samedi 4 février 2012

GUETTEE. DE LA PAPAUTE. XII.

GUETTEE.
DE LA PAPAUTE.XII.


DIFFERENTS POINTS DE CONTROVERSE.


1.LE BAPTEME ET LA CONFIRMATION.


Baptême.


(p.257.)
Mais, à côté de ces rites essentiels, il en est qui sont si respectables & si antiques, qu'une Eglise ne peut les abolir sans encourir le reproche mérité d'innovation & d'irrévérence à l'égard des Traditions apostoliques.
Parmi ces rites, nous en indiquerons deux principaux : LA TRIPLE IMMERSION dans l'eau, & l'union des deux sacrements de baptême & de confirmation.
La papauté s'est rendue coupable de l'abolition de ces deux institutions dans les églises occidentales.
On ne pourrait fixer d'une manière absolument certaine l'époque précise où l'on a abandonné, en Occident, LA PRATIQUE APOSTOLIQUE DE LA TRIPLE IMMERSION BAPTISMALE. Il est probable que cette innovation s'est établie peu à peu, & non en vertu d'un décret de date certaine. Dans tous les livres rituels ou pontificaux manuscrits de cinq cents ans & au-dessus, on ne mentionne que LE BAPTEME DONNé PAR IMMERSION. -( N.d.a : Dom Martène l'affirmait, il y a environ deux siècles, des manuscrits qui avaient alors trois cents ans de date. Cf: De antiq. Eccles. Rit. Lib. I. C.1. Art 14, § 6)-. On peut affirmer en conséquence que, au XIV) siècle, on conservait encore le rite apostolique dans l'administration du baptême.
Avait-on conservé la triple immersion en usage dans l'antiquité Chrétienne, ou baptisait-on par une immersion unique?
L'hérétique Eunomius, à la fin du IV°siècle, fut le premier qui enseigna que le baptême devait être administré par une immersion unique. -( cf. Act. Concil. I. Constantinopol.; Sozomen. Hist. Eccl. I.VI. c.26.)- Deux disciples de cet hérésiarque, Théophronius & Eutychius, contribuèrent surtout à répandre cette innovation.
Elle se répandit en Occident, de sorte que, à la fin du VI°siècle, on y suivait indifféremment les deux rites d'une seule immersion ou de trois. Léandre, évêque de Séville, en Espagne, ayant consulté à ce sujet Grégoire le Grand, évêque de Rome, celui-ci lui répondit que l'on pouvait suivre légitimement l'un ou l'autre usage. -(cf. Gregor. Magn. Epist. Lib. I. Epist.41.)-.
(p.258).
Le quatrième concile de Tolède alla plus loin, & décréta que l'on devait baptiser par une seule immersion. -( cf : Concil. Toletan. IV. C.6.)- Hildephonse, archevêque de Tolède, -( cf:Hildeph. Annotat. De Cognit. Bapt. Lib. I.C.117.)- donne comme motif de ce règlement, que les hérétiques, par la triple immersion, avaient l'intention de diviser l'essence divine.
Ce fut sous le même prétexte que les évêques d'Espagne ajoutèrent le filioque au symbole, sans réfléchir qu'en voulant enseigner l'unité d'essence, ils s'attaquaient à la Trinité des personnes.
L'usage espagnol n'avait pas pénétré en France, au IX°siècle. En effet, à cette époque, le docte Alcuin s'éleva contre lui aussi bien que contre l'addition du filioque, & blâma sévèrement les hérésies espagnoles. -(in Alcuin. Epist. 69 ad Lugdun.; Epist. 81 ad Paulm.)-.
Walfrid blâma également, à la même époque, l'innovation espagnole; -( in Walfrid. De reb. Eccl.)-; mais, en 868, un concile de Worms en prit la défense, & affirma que les deux usages de trois immersions ou d'une seule étaient également légitimes. -( Conc. Wormat. C.5.)-.
La coutume d'une immersion unique s'était conservée en France, dans le diocèse de Saint-Malo, jusqu'au XVII°siècle. -( V. Statut. Guillelm. Ann. 1620)- A la fin du XIII° siècle, des prêtres du diocèse d'Angers s'étaient permis de baptiser, les uns par une immersion unique, les autres par simple aspersion, enversant de l'eau sur les baptisés. L'évêque Nicolas Gélant, dans son synode de 1275, -( V. d'Archery Spicil. T.XI)-, blâme ces deux usages, & ordonna de suivre le rite apostolique de la triple immersion.
D'après ce document, on voit que le baptême par aspersion commençait à être administré par quelques prêtres, à la fin du XIII) siècle, mais que cet usage était considéré comme blâmable. Il arrivait parfois que, pour donner le baptême, on plongeait seulement trois fois la tête du catéchumène dans l'eau. -( Hiéron. Dialog. Adv. Luciferian.)-. Cet usage s'était conservé à Milan jusqu'au XVII°siècle. Il fut probablement le rite intermédiaire entre l'immersion & l'aspersion.
A dater du XIV°siècle, le baptême administré par aspersion s'établit dans l'Occident tout entier, sans que la papauté, dont l'autorité y était universellement reconnue, s'y soit opposée. Elle doit en conséquence porter la responsabilité d'une innovation contraire au rite apostolique de l'administration du baptême.
Nous ne prétendons pas que le baptême, administré par aspersion ou par infusion soit invalide. Des Grecs l'ont prétendu, mais d'autres Grecs & l'immense majorité des Orthoodxes acceptent comme valide le baptême administré de cette manière. On sait que, dans l'Eglise Orthoodxe Originelle, on baptisait ainsi, d'un baptême clinique, les malades obligés de garder le lit, & que l'on désigne dans les antiques monuments par le nom de cliniques, ce qui est dire alités. L'église n'eût pas conféré le baptême de cette manière, même aux malades, si elle l'eût considéré comme nul.
(p.259).
Il est à remarquer qu'elle ne le renouvelait pas. Seulement, on n'admettait pas aux ordres ceux qui avaient été ainsi baptisés, & le baptême des cliniques n'était pas accompagné de l'imposition des mains, c'est-à-dire de la confirmation.
D'après ces dispositions, que l'on rencontre dans les plus anciens documents canoniques, il est évident que le baptême administré aux cliniques par aspersion ou infusion, tout en étant valide, était cependant considéré comme défectueux, en ce sens qu'il n'était pas administré selon le rite apostolique. C'était un baptême de nécessité, & non pas un baptême régulier.
Peut-on dire que la papauté ait pu introduire ou laisser introduire impunément, dans les églises soumises à son autorité, un baptême considéré comme défectueux par l'Eglise Orthodoxe Originelle? Qu'elle a pu décider qu'un baptême administré d'une manière défectueuse & dans des cas de nécessité, pouvait licitement devenir le baptême ordinaire & légal?
D'après ce que nous avons dit plus haut, on peut fixer la fin du XIV°siècle & le commencement du XV) comme l'époque où s'établit l'innovation. Aussi rencontre-t-on encore, dans plusieurs Eglises antérieures à cette époque, les baptistères qui servaient au baptême par immersion. Ces vieilles pierres sont autant de témoins muets de l'innovation romaine.
A dater du commencement du XV°siècle, cette innovation s'était tellement répandue que, au XVI°siècle, les protestants qui avaient la prétention de ramener l'église à sa pureté originelle, l'acceptèrent & la mirent en pratique. Aujourd'hui encore, ceux d'entre eux qui baptisent, le font par aspersion ou par infusion, & souvent, dans certaines sectes, avec une telle légèreté, que l'on peut douter si leur baptême peut être considéré comme réel, s'il n'est pas un vain simulacre de sacrement.



Confirmation.

