jeudi 2 février 2012

Vie du Saint Patriarche Jean V le Miséricordieux.

12 novembre (en Orient) – 23 janvier (en Occident)
SAINT PATRIARCHE JEAN V D'ALEXANDRIE LE MISERICORDIEUX (+ 619)
12 novembre (en Orient) – 23 janvier (en Occident)
Chypriote d'origine et père de famille venu à Alexandrie, il se voit élire Patriarche alors qu'il
n'est pas encore Prêtre. Sa première décision fut de faire recenser tous les pauvres. Il en
dénombre environ sept mille cinq cents. Il les prend en charge et la Providence Se charge
d'alimenter les caisses du Patriarcat. D'autres Saints ont fait la même expérience. Lors de
l'invasion de la Palestine par les Perses, les réfugiés sont innombrables qui viennent dans la
capitale égyptienne. Cet afflux provoque des épidémies. Jean le Miséricordieux les soigne,
ouvre des hôpitaux et organise une aide systématique. Il invente même la première maternité
pour que les femmes pauvres n'accouchent pas dans la rue.
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Originaire de l'Île de Chypre, cet ancien fonctionnaire impérial n'était plus très jeune quand il
devint Patriarche d'Alexandrie. Dès son arrivée, il recensa les pauvres et les sans logis. Et c'est
ainsi que sept mille cinq cents pauvres chaque jour furent secourus par l'Eglise d'Alexandrie.
Un jour qu'il voyait ses fidèles quitter l'Office avant qu'il soit terminé, il partit les rejoindre
avec ses ornements liturgiques, en leur disant avec humour : "Je dois partir à la recherche des
brebis égarées." Chassé par l'invasion perse de 619, il se réfugia dans son île natale et s'y
endormit quelques mois plus tard. Les papistes rattachent à la forme de son apostolat l'origine
de "l'Ordre religieux et militaire des hospitaliers de Saint Jean" appelé par la suite les
Chevaliers de Malte.
ou
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Saint Jean est né à Chypre au septième siècle dans la famille de l'illustre dignitaire Epiphane.
Répondant au souhait de ses parents, il se maria et eut des enfants. A l'Endormissement de son
épouse et de ses enfants, il devint Moine. Très zélé pour le jeûne et la prière, il aimait
beaucoup tous ceux qui l'entouraient.
Ses exploits spirituels lui ont attiré l'honneur parmi les hommes; l'Empereur lui-même le
l’avait pris en grande et affectueuse admiration. Lorsque le trône patriarcal d'Alexandrie s'est
retrouvé vacant, l'Empereur Heraclius et tout le clergé supplièrent Saint Jean de l'occuper et
Saint Jean accomplit dignement son service archipastoral, se préoccupant de la santé morale
et dogmatique de son troupeau. Comme Patriarche, il dénonça l'hérésie le monophysite
Phyllonos d'Antioche portant atteinte à l'âme et le chassa hors d'Alexandrie.
Il considérait que sa tâche principale était d'être charitable et d'aider tous les nécessiteux. Au
début de son ministère patriarcal, il ordonna à ses serviteurs de rédiger une liste de tous les
pauvres et affligés d'Alexandrie, ce qui représentait plus de sept mille personnes. Le Saint
ordonna d'aider tous les jours ces infortunés en puisant dans le trésor de l'Eglise d'Alexandrie.
Deux fois par semaine, mercredi et vendredi, il sortait par les portes de la cathédrale
patriarcale et s'asseyait sous le portique pour y accueillir toute personne dans le besoin. Il
apaisait les disputes, aidait les victimes et distribuait des aumônes. Trois fois par semaine, il
visitait les dispensaires et assistait les souffrants. C'est durant cette période que l'Empereur
Heraclius mena une énorme armée contre l'empereur Chosroes II de Perse. Les Perses avaient
ravagé et incendié Jérusalem, emmenant une multitude de captifs. Le Saint Patriarche Jean
donna alors une grande partie du trésor de l'Eglise pour leur rançon.
Le Saint ne refusait jamais rien aux suppliants. Un jour et alors que le Saint visitait les
malades, il rencontre un mendiant et ordonne de lui donner six pièces d'argent. Le mendiant
change de vêtement, court vite en avant du Patriarche et redemande l'aumône. Saint Jean lui
donne six autres pièces d'argent. Mais comme le mendiant était reparti pour demander pour la
troisième fois la charité, ses serviteurs le chassèrent. Le Patriarche ordonna pourtant de lui
donner douze pièces d'argent, en disant : "C'est peut-être le Christ Qui me soumet à
l'épreuve."
A deux reprises, le Saint donnera de l'argent à un marchand ayant souffert d'un naufrage et la
troisième fois, il lui donnera un bateau appartenant au patriarcat rempli de grain avec lequel le
marchand réussira un voyage et remboursera sa dette. Saint Jean l'Aumônier était connu pour
son attitude bienveillante envers le peuple. Un jour, le Saint fut obligé d'excommunier deux
clercs durant un certain temps à cause de quelque offense. Un des deux se repentit mais l'autre
s'en prit au Patriarche et chuta dans des péchés plus graves encore. Le Saint voulut le
convoquer et le calmer avec de douces paroles mais l'autre en devint encore plus aigri. Alors
qu'il célébrait la Divine Liturgie, le Saint s'est soudain rappelé des paroles de l'Evangile :
"Quand donc tu présentes ton offrande à l'Autel, si là tu te souviens que ton frère a quelque
chose contre toi, laisse là ton offrande devant l'Autel et va d'abord te réconcilier avec ton frère
puis reviens et alors présente ton offrande." (Mt 5,23-24). Le Saint quitte alors l'Autel, fait
appeler à lui le clerc ayant offensé et tombant à genoux devant lui en face de tout le peuple, il
lui demande pardon. Le clerc, perclus remords, se repent aussitôt de son péché, se corrigera et
par la suite sera même trouvé digne d'être ordonné Prêtre.
Un jour, un citoyen insulta Georges, le neveu du Patriarche. Georges partit demander
réparation du tort subi. Le Saint promet de s'occuper de l'offenseur, en sorte que tout
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Alexandrie s'émerveille de ce qui aura été fait. Georges en fut calmé et Saint Jean l'instruisit
alors en parlant des nécessités de douceur et d'humilité. Puis il convoqua l'insulteur de
Georges. Lorsque Saint Jean apprit que cet homme habitait une maison appartenant à l'Eglise,
il déclara alors lui pardonner de payer pour une année entière. Alexandrie s'étonna en effet
d'une telle "revanche" et Georges en apprit de son oncle comment pardonner et supporter les
insultes pour l'Amour de Dieu.
Saint Jean, Ascète strict et homme de prière, tenait toujours son âme en garde, restant
conscient de la mort à venir. Il a dès lors ordonné qu'on lui construise un cercueil mais que les
artisans ne devaient pas l'achever. A la place, tous les jours de jeûne, ils devaient venir le voir
et lui demander si c'était le moment de l'achever.
Saint Jean fut persuadé d'accompagner le gouverneur Nicétas en visite à l'Empereur à
Constantinople. En chemin pour visiter ce roi terrestre, il rêve d'un homme resplendissant lui
disant : "Le Roi des rois te convoque."
Faisant voile vers son île natale de Chypre, c'est à Amanthos que le Saint s'endormit en paix
dans le Seigneur (616-620).
ou
Saint Jean était issu d'une illustre famille d'Amathonte en Chypre. Sous la pression de ses
parents, il se maria et eut plusieurs enfants qui, par la Volonté de Dieu, s'endormirent en bas
âge en même temps que son épouse. Voyant dans cette douloureuse privation l'occasion de se
libérer de tous les soucis du monde, il se consacra complètement à Dieu. En 610, il fut
consacré Patriarche de l'Eglise d'Alexandrie, sous le nom de Jean V. Le jour même, il réunit
tout le clergé ainsi que tout le personnel de la riche métropole d'Egypte et les envoya faire le
recensement exact de ceux qu'il appelait ses maîtres c'est à dire les pauvres et les mendiants
que Dieu place auprès de nous pour que nous gagnions le Royaume des Cieux en leur faisant
l'aumône.
Comme on en avait trouvé plus de sept mille cinq cents, il commanda qu'on leur donne
chaque jour la nourriture et le couvert qui leur étaient nécessaires. Il disait souvent à Dieu
dans sa prière : "Nous verrons bien, Seigneur, lequel de nous deux sera victorieux dans ce
combat : ou Toi en me faisant toujours du Bien ou moi, en ne cessant pas de le distribuer aux
pauvres. Car je reconnais n'avoir rien que je ne tienne de Ta Miséricorde et que c'est elle qui
soutient ma vie." De fait, la miséricorde du Saint à l'égard des pauvres était inépuisable; ses
aumônes étaient abondantes comme les eaux du Nil qui couvrent périodiquement les terres
d'Egypte pour les rendre fertiles. C'est pourquoi il reçut le surnom de Miséricordieux à
l'Image du Christ, son maître Qui est la Source de toute Miséricorde. Il ne pouvait pas voir un
pauvre ou un affligé s'approcher de lui sans pleurer abondamment et sans prendre sur lui sa
peine. Il donnait sans compter en puisant dans le trésor de l'Eglise. Comme le Christ l'a
enseigné (Luc 6:35), il donnait sans faire aucune distinction entre les bons et les méchants, les
dignes ou les indignes. Un jour, un pauvre qui avait déjà reçu de lui l'aumône, se présenta
trois autres fois au Saint en se camouflant sous des déguisements différents. Comme on le
faisait remarquer à Jean, celui-ci ordonna qu'on lui donne le double, en disant : "C'est peutêtre
Jésus-Christ Mon Sauveur Qui vient à dessein de me tenter?" Or, plus il répandait
l'aumône sans se soucier de la quantité ou de ce que sera le lendemain, plus Dieu multipliait
les donations adressées à l'Eglise si bien que le peuple était confirmé dans cette promesse du
Sauveur : "Ne vous inquiétez pas pour votre existence de ce que vous aurez à manger ou de ce
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que vous aurez à boire ni pour votre corps de ce que vous aurez pour vêtement ( ... ) Cherchez
en premier lieu le Royaume de Dieu et Sa justice et tout cela vous sera donné en plus" (Mat.
6). Un des Clercs chargé des aumônes (nommés aumôniers) n'avait donné à un riche dans le
besoin qu'un tiers de la véritable fortune que le Saint lui avait ordonnée de distribuer, jugeant
qu'il était irraisonnable de vider le trésor pour un seul. Mais il se vit confondu par Jean qui lui
révéla qu'une noble femme, ayant résolu de faire une importante donation à l'Eglise, n'avait
finalement donné que le tiers de la somme prévue.
Lorsqu'en 614, les Perses envahirent la province de Syrie et prirent de manière sanglante la
ville de Jérusalem, un grand nombre de réfugiés afflua vers Alexandrie. Saint Jean les reçut
comme ses frères, les consola, fit construire hôpitaux et grandes hôtelleries et épuisa toutes les
ressources de l'Eglise pour les nourrir et leur donner quelque argent. En même temps, il fit
envoyer en Palestine des navires chargés de grains et de vivres ainsi que des ouvriers pour
reconstruire les églises détruites. Lui-même visitait les malades et les nécessiteux et leur
montrait en sa personne un reflet de la Présence du Christ. Lorsqu'on voulait le remercier de
ses bienfaits, il interrompait soudain son interlocuteur en disant : "Tais-toi, mon frère car je
n'ai pas encore répandu mon sang pour toi ainsi que le Seigneur le demande!" Tous les
mercredis et les samedis, il se tenait à la porte de son église et attendait qu'on vienne
s'adresser à lui pour trancher les différends et réconcilier les ennemis. Jamais on ne l'entendait
prononcer une parole vaine ou condamner qui que ce soit, même devant les preuves les plus
obvies du péché. Il ne voyait en effet que le bien ou les bonnes intentions, supposait que ces
pécheurs avaient fait pénitence en secret et se gardait bien de s'approprier le jugement qui
appartient à Dieu Seul. Il remerciait ceux qui le calomniaient ou l'injuriaient pour lui avoir
rappelé ses péchés et leur faisait donner de plus grandes aumônes qu'aux autres. Pour corriger
les pécheurs, les orgueilleux ou les durs de coeur, le Saint Patriarche s'adressait toujours à eux
en s'attribuant les péchés qu'il voulait reprendre et en leur demandant de prier pour qu'il s'en
repente. Il exhortait avec patience ses fidèles à l'humilité et au repentir, en leur rappelant les
merveilles que Dieu a faites pour nous en créant le monde, en envoyant Son Propre Fils pour
nous sauver et en prenant patience devant nos innombrables fautes. Mais plus que par la
parole, il préférait transmettre l'Enseignement de la Sainte Ecriture par ses propres actes
comme les Prophètes. Ainsi, un dimanche alors qu'il célébrait la Divine Liturgie dans la
cathédrale, entouré de son clergé et de tout le peuple, le Patriarche s'arrêta soudain avant de
prononcer les paroles de la consécration, il demanda au Diacre de répéter les Litanies et
envoya chercher un des Clercs de son Eglise qui lui portait rancune et ne s'était pas présenté à
l'église. Lorsque ce dernier arriva, l'Evêque se prosterna devant lui avec larmes et lui demanda
pardon. Ce n'est qu'après s'être réconcilié avec lui et l'avoir embrassé qu’il remonta à l'Autel
et continua la célébration, ayant appliqué à la lettre le précepte du Seigneur (Mat. 5:23).
Bien qu'il ait été marié, Saint Jean aimait les Moines et les dépassait dans l'austérité de la vie.
Il avait réuni près de sa cathédrale deux communautés monastiques et se chargeait de leur
entretien. En échange, il leur avait demandé de prier pour lui et pour l'Eglise pendant les
Offices qu'ils célébraient et de prier pour leur propre Salut tout le reste du temps dans leurs
cellules, dégagés de tout souci grâce à la sollicitude du Patriarche. Il habitait un riche palais
mais ne possédait rien en propre. Sa cellule était dépourvue de tout confort; c'est pourquoi un
notable de la ville lui offrit un jour une luxueuse couverture. La nuit suivante, le Saint ne put
trouver le repos et ne cessait de se condamner en pensant que tant de pauvres souffraient du
froid et de la faim à sa porte alors que lui s'entourait d'un tel luxe. Le lendemain, il la fit
vendre et en distribua le produit. Or, son bienfaiteur vint à retrouver son cadeau à l'étalage du
marchand. Il la racheta et contraignit Jean à l'accepter. Mais celui-ci la vendit à nouveau pour
faire l'aumône. Comme ni l'un ni l'autre ne voulait céder, l'objet circula ainsi un grand nombre
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de fois entre leurs mains et ce fut pour Jean l'occasion de contraindre indirectement ce riche à
distribuer une grande fortune aux indigents.
Sa charité et son extrême humilité ne l'empêchaient pas cependant de se montrer ferme à
l'égard des hérétiques monophysites. Il les aimait et répandait pour eux ses bienfaits mais il
restait strict pour condamner leurs erreurs et interdire aux Orthodoxes toute participation à
leur culte et à leurs prières.
Lorsque la famine et les épidémies ravagèrent la ville, le Saint se montra le premier à assister
les malades et à ensevelir les défunts. Il exhortait ses fidèles à prier assidûment pour les
défunts et prenait occasion de ces malheurs pour leur rappeler la fragilité de notre vie et
l'urgence qu'il y a à faire pénitence. Quelques années après la prise de Jérusalem, Alexandrie
fut à son tour menacée par les Perses. C'est pourquoi, à la demande du gouverneur d'Egypte
Nicétas, Jean retourna à Chypre où il s'endormit dans le Seigneur à l'âge de soixante-quatre
(en 619) en rendant Grâces à Dieu de ne rien lui avoir laissé des si grandes richesses dont il
avait été constitué l'intendant au profit des pauvres. Un peu avant son Départ Céleste, il vit lui
apparaître la même noble Vierge qu'il avait déjà vue à l'âge de quinze ans et qui lui avait dit
alors être la Miséricorde en personne qui a incité le Christ à s'incarner pour notre Salut et lui
avait promis de lui ouvrir le Royaume des Cieux. Peu après sa Naissance Céleste, une huile
parfumée (myrrhon) coula du corps du Saint Hiérarque pour la joie et la consolation des
fidèles.
ou
http://www.orthodoxievco.net/ecrits/vies/jean.pdf
LA VIE DE SAINT JEAN LE MISERICORDIEUX
INTRODUCTION
Voici la vie de Saint Jean le Miséricordieux, écrite, à ma connaissance, par un autre Saint : le
Patriarche Sophrone de Jérusalem. Que j'en fasse un commentaire, moi qui ne suis qu'un
simple débutant face à ces deux maîtres de la vie spirituelle, me semble déplacé. Ce serait
comme une femme que la nature a dotée de toute beauté et qui, en se maquillant, ne fait que
gâcher le don du Créateur et le rend artificiel. Et je risque de récolter le reproche :
"Cordonnier, pas au-dessus de la chaussure."
Si nous n'avons pas autant de Foi pour imiter ces exploits, lisons-les au moins avec simplicité
de coeur, laissant de côté notre esprit d'analyse, de critique, de scepticisme qui nous empêche
de voir ce qui est bien au-dessus - l'oeuvre de la Grâce.
Dans notre monde actuel où règne en maître le péché et l'incrédulité, il est vrai qu'on cherche
vainement des oeuvres et une Foi pareilles. Pourtant il y a eu des Saints semblables à celui-ci.
Il n'y a rien de plus édifiant que les vies des Saints. Il y a longtemps j'avais déjà promis à
Saint Jean de publier la sienne et j'envisage de' publier d'autres Vies dans la même collection,
plaise à Dieu. Si je n'arrive pas à imiter ces Amis de Dieu, au moins je publie leurs exploits,
espérant gagner leur amitié et être béni par eux.
