dimanche 5 février 2012

GUETTEE. DE LA PAPAUTE. XIII.

GUETTEE.
DE LA PAPAUTE XIII.

LA TRES SAINTE INQUISITION
& AUTRES POLEMIQUES.


(p.279).


I.LA TRES SAINTE INQUISITION ET LES BENEDICTINS.

L'extrait suivant, paru dans l'Union Chrétienne, journal théologique du Père Guettée, en 1870, est une note de lecture de Guettée, composée principalement d'un extrait des Mémoires du R.P. Domdes Pilliers. Nous l'avons introduit ici du fait de son influence sur Dostoïevsky, l'incitant à écrire le récit du Grand Inquisiteur. Voir notre introduction, 3°partie, La postérité de Guettée.
On remarquera aussi que le célèbre liturgiste Dom Guéranger était, comme la plupart des ultramontains, partisan du retour à l'Inquisition (sic).


«  Parmi les institutions du moyen âge, si pompeusement célébrées en récréation par Dom Guéranger, figure en première ligne l'Inquisition qu'il a soin de qualifier toujours de très sainte (sic).
« -Ah! Dit-il avec transport, l'Espagne n'est restée profondément catholique que grâce à ce sacré tribunal! Si la France l'avait fait heureusement fonctionner jusqu'à nos jours, nous n'aurions pas dans notre infortunée patrie deux millions d'hérétiques, tant de millions d'incrédules de toutes dénominations, & enfin nous n'aurions point eu à subir l'exécrable révolution de 89.
«  Avec la très-sainte Inquisition, tous les esprits rebelles ou téméraires rentreraient vite dans le giron de la sainte église; car les justes châtiments infligés aux plus mutins imprimeraient à tout le monde une crainte salutaire. Les hérétiques mêmes fuiraient au loin comme au temps de la révocation de l'Edit de Nantes. La France ne formerait qu'un peuple homogène par l'unité de sa croyance & de ses aspirations,&, comme au moyen âge où elle donnait le mouvement à toute l'Europe, elle redeviendrait le bras droit de l'église, sa fille aînée dont elle tient encore à honneur de porter le glorieux titre.
« -Mais, dit un religieux, de même que vos attaques contre les liturgies gallicanes entachées de jansénisme ont été couronnées de succès, de mêm aussi, mon Révérendissime abbé, si vous composiez un ouvrage dans lequel, montrant la nécessité de la foi catholique pour le salut des fidèles & pour la grandeur même des nations, vous établiriez comme moyen infaillible, mais indispensable, de leur garantir cette foi précieuse, l'institution en France & dans tout l'univers catholique du sacré tribunal de l'Inquisition, il est à présumer que cet ouvrage porterait, comme celui des Inquisitions liturgiques, ses conséquences naturelles, savoir : l'établissement de ce saint tribunal.
(p.280).
« - Oui, lui dit Sa Paternité, si je venais à suivre votre beau conseil, nous pourrions nous attendre à voir prochainement fermer notre abbaye.
«  Pensez donc à tout ce qu'un pareil livre déchaînerait contre nous de fureurs, de violences, & de passions mauvaises!
«  Les protestants, les incrédules, les rationalistes, les gallicans, & tant de catholiques superficiels, qui n'ont du catholicisme que le nom, feraient, dans les journeaux & dans mille brochures, un tel vacarme pour exciter les passions antireligieuses & antisociales, que le gouvernement profiterait de la circonstance pour faire dissoudre, peut-être même par le Saint-Siège, notre Congrégation victime de son zèle à servir les intérêts de l'église & de la société civile elle-même.
« -Par le Saint-Siège, mon Révérendissime?
« -Certainement, Dom N...Le Saint-Siège redoute les embarras, surtout dans un moment où il ne se sent pas le plus fort. Si quelques-uns des siens le servent autrement qu'il ne le juge convenable selon les circonstances, il ne craint point de les qualifier d'imprudents & de compromettants. En conséquence, si la partie adverse lui demande de les sacrifier de par son autorité suprême, le Saint-Siège, pour éviter un conflit nuisible à son influence, transige avec le gouvernement en lui accordant ce qu'il désire, & lui demandant en retour un dédommagement qui, dans une pareille occurrence, lui est toujours gracieusement octroyé.
«  Aujourd'hui que je réfléchis à ce langage, je me demande comment un homme jugeant le Saint-Siège capable de trahir ainsi ses défenseurs & de tirer de cette lâcheté une prime lucrative, peut continuer à le servir & à vouloir lui créer des millions d'adhérents, même par l'Inquisition.
«  Peut-on concevoir ou une perversité plus diabolique, ou une aberration plus monstrueuse?
«  Mais continuons le dialogue.
« -Alors, répliqua le religieux, il faut désespérer de voir rétablir la sainte Inquisition, & les voeux que nous formons sont des voeux superflus?
« - Vous vous trompez, mon cher père; il est d'autres moyens d'arriver à notre but impunément & sans danger.
« -Lesquels, mon Révérendissime abbé?
« -Il faut commencer par détruire le gallicanisme, & c'est à quoi je travaille de tous mes efforts avec nos bons amis, les rédacteurs & collaborateurs de l'Univers.
« Cela fait, nous prêcherons la nécessité du droit canonique romain.
«  La lumière s'étant bien répandue dans le clergé d'abord, ensuite, par son influence, chez les laïcs instruits, on sentira le besoin de mettre d'abord la législation civile, encore athée, avec les saintes lois de l'église reconnue pour directrice suprême de toutes les consciences.
(p.281).
«  De là, vous le comprenez, il n'y aura plus qu'un pas à l'établissement de la sainte-Hermandad, & ce pas sera bientôt fait. On obtiendra facilement, sinon de la piété, au moins de la sage politique du chef d'un pays aussi profondément catholique que le sera devenue la France, l'emploi du moyen que l'expérience de l'Espagne a montré comme seulcapable de maintenir intacte la pureté de la foi.
« Un grand nombre de mes confrères applaudissent de tout leur coeur ce beau langage.