Une grave erreur s'est introduite dans l'église catholique romaine relativement au sacrement de confirmation.
L'ancienne coutume, dit Dom Martène, -( cf: Dom Martène. De antiq. Eccl. Rit. Lib. I. C.2, art.1)-, coutume qui s'est perpétuée presque jusqu'à notre temps, était de donner le sacrement de confirmation aux enfants aussitôt après le baptême. Non seulement les rituels & les pontificaux l'attestent, mais encore tous les Pères qui ont écrit sur ce sujet.
La raison de cette coutume, c'est que par le baptême on naît seulement à la vie régénérée, & que l'on a besoin de la Vertu du Saint-Esprit pour croître & devenir homme parfait. Selon la Sainte Ecriture, on doit renaître en même temps par l'eau & par l'Esprit. On renaît par l'eau au moyen du baptême; on renaît par l'Esprit au moyen de la confirmation.
(p.260).
En consultant les plus anciens sacramentaires occidentaux, on acquiert la preuve que l'ancienne église latine professait la même doctrine que l'Eglise Orthodoxe d'Orient actuelle, touchant l'union des deux sacrements de baptême & de confirmation, leur administration & leur ministre.
Dans l'ancien sacramentaire gélasien, édité par le cardinal Thomasini, on trouve, après le rite du baptême, celui de la confiramtion. On y lit cette règle : «  Par trois fois tu immergeras l'enfant dans l'eau; puis, quand il sera retiré des fonts, l'enfant sera marqué du chrême sur la tête par le prêtre qui dira: «  Dieu Tout-Puissant, Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui t'a régénéré par l'eau & le Saint-Esprit, & qui t'a accordé la rémission de tes péchés, te fait l'onction avec le chrême du Salut, en Jésus-Christ, Notre Seigneur, pour la Vie éternelle. »
Le Samedi Saint – le Grand et Saint Samedi-, lorsque le baptême était donné d'une manière solennelle, l'Evêque ajoutait une Prière pour demander les Sept Dons du Saint-Esprit.
Mais le vrai sacrement de confirmation était administré par l'onction du chrême; & c'est l'Evêque qui faisait lui-même cette onction, lorsqu'il donnait la confirmation.-(f: odex S. Remig. Rem. ( m. du VIII° siècle). Ap. Marten. Lib.I, C.2, art.18)-. Il la donnait ordinairement le Samedi Saint avec le baptême. Dans un vieux manuscrit du IX°s, -( Codex Parthen. (m du IX° siècl). Ibid.)-, on indique la prière suivante pour conférer la confirmation :
« Dieu Tout-Puissant Eternel qui as daigné régénérer tes serviteurs ici présents par l'eau & le Saint-Esprit, & qui leur as donné la rémission des péchés, envoie du Ciel sur eux Ton Esprit septiforme, Ton Saint Paraclet, l'Esprit de Sagesse & d'Intelligence, l'ESprit de Conseil & de Force, l'Esprit de Connaissance & de Piété; remplis-les de l'Esprit de Ta Crainte, &, dans Ta Bonté, marque-les du Signe de la Croix pour la Vie Eternelle. »
Il est évident que cette formule est la même que celle du sacramentaire gélasien citée plus haut; seulement un peu plus détaillée.
Elle est indiquée, avec de légères modifications, comme la formule de la confirmation, qu'elle soit récitée par l'Evêque, lors du baptême solennel de la veille de Pâque, ou par le Prêtre après le baptême ordinaire. -( Cf : Lib. Sacrament. Monast. Moisacens.; m, Gemmet. & d'autres anciens manuscrits l'attribuent à l'Evêque; d'autres l'attribuent au Prêtre; V. Cod. Gladbac.; Ritual. Lemovic.; Vet. Missale Rom. Ad usum Minorum; Rit Cadom.; Rit. Ambrosian. ap. D. Martène, De antiq. Eccl. Ritib. Lib. I. C. 1, art, 18.)-.
Il est à remarquer que, dans l'office du baptême, tel qu'il est administré aujourd'hui dans l'église catholique romaine, on a conservé l'onction du chrême & la prière indiquée dans tous les anciens rituels & sacramentaires occidentaux pour la formule du sacrement de confirmation. On doit en conclure que ce sacrement est encore conféré aujourd'hui par le Prêtre, aussitôt après le baptême, selon l'ancienne coutume.
Cependant, on enseigne aujourd'hui, dans l'église catholique romaine, que l'Evêque seul peut donner la confirmation, & que le Prêtre ne la confère pas, tout en faisant l'onction du Saint Chrême, & en y joignant la prière en usage, de Temps immémorial, pour l'administrer, & dont on s'est servi pour cela jusqu'au XIII° siècle. -( Cf: D/ Martène. Lib. I. C.1, art. 1, §3)-.
(p.261).
Il faut remonter assez haut pour trouver l'origine de cette erreur. En effet, dès le IX°siècle, le Patriarche Photios reprochait à l'évêque de Rome, Nicolas Ier, d'enseigner qu'il était interdit aux Prêtres de conférer la confirmation. «  D'où vient cette loi? Disait-il. -( Cf: Saint Photios, Encyclique aux Patriarches Orientaux. Trad. Française in Oeuvres Trinitaires, t.1. Ed. Lumière du Thabor, Paris, 1989, p.60.)- Quel en est le fondateur? Serait-ce un des Apôtres? Serait-ce un des Pères? Serait-ce un des Conciles? »
On ne pouvait donner à cette loi aucune de ces origines, & l'on peut penser que certains Evêques cherchaient, dès le IX°siècle, à en abuser au profit de leur autorité, dont ils cherchaient à exagérer les prérogatives.
Sans doute, c'était l'Evêque qui, originellement, donnait le baptême, à certains jours solennels; & c'était lui aussi, par conséquent, qui donnait la confirmation aux nouveaux baptisés. Mais, lorsque l'usage s'établit d'administrer le baptême tous les jours, & partout, le Prêtre l'administra, &, avec lui, la confirmation.
Le reproche adressé par Photios à l'évêque de Rome donne à penser que ce fut dans cette église que l'on commença à réserver à l'Evêque le pouvoir de conférer ce sacrement, ni changer les rites unis du baptême & de la confirmation. C'est pourquoi l'on retrouve des traces de l'ancienne coutume jusqu'au XIII°siècle; & l'on a conservé jusqu' aujourd'hui les rites unis des deux sacrements.



2.LE PAIN AZYME.

(Rq: Sur ce point, comme sur quelques autres, Guettée reste très dépendant du vocabulaire & des notions scolastiques : il parle de « forme » & de « matière » du sacrement. Remarquablement, il retourne cette scolastique contre elle-même : l'hostie n'est même plus du pain; le sacrement n'existe donc pas).

Au XI° siècle, il était encore d'usage en Occident de consacre un seul pain, d'une assez grande dimension, & qui servait à la communion du Prêtre & des Fidèles. Le cardinal Humbert l'attestait positivement en 1054, dans son ouvrage en faveur du pain azyme, dirigé contre le Patriarche de Constantinople Michel Cérulaire. Cependant, vers la fin du même siècle, Bernard, prêtre de Constance, dans ses notes sur l'ORdre romain, atteste que le pain eucharistique était r »duit, de son temps, à de petites proportions. Au XII°siècle, on lui avait donné la forme d'une pièce d emonnaie. -( Cf: Ernulp. Episc. Roff. Epistol. Ad Lambert. ap. d'Achéri, Spicil.,T.2.)-. Au même siècle, on fit de petites hosties spécialement destinées aux fidèles, lesquels, dès lors, ne communièrent pas du même pain que le prêtre. -( Cf: Juénin. Comment. De Sacrement. Dissert., IV., C.,I. Art.III, n°4.)-.
(p.262).
Originellement, le pain eucharistique dont on se servait en Occident, était, comme en Orient, du pain ordinaire dans lequel il y avait eu du levai. Le père Sirmond, jésuite, convient que, en Occident comme en Orient, le pain avec levain fut en usage pendant les neuf premiers siècles; que l'église catholique romaine changea l'antique usage, de la fin du IX°siècle à la première moitié du onzième. -( in Sirmond, de Azymo.)-.
Le cardinal Bona adopta l'opinion du père Sirmond. -( Cf: Bona. Rerum. Liturg. Lib.1.,C.23.)-.
Le père Mabillon émit, il est vrai, une opinion contraire. -(Cf Mabill. Praefat. ad. Saecul.III. Bened.)-. Mais, nous n'avons pas à intervenir dans cette discussion, & nous constatons seulement que les arguments du père Sirmond, acceptés par le cardinal Bona, ont été si peu détruits par le savant bénédictin que les théologiens romains les plus doctes se réfugièrent dans un système qui donnerait raison aux deux opinions, & qui consiste à dire que, dans les premiers siècles, on se servait indifféremment de pain azyme ou de pain fermenté. -( Cf : Juénin. Comment. De Sacrament. Dissert., IV., C.I. Art..4, § 5, n°1.)-Ils ajoutent que ni les grecs ni les latins n'ont le droit aujourd'hui de changer la coutume de leur église. -( Ibidem, § 3)-.
Ce système n'est évidemment qu'un moyen d'échapper au fait constaté par Sirmond & Bona, & d'après lequel l'église romaine aurait changé, à partir d ela fin du IX°siècle, l'ancienne coutume suivie depuis le commencement par l'Eglise universelle.
Est-il vrai que le pain azyme puisse être la matière de l'eucharistie?
C'est une question qui a été très vivement agitée, & les deux opinions contradictoires ont eu de nombreux & énergiques défenseurs. Nous n'avons pas à la discuter, & l'église ne s'est pas prononcée sur ce point. Nous devons cependant faire observer qu'il y a une grande différence entre le apin azyme, tel qu'il est fabriqué, par exemple, par les juifs, & tel qu'il le fut sans doute dans l'église catholique romaine au début d el'innovation, &celui qui est fabriqué aujourd'hui. Ce derneir est-il du pain, dans l'acception usuelle du mot? Non, évidemment. Suffit-il que, dans une composition de farine & d'eau non soumise à une vraie cuisson, cette farine & cette eau existent, pour que l'on appelle cette composition du pain? On peut le soutenir; mais on peut soutenir le contarire. De là, il résulte qu'il est incertain que l'église catholique romaine ait conservé la vraie matière du sacrement eucharistique, & que sa consécration soit valide.
C'est ainsi qu'aujourd'hui la question nous paraît devoir être posée entre l'Eglise Orthodoxe & l'église latine. Elle acquier incontestablement beaucoup plus de gravité qu'à l'époque où l'Eglise Orthodoxe orientale commença à reprocher à l'église latine de se servir du pain azyme, puisque ce pain était alors du vrai pain, quoiqu'il ne fût pas fermenté; tandis que, à travers les modifications auxquelles l'azyme fut soumis, l'église papale se sert aujourd'hui, pour la célébration de l'eucharistie, d'une matière qui n'est peut-être pas du pain.
(p.263).


