vendredi 14 mai 2010

Vie de notre Père dans les Saints, Jean Maximovitch, Archevêque de Shangaï et de San Francisco (1896-1966).

Introduction

Le saint archevêque Jean Maximovitch a été, en plein XXème siècle, à la fois un ascète comme ceux de l’ancien temps, semblable aux Pères du désert, proche aussi, par certains côtés, des fols en Christ de la Russie, tant le monde lui était indifférent, et un confesseur de la foi parce qu’il refusa, en Chine, dans une période très difficile, où il risquait sa vie, de se soumettre à la hiérarchie sergianiste du patriarcat de Moscou. En même temps, le Bienheureux Archevêque Jean a eu le souci de prêcher à tous les peuples la foi orthodoxe, et il a conduit des Chinois, des Français, des Hollandais, des Américains à la vraie Eglise du Christ.
En partie grâce aux publications de la communauté de saint Germain d’Alaska à Platina, qui édite la revue Orthodox Word, la vie du saint Archevêque est connue dans le monde entier, et sa vénération confirmée par une multitude de miracles.
Rappelons aussi que la mission française fondée par l’Archimandrite Ambroise a reçu la bénédiction de l’Archevêque Jean. Le Père Ambroise, comme aussi le chef de choeur et adaptateur des offices en français, le Professeur Jean Joseph Bernard, ont connu l’Archevêque Jean. La pierre de l’autel qui a été celui de l’église du Boulevard de Sébastopol et qui est destinée à devenir celui de la nouvelle église Saint-Ambroise-de-Milan, a été consacrée par l’Archevêque Jean, dont nous gardons, comme relique, un tout petit morceau de soutane.
Dieu est admirable dans ses saints, chante l’Eglise orthodoxe. «Les saints, disait l’évêque Nicolas Vélimirovitch, sont comme de clairs miroirs dans lesquels nous voyons la beauté et la puissance de Jésus Christ».
C’est pourquoi, de même qu’il n’appartient pas à tous de tracer sur l’icône les traits de la sainteté, il n’est pas davantage permis ni possible à tous de raconter la sainte vie de ceux qui se sont purifiés pour le Seigneur, au point de ramener l’«image» à la «ressemblance», de devenir, par les vertus, de vraies icônes du Christ, et des réceptacles de la grâce déifiante de l’Esprit. Voilà pourquoi il était plus juste pour nous de garder le silence sur saint Jean, que Dieu a manifesté en nos temps ; mais les paroles de l’Evêque Savva d’Edmonton nous sont venues en mémoire : «Je vous supplie, mes frères bien-aimés, de ne pas me juger sur mon ignorance si, rempli d’amour pour ce saint, j’ai décidé de raconter absolument tout ce que je sais de lui, de crainte que les paroles de Notre Seigneur au serviteur méchant et paresseux ne s’appliquent à moi... Mais avant toutes choses je m’adresse au Seigneur : Seigneur Tout-Puissant, dispensateur de la grâce, Père de Notre Seigneur Jésus Christ, aide-moi, éclaire mon coeur pour que je connaisse tes commandements, ouvre mes lèvres pour que je raconte Tes merveilles et la gloire de Ton saint».
Telle est la raison pour laquelle, quoique indignes, nous entreprenons de résumer ci-après quelques-uns des exploits de saint Jean, en attendant que soit publiée en français une chronique plus complète de sa vie et de ses miracles.


Un enfant de la Sainte Russie (1896-1917)

Saint Jean Maximovitch naquit dans la verdoyante Russie du Sud, dans la province de Kharkov, au village nommé Adamovka, le 4 juin 1896, jour de la fête de Marthe et de Marie. Ses parents, Boris et Glafira, le baptisèrent sous le nom de Michel.
Sa famille tenait rang dans la noblesse : elle descendait de nobles serbes qui, sur la fin du XVème siècle, avaient fui leur patrie tombée aux mains des Turcs. Parmi ses ancêtres ou ses proches, Michel comptait des personnages de vaste culture, tels Michel Alexandrovitch Maximovitch, qui fut une lumière dans diverses branches de la science, et recteur de l’Université de Kiev. Un autre de ses ancêtres était le Métropolite Jean de Tobolsk, qui fleurit au XVIIème siècle et s’endormit sous le règne de Pierre le Grand : poète, traducteur d’un livre célèbre intitulé Héliotrope ou synergie de la volonté humaine avec la volonté divine, ce premier Jean Maximovitch avait illuminé la Sibérie occidentale et mandé la première mission orthodoxe en Chine. D’infinis miracles accomplis par sa relique avaient révélé à tous le crédit qu’il avait obtenu auprès de Dieu. Heureux, dit le psalmiste, qui a un parent dans Jérusalem ! Bienheureux le petit Michel, sur le berceau duquel veillait l’Archange, et qui avait un parent dans la Jérusalem d’En-Haut !
Dès sa plus tendre enfance, Micha aima les choses de l’Eglise. Doux et silencieux, délicat de santé, mangeant peu, avant même de pouvoir lire les Vies des saints, il jouait au monastère avec ses soldats de plomb. Dès qu’il eut accès aux livres, il rassembla icônes, livres religieux, livres d’histoire et vies des saints, communiquant naturellement sa ferveur à ses quatre frères et à sa soeur, car il était l’aîné de la famille. Il priait longuement durant la nuit. Sa gouvernante française, voyant le zèle de Michel pour tout ce qui était de l’Eglise, touchée de la grâce, demanda le baptême orthodoxe.
Chaque été, Michel et les siens se rendaient dans la propriété familiale située non loin du grand monastère de Sviatogorsk. Sur la rive de la rivière Donets, s’élevaient un Mont Thabor et plusieurs églises majestueuses : dans les skites et les grottes, plus de six cents moines vivaient selon le typicon athonite. La famille fréquentait ces lieux et Michel prit l’habitude de venir retrouver, seul, ces ascètes porteurs de l’habit angélique, au milieu desquels son coeur de moine enfant baignait dans la crainte de Dieu.
«Dès les premiers moments que j’eus pris conscience de moi-même, dit Monseigneur Jean lors de sa consécration épiscopale, je désirai servir la justice et la Vérité. Mes parents firent brûler en moi l’ardeur de tenir toujours ferme pour la Vérité et mon âme se prenait de passion devant l’exemple de ceux qui avaient donné leur vie pour Elle».
A l’âge de onze ans, Michel fut envoyé à Poltava, pour y suivre, sur les traces de son père, les cours de l’Académie Militaire. Quoique soumis à ses supérieurs et bon élève, il appliquait dans son coeur le précepte des vrais soldats du Christ : «Recherche et poursuis la paix». Un jour, alors qu’il avait treize ans, son unité participait à un défilé solennel commémorant le deux-centième anniversaire de la victoire de Poltava. Passant devant la Cathédrale, le Cadet Michel se tourna et fit le signe de croix. Ses camarades se moquèrent et ses supérieurs résolurent de châtier cet écart de conduite. Toutefois, quoique envahie par l’esprit du monde, la Sainte Russie gardait encore «un petit reste». Un des camarades de Michel était le fils du Patron du Corps des Cadets, le Grand Prince Constantin Constantinovitch, lequel, apprenant l’affaire, commanda que le jeune homme ne fût pas puni pour un acte qui, loin de mériter le blâme, appelait la louange d’une foi profonde... Devant l’Arche mystérieuse, David avait dansé en jubilant, malgré les railleries de la fille de Saül à laquelle il répondit : «Je serai vil à tes yeux, mais auprès des servantes dont tu parles, auprès d’elles je serai en honneur».
A Poltava, Michel, loin des siens, dut rencontrer une figure exceptionnelle, l’évêque Théophane Bistrov. Frêle et mince, il avait reçu du peuple le qualificatif de «transparent» ; il apparaissait tel un être dématérialisé ou tel un saint des temps d’autrefois, qui serait descendu d’une fresque de Théophane le Grec pour rapprendre aux fidèles la voie étroite. Son silence intérieur, ses yeux clos lorsqu’il officiait, son immobilité, tout en lui enseignait avec une éloquence d’icône la vie spirituelle ; immergé dans la prière, il parlait fort doucement, mais les perles qui tombaient de sa bouche réjouissaient le coeur, surtout celui de la jeunesse.
Lorsque l’on relate la vie des hommes de ce monde, on énumère parfois les traits qu’ils ont pu imiter chez tels ou tels de ceux qu’ils ont admirés ; mais, dans le cas des hommes de Dieu, qui pourrait sonder l’amour dont ils se remplissent à la vue d’un saint vaisseau de l’Esprit ? «Celui qui est épris de la sainteté, de la beauté, de l’éclat, de la splendeur d’une âme, serait-il lui-même repoussant et difforme, serait-il le dernier des hommes, s’il persiste dans cet amour des saints, il ne tardera pas à ressembler à ceux qu’il aime» dit saint Jean Chrysostome (Sur la Folie de saint Paul, 1). Vers le soir de sa vie, Monseigneur Jean, devenu lui-même «transparent» semblait une vivante image de l’ancien de Poltava ; il était devenu un nouveau Théophane, en qui Dieu transparaissait.
En 1914, ayant achevé ses études secondaires, Michel désirait s’inscrire à l’Académie Théologique de Kiev ; docile à ses parents, toutefois, il suivit les cours de la faculté de Droit de l’Université Impériale de Kharkov, dont il obtint le diplôme en 1918.
Ville ancienne, Kharkov était imprégnée du parfum de l’ascèse et de la sainteté. Au monastère de la Protection de la Mère de Dieu reposait, sous l’autel, dans une crypte, la relique du saint Archevêque Méléty Léontovitch, endormi en 1841. Sur ceux qui venaient lire à son tombeau l’office des défunts, saint Méléty versait la grâce des miracles et des guérisons. Le jeune Michaïl le vénérait profondément et, comme le remarque son biographe, à présent que tous deux habitent dans la lumière de la Trinité, trois ressemblances se font voir entre saint Méléty et son disciple de par-delà les générations : ils ont tous deux mené la dure ascèse de la fuite du sommeil, s’exerçant, dans un corps de chair, à la vigilance et à la prière ; l’un et l’autre ont connu l’heure de leur départ d’ici-bas ; l’un comme l’autre attend à présent le jour glorieux de la Résurrection dans la crypte d’une cathédrale, le premier dans la Sainte Russie, le second, dans le Nouveau Monde.
Durant ces années d’études universitaires, la piété de Michel atteignit sa force adulte, pénétrant le sens des réalités auxquelles il avait été nourri. Il fut, certes, un brillant étudiant, acquérant les sciences que les Pères appellent «du dehors», car elles ne profitent qu’à l’homme extérieur ; mais, dans le même temps, il assimilait parfaitement les vies des saints, y découvrant les trésors de la sagesse incréée, le sens de l’ascèse et de la vie, les labeurs variés de l’activité sanctifiante, les fruits de la prière. Dans l’homélie, déjà citée, qu’il prononça lors de sa consécration épiscopale, l’Archevêque résume ainsi cette période de sa vie : «Tout en étudiant les sciences de ce monde, j’allai toujours plus profond dans la science des sciences, dans la connaissance de la vie spirituelle».