«  Ils s'extasiaient en exprimant leur ferme espoir de l'établissement plus ou moins prochain de la très-sainte Inquisition fonctionnant, dans toutes les nations devenues ultramontaines, pour l'extermination complète, par le feu, des hérétiques de ces pays, & cela, pour la plus grande gloire de Dieu!
« L'un d'eux, même, dont je tiens le nom en réserve, que j'avais cru jusqu'à ce jour beaucoup moins fanatique, transporté tout à coup d'une joie féroce, nous tint ce discours:
« - Oh! Que ne puis-je voir ce beau temps, & être nommé Grand-Inquisiteur! Je pardonnerais volontiers encore à ceux qui se rétractent avec des signes non équivoques de repentir. Mais quelle jouissance j'éprouverais à condamner au feu les relaps opiniâtres ou hypocrites, violateurs sacrilèges de leurs promesses!
«  Mon suprême bonheur serait d'être leur bourreau, de les tourner & retourner de mes propres mains, à l'aide d'un long fourgon, sur le brasier incandescent du bûcher. »
«  Plusieurs rirent aux éclats d'un rire d'allégresse en savourant ces nobles sentiments.
«  Que l'on dise maintenant que le monachisme qui les inspire n'est pas la perfection même du Christianisme, comme les moines cherchent à le persuader aux bonnes âmes!
«  N'y eut-il pas de protestations contre ce langage d'énergumène? Peut-on me demander.
«  Oui, mais une seule; ce fut la mienne.
« -Quels voeux horribles! M'écriai-je. Est-il possible que des sentiments aussi barbares sortent de la bouche d'un moine?
« -Dom des Pilliers, me fut-il répondu, vous nous faites l'air d'avoir de la sympathie pour les hérétiques & de blâmer l'église qui, elle, cette tendre mère! N'a pas craint de les livrer au bras séculier pour les faire brûler.
«  Du reste, si Dieu Lui-même brûle les hérétiques pendant toute l'éternité, l'église peut bien brûler leurs corps ici-bas pour empêcher que l'erreur ne se répande, & ne fasse des millions de victimes des flammes éternelles.
«  Qu'un jour la France, redevenue franchement catholique, établisse les tribunaux de la très-sainte Inquisition, vous seriez alors l'un des premiers que nous ferions brûler si vous ne rétractiez solennellement vos erreurs relatives à la légitimité même de ces sacrés tribunaux.
« -Si vous attendez cette époque, mes chers confrères, je puis longtemps encore vivre en paix.
(p.282).
La France, fort heureusement, n'est pas à la veille d'adopter vos idées.
« - Fort heureusement? me dit le Révérendissime; mais vous exprimez là, mon cher père, un sentiment tout-à-fait hérétique. Pour un prêtre, originaire même d'une province naguère encore espagnole, je vous assure que vous me surprenez étrangement. Mon désir de vous excuser ici devant vos confrères me poret à croire que vous avez voulu faire une plaisanterie, afin de provoquer les réponses si catholiques qu'ils vous ont faites;
« -Dans une matière aussi grave, mon Révérendissime abbé, je ne me permettrais pas de plaisanter; je crois n'exprimer qu'un sentiment Chrétien en blâmant l'Inquisition espagnole comme monstrueuse & contraire aux maximes de l'Evangile.
« -Voyons, Dom des Pilliers, comment établiriez-vous ce paradoxe?
«  -La vérité que je soutiens, mon Révérendissime, je l'établis sur ce qui suit:
« Lorsque les Apôtres demandèrent à Jésus-Christ de faire descendre le Feu du Ciel sur les habitants d'un bourg de Samarie qui avaient refusé de le recevoir, le Christ, au lieu d'y consentir, les réprimanda fortement & leur dit:
« Vous ne savez pas à quel esprit vous êtes appelés; le Fils de l'homme n'est pas venu pour perdre les hommes, mais pour les sauver. » ( Luc, IX, 54,56.)
« -D'abord, mon cher père, il n'est pas question de la foi dans le texte que vous citez.
« D'ailleurs, Jésus-Christ n'avait point encore établi son Eglise; elle ne pouvait donc avoir des droits.
«  De plus, dans les trois premiers siècles, celle-ci n'étant pas en mesure de disposer du bras séculier, qui loin de la soutenir la persécutait à outrance, elle ne pouvait songer à établir des moyens de se maintenir par la force.
«  Mais quand, plus tard, elle fut devenue une société parfaite, elle en acquit naturellement tous les droits. Or, le premier & le plus incontestable, assurément, est celui de se conserver & de se défendre contre les agressions soit intestines soit étrangères; de là l'établissement fort légitime de la très-sainte Inquisition. Qu'avez-vous à dire à l'encontre?
« -J'ai entendu votre raisonnement, mon Révérendissime; voici le mien:
« Si le Christ qui, comme Dieu, est Tout-Puissant, voulait que Son Eglise usât de la force & non simplement de la persuasion, de la prière & de la patience pour se maintenir & se propager, Il eût certainement communiqué cette force matérielle à Ses Apôtres, à Ses Disciples, aux Evêques, aux Prêtres, & aux Chrétiens des trois premiers siècles, qui constituaient aussi bien Son Eglise que peuvent la constituer aujourd'hui le pape, les cardinaux, les huit cents évêques, les trois à quatre cent mille prêtres, & les cent quatre-vingts à deux cents millions d'âmes de la catholicité.
(p.282).
Or, vous voyez les Apôtres & les Disciples de Jésus-Christ, les Evêques & des millions de Chrétiens des trois premiers siècles, manquant totalement de cette force matérielle, triompher néanmoins de tous leurs ennemis du dedans & du dehors, hérétiques & païens, apostats & persécuteurs, non en les envoyant au bûcher, mais en Mourant eux-mêmes, à l'exemple du Mâitre, pour la défense de la Vérité.
«  Cette conduite de l'Eglise Orthodoxe originelle & le triomphe qui en a été le résultat sont donnés même par tous les panégyristes comme une preuve spéciale de son institution divine.
«  Si donc aujourd'hui l'Eglise avait besoin, pour se maintenir, du secours des forces humaines, on pourrait en conclure que la Force Divine l'a délaissée, & qu'elle n'est plus la véritable Epouse du Christ.
« -La belle âme que celle de notre bon Père des Pilliers! Dit en raillant le Révérendissime, qui évita de répondre à mon argument; il se laisserait égorger sans défense par les hérétiques, lors même qu'il aurait en mains le pouvoir de réprimer leur rébellion. Il voudrait ramener l'église à son berceau, & lui rendre ses langes par une fausse compassion pour des pervers que son bras, devenu puissant, est à même de soumettre à son autorité ou de rendre incapables de lui nuire.
« -Pour ramener au giron de l'église les âmes égarées, ne pourrait-on pas, lui dis-je, trouver des moyens plus conformes à l'Esprit du Christ que de rôtir ses semblables?
« -Vous oubliez, Dom des Pilliers, que mettre les méchants dans l'impuissance de pervertir les bons, c'est la meilleure charité à exercer envers ceux-ci, en même temps que l'on fait justice des coupables.
«  Quant au choix des châtiments, il est avantageux d'employer les plus terribles comme étant les plus efficaces pour arrêter l'audace des mécréants révoltés contre Jésus-Christ & son église.
«  D'ailleurs, voici un raisonnement péremptoire: l'Inquisition est l'oeuvre d el'église; or tout ce que fait l'église est conforme à l'esprit du Christ, parce qu'elle est son épouse infaillible: donc l'Inquisition est justement appelée très-sainte, & doit être considérée comme telle par quiconque se croit & se dit l'enfant de l'église. Répondez à ce syllogisme, mon cher père Dom des Pilliers.
« -Cela ne me paraît point fort difficile, mon Révérendissime abbé.
« D'abord, je ne puis accepter votre majeure; car, loin d'admettre que l'Inquisition soit l'oeuvre de l'église, bon nombre d'ouvrages, sortis de la plume d'ecclésiastiques & de religieux, rejettent sur les gouvernements civils tout l'odieux des bûchers de l'Inquisition pour en disculper absolument la sainte épouse du Christ.
« -C'est vrai, répliqua Dom Guéranger; mais ces auteurs n'en usent ainsi que pour atténuer l'impression défavorable que ce nom d'Inquisition, devenu odieux à tant de soi-disant catholiques, produit sur ces âmes faibles qu'il est bon de ménager dans leur propre intérêt; car, vu leurs dispositions du moment, elles seraient exposées à rompre avec l'église, si on la leur montrait responsable du supplice des criminels livrés pae elle au bras séculier. Ces auteurs, mon cher père, suivant le principe que : »toute vérité n'est pas bonne à dire », cachent cette dernière dans d'excellentes intentions; mais, entre nous, aucun motif ne s'oppose à ce que nous nous la disions à nous-mêmes, c'est-à-dire les uns aux autres. De la sorte, nous nous animons réciproquement à aimer d'une affection filiale & respectueuse toutes les institutions de notre mère la sainte église.
«  Quand les esprits seront moins prévenus, & que la simplicité de la foi catholique animera tous les enfants de l'église, alors ce sera le temps d'affirmer bien haut que la très-sainte Inquisition est parfaitement son oeuvre.
« -Dès lors, mon Révérendissime, ces auteurs trompent le public en disculpant l'église d'une responsabilité qui lui incombe, & la Congrégation de l'Index devrait censurer de pareils livres.
« -L'église ne met à l'Index que les ouvrages qui tendent à lui nuire; ces derniers, au contraire, lui étant favorables, comment voulez-vous qu'elle les censure? Peut-elle se détruire de ses propres mains?
« -Mais il me semble que l'église, avant tout, doit défendre la vérité dont elle se dit l'infaillible dépositaire, mon Révérendissime.
« - Mon cher père Dom des piliers, vous devenez bien raisonneur aujourd'hui, tandis que vous devez vous soumettre à l'église en vous fondant sur ce principe catholique: l'église agit de telle manière; donc, c'est bien; donc c'est conforme à l'esprit du Christ; donc la très-sainte Inquisition est excellente.
« -Si vous n'aimez pas m'entendre raisonner, je consens volontiers à me taire, mon Révérendissime. Toutefois, je garde les sentiments que je viens d'émettre, tant que je ne verrai pas l'église prendre ouvertement sous sa responsabilité la sainte-Hernandad avec tout son cortège de tortures. Jusque-là, je ne pourrai croire que l'Inquisition soit l'oeuvre de l'épouse du Christ.
«  Ainsi se termina la discussion.
«  Maintenat, je pourrais dire de moi-même comment ce tribunal, proclamé saint, était organisé, & de quelle manière il fonctionnait. Mais je préfère citer ici l'article d'un prêtre, docteur en théologie, l'abbé Moréri, tel qu'il se trouve dans son grand dictionnaire, au titre : «  Inquisition espagnole. Le voici in extenso:
« L'Inquisition connaît des crimes d'hérésie, de judaïsme, de mahométisme, de sodomie, de sortilège, & de polygamie. La coutume est que le roi d'Espagne nomme au pape un inquisiteur général pour tous les royaumes, & Sa Sainteté le pape le confirme. Cet inquisiteur général nomme ensuite les inquisiteurs particuliers de chaque lieu, qui ne peuvent pourtant exercer leurs charges avant que d'avoir eu le consentement & l'agrément du roi. Le roi, de plus, met un conseil au sénat pour cette matière, dans le lieu où est le souverain inquisiteur ou président, & le conseil a une juridiction souveraine sur toutes les affaires qui regardent l'Inquisition. Les seigneurs les plus considérables se font officiers de l'Inquisition sous le nom de « familiers ». Leur fonction est de faire la capture des accusés. Le respect extrême qu'on porte aux familiers, & la terreur que cette juridiction jette dans les esprits autorise si fort les emprisonnements, qu'un accusé se laisse emmener sans oser rien dire, dès qu'un familier lui a prononcé ces paroles : «  De la part de la sainte Inquisition ».
(p.285).
Aucun voisin n'ose murmurer; le père même livre ses enfants, & le mari sa femme, & s'il arrivait quelque révolte, on mettrait en la place du criminel tous ceux qui auraient refusé de donner main-forte pour empêcher son évasion. On met les prisonniers un à un, ou deux à deux, dans de petites cellules, d'où on les tire les jours de conseil, pour être interrogés à la manière de ce tribunal, où on ne leur dit pas de quoi ils sont accusés, mais on se contente de leur demander de quoi ils se sentent coupables.
«  D'abord, tous les parents du criminel s'habillent en deuil, & en parlent comme d'un homme Mort. Ils n'osent solliciter pour sa grâce, ni même s'approcher de la prison, tant ils craignent d'être suspects & enveloppés dans le même malheur, au point que les parents se réfugient quelquefois dans les pays étrangers: car chacun craint d'être pris pour complice. Quand il n'y a point de preuves contre l'accusé, on le renvoie après une longue prison; mais il perd toujours la meilleure partie de son bien, qui se consume pour fournir aux frais de l'Inquisition.
« Le secret de toute la procédure est gardé si étroitement qu'on ne sait jamais le jour destiné à prononcer leur sentence. Ce jugement se rend, pour tous les accusés, une fois l'année, en un jour choisi par les inquisiteurs. L'arrêt qu'on y donne s'appelle un auto-da-fé, c'est-à-dire un arrêt de foi, & il est aussitôt suivi de l'exécution des coupables.
« On rend cet arrêt en public avec des solennités extraordinaires.
« On élève un théâtre de charpentes qui occupe presque toute la place publique, & qui peut tenir jusqu'à trois mille personnes. On y dresse un autel richement paré, &, à côté, on élève des rangs de sièges en façon d'amphithéâtre, pour faire asseoir les familiers & les accusés.
«  Vis-à-vis est une chaire fort haute, où un des inquisiteurs appelle chaque accusé l'un après l'autre, pour écouter la lecture des crimes dont on l'accuse, & l'arrêt de condamnation qu'on lui prononce.
«  Les prisonniers qui sortent de la prison pour venir sur le théâtre jugent de leurs destinées par les différents habits qu'on leur a donnés.
«  Ceux qui ont un san-benito, qui est une manière de justaucorps sans manche, chargé d'une croix rouge de Saint André cousue dessus, sont assurés de la vie; mais ils perdent leurs biens, qui sont confisqu és au profit de la chambre royale, & pour payer les frais de l'Inquisition.
« Ceux à qui l'on fait porter sur le san-benito quantité de flammes de serge rouge, cousues dessus sans aucune croix, sont convaincus d'être relaps, & d'avoir eu déjà une fois leur grâce, & sont menacés d'être brûlés en cas de rechute.
« Mais ceux qui, outre les flammes représentées sur leur san-benito, y portent leur propre tableau environné de figures de diables, sont destinés à la Mort.
«  Les inquisiteurs étant ecclésiastiques ne prononcent point l'arre^t de Mort; ils dressent seulement un acte qu'ils lisent à l'accusé, où ils marquent que, le coupable ayant été convaincu de crimes, la sainte Inquisition le livre avec douleur au bras séculier. Cet acte est mis entre les mains de sept juges qui sont au côté gauche de l'autel, lesquels condamnent les criminels à être brûlés, après avoir été étranglés, si ce n'est qu'ils soient juifs, car en ce cas on les brûle tout vifs.
(p.286).
«  On dresse des fagots avec un poteau au milieu, où le criminel, étant assis, est étranglé par l'exécuteur, puis brûlé.
«  La Confrérie de la Miséricorde est présente à ce spectacle, où elle vient avec une bannière, suivie de plusieurs prêtres, qui conduisent le criminel au lieu patibulaire, & font des prières pour lui. »
«  Voilà ce que j'avais à citer de l'abbé Moréri sur l'Inquisition espagnole.
«  Et telle est l'admirable institution du moyen âge dont l'abbé & les moines de Solesmes s'efforcent de préparer l'établissement dans notre chère patrie!
«  C'est là le but ultérieur des travaux de Dom Guéranger & de la direction qu'il imprime à sa Congrégation, ainsi qu'aux évêques s'inspirant de ses conseils & de son esprit.
«  Qu'on laisse agir les moines catholiques dans l'ombre, & se développer à leur aise par les moyens habituels dont ils usent, & les gouvernements devront plus tard compter avec eux comme un pouvoir d'autant plus formidable qu'elle sera plus occulte & plus mystérieuse.