3.L'EPICLESE.

(Note: Guettée est très bref sur l'épiclèse. Le lecteur se rapportera principalement à Nicolas Cabasilas, Explication de la Divine Liturgie, Coll. Sources Chrétiennes n° 4 bis, Paris.).
Pour ce qui est de la forme du sacrement, comme disent les scolastiques de l'église latine, c'est-à-dire de la formule de consécration, il existe un différend fort grave entre les Eglises d'Orient & d'Occident.
On croit, dans l'église latine, que le pain & le vin sont consacrés par le prêtre au moment où il fait mémoire de l'institution du sacrement, & où il répète, d'une manière historique, les paroles de l'institution: «  Prenez & mangez, ceci est mon corps...Buvez-en tous, ceci est mon sang... ».
Toutes les Eglises Orthodoxes orientales, sans exception, croient que la consécration n'a pas lieu au moment où le prêtre raconte ce qui s'est passé à la dernière scène, mais lorsque, après avoir invoqué le Saint-Esprit, le prêtre Le prie de bénir & de consacrer les dons par Sa Grâce Toute-Puissante.
On peut douter que l'invocation au Saint-Esprit existe réellemnt dans la Liturgie romaine suivie aujourd'hui par toute l'église latine. Elle existait dans plusieurs anciennes liturgies occidentales, par exemple la liturgie espagnole ou mozarabique. Elle existe encore dans la liturgie écossaise. Mais, peut-on affirmer positivement qu'elle existe d'une manière équivalente dans les prières du canon romain? Nous croyons qu'on en peut douter. Il y aurait donc doute au sujet de la validité de la consécration dans l'église romaine, aussi bien qu'au sujet de la matière du sacrement. Le doute n'existerait pas s'il était absolument certain que le canon de la messe n'a subi aucune modification depuis le VII°siècle. Mais cela est-il absolument certain ? -( Il est même certain qu'il a subi un grand nombre de modifications dans plusieurs églises. Cf: D. Martène, De antiq. Eccl. Rélib. Lib. I, C.4, art.9.)-. Un fait certain, c'est que les anciennes liturgies attribuées à Saint Jacques & à Saint Clément de Rome, contiennent l'invocation au Saint-Esprit, aussi bien que celles de Saint Basile & de Saint Jean Chrysostome. Peut-on croire que l'ancienne liturgie romaine aurait seule fait exception dans l'Eglise? -( L'on sait que les Sacramentaires de S. Gélase & de S. Grégoire le Grand, ne nous sont connus que par des manuscrits postérieurs au huitième siècle, & qui ont pu être interpolés, comme tant d'autres monuments, par les copistes. On ne peut donc affirmer que l'invocation au Saint-Esprit ne s'y trouvait pas originellement)-.
Suffit-il de dire, avec la plupart des théologiens catholiques romains, que Jésus-Christ consacra par les paroles de l'institution? Nous ne craignons pas de dire que cet argument est ridicule. Jésus-Christ, en prononçant ces paroles: «  Ceci est mon corps...ceci est mon sang... » ne les prononça pas d'une manière historique, mais d'une manière positive, qui entraînait avec elle leur effet. Peut-on affirmer qu'il en soit ainsi du prêtre?
(p.264).
Le père Lebrun -(Cf: Explication de la messe,I.I. Part.4, art.6 )-, a émis un système intermédiaire. Il affirme que la consécration a lieu au moyen des paroles de l'institution, mais il ajoute que la prière de l'Eglise est nécessaire aussi pour que l'effet soit produit, & regarde comme la formule de la consécration toute la prière Quam oblationem...qui renfermerait équivalamment l'invocation au Saint-Esprit.
Sur cette question, comme sur celle du pain eucharistique, on voit que les théologiens catholiques romains les plus sérieux essaient quelques moyens de conciliation, afin de dissimuler autant que possible la position fâcheuse où leur église s'est mise par ses changements continuels.


4.LE PAIN EUCHARISTIQUE.

L'Eglise Orthodoxe romaine avait originellement le même usage que l'Eglise Orthodoxe orientale touchant les dimensions du pain consacré. Comme nous l'avons établi précédemment, ce ne fut qu'au XII°siècle qu'elle consacra une hostie pour le prêtre, & des hosties plus petites pour les fidèles. Elle a détruit ainsi un des plus touchants mystères d ela communion. Saint Paul l'avait indiqué par ces paroles: « Le calice de bénédiction que nous avons béni, n'est-il pas la communication au sang du Christ? Et le pain que nous avons rompu n'est-il pas la participation au corps du Seigneur? Quoique nombreux, nous ne sommes qu'un seul pain, qu'un seul corps, nous tous qui participons à un pain unique. » (1 Cor.10,16,17.)
La participation à un seul pain eucharistique est le symbole de l'unité des Chrétiens qui ne forment qu'un seul corps, dans le Corps & le Sang du Christ auxquels ils participent.
Par son invention des petites hosties pour les fidèles, l'église catholique romaine a bouleversé l'un des plus touchants mystères de la communion; elle a considéré comme non avenues les paroles de Saint Paul qui montrent si clairement quelle importance on attachait, du temps des Apôtres, à la participation au pain unique consacré; elle a mis de côté l'exemple de Jésus-Christ Lui-même, qui a consacré un seul morceau de pain qu'Il distribua à Ses Apôtres.
Une église peut-elle être irréprochable, lorsqu'elle méprise ainsi l'exemple de Jésus-Christ, & une coutume primitive sous laquelle les Apôtres apercevaient un si touchant & si profond Mystère?
Nous n'hésitons donc pas à dire que l'église catholique romaine s'est rendue coupable, par son invention des petites hosties pour les fidèles, d'une innovation très blâmable.


(p.265).


5.LA COMMUNION DES ENFANTS.


