins au ventre creux
Pleurent leur pauvre père aimé.

Ils attendent, les malheureux,
Dans leurs larmes un vain secours,
Une visite peut-être,
Ou des voisins à la porte.
Mais la radio ne cesse pas
De seriner à leurs voisins
Des chants pour épaissir leur coeur,
Et le rendre pierre d'onyx.

Le pauvre sur sa paillasse
Geint qui ne trouve le sommeil ;
Les créanciers veulent leur dû,
Mais pour les payer, il n'a rien.

Au marché sur une pierre,
Craintif et geignant un mendiant,
Depuis l'aube se tient assis,
Attendant en vain du secours.

Livide au fond de son cachot,
Injustement emprisonné,
Gît un vrai chrétien zélote,
Frappé en pleine poitrine.

Là-bas, loin entre les tombes,
Dans un cercueil en bois de pin
Dort le seul fils d'une femme
Qui le pleure, âme inconsolée.

Sur la place du village
La radio claironne une hymne,
Faisant vite à l'homme pécheur
Le coeur froid et insensible.

Ici, sur son lit de douleur,
Un misérable malade,
N'a pour se réconforter
De vivres ni de remèdes.

Mais beuglant telle les boeufs,
Sur les ondes, la musique,
Donne aux abêtis du monde
La chaleur de leur vie froide.
Sur leurs béquilles se traînant
Les mutilés de la guerre
Trébuchent en chemin
Glissent et tombent dans la boue.

Et la radio à leur côtés,
Imperturbable joue toujours,
Assourdissant les coeurs des gens
Qui se gardent de les aider.

Asservis tous à leurs passions,
Privés de grâce divine,
Les hommes n'ont plus nul souci
Des déshérités de la vie.

Au monastère la radio
Là aussi mène la danse
Escamotant vite le sens
Las, de notre pauvre salut !

Et quand une âme veut marcher
Sur le sentier salutaire,
C'est le programme des ondes
Qui lui vient encore à l'esprit.

A quatre heures au réfectoire,
L'on veut écouter un concert,
Et l'on n'a plus même le temps
D'aller confesser ses péchés !

Et le dimanche à neuf heures
A cause de chants et de danses
Que pour rien l'on ne manquerait,
L'on manque bien la liturgie!

Le jour où l'on fête un grand saint,
Des promenades organisées
Font aux jeunes gens déserter
L'église vide à l'abandon.
C'est jeûne et tout ce beau monde
Se réjouit de ripailles,
Apprêtant aussi des danses,
Aux pas compliqués et savants.

Quand s'achève la liturgie,
Les fidèles de l'Eglise,
Au café vont se distraire
Où s'égosille la radio.

Qu'une pauvre âme s'attache
A vouloir prier ardemment,
Auprès blasphème la radio,
Hurlant ses chansons obscènes.

Et lorsque pour pleurer ses morts
L'on s'en va au cimetière,
En route, radio en poche,
Tous gambadent et plaisantent.

Les hymnes prises aux ménées12
Sont célèbres par le monde,
Puisque la radio adapte
Les tropaires des saints de Dieu.

Mais le dimanche à l'église
Les Chrétiens ne vont plus,
Tandis que dans les cinémas,
L'on fait toujours salle comble.

A l'église le plus souvent,
Les choristes ne viennent pas,
Mais aux grandes fêtes de nuit
Ils vont chanter sans vergogne.

La misère sur le globe
Aujourd'hui s'accroît sans cesse,
Car il n'est entre les hommes
Plus personne pour croire en Dieu.






La tour de Babel aujourd'hui




L'esprit aujourd'hui
Ne veut qu'inventions,
Pour notre ruine
Si misérable.

Le goût du pouvoir,
L'âpreté au gain,
Ont chassé la paix
Qui nous souriait.

L'amour chrétien
Au loin est banni,
Las, par la haine
Pour nos Pères Saints.

Le monde forge
Une vie sans Dieu,
En hâte faisant
D'autres trouvailles.

Il va -il le sait-
Au cataclysme,
Mais il méprise
L'Arche du salut.

C'est qu'il reconstruit
La tour de Babel,
Foulant sous ses pieds
La Divine Loi.

Voici les langues
A nouveau mêlées,
Et l'heure approcher
De la confusion.





La lumière de la connaissance




Les savants aujourd'hui
A toute force essaient
De démontrer à tous
Que notre Dieu n'est point.

Au nom de leur progrès,
Ils voudraient eux aussi,
Plus fiers que des astres,
Etre au dessus des Cieux.

Devant eux deux portes
Les laissent indécis :
L'une est leur faux-bonheur
Où les attend ... un boeuf !

Si la porte de la vie
Leur demeure close,
Au lieu de leur perte,
L'autre cède sous eux !

Une folie leur vient,
Vite ils l'exécutent,
Croyant s'éterniser
Et abolir la mort.

Mais tes subterfuges
N'ajoutent une coudée
A ta vie qui ouïra
La sentence de mort.

Les sciences du monde
A la vue du tombeau,
Telle poussière au vent
Ne sont plus d'aucun prix.
Si dès en cette vie
Tu n'as connu ton Dieu,
A ta mort tu seras
Brisé par le Malin.






Le réveil de Constantinople




ô Seigneur, du haut des cieux,
Sauve ton peuple opprimé,
Que pour ta loi aujourd'hui
Tu vois tant persécuté.

Les peuples d'iniquité,
Vandales sanguinaires,
Avec marteaux et hâches
Ont violé tes églises.

Consumés par la haine
Les gens du peuple d'Agar
Jusque sur ton saint Autel
Profanent les calices.

Ils dépouillent les Chrétiens
De leurs biens, de leur honneur;
Ils leur ont pris la ville
Donnée par saint Constantin.

Les reliques intactes
De nos bienheureux Pères
Sont aujourd'hui outragées
Par de féroces impies.

Dieu miséricordieux,
Apaise le mal furieux,
Montrant par des prodiges
Que nous sommes ton peuple.

ôte un peu de nos peines,
Qui s'alourdissent toujours,
Et laisse nous repentis
De ce que nous t'avons fait !
1956


Les signes de l'Apocalypse




Les vents mauvais de perdition,
Aujourd'hui soufflent, menaçant
Les pauvres hommes du peuple,
Naïfs qui croient encore en Dieu.

Au septentrion d'Aquilon,
Tard venu du communisme,
Sur le monde se déchaîne,
Versant les dogmes d'Antichrist.

A l'occident le vent du Sud
Apporte avec lui le progrès,
Qui engendre l'incroyance,
Et partout répand l'hérésie.

Du sud plus violent encore
S'est levé comme un cyclone,
Qui soufflant jusque sur le nord,
Aux Peaux-Rouges mêle les Noirs

Tandis qu'à l'Orient, au levant,
Déferle la vague Jaune
De Cog qui s'agite troublée
Par les rejetons de Magog.

Les maîtres abjects et pervers,
A l'effrayante conduite,
Sur de pauvres diables d'hommes
Distillent leur venin.

Vite ils préparent la perte
Des tous derniers insurgés,
Et au train où va le monde,
Sa fin ne tardera guère.
La vieille haine des moines
S'est ainsi trouvée des maîtres
Qui font profession d'enseigner
A se dresser toujours contre eux.






La colère du ciel




Encore des luttes, encore du sang,
Encore les grondements de la guerre,
Encore des larmes inconsolables,
Encore la douleur et la nécessité !

Puis lorsque pour un peu de temps les larmes
Auront assez coulé sur les joues pâles,
Alors soudain surgiront, plus violentes,
D'autres tempêtes, avec d'autres tourments.

Lors d'autres veuves encore pleureront,
Et avec elles des veillards éplorés,
Et de pauvres petits enfants par milliers,
Pour jamais orphelins, las, demeureront.

Les villes dans la peur seront désertées,
Beaucoup d'hommes seront au loin déportés,
Et sur les places où jadis l'on chantait,
Les projectiles mèneront la danse.

Parmi les lieux que souillait la perdition,
Où florissait un luxe de débauche,
Avant peu règnera, soudain éclaté,
La terreur des obus et l'enfer du feu.

Et ceux qui par une vaine impudence,
Ce jour s'en vont nus, fauteurs de scandales,
Verront aussi venir l'heure terrible
Où ils s'en iront nus par nécessité.

Lorsque le péché sur le monde s'accroît,
Dieu pour lui se prend d'une grande aversion,
Et c'est pourquoi l'on voit, inéluctables,
Sur lui s'abattre tant d'horribles guerres.13



Gloire à Dieu,
et que grâces et honneurs soient rendus
à saint Jean Baptiste, son thaumaturge.







Table des matières


Les flammes du coeur
La garde de l'âme
La voix du Bon Berger
Le don de Grand-Mère
Le signe de la croix vénérable
Dans les bras paternels
Larmes oubliées
Sur d'autres rives
Le petit orphelin
Prière (1)
Au port spirituel
En mémoire de ma grand mère Marie
Sur mon chemin de croix
Les épreuves d'un commençant
Exhortation à un ami hésychaste
Prière (2)
Epigramme
Pensées au vent
Hymne d'action de grâces rendues à Dieu
A la gloire du créateur
Chanson de rimes sur les habitudes mauvaises
Pensées rimées inspirées du «Je crie vers toi...»
Nouvelle croix, nouvelles plaies
La connaissance de l'âme
La robe des noces, je n'ai pas revêtu
Prière aux humbles versets
Quand esclaves de la terre, nous perdons la fin première
Nos temps et les temps anciens
Sans le Seigneur
Pensées pour les jours difficiles
Humbles pensées I
Humbles pensées II
L'éternité de l'âme
Sainte naissance
Le désir divin
A mes sens
Blâme à mon insensibilité, tel qu'il me fut mystiquement adressé d'en haut
Versets au lecteur
A mes compatriotes, qui voudraient à ma tombe rendre des honneurs
Prières et humbles pensées, pareilles à celles du Fils prodigue
De la terre des fils prodigues -Prologue
L'invite au retour. D'un père à son fils prodigue
La confession du fils prodigue
Les remords de la conscience
D'en haut, appel à la vie angélique
Venue d'en haut, l'illumination intérieure
La voix de la conscience
Les sept péchés mortels, - dont en kyrielle s'engendrent tous les autres-
I. L'orgueil
II. La haine
III. L'avarice
IV. La luxure.
V La gloutonnerie.
VI. L'acédie.
VII. La colère.
L'ode de manassé ou Mes craintes et mes tremblements. Poèmes sur l'humilité
Poème d'action de grâces à saint Théodose le Cénobiarque
Nouvelles actions de grâces à saint Théodose
Le Fils de l'Homme, fiancé de la peine
Humbles pensées sur la douleur de la Mère de Dieu
Sur l'ineffable douceur et la longanimité du Seigneur
Aujourd'hui, l'esprit du monde et la piété
Aujourd'hui, les tourmenteurs du Ressuscité
Pensées I
Pensées II. Sur l'économie divine
Pensées III. Sur la divine humilité du Sauveur
Au jour du grand Vendredi, l'Agneau du rachat
L'épée de douleur
Le thrène de la Mère de Dieu.
Joie de la Mère de Dieu, au jour de la sainte Résurrection
La source divine
L'hymne à la foi
A la bonne Myrrhophore
La lumière de la sainte Résurrection
Les signes de la victoire
Le tumulte de la vie
Sur le chemin de croix
Au jour du Nouvel an
Pensées nées d'une affliction profonde
Autres pensées, en manière de confession
Aux portes de la miséricorde (Prière à la Mère de Dieu
Réponse à un frère bien-aimé demeuré en terre roumaine. Au hiéromoine Claude du Monastère de Néamts
Là-bas, au lieu de mon désir
Lettre à un frère du pays de Roumanie
Le crâne de Barsanuphe, au cimetière du monastère de saint Savva
Après ma mort
La croix de la vie
Le prêtre que protégeaient les défunts
Les flammes d'amour
Sur le chemin d'éternité
Pour que fût sanctifiée notre vie
Poème sur ma fin
Crâne, notre commun miroir
Gloire à ma tombe
Fleurs du Jourdain
Cher coûte l'intempérance. Apologue empruntée à la vie des oiseaux.
Au bord de l'éternité
Voix prophétiques.
L'homme éphémère des temps modernes, ou la chimère d'un bonheur sans Dieu
A la mode du monde
Le malheur du monde et la radio
La tour de Babel aujourd'hui
La lumière de la connaissance
Le réveil de Constantinople
Les signes de l'Apocalypse
La colère du ciel


Légende des photos




La dépouille intacte de Saint Jean.

Le saint monastère cénobitique de Néamts où alla tout d'abord saint Jean, et où il fut reçu comme moine rasophore.

Saint Jean le jour de sa tonsure lorsqu'en 1936 il fut reçu comme moine rasophore au monastère de Néamts, à l'âge de 23 ans.

La dépouille intacte de saint Jean, telle qu'elle est conservée au Monastère de Saint Georges le Chozévite depuis 1980, après être demeurée intacte dans la tombe durant 20 années.

Le visage de saint Jean le Roumain peu avant sa mort, déjà transfiguré par la grâce.

Le saint monastère de saint Georges le Chozévite .

Il est ressuscité et il n'est plus ici. Vois le lieu où on l'avait mis.

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