2.La papauté & les juifs.


Le concile de Latran de 1215, présidé par le pape, & regardé comme oecuménique par l'église catholique romaine, décida que les Juifs devraient porter sur leur habit une marque particulière qui les ferait distinguer des Chrétiens. Dans quel but fit-on un tel décret? Etait-ce pour faire des juifs un objet de respect, ou de répulsion?
Etait-ce dans un esprit de tolérance que le pape Grégoire IX écrivait à tous les évêques des contrées européennes: » Nous vous ordonnons que le premier samedi du car$eme prochain, lorsque les juifs seront assemblés dans leurs synagogues, vous fassiez prendre tous leurs livres, en vertu de notre autorité, chacun dans votre province, que vous les fassiez garder soigneusement chez les Frères Prêcheurs ou Mineurs, en implorant, s'il est nécessaire, le bras séculier. »
Le pape Alexandre II a loué les évêques d'Espagne d'avoir pris la défense des juifs contre ceux qui les massacraient; mais puisque l'évêque jésuite de Smyrne a lu sa lettre avec tant de transport, pourquoi ne l'a-t-il pas citée? On y aurait alors lu ce passage : «  Dieu les a conservés (les juifs) par Sa miséricorde, pour vivre dispersés par toute la terre, après avoir perdu leur patrie & leur liberté en punition du crime de leurs pères. »
C'était donc à titre d'exécuteur de la condamnation providentielle portée contre les juifs que la papauté voulait la conservation des juifs. Cette idée était celle de tous ceux qui prenaient la défense de cette malheureuse nation. Ecoutons Saint Bernard cité par l'évêque jésuite de Smyrne :
(p.286)
« Les Juifs, dit-il, (Epist.36), sont les plus grands ennemis des Chrétiens; ils sont pires que les Sarrasins; toutefois, il ne faut pas les faire Mourir, mais les réserver à un plus grand supplice, celui d'être toujours esclaves, fugitifs, & sous l'étreinte de la frayeur. » En conséquence, saint Bernard demande au roi de France de les punir dans ce qu'ils ont de plus cher, c'est-à-dire dans leur argent. L'abbé de Cluny, pénétré de sentiments identiques, priait le même roi de prélever sur les juifs l'argent nécessaire pour faire la guerre aux Sarrasins.
Telle fut, de tou Temps, la politique du clergé catholique romain à l'égard des juifs : les laisser vivre, mais les tenir dans l'esclavage, sans droits politiques ni civils; leur fixer des quartiers particuliers dans les villes, & les marquer d'infamie.
Ils sont encore en cet état à Rome, malgré les phrases pompeuses de l'évêque jésuite de Smyrne sur les actes du pape régnant.
L'Eglise Orthodoxe orientale, qui ne s'occupe pas de politique, n'a jamais enseigné, touchant les juifs, de semblables théories; elle n'a pas plus approuvé les massacres dont ils ont été victimes, que le système d'humiliation & d'esclavage suivi de tout temps, & encore aujourd'hui par la papauté. Elle a cherché au contraire à inspirer à ses fidèles, à l'égard des juifs comme de tous ceux hostiles au Christianisme, des sentiments de tolérance & de charité chrétienne...


Revue du mois


Paris, 3/15 juin 1870


Eglise Orthodoxe.- Les journaux grecs publient une lettre adressée, par Sa Sainteté le Patriarche de Constantinople, aux Chrétiens Orthodoxes de son diocèse, contre les préjugés que des chrétiens nourrissent depuis longtemps au sujet des juifs. Voici cette lettre:
«  Le préjugé est une chose terrible! Malheureusement, chez presque tous les peuples d'Orient, a prédominé l'idée extravagante que les juifs boivent du sang humain, & surtout chrétien, soit comme une boisson sanctifiante, soit à cause de leur ancienne haine contre les chrétiens. De là arrivent quelquefois des soupçons & des outrages qui troublent l'harmonie sociale & la sympathie que les habitants d'une même patrie & les sujets d'un même état doivent conserver les uns à l'agard des autres. Dernièrement encore, on répandait le bruit que plusieurs enfants avaient été enlevés, ce qui raviva les haines & les accusations. Quant à nous, nous rejetons ce bruit comme invraisemblable, & nous le considérons comme un préjugé d'hommes simples & crédules; c'est pourquoi nous le condamnons officiellement. En même temps, nous engageons tout vrai Chrétien à juger avec plus de douceur nos concitoyens israélites; à penser que la loi de Moïse, leur développement social, & leur civilisation actuelle ne justifient point les préjugés entretenus contre eux; à prendre en considération : d'un côté, la dignité humaine, l'image divine, & l'antiquité historique des Israélites;
(p.288)
de l'autre, l'incomparable beauté morale & la grandeur de la perfection évangélique de notre céleste Maître & Sauveur Jésus-Christ, qui a défendu, sous peine de la géhenne, les simples mots de Raca & de fou; qui nous recommande l'amour & la charité, même envers nos ennemis; qui a donné cet ordre exprès: » Que votre lumière ( c'est-à-dire la lumière de vos oeuvres) luise tellemnt devant les hommes qu'ils voient vos eouvres & qu'ils glorifient votre Père qui est dans les Cieux. » -(Matth. V, 16).
«  Donné au Patriarcat, le 18 février ( 1er mars) 1870. »
Le Peuple Orthodoxe se montre animé des mêmes sentiments de douceur & de tolérance que Sa Sainteté le Patriarche. A peu près à la même époque où était publiée la communication du Patriarche Grégoire, les Orthodoxes de Corfou élisaient membres du conseil municipal trois Israélites, hommes d'une réputation connue, & d'une capacité distinguée.
A propos de cette élection & de la lettre patriarcale, la Revue Orthodoxe d'Athènes s'exprime ainsi au sujet de la tolérance:
«  La tolérance est une vertu Chrétienne; elle serait erronée seulement si son motif était l'indifférence à l'égard des diverses religions; cette dernière tolérance équivaudrait au scepticisme. Mais elle est une vertu Chrétienne quand, en croyant fermement à la vérité de la religion Chrétienne, on ne veut pas cependant imposer cette religion aux autres d'une manière violente; quand on cherche à persuader de sa vérité seulement par la parole, & qu'on laisse les autres libres de la recevoir ou non. C'est ce qu'enseigne s. Lactantius (Lactance) : La religion ne peut être imposée de force; & il faut y conduire par le verbe plutôt que par les verges, afin de la faire accepter par la volonté; il n'y a rien de plus libre que la religion, & nous ne souhaitons pas nous-mêmes voir qui que ce soit adorer de force, bon gré, mal gré, notre Dieu, qui est celui de tous les hommes, pas plus que nous n'avons de colère si quelqu'un ne l'adore pas. ( Institutiones, V. 19,20). Nous comprenons ainsi la tolérance chrétienne envers les hérétiques; cette tolérance est une conséquence immédiate du commandement évangélique de l'amour envers tous, même envers nos ennemis...Si nous passons d'Orient en Occident, nous voyons à Rome 156 membres du concile qui soumettent un projet concernant les juifs, dont l'état religieux paraît occuper lesdits pères; après leur avoir fait subir de si nombreuses persécutions & injustices, le catholicisme songe à le sappeler au giron de l'église catholique romaine. Mais les vénérables pères auraient dû savoir qu'une telle invitation pourrait être adressée aux juifs plutôt de la part de toute autre église que de l'église catholique romaine. Non seulement pendant le moyen âge les juifs trouvèrent dans l'église catholique latine un ennemi implacable, mais encore jusqu'à nos jours, au sein de la ville éternelle qu'est Rome, ils ne peuvent jouir de droits communs. Les 156 pères semblent ignorer volontairement l'histoire de la nation israélite, comme aussi celle de leur conversion au Christianisme.
(p.289).
Les persécutions & les invitations solennelles ne réussiront jamais à convertir les juifs au Christianisme; c'est la Parole de l'Evangile & la vie sainte des Saints Chrétiens qui peuvent seuls convaincre les Israélites comme tout autre hérétique, & leur faire embrasser le Christianisme. »


3.LES INDULGENCES.