L'église catholique romaine s'est rendue également criminelle, en abolissant la communion des enfants.
Lorsque les églises occidentales, entraînées dans le schisme par la papauté, se furent séparées de l'Orient Orthodoxe universel, elles perdirent tellemnt le sens Chrétien, que leurs théologiens catholiques romains reprochèrent aux Eglises Orthodoxes d'Orient la communion des enfants comme un abus énorme. Les protestants joignirent leurs clameurs à celles des catholiques romains. Il faut dire qu'ils étaient plus intéressés que ces derniers à crier contre le prétendu abus de l'Orient, car il détruisait leur théorie de la participation par la foi au Corps & au Sang du Christ.
L'usage de donner la communion aux enfants n'a cessé, dans l'église catholique romaine, qu'au XII°siècle. -( Cf : Recueil de jurisprudence, par Guy du Roussaud de Lacombe. V° Communion. Renaudot, Perpétuité de la foi sur les sacrements. Liv.II.C.C.8 et 9-)..Le concile de Trente reconnaît l'antiquité de cet usage. -(Cf: Concil. Trident. Sess.21.C.4.)- ; il n'ose pas blêmer ceux qui l'observeraient dans les églises où il serait conservé encore aux XVI°siècle. Seulement il décida que la communion n'était pas nécessaire au Salut des enfants.
Dans cette décision , comme dans la plupart de celles qu'il a rendues, le concile de Trente se plaçait systématiquement à côté de la question. Il ne s'agissait pas de décider que les enfants baptisés pouvaient être sauvés, sans avoir reçu la communion, mais si la communion leur était nécessaire pour développer en eux la vie chrétienne. Il est incontestable que, considérée ainsi, la question ne souffrait pas de difficulté. Dans l'Eglise occidentale originelle, on jugeait que la communion était nécessaires aux Enfants de cette manière, & il nous suffit de citer comme preuves les témoignages multipliés du Bienheureux Augustin & de Saint Innocent premier, Evêque de Rome. -(Cf: Aug. De Peccat, Rem. Lib.III.C.4; Saint Innocent. Epist. 26 ad Synod.Milevit.)- Le concile de Trente a esquivé la difficulté, ne voulant blâmer ni la doctrine occidentale originelle, ni l'usage qui s'était établi dans l'église catholique romaine depuis trois ou quatre siècles, de priver les enfants d ela communion.
Dès le XIII°siècle, un concile de Bordeaux défendait de donner la communion aux enfants, & prescrivait de leur donner à Pâque un morceau de pain bénit à la place.
La défense formulée par le concile de Bordeaux passa dans le reste de l'église catholique romaine. Les protestants ayant conservé cette erreur catholique romaine, Bossuet leur en demandait le motif, puisque la suppression de la communion pour les enfants n'était pas fondée sur l'Ecriture, mais sur une décision de l'église catholique romaine. «  Je leur ai demandé, dit-il, -( Cf: Bossuet, Traité de la communion sous les deux espèces, deuxième partie. Défense de la tradition sur la communion sous une espèce, première partie C.5.)-, si ce précepte : «  Mangez ceci, & buvez en tous, qu'ils croient si universel, ne regarde pas tous les Chrétiens? Mais s'il regarde tous les Chrétiens, quelle loi a excepté les petits-enfants, qui sans doute sont Chrétiens, étant baptisés? »
(p.266).
L'église, selon Bossuet, avait le droit de changer l'antique usage; mais comment l'église peut-elle abolir un précepte divin? En combattant les protestants, l'évêque de Meaux flagellait sa propre église. Son argument ad hominem pouvait être bon contre les protestants; mais que prouve-t-il contre les Orthodoxes orientaux, qui croient que l'Eglise n'a pas le droit d'abolir un précepte divin? Si l'Eglise Orthodoxe universelle n'a pas ce droit, comment une église particulière, comme celle qu'on nomme catholique romaine, l'aurait-elle.
Renaudot, qui connaissait bien l'antiquité Chrétienne & la Doctrine des Eglises Orthodoxes orientales, s'élève avec beaucoup d'énergie contre les théologiens catholiques modernes qui ont traité d'abus la communion des enfants. Cette accusation, dit-il, -(Cf: Renaudot, Perpétuité de la foi sur les sacrements, liv.II.C.C.8 et 9)-, retombe sur les Anciens Pères des temps les plus florissants de l'Eglise. Il ajoute: «  On ne peut, sans ignorer entièrement l'ancienne ascèse de l'Eglise, douter qu'elle n'ait été telle que nous la trouvons encore parmi les Grecs, les Syriens, les Egyptiens, les Abyssins, les Arméniens, & tous les Chrétiens d'Orient, de quelque langue & de quelque juridiction qu'ils soient. Ce consentement général en fait voir l'universalité & l'antiquité dont on a un grand nombre de preuves. »
Renaudot prouve fort bien, contre les exagérations de certains théologiens catholiques occidentaux, que les Orthodoxes orientaux sont restés fidèles à l'ancienne discipline, en administrant la communion aux Enfants; & qu'ils n'ont point enseigné qu'un enfant baptisé ne serait pas sauvé s'il n'avait pas participé à la communion.
Mais le docte orientaliste n'a pas osé soulever la question du précepte divin de la communion pour tous les Chrétiens sans distinction. Il voulait ménager l'église catholique romaine à laquelle il appartenait; c'est pourquoi il n'a voulu voir qu'une question de discipline dans un usage qui repose sur la Parole même de Dieu.
Alors même qu'il n'y aurait là qu'une question de discipline, on pourrait demander de quel droit l'église catholique romaine a aboli une règle universelle, & dont l'origine remonte positivement aux Temps Apostoliques?
Mais Jésus-Christ ayant ordonné, d'une manière générale, à tous Ses Disciples, de communier, peut-on dire que l'église catholique romaine observe ce commandement, en privant de la communion les enfants jusqu'à l'âge de dix ou douze ans. Elle n'a pas la même excuse que les protestants, ceux-ci ne croyant pas à la Présence réelle, ne croyant qu'à une participation idéale, par la foi de celui qui communie. D'après ce système, le communiant doit savoir ce qu'il fait, & avoir la foi subjective. Mais l'église catholique romaine croit à l'effet produit par le sacrement, en dehors des sispositions du communiant; qu'il reçoive dignement ou indignement le sacrement, il participe au Corps & au Sang de Jésus-Christ, pour sa justification, ou pour sa condamnation. Comment, lorsqu'on enseigne une telle doctrine, priver l'ame pure & innocente des enfants d ela participation à un sacrement qui peut développer sûrement en elle l'Esprit Chrétien, & lui communiquer la Grâce?
On peut donc dire que l'église catholique romaine n'a pu abolir la communion des enfants sans porter atteinte à sa propre doctrine sur l'efficacité des sacrements;
(p.267).
Sans s'attaquer à une règle universelle & apostolique de l'ascèse de l'Eglise Orthodoxe originelle; sans manquer au précepte divin de la communion imposée à tous les Chrétiens.
La cumpabilité d l'église catholique romaine est donc incontestable, & son innovation est contraire à la Sainte Ecriture & à la Tradition universelle de l'Eglise Orthodoxe universelle.


6.LA COMMUNION SOUS LES DEUX ESPECES.