A la tête du diocèse de Kharkov se trouvait alors un homme éclairé du Saint Esprit et qui, tel le scribe de l’Evangile, tirait de son trésor du neuf et de l’ancien, parce qu’il joignait à la science l’amour et la piété selon Dieu. Dans cette époque difficile pour la vie de foi, alors que les institutions de l’Etat et l’organisation de l’enseignement menaçaient d’étouffer l’Esprit, le Métropolite Antoine Khrapovitsky se distinguait par son zèle pour la foi juste, sa recherche d’une théologie débarrassée des influences occidentales, enracinée dans la prière, et sa requête du retour à l’institution du Patriacat1.
L’Archevêque Jean lui-même a laissé le récit détaillé de sa rencontre avec le Métropolite Antoine. Après avoir évoqué le soin que celui-ci avait des jeunes et la cordialité avec laquelle il leur offrait son aide matérielle et spirituelle, il continue ainsi :
«Soucieux d’élever le niveau éthique général de la jeunesse, Vladika ne laissait pas de se montrer attentionné pour chaque jeune en particulier qu’il avait vu, et c’est avec chaleur qu’il conversait avec lui. Si Vladika, d’aventure, apprenait que quelque personne avait une inclination telle qu’elle pût recevoir du profit de ses instructions, il mettait tout son soin à la découvrir et à la rencontrer. L’on apprit un jour à l’Archevêque Antoine qu’un des chefs de la noblesse locale de la province de Kharkov avait un fils aîné, un étudiant, qui s’intéressait vivement aux questions spirituelles. Sans délai, Vladika demanda au père de lui présenter son fils. Une telle requête était chose inconnue dans la Kharkov d’alors, où même les hommes de haut rang hésitaient à venir trouver l’Archevêque en personne, qui était toujours extraordinairement pressé d’un grand nombre de visiteurs... Quelques mois passèrent. L’invitation de l’Archevêque fut oubliée. Il advint que l’Archevêque Antoine fut appelé pour servir un moleben lors d’une réunion dans laquelle se trouvait le gentilhomme dont nous avons parlé. Comme il s’approchait, à la fin du moleben, pour recevoir la bénédiction de l’Archevêque : «Pourquoi me caches-tu ton fils ? interrogea Vladika. Crains-tu que je le fasse moine ?» Stupéfait que l’Archevêque se souvînt de son jeune fils, le père affirma qu’il ne le cachait pas, mais qu’il n’avait pas jugé possible ou convenable d’amener un jeune enfant à un Archevêque si lourdement accablé de tâches importantes. «Non, tu te dois absolument de le mener ; alors seulement je te croirai» répondit Vladika. De retour à la maison, le père raconta la nouvelle, qui remplit tout le monde d’étonnement... Quelque peu ébranlé par la tournure des événements, le père se promit de présenter son fils à l’Archevêque, mais quelque chose semblait toujours empêcher la rencontre. D’abord, le fils tomba malade, puis le père dut quitter Kharkov pour son travail. Et la visite à l’Archevêque fut remise à une date indéterminée... Or, un jour, l’Archevêque Antoine donnait une conférence dans la Maison des Propriétaires Fonciers. Parmi les auditeurs figurait l’étudiant dont nous parlons. Durant la pause, il s’avança pour recevoir la bénédiction de l’Archevêque. Les personnes qui l’entouraient lui expliquèrent qu’il s’agissait du jeune homme dont il avait parlé avec son père. «C’est donc toi que tes parents me cachent !» s’exclama Vladika en l’embrassant. L’autre répondit que ses parents ne le cachaient pas le moins du monde, à preuve, sa présence même à la conférence. «Alors dis à ton père qu’il doit absolument venir me voir avec toi».
C’est ainsi que se nouèrent des liens très affectueux et spirituels entre la famille de Michel et l’Archevêque Antoine.
Selon le mot du Père Justin Popovitch, grand était le «mystère de la personnalité» de l’Archevêque Antoine Khrapovitsky, qui guida la formation du jeune Michel, comme il avait fait pour beaucoup d’autres êtres avides de la Vérité ; grande aussi, cette rencontre des amoureux de Dieu, qui communient d’âme à âme. Sur eux, bientôt, allaient s’abattre la tourmente de la Révolution, les guerres et les affres de l’exil, et, tel saint Jean Chrysostome, loin de s’en aigrir, ils trouveraient la force d’offrir au Seigneur le fruit des lèvres qui confessent Sa Bonté : «Gloire à Dieu en toutes choses».

L’exil et l’épiscopat (1917-1934)

La Révolution Russe éclata. Fidèle à son tsar orthodoxe, la noble famille des Maximovitch connut le deuil dès les premiers jours de février 1917, où le tsar, abandonné de tous, fut contraint d’abdiquer. Plus tard, dans une homélie prononcée à la mémoire du tsar martyr, lors du quarantième anniversaire de cette abdication, saint Jean découvrait ainsi le sens des événements : «La signature du Souverain, de l’Empereur Nicolas Alexandrovitch, sur l’acte d’abdication du trône, dresse la frontière historique qui sépare le grand et glorieux passé de la Russie des circonstances sombres et cruelles qu’elle connaît actuellement... Lorsque le souverain eut besoin de soutien moral, ses proches les plus intimes, loin de le lui fournir, violèrent leur serment. Certains prirent part à la conspiration ; d’autres, par faiblesse, conseillèrent l’abdication. Le Tsar demeura absolument seul, environné de «trahison, bassesse et lâcheté». Du jour où il abdiqua, l’effondrement général commença. Il ne pouvait en aller autrement. Le lien de l’unité universelle, la sentinelle de la Vérité, était abattu. Un péché avait été commis : désormais, le péché s’engouffrait librement. Octobre n’est que la conséquence de Février, il est vain de vouloir les disjoindre».
Les Révolutionnaires cherchaient à s’emparer des biens des églises, prétendument pour subvenir aux nécessités des pauvres et des malheureuses victimes de la guerre ; mais la plus grande part des richesses ainsi collectées devaient alimenter un trésor de guerre à la taille de leurs ambitions politiques. Le Métropolite Benjamin de Pétrograd, voulait que des assemblées du peuple surveillassent la distribution de l’argent aux pauvres ; les bolcheviks le condamnèrent. A Kharkov, prise de peur ou d’enthousiasme, l’assemblée ecclésiale proposait de fondre la cloche d’argent de la cathédrale ; avec quelques autres coeurs hardis, Michel brava la majorité et exprima bien haut son contredit.
Le danger se fit pressant pour tous ceux qui osaient s’opposer ouvertement à l’esprit du jour. Les arrestations resserrèrent leur étau et les proches de Michel l’exhortaient à quitter le domicile familial pour se réfugier dans quelque cachette sûre. Il n’est point d’endroit, leur répliqua-t-il, où l’on puisse se dérober à la volonté de Dieu : sans elle, rien n’arrive, et pas un cheveu ne peut tomber de nos têtes. Il fut arrêté à deux reprises, puis relâché, la première fois, au bout d’un mois, la seconde, plus vite encore, tant son insouciance d’être libre ou en prison paraissait manifeste.
Avec sa famille, il passa la frontière durant la Guerre civile et parvint à Belgrade en 1921.
La Sainte Trinité, qui avait décerné la couronne du martyre à tant de saints confesseurs de Russie durant ces années, réservait donc Michel pour une autre oeuvre à Sa gloire. Plus tard, dans une homélie sur la marche historique de l’Eglise russe, l’Archevêque Jean exposa le sens spirituel le plus élevé des événements terribles de la Révolution Russe : la Russie avait, jusqu’au vingtième siècle, connu bien des formes de sainteté, mais son Eglise triomphante comptait peu de martyrs. En quelques années, des nuées de témoins, enfants de la terre russe, sont montés dans les cieux. Le Seigneur ajoutait ainsi une nouvelle couronne à son Eglise Sainte.
Soulignons ici qu’il n’a jamais été question, pour les chrétiens orthodoxes, de courir au martyre : «Nous ne louons pas, disaient les chrétiens de Smyrne rapportant le martyre de saint Polycarpe, ceux qui se présentent d’eux-mêmes, puisque ce n’est pas l’enseignement de l’Evangile» (Mat. 10,23, Jn 7,1). Le futur archevêque Jean allait remplir une mission apostolique : au coeur même de ce monde devenu une nouvelle fournaise de Babylone, il allait garder l’ascèse et la vie justes, et faire connaître la foi orthodoxe dans diverses nations. La vie toute entière de saint Jean Maximovitch fut un long «martyre blanc» pour l’amour de Son Seigneur. Les Pères, en effet, ont appelé «martyre rouge», celui du sang versé, et «martyre blanc» le long tourment et le chagrin joyeux de l’ascèse...
En Serbie, Michel se retrouva au coeur d’un pays engagé dans la voie de la foi orthodoxe et du martyre, depuis le jour où le tsar Lazare, au champ du Kossovo, avait préféré, à la victoire sur les Turcs, la mort qui lui ouvrirait le Royaume des Cieux. Ce choix du Kossovo, toutes les générations orthodoxes sont appelées à le refaire et le saint évêque d’Ochrid, Nicolas Vélimirovitch, définissait la paix d’ici-bas, pour les chrétiens, comme «l’intervalle entre deux persécutions».
A Belgrade, Michel poursuivit ses études dans la faculté de théologie. Un de ses condisciples de l’époque nous a laissé ce portrait : «De petite taille, carré et large d’épaules, aux joues rondes, avec des lèvres rouges sous une moustache rousse de style petit-russien, il donnait l’impression d’une grande force intérieure concentrée. Comme il ne se liait guère avec les autres étudiants, ce n’est que vers la fin de nos études que je le connus un peu mieux et que nous eûmes quelques conversations amicales. Très pauvre, il gagnait son pain en vendant des journaux. Dans ces années, une boue inextricable, durant la saison des pluies, recouvrait Belgrade. Maximovitch portait un lourd manteau de fourrure et de vieilles bottes russes. Il entrait pesamment dans la salle de cours, assez en retard, couvert d’une épaisse couche de boue, sortait un cahier crasseux et un crayon mâchonné et commençait à prendre des notes de sa large écriture. Il lui arrivait, peu après, de s’endormir, mais dès qu’il s’éveillait, il reprenait immédiatement son travail. Beaucoup d’entre nous, intrigués, auraient bien aimé voir quelle sorte de notes Maximovitch pouvait arriver à prendre, mais aucun n’eut l’audace de lui demander la permission de les lire».
Le Métropolite Antoine Khrapovitsky était devenu la tête de l’Eglise Russe en exil ; il lui revenait la tâche d’organiser la fraction des évêques et du peuple qui, dans le monde libre, représentaient l’esprit des catacombes russes -c’est-à-dire de l’Eglise clandestine, hostile au bolchevisme et à toute compromission avec le communisme athée. En 1924, il fit Michel lecteur, puis, en 1926, le revêtit de l’habit monastique en lui donnant le nom de son parent saint Jean de Tobolsk et lui conféra le diaconat, dans le monastère de Milkovo. Monseigneur Gabriel de Chelyabinsk l’ordonna prêtre le 21 novembre de la même année.
Dès 1925, Michel avait obtenu le diplôme de la Faculté de Théologie. Il enseigna, dès lors, dans l’Ecole Supérieure d’Etat de Serbie, puis, de 1929 à 1934, au séminaire Saint-Jean-le-Théologien de Bitol. Dans cette ville vivait une communauté hellénophone, pour laquelle Jean célébra la liturgie en grec, et qui eut pour son pasteur une profonde vénération.
Au séminaire de Bitol se révélèrent les ascèses de saint Jean Maximovitch : telle une lampe allumée, il ne put rester caché mais devint pour tous un modèle vivant de vertu. Un grand hiérarque de l’Eglise Russe, Monseigneur Averky, qui fut père spirituel du Monastère de la Sainte Trinité de Jordanville et qui, aujourd’hui, s’est endormi dans le Seigneur, recueillit précieusement les témoignages des anciens étudiants du hiéromoine Jean.
Ils avaient vu arriver leur nouveau professeur : un homme de taille médiocre, portant d’épais cheveux noirs qui descendaient sur ses épaules. Son visage sans ride s’éclairait de deux grands yeux inoubliables. Il avait le nez droit, la barbe peu fournie ; mais sa mâchoire inférieure lui causait de la gêne et rendait sa parole embarrassée. Comme il avait la jambe droite plus courte que la gauche, il portait une chaussure spéciale dont le talon résonnait haut dans les couloirs de l’école. Fréquemment, on le voyait avec une canne. Qui aurait soupçonné les trésors spirituels qu’abritait cette figure ? «La grande nouvelle que le christianisme déclare journellement au monde est que rien ne tire sa valeur de son apparence, mais de son essence ; les choses ne sont pas jaugées sur leur forme et leur couleur, mais par leur signification ; l’être humain n’est pas évalué selon son statut et ses biens, mais d’après son coeur, où s’unissent ses sentiments, son esprit et sa volonté» (Nicolas Vélimirovitch).
Appartenait-il au ciel ou à la terre ? Sa vie rappelait celle des ascètes du désert : il avait la même douceur, et une profonde humilité. Il ne mangeait chaque jour que le strict nécessaire pour sustenter son corps ; sa chambre, au rez-de-chaussée, avait une seule fenêtre sans rideau donnant sur la cour. Une table, une chaise, un lit ; sur la table, le saint Evangile, sur l’étagère les offices de l’Eglise. A toute heure de la nuit, on pouvait le voir lisant la Bible : «Ta parole est une lumière à mes pieds». De l’Evangile, saint Jean avait une connaissance qui n’était pas de ce monde. Doué d’une mémoire extraordinaire, il pouvait parler de tels ou tels événements des évangiles comme s’il les voyait sous ses yeux et savait le chapitre qui les relatait, étant même, au besoin, capable de citer le verset.
Les offices de l’Eglise étaient la base de sa prière aussi bien que de son enseignement. Il se préparait avec grand soin à la liturgie, mangeant moins à partir du jeudi, jeûnant quasi totalement le vendredi. Durant la première semaine du Grand Carême, il ne prenait aucune nourriture, mais tous les deux jours célébrait l’office des Présanctifiés, de même que pendant la Sainte et Grande Semaine. Le Grand Samedi le trouvait épuisé ; mais, après la liturgie de Pâques, les forces lui revenaient et une joie angélique inondait son visage.
Il convoquait les étudiants par groupes de huit dans sa cellule, et demandait à quatre d’entre eux de trouver dans les livres liturgiques tous les textes qui seraient lus ou chantés lors de la fête ou du jour suivant ; les autres écoutaient. En même temps, il expliquait les gestes et le symbolisme des rites.
Il exigeait une grande attention durant les offices. Avant chaque cours, il interrogeait au hasard un étudiant pour qu’il résumât l’Epître ou l’Evangile lus ce jour-là dans l’église. Alors, il en faisait un commentaire succinct et lumineux. Il tenait à ce que les futurs prêtres comprissent que la source de tout savoir théologique n’est autre que le Saint Evangile.
En théologie pastorale, comme dans l’histoire de l’Eglise, il éclairait toutes choses. «Le prêtre, enseignait-il, doit se conformer au portrait qu’en dresse Paul, il doit être un exemple pour le croyant, en parole, en vie, en esprit, en foi, en pureté (1 Tim. 4,12)». Père spirituel de sa paroisse, le prêtre devait voir en elle une grande famille qui ne saurait subsister sans amour pastoral ni prière quotidienne. Autant que possible, il devait venir en aide à ses fidèles et partager leurs tristesses et leurs joies.
Père Jean connaissait bien chacun de ses étudiants et sa vaste mémoire ne laissait pas échapper qui avait répondu à telle ou telle question. Un amour mutuel unissait le maître et les disciples. Il n’était pas un conflit qu’il ne pût apaiser, pas une question qu’il laissât sans réponse. Jour et nuit, Père Jean priait pour ses enfants spirituels.
Bientôt les étudiants remarquèrent un trait particulier du hiéromoine Jean. Longtemps après que tous étaient couchés, il demeurait éveillé ; traversant de nuit les dortoirs, il bénissait les dormeurs d’un signe de croix et arrangeait les couvertures ; enfin les étudiants découvrirent qu’il ne se permettait qu’une ou deux heures de sommeil par jour, et jamais allongé, mais assis ou prosterné devant les icônes. Il avoua plus tard que, depuis sa prise d’habit monastique, il n’avait jamais dormi dans un lit.
Par cette ascèse, Jean rejoignait les anciens Pères du désert. Saint Antoine le Grand n’écrivait-il pas à ses disciples : «Veillez, ne dormez pas», tandis qu'un autre Père exercé à la prière perpétuelle, lorsqu'il sentait venir le sommeil, le traitait de voleur, avant de s'assoupir quelques instants. Le grand Pachôme, instituteur des monastères, n'ignora pas non plus cette ascèse, lorsqu'il reçut des Anges la règle des moines et qu'il en fixa la loi aux cénobites : «Qu’ils prennent leur repos non point couchés, mais assis sur leurs sièges, la tête sur les genoux» (règle 4).
La ville de Bitol appartient au diocèse d’Ochrid, à la tête duquel se trouvait alors le saint évêque Nicolas Vélimirovitch. Grand par l’ascèse, théologien et pasteur infatigable, Vladika Nicolas apparaissait telle une colonne de l’orthodoxie. Engagé durant le jour dans les multiples soucis de son ministère, Monseigneur Nicolas consacrait ses nuits à la prière et à la composition de beaux ouvrages, comme le Prologue d’Ochrid, recueil de vies de saints et d’homélies, qui lui ont valu d’être appelé le «Chrysostome serbe». Les critères de la sainteté ne lui étaient pas inconnus. Lorsqu’il visitait le séminaire de Bitol, les deux hiérarques, Jean et Nicolas, s’inclinaient l’un vers l’autre, puis devisaient avec amour et ferveur, flambeaux jumeaux confondant leur lumière. Un jour, avant son départ, Monseigneur Nicolas, se tournant vers un petit groupe d’étudiants leur dit : «Enfants, écoutez ce que dit Père Jean ; c’est un ange de Dieu en forme d’homme». Et plus d’une fois il déclara : «Voulez-vous voir un saint vivant ? Rendez-vous à Bitol, auprès du Père Jean».
Le hiéromoine Jean reçut un jour une convocation du Synode, l’engageant à venir à Belgrade recevoir l’épiscopat. Il pensa qu’il s’agissait d’une méprise et qu’un autre hiéromoine du nom de Jean avait dû être choisi pour cette charge. Dans un tram de la capitale, rencontrant une dame de sa connaissance, la future novice Maria, il lui conta toute l’affaire. Or, revenant du concile, il croisa la même personne, et lui avoua que l’erreur était pire qu’il n’avait cru : c’était bien lui que les évêques avaient élu successeur des Apôtres !
Il avait tenté de s’excuser sur son bégaiement ; mais les évêques lui répondirent que Moïse, le Voyant de Dieu, souffrait de la même infirmité : «Enveloppé dans la nuée divine, le Bègue publia la Loi écrite par Dieu...» et qu’elle ne l’empêcherait pas lui-même d’accomplir sa tâche.
Le 28 mai 1934, le saint Métropolite Antoine Khrapovitsky imposa, pour la dernière fois de sa vie, les mains sur un pasteur choisi comme «veilleur sur la Maison d’Israël». En lui donnant la crosse épiscopale, Monseigneur Antoine adressa ces mots à Jean :
«Depuis mon enfance, j’ai été témoin de beaucoup de consécrations épiscopales. Dès ce moment, je prêtais attention aux paroles adressées aux nouveaux hiérarques. Je me souviens de la manière dont le vieux Métropolite Isidore de Pétersbourg et de Novgorod disait, lorsqu’il confiait la crosse aux nouveaux évêques : «C’est très simple ; efforce-toi seulement d’accomplir deux commandements : Bien servir, et ne pas s’enorgueillir». Plus que tout au monde, tu aimes les offices divins et, du fait que tu n’as nulle prétention, tu seras à même de pratiquer ces préceptes à la perfection. (...) Beaucoup d’évêques et de membres élevés du clergé, tandis qu’ils étaient dans un rang inférieur, aimaient avec ferveur les offices divins mais, ayant accru le nombre de leurs années et quelquefois leur fortune, ils se sont peu à peu refroidis ; mais tu ne deviendras jamais comme eux. Je souffre toujours lorsque j’entends dire que tel évêque est indifférent aux offices et négligent dans la prière, mais que «du moins, c’est un bon administrateur». Le talent d’administrateur n’est pas requis d’un hiérarque. S’il considère la prière comme son premier devoir, l’administration prendra soin d’elle-même, et toutes choses, autour de lui, iront s’améliorant d’elles-mêmes. De plus, abstiens-toi toujours de juger tes frères archipasteurs pour leur manque de zèle, et ne permets pas qu’aucune auto-déception subtile pénètre ton coeur. (...) Aime la théologie et essaye d’en pénétrer les profondeurs. Répands sa lumière sur ton âme et sur celle des hommes qui t’entourent, et que ton savoir donne à ton esprit une nourriture salutaire à l’âme. (...) Ne désespère pas, si, au long du chemin, tu rencontres l’ingratitude...»
Ces paroles devaient, pour Vladika Jean, se révéler prophétiques. Peu de temps après la consécration, la Mission d’Extrême-Orient sollicita la venue d’un nouvel Archevêque. L’Archevêque Dimitri, connaissant les chagrins et les tribulations que le Métropolite de l’Eglise Russe Hors Frontières rencontrait en Yougoslavie, lui proposa de venir à Harbin : «Ici vous vous reposerez, Vladika». En réponse, Monseigneur Antoine lui écrivit cette lettre mémorable : «Ami, me voici déjà si vieux et si faible, que je ne puis songer d’entreprendre nul voyage, sinon celui qui mène au cimetière...Mais à ma place, comme mon âme et mon coeur, je vous envoie Monseigneur Jean. Ce petit homme frêle, d’un aspect que l’on dirait presque d’un enfant, est un miracle de fermeté ascétique et de rigueur dans nos temps de paralysie spirituelle générale...»

En Chine (1934-1949)

Monseigneur Jean parvint dans Shangaï le 21 novembre/ 4 décembre 1934, jour de la fête de l’Entrée au Temple de la Mère de Dieu.
Vladika Jean aimait vivement cette fête. Il avait pris l’habit monastique dans un monastère consacré à cette solennité. Plus tard, c’est encore dans ce jour qu’il prendrait possession de son dernier siège épiscopal, celui de San Francisco. Enfin, quand l’Archevêque Jean se fut endormi dans le Seigneur, une pieuse famille, sans connaître les liens qui avaient noué sa vie à cette fête, promit de faire don d’une icône de l’Entrée au Temple si l’on obtenait des autorités que le corps de l’Archevêque restât dans la crypte de la Cathédrale. Cette icône orne aujourd’hui la sépulture du saint.
Voici en quels termes l’Archevêque Jean décrivait l’Entrée au Temple de la Mère de Dieu : «Lorsqu’elle eut trois ans, ses parents, accomplissant leur promesse, conduisirent solennellement la petite Marie au Temple de Jérusalem ; d’elle-même, Elle gravit les degrés majestueux et, par une révélation divine, fut introduite, par le Grand Prêtre venu à Sa rencontre, dans le Saint des Saints même. La grâce de Dieu qui reposait sur Elle, Elle l’apportait avec Elle dans le Temple qui, jusque-là, n’avait pas connu la grâce, comme l’enseigne le Kondak de la fête. Il s’agissait du Second Temple, sur lequel la Grâce de Dieu n’était pas encore venue, comme elle était descendue sur l’Arche et sur le Temple de Salomon». En luttant toute sa vie pour raffermir la diaspora russe et pour renouveler la foi orthodoxe en Occident, l’Archevêque Jean n’a-t-il pas lui aussi rappelé la grâce de l’Esprit divin ?
A Shangaï, Monseigneur Jean trouva la communauté divisée par des querelles qui entravaient la construction de la cathédrale et son premier soin fut de rétablir la concorde entre les chrétiens. Le monument s’acheva dans la paix.
A un pieux fidèle, futur prêtre, Monseigneur Jean confia un jour cette règle : «La prière est le fondement de la réussite en toute activité pastorale. Chaque jour, il faut consacrer six heures à la célébration des offices de l’Eglise, six heures à la contemplation, six heures aux bonnes oeuvres et six heures au repos». «Accomplissant fidèlement ce programme, dit l’Archimandrite Benjamin, il en devenait remarquablement ferme, profondément humble et pénétrant».
Vladika Jean était tout prière. Le hiéromoine Méthode disait : «Tous, nous nous mettons à prier ; mais Vladika Jean n’a pas besoin de le faire : il est toujours en prière...»
Monseigneur Jean célébrait chaque jour la liturgie, assisté par divers prêtres, à tour de rôle. Quand, pour une raison ou une autre, il ne pouvait célébrer, il communiait néanmoins aux Saints Mystères. Les services duraient fort longtemps. Le soir, les Vêpres étaient suivies des Complies, qui comportaient toujours la lecture d’un canon des saints. A six heures du matin commençait l’office de Minuit, suivi des Matines puis de la Liturgie. Vladika tenait à l’ordre des offices ; quoiqu’il n’eût pas l’oreille musicale, il voulait que toutes les parties destinées au chant fussent chantées et non lues. Le polyéléos était chanté en entier. Beaucoup murmuraient, n’appréciant pas la longueur des offices.
Vladika pourtant y puisait la vie. Comment eût-il vécu, si la prière n’eût été sa nourriture et son repos ? Il mangeait une seule fois par jour, à onze heures du soir. Durant les première et dernière semaines du Grand Carême, il ne mangeait rien, et durant les autres semaines du Carême, ainsi que dans celui de Noël, il se nourrissait exclusivement de pain bénit. Il passait ses nuits en prière ; quand la fatigue le prenait, il posait sa tête sur le sol et laissait le sommeil lui voler quelques heures avant l’aurore. Le moment de célébrer Matines étant venu, ses familiers avaient beau tambouriner à sa porte, il restait muet ; l’on entrait, pour le trouver recroquevillé sur le plancher, devant les icônes, épuisé. A peine on lui touchait l’épaule qu’il se dressait aussitôt, allait prendre un bain froid et, quelques minutes après, se tenait dans l’église, prêt à célébrer. Des gouttes d’eau perlaient encore de sa barbe, mais il était bien éveillé.
A la tête de l’immense troupeau de Shangaï, Monseigneur Jean n’avait donc rien diminué de son ascèse ; il représentait en lui-même ces paroles que saint Jean Chrysostome dédie à saint Timothée : «Quoiqu’il fût parvenu à une si haute perfection, loin de présumer de lui-même, il était toujours dans la crainte et dans l’inquiétude ; il jeûnait sans relâche, et n’imitait pas la légèreté de ces personnes qui, après quelques mois de jeûne, renoncent aux austérités. Il ne se disait pas à lui-même : Qu’ai-je besoin de jeûner toujours ? J’ai triomphé de mes passions, je m’en suis rendu maître, j’ai mortifié mon corps, j’ai effrayé et chassé les démons, ressuscité les morts, guéri les lépreux, je me suis rendu redoutable à toutes les puissances ennemies ; qu’ai-je besoin maintenant du jeûne et de tous les avantages qu’on en retire ? Il ne s’est jamais permis aucune de ces réflexions, aucun de ces discours ; mais plus il était rempli de vertu, plus il craignait, plus il tremblait pour lui-même, en cela digne disciple de son illustre maître».
Vladika aimait particulièrement les jours de fêtes des saints Martyrs et chérissait tout spécialement le saint Martyr Tryphon. Pour rien au monde il n’aurait manqué un office ! Il restait longtemps dans l’église après la liturgie, et on l’entendit un jour faire cette confidence : «Qu’il est pénible de s’arracher à la prière et de revenir sur terre !»
Un jour, sa jambe parut si enflée que les médecins de la colonie russe se concertèrent et ordonnèrent l’hospitalisation immédiate, craignant la gangrène. Vladika refusa. Les médecins prévinrent alors le conseil qu’ils déclinaient toute responsabilité quant à la santé et même à la vie du patient. Les membres du conseil supplièrent longuement l’archevêque, menaçant même de l’emmener de force à l’hôpital ; il se rendit finalement à leurs instances et, la veille de l’Exaltation de la Croix, entra dans l’Hôpital Russe, comme le jour se levait. Dès six heures, pourtant, il se remit à marcher et gagna, clopin-clopant, la cathédrale, où il officia. Dans la journée, l’enflure disparut.
La source de la vigilance inaltérable de Vladika, de son soin constant à se mortifier, où faut-il la chercher ? Dans la crainte de Dieu qu’il possédait selon la tradition de l’Eglise ancienne, dit le saint évêque Savva qui fut l’un des premiers à retracer la vie et les exploits de saint Jean. Voici un geste qui montre cet attachement indéfectible au Christ et sa foi inébranlable. Une dame, Mrs Menshikova, fut mordue par un chien enragé. Elle ne reçut pas comme il l’aurait fallu toutes les injections de sérum et contracta l’affreuse maladie. Jean l’apprit et vint au chevet de la mourante. A l’instant précis où il lui donnait la Sainte Communion, la malade, prise d’une convulsion, écumant de la bouche, recracha les Saints Dons. Sur-le-champ, Vladika reprit la parcelle et la consomma, à l’effroi des assistants : «Vladika, que fais-tu ? La rage est terriblement contagieuse !» A quoi l’homme de Dieu répondit, paisible : «Rien de fâcheux n’arrivera... ce sont les Saints Dons». Il en fut ainsi.
Un sens aigu et inaltérable de ce qui est, en tout domaine, juste et droit, gouvernait sa vie. Plus tard, dans un sermon, il résuma toute l’histoire de la Russie à ce sens de la pravda, de la justice et de la justesse que les orthodoxes appellent aussi orthodoxie et orthopraxie. Tant que la connaissance de cette justice resta vivante dans tous et dans chacun, la Russie, disait Monseigneur Jean, ne s’égara point ; nulle autre contrée au monde n’offre l’exemple de dévastations plus terribles, de redressements plus soudains. En effet, les invasions atteignaient le corps, non l’âme de la Russie. Il se trouvait, certes, des pécheurs, de grands pécheurs ; mais, dans toutes les couches de la société, au plus profond de l’âme, brillait le discernement du juste et du vrai, recouvert mais non détruit par les fautes et les transgressions. Tout commença de changer avec Pierre le Grand ; son règne qui apporta la gloire de ce monde à la Russie marque aussi le temps où la conscience intime de la vérité et de la justice commence à s’obscurcir. Dès lors, le chemin à suivre n’apparut plus clairement à tous les yeux, quoique de grands saints vinssent encore ranimer l’esprit de justice autrefois universellement partagé.
Or, comme Vladika Jean l’explique dans une autre homélie, cette justice est l’essence même du Royaume de Dieu, chose que le bon larron fut le premier à comprendre... Tel fut donc le sentiment de la justice qui habitait en permanence l’âme de Monseigneur Jean et qui l’accompagna dans toutes ses démarches, en sorte qu’il pouvait dire avec le psalmiste : «Ta parole est une lampe à mes pieds et une lumière sur mon sentier».
Vladika portait un vêtement de la plus grossière toile chinoise et de simples sandales, qu’il lui arrivait même de donner à un pauvre de rencontre : il continuait sa route nu-pieds et célébrait parfois de même, insoucieux du qu’en-dira-t-on de certaines gens qui lui reprochaient sa négligence. Son mépris du monde était à la mesure de son amour de l’Eglise. Pour Elle, pour ses fidèles, il aurait tout donné : «Dès les premiers jours de son arrivée, écrit Régine Von Setters, Monseigneur Jean déborda de force et d’énergie pour les malades, les malheureux, les petits orphelins auxquels il consacrait tout son temps -les jours, et souvent les nuits- sans parler de ses prières extraordinaires et des offices de l’Eglise ; il s’oubliait lui-même, négligeant de manger ou même tout simplement de se vêtir «correctement» comme il est d’usage chez les personnes de son rang. Or, autour de lui pullulaient des adversaires malfaisants qui, non contents de troubler son travail de mille manières, portaient contre lui les accusations les plus absurdes, lesquelles, aujourd’hui encore, lorsque l’on y songe, font terriblement mal... Oui, c’est vrai, Vladika ne regardait point à son habillement, ne prenait pas soin de sa personne, portait des sandales à ses pieds nus et posait à la hâte son klobouk peu importait comment. Aux yeux de ses détracteurs, il paraissait indigne de l’image de son rang, mais ceux qui l’ont étroitement connu et qui ont vu son sourire gai d’enfant, ses yeux bons et amicaux -en particulier lorsqu’il parlait aux petits- ces personnes, elles, ne peuvent s’empêcher de voir en lui un pasteur authentique qui a donné sa vie pour son troupeau».
Vladika Jean déployait, en effet, une activité inlassable et consacrait beaucoup de temps aux enfants et aux adolescents. Visitant toutes les écoles russes, il prêtait une attention spéciale aux cours d’instruction religieuse et assistait en personne à tous les examens. Il exigeait que chaque enfant connût le nom de son saint patron et l’histoire de sa vie et qu’il communiât au jour de sa fête. Lors de la fête des Saints Cyrille et Méthode, Illuminateurs des Slaves, les enfants de toutes les écoles participaient à la liturgie dans la Cathédrale, le choeur étant formé de jeunes chanteurs issus des diverses institutions. Après la liturgie, Vladika restait avec les centaines d’enfants qui prenaient leur repas dans la cour de la cathédrale. Il tenait beaucoup à les faire participer aux services liturgiques : dans les couvents, les filles l’habillaient de ses ornements durant l’office ; à la cathédrale, les garçons servaient dans le sanctuaire avec lui.
Il savait que plusieurs familles de la colonie envoyaient leurs enfants dans des institutions catholiques romaines, où les religieuses tentaient de les convertir ; il venait à la porte de ces écoles bénir les enfants orthodoxes et les exhorter à ne pas porter les uniformes et à fréquenter les écoles russes.
Tatiana Kennedy Urusov, qui a noté ces traits, témoigne du zèle infatigable que déployait l’archevêque pour secourir les malheureux : «Des fenêtres du troisième étage du couvent, où se trouvait notre orphelinat, nous voyions Vladika arpenter les rues sous la pluie battante et le mauvais temps, été comme hiver, tandis qu’il se dirigeait vers la maison de ses enfants, l’orphelinat Saint-Tykhon-de-Zadonsk. Son chemin passait près de la Maison de Miséricorde, asile réservé aux hommes, puis d’un refuge comportant aussi une église, destiné aux femmes âgées ; plus bas, une prison. Nous savions que Vladika visiterait chacune de ces institutions».
L’une des principales oeuvres de Monseigneur Jean à Shangaï fut, en effet, la fondation de l’orphelinat qu’il mit sous la protection de saint Tykhon de Zadonsk. Le troupeau dont il avait la garde se composait, pour une grande part, de réfugiés d’Union Soviétique, qui vivaient dans la plus grande pauvreté. Loin de fréquenter les riches salons, Vladika Jean se trouvait toujours auprès des nécessiteux, de ceux qui avaient besoin de lui. Il rassembla donc les orphelins et les enfants des plus démunis, parcourant lui-même les quartiers où régnait la misère, pour en tirer les petits affamés. Un jour, il racheta même une petite chinoise contre une bouteille d’eau de vie. Au commencement, l’orphelinat comptait huit enfants ; il en sauva finalement trois mille cinq cents.
Le saint évêque tenait à choyer ses protégés. Le temps le plus dur qu’ils aient à supporter, disait-il, c’est l’approche de Noël et de Pâques, lorsqu’ils voient les familles se préparer pour les fêtes, les parents prendre un soin affectueux de leurs enfants ; les orphelins n’ont rien. C’est pourquoi Vladika Jean, qui avait souci de les élever dans l’orthodoxie, les entourait aussi de la tendresse d’un père et d’une mère, qui n’oubliait ni les jeux, ni les cadeaux, ni l’arbre de Noël. Lors de cette dernière fête, il recevait les enfants après la liturgie, les bénissait, leur donnait un sac de bonbons.
Il fit également acheter des cors et d’autres instruments à vent, pour former un bon orchestre de cuivres. Sa grande joie était de voir les jeunes adolescents se réunir dans l’association Saint-Joasaph pour y écouter des conférences sur la foi et étudier la Bible.
Les enfants ne se sentaient plus jamais seuls, puisqu’ils avaient un protecteur, un père selon l’Esprit, qui ne laisserait personne toucher un seul de leurs cheveux. Oui, les enfants aimaient Vladika ; mais les termes humains sont ici faibles. Notre Christ a dit : «Laissez venir à moi les petits enfants, car le Royaume des cieux est à ceux qui leur ressemblent». Dans son amour vibrant, Monseigneur Jean vivait ce verset de l’Evangile et il entretenait avec le coeur des enfants une relation mystique dont l’Esprit seul sait le secret ; les guérisons innombrables qu’il accomplit, cette rosée bienfaisante dont il rafraîchit la ville de Shangaï, témoignent la force de cet amour, comme les gouttelettes de rosée reflètent celle du soleil.
«Si vous parlez de Monseigneur Jean à des Russes de Shangaï, dit Valentine Harvey, chacun vous promettra qu’il était son ou sa préférée. Impossible de ne pas le croire : lorsque Vladika posait son regard sur vous, il semblait que vous fussiez son seul enfant, son unique souci». Elle-même guérit de la diphtérie par les prières de saint Jean, dans des circonstances difficiles. Tandis que ses parents l’emmenaient, semi-consciente, à l’hôpital, comme la route longeait la cathédrale, elle songea : «Pas d’église aujourd’hui ! J’ai manqué les offices». A l’hôpital, une infirmière sortit : «Nous n’avons pas de lits. Ramenez-la». De retour chez elle, l’enfant tomba dans un sommeil comateux. Soudain, il lui sembla dévaler un toboggan et elle entendit sa maman : «Voici Vladika», cependant qu’elle pensait : «Que veut-il ? J’ai sommeil !» Mais l’archevêque Jean lui dit : «Que t’arrive-t-il encore ? Tu ferais vraiment n’importe quoi pour rater l’office !» Les yeux sur lui, la fillette répondit : «J’ai envie de dormir». Il repartit : «Impossible ; il faut que je te raconte une histoire drôle». Et saint Jean de raconter plaisanterie sur plaisanterie, jusqu’à ce que la petite, quoique épuisée, se mît à rire de bon coeur, au point d’en avoir la nausée. Alors, appelant la mère, il lui dit de laver la bouche de l’enfant et affirma que tout allait bien. Posant la main sur le front de la jeune fille, il lui dit : «Maintenant que tu as ri de mon histoire, tu peux retourner dormir». Et la fillette que les médecins avaient condamnée se remit parfaitement de la diphtérie, dont elle ne garda qu’un timbre de voix légèrement plus grave.
Il apparut bientôt aux fidèles de Shangaï que Vladika Jean n’était pas simplement un ascète et un homme juste, pieux et dévoué ; mais qu’il s’était élevé haut sur l’échelle de la sainteté, au point que Dieu l’avait gratifié de grands dons, en particulier celui d’opérer des miracles. Raconter tous les bienfaits et toutes les guérisons que sa prière accomplit est chose impossible. La Fraternité Saint-Germain d'Alaska, en Amérique, a rassemblé des dizaines de témoignages -et les livres qu'elle en a publiés sont loin d'être exhaustifs. A la gloire du serviteur de Dieu Jean, nous en résumerons quelques-uns.
Une femme de la colonie russe -qui, plus tard, devint moniale sous le nom d’Augusta- avait marié sa fille à un Italien qui, après onze jours de vie commune, dut quitter son épouse pour servir dans l’armée d’Afrique. Les beaux-parents ne voulurent pas héberger la jeune femme plus longtemps et celle-ci se retrouva seule, à dix-sept ans, en Italie, pays dont elle ignorait la langue ; ses lettres à sa mère témoignaient de sa détresse. Or la mère priant pour elle se rendait quotidiennement dans la cathédrale ; mais, deux mois s’étant écoulés, sa ferveur diminua et elle commença de retourner dans le monde, visitant ses connaissances au lieu de suivre les offices. Un jour, d’aventure, son chemin longeait la cathédrale et le chant parvint à ses oreilles. Elle entra. Vladika célébrait l’office et disait la prière de l’anaphore ; les portes royales étaient ouvertes, et les paroles du Christ se faisaient entendre : «Prenez et mangez, ceci est mon Corps...» puis «Ceci est mon Sang... répandu pour vous et pour un grand nombre en rémission des péchés». Le célébrant se prosterna. Alors la pieuse fidèle vit une haute flamme, en forme de tulipe, descendre sur le Saint Calice. En cet instant, comme jadis à saint Siméon, disciple de saint Serge de Radonège, il lui fut donné de voir la sanctification des Saints Dons. La lumière de la foi et de l’espérance se ralluma dans son coeur... Telle était la force de la foi de saint Jean.
Un petit garçon de neuf ans se mit à souffrir du ventre, si violemment que durant trois jours il ne put soulever la jambe droite. Les parents pensaient à un mal d’estomac, mais l’acolyte de Monseigneur Jean, vint les visiter et ordonner, de la part de l’archevêque, que l’enfant rentrât sans délai à l’hôpital. Il était environ minuit. Le médecin qui l’examina déclara : «Cet enfant souffre de péritonite et va mourir. Nous ne pouvons le sauver ; il est trop tard». Les médecins tentèrent néanmoins l’opération, puis attendirent de voir si l’enfant survivrait. Trois jours après, le samedi 7 octobre, en fin de soirée, vers l’heure où s’achèvent les Vêpres, l’enfant ouvrit les paupières. Vladika, debout devant lui, dit : «Georges !» L’enfant leva les yeux : il n’avait pas eu à chercher bien loin la guérison2...
La prière de saint Jean guérissait tous les malades. Un jour, Vladika fut appelé au chevet d’un enfant mourant. A peine entré dans l’appartement, il se dirigea droit vers la chambre du malade, sans hésiter, quoique personne n’ait eu le temps de lui montrer le chemin. Sans examiner l’enfant, avisant l’icône au coin de la pièce, il tomba immédiatement à genoux, selon sa coutume, et pria un long moment. Puis, ayant assuré que l’enfant guérirait, il prit rapidement congé des parents. Au matin, le petit garçon allait mieux et ce prompt rétablissement rendit bientôt les médecins inutiles3.
Une orpheline de Saint-Tykhon, âgée de six ou sept ans, raconte Maria Petrovna, professeur à l’école de commerce de Shangaï, fut prise un soir d’une forte fièvre accompagnée de violentes douleurs. Vers la minuit, elle fut transportée à l’hôpital de la Fraternité Orthodoxe Russe. Le médecin diagnostiqua un convolvulus ou déformation intestinale. Il manda d’autres médecins, ainsi que la mère, au chevet de la petite fille. Après l’avoir auscultée et examinée, ils déclarèrent l’état de l’enfant désespéré, au point que même une opération pourrait lui être fatale. La maman les supplia néanmoins de la tenter pour sauver sa fille et, sans attendre, au coeur de la nuit, se hâta vers la cellule de Vladika Jean, qui jouxtait la cathédrale. Le saint, qui ne s’allongeait jamais de la nuit, prêta aussitôt l’oreille à sa requête et l’emmena sur-le-champ dans l’église. A toute heure, il était disponible à tous et prompt à soulager les souffrants. Ouvrant les portes royales, il se mit en prière devant l’autel, tandis que la pieuse mère s’agenouillait devant l’iconostase. Le jour pointait lorsque Vladika, se relevant, vint bénir sa fidèle et lui dire de rentrer chez elle sans crainte, car sa fille vivrait. La mère, alors, de se hâter, non vers sa maison, mais jusqu’à l’hôpital. Le docteur Kazakov lui apprit le succès de l’opération ; mais il ajouta que, de toute sa carrière, il n’avait jamais rien vu de tel. Dieu seul, conclut-il, a pu lui venir en aide. La nouvelle de cette guérison se répandit dans tout Shangaï.
A l’hôpital de la Fraternité Russe de Shangaï, en 1948, une nuit, vers trois heures du matin, un malade appela l’infirmière pour réclamer qu’on fît venir Monseigneur Jean, car il se sentait au plus mal. Agonisant, il désirait la Sainte Communion. Or un typhon sévissait, des trombes d’eau s’abattaient, le vent avait arraché les fils du téléphone. L’hôpital était coupé du monde et l’unique infirmière de l’établissement ne pouvait s’absenter. Devant les instances du malade, cette dernière promit que, dès l’instant de la relève, à six heures du matin, elle se précipiterait chez l’archevêque. Quarante minutes plus tard, des coups frappés au portail résonnaient avec force.
- Qui est là ?
- Ouvrez ! C’est Vladika Jean. On m’a appelé, je suis attendu.
Le gardien fit entrer l’évêque qui, bénissant le jardin, pénétra dans le bâtiment et dit à l’infirmière : «Où se trouve l’homme qui est si mal ? Il m’attend. Conduisez-moi à lui».
Dieu avait donc gratifié son serviteur Jean du charisme de la vision à distance. Un miracle analogue, mais plus extraordinaire encore, est raconté par celle qui en fut la bénéficiaire, Anna Petrovna, fille spirituelle de Monseigneur Jean. C’est elle qui, professeur de chant, avait compris que l’infirmité de la bouche dont souffrait l’archevêque était due à l’épuisement général de tout son corps. Elle lui avait donné des leçons de diction, qu’il tenait à payer d’un billet de vingt dollars. Durant la guerre, en 1945, elle fut blessée à Shangaï et laissée agonisante dans un hôpital français. Sentant sa fin prochaine, elle suppliait que l’on avertît l’évêque de lui porter la Sainte Communion. Il était environ onze heures du soir et, dehors, le vent, la pluie et la tempête faisaient rage. A la pauvre Anna qui criait sur son lit de douleurs, le médecin et les infirmières déclarèrent qu’il était hors de question qu’on allât trouver Monseigneur Jean : l’on était en temps de guerre, les portes resteraient fermées jusqu’au matin...
Anna, cependant, continuait d’implorer : «Vladika, viens ! Viens, Vladika !» Soudain, du milieu de l’orage, la porte de la chambre ouverte, Vladika apparut, trempé de pluie. Comme la malade le touchait hésitante, se demandant si ce qui arrivait était réel, il dit : «C’est moi, en chair et en os !» et il lui donna la communion. Ensuite, elle ferma les yeux et dormit dix heures d’affilée. Au réveil, se sentant mieux, elle affirma qu’elle le devait à la visite de Monseigneur Jean. Personne, cependant, ne voulait y croire : l’époque, le mauvais temps, la porte verrouillée, tout plaidait contre. La voisine de chambre, seule, confirmait Anna. Les doutes subsistèrent cependant, jusqu’à ce que l’infirmière découvrit, tandis qu’elle faisait le lit, un billet de vingt dollars sous l’oreiller, don du saint à sa fille spirituelle, dont il avait même deviné le besoin d’argent...
Ajoutons ici que cette même Anna eut le bonheur d’être exaucée après sa mort et après celle de Monseigneur Jean. En effet, étant allée, en 1968, trouver la Fraternité Saint Germain d’Alaska à San Francisco, elle avait raconté toute l’histoire que l’on vient de lire, et les autres miracles encore de Jean dont elle avait reçu le bienfait ; s’en allant, elle ajouta qu’elle aurait vivement souhaité être ensevelie par l’Archevêque Jean. Peu de temps après son retour chez elle, ayant assisté aux Vigiles de la Sainte Transfiguration, elle mourut durant la nuit. Cette nuit-là, Olga Semeniuk vit, en songe, la cathédrale de San Francisco, un cercueil qui était celui d’Anna, et Vladika Jean, avec l’encensoir, conduisant la cérémonie, tandis que résonnait le chant triomphal du choeur. Au matin, l’on apprit la mort d’Anna et l’on sut qu’au jour de la Sainte Transfiguration, saint Jean Maximovitch avait célébré les funérailles d’Anna dans le monde transfiguré, où les limites de la mort et du temps sont abolies.
Le prêtre George Larin, né en 1934, l’année même de l’arrivée de Monseigneur Jean à Shangaï, eut lui aussi le saint évêque pour père spirituel. Voici en quels termes il décrit leur rencontre :
«J’avais environ huit ou neuf ans quand, par une chaude journée d’été, je pénétrai dans l’immense cathédrale où régnait une fraîcheur constante, pour me reposer un peu. C’était un jour de semaine, vers sept heures du soir et dehors, il faisait encore grand jour. L’office, célébré par le prêtre de service, avait déjà commencé et la cathédrale restait pratiquement vide. A sa place, près de la colonne massive, entre le maître-autel et l’autel latéral de droite, face à son lutrin portant les livres liturgiques, se tenait Monseigneur Jean. J’appris plus tard qu’il assistait immanquablement aux neuf offices du cycle quotidien prescrit par l’Eglise Orthodoxe -y compris la Divine Liturgie- et qu’il communiait tous les jours. Après l’office, j’allai jusqu’à lui pour recevoir sa bénédiction. Il me demanda mon nom et m’invita chez lui pour bavarder. Je n’oublierai jamais qu’avant de quitter l’église, il fit de nombreuses prosternations au sol, devant chacune des icônes qui se trouvaient dans la cathédrale, comme s’il faisait ses adieux pour un temps à ses proches amis, les saints. Je le suivis, portant sa crosse. Ma jeune âme fut immédiatement attirée vers cet homme extraordinaire, car je sentais sans m’en rendre compte cet amour chrétien si profond dont le bon évêque «nourrissait» littéralement les êtres, et particulièrement les enfants. Pour la première fois de ma vie j’entrai dans son cabinet de travail, au premier étage du presbytère. Du plafond jusqu’au niveau de l’analogion, dans le coin, le mur de droite était complètement recouvert d’une multitude d’icônes de tailles variées. Pour une raison que j’ignore, il me semblait tout à fait naturel qu’aussitôt entré dans son bureau, il se mettrait à faire des prosternations devant les icônes et qu’il prierait à nouveau pendant longtemps. Enfin, il s’assit à son bureau qui était littéralement couvert de journaux et il eut une petite conversation avec moi. Tout comme il le ferait plus tard, il me parla de l’Eglise, de la vie des ascètes et des saints, des martyrs et des fêtes de l’Eglise. Je ne voulais plus rentrer à la maison ni quitter cet homme si peu ordinaire. Ainsi, il était déjà nuit quand l’évêque me donna sa bénédiction et m’ordonna de partir. A compter de ce jour, j’assistai quodidiennement aux offices qui se déroulaient dans la cathédrale, servant matin et soir dans le sanctuaire. Lors des fêtes, il consommait lui-même les Saints Dons après la Divine Liturgie et restait prier avec ferveur dans le sanctuaire, longtemps après le départ du prêtre qui avait officié. Et comme toujours, il vénérait toutes les icônes de la cathédrale avant de les quitter pour se rendre à son appartement...»
«Tous les enfants, dit encore le Père George, qui servaient dans le sanctuaire, petits et grands, aimaient l’évêque en dépit de sa rigueur -un jour, il avait ordonné à Michel, le gardien, d’en fouetter quelques uns, coupables d’un mauvais tour- et saint Jean devint pour moi le modèle que je décidai d’imiter en tout. Une année, durant le Grand Carême, je cessai de dormir dans mon lit pour coucher sur le sol ; je ne partageai plus les repas avec ma famille comme j’en avais l’habitude, me contentant de pain et d’eau, et ainsi de suite. Bouleversés par mon attitude, mes parents me conduisirent auprès du bon évêque. Après les avoir écoutés, il ordonna au gardien de se rendre à l’épicerie et d’en rapporter du saucisson. A toutes les objections que j’élevai, en larmes : «C’est le Grand Carême...», le sage archevêque ne répondit qu’en me faisant apporter une assiette de saucisson qu’il m’ordonna de manger jusqu’à la dernière miette, en n’oubliant jamais que l’obéissance à ses parents est plus importante que le jeûne que l’on s’impose de soi-même. «Alors, Vladika, comment devrai-je continuer ?» lui demandai-je, souhaitant toujours poursuivre mon podvig (exploit ascétique) par quelques pratiques spéciales. Mais lui se contenta de me répondre : «Continue de fréquenter l’église comme tu le fais, mais à la maison, fais ce que ton père et ta mère te disent». Je me souviens combien j'étais fâché qu'il ne m'eût pas prescrit quelque ascèse spéciale».
Dans son témoignage, le Père George rapporte un miracle dont il fut le témoin : tandis qu’il se trouvait un jour dans la cellule de l’évêque, le téléphone sonna. Vladika Jean, au cours de la conversation, écrasé de fatigue, s’assoupit et laissa le combiné tomber sur sa soutane. Or, il continuait d’entendre dans son sommeil, son correspondant, et murmurait à mi-voix des réponses que, contre toutes les lois physiques, son interlocuteur recevait pareillement !
Si hauts que fussent le charisme des guérisons et celui de la connaissance à distance, ils n'étaient pas les plus grands de ceux que Dieu avait donné à Jean. Comme le dit encore le Père George Larin : «Le souci de l'âme humaine. Telle serait, peut-être, la meilleure expression pour décrire le principe vital qui gouverna toute la vie et l'activité de ce juste, de cet homme de prière qui opérait des merveilles, grand -non seulement dans notre siècle de tiédeur, mais, j'en suis persuadé, dans toute l'histoire de l'Eglise universelle du Christ... Le plus frappant chez lui était son don de clairvoyance du coeur de l'homme et sa façon de l'attirer au Christ. Sans ce hiérarque plein de vertus, je n'eusse jamais songé servir l'Eglise dans le sacerdoce. Et quelle prédiction surprenante il nous fit de ce qui nous attendait ! Dans une lettre datée du 23 octobre/7 novembre 1949, qu'il nous adressa en Australie, à mon frère et à moi, alors que nous n'avions encore respectivement que treize et quinze ans et que, fraîchement débarqués des Philippines, nous avions déjà commencé à fréquenter moins souvent l'église, il nous donna cet avertissement : «Lorsque nous abandonnons les voies de Dieu, nous ne jouissons de nos corps que pour un temps ; après, nous ressentons l'amertume de ce mal qui nous semblait agréable». Aujourd'hui encore, trente-cinq ans après, je ne peux lire ces paroles prophétiques sans verser de brûlantes larmes de reconnaissance. Il savait que je lui écrirais le 15 mai/1er juin 1960 : «Oh, comme j'aimerais pouvoir te rencontrer et te parler, Vladika ! Tant de choses se sont produites et restent gravées dans ma mémoire depuis mon séjour aux Philippines que je ne me reconnais pas. L'aspiration spirituelle de mon enfance a été noyée dans le monde pécheur et matérialiste qui m'entoure». Mais ce grand saint vit que tous mes efforts n'étaient pas noyés et il continua de m'appeler au service de l'Eglise, me conseillant de «suivre un enseignement théologique et de prendre à cet effet une inscription au Séminaire de la Sainte Trinité. Que le Seigneur t'aide et te bénisse en cette voie» (lettre du 18/31 janvier 1961).
Doué de la diorasis, de la clairvoyance, Vladika se faisait tout à tous. S'adressant à des personnes qu'il n'avait jamais vues, il les appelait par leur nom et d'un mot, restaurait en elle la foi et le courage... Une juive russe avait un fils si malade qu'aucun soin n'avait pu le guérir ; elle sentait le désespoir la gagner. Ayant entendu raconter que, chez les orthodoxes, officiait à la cathédrale un certain Batiouchka Jean, dont les prières étaient toute-puissantes, elle s'y rendit et, à la fin de l'office, voyant l'évêque sur le point de quitter les lieux, l'aborda pour lui demander d'intercéder en faveur de son fils. Préférant que l'archevêque ignorât qu'elle était juive, elle avait résolu de dissimuler le nom de son fils et de l'appeler Michel. Peux-tu prier pour Micha, demandait-elle. Saint Jean la regarda et lui répondit : «Je prierai pour Moché (Moïse)», qui était le vrai prénom de l'enfant. Ce dernier, peu après, se rétablit.
Quand il visitait les hôpitaux, saint Jean prodiguait son amour à tous les souffrants, sans faire acception de personne. A l'hôpital de Shangaï, une Lettone, Maria Osolin, fut placée parmi des Russes. Elle-même raconta comment elle avait vu saint Jean distribuer des petits morceaux de prosphores aux malades. Il s'était dirigé vers elle, mais elle avait dit : «Je ne suis pas orthodoxe, mais je vous demande de beaucoup prier pour moi». Saint Jean lui répondit que ce n'était pas grave si elle n'était pas orthodoxe et lui donna un morceau de prosphore. Après avoir visité chaque malade, il partit. La dame se rétablit et gagna ensuite les Etats-Unis. «Je crois, disait-elle, en la prière de Monseigneur Jean et je sais que c'est lui qui m'a guérie». Lors d'une autre visite à l'hôpital, durant la semaine qui suit Pâques, saint Jean avisa, dans l'une des salles, un paravent derrière lequel une vieille femme juive se mourait. Ses parents, assemblés dans le vestibule, attendaient tristement l'annonce de sa fin. Elevant la sainte Croix au-dessus du paravent, le saint cria d'une voix forte : «Christ est ressuscité !» La malade reprend connaissance, demande à boire. Tout le personnel de l'établissement fut stupéfait ; celle que la mort avait frôlée se rétablit et rentra chez elle. Une autre dame juive, qui avait pour compagne de chambre une dame orthodoxe, se demandait si l'archevêque Jean, dont elle savait la prière pour les malades efficace, accepterait de prier pour une personne d'une autre confession. Sa voisine intercéda pour elle, et saint Jean dit : «Devant Dieu, tous sont égaux» et, après lui avoir demandé son nom, il se mit à prier. En quelques jours seulement, cette femme se rétablit ! Elle vint ensuite voir Monseigneur Jean à la cathédrale : «Vous avez prié pour moi et aujourd’hui je suis en bonne santé ; je veux devenir orthodoxe». L’évêque cependant lui répondit que, si sa guérison miraculeuse était l’unique raison qui la poussât à demander le baptême, alors ce n’était pas une raison suffisante et il ne la baptisa point.
Un espagnol se trouvait dans un hôpital français tenu par des soeurs catholiques. Son état paraissait si désespéré qu’il avait été isolé derrière un paravent afin que nul ne vînt le déranger durant les derniers instants de sa vie. Il devait mourir d’un moment à l’autre. Soudain, la cloche d’appel sonna dans sa chambre. Une infirmière accourut et le vit qui s’était, de lui-même, mis sur son séant ; il lui adressa cette question : «Qui était ici à l’instant ? Quelle sorte de prêtre ? J’étais mourant, il a prié pour moi et j’ai senti les forces me revenir». La soeur répondit qu’elle n’avait vu personne. Lorsqu’il eut quitté l’hôpital, cet homme visita toutes les églises catholiques dans l’espoir d’y trouver son guérisseur. L’un des prêtres catholiques qu’il rencontra lui suggéra de visiter aussi la cathédrale orthodoxe et d’y jeter un coup d’oeil car, comme il le lui expliqua, un évêque peu ordinaire y officiait, une sorte de fol-en-Christ. Or, à cette époque-là, de nombreux agents soviétiques rendaient visite à l’évêque Victor de Pékin qui avait rejoint Moscou et, craignant pour Monseigneur Jean, plusieurs jeunes gens de l’orphelinat ou des écoles de commerce, se relayaient pour ne pas le laisser sans surveillance. Un soir, donc, durant les Vêpres, ils virent entrer un homme taillé comme un géant, vêtu d’un superbe complet bleu et portant une énorme fleur rouge au revers de sa veste. Les fidèles, inquiets, pensèrent qu’il s’agissait d’un bolchevique, car ceux-ci avaient l’habitude de porter du rouge, en signe de reconnaissance. Après Vêpres, quand tout le monde vint recevoir la bénédiction de l’évêque avant de se retirer, les enfants spirituels de Vladika Jean, voyant l’homme approcher, se mirent avec calme et détermination à entourer leur pasteur, bien décidés, au cas où un danger se préciserait, à le défendre, au moins par le poids du nombre. A leur grande surprise, ils virent le colosse s’agenouiller devant le saint et demander sa bénédiction. Il expliqua ensuite qu’il venait de retrouver celui qui l’avait, si miraculeusement, guéri à l’hôpital. Le visage du saint s’illumina, il lui sourit et le bénit. Tous poussèrent un soupir de soulagement : aucun danger ne menaçait sa vie, mais la gloire de Dieu rayonnait tout autour de lui. L’homme débordait de reconnaissance, l’appelant un hiérarque universel.
«Toutes les nations ont vu le salut de notre Dieu» et à ceux même «qui n’avaient pas entendu parler» de la foi orthodoxe, Monseigneur Jean en révélait la puissance en répandant les guérisons. Il se faisait ainsi tout à tous ; mais ne confondait jamais les bienfaits de la bonté de Dieu avec la grâce du salut, que Dieu tient en réserve pour ceux qui, sans y être contraint, prennent leur croix et marchent à la suite du Christ.
En lui existaient la tendresse et la rigueur ; la rigueur dans la confession de la foi -et c’est durant les années de Shangaï qu’il écrivit sa réfutation de la sophiologie de Boulgakov, dont nous reparlerons- et la miséricorde à l’égard de toutes les faiblesses. L’Eglise orthodoxe n’a-t-elle pas recours tantôt à l’acribie -application exacte des règles- et tantôt à l’économie ? Vladika savait que la base de l’économie est la confession juste de la foi. Sur ce fondement, il édifiait sa conduite dans l’Eglise.
Comme il lisait dans les coeurs, le saint évêque savait quand il fallait tempérer les canons et quand, au contraire, la parole devait se faire plus sévère, pour reprendre et redresser les âmes. Une dame était venue lui parler de sa soeur, qui, restée en Russie, avait perdu la raison. Elle lui demanda ses prières, sans toutefois lui dire le nom de sa soeur. Après l’avoir entendu, l’archevêque la bénit, puis partit sans dire une parole. Fâchée de voir combien peu il s’apitoyait, la dame avait éclaté en sanglots et murmuré contre ceux qui lui avaient conseillé de venir le trouver. Or, quelque temps après, elle revint à la cathédrale, portant une lettre qui lui annonçait la guérison de sa soeur. Elle venait en remercier le Seigneur, mais elle pensait dans son coeur, à l’adresse de l’archevêque qui était en train d’encenser l’Eglise : «Vous voyez ! Même sans vos prières, ma soeur a recouvré la santé !», lorsque passant près d’elle et l’encensant, il lui dit : «Eh bien, rendez gloire à Dieu ! Votre soeur Barbara va bien !» Et il continua son encensement, tandis que la malheureuse, pleine de confusion, aurait voulu disparaître sous terre. Elle avait mis en doute la prière d’un saint qui lisait dans les pensées et à qui le Seigneur révélait même les choses cachées ! Un autre fidèle, le futur moine Nestor (Levitin), témoigne de la tendresse de Vladika Jean et de sa justesse de vue spirituelle : «Un samedi soir, les cloches sonnèrent à six heures pour les Vigiles et j’allai devant les portes de la cathédrale. Je désirais recevoir la Sainte Communion le lendemain, mais je dois dire que je n’en avais parlé à personne. Comme j’approchai des portes, je vis saint Jean venir de l’autre bout de l’église ; il venait manifestement d’une de ses visites à l’hôpital de la Fraternité Orthodoxe. Je me dirigeai vers lui pour prendre sa bénédiction et il me demanda : «Tu vas communier demain ?
- Non, Vladika, répondis-je.
- Mais pourquoi ? reprit le saint.
- En fait, j’en avais l’intention, mais j’ai rendu visite à Basile Ivanovitch et il m’a offert un peu de viande. (Bien que ce ne fût pas une période de carême, je m’abstenais toujours de viande avant de communier).
- Que ressens-tu dans ton âme ? demanda le saint.
- Je me repens, Vladika, répondis-je.
- Alors, qu’est-ce que la viande vient faire là ? Je te donne ma bénédiction pour communier !»
Ainsi Vladika faisait passer du culte extérieur au culte spirituel.
«Les grands charismes, écrit Père Ambroise dans sa vie de saint Nectaire d’Egine, comportent de redoutables épreuves». De telles épreuves, Monseigneur Jean les connut, par la permission de Dieu. Un jour de semaine, alors qu’il assistait à la liturgie célébrée par un des prêtres de la cathédrale, ce dernier, dans son sermon, s’emporta contre son évêque qu’il traita de serpent, de crapaud et de scorpion. Impassible, saint Jean poursuivit sa lecture du livre d’offices ouvert devant lui sur le pupitre. Quand des fidèles, scandalisés, lui demandèrent de sévir contre le misérable, il refusa de prendre la moindre sanction, alléguant qu’il s’agissait là d’une affaire personnelle. Tant son coeur ignorait la rancune !