Dans le principe, l'église catholique romaine accordait à des pécheurs condamnés aux pénitences publiques, des adoucissements, soit à cause de leurs bonnes dispositions exceptionnelles, soit sur les instances des martyrs qui intercédaient pour les pécheurs, & dont l'intercession était agréée par l'église catholique romaine.
Le mot indulgence n'eut d'abord que ce sens d'adoucissement aux pénitences canoniques. Mais, peu à peu, l'église catholique romaine en a dénaturé le caractère, de sorte qu'aujourd'hui le mot indulgence a un sens complètement différent. IL signifie l'application faite à un individu des mérites de Jésus-Christ, de la Sainte Vierge, & des Saints. Ces mérites formeraient, par leur surabondance, un trésor qui serait à la disposition du pape, & duquel il pourrait tirer des mérites qu'il appliquerait, selon sa volonté, à d'autres qu'à ceux qui les ont eus, lesquels accompliraient certaines conditions déterminées.
Le pouvoir du pape, dans la dispensation du trésor des mérites surabondants serait si grand, qu'il pourrait les appliquer non seulement aux pécheurs vivants, mais aux pécheurs Morts qui seraient condamnés à expier leurs péchés dans un lieu appelé Purgatoire. -( Cf: Concil. Trident. Sess.26, Decret. De Indulg.)-.
Nous avons déjà examiné la doctrine erronée du Purgatoire. Nous nous contentons ici d'enregistrer la prétention du pape d'étendre son pouvoir jusque dans l'autre monde.
La doctrine des indulgences repose sur une fausse notion des mérites de la Sainte Vierge & des Saints que l'on place pêle-mêle, dans un même trésor avec ceux de jésus-Christ. Cette erreur est contarire à la sainte doctrine de la Rédemption & de la Justification, par Jésus-Christ, seul médiateur entre Dieu & l'humanité coupable. Personne n'a devant Dieu de mérite personnel, sinon en jésus-Christ & par Jésus-Christ. Les mérites de la Sainte Vierge & des Saints n'ont de valeur que par Jésus-Christ; alors comment peut-on les dire surabondants, & les mettre, dans un prétendu trésor, à côté de ceux de Jésus-Christ dont ils seraient distincts, dont ils formeraient comme un supplément? Si la Vierge Sainte & les saints ont des mérites surabondants, ils ont donc été plus que saints, plus que justifiés devant Dieu?
Il n'y a aucune proportion entre les oeuvres auxquelles on attache des indulgences, & ces faveurs spirituelles. Pour établir ce point, nous n'avons pas besoin de citer une foule d'indulgences fort singulières, pour ne pas dire ridicules, dont les divers traités d'indulgences sont remplis.
(p.290).
Il nous suffira de citer celles-ci, reconnues comme authentiques dans toute l'église catholique romaine, & par les théologiens les plus sérieux:
1° Qautre cents jours pour tous ceux qui, s'étant confessés, assistent à la grand'messe le jour de la fête du très-saint Sacrement; autant pour ceux qui assistent aux mâtines ou aux vêpres du même jour; cent soixante pour ceux qui assistent à l'une des petites heures, & la moitié de tout cela pour ceux qui assistent à la messe ou à mâtines, etc...,pendant l'octave. Sixte Iv a accordé les mêmes indulgences à ceux qui assistent aux mêmes offices le jour & pendant l'ocatve de l'Immaculée-Conception, & Clément VIII à ceux qui assistent à l'office du Saint nom de Jésus.
2° Sixte IV a accordé trois cents jours d'indulgences à ceux qui récitent dévotement les litanies du Saint nom de Jésus, & deux cents à ceux qui récitent celles de la Sainte Vierge.
3° Sept années sept fois quarante jours d'indulgences à ceux qui portent un cierge ou un flambeau lorsqu'on porte le saint Viatique aux malades. Trois années & trois quarantaines à ceux qui le font porter, ne pouvant le porter eux-mêmes. Cinq années & cinq quarantaines à ceux qui accompagnent le saint Viatique sans porter de lumière. -( Innocent XII, par un indult du 5 janvier 1695.)
4° Indulgence plénière à tous ceux qui, étant confessés, contrits, & communiés, assistent aux prières des quarante heures. -( Grégoire XIII par son indult du 5 avril 1580.)
5° Indulgence plénière une fois le mois, le jour que l'on choisira à son gré, à tous ceux qui, étant confessés, contrits & communiés, réciteront ce jour-là, à genoux, l'Angelus Domini, le matin, à midi, & le soir, au son de la cloche, & cent jours d'indulgence chaque fois qu'on le récitera de même les autres jours. ( Benoît XIII, par son indult du 14 septembre 1724.) Le même pape, par ses lettres in forma brevis du 5 septembre 1727, a étendu la même indulgence aux religieux qui, étant occupés à quelques exercices réguliers pendant qu'on sonne l'Angelus, le réciteraient à genoux dans un autre temps. Benoît XIV a confirmé la même indulgence le 20 avril 1742, & a ajouté qu'on la gagnerait en récitant le Regina caeli -(Reine du Ciel)- au temps de Pâques, avec le verset & l'oraison Deus, qui per resurrectionem, etc., pour ceux qui le savent, en sorte néanmoins que ceux qui ne savent ni le Regina ni cette oraison gagneront également cette indulgence en récitant l'Angelus. On gagnera aussi l'indulgence, sans dire à genoux soit le Regina caeli, soit l'Angelus, pendant le temps pascal & tous les dimanches de l'année, partout où ce n'est pas la coutume de réciter ces prières à genoux.
6° Indulgence de cent jours à ceux qui se salueront l'un en disant Laudetur Christus, ou loué soit Jésus-Christ, l'autre répondant In saecula, dans tous les siècles, ou amen, ainsi soit-il, ou semper, toukours. Même indulgence pour les prédicateurs ou pour les autres fidèles qui tâcheront d'introduire cette manière de saluer. De plus, indulgence plénière à l'article de la Mort pour ceux qui, s'étant servis à l'ordinaire de cette façon de se saluer pendant leur vie, invoqueront au moins de coeur, s'ils ne le peuvent de bouche, les noms de Jésus & de Marie. -( Par indult de Sixte V, renouvelé par Benoît XIII le 22 janvier 1728).
(p.291).
Les ordres religieux ont leurs indulgences particulières.
Les indulgences se divisent: en locales, réelles, & personnelles. L'indulgence locale est attachée à nun certain lieu, comme chapelle, église, etc...On la gagne en visitant ce lieu, & en observant toutes les conditions marquées par la bulle; en sorte que si la bulle ordonne d'entrer réellement dans l'église ou d'y faire quelque exercice qui exige réellement cette entrée, comme d'y communier, d'y visiter cinq autels, etc., on ne gagnera point l'indulgence sans y entrer réellement, quoiqu'on en soit empêché ou par la violence ou par la multitude; au lieu que si la bulle exige seulement de visiter l'église & d'y prier, on gagnera l'indulgence en priant à la porte de l'église dans laquelle on ne pourra entrer, parce que l'on sera censé pour lors l'avoir visitée & y avoir prié moralement parlant. Lorsqu'une église à laquelle est attachée une indulgence tombe en ruine par partie, & se réédifie de même, l'indulgence subsiste, parce que l'église subsiste elle-même. Mais si l'église tombe entièrement & n'est point rétablie, l'indulgence cesse. Que si l'on rétablit l'église dans le même lieu ou dans un autre, il est plus sûr de demander de nouvelles indulgences, quoiqu'il soit probable que les anciennes subsistent dans le premier cas & même dans le second, lorsqu'elles sont accordées en vue du patron d'un tel endroit, ou à l'église qu'une communauté y possède.
L'indulgence réelle est celle qui est attachée à certaines choses mobiles & passagères, comme rosaires, grains bénits, médailles, & accordée aux fidèles qui portent ces choses avec dévotion. Lorsque ces choses sont changées, de façon qu'elles cessent d'être les mêmes, selon k'estimation commune des hommes, l'indulgence cesse; mais si les choses subsistent & sont censées les mêmes, malgré le changement qui leur est arrivé, l'indulgence subsiste. Tel serait le changement d'un rosaire auquel on aurait mis un cordon nouveau, ou quelques grains en moindre nombre que ceux qui subsistent.
L'indulgence personnelle est celle qu'on accorde immédiatement à quelques personnes en particulier, ou en commun aux personnes, par exemple, d'une certaine confrérie. Ces personnes peuvent gagner ces sortes d'indulgences en quelque lieu que ce soit, ou saines, ou malades, ou mourantes.
Nous n'entrerons pas dans des détails plus circonstanciés sur les indulgences. Ceux qui voudront en savoir davantage pourront lire, s'ils en ont le courage, des traités spéciaux. Les plus doctes sont ceux du père Wolf, plus connu comme théologien sous son nom latinisé de Lupus; ainsi que ceux des pères Théodore du Saint-Esprit, & Honoré de Sainte-Marie.
Ce que nous avons dit suffit pour établir notre thèse, c'est-à-dire que les indulgences sont des faveurs tout-à-fait disproportionnées avec les oeuvres prescrites pour les mériter.
Pour légitimer les indulgences, les théologiens de l'église catholique romaine confondent les indulgences modernes de cette église avec celles que l'Eglise Orthodoxe originelle accordait aux pécheurs repentants, lesquels, par leurs excellentes dispositions, méritaient qu'on leur remît une partie des pénitences publiques fixées par les canons. Il est bien évident que l'Eglise qui a établi ces pénitences, qui en a déterminé la nature & la durée, peut modifier sa législation, dans certaines circonstances de lieu, de temps, de personnes.
(p.292).
Mais lorsque l'église catholique romaine a laissé tomber en désuétide, non seulement les pénitences canoniques, mais les pénitences générales, recommandées à tous les Chrétiens, comme les jeûnes de carêmes & les abstinences, peut-on soutenir que ses indulgences soient des actes de même nature que ceux de l'Eglise Orthodoxe originelle, abrégeant pour certaines personnes la durée des pénitences publiques?