L'église catholique romaine s'est également rendue coupable en abolissant la communion sous les deux espèces du pain & du vin.
Pour défendre l'innovation de l'église catholique romaine sur ce point, on a essayé de prouver: 1° que c'était là une question de pure discipline, & que l'église avait pu modofier sa discipline sur ce point; 2° que l'on participait à Jésus-Christ tout entier, soit que l'on communiait sous les deux espèces, ou sous une seule; 3° que dans l'Eglise Orthodoxe originelle, on a donné quelquefois la communion sous une espèce, quoiqu'il fût d'usage de la donner ordinairement sous les deux.
Nous répondons: 1° qu'alors même qu'il s'agirait seulement de discipline, l'église catholique romaine , qui n'est qu'une église particulière, n'avait pas le droit d'abolir une règle universelle & apostolique de l'Eglise Orthodoe universelle.
Nous répondons secondement que, tout en admettant que l'on reçoit Jésus-Christ tout entier, en communiant sous l'une des deux espèces, il n'en est pas moins vrai que Jésus-Christ a établi le sacrement sous les deux espèces, lorsqu'Il a dit à tous Ses Disciples : «  Prenez & mangez...Buvez- en tous. On n'obéit donc pas au précepte divin en communiant sous une seule espèce.
Nous répondons troisièmement que, alors même que les faits allégués seraient certains & bien compris, ils ne constitueraient que des exceptions légitimées par la nécessité, & qui ne feraient que confirmer la règle générale suivie par toute l'Eglise Orthodoxe.
Après avoir ainsi posé la question d'une manière générale, examinons-la dans ses détails.
Il y avait originellement trois manières de participer à la communion sous l'espèce du vin. -(CF/ D. Marten. De Antiq. Eccl. Rit. Lib.I.C.4, art.8, §13)-. on humait le vin consacré à l'aide d'un chalumeau; ou bien on approchait le calice des lèvres; ou enfin, on recevait le pain consacré trempé dans le vin consacré.
Cette dernière manière était usitée dans tout l'Orient Orthodoxe. En Occident, on suivait le même usage dans plusieurs Eglises. Le troisième concile de Brague l'interdit --( Cf: Concil. Bracaren.III, can.I-), tandis qu'un concile de Tours le prescrivit. -(Cf: Ap. Burch. Lib.5.C.9.)-. La raison que ce concile donne à l'appui, c'est que le prêtre en distribuant la communion n'aurait pas pu dire sans cela: «  Que le corps & le sang du Seigneur te soient utiles. Au XII°siècle, l'usage de donner ainsi la communion était devenu presque général, -(cf: Ernulph. Epist. Ad Lambert. ap. D. d'Achéri. Spicileg T.2; Renaudot, Perpétuité de la foi sur les sacrements, liv.VIII? Ch.1 et suivants.)-, & on le regradiat comme très bon, en ce sens que les fidèles communiaient ainsi sous les deux espèces, sans que l'on fût exposé à répandre le vin consacré, comme cela arrivait souvent lorsqu'on approchait le calice des lèvres des communiants. Cependant, il y eut des protestations contre cet usage, qui ne fut que toléré, principalement pour les enfants & les malades qui ne pouvaient recevoir le pain consacré sans être imbibé.
Telle était encore, au XII°siècle, la doctrine de l'église catholique romaine.
Bientôt après, l'usage s'établit peu à peu de distribuer la communion sous la seule espèce du pain, & on supprima la communion sous l'espèe du vin. Ce sont les moines de Cîtaux qui, les premiers, la supprimèrent officiellement dans leur chapitre général de 1261. Leur exemple a été suivi par l'église catholique romaine tout entière. Peut-on justifier son innovation?
Le plus grand théologien de l'église catholique romaine, Bossuet, a traité ex professo, contre les protestants de la communion sous les deux espèces. Cette question, dit-il, -(CF/ Bossuet, Traité de la communion sous les deux espèces)-, «  n'a qu'une difficulté apparente, qui peut-être résolue par une pratique constante & perpétuelle de l'église, & par des principes dont les prétendus réformés demeurent d'accord. »
Bossuet aurait dû élargir la question. Quoiqu'il n'eût en vue que les prétendus réformés, il savait parfaitement que l'Eglise Orthodoxe orientale était d'accord avec eux sur ce point, & que l'on ne pouvait la traiter comme une secte protestante. Mais restons dans les termes fixés par Bossuet, & examinons s'il a prouvé que « la pratique & le sentiment de l'Eglise dès les premiers siècles » ont été favorables à la pratique & au sentiment de l'église catholique romaine actuelle.
Il affirme que «  la pratique de l'Eglise dès les premiers siècles » est qu'on y communiât sous une ou sous deux espèces, sans qu'on se soit jamais avisé qu'il manquât quelque chose à la communion, lorsqu'on n'en prenait qu'une seule. » Quelle preuve le célèbre évêque de Meaux donne-t-il à l'appui de cette assertion? On peut, dit-il, des paroles de Saint Luc & de Saint Paul -(Luc XXII.20; Paul.I ad Corinth. XI, 25)-, conclure que Jésus-Christ donna Son corps pendant le souper, & Son sang après le souper. Le corps & le sang peuvent donc être reçus séparément, & l'effet que devait avoir la réception du corps n'a pas été suspendu, jusqu'à ce que les Apôtres eussent reçu le sang.
Nous oserons dire, sauf le respect que nous professons pour le grand Bossuet, que ce raisonnement est une pure chicane.
Nous ne contestons nullement que Jésus-Christ n'ait donné séparément Son corps & Son sang; que la réception du Corps ne soit accompagnée de l'effet du sacrement aussi bien que la réception du Sang. Là n'est pas la question. Nous n'avons donc point à entrer dans la discussion du texte de Saint Luc pour savoir si le Corps fut donné pendant le souper & le Sang après;
(p.269)
pour savoir si la particule « ou » dans le texte de Saint Paul équivaut à la partcule « et », comme le prétendait, contre Bossuet, le ministre Jurieu. Nous posons la question d'une manière beaucoup plus simple, & nous demandons: Jésus-Christ a-t-il institué Son sacrement sous l'espèce du pain & sous l'espèce du vin? Jésus-Christ, en donnant Son corps, a-t-Il dit à Ses Apôtres, & en leur personne à toute l'Eglise: « Prenez & mangez,ceci est mon corps? » A-t-Il dit, en donnant Son sang: » « Buvez-en TOUS, ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, etc.etc.? On ne peut que répondre affirmativement à ces deux questions. Nous en concluons que, pour rester fidèle à l'institution de Jésus-Christ, on doit participer à Son Corps sous l'espèce du pain, & à Son sang sous l'espèce du vin. De quel droit un théologien peut-il prétendre que la participation au Corps suffit, lorsque Jésus-Christ a établi la participation au Sang? De quel droit décide-t-il que le sacrement est complet, lorsqu'on n'accomplit que la moitié de ce qu'a établi Jésus-Christ? De quel droit décide-t-il que l'on participe au Corps & au Sang, en communiant sous une seule espèce, lorsque Jésus-Christ en a établi deux, une pour le Corps, l'autre pour le Sang?


7.L'EVOLUTION LITURGIQUE.