VIE
Saint Jean l'Aumônier fut élevé non par les hommes mais par la Volonté de Dieu sur le trône
de l'Eglise de la grande ville d'Alexandrie si chérie de Jésus-Christ. Il commença son
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gouvernement par une action qui fit connaître qui il était. Il fit venir les économes et le Diacre
et leur dit en présence de tous ceux qu'il honorait de sa confiance: "Il ne serait pas juste, mes
frères que nous eussions soin d'autrui plus que de Jésus-Christ." Tous les assistants,
extrêmement touchés de ces paroles écoutant quelle en serait la suite, il continua ainsi: "Allez
donc par la ville et faites-moi une liste très exacte de tous mes maîtres." Eux ne comprenaient
point et ne savaient qui pouvaient être les maîtres de leur Patriarche; ils le supplièrent de le
leur expliquer. Sur quoi, il leur répondit cette parole angélique : "J'appelle mes maîtres et mes
aides ceux que vous nommez pauvres et mendiants puisque ce sont eux qui nous peuvent
aider véritablement et nous donner le royaume du Ciel."
Ce que ce Saint Imitateur de Jésus-Christ avait ordonné ayant été promptement exécuté, il
commanda à son économe de donner chaque jour à tous ces pauvres dont le nombre était de
sept mille cinq cents, ce qui leur était nécessaire pour vivre. Ainsi, étant accompagné des
fidèles et des Saints Evêques qui étaient venus à cette cérémonie, il alla comme un pasteur
véritable et non comme un mercenaire dans l'église métropolitaine où par l'Ordonnance de
Dieu, il fut consacré Patriarche.
Du temps de ce Saint Patriarche, les Perses ayant fait irruption en Syrie, la ravagèrent et
emmenèrent un grand nombre d'esclaves. Ceux qui pouvaient s'échapper se réfugiaient vers ce
très Saint Homme et le suppliaient avec instance de les recevoir. Il les consolait, non comme
de pauvres captifs mais comme s'ils eussent été véritablement ses frères. Il fit mettre dans les
hôpitaux ceux qui étaient blessés ou malades et ordonna qu'on les pansât et les traitât
gratuitement sans les renvoyer avant qu'ils le désirent. Et à ceux qui demandaient l'aumône, il
faisait donner une pièce d'argent à chacun des hommes et deux à chacune des femmes et des
filles en considération de l'infirmité du sexe.
Quelques-uns qui avaient des habits couverts d'or et des bracelets demandèrent aussi
l'aumône; ses aumôniers vinrent lui en parler. Alors, le Saint qui d'habitude était très doux et
avait le visage fort gai, leur dit avec une voix sévère: "Si vous voulez être les dispensateurs et
aumôniers de l'humble Jean ou plutôt de Jésus-Christ, obéissez avec simplicité à ce qui vous
est commandé par ces paroles : 'Donnez à tous ceux qui vous demandent.' Si vous recherchez
avec tant de soin les besoins de ceux qui s'adressent à vous, Dieu ne veut point de ministres si
curieux ni l'humble Jean non plus. Car si ce que vous donnez était à moi et m'appartenait en
propre, je pourrais peut-être en être bon ménager mais puisque Dieu Seul en dispose, il vaut
mieux qu'on Lui obéisse exactement dans la dispensation de ce qui est à Lui. Si votre peu de
Foi vous fait appréhender que mon revenu ne suffise pas pour donner à tant de personnes, je
ne veux nullement participer à votre incrédulité et puisqu'il a plu à Dieu de m'établir
dispensateur de Ses Biens, quoique j'en sois très indigne quand tout ce qu'il y a d'hommes au
monde s'assembleraient à Alexandrie pour y demander l'aumône, ils ne pourraient épuiser ses
trésors infinis ni ceux de l'Eglise."
Ayant ainsi renvoyé ses aumôniers, continuant à blâmer leur peu de Foi et la faute qu'ils
avaient faite, il raconta ce songe à ceux qui se trouvèrent présents et qui admiraient cette
extrême compassion des affligés que Dieu lui avait donnée. Etant âgé de quinze ans, je vis
une nuit, en songe, une jeune fille dont la beauté était plus éclatante que le soleil et qui était
plus parée que l'on ne saurait l'imaginer. Elle s'arrêta devant mon lit et me secoua. Ce geste
m'ayant éveillé, je m'aperçus que cette vision n'était nullement un songe et que c'était
réellement une femme. Et après avoir fait le Signe de la Croix, je lui dis : "Qui es-tu et
comment as-tu osé venir ici pendant que je dormais?" J'oubliais de vous dire qu'elle avait sur
la tête une couronne d'olivier. Elle me répondit en souriant : "Je suis la fille aînée du Roi. A
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ces mots, je me prosternai pour l'adorer et Elle ajouta : "Si tu m’as pour amie, Je t’amènerai
en la présence de ce grand monarque car personne n'a autant de pouvoir que Moi auprès de
Lui et c'est Moi Qui L'ai fait descendre du Ciel sur la terre pour Se faire homme afin de
sauver les hommes." En achevant ces paroles, Elle disparut.
Lorsque je fus revenu à moi, je compris quelle était cette vision et dis : je crois que cette
Beauté Céleste est la compassion des affligés et l'aumône. C'est pourquoi elle a la tête
couronnée de branches d'oliviers. M'étant habillé à l'instant même sans éveiller aucun de mes
gens, je m'en allai à l'église au moment où le jour commençait à paraître et ayant rencontré un
homme tremblant de froid, je quittai ma tunique de poils de chèvre et la lui donnai, disant en
moi-même : "Je reconnaîtrai par cette épreuve si la vision que j'ai eue est véritable ou si c'est
une illusion du malin esprit." L'effet suivit mes paroles car je n'étais pas encore arrivé à
l'église qu'un homme vêtu de blanc vint à moi et me dit, en me donnant cent pièces d'argent
dans une bourse : Reçois ceci, mon frère et distribuez-le comme tu voudras. L'extrême joie
dont je fus surpris fit que je les acceptai et après y avoir pensé un moment, je revins sur mes
pas pour lui rendre cet argent mais je ne le vis plus. Alors, je dis en moi-même : "Certes, ce
n'était nullement une illusion. Depuis ce jour, je donnais souvent quelque chose à mes frères
les pauvres et disais : "Je verrais si Jésus-Christ comme Il le promet dans l'évangile, me
donnera le centuple." Ayant ainsi tenté Dieu et fort mal fait en cela, je reçus par diverses fois
et par diverses manières toutes les joies que je pouvais désirer. Enfin, je dis en moi-même :
"Cesse, mon âme, de tenter Celui Qui ne peut être surpris." Ayant donc comme vous le voyez,
tant de preuves de l'Infinie Bonté de Dieu, ces incrédules sont peut-être venus aujourd'hui
pour me faire tomber avec eux dans leur défiance mais j'ai trop de raisons pour ne pas y
résister.
Alors que cette grande multitude des gens était encore à Alexandrie, un de ces réfugiés, vit
quelle était l'extrême compassion du Saint Patriarche pour les pauvres et il résolut de le tenter
et un jour qu'il allait à l'hôpital visiter les malades, ainsi qu'il faisait toujours deux ou trois fois
la semaine. Il l'aborda avec un méchant habit et lui dit qu'il le priait d'avoir pitié de lui qui
était un pauvre réfugié. Sur quoi, le Saint commanda à son aumônier de lui donner six pièces
d'argent. Les ayant reçues, il alla changer d'habit et vint par un autre côté à la rencontre du
Bienheureux Patriarche et se jetant à ses pieds lui dit : "Je suis dans le plus grand besoin, aies
pitié de moi, je t’en supplie." Alors, il commanda à son aumônier de lui donner six pièces
d'or. Quand il fut un peu éloigné, cet aumônier dit à l'oreille du Saint : " Monseigneur, je suis
sûr que celui-ci a reçu deux fois l'aumône." Mais il fit semblant de ne pas l'entendre et cet
homme étant revenu pour la troisième fois demander encore, l'aumônier tira doucement le
Saint Patriarche pour lui faire remarquer que c'était le même et alors, cet Ami de Dieu qui
était véritablement miséricordieux et charitable lui dit : "Donnez-lui douze pièces d'or car c'est
peut-être Jésus-Christ, Mon Sauveur Qui vient à dessein de me tenter."
Un maître de navire ayant souffert une grande perte sur la mer vint trouver un jour le Saint
Homme et le supplia avec beaucoup de larmes d'avoir la même compassion de lui qu'il avait
de tous les autres. Il commanda qu'on lui donnât cinq livres d'or. Les ayant reçues, il acheta
une nouvelle cargaison et compléta l'équipement de son navire mais aussitôt après avoir passé
le phare d'Alexandrie, il fit naufrage sans perdre néanmoins son vaisseau. La confiance que
lui donnait l'extrême bonté du Saint fit qu'il vint le retrouver et lui dit : "Aie pitié de moi, je
t’en supplie comme Dieu a eu pitié des hommes." Le Patriarche lui répondit : "Crois-moi,
mon frère, si tu n'avais point mêlé l'argent de l'église avec celui qui te restait tu n'aurais pas
fait naufrage mais en perdant le reste du bien que tu as mal acquis, tu as perdu en même temps
celui que tu as eu par de bonnes voies." Il commanda ensuite qu'on lui donnât dix livres d'or et
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lui recommanda de ne pas les mêler avec d'autre argent. Ayant acheté avec cela une autre
cargaison et s'étant mis à la voile, un vent très impétueux le poussa contre la terre et ainsi il
perdit non seulement tout ce qui était dans son vaisseau mais le vaisseau même et l'équipage
seul fut sauvé. Il fut tellement affecté par la douleur et la confusion qu'il voulait se tuer. Mais
Dieu Qui veille toujours sur le Salut de Ses créatures révéla cette intention au Bienheureux
Patriarche qui sut ainsi le nouvel accident qui lui était arrivé et lui fit dire de venir le trouver
sans crainte. Alors, il se couvrit la tête de cendres, déchira ses habits et se présenta à lui de la
sorte. Le Saint, le voyant en cet état, lui dit, le reprenant de la faute qu'il avait faite : "Le
Seigneur Notre Dieu Qui soit béni à jamais, veuille avoir pitié de toi. Je suis persuadé que
désormais il ne t’arrivera plus de faire naufrage et tu n’es tombé dans celui-ci que parce que
ton vaisseau lui-même était mal acquis." Aussitôt, il commanda qu'on lui donnât la conduite
d'un de ces grands vaisseaux qui appartenaient à l'église et qui portait une cargaison de vingtmille
boisseaux de froment. Ayant reçu cet ordre, le maître de navire partit d'Alexandrie et
voici ce qu'il rapporta depuis sous la foi du serment. Nous naviguâmes durant vingt jours et
vingt nuits avec un vent si impétueux que nous ne pouvions ni par les étoiles ni par la vue
d'aucune terre reconnaître où nous étions. Nous nous croyions perdus et il ne nous restait plus
aucune espérance que celle que nous donnait le pilote en nous assurant qu'il voyait le Saint
Patriarche tenir le gouvernail avec lui en lui disant : "Ne crains point, tu es dans ta route." Le
vingtième jour, nous aperçûmes les îles de Grande Bretagne où nous trouvâmes en l'abordant
une famine extrême et lorsque nous déclarâmes au principal magistrat de la ville que notre
vaisseau était chargé de blé, il nous répondit : "Dieu vous a amenés ici pour nous assister dans
notre besoin, choisissez donc le prix que vous préférez pour chaque boisseau ou une pièce
d'argent ou le même poids en étain que vous nous donnerez en blé." Nous choisîmes de
prendre moitié de l'un et moitié de l'autre.
Mais voici un fait entièrement incroyable à ceux qui ne savent pas par expérience quelles sont
les Grâces de Dieu et croyable et plein de grande consolation pour ceux qui ont éprouvé les
Miracles qu'Il lui plaît de faire en faveur des Siens. Ce vaisseau, retournant à Alexandrie,
mouilla à Pentapolis et là, ce maître de navire prit son étain pour le vendre et en remit
cinquante livres dans un sac à un ancien associé qu'il avait dans ce lieu-là et qui en faisait
trafic. Ce négociant, voulant éprouver sa qualité, le fit fondre et découvrit que c'était en réalité
un lingot d'argent pur. Croyant que son ami avait voulu éprouver sa fidélité, il lui rapporta ce
sac plein d'étain et lui dit : "Dieu te le pardonne; m'as-tu jamais vu agir de mauvaise foi pour
avoir ainsi voulu me tenter en me donnant de l'argent au lieu d'étain?" Le maître de navire,
fort étonné de ces paroles, lui répondit : "Je te donne ma parole que je croyais que c'était de
l'étain mais si Celui Qui a converti l'eau en vin a converti l'étain en argent à la prière de notre
Saint Patriarche, il n'y a pas sujet de s'en étonner et si tu veux te renseigner, viens au vaisseau
et tu y verras le reste du métal que je t’ai donné hier." Etant montés dans le vaisseau, ils
s'aperçurent que tout cet étain avait été changé en très bon argent. Et tous ceux qui aiment
Jésus-Christ ne doivent pas s'étonner de ce prodige puisque Celui Qui a multiplié les cinq
pains, a changé en sang les eaux d'Egypte, a changé la verge de Moïse en un serpent et les
flammes de la fournaise de Babylone en une douce rosée a pu avec la même facilité opérer ce
Grand Miracle afin d'enrichir Son Serviteur et de faire miséricorde à ce maître de navire.
Comme ce Très Saint Hiérarque allait à l'église, un dimanche, il vit venir à lui un homme qui
avait été fort riche mais à qui il était arrivé l'aventure suivante : des voleurs étaient entrés dans
sa maison et avaient tout emporté jusqu'à la paille de son lit. Il avait essayé de les découvrir
mais toutes ses recherches étaient restées vaines. Ainsi, il se trouvait soudain réduit à une
extrême pauvreté et il était venu conter son malheur au Très Saint Patriarche et le supplier
avec humilité d'avoir pitié de lui. Cette démarche lui ayant inspiré une grande compassion
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parce qu'il savait que cet homme avait été l'un des plus grands personnages de la ville, il dit à
l'oreille de son aumônier de lui donner quinze livres d'or. Celui-ci allant pour exécuter cet
ordre en parla au référendaire et à l'économe qui par une tentation diabolique étant portés
d'envie contre cet homme affligé le forcèrent à ne lui donner que cinq livres d'or. Or il arriva
ensuite que le Saint Patriarche, revenu d'avoir fait une distribution aux pauvres, une veuve qui
n'avait qu'un fils unique lui mit entre les mains un acte de donation par lequel elle s'engeagait
à remettre cinq cents écus aux pauvres. Il le reçut et après avoir renvoyé chez elles les
personnes de condition qui l'accompagnaient, il fit appeler ses aumôniers et leur dit :
"Combien de livres d'or as-tu données à celui qui m'est venu demander?" Ils lui répondirent :
"Quinze livres comme ta Sainteté l'avait commandé." Sur quoi, la Grâce de Dieu qui était en
lui, lui ayant fait connaître qu'ils ne disaient pas la vérité, il fit venir cet homme auquel il
demanda ce qu'il avait reçu. Cet homme répondit qu'on lui avait donné cinq livres d'or. Alors,
le Saint Patriarche tira de sa main le papier qui lui avait été présenté et leur dit : "Dieu vous
demandera compte de mille écus de plus que ce qui est porté sur ce papier puisque si vous
aviez donné quinze livres d'or comme l'humble Jean vous l'avait dit, la personne qui m'a
apporté ces cinq cents écus en aurait apporté quinze cents. Et afin que vous n'en puissiez
douter, je m'en vais la faire venir." Aussitôt, il envoya deux vicaires dire en son nom à cette
Pieuse Veuve : "Je te prie de venir vers ma bassesse et d'apporter avec toi le papier où est écrit
la libéralité que Dieu, par la bénédiction qu'Il a répandue sur toi a mis au coeur de Lui faire."
Elle n'eut pas plutôt entendu ces paroles qu'elle partit et vint se jeter aux pieds du Saint avec
une grande quantité d'or qu'elle lui présenta. Le Bienheureux Patriarche après avoir reçu son
offrande et prié assez longtemps pour elle et pour son fils lui dit : "Dis-moi, je te prie, ma
fille, est-ce tout ce que tu avais dessein de donner à Jésus-Christ ou tu voulais Lui en donner
davantage?" Cette femme ayant reconnu par ces paroles que Dieu qui habitait dans cette Âme
Sainte lui avait fait connaître ce qui s'était passé, lui répondit toute tremblante : "Je te donne
ma parole, Monseigneur, par tes Saintes Prières et par le Saint Martyr Ménas que j'avais écrit
quinze cents écus sur ce papier. Mais il y a environ une heure, je l'ouvris et le lus sans savoir
pourquoi car ton indigne servante que tu sois devant toi l'a écrit de sa propre main et je trouvai
que des quinze centaines, il y en avait dix de rayées sans que personne y eût touché. Je fus
étonnée et je me dis en moi-même : 'Ce n'est donc pas la Volonté de Dieu que je donne plus
de cinq cents écus.' Le Patriarche ayant renvoyé cette digne personne, ses aumôniers qui
avaient si mal exécuté sa volonté se jetèrent à ses pieds, lui demandèrent pardon et promirent
de ne faire jamais à l'avenir de semblables fautes.
Une autre fois le sénateur Nicétas méditant sur la générosité de ce Vertueux Hiérarque et
remarquant qu'il avait toujours la main libéralement ouverte pour donner aux pauvres comme
si ç'avait été une source capable de suffire aux besoins de tous, résolut d'utiliser cette
disposition dans l'intérêt des finances impériales. Il vint trouver le Saint et lui dit : "L'Etat est
dans une très grande pauvreté et a très grand besoin de secours, c'est pourquoi tu devrais bien
donner à l'empire et au trésor public cet argent que l'on t’apporte de tous côtés en si grande
quantité." Lui, sans s'étonner, lui répondit : "Je ne crois pas qu'il soit juste de donner au roi de
la terre ce qui est offert au Roi du Ciel. Pourtant, si tu es persuadé du contraire, je te déclare
que l'humble Jean ne t’en donnera pas un écu mais voilà sous mon lit le coffre où je mets
l'argent de Jésus-Christ, fais-en ce que tu voudras."