Les théologiens de l'église catholique romaine raisonnent donc fort mal lorsqu'ils ont recours à ces actes de l'Eglise Orthodoxe originelle pour légitimer les indulgences modernes.
Pour trouver l'origine de ces indulgences catholiques romaines, il faut remonter à la fin du neuvième siècle. -( Cf: Juenin. Dissert. De Indulgent. c.2; Morin. De Paenit.)-. Une disposition du concile de Tribur, près de Mayence, tenu en 895, est le premier document que l'on puisse citer à l'appui de la faculté de se rattacher, MOYENNANT UNE CERTAINE SOMME D'ARGENT, des pénitences canoniques. Dès qu'il fut permis d'échapper à ces pénitences EN PAYANT, ces pénitences furent bientôt abolies, & les canonistes occidentaux, comme Réginon & Pierre de Poitiers, ne s'appliquèrent plus qu'à DETERMINER LA SOMME qui pouvait compenser telle ou telle pénitence.
Tel était l'état de la question à la fin du dixième siècle. On avait eu soin de multiplier les années de pénitence en théorie, pendant qu'on les abolissait en oratique; de sorte que les canonistes indiquaient gravement quelles prières il fallait réciter, COMBIEN D'ARGENT IL FALLAIT VERSER, combien de coups il fallait s'administrer, pour compenser cinquante, cent ou mille années de pénitences canoniques. Dès qu'on pouvait facielemnt se racheter de si longues pénitences, on en déduisait naturellement que l'on pouvait faire beaucoup de péchés. Mais comment concilier de si longues pénitences avec les limites de la vie humaine? On ne le pouvait, mais on imagina que les pénitences qui n'étaient pas accomplies en ce monde devaient l'être dans l'autre, & que, dès cette vie, on pouvait se racheter pour la vie future. C'est de là qu'est sortie la doctrine du Purgatoire & des indulgences applicables aux âmes qui souffriraient en ce lieu.
A uonzième siècle, on inventa l'indulgence plénière, c'est-à-dire la remise totale de toutes les pénitences que l'on serait obligé de faire soit en cette vie soit en l'autre. On eut recours à ce moyen pour exciter le zèle pour les croisades. Au concile de Clermont, en 1096, où fut proclamée la première croisade, le pape Urbain II, d'accord avec les évêques présents, décida que « le voyage à Jérusalem pour la délivrance de cette Eglise tiendrait lieu de toute pénitence. »
En 1122, au premier concile de Latran, le pape Calliste II confirma l'indulgence plénière d'Urbain II, & l'étendit à ceux qui iraient combattre les Musulmans en Espagne. En 1145, le pape Eugène III la confirma de nouveau, & en 1195, Clément III en fit autant.
Selon Bernard de Clairvaux -( in Bernard. Serm. Ad milit. Templ.c.5.)-, les scélérats & les impies, les ravisseurs, les sacrilèges, les homicides, les parjures, les adultères, s'engagèrent pour un an, comme croisés, & débarrassèrent les lieux témoins de leurs crimes.
(p.293).
Cependant, des hommes pieux voulurent aussi en profiter, selon le même écrivain -( Ibidem. Epist. 246)-. D'après la population qui formait la majorité dans les croisades, on ne peut s'étonner des crimes & des atrocités qui furent commis pendant ces expéditions.
Le zèle pour l'indulgence des croisades se refroidissant, le pape Boniface VIII annonça avec beaucoup d'éclat une indulgence plénière pour tous ceux qui visiteraient Rome la première année du XIV°siècle. L'an 1300 fut indiqué comme une année sainte, & on lui donna le nom de Jubilé, en réminiscence du Jubilé de l'Ancienne Alliance. Une foule innombrable de pèlerins se rendirent à Rome, & y apportèrent beaucoup d'argent. La cour papale prit goût à des démonstrations aussi utiles à ses intérêts. Clément VI, élu pape en 1342, décida qu'un Jubilé avec indulgence plénière aurait lieu à chaque demi-siècle. Le pape Grégoire XI qui Mourut en 1378, publia une bulle pour instituer un Jubilé à chaque tiers de siècle. Cette bulle ne fut pas observée par ses successeurs, jusqu'à Paul II, à la fin du XV°siècle. Ce pape décida qu'un Jubilé aurait lieu à chaque quart de siècle, & c'est la règle qui a été suivie depuis.
Les évêques s'attribuaient d'abord le droit de distribuer des indulgences, ce qui portait préjudice aux intérêts de Rome. Innocent III voulut remédier à cet inconvénient. C'est pourquoi, dans le quatrième concile de Latran, en 1215, il se plaignit des indulgences épiscopales qui énervaient la discipline. Celles de Rome l'affermissaient-elles. Le concile réduisit le droit des évêques à une indulgence d'un an, qui pourrait être accordée à l'occasion de la consécration d'une basilique, & une de quarante jours à l'occasion de l'anniversaire de cette consécration.
Les évêques cherchaient, au moyen des indulgences, à attirer le plus de pèlerins possibles dans leurs diocèses, surtout lorsqu'on avait besoin d'argent pour bâtir ou décorer des églises.
Le décret du quatrième concile de Latran passa dans le corps du droit canonique occidental.
Le pape Sixte IV (1471) paraît être le premier qui ait appliqué les indulgences aux âmes des défunts; Léon X condamna une proposition dans laquelle Luther affirmait que les indulgences n'étaient pas utiles aux Morts.
Quant au trésor des mérites de Jésus-Christ, de la Sainte Vierge, & des saints, qui serait confié au pape, on en trouve la première mention nettement exprimée dans l'extravagante Unigenitus du pape Clément VI (1342).
Ces notes historiques sur les indulgences disent assez à quel abus on se laissa entraîner dans toutes les églises occidentales. Nous pourrions faire le tableau de ces abus: mais notre thèse n'en serait pas mieux démontrée. Pour tout homme instruit & impartial, il reste constaté que les indulgences en usage dans l'église catholique romaine ne sont point analogues à celles dont l'Eglise Orthodoxe originelle usait à l'égard des pénitents qui avaient accompli avec édification, & des dispositions exceptionnelles, une partie des pénitnces publiques qui leur avaient été imposées.
(p.294).
Il est également démontré que les indulgences catholiques romaines sont une atteinte grave portée à la doctrine catholique de la satisfaction, & à la discipline de l'église catholique romaine. -( Outre Juénin & Morin que nous avons cités plus haut, & les uatres théologiens que nous avons mentionnés, on peut consulter le père Perrone, Tract. De Indulgent., pour s'assurer que nous avons exposé exactement la doctrine catholique romaine)-.
L'église catholique romaine a erré sur la doctrine de la pénitence, non seulement par ses indulgences, mais encore par les dispenses dont elle fait le plus étrange abus.
Non seulement l'église catholique romaine prodigue ses indulgences pour remplacer les oeuvres satisfactoires, mais elle prodigue aussi les dispenses au moyen desquelles, avec de l'argent, on peut se soustraire à toutes les obligations.
L'église catholique romaine possède des dispenses pour toutes ses lois. Elle dispense des voeux; ds irrégularités pour les ordres; des empêchements de mariage; des censures; des crimes secrets; du célibat; des abstinences & des jeûnes du carême & autres jours de pénitence; des serments; de la récitation du bréviaiez, c'est-à-dire de l'office quotidien imposé au clergé; en fin de toutes les lois, quelle qu'en soit la nature; seulement pour les lois divines, on n'en dispense qu'indirectement, & les casuistes ont exercé leur art sur ce point comme sur tant d'autres. Les évêques peuvent accorder certaines dispenses; mais les plus importantes sont réservées au pape qui possède deux congrégatios pour les expédier: la sacrée Pénitencerie & la sacrée Daterie.
Les canonistes font généralement des réserves touchant la validité de certaines dispenses; mais on peut dire que, dans la pratique, ces réserves sont éludées à l'aide des mille distinctions de la casuistique. En thèse générale, on peut dire que l'on obtient de Rome tout ce que l'on veut, pourvu qu'on paye bien.
On a dressé plusieurs tarifs pour les dispenses; la nomenclature des obligations ou des crimes dont on peut se libérer, argent comptant, est véritablement scandaleuse. Plusieurs de ces tarifs ont été publiés; Rome s'est hâtée de protester contre leur authenticité; mais ces protestations n'étaient que de pure forme. Pour le fond, ces tarifs sont authentiques; ils sont connus de tous ceux qui ont eu recours aux dispenses de Rome, & certains bureaux intermédiaires ont pris soin d'en publier le résumé; car il existe auprès des congrégations des Agences qui se chargent d'obtenir toutes les dispenses, & qui communiquent aux clients les prix auxquels leurs boutiques peuvent les procurer.
Certaines dispenses sont particulières, & données dans des cas spéciaux; mais il en est aussi de générales. C'est ainsi que chaque année, officiellement & du haut de la chaire, les évêques, soit en leur nom, soit au nom du pape, dispensent des obligations du carême; permettent d'user de tels ou tels aliments; de manger de la viande à certains jours, le tout sous la réserve pour chacun de donner une somme d'argent proportionnée à ses moyens.
( p.295).
On peut dire, d'une maznière générale, qu'avec de l'argent, & moyennant quelques actes ou prières faciles auxquels on a attaché les indulgences les plus étendues, on peut, dans l'église catholique romaine, se dispenser de faire pénitence, & se bercer de l'espoir d'aller en Paradis sans beaucoup de peine, pourvu que l'on ne fasse pas d'opposition aux bons pères ou à leurs amis. Dans ce cas, l'enfer est incontestablement votre partage, alors même que vous seriez très vertueux.
Nous pourrions citer des cas de dispense vraiment scandaleux, & faire le tableau des abus de la cour romaine, sous ce rapport; nous voulons seulement discuter des questions de doctrine. Or, ce que nous avons dit suffit pour faire comprendre combien l'église catholique romaine, par sa théories des dispenses & des indulgences, a nui à la pénitence.