Nous avons exposé les trois erreurs de l'église catholique romaine sur la communion. Maintenant, il nous reste à prouver qu'elle a erré en permettant de célébrer des messes privées; & qu'elle a opéré dans les rites de la liturgie des changements qui en dénaturent l'esprit.
Au sujet des messes privées, un canoniste romain -( Cf: Guy du Rousseaud de Lacombe, Recueil de Jurisprudence, V°messe)-, s'exprime ainsi: «  L'usage des messes basses n'a commencé que dans le IX°siècle. Il n'y avait qu'une église publique ou paroissiale en chaque ville, où se célébrait la messe publique appelée depuis paroissiale. »
Il suffit de jeter un coup d'oeil sur toutes les liturgies sans distinction, pour être convaincu que toute messe devait être publique, & dite à haute voix, puisque l'ensemble de toutes ces liturgies n'est, pour ainsi dire, qu'un dialogue entre le célébrant, le diacre, & les assistants.
Saint Justin, dans sa seconde Apologie, ne mentionne que la liturgie du dimanche, à laquelle tous les fidèles se rendaient. Mais, dès le IV°siècle, Saint Epiphane regardait comme une coutume apostolique celle de célébrer la liturgie trois fois par semaine: les dimanche, mercredi, & vendredi. Tertullien, dans son livre De la Prière, mentionne également ces trois jours de liturgie. Cependant, dans certaines églises, on célébrait la liturgie le samedi, & à certaines fêtes de Martyrs, ainsi que l'atteste Saint Basile -(Cf: Epist. 289 ad Caesar. Patric.)-. Les Eglises d'Alexandrie & de Rome condamnaient l'usage de célébrer la liturgie le samedi, & s'en tenaient à l'usage ancien des trois jours par semaine. -(CF/ Socrat. Hist.eccl. Lib.V.C.C.22,34)-. Encore, selon l'historien Socrate, l'Eglise d'Alexandrie ne permettait-elle, les mercredis & vendredis, que des réunions où on lisait & comentait les Saintes Ecritures. La liturgie n'y aurait été célébrée que le dimanche. Saint Innocent, évêque de Rome -(Epist. Ad Decent.)-), condamne la liturgie du samedi, & même, selon certains interprètes, celle du vendredi.
Il esr vrai que, dans les Sacramentaires de Saint Gélase & de Saint Grégoire le Grand, on trouve des messes pour le samedi. Mais ces collections ont passé par les mains des moines copistes du moyen âge pour arriver jusqu'à nous. C'est-à-dire qu'elles ont subi des modifications, selon le temps où elles ont été copiées. Il en est de ces Sacramentaires comme des Chroniques orientales, dans lesquelles les moines copistes intercalaient les traditions des églises ou des monastères d'Occident.
Malgré la règle généralement suivie des trois jours liturgiques, on célébrait, dans certaines églises, une messe tous les jours, ou à certains jours déterminés. -(Cf: D. Martène, De antiq. Eccl. Rit.Lib.I.C.2.Art.3)-.
Mais, en Occident, s'établit bientôt l'usage pour chaque prêtre de célébrer tous les jours. Cet usage date du X°siècle. Pn ne se contenta bientôt plus d'une messe, & chaque prêtre en célébrait plus de trois. -(Ibidem)-. Il est bien évident qu'en raison même de la quantité des messes, devait s'établir l'usage de les célébrer à voix basse, & aussi rapidement que possible.
Telle a été l'origine des messes basses ou privées qui sont restées en usage dans l'église catholique romaine.
L'Eglise Orthodoxe orientale a conservé l'usage ancien d'une seule liturgie publique & chantée, les dimanche, mercredi, & vendredi de chaque semaine. Elle autorise également une liturgie à certaines fêtes, ou pour des raisons particulières, les autres jours de la semaine.
Elle est restée ainsi dans l'esprit originel. Toute liturgie devait être célébrée par le prêtre en commun avec les fidèles, & était composée de prières récitées alternativement par le prêtre, le diacre, & les fidèles, à haute voix.
L'église catholique romaine, au contraire, a abandonné le véritable esprit de la liturgie, par l'usage des messes basses ou privées. La messe devient ainsi une prière particulière. Le pape Alexandre II essaya de rétablir l'ancien usage en décrétant -( Ap. Gratian. De Consecrat.Dist.1)- que chaque prêtre ne CHANTERAIT qu'une messe par jour, excepté à Noël, où il en récite trois.
Cet usage date du XIII°siècle.-( Cf: D. Martène.loc.cit.)-. Une chose digne de remarque, c'est que, à l'époque où le prêtre célébrait plusieurs messes, il était obligé de changer d'autel pour chaque messe.-(Ibidem)-.
L'Eglise Orthodoxe orientale ne permet pas de célébrer la liturgie deux fois en un jour sur le même autel. L'église catholique romaine suivait cette ancienne règle, même après en avoir aboli d'autres non moins antiques & respectables.
(p.271).
Mais aujourd'hui l'église catholique romaine laisse la liberté de dire, sur le même autel, autant de messes que l'on veut.
Peut-on dire que tous les changements qui se sont opérés dans l'église catholique romaine soient innocents, & qu'elle ne s'est pas rendue criminelle en les permettant?
Outre qu'une messe basse ne peut réellement être considérée comme une liturgie, ou service public -(Ce nom de liturgie était déjà en usage au commencement du quatrième siècle pour désigner la messe. ( Euseb, De Vit. Constant., lib.IV.) C'est assez dire qu'il remontait plus haut. Le P. Lebrun ( Cérémonies de la messe init.) a donc eu tort d'affirmer que les Grecs ne se servaient de ce mot que depuis quatorze cents ans. Il était en usage à cette époque.)-, on ne peut la célébrer sans se mettre en opposition avec l'esprit de l'Eglise Orthodoxe originelle, & sans exposer le prêtre à tomber dans une routine sacrilège. Il n'est pas rare de voir les prêtres réciter les prières de la messe avec une rapidité scandaleuse, sans esprit de foi, & uniquement pour gagner les émoluments attachés à la récitation des prières. Cet abus détestable résulte nécessairement de l'obligation imposée au prêtre de dire la messe chaque jour sans être astreint aux rites du culte public.
On ne peut non plus concidérer comme licites les nombreux changements que l'église catholique romaine a fait aux rites de la liturgie. Les anciennes liturgies existent encore; elles sont connues, & conservées par les diverses Eglises Orthodoxes orientales; on n'a qu'à les comparer à la messe romaine actuelle pour être renseigné sur les modifications dont la liturgie romaine a été l'objet. -( Ces modifications sont indiquées, au moins en partie, dans le grand ouvrage du père Martène sur les anciens rites de l'Eglise)-. On ne peut étudier les Pères de l'Eglise Orthodoxe occidentale originelle sans être convaincu que, de leur Temps, la liturgie occidentale était à peu près la même que celle de l'Eglise Orthodoxe d'Orient. Les différences ne portaient que sur des détails qui ne modifiaient point l'économie générale des rites.
Aujourd'hui, quand on voit célébrer la liturgie Orthodoxe orientale, qui est restée comme elle l'était aux premiers siècles, & qu'on voit ensuite célébrer la messe catholique romaine, il est impossible de trouver entre elles quelque rapport. Cependant, quand on approfondit cette dernière messe, & que l'on en étudie tous les rites, on peut retrouver ce qu'elle a conservé de primitif, & connaître ainsi les nombreuses modifications qu'elle a fait subir aux anciens rites.
Nous sortirions de notre sujet en nous étendant sur les preuves que nous pourrions donner à l'appui des considérations qui précèdent. Aucun homme, tant soit peu instruit, ne peut contester les modifications qui sont indiquées, même par les écrivains liturgistes de l'église catholique romaine. D'un autre côté, il suffit, pour en comprendre l'importance, de rapprocher la messe catholique romaine de l'idée fondamentale de la liturgie. Cette idée a été de représenter la Vie entière & le sacrifice du Sauveur. Or, peut-on voir un tableau exact & expressif de cette Vie & de ce sacrifice dans les rites romains actuels? Dans les anciennes liturgies, tous les détails concourent à exprimer parfaitement & complètement le précepte exprimé par Jésus-Chrit dans ces Paroles : «  Faites ceci en mémoire de moi. »
(p.272).
La liturgie originelle est donc comme un drame mystérieux dans lequel le Christ apparaît dans les grandes circonstances de Sa Vie terrestre, depuis Sa Naissance jusqu'à Son Ascension & Son Règne Eternel à la Droite de Son Père.
La messe catholique romaine, modifiée, taillée, remaniée de mille manières depuis mille ans, exprime-t-elle l'idée fondamentale de la vraie liturgie Orthodoxe universelle? Il suffit de voir célébrer une messe basse par un prêtre assisté d'un enfant de choeur pour répondre négativement.
En parcourant, même à la suite des liturgistes catholiques occidentaux, les variations de l'acte le plus important du culte Chrétien, on ne peut que s'étonner de la rage d'innovations que possède l'église catholique romaine depuis sa séparation de l'Eglise Orthodoxe universelle. Ce qui frappe encore en lisant ces liturgistes, c'est la peine qu'ils se donnent pour expliquer certaines cérémonies, dont on ne comprend pas au premier abord la raison d'être. Les explications qu'ils en donnent appartiennent parfois à la plus haute fantaisie prétendument mystique. S'ils avaient plus approfondi les liturgies Orthodoxes orientales, ils auraient compris que ces cérémonies, qui y existent encore, y apparaissent dans leur vraie signification; & que si elles sont insignifiantes ou à peu près, dans l'église catholique romaine, la raison en est dans le retranchement ou la modification inintelligente des rites que ces cérémonies devaient représenter ou accompagner.
Pour la liturgie, l'église catholique romaine n'a été fidèle que dans la conservation de la langue latine. Or, en cela, elle s'estencore éloignée de l'esprit de l'Eglise Orthodoxe originelle. Les fidèles devant prendre une large part aux rites & aux prières, il s'ensuit que la liturgie doit être célébrée, sinon en langue usuelle, du moins en langue compréhensible pour les fidèles. Aussi, chaque peuple ayant sa langue propre, a-t-il toujours possédé la liturgie dans cette langue. Originellement, il y eut deux langues principales dans l'Eglise : la grecque & la latine. Les Latins célébraient en latin, & les Grecs en grec. Ainsi, dans les colonies grecques du midi de la Gaule, on célébrait encore la liturgie en grec au VI°siècle. A mesure que les peuples dits Barbares embrassèrent le Christianisme, on traduisit pour eux la liturgie & l'Ecriture Sainte. La langue latine, n'étant plus parlée nulle part, aurait dû disparaître de la liturgie. Mais Rome, au lieu d'imiter l'Eglise Orthodoxe originelle, affecte de la contredire. Elle a donc décidé que, dans toutes les église occidentales, on célébrait en latin, quoique les fidèles ne comprennent point cette langue,& que même les prêtres la comprennent peu.
Le Peuple est ainsi isolé du prêtre,& ne peut plus prendre au sacrifice la part qui lui revient.
Chose étonnante! Dans une chose antique que l'église catholique romaine veut absolument conserver sans la modifier, elle s'éloigne autant de l'esprit de l'Eglise Orthodoxe originelle, par cette conservation que par ses innovations. C'est assez dire que l'Esprit de Dieu l'a abandonnée, qu'elle ne posède plus la Grâce, & qu'elle n'est point la Vraie Eglise du Christ.

