mercredi 26 mai 2010

Saint Jean Cassien, Les Institutions Cénobitiques. (Règles Monastiques). Ed. du Cerf. Collection Sources Chrétiennes.

Vifs Remerciements à Ceux qui ont Longuement & Peineusement scanné ce Grand Texte Fondateur.
Ce texte a été publié sur le Site : patristique.org

PRÉFACE DE SAINT JEAN CASSIEN
À L'ÉVÊQUE CASTOR.
L'Ancien Testament rapporte que Salomon avait reçu d'en haut une sagesse si
grande, une prudence si consommée, un coeur si vaste, que les rivages de la mer n'étaient
pas plus étendus, et qu'au témoignage de Dieu même, nul homme dans le passé ou l'avenir
ne pouvait lui être comparé (1 Chr 4, 29). Et cependant, lorsqu'il voulut élever au Seigneur
un temple magnifique, il demanda l'aide du roi de Tyr, qui était un étranger. Le roi lui
envoya Hiram, le fils d'une veuve, et Salomon s'en servit pour réaliser l'inspiration divine,
pour bâtir le temple et l'orner de vases sacrés.
Si ce prince, qui était au-dessus de tous les rois de la terre, si le plus noble et le plus
illustre des enfants d'Israël, si celui dont la sagesse surnaturelle surpassait les sciences et les
arts de l'Égypte et de l'Orient, n'a pas dédaigné consulter le fils d'une veuve et un étranger,
faut-il s'étonner, très saint évêque Castor, qu'à son exemple vous vous adressiez à moi,
malgré ma faiblesse et ma pauvreté, pour vous aider dans un projet plus grand que le sien ?
Car ce n'est pas avec des pierres insensibles, mais avec des saints que vous voulez bâtir un
temple à Dieu ; ce n'est pas un édifice temporel et destructible, c'est un monument éternel
et immuable ; les vases que vous y voulez consacrer, ce ne sont pas des vases de métal, d'or et
d'argent, que le roi de Babylone doit prendre pour les faire servir aux débauches de ses
princes et de ses concubines, ce sont des âmes saintes, toutes brillantes d'innocence, de
justice et de pureté, des vases que doit remplir le Christ même, leur Roi et leur Époux.
Votre province n'avait pas de monastère, et vous voulez en bâtir un semblable à
ceux de l'Orient, et surtout de l'Égypte. Vous possédez toutes les vertus, la science et les
richesses spirituelles qui sont nécessaires, et, à défaut de vos leçons, votre vie et vos exemples
suffiraient pour diriger ceux qui aspirent à la perfection. Et cependant, pour accomplir votre
dessein, vous vous adressez à moi, si pauvre de science et de talent, et vous réclamez le
concours de mon indigence. Vous désirez que, malgré mon incapacité, je mette par écrit les
institutions que j'ai vu prospérées dans les monastères d'Égypte et de Palestine, et les
traditions des Pères qu'on y conserve. Vous me recommandez de le faire, non pas dans ce
beau langage qui est un de vos mérites, mais dans un style simple qui fasse comprendre
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facilement la vie des saints à tous les religieux que vous avez reçus dans votre nouveau
monastère.
Je voudrais pouvoir répondre à votre pieux désir ; mais combien d'obstacles
m'épouvantent ! Ma vie d'abord est-elle assez pure pour oser approfondir dignement des
choses si élevées, si obscures et si saintes ? J'étais bien jeune d'ailleurs lorsque j'étais parmi
ces saints religieux qui me soutenaient et m'encourageaient par leurs paroles et leurs
exemples, et ce que j'essayais alors, ce que j'ai appris, ce que j'ai vu, il me serait bien difficile
de me le rappeler parfaitement, après avoir été privé depuis tant d'années de leur présence et
de leurs enseignements. Cet inconvénient et d'autant plus grand, que ces choses ne peuvent
être exposées, comprises et retenues, et en parlant et en les étudiant : l'expérience seule en
donne l'intelligence. Si celui qui les explique doit les avoir pratiquées, il faut aussi que ceux
qui le entendent, s'y exercent avec ardeur pour les comprendre ; et encore est-il nécessaire
de s'en entretenir souvent avec des personnes éclairées, pour ne pas les oublier
promptement.
Outre cette difficulté, je sens que je suis incapable de bien exprimer ce que je me
rappelle encore. Ajoutez que déjà bien des hommes illustres par leur vie, leur savoir et leur
éloquence, ont écrit des livres sur ce sujet. Je citerai, entre autres, saint Basile et saint
Jérôme. Le premier, à la demande de ses disciples, a traité la règle et des questions difficiles
avec beaucoup de talent et une grande abondance de textes des saintes Écritures. Le second,
non seulement a composé plusieurs livres sur la vie religieuse, mais encore en a traduit du
grec en latin. Ne serait-ce pas bien présomptueux de vouloir ajouter quelques gouttes à ces
fleuves d'éloquence ? Et cependant je me laisser persuader par la confiance que votre sainteté
m'inspire, et par la promesse que vous me faites que vous recevrez avec plaisir mon pauvre
travail et que vous le montrerez seulement aux religieux de votre nouveau monastère. S'ils y
trouvent des choses qui ne soient pas bien dites, que leur charité me le pardonne, qu'ils
soient indulgents, et qu'ils cherchent dans mes écrits plutôt la vérité que la beauté du
langage.
Ainsi je me rends à vos prières, vénérable Père, qui êtes vraiment un modèle de
religion et d'humilité. J'entreprends, selon la mesure de mes forces, l'ouvrage que vous me
demandez. Je traiterai surtout ce qu'ont passé sous silence ceux qui m'ont précédé, parce
qu'ils parlaient plus de ce qu'ils avaient entendu dire que de ce qu'ils savaient par euxmêmes,
et je tâcherai d'instruire votre communauté naissante, qui a soif de la vérité. Je ne
chercherai pas à raconter des miracles et des faits extraordinaires, nos anciens m'en ont
LIVRE I : DU VÊTEMENT DES RELIGIEUX
1. Dessein de l'auteur
Notre intention étant d'exposer, avec la grâce de Dieu, les institutions et les règles
monastiques, pouvons-nous mieux commencer qu'en parlant du vêtement des religieux ? Il
nous sera plus facile de montrer leur piété intérieure, lorsque nous aurons expliqué l'habit
qu'ils portent extérieurement.
2. De la ceinture
Le religieux est un soldat du Christ : il doit toujours être prêt, et se ceindre les reins
pour combattre. C'est ainsi que marchaient ceux qui, dans l'Ancien Testament, furent les
fondateurs de la vie religieuse, Élie et Élisée, dont nous parle la sainte Écriture, et nous
voyons les princes et les Apôtres de la loi nouvelle, saint Jean, saint Pierre, saint Paul et
leurs disciples, agir de la même manière. Élie, qui représentait, avant l'Évangile, la pureté des
vierges et les vertus de la continence, fut envoyé de Dieu pour reprocher aux ambassadeurs
d'Ochosias le sacrilège de ce roi d'Israël qui avait consulté Béelzébub, le dieu d'Ascaron, sur
l'état de sa santé, et il leur annonça que ce prince ne se relèverait pas du lit où il était
couché. Le roi reconnut le prophète à la manière dont il était vêtu ; car ses ambassadeurs
étant revenus lui apporter sa sentence, il leur demanda comme était l'homme qui leur avait
ainsi parlé. « C'est un homme, répondirent-ils, qui est couvert de poil et qui a une ceinture
de peau autour des reins. » Alors le roi reconnu l'homme de Dieu et dit : « C'est Élie de
Thesbé » (2 Chr 1, 8). Cette ceinture et cet extérieur négligé firent reconnaître le prophète,
parce qu'au milieu de tout le peuple d'Israël, il était le seul qui portât ce vêtement comme un
signe spécial.
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Saint Jean-Baptiste, qui sépare, comme une borne sacrée, l'Ancien et le Nouveau
Testament dont il est la fin et le commencement, nous apparaît ainsi dans l'Évangile. «
Jean, est-il dit, avait un vêtement de poil de chameau et une ceinture de cuir autour des
reins » (Mt 3, 4).
Lorsque saint Pierre était dans la prison d'Hérode, et qu'il devait mourir le
lendemain, un ange lui apparut et lui dit : « Prenez votre ceinture et mettez vos sandales »
(Ac 12, 8). Si l'ange du Seigneur lui fit cette recommandation, c'est qu'il avait un peu délié
sa ceinture pour mieux reposer, pendant la nuit, ses membres fatigués.
De même, lorsque le prophète Agabus rencontra, à Césarée, saint Paul qui allait à
Jérusalem, où les Juifs devaient le charger de chaînes, il prit la ceinture de l'Apôtre, s'en lia
les pieds et les mains pour figurer sur son corps ce que saint Paul devait souffrir, et il lui dit :
« Voici ce que dit l'Esprit Saint : "Celui à qui appartient cette ceinture, sera ainsi lié par les
Juifs à Jérusalem et livré entre les mains des gentils" » (Ac 21, 11). Le prophète n'eût pas pu
dire : "Celui à qui appartient cette ceinture", si saint Paul n'avait pas eu l'habitude d'en
porter une.
3. De la simplicité du vêtement. Du cilice
Le religieux doit seulement chercher par ses vêtement à couvrir sa nudité et à se
préserver du froid, et non pas à nourrir sa vanité et à satisfaire son orgueil. L'Apôtre le
recommande en disant : « Dès que nous avons de quoi nous nourrir et de quoi nous couvrir,
nous devons être contents » (1 Tim 6, 8). Il se sert de ces termes pour indiquer que les
vêtements doivent couvrir le corps, sans lui servir d'ornement. Il faut qu'ils soient si simples,
que rien ne les distingue, par la couleur et la forme, de ceux que portent les personnes de
même condition. Mais il faut éviter un défaut contraire et ne pas se faire remarquer par une
négligence affectée. Le vêtement religieux doit être si éloigné des modes du monde, qu'il
puisse toujours servir à tous les serviteurs de Dieu. Car ce qui serait adopté par quelques-uns
seulement et qui ne conviendrait pas à toute la communauté doit être rejeté comme superflu
et nuisible, comme montrant plutôt la vanité que la vertu. Il faut retrancher comme inutile
tout ce que n'ont pas approuvé les saints fondateurs de la vie religieuse, et les Pères qui, de
notre temps, suivent fidèlement leurs règles et leurs exemples.
Les plus sages n'approuvent pas le vêtement de poil qu'on appelle cilice , ils le
trouvent trop singulier et plus capable de favoriser la vanité que d'aider à la dévotion. Ils le
croient d'ailleurs incommode pour le travail auquel doit se livrer un religieux qui veut éviter
la paresse. Si quelques religieux, recommandables par de grandes vertus, ont porté le cilice, il
ne faut pas dédaigner pour cela les coutumes des monastères et les préceptes des anciens, et
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s'autoriser de l'exemple du petit nombre pour violer une règle générale. C'était le privilège
de leur rare mérite qui les excuse de n'avoir pas fait comme les autres ; mais nous devons
suivre avec une confiance plus ferme et une obéissance plus entière les institutions qui n'ont
pas été introduites par des volontés particulières, mais qui ont pour elles la tradition de
plusieurs siècles et la recommandation de tant d'illustres et saints personnages.
N'alléguons pas l'exemple de Joram, le roi coupable d'Israël, qui, entouré d'ennemis,
déchira ses vêtements et fit voir le cilice qu'il portait sur sa chair (2 Chr 6, 30) ; ni celui des
Ninivites, qui se couvrirent de cilices pour apaiser la colère de Dieu que leur annonçait le
prophète (Jonas 3, 5) ; car il est évident que le cilice de Joram était caché, puisqu'on ne le
voyait pas avant que son vêtement fût déchiré. Quant aux Ninivites, ils montraient tous
leurs cilices, et personne ne se singularisait en le portant. L'inégalité n'est blessante que
quand elle est une singularité affectée.
4. Du capuchon des religieux et de sa signification
Le costume des solitaires d'Égypte a des parties qui sont moins pour la commodité du
corps que pour l'enseignement de la vertu. Leur forme figure l'innocence et la simplicité que
doivent avoir ceux qui les portent. Le petit capuchon, par exemple, qui leur couvre
seulement la tête, en descendant jusqu'aux épaules, et qu'ils conservent nuit et jour, leur
rappelle qu'il faut imiter l'innocence et la simplicité des enfants dont ils ont le voile. Ils sont
revenus à l'enfance du Christ, et doivent chanter sans cesse avec un amour sincère : «
Seigneur, mon coeur ne s'enorgueillit pas et mes yeux ne se sont pas levés. Je n'ai pas été
ambitieux et je n'ai pas rêvé pour moi de grandes choses. Si je n'ai pas d'humbles sentiments
de moi-même et si mon âme s'élève, que je sois comme l'enfant que sa mère a sevré » (Ps
130, 1).
5. De la tunique
Les solitaires ont aussi des tuniques de lin dont les manches arrivent à peine aux
coudes et laissent nu le reste du bras. Ce raccourcissement des manches leur apprend à
retrancher de leur vie les oeuvres du monde, et cette étoffe de lin1 à se priver de la société
des hommes et à entendre l'Apôtre leur dire, tous les jours : « Mortifiez vos membres qui
sont sur la terre » (Col 3, 3). Ce vêtement leur crie à toute heure : « Vous êtes morts et
cachés avec le Christ en Dieu » (Ibid.). Et encore : « Je vis, mais ce n'est pas moi, c'est le
Christ qui vit en moi. Le monde est crucifié pour moi, et moi pour lui » (Ga 2, 29).
1 Cette étoffe était celle des pauvres en Égypte, et servait à ensevelir les morts.
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6. Le vêtement ne doit pas gêner le travail
Ils ont aussi un double cordon de laine qui descend de la tête, se divise sur les épaules
pour se rejoindre sur l'estomac, en serrant l'ampleur du vêtement et en laissant les bras libres
pour toutes sortes de travaux, afin d'accomplir avec zèle le précepte de saint Paul : « Ces
mains ont travaillé, non seulement pour moi, mais aussi pour ceux qui sont avec moi. Nous
n'avons mangé, sans payer, le pain de personne, mais nous avons travaillé, nous nous
sommes fatigués nuit et jour, pour ne pas vous être à charge » (Ac 20, 35). « Celui qui ne
veut pas travailler ne doit pas manger » (2 Th 3, 10).
7. Du petit manteau
Ils portent par-dessus leur vêtement un petit manteau fort étroit et fort grossier qui
couvre le cou et les épaules, et qui témoigne de leur pauvreté et de leur humilité. Ils évitent
ainsi la dépense et la vanité des beaux et grands manteaux qu'on porte dans le monde;
8. Du vêtement de peau
Leur dernier vêtement est un peau de chèvre ou de brebis qu'ils portent à l'imitation
des solitaires de l'Ancien Testament, dont saint Paul a dit : « Ils erraient couverts de peaux
de brebis et de chèvres. Ils étaient éprouvés, affligés, persécutés. Le monde n'était pas digne
d'eux, et ils vivaient dans les solitudes, les montagnes, les rochers et les cavernes » (He 9,
38). Le vêtement de peaux de chèvres leur rappelle qu'ils doivent avoir mortifié les
mouvements de la chair, et rester fermes dans la vertu sans conserver en eux l'ardeur et la
légèreté de la jeunesse.
9. Du bâton
Ils portent un bâton, à l'exemple d'Élisée, qui disait à Giesi, son serviteur, en
l'envoyant ressusciter l'enfant de la veuve : « Prends mon bâton, et hâte-toi ; tu le placeras
sur le visage de l'enfant, et il vivra » (2 Chr 4, 29). Le prophète n'eût pas donné ce bâton à
porter, s'il n'avait eu l'habitude de s'en servir dans ses voyages. Ce bâton nous averti que
nous devons être toujours armés, au milieu des vices qui aboient, comme des chiens
acharnés, contre ces esprits de malice invisibles dont David demande d'être délivré, lorsqu'il
dit : « Ne livrez pas, Seigneur, aux bêtes une âme qui espère en vous » (Ps 78, 19).
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Lorsqu'ils nous attaquent, il faut les arrêter par le signe de la Croix et les repousser loin de
nous. On triomphe de leur rage par le souvenir continuel de la Passion de Notre Seigneur et
par l'imitation de ses souffrances.
10. De la chaussure
Pour ce qui est des chaussures, ils s'en privent, selon le précepte de l'Évangile ; mais
lorsque la maladie, les froids du matin pendant l'hiver, ou le soleil brûlant du midi pendant
l'été les y obligent, ils prennent seulement des espèces de sandales. Ils pensent que Dieu, en
permettant cet usage, nous avertit que, si nous ne pouvons pas, en ce monde, nous délivrer
des inquiétudes de la chair et nous en affranchir entièrement, nous devons au moins nous
efforcer de les diminuer et de n'accorder à notre corps que ce qui lui est absolument
nécessaire. Les pieds de notre âme doivent être toujours prêts à avancer dans la voie
spirituelle et à prêcher la paix de l'Évangile afin de courir après l'odeur des parfums de Jésus
Christ (Ct 1, 3), et de dire avec David : « J'ai couru dans l'ardeur de la soif » (Ps 61, 8) ; ou
avec Jérémie : « Je n'ai pas de peine à vous suivre » (Jr 17, 9). Il ne faut pas les envelopper
des peaux mortes du siècle, en allant au delà des besoins de la nature et en désirant un bienêtre
inutile et coupable ; nous ferons ainsi ce que Dieu l'Apôtre : « Nous ne prendrons pas
soin de notre chair selon nos désirs » (Ro 13, 14).
Mais si ces solitaires portent des sandales, comme Notre Seigneur le permet, ils ne les
gardent jamais, lorsqu'ils vont communier ou célébrer les saints mystères ; ils croient qu'alors
ils doivent observer à la lettre ce qui fut dit à Moïse ou à Josué, fils de Nave : « Déliez votre
chaussure, car le lieu où vous êtes est saint » (Ex 3, 5 ; Jos 5, 16).
LIVRE II : DE L'OFFICE DE NUIT
1. Objet du second livre
Après avoir montré le soldat du Christ ainsi revêtu corporellement et
spirituellement, nous ferons connaître ce qui a été établi en Orient par les anciens Pères
pour la récitation des psaumes et de l'office canonial.
Pour ce qui est de la prière en elle-même et de la recommandation de saint Paul de
prier sans cesse, nous espérons, avec la grâce de Dieu, en parler lorsque nous rapporterons les
conférences des anciens Pères.
2. Du nombre des psaumes de l'office selon les provinces
Nous voyons que, dans d'autres pays, beaucoup ont établi à ce sujet des usages et des
règles différentes, parce qu'ils ont suivi leurs idées particulières et qu'ils ont, comme le dit
saint Paul, « le zèle de Dieu sans en avoir la science » (Ro 10, 2). Quelques-uns ont pensé
qu'il fallait dire chaque nuit vingt ou trente psaumes, en y ajoutant même le chant de
plusieurs antiennes et de plusieurs autres prières. Quelques-uns même ont voulu aller au
delà. D'autres, au contraire, se sont bornées à dix-huit psaumes. La règle est différente
partout, et nous voyons, pour ainsi dire, autant d'usage qu'il y a de monastères et de cellules.
Il y en a même qui se sont imaginé qu'il fallait dire, pour l'office du jour, autant de psaumes
que les heures en indiquent, trois pour tierce, six pour sexte et neuf pour none ; d'autres en
ont fixé six pour chaque partie de l'office. Je crois qu'il est nécessaire de faire connaître la
coutume très ancienne des Pères, qui est encore observée dans toute l'Égypte par les
solitaires, afin que l'enfance du nouveau monsastère pour lequel j'écris, se forme sur des
institutions consacrées par tant de siècles et de vertus.
3. De la règle observée en Égypte
Dans toute l'Égypte et la Thébaïde, où les monastères ne sont pas livrés à l'arbitraire
des supérieurs, mais sont restés fidèles jusqu'à ce jour aux traditions des anciens, nous
voyons adoptés, pour l'office de nuit, les psaumes qui avaient été fixés par les premiers
solitaires. Car non seulement on ne permet à aucun religieux de rien innover dans le
monastère, mais on ne le laisse pas même libre de ses actions dans sa cellule, à moins qu'il
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n'ait renoncé à tous ses biens et aussi à sa propre volonté, en reoonnaissant qu'il doit obéir
en toute chose.
Celui qui abandonne le monde pour vivre dans une communauté, ne doit pas, quelle
qu'ait été sa position et sa fortune, s'enorgueillir de ce qu'il a laissé ou apporté au monastère.
Il doit obéir à tous pour renaître, selon le précepte de notre Seigneur, sans se rappeler son
âge et les années nombreuses qu'il a si inutilement perdues dans le monde. En commençant
cette vie spirituelle, où il prend le joug du Christ et s'exerce à ses combats, il faut qu'il se
soumette à tous, même aux plus jeunes ; il faut qu'il se livre au travail et à la fatigue, afin de
gagner de ses propres mains, selon la recommandation de l'Apôtre, ce qui lui est nécessaire
pour vivre et pour recevoir ses frères, et afin d'expier ainsi le faste et les délices de sa vie
passée, en acquérant, à la sueur de son front, la véritable humilité du coeur. On ne choisit
jamais pour supérieur d'un monastère qu'un religieux qui a appris, par l'obéissance, ce qu'il
doit commander aux autres, et qui ait longtemps pratiqué les traditions qu'ils doit enseigner
à ses plus jeunes frères. Au dire de tous les anciens, c'est là le vrai moyen de bien se conduire
et de bien conduire les autres, et c'est un don précieux et une grande grâce du Saint Esprit.
Personne ne peut donner des conseils salutaires à ceux qui lui obéissent, s'il ne sait par
expérience la règle de toutes les vertus, comme personne ne peut obéir à son supérieur, s'il
n'est rempli de la crainte de Dieu et d'une humilité parfaite.
Si nous voyons aujourd'hui, dans les autres provinces, tant de règles et
d'observances différentes, c'est que nous osons gouverner les monastères sans bien connaître
les institutions des anciens et que nous devenons pour ainsi dire, supérieurs avant d'avoir
été novices. Nous avons plus de zèle à imposer nos idées particulières, qu'à faire observer la
doctrine de nos prédécesseurs. Mais je m'aperçois qu'au lieu de parler de la règle qu'il faut
garder pour l'office, je me laisse entraîner à vous entretenir des traditions anciennes, dont il
sera question plus tard. Revenons maintenant à ntore sujet.
4. De l'office de nuit
Tout l'Égypte et la Thébaïde, comme nous l'avons dit, conservent, pour l'office du
soir et de la nuit, le nombre de douze psaumes, après lesquels viennent deux leçons, l'une de
l'Ancien Testament, l'autre du Nouveau. Cette coutume, très ancienne, est observée depuis
bien des siècles par presque toutes les provinces, et si elle est arrivée jusqu'à nous, c'est qu'on
assure qu'elle n'a pas été établie par la volonté des hommes, mais qu'elle a été imposée à nos
Pères par le ministère des anges.
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5. Le nombre des psaumes fixé par un ange
Dans les temps de la primitive Église, les religieux étaient en petit nombre, mais
d'une grande vertu. Ils avaient reçu leur règle de l'évangéliste saint Marc, qui fut le premier
évêque d'Alexandrie. Et non seulement ils observaient ce qui est rapporté des fidèles dans
les Actes des Apôtres : « La multitude de ceux qui croyaient, n'avait qu'un coeur et qu'une
âme. Aucun ne disait à lui ce qu'il possédait, mais tout était commun entre eux. Ceux qui
avaient des champs et des maisons, les vendaient, et en apportaient le prix aux pieds des
Apôtres, qui partageaient selon le besoin de chacun » (Ac 4, 26). Ils pratiquaient encore des
choses beaucoup plus parfaites. Ils se retiraient dans les endroits les plus écartés de la ville, et
ils menaient une abstinence si rigoureuse, que les infidèles mêmes admiraient leur incroyable
austérité.
Il s'appliquaient jour et nuit, avec tant d'ardeur, à la méditation des saintes Écritures,
à la prière et au travail des mains, qu'ils en perdaient le désir et la pensée même de la
nourriture, et c'était après deux ou trois jours seulement, que la faiblesse de leur corps les
obligeait à prendre quelque chose, plutôt par nécessité que par plaisir ; et ils ne le faisaient
pas avant le coucher du soleil, afin d'employer sa lumière à leurs saintes études et prendre
soin de leurs corps pendant la nuit seleument, tout en se livrant à d'autres pratiques d'une
admirable piété. Ceux qui n'ont pas appris ces choses dans le pays même, peuvent les voir
dans l'histoire ecclésiastique.
Lorsque la perfection de ces premiers chrétiens était encore présente à la mémoire de
leurs successeurs, et que la foi ardente des religieux n'était pas affaiblie par le relâchement des
communautés trop nombreuses, nos Pères, dans l'intérêt de ceux qui devaient venir après
eux, se réunirent pour fixer l'office qui serait célébré chaque jour dans les monastères, afin de
laisser à leur postérité cet héritage de paix et de piété à l'abri de toute discussion. Ils
craignaient que la récitation publique des prières ne fût une occasion de trouble et de
division parmi ceux qui devaient avoir le même but, et que la différence qui s'introduirait
dans les offices ne devînt, par la suite, une source déplorable d'erreurs, d'envie et de
séparation.
Dans cette sainte assemblée, la ferveur de chacun lui faisait oublier la faiblesse des
autres, et l'on proposait des choses que l'ardeur de la piété semblait rendre faciles, sans
s'inquiéter si elles étaient possibles à la généralité des frères parmi lesquels se trouvent
nécessairement beaucoup d'infirmes. On voulait adopter un grand nombre de psaume : les
uns en propsaient cinquante, les autres soixantes ; d'autres même en demandaient
davantage. Cette sainte contestation au sujet de la règle dura jusqu'au soir, et quand vin
l'heure de réciter les prières accoutumées, quelqu'un se leva au milieu de l'assemblée pour
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chanter les psaumes. Tous les religieux s'assirent alors, comme c'est encore l'usage en Égypte,
et regardèrent celui qui officiait, en s'unissant à lui de tout leur coeur. Lorsqu'il eut récité
onze psaumes d'un ton égal et sans s'arrêter, en les séparant seulement par une prière, il en
ajouta un douzième qu'il finit par l'alleluia. Puis il disparut tout à coup aux yeux de tous,
terminant ainsi la discussion et l'office.
6. Des psaumes et des leçons
La vénérable assemblée des Pères comprit que Dieu avait bien voulu leur donner, par
le ministère d'un ange, une règle générale pour toutes les communautés de frères. Ils
décidèrent donc qu'on adopterait ce nombre de psaumes pour l'office du soir et de la nuit,
en y ajoutant deux leçons, l'une tirée de l'Ancien, et l'autre du Nouveau Testament ; mais
comme ces leçons étaient établies par eux en dehors de ce que l'ange avait fixé, ils ne les
proposèrent qu'à ceux qui voudraient bien les adopter, afin de mieux apprendre et méditer
les saintes Écritures. Le samedi cependant et le dimanche, ces leçons étaient choisies toutes
les deux dans le Nouveau Testament. L'une était tirée des épîtres de saint Paul ou des Actes
des Apôtres, l'autre des Évangiles, et ceci est observé pendant tout le temps pascal par tous
ceux qui aiment connaître et posséder la sainte Écriture.
7. Des la manière de prier
Voici comment ces religieux commencent et finissent leurs prières. Lorsque le
psaume est déterminé, ils ne se hâtent pas de s'agenouiller, ainsi que nous le faisons dans
cette province, quelquefois même avant qu'il soit achevé, comme pour nous débarrasser plu
promptement de l'office. Quand nous voulons dépasser la règle qui a été établie autrefois par
nos Pères, nous comptons les psaumes qui restent à dire, et nous cherchons à la finir, en
nous préoccupant beaucoup plus de la fatigue de nos corps que de l'utilité et des avantages
que peuvent en retirer nos âmes. Les solitaires d'Égypte n'agissent point ainsi. Avant de
fléchir le genou, ils prient quelque temps et se tiennent presque toujours debout. Ils se
prosternent ensuite un instant par terre pour adorer la bonté divine, puis ils se relèvent
promptement et se tiennent les mains étendues, comme auparavant, en s'appliquant avec
ardeur à la prière. Ils disent qu'en restant plus longtemps prosternés par terre, ils seraient
plus exposés aux distractions, et aussi plus tourmentés par le sommeil. Hélas ! ne le savonsnous
pas par expérience, et ne l'éprouvons-nous pas tous les jours ? Nous aimons à
multiplier ces prostrations et nous souhaitons les faire durer longtemps, parce qu'elles sont
plus agréables à notre corps que favorables à nos prières. Quand celui qui doit dire l'oraison
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se lève, tous se lèvent avec lui, et personne ne se permet de le devancer, lorsqu'il fait la
génuflexion, ou de rester prosterné, lorsqu'il se relève. Ce serait paraître ne pas s'unir à ses
frères et vouloir prier seul.
8. Du Gloria Patri à la fin de chaque psaume
Nous voyons dans cette province, quand celui qui chante le psaume l'a fini, tous les
autres se lever et chanter à haute voix avec lui : Gloire au Père, au Fils, et au Saint Esprit ;
rien de semblable ne se fait dans tout l'Orient. Lorsque le psaume est terminé, tous prient en
silence, et c'est par l'antienne seulement qu'on rend gloire à la sainte Trinité.
9. De la tenue pendant la prière
L'ordre que nous suivons dans ces institutions nous a conduit à parler de la prière,
quoique notre intention soit d'en traiter plus longuement dans les conférences des Pères, et
d'en expliquer, par leurs entretiens mêmes, la nature et les règles. Mais nous avons pensé
qu'il était bon d'en dire ici quelque chose, puisque l'occasion s'en présentait, afin de former
l'homme à l'extérieur et de jeter les premiers fondements de la prière, pour le diriger ensuite
à l'intérieur et lui enseigner la perfection. Si Dieu nous retire de la vie présente, avant
d'avoir pu écrire ce livre que nous nous proposons d'entreprendre avec l'aide de sa grâce,
nous désirons du moins l'ébaucher, dans celui-ci, une oeuvre si nécessaire et satisfaire ainsi
un peu votre attente. Nous profiterons du temps que Dieu nous laisse encore, pour vous dire
sur la prière quelque chose qui puisse être utile à tout le monde, mais surtout aux religieux
qui vivent dans les monastères. Ceux auxquels ne parviendront pas les conférences des
Pères, trouveront ici quelques enseignements sur la prière, et s'ils apprennent à régler le
vêtement de l'homme extérieur, ils sauront également ce qu'ils doivent faire en offrant à
Dieu leurs sacrifices de louange. Car ce que nous écrivons maintenant regarde surtout la vie
extérieure et les institutions des communautés, tandis que nos autres écrits auront pour
objet la science et la perfection spirituelle. Ils exposeront par conséquent davantage la vie et
la doctrine des solitaires.
10. Avec quel soin il faut éviter le bruit
Lorsque les solitaires se réunissent pour célébrer l'office, tout le monde garde le plus
profond silence, et, dans cette multitude de frères, on n'entend que celui qui se lève pour
réciter les psaumes ; il semble que l'église est déserte. À la fin de la prière surtout, personne
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ne crache, ne tousse, ne se mouche et ne bâille ; aucun gémissement, aucun bruit, aucune
parole ne trouble les assistants et ne couvre la voix du prêtre qui récite l'oraison. À peine si
quelquefois un religieux laisse échapper, dans l'ardeur de son amour, quelque soupir
enflammé qu'il n'a pu contenir en son coeur.
Ceux, au contraire, qui prient d'une manière bruyante, ou qui montrent par leurs
bâillements, leur peu de ferveur, sont reconnus coupables d'une double faute. Ils profanent
d'abord la prière, puisqu'ils l'offrent avec négligence à Dieu ; ils troublent ensuite, par le
bruit qu'ils font, ceux qui les entouraient et qui priaient peut-être sans eux avec plus de
recueillement. Aussi nos Pères nous recommandent de terminer promptement la prière, de
peur qu'en la prolongeant trop, nous ne soyons obligés de l'interrompre pour nous moucher
ou pour cracher. Il faut pouvoir la faire avec ferveur, en nous hâtant de la dérober aux pièges
de l'ennemi. Le démon sans doute nous poursuit toujours ; mais c'est surtout pendant la
prière qu'il nous attaque, lorsque nous demandons le secours de Dieu contre lui. Il cherche
alors à troubler nos sens et à nous distraire, pour affaiblir et éteindre la sainte ardeur qui
s'allumait dans nos âmes. Aussi les maîtres de la vie spirituelle pensent qu'il vaut mieux faire
des prières courtes et les répéter plus souvent. En multipliant ces prières, nous nous
attacherons plus intimement à Dieu, et, en les faisant courtes, nous éviterons mieux les
traits que le démon lance, surtout alors, contre nous.
11. De l'attention à la prière
C'est pour cette raison que ces saints solitaires n'ont pas voulu dire entièrement
quelques psaumes qui se récitent en commun. Comme ils sont plus longs que les autres, ils
les divisent en deux ou trois parties qu'ils séparent et terminent par les petites prières
d'usage. Ce n'est pas la multitude des versets qu'ils recherchent, mais l'intelligence des
paroles, et ils font tous leurs efforts pour dire comme l'Apôtre : « Je chanterai de coeur les
psaumes, je les chanterai avec intelligence (1 Co 14, 15). Ils trouvent qu'il est plus utile de
chanter dix versets avec l'application convenable que de réciter tout le psaume en laissant
égarer sa pensée. Les distractions viennent souvent de la précipitation de celui qui récite les
psaumes lorsqu'il voit ce qui reste encore à dire ; il ne s'applique pas à bien prononcer et à
bien se faire comprendre de ceux qui l'écoutent, mais il ne pense qu'au moment où sera
terminé l'office.
Si quelqu'un des jeunes frères, par ferveur ou par ignorance, veut dépasser le nombre
des psaumes prescrits, le supérieur l'arrête en frappant de la main sur son siège, et alors tous
se lèvent pour l'oraison. Il évite ainsi, avec tout le soin possible, que la longueur des psaumes
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ne fatigue les assistants, et que le religieux chargé de l'office ne perde l'intelligence de ce qu'il
dit, et ne nuise de plus aux autres en les importunant de son zèle.
Ils observent aussi scrupuleusement qu'au répons alléluia, on ne dise aucun psaume
qui n'ait ce mot pour titre2.
Les douze psaumes qu'on récite se partagent de cette manière : s'il y a deux religieux,
ils en disent chacun six ; s'il y en a trois, ils en disent quatre, et s'il y en a quatre, ils en
disent trois. Jamais un religieux dans les réunions n'en dit davantage, et ainsi, quelque
nombreuse que soit la communauté, il n'y a jamais plus de quatre frères qui soient chargés de
la récitation de l'office.
12. Pourquoi les religieux sont assis pendant les psaumes
Les solitaires, en acquittant ce nombre canonique de douze psaumes, restent en
repos. Dès qu'ils se réunissent pour célébrer l'office, celui qui doit réciter les psaumes se lève
seul au milieu de l'assemblée, les autres se tiennent assis sur des sièges très bas, et l'écoutent
en s'unissant à lui de tout leur coeur. Leurs jeûnes, leurs travaux du jour et leurs veilles les
fatigues tellement que, sans cet adoucissement, ils ne pourraient rester debout jusqu'à la fin.
Car ils ne s'accordent jamais un moment de repos, et non seulement ils appliquent sans
cesse leurs mains aux travaux qu'ils peuvent faire pendant le jour, mais encore ils choisissent
souvent des ouvrages qu'ils ne seront pas forcés d'interrompre pendant les ténèbres de la
nuit. Ils pensent que, plus ils seront occupés, plus ils arriveront à la pureté du coeur et
s'élèveront à la contemplation des choses spirituelles.
Ils sont persuadés que Dieu a limité ainsi le nombre des psaumes pour que les plus fervents
puissent porter plus loin l'ardeur de leur zèle sans que les faibles et les malades aient à souffrir
de la longueur de l'office. Dès que les prières sont terminées, chacun retourne à sa cellule ; il
y reste seul ou avec un compagnon qu'on lui a permis d'avoir, soit pour s'aider dans le
travail, soit qu'ils aient été convertis ou formés ensemble, soit qu'il y ait entre eux un
rapport de vertu. Les religieux rentrés dans leur cellule y offrent à Dieu de nouvelles prières
et ne se laissent point aller au sommeil, jusqu'à ce que la lumière du soleil, venant à paraître,
fasse succéder aux exercices de la nuit et à la méditation les travaux du jour.
13. Pourquoi les religieux ne dorment pas après l'office
2 Il y a vingt psaumes qui ont pour titre le mot alléluia, et qui, dès le temps des Apôtres, servaient à
exprimer les joies de l'Église.
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Outre le désir qu'ils ont d'offrir à Dieu le travail de leurs mains, comme un sacrifice
qui lui est agréable, ils ont deux raisons pour s'occuper ainsi avec persévérance, et nous qui
aspirons à la perfection, nous devons nous appliquer à les imiter.
Ils veulent premièrement empêcher l'ennemi qui rôde et nous attaque sans cesse, de
troubler pendant notre sommeil cette pureté que nous avons acquise par nos prières de la
nuit. Nous les avons offertes à Dieu pour nos négligences et nos fautes involontaires ; nous
avons imploré notre pardon par nos gémissements, et le démon, s'il nous trouvait endormis,
chercherait à nous faire perdre cette pureté qu'il nous a vu désirer avec une plus grande
ferveur ; et ce qu'il n'a pu faire pendant la nuit, il s'efforcerait de l'accomplir pendant ces
quelques instants de repos.
Secondement, quand même ce piège du démon ne serait pas à craindre, ce paisible
sommeil qui doit durer si peu pourrait jeter le religieux, à son réveil, dans un assoupissement
capable d'affaiblir, pour toute la journée, la ferveur de son âme, d'éteindre la vivacité de son
esprit et d'épuiser la générosité de son coeur. Nous perdrions ainsi les moyens de résister avec
plus de vigilance et de force aux embûches de l'ennemi. C'est pour cela que les solitaires
joignent leurs veilles particulières à celles que leur impose l'office, et qu'ils s'y appliquent
même avec plus de soin, afin de conserver cette pureté qu'ils ont acquise par la prière, et de
préparer, par leurs méditations de la nuit, cette force et cette vigilance qui doivent être leur
sauvegarde pendant le jour.
14. Utilité du travail des mains pendant la méditation
Ils joignent aussi à leurs veilles le travail des mains, pour que l'oisiveté ne les livre pas
au sommeil, et ils ne l'interrompent, pour ainsi dire, pas plus que la méditation. Ils exercent
également les facultés de l'âme et du corps pour associer les efforts de l'homme extérieur au
progrès de l'homme intérieur. Le poids du travail est comme une ancre ferme et immobile
qu'ils opposent aux mouvements dangereux de leurs coeurs et aux flots impétueux de leurs
pensées, afin d'en fixer les caprices et la légèreté dans les murs de leurs cellules, comme dans
un port assuré, en veillant ainsi sur eux-mêmes et en s'appliquant à la méditation des choses
saintes. Non seulement ils évitent les tentations et leurs désirs coupables, mais ils se
préservent encore de toute pensée oiseuse et superflue ; et il est difficile de dire si c'est pour
mieux méditer qu'ils s'occupent sans cesse de travaux manuels, ou si c'est par assiduité au
travail qu'ils acquièrent tant de piété, de science et de lumière.
15. Du silence et de l'application au travail
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Lorsque les psaumes sont finis et que la réunion est terminée, comme nous l'avons
exposé, aucun religieux ne s'arrête et ne se permet de causer avec un autre. Personne, même
pendant tout le jour, ne sort de sa cellule et ne quitte le travail dont il s'occupe, à moins
qu'il n'y soit forcé par quelque devoir. Pendant les travaux extérieurs, toute conversation est
interdite. Chacun, en accomplissant la tâche qui lui est donnée, récite de mémoire quelque
psaume ou quelque passage des saintes Écritures. On évite ainsi, non seulement les
tentations du mal et les projets coupables, mais encore les entretiens inutiles, puisque la
bouche et le coeur sont toujours appliqués à la méditation des choses saintes. Il est
expressément défendu, surtout aux plus jeunes, de s'arrêter même un instant, de se retirer à
l'écart et de se serrer la main. Ceux qui manquent en quelque chose à ce point de la règle,
sont déclarés coupables d'une faute grave, et soupçonnés d'avoir un esprit indocile et
dangereux ; et tant qu'ils n'ont pas fait une pénitence publique devant tous les frères, il ne
leur est pas permis d'assister aux offices.
16. De la séparation de ceux qui sont en pénitence
Si quelqu'un est retranché de la prière publique pour une faute, il n'est permis à personne de
prier avec lui, avant qu'il se soit prosterné par terre pour demander pardon et qu'il ait été
réconcilié par l'abbé, en présence de tous les frères. Les religieux observent avec soin cette
règle, et se séparent de celui qui a été retranché de la prière publique et livré à Satan, selon
l'expression de l'Apôtre. Et si quelqu'un, poussé par une charité indiscrète, priait avec lui
avant qu'il ait été absous par le supérieur, il encourrait la même condamnation et se livrerait
volontairement au démon comme l'autre a mérité de l'être, et la faute serait d'autant plus
grande qu'en s'entretenant et en priant avec le coupable, il encouragerait son orgueil et le
ferait persévérer dans le mal. Cette consolation lui serait pernicieuse, parce qu'elle
endurcirait son coeur et l'empêcherait de s'humilier comme il l'a mérité. Il s'habituerait à
faire peu de cas des réprimandes de ses supérieurs, et ne penserait bientôt plus à reconnaître
ses fautes et à en demander pardon.
17. Avec quelle exactitude il faut réveiller les religieux pour la prière
Celui qui est chargé de réveiller les religieux et de les réunir pour l'office, ne suit pas
son caprice pour le faire, en écoutant la disposition où il est lui-même de dormir ou de ne pas
dormir. Quoiqu'il ait l'habitude de réveiller, tous les jours, les frères à la même heure, il se
tient sur ses gardes et consulte souvent le cours des étoiles pour savoir s'il est temps de
commencer l'office. Il évite ainsi, ou de laisser passer l'heure, en cédant au sommeil.

LIVRE III
DE L'OFFICE ET DES PSAUMES DU JOUR
1. Objet de ce livre
Après avoir exposé, autant que notre peu de talent nous l'a permis et selon la grâce
que Dieu nous a faite, la règle qu'on observe en Égypte pour l'office et les psaumes de la nuit,
nous allons dire comment se célèbre tierce, sexte et none, dans les couvents de la Palestine
et de la Mésopotamie, afin d'adoucir par leurs usages, ainsi que nous l'avons promis en
commençant, ce qui semble trop parfait et trop rigoureux dans la règle des solitaires de
l'Égypte.
2. De l'usage des solitaires de l'Égypte pour les différentes heures du jour
Les prières que nous récitons à certains intervalles et lorsqu'on nous avertit de le
faire, les solitaires de l'Égypte les offrent à Dieu sans interruption et s'y appliquent toute la
journée, en y joignant le travail des mains ; car ils s'occupent toujours dans leurs cellules,
tout en méditant les psaumes et la sainte Écriture. Ils mêlent ainsi à chaque instant à leurs
travaux les prières que nous récitons à des heures déterminées. Ils ne se réunissent que pour
l'office du soir et de la nuit, et ne s'assemblent, pendant le jour, que le samedi et le
dimanche, où ils viennent à l'église pour recevoir la sainte communion à l'heure de tierce.
En effet, la prière continuelle que nous offrons à Dieu lui est plus agréable que celle qu'on
interrompt de temps en temps. L'offrande volontaire que nous faisons est plus méritoire que
les exercices de piété qui nous sont imposées par la règle. Et David s'en réjouit et s'en
glorifie, lorsqu'il dit : « Je vous offrirai, Seigneur, un sacrifice volontaire » (Ps 53, 17).
« Recevez favorablement, Seigneur, les louanges que ma bouche vous offre volontairement »
(Ps 118, 77).
3. Des psaumes et des prières qu'on récite aux heures de tierce, de sexte et de none
Dans les monastères de la Palestine, de la Mésopotamie et de tout l'Orient, on ne dit
tous les jours que trois psaumes, aux heures que nous venons de désigner. Ce"s prières qu'on
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offre à Dieu, à des moments déterminés, maintiennent l'âme en sa présence, sans que leur
longueur empêche cependant de se livrer aux travaux nécessaires.
Nous voyons que le prophète Daniel offrait régulièrement à Dieu ses prières à ces
trois heures de la journée, et qu'il ouvrait, pour le faire, les fenêtres de sa chambre (Dn 6,
10). Ce n'est pas sans raison que c'est à ces heures qu'ont été accomplies les promesses
divines et les grandes oeuvres de notre salut.
C'est à l'heure de tierce que l'Esprit Saint, promis par les prophètes, est descendu sur
les Apôtres qui étaient réunis pour prier. Les Juifs incrédules s'étonnaient de leur entendre
parler toutes les langues, et expliquaient ce don du Saint Esprit en disant, par dérision, qu'ils
étaient pris de vin. Pierre, se tenant au milieu d'eux, leur dit : « Ô Juifs, et vous tous qui
habitez Jérusalem, écoutez ce que je vais dire, et soyez attentifs à mes paroles. Ceux que vous
entendez ne sont pas ivres, comme vous le pensez, puisque nous ne sommes qu'à la troisième
heure. Mais c'est ce qui a été annoncé par le prophète Joël : "dans ces nouveaux jours, dit le
Seigneur, je répandrai mon esprit sur toute chair ; vos fils et vos filles prophétiseront, vos
jeunes gens auront des visions, et vos vieillards des songes. En ces jours-là, je répandrai mon
Esprit sur vos serviteurs et vos servantes, et ils prophétiseront" (Jo 2, 28) » (Ac 2,
14).Toutes ces choses s'accomplirent à l'heure de tierce, et le Saint Esprit, promis par les
prophètes, descendit à ce moment sur les Apôtres.
Ce fut la sixième heure que l'Hostie sans tache, notre Seigneur et Sauveur Jésus-
Christ, s'offrit à son Père pour le salut du monde, et monta sur la croix où il effaça les péchés
des hommes ; il désarma les principautés et les puissances ennemies, et il en triompha
publiquement ; il nous délivra de cette dette insolvable que nous avions malheureusement
contractée ; il déchira le titre que nous avions souscrit, et l'attacha comme un trophée à sa
croix (voir Col 2, 14).
À la même heure, saint Pierre, dans un ravissement, eut la révélation de la vocation
des gentils figurée par le vase évangélique qui descendait du ciel, et il comprit la purification
des animaux qui y étaient enfermés, lorsqu'une voix d'en haut lui dit : « Lève-toi, Pierre, tue
et mange » (Ac 10, 13). Cette nappe descendant du ciel par les quatre coins lui représentait
évidemment l'Évangile. Les quatre récits des évangélistes, qui semblent séparés, ne font
cependant qu'un seul Évangile, qui expose sans se contredire la naissance du Christ, sa
divinité, ses miracles et sa passion. Il n'est pas dit que c'était une toile, mais comme une toile
; la toile est le symbole de la mortification. Notre-Seigneur, dans sa Passion, n'a pas subi la
mort comme une loi de la nature humaine ; mais il s'y est soumis lui-même volontairement.
Il est dit que c'était comme de la toile, parce qu'il est mort selon la chair et non selon
l'esprit. Son âme n'est pas restée aux enfers, et sa chair n'a pas vu la corruption (Ps 15, 10).
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Et il a dit : « Personne ne m'ôte la vie, mais je la donne de moi-même. J'ai le pouvoir de la
laisser, et j'ai aussi le pouvoir de la reprendre » (Jn 11, 16).
C'est dans cette enveloppe des Évangélistes descendue du ciel, c'est-à-dire inspirée par le
Saint Esprit, que toutes les nations qui vivaient en dehors des observances légales et qui
passaient pour impures, ont été frappées par la foi et par la parole du Christ pour les faire
mourir au culte des idoles, et elles sont devenues, par le ministère de Pierre, un aliment pur
et salutaire.
À l'heure de none, Jésus-Christ descendit aux enfers et en dissipa les épaisses
ténèbres par la splendeur de sa gloire. Il en brisa les portes d'airain et les serrures de fer ; il
délivra les saints qui s'y trouvaient captifs et les conduisit avec lui dans le ciel ; il écarta
l'épée de flamme et rendit à l'homme le paradis qu'il avait perdu.
Ce fut à la même heure que le centurion Corneille, qui persévérait dans l'oraison,
apprit d'un ange que ses prières et ses aumônes étaient montée devant Dieu, et il eu ainsi, à
l'heure de none, la révélation de la vocation des gentils, que saint Pierre avait eue dans son
ravissement à l'heure de sexte (Ac 10).
On lit aussi dans un autre passage des Actes des Apôtres que Pierre et Jean montaient
au temple pour prier à la neuvième heure (Ac 3, 1). Tout ceci prouve clairement que ce
n'est pas sans raison que les saints des temps apostoliques ont consacré ces heures à la
célébration des offices et que nous devons le faire à leur exemple. Si nous n'étions pas forcés,
par une sorte de loi, de nous acquitter de ces exercices de piété à des heures régulières, nous
pourrions quelquefois, par oubli, paresse ou embarras des affaires, passer tout le jour sans
prier.
Que dirai-je des vêpres, de ces sacrifices du soir, que la loi de Moïse prescrivait dans
l'Ancien Testament ? Tous les jours, dans le temple, des holocaustes étaient offerts le matin,
et des sacrifices le soir, et ces offrandes étaient des figures, comme le prouve David lorsqu'il
dit : « Que ma prière s'élève en votre présence comme l'encens, et que mes mains élevées
vers vous soient mon sacrifice du soir » (Ps 140, 2).
On peut cependant donner à ce sacrifice du soir une interprétation plus profonde et
y voir ce vrai sacrifice que notre Seigneur offrit dans la dernière cène avec ses apôtres,
lorsqu'il institua les plus augustes mystères de l'Église ; ou encore le sacrifice du soir qu'il
offrit le jour suivant et qui durera jusqu'à la fin des siècles, lorsqu'il éleva les mains en les
étendant sur la croix. Il nous retira des abîmes où nous étions plongés, et nous éleva vers le
ciel, selon la promesse qu'il nous avait faite : « Lorsque je serai élevé de terre, j'attirerai tout
à moi » (Jn 14, 21).
Pour ce qui est de l'office du matin ou des laudes, nous savons à quoi nous en tenir,
puisque nous y chantons tous les jours : « Mon Dieu, mon Dieu, je vous cherche dès
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l'aurore… Je vous méditerai dès le matin » (Ps 62, 2.5). « Je me suis hâté de crier vers
vous… Je vous ai regardé avant le jour, pour méditer vos paroles » (Ps 118, 147-148).
C'est à ces différentes heures que le père de famille de l'Évangile conduisit les
ouvriers dans sa vigne (voir Mt 20).Il est dit qu'il alla les chercher au point du jour, c'est le
moment où nous disons les matines, puis à la troisième heure, à la sixième, à la neuvième,
enfin à la onzième, qui représente l'office du soir, où nous avons besoin de la lumière.
4. De l'établissement de l'office de prime
Il faut savoir que cette première heure du matin, qui s'observe particulièrement
aujourd'hui dans les provinces d'Occident, a été établie, pour la première fois de notre
temps, comme prière canonique, dans notre monastère de Bethlehem, où Jésus-Christ Notre
Seigneur, qui y est né d'une vierge et a daigné supporter les faiblesses de l'enfance, a bien
voulu aussi fortifier et nourrir du lait de sa grâce l'enfance de ma vie religieuse. Jusqu'alors,
après l'office du matin qu'on récite dans les monastères des Gaules, à la suite des psaumes et
des oraisons de la nuit, en les séparant par un intervalles de quelques instants, les heures qui
restaient avant le jour étaient accordées par nos Pères au soulagement du corps ; mais les
religieux négligents profitaient de cette indulgence pour prolonger leur sommeil. Comme
rien ne les obligeait à quitter leur cellule ou même à se lever de leur lit avant l'heure de
tierce, ils perdaient le tems du travail et se rendaient, en dormant trop, incapables de bien
prier pendant le reste de la journée, surtout quand les offices de la nuit, en durant jusqu'à
l'aurore, leur avaient causé une plus grande fatigue. Quelques frères plus fervents se
désolaient de cette négligence et s'en plaignirent aux supérieurs, qui, après un mûr examen
et de longues délibérations, décidèrent qu'on laisserait reposer les religieux jusqu'au lever du
soleil, sans les obliger à quelque lecture ou à quelque travail, et qu'on les réveillerait alors
pour le faire assister à un nouvel office. On réciterait alors trois psaumes et trois prières,
comme on le faisait depuis longtemps, à tierce et à sexte, en s'humiliant ainsi trois fois
devant Dieu ; il ne serait plus ensuite permis de dormir, et tous devraient commencer en
même temps leur travail. Quoique cette règle paraisse avoir été établie dans cette
circonstance et pour les motifs que nous venons d'indiquer, elle répond parfaitement à ce
que dit le saint roi David, en observant à la lettre le nombre mystérieux qu'il indique :
« Sept fois le jour, je célèbre vos louanges à cause des jugements de votre justice » (Ps 118,
164). Il est évident qu'en adoptant ce nouvel office, les religieux se réunissent sept fois pour
louer le Seigneur. Quoique cet usage, venu d'Orient, se soit très utilement répandu, nous
voyons cependant que de très anciens monastères de ces pays ne le suivent pas encore, afin
de ne rien changer à la tradition des Pères.
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5. Il faut éviter le sommeil après les heures du matin
Quelques personnes qui ne savent pas pourquoi ce nouvel office a été établi dans la
province, se recouchent au sortir de prime et retombent ainsi dans les inconvénients que
nos supérieurs avaient voulu éviter par ce moyen. Ils se hâtent même de terminer ces
premières heures, afin que les négligents et les tièdes puissent donner encore quelque temps
au sommeil. C'est ce qu'on ne devrait jamais faire, comme nous l'avons expliqué dans le
livre précédent en exposant les usages des solitaires d'Égypte. Car on court risque de perdre
ainsi la pureté acquise dans les pieuses veilles de la nuit ; le bien-être de notre corps ou
quelques illusions du démon pourraient la ternir ; et d'ailleurs ce sommeil, lors même qu'il ne
serait pas troublé, suffirait pour affaiblir la ferveur de notre esprit et pour nous jeter dans la
tiédeur et la mollesse pendant le reste de la journée. C'est ce que les solitaires d'Égypte
évitent avec le plus grand soin, quoiqu'ils se lèvent, en certains temps, de très bonne heure
et même avant le chant du coq. Lorsqu'ils ont célébré matines, ils prolongent leurs veilles
jusqu'au point du jour, et le soleil, en se levant, les trouve dans cette ferveur d'esprit qu'ils
conservent jusqu'au soir, parce qu'ils se sont préparés, dès le premier instant, à lutter contre
le démon par leurs prières de la nuit et leurs saintes méditations.
6. Le nombre des psaumes n'a pas été changé par l'établissement de l'heure de prime
Nous devons remarquer que nos Pères, en ajoutant l'heure de prime, n'ont rien
changé aux psaumes qu'on avait coutume de dire. L'office de la nuit est toujours le même.
Les psaumes qu'on a séparés pour les laudes dans ces provinces se disent encore aujourd'hui,
après les matines, avant le chant du coq et les premières lueurs du jour. Ces psaumes sont le
148e, Laudate Dominum de coelis, et les deux qui suivent. Ils ont réservé pour le nouvel office
de prime les psaumes 50, 62 et 89. Enfin, dans toute l'Italie, lorsque les prières du matin
sont terminées, on chante dans les églises le psaume 50, ce qui vient évidemment de l'usage
dont nous parlons.
7. Règle pour ceux qui arrivent après l'office commencé
Le religieux qui, à tierce, à sexte ou à none, n'arrive pas à l'office avant la fin du
premier psaume, n'ose plus entrer à la chapelle et se mettre avec ceux qui psalmodient ; mais
il attend que l'office soit achevé et se tient à la porte jusqu'à ce que tous les frères sortent ; il
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se prosterne alors pour demander pardon de son retard et de sa négligence ; il sait que c'est le
seul moyen d'expier sa faute et qu'il ne serait pas admis à l'office suivant, s'il ne se soumettait
pas humblement à cette pénitence pour l'office de nuit. On permet d'entrer jusqu'à la fin du
second psaume, pourvu qu'on puisse prendre sa place avant que les frères se prosternent
pour la prière qui termine le psaume. Si quelqu'un arrive un moment après, il ne profite pas
de cette tolérance, et il est obligé de se soumettre à la pénitence dont nous avons parlé.
8. Des veilles du samedi
Pour les veilles qui précèdent, chaque semaine, le samedi, nos anciens les ont
adoucies. Surtout pendant l'hiver, où les nuits sont plus longues, on doit les terminer, dans
les monastères, avant le quatrième chant du coq, afin que les frères qui ont veillé toute la
nuit puissent se reposer pendant les deux heures qui restent à peine, et que ce court sommeil
répare suffisamment leurs forces et les empêche d'être assoupis pendant toute la journée.
C'est ce que nous devons observer à leur exemple. Le sommeil qu'on nous accorde depuis les
veilles de la nuit jusqu'au point du jour, c'est-à-dire jusqu'à l'office du matin, nous permettra
de bien employer ensuite tout le jour au travail et à nos autres obligations. Sans cela, le
sommeil dont nous nous privons la nuit, nous serions contraints par la fatigue et la faiblesse
de le redemander au jour, et il semblerait qu'au lieu d'avoir mortifié notre corps, nous
n'avons fait que changer l'heure de notre repos.
Il est impossible que notre chair si fragile puisse veiller ainsi toute la nuit, et passer
ensuite toute la journée sans que l'esprit succombe au sommeil, et que l'âme s'abandonne à
la tiédeur. Ne pas dormir un peu après les matines, serait plutôt nous nuire que nous aider.
En prenant au moins une heure de repos avant le lever du soleil, nous regagnerons toutes les
heures que nous avons consacrées à la prière ; nous donnerons à la nature ce qui lui est
nécessaire, et nous ne serons pas forcés de lui rendre, pendant le jour, ce que nous lui avions
retranché pendant la nuit. Celui qui, au lieu de retrancher avec discrétion au corps une
partie de son repos, voudrait tout lui refuser, serait ensuite obligé de tout lui rendre ; il devait
le priver du superflu, et on pas du nécessaire.
Pour que les veilles de la nuit ne causent pas une trop grande fatigue, on partage
l'office en trois parties, et cette division devient, par la variété, un vrai soulagement pour le
corps. Après avoir chanté debout trois antiennes, les religieux s'assoient à terre ou sur des
sièges très bas, et répondent aux psaumes qu'un seul récite. Chacun le fait à son tour
pendant que les autres restent assis, et on dit ensuite les trois leçons. Le corps se fatigue
moins de cette manière, et l'esprit est plus attentif à l'office.
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9. De la raison des veilles du samedi, et pourquoi on ne jeûne pas ce jour-là en
Orient
Dès les premiers temps de la prédication des Apôtres, la piété des fidèles avait établi
dans tout l'Orient ces veilles du samedi. Jésus-Christ, notre Seigneur, avait été crucifié le
sixième jour de la semaine, et ses disciples, consternés de sa passion, avaient passé toute la
nuit en prières sans s'accorder le moindre sommeil. Depuis ce temps, jusqu'à notre époque,
cette nuit du vendredi au samedi a été consacrée à de saintes veilles dans tout l'Orient. La
fatigue de ces veilles y fait aussi suspendre le jeûne du samedi, et toutes les églises de ces
contrées suivent cet usage. On peut appliquer à cet adoucissement pour le septième et le
huitième jour le passage de l'Ecclésiaste, qui a cependant un autre sens mystique : « Donnezleur
le septième et même le huitième » (Qo 11, 2). Il ne faut pas croire que, s'ils ne jeûnent
pas le samedi, c'est pour célébrer le sabbat des Juifs, car ils sont très éloignés de leur
observance ; mais c'est, comme nous l'avons dit, pour réparer les forces du corps.Ils jeûnent
toute l'année, les cinq premiers jours de la semaine, et ils ne résisterait pas à la fatigue, s'ils
ne suspendaient leur jeûne pendant ces deux jours de veilles extraordinaires.
10. Pourquoi on jeûne à Rome le samedi
Quelques personnes en Occident et surtout à Rome pensent que nous ne devons pas
supprimer le jeûne du samedi ; ils ignorent les motifs qui nous le font faire, et disent que,
ce jour-là précisément, saint Pierre jeûna, lorsqu'il devait confondre le magicien Simon.
C'est ce qui prouve, au contraire, que ce jeûne n'était pas un jeûne canonique, puisqu'il était
imposé par un besoin particulier. On voit que saint Pierre prescrivit ce jeûne à ses disciples
pour une circonstance spéciale qui ne devait pas durer toujours, et il ne l'eût pas fait, si ce
jeûne avait déjà été en usage. Il eût certainement ordonné de jeûner, le dimanche même, si
la dispute avait eu lieu ce jour-là, et il ne l'eût pas prescrit cependant comme une règle
générale. C'était une obligation que la nécessité du moment imposait une seule fois.
11. En quoi l'office du dimanche diffère de celui des autres jours
Il faut aussi le remarquer, les religieux, le dimanche, ne se réunissent pour l'office
qu'une fois avant le repas ; ils s'appliquent alors à dire d'une manière plus lente et plus
solennelle les psaumes, les prières et les leçons, par respect pour la fête et pour la communion
qu'ils doivent faire, et ils s'acquittent, en même temps, des offices de tierce et de sexte.
LIVRE IV
DU REGLEMENT DES MONASTERES
1. Objet de ce livre
Après avoir fait connaître les psaumes et les prières dont se compose, chaque jour,
l'office dans les monastères, nous suivrons l'ordre indiqué et nous dirons comment on y
forme ceux qui renoncent au monde. Nous exposerons le plus rapidement qu'il nous sera
possible, les conditions qu'on impose à celui qui veut se donner à Dieu et entrer dans une
communauté. Nous nous appuierons pour cela sur les règles des solitaires d'Égypte, et sur
celles des religieux de Tabenne, qui forme, dans la Thébaïde, un monastère aussi supérieur
aux autres par le nombre des frères que par la sévérité de leur observance. On y compte plus
de cinq mille religieux, qui vivent sous la conduite d'un même abbé, et tous les religieux,
pendant toute leur vie, obéissent à leur supérieur avec plus de perfection que ne pourrait le
faire un seul d'entre nous, pendant peu de temps.
2. De la persévérance dans la vie religieusse
Je pense qu'il faut montrer, avant tout, comment s'obtiennent cette persévérance,
cette humilité, cette soumission si parfaite qui les fait rester dans leur communauté jusqu'à la
vieillesse la plus avancée.Leur vertu est si grande, que nous ne nous rappelons pas l'avoir vu
pratiquée par quelqu'un pendant une année dans nos monastères. Lorsque nous saurons
quels sont les commencements de leur vie religieuse, nous comprendrons que, sur de tels
fondements, on peut s'élever au sommet de la perfection.
3. Des épreuves de ceux qui se présentent pour être admis dans les monastères
Celui qui désire suivre la règle d'un monastère, n'y est admis qu'après y être resté dix
jours et même davantage, couché à la porte du couvent, et y avoir donné des preuves de sa
persévérance, de sa patience et de son humilité. Il se prosterne aux genoux de tous les frères
qui passent, et il en est repoussé et rebuté à dessein, comme si ce n'était pas par religion,
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mais par nécessité qu'il désirait entrer dans le monastère. On l'accable d'injures et de
reproches pour éprouver sa constance, et voir s'il sera capable de supporter les affronts et de
résister aux tentations. Lorsqu'on l'admet après cette épreuve, on a grand soin de le
dépouiller de tout ce qu'il possède, et de ne pas lui laisser une seule pièce de monnaie. Les
supérieurs savent bien qu'il ne pourrait pas suivre longtemps la règle du monastère, y
pratiquer l'obéissance et l'humilité, et y vivre heureux dans les privations et la pauvreté, s'il
pouvait se dire intérieurement qu'il possède encore quelque argent caché ; car dès qu'ils
éprouveraient quelque trouble, la pensée de la ressource qu'il s'est réservée, le ferait sortir du
monastère, comme la pierre lancée par une fronde.
4. Les monastères ne veulent pas profiter des biens de ceux qui se présentent
On ne reçoit pas même de celui qui entre l'argent qu'il pourrait donner pour les
besoins de la communauté. Cette offrande d'abord exposerait à l'orgueil, et à se croire audessus
des frères qui seraient plus pauvres. Cette pensée l'empêcherait d'imiter les
abaissements du Christ. Il aurait peine à supporter la règle du couvent ; il perdrait bientôt
cet esprit de renoncement qui l'animait d'abord dans sa tiédeur ; il nuirait à la communauté,
en réclamant et en exigeant par une sorte de sacrilège ce qu'il lui aurait apporté. C'est ce
qu'il faut éviter avec soin, en profitant des leçons si fréquentes de l'expérience. Combien en
avons-nous vus qui, après avoir été reçus trop facilement dans des monastères moins
prudents, ont ensuite réclamé, en causant un grand scandale, l'argent qu'ils avaient donné
et qu'on avait déjà employé à de bonnes oeuvres.
5. Pourquoi les religieux quittent leurs vêtements du monde et en reçoivent d'autres
On dépouille si bien celui qu'on admet de tout ce qu'il possède, qu'on ne lui permet
même pas de conserver les vêtements qu'il portait. Il est introduit dans l'assemblée des frères
; on lui ôte ses habits, et il reçoit des mains de l'abbé ceux du monastère, afin qu'il apprenne
par là que, non seulement il s'est dépouillé de tout ce qu'il avait autrefois et de tout le faste
du monde, mais encore qu'il s'est abaissé jusqu'au dénuement et à la pauvreté de Jésus-
Christ. Il ne doit plus vivre à l'avenir des richesses qu'il se procurait comme les hommes du
siècle, ou qu'il aurait pu se réserver secrètement, mais des pieuses largesses du couvent qu'il
recevra comme la solde du soldat. En reconnaissant qu'il ne possède rien et qu'il reçoit de
ses supérieurs la nourriture et le vêtement, il apprendra, selon le précepte de l'Évangile, à ne
pas s'inquiéter du lendemain, et il ne rougira pas de s'unir aux plus pauvres de la
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communauté, que notre Seigneur lui-même n'a pas rougi d'appeler ses frères ; il se fera gloire,
au contraire, d'être ainsi au nombre de ses serviteurs.
6. Pourquoi l'économe garde les vêtements du monde que les religieux quittent
Ces habits qu'on ôte au novice sont remis à l'économe, qui les garde jusqu'à ce que
ses progrès dans la piété, sa conduite avec les frères, et sa patience dans les épreuves, puissent
faire compter sur sa persévérance.Si, après un certain temps, il paraît évident qu'il
conservera sa première ferveur et qu'il restera dans la communauté, on donne ses habits aux
pauvres. Mais si on le voit, au contraire, se laisser aller aux murmures et tomber dans
quelques légères désobéissances, on lui retire les habits dont il avait été revêtu ; on lui rend
ceux qui avaient été mis à part, et on le renvoie. Car il n'est jamais permis de quitter le
monastère avec le vêtement religieux, et celui qui, par sa tiédeur, se rend indigne de la
profession, ne doit plus en porter l'habit. Aussi personne ne peut-il le garder, pour quitter le
couvent, à moins qu'il ne profite des ténèbres de la nuit pour partir comme un esclave
fugitif. Ordinairement lorsqu'un religieux est jugé indigne de rester dans la communauté, on
lui ôte son costume en présence de tous les frères et on le chasse honteusement.
7. Ceux qui se présentent, avant d'être admis parmi les religieux, sont confiés aux
soins de l'hôtellier.
Celui qui a été admis, éprouvé et revêtu de l'habit religieux comme nous l'avons
raconté, n'a pas encore la permission de vivre avec les frères. On le confie à un ancien qui
demeure près de l'entrée du monastère et qui est chargé de recevoir les étrangers et les
voyageurs, et de leur rendre tous les bons soins de l'hospitalité.Il passe sous sa conduite une
année entière, et lorsqu'il a ainsi montré son zèle envers les étrangers, sans avoir mérité le
moindre reproche, lorsqu'il s'est formé par ce premier moyen à l'humilité et à la patience, et
qu'il a été reconnu digne, après cette longue épreuve, d'être admis dans la communauté, il
doit encore obéir à un autre ancien qui dirige dix jeunes religieux que l'abbé lui a confiés,
comme nous voyons Moïse l'ordonner dans l'Exode (18, 21).
8. Des exercices auxquels on soumet les novices
Le soin principal de ce directeur et sa grande science pour conduire le jeune religieux
à la perfection, est de lui apprendre avant tout à vaincre sa volonté. Pour l'exercer à cette
vertu, il s'applique sans cesse à lui commander ce qu'il croit le plus contraire à ses
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inclinations. Les supérieurs savent très bien par expérience qu'un religieux, surtout dans sa
jeunesse, ne saurait résister à l'attrait de la sensualité, s'il n'a pas appris d'abord à vaincre sa
volonté par l'obéissance. Aussi disent-ils tous qu'il est impossible de pouvoir, non seulement
combattre la colère, la tristesse, la concupiscence, mais encore posséder l'humilité véritable
du coeur, l'union avec ses frères, la paix avec tout le monde, et rester même longtemps dans
un couvent, si on ne sait pas, avant tout, triompher de sa volonté.
9. Les novices ne doivent rien cacher à leur supérieur
Ces exercices sont comme les premières leçons de ceux qu'on veut former à la
perfection, ils servent à discerner si leur humilité est véritable ou si elle est feinte ou
imaginaire. Pour les aider à acquérir facilement cette vertu, on leur apprend à ne jamais
cacher par une fausse honte les pensées qui troublent leur coeur, mais à les faire connaître,
aussitôt qu'elle naissent, à leur supérieur, sans chercher à les juger soi-même, et en s'en
rapportant complètement à lui pour savoir si elles sont bonnes ou mauvaises. Ce moyen
déjouera toutes les ruses de l'ennemi, qui ne pourra tromper un jeune religieux, malgré son
ignorance et son inexpérience, parce qu'il ne se confie pas en ses propres forces, mais dans la
sagesse de son supérieur, auquel il découvre toutes les tentations que le démon avait jetées
en son âme, comme des traits enflammés. Cet ennemi si subtil n'a pas d'autre moyen de
tromper et d'égarer les jeunes religieux, que de leur faire cacher par orgueil ou par honte les
pensées qu'il leur inspire. Aussi tous les directeurs disent qu'il est évident qu'une pensée
vient du démon, lorsque nous rougissons de la découvrir à notre supérieur.
10. De l'obéissance des novices en toutes choses
L'obéissance est pratiquée avec tant de perfection dans ces monastères, que les
jeunes religieux n'oseraient jamais, à l'insu et sans la permission de leur directeur, sortir de
leurs cellules, même pour satisfaire les besoins les plus naturels. Ils s'empressent tellement de
faire sans discuter tout ce qu'on leur ordonne, comme si Dieu le leur disait lui-même, qu'ils
entreprennent quelquefois des choses impossibles avec une grande confiance ; et ils font
tous leurs efforts pour réussir, parce qu'ils respectent trop leur supérieur pour penser que ses
ordres ne sont pas raisonnables. Je ne parlerai pas davantage ici de leur obéissance admirable.
J'aurai bientôt l'occasion d'en citer quelques exemples, si vos prières m'en obtiennent la
grâce.
Je continue maintenant à exposer les institutions de l'Orient, mais en omettant tout
ce qui ne pourrait pas se pratiquer dans les monastères de nos provinces, comme je l'ai
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promis dans ma préface. Ainsi je ne m'arrêterai pas à faire remarquer que leurs vêtements ne
sont pas de laine, mais de lin, qu'ils n'en ont jamais deux, mais que leur supérieur seulement
leur en donne un pour changer, lorsque celui qu'ils portent paraît devenir trop sale.
11. Austérité des religieux dans leur nourriture
Je ne parlerai pas non plus de cette abstinence si rigoureuse, si extraordinaire, qui
leur fait regarder comme un festin délicieux les herbes salées qu'on trempe dans l'eau pour le
repas des frères. Je passerai aussi sous silence d'autres mortifications que la température de
notre province, ou la faiblesse de nos constitutions, nous rendraient impossibles. Je dirai
seulement ce que notre climat et nos santés nous permettent de faire, à moins que notre
tiédeur et notre lâcheté n'y mettent obstacle.
12. On doit tout quitter au premier avertissement
Aussitôt que les religieux, appliqués dans leurs cellules au travail et à la méditation,
entendent le signal de celui qui est chargé de frapper aux portes pour les appeler à l'office ou
à quelque exercice, tous se hâtent de sortir avant tant d'empressement, que celui qui écrit
n'oserait pas finir une lettre commencée, quand on vient l'avertir. Chacun, dès qu'il entend
le signal, sort sans différer un instant, sans continuer en la moindre chose ce qu'il était en
train de faire, se préoccupant bien moins de son ouvrage que de la sainte obéissance, qu'ils
préfèrent non seulement au travail des mains, à l'étude, au silence et à la paix de la cellule,
mais aussi à d'autres vertus, et ils subissent volontiers toutes sortes d'inconvénients pour ne
jamais violer en la moindre chose cette vertu qui leur est si chère.
13. Combien on est coupable de s'approprier la moindre chose
Je crois superflu de rapporter, entre autres règles, celle qui leur défend de posséder
une vase, une corbeille, ou quelque chose qu'ils marqueraient d'un signe comme leur
appartenant en propre. Leur pauvreté est si complète, qu'ils n'ont rien que les vêtements qui
servent à les couvrir. Dans d'autres monastères où l'observance est cependant moins
rigoureuse, nous voyons cette règle encore si bien suivie, que personne n'oserait dire qu'une
chose lui appartient. Ce serait un grand scandale d'entendre un religieux dire : mon livre,
mes tablettes, ma plume, ma tunique, mes chaussures, et celui qui commettrait une pareille
faute par distraction ou par ignorance, devrait l'expier d'une sévère pénitence.
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14. Quel que soit le profit du travail, il ne doit servir qu'à se procurer le nécessaire
Quoique chaque religieux gagne tous les jours, au monastère, de quoi suffire non
seulement à ses modestes besoins, mais encore à la nourriture de plus autres, personne
cependant ne s'en prévaut et ne se glorifie des profits que la communauté retire de son
travail. Personne ne penserait à recevoir plus que ses deux petits pains qui coûtent à peine
trois deniers. Pas un n'oserait travailler pour lui-même ; il ne pourrait pas même en avoir la
pensée.
Ces religieux croient, il est vrai, que le bien du monastère est à tous, et que chacun
doit en avoir le soin et la garde. Mais l'amour de la pauvreté qu'ils ont choisie et qu'ils
veulent garder fidèlement en toute chose, fait qu'ils se considèrent comme des étrangers, des
voyageurs en ce monde, et s'ils se croient plutôt les obligés, les serviteurs du monastère, que
les maîtres de ce qu'ils possèdent.
13. Du relâchement de l'esprit de pauvreté
Que dirons-nous de ces exemples, nous malheureux, qui vivons dans un couvent,
sous la conduite paternelle d'un abbé, et qui portons toujours sur nous la clef de ce qui nous
appartient ? Sans respect pour nos engagements et sans honte de les violer, nous ne
rougissons pas de porter publiquement à notre doigt l'anneau qui sert à marquer ce qui est à
nous, et nous avons tant de choses, que les corbeilles et les paniers ne suffisant pas à les
mettre, il faut encore des coffres et des armoires pour conserver tout ce que nous amassons
ou ce que nous avons gardé en quittant le siècle. Nous nous passionnons tellement pour ces
biens, pour ces choses méprisables dont nous voulons avoir la propriété, que, si quelqu'un
paraît vouloir y toucher du bout du doigt, nous nous irritons contre lui, au point que nous
ne pouvons retenir, sur nos lèvres et dans nos mouvements, l'agitation de notre coeur.
Mais ne parlons pas de nos défauts ; il vaut mieux passer sous silence des choses qui
ne méritent pas qu'on les rappelle, comme l'a dit le Prophète : « Que ma bouche ne parle
pas des oeuvres des hommes. » (Ps 16, 4). J'aime mieux continuer à vous entretenir des
vertus de ces saints religieux que nous devons chercher à imiter.
Disons encore quelques mots de leurs règles et de leurs usages avant de vous raconter
quelques-unes de leurs actions dont je voudrais perpétuer la mémoire. Le meilleur moyen de
bien établir ce que je vous ai exposé, c'est de l'appuyer sur l'autorité de leurs exemples et de
leur vie.
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16. Des pénitences publiques pour certaines fautes
Si quelqu'un brise par hasard un vase de terre, une écuelle, il ne peut réparer sa
négligence que par une pénitence publique. Lorsque les frères sont réunis au choeur, il se
prosterne à terre pour demander pardon ; il y reste jusqu'à la fin de l'office, et il obtient sa
grâce lorsque l'abbé lui donne l'ordre de se relever. La même pénitence est imposée à celui
qui arrive trop tard au travail ou à l'office, et à celui qui, en récitant un psaume, se trompe,
même légèrement.
Est soumis à la même peine celui qui fait une réponse inutile, dure ou inconvenante ;
celui accomplit avec négligence ce qui lui est commandé ; celui qui se permet le moindre
murmure ou qui préfère la lecture au travail et à l'obéissance ; celui qui s'acquitte de ses
emplois avec mollesse ; celui qui, après l'office, ne se hâte pas de rentrer dans sa cellule, qui
dit un mot à un autre ou qui s'arrête quelque part, ne fût-ce qu'un instant ; celui qui prend
la main d'un frère ou s'entretient avec un religieux qui n'habite pas la même cellule que lui ;
celui qui prie avec un frère séparé de la prière commune ; celui qui voit un parent ou un ami
du monde, et lui parle, sans être assisté d'un ancien ; celui qui reçoit une lettre ou en écrit
une, sans l'autorisation de l'abbé.
Pour toutes ces fautes et pour celles qui leur ressemblent, on se contente de cette
punition ; mais pour les autres que nous commettons si facilement et qui nous paraissent
cependant plus répréhensibles, telles que les injures et les mépris manifestes, les disputes
orgueilleuses, la familiarité avec les femmes, les colères, les querelles, les reproches, les profits
qu'on retire de son travail, l'amour de l'argent, le désir et la possession des choses inutiles
que les autres frères n'ont pas, les repas extraordinaires qu'on fait en cachette, la pénitence
dont nous avons parlé ne suffit pas ; on les punit par des châtiments corporels ou par le
renvoi du monastère.
17. De la lecture pendant les repas
L'usage de faire, dans les couvents, une lecture pieuse pendant que les frères sont à
table, ne vient pas des solitaires d'Égypte, mais de ceux de Cappadoce. Il est certain qu'ils
ont établi cette règle, non pas tant pour s'occuper de saintes pensées, que pour éviter des
conversations inutiles et frivoles, et surtout pour empêcher les contestations qui naissent
pendant les repas et qu'ils ne croyaient pouvoir arrêter d'une autre manière. Les solitaires
d'Égypte, et principalement ceux de Tabenne, gardent tous un si profond silence, que parmi
ces religieux si nombreux, qui mangent ensemble, il n'y en a pas un seul qui ose ouvrir la
bouche ; il faut excepter celui qui est chargé d'une dizaine et encore est-ce plutôt par des
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signes et des paroles qu'il indique ce qu'il est nécessaire d'enlever ou d'apporter sur la table.
Ce silence est rigoureusement gardé pendant les repas, et les religieux abaissent leur
capuchon sur leurs yeux pour éviter la tentation de satisfaire leur curiosité. Ils ne peuvent
voir que la table et les aliments qu'on leur sert. Personne n'aperçoit ce qu'un autre mange.
18. Défense de manger et de boire hors les repas de la communauté
Il est expressément défendu de rien prendre, hors le réfectoire, avant ou après le
repas de la communauté. Lorsque les religieux vont dans les jardins et les vergers où les fruits
pendent aux arbres comme pour s'offrir à la bouche des passants, et qu'ils en trouvent même
à terre qu'on pourrait ramasser pour ne pas les fouler aux pieds, cette abondance et cette
facilité semblent exciter la convoitise et devoir tenter les plus austères et les plus mortifiés.
Mais ils croiraient commettre un sacrilège, non seulement s'ils en mangeaient, mais s'ils y
touchaient même de la main. Ils ne goûtent jamais qu'aux fruits que l'économe fait servir au
réfectoire pour toute la communauté.
19. Les religieux servent tour à tour leurs frères au réfectoire
Pour ne rien omettre de ce qui regarde les usages des monastères, je pense qu'il faut
dire un mot de ce qui se fait dans les autres pays pour le service ordinaire des frères. Dans la
Mésopotamie, la Palestine, la Cappadoce et dans tout l'Orient, des religieux sont désignés,
chaque semaine, pour servir les autres, et leur nombre varie selon l'importance de la
communauté. Ils s'acquittent tour à tour de ce devoir avec tant de zèle et d'humilité, qu'on
ne trouverait jamais un esclave qui servît aussi bien le maître le plus cruel et le plus puissant.
Et non seulement ils remplissent ces devoirs que la règle leur impose, mais ils se lèvent
encore la nuit pour aider ceux qui en sont aussi chargés, et ils cherchent par tous les moyens
à leur en éviter la peine. Ce service commence avec la semaine et finit au souper du
dimanche. Après avoir ainsi servi toute la semaine, ceux qu'on doit remplacer lavent les
pieds à tous les frères, lorsqu'ils se rassemblent le dimanche soir, pour dire les psaumes qui
précèdent le coucher. Ils le font en suivant les rangs, et demandent à chacun cette
permission comme une faveur et une récompense de leur service de toute la semaine. En
finissant ainsi d'accomplir le précepte du divin Maître, ils conjurent les frères de prier tous
ensemble pour eux, afin que Dieu leur pardonne les fautes qu'ils auraient pu commettre par
ignorance ou par faiblesse, et que sa bonté veuille bien recevoir leur travail comme un
sacrifice d'agréable odeur.
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Le jour suivant, après l'office du matin, ceux qui ont servi remettent à ceux qui leur
succèdent tous les instruments et les vases dont ils ont fait usage. Ils en prennent un grand
soin et veillent à ce que rien ne se perde et ne se détériore. Ils regardent comme sacré tout ce
qui appartient à la communauté, et ils croiraient avoir à rendre compte, non pas seulement à
l'économe, mais à Dieu même, de la moindre perte qui arriverait par leur négligence. Pour
vous faire comprendre avec quel soin et quelle fidélité ils observent cette règle, il me suffira
d'en donner un exemple. Vous avez désiré tout connaître, et vous voulez même que je vous
répète ce que vous savez déjà ; je fais tous mes efforts pour vous satisfaire, mais je crains de
dépasser les limites que je me suis tracées.
20. De trois grains de lentilles trouvés par l'économe
Un jour, l'économe vit, en passant, trois grains de lentilles que le frère de semaine,
très pressé, avait laissé tomber par terre avec l'eau où il les lavait pour les faire cuire. Il alla
aussitôt consulter l'abbé, qui jugea le frère comme un gardien négligent, un dissipateur du
bien sacré du monastère, et lui interdit la prière commune. Sa faute ne lui fut pardonnée
qu'après l'avoir expiée par une pénitence publique. Non seulement ces saints religieux ne
croient plus s'appartenir, mais ils pensent que ce dont ils se servent est consacré à Dieu, et
que tout ce qui est une fois entré dans le monastère, doit être traité avec grand respect
comme une chose sainte. Ils font tout, ils disposent de tout avec une foi si grande, que même
pour les choses les plus petites, les plus ordinaires et qui semblent méprisables, lorsqu'ils
changent un objet de place, lorsqu'ils remplissent un vase d'eau et qu'ils l'offrent à
quelqu'un pour boire, lorsqu'ils ôtent un brin de paille de la chapelle ou d'une cellule, ils
sont persuadés qu'ils en recevront une récompense.
21. Du zèle de quelques religieux à servir leurs frères
Nous avons connu des frères, pendant la semaine desquels le bois manqua si bien,
qu'il n'y en avait pas un morceau pour faire cuire la nourriture des solitaires.L'abbé ordonna
qu'on se contenterait de légumes crus tant qu'on ne pourrait s'en procurer d'autres, et les
religieux se soumirent avec joie à cette nécessité. Mais ceux qui étaient de semaine,
craignant de perdre la récompense de leurs peines, s'ils ne préparaient pas la nourriture de la
communauté comme à l'ordinaire, s'imposèrent volontairement une tâche bien difficile. Ils
parcoururent les lieux arides et stériles, où il n'y a pas même de broussailles, comme dans nos
contrées, et où on ne trouve que les branches coupées des arbres fruitiers, et ils traversèrent
le désert jusqu'à la mer Morte, ramassant les petits débris et les épines que le vent y disperse,
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et les rapportant au monastère, afin de préparer les aliments. Ainsi grâce à leur zèle et à leur
dévouement pour leurs frères, rien ne fut changé au repas. Ils auraient bien pu s'excuser sur
le manque de bois et sur l'ordre du supérieur ; mais ils ne voulurent pas abuser de la
permission et se priver de leur peine et de leur récompense.
22. Usage particulier des solitaires de l'Égypte pour le service des frères
Nous avons dit que cette règle était en usage dans tout l'Orient et que nous devions
aussi la suivre dans nos contrées ; mais, en Égypte, où on tient beaucoup au travail, cette
coutume de changer les frères toutes les semaines ne s'observe pas, dans la crainte que ce
service ne nuise à leur ouvrage en l'interrompant. On confie à un des religieux les plus sûrs
le soin du cellier et de la cuisine, et il continue à remplir cette charge tant que ses forces et
son âge le lui permettent ; sa tâche d'ailleurs n'est pas bien pénible, car les religieux le
tourmentent peu pour préparer et cuire leurs aliments. Ils mangent surtout des légumes frais
ou secs, et c'est un grand festin quand on leur sert, tous les mois, des feuilles de poireau
hachées, des choux, du sel, des olives et de petits poissons salés qu'ils appellent des harengs.
23. De l'abbé Jean, et de la déférence qu'avait pour lui l'empereur Théodose
Puisque ce livre traite des moyens que celui qui renonce au monde prend pour
arriver, par une humilité véritable et une obéissance parfaite, au plus haut degré des autres
vertus, je pense qu'il est nécessaire de rapporter ici quelques exemples des anciens solitaires
qui se sont distingués sous ce rapport. J'en choisirai seulement quelques-uns dans un très
grand nombre, pour encourager à les imiter ceux qui aspirent à la perfection, sans m'écarter
du plan que je me suis tracé. Je me contenterai d'en citer deux ou trois.
Le premier exemple est celui de l'abbé Jean, qui demeurait près de Lycon, ville de la
Thébaïde. Ce saint homme, par la vertu d'obéissance, avait mérité le don de prophétie, et
était devenu si célèbre dans le monde, que les rois mêmes lui rendaient hommage. Quoiqu'il
demeurât, comme nous l'avons dit, aux extrémités de la Thébaïde, l'empereur Théodose
n'osait pas entreprendre une guerre importante sans le consulter ; ses avis étaient pour lui
des oracles du ciel, et c'est en les écoutant qu'il triomphait des ennemis les plus redoutables.
24. Admirable obéissance de l'abbé Jean. Il arrose pendant un an un bâton desséché
Ce bienheureux solitaire, depuis sa jeunesse jusqu'à l'âge mûr, servit son supérieur et
le soigna tant qu'il vécut avec une humilité si grande, que ce bon vieillard lui-même
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s'étonnait de son obéissance. Pour l'éprouver et voir si cette vertu venait d'une foi véritable
et d'une grande simplicité de coeur, ou d'une certaine affection et soumission complaisante
pour celui qui commandait, il lui ordonnait souvent de faire des choses inutiles et même
impossibles. J'en citerai trois, qui montreront l'esprit et la sincérité de son obéissance.
Son supérieur prit dans son bûcher un petit bâton qui avait été autrefois coupé pour
la cuisine et qui, n'ayant pas servi, était non seulement sec, mais presque pourri. Il l'enfonça
en terre en présence de Jean, et lui commanda d'aller chercher deux fois par jour de l'eau
pour l'arroser, afin que l'humidité lui fit reprendre racine, qu'il reverdît, que son feuillage
charmât les yeux, et que son ombrage fût agréable à ceux qui viendraient s'y reposer pendant
les chaleurs de l'été. Le disciple reçut cet ordre avec son respect ordinaire, sans penser à
l'inutilité de son obéissance. Il allait tous les jours chercher de l'eau à près de deux milles, et
ne manqua jamais d'arroser le bâton pendant toute une année ; la maladie, les fêtes, les
occupations les plus pressantes, qui pouvaient l'excuser, et les rigueurs même de l'hiver ne
l'empêchèrent pas une seule fois de faire ce qui lui avait été commandé. Le vieillard observait
en silence l'assiduité de son disciple, et voyait qu'il obéissait avec une grande simplicité de
coeur, une humilité sincère, comme si cet ordre lui était venu du ciel, sans aucun trouble sur
son visage, sans murmurer ou raisonner ; il eut enfin compassion de ce travail si pénible qui
avait duré toute une année, et s'approchant du bâton : « Jean, dit-il, cet arbre pousse-t-il des
racines ?» et comme celui-ci répondait qu'il n'en savait rien, il parut vouloir examiner la
chose et constater si le bâton tenait bien sur ses racines ; il l'arracha facilement et le jeta, en
lui recommandant de ne plus l'arroser.
25. Il jette une fiole d'huile par la fenêtre
Le jeune religieux formé à une pareille école fit de tels progrès dans cette vertu et
brilla si bien par son humilité, que sa réputation se répandit comme une bonne odeur dans
tous les monastères. Quelques frères qui étaient venu s'édifier près du vieillard lui
témoignaient de l'admiration pour l'obéissance de son disciple, dont ils avaient entendu
parler. Il l'appela, lui dit de prendre la fiole où était toute l'huile qu'on avait et qui servait à
bien recevoir les étrangers, et il lui ordonna de la jeter par la fenêtre ; Jean monta bien vite
et jeta par la fenêtre la fiole, qui se brisa à terre ; il ne s'arrêta pas à considérer et à discuter la
singularité du commandement, le besoin qu'on avait de cette huile, son utilité pour la santé,
le manque d'argent pour en acheter, la difficulté qu'on aurait à en avoir dans ce désert
affreux, où il était impossible de se procurer, à n'importe quel prix, l'huile qui avait été ainsi
perdue.
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26. Ses efforts pour rouler un rocher
Une autre fois, le supérieur de Jean l'appela devant quelques religieux qui désiraient
s'édifier de son obéissance : « Jean, lui dit-il, courez vite et roulez ici ce rocher.» Ce rocher
était énorme, et une troupe nombreuse d'hommes n'auraient pas même pu l'ébranler. Jean
se mit aussitôt à l'oeuvre, et fit tant d'efforts, de la tête et des épaules, que bientôt, non
seulement son corps et ses vêtements étaient baignés de ses sueurs, mais que le rocher même
en était mouillé ; il ne s'inquiétait pas de l'impossibilité de réussir ; il ne pensait qu'à obéir
avec respect et simplicité, bien persuadé que son supérieur ne pouvait rien lui ordonner
inutilement et sans raison.
27. Patience et obéissance d'un autre solitaire
Ces quelques traits de l'abbé Jean, pris entre mille, suffisent ; parlons maintenant de
l'abbé Mucius, qui mérite aussi d'être cité.Lorsque ce saint homme voulut renoncer au
monde, il demeura si longtemps à la porte du monastère, que sa persévérance força les
religieux à le recevoir, contrairement à leurs usages, avec son jeune fils qui avait à peine huit
ans. Dès qu'ils furent admis, non seulement on les confia à des directeurs différents, mais on
les mit dans des cellules très éloignées l'une de l'autre, de peur que le père, en voyant son fils,
ne retrouvât dans cette jouissance tous les biens qu'il avait abandonnés ; il devait oublier
qu'il avait été riche, et aussi qu'il était père. Pour mieux éprouver si la tendresse naturelle
qu'il pouvait avoir ne nuisait pas à son obéissance, à cette abnégation chrétienne que
doivent préférer à tout ceux qui renoncent au monde, on négligeait à dessein son enfant, on
le revêtait de haillons et on l'entretenait si mal, que sa vue devait plutôt affliger que réjouir
son père ; quelquefois même on le maltraitait en sa présence, et il rencontrait sans cesse le
pauvre innocent, la figure baignée de larmes ou souillée par celles qu'il avait
répandues.Quoiqu'il vit ainsi son fils, tous les jours, la tendresse paternelle ne l'ébranla pas,
et il resta toujours fidèle à l'amour du Christ et à la vertu de la sainte obéissance. Il ne
regardait plus comme son fils celui qu'il avait offert avec lui-même à Dieu ; il ne s'inquiétait
pas des injures qu'il souffrait, et il s'encourageait, au contraire, en voyant qu'il ne les
supportait pas inutilement ; au lieu de se troubler de ses larmes, il ne pensait qu'à ses progrès
dans l'humilité et la perfection. Le supérieur de la communauté, qui remarquait le calme et la
force de son âme, voulut savoir jusqu'où irait sa constance. Un jour qu'il voyait l'enfant
pleurer, il parut s'irriter contre lui, et il ordonna père de le prendre et d'aller le jeter à la
rivière. Le père, comme s'il eût reçu cet ordre de Dieu même, prit aussitôt son enfant dans
ses bras et courut bien vite au bord de l'eau, où il eût accompli certainement cet acte de foi
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et d'obéissance, si des religieux, qui avaient été prévenus, ne l'eussent arrêté et n'eussent
repris l'enfant, qui était presque déjà dans la rivière. Le père avait obéi, et sans cette
intervention, le sacrifice était consommé.
28. Révélation sur les mérites de ce solitaire
Cet acte de foi et de piété fût si agréable à Dieu, qu'il voulut sur le champ en rendre
témoignage. Une lumière d'en haut fit connaître à l'abbé que ce religieux avait égalé, par son
obéissance, le mérite du patriarche Abraham ; et, peu de temps après, l'abbé, sur le point de
mourir, le désigna, en présence de tous les frères, comme son successeur dans le
gouvernement du monastère.
29. Obéissance et humilité d'un autre religieux
Je parlerai aussi d'un religieux que j'ai connu et qui appartenait dans le monde à une
grande famille ; il était fils d'un comte très riche et avait reçu la plus brillante éducation.
Lorsqu'il quitta ses parents et se présenta au monastère, le supérieur, pour éprouver son
humilité et l'ardeur de sa foi, lui ordonna de prendre dix paniers d'osier, qu'il n'était pas
nécessaire de vendre publiquement, de les charger sur ses épaules et de les porter ainsi dans
toutes les rues de la ville, lui imposant cette condition, qui devait rendre l'épreuve plus
longue, de ne pas les céder, si quelqu'un voulait les acheter tous à la fois, mais de les vendre
un à un à ceux qui en demanderaient ; c'est ce qu'il fit avec une grande dévotion, en foulant
aux pieds le respect humain pour l'honneur et l'amour du Christ. Il prit les paniers sur ses
épaules, en retira le prix convenu et rapporta l'argent au monastère ; il ne s'effraya pas de la
nouveauté de cet emploi si misérable, et ne considéra aucunement la bassesse de cet acte, la
splendeur de sa naissance, et les affronts que pouvait lui attirer cette vente ; il désirait, par la
sainte vertu de l'obéissance, acquérir cette humilité du Christ, qui est la noblesse véritable.
30. Comment l'humilité de l'abbé Pynuphe lui fait quitter son monastère
La longueur de ce livre nous presse de finir ; mais l'utilité de l'obéissance, qui tient le
premier rang parmi les autres vertus, ne nous permet pas de passer sous silence quelques
exemples de ceux qu'elle a rendus célèbres. Pour contenter tout le monde, sans être long et
sans tromper les désirs de personne, nous citerons encore l'humilité d'un religieux qui
n'était pas un commençant, mais un abbé d'une grande perfection, et ce que nous en dirons
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pourra non seulement instruire les plus juenes, mais aussi excister les plus anciens à la
pratique de l'humilité.
Nous avons connu l'abbé Pynuphe, qui était prêtre dans un monastère considérable
de l'Égypte, près de la vie de Panephyse. Sa vie, son âge et la sainteté de son caractère le
faisaient vénérer par tout le monde ; mais comme il voyait que cette considération
l'empêchait de pratiquer l'humilité qu'il recherchait de toute son âme, il s'enfuit secrètement
du monastère et se retira seul sur les confins de la Thébaïde. Il y quitta le costume religieux,
revêtit des habits séculiers et se rendit au couvent de Tabennes, qu'il savait être des plus
austères ; il espérait qu'on ne le connaîtrait pas à une telle distance et qu'il pourrait
facilement se cacher, à cause de la grandeur du monastère et de la multitude des religieux. Il
resta très longtemps à la porte, se prosternant aux pieds de tous les frères et sollicitant avec
insistance son admission ; il fut admis après bien des épreuves. On lui reprochait son
extrême vieillesse, et on lui disait qu'après avoir passé toute sa vie dans le monde, il voulait
entrer dans le couvent parce qu'il ne pouvait plus se procurer aucun plaisir, et que c'était
bien moins par religions que pour ne pas mourir de faim et de misère. On le regarda comme
un vieillard qui n'était bon à rien, et on le mit à cultiver le jardin, en le confiant à la
direction d'un frère beaucoup plus jeune que lui. Il se soumit si bien à cet emploi, qu'il put
pratiquer d'une manière parfaite cette vertu de l'humilité qu'il aimait tant. Non seulement il
s'acquittait, tous les jours, des travaux du jardin, mais il faisait encore tous les ouvrages qui
répugnaient aux autres parce qu'ils étaient trop vils et trop pénibles. Souvent il se levait la
nuit pour ces choses à l'insu de tout le monde, et personne ne se doutait que c'était lui qui
les avait faites. Il vécut ainsi trois ans, pendant lesquels ses frères le cherchaient dans toute
l'Égypte. Enfin un religieux qui venait de ce pays le vit et le reconnut avec peine, à cause de
la grossièreté de ses habits et de la bassesse de son emploi. Il était toujours penché à sarcler la
terre, à bêcher les légumes ; puis il apportait du fumier sur ses épaules et l'étendait aux
racines.
Le frère, le voyant à l'oeuvre, hésita longtemps à le reconnaître ; mais il s'approcha de plus
près, examina avec sa figure et le son de sa voix, et se jeta aussitôt à ses pieds. Ceux qui le
virent furent bien surpris de cet honneur rendu à un homme qu'ils prenaient pour un
novice à peine sorti du monde et le dernier de la communauté. Mais ils furent plus étonnés
lorsqu'ils apprirent son nom, qui était parmi eux en grande réputation. Tous les frères
vinrent lui demander pardon de leur ignorance, et de l'avoir gardé si longtemps parmi les
plus simples et les plus jeunes. Mais lui, tout en larmes, se plaignait de ce que la malice du
démon le privait de cette humble condition qui lui convenait si bien ; il s'était réjoui de
l'avoir trouvée, après l'avoir cherchée longtemps, et il regrettait de n'avoir pas mérité d'y
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finir sa vie. Il fut reconduit à son ancien monastère, et on le surveilla avec soin pour qu'il ne
s'échappât pas une autre fois.
31. L'abbé Pynyphe est ramené à son monastère
Après y être resté quelque temps, le désir de l'obscurité le reprit avec tant de force,
qu'il profita du silence et des ténèbres de la nuit pour fuir encore du monastère. Ce ne fut
plus dans la province voisine, mais dans des terres ignorées et lointaines, qu'il se réfugia. Il
s'embarqua sur un vaisseau pour aller en Palestine, où il espérait mieux se cacher, parce que
son nom même y serait inconnu. Lorsqu'il y fut arrivé, il se présenta à notre couvent, qui
n'était pas éloigné de la grotte où Notre-Seigneur Jésus-Christ a bien voulu naître de la
Vierge Marie. Il y resta quelque temps ; mais, comme le dit l'Évangile, la cité placée sur la
montagne ne peut être cachée. Quelques religieux de l'Égypte, qui étaient venus par
dévotion visiter les lieux saints, le reconnurent et le décidèrent, par leurs instantes prières, à
revenir dans son ancien couvent.
32. Conseils de l'abbé Pynuphe à un religieux en le recevant dans son monastère
Lorsque nous fûmes en Égypte, nous recherchâmes avec empressement le saint
vieillard qui avait bien voulu nous témoigner de l'affection pendant qu'il était dans notre
monastère, et nous lui entendîmes faire, en notre présence, à un religieux qu'il recevait, une
exhortation si importante, que je crois très utile de la rapporter dans ce livre.
Vous savez, lui dit-il, combien de jours vous êtes resté la porte du monastère avant
d'y être reçu aujourd'hui. Comprenez d'abord la cause des difficultés qu'on vous en a faites ;
l'intelligence que vous en aurez vous sera très utile dans la voie où vous désirez entrer, et
vous deviendrez un bon serviteur du Christ.
33. De la récompense et du châtiment qui attendent les religieux
Une gloire immense est promise à ceux qui servent Dieu fidèlement, en suivant la
règle de cette communauté, mais aussi de grands châtiments sont préparés pour ceux qui
s'acquittent avec tiédeur des devoirs de leur profession, et qui ne donnent pas les fruits de
sainteté que les hommes en attendent. L'Écriture nous apprend qu'il vaut mieux ne pas faire
de voeux que de mal les remplir (Qo 5, 3) ; et celui qui fait mal l'oeuvre de Dieu est maudit
(Jr 48, 10).Si nous avons différé longtemps à vous recevoir, ce n'est pas que nous ne
désirions pas ardemment le salut de tous les hommes, et que nous ne voulions aller auwww.
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devant de tous ceux qui souhaitent se convertir à Jésus-Christ, mais nous avons craint de
nous rendre coupables de légèreté devant Dieu, et de vous charger vous-même d'un trop
lourd fardeau, en vous recevant trop facilement sans vous faire bien comprendre la gravité de
vos engagements, c'était vous exposer à tomber ensuite dans la tiédeur ou l'apostasie. Vous
devez avant tout connaître les vrais principes du renoncement, afin que cette connaissance
vous apprenne clairement tout ce que vous aurez à faire.
34. La vie religieuse est un sacrifice et une ressemblance avec Jésus-Christ crucifié
Ce renoncement est le signe public de la mortification et de la Croix. Vous devez
savoir qu'aujourd'hui même, vous êtes morts au monde, à ses oeuvres, à ses désirs, et que,
selon l'Apôtre, vous êtes crucifiés pour le monde, comme le monde l'est pour vous (Ga 6,
14). Considérez les obligations de la Croix à laquelle vos voeux vous attachent sur cette
terre, puisque ce n'est plus vous qui vivez, mais que celui-là vit en vous, qui a été crucifié
pour vous (Ga 2, 29). Nous devons, en cette vie, reproduire l'image de Notre-Seigneur,
lorsqu'il était attaché pour nous sur la Croix, afin que, selon la parole de David (Ps 118,
120), la crainte du Seigneur perce notre chair, et que toute notre volonté, tous nos désirs ne
soient plus assujettis à la concupiscence, mais attachés à la mortification. Nous accomplirons
aussi le précepte du Seigneur, qui a dit : « Celui qui ne prend pas sa croix pour me suivre n'est
pas digne de moi. » (Mt 16, 23).
35. Notre croix est la crainte du Seigneur
Notre croix est la crainte du Seigneur. Comme celui qui est crucifié ne peut plus
remuer ses membres selon sa volonté, nous ne devons pas vouloir et désirer ce qui est
agréable et nous plaît maintenant, mais uniquement ce qu'ordonne la loi de Dieu à laquelle
nous nous sommes soumis. Celui qui souffre sur la Croix ne regarde plus les choses
présentes, ne songe plus à ses caprices, et ne s'inquiète plus du lendemain. Il n'a plus
l'ambition d'acquérir, et ne connaît plus la colère et l'envie ; il ne se plaint pas des injures
qu'on lui fait, et il oublie celles qu'il a reçues ; il se croit mort à tout, et son coeur est déjà où
il doit bientôt aller. De même, nous que la crainte du Seigneur a crucifiés, nous devons
mourir à tout, non seulement aux vices de la chair, mais encore aux choses plus simples,
ayant les yeux de notre âme toujours fixés où nous devons espérer aller à chaque instant.
C'est ainsi que nous pourrons mortifier toutes nos convoitises, toutes les affections de la
chair.
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36. Le renoncement est inutile, si nous nous mêlons encore des affaires du monde
Prenez donc garde de rechercher encore quelques-unes des choses auxquelles vous
avez renoncé, et de revenir du champ évangélique où vous travaillez, pour reprendre, malgré
la défense du Seigneur, la tunique dont vous vous étiez dépouillé. Ne retournez pas aux
désirs terrestres et aux viles jouissances de ce monde, et ne désobéissez pas au Christ en
descendant du toit de la perfection pour ramasser quelque chose des biens que vous avez
rejetés. Craignez que le souvenir de vos parents et de vos anciennes affections ne vous
rappelle aux soins et aux inquiétudes de la terre, et que, suivant la menace du Sauveur, après
avoir mis la main à la charrue, vous ne regardiez en arrière et vous ne deveniez impropres au
royaume des cieux (Lc 9, 62).
Prenez garde que l'orgueil, que vous foulez aux pieds maintenant par l'ardeur de
votre foi et par votre humilité sincère, ne se relève et ne ressuscite en vous, lorsque vous
commencerez à goûter la beauté des psaumes et le bonheur de votre profession. Méditez ce
que dit l'Apôtre : « Si vous rétablissez ce que vous avez détruit, vous vous rendrez vous-mêmes
prévaricateur. » (Ga 2, 18). Persévérez, au contraire, jusqu'à la fin, dans ce dénuement, cette
nudité que vous avez embrassée en présence de Dieu et des anges.
Pour être admis dans ce monastère, vous êtes resté dix jours à la porte, en nous
suppliant avec larmes ; ne persévérez pas seulement dans cette humilité et cette patience,
mais augmentez-les encore et faites des progrès. Vous seriez bien à plaindre si, au lieu de
développer ces commencements et de tendre à la perfection, vous vous mettiez à descendre
plus bas que vous n'étiez. Ce n'est pas celui qui aura commencé, mais c'est celui qui
persévérera jusqu'à la fin dans cette sainte profession qui sera sauvé (cf. Mt 24, 30).
37. Le démon nous tend des pièges jusqu'à la mort ; il faut les découvrir de loin
Le serpent, notre ennemi le plus perfide, est toujours sur nos pas pour nous dresser
des embûches, et, jusqu'à notre dernier jour, il s'efforce de nous faire tomber. À quoi vous
servirait d'avoir bien commencé, d'avoir renoncé d'abord à tout avec une grande ferveur, si
vous n'êtes pas dans les mêmes dispositions en mourant, si vous ne conservez pas jusqu'à
votre dernière heure cette humilité, cette pauvreté du Christ, que vous aviez choisie devant
lui et que vous vous étiez engagé à garder.
Si vous voulez pouvoir tenir vos promesses, observez toujours bien la tête du serpent,
c'est-à-dire le commencement de ses tentations, et faites-les connaître sur le champ à votre
supérieur. Vous briserez sa tête, vous déjouerez toutes ses ruses, si vous ne rougissez pas de
découvrir ainsi toutes les pensées qu'il vous présente.
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38. Comment il faut prévoir les tentations et se borner à imiter quelques saints
religieux
Suivez le précepte de l'Écriture, et puisque vous êtes entrés au service du Seigneur,
demeurez dans la crainte de Dieu (Eccl 2, 1), et préparez votre âme, non pas au repos, à la
paix et aux délices, mais à la tentation et à la souffrance. C'est par beaucoup de tribulations
qu'il faut entrer dans le royaume de Dieu (Ac 14, 21). La porte est petite et la voie qui
conduit à la vie est étroite, et il y en a bien peu qui la trouvent. Considérez que vous avez
été choisis pour être de ce petit nombre, et ne vous laissez pas entraîner à la tiédeur par
l'exemple de la multitude ; mais vivez comme ces quelques élus, afin de mériter d'être avec
eux dans le royaume du ciel. Il y a beaucoup d'appelés, mais peu d'élus, et c'est à ce petit
troupeau que le Père a bien voulu donner son héritage (Lc 12, 32). Ne croyez pas que ce soit
une faute légère de s'engager à la perfection et de vivre d'une manière imparfaite. Voici les
degrés qu'il faut prendre pour arriver à la perfection.
39. De la méthode à suivre pour parvenir à la perfection
La crainte du Seigneur est, comme je l'ai dit, le principe et la garde de notre salut.
C'est par elle que ceux qui désirent la perfection, commencent leur conversion, corrigent
leurs défauts et conservent leur vertu. Dès qu'elle pénètre le coeur de l'homme, elle y fait
naître le mépris des choses de la terre, l'oubli des parents et l'horreur du monde. L'humilité
s'acquiert par le mépris et le renoncement.
Un religieux prouve son humilité : 1° s'il mortifie en tout sa volonté ; 2° s'il ne
cache jamais à son supérieur, non seulement ses actions, mais encore la moindre de ses
pensées ; 3° s'il ne se confie pas à son propre jugement, mais s'il suit en tout celui de son
supérieur, dont il écoute les avis avec joie et empressement ; 4° s'il est pour tout le monde
plein d'obéissance, de douceur et d'une grande patience ; 5° si, bien loin de blesser
quelqu'un, il ne se plaint pas, ne s'attriste pas des injures que lui font les autres ; 6° s'il ne
fait rien, n'entreprend rien qui ne soit conforme à la règle et à l'exemple des anciens ; 7° s'il
est content de tout ce qui l'abaisse, et si, dans tous les ordres qu'il reçoit, il se regarde comme
un mauvais ouvrier, un indigne serviteur ; 8° s'il se croit le dernier de tous et s'il le dit, non
pas du bout des lèvres, mais dans le fond de son coeur ; 9° s'il retient sa langue et n'élève
jamais la voix ; 10° s'il ne se laisse pas aller facilement au rire et à la joie. C'est à ces signes et
à d'autres semblables qu'on reconnaît une humilité sincère.
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Lorsque vous posséderez véritablement cette vertu, elle vous élèvera bien vite à un
degré supérieur, à la charité qui ne connaît plus la crainte, et qui vous fera faire
naturellement et sans peine, ce que vous accomplissez auparavant avec répugnance, parce
que vous ne vous occuperez plus des difficultés, mais que vous agirez par amour du bien et de
la vertu.
40. Le religieux doit rechercher les exemples de perfection dans un très petit nombre
Pour parvenir plus facilement à cette disposition, vous devez, dans le monastère,
chercher à imiter les exemples de quelques religieux, d'un ou deux seulement plutôt que
d'un grand nombre ; car il y en a toujours peu qui pratiquent réellement la perfection, et il
vous sera plus utile de recevoir les leçons d'un seul pour vous former à la vie monastique.
41. Recommandatoins à ceux qui vivent en communauté
Si vous voulez vivre et combattre avec persévérance sous cette sainte règle, trois
choses surtout vous sont nécessaires. Vous devez pratiquer ce que dit le Psalmiste : « Pour
moi, j'étais comme un sourd qui n'entend pas et comme un muet qui n'ouvre pas la bouche, et je
suis devenu comme un homme insensible qui ne peut rien répondre. » (Ps 37, 14). Vivez aussi
comme un sourd, un muet, un aveugle. Regardez uniquement celui qui vous vous êtes
proposé pour modèle et fermez les yeux sur tout ce qui pourrait moins édifier, de peur que
l'exemple et l'autorité de ceux qui agissent, ne vous entraînent au relâchement et à faire ce
que vous aviez condamné d'abord. Si vous rencontrez un désobéissant, quelqu'un qui
murmure, qui médit ou fait quelque chose contre la règle, ne vous scandalisez pas et gardez
vous bien de l'imiter, mais soyez comme un sourd au milieu de ces désordres. Si on fait des
reproches, à vous ou à un autre, si on vous dit des injures, soyez calmes, écoutez comme un
muet sans répondre, et répétez toujours dans votre coeur ce verset du Psalmiste : « J'ai dit, et
je tiendrai ma promesse pour ne pas pécher par la langue : j'ai mis une garde à ma bouche,
lorsque le pécheur s'est élevé contre moi. J'ai gardé le silence et je me suis humilié.Je n'ai pas
même dit de bonnes choses. » (Ps 38, 2)
Mais observez surtout ce qui me reste à dire : non seulement soyez sourds, soyez
muets, soyez aveugles, mais soyez fort comme le dit saint Paul : « Devenez fort en ce monde
afin d'être sage » (1 Co 3, 18). Ne jugez rien, ne discutez rien de ce qu'on vous commande,
mais obéissez toujours avec une grande foi et une entière simplicité ; soyez persuadé que rien
n'est plus saint, plus utile, plus sage, que de faire ce que la loi de Dieu ou la volonté de votre
supérieur vous ordonne. Quand vous serez fermes sur ce point, vous pourrez persévérer.

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