Il n'eut pas plutôt achevé ces paroles que le sénateur appela quelques-uns des siens pour
emporter cet argent et ne laissa que cent écus. Comme ils descendaient, ils rencontrèrent des
messagers qui montaient et qui portaient de petites bouteilles pleines d'argent que l'on
envoyait d'Afrique au Patriarche. Mais elles portaient des étiquettes sur lesquelles il y avait
écrit : Miel excellent" et sur l'autre : "Miel tiré sans feu." Le sénateur qui savait que le Saint
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ne se souvenait jamais du mal qu'on lui faisait, le pria après avoir lu ces étiquettes de lui
envoyer de ce miel. Celui qui était chargé de remettre ces bouteilles ayant révélé ensuite au
Patriarche que ce n'était pas de miel mais d'argent qu'elles étaient pleines, ce véritablement
doux et bon pasteur ne laissa pas d'en envoyer une à Nicétas sur laquelle était écrit : "Miel
excellent" et l'accompagna d'un billet qui contenait ces paroles : "Notre Seigneur Qui a dit :
'Je ne t'abandonnerai point,' est incapable de mentir parce qu'Il est le Vrai Dieu." Et ainsi un
homme misérable et qui doit servir un jour de pâture aux vers ne saurait lier les Mains à Dieu
Qui donne à toutes les créatures et la nourriture et la vie. Il ordonna aussi au porteur de la
faire ouvrir devant lui et d'assurer au sénateur que toutes celles qu'il avait vues étaient comme
celle-là pleines d'argent et non pas de miel. Il était à table lorsque les gens du Patriarche
arrivèrent; il les fit monter et voyant qu'il n'y avait qu'une petite bouteille, il les pria de dire de
sa part à leur maître qu'il le croyait fort en colère contre lui car autrement, il ne se serait pas
contenté de lui en avoir envoyé une seule. Mais quand on lui eut remis le billet qu’on eut
décacheté la bouteille et que l'argent dont elle était pleine eut été retiré en présence de tout le
monde et lorsque ensuite il eut appris que toutes les autres en étaient pleines aussi et lu dans le
billet qu'un homme sujet à être mangé des vers ne saurait lier les Mains à Dieu, il fut touché si
fort par ces événements et par cette parole qu'il dit : "Vive le Seigneur! Je proteste que
Nicétas ne prétend en aucune sorte lui lier les mains car je reconnais que je suis non
seulement homme mais pécheur et sujet à être mangé des vers." Aussitôt quittant son dîner et
prenant avec lui tout l'argent qu'il avait emporté avec la bouteille qui lui avait été envoyée et
trois cents écus sur sa propre cassette, il alla, sans se faire accompagner de personne et avec
grande humilité, se jeter à ses pieds, il le conjura de demander à Dieu pardon pour lui et
protesta que s'il lui ordonnait d'en faire pénitence, il la recevrait et l'accomplirait fidèlement.
Le Patriarche, admirant cette prompte conversion ne lui fit point de reproches de la faute qu'il
avait commise mais au contraire le consola tendrement. Et depuis ce jour, Dieu les unit si
étroitement dans les liens de la charité que le Saint tint un de ses enfants au Saint Baptême.
Vers le temps où la population d'Alexandrie s'était accrue par l'arrivée des réfugiés dont j'ai
parlé, il s'éleva une grande disette parce que le Nil n'avait point débordé cette année selon sa
coutume; le Saint Patriarche après avoir donné tout ce qu'il avait d'argent, emprunta environ
mille écus à plusieurs Serviteurs de Jésus-Christ pour secourir ceux des fidèles qui se
trouvaient dans le besoin. Mais cet argent était employé et personne ne voulant plus rien lui
prêter parce que la famine continuait et que chacun craignait qu'elle ne durât longtemps, ce
Saint Homme, pressé par la nécessité de ceux qu'il était accoutumé de nourrir priait sans cesse
avec beaucoup de douleur.
Un habitant de la ville qui avait été marié deux fois et désirait être Diacre, ayant su la situation
à laquelle il était réduit et voulant s'en servir pour le porter à le consacrer, lui fit présenter une
requête qui contenait ces mots : "Très Saint et Très Heureux Jean, Père des Pères et Vicaire de
Jésus-Christ. Cosme, indigne serviteur des serviteurs de ta Sainteté te présente cette très
humble requête. Ayant appris le chagrin que donne à ta Sainteté la disette publique que Dieu a
permise pour nos péchés, ton serviteur n'a pas estimé raisonnable de demeurer dans
l'abondance, tandis que son Seigneur est dans le besoin. Ainsi, ton indigne serviteur ayant
deux cent mille boisseaux de froment et cent quatre-vingts livres d'or te supplie de permettre
qu'il les donne à Jésus-Christ par les mains de toi, son Seigneur; il demande seulement en
retour à être honoré du diaconat, bien qu'il en soit indigne afin que servant au Saint Autel avec
toi, son Seigneur, il soit purifié du grand nombre de ses péchés car l'Apôtre qui est le véritable
prédicateur de la Parole de Dieu dit : "Qu'il se rencontre des nécessités qui font passer pardessus
la loi." "
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Le Saint qui était instruit dans la Sagesse du Ciel après avoir reçu cette requête fit venir cet
homme et lui dit : "Est-ce toi qui m'as envoyé cette requête par un secrétaire et par ton fils?
Comme il répondait que c'était bien lui, ce Bienheureux Hiérarque qui par sa compassion et
son extrême bonté ne voulait pas le confondre devant tout le monde fit sortir les assistants
puis lui dit en particulier : "Ton offrande est très légitime en soi et ne pouvait être faite en un
temps où elle fut plus nécessaire mais elle est défectueuse. Tu sais qu'il est défendu par la loi
d'offrir aucune victime, petite ou grande, si elle n'est pure et sans tache; ce fut cause que Dieu
détourna les yeux du sacrifice de Caïn. Et quant à ce que tu dis, mon frère que la nécessité fait
passer par-dessus la loi, l'Apôtre l'entend de l'Ancienne Loi. Car autrement comment est-ce
que Saint Jacques, frère de Notre Seigneur, aurait dit : 'Aurait-on observé la Loi tout entière,
si l'on commet un écart sur un seul point, c'est du tout qu'on devient justiciable.' Et pour ce qui
regarde les pauvres et la Sainte Eglise, Dieu Qui les a nourris avant que toi et moi fussions au
monde, les nourrira bien encore pourvu que nous observions inviolablement ce qu'Il nous
ordonne. Et Celui qui a autrefois multiplié cinq pains, peut aussi bien, s'il lui plaît, multiplier
par sa bénédiction dix boisseaux de blé qui restent encore dans mes greniers. Ainsi je te dis,
mon fils, ce qui est dit dans les Actes des apôtres, tu n’auras point de part à cette bonne
oeuvre et n'en recevras point le fruit."
Ayant refusé en cette manière la prière de cet homme et l'ayant renvoyé fort triste, on vint lui
dire que deux des grands vaisseaux de l'Eglise qu'il avait envoyés quérir du blé en Sicile,
venaient d'arriver au port. Alors, il se prosterna et rendit Grâces à Dieu en ces termes : "Je Te
remercie très humblement, Mon Dieu, de ce que Tu n'as pas permis que j'aie vendu Ta Grâce
pour de l'argent et as fait voir que ceux qui Te cherchent en vérité et observent inviolablement
les règles de ta Sainte Eglise abonderont en toutes sortes de biens."
Deux ecclésiastiques ayant commis une grande faute en se frappant l'un l'autre, le Saint les
excommunia pour quelques jours, suivant les Canons. L'un d'eux se soumit volontiers à ce
châtiment et reconnut son péché mais l'autre persévéra dans le mal et fut bien aise de cette
punition parce que le malheureux ne cherchait qu'un prétexte pour renoncer aux Ordres et
d'être ainsi libre de continuer à mal faire. Il était, néanmoins, fort animé contre le Saint
Patriarche et menaçait de lui faire tout le mal qui serait en sa puissance. Quelques-uns disaient
aussi que c'était lui qui avait conseillé au sénateur dont j'ai parlé de prendre l'argent de
l'Eglise.
On rapporta donc au Saint que cet homme, par ressentiment, persévérait dans sa mauvaise
volonté envers lui. Mais ce véritablement bon pasteur qui avait toujours dans l'esprit cette
parole de l'Apôtre : 'Lequel d'entre vous peut être malade sans que je le sois aussi?' voulut le
faire venir et lever l'excommunication après avoir fait la remontrance qu'il méritait car il
voyait bien que le loup infernal voulait dévorer cette brebis. Mais il arriva par la Conduite de
Dieu qu'il oublia d'envoyer quérir cet homme et de l'absoudre.
Le Saint Jour du dimanche étant venu lorsqu’il était à l'Autel pour offrir le sacrifice, un peu
après l'Anaphore et au moment de lever le Saint Voile, cet ecclésiastique lui revint à l'esprit et
aussitôt se ressouvenant de ce Précepte de Notre Seigneur : "Si lorsque tu es prêt d'offrir ton
présent à l'Autel, tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse ton présent," il
dit au Diacre de recommencer la prière et après l'avoir achevée, de la recommencer encore
jusqu'à ce qu'il fût de retour, feignant que quelque nécessité l'obligeait de quitter l'Autel. Etant
allé dans la grande sacristie, il envoya vingt de ceux qui étaient en semaine chercher le clerc
de mauvaise vie, sa charité le poussant comme un vrai pasteur qu'il était, de retirer cette brebis
de la gueule du lion et Dieu Qui ne peut rien refuser aux désirs de ceux qui Le craignent, fit
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qu'on trouva cet homme à l'instant même. Dès qu'il fut arrivé, le Patriarche fit le premier une
métanie et lui dit : "Pardonne-moi, mon frère. Ce clerc voyant ce Vénérable Vieillard
prosterné à ses pieds et redoutant la majesté épiscopale et la vue de tous ceux qui se
trouvèrent présents mais craignant encore davantage le Jugement de Dieu qui le faisait
trembler fit aussi une métanie et demanda pardon et miséricorde. Sur quoi, le Patriarche
disant : "Dieu nous veuille pardonner à tous," ils se levèrent et entrèrent à l'église où ce clerc
tout transporté de joie servit au Saint Autel et se trouva en état de dire à Dieu avec une
conscience pure : "Remets-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs." Et
depuis ce jour, cet Ecclésiastique eut un tel sentiment de ses fautes et vécut dans une telle
pureté qu'il fut ordonné Prêtre.
Quelques-uns des Saints Pères inspirés de Dieu ont dit autrefois que l'une des conditions des
Anges est de ne se disputer jamais mais de demeurer toujours dans une entière et perpétuelle
paix; que la faiblesse des hommes les porte à avoir souvent des différends ensemble mais
qu'ils doivent se réconcilier aussitôt et que le propre des démons est de se quereller et de ne
mettre jamais de fin à cette division funeste. Je commence par rapporter ceci de ces Serviteurs
de Jésus-Christ, à cause de ce que j'ai à dire ensuite.
Cet Illustre Patriarche eut un jour une contestation avec ce même sénateur Nicétas dont j'ai
déjà parlé à propos d'une affaire publique. Nicétas voulait disposer des places du marché à
l'avantage du fisc et le Saint, par le soin qu'il prenait des pauvres, ne voulait pas y consentir.
Sur ce sujet ils eurent une grande contestation et chacun demeurant ferme de son côté, ils se
séparèrent sur la cinquième heure du jour en très mauvaise intelligence. Le Patriarche qui
avait toujours devant les yeux le Commandement de Dieu en ressentait un extrême chagrin
mais celui de Nicétas ne procédait que d'un intérêt d'argent. Enfin, cet homme si juste dit en
lui-même : "On ne doit pas se mettre en colère ni sans raison ni avec raison" et à la onzième
heure il envoya un Archiprêtre, accompagné d'un clerc dire de sa part au sénateur cette parole
touchante : "Le soleil est prêt de se coucher." Nicétas ne l'eut pas plutôt entendue qu'il en fut
si extraordinairement ému que, tout fondant en larmes, il alla aussitôt trouver le Saint qui lui
dit : "Sois le bienvenu, Ô Véritable Enfant de l'Eglise qui as si promptement obéi à la voix de
ta Mère." Ils se font ensuite une métanie, l'un devant l'autre, s'embrassèrent puis s'assirent.
Alors, le Patriarche lui dit : "Je t'assure que si je n'avais remarqué que tu étais extrêmement en
colère de cette affaire, je serais allé te trouver moi-même, sachant que Notre Seigneur allait
Lui-même par les villes, par les châteaux et par les maisons pour visiter les hommes." Tous
ceux qui l'entendirent parler de la sorte furent édifiés et remplis d'admiration de son humilité
et Nicétas lui répondit : "Je te jure, Mon Père que je n'écouterai jamais de ma vie les conseils
de ceux qui voudront m'engager dans des contestations et des disputes." Ce sage Hiérarque lui
répartit : "Crois-moi, mon fils et mon frère, si nous nous laissions persuader par ces sortes de
gens, nous nous rendrions coupables de plusieurs péchés, principalement en ce temps où il y a
une grande haine entre la plupart des hommes. Car souvent lorsque j'ai agi comme me
l'avaient conseillé ces donneurs de mauvais conseils, il en venait d'autres qui m'apprenaient
que ma bonne foi avait été surprise dans le chapitre : ceci m'étant arrivé deux ou trois fois, je
résolus en moi-même de prendre du temps et de ne rien déterminer dans le chapitre de ce que
les uns ou les autres désireraient. De même au sujet des délations, si les faits allégués par les
dénonciateurs se trouvaient faux, ils seraient punis des peines que ceux qu'ils avaient accusés
auraient subies s'ils s'étaient trouvés coupables. Et depuis ce jour, il ne s'est rencontré
personne qui ait eu la hardiesse de me faire sans sujet un mauvais rapport. Je t'exhorte et te
conjure, mon fils, d'agir de la même façon car il arrive souvent à ceux qui sont revêtus d'une
grande autorité de condamner des hommes à mort avec injustice lorsqu’ils se laissent
persuader trop facilement et qu'ils se contentent de mépriser les fausses accusations sans faire
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punir les faux accusateurs." Nicétas, ayant écouté ces paroles comme il aurait écouté un
commandement sorti de la Bouche de Dieu même, promit au Saint de suivre ce conseil et de
n'y manquer jamais.
Ce célèbre Serviteur de Dieu avait un neveu nommé Georges. Celui-ci étant un jour entré en
dispute avec un hôtelier de la ville fut injurié par lui, ce qui l'irrita au dernier point, non
seulement parce que cela s'était passé en public et qu'il avait reçu cet outrage d'un homme de
basse condition mais surtout parce qu'il était neveu du Patriarche. Il vint donc, en larmes, le
trouver dans sa chambre où il était en particulier. Le Saint qui avait le coeur extrêmement
tendre, le voyant si en colère lui demanda la cause de son chagrin mais comme il ne pouvait
parler tant il était affecté, ceux qui s'étaient trouvés présents lorsque l'hôtelier l'avait ainsi
outragé lui contèrent la scène et lui dirent : "Ce qui le touche si fort, c'est qu'on méprise
tellement votre Sainteté que ceux qui ont l'honneur de lui être si proches soient injuriés par
des personnes de rien."
Alors et pour d'abord adoucir à la manière d'une espèce d'emplâtre, le transport de colère dans
lequel il voyait son neveu puis par la sagesse de ses paroles ainsi qu'avec une lancette faire
une incision qui le guérît entièrement, ce véritable médecin des âmes lui dit : "Est-ce possible
qu'il y ait eu quelqu'un d'assez hardi pour t'offenser? Sois sûr, mon fils, sur la parole que te
donne ton père que je ferai aujourd'hui une chose qui remplira d'étonnement toute la ville
d'Alexandrie."
Voyant que ce remède avait fait l'effet qu'il désirait et qu'il ne restait plus de tristesse dans
l'esprit de son neveu parce qu'il s'imaginait sans doute qu'il agirait contre celui qui l'avait
outragé et le ferait fouetter publiquement et traiter avec infamie, il lui dit en l'embrassant :
"Mon fils, si tu es véritablement mon neveu, plutôt qu'à châtier j'espère que tu es prêt à être
fouetté toi-même et à souffrir toutes sortes d'injures de n'importe qui? Car la véritable parenté
ne dépend pas de la chair et du sang mais de la vertu qui est en l'âme."
Il envoya chercher en même temps l'officier qui était chargé de la police des hôteliers et lui
défendit de percevoir sur celui-ci aucun droit, tant de ceux qu'il lui devait en particulier que de
ceux qu'il devait à l'Eglise ni même le loyer de son hôtellerie qui en dépendait aussi. Chacun
fut touché d'étonnement de cette action qui témoignait que rien n'était capable de décourager
son extrême patience et on comprit alors ce qu'il avait voulu dire par ces paroles : "Je ferai
aujourd'hui une chose qui remplira d'étonnement toute la ville d'Alexandrie puisque non
seulement il ne châtia pas cet homme comme il le méritait mais au lieu de le punir, lui fit du
bien."
On rapporta un jour au Saint qu'il y avait un Ecclésiastique qui conservait en son coeur une
inimitié contre un autre homme et ne voulait point se réconcilier avec lui. Ayant demandé son
nom et quelle dignité il avait dans l'Eglise, il apprit le lendemain qu'il s'appelait Damien et
qu'il était Diacre. Il commanda à l'Archidiacre de le lui montrer quand il viendrait à l'église et
le jour suivant qui était un dimanche, Damien étant venu à la Sainte Table, l'Archidiacre le
montra au Patriarche qui était monté à l'Autel à cause de cette seule affaire, sans avoir dit à
personne quel était son dessein. Lorsque ce fut au tour de Damien de recevoir la Sainte
Communion, le Saint lui prit la main et lui dit : "Va auparavant te réconcilier avec ton frère et
après avoir oublié l'animosité que tu as contre lui, viens pour recevoir dignement les Mystères
de Jésus-Christ qui sont purs et sans tâche aucune. Damien n'osant contester avec lui en
présence de tant d'Ecclésiastiques et surtout en un lieu si Saint et en un instant si terrible, lui
promit d'obéir et alors il lui donna la Sainte Communion. Depuis ce jour, non seulement tous
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les Ecclésiastiques mais aussi tous les laïcs se gardaient avec soin d'avoir de la mauvaise
volonté contre personne, craignant qu'il ne les confondît et ne les humiliât comme il avait
confondu ce Diacre.
Ce Très Saint Homme connaissait parfaitement les Ecritures Saintes mais il évitait d'en citer
par vanité plusieurs passages par coeur; il en témoignait seulement sa connaissance dans ses
actions par l'observation des commandements et l'accomplissement des préceptes qu'elles
nous donnent. Dans ses occupations particulières, on ne lui entendait jamais dire une seule
parole inutile à moins qu'il y fût contraint pour s'occuper de quelque affaire séculière mais il
passait son temps à lire ou les écrits des Saints Pères ou des questions de l'Ecriture Sainte ou
des traités de controverse à cause du grand nombre d'hérétiques qui se trouvaient dans son
diocèse. Si quelqu'un commençait à dire du mal d'autrui en sa présence, il changeait de
discours avec une extrême prudence et s'il voyait cette personne continuer, il ne lui disait rien
mais il défendait à celui qui était de semaine auprès de lui de le laisser entrer afin d'instruire
les autres par cet exemple et de les rendre plus retenus.
Il avait appris qu'après le couronnement de l'Empereur, les premiers serviteurs qui lui
adressent la parole sont les artisans qui travaillent aux enrichissements des tombeaux et qui lui
présentent quatre ou cinq pièces de marbre de diverses couleurs et lui disent : "Lequel de ces
marbres plaît-il à ta Majesté impériale que l'on emploie pour son tombeau?" afin de lui faire
connaître par ces paroles qu’étant homme et sujet à être dans peu d'années réduit en poussière,
il doit prendre soin de son âme et de bien gouverner son empire. Ce Saint voulut imiter cette
coutume si louable et pour cela il commanda qu'on travaillât à lui faire un tombeau à l'endroit
où les Patriarches, ses prédécesseurs, étaient ensevelis mais il défendit de l'achever avant son
Départ afin que cet ouvrage demeurant ainsi imparfait, ceux qui en avaient la charge lui
vinssent dire tous les ans, en présence de tout son clergé : "Monseigneur, ton tombeau
demeure inachevé; commande donc s'il-te-plaît qu'on l'achève puisque tu ne sais pas, ainsi
que dit l'Ecriture, à quelle heure la mort doit venir." Ce que ce Saint Homme faisait afin de
donner sujet à ses successeurs de l'imiter dans une coutume si utile.
Dieu le permettant ainsi à cause de la multitude de nos péchés, les églises de Jérusalem furent
brûlées par les Perses qui auraient bien mérité eux-mêmes de sentir les effets de la Vengeance
Céleste. Le Saint qui savait les difficultés dans lesquelles se trouvait le Saint Patriarche
Modeste de Jérusalem, lui envoya pour l'aider à les reconstruire, mille pièces d'argent, mille
sacs de blé, mille sacs d'autres grains, mille livres de fer, mille corbeilles de ces poissons que
l'on nomme des menomènes, mille barils de vin et mille ouvriers égyptiens et lui écrivit ces
paroles : "Véritable Serviteur de Jésus-Christ, je te supplie de me pardonner si je ne t'envoie
rien qui soit digne de Son Temple car je t'assure que je souhaiterais, s'il était à propos, aller te
trouver moi-même pour travailler à la Sainte Eglise de Sa Résurrection. Je te conjure donc,
par le respect que je te porte, d'excuser la faiblesse de ma contribution et de demander pour
moi à Jésus-Christ qu'Il me fasse la Grâce d'être écrit au Livre de Vie."
Il dormait sur un petit lit, tout contre terre et n'était couvert dans sa cellule que d'une méchante
couverture. Un des personnages importants de la ville le sut et il vint le trouver et voyant qu'il
n'avait qu'une couverture de laine toute déchirée, il lui en envoya une qui coûtait trente-six
pièces d'argent et le conjura de bien vouloir s'en servir pour l'amour de lui. Le Saint l'accepta
et à cause de la grande insistance qu'il lui en faisait, il s'en servit durant une nuit.
Mais ceux qui couchaient dans sa chambre racontèrent depuis qu'il passa presque toute cette
nuit à dire : "Qui croirait que l'humble Jean (car il se nommait toujours ainsi) est couvert d'une
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couverture qui coûte trente-six pièces d'argent tandis que les Frères de Jésus-Christ meurent
de froid? Combien y en a-t-il maintenant qui tremblent dans cette rude saison? Combien y en
a-t-il qui n'ayant sous eux que la moitié d'une natte de jonc et autant au-dessus ne peuvent
étendre leurs pieds et dorment ainsi, en peloton, tout transis? Combien y en a-t-il qui ont passé
la nuit dans les montagnes sans pain et sans feu, souffrant ainsi un double tourment par la
faim et par le froid? Combien y en a-t-il qui voudraient pouvoir tremper leur pain dans
l'écume de la graisse que jettent mes cuisiniers? Combien y en a-t-il qui voudraient seulement
sentir le vin que l'on répand dans ma cave? Combien à l'heure où je parle y a-t-il de pauvres
dans Alexandrie qui ne savent où se retirer et sont couchés sur le pavé après avoir été peutêtre
transpercés par la pluie? Et toi qui prétends jouir du bonheur de l'éternité, tu bois du vin,
tu manges de grands poissons, tu es bien logé et tu as, de plus, maintenant cela de commun
avec les méchants d'être chaudement et à ton aise sous une couverture qui coûte trente-six
pièces d'argent. Certes, en vivant de la sorte et dans un tel relâchement, tu ne dois pas
t'attendre à jouir en l'autre monde des joies préparées aux Saints mais on prononcera sur toi la
même sentence qu'à ce riche dont il est parlé dans l'évangile : 'Tu as été dans l'abondance
durant ta vie et les pauvres dans la misère. C'est pourquoi ils sont maintenant dans la joie et
toi, au contraire dans les tourments.' Dieu soit béni. Voici la première nuit et la dernière que
l'humble Jean mettra sur lui cette couverture puisqu'il est bien Juste et que Dieu le préfère
assurément que cent quarante-quatre de ceux qui sont Frères de Notre Seigneur aussi bien que
toi, soient couverts plutôt que toi seul car on peut avec une pièce d'argent avoir quatre petites
couvertures."
Le lendemain, il donna charge de vendre cette couverture. L'homme qui lui en avait fait
présent l'ayant su, l'acheta trente-six pièces d'argent et la lui donna une seconde fois puis
ayant vu le jour suivant qu'on la mettait encore en vente il la racheta le même prix et la
redonna encore au Patriarche en le conjurant de consentir à s'en servir. Et comme le Saint
l'avait remise en vente une troisième fois et lui dit avec un visage qui témoignait sa gratitude :
"Nous verrons lequel de nous deux se lassera le plus tôt."
Or, cet homme étant fort riche, le Bienheureux Prélat tirait de lui peu à peu et avec douceur
quantité de choses à l'imitation des vendangeurs et il aimait à répéter qu'on peut dans
l'intention de le donner aux pauvres, dépouiller les riches sans commettre un péché et leur ôter
doucement jusqu'à leur chemise. Et il ajoutait que celui qui agit de la sorte fait deux bien à la
fois : l'un en ce qu'il est la cause du Salut de ces riches, l'autre en ce qu'il se procure à luimême
une grande récompense et pour autoriser ce sentiment il rapportait ce qui s'était passé
entre Saint Epiphane et le Patriarche Jean de Jérusalem auquel Saint Epiphane extorqua
beaucoup d'argent pour le distribuer aux pauvres.
Le Saint racontait aussi une fois sur le même sujet en présence de tout le monde, une chose
fort remarquable : "Lorsque j'étais à Chypre, j'avais un valet de chambre très fidèle et qui se
conserva chaste jusqu'à la mort. Celui-ci me conta mot à mot ce que je vais vous rapporter.
'Etant', me dit-il, en Afrique, je demeurais chez un receveur des finances de l'empereur,
extrêmement riche et qui n'avait aucune compassion des affligés. Il arriva pendant l'hiver que
plusieurs pauvres s'étant mis au soleil pour se chauffer, ils commencèrent à dire du bien des
maisons où on leur donnait l'aumône et à prier Dieu pour tous ceux qui leur faisaient la charité
et au contraire à blâmer l'avarice de ceux qui ne leur donnaient rien. Un d'eux ayant nommé
cet officier que je servais, ils se demandèrent mutuellement s'il leur avait fait quelque bien et
il ne s'en trouva pas un seul qui en eût jamais reçu la moindre aumône. Alors, il y en eut un
qui dit : 'Que me donnerez-vous si je puis obtenir aujourd'hui quelque chose de lui?' Ils se
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mirent d'accord sur leur gageure et aussitôt il alla se mettre près de la porte de mon maître
pour l'attendre à son retour à la maison. Dieu permit qu'il rentrât chez lui en même temps
qu'une bête chargée de pain pour sa provision revenait de chez le boulanger et il fut tellement
irrité des importunités que lui faisait ce pauvre que ne trouvant pas de pierre, il prit un de ces
pains et le lui jeta à la tête. Le pauvre le ramassa et alla le montrer à ses compagnons pour leur
faire voir qu'il avait reçu quelque chose de sa main.
Deux jours après, ce receveur tomba malade d'une maladie mortelle et vit en songe qu'on lui
demandait compte de toutes ses actions et qu'elles étaient toutes pesées dans une balance. Il
voyait devant lui d'un côté une troupe de Maures extrêmement hideux et de l'autre une troupe
d'Anges vêtus de blanc dont le regard était terrible et ces derniers ne pouvant trouver aucune
bonne action qu'il avait faite pour équilibrer la balance dans laquelle ces Maures avaient
rassemblé toutes les mauvaises, ils étaient pleins de tristesse et se disaient l'un à l'autre avec
un chagrin sensible : 'Ne trouverons-nous donc rien qu'il ait jamais fait de bon?' Enfin, il y en
eut un qui dit : 'Je ne vois rien si ce n'est un pain qu'il donna, il y a deux jours à Jésus-Christ
mais contre son gré.' Ils mirent aussitôt ce pain dans la balance qui fit qu'elle pesa moins de
l'autre côté puis ils dirent au receveur : 'Ajoute à ce pain car autrement, tu ne saurais échapper
des mains de ces Maures.'
Alors comprenant que cette vision était très véritable parce qu'il voyait ces Maures rassembler
et mettre dans la balance toutes les fautes qu'il avait faites depuis sa jeunesse et qu'il avait
oubliées lui-même, il se mit à pleurer et dit : Hélas! si un pain que j'ai jeté par colère m'a été si
avantageux, de combien de maux se délivre celui qui donne avec simplicité de coeur ses biens
aux pauvres? Et depuis ce jour, il se conduisit de telle sorte qu'il n'épargna même pas son
propre corps.
Or, le lendemain comme il allait dès le jour au bureau, il rencontra un matelot qui s'étant
sauvé tout nu d'un naufrage se jeta à ses pieds et le supplia de venir à son aide. Croyant que
c'était un pauvre, il ôta sa tunique qui était ce qu'il avait de meilleur sur lui et la lui donna en
le priant de la mettre. Mais ce pauvre n'osant pas la porter parce qu'elle était trop belle, la
vendit à un fripier. Le receveur revenant chez lui et la voyant exposée en vente fut touché d'un
grand chagrin et lorsqu'il fut de retour en sa maison, il ne voulut point manger mais s'enferma
dans sa chambre où il s'assit et dit : 'Je n'ai pas été digne que ce pauvre se souvînt de moi.
Comme il était ainsi affligé, il s'endormit et vit en songe un homme aussi éclatant de lumière
que le soleil qui portait une Croix sur ses épaules et qui était vêtu de la tunique qu'il avait
donnée à ce matelot et il l'entendit lui dire: Pierre (car il se nommait ainsi), pourquoi pleurestu?'
Il lui répondit, croyant parler à Dieu : 'Je pleure, Seigneur, de ce que ceux à qui je fais
part des choses qu'il T'a plu de me donner ont honte de les avoir reçues.' Alors, celui qui
apparaissait ainsi, lui dit en lui montrant cette tunique : 'La reconnais-tu bien? Tu vois que je
m'en suis servie depuis que tu me l'as donnée et je te sais gré de ta bonne volonté car j'étais
transi de froid et tu m'as revêtu.' Le receveur s'éveilla dans un merveilleux étonnement et dit
en admirant le bonheur des pauvres : 'Vive le Seigneur puisque Jésus-Christ réside en la
personne des pauvres, je ne mourrai point sans devenir comme l'un deux.' Il fit venir ensuite
un esclave qu'il avait acheté et qu'il employait à écrire et lui dit : 'Je veux te confier un secret
mais si tu en parles à qui que ce soit ou si tu manques d'exécuter ce que je t'ordonnerai, tu
peux bien être sûr que je te vendrai à des barbares.' Après lui avoir parlé de la sorte il lui
donna dix livres d'or et continua ainsi : 'Va-t-en acheter quelque marchandise et puis prendsmoi
et mène-moi à Jérusalem. Là, vends-moi à quelque Chrétien et donne aux pauvres le prix
que tu m'auras vendu.' Cet homme refusant d'exécuter un tel commandement, il lui dit une
seconde fois : 'Je te réponds que si tu ne me vends, je te vendrai toi-même à des barbares ainsi
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que je t'en ai déjà assuré.' Et son serviteur résolut donc de lui obéir.
Etant arrivé à Jérusalem, cet homme trouve un orfèvre qui était son ami et qui avait subi de
grandes pertes. Comme ils s'entretenaient, il lui dit : 'Je te conseille, Zoîle, d'acheter un
esclave que j'ai et qui est si bon et si sage qu'on le prendrait pour un sénateur.' L'orfèvre fut
surpris de voir qu'il avait un esclave et lui répondit : 'Je t'assure que je n'ai pas un sou pour
l'acheter.' Il lui répliqua : 'Emprunte si tu m'en crois et achète-le car il est très bon et Dieu te
bénira à cause de lui.' Zoîle suivit son conseil et l'acheta trente pièces d'argent tout mal vêtu
qu'il était. L'esclave ayant ainsi laissé son maître s'en alla à Constantinople afin de conserver
le secret qu'il lui avait tant recommandé et de distribuer aux pauvres l'argent de cette vente
sans en retenir une obole.
Pierre s'employant à des occupations fort nouvelles pour lui, faisait quelquefois la cuisine de
son maître et quelquefois lavait ses habits et il matait aussi son corps par de très grands
jeûnes. Zoîle voyait prospérer sa famille au-delà de tout ce qu'il eût osé espérer et avait de la
révérence pour l'incroyable vertu et l'extrême humilité de Pierre. Sur quoi, un jour, il lui dit
que voyant quelle était son humilité, il le voulait affranchir afin qu'il vécut désormais avec lui
comme s'il eut été son frère mais il refusa de recevoir cette Grâce.
Son maître avait aussi remarqué qu'il supportait avec patience d'être injurié et frappé par les
autres esclaves qui le tenaient pour idiot et ne l'appelaient point autrement. Lorsqu'ils le
traitaient de la sorte et qu'il s'endormait tout plein de chagrin, celui qui lui était apparu en
Afrique se présentait en songe à ses yeux revêtu de cette tunique et tenant dans sa main ses
trente pièces d'argent qui étaient le prix de sa liberté et lui disait : 'Pierre, mon frère, j'ai reçu
l'argent pour lequel tu as été vendu. Ne t'afflige donc point mais aie patience jusqu'à ce que tu
sois reconnu pour tel que tu es.'
Peu de temps après quelques orfèvres de son pays qui venaient visiter les Lieux Saints furent
retenus à dîner par son maître. Pierre en les servant à table les reconnut et eux en le
considérant se disaient à l'oreille : 'Que cet homme ressemble au seigneur Pierre, le receveur
des finances!' S'apercevant de cela, il se cachait le visage le mieux qu'il pouvait, ce qui ne les
empêcha pas de dire à Zoîle : 'Certes, tu es bienheureux car si nous ne nous trompons, tu as à
ton service un très haut fonctionnaire.' Et comme ils ne savaient pas que le travail de la
cuisine et les jeûnes lui avaient changé le visage, ils le regardèrent encore fort longtemps et
fort attentivement et enfin l'un d'eux dit : C'est assurément le seigneur Pierre. Je m'en vais me
lever et l'embrasser et l'empereur est peiné de ce qu'il est absent depuis si longtemps sans
qu'on ait de ses nouvelles. Pierre qui était sorti après avoir entendu ces paroles laissa le plat
qu'il portait et au lieu d'entrer dans la chambre courut à la porte de la rue; celui qui en avait la
clef était sourd et muet depuis sa naissance et n'entendait que par signes : le Serviteur de Dieu
qui avait hâte de sortir lui dit : 'Je te commande au Nom de Jésus-Christ de m'ouvrir la porte.'
Le sourd-muet entendit aussitôt et répondit : 'Oui, seigneur' et aussitôt il se leva et lui ouvrit.
Après qu'il fut sorti, ce pauvre homme, transporté de joie de ce qu'il entendait et parlait se mit
à crier : 'Seigneur, Seigneur!' Tous ceux du logis furent épouvantés de le voir parler et il
continua à dire : 'Celui qui faisait la cuisine est sorti en courant mais prenez garde qu'il ne se
soit enfui car c'est un Grand Serviteur de Dieu et lorsqu'il m'a dit : 'Je te commande au Nom
du Seigneur,' j'ai entendu et j'ai parlé.' Ce Miracle les ayant tous remplis d'une extrême joie,
ils coururent pour trouver Pierre mais ils ne le retrouvèrent jamais depuis. Toute cette maison
et le maître même firent ensuite pénitence pour avoir traité Pierre avec mépris et
principalement ceux qui le nommaient l'idiot."
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Voilà quels étaient les entretiens du Très Heureux Patriarche si chéri de Dieu. Il disait
d'ordinaire : s'il s'est trouvé des hommes qui n'ont pas épargné leur propre sang mais qui l'ont
répandu pour l'Amour de Jésus-Christ, à combien plus forte raison devons-nous avec joie et
humilité donner notre bien aux pauvres, c'est-à-dire à Jésus-Christ afin d'en être récompensés
par ce Juste Distributeur des couronnes dues aux bonnes actions en ce jour terrible et
épouvantable du Jugement Dernier? Celui qui sème en ce monde avec avarice ne moissonnera
qu'à proportion de ce qu'il aura semé. Et celui qui sème avec bénédiction, c'est-à-dire
libéralement et avec largesse, moissonnera dans l'abondance et possédera dans le Ciel ces
Biens Eternels dont le bonheur est si fort au-delà de tout ce que nous saurions imaginer.
Ce Saint avait, entre autres bonnes coutumes, celle de prendre plaisir à parler des actions des
Saints Pères et de ceux qui ont été les plus portés à faire l'aumône. Un jour, il lut dans la vie
de Saint Sérapion surnommé Syndone qu’ayant rencontré un pauvre, il lui donna son manteau
puis en ayant trouvé un autre qui avait grand froid, il lui donna sa tunique et ainsi demeurant
tout nu et s'étant assis en tenant le Saint Evangile entre ses mains comme quelqu'un lui
demandait : "Mon père qui vous a dépouillé de la sorte?" Il répondit, montrant le Saint
Evangile : "C'est celui-ci." Et il lut aussi qu'une autre fois, il vendit même l'Evangile pour
donner l'aumône. Sur quoi, son disciple lui disant : "Mon père où est ton Evangile?" Il lui
répliqua : "En vérité, mon fils parce que j'ai vu qu'il m'avait dit : 'Vends tout ce que tu as et
donne-le aux pauvres,' je l'ai vendu lui-même pour le leur donner afin qu'au jour du Jugement,
j'ai sujet d'avoir une plus grande confiance en Dieu." Et il trouva encore dans la vie de ce
même Saint qu'une autre fois, une veuve dont les enfants mouraient de faim lui ayant
demandé l'aumône, il se donna lui-même à elle pour le vendre comme elle le fit à des
bateleurs grecs qu'il convertit peu après au Christianisme.
Après avoir lu ces actions de Saint Sérapion, le Bienheureux Patriarche fut dans un tel
étonnement et dans une telle admiration de le voir si ingénieux à faire la charité qu'il fondit en
larmes et fit venir tous ses aumôniers pour leur dire ce que je viens de vous rapporter. Puis il
leur dit : "Vous tous qui aimez Jésus-Christ, voyez comme il est important de s'entretenir des
actions de ces Saints Pères?"
Le Saint honorait extrêmement la vie monastique et avait beaucoup d'estime et de compassion
pour ceux qui la professaient et en particulier, il ne recevait aucune accusation vraie ou fausse
contre ceux qui portaient cet Habit parce que pour avoir ajouté foi aux accusations de
quelques-uns, il lui était arrivé ce que je vais dire.
Un certain Moine parcourait depuis quelques jours la ville avec une jeune fille et demandait
l'aumône; quelques-uns en furent scandalisés, croyant qu'il vivait avec cette fille comme si
elle était sa femme et vinrent avec de grandes plaintes dire au Patriarche : "Monseigneur, fautil
souffrir qu’un tel individu déshonore la vie monastique qui est une Vie Angélique en
gardant ainsi une jeune fille avec lui comme si elle était sa femme?" Le Serviteur de Dieu,
croyant empêcher un péché commis contre sa Divine Majesté comme le devoir de sa charge
l'y obligeait, ordonna de les séparer puis de fouetter la fille et de châtier l'homme et l'enfermer
dans un cachot. Ce qui ayant été aussitôt exécuté, ce Moine que les défenseurs de l'Eglise
avaient cruellement battu, lui apparut la nuit, en songe et en lui montrant ses épaules toutes
déchirées de coups, lui dit : "Monseigneur, est-ce ainsi qu’il t'a plu de me faire traiter? Tu as
failli cette fois en ta vie d'homme mais songe que le Jugement et la mort sont proches." Après
ces paroles, il disparut.
Le Saint se souvenant le matin de cette vision, s'assit sur son lit, fort triste et ordonna aussitôt
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à son secrétaire d'aller chercher ce prisonnier et de le lui amener pour voir s'il ressemblait à
celui qui lui était apparu la nuit. Lorsqu'il fut arrivé avec une extrême peine à cause de la
quantité de plaies qui l'empêchaient presque de remuer, le Patriarche ne l'eut pas plutôt
dévisagé que, demeurant immobile et sans parole, il put tout juste lui faire signe de la main de
s'asseoir sur son lit, auprès de lui.
Lorsqu'il fut revenu à lui et eut fait le Signe de la Croix, il pria ce Moine de mettre un linge
devant lui afin de pouvoir se déshabiller et de lui montrer ses épaules car il désirait voir s'il
était dans le triste état où il lui était apparu en songe. Le Moine fit quelques difficultés;
comme il se déshabillait, Dieu permit, par une voie remarquable que le linge dont il était ceint
se détachât et tombât à terre et les assistants s'aperçurent qu'il était eunuque mais parce que
c'était depuis fort peu, il n'en paraissait rien à son visage. Le Saint Patriarche ayant vu comme
les autres ce que je viens de dire en même temps que les grandes plaies dont son dos était
couvert, ordonna à ceux qui l'avaient si cruellement traité de se retirer puis s'adressant au
Moine après lui avoir dit qu'il avait péché par ignorance et contre lui et contre Dieu, il lui fit
une petite remontrance en ce peu de mots : "Il ne faut pas, mon fils que ceux qui sont revêtus
comme toi d'un Habit Saint et Angélique aillent avec si peu de considération dans les villes et
qu'ils y mènent une femme avec eux puisque cela scandalise ceux qui le voient." Le Moine
pour rendre raison au Saint lui répondit avec très grande humilité : "Tu peux, Monseigneur,
ajouter foi à ce que je vais te dire car je ne mentirai pas.
Il y a quelques jours, sortant sur le soir de la ville de Gaza pour aller faire mes dévotions au
tombeau de Saint Cyr, je rencontrai près des portes de la ville cette jeune fille qui se jeta à
mes pieds et me pria d'accepter qu'elle me suive, disant qu'elle était Juive et désirait se faire
Chrétienne. Elle usa de termes si pressants et de paroles si pressantes pour me supplier de
l'empêcher de se perdre que je ne me crus pas le droit de rejeter sa prière et je me résolus à
l'emmener croyant que le diable ne tentait point les eunuques et ne sachant pas encore comme
je le sais maintenant par expérience que sa fureur n'épargne personne. Ainsi, Très Saint Père,
nous vînmes en cette ville où après avoir fait nos prières, je la baptisai auprès du tombeau de
Saint Cyr et j'allais avec elle par les rues en toute simplicité de coeur pour demander de quoi
vivre jusqu'à ce que je l'aie mise dans un monastère."
Le Patriarche après l'avoir entendu parler de la sorte, s'écria :
"Hélas! Combien Dieu a-t-il de serviteurs cachés que nous ne connaissons pas! Il conta
ensuite à ceux qui étaient auprès de lui, la vision qu'il avait eue la nuit précédente à propos de
ce Moine et prit cent pièces d'argent pour les lui donner. Mais cet Ami de Dieu et qui était un
Véritable Moine, ne voulut jamais les accepter et lui dit pour s'en excuser, cette parole si
admirable : "Monseigneur, je ne demande rien parce qu'un Moine n'a pas besoin d'argent s'il a
de la Foi." Une si sage réponse fit encore plus que tout le reste connaître à ceux qui
l'entendirent qu'il était un Serviteur de Dieu. Ainsi après avoir fait une métanie devant le
Patriarche, il se retira en paix. Depuis ce jour, le Saint honorait encore davantage et recevait
encore mieux les Moines qu’on les estimât vertueux ou non et leur fit bâtir un hôpital séparé
des autres qu’on nommait la retraite des Moines.
A une époque où la mortalité était grande à Alexandrie, le Saint Patriarche allait voir passer
tous les jours les funérailles et disait que ce spectacle ainsi que celui des tombeaux était une
chose utile. Il assistait aussi fort souvent ceux qui demeuraient longtemps à l'agonie et leur
fermait les yeux de ses propres mains pour en conserver toujours la mémoire et se préparait
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lui-même à un moment si important. Il ordonnait aussi qu'on fît avec grand soin des prières
pour les défunts.
A ce propos, il rapportait que quelque temps auparavant, un captif ayant été emmené en Perse
et mis dans une prison, ses parents en demandèrent des nouvelles à quelques-uns de ses
camarades qui avaient pu s'évader et étaient venus à Chypre; ceux-ci les assurèrent qu'ils
l'avaient eux-mêmes enseveli et leur indiquèrent le jour et le mois où il s'était endormi.
Ainsi, ne mettant point la chose en doute, ils faisaient faire trois fois l'année des prières pour
lui. Or, leur parent n'était point endormi. Quatre ans après, il se sauva de prison et arriva à
Chypre. Ses parents fort surpris de le voir lui dirent : "On nous avait assuré que tu étais
trépassé et nous faisions trois fois l'année faire des prières pour toi." Leur ayant demandé en
quels jours et en quels mois, ils répondirent que c'était aux Saints Jours de la Nativité, de
Pâque et de la Pentecôte. Alors cet homme leur apprit qu'en chacune de ces trois fêtes, un
homme aussi éclatant de lumière que le soleil venait le déchaîner et lui ouvrir la porte de la
prison et qu'après s'être promené pendant tout le jour sans que personne le reconnût, il se
retrouvait le lendemain chargé de chaînes de fer comme auparavant. "Et nous voyons par là,"
disait le Saint "que les défunts reçoivent du soulagement des prières que l'on fait pour eux."
Il arrivait souvent à ce très charitable pasteur ce que nous lisons dans les Actes des Saints
Apôtres. Car plusieurs, voyant que son incroyable compassion pour les pauvres n'avait point
de bornes, en étaient si touchés qu'ils vendaient une grande partie de leur bien pour l'apporter
à ce Ministre de Dieu. Ainsi il arriva un jour qu'un homme lui apporta sept livres et demie d'or
et après lui avoir juré qu'il n'en avait pas davantage, le supplia, en faisant plusieurs métanies,
de vouloir prier pour son fils unique âgé de quinze ans afin qu'il plût à Dieu de le sauver dans
un voyage qu'il avait entrepris. Le Patriarche recevant de lui cette quantité d'or admira qu'il
l'eût offerte sans s'en être rien réservé et après avoir beaucoup prié Dieu pour lui en sa
présence, il le renvoya mais à cause de la grandeur de sa Foi, il mit sous la table de l'oratoire
de sa chambre le sac dans lequel était cet or et à l'heure même assembla tous ses
Ecclésiastiques afin de prier Dieu pour celui qui l'avait offert et lui demander avec instance
qu'il lui plût de sauver son fils et le ramener à bon port comme il l'en avait tant prié.
Trente jours n'étaient pas encore passés que le fils de cet homme s'endormit et trois jours
après, son vaisseau dans lequel était aussi le frère de ce même homme, revint d'Afrique mais
en arrivant, il fit naufrage près du phare sans rien sauver de sa cargaison; l'équipage et une
chaloupe échappèrent à l'accident. Ce pauvre homme ayant appris ces deux événements si
funestes et l'affliction d'avoir perdu son vaisseau ayant suivi de si près l'extrême douleur qu'il
ressentait du Départ de son fils, faillit en perdre la raison.
Ceci ayant été rapporté au Patriarche, il en fut encore presque plus touché que lui-même,
surtout à cause de ce fils unique. Sur quoi, ne sachant que faire, il supplia le Dieu de
Miséricorde de bien vouloir par son Infinie Bonté, assister cet affligé et n'ayant pas la force et
le courage de le faire venir pour perdre l'espérance puisque Dieu Qui ne fait rien que par un
Juste Jugement, ordonne toutes choses selon ce qui nous est le plus avantageux, bien que nous
ne puissions le discerner et qu'ainsi il devait se garder du désespoir et ne pas perdre la
récompense qu'il était en droit d'attendre de lui, à cause des sept livres et demie d'or qu'il avait
données pour les pauvres et de la Foi qu'il avait eue en celui entre les mains duquel il les avait
mises.
Or pour nous apprendre que lorsque nous avons fait quelque bonne action, nous ne devons pas
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être troublés par les tentations qui nous arrivent mais au contraire, demeurer fermes dans la
Foi et rendre toujours Grâces à Dieu, ce Serviteur de Jésus-Christ qui avait fait en même
temps deux si grandes pertes, vit en songe un homme tout semblable au Patriarche qui lui
disait : "Mon frère, pourquoi t'affliges-tu et te laisses-tu ainsi accabler par la douleur? Ne
m'as-tu pas prié de demander à Dieu de sauver ton fils? Et Il l'a sauvé car je puis t'assurer que
s'il avait vécu, il aurait été un très méchant homme et quant à ton vaisseau, si Dieu ne s'était
laissé fléchir par la bonne oeuvre que tu as faite en t'adressant à moi, il aurait été submergé
avec toutes les personnes qui étaient dedans et tu aurais perdu ton fils. Lève-toi donc et rends
Grâces à Dieu de te l'avoir conservé et d'avoir sauvé ton fils en le retirant à Lui avant qu'il ait
été corrompu par les désordres et les vanités du siècle." Cet homme s'étant réveillé se trouva
tout consolé et sa tristesse étant entièrement dissipée, il s'habilla aussitôt et vint en hâte chez
le Patriarche; après s'être jeté à ses pieds et avoir rendu Grâces à Dieu, il lui conta la vision
qu'il avait eue. Le Saint, adressant sa parole à Dieu, s'écria : "Gloire Te soit rendue à jamais
Mon Sauveur et Mon Maître Qui par Ton Extrême Bonté et Ton Infinie Miséricorde daigne
écouter ainsi les prières des pécheurs." Et se tournant vers cet homme, il lui dit : "Garde-toi
bien, mon fils, d'attribuer à mes prières cette Grâce que tu as reçue mais attribue-la à Dieu
seul et à ta Foi qui a été assez grande pour te faire obtenir toutes ces faveurs." Car ce
Bienheureux Hiérarque avait une très humble opinion de lui-même, ainsi qu'il le montrait par
ses discours et par sa conduite.
Un jour comme le Saint allait visiter les pauvres dans un lieu nommé Césarée où il leur avait
fait bâtir de grands baraquements parquetés et couverts avec des nattes et des couvertures afin
qu'ils y puissent loger pendant tout l'hiver, il trouva que parmi les Evêques de sa suite, il y en
avait un qui aimait passionnément l'argent et le Saint ayant appris qu'il faisait porter ce jour
même par l'un de ses domestiques, une somme de trente livres d'or pour acheter un buffet en
argent ciselé, lui dit : "Mon frère Troîle (c'était son nom), aime et assiste les Frères de Jésus-
Christ." Ces paroles du Patriarche l'ayant étonné et touché d'un mouvement passager de
charité, il ordonna de donner aux pauvres ces trente livres d'or, ce qui fut exécuté à l'instant
même. Lorsque chacun fut rentré chez soi, le chagrin d'avoir donné cet argent remplit l'esprit
de Troîle de pensées très préjudiciables à son Salut; il se trouva tellement agité de ce
détestable amour de la chose matérielle qui le rendait si cruel et si insensible envers les
misérables qu'il lui prit une fièvre extraordinaire qui l'obligea à se mettre au lit. Le Patriarche
ayant envoyé un de ceux qui étaient de semaine pour l'inviter à dîner, il s'excusa en disant
qu'il avait été pris par le frisson et souffrait de la fièvre. Ceci ayant été rapporté au Saint, il
comprit aussitôt que les trente livres d'or que cet homme si peu enclin à faire l'aumône avait
données contre son gré, étaient la cause de sa maladie car il n'avait nulle compassion des
affligés et aimait l'argent avec ardeur. Le Patriarche ne pouvant se résoudre à demeurer à table
tandis que l'évêque souffrait dans son lit, alla le trouver sur-le-champ et lui dit avec un visage
gai et avec cette humilité qui lui était si naturelle : "Mon frère Toîle, lorsque je t'ai exhorté à
être charitable, penses-tu que ç'ait été tout de bon que je t'ai dit de donner aux pauvres ce que
tu leur as donné? Crois-moi, ce n'était qu'en riant; je leur voulais donner à chacun une pièce
d'argent à cause de la bonne fête et mon aumônier n'en avait pas assez sur lui alors, je t'ai
emprunté la somme et voici ces trente livres d'or que je te rapporte." Quand l'Evêque vit cette
somme entre les mains de ce sage et charitable pasteur, sa fièvre le quitta aussitôt et il ne
sentit plus de frisson mais les forces et la chaleur lui revinrent, ce qui fit clairement
reconnaître quelle était la cause d'un si soudain changement. Lorsqu'il eut, sans faire aucune
difficulté, accepté cet or des mains sacrées du Patriarche, le Saint lui demanda malicieusement
une quittance de la récompense qu'il était en droit d'espérer s'il avait donné aux pauvres, ce
qu'il lui accorda très volontiers et il la rédigea en ces termes : "Mon Dieu, récompense Jean,
mon seigneur et très Saint Patriarche de la grande ville d'Alexandrie des trente livres d'or qu'il
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T'a données et qu'il m'a rendues." Le Saint prit le papier et le mena dîner chez lui car comme
je l'ai déjà dit, il avait été guéri sur-le-champ.
Mais Dieu voulant lui faire connaître la faute qu'il avait faite et lui apprendre en même temps
à avoir pitié des malheureux, lui montra la même nuit, en songe, de quelle récompense il
s'était privé lui-même car il vit un palais d'une grandeur et d'une beauté si extraordinaires que
l'art de tous les hommes ne saurait rien faire qui en approche. Tout le portail était d'or et il y
avait écrit dessus : "C'est ici la Demeure Eternelle et Bienheureuse de l'Evêque Troîle."
Lorsqu'il eut déchiffré cette inscription, il fut pénétré d'une grande joie, sûr que le prince qui
tenait sa cour dans ce palais ne l'y laissait manquer de rien. Mais bientôt, un gentilhomme de
la chambre de ce prince suivi de quelques autres Officiers Célestes vint à ce superbe portail et
ordonna : "Ôtez cette inscription." Et quand ce fut fait, il ajouta : "Mettez en sa place celle-ci,
suivant l'ordre que j'en ai reçu du Monarque de l'univers." Ils mirent alors, en sa présence, une
autre inscription qui contenait ces paroles : "C'est ici la Demeure Eternelle et Bienheureuse de
l'Archevêque Jean d'Alexandrie qui l'a achetée trente livres d'or." Troîle s'éveilla à l'instant et
ayant conté au Patriarche cette vision, il devint, depuis à cause de l'émotion qu'il en eût, très
grand et très charitable aumônier.
Comme Dieu fit perdre autrefois au Bienheureux Job toutes ses richesses, il lui plut aussi de
traiter de la même façon le Saint et Charitable Patriarche car une violente tempête ayant
surpris sur la mer Adriatique tous les vaisseaux de la très Sainte Eglise d'Alexandrie qui
étaient au nombre de treize et davantage et chacun d'une contenance de dix mille boisseaux,
on fut contraint de jeter à la mer toute la cargaison qui était d'un grand prix parce qu'elle
consistait en étoffes, en argent et d'autres choses encore plus précieuses. Lorsqu'ils furent
retournés à Alexandrie, les pilotes des vaisseaux se réfugièrent à l'église pour trouver sûreté
dans cet asile. Le Saint l'ayant appris en même temps que la catastrophe qui les avait obligés à
se cacher, leur envoya un billet écrit de sa main dans lequel étaient ces paroles : "Mes frères,
ce que le Seigneur vous avait donné, le Seigneur vous l'a ôté parce qu'Il l'a voulu ainsi; ce
qu'Il Lui a plu est arrivé; Son Saint Nom soit béni à jamais. Sortez, mes enfants, sans que
cette perte ne vous cause aucune crainte car il ne manquera pas d'avoir soin de ce qui vous
sera nécessaire à l'avenir."
Presque la moitié des habitants de la ville vinrent porter leurs condoléances au Patriarche à
propos de cet accident. Et quelques jours après comme ils voulaient le consoler, il les prévint
et leur dit : "Mes frères et mes enfants, ne vous affligez point, je vous prie, à cause de la perte
survenue sur ces vaisseaux. Car croyez-moi, elle vient de ce que l'humble Jean s'est trouvé
coupable devant Dieu et elle ne serait pas arrivée si je ne m'étais point laissé emporter de
vanité mais comme je m'élevais dans des actions qui procédaient purement de Dieu et croyais
faire beaucoup en donnant des biens terrestres, je suis tombé dans cette faute et Dieu l'a
permise afin de me rendre plus sage. Car l'aumône donne d'ordinaire une certaine présomption
à ceux qui la font sans veiller attentivement sur eux-mêmes, tandis qu'une perte humilie celui
qui la subit avec patience suivant cette parole de l'Ecriture : 'La pauvreté humilie les hommes.'
Et David qui n'ignorait pas cette vérité, dit en un autre endroit : 'Il m'est avantageux, Mon
Dieu, d'être humilié par Toi afin que j'apprenne à l'avenir à garder Tes Commandements.'
Ainsi m'étant rendu coupable puisque je perdais et dissipais plutôt que je ne donnais, chaque
fois que je donnais avec un sentiment de vanité et que c'est heureusement par ma faute qu'un
si grand accident est venu, je mérite d'être puni à cause de la gêne où tant de personnes sont
réduites. Mais mes très chers enfants, Dieu est le même qu'Il était du temps de Job, cet
homme si Juste. Et encore que je sois indigne qu'Il m'assiste dans ce besoin, celui de tant
d'autres personnes fera qu'Il ne nous abandonnera pas."
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Ainsi tous ces habitants qui étaient venus pour consoler le Saint Patriarche furent consolés par
lui et fort peu de temps après, Dieu rendit au double à ce nouveau Job, le bien qu'il avait
perdu et il l'employa au soulagement des pauvres avec sa libéralité ordinaire et peut-être avec
une piété plus grande encore qu'auparavant.
Un de ses domestiques ayant eu de graves ennuis, il lui donna deux livres d'or de sa propre
main afin que personne ne le sût. Sur quoi, cet homme lui ayant dit : "Je n'oserai plus,
Monseigneur, lever les yeux pour te regarder tant l'excès de ta bonté me rend confus, il lui
répondit cette belle parole si pleine de sagesse et que l'on ne saurait trop louer : "Mon frère, je
n'ai pas encore répandu mon sang pour toi, ainsi que Jésus-Christ, Mon Maître et Notre Dieu à
tous l'ordonne."
Un particulier étant forcé d'acquitter une dette et n'ayant pas le moyen de la payer parce que le
pays traversait une période de crise, le Nil n'ayant point débordé selon sa coutume, il alla
supplier un grand seigneur de lui prêter cinquante livres d'or, sur des gages qui valaient deux
fois autant. Le seigneur le lui promit mais différa de l'exécuter. Cet homme voyant que ses
créanciers voulaient le faire contraindre, eut recours comme tous les autres à ce port dont
l'entrée n'était fermée à personne, c'est-à-dire à ce Patriarche si plein de compassion et si
charitable. A peine lui eut-il conté le besoin où il se trouvait que le Saint lui répondit : Mon
frère, je te donnerai même, si tu veux, l'habit que je porte sur moi car entre autres qualités, il
avait celle de ne pouvoir sans fondre en larmes, voir pleurer ceux qui étaient dans le malheur
et ainsi il lui prêta sur l'heure même ce qu'il lui demanda. La nuit suivante, ce seigneur vit en
songe un homme qui était debout sur un Autel et à qui plusieurs personnes offraient un
présent; pour une offrande qu'ils mettaient sur cet Autel, ils en recevaient chaque fois cent fois
autant. Il lui sembla aussi qu'il était suivi du Patriarche; il y avait devant eux une offrande sur
un banc et quelqu'un lui dit: Monseigneur, prenez cette offrande et mettez-la sur l'Autel afin
de recevoir cent fois autant. Et comme il avait un peu différé de le faire, le Patriarche qui était
derrière lui, courut, prit cette offrande, la mit sur l'Autel en reçut le centuple comme tous les
autres. S'étant éveillé et ne comprenant rien à ce songe il envoya chercher celui qui lui avait
demandé de l'argent à emprunter afin de le lui remettre et lui dit : "Voici ce que tu m'as
demandé à emprunter reçois-le." L'autre lui répondit : "Notre Saint Patriarche t'a prévenu dans
l'accomplissement et la récompense de cette bonne oeuvre car voyant que tu différais de me
faire ce plaisir et que j'étais contraint d'avoir recours à lui comme au port de tous les affligés."
A ces paroles ce seigneur se ressouvint de son songe et lui répondit : "Tu as raison de dire
qu'il m'a prévenu et a reçu la récompense de cette bonne oeuvre car il est vrai qu'il l'a reçue et
malheur à celui qui use de retardement pour faire le bien." Il conta ensuite ce songe au
Patriarche et à plusieurs autres.
Une autre fois, le Saint allait à l'église des Illustres Martyrs-Cyr-et-Jean afin de faire ses
prières sur leur tombeau. Comme il sortait de la ville, une femme se jeta à ses pieds en
s'écriant : "Fais-moi justice de mon gendre qui me traite mal." A ces mots quelques personnes
de sa suite qui avaient créance auprès de lui, dirent qu'il pourrait à son retour s'occuper des
plaintes de cette femme; il leur fit cette sage réponse : "Comment Dieu écoutera-t-Il mes
prières si je rejette celle-ci? Qui peut m'assurer que je vivrai jusqu'à demain et que je n'irai
pas, dès aujourd'hui, rendre compte à Jésus-Christ de la négligence dont j'aurai usé envers
cette femme?" Ainsi avant de partir de là, il donna des ordres pour qu'elle fût satisfaite.
Le Bienheureux Patriarche, ayant appris qu'un homme fort charitable avait laissé en
s'endormant un fils unique et que cet orphelin se trouvait dans une grande gêne parce que son
père comme l'assuraient ceux qui avaient assisté à son Départ, n'ayant pour tout bien que dix
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livres d'or et voulant faire son testament fit venir cet enfant et lui dit : "Choisis, mon fils, ce
que tu aimes le mieux ou que je te laisse ces dix livres d'or ou que je ne te laisse pour tout
bien que la protection et l'assistance de la Sainte Mère de Dieu, ma Protectrice?" A ces mots,
l'enfant ayant répondu qu'il aimait mieux la Protection de la Toute Pure, il ordonna qu'on
distribuât cet or aux pauvres. "Et maintenant, Très Saint père," lui disaient-ils, "cet enfant est
dans une extrême pauvreté et ne bouge jour et nuit de l'église de la Mère de Dieu."
Le Saint Patriarche envoya chercher un notaire à l'insu de tous et après lui avoir conté toute
l'affaire et lui avoir défendu de la communiquer à personne ce qu'il désirait qu'il fît, il lui dit :
"Rédige sur ce vieux parchemin un testament fictif attribué à un nommé Théopente et fais
qu'il apparaisse par cet acte que le père de ce garçon et moi, étions cousins germains. Puis va
le lui montrer et dis-lui : 'Tu ne devrais pas, étant parent de notre Patriarche comme tu es,
demeurer ainsi dans la pauvreté. Si, tu n'oses pas te présenter à lui, je lui parlerai en ton nom
et réfléchis seulement à ce que tu réponds quand il te parlera.' Le notaire ayant exécuté tous
les ordres, rapporta au Saint que ce jeune garçon après l'avoir fort remercié, l'avait prié de
parler à sa place à sa Sainteté. Retourne, lui dit-il alors et dis-lui : 'J'ai parlé pour toi au
Patriarche lequel m'a répondu : Je sais que mon cousin germain a laissé un fils mais je ne le
connais pas de visage, c'est pourquoi je désire le voir et lorsque tu l'amèneras, apporte avec toi
le testament.' Quand ils furent arrivés, le Saint lui dit, en l'embrassant : 'Mon cousin, sois le
bienvenu.' Il lui donna ensuite une maison et tout ce dont il avait besoin et après l'avoir doté, il
le maria dans Alexandrie, pressé de faire connaître combien il est véritable que Dieu
n'abandonne jamais ceux qui espèrent en Lui.
Cet homme admirable avait aussi un soin continuel de pratiquer ce précepte de l'Evangile :
"Ne détourne jamais les yeux de celui qui veut emprunter de toi." Et ainsi, il ne refusait son
aide à personne. Un homme sans scrupules, était au courant de cette générosité; il lui
emprunta vingt livres d'or puis se moqua du Saint comme il s'était moqué de tous ses
créanciers. Sur quoi ceux qui avaient le soin du temporel de l'Eglise voulaient le faire mettre
en prison mais le Bienheureux Patriarche qui était un véritable imitateur de Celui qui a dit :
Soyez miséricordieux comme Votre Père Céleste Qui fait lever son soleil sur les bons et les
injustes, ne voulut jamais lui faire infliger cette punition. Mais ses collaborateurs se
montraient irrités du mépris avec lequel le Patriarche était traité par lui et lui dirent :
"Monseigneur, il n'est pas juste qu’un perdu et un débauché tel que celui-ci jouisse d'un bien
qui pourrait être distribué aux malheureux." Ce Très Saint Homme leur répondit : "Croyezmoi,
mes frères, si vous lui retirez malgré lui l'argent qu'il m'a emprunté, vous n'accomplirez
qu'un seul des Commandements en le distribuant aux pauvres et vous en violerez deux : le
premier en ce que vous vous montrerez impatient à souffrir quelque dommage et le second en
ce que vous n'obéirez pas à Notre Seigneur lorsque Il dit : 'Ne redemandez point ce qu'on vous
a pris.' Mes enfants, il vaut mieux que nous donnions à tout le monde un exemple de patience.
Certes, mes frères, c'est fort bien de donner à tous ceux qui nous demandent mais c'est
incomparablement mieux de donner aussi à ceux qui ne nous demandent point et c'est imiter
les Anges ou plutôt Dieu même, de donner notre habit à celui qui nous prend notre manteau
sans le demander."
Un Moine qui était âgé de soixante ans, ayant entendu parler des grandes actions du Saint
Patriarche, voulut éprouver s'il croyait à la légère et si en se scandalisant aisément, il
condamnerait quelqu'un avec trop de facilité. Il sortit donc du monastère et fit connaissance
avec plusieurs hommes perdus et débauchés. Après quoi, il dressa ensuite une liste de toutes
les femmes de mauvaise vie et gagna chaque jour un peu d'argent à copier des livres; le soir
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après le coucher du soleil, il mangeait un peu de légumes et allait chez l'une d'elles à qui il
donnait tout l'argent qu'il avait gagné à condition qu'elle restât chaste la nuit suivante; il
passait cette nuit tout entière auprès d'elle afin de l'écarter des tentations et se tenait dans un
coin de sa chambre, chantant des Psaumes, priant pour elle à genoux jusqu'à ce que le jour fût
venu et alors, il sortait et lui faisait promettre de ne rien dire à personne de ce qui s'était passé.
Il continua ainsi jusqu'à ce que l'une d'elles raconta à quelqu'un de quelles façon il se
conduisait et qu'au lieu de venir les voir pour jouir de leur faveur, il n'y venait que pour
travailler à leur Salut. Le Vieillard l'ayant su se mit en prière et aussitôt cette femme fut
tourmentée du démon afin que les autres touchées de crainte par cet exemple n'osassent plus
révéler quelle était la manière de vivre de ce Saint Homme.
Quand on l'accusait et qu'on le raillait, il répondait : "N'ai-je pas un corps comme un autre?
N'y a-t-il que les Moines que Dieu abandonne et ne sont-ils pas hommes aussi bien que tous
les autres?" Sur quoi quelqu'un lui disant : "Mon Père, change donc d'habit et prends une
femme afin de n'être pas cause que l'on blasphème le Nom de Dieu et de n'avoir pas à rendre
compte au jour du Jugement du scandale que tu donnes à tant de personnes." Il leur répartit
comme s'il eût été en colère : "Laisse-moi tranquille; je n'en ferai rien car je ne suis nullement
résolu pour t'empêcher de te scandaliser à prendre une femme qui me rendra misérable en
m'embarrassant d'une famille. Que ceux qui veulent se scandaliser se scandalisent si bon leur
semble et se frappent la tête contre les murailles. Que veux-tu de moi? Dieu t'a-t-il fait juge de
mes actions? Contente-toi de veiller sur vous-mêmes; tu ne Lui rendes pas compte pour moi.
Il n'appartient qu'à Lui seul de juger et ce sera Lui Qui dans le Saint Jour du Jugement rendra
à chacun selon ses oeuvres." Il criait ainsi tout haut et quelques-uns des amis de l'Eglise qui
l'entendirent plusieurs fois le rapportèrent au Patriarche. Mais Dieu Qui savait que le Saint
n'avait nullement l'intention de faire tort à ce Moine, fortifia son coeur pour l'empêcher
d'ajouter foi à ces rapports car il se souvenait du Moine eunuque dont j'ai raconté l'histoire et
ainsi, au lieu de croire ses accusateurs, il les réprimanda et leur dit : "Cessez d'accuser les
Moines. Ignorez-vous ce que fit l'Empereur Constantin de Sainte Mémoire? Lors du Grand
Concile tenu à Nicée quelques-uns qui ne vivaient pas dans la Crainte de Dieu, lui remirent
des mémoires diffamatoires contre un Moine. Il fit comparaître l'accusateur et l'accusé et les
ayant entendu tous deux et trouvé que la plupart des accusations étaient justes, il fit allumer
un flambeau et brûler le rapport en disant : "Si j'avais vu de mes propres yeux un Prêtre de
Dieu ou quelqu'un de ceux qui sont revêtus d'un Habit Monastique commettre un péché, je le
couvrirais de mon manteau afin qu'il ne fût vu de personne." Et n'est-ce pas par cette même
facilité à croire le mal que vous avez eu une si mauvaise opinion de ce Moine eunuque et que
vous m'avez fait faire une si grande faute dans ma conduite et commettre un si grand péché?"
Ainsi, le Patriarche les renvoya pleins de confusion.
Ce Moine qui était un vrai Serviteur de Dieu continuait à faire la même chose et priait Notre
Seigneur de révéler à quelqu'un en songe après son Départ, la vérité sur ses actions afin que
ceux qui s'en offensaient et les condamnaient comme scandaleuses ne fussent point tenus pour
coupables pour avoir rapporté des apparences qui semblaient être exactes. Sa conduite envers
ces femmes en avait porté plusieurs à se repentir de leurs péchés, surtout lorsqu'elles l'avaient
vu durant la nuit, prier pour elles, les bras étendus et à cause de ses prières plusieurs
renoncèrent à leur mauvaise vie; d'autres se marièrent et vécurent sagement dans le mariage et
quelques-unes quittèrent entièrement le monde pour passer le reste de leurs jours dans la
solitude mais on ne sut qu'après son Départ ce changement arrivé en l'âme de tant de
personnes par ses Saintes Exhortations et par ses ferventes prières.
Comme il sortait une fois, au point du jour, de chez la principale courtisane de la ville, il
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rencontra un débauché qui venait la voir. Cet homme, le voyant sortir à une heure pareille, lui
donna un soufflet et lui dit : "Hypocrite qui te moques de Jésus-Christ, ne te corrigeras-tu
jamais de tes vices?" Il lui répondit : "Quelle que soit ma faiblesse, tu recevras de moi un si
grand soufflet que toute la ville d'Alexandrie s'assemblera au bruit des cris qu'il t'obligera de
jeter." Peu de temps après, le Saint Homme, à l'insu de tous, rendit l'âme dans la petite cellule
qu'il avait à la porte de la ville, tout près de l'église du Saint-Martyr-Ménas. A l'heure même
de son Départ Céleste, un démon qui avait pris la figure d'un Ethiopien difforme, se présenta à
celui qui avait donné un soufflet au Saint et lui dit en lui en donnant un autre : "Reçois ce
soufflet de l'Abba Vital." Cet homme tomba sur le coup et il fut pris d'une crise pendant
laquelle il se mit à écumer et à pousser des hurlements, ce qui fit que selon la prédication du
Saint presque toute la ville d'Alexandrie s'assembla pour voir les tourments que les démons lui
faisaient subir et aussi parce qu'ils avaient été attirés par le bruit qu'avait fait ce soufflet et qui
avait été tel que quelques-uns l'avaient entendu d'une portée de flèche.
Quelques heures après, ce possédé étant revenu en son bon sens, déchira ses habits et courut à
la cellule du Saint en criant : "Vital, Serviteur de Dieu, je t'ai offensé mais aie pitié de moi."
Tous ceux qui l'entendirent crier coururent avec lui et lorsqu'il fut arrivé à la cellule du Saint,
le démon sortit tout à fait de son corps et le jeta par terre en la présence de tout le monde.
Ceux qui l'avaient suivi étant entrés dans la cellule trouvèrent alors le Saint à genoux dans le
même état qu'il était lorsqu'il avait rendu son âme à Dieu et virent sur le sol un papier ou était
écrit : "Habitants d'Alexandrie, ne jugez point avant le temps mais attendez la Venue de Notre
Seigneur." Alors cet homme avoua l'outrage qu'il avait fait au Saint et ce qu'il lui avait dit.
Lorsque le Bienheureux Patriarche eut appris ce qui s'était passé, il vint accompagné de tout
son clergé vers ce Saint Corps et dit en lisant ce papier : "Certes l'Humble Jean a, par la Grâce
de Dieu, évité ce grand soufflet puisque je l'aurais reçu au lieu de celui qui a été si bien
châtié."
Aux funérailles de ce digne Moine, toutes les femmes de mauvaise vie qui s'étaient repenties
et celles d'entre elles qui s'étaient mariées, marchaient devant le corps avec des cierges
allumés, en pleurant et en disant : "Nous avons perdu toute notre consolation et toutes les
instructions qui pouvaient nous conduire au Salut" car elles ne craignaient plus de révéler à
tout le monde quelle avait été la manière de vivre de ce Saint Homme et de faire savoir à tous
qu'il était si éloigné de mauvaises intentions lorsqu'il venait les voir qu'elles ne l'avaient
jamais vu dormir couché par terre ni prendre par la main une seule d'elles. Sur quoi quelquesuns
leur disant qu'elles avaient eu grand tort de ne l'avoir pas fait savoir à tout le monde et
d'avoir souffert, faute de le dire que toute la ville eût été scandalisée. Elles racontèrent pour
s'excuser, ce qui était arrivé à celle qui avait été tourmentée du démon et dirent que la crainte
qu'il ne leur en arrivât autant les avait fait demeurer dans le silence.
Le Saint ayant donc été enseveli avec beaucoup d'honneur, cet homme qui avait été si
justement châtié à cause de l'outrage qu'il avait fait et qui avait été délivré par son
intercession, demeura auprès de son tombeau dans des prières continuelles et quelque temps
après, il renonça au monde pour entrer au Monastère de l'Abba Séridon à Gaza. Il y demeura
jusqu'à son Départ, vivant dans la cellule de Saint Vital et ayant beaucoup de Foi en son
assistance.
Le Très Saint Patriarche rendit de très grandes Actions de Grâces à Dieu de ce qu'Il n'avait
pas permis qu'il l'eût offensé à propos de son serviteur et depuis ce temps, plusieurs personnes
d'Alexandrie faisant leur profit de cet exemple reçurent chez elles des Moines avec beaucoup
de bonté et apprirent à ne condamner personne comme elles avaient condamné ce Saint. Après
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son Départ, ses prières rendirent, par la Grâce de Dieu, la santé à plusieurs personnes qui y
eurent recours.
Le Patriarche ayant un jour ordonné de donner seulement dix pièces à un homme qui lui
demandait l'aumône, cet homme lui dit des injures avec une insolence extraordinaire parce
qu'il ne lui donnait pas ce qu'il demandait; les officiers qui accompagnaient le Patriarche
voulurent le battre pour le châtier mais il leur fit des reproches et leur parla en ces termes :
"Laissez-le dire mes frères car pourquoi ne voudrais-je pas subir cette injure, moi qui depuis
soixante ans, en fais de continuelles à Jésus-Christ par mes mauvaises actions?" Et il ordonna
à son aumônier d'ouvrir le sac de liards afin d'en laisser prendre à ce pauvre autant qu'il
voulait.
Lorsque l'on rapportait à ce sage Hiérarque que quelqu'un aimait à faire l'aumône, il le faisait
venir avec joie et lui disait : "Comment es-tu devenu si charitable? Est-ce par ta propre
penchant ou en te faisant violence?" Sur quoi quelques-uns de ceux qu'il interrogeait de la
sorte avaient honte de lui avouer la vérité et d'autres la lui disaient tout franchement. L'un
deux lui parla en ces termes : "En vérité, Monseigneur, je ne fais rien de bien, pas même mes
aumônes et ce peu que je fais je ne le fais que grâce à l'assistance que j'ai reçue de Dieu et de
tes prières qui m'ont accoutumé à agir comme je le fais car j'étais auparavant cruel et
impitoyable envers les pauvres mais ayant subi une perte qui me mit dans le besoin, je me dis
en moi-même : 'Si tu étais charitable, Dieu ne t'abandonnerait pas' et je résolus de donner
chaque jour aux pauvres cinq grosses pièces de monnaie de cuivre. Au début, le diable me
disait pour m'en détourner : 'Ce que tu donnes suffirait à acheter des légumes pour ta maison
ou à couvrir les frais des bains' et je cessai de faire l'aumône comme si en la faisant j'avais ôté
le pain de la main à mes enfants. Mais reconnaissant que je me laissais ainsi emporter à un
mauvais penchant, je dis à mon serviteur : 'Vole-moi tous les jours cinq pièces de monnaie
sans que je le sache et donne-les aux pauvres (car ma profession est d'être changeur).' Ce
garçon qui était fort charitable en prenait dix au lieu de cinq et quelquefois même une petite
pièce d'argent de plus. Puis voyant ensuite que Dieu répandait ses bénédictions sur moi et que
je devenais riche, il augmenta ses larcins pour donner aux pauvres. Un jour que j'admirais en
moi-même les Grâces que Dieu me faisait, je lui dis : 'En vérité, mon ami, ces cinq pièces de
monnaie que tu donnes chaque jour aux pauvres nous ont merveilleusement profité; c'est
pourquoi je veux qu'à l'avenir tu en donnes dix au lieu de cinq.' Il me répondit en riant : 'Ne te
mets point en peine, mon maître mais rends seulement Grâces à Dieu de mes larcins puisque
sans cela nous n'aurions pas de pain à manger; s'il y a dans le monde quelque larron qui soit
homme de bien, je puis dire que je le suis.' Il m'avoua ensuite qu'il donnait beaucoup plus que
je ne l'avais ordonné; aussi, je pris l'habitude, Monseigneur, de faire l'aumône de très bon
coeur.' Le Bienheureux Patriarche fut si édifié de ce récit qu'il lui déclara : "En vérité, mon
fils, je n'ai rien vu de semblable dans tout ce que j'ai lu des actions des Saints Pères."
Le Saint ayant appris qu'un des plus grands personnages de la ville en haïssait extrêmement
un autre, il le supplia plusieurs fois de se réconcilier avec lui mais inutilement. Il ne savait
comment y parvenir lorsqu'il eut l'idée suivante: il le pria de venir le trouver sous prétexte de
régler quelques affaires publiques et le mena dans sa chapelle où il dit la Liturgie, n'ayant
avec lui qu'une seule personne pour le servir. Quand il eut fait la consécration et commencé
l'oraison dominicale comme ils la disaient tous trois, ils arrivèrent à ces paroles : "Pardonnenous
nos offenses comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés." A ce passage, le
Patriarche se tut et fit signe à celui qui le servait à l'Autel de se taire aussi et ce seigneur fut
seul à continuer la prière et à dire tout haut ces paroles : "Pardonne-nous nos offenses comme
nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés." Alors, le Saint se tournant vers lui, lui dit
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avec une extrême douceur : "Je te supplie de réfléchir à ce que tu viens de dire à Dieu dans un
moment et dans un mystère si terrible." Aussitôt ce seigneur avec une profonde émotion se
jeta à terre aux pieds du Saint et lui répondit : "Ton serviteur est prêt à faire tout ce que tu lui
ordonneras" et sans différer davantage il fit avec son ennemi, une très sincère réconciliation.
Ce Saint parlait toujours avec tant de force de le pensée continuelle que nous devons avoir de
la mort et de la séparation de l'âme et du corps qu’il arrivait souvent que ceux qui venaient le
voir avec une contenance altière, un visage riant s'en retournaient avec un esprit d'humilité, un
visage modeste et des yeux tout trempés de larmes. Il disait : "J'estime que le moyen de faire
son Salut est de penser continuellement avec douleur à l'heure de notre mort, de songer que
nous ne pourrons partager avec personne les peines que nous sentirons alors et nous trouvant
abandonnés de tout le monde au sortir de cette vie, il n'y aura que nos bonnes oeuvres qui ne
nous abandonneront pas; de penser dans quel étonnement et dans quel trouble nous serons
quand les Anges viendront à notre rencontre, s'ils nous trouvent mal préparés pour répondre à
Dieu de nos actions et enfin de considérer que lorsque nous demanderons à cette dernière
heure qu'on prolonge notre vie pour un peu de temps afin de pouvoir faire pénitence, on nous
répondra : "Pourquoi demandes-tu encore du temps après avoir si mal employé celui qui vous
avait été donné?"
Ce Bienheureux Patriarche disait aussi comme s'il eut parlé de lui-même : "De quelle façon
l'humble Jean pourra-t-il éviter la fureur de tant de démons lorsqu’il verra devant lui ceux qui
lui demanderont un compte exact de ses actions? Et dans quelle crainte se trouvera mon âme
quand il lui faudra répondre aux questions de ces esprits cruels et impitoyables?" Car cet
Homme de Dieu avait toujours présente en sa mémoire cette vision de Saint Siméon le Stylite
dans laquelle il vit que lorsque l'âme se sépare du corps et qu'elle veut passer de la terre au
Ciel, elle trouve sur son chemin des troupes de démons de l'orgueil qui l'examinent sur les
fautes que l'orgueil lui a fait commettre; celle des esprits de calomnie recherche toutes les
paroles de médisance qui sont sorties de sa bouche et dont elle n'a pas fait pénitence et celle
des démons de l'impureté relève toutes les voluptés impudiques où elle est tombée et pendant
cet examen aucun des Anges ne l'accompagne mais seules ses bonnes oeuvres marchent à ses
côtés.
Cet homme excellent se remettant devant les yeux cette vision ne pouvait sans appréhension
penser à cette heure si terrible et avait toujours dans la mémoire cette parole de Saint Hilarion
au moment où se trouvant touché de crainte quand il fut prêt de rendre l'esprit, il dit à son
âme : "Mon âme, il y a soixante ans que tu sers Jésus-Christ et tu as peur de quitter ce corps?
Sors et ne crains point puisque le Seigneur est plein de miséricorde. Si celui qui a servi Jésus-
Christ pendant tant d'années, a ressuscité les morts et fait d'autres Miracles, a redouté cette
heure si épouvantable alors que pourras-tu dire et que pourras-tu faire quand tu te trouveras en
présence de ces cruels et impitoyables examinateurs de tes actions? Comment pourras-tu
répondre à ceux de ces esprits qui t'examineront sur la médisance; à ceux qui t'examineront
sur la dureté de coeur; à ceux qui t'examineront sur le souvenir des offenses; à ceux qui
t'examineront sur la haine et à ceux qui t'examineront sur le parjure?" Ces pensées le touchant
avec une telle force qu'il semblait transporté d'émotion, il disait : "Seigneur, arrête par Ta
Puissance les efforts de ces ennemis de mon Salut auxquels tous les hommes ensemble ne
seraient pas capables de résister et puisque leur haine contre nous nous donne tant de sujets de
trembler et nous fait courir de si grands périls dans ce passage de la terre au Ciel, donne-nous
pour guides tes Saints Anges afin de nous assister et de nous conduire. Car si lorsque nous
allons d'une ville à une autre, nous recommandons avec soin à nos guides d'éviter les
précipices, les lieux remplis de bêtes sauvages et dangereuses, les rivières non guéables, les
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montagnes inaccessibles ou les déserts vastes et arides, de peur que quelqu'un de ces dangers
ne nous fasse périr, de combien d'excellents guides et de Divins conducteurs avons-nous
besoin dans ce long et Eternel Voyage que fait notre âme lorsqu'en sortant de ce corps, elle
entreprend de monter au Ciel?" C'étaient là les sages enseignements que ce Saint donnait
chaque jour; c'étaient là les soins qu'il prenait sans cesse du Salut d'autrui et du sien propre et
c'étaient là ses méditations continuelles.
Le Saint tenait beaucoup à ce que durant le service, le peuple demeurât dans l'église et voyant
un jour que plusieurs en étaient sortis après la lecture du Saint Evangile et qu'au lieu de prier
Dieu, ils s'amusaient à s'entretenir de choses futiles, il quitta l'Autel pour les suivre et alla
s'asseoir au milieu d'eux. Et comme ils étaient extrêmement étonnés, il leur dit : "Mes enfants,
le pasteur ne doit point abandonner son troupeau, c'est pourquoi ou rendez-vous avec moi à
l'église ou je demeurerai ici avec vous car n'est-ce pas pour vous seuls que je viens dans
l'église?" Le Bienheureux Patriarche fit deux fois la même chose et ce moyen fut si puissant
pour instruire le peuple de son devoir qu'ils ne retombèrent plus dans une semblable faute tant
ils eurent d'appréhension qu'il ne leur fît encore cet affront.
Il ne supportait jamais qu'on parlât dans l'église mais il chassait en présence de tout le monde
ceux qui commettaient cette irrévérence et leur disait : "Si vous êtes venus ici pour prier,
n'employez à rien d'autre votre esprit et votre langue et si vous y êtes venus pour parler de
choses inutiles et profanes, écoutez ce que dit Notre Seigneur dans l'Evangile : 'La Maison de
Dieu sera nommée la maison de prière; gardez-vous donc bien d'en faire une caverne de
larrons'."
Ce Très Saint Homme était en cela d'autant plus admirable que n'ayant point été Moine et
n'ayant pas toujours été Ecclésiastique puisqu'il avait été autrefois marié, il maintint avec tant
de vigueur la discipline Ecclésiastique après qu'il eut été élevé à la haute dignité de Patriarche
qu’il surpassa même plusieurs Anachorètes par l'austérité de ses moeurs.
Et le désir qu'il avait de participer à la perfection de la vie monastique lui fit trouver pour cela
une idée excellente. Il assembla deux troupes de Saints Anachorètes auxquels il fit bâtir des
cellules dans deux chapelles consacrées à la Mère de Dieu et à Saint Jean l'Evangéliste; il
ordonna qu'on leur portât chaque jour, de ses métairies dans la ville tout ce qui leur était
nécessaire puis il leur dit : "Je veux prendre soin après Dieu de tous les besoins de votre corps
et je vous prie de prendre soin de votre côté de tous les besoins de mon âme. Ainsi, nous
partagerons ensemble vos Saints Exercices. Vous offrirez à Dieu pour moi toutes vos prières
du soir et de la nuit et vous lui offrirez pour vous-mêmes toutes celles que vous ferez dans vos
cellules." Voilà de quelle façon le Saint en soulageant ces Moines de tout ce qui regarde le
temporel, voulut les rendre encore plus attentifs à s'unir à Dieu et cette Sainte Institution parut
si commode et si profitable à tous que non seulement elle continua de la sorte mais à leur
imitation la plus grande partie des gens d'Alexandrie passaient en divers endroits les nuits
entières à chanter les Louanges de Dieu.
J'estime devoir rapporter aussi cette autre institution du Saint Hiérarque qu'il conjurait tout le
monde d'observer inviolablement. "N'ayez jamais", disait-il, "aucun rapport avec les
hérétiques ou pour mieux dire, ne prenez jamais part à leurs impiétés quand même vous vous
trouveriez pendant toute votre vie dans une impossibilité absolue de participer aux Mystères
de l'Eglise catholique. Car si les lois Divines et humaines défendent à celui qui est uni par un
mariage légitime à une femme de la quitter pour en prendre une autre, même s'il demeure très
longtemps séparé d'elle dans un pays lointain et le châtient s'il en épouse une autre, de quelle
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façon croyez-vous que Dieu nous doive punir lorsque après avoir été uni à Lui par la Foi
orthodoxe dans l'Eglise Une, Sainte, Catholique et Apostolique, nous sommes assez
malheureux pour violer la Foi que nous lui avions engagée dans cette union par un adultère
spirituel en nous engageant dans la communion des hérétiques? Et si nous le faisions, ne
serait-il pas juste que nous soyons condamnés à partager avec eux les tourments qu'ils
subiront dans une autre vie? Car que veut dire ce mot de communion, sinon qu'elle rend les
choses communes entre ceux qui communient ensemble? C'est pourquoi, mes enfants,
n'entrez jamais là où les hérétiques font leurs prières."
Entre tant d'autres excellentes qualités, le Saint comme je l'ai dit, avait celle de ne jamais
condamner personne et de ne point ajouter foi aux rapports de ceux qui condamnaient les
autres. A ce propos, je rapporterai une de ses instructions qui peut être fort utile.
Un homme ayant enlevé une Moniale, s'était enfui à Constantinople. Le Saint fut
extrêmement affligé d'apprendre cette nouvelle et quelque temps après comme il était assis
dans la sacristie avec quelques Ecclésiastiques et qu'il faisait un discours de piété plein
d'utilité, on en vint à parler de ce jeune homme qui avait enlevé cette Servante de Jésus-Christ
et à le charger d'anathèmes parce qu'il avait été la cause de la perte de deux âmes à la fois :
celle de la Moniale et la sienne. Mais il les arrêta en disant : "Mes enfants, ne parlez pas de la
sorte car vous commettez en cela un double péché, l'un en ce que vous transgressez le
commandement qui dit : 'Ne jugez point a n de n'être pas jugés' et l'autre en ce que vous ne
savez pas certainement si ces personnes persévèrent dans leur péché et si elles n'en ont point
fait pénitence.
Car j'ai lu dans la vie d'un père que deux Moines s'en allant à Tyr pour le service de leurs
frères comme l'un d'eux passait dans la rue, une courtisane lui cria : "Sauve-moi, Mon Père,
ainsi que Jésus-Christ sauva la pécheresse." A ces mots, ce Moine, sans se soucier de la
médisance à laquelle il s'exposait, lui répondit : 'Suis-moi' et la prenant par la main, il sortit
avec elle de la ville à la vue de tout le monde. On ne manqua pas de faire courir le bruit que ce
père avait pris pour femme Porphyre (car elle se nommait ainsi). Comme ils continuaient leur
chemin pour aller au monastère où il la voulait mettre, elle trouva dans une église un enfant
abandonné et le recueillit.
Un an après, quelques voyageurs de Tyr vinrent dans le pays où elle habitait. Ils virent
Porphyre avec cet enfant et lui dirent : "En vérité, tu as eu un beau garçon de ce bon père."
Ces gens, étant retournés à Tyr, racontèrent partout qu'elle avait un enfant de lui qu’il lui
ressemblait extrêmement et qu'ils l'avaient vu de leurs propres yeux. Lorsque Dieu eut fait
connaître à ce Moine qu'il voulait le rappeler à Lui, il dit à Pélagie (nom qu'il avait donné à
Porphyre, en lui donnant l'Habit Angélique) : "Il se produit une affaire qui m'oblige à aller à
Tyr et je te prie d'y venir avec moi." Cette femme ne pouvant se résoudre à lui désobéir, le
suivit en ce voyage et ainsi ils arrivèrent tous deux à Tyr, emmenant avec eux cet enfant qui
était alors âgé de sept ans. Ce bon père étant tombé malade de la maladie dont il dut rendre
son âme à Notre Seigneur, un grand nombre de personnes de la ville, presque une centaine,
vinrent le visiter. Devant toute cette assistance, il se fit apporter des charbons ardents et
lorsqu'on lui en eut apporté un plein encensoir, il les répandit sur ses habits et dit à tous les
assistants : "Croyez-moi, mes frères, ainsi que le buisson que Dieu fit voir à Moïse ne fut
point consommé par le feu dont il était environné, ainsi que ces charbons ardents n'ont point
brûlé ma tunique, de même, je n'ai jamais en toute ma vie, commis aucun péché avec quelque
femme que ce puisse être." Tous ceux qui virent que le feu n'avait pu endommager ses habits,
furent touchés d'admiration et glorifièrent la Puissance de Dieu Qui a des serviteurs cachés
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dont les vertus ne sont pas connues des hommes. L'exemple de Pélagie fit une telle impression
dans l'esprit de plusieurs autres courtisanes qu’elles renoncèrent au monde pour la suivre dans
le monastère où ce Serviteur de Dieu l'avait mise. Et lui après avoir détrompé tout le monde
de la mauvaise opinion qu'on avait conçue de ses actions, rendit en paix son âme à Dieu.
C'est pourquoi," continua le Saint Patriarche, "je vous exhorte, mes enfants, à n'être pas si
prompts à juger et à condamner votre prochain puisque souvent nous ne voyons pas la
pénitence que fait en secret celui que nous avons vu tomber dans un péché d'impureté; nous
ne voyons pas les soupirs et les larmes qu'il répand en Présence de Dieu Seul et celui que nous
tenons pour un larron pour un adultère ou pour un parjure, est quelquefois agréable aux Yeux
de Dieu qui a reçu satisfaction de ses offenses par la confession et la pénitence qu'il en a faites
en secret.
Il y avait deux clercs qui étaient voisins et travaillaient à faire des souliers; l'un qui avait un
père, une mère et plusieurs enfants et qui servait à l'église avec une assiduité extrême, les
nourrissait tous après Dieu, de son travail et l'autre qui, bien qu'il fût beaucoup plus habile que
lui et travaillât même le dimanche, ne pouvait pas se nourrir lui-même car il était peu assidu
au service de l'église. Ce dernier conçut une telle envie contre son voisin que ne la pouvant
dissimuler, il lui dit avec colère : "Comment est-il possible que tu es si riche et moi si pauvre
puisque je travaille beaucoup plus que toi?" Son voisin lui répondit dans le dessein de
l'amener à donner davantage de temps au service de l'église : "Je trouve en allant à l'église
quelques pièces d'argent qui m'enrichissent peu à peu et si tu veux, je te ferai signe toutes les
fois que j'irai afin que nous y allions ensemble et partagions tout ce que nous trouverons."
L'autre ayant accepté et l'accompagnant toujours, Dieu répandit Sa Bénédiction sur lui et le
mit fort à son aise. Alors, celui qui l'avait si bien conseillé lui dit : Tu vois, mon frère,
combien l'idée dont la charité m'a fait aviser, a tout ensemble été utile et à ton intérêt et à ton
âme car en vérité, je n'ai jamais trouvé d'argent par terre ainsi que tu l'as cru mais parce que
Notre Seigneur a dit : 'Cherchez premièrement le Royaume de Dieu et tout le reste vous sera
donné.' J'ai usé de cet artifice qui ne t'a pas peu profité puisque tu as trouvé beaucoup plus que
tu n'avais osé l'espérer.' Le Saint Patriarche ayant appris la sage conduite de ce clerc qui était
lecteur, le jugea digne d'être fait Prêtre.
Tout ce que j'ai rapporté jusqu'ici, me fut dit par Ménas, ce Saint Prêtre dont j'ai déjà parlé et
qui avait été économe de l'Eglise d'Alexandrie. Et quant aux choses que je vais encore écrire,
je les ai aussi apprises de personnes dignes de foi.
Le Saint Patriarche et le sénateur Nicétas étaient unis ensemble par les liens d'une étroite
amitié. Lorsque pour le châtiment de nos péchés, Dieu permit que la ville d'Alexandrie fut sur
le point de tomber entre les mains des Perses, le Saint se souvenant de cette Parole de Jésus-
Christ : "Quand on vous poursuivra dans cette ville, fuyez en une autre," résolut de retourner à
Chypre, sa chère patrie. Alors Nicétas lui dit : "Si mes prières ont quelque pouvoir sur toi, je
te conjure de vouloir bien prendre la peine d'aller jusqu'à Constantinople pour y prier Dieu
pour les Empereurs dont la piété mérite bien que tu leur rendes ce témoignage d'affection." Le
Saint ne pouvant rien refuser à un homme si plein de Foi et qui prenait plaisir à lui rendre tout
l'honneur qui était en sa puissance, se disposa à lui accorder ce qu'il désirait. Or, le vaisseau
dans lequel ils s'embarquèrent fut agité par une violente tempête et prêt à faire naufrage.
Nicétas et plusieurs autres personnes qui l'accompagnaient virent plusieurs fois durant la nuit
le Patriarche avec des pauvres, tantôt courir de tous côtés et tantôt élever les mains au Ciel
jusqu'à ce qu'il en eût obtenu du secours.
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Lorsqu'ils furent arrivés à Rhodes, le Saint eut une vision : il vit un eunuque éclatant de
lumière et qui tenait un sceptre d'or à la main, s'approcher de lui et lui dire : Viens, le Roi des
rois te demande. Aussitôt, sans perdre de temps, il fit prier Nicétas de venir le trouver et ayant
le visage tout trempé de larmes, lui dit : Tu voulais me mener vers l'empereur de la terre mais
Celui du Ciel me fait la Grâce, quelque indigne que je sois, de m'ordonner d'aller vers Lui. Il
lui conta ensuite comment un Ange lui était apparu sous la forme d'un eunuque. Cet illustre
sénateur se trouvant touché en même temps et de douleur et de joie, le laissa libre de faire ce
qu'il lui plairait et après la bénédiction qu'il lui donna avec une extrême affection, il consentit
avec de très grands témoignages d'honneur et de respect à lui laisser prendre la route de
Chypre.
Aussitôt que le Saint fut arrivé à Amathonte, sa ville natale, il se fit apporter du papier et une
plume et dicta son testament en ces termes : "Jean qui ne suis autre chose par moi-même
qu'un esclave du péché mais qui ai été affranchi et rendu libre par la Grâce qu'il a plu à Dieu
de me faire en m'élevant à la dignité du sacerdoce, je Te remercie humblement, Seigneur, de
ce que quelque misérable que je sois, Tu as daigné exaucer la prière que je T'ai faite de n'avoir
en ma possession, le jour de mon Endormissement qu’une seule pièce de monnaie et de ce que
lorsque par ta Bonté, j'ai été consacré évêque et élevé à la dignité de Patriarche de la Très
Sainte ville d'Alexandrie où j'ai eu à ma disposition une très grande quantité d'or et d'argent,
Tu m'as fait la faveur de reconnaître que tous ces biens T'appartenaient comme au Créateur de
l'univers et de reprendre ces richesses qui étaient déjà à Toi. Et comme cette seule pièce de
monnaie que j'ai encore ne T'appartient pas moins que tout le reste, je veux qu'elle Te soit
donnée en la donnant aux pauvres."
N'est-ce pas là une dévotion merveilleuse de ce Saint? Il n'a point pensé à ses proches comme
il semble qu'il l'aurait dû faire et comme font la plupart des riches qui au lieu de donner
libéralement aux pauvres les biens qu'ils ont reçus de Dieu ou acquis par injustice, les
amassent pour en faire des trésors comme s'ils leur appartenaient ou qu'ils pussent les
emporter avec eux. Mais ce Saint, au contraire, ne voulait pas d'autres biens que ceux qui
durent toujours et ne peuvent recevoir de diminution ni par les changements de la fortune ni
par le long cours des siècles. Aussi a-t-il éprouvé l'effet des Promesses de Dieu lorsqu'il dit
dans l'Ecriture : 'Je glorifierai ceux qui Me glorifient' puisque ayant toujours glorifié Son
Maître, il a été glorifié par Lui d'une manière admirable en donnant pour l'Amour de Lui tout
ce qu'il avait de fortune. Dans la ville d'Alexandrie, l'oeuvre qu'il a laissée fut digne de sa
bonté : il bâtit des hôpitaux pour les étrangers, d'autres hospices pour les Vieillards et des
monastères qu'il remplit de Saints Moines et il reçut ainsi les louanges continuelles que mérite
sa véritable piété, grâce aux bonnes oeuvres qui se font dans toutes ces maisons si Saintes. De
même que l'Apôtre dit lorsqu’il parle des méchants qui, en mourant, laissent après eux, en
cette vie, des successeurs de leurs méchancetés : 'Il y a des péchés si manifestes qu’ils
précèdent au Jugement de Dieu ceux qui les commettent et d'autres qui ne font que les suivre.'
On peut dire tout au contraire du Saint dont je parle: il y a des bonnes oeuvres si évidentes
qu'elles précèdent au Royaume du Ciel ceux qui les font et d'autres qui ne font que les suivre.
Or pour montrer que toutes ces choses que j'ai dites ne sont ni des contes faits à plaisir ni des
hyperboles, le Miracle qui arriva après son Repos servira de témoignage à la vérité de mes
paroles.
Lorsqu'il fut mis au tombeau, il y avait dans le sépulcre où il devait être enseveli deux corps
de Saints Evêques qui étaient endormis longtemps auparavant. Or comme on voulait placer
son corps avec les leurs, ces Evêques révélant la Sainteté de cet Illustre Patriarche et son
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pouvoir dans le Ciel, se reculèrent miraculeusement chacun de leur côté sur l'Ordre de Dieu
pour lui faire place au milieu d'eux afin de témoigner à tout le monde, par cet hommage qu'ils
lui rendaient, à quel haut degré de Gloire il avait plu à Dieu de le lever et ce Miracle si
glorieux et si extraordinaire ne fut pas seulement vu par une, dix ou cent personnes mais par
toute l'immense foule qui s'était assemblée à ses funérailles.
Un autre Miracle non moins étonnant, suivit de près son Repos. Une femme qui était de la
même ville que le Patriarche et qui avait commis un péché si horrible qu'elle disait qu'il n'y
avait point d'homme au monde à qui on osât le révéler, avait appris l'arrivée du Saint et
entendu dire qu'un Ange qui lui était apparu à Rhodes, lui avait fait savoir que Notre Seigneur
voulait l'appeler à Lui. Elle vint en hâte se jeter à ses pieds, les embrassa et lui dit en
particulier avec beaucoup des larmes : "Très Heureux Serviteur de Dieu, tu vois devant tes
yeux une malheureuse qui a commis un si énorme péché qu'il n'y a personne au monde à qui
je puisse le révéler mais tu peux, si tu veux, me le remettre puisque Notre Seigneur a dit à
ceux de qui tu tiens la place : 'Tout ce que vous délierez sur la terre, sera délié dans le Ciel.'
Quand le Saint eut entendu ces paroles, il craignit d'être responsable de la perte de cette
femme s'il rejetait sa prière puisque la grandeur de sa Foi et la confiance qu'elle avait dans les
Ministres de Dieu pouvaient lui faire obtenir le pardon de son péché. Alors, il lui répondit
avec humilité : "Si tu crois que quelque misérable que je sois, Dieu pourra te pardonner ce
crime par mon entremise, n'appréhende point de me le confesser.
- Je ne le puis Monseigneur, répondit-elle car ce n'est pas une chose que les oreilles des
hommes puissent entendre.
- Si tu as honte de me le dire et que tu sais écrire, va me l'écrire.
- Non, Monseigneur, je ne pourrais pas m'y résoudre."
Le Saint après avoir pensé quelque temps, lui répartit : "Ne peux-tu pas l'écrire, le cacheter et
me l'apporter?
- Je le peux, Monseigneur, répliqua-t-elle et le ferai mais je t'en conjure par cette âme si
Sainte et si Angélique qu'il a plu à Dieu de te donner, de ne point ouvrir ce papier et de
donner ordre qu'il ne puisse jamais tomber entre les mains de personne."
Le Saint le lui ayant promis, elle alla écrire sa confession sur un papier et le lui apporta
cacheté. Il s’endormit cinq jours après sans en avoir parlé à qui que ce fût et sans avoir
indiqué ce qu'on en ferait.
Le jour où le Patriarche passa en paix de cette vie à une meilleure, il arriva par hasard que
cette femme était hors de la ville. Le lendemain de son ensevelissement, cette femme étant de
retour et ayant appris qu'il était parti, faillit devenir folle en songeant que le papier qu'elle lui
avait remis était demeuré à l'évêché et ferait connaître à tout le monde l'horreur de son crime.
Mais étant bientôt après revenue à elle-même et rentrant par une vive et ferme Foi dans
l'espérance de son Salut, elle embrassa le cercueil du Saint et toute troublée, lui parla en ces
termes comme s'il eût été vivant : "Serviteur de Dieu, la grandeur inimaginable de mon crime
m'a empêchée de pouvoir te le révéler et peut-être maintenant personne ne l'ignore. Plût à
Dieu que je ne t’en eusse jamais parlé! Hélas, malheureuse que je suis, en voulant éviter une
honte, je me trouve maintenant déshonorée dans l'esprit de tout le monde et ne reçois pour
tout remède à mon mal qu'une opprobre publique. Quel besoin avais-je donc de te découvrir le
secret de mon coeur ainsi que j'ai fait? Je ne tomberai pas néanmoins dans le désespoir et je ne
cesserai d'arroser ton tombeau de mes larmes jusqu'à ce que tu aies exaucé mes prières. Car,
Grand Saint, je sais que tu n’es nullement mort mais au contraire plein de vie puisqu'il est
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écrit que 'les Justes vivront Eternellement.'
Après s'être tue quelque temps, elle ajouta : "Serviteur de Jésus-Christ, je ne Te demande rien
d'autre que de me faire savoir ce qu'est devenu le papier que je t'ai confié."
Elle demeura en cet état trois jours entiers auprès du sépulcre du Patriarche sans boire et sans
manger lorsque la troisième nuit alors qu'elle répétait à ce Grand Saint cette même prière et
accompagnait ses plaintes d'une grande quantité de larmes, elle vit ce Serviteur de Dieu se
lever du tombeau avec les deux Evêques ensevelis avec lui qui se tinrent debout à ses côtés et
elle l'entendit lui dire : "Femme, troubleras-tu longtemps notre Repos par tes plaintes?" En
achevant ces paroles, il lui mit entre les mains, tout cacheté, le papier qu'elle lui avait donné et
lui dit : "Le reconnais-tu bien? Prends-le ouvre-le et regarde-le." Ayant repris ses esprits après
cette apparition, elle vit ces Saints se recoucher comme auparavant dans le tombeau et après
avoir ouvert le papier, elle trouva ce qu'elle y avait écrit effacé et vit qu'il y avait écrit audessous
: "En considération de Jean, Mon Serviteur, je te pardonne ton péché."

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