(p.273).


8.LE MARIAGE.

L'église catholique romaine, s'exprimant par le concile de Trente -( Concil. Trident. Sess.24)-, a déclaré qu'elle ignorait si le prêtre était ou non ministre du sacrement du mariage, & s'il n'était pas seulement témoin nécessaire. Ainsi, lorsque deux fidèles déclarent en présence du prêtre de leur paraoisse, qu'ils se marient, ils sont prétendument mariés légitimement sans la bénédiction du prêtre, &sans cette bénédiction, leur mariage est dit être un sacrement.
A côté de cette étrange doctrine, l'église catholique romaine se montre très sévère contre le mariage civil, en certaines contrées, tandis qu'elle se montre très latge en d'autres pays, où elle ne pourrait agir autrement sans inconvénient.
On peut donc dire qu'elle n'a, au sujet du mariage, que des doctrines de circonstances.
Le sujet, cependant, paraît en lui-même être de la plus grande simplicité.
Le mariage est un contrat naturel; ce contrat est la matière du sacrement, & la bénédiction du prêtre en est la forme. C'est donc par suite de cette bénédiction que le contrat naturel du mariage est élevé à la dignité de sacrement de l'église.
Que ce contrat soit déposé davant l'autorité civile pour obtenir ses effets extérieurs, cette circonstance ne peut absolument avoir aucun effet pour le sacrement; elle ne lui est ni favorable ni contraire.
Que, dans certaines contrées, le mariage bénit par le prêtre obtienne ses effets civils, il n'y a encore là aucun inconvénient, dès que l'autorité civile n'en voit pas.
On comprendrait donc difficilement les déclamations, parfois furibondes, des papes & des évêques contre le mariage civil, & si l'on ne savait qu'ils sont mus par un motif tout autre que celui qu'ils mettent en avant. Ils pensent que ceux qui se marieraient civilement pourraient bien avoir idée de se passer du mariage religieux.
On comprendrait cette suceptibilité dans une Eglise qui aurait conservé la doctrine du sacrement du mariage conféré par le prêtre; mais, dès que l'église catholique romaine ne croit le prêtre nécessaire que comme témoin, le sacrement en lui-même subsiste sans lui. Le contrat naturel entre deux fidèles est sacrement; & c'est le sacrement qu'ils vont faire enregistrer par l'autorité civile.
L'église catholique romaine professe une autre erreur au sujet du mariage. Quoique Jésus-Christ ait enseigné positivement que le mariage est indissoluble, excepté pour cause d'adultère -( Ev. S. Matth.c.XIX,9)-, l'église catholique romaine enseigne que, même en cas d'adultère, le mariage est indissoluble.
Les théologiens catholiques romains ont épuisé toutes les chicanes pour prouver qu'il ne fallait pas entendre les Paroles de Jésus-Christ dans leur sens clair & évident. Mais ces chicanes ne prouvent rien contre ces Divines Paroles.
(p.273).
Le mariage, selon l'Evangile, est l'unité corporelle de deux êtres qui n'en font plus qu'un moralement. L'aduktère rompt cette unité, la détruit. Par conséquent, par suite d el'adultère, l'unité matrimoniale est anéantie.
Donc, dès que l'adultère est juridiquement prouvé, l'autorité ecclésiastique doit prononcer la dissolution du mariage, au profit de la partie innocente; car il est évident que le coupable ne peut bénéficier de sa faute.
Telle est la règle suivie dans l'Eglise Orthodoxe orientale universelle, fidèle à l'esprit & à la lettre de l'Evangile.


9.LA FAUSSE PIETE.


Dans son ouvrage sur le miracle de Lourdes, M. Henri Laserre prétend que la Vierge Sainte est bien apparue à une jeune fille dans la grotte de Lourdes, quoique personne ne l'ait vue, à part la jeune fille extatique. Il en donne pour preuves : les miracles qui s'opèrent journellement, & l'apparition d'une fontaine dans la grotte.
On dit que la Sainte Vierge apparaissant à l'extatique de Lourdes, lui aurait dit : «  Je suis l'Immaculée-Conception. » Mettre dans la bouche de la Vierge Sainte ce mot ridicule, surtout lorsqu'on l'applique à une personne, c'est insulter la Vierge Sainte, & lui faire consacrer une hérésie. Cela seul prouve que, s'il ya eu apparition à l'extatique, cette apparition est démoniaque. M.H. Laserre croit raisonner d'une manière très logique, en donnant certaines guérisons comme autant de miracles à l'appui de l'apparition dont il s'est fait l'apologiste. Nous lui ferons observer que ses guérisons n'offrent pas en leur faveur autant de preuves que celles qui sont contenues dans le livre de Montgéron, sur les miracles du diacre Pâris, & dans les procès-verbaux publiés par les prétendus jansénistes. Il ne veut pas certainement que les miracles des prétendus jansénistes prouvent en faveur de leur thèse? Alors, comment veut-il que ce qu'il rapporte prouve en faveur de la sienne? Acceptons que ses récits sont vrais. Mais ce qu'il appelle miracles, ne sont-ils pas des faits extraordinaires dus à l'influence du démon? Nous ne nous donnerons pas la peine de les discuter; car, pour nous, ils ne peuvent être que faux ou démoniaques, alors qu'ils sont faits en faveur de l'Immaculée-Conception, une hérésie condamnée par la Foy constante de l'Eglise, même de l'église catholique romaine, jusqu'en 1854. Jésus-Christ a averti que des faits merveilleux auraient lieu à l'appui de l'erreur, mais qu'il n'y faudrait pas croire, & que le devoir des fidèles serait de s'en tenir à la Foy reçue. Donc, lorsqu'un ange viendrait du Ciel nous annoncer un nouveau dogme, nous le condamnerions, lui & son dogme, & ses miracles, comme autant d'émanations de l'Enfer. Si M.H. Laserre avait connu ce critère du vrai Chrétien Orthodoxe universel, il se serait dispensé d'écrire son gros volume, qui ne prouve absolument rien, ou plutôt qui prouverait, si les faits relatés par lui sont vrais, que le Démon exerce son pouvoir dans l'église dont il fait partie. Cette action démoniaque prouverait, une fois de plus, que l'Esprit de Dieu s'en est éloigné.


(p.275).


10. LE PURGATOIRE.

L'église catholique romaine professe qu'avant le Jugement Dernier & général, ceux qui Meurent subissent un jugement particulier, d'après lequel ceux qui doivent être punis ou récompensés, sont envoyés en Enfer ou en Paradis pour l'Eternité.
Elle prétend, en outre, que parmi ceux qui sont passés à l'autre Vie, il en est qui n'ont absolument mérité ni la récompense ni la punition éternelles. Elle les place donc dans un lieu intermédiaire qu'elle appelle Purgatoire, où ils souffriraient le tourment du Feu, en expiation de leurs fautes vénielles, jusqu'à ce qu'ils aient entièrement satisfait à la Justice de Dieu. Après cette satisfaction complète, ils entreraient en Paradis.
Les âmes enfermées dans le Purgatoire peuvent recevoir du soulagement des prières & des bonnes oeuvres des vivants; elles peuvent même être délivrées absolument de leurs peines, par l'application d'une indulgence plénière; car le pape se prétend le droit d'accorder DES INDULGENCES plénières quotidiennes à ces pauvres âmes souffrantes, & il pourrait attacher ces indulgences à des oeuvres si faciles des vivants, qu'elles seraient immanquablement gagnées & appliquées.
Le Purgatoire n'existe donc que par la volonté du pape. Ceci est vrai sous un double rapport: d'abord, parce que c'est une invention des papes; ensuite, parce qu'ils pourraient le supprimer, s'ils le voulaient, au moyen de leurs indulgences plénières.
Parmi les théologiens catholiques romains, les plus savants, comme Bossuet, ont réduit le plus possible la doctrine du Purgatoire, de manière à se rapprocher tout près de l'Orthodoxie. Le Concile de Trente leur avait donné l'exemple de ces atténuations. -( Cf: Concil. Trident. Sess.25. Décret de Purgat.; Bossuet : Exposition de la doctrine catholique.-). Ce cocile blâme les superstitions & les fausses doctrines dont le Purgatoire était l'occasion, & réduit ce Purgatoire à un lieu dans lequel les âmes qui y sont détenues peuvent être aidées par les prières & les bonnes oeuvres des fidèles, & surtout par le sacrifice de la messe.
La doctrine du Purgatoire est tout autre dans la pratique de l'église catholique romaine. Pour s'en convaincre, on peut lire les innombrables traités qui sont chaque jour publiés sur ce sujet, avec approbation de l'autorité ecclésiastique. On y verra, à toutes les pages, que les âmes condamnées au Purgatoire, y souffrent dans un feu violent; que ce feu les purifie, & possède une vertu d'expiation. C'est, du reste, l'idée qu'emporte avec lui le nom seul de Purgatoire.
Si le concile de Trente avait ses raisons de réduire autant que possible la doctrine du Purgatoire, à cause des attaques trop justifiées des protestants, les théologiens qui commentèrent officiellement sa doctrine n'observèrent pas les mêmes ménagements.
(p.276).
Nous lisons, en effet, dans le catéchisme catholique romain, dit du concile de Trente ou ad Parochos, -( Cf : Catech. Ad Paroch. P.I. Art.5, § 45.)-, ce qui suit :
«  Par le mot enfer, on entend d'abord le lieu où sont les damnés...On entend, de plus, le feu purgatoire dans lequel les âmes des personnes pieuses souffrent pendant un temps déterminé, en expiation de leurs fautes, afin que l'entrée leur soit ouverte dans l'éternelle patrie où rien de souillé n'entre. »
Les théologiens catholiques romains auteurs du catéchisme catholique prétendent que cette doctrine est appuyée sur l'Ecriture Sainte & la Tradition Apostolique; ce qu'ils ne prouvent pas, &pour cause, car il n'en est fait la moindre mention ni dans les Saintes Ecritures, ni dans les monuments de la Tradition Orthodoxe universelle.
Tout ce que l'on rencontre dans les monuments traditionnels Orthodoxes, c'est que les âmes des défunts peuvent recevoir du secours des Prières & des Oeuvres Bonnes des vivants, & surtout du sacrifice eucharistique; parce que ces Prières, ces Oeuvres Bonnes, ce Sacrifice, incitent en leur faveur la Bonté de Dieu, en vue des mérites du seul Rédempteur Jésus-Christ.
Mais on ne trouve point dans la Tradition que certaines âmes soient dans un feu expiatoire. Or, c'est en cela principalement que consiste la doctrine catholique romaine du Purgatoire.
L'Eglise Orthodoxe originelle n'admettait pas le jugement particulier après la Mort; tous admettaient que le Jugement Dernier général qui aurait lieu à la fin du monde, fixerait définitivement le sort des élus & des réprouvés. Tous les Pères de l'Eglise sont unanimes sur ce sujet.
En conséquence, toutes les êmes des défunts sont dans un état provisoire, jusqu'au Jugement Dernier. Celles des Saints ont un avant-goût du Bonheur dont elles jouiront éternellement; celles des coupables souffrent avant d'être condamnées pour l'Eternité. La parabole du pauvre Lazare & du mauvais riche ne laisse aucun doute à cet égard; mais leur sort ne sera cependant irrévocablement fixé qu'après la sentence de Jésus-Christ au Jugement Dernier. En attendant, des liens de communion existent entre les Vivants & les Morts qui peuvent, comme sur la terre, Prier les uns pour les autres, d'une manière utile.
Pour comprendre la différence qui existe entre la Doctrine Orthodoxe originelle & celle de l'église catholique romaine, il ne sera pas inutile de les réduire l'une & l'autre à quelques propositions fort calires :
La Doctrine de l4eglise Orthodoxe originelle peut être ainsi formulée:
1° Après la Mort, les âmes sont en des états différents selon les Oeuvres Bonnes qu'elles ont faites, ou les fautes qu'elles ont commises;
2° Les mêmes relations de communion existent entre les Vivants & les Morts, qu'entre les Vivants sur la terre;
3° Ils peuvent Prier mutuellement les uns pour les autres; de sorte que les Saints peuvent Prier utilement pour les Vivants, & que les Vivants peuvent Prier utilement pour ceux qui ne seraient pas Morts justifiés.
(p.277).
Le Sacrifice eucharistique peut surtout leur appliquer les mérites de Jésus-Christ.
La croyance de l'église catholique romaine peut être formulée de la manière suivante:
1° Outre le Ciel où sont les saints avec Dieu, & l'enfer où souffrent les damnés, il y a un lieu appelé purgatoire, où sont les âmes de ceux qui n'ont pas mérité la damnation, mais qui avaient des péchés à expier au moment de la Mort;
2° Dans ce lieu, les âmes souffrent de la peine du feu, & leurs souffrances sont expiatoires, les purifient, & les font satisfaire à la Justice divine;
3° Les prières & les bonnes oeuvres des fidèles, & le sacrifice d ela messe peuvent aider les âmes du purgatoire;
4° Le pape peut leur appliquer des indulgences même plénières.
Ce simple rapprochement des deux doctrines suffit pour en faire comprendre la différence.
A l'appui des erreurs de l'église catholique romaine, nous pouvons non seulement nous appuyer sur le catéchisme romain ou du concile de Trente, mais sur un canon du concile de Florence que l'on considère comme oecuménique dans l'église catholique romaine. En effet, ce concile a décrété que les «  âmes de ceux qui sont Morts avant d'avoir satisfait par de dignes fruits de pénitence sont purifiées après la Mort par les peines du purgatoire... »
L'historien autorisé du concile de Trente, le cardinal jésuite Pallavicini, traitant la question du purgatoire, déclare erronée & absurde la doctrine de quelques scolastiques du moyen âge, laquelle se rapprochait beaucoup de celle de l'Eglise Orthodoxe originelle. Il ne se faisait donc pas illusion sur les atténuations du concile de Trente, & il les complétait comme l'a fait le catéchisme de ce même concile.
Par suite de son erreur sur l'état définitif des âmes des Justes & des Réprouvés, aussitôt après la Mort, l'église catholique romaine a admis deux autres erreurs: l'une qui consiste à dire que les justes jouissent de la vision béatifique; la seconde, que le pape peut décréter que telle personne qui a été vertueuse sur la terre est admise dans le Ciel, ce qu'on appelle canonisation.
Le pape Jean XXII, dans une bulle fameuse, lancée ex cathedra & avec solennité, avait décidé, par une réminiscence de la Doctrine Orthodoxe, que la Vision Béatifique n'aurait lieu qu'après le Jugement Dernier, lorsque le sort des justes serait irrévocablement fixé par le décret du Juge Souverain, Jésus-Christ.
Mais ses successeurs ont condamné solennellement & également ex cathedra la doctrine de Jean XXII.
(p.278).
Les infaillibles n'ont pas toujours été d'accord.
Une fois l'erreur de la vision béatifique immédiate adoptée, les papes se sont accordés le droit d'imposer à Dieu des saints, en les canonisant. Le pape s'attribue ainsi une autorité directe sur les justes, comme sur les âmes du purgatoire. Il élève les uns à la vision béatifique par ses canonisations; il délivre les autres par ses indulgences!
Du reste, le pape actuel n'a-t-il pas élevé la Sainte Vierge elle-même en décrétant son Immaculée-Conception? Et les théologiens catholiques romains ne prétendent-ils pas chaque jour que cette décision a été un degré de gloire de plus pour la Sainte Mère de Dieu? Le père Nexman, un théologien autorisé, n'a-t-il pas osé dire que, par ce décret, la Trinité était devenue plus parfaite?
On ne pourrait croire à de telles hérésies, à de telles absurdités, si on ne les imprimait tous les jours avec l'autorisation du pape & des évêques catholiques.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire