dimanche 21 mars 2010

Saint Photios, Sur l'image de Dieu

Les textes qui suivent sont extraits des Réponses à Amphiloque de saint Photios, où celui résout environ trois cents difficultés tirées des Ecritures ou des paroles des théologiens. Les Amphilochia reprennent un certain nombre de lettres de l’auteur. Ce livre a été édité par Migne dans la Patrologie grecque, vol. 101, Paris, 1860, Athènes 1991 (avec bibliographie) et par L. G. Westerink dans la collection Teubner, Leipzig, 1986-1988. Nous suivons cette dernière édition.

L’icône et l’idole

«Les idoles des nations sont de l'argent et de l'or, elles sont l'ouvrage de la main des hommes2». Eh quoi ! Les vases du culte chrétien, les calices, les encensoirs, les croix, et des milliers d'autres objets -pour ne pas parler des instruments symboliques qui servaient au sacrifice mosaïque- ne sont-ils pas de l'argent et de l'or, des planches de bois, des couleurs peintes, et l'ouvrage de la main des hommes ? Jamais de la vie ! Ils ne sont pas de l'argent, mais simplement d'argent ; ni de l'or, mais faits d'or ; ils ne sont pas non plus ni bois ni couleurs, mais, tout cela constituant leur matière, ils sont quelque chose d'autre, des merveilles réalisées à partir de ces matériaux. C'est qu'en effet, il ne s'agit pas ici de l'ouvrage de la main des hommes qui s'amusent avec la matière, sans avoir la moindre énergie divine et qui modèlent tout ce qui leur passe par l'esprit. Voilà pourquoi les idoles ne sont autre chose que la matière elle-même, indignement traitée, et que le travail irréfléchi et insensé de la main des hommes. Quant aux objets sacrés, ils sont certes formés dans la matière et c'est bien la main qui sert à les façonner, mais alors son mouvement vient d'en-haut ; car elle se met au service de l'inspiration venue du ciel, des pensées de sagesse et qui s'élèvent selon la piété et le jugement.
Ecoute, iconomaque, et ne rougis pas d'apprendre à esquiver une honte redoutable, et à fuir le châtiment qui semblait inéluctable. De même que nos vases sacrés, nos calices, nos encensoirs, nos croix et les choses similaires, ne sont pas de l'or ni de l'argent ni non plus des bois ou des couleurs, ni l'ouvrage de la main des hommes, de même, les images sacrées que sont les icônes ne sont pas non plus argent, ni or, ni bronze, ni davantage couleurs ou ouvrage de la main des hommes -à Dieu ne plaise ! Depuis l'origine, en effet, le message divin et infaillible de la tradition apostolique et patristique, telle une sagesse inspirée et vivante, se saisit de la matière et, suivant ses propres lois sacrées, la façonne, la travaille, y imprimant image et beauté, sans permettre aucun déploiement indécent d'une matière dépourvue d'ordre et de beauté ou d'un art humain prétentieux. Montrant de manière évidente que tout l'ouvrage est son oeuvre, il nous offre, dans les saintes icônes, l'expression pure et authentique des prototypes, représentation sainte et appropriée de la sainteté.
Tu as donc ici, en résumé, je crois, des raisons pour te montrer digne et fructueux rejeton de la piété de tes aïeux, et pour clore le bec aux hérétiques. On sait que l'autel de Dieu et la table des démons, les sacrifices divins et les sacrifices démoniaques, les cultes orgiaques des païens et les initiations des chrétiens, et une multitude d'autres choses, au plus haut point opposées, n'ont qu'une différence infime quant à la matière et au substrat de base ; mais que l'usage et la désignation qu'on leur applique, de même que l'invocation divine qui les consacre, et des myriades d'autres choses, les séparent plus qu'on ne saurait dire. Il existe exactement le même rapport entre les idoles des païens et les icônes chrétiennes, entre le sanctuaire de Dieu et l'autel des idoles, et enfin entre les récipients liturgiques des immolations païennes et les vases hiérurgiques de notre sacrifice pur et non-sanglant. En effet, si l'on considère deux à deux les termes de ces séries antithétiques, il arrive même parfois que la matière soit, dans l'un et l'autre, rigoureusement identique, et pourtant ! Regardez ce qui, ici et là, donne la forme, crée la spécificité de chacun, bref, tout ce qui est source ordinaire de différenciation : c'est à peine alors si l'on peut dire ce qui les distingue, tant un infini les sépare.
Voilà pourquoi il paraît légitime de donner aux idoles, qui n'ont pas été élevées à un état meilleur que la matière, mais ont, au contraire, été abaissées au pire, ces noms de bois, de pierre, d'or, d'argent et d'ouvrage de la main des hommes, et de les dire souillées, impures et immondes. On les appelle ainsi, dans le premier cas, d'après la matière dont elles sont faites, dans le second, d'après l'ouvrier qui les a modelées, et dans le troisième, d'après ceux à qui un culte impie et athée les consacrait. Pour cette raison, on les blâme, par dérision, de ne pas parler, quoiqu'ayant une bouche, de ne pas remuer, quoiqu'ayant des pieds et des mains, d'être insensibles et sans activité, quoiqu'ayant un nez et je ne sais quoi d'autre, bref, d'être vanité. Car ces objets qui ont pour modèles soit des choses inexistantes, soit des êtres impurs et maudits ; ces objets dont le sculpteur n'est qu'un pauvre misérable, dans son impiété, et dont tout le culte est en abomination à Dieu -d'où pourra bien leur venir le moindre contact avec la grâce, la moindre gloire, la moindre énergie ou quoi que soit qui mérite un nom vénérable ? A l'opposé, saints et sacrés sont les vases hiérurgiques des chrétiens, ainsi que leurs temples, leurs icônes et tous les autres symboles de notre divine religion : quoique la matière sous-jacente ne soit pas différente, elle a été conduite par l'art à un état très supérieur. Ces objets, en effet, ont été sanctifiés et rendus parfaits par l'usage, le nom, la cérémonie liturgique, la divinité des modèles dont ils reproduisent les traits, et une infinité d'autres éléments. Et c'est pourquoi on ne peut plus désormais les nommer d'après leur matière, ni les concevoir comme bois, pierre, argent, or ou couleurs, comme s'ils étaient vides de la force, de la grâce qui leur confère leur forme propre et réside auprès d'eux ; on les appelle bien plutôt saints, précieux, pleins de gloire et vénérables. Oui, ces objets devenus participants de l'énergie d'en-haut et portant l'image et le nom de ceux à qui ils sont consacrés, qui font monter vers eux notre esprit et nous transmettent la bienveillance divine et tout-à-fait bonne qu'ils nous envoient, ne sauraient à juste titre recevoir de nom matériel, ni aucune appellation tirée d'une apparence caractéristique de leur substrat. Les fidèles ont raison et agissent très justement, qui reconnaissent vraiment ces objets et les nomment d'après les biens auxquels ils participent et vers lesquels ils tendent, et d'après les saints qu'ils honorent et auxquels ils sont consacrés.

Les divers ennemis des icônes3

Les Hellènes païens n'acceptent pas l'icône du Christ notre Dieu, puisqu'ils ne le reconnaissent même pas comme Dieu. Les Juifs, malades, encore plus qu'eux, de haine à son égard, ne souffrent pas d'entendre simplement parler d'une telle représentation. Parmi les autres, engeance méchante et criminelle, il en est qui prétendent monstrueusement que Son corps a été absorbé dans le soleil ; d'autres le font se résoudre dans les éléments dont il se composait ; d'autres, suivant Mani, soutiennent qu'Il n'a pas pris du tout notre corps. Il suit nécessairement de toutes ces doctrines que le Christ ne peut pas être représenté dans une icône. Eh bien ! que les pousses de la semence adultère et féconde en erreurs, je veux dire, les nouveaux rejetons des iconomaques, considèrent donc les pères qu'ils revendiquent et le parti dont ils veulent être les disciples et les thiasotes, de préférence à celui des chrétiens.

Les iconomaques, pires que les magiciens4

Simon le mage et Carpocrate baptisaient, et c'est pourquoi ils portaient partout l'icône du Christ ; mais comme ils n'avaient pas quitté les tours de passe-passe de la magie ni les passions, à cause de cela, ils portaient aussi partout avec eux les icônes de certains autres. Eh bien ! que les champions des iconomaques soient confondus, eux qui se montrent, à leur honte, plus insensés encore que ces hommes fous de superstition, égarés dans leur dogme et dans leur vie !
Tu5 me demandes pourquoi j'ai dit que la honte atteignait les hérétiques. Si je ne craignais de te faire de la peine, j'aurais montré que ta question prouve un manque de réflexion et j'aurais fait voir, si tu veux, que, outre l'impiété, ils chérissent la sottise. Car ils ne se sont pas aperçu que l'argumentation qu'ils ont cogitée pour flétrir l'orthodoxie témoigne éloquemment de l'antiquité de l'iconographie, puisqu'ils reconnaissent, malgré eux, que cette dernière est contemporaine du christianisme et du baptême. D'autre part, en avouant que même les baptisés du simonisme n'attaquaient pas l'iconographie, ils ont prouvé, inconsciemment, qu'ils avaient l'esprit encore plus dérangé que ces gens-là.

Quelle est la vraie icône du Christ6 ?

Tu dis que les iconomaques les plus effrontés, érudits tâtillons qui se croient fins quand ils sont oiseux, brandissent la question suivante : quelle est la vraie icône du Christ ? Celle que font les Romains, celle que peignent les Indiens, celle qu'on trouve chez les Grecs ou encore celle des Egyptiens ? Car elles sont différentes les unes des autres et dire que l’une d’elles, quelle qu'elle soit, est la véritable, c'est rejeter les autres comme inauthentiques. Eh bien ! sache, ô portrait splendide de l'orthodoxie, qu'il existe de nombreux moyens de résoudre cette difficulté, ou plutôt de fustiger ce méchant sophisme et de démasquer la démence et l'impiété dont il est rempli.
Voici notre première réponse : «En ce point, les arguments mêmes dont vous étayez votre lutte contre la confection des icônes, vous forcent à reconnaître leur existence et leur vénération universelle dans tout le monde chrétien». Si bien qu'ils ne parviennent qu'à raffermir ce qu'ils s'efforcent de détruire et se trouvent pris au piège de leurs propres paroles !
Notre deuxième remarque, c'est qu'en disant cela, ils prennent inconsciemment le parti des païens ! Car ce qu'ils disent des saintes icônes peut tout aussi bien s'appliquer à nos autres mystères. On pourrait nous dire : «Quels sont, d'après vous, les passages inspirés de l'Evangile ?», ou même : «Quel est le bon Evangile ? Celui des Romains et celui des Indiens s'écrivent avec des lettres de formes et de valeurs différentes, et on trouve d'autres caractères dans l'hébreu, d'autres encore dans l'éthiopien. Et non seulements leurs lettres et leurs caractères diffèrent, mais le sens et le son des vocables ne sont pas du tout les mêmes, et révèlent des langues de divers types, radicalement étrangères les unes aux autres». Voilà donc comment on pourrait soutenir ceci -ou plutôt, Messieurs les Contradicteurs, pourquoi ne le diriez-vous pas ?- qu'il ne faut croire ni suivre aucun évangile, attendu que le message en est transmis dans des lettres aux formes disparates, et dans des mots distincts phonétiquement et sémantiquement. Prétention qui cadrerait bien avec vos intentions cachées ! En effet, même un païen ne pourrait guère nous faire ce genre d'objection, vu qu'il existe aussi dans le paganisme un nombre important de variantes religieuses de ce type. De fait, les païens partagent la même nature que nous, ayant l'esprit, la raison, le mélange de l'âme avec le corps, et mille autres caractères en commun avec nous ; il en va exactement de même pour la notion de la divinité : quoique la plupart des choses, et les plus importantes, nous séparent grandement d'avec eux, néanmoins, l'évidence des notions communes les empêche de nous quereller sur tous les points. En sorte que même un païen ne pourrait pas nous opposer ce genre de critique ; il faut que ce soit un parfait athée, totalement irréligieux, n'admettant absolument aucun culte ni aucune notion du divin.
Troisième réponse, liée à la précédente. «Quelle Croix, nous direz-vous encore, reconnaissez-vous pour conforme à l'originale ? Est-ce le modèle qui comporte l'inscription, ou les croix peintes ou fabriquées sans elle ? Car, en vertu de votre génial syllogisme, le type de croix que vous aurez, devant nous, reconnu pour authentique rendra désormais impossibles, voire déjà interdites -pour vous, du moins, qui montrez tant d'audace contre des objets si précieux- la fabrication et la vénération des croix de l'autre type.
Quatrièmement, en vous appuyant sur les différences et la diversité qui affectent nos sacrifices mystérieux et toute notre liturgie, vous allez en venir à diffamer et à renverser tout notre culte et nos cérémonies sans tache. Les principes que votre réflexion pleine de malice a mis en oeuvre contre l'icône du Christ vous conduisent à ébranler dans ses profondeurs toute la sainte vie sacramentelle des chrétiens et à renier les divins mystères.
Voici la cinquième objection qu'on peut leur faire, et qui démasque très bien la haine du Christ et l'impiété que renferme leur propos. «Pourquoi vous arrêter à l'icône et vous contenter de développer ces fariboles, quand il faudrait faire apparaître devant Celui que l'icône représente ce qui se cache encore dans vos discours ?» Cette guerre sans merci que vous faites au Christ et pour laquelle votre esprit souffre les douleurs de l'enfantement, pourquoi la livrez-vous sous le couvert de l'icône, au lieu de la déclarer franchement et à visage découvert ? Qu'ils disent donc ceci : puisque les Grecs admettent que le Christ a paru sur terre semblable à eux, que les Romains Le croient plutôt conforme à leur aspect, que les Indiens Lui prêtent à leur tour leur forme, comme les Ethiopiens la leur, devant cette diversité, lequel est le vrai Christ ? Quelle est la bonne façon de Le représenter ? Dès lors, ne faut-il pas renoncer à croire et à confesser que le Christ soit venu dans la chair ? Et, à la vérité, pour ces malheureux, Il n'est même pas venu. Les voilà démasqués : bien avant leur critique hypocrite de l'icône, ils ont grincé des dents contre Celui qu'elle représente, décidant, du fait de la diversité des usages, l'élimination de Celui qui en est l'objet. Vois-tu leur but ? C'est à ce grand résultat que vise tout leur discours alambiqué contre l'icône.
Mais ajoutons à ce qui précède, non à leur intention, car ils n'en sont pas dignes, mais pour les fidèles et les amis du Christ, que la diversité des représentations n'altère en rien la nature ni la vérité de l'icône. En effet, l'iconographie ne consiste pas simplement à reproduire, au moyen des couleurs, la forme corporelle et les traits extérieurs du modèle ; l'icône montre aussi la façon dont le sujet se tient, et le type d'activité correspondant à cette attitude ; elle en exprime les sentiments ; elle se trouve consacrée dans des lieux saints ; elle porte une inscription qui a un sens, et bien d'autres symboles sublimes, qui sont nécessairement présents, en totalité, ou pour la plus grande partie d'entre eux, dans les icônes des vrais chrétiens. Par eux -qu'ils y soient tous ou non, cela revient au même- notre esprit s'élève jusqu'à concevoir et à vénérer Celui qu'elle représente, ce qui constitue le but propre de l'iconographie orthodoxe.
Mais tout cela n'est qu'un aperçu rapide, comme il convient à une lettre. Le traitement complet du sujet reviendra à l'ouvrage spécial que, Dieu voulant, nous lui consacrerons.

Des figures à la Vérité7

Le soleil n'est pas contraire aux astres, ni le jour à la nuit, ni les rayons du soleil à la clarté du feu ; pas plus que la perfection de l'âge d'homme ne contredit la nature de la jeunesse, ou, si tu préfères, que la présence du fixatif qui prépare le tissu pour la teinture, n'est opposée à la fleur de la pourpre, ou que le mélange et l'étalement des couleurs ne dénie les lignes de l'esquisse et les traits qui adombrent l'image. Mais pourquoi cette énumération de couples d'objets apparemment contradictoires, mais qu'il suffit de mettre côte à côte pour détruire la fausse idée de leur contrariété ? Je veux montrer -puisque c'est là-dessus que tu achoppes- que la grâce n'est pas davantage opposée à la Loi. Cette dernière ayant joué, pour la grâce, le rôle de pédagogue, de prélude et de préambule, elle en est le chemin, la préparation, et tout ce qui y ressemble. La grâce, en effet, est la perfection ; mais tout ce qui a précédé la perfection s'est manifesté dans la Loi, au service de la grâce. Elle a conduit par la main jusqu'à la grâce, elle l'a annoncée d'avance, elle y a préparé, telle une voie et une figure qui laissait transparaître en elle-même la forme de la vérité, sans omettre aucun préparatif. Mais la grâce est venue et la Loi a tout naturellement cessé son activité, car la nature des choses provisoires veut qu'elles cèdent et se retirent devant la perfection. Or, afin que le peuple attaché à l'observance de la Loi pût reconnaître dans le Dieu de la grâce le Seigneur qui leur avait donné la Loi : «Cessez votre activité, dit l'Ecriture, et sachez que je suis Dieu : je serai exalté parmi les nations, je serai exalté sur la terre8». La grâce est venue, la loi s'est effacée devant elle, comme les astres au lever du soleil, comme la nuit à la pointe de l'aube, comme des flammes, en plein air, pâlissent à la lumière du soleil, en plein midi ; ainsi l'enfant disparaît quand l'âge le transforme en adulte, ainsi le fixatif n’est plus quand la teinture purpurine a pris, ainsi les lignes et les contours esquissés se transfigurent dans l'icône qui les recouvre. Tous les exemples énumérés dans ces deux séries montrent que l'état imparfait précède, et que le parfait suit, sans qu'on puisse dire, ni que le second entre en conflit avec le premier -au contraire, l'accord et l'affinité de l'un à l'autre se révèlent profonds- ni que l'état primitif subsiste lorsque survient l'état parfait.
La loi de la nature veut, en effet, que lorsque la perfection est en acte, tout ce qui a préparé son établissement et son achèvement, connaisse désormais le repos ; en sorte que la loi est abrogée, mais point annulée, sous le règne de la grâce. Elle est arrêtée, mais non attaquée. Le Christ l'a, du même coup, accomplie, jusqu'au moindre trait de lettre, et totalement abolie en la portant à son ultime perfection. Car il n'est plus besoin de répétiteur lorsque le Maître est présent. Il annule la loi et la taxe d'infamie, celui qui la renverse de fond en comble en n'observant aucun de ses commandements ; il l'arrête et la fait simplement cesser, avec tous les éloges qui lui reviennent, celui qui se plie aux règles qu'elle édictait, puis la couronne par la grâce, en cachant l'imparfait sous la perfection. Détruit la loi, non celui qui n'en transgresse jamais les lois, mais celui qui les transgresse. Or ce transgresseur n'est pas celui qui sait qu'elles devaient un jour cesser et ne plus avoir d'effet, mais celui qui l'ignore, quoiqu'elles déclarent elles-mêmes, en une infinité d'endroits, leur future abrogation ; ni celui qui en reconnaît l'inutilité après leur suppression et sous la grâce, mais celui qui, avant la grâce et dans le temps même de leur plein effet, les tenait pour profanes et les méprisait.
Oui, la loi est sainte et juste et bonne9, puisqu'elle était vraiment l'annonciatrice du Bon, du Plus-que-Saint, de Celui qui accomplit surnaturellement toute justice ; mais devenue inutile, elle a cessé son exercice et son activité. Lorsqu'entre le propriétaire, le régisseur cesse ses fonctions ; il n'est personne qui, revenu à la santé et en pleine forme, recoure de nouveau aux médicaments ; celui qui mange des aliments solides ne s'amuse plus à têter ; l'étudiant ne retourne pas apprendre à lire à la petite école. Eh ! oui, le nouveau général n'ambitionne pas le grade de simple soldat et l'héritier des cieux ne leur préfère pas les biens de la terre ! Et pas davantage celui qui vient de revêtir le manteau royal ne va reprendre l'habit du vulgaire, ni échanger son pouvoir et son autorité contre l'état de sujet.
Voilà, je crois, suffisamment d'exemples -surtout compte tenu des dimensions d'une lettre- pour dissiper à fond cette aporie qui te ballote de-ci de-là et te jette souvent dans le plus grand embarras. Ces arguments confondent les Juifs, les païens et les discours de Marcion, qui s'imaginent souvent qu'ils vont terrasser l'Eglise par ce genre de polémiques. Le Christ a parfait, non défait, la Loi ; Il l'a arrêtée, non renversée ; Il en est la couronne et non la destruction. Il l'a fait cesser, sans la calomnier. La grâce et la Loi font un seul accord, et ne se combattent point.
Si l'on disait encore que le Seigneur a détruit la Loi dans sa lettre et accomplie dans son esprit, on ne dirait rien d'absurde. Par contre, prétendre qu'Il aurait aboli la Loi du Deutéronome et accompli celle de la première législation, c'est pure sottise.

L’image de Dieu en l’homme10

En quel sens est-il dit : «Faisons l'homme à notre image» ? Et quelle est cette image, quel en est l'archétype ? Car de toute image on doit considérer le modèle.

La création de l'homme à l'image de Dieu se rapporte, selon certains auteurs, à la possession de la raison et du libre-arbitre, selon d'autres au caractère souverain et dominateur de l'homme. On voit, en effet, dans l'un et l'autre de ces traits, la créature refléter le Créateur, et c'est en ce sens que l'on dit que l'homme est l'image de Dieu, ou, si tu préfères, qu'il a été fait à l'image de Dieu. Par là même on peut saisir à la fois l'image et son modèle, qui est l'archétype naturel, ou plutôt surnaturel, et qui, étant source infinie des charismes par-delà toute raison, offre à l'homme qu'Il a créé dans Son amour de Lui ressembler selon la grâce.
C'est ainsi que Grégoire, qui doit son surnom de Théologien principalement aux discours où il exprime ses pensées et son enseignement divins sur l’Esprit, a négligé la différence d'une syllabe qui sépare les deux formules, estimant que le nom d'image et l'expression «à l'image» revenaient au même. Pourquoi ? Parce qu'il voyait que cela ne portait atteinte à aucun dogme sacré, et qu'il trouvait bon que ses auditeurs, dont le salut lui importait, tinssent les deux paroles pour identiques quant à l'idée. Cependant, puisque la curiosité de mon auditoire s'attache à une sagesse plus raffinée, en quête de la différence entre «l'image» et l'être «à l'image», nous pourrons bien la dire, sûrs d'obtenir l'indulgence et la sympathie du lecteur. Nous en parlerons toutefois plus tard, pour ne pas interrompre le fil de notre propos.
L'opinion qu'on vient de rapporter a, en effet, des adversaires. Ils s'efforcent de montrer qu'on va contre la vérité en affirmant que l'homme a été fait à l'image de Dieu selon la raison et l'intellect, puisque les anges participent aussi à ce caractère, et qu'il faut en déduire, d'après eux, qu'il n'appartient pas en propre à la nature humaine et ne permet pas de définir correctement ce qui est «à l'image», comme s'il fallait admettre qu'un objet ne peut aucunement être l'image d'un autre, quand même il en porterait clairement la représentation imprimée en lui, à moins d'en être, à titre singulier, la copie conforme.
De façon similaire, ils estiment qu'il faut rejeter, au nom du même raisonnement, l'interprétation par la souveraineté, et cela quoique les paroles mêmes de la Sainte Ecriture montrent clairement, dans la suite du passage, que l'expression «à l'image» signifie bien la dignité souveraine. Citons l'ensemble : «Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, et qu'ils dominent sur les poissons de la mer et sur les oiseaux du ciel et sur les bêtes et sur toute la terre11». Eux cependant, sans s'émouvoir de ce passage, déclarent que la formule «à l'image» ne peut indiquer la souveraineté, puisque la nature des anges a été elle aussi élevée à la hauteur d'un tel commandement souverain. Le prophète Daniel prêche, en effet, haut et clair, l'existence d'un «chef des Assyriens» et d'un «chef du peuple des Juifs12» et Celui qui a vu Dieu dit aussi quelque part : «Il fixa les limites des peuples d'après le nombre des anges de Dieu13». Si bien que le caractère royal et souverain, tout comme la raison et la liberté, est commun aux anges et aux hommes. Mais que vaut l'argument ? S'il avait été ajouté que seul l'homme a été fait à l'image de Dieu, on pourrait alors peut-être objecter la nature angélique, puisque les traits de l'empreinte du sceau divin se voient aussi chez les anges. Or, si l'on ne peut rien trouver de tel dans l'Ecriture, la communauté des anges avec la nature humaine, loin d'ôter à l'homme la dignité que son modelage lui confère, confirme assez, par l'exemple, la foi véritable. Que l'ange est de nature logique et intellective n'implique donc nullement que l'homme soit privé de cette force. Tout au contraire, ces esprits qu'un zèle amer pousse contre les dogmes justes, au lieu de les atteindre, ne font, à mon sens, que retourner l'accusation contre eux-mêmes ! Quand nos Pères bienheureux ont particulièrement élaboré un point, dégageant le sens juste et l'interprétation spirituelle (theoria) qui répond aux textes, on prouve un esprit reconnaissant et non privé d'intelligence en ajoutant, d'une part, ce qui d'aventure laisse encore à désirer dans leur explication, et en y adhérant, pour le reste, du mieux qu'on peut. Quant à ceux qui ont à coeur de ruiner les plus belles choses par des billevesées, et qui prétendent trouver toujours du nouveau, leur quête éperdue de la subtilité leur fait perdre, sans qu'ils s'en rendent compte, l'esprit qu'ils ont, et gâte le naturel et la sainteté de leur intelligence. Victimes d'une passion violente et digne d'une âme prisonnière de chimères absurdes, ils échafaudent manifestement eux-mêmes la réfutation qu'ils ne pourront fuir. Laissons-les donc.
Dans la série de ces interprétations de l'image de Dieu sur laquelle s'est opéré le modelage de l'homme, on pourrait classer celle qui voit, dans cette image, l'âme incorporelle. Non seulement, en effet, brille en l'âme, par participation, comme chez les anges, le reflet de la beauté suressentielle et supranaturelle de l'Essence Suressentielle de l'Incorporel, mais encore elle manifeste, dans sa trine identité à soi-même14, le rôle de l'altérité qui prévient la confusion. Si tu veux encore, c'est aussi parce que le verbe ou la parole jaillit de l'âme, conservant similitude et affinité avec la nature qui l'émet, et révélant de surcroît l'existence conjointe de l'esprit, ou souffle, qui sort avec lui. On pourrait donc appliquer proprement à l'âme cette idée d'image du Créateur, sur laquelle, au commencement, l'homme a été formé. Partant de ce principe, tu peux aisément découvrir une foule d'autres ressemblances. Car la sagesse, la créativité et l'immortalité, et beaucoup d'autres caractères, se trouvent empreints dans la nature de l'image à partir de la prime et sur-intellective Sagesse, Démiurgie et Eternité.
Supposons que quelque peintre ait voulu, au moyen de diverses couleurs, faire une image unique et parfaite de Dieu et que, les utilisant toutes pour donner forme et figure à la beauté la plus splendide et la plus florissante, il ait produit l'homme, il aurait, je crois, tout en donnant à voir l'image fidèle de notre nature, approché de la manière la plus élégante la réponse à notre question. Il n'est guère difficile, à partir de là, de comprendre l'image, de concevoir l'archétype et de savoir ce qui a été formé à l'image de Dieu. On peut, en effet, très bien considérer comme image de Dieu chacun des traits précieux et beaux qu'on a énumérés, tels que sont, dans l'homme, la raison, l'autonomie (autodespoton), la sagesse, la créativité, et tout ce qu'on a dit. Car ces traits reproduisent l'image de la Royauté, de la Sagesse et de la Démiurgie qui, en Dieu, sont contemplées par-delà tout discours et toute intellection, ainsi que l'image du Verbe consubstantiel, impassible et subsistant. Et l'homme est façonné selon l'image créatrice, royale, rationnelle et participante de la sagesse, n'étant pas lui-même ces traits, si l'on ne dédaigne pas de descendre dans le détail pour traquer le sens précis des formules, mais bien modelé selon ces traits. Ainsi pouvons-nous concevoir très clairement l'image et ce qui est à l'image, sans rien ignorer non plus du prototype.
Si quelqu'un voulait unir ces traits à l'image et au modèle, il ne se tromperait pas non plus. En effet, contemplés en Dieu seul, ils peuvent s'attribuer à Dieu, et dès lors celui qui a été formé sur eux peut à bon droit être considéré comme formé sur Dieu. De même, si ceux qui sont en l'homme, comme l'immatériel est dans la matière, comme le produit a reçu la force de refléter le Producteur, sont devenus propres à l'homme par la grâce et le don de Dieu, on pourrait dire avec justesse que l'homme est ainsi devenu l'image de Dieu. C'est en ce sens que le divin Grégoire a dit : «Il mit en lui un souffle venu de lui ; l'Ecriture entend par là l'âme douée d'intellect et image de Dieu15».
Avec son goût pour la synthèse et son habitude de ramasser en une courte phrase toute une chaîne de pensées, cet auteur sacré brode, pour ainsi dire, des variations autour de ce thème. C'est pourquoi, encore ici, en disant qu'Il a «mis en lui un souffle», mots qui désignent la force déployée pour la création de l'âme, au lieu d'expliquer cette idée en détail et d'en développer l'interprétation ordonnée, il a simplement ajouté de façon très concise : «l'Ecriture entend par là l'âme douée d'intellect et image de Dieu», ce qui revient au même que s'il avait dit moins laconiquement : «Il mit en lui un souffle qui créa et produisit l'âme intellective, que l'Ecriture appelle image de Dieu».
Il est donc possible de ramener à deux chefs les interprétations du point considéré, puis de les étendre à trois, voire, si l'on veut en traiter tous les aspects par le menu, d'envisager jusqu'à quatre manières de poser l'image dans la relation entre le Représenté et celui qu'Il a marqué de Son sceau. Il y a, en effet, d'une part, le divin, où rayonne la perfection divine des forces qui sont au-dessus de toute cause et de toute saisie ; il y a, également, les rayons de ces forces, lesquels informent la grâce qui en descend par amour des hommes et reçoivent pour cette raison le nom d'image. En quatrième lieu vient l'homme, modelé sur ce que nous venons d'appeler image16. Si bien que ceux qui cherchent comment différencier l'image de l'être à l'image, loin de borner leur investigation à trois réponses, en fournissent une quatrième, sans l'avoir voulu. C'est pour cela, je crois, que cet illustre théologien, Grégoire, a préféré se relâcher de la plus stricte exactitude, pour se contenter de parler de l'image et du modèle. Son objet, en effet, n'était pas de distinguer les divers sens de l'expression et de développer à fond chacun d'eux ; mais, s'agissant d'une homélie prononcée devant le peuple et à l'occasion d'une grande fête, il a visé l'utilité, adoptant l'interprétation bénéfique au plus grand nombre.
Certains auteurs prennent la formule «à l'image» au sens de «par l'image». Le Tout Saint Esprit, déclarent-ils, étant, tout comme le Fils, l'éclat, l'empreinte et l'image parfaite du Père17, on pourrait bien dire, puisque l'âme humaine a été créée directement par l'Esprit -car c'est ce que signifie le souffle (emphysema)18- que l'homme a été achevé dans son être total par l'Image, et qu'il est ainsi devenu à l'image de Dieu, c'est-à-dire, a mérité de s'appeler chef-d'oeuvre et création de l'Image divine. Au reste, rien n'interdit la variante, puisque certains spécialistes de l'édition de nos Saintes Ecritures donnent un texte qui dit que l'homme a été créé non pas «à l'image», mais «dans l'image» de Dieu. Eh ! bien, ce type de lecture, également recevable, ne lèse en rien la vérité. Elle se défendra d'être inférieure à l'interprétation précédente, mais ne saurait prétendre non plus, selon moi, à la supplanter.
Chez certains se trouve un autre enseignement traditionnel : du fait que l'expression «à l'image» s'adresse évidemment, avant toute interprétation, à quelqu'un, c'est au Verbe qu'elle s'applique, mais elle concerne la venue du Verbe dans la chair. En effet, disent-ils, la droite raison ne verrait nul inconvénient à croire et à confesser que si «le Verbe est devenu chair et a habité parmi nous19», et s'Il a mérité d'être appelé homme en tout sauf le péché, c'est d'après cette belle Image sainte et sans péché, disons mieux, cette Image qui purifie tout péché, que le protoplaste Adam a été créé.
Voici, comme un corollaire de la théorie qu'on vient d'exposer, une autre conception de l'image, du prototype, et du «à l'image» qui ont donné à Adam la forme de la nature humaine. Le Fils, subsistant comme image connaturelle et absolue du Père, devenu homme semblable à nous, et s'étant uni à l'humanité assumée dans une personne et hypostase unique, a rendu manifestement l'homme connaturel à Lui, selon la forme et la figure que, dès avant l'Incarnation du Verbe, la Sagesse de Dieu qui voit et dirige les choses futures comme déjà présentes, avait mis en oeuvre pour modeler, de Ses mains pures et créatrices, et dans Son amour infini des hommes, le chef de notre race20.
Telles sont donc les interprétations qui me semblent les plus claires et les plus certaines. Quant à la démence des anthropomorphites21, qu'elle leur retombe sur la tête. Ces fous qui ont ravalé à leur propre forme et figure le Dieu infigurable, illimité et incompréhensible, n'ont même pas voulu se mettre dans l'idée cette chose pourtant immédiate et facile à comprendre : si le Divin possédait la forme humaine de toute éternité, et non pas du fait de son abaissement et de son amour des hommes, la venue dans les derniers temps du Fils assumant notre chair n'aurait eu aucun sens ! De plus, la divinité même connaîtrait -ô délire effréné- la division selon les sexes masculin et féminin. Car le passage de la Sainte Ecriture qui dit : «A l'image de Dieu Il les créa» continue : «homme et femme Il les créa», cela pour montrer que l'image n'est pas le privilège du seul Adam, mais que cet honneur s'applique à égalité à Eve, et, à travers eux, à tout le genre humain22. Il s'ensuit en outre, si l'homme a été modelé selon l'apparence et la forme corporelle de Dieu, que cette doctrine partage l'erreur de l'antique impiété (le paganisme) et soumet la divinité intangible à l'opprobre des passions humaines. Car ce qui a forme humaine ne saurait non plus en aucune manière échapper aux passions de l'homme. Or tels sont les objets que vénérait l'idolâtrie (plane) et ces insensés n'ont pas frémi de mêler notre pure et divine théologie à la superstition démoniaque des païens, ni de se voir contraints de les ramener à l'unité ! Une multitude d'autres blasphèmes s'ensuivent ; mais ceux qu'on vient de dire sont les plus saillants et ils réfutent de façon éclatante l'extravagance des misérables qui s'abandonnent à cette chimère.
On pourrait déceler une folie voisine dans le mythe des Juifs, qui est plein d’erreurs. Refusant de reconnaître un Fils consubstantiel au Père, et niant aussi à l'Esprit la dignité naturelle de la divinité, il se trouve, à son insu, contraint d'élever les peuples des puissances incorporelles jusqu'à la nature divine ! Car il ne rougit pas de dire que l'expression «notre image» est adressée par Dieu aux ordres incorporels. Donnant, de la sorte, une seule et même image à Dieu et aux puissances incorporelles, il attribue la même nature au Créateur et à la créature, les associant sans aucune distinction. Car les choses qui ont absolument la même image, ne sont pas susceptibles de la moindre altérité.
Mais assez là-dessus. Mon propos n'aurait pas touché même à ces erreurs, si ce n'était que la beauté de la vérité brille encore davantage au milieu des idées absurdes. C'est pourquoi j'ai consenti d'exposer ces théories dont je souhaiterais qu'elles ne fussent jamais entrées dans l'esprit de ceux qui s'y sont les premiers fait prendre !


Misère et grandeur de l’homme23

Alors que David, l'ancêtre de Dieu avait dit : «L'homme ! ses jours sont comme l'herbe» (Ps. 102, 15), Salomon son fils déclare : «C'est une grande chose que l'être humain et l'homme est digne de prix» (Prov. 20, 6). Comment comprendre cela ?

Il est fréquent de voir le divin David rabaisser et le sage Salomon exalter la nature humaine, sans pour autant se contredire l'un l'autre. A vrai dire, ils sont loin d'être les seuls à énoncer ce type d'opinions sur le genre humain : tu trouveras, en de multiples passages des Saintes Ecritures, notre nature tantôt magnifiée, tantôt amoindrie et rabaissée. Ce n'est pas tout. Tous nos Pères saints, qui ont puisé dans les Ecritures leur initiation à la véritable sagesse, ont aussi énoncé des thèses différentes sur l'humain, mais il est clair que cette diversité d'opinions n'introduit nulle opposition entre eux, nulle contradiction non plus de chacun avec lui-même. Tout au contraire, ils aboutissent évidemment à la concorde et à la symphonie. Il est aisé de voir qu'aucune discordance ni aucune incompatibilité ne suit de ces affirmations divergentes, et voici comment.
La constitution de l'homme est double, et les genres de vies qu'il a connus sont également au nombre de deux : celui d'avant la chute, et celui qui fut le sien après le rejet du commandement. Quant à sa constitution, elle est, pour une part, poussière et boue, pour l'autre, à l'image de la nature toute-puissante du Maître de toutes choses. Tous les termes, donc, qui exaltent l'homme et le mettent au pinacle donnent à entendre l'éminence de la dignité qui lui a été donnée, ou la félicité de la vie bienheureuse qui fut la sienne avant la transgression ; toutes les expressions qui le rabaissent et l'humilient tantôt expriment la douloureuse condition d'après la chute, tantôt établissent clairement qu'il est poussière et qu'il retournera à la terre.
Dans l'exposé qui précède, nous n'avons fait qu'énoncer les premières et principales raisons de la diversité qui nous occupe. Elles poussent un grand nombre de rejetons. En effet, l'homme, a été créé comme une frontière. Il pouvait, si toutefois il le voulait, être déifié ; aucune nécessité ne lui imposait, si sa volonté n'y consentait pas, de pencher vers le pire, car il pouvait contenir cette tendance. Cela étant, s'il devient dieu, il est digne de recevoir des millions de louanges ; mais s'il se rend animal et se ravale au rang de la bête brute, pour ne pas dire qu'il rivalise de méchanceté avec les malins démons, il mérite des millions de blâmes. Et, avant ce terme, celui qui attache sa pensée (noûs) aux charmes et aux voluptés de cette vie, puise chaque jour à plein bord une quantité innombrable de maux, au point que c'est à peine s'il peut un jour voir que «vanité des vanités, tout est vanité». En revanche, celui qui, par la raison (logos) se sépare du monde et des affaires et des bavardages qui sont au monde, celui-là jouit de la plus parfaite félicité qui soit, et, avant d'avoir part aux biens d'en-haut, connaît dès à présent comme une image et un prélude de la béatitude. Si bien que ni le père ne combat le fils, je veux dire que David, l'ancêtre de Dieu, ne s'oppose pas à Salomon le Sage, lorsque l'un fait l'éloge de l'homme et que l'autre le dénigre, ni la Sainte Ecriture ne se contredit elle-même, ni non plus le divin choeur de nos Pères, qui tantôt divinisent la nature de l'homme, tantôt la déprécient et la confinent dans la plus misérable humilité.
Outre ce qu'on a dit, n'est-il pas vrai aussi que les maux qui affligent notre corps et les souillures quotidiennes contribuent à nous abaisser, tandis que le retour de l'esprit vers la theoria et la pureté du plaisir qu'il en tire, montrent que notre vie est pleine de bonheur et bienheureuse ?

Comment ceux qui sont baptisés en Christ revêtent le Christ24

Si l'Esprit n'était pas Dieu, s'Il n'était source de la grâce divine, comment ceux qui ont revêtu le vêtement divin qui est le Christ, peuvent-ils revêtir en même temps celui de l'Esprit ? Ils revêtent ensemble les deux, s'il est vrai que «tous ceux qui ont été baptisés en Christ ont revêtu le Christ25» et que le Sauveur déclare : «Demeurez dans Jérusalem, jusqu'à ce que vous soyez revêtus de la force d'En-haut, le Saint Esprit survenant sur vous26». Oui, comment se pourrait-il que nous revêtions au même instant l'habit du maître et celui de l'esclave ? Mais allons ! il est clair que l'un et l'autre vêtement sont égaux en gloire, et confèrent une seule et même dignité, grâce et largesse.
Puis, si l'on dit que l'Esprit Saint est le vêtement des fidèles, ce n'est pas à la manière d'un manteau, mais comme le fer revêt le feu : non pas comme un enrobage extérieur, mais il le reçoit tout entier en lui tout entier. Voilà, en effet, comment nous revêtons le Christ, comment nous revêtons l'Esprit Saint ; ce n'est pas comme un manteau autour de nous, non, mais nos coeurs et nos pensées s'emplissent de lumière et notre visage de grâce. C'est pourquoi, tournant leurs regards vers le visage de Stéphane, ses adversaires virent son visage comme celui d'un ange.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire