mercredi 12 mai 2010

Saint Cyrille d'Alexandrie, La Prière Sacerdotale.

Nous continuons dans ce numéro la publication du Commentaire de saint Cyrille sur le chapitre 17 de l’Evangile de Jean, traduit sur l’édition Pusey par Joseph Le Calvez. Saint Cyrille nous y fait pénétrer dans l’intelligence du mystère du Christ, celui de la théoria (vision) de sa Gloire, par laquelle Il redevient présent dans ses disciples après la Pentecôte. L'ecclésiologie orthodoxe ne se fonde pas sur une vue de la pensée, mais sur la Personne concrète du Dieu-Homme, du Verbe de Dieu que nous connaissons dans Son Incarnation. Soulignons deux points.
Tout d’abord, la façon dont saint Cyrille rapproche les deux prières du Seigneur à Son Père : «Garde-les dans la gloire que j'avais auprès de Toi» et «garde-les dans Ta vérité». Cela signifie que les dogmes sont la base de la vie dans l'Esprit, et réciproquement : gloire et vérité vont ensemble. Il n'y a pas de critère extérieur de l'Eglise, comme le sont les sacrements dans le système catholique. En effet, la vie dans la vérité est sanctifiante, d'une sanctification sensible. Et il n’y a pas non plus de gloire hors de l’Eglise. La quête actuelle d’une «spiritualité sans dogmes» est anti-christique.
Deuxièmement, saint Cyrille explique que l'unité qui lie les croyants n'est pas simplement morale ou volontaire, mais corporelle et spirituelle, puisque c'est l'unité du Corps du Christ et que le Christ est un. Dès lors nous comprenons pourquoi les canons de l'Eglise interdisent de prier avec les hérétiques -c’est-à-dire ceux qui sont hors de l’Eglise- quoiqu’Elle commande de prier pour tous les hommes. Les saints martyrs disaient nous ne pouvons pas, d'une impossibilité physique, parce que le Christ vivait en eux. Quand nous prions, nous ne faisons que nous associer à l’unique prière de l’Eglise, Corps unique et indivisible du Christ.
En définissant la nature de l’unité de l’Eglise, saint Cyrille nous donne la clef pour rester orthodoxes face à l’oecuménisme, qui n’est pas simplement une hérésie ni même une pan-hérésie, mais la négation de l’Eglise. L’oecuméniste peut ainsi garder tous les dogmes et les rites de l’Eglise, et être en communion avec ceux qui ne les gardent pas tous : la loi d’unité absolue est invisiblement rompue sous l’apparence de communion. Face à cette unité factice, comment restera-t-on orthodoxe, comment restera-t-on enfant de la vraie et unique Eglise du Christ ? En posant constamment devant sa conscience la question suivante : que pense l’Eglise, que fait l’Eglise, que dit l’Eglise ? Et en se conformant à cette pensée, à ces actes, à cet enseignement, dans toute sa vie, tout en fuyant ceux qui acceptent, activement ou passivement, un autre enseignement ; en un mot, en s’ecclésifiant. Dieu le Verbe est entré en communion avec nous par Son Corps, l’Eglise, afin que, greffant durant cette vie-ci tout notre être sur l’Eglise, nous soyons en communion parfaite avec Lui au Jour sans crépuscule de Son Royaume.


13. Et je dis ces choses dans le monde afin qu'ils aient en eux ma joie complète.

Garde encore à l'esprit ce que nous disions récemment et tu comprendras facilement le sens de ce verset. En toute occasion Il garantit la manifestation des deux aspects de Sa personne : en même temps Il montrait la majesté divine qui éclatait en lui et Il n'écartait pas les limites propres de sa nature humaine, selon l’économie [de l’Incarnation]. Car il eût été absurde qu'Il souhaitât renier ce qu'Il avait volontairement assumé pour nous. Alors, en effet, qu’Il ne manquait de rien, puisque parfait en tout, issu de Dieu parfait, Il s’est «exténué1 Lui-même» (Phil. 2, 7), non pour se procurer quelque avantage, mais pour nous communiquer la bénédiction2 qui est le fruit de cette exténuation. En se présentant donc à la fois comme Dieu et comme homme, il imprime en ses disciples la certitude que, présent ou non, il ne cessera jamais d’opérer ce qui tend à leur salut en Dieu : de même qu’il les avait gardés lorsqu’il était sur terre avec eux comme homme, il continuerait, absent, de les garder comme Dieu par la perfection de son essence.
En effet, le divin n'est pas localisé, mais n'est nullement éloigné d’aucun des êtres. Il remplit et pénètre tout l'univers ; il est à la fois hors de toutes choses et en toutes.
D’autre part, après s’être adressé à son Père en ces mots : «Père saint, garde-les» (Jn 17, 11), il a aussitôt introduit, comme ayant une existence substantielle3, la Force du Père, cette force qui oeuvre en tout. Ici, il montre que cette même Force n’est pas hors de la nature4 du Père, mais que, existant dans cette nature et à partir d’elle, elle lui est unie indivisiblement, quoique conçue dans le mode d’existence5 qui lui est propre.
«Garde-les en ton nom que tu m'as donné» (Jn 17, 11) et aussi «Quand j'étais avec eux je les gardais en ton nom que tu m'as donné» (Jn 17, 12). On doit donc penser que, puisqu’il les avait gardés jusque-là dans le nom que lui avait donné le Père, c'est-à-dire dans la gloire de la divinité -car «il lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom» (Phil. 2, 9)- il veut que le Père lui-même les garde aussi dans le nom qui lui a été donné, parce qu’il ne sera pas exclu de l’exécution de cette tâche. En effet, le Père gardera ceux qui se trouvent authentiquement dans la foi en lui, par sa propre Force qui est le Fils Unique. Car le Père n’agit que par le Fils sur quelque être que ce soit. Si donc c’est par la gloire et la puissance de la divinité que, même étant dans sa chair, il les a gardés, quelle apparence y a-t-il qu’il cesse jamais d’accorder à ses disciples la miséricorde dont ils auront besoin, ou comment pourraient-ils tomber hors de sa garde sûre, du moment que la puissance divine du Fils Unique demeure éternellement et que la force inhérente à sa nature reste immuablement identique ? Car le divin n'est pas sujet à l’altération, ni ne se transforme en quelque objet malfaisant, mais il resplendit éternellement dans la gloire de ses caractères essentiels et indéfectibles.
J'ai dit ces choses, dans le monde, déclare-t-il, afin que mes disciples aient ma joie complète en eux. Nous allons montrer de quel type de joie il s’agit, discutant avec zèle, pour lever toute équivoque sur le sens de ces mots.
Les bienheureux disciples croyaient que, tant que le Christ se trouverait avec eux et partagerait leur vie -selon la chair s’entend-, il leur serait aisé de fuir toute adversité, d’échapper sans mal aux périls que les Juifs pourraient leur susciter, et de rester à l’abri de toute attaque de leurs ennemis. Mais ils craignaient qu’après Sa séparation d’avec eux et Sa remontée au Ciel, ils ne fussent environnés de mille espèces de dangers, et des dangers qui les mettraient à toute extrêmité, n’y ayant personne désormais qui pût les protéger constamment et arrêter net l’assaut des épreuves. Telle est la raison pour laquelle Notre Seigneur Jésus Christ, sans renier l’humanité qu’il a assumée une fois pour toutes, ni se montrer dépourvu d'autorité divine, ne cessait d’évoquer l’une et l’autre dans ses paroles et d’affirmer qu’il avait reçu comme homme le nom de la divinité, mais aussi que, dans ce nom et par ce nom, le Père déployait miséricorde et protection sur ses adorateurs.
Qu'avait donc en vue sa sagesse ? De faire savoir et comprendre clairement à ses bienheureux disciples, pour peu qu’ils examinassent ses paroles, que lors même qu’il était avec eux, porteur de la chair, ce n’était point par elle qu’il opérait leur salut, mais par la gloire et la force toute-puissante de la divinité. Son départ de la chair ne nuira donc en rien à Ses disciples, la divine puissance du Fils Unique suffisant à les sauver, quand bien même sa chair ne sera plus visible.
Loin de nous de réduire, ce disant, le Saint Corps du Christ au néant ! Mais il sied d’attribuer plutôt à la gloire de la divinité son action en faveur de ses initiés. Car le Corps même du Seigneur recevait sa sainteté de la force du Verbe uni à lui ; ainsi rempli d’énergie, il devient pour nous source de la bénédiction mystique, au point de pouvoir implanter en nous sa propre sanctification. C’est pourquoi Notre Sauveur lui-même, dans son entretien de naguère avec les Juifs, leur parlant longuement de sa propre chair, l'appela le vrai pain de vie : «Le pain que je vous donnerai, c’est ma chair, que je donnerai pour la vie du monde» (Jn 6, 51). Comme, dans leur stupeur et leur extrême embarras, ils ne pouvaient comprendre comment une chair de nature terrestre pourrait leur procurer la vie éternelle, il justifia ses paroles en déclarant : «La chair ne sert de rien, c'est l'Esprit qui vivifie : les paroles que je vous ai dites sont Esprit et elles sont vie» (Jn 6, 63).
Ici encore, il affirme que la chair ne saurait servir à rien pour la sanctification ni donner la vie à ceux qui la reçoivent, pour autant qu’elle tient de la nature de la chair humaine ; mais lorsque la foi la perçoit comme le temple du Verbe, alors, sans nul doute, elle sera vraiment pourvoyeuse de vie et de sainteté, non toutefois de soi seule, mais par le Dieu qui s’est uni à elle, qui est Saint et qui est Vie. Attribuant donc tout, absolument tout, à l’énergie de la divinité, Il déclare que son départ en sa chair ne causera nul tort à ses disciples, pour la protection qu’ils espèrent. Quand bien même le Sauveur resterait invisible dans les cieux, il ne sera certes jamais séparé de ceux qui l’aiment, mais demeurera toujours avec eux par la puissance souveraine6 de la divinité.
«Afin qu’ils aient en eux la plénitude de ma joie, j’ai dit ces choses dans le monde». Quelle est cette joie pleine et parfaite ? Celle de savoir et de croire que le Christ n’a point été simplement homme, semblable à nous en toute chose, hormis le péché, mais qu’il est aussi Dieu véritable. Il est donc tout-à-fait évident et indubitable qu'il possédera toujours le pouvoir de sauver ses adorateurs, à quelque instant qu’il le désire, fût-il ou non visible en sa chair. Ainsi nous-mêmes pourrons avoir la joie parfaite, celle de savoir toujours à nos côtés l’allié dont la valeur délivre de tout mal.

14-15. Je leur ai donné ta parole et le monde les a haïs, parce qu'ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde. Je ne te prie pas de les enlever du monde mais de les garder du malin.

Il nous fait connaître le très grand prix du don de la bienveillance d’en-haut, descendant du Père. C’est une récompense équitable et très exactement payée, je dirais presque une dette acquittée par le Père envers ceux qui s’exposent au danger pour lui. Car le monde hait à cause de Dieu ceux qui s’attachent à Dieu, qui consentent aux lois qu’Il a fixées et n’ont aucune part aux voluptés du monde ; aussi leur sied-il de trouver auprès de Dieu la grâce, l'assistance7 et la persévérance dans le bien. Ces hommes dont les regards se tournent toujours vers Lui ; qui mettent en Lui leur confiance ; qui pour Lui supportent la guerre, sans même frémir d’affronter des périls passant leur force, comment ne recueilleraient-ils pas le fruit de la promesse qui oriente leur effort ?
Pour cette raison le Sauveur dit : Je leur ai donné ta parole et le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde. Père, dit-il, ils ont accepté, et avec beaucoup de joie, ta parole que je leur ai transmise, c’est-à-dire le message évangélique, qui transporte aisément hors de la vie de ce monde et des soucis terrestres ceux qui l’accueillent avec empressement. Telle est la raison qui les a fait haïr du monde, autrement dit, de ceux qui ont choisi la pensée du monde et qui en aiment la vie sensuelle et souillée. Ces derniers ne goûtent pas les paroles des saints, lesquels flétrissent toujours les vicissitudes de la vie présente, révèlent l’abomination de l’existence mondaine, dénoncent le péché qu’elle couve, percent des flèches aiguës de la réprimande ceux qui tiendraient pour agréable de tomber et de se vautrer dans les vices de la terre ; oui, les saints font la guerre à tout désir cupide, crachent sur la gloire humaine, nous enseignent à bannir l’amour de l’argent, mère de tous les vices, et à nous en garder du plus loin que nous pouvons. Ils imposent aux captifs tombés dans les filets du diable le devoir de fuir l’antique imposture et de faire retour au Dieu de l’univers.
Père, dit-il, ils ont été haïs pour cela. Nul acte honteux, nulle impiété ne leur furent imputés, et cette innocence même les a rendus plus pénibles au monde ; mais puisque je leur ai donné la parole qui vient de toi, ils se tiennent désormais, comme moi-même, hors du monde. Oui, les actes et la vie vécus en Christ sont totalement coupés des pensées terrestres et des voies du monde ; puissions-nous marcher nous-mêmes à Sa suite et, dans la mesure du possible, échapper à la liste des enrôlés du monde ! Voilà pourquoi le divin Paul nous a enjoint de suivre ses traces (Cf 1 Pe 2, 21). Quand les suivons-nous de la plus belle façon ? Lorsque tout notre amour se porte aux pensées qui passent ce monde, que notre esprit s’élève au-dessus des soucis charnels, que nos regards se tournent vers les seuls biens du Ciel.
D’autre part, à cause de son humanité, il se range une fois encore aux côtés de ses disciples ; si nous l’imitons, gardant à l’esprit son humanité, nous parviendrons, comme nous l’indiquions à l’instant, à toute forme de vertu et, dépassant à la course tous les péchés de ce monde, nous nous révélerons étrangers et inaccessibles aux vices qu’il renferme. Tel est le précepte formel du divin Paul qui, citant le Christ et lui-même, dit ceci : «Par Lui, le monde est crucifié pour moi et je le suis pour le monde» (Eph. 6, 14), et en un autre endroit : «Soyez mes imitateurs comme je le suis moi-même du Christ» (1 Cor. 11, 1). Or ce n’est point comme Créateur et Seigneur de l’univers que Paul imita Notre Seigneur Jésus Christ : il ne nous a pas contruit de nouveaux cieux, ni produit une terre ou des mers différentes de celles qui existent. Comment donc a-t-il été l’imitateur du Christ ? Evidemment en façonnant, par ses actes et sa conduite, une image auguste et saisissante de la vie que le Christ nous a découverte, pour autant que Paul y pouvait atteindre. Car qui serait l'égal du Christ ?
En résumé, donc, s’étant lié à nous par son humanité ou, pour parler plus justement, ayant inauguré en elle le bien parfait, qui consiste à sortir de ce monde par la vie qui le dépasse -car la vie et l’enseignement évangéliques sont plus hauts que ce monde- il déclare qu'il n'est pas lui-même de ce monde et que nous avons part à cet état parce que la parole divine, le Verbe divin est venu loger dans nos âmes.
«Mais de même que le monde me hait, dit-il, ainsi fait-il à leur égard». Le monde hait le Christ parce qu'il est en conflit avec ses paroles et n'accepte pas son enseignement, car il s’adonne de tout son coeur aux inclinations vicieuses. Nourrissant donc à l’égard des disciples le même sentiment qui l’anime contre le Christ Notre Sauveur, le monde a donc pris en aversion les ambassadeurs de sa parole, tel Paul qui disait : «Nous sommes donc des ambassadeurs pour le Christ, comme si Dieu exhortait par nous ; nous vous en supplions au nom du Christ : Soyez réconciliés avec Dieu !» (2 Cor. 5, 20).
Quelle prière offre-t-il à leur intention, après avoir montré qu’ils encourraient l’hostilité des êtres rivés aux vices de ce monde ? «Je ne te prie pas, dit-il, de les enlever du monde, mais de les garder du Malin». Car le Christ ne souhaite pas que ses saints quittent les affaires humaines ni qu'ils soient délivrés de la vie corporelle avant d’avoir terminé la course de leur apostolat ou brillé dans les vertus que donnent la piété. Il souhaite au contraire qu’après avoir vécu en compagnie des hommes dans le monde et les avoir guidés dans les oeuvres agréables à Dieu, ils soient portés dans la cité céleste avec la parure de leurs exploits et agrégés aux choeurs des saints anges. C’est dans ce sens que se comprend la prière que l'un des saints adresse au Dieu ami de la vertu : «Ne m'enlève pas, chante le psalmiste, au milieu de mes jours» (Ps. 101, 25). Car les âmes qui chérissent Dieu souffrent de quitter soudain l’existence dans la chair, avant d'avoir atteint la perfection de leur vie d’excellence. Ainsi, la loi de Moïse, comme pour enseigner que la mort prématurée fond sur les amis du péché tel un châtiment de la colère de Dieu, fait entendre souvent l'avertissement de se tenir à l'écart du mal : «afin de ne pas mourir avant ton temps» (Eccl. 7, 17). En outre, si les saints choisissaient de fuir notre société et les affaires humaines, quelle immense perte ce serait pour ceux qui sont faibles dans la foi ! Immense ? Mais ils ne sauraient même avancer d’un pas vers la piété, privés des guides qui les eussent instruits. Paul le savait, qui disait : «M'en aller et être avec le Christ est de loin meilleur pour moi, mais demeurer dans la chair est plus nécessaire pour vous» (Phil. 2, 23-24). Veillant donc au salut des non-initiés, le Seigneur ne dit point qu’il faut laisser les habitants du monde privés des flambeaux et du sel de la terre, mais il prie plutôt pour la sauvegarde de ses saints, afin que la malignité du diable ne puisse jamais les atteindre et que la force du Père Tout-Puissant leur donne d’esquiver l’assaut des tentations.
Remarquons-le : ici encore, il attribue à Dieu le Père les paroles qu’il a lui-même et en personne prononcées, je veux dire l’Evangile, montrant ainsi qu’il n’est pas autre que le Père selon la consubstantialité. Les évangélistes, en effet, nous montrent les Juifs stupéfaits devant lui, parce qu'il enseignait «comme ayant autorité et non pas comme leurs scribes» (Matt. 7,  29). De fait, ces derniers disputaient devant le peuple en mettant en avant, de façon pointilleuse, les dispositions de la loi. Notre Seigneur Jésus Christ, loin de s’arrêter si peu que ce fût aux figures renfermées dans l’ombre et dans la lettre, jette en pleine lumière sa propre parole, déclarant d’une autorité digne de Dieu : «Il a été dit aux Anciens : Tu ne commettras point l'adultère ; mais moi je vous dis : Tu ne désireras pas» (Mat. 5, 27-28). Or la loi contenait bel et bien l’interdiction formelle de ne rien ajouter ni retrancher aux paroles de Dieu ; et le Christ ajoute et retranche, remplaçant la figure par la vérité. Il ne saurait donc être question de le ranger parmi ceux qui sont sous la Loi, autrement dit, parmi les créatures. Qui de nature est esclave ne saurait fuir la nécessaire sujétion à la loi.
C’est donc la parole même du Père que le Christ a prononcée. Car il est le Verbe qui est dans le Père et issu de Lui et qui énonce la volonté de la Divinité. Je veux dire la seule vraie Divinité, conçue dans le Père, le Fils et le Saint Esprit.

16-17. Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde. Père Saint, garde-les dans la vérité : ta Parole est vérité.

Par ces paroles, il a révélé une fois de plus et fait clairement connaître ceux qui ont besoin de sa remontée vers Dieu le Père et qui pourront en tirer grand profit, pour peu qu’ils le considèrent comme notre médiateur, notre grand-prêtre et notre avocat8, selon la Sainte Ecriture : de la sorte, s’il leur advient de faire un faux-pas ou de manquer par mégarde aux actes ou aux raisonnements justes, voire si parfois des épreuves inattendues les abattent ou que la tourmente des maléfices du diable les enveloppe, il pourra intercéder pour nous selon son rôle de médiateur, et dispenser avec son Père les biens destinés à ceux qui en sont dignes. Ce dernier geste aussi lui reviendra, puisqu’Il est Dieu par nature.
Père, dit-il, ceux qui par moi reçurent ta parole possèdent en eux mon image, qui les éclaire de l’intérieur. Ils sont devenus semblables à ton Fils légitime : à son imitation, ils ont traversé en hâte l’océan corrupteur de ce monde, et se sont montrés étrangers et inaccessibles aux voluptés de cette vie, et libres de tout vice. Voilà pourquoi, Garde-les dans ta vérité. Car en Christ, la pureté est naturelle et supra-rationnelle. Dieu véritable, il ne saurait connaître ni accepter de chute dans le péché, mais, tout au contraire, il est la source de toute vertu et de la splendeur que l’on voit briller dans la sainteté. La nature divine et maîtresse de tout ne peut rien faire qui ne lui convienne en vérité et ne lui soit approprié en raison. En revanche, dans les saints disciples, c’est-à-dire aussi dans tous ceux qui croient en lui, la pureté ne peut exister -j’entends par pureté, le fait de n’être plus mêlé aux taches de ce monde- que par la grâce et l’indulgence d'En-Haut, qui délivre ceux qui ont péché en les lavant de leur souillure et des crimes de leur vie passée ; mieux, elle les remplit de la clarté d’une vie de sanctification, mais sans leur garantir une permanence immuable exempte de conflits. Infiniment sage me semble le mot de Paul : «Ainsi donc, que celui qui croit être debout prenne garde de tomber» (1 Cor. 10, 12). Notre vie fluctue toujours au milieu des vagues, et mille tempêtes nous ballottent, car le malin nous tente à chaque instant, pose des pièges continuels et s'efforce, par des inventions insidieuses et perverses, de souiller, s’il était possible, même ceux qui sont déjà purifiés. En vérité, selon le mot du prophète : «Il se nourrit de mets de choix» (Hab. 1, 16).
Ainsi, après avoir témoigné en faveur de ses disciples qu’ils connaissent la vie qui n’est pas de ce monde et qu'ils ont acquis, par imitation, la ressemblance avec sa pureté substantielle, il prie le Père de les garder, disant à peu près : «Père Tout-Saint, s'ils étaient dans le monde, c'est-à-dire s'ils vivaient la vie qu’on prise ici-bas, s'ils disséminaient leur esprit dans les plaisirs terrestres et éphémères, ils graveraient en eux-mêmes l'image affreusement difforme du Malin et jamais celui-ci ne s’acharnerait à les tenter ; il n’aurait même jamais pris les armes contre ses propres enfants, voyant en eux la copie fidèle de la perversité qui l’habite. Mais puisqu’ils ont acquis ma ressemblance et se sont eux aussi joué de l’imposture qui règne en ce monde, puisqu’ils sont sortis du monde et qu’ils expriment dans leur conduite, de la manière la plus claire et limpide, ma splendeur incomparable, et qu’enfin, pour cette raison même, Satan, qui toujours grince des dents contre les saints, leur est devenu un ennemi perfide et implacable, je désire absolument qu’ils soient désormais constamment sous ta protection. Or cette protection ne peut aller sans ta vérité, c’est-à-dire sans moi qui suis, Père, ta vérité par nature, ta Parole, ton Verbe vivant, essentiel et hypostatique».
Tel est le sens que nous devons, semble-t-il, donner à ses paroles.
Considérez à présent comment, dans toutes ses paroles -je dis bien absolument toutes- il associe adroitement la coopération de sa propre personne à l’activité de son Père, du moins quand elle est conçue en référence à quelque objet, prouvant en quelque sorte la vérité de cette sentence : «Tout a été fait par lui et sans lui rien n'a été fait» (Jn 1, 3).
Dans le passage qui précède immédiatement, il demandait à son Père de garder les disciples dans le Nom qui lui a été donné. Il désire à présent que la même prière en leur faveur soit accomplie dans la vérité du Père. Quelle nouvelle idée apparaît donc ici ? Que signifie cette diversité d’expressions ? Ne voudrait-il pas montrer que l’énergie du Père, que le Fils accomplit en protégeant les saints, est loin d’être uniforme ?
A la vérité, dans le premier passage, lorsqu’il disait que les disciples devaient être gardés dans le nom du Père, il voulait affirmer que ceux qui seraient en péril pour Dieu disposeraient, dans la gloire et la force de la divinité, du pouvoir d’échapper des mains de celui qui voudrait leur nuire. Ce qui arriva, en effet, le plus souvent sans qu’on en parle, même si, dans certains cas, le Christ l’a révélé à ses disciples : «Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous cribler comme le froment. Mais j'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas» (Luc 22, 31-32). Une grande partie de la conduite de Dieu à notre égard est secrète, quoique, assurément, le Christ étende continûment sa providence et sa protection sur la vie de chacun d’entre nous.
Ici, en revanche, en disant garde-les dans la vérité, il désigne clairement la pédagogie qui nous guide, par la lumière de la Vérité, jusqu’à la saisie de la Vérité. Car, sans l’illumination de l’Esprit, nul ne saurait même venir à la connaissance de la vérité, et encore moins, bien sûr, acquérir une exacte compréhension des dogmes divins -j’entends, dans la mesure accessible à l’homme. Car les Mystères de l’Ecriture inspirée de Dieu passent notre intelligence, mais ce don n’est pas sans gloire -je veux dire : le don de pénétrer, fût-ce modestement, dans la connaissance du Christ.
C’est donc à bon droit que le bienheureux Pierre, après avoir confessé que le Seigneur était en vérité le Fils du Dieu vivant entendit ces paroles : «Tu es heureux, Simon, fils de Jonas. Car ce n’est pas la chair et le sang qui t'ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les Cieux» (Mt. 16, 17). Le Père, en effet, révèle aux saints Son propre Fils qui est la Vérité, sans permettre que Satan détourne l’esprit des croyants vers une doctrine mensongère. Tel fut l’égarement d’Hyménée et Alexandre qui firent, en leur temps, «naufrage quant à la foi» (1 Tim. 1, 19-20), ayant repoussé la juste parole de vérité. Immense est ce don : afin que nous demeurions dans le bien et dans la droiture des pensées et des actes, le Père nous garde dans le nom de Dieu et dans la vérité, pour que nous évitions à la fois de perdre, par une chute, l’éclat d’une vie de purification9, et de nous fourvoyer, en suivant les séductions de l’erreur, loin des dogmes de la piété divine qui réside dans la vérité.
Ce bien, nous le ferons facilement nôtre lorsque nous paraîtrons vraiment sortis du monde ; non que nous renions la naissance qui nous y a logés -car nous avons tous été formés de terre et de boue, selon le mot de l’Ecriture (Jb 33, 6)- mais parce que nos oeuvres seront telles, qu’elles nous sépareront de la vie de ce monde. Les amants de la ressemblance au Christ gardent les pieds sur terre, mais sont citoyens des cieux.
Encore une remarque. C’est très justement qu’Il donne ici au Père le nom de saint, comme pour lui rappeler que c’est précisément dans cette qualité qu’il se réjouit des saints. Or sera saint quiconque se révélera exempt de la souillure du monde, qualité innée en Christ de par Sa ressemblance au Père, acquise et transmise dans ses saints disciples par la sanctification que donne la grâce, et par l’éclat et la vérité de leur vie. Ainsi en ira-t-il de quiconque sera remodelé sur l’image divine et hypercosmique.






Le Christ n'est pas saint par participation à autre que lui-même
et la sanctification par l'Esprit n'est pas étrangère à son essence

18-19. Comme tu m'as envoyé dans le monde, je les ai aussi envoyés dans le monde. Je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu'eux aussi soient sanctifiés dans la Vérité.

Il a, ici particulièrement, donné le nom de saint au Père et prié pour que les disciples soient gardés dans la vérité, c'est-à-dire dans son Esprit. Car l'Esprit est Vérité selon la voix de Jean (1 Jn 5, 6), puisqu'il est aussi l'Esprit de la Vérité (Jn 16, 13), c'est-à-dire du Fils Unique lui-même. Il déclare donc qu'il les envoie dans le monde à l’imitation de sa propre mission. Car Jésus est devenu l'apôtre et le grand prêtre de notre confession de foi, comme le dit Paul (He. 3, 1), selon le vêtement qui sied à son humanité et au mode de son humiliation.
Or il déclare que les disciples, qu’il avait une fois pour toutes consacrés pour cette mission, ont impérativement besoin d’être sanctifiés par le Père Saint, qui fera habiter en eux l’Esprit Saint par le Fils. Et, à la vérité, loin d’atteindre l’éclat qui leur eût permis de devenir les luminaires de l’univers, jamais les disciples n’eussent même pu résister aux malheurs terribles que leurs adversaires, ou que le diable, allaient leur susciter, s’ils n’eussent eu l’intellect protégé comme d’un rempart grâce à la participation de l’Esprit, s’ils n’eussent tenu de Lui la force d’accomplir des prodiges et des commandements dépassant la mesure humaine, enfin s’ils n’eussent été conduits sans effort, par sa lumière initiatrice, à la connaissance parfaite de l’Ecriture inspirée de Dieu et des saints dogmes de l’Eglise.
La preuve en est que le Sauveur, «comme il se trouvait avec eux» après sa Résurrection des morts, ainsi qu’il est écrit, et leur ordonnait de prêcher à tout l’univers la grâce qui vient par la foi, «leur recommanda de ne pas s’éloigner de Jérusalem, mais d’attendre ce que le Père avait promis» (Ac 1, 4), et dont ils avaient reçu l’annonce à la fois de sa bouche et de celle des saints prophètes. «Il arrivera dans ces jours-là», dit le Seigneur : «que je répandrai de mon Esprit sur toute chair» (Jo 2, 28). Le Sauveur lui-même avait clairement annoncé l’effusion de l'Esprit sur eux, en ces mots : «J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand lui, l'Esprit de vérité, sera venu, il vous conduira dans toute la vérité» (Jn 16, 12-13) et encore : «Et moi je prierai le Père et il vous donnera un autre consolateur» (Jn 14, 16). Car l'Esprit appartient en propre à Dieu le Père, mais non moins au Fils. Ce n’est pas qu’il soit affecté d’une quelconque altérité, ni qu’il existe et soit conçu séparément dans chacun d’eux ; mais puisque, précisément, le Fils est du Père et dans le Père par nature, étant fruit véritable de son essence, il a toujours avec lui par nature le propre Esprit du Père, dont l’effusion émane du Père, mais est répandue par le Fils sur la création.
L’Esprit n’est pas conçu comme un serviteur ou un subordonné, mais, comme je le disais à l’instant, il provient de l’essence même de Dieu le Père, mais il est répandu sur ceux qui en sont dignes par Son Verbe consubstantiel, qui s’est manifesté hors du Père -manifesté signifie qu’il existe en soi-même-et qui demeure et existe dans le Père de toute éternité, d’une manière à la fois étroitement jointive et pour ainsi dire séparative. Car nous soutenons que le Fils a une existence indépendante, qu'il existe aussi dans son Géniteur et qu'il contient en lui-même celui qui l'a engendré.
L’Esprit du Père se révèle Esprit du Fils ; lorsque le Père L’envoie ou promet de Le distribuer à ses saints, le Fils aussi Le leur transmet comme sien, à cause de son identité d’essence avec le Père ; le Père, enfin, oeuvre toujours par le Fils : tout cela, le Fils lui-même nous l’a très clairement fait connaître, en disant : «Il vous est avantageux que je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, le consolateur ne viendra pas vers vous ; mais si je m’en vais, je vous l'enverrai» (Jn 16, 7). Il dit encore : «Et moi je prierai le Père et il vous donnera un autre consolateur» (Jn 14, 16). Par ces mots, il promet ouvertement de nous envoyer le consolateur.
Puis donc que les disciples, dit-il, qui sont attachés à mes paroles, ont été envoyés en mission dans le monde, de même que je l’ai été, garde-les, Père Saint, dans ta vérité, c'est-à-dire dans Ton Verbe, dans lequel et par lequel existe et jaillit l'Esprit sanctifiant. Quel est le but du Sauveur dans ces mots ? Il implore du Père notre sanctification dans et par l'Esprit et désire ranimer en notre être le feu qui y vivait aux premiers temps de la genèse et au commencement de notre création par Dieu. Nous parlons ainsi, parce que le Fils Unique est notre Médiateur et remplit pour nous le rôle d'avocat auprès du Père céleste. Mais pour dissiper toute obscurité sur ce point, nous allons mettre plus en lumière le sens de ce passage pour nos auditeurs ; disons quelques mots au sujet du protoplaste.
Le divin Moïse dit de lui que Dieu prit de la poussière de la terre et en modela l'homme. Conduisant ensuite ce vivant jusqu’à la perfection de son organisme, il enseigne comment et par quel moyen il reçut une âme : «Il souffla, dit-il, sur sa face un souffle de vie» (Gn 2, 7). Il signifie par là que l’âme n’a été donnée à l'homme qu’avec la sanctification de l'Esprit ; mais, davantage encore, qu’elle n’a pu être créée vide et privée de la nature divine. Jamais, en effet, le fruit d’une origine si bassement terrestre n’aurait pu révéler en lui l’image suprême, si l’Esprit, en lui donnant forme, ne lui avait fait obtenir et hériter, par la volonté de Dieu, un «sur-visage10» de toute beauté. En effet, puisque l’Esprit est une image parfaite de l’essence du Fils Unique, comme l’indique ce passage de Paul : «Ceux qu'il a connus d'avance il les a aussi prédestinés à être semblables à l'Image de son Fils11» (Rm 8, 29), il rend ceux dans qui il demeure semblables à l'image du Père, c'est-à-dire semblables au Fils. Ainsi, par l’Esprit, le Fils élève toute chose vers le Père dont il est issu.
Il prie donc pour que la nature de l'homme, renouvelée et remodelée, revienne à l’image originelle en communiant de nouveau à l’Esprit. Alors, revêtant cette grâce primordiale et recouvrant notre antique conformité à Lui, nous deviendrons capables de vaincre et de dominer le péché qui règne en ce monde, nous nous attacherons au seul amour de Dieu et, tout épris du désir de tout ce qui est bon, tenant notre intellect au-dessus des convoitises de la chair, nous garderons toujours inaltérée en nous la beauté de l’image qui s’y trouve empreinte. Telle est la vie spirituelle ; telle, la force du culte en Esprit.
Si nous devons récapituler brièvement l'ensemble : le Christ demanda de faire descendre sur nous le don jadis accordé à l'humanité, c’est-à-dire la sanctification par l'Esprit et la communion avec la nature divine. Il le demanda pour ses disciples, parce que ceux-ci sont comme les prémices de tous les bénéficiaires, s’il est vrai que «le laboureur qui peine est le premier à recueillir les fruits» (2 Tm 2, 6). Toutefois, afin d’apparaître, ici encore, comme le premier (Col. 1, 1-8) -car il devait, puisqu’il est premier-né entre plusieurs frères (Rm 8, 29), et quoiqu’il fût encore conçu comme l’un d’entre nous à cause de sa ressemblance avec nous, se montrer vraiment Celui qui fut et demeure pour nous la Voie, la Porte et le Principe premier de tout bien- pour cette raison, donc, il jugea nécessaire d'ajouter ceci : «Je me sanctifie moi-même pour eux».
Cette phrase est difficile à comprendre et quelque peu malaisée d’interprétation. Cependant, le Verbe qui éclaire tout et qui «découvre les choses enfouies dans les ténèbres» (Jb 12, 22) nous éclaircira même ce mystère.



1. La sanctification du Christ : son sacrifice accepté
pour notre restauration

La Loi applique usuellement ce verbe -être sanctifié- à l’objet consacré que l’on présente à Dieu à titre d’anathema (offrande) ou de don volontaire. En voici un exemple clair dans la loi relative à «tout mâle premier-né parmi les fils d’Israël qui ouvre le sein maternel» (Ex. 13, 2). Dieu déclare, en effet, au très-bon Moïse : «Sanctifie-moi tout premier-né qui ouvrira le sein maternel», c’est-à-dire : élève, mets à part et inscris comme consacré. Car nous ne soutenons nullement, et nous n’acceptons de personne, l’idée que Dieu aurait ordonné à Moïse de conférer à qui que ce fût la sanctification de l'Esprit. La mesure de la nature créée n'atteint pas si haut ; elle ne peut accomplit cet acte, qui n’appartient proprement qu’à Dieu seul. En voici une preuve : lorsque Dieu voulut manifester les Anciens aux côtés de Moïse, Il ne commanda pas à Moïse de faire descendre lui-même la sanctification sur les hommes désignés, mais Il dit au contraire explicitement qu'Il prendrait de l'Esprit qui était sur Moïse et qu’Il Le donnerait à chacun des appelés. Car la vertu de sanctifier (hagiazein) par la communion de l'Esprit n’appartient qu’à la Nature qui règne sur l’univers.
En revanche, la valeur du terme sanctifier (hagiasai), au sens de la consécration prescrite dans la Loi, nous est encore très clairement indiquée par Salomon qui dit : «C'est un piège pour l'homme que de sanctifier trop vite un de ses biens, car, après le voeu vient le repentir» (Pr. 20, 25).
Si donc nous comprenons le terme de sanctifier selon cet usage, comme l’équivalent de consacrer et de mettre à part, en ce sens nous affirmons que le Fils s’est sanctifié pour nous.
Car Il s’est offert lui-même, comme une victime sainte et sacrée, à Dieu le Père, «réconciliant le monde avec Lui» (2 Cor. 5, 19) et ramenant dans son amitié ceux qui s’en étaient détachés par la chute, c’est-à-dire la race humaine. «Car il est notre paix» (Eph. 2, 14) selon l'Ecriture. Or notre réconciliation avec Dieu peut être envisagée comme accomplie par le Christ notre Sauveur, mais seulement par la communion et la sanctification dans l'Esprit. Car celui qui nous attache et, pour ainsi dire, nous unit avec Dieu, c'est le Saint Esprit : en le recevant, nous devenons communiants et participants de la nature divine et nous recevons, par le Fils et dans le Fils, le Père Lui-même. Tel est bien le sens de ce mot que le sage Jean a écrit de Lui : «A ceci nous connaissons que nous demeurons en lui et lui en nous : il nous a donné de son Esprit» (1 Jn 4, 13). Que dit Paul à ce sujet ? «Parce que, dit-il, vous êtes fils, Dieu a envoyé dans nos coeurs l'Esprit de son Fils qui crie : Abba, Père» (Gal. 4, 6). Si, par malheur, nous n’avions jamais eu part à l’Esprit, nous n'aurions jamais connu Dieu présent en nous ; et si nous n'avions été enrichis de l'Esprit qui nous met au rang de Fils, jamais, non, jamais nous n'aurions été Fils de Dieu ! Comment la nature humaine eût-elle été assumée, ou comment eussions-nous pu nous-même avoir part à la nature divine, si Dieu n'avait été en nous et si nous n'avions nous-mêmes été unis à Lui par l’appel à la communion de l'Esprit ? Or, en vérité, nous sommes appelés participants et communiants de l’essence qui transcende l’univers, et temples de Dieu. Car le Fils Unique s’est sanctifié lui-même pour nos péchés, c’est-à-dire, s’est offert pour nos péchés et s’est présenté en victime sainte, en sacrifice d’odeur agréable à Dieu le Père, afin que que disparût le mur de séparation qui écartait de Dieu la nature humaine, c’est-à-dire le péché, et que rien désormais ne nous empêchât plus de nous rapprocher de Dieu et de nous attacher à sa communion, par la participation du Saint Esprit, qui nous renouvelle pour la justice et la sainteté et nous refait sur l’image originelle. Car si le péché sépare et éloigne l'homme d’avec Dieu, assurément la justice sera le trait d'union qui, sans nul autre intermédiaire, le mettra en quelque sorte en contact avec Dieu Lui-même. Or, nous avons été justifiés par la foi en Christ, qui «a été livré pour nos offenses», selon l'Ecriture, et qui «est ressuscité pour notre justification» (Rom. 4, 25).
En lui, comme dans les prémices de notre race, c’est toute la nature humaine qui fut entièrement recréée pour une vie nouvelle, et qui est remontée à sa propre origine, remodelée pour la sanctification. «Sanctifie-les, Père, dit-il donc, dans ta Vérité», c'est-à-dire en moi, car «ton Verbe est Vérité» -c’est-à-dire, une fois encore, moi-même (Jn 17, 17). Car en effet, «je me suis sanctifié moi-même pour eux», c'est-à-dire : je me suis offert et consacré, mourant seul pour tous, afin de les transformer pour la vie nouvelle et afin «qu’ils soient sanctifiés dans la vérité», c'est-à-dire en moi.



2. La sanctification du Christ : l’habitation de Dieu dans la chair

A présent que nous avons donné une première explication et présenté le sens du passage ainsi qu’on a vu, reprenons notre examen en envisageant le même texte sous un autre aspect. Car s’attacher avec ardeur à l’investigation des notions difficiles pourra, je pense, valoir beaucoup d’estime à la fois à ceux qui s’y engagent avec coeur, et à leurs auditeurs amoureux du savoir.
Notre Seigneur Jésus Christ déclare donc qu’Il se sanctifie lui-même pour nous, afin que nous soyons aussi sanctifiés dans la Vérité. Comment donc se sanctifie-t-il, quoique saint par nature, afin que nous-mêmes soyons sanctifiés ? Comment cela se peut-il ? Eh ! bien, restant toujours fidèles aux dogmes de l’Eglise, et sans nous éloigner du canon droit de la foi, cherchons soigneusement à y voir clair sur ce point.
Nous disons donc que le Fils Unique, étant Dieu par nature et existant dans la forme de Dieu le Père (Eph. 2, 6) et dans l’égalité avec Lui, s’est exténué Lui-même (Eph. 2, 7), selon les Ecritures, et est devenu homme, né de femme ; qu’il a assumé tout ce qui est de l’homme, hormis le péché et s’est ineffablement uni, par un choix délibéré, à notre nature, pour être le premier à la recomposer en lui et par lui et à la ramener à sa beauté originaire ; afin que, devenu pour nous second Adam, homme céleste, premier de tous et prémices des nouveaux-créés pour la vie nouvelle, vie d’incorruptibilité, de justice, et de sanctification dans l'Esprit, Il puisse en lui-même faire désormais de ces biens l’apanage de toute l’humanité.
Pour cette raison, quoique Vie par nature, Il a séjourné parmi les morts, pour détruire en nous notre mort, afin de nous restaurer dans Sa vie. Justice de Dieu le Père, Il devint péché pour nous. Car le prophète dit : «Il portera nos fautes» (Is. 53, 4) et il fut compté avec nous «parmi les sans-loi» (Is. 53, 12), afin de nous justifier en Lui, en déchirant «l’acte de notre condamnation qu’il a cloué sur Sa Croix» (Col. 2, 14), selon l’Ecriture. Enfin, Saint par nature en tant que Dieu, et quoique donnant à toute la création de recevoir le Saint Esprit qui la maintient, la conserve et la sanctifie par participation, il est néanmoins sanctifié à cause de nous dans le Saint Esprit, sans que personne lui confère cette sanctification, mais il l’opère sur lui-même pour sa propre chair. Car, en tant qu’homme, il accueille et reçoit son propre Esprit, qu’il se donne en tant que Dieu.
Tout cela, il le fit pour nous, non pour lui : afin que notre sanctification prît en lui et de lui son origine, et que la grâce en découlât dorénavant sur toute l’humanité.
En effet, de même que par la désobéissance et la transgression d'Adam, comme dans les prémices de la race humaine, la nature fut condamnée à mort parce qu’en un seul, le premier homme, elle entendit les mots : «Tu es terre et tu retourneras à la terre» (Gen. 3, 19) ; de la même façon, je pense, par l’obéissance et la justice du Christ, dans la mesure où il s’est soumis à la loi, quoique législateur en tant que Dieu, la bénédiction a pu s’étendre à toute la nature, ainsi que la venue vivifiante de l'Esprit. Car l'Esprit reforme pour l’incorruptibilité ce que le péché a corrompu et il remodèle pour la nouveauté de vie ce que la négligence a fait vieillir et approcher de sa fin.
Peut-être, cependant, demanderez-vous : «Comment celui qui est saint par nature fut-il sanctifié, et cela par participation ? De quelle manière Celui qui donne son propre Esprit à ceux qui sont dignes de le recevoir, qu'ils soient d’en-haut ou de la terre, peut-il s’octroyer ce don à soi-même ?» Questions difficiles à aborder et d’intelligence vraiment ardue ! Nous avons certes du mal à les dénouer, tant que nous concevons le Verbe qui a jailli de Dieu comme, pour ainsi dire, nu et séparé de son humanité sanctifiée. Dès que l’on en vient à admirer l’union incompréhensible et la jonction dans la chair, et que l’esprit envisage le vrai Dieu devenu homme, semblable à nous, il n’a plus lieu d’être surpris ; mais, bannissant toute perplexité et plaçant au principe de ses pensées le Fils à la fois Dieu et Homme, il estimera qu’il ne faut point exclure les attributs de l'humanité, quoiqu’on les rapporte à la personne une du Fils par nature, c’est-à-dire au Christ. Faute de quoi, la mort ne nous semblerait-elle pas totalement incompatible avec le Verbe source de toute vie ?
Tu répondras qu’il a connu la mort dans sa chair, parce que le corps est sujet à mourir et que, si l’on dit qu’il est mort, c’est parce que son propre corps est mort.
Magnifique ! Tes idées sont justes et tu parles d’or. Et donc, après avoir permis, dans son économie, la mort de son corps, il lui a réinfusé ensuite sa propre vie : car ce n’est point sa divinité qu’il arracha des liens de la mort !
En effet, s’il est venu chez nous et s’est fait homme, ce n’est pas pour lui, mais pour apporter bien plutôt à la nature humaine, en lui et par lui, le chemin de sa délivrance de la mort et de son retour à l’incorruptibilité originelle. La même démarche va nous faire saisir, par analogie, le mode de la sanctification.
Dirions-nous, par hasard, que le corps venu de la terre est saint en vertu de sa nature propre, quand bien même il n’eût pas reçu la sanctification du Dieu saint par nature ? Et comment serait-ce possible ? Quelle différence verriez-vous encore entre la chair née de la terre et l’essence sainte et sanctifiante par nature ? S’il est vrai que toute créature raisonnable et, plus généralement, tout ce qui a été appelé à l’existence et qui a rang de créature ne peut, de sa propre nature, porter le fruit de sainteté, mais emprunte, en quelque sorte, la grâce auprès du Saint par nature, ne serait-il pas tout-à-fait absurde de penser que la chair puisse se passer du Dieu qui, par nature, sanctifie toute chose ? Puis donc que la chair n’était point sainte de soi-même, elle a été sanctifiée en Christ par Dieu, parce que le Verbe qui habitait en elle a sanctifié son propre temple par le Saint Esprit, et lui a communiqué l’énergie de sa propre nature.
Ainsi le Corps du Christ est conçu comme saint et sanctifiant, parce qu’il est devenu, comme nous venons de le voir, le temple du Verbe qui s’est uni à lui corporellement (Col. 2, 9), comme le dit Paul. Voilà pourquoi le Saint Esprit descendit du ciel sur lui sous forme de colombe ; pourquoi aussi le sage en rendit témoignage : afin que nous sachions que l'Esprit est descendu en premier lieu sur le Christ, prémices de la nature régénérée, en tant qu'il est devenu homme, donc susceptible de sanctification.
Précisons que nous ne voulons pas soutenir que le Christ de chair ne devint saint que dans le moment où le Baptiste «vit l'Esprit descendre» (Jn 1, 32) sur lui. Car il était saint dès sa conception et dans les entrailles de sa mère. N’a-t-il pas été dit à la bienheureuse Vierge : «Le Saint Esprit viendra sur toi et la Vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre» (Luc 1, 35) ? La vision dont nous parlons fut donnée comme un signe au baptiste ; nous en déduisons cependant que la chair a été sanctifiée par l’Esprit, car le Verbe, qui est saint par nature et issu du Père, en a usé ici comme à l’égard de toute créature : il a chrismé de l’onction de l’Esprit son propre temple.
Sachant tout cela, le mélode l’a chanté, voyant la Personne du Fils Unique dans son humanité : «C'est pourquoi, Dieu, ton Dieu t'a oint d'une huile d'allégresse par privilège sur tes compagnons» (Ps. 44, 8). L’on voit ici l’onction faite par le Fils à son propre temple attribuée au Père : de fait, ce dernier n’agit que par son Fils. D’autre part, tout ce que le Fils peut faire est rapporté au Père dont il est issu. Car le Père est, en quelque façon, la racine et la source de Celui qu’Il engendra.
Il ne se faut point étonner s'il déclare qu'il se sanctifie, quoiqu’il soit saint par nature, puisque aussi bien les Ecritures disent du Père qu’il est son Dieu (Jn 20, 17), quoiqu’il soit lui-même Dieu par nature. J’estime que l’on pourrait très bien et très justement, sans crainte d’erreur, rapporter ces traits aux nécessités de l’humanité et à la parure qui nous est semblable.
De même donc qu’il est mort pour nous comme homme dans Sa chair, quoique Dieu par nature ; ou encore, de même que, compté parmi les créatures et les esclaves à cause de son humanité, encore qu’il soit le Seigneur de tout, il désigne le Père en l’appelant son Dieu ; de même, il affirme qu'il se sanctifie pour nous, afin qu’en lui, comme dans les prémices de la nature renouvelée, nous soyons nous aussi «sanctifiés dans la vérité», c'est-à-dire dans l'Esprit Saint. Car l’Esprit est la Vérité, selon le mot de Jean (1 Jn 5, 6). De fait, l’Esprit n'est pas autre que le Fils, j’entends quant à l’essence, puisqu’il existe en lui et qu’il jaillit12 par lui.
Enfin, en disant qu’il a été envoyé dans le monde, quoiqu’il s’y trouvât même avant son Incarnation -car il était dans le monde, même si le monde ne l'a point connu (Jn 1, 10), selon l'Ecriture- il indique que son envoi en mission ne se fit que par la chrismation du Saint Esprit, qu’il reçut lorqu'il devint homme et apparut comme «Ange du grand conseil» (Is. 9, 6), par similitude avec le ministère prophétique. En disant que ses disciples ont été chrismés comme il le fut lui-même et qu’il les a envoyés proclamer au monde le message céleste de l'Evangile, il souligne qu’ils ont impérativement besoin d'être sanctifiés dans la vérité afin de pouvoir mener à terme, avec zèle et succès, la course de leur apostolat.




Le Fils est naturellement un avec Dieu son Père ;
il est dans le Père, et le Père en lui,
selon le caractère et le lien essentiel de l’unité.
Nous aussi, recevant foi en lui,
serons unis les uns aux autres et avec Dieu,
selon le corps et selon l’esprit

20-21. Je ne te prie pas seulement pour eux, mais aussi pour ceux qui croiront en moi par leur parole, afin que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi ; afin qu'eux aussi soient un en nous, pour que le monde croie que tu m'as envoyé.

Le Christ est devenu prémices de ceux qui seront recréés pour la vie nouvelle13 et premier homme céleste. Selon Paul, en effet, «le second Adam est le Seigneur qui vient du ciel» (1 Cor. 15, 47), et c’est pourquoi «Nul n’est monté au ciel, sinon celui qui en est descendu, le Fils de l’homme» (Jn 3, 13).
Tout proches de ces prémices, et plus étroitement liés au Christ que quiconque, furent ceux qu’il choisit les premiers pour élèves, et qui obtinrent la dignité de disciples : ils ont contemplé sa gloire de leurs propres yeux, parce qu’ils ont toujours suivi assidûment ses leçons, partagé sa vie et récolté dans leur âme les prémices de ses bienfaits. Après Lui, donc, «Tête du Corps de l’Eglise» (Col. 1, 18), qui est au-dessus de tous, et Tête de tous, ce sont les Apôtres qui furent et qui demeurent les membres les plus précieux et dignes d’honneur de ce Corps. C’est sur eux que le Christ demande à son Père d’envoyer la bénédiction et sanctification qui vient par l’Esprit, et de l’envoyer par lui qui parle ; car il ne peut en aller autrement, puisqu'il est lui-même la Sagesse et Force vive, vraie, toute-opérante et efficace de Celui qui l’engendra.
Or ici, pour éviter que ceux qui n’étudient pas avec suffisamment d’attention l’Ecriture inspirée de Dieu ne supposent, par trop légèrement, que la descente de l’Esprit divin n’a été appelée que sur les disciples, sans que rien n’ait été prévu pour nous leurs successeurs -et ce dès les premiers temps- le médiateur entre Dieu et les hommes, le Consolateur et Grand-Prêtre de nos âmes a jugé nécessaire de prévenir des conjectures si mal fondées en ajoutant à ces propos précédents ceci : «Ce n'est pas pour eux seulement que je prie mais aussi pour ceux qui croiront en moi par leur parole».
Ne serions-nous pas, autrement, dans l’absurdité ? Par la faute d’un seul, le premier homme, Adam, la condamnation serait bel et bien tombée sur tous les hommes, revêtant de l’image dégradée de l’homme terrestre ceux-là mêmes qui étaient sans péché -sans péché, dis-je, au moment où le premier père transgressa le commandement ; et la venue parmi nous du Christ, apparu comme homme céleste, n’aurait pas eu pour effet de reformer à son image tous ceux qu’il appelait à la justice -alors qu’elle vient de la foi ! En réalité, nous affirmons que, comme l’image de laideur de l’homme terrestre (1 Co. 15, 49) se montre dans ses effets et ses manifestations, qui comportent souillure des péchés, infirmité de la mort et de la corruption, impureté des passions charnelles et des soucis terrestres ; ainsi nous croyons que l’image de l’homme céleste, c’est-à-dire du Christ, brille de clarté, de pureté et de tous les rayons d’incorruptibilité, de vie et de sanctification.
Il était cependant impossible que nous, qui avions déchu de notre beauté première à cause de la transgression du premier homme, pussions la recouvrer autrement qu’en renouant avec l’ineffable union et participation à Dieu. Car c’est dans cet état-là que la nature des êtres terrestres avait été ordonnée au commencement.
Poursuivons. Comment l’union à Dieu pouvait-elle à son tour se produire ? Elle ne le pouvait que par la communication de l’Esprit Saint qui implante en nous la sainteté qui lui appartient, qui régénère dans Sa propre vie notre nature tombée en corruption et qui ramène ainsi à Dieu et à sa ressemblance ce qui avait perdu cette gloire.
En effet, le Fils est l’image sans tache du Père, et l’Esprit du Fils est la semblance naturelle de ce dernier.
C’est donc en lui-même, pour tout dire, qu’il remodèle l’âme des hommes, imprimant sur elle les traits de la forme divine et la scellant de l’icône de l’essence suressentielle.
Notre Seigneur Jésus Christ prie donc non seulement pour ses douze disciples, mais pour tous ceux qui, dans la suite des temps, se laisseront tour à tour gagner et persuader par ces paroles qui exhortent à saisir la sainteté qui vient de la foi, et à se purifier par l’énergie que procure la communion de l’Esprit.
Nous pensons à présent qu’il convient aussi d’expliquer l’objet de sa prière. Nous apprendrons ainsi les manières que nous devons avoir et la voie de justice que nous devons parcourir pour plaire à Dieu.
Quelle est donc sa demande, et comment la formule-t-il ? «Afin, dit-il, qu’ils soient un, comme Père, tu es en moi et moi en toi, afin qu’ils soient un en nous» (v. 21). Il exige que le lien d’amour, de concorde et de paix qui soudera les croyants dans l'unité spirituelle soit tel, que leur cohésion dans la symphonie des volontés et la fusion inaltérable des coeurs en vienne à représenter les traits de l’unité de nature et d’essence qui se conçoit dans le Père et le Fils. Sans doute ni le noeud de notre amour ni la force de notre concorde ne sauraient prétendre à la perfection inaltérable de l’union du Père et du Fils, détenteurs de l’unité fondée sur l’identité d’essence. La notion d’unité qui leur convient est celle d’une unité de nature, véritable et incluse dans la définition de la substance ; au lieu que l’autre unité n’a que la parure et l’aspect de la véritable. Comment la copie pourrait-elle être l’équivalent exact du modèle ? L’esprit distingue même la vérité en soi de sa copie conforme. La seconde offre aux regards des traits similaires à la première, mais présente aussi des marques qui l’en différencient nettement.
Si d’aventure un hétérodoxe se faisait fort de renverser la doctrine d'identité de nature et en conséquence l'unité du Fils avec Dieu le Père, et produisait nos propres paroles comme preuve à l’appui de la thèse imaginée par sa malice, en nous tenant ce langage : «Ce n’est certes pas une identité absolue de tous nos corps soudés en un, non plus que la fusion totale des âmes entre elles, qui réalise notre unité ; mais ce sont les sentiments et les liens charitables, la conformité morale et le consentement commun à la volonté divine : eh ! bien, telle est proprement l’unité du Fils avec le Père». Nous écarterons tel un fétu la folle ignorance d’un tel discours14. Pour quelle raison ? Parce que les objets qui nous dépassent ne sont nullement tenus de se plier à notre norme ; que l’incorporel n’a point non plus à se soumettre aux contraintes qui grèvent les corps ; et qu’enfin, les choses de Dieu ne suivent pas celles des hommes. Si nulle distinction, nulle différence n’existait entre Dieu et nous, à la bonne heure : pensez les choses divines sur notre patron ; mais si la distance qui nous sépare de Lui se révèle inconcevable, pourquoi Lui assigner pour poids et mesures les tares de notre nature ? S’efforcer de soumettre à des nécessités qui ne s’imposent qu’à notre faiblesse la Nature supérieure à toute nécessité, n’est-ce pas se flatter évidemment d’une entreprise chimérique et délirante ? Ils fixent les traits des modèles à partir des copies et règlent la réalité sur son imitation. A qui tient le premier rang, ils confèrent l’honneur du second, et mettent au premier échelon les objets inférieurs.
Sans plus nous attarder dans ces parages, de peur de paraître sortir du sujet, revenons au point capital et disons que le Christ, pour illustrer l’amitié, la concorde et l’unité indéfectibles senties dans la communauté des âmes, en donne pour modèle et pour icône l’unité essentielle qui lie le Père avec Lui, son Fils, et le Fils avec le Père. Le Christ désire donc que nous soyons nous-mêmes comme mêlés les uns aux autres, par la force, assurément, de la Sainte et Consubstantielle Trinité, afin que le Corps entier de l’Eglise soit conçu comme ne faisant qu’un et qu’il croisse en Christ par la réunion et le concours des deux peuples, jusqu’à former l’unité parfaite. Comme le dit Paul : «Car le Christ est notre paix, lui qui des deux (les deux peuples des païens et des juifs) n'en a fait qu'un, détruisant dans sa chair le mur de séparation, la haine, ayant anéanti la loi des ordonnances avec ses prescriptions, afin de créer en lui-même avec les deux peuples un seul homme nouveau en établissant la paix, et les réconcilier avec Dieu, l'un et l'autre en seul corps, par la croix, en tuant par elle la haine» (Eph. 2, 14-16).
Tout cela s'est accompli. Les fidèles du Christ sont devenus entre eux une seule âme et n’ont plus, si je puis m'exprimer ainsi, qu’un seul coeur, grâce à la ressemblance en tout dont les a ornés leur piété, leur obéissance dans la foi et leur amour de la vertu.
L’interprétation que l’on vient de lire ne contrevient pas, je pense, aux intentions du texte, mais y répond exactement. Le sens du passage nous presse, néanmoins, d’entrer dans des réflexions d’une plus grande profondeur ; le Seigneur même sollicite un tel effort, car il ajoute : «Comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu'eux aussi soient un en nous». Nous devons donc examiner avec grand soin quelle explication nous devons donner ici.
En effet, nous venons à l’instant de remarquer, non sans fondement, que l’union des croyants dans la concorde et la communauté des esprits devait refléter le mode de l’unité divine, l'identité d'essence de la Sainte Trinité et son embrassement total.
Efforçons-nous donc à présent de montrer qu’il existe aussi une unité naturelle qui nous tient les uns aux autres et tous ensemble à Dieu, et que cette unité s’étend quasiment jusqu’au corps, je dis bien : l’unité naturelle qui nous lie, -même si nous restons physiquement séparés, chacun demeurant dans ses limites propres et gardant sa personnalité. L’on ne saurait dire, et il ne saurait arriver, que Pierre devienne Paul ou réciproquement. Et pourtant, sous le mode de l’union en Christ, tous deux ensemble sont vus comme un seul.
Eh ! bien donc, nous qui confessons l’unité naturelle du Père et du Fils, ainsi évidemment que du Saint Esprit -car la divinité de la Sainte Trinité est crue et glorifiée dans l’unité- cherchons derechef quelle unité, à la fois corporelle et spirituelle, nous unira entre nous et avec Dieu.
Le Fils Unique issu de l’essence même de Dieu le Père a resplendi sur nous. Portant dans sa propre nature Son Père tout entier, il est devenu chair, selon les Ecritures, et s’est vraiment mêlé à notre nature, dans une alliance et une union ineffables avec ce corps-ci venu de la terre. Ainsi le Dieu par nature fut appelé et devint en vérité homme céleste, non point théophore15 comme le veulent certains, qui ne perçoivent pas exactement toute la profondeur du mystère. Il est donc devenu Dieu-homme, afin de rassembler en Lui ceux que la nature tenait très éloignés et qui avaient rompu leurs noeuds communs et naturels, afin de restaurer l’homme dans la participation et dans la communion de la nature divine. Car la communication et l’habitation permanente de l’Esprit sont venues en nous à partir du Christ et par Lui le premier, quand on l’envisage dans sa similitude avec nous, c’est-à-dire comme homme chrismé et sanctifié : quoique Dieu par nature, comme né du Père, il a, en effet, lui-même sanctifié son temple par son propre Esprit, puis il étend à toute la création qui est son ouvrage, cette sanctification qu’il lui convient de recevoir. Le mystère du Christ représente donc comme le commencement et la voie qui nous permettent de recevoir nous-mêmes l’Esprit Saint et l’union à Dieu. Car tous nous sommes sanctifiés en Lui, de la manière que nous avons dite.
Or, afin que nous puissions nous joindre et nous mêler dans l’unité avec Dieu et avec nos frères, quoique nous subsistions comme des individus distincts, différents d’âme et de corps, le Fils Unique a imaginé une solution digne de la Sagesse qui lui sied et du Conseil du Père. Car dans un unique Corps, le Sien, il bénit ses fidèles par la communion aux Saints Mystères, et les rend ainsi concorporels à Lui-même et entre eux.
Oui, qui pourrait dissocier, qui pourrait ébranler l’union mutuelle et naturelle de ceux qui, par le Corps unique du Saint, se tiennent noués les uns aux autres dans l’unité du Christ ? En effet, si «nous partageons tous un seul pain» (1 Cor. 10, 17), nous formons tous un seul corps, car le Christ est indivisible. C’est pour cette raison que l’Eglise est appelée CORPS DU CHRIST, et nous ses membres, chacun pour notre part, comme la sagesse de Paul nous l’a enseigné (Cor. 12, 27).
Tous, en effet, unis au Christ par son saint Corps, puisque nous recevons dans notre propre corps le Corps unique et indivisible, nous appartenons désormais bien plus à Lui qu’à nous-mêmes, et nous lui devenons redevables de nos propres membres.
Paul montre aussi que le Sauveur est comme la tête, et que le reste de l’Eglise s’appelle Son Corps, tel un tout harmonieux formé de l’ensemble des fidèles comme de ses membres : «Ainsi, nous ne serons plus des enfants, flottants et emportés à tout vent de doctrine, par la tromperie des hommes, par leur ruse dans les moyens de séduction, mais, professant la vérité dans l'amour, nous croîtrons à tous égards en celui qui est la tête, le Christ. C'est de lui, et grâce à tous les liens de son assistance, que tout le corps, bien coordonné et formant un solide assemblage, tire son accroissement selon la force qui convient à chacune de ses parties, et s'édifie lui-même dans l'amour» (Eph. 4, 14-16).
En témoignage, enfin, de cette union corporelle, je veux dire l'union avec le Christ, que nous obtenons en participant à Sa Chair sainte, écoutons encore Paul, qui dit du mystère de la piété : «Il n'a pas été manifesté aux fils des hommes dans les autres générations, comme il a été révélé maintenant dans l'Esprit aux saints apôtres et prophètes du Christ. Ce mystère, c’est que les païens sont cohéritiers, forment un même corps, et participent à la même promesse dans le Christ» (Eph. 3, 5-6). Si nous sommes tous concorporels en Christ les uns avec les autres, et non point seulement entre nous, mais avec Lui aussi, qui vient en nous dans sa chair, alors ne sommes-nous pas tous évidemment UN, à la fois mutuellement et en Christ ? Car le Christ, étant ensemble Dieu et homme, est le lien de l’unité.
Envisageant à présent l’union dans l’Esprit, notre contemplation suivra le même cours et nous dirons que nous tous qui avons reçu un seul et même Esprit, je parle bien sûr du Saint Esprit, nous nous trouvons comme mêlés les uns aux autres ainsi qu’à Dieu.
Si, malgré l’infini multiplicité que nous formons comme individus, Christ établit dans chacun d’entre nous l’Esprit du Père qui est aussi le sien, cet Esprit, qui est un et indivisible, va rassembler tous les esprits que leur existence singulière éparpillait hors de l’unité mutuelle, et il va les faire apparaître en lui et par lui comme formant une unité. Exactement comme la force de la Chair sainte rend concorporels ceux en qui elle pénètre, de même, selon moi, l’Esprit unique de Dieu, venant habiter indivisiblement tous les êtres, les assemblera tous dans l’unité spirituelle. Voilà pourquoi le divin Paul nous avertit encore : «Supportez-vous les uns les autres dans la charité, vous efforçant de garder l'unité de l'Esprit par le lien de la paix. Il y a un seul corps et un seul Esprit, comme vous avez été appelés à une seule espérance par votre vocation ; il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, et parmi tous et en tous» (Eph. 4, 2‑6). Car, l’Unique Esprit ayant fait sa demeure en nous, le Père Unique de Tout sera aussi en nous, Dieu qui par Son Fils maintient tous les participants de l’Esprit dans l'unité réciproque entre eux et avec Lui.
Voici qui montrera encore clairement que nous sommes unis ensemble par notre participation au Saint Esprit. Si nous rejetons les actes de la vie uniquement psychique -animale- et que nous remettons, une fois pour toutes, le commandement aux lois de l'Esprit, n’est-il pas clair et hors de doute que, reniant notre propre vie et recevant de l’Esprit qui s’est uni à nous une forme nouvelle et hypercosmique, nous passons presque à une autre nature, méritant désormais non plus simplement le nom d’hommes mais le titre d’hommes célestes et de fils de Dieu, puisque nous nous révélons participants de la nature divine ? (Cf 2 P 1, 4)
Nous sommes donc tous un dans le Père, le Fils et l'Esprit Saint : un, dis-je, dans l’identité de volonté -car il convient, je crois, de garder en mémoire ce que nous avons dit pour commencer-, dans notre réformation par la piété, dans la communion à la Chair Sainte du Christ, et, comme nous venons de le voir, dans la communion de l’Unique Esprit Saint.






Le Fils est par nature un avec Dieu son Père,
quoiqu’il affirme avoir reçu comme par grâce
son unité avec le Père

22-23. Je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, afin qu'ils soient un comme nous sommes un, -moi en eux et toi en moi-, afin qu'ils soient parfaits dans l'unité, et que le monde connaisse que tu m'as envoyé et que tu les as aimés comme tu m'as aimé.

Que le Fils Unique possède une unité de nature et d’essence avec son Père, nous l’affirmons d’une manière très orthodoxe : car Il est né d’une génération authentique, et nous comprenons qu’il est à la fois du Père et dans le Père. Par la différence propre de son mode d’existence il apparaît comme distinct et séparé du Père ; tandis que par l’identité absolue de nature et d’essence il se laisse penser comme un avec le Père.
Toutefois, en vue d’accomplir l’économie qui nous procure vie et salut, il a, pour ainsi dire, quitté la place qu’il occupait au commencement, c’est-à-dire, son égalité parfaite avec Dieu le Père, et semble même avoir subi un grand ébranlement, en confinant sa gloire dans un lieu plus obscur : tel est le sens des mots «il s’est exténué lui-même» (Phil. 2, 7). C’est pourquoi Celui qui existait dès les temps anciens et de toute éternité avec le Père reçoit cette même place avec sa chair, car son vêtement terrestre et périssable qui est la forme de son humanité, envisagée par la pensée dans sa nature propre, réclame nécessairement à titre de don gracieux ce qui Lui appartient par nature, car il était et il est dans la forme du Père et dans l’égalité avec lui.
Puis donc que la chair venue de la femme, ce temple dont le dota la Vierge, n'était nullement consubstantielle à Dieu le Père, ni de même nature que lui, mais qu’elle fut une fois pour toutes assumée comme Corps du Verbe, il en résulte qu’elle est considérée comme ne faisant qu’un avec Lui. Car le Christ est un, et un le Fils, même après son Incarnation16. C’est donc en ce sens qu’Il peut affirmer avoir reçu l’union à Dieu, puisqu’Il fut admis dans cet état avec sa chair, laquelle ne tenait certes pas de soi-même cette unité avec Dieu.
Pour être à la fois plus bref et plus clair : le Fils Unique s’attribue le don fait à sa Chair. Or comment ce don fut-il donné ? Evidemment du Père, par le Fils, dans l’Esprit. Car le mode de l’union à Dieu ne connaît point d’autre voie, fût-il même conçu par rapport au Christ, dans la mesure où celui-ci est devenu homme et a été nommé ainsi : la chair est sanctifiée par l’union avec l’Esprit, selon le mode ineffable de leur conjonction ; elle s’élève ainsi vers l’union sans confusion avec Dieu le Verbe et, par Lui, avec le Père ; union bien sûr de relation, et non point de nature.
Il dit donc ceci : «Père, cette grâce et cette gloire qui m’a été donnée par toi, à savoir, d’être un avec toi, je la leur ai donnée afin qu’ils soient un comme nous sommes un».
Nous sommes réunis les uns aux autres selon les façons qu’on a dites ; mais nous sommes aussi unis à Dieu. Selon quel mode ou comment ? Le Seigneur nous l’a expliqué le plus clairement du monde et nous a fait toucher du doigt l’utilité de sa doctrine en disant : Moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient parfaits dans l’unité.
Or le Fils vient en nous, corporellement, d’une part, comme homme, lorsqu’il se mélange et s’unit à nous par la bénédiction des Mystères ; spirituellement, d’autre part, comme Dieu, lorsque, par la grâce et l’énergie de Son propre Esprit, il recrée l’esprit qui est en nous pour qu’il vive la vie nouvelle et nous rend participants de sa nature divine (2 Pi. 1,4).
Ainsi, le Christ apparaît clairement comme le lien même de notre unité avec Dieu le Père puisque, étant homme, il nous a attachés à Lui et que, étant Dieu, il existe par nature en Dieu son propre Père. Car la nature soumise à la corruption n’aurait jamais pu passer d’un bond dans l’incorruptibilité : il fallait que la nature absolument immuable et incorruptible descendît jusque vers elle, afin d’élever vers son bien propre l’être en proie à une chute sans fin, allant presque jusqu’à l’arracher aux limites du créé en lui offrant mélange et communion avec elle-même, pour remodeler sur son propre type ce qui, de soi, n’était pas tel.
Par le Christ médiateur, nous avons donc été rendus parfaits dans l'unité avec Dieu le Père. En effet, recevant en nous, à la fois corporellement et spirituellement, comme nous venons de l’expliquer, Celui qui par nature est le Fils véritable, et qui est uni d’essence avec le Père, nous sommes glorifiés, devenus désormais participants et communiants de la Nature Suprême.
En désirant, donc, que nous soyons reçus dans l’union avec Dieu le Père, le Christ confère par Lui-même à notre nature le bienfait du Père et, en même temps, affirme que la force qui vient de la grâce réfutera de la manière la plus convaincante ceux qui ne croient pas qu'il soit venu de Dieu. Comment cette calomnie pourrait-elle trouver place ou fondement, s’il est vrai qu’il élève par lui-même à l'union du Père ceux qui entrent dans sa parenté par la foi et l’amour vrais ? «Père ! dit-il donc, lorsqu’ils obtiendront, à travers moi, l'union avec toi, le monde alors connaîtras que tu m'as envoyé, c’est-à-dire que par ta bienveillance je suis venu sur terre pour porter secours et opérer le salut de ceux qui s’y trouvaient errant. En outre, ceux qui auront joui de la participation à cette grâce trois fois désirée connaîtront semblablement que tu les as aimés comme tu m’as aimé». Car Celui qui a reçu dans l’unité Celui qui est semblable à nous et sorti de nous, je veux dire le Christ, et qui l’a jugé digne d’un si grand amour -ici encore, je parle en homme- et qui nous a donné de pouvoir L’atteindre, comment n’eût-il pas fait de son amour le même partage ?
Et nul homme sensé ne s’en émouvra. Il est clair et hors de doute que jamais l’esclave ne saurait rivaliser avec son Maître ; pas davantage la mesure de l’amour dont Dieu le Père aime Son propre Fils ne souffre comparaison avec celui qu’il porte à ses créatures. Cependant, nous devons songer que nous considérons ici le Bien Aimé d’avant les siècles comme préludant, dans son humanité, à la réception de l’amour. Dès lors nous le verrons recevoir ce qu’il possédait, et le recevoir évidemment pour nous, non pour lui. De même, en effet, qu’Il est revenu à la vie en dissolvant le pouvoir de la mort et qu’il a accompli l’exploit de la résurrection non pas pour lui, en tant qu’il est Dieu le Verbe, mais pour nous la donner en lui et par lui ; car la nature humaine se trouvait tout entière en Christ, foulant d’un pied joyeux les liens de la mort ; ainsi nous pensons qu’il reçoit l’amour du Père, mais non pour soi-même. Car depuis toujours et pour l’éternité, il est le Bien-Aimé ; mais afin de nous concilier l’amour du Père, il reçoit également cet amour dans son incarnation. De même donc que nous deviendrons semblables à sa résurrection et à sa gloire, et que nous le sommes déjà en Christ, prémices de notre race, ainsi nous possédons déjà en Lui la similitude à Lui dans l’amour. Nous avouons que le Fils Unique l’emporte en tout point ; mais nous restons justement émerveillés de la mansuétude incomparable de la nature divine à notre égard : elle donne son bien propre à ceux qu’elle a fait être, et partage avec ses créatures ce qui n’appartient qu’à elle seule.

24. Père, je veux que ceux que tu m'as donnés soient aussi avec moi, afin qu'ils contemplent ma gloire, la gloire que tu m'as donnée, parce que tu m'as aimé avant la fondation du monde.

Ayant prié pour ses disciples ou, pour mieux dire, pour tous ceux qui viendront à lui par la foi, et demandé au Père qu'ils reçoivent l'union avec lui, l'amour et la sanctification, il ajoute aussitôt ces mots. Que montre-t-il ici ? Seuls vivront avec lui et seront jugés de voir sa gloire ceux qu’il aura unis au Père et qui auront obtenu l’amour dont nous savons que le Père l’aime. Car nous serons aimés comme des fils, selon la ressemblance du vrai Fils par nature. Non point certes d’une égale mesure : néanmoins, cette très fidèle imitation de la vérité, qui coïncide presque avec elle, reproduit sa gloire. Il dit donc ceci : «Père, je veux que ceux qui, s’approchant de moi par la foi et par ton illumination, sont devenus miens, soient avec moi et qu’ils voient ma gloire».
O quel bien ce sera d’être avec le Christ ! Quel discours le dirait ? Nous connaîtrons la joie du coeur aux délices ineffables et l’oeil n’a point vu, ni l’oreille entendu, ni l’esprit conçu «ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment» ! (1 Cor. 2, 9) N’est-il pas certain que rien ne puisse augmenter la pure allégresse de ceux dont le partage est d’être avec le Christ, Seigneur de tout ? Le sage et très saint Paul nous fait connaître que ce bien vaut toute merveille, en déclarant qu’il est meilleur «d’être dissous et d’être avec le Christ» (Phil. 1, 23).
L’apôtre qui, à la vie présente, préférait la grande et belle dignité dont nous parlons, ne témoigne-t-il pas vraiment que Celui qui donne largement tout à tous comblera abondamment ses fidèles du don de la communion avec lui ? Un autre mot du même confirme explicitement cette idée. Lui en qui le Christ parlait et révélait «les puissances du siècle à venir» (Hab. 6, 5) dit encore que les morts ressusciteront et que «nous les vivants, qui seront restés, nous serons tous ensemble enlevés avec eux sur des nuées, à la rencontre du Seigneur dans les airs, et ainsi nous serons toujours avec le Seigneur» (1 Thess. 4, 16-17). Mieux, notre Seigneur Jésus Christ nous promit lui-même clairement ce don quand il dit : «Je m'en vais et vous préparerai une place, je reviendrai et je vous prendrai près de moi, afin que, là où je suis, vous soyez aussi» (Jn 14, 3).
Si nous nous contentons d’une étude superficielle, nous admettrons, sans chercher plus avant, que ce passage parle du séjour d’en-haut. Cependant, selon une autre voie d’interprétation, nous y verrons que le même lieu sera attribué au Christ et à nous, autrement dit, des honneurs similaires et de qualité égale, pour autant bien sûr que l’image et la ressemblance en soient capables. Car nous serons semblables à l’image de sa gloire (Phil. 3, 21) et nous régnerons avec lui (2 Tim. 2, 12) selon les Ecritures (Mt. 26, 29 ; Ap. 3, 21). Il nous promet, à son habitude, qu’il se mettra à table avec nous dans le Royaume des Cieux.
Puisque la chose ne fait de doute pour personne, nous ne rechercherons pas pour le moment d'autres preuves que nous serons avec le Seigneur, que nous partagerons sa gloire et deviendrons participants de son Règne. Tournons-nous vers l’autre partie de la sentence à expliquer : afin qu’ils voient ma gloire.
Il ne sera donc pas donné aux impies ni aux pécheurs, non plus qu’à ceux qui dédaignent la loi de Dieu, de se tenir dans la vision de la gloire du Christ. Elle sera réservée seulement aux saints et aux vertueux. Nous le savons aussi par les paroles du prophète : «Que l'impie soit ôté, afin qu'il ne voie pas la gloire du Seigneur» (Is. 26, 10) ; et par le message évangélique du Seigneur Christ : «Bienheureux les coeurs purs, car ils verront Dieu» (Mt. 5, 8).
Qui seront les coeurs purs ? Sinon ceux qui, s’unissant à Dieu, par le Fils, dans l'Esprit, auront fui tout désir charnel, rejeté loin d'eux tout plaisir du monde et, pour ainsi dire, renoncé à leur propre vie ; qui se seront tout entiers abandonnés à la volonté de l'Esprit et auront vécu purement et totalement en Christ. Tel fut Paul qui, à cause de la très grande pureté qui était en lui, ne craignait pas de dire : «J'ai été crucifié avec le Christ et ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi» (Gal. 2, 20).
J'entends un autre saint chanter ce psaume : «Crée en moi un coeur pur, ô Dieu, et renouvelle en moi l'Esprit de droiture. Ne me rejette pas de devant ta face, ne me retire pas ton Esprit Saint. Rends-moi la joie de ton salut et qu'un Esprit souverain me soutienne» (Ps. 50, 12-14). Il appelle l'Esprit : «joie du salut», parce qu'il donne la joie inaltérable et sans fin et la domination sur les passions du monde. Car il est l’Esprit du vrai Salut, qui est le Christ. Lui donnant donc des noms multiples, c’est toujours l’Esprit qu’il appelle «coeur pur», «Esprit de droiture», parce que, loin d’avoir le coeur tendu en ligne droite, ils l’ont plutôt tordu et perverti, selon le psalmiste, ceux qui ne sont pas encore unis à Dieu, ni ne partagent la bénédiction du Christ dans l'Esprit.
En résumé : le Sauveur désire que la faveur d'être avec lui et de contempler sa gloire soit particulièrement accordée à ses disciples. Il affirme avoir été aimé dès avant la fondation du monde, montrant ainsi clairement la grande antiquité de la force de son mystère, et indiquant que Dieu le Père connaissait à l’avance la voie de notre salut, accomplie par la médiation du Christ. La connaissance de ce mystère ne fut point donnée dès l’origine aux hommes de la terre : la loi survint d’abord, introduite comme pédagogue de la vie divine, qui esquissa pour nous dans ses figures une ombre de science, Dieu le Père réservant pour le temps propice la grâce qui vient du Sauveur.
La connaissance de ces enseignements nous semble très utile pour rabattre le sourcil hautain des Juifs et l’arrogance impie de ceux des fils d’Israël qui choisirent d’acquiescer toujours à la Loi même après que la vérité eut paru et qu’il ne fut plus juste de suivre les figures. Elle est aussi pertinente pour renverser l’autre parti17, ceux qui croient que la force de ce mystère est le fruit imaginé par un dessein récent et tout nouveau du Père ! Réfutant les vues de ceux qui sont dans cette humeur, Pierre dit quelque part du Christ qu'il était «connu d'avance avant la fondation du monde», mais fut manifesté à la fin des temps de ce monde présent (1 Pi 1, 20).
Remarquons qu'il considère ses disciples eux-mêmes comme un don du Père, de même que sa gloire divine et sa souveraineté universelle : non qu’il les ait reçus en tant que Dieu par nature, Lui, le Seigneur de gloire, qui possède à titre essentiel la dignité royale. Il les a reçus selon son humanité, à qui tout est don de Dieu, et non fruit de sa nature propre. Car tout vient à la créature de par Dieu. Quelque bien qu’elle semble posséder, de soi-même, elle n’a rien.

25. Père juste, le monde ne t'a point connu, mais moi je t'ai connu, et ceux-ci ont connu que tu m'as envoyé.

Il appelle ici le Père du nom de juste, quoiqu’il eût pu lui en donner d’autres. Le Père n’est-il pas aussi saint, pur, immaculé, Créateur et Démiurge et tout ce qui convient à la nature reine de l'univers ? Chercher pourquoi le Christ lui a donné cette épithète de juste, quand il aurait pu le nommer autrement, prouve un véritable amour de cette étude. Ne passons pas au galop les sujets de contemplation renfermés dans l’Ecriture inspirée de Dieu : ce nous sera peut-être d’un grand profit. Ce que nous disons plus spécialement pour l’interprétation du présent passage.
Lors donc qu’il voulut nous sanctifier selon le bon plaisir de son Père, le Christ, remplissant le rôle de l’avocat et l’office du médiateur, se fit le porte-parole de nous tous et dit : «Père saint, garde-les dans ta vérité» (Jn 17, 17), appelant du nom de Vérité son propre Esprit, par lequel il affermit nos âmes, les scellant de sa ressemblance, et les entourant du rempart de sa force ineffable, pour les emplir d’un courage invincible ; il les aiguillonne aussi pour qu’elles s’adonnent d’une ardeur sans mesure aux oeuvres parfaitement bonnes, afin que n’ayant nul obstacle à leur pied, ni rien qui les retienne, elles courent au plus vite leur course agréable à Dieu, sans prêter attention aux mille artifices du diable, ni aux voluptés du monde. Car ceux qui ont une fois reçu le sceau du Saint Esprit et possèdent, dans leur intellect, les arrhes de la grâce, ont le coeur telle une tour forte, revêtus qu’ils sont de la force d’en-haut (Luc 24, 49). Afin, donc, que nous jouissions de biens si désirables, le Christ appelait sur nous la sanctification qui vient du Père.
Or le Christ me semble exprimer ici une idée analogue. A ce qu’il a dit de la nécessité, pour nous, de recevoir la sanctification du Père, il a ajouté ces mots sur nous : «Je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, afin qu'ils soient un comme nous sommes un, moi en eux et toi en moi, afin qu'ils soient parfaits dans l'unité, et que le monde connaisse que tu m'as envoyé et que tu les as aimés comme tu m'as aimé» (Jn 17, 22-23) et encore «Père, je veux que ceux que tu m'as donnés soient aussi avec moi» (Jn 17, 24).
Ayant ainsi parlé, il a aussitôt, et non sans raison, proclamé le Père juste : par Sa bienveillance et par Sa volonté, le Fils est devenu homme, afin de procurer à la nature humaine la sanctification par l’Esprit, l’union à Dieu, le séjour dans les demeures d’en-haut, et qu’il fasse co-exister et régner avec lui cette nature qu’il a créée «pour des oeuvres bonnes» (Eph. 2, 10). Car ce n’est point pour la malice que Dieu créa l'homme au commencement. Mais la nature humaine, suivant les conseils impies du diable, se tourna vers le mal, abandonnant sa marche originelle vers l’amour de Dieu et elle s’est pour ainsi dire arrachée de ses vraies fondations.
Oui, c’était là une oeuvre bien digne du Père Juste : rendre à celui que la convoitise avait brisé les hauteurs d’où il était tombé, rétablir dans son rang primitif celui qui s’était laissé entraîner dans l’injustice, le délivrer de la laideur du péché, le reformer sur l’image originelle de sa première création. Il appartenait encore au Père juste de soumettre l'adversaire qui avait brisé l'homme et osé le perdre avec scélératesse, j’ai nommé Satan, aux châtiments qu’il mérite, quoique aucune peine ne semble suffisante pour celui qui s’arma d’une telle fureur contre Dieu.
Il dit donc : Père juste, -car Tu es juste, et ton jugement est bon et droit (Ps. 118, 137), puisque tu m’as envoyé dans le monde, pour son salut et sa recréation, moi qui suis Ton Fils légitime et véritable. Mais, ô aveuglement insensé ! Bien que tu sois Juste, le monde ne t’a pas connu. Ne devaient-ils pas, au contraire, en voyant ton dessein plein d’amour pour l’homme et ton gouvernement si miséricordieux, courir à Toi leur Sauveur et t’offrir de bon coeur leur adoration ?
Telle fut l’action de grâces que le Christ offrit au Père en notre nom pour les bienfaits reçus par nous, disant que, dans Sa justice, le Père avait résolu de donner le salut à ceux qui étaient tombés victimes de la convoitise et de condamner le diable à la perdition.
Il poursuit en affirmant que le monde, c’est-à-dire les hommes dont les actes sont contraires au divin message de l’Evangile, ne peuvent connaître le Père Juste parce qu’ils ne pensent qu’aux choses de ce monde : «Le dieu de ce siècle, dit Paul, a aveuglé l'intelligence des incrédules, afin qu'ils ne vissent pas briller la splendeur de l'Evangile de la gloire du Christ» (2 Cor. 4, 4).
Pour ses disciples, au contraire, il témoigne qu'ils savent et connaissent qui est le Père, les décorant ainsi d’une grande et enviable dignité. Il déclare, en effet, qu’ils ont dépassé tout ce qu’il y a de médiocre et de bas dans ce monde par leur connaissance du Père et, bien évidemment aussi, du Fils lui-même. En accusant donc le monde de ne pas connaître le Père, c’est-à-dire le vrai Dieu par nature, il témoigne en même temps indubitablement que les disciples le connaissent.
Dès lors, n’est-il pas sûr et certain que les disciples ne peuvent pas être du monde, eux qui d’ores et déjà appartiennent au Christ qui est au-dessus du monde ? Le Christ dont Paul disait : «Lui par qui le monde est crucifié pour moi comme je le suis pour le monde» (Gal. 6, 14). Il dit aussi de nous : «Ceux qui sont à Jésus Christ ont crucifié la chair avec ses désirs et ses passions» (Gal. 5, 24).
Affirmons donc que les disciples étaient sortis du monde, non point géographiquement ou physiquement : car ils rayonnent «tels des flambeaux dans le monde, portant la Parole de Vie» (Phil. 2, 15‑16) ; mais parce que, tout en marchant sur terre, ils étaient citoyens du Ciel. Ils avaient renoncé aux désirs de la chair ou plutôt, ayant fixé leur esprit plus haut que tout désir de ce monde, ils avaient d’un bond gagné la vertu la plus haute et la plus sublime, comme le chante le psalmiste : «Les forts de Dieu ont été puissamment exaltés sur la terre» (Ps. 46, 10). Les hommes de coeur qui, à cause de Dieu, méprisent la misère des pensées terrestres, apprennent à penser aux choses d’en-haut. Voilà, je pense, la signification des mots «ils ont été exaltés».
Il dit donc ici : Père, le monde n’a pas connu que tu es juste. Mais moi qui le savais, étant Ton conseil et Ta sagesse, je n’ai point eu souci de la gloire naturelle et de la dignité divine qui sont miennes, et je me suis exténué moi-même, m’abaissant jusqu’à la misère humaine, afin de sauver selon ton bienveillant dessein la race humaine que sa chute privait de notre parenté. Or tandis que le monde persiste dans l’ignorance, mes disciples ont été richement pourvus de la connaissance : ils ont compris qu’en vérité c’est toi qui m’as envoyé, que c’est par ta volonté que je suis venu rétablir le bien en renouvelant la terre en péril.

26. Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître, afin que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux et moi en eux.

Il attribue la connaissance de Dieu le Père à la fois à Lui-même et aux disciples qui le suivent fidèlement.
Puis, de peur que quelqu’un ne s’abuse et ne tombe dans de très fausses suppositions, s’imaginant que cette connaissance existe d’une manière strictement égale dans le Christ et dans ses disciples, il marque aussitôt la distinction et fait bien voir la différence, se hâtant de souligner que c’est Lui qui transmet cette connaissance et que les disciples la reçoivent de Lui. En effet, Notre Seigneur Jésus Christ, étant Verbe, Conseil et Sagesse du Père, savait sans l’avoir appris ce qui est en Lui. Il sonde les profondeurs de Celui qui l’engendra, exactement comme l’esprit de l’homme connaît sans peine ce qui est en lui et comme l’intelligence que l’on voit en nous, selon notre humanité, n’ignore évidemment rien de ce qui est en nous.
En revanche, les divins disciples ne possédaient pas, comme fruit de leur propre science, la faculté de former la moindre conception de Dieu ; mais, conduits par l’Esprit jusqu’à la lumière, ils atteignent au Fils dans la juste pratique des mystères, et deviennent ainsi capables de connaître le Père.
Le Christ a donc très justement et utilement ajouté les mots : «Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître».
Il veille aussi à montrer comment deux personnes, le Père et le Fils, oeuvrent effectivement ensemble pour mettre la vision divine à la portée de l'homme. Car le Père donne la sagesse en révélant le Fils, et le Fils la confère tout autant en révélant le Père. N’a-t-il pas dit au bienheureux Pierre, alors qu’ils se trouvaient dans les environs de Césarée de Philippe : «Heureux es-tu Simon Pierre, fils de Jonas, car ce ne sont pas la chair et le sang qui t'ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les Cieux» (Matt. 16, 13-17), parce que le disciple avait confessé et proclamé sa foi en lui répondant qu'Il était le Christ, le Fils du Dieu vivant ? A présent, Il dit de lui-même : «Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître».
«Et je le leur ferai connaître» : car le Fils Unique qui révéla d’abord à ses premiers disciples la force de son mystère n’a jamais cessé de nous faire la même révélation : il la continue perpétuellement, semant dans chacun de nous la lumière de l'Esprit, et conduisant ceux qui l’aiment à la connaissance des choses qui passent l’intelligence et la raison.
Le Seigneur nous enseigne ensuite lui-même dans quel but il donne cette connaissance, et quel bien il procure en révélant le Père à ses disciples et en Le faisant aussi connaître à leurs successeurs. Il dit : «Afin que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux et moi en eux».
Ceux qui auront pu connaître Dieu le Père dans une vision pure et auront été instruits exactement de la doctrine du mystère du Christ, gagneront sans nul doute et jouiront certainement de l’amour parfait du Père qui les aimera comme il aime le Fils. Car le Père aime son Fils d'un amour infiniment parfait.
Le Christ lui-même demeure en eux par l'Esprit Saint, car il attache par lui-même à Dieu le Père, du lien de la parenté spirituelle, celui qui l’a connu et qui enfante en soi la doctrine inaltérable de la divine connaissance.
Il nous a donc fait connaître le Nom du Père en se manifestant lui-même à nous comme Son Fils. Car la connaissance du Géniteur suit et accompagne toujours et en tout celle de l’Engendré, et la réciproque est vraie.
Or s’il faut tenir pour vrai et indubitable que le Fils est inséparable du Père et connu avec Lui, et réciproquement, et que la connaissance de chacun d’eux passe par celle des deux ensemble, comment des impies peuvent-ils prétendre encore que le Fils est une créature ? Si quelqu'un dit : le Fils, il suggère déjà à qui l’écoute la notion du Père. S'il l'appelait créature, il évoquerait l'idée de son créateur. Puis donc que le Fils appelle Dieu son Père et non son Créateur ni son Auteur, il est en toute vérité son enfant. Voilà pourquoi le Fils est Fils et conçu comme tel, et n’est point créature comme ils le voudraient : auquel cas, celui qui crée serait son Créateur et non son Père.
On ne diminuerait point la force de ce raisonnement en signalant que l’expression qui indique la génération ou la filiation se trouve parfois appliquée à nous les hommes. En effet, il arrive souvent que l’Ecriture Sainte nous applique par métaphore les attributs et qualités propres et spécifiques au Fils par nature, accordant même parfois aux fils adoptifs l’honneur des titres qui Lui appartiennent par nature. Il n’y a point lieu de s’étonner que nous recevions le nom de Celui qui fut engendré : car, dans son amour des hommes, Dieu désire nous glorifier. Dans le même sens, l’Ecriture a même nommé «dieux» ceux qui, de l’aveu de tous, proviennent de la terre.

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