4.Les Jésuites, inspirateurs de la papauté.

L'inspirateur de la papauté, c'est le jésuitisme. Depuis sa fondation, la Compagnie d'Ignace de Loyola n'a eu qu'un but: détruire dans les églises latines tout ce qui pouvait faire obstacle à sa domination, & élever la papauté sur les ruines de l'église. Ce n'est pas que le jésuite aime la papauté; mais il comprit de bonne heure que, par lui-même, il ne pourrait arriver à son but; qu'il n'y parviendrait qu'en investissant le pape d'un pouvoir absolu, & en se servant du pape, comme d'un instrument: tel est le secret de son dévouement apparent pour la papauté. Il a marché dans sa voie avec une opiniâtreté que rien n'a pu ébranler. Lorsqu'il a rencontré des obstacles, il les a brisés ou il les a tournés habilement ; quelque papes se montrèrent impatients du joug qu'il voulait leur imposer; il les fit disparaître; il ne recula jamais devant le crime lorsqu'il ne put se débarrasser autrement de ses adversaires.
L'histoire de la Compagnie de Loyola n'est qu'une série de conspirations contre l'épiscopat, contre les doctrines & les institutions ecclésiastiques qui pouvaient lui faire obstacle. D'un côté elle démolit; de l'autre, elle poursuit sans relâche l'exaltation de la papauté. C'est elle qui a dicté aux papes les nouveaux dogmes qu'ils ont promulgués depuis trois siècles; qui leur a inspiré cette ambition démesurée dont ils ont donné tant de preuves, qui leur a dicté ces entreprises audacieuses qui ont occasionné tant de désastres. Le jésuite est sur le point de remporter une complète victoire par la définition conciliaire de l'infaillibilité du pape. Depuis trois siècles, cette doctrine est enseignée par les théologiens de sa secte; ils l'ont infiltére dans les écoles ecclésiastiques; ils l'ont prêchée dans toutes les chaires. Ils ont gagné des complices, en grand nombre, même au sein de l'épiscopat, & c'est tout au plus si l'on rencontre aujourd'hui un écrivain catholique romain assez hardi pour la contester, fût-ce timidement.
En fait, l'infaillibilité papale existe au sein de l'église latine; mais ce n'est pas encore assez pour le jésuite. Il faut poursuivre jusqu'en ses derniers retranchements le gallican le plus modeste, qui chercherait dans l'épiscopat un refuge contre les envahissements du papisme.
(p. 296).
On ne veut plus lui permettre de dire que l'épiscopat n'a pas adhéré formellement; que l'infaillibilité papale n'a pas été promulguée par lui : qu'elle ne peut être un dogme. Le jésuite veut donc que l'épiscopat proclame le pape infaillible.
Dès lors, il possède l'instrument le plus redoutable pour étendre sa domination sur toute l'église catholique romaine. Il s'empare du pape, & le fait servir à ses desseins. Tous les hommes, toutes les doctrines qu'il déteste, il les fait condamner par le pape; la plus légère aspiration vers un enseignement plis chrétien, il l'étouffe; il pose, au moyen du pape, sa main de fer sur les consciences, sur les intelligences; il fait des membres de l'église latine un troupeau d'esclaves, qu'il dirige comme il lui plaît.
Voilà ce que rêve le jésuite depuis la fondation de sa Compagnie; il est sur le point de triompher.
La papauté y perdra la plus grande partie de ce qui lui reste encore de fidèles intelligents; mais le jésuitisme y gagnera, car il possédera tous ceux qui n'auront ni assez d'intelligence ni assez d'énergie pour se soustraire au joug qui leur sera imposé. L'église latine ne sera plus qu'une Compagnie de jésuites, c'est-à-dire d'esclaves n'ayant d'autre conscience ni d'autre intelligence que celles qui leur seront données au nom du pape. Les iniquités de Babylone sero,t alors à leur comble, & l'Ange du Seigneur fera entendre ces terribles Paroles : «  Mon peuple, sortez de babylone, afin que vous ne participiez ni à ses iniquités ni aux plaies qui vont tomber sur elle. » ( Apocalypse, XVIII, 4).


5.LA PAPAUTE USURPATRICE.


Le pape est roi & se prétend souverain pontife de l'église catholique romaine.
Les défenseurs de la papauté commettent donc d'abord une erreur historique des plus grossières, en faisant remonter la papauté, c'est-à-dire la souveraineté papale, à l'origine du Christianisme. Cette erreur les a conduits à mille autres; car ils ont voulu trouver dans l'Histoire de l'Eglise, & dans les récits des anciens Pères, des preuves à l'appui de leur fausse théorie. Ils ont donc torturé les faits, dénaturé les témoignages. Ils ont osé s'attaquer à l'Ecriture Sainte même; &, par des interprétations mensongères, anti-Orthodoxes, la forcer à donner un faux témoignage en faveur de leur système.
C'est ainsi que l'église de Rome a donné, la première, l'exemple de ces interprétations individuelles qu'elle reproche si amèrement au protestantisme. La première, elle a abandonné la règle Orthodoxe universelle de l'interprétation des livres sacrés; elle a laissé de côté l'interprétation collective dont les Pères de l'Eglise ont été les fidèles échos, &, de sa propre autorité, elle a voulu voir dans l'Ecriture ce que l'Eglise Orthodoxe n'y a pas vu. Elle est arrivée ainsi à attribuer à sa souveraineté usurpée une base divine. Elle a tiré de ce principe toutes les conséquences qui en découlent : Le pape est devenu le « vicaire » de Jésus-Christ, le centre nécessaire de l'église catholique romaine, l'organe infaillible du ciel.
(p.297).
Ces erreurs papales furent si habilement répandues dans les contrées occidentales, qu'elles y furent peu à peu généralement adoptées. Les réclamations qu'elles soulevèrent furent permanentes, il est vrai; mais, avec le temps, elles prirent un caractère moins accentué; ceux mêmes qui s'élevaient contre les abus de la papauté admettaient comme incontestable la base divine de cette institution.
Depuis plusieurs années, nous la poursuivons avec persévérance,&, grâce à Dieu, nos travaux n'ont pas été sans utilité. Nous espérons que le nouvel ouvrage que nous publions portera aussi ses fruits, & qu'il viendra en aide à ces hommes religieux, dont le nombre s'accroît chaque jour; qui, en présence des abus, des excès de tout genre, commis par la papauté, ne peuvent plus à son égard conserver leurs anciennes illusions. Habitués à voir en elle le centre divin de l'église catholique romaine, ils ne peuvent plus le reconnaître dans ce foyer d'innovations, d'usurpations sacrilèges; ils se demandent: Où est donc l'Eglise de Jésus-Christ?
Le pape veut, dans son intérêt, circonscrire l'église catholique romaine enceux qui reconnaissent sa souveraineté, afin de les absorber ensuite & de dire : « l'Eglise c'est moi. » Rompons les digues qu'il a élevées, & aussitôt, nous verrons l'Eglise Orthodoxe dans toute sa beauté, s'épanouissant en liberté, sans être entravée par des démarcations territoriales; ayant pour membres toutes les Eglises particulières, liées entre elle par la même Foy; communiquant entre elles par des pasteurs également apostoliques, identifiées en Jésus-Christ, le seul grand pontife, le seul chef de l'Eglise, & dans l'Esprit Saint qui la dirige.
Qui a rompu cette admirable unité des premiers siècles Chrétiens Orthodoxes?
Le pape.
Il a usurpé la place de Jésus-Christ, & il a dit à toutes les Eglises : «  C'est à moi & par moi que vous serez unies; le ministère de vos pasteurs viendra de moi; la doctrine vous viendra de moi. Je suis le pasteur suprême. J(ai droit de tout gouverner. Je suis le juge suprême, je puis tout juger sans être jugé par qui que ce soit; je suis l'écho du ciel, l'interprète infaillible de Dieu. »
Est-ce parce que la papauté a profité des circonstances extérieures pour étendre sa domination usurpée sur un certain nombre d'églises particulières, que l'harmonie de l'Eglise universelle sera détruite? Non, assurément. Au lieu de mettre en dehors de cette harmonie les Eglises qui ont résisté à ses usurpations, c'est elle-même qui s'y est placée. Non seulement elle a rompu avec les Eglises vraiment universelles, mais elle a brisé les traditions de sa propre église; elle les a scindées en deux parties distinctes, comme l'épiscopat romain lui-même. Les traditions romaines des huit premiers siècles ne sont pas les mêmes qu'aux siècles postérieurs. La papauté a donc perdu sa véritable perpétuité dans les points où elle a innové.
Donc un membre de l'église romaine qui remonte à la doctrine originelle de cette Eglise, qui rejette les innovations de la papauté, rentre aussitôt dans l'harmonie universelle, appartient à la véritable Eglise de jésus-Christ, à cette Eglise qui s'est maintenue avec son double caractère de perpétuité, d'universalité.
(p.298).
Loin donc de nous ces déplorables accusations de schismes lancées à de vénérables Eglises, qui ont conservé la doctrine révélée dans sa pureté originelle, qui ont conservé le Ministère Apostolique. La papauté les appelle schismatiques, parce qu'elles ont refusé de reconnaître ses usurpations. Il est temps d'en finir avec un pareil malentendu.
Nous allons donc prouver que c'est la papauté elle-même qui est coupable du schisme; qu'après avoir provoqué la division, elle l'a perpétuée & affermie par ses innovations, enfin qu'elle l'a fait passer à l'état de schisme.
Ceci prouvé, nous serons en droit de conclure que ceux qui sont considérés par la papauté comme schismatiques, à cause de leur opposition à son autocratie, ceux-là sont les vrais Orthodoxes universels, & que c'est elle-même qui s'est séparée de l'Eglise en voulant en séparer les autres.
Il en est, en Occident, quiveulent donner la papauté comme le développement légitime de l'idée chrétienne, comme le Christianisme arrivé à son complet développement. La vérité est qu'elle est la négation de l'idée évangélique, de l'idée chrétienne. Or, la négation d'une idée peut-elle en être considérée comme le développement?
On sera étonné peut-être de nous voir aborder un tel sujet avec cette franchise. Nous répondrons qu'à l'époque où nous vivons, il faut parler nettement, sans arrière-pensées. Nous ne comprenons pas les ménagements à l'égard de l'erreur. Indulgent, charitable pour les hommes qui se trompent, nous croyons obéir à un vrai sentiment de charité en poursuivant à outrance l'erreur qui trompe les hommes : » Dire la Vérité, comme l'écrivait le Patriarche Photios au pape Nicolas, c'est le plus grand acte de charité. »


6.LA PAPAUTE OU LA GRANDE HERESIE OCCIDENTALE.


Les hérésies, erreurs, & innovations, qui ont souillé les églises occidentales depuis le IX°siècle, ne sont pas émanées toutes de la papauté, comme d'une source corrompue. Mais c'est la papauté qui leur a donné leur caractère d'institutions ou de doctrines occidentales, en les enseignant, en les approuvant, en les propageant, & même en les imposant, au besoin, à toutes les Eglises qui montarient, parfois, de bonnes intentions pour le maintien ou la défense de l'Orthodoxie.
C'est donc avec raison que nous lui faisons porter la responsabilité de toutes les erreurs de l'Occident.
Aujourd'hui, non seulement on ne conteste pas que la papauté ait eu une influence toute-puissante sur les églises latines; mais on s'autorise de cette toute-puissance pour affirmer que ce qu'elle a fait a toujours été bien; qu'en vertu d'un privilège divin, elle ne peut se tromper; qu'il suffit qu'elle décrète une doctrine, pour que cette doctrine soit nécessairement vraie.
Nous prouverons au contraire qu'on a voulu abriter sous l'autorité papale des erreurs pour en faire des vérités; que cete autorité est illégitime;
(p.299)
qu'elle a prouvé elle-même son illégitimité par ses erreurs; qu'au lieu de l'accepter comme une institution divine, on doit la rejeter comme une institution funeste & anti-évangélique.
Il y a eu, dans la puissance de la papauté, deux phases bien distinctes.
Pendant les neuf premiers siècles de l'Eglise, le pape n'était que l'évêque de Rome, & n'avait de juridiction que sur les Eglises qui se trouvaient dans la province dont Rome était la capitale.
Après le IX°siècle, des circonstances dans le détail desquelles nous n'entrerons pas pour le moment, investirent la paputé d'un pouvoir spirituel & temporel sur l'Occident. Dès lors, les évêques de Rome s'efforcèrent de faire considérer ce double pouvoir comme un droit inhérent à leur dignité, & donnèrent aussi naissance à l'opinion que l'on appelle uktramontanisme, & qui ne fut nettement formulée qu'au XVI°siècle.
Depuis cette époque, tous les catholiques intelligents ont protesté contre le syctème de L'ABSOLUTISME PAPAL; mais des hommes serviles & ambitieux l'ont soutenu par intérêt, & ont formé un parti qui ne recule devant aucune absurdité pour soutenir ses erreurs.
Croirait-on que de nos jours ce parti est parvenu à acquérir une foule d'adeptes, qui ont exagéré jusqu'à l'absurde le système ultramontain?
Grâce à l'ignorance presque générale du droit canonique & de la théologie, l'ultramontanisme fait chaque jour de nouveaux progrès.
Vraiment, les catholiques romains choisissent bien leur temps pour essayer d'implanter des doctrines que les siècles passés ont répudiées; des doctrines qui ont fait perdre à l'Eglise la moitié de ses enfants. Quoi! C'est de nos jours où l'intelligence fait de si nobles conquêtes; où la raison agrandit son domaine d'une manière si surprenante, que des chrétiens s'en viennet exalter des doctrines du moyen âge? Lorsqu'une institution est soutenue par des moyens diamétralement oppsés aux tendances, à l'esprit d'une époque, elle doit nécessairement tomber. Les institutions sont faites pour les hommes; elles doivent, en conséquence, s'harmoniser avec les goûts des Peuples. La loi du progrès, ou si l'on veut, de transformation, est un des principes fondamentaux d el'humanité. L'Eglise, dépositaire de la Vérité, & établie sur des bases & des fondements divins, ne peut subir sans doute de modifications essentielles. Elle n'en a pas besoin, du reste, pour ce qui lui vient de Dieu; sous ce rapport, elle sera toujours en harmonie avec tous les progrès possibles de l'esprit humain & de la société; mais l'Eglise, qui d'un côté tient à Dieu, tient de l'autre à l'homme; or, il faut soigneusement distinguer en elle ce qui est divin de ce qui est humain; car ce qui est humain doit être modifié suivant les circonstances. Ceux qui se glorifient du titre de romains, rêvent l'établissement universel de l'absolutisme papal, & l'admettent jusque dans ses dernières conséquences. Non seulement ils concentrent toute l'église catholique dans le pape, mais ils gratifient libéralement de privilège de l'infaillibilité de simples congrégations, & essaient de faire des avis d eces congrégations autant d elois générales pour l'église catholique. Le néo-ultramontisme laisse donc bien loin derrière lui Bellarmin & ces vieux ultramontains qui croyaient le pape infaillible, mais qui mettaient à cette prérogative des conditions qui les feraient condamner par les modernes romains comme gallicans.
(p.300).
Ils crieraient bien haut à l'hérésie, s'ils entendaient aujourd'hui le docte & vertueux cardinal Contarini leur répéter ce qu'il disait à Paul III. -( Cf: Contarini, de Composit. ap. Roccabert. Biblioth.)-:
«  C'est de l'idôlatrie de prétendre que le pape n'a aucune autre règle que sa volonté pour établir & pour abolir le droit positif. La loi du Christ est une loi de liberté, & elle défend une servitude aussi grossière, que les luthériens avaient tout à fait raison de comparer à la captivité de Babylone. Peut-on appeler gouvernement ce qui n'a pour règle que la volonté d'un homme? Un pape doit savoir que c'est sur des hommes libres qu'il exerce son autorité. »
C'est ainsi que raisonnait un cardinal au XVI°siècle. Aujourd'hui, non seulement on abjure le libéralisme de Contarini; on ne veut même plus de l'ultramontanisme de Bellarmin. On n'admet plus, avec ce théologien, qu'un papae puisse être hérétique & déposé par l'église catholique. On fait du pape un Dieu; & les ultramontains modernes diraient volontiers, avec Champvallon, que le pape a plus de pouvoir que Jésus-Christ.
N'est-ce pas un devoir rigoureux pour tout Chrétien de s'élever avec énergie contre de telles folies, dont on voudrait faire l'Eglise responsable?
C'est principalement sur la nature de l'autorité dans l'Eglise qu'ont erré les ultramontains. Ils ont tellemnt faussé les idées, qu'il est nécessaire de leur rappeler les vrais principes sur ce point.
Jésus-Christ nous a donné, sur la nature & l'exercice de l'autorité, des enseignements que l'on s'est trop appliqué à oublier. Nous lisons dans l'Evangile selon Saint Matthieu -( Matth., C. XX, V.25 & sq.- Luc, Evang.,C.XXII, V. 25 & sq.)- :
«  Les princes des natioons dominent sur elles, & ceux qui sont plus élevés exercent sur elles le pouvoir. Il n'en sera pas ainsi parmi vous. Celui qui voudra être plus grand parmi vous sera votre ministre; celui qui voudra être le premier parmi vous sera votre serviteur; ; à l'exemple du Fils de l'homme qui est venu, non pour être servi, mais pour servir & donner sa vie pour la rédemption d'un grand nombre. »
Ainsi, d'après Jésus-Christ, la domination ne doit pas être confondue avec l'autorité dans Son Eglise. L'homme ne doit être soumis dans son intelligence qu'à Dieu, & personne à son égard ne doit prendre le titre de maître. -( Matth., C. XXIII? V. 8, 10.- Jacob, Epist. Cath., C. III,V.1)-. L'autorité dans l'Eglise, au lieu d'être une domination, n'est qu'un service social, un ministère, -( Matth;, C.XXIII,V.11 et C. XX, V.26;- Luc, C.XXII, V.26.)-, dont la première condition est le dévouement absolu de l'individu à la société spirituelle dont il est ministre.
L'autorité ecclésiastique est donc obligée d'éloigner d'elle tout ce qui pourrait la faire confondre avec le DESPOTISME. Un despote mitré est un monstre : c'est Bélial assis sur le trône de Dieu. Trouve-ton cependant au sein de l'église beaucoup de dignitaires qui comprennent en Chrétiens la mission qui leur est confiée? Nous nous contentons de poser la question, laissant le soin de répondre à ceux qui, ayant autorité dans l'Eglise, comprennent l'Evangile, & peuvent rappeler les autres à la Justice & à la Vérité.
(p.301).
S'il en est qui, au lieu d'être l'exemple de leur troupeau, dominent sur lui comme sur un héritage, -( Pet., Epist. 1, C.V,V.3)-, ils exercent l'autorité en païens; car ils procèdent violemment, ce qui est le caractère de l'autorité paîenne, tandis que l'autorité ecclésiastique s'exerce sans coaction, avec spontanéité, selon Dieu, avec désintéressement, & sans contrainte comme un service & un ministère. -(Pierre, Epître. 1, C.V,V.3=-.
Voilà sur quelles bases & fondements doit être appuyée l'autorité ecclésiastique, dans l'exercice qui lui est propre, c'est-à-dire dans le droit qu'elle a reçu de Jésus-Christ de faire des lois pour le bon gouvernement de la société Chrétienne. Il faut soigneusement distinguer ce droit que possède l'autorité ecclésiastique de gouverner la société Chrétienne, de celui qu'elle a de définir le dogme Chrétien. Cette distinction est essentielle; &, pour ne l'avoir pas faite, une foule d'écrivains sont tombés en des erreurs très pernicieuses. Dans les lois qu'elle établit, l'autorité ecclésiastique doit être obéie, parce qu'elle a droit de les porter; mais elle n'est pas infaillible dans l'établissement de ces lois, qu'elle doit modifier suivant les temps & les circonstances.
Dans la définition du dogme Chrétien, elle ne procède pas par manière d'autorité, mais de déclaration; & dans cette déclaration, elle est infaillible, pourvu qu'elle se contente d'affirmet la Foy Orthodoxe universelle; en effet les Evêques ne sont appelés à prononcer d'une manière infaillible que dans le cas où ils ont à confirmer la Foy Orthodoxe universelle de l'Eglise touchant tel ou tel fait dogmatique ou moral, qui fait partie du Dépôt Sacré de la Révélation. Hors de là, il n'y a plus d'autorité infaillible, & nous ne voyons, dans l'Eglise comme ailleurs, que des hommes gouvernant une société par des moyens qu'ils trouvent sans doute bons, qui peuvent du moins leur paraître tels, & qui peuvent l'être dans les circonstances où ils les emploient, mais qui, cependant, ont besoin d'être modifiés pour être en harmonie avec les besoins des Peuples.
Les ultramontains ne font pas, dans l'exercice de l'autorité ecclésiastique, cette distinction, qui n'a pas échappé cependant aux grands théologiens occidentaux; ils ne voient que l'autorité en général, prétendent qu'on ne peut mériter le titre de catholique qu'en la poussant jusqu'à ses dernières limites. Nous ne partageons pas cette opinion, & nous pensons que cette autorité n'en sera que plus respectée si on la circonscrit dans les bornes au-delà desquelles son droit pourrait être contesté.
Ainsi : l'autorité ecclésiastique a le droit de faire des lois, & c'est un devoir pour les fidèles d'obéir à ces lois, quoique, en les portant, l'autorité ne soit pas infaillible; car, dans toute société, il est de première nécessité d'obéir à une autorité légitimement constituée, sous peine de voir cette société se dissoudre.
Pour ce qui tient au Dépôt de la Révélation, l'Eglise, c'est-à-dire la société Chrétienne représentée par ses chefs légitimes, décide seulement une question de fait, lorsqu'elle est appelée à formuler une décision. Les chefs de l'Eglise n'imposent pas leur manière de voir, n'érigent pas en dogme leur opinion, mais ils affirment seulement que tel ou tel point dogmatique ou moral a toujours & partout été admis comme révélé.
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Ainsi l'homme, dans le domaine de l'intelligence, ne reconnaît réellement que Dieu pour Maître. En dehors des Vérités Révélées, il conserve toute sa liberté, & c'est une impiété d'oser porter atteinte à cette liberté que Dieu a écrite dans le coeur de tout homme, comme le caractère nécessaire & sacré de tout être intelligent. Sans la liberté, sans la noble indépendance de toute autre autorité que de celle de Dieu, dans le domaine de la pensée, l'homme ne serait plus homme; sa conscience & sa raison seraient annulées; il ne serait plus qu'un être passif que l'autorité formerait à son image, une table rase sur laquelle l'autorité écrirait ses principes. Tel n'a pas été le dessein de Dieu en créant l'homme. Depuis la déchéance de l'humanité, il a été nécessaire que Dieu vînt en aide par Son VERBE à l'intelligence obscurcie de l'homme, mais Il n'a pas détruit cette intelligence, & Il a laissé à son activité un vaste domaine où elle peut s'exercer en toute liberté.
Les grands écrivains ecclésiastiques de l'antiquité Chrétienne ont parfaitement compris les droits de la raison humaine, tout en respectant ceux d el'autorité. Qu'on lise le traité des Prescriptions de Tertullien, ou l'Avertissement de Saint Vincent de Lérins : l'on y trouvera toute la doctrine que nous venons d'exposer, mais on y chercherait en vain les principes émis par les ultramontains. L'autorité, telle que nous venons de la définir, est celle qui a été reconnue par toute l'antiquité Chrétienne.
La Foy, appuyée sur une telle autorité, est bien cette obéissance raisonnable qu'exige Saint Paul de tout fidèle: «  L'obéissance raisonnable ». Par ces deux mots, l'Apôtre exprime les deux conditions nécessaires à l'adhésion de tout être intelligent : l'obéissance à une autorité légitime, sans laquelle il n'existe pas plus de société intellectuelle que de société extérieure, & la raison, sans laquelle aucun adhésion ne peut être intelligente, ne peut par conséquent être digne d el'homme.
Que l'on compare cete notion de l'autorité ecclésiastique avec celle que cherchent à répandre les ultramontains, & l'on verra qu'il y a autant de différence entre elles qu'entre la raison & la folie, entre l'obéissance & LE SERVILISME.
Cependant ces contempteurs de la raison humaine, qui semblent garder rancune à l'intelligence, se prétendent seuls bons catholiques. Bel hommage vraiment qu'ils rendent à l'Eglise en posant, comme première condition d'adhésion à ses dogmes, l'abnégation de la raison! La raison, aussi bien que la religion, a Dieu pour auteur; il ne peut en conséquence y avoir contradiction entre elles. Sans doute, l'homme s'égare souvent dans ses pensées; mais est-ce un motif pour nier la raison & ses droits? Il faudrait alors nier la conscience, parce que l'homme s'égare dans ses sentiments, & qu'il fait plus souvent le mal que le bien. Malgré l'égarement moral de l'homme, sa conscience subsiste, & ses droits sont incontestables; il en est de même de la raison. L'homme a beau se perdre au milieu des erreurs & des préjugés, il reste toujours au fond de son âme les vérités premières qui forment en lui une conscience intellectuelle, comme les grands principes moraux forment sa conscience morale.
(p.303).
De même qu'il y a harmonie entre les principes qui font la base de la conscience morale de l'homme & les principes moraux de l'Evangile, ainsi il y a harmonie entre les dogmes évangéliques & les premiers principes intellectuels qui constituent la raison. Heurter ces principes, froisser la raison dans sa liberté & dans ses droits, poser l'abnégation de la raison comme base de la foi, c'est saper l'autorité religieuse, c'est faire à l'Eglise une guerre d'autant plus redoutable qu'on la fait, dit-on, pour la défendre & la sauver.
Nous voulons croire que les ultramontains ne sont pas de propos délibéré ennemis de l'Eglise; mais, en vérité, ils ne feraient pas mieux, s'ils avaient entrepris contre elle une guerre hypocrite, s'ils avaient juré de la détruire en paraissant la servir. Nous n' 'hésitons pas à dire que si jamais l'Eglise a eu à soutenir une lutte dangereuse, c'est bien celle que lui font, sans le savoir peut-être, les partisans exagérés de L'ABSOLUTISME PAPAL.
Que les ultramontains remontent à la Source du Christianisme, & ils verront qu'alors tout était appuyé sur le caractère Orthodoxe uiniversel ou d'universalité; que l'on ne fait aucune mention de cette infaillibilité épiscopale ou papale qu'ils posent comme base de leur système anticatholique, antichrétien. On dirait que les ultramontains repoussent ce titre de catholique, au sens d'universel, qui fait notre gloire; car ils essaient de faire dégénérer en parti, en coterie, cette Eglise Chrétienne originelle dont l'universalité a toujours été la gloire & la force; de circonscrire dans l'étroite province de Rome cette belle Eglise originelle qui a su jusqu'ici se faire toute à tous, s'accomoder aux coutumes des nations pour les gagner toutes à Jésus-Christ.
Que l'on approfondisse l'histoire des huit premiers siècles de l'Eglise Orthodoxe originelle, & l'on ne trouvera aucune preuve en faveur du système papal. Tous les docteurs de l'Eglise ne parlent que de l'autorité catholique, au sens d'universelle des Eglises, pour mettre un terme aux discussions touchant la doctrine; les concilesn oecuméniques où chaque Evêque est convoqué, où un grand nombre viennent attester la Foy de leurs Eglises, sont seuls reconnus comme témoins & interprètes infaillibles de la Révélation. Dans les Ecrits nombreux, dans les faits éclatants qui remplissent ces huit siècles de l'Histoire du Christianisme, les papistes ne peuvent glaner que des mots vagues, sans portée, qui n'ont de valeur pour eux que séparés de leur contexte. En revanche, ils en trouvent dans LES FAUSSS DECRETALES & dans les écrits des papes du moyen âge. Il faut avouer que les règles de la logique & du sens commun sont renversées, si, pour connaître la constitution véritable de l'Eglise Orthodoxe Chrétienne, il faut préférer à l'Histoire entière des huit premiers siècles, quelques écrits d'une authenticité au moins contestable, ou les assertions de certains papes, élevés par les circonstances au faîte d'une souveraineté temporelle & absolue, & intéréssés à faire envisager cette souveraineté comme une des prérogatives de leur dignité spirituelle.



7.CONCLUSION. LE TEMOIN GENANT : L'ORTHODOXIE.

L'Eglise Orthodoxe est en butte, depuis quelque Temps, à une recrudescence de calomnies de la part des journaux papistes. Ils sont si fiers de leurs triomphes, ces papistes! La gloire les suffoque; leurs zouaves à 500 francs par tête leur inspirent un tel enthousiasme que, déjà, ils rêvent une victoire universelle. Il va sans dire que l'Eglise Orthodoxe est celle qu'ils voudraient soumettre tout d'abord; c'est un témoin par trop gênant de toutes les innovations qui ont défiguré le Christianisme en Occident. Depuis huit siècles que la papauté remplace les Doctrines Orthodoxes originelles par ses systèmes de circonstance, l'Eglise Orthodoxe est là pour lui dire: «  On ne croyait pas ainsi autrefois; tu mets tes idées à la place des dogmes révélés. Arrière tes systèmes, qui n'ont l'avantage ni d'être philosophiques, ni d'être Chrétiens! » Si la paputé entreprend de faire croire à ses adeptes que ses dogmes nouveaux sont anciens & ont toujours été crus; si elle en appelle à de prétendus textes des Pères & des Conciles d el'Eglise originelle pour faire illusion; l'Eglise Orthodoxe est là pour lui dire: «  Les textes que tu cites sont tronqués; tu dénatures les Ecrits des Pères & les Actes des Conciles pour en faire les complices de tes erreurs. » Lorsqu'il prend à la papauté la fantaisie d'invoquer les témoignages de la Sainte Ecriture, pour mettre sur le compte de Dieu le produit de son esprit d'innovation, l'Eglise Orthodoxe est là pour lui dire: «  Tu falsifies l'Ecriture; & la preuve : c'est que tu ne l'interprètes pas comme on l'interprétait dans l'Eglise Orthodoxe originelle, dans cette Eglise quia été l'écho sincère & vrai de l'Enseignement Apostolique. »
C'est donc, pour la papauté & pour son église catholique romaine, un témoin bien gênant que l'Eglise Orthodoxe; un témoin d'autant plus redoutable qu'il est impossible de contester son Origine Apostolique, & d'indiquer, dans son existence dix-huit fois séculaire, un seul instant où elle ait changé une Doctrine quelconque.
L'on comprend donc pourquoi la papauté se livre à tant d'intrigues pour soumettre l'Eglise Orthodoxe. Mais, depuis des siècles, ses efforts n'ont pas eu de résultat, quoiqu'elle ait appelé à son aide, d'abord le fanatisme des croisés, &, de nos jours, la politique & l'argent. Quoiqu'elle fasse, elle ne réussira pas.

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