Ses ennemis allèrent jusqu’à l’empoisonner. Son état parut si alarmant que les médecins lui recommandèrent de tout abandonner et d’entrer dans un sanatorium. Ils lui donnaient deux mois de vie. Il refusa, demandant qu’une pieuse femme nommée Olga Ivanovna Seminiuk priât pour lui. Les médecins acceptèrent qu’elle s’occupât de lui, ses jours étant désormais comptés. Elle entreprit de le soigner ; le Carême approchait : elle lui fit, durant la semaine des laitages, des varenniki à la crème et d’autres plats de ce genre. Vint la première semaine du jeûne, où il ne mangea rien et ne but ni thé ni café. Le samedi, il consommait une soupe de légumes sans huile. La pieuse Olga lui préparait-elle des légumes, il disait : «Prépare-les séparément», c’est-à-dire, sans mélanger diverses sortes de légumes. Par ascèse, il mangeait soit uniquement de la betterave, soit de la carotte, soit des pommes de terre seules... La personne qui lui préparait son plat le surveillait pendant qu’il mangeait, pour s’assurer que nul ne touchât à sa nourriture. Et il guérit...
Une autre tentative d’empoisonnement eut lieu après la Sainte Pâque. A l’issue de la Liturgie, Monseigneur Jean, selon sa coutume, était resté dans le sanctuaire pour consommer les Saints Dons. En sortant, il fut pris de vomissements. Une servante de l’église, Anna Chijoff, ramassa la vomissure et l’enterra dans le jardin. Le poison se cachait probablement dans le vin destiné au nettoyage du calice. Plus tard, le prêtre Medvedyev, sentant sa fin prochaine, s’accusa d’avoir, dans sa haine de l’archevêque, perpétré ce crime, dont il demandait pardon et Monseigneur Jean se réjouit de son repentir.
Lorsque la Seconde guerre mondiale éclata, la situation devint difficile pour la cité de Shangaï. La cathédrale de la Mère de Dieu Protection des Chrétiens se trouvait dans la concession française. Outre l’autel principal, elle comportait une chapelle dédiée à saint Innocent d’Irkoutsk et une autre à saint Siméon le Zélote. Dans le conflit sino-japonais, cette église fut le théâtre de violents combats. Les Chinois avaient ouvert le feu contre les cuirassés nippons, à l’ancre sur la rivière Wampoo, dissimulés par un grand bâtiment de trente-six appartements, au milieu desquels se trouvait l’église orthodoxe. Le feu chinois détruisit les appartements, jusqu’aux fondations, à l’exception d’un seul. Les obus pleuvaient. Dès la première explosion, les habitants s’enfuirent. Au premier étage, dans une ancienne cuisine, devenue réserve de médicaments, un obus pulvérisa étagères et bocaux. Un appartement toutefois restait intact ; tous ceux qui l’entouraient était démolis, mais ses murs n’offraient pas une fissure. C’était l’église.
Informé, Monseigneur Jean décida d’aller sur les lieux. De nuit, donc, à l’heure où les rues de la concession étaient désertes, il partit pour sa visite. Arrivé au pont du canal, il fut arrêté par la garde japonaise et comme les soldats ne le comprenaient pas, l’un d’entre eux courut chercher un interprète qui apprit à l’évêque que personne ne passait car tout le long de la rue, une bataille mettait aux prises l’infanterie chinoise et les marines japonaises. Les rumeurs du combat leur parvenait distinctement. L’interprète ajouta : «Vous marchez à une mort certaine». L’évêque, qui tenait à passer coûte que coûte, demanda un permis écrit que l’interprète lui rapporta du quartier général. Le saint descendit la rue sombre et, lorsqu’il pénétra dans la zone de combat, les coups de feu cessèrent. Ils ne reprirent que lorsqu’il quitta les lieux. Après avoir visité l’église, il revint de la même manière. Quand il repassa le pont, la garde japonaise, stupéfaite, lui fit le salut militaire. Il raconta ensuite que, dans l’église, toutes les vitres étaient intactes et pas une icône n’était tombée.
Avec la guerre, pour la communauté orthodoxe de Shangaï, sonnait aussi le temps de l’épreuve de feu spirituelle. Le tyran Staline, en effet, comprenant qu’il ne parviendrait à susciter le sursaut patriotique de son peuple qu’en s’appuyant sur l’Eglise, et désireux, d’autre part, de mettre fin à l’Eglise Russe Hors Frontières, pour dominer les Russes exilés, commanda l’élection d’un «Patriarche». Nulle part, la campagne publicitaire ne fut mieux orchestrée qu’en Extrême-Orient. Un film circula, montrant l’élection du Patriarche Alexis ; des bruits couraient sur le retour de la liberté religieuse en Union Soviétique ; les agents de Staline faisaient vibrer, en virtuoses, toutes les cordes du patriotisme russe. Le Métropolite Anastase, tête de l’Eglise Russe Hors Frontières, demeurait au loin et, durant les années de guerre, les Russes de Chine n’avaient pu entretenir aucun contact avec leurs frères d’Occident. Des milliers de Russes tombèrent dans les griffes de Staline, ainsi que cinq des six hiérarques d’Extrême-Orient : ils se soumirent au Patriarche de Moscou, demandèrent des passeports soviétiques ; un grand nombre, dont quatre évêques, retournèrent en URSS... et, de la plupart d’entre eux, nul n’entendit plus jamais parler.
Résistant aux pressions, aux violences et aux intimidations, dont les tentatives d’empoisonnement faisaient partie, Vladika Jean refusa de prendre aucune décision avant de savoir des nouvelles du Métropolite Anastase. Ce n’est que sur la fin de 1945 qu’il apprit que le Synode existait toujours, et qu’il vit le film concernant l’élection d’Alexis. Aussitôt, renouvelant sa fidélité au Synode Russe Hors Frontières et au serment qu’il lui avait donné, il rejeta, comme anticanonique, l’élection du pseudo-patriarche. Ce fut alors que les jeunes de l’entourage de Monseigneur Jean se mirent sur le qui-vive, craignant que les soviétiques ne vinssent l’enlever dans un navire soviétique.
Or le supérieur immédiat de Vladika Jean, l’Archevêque Victor de Pékin, prit lui-même un passeport soviétique. Le recteur de la cathédrale de Shangaï, le protoprêtre Michael Rogozhin, avait fait de même. Un jour, le consulat soviétique annonça à Monseigneur Jean la visite de l’Archevêque Victor. Vladika Jean assembla son clergé et déclara qu’il ne rencontrerait pas Victor. Le prêtre chinois Elias Wen, qui rapporte cette histoire, faisait partie de ceux qui restèrent fidèles à l’Eglise et soutinrent Monseigneur Jean. L’Archevêque Victor arriva de Pékin, entouré de huit jeunes des Komsomol et se rendit à la cathédrale comme le Père Michel y achevait un moleben. Le lendemain, Victor, rencontrant Elias Wen, l’accusa d’être du parti des «Joanites». «Oui, répondit-il, et savez-vous pourquoi nous le soutenons ? Si vous désirez le savoir, je vous le dirai. Qui a amené Vladika ici ? C’est vous qui nous l’avez amené. Après son installation, vous êtes venus vous-même à plusieurs reprises et vous lui avez dit : Vladika Jean, je vous estime, je reconnais la haute tenue de votre vie, vous êtes un excellent guide. Poursuivez dans cette voie. Et si le clergé ne vous obéit pas, n’hésitez pas à le corriger. Vladika, n’avez-vous pas dit ces choses ?» «Si, c’est vrai», reconnut l’évêque Victor. «Voilà pourquoi nous l’écoutons. A présent, c’est vous qui êtes contre lui. Vous êtes devenus citoyen soviétique, il nous est impossible d’être en communion avec vous. Pour moi, je suis chinois ; notre clergé est demeuré blanc, mais vous êtes un rouge. Faites comme il vous plaira...»
Victor déposa Monseigneur Jean de son siège de Shangaï et lui interdit d’officier. Ce dernier, sans l’ombre d’une crainte, se rendit dans la cathédrale, monta en chaire et annonça : «Je ne me soumettrai à cet oukase que s’il est prouvé par la Sainte Ecriture et par les lois de quelque pays que ce soit, que rompre son serment soit vertu, et lui rester fidèle, péché gravissime». Et nonobstant l’interdit, il servit la Divine Liturgie. Les fidèles, ralliés à lui, témoignaient par leur attitude de la sainteté personnelle de leur archevêque, non moins que de la justesse de sa confession. Il réussit ainsi à sauver six mille croyants des horreurs des camps de concentration soviétiques et de l’erreur subtile du sergianisme, cet abattoir des âmes. Le courageux témoignage que Monseigneur Jean rendait à la Vérité lui valut la haine inexpiable du Patriarcat de Moscou et l’honneur -car c’en était bien un- de se voir calomnier dans le Journal du Patriarcat qui parlait du «schisme de l’évêque suffragant Jean Maximovitch». Monseigneur Jean rejoignait ainsi le Métropolite Joseph et les saints confesseurs des catacombes qui, depuis 1927, souffraient de la part des impies. Comme le dit saint Photios le Grand : «L’innocence se rit des punitions décrétées par ces gens-là (les ennemis de la Vérité) ; elle fait justement retomber sur eux la condamnation et la transforme, pour leur victime, en couronnes inflétrissables et en gloire éternelle».
Couronne inflétrissable au front de Monseigneur Jean, le salut de son troupeau, qu’il assura par ses prières ardentes au Dieu Trinité. Une fidèle russe raconte qu’à la fin de la guerre, lorsque les premiers américains arrivaient à Shangaï, elle reçut chez elle trois pilotes. Le chef d’escadrille déclara à ses hôtes : «Ici, à Shangaï, se trouve un saint grâce auquel vous ne subissez aucun dommage». Et de raconter qu’un jour il avait reçu l’ordre de bombarder la ville. Quelques minutes seulement avant le vol, un contrordre était arrivé : «Nous avons compris, disait l’aviateur, que quelqu’un priait pour vous, pour votre salut». Dans l’esprit de tous les auditeurs de cette histoire, un seul nom, bien sûr, apparut, celui du serviteur de Dieu Jean.
Pasteur donnant sa vie pour ses brebis, Vladika partagea toutes les souffrances de son troupeau, d’abord à Shangaï durant la guerre puis dans le difficile exode qui suivit. Les Russes furent dirigés vers les Philippines. Quoique l’archevêque eût déjà un passeport américain, il resta avec les siens sur l’île de Tubabao. Il y réorganisa la vie religieuse, rétablissant couvent, églises, cathédrale même -ouverte dans les baraquements militaires. Souvent l’on voyait l’archevêque bénir le camp ; un matin, raconte Madame Petukhov, Vladika fit le tour de toutes les tentes, en les bénissant. La nuit venue, un cyclone fit rage à travers l’île, mais laissa le camp intact. Ces lieux furent épargnés tout le temps qu’ils servirent de refuge à l’homme de Dieu et à son troupeau. A peine ces derniers furent-ils partis, qu’un typhon dévasta le campement abandonné. Les indigènes ne doutèrent pas de la sainteté de Jean. Ces signes sont voilés aux incrédules, mais clairs aux yeux qui voient : «Vous savez discerner l’aspect de la terre et du ciel, comment ne discernez-vous pas ce temps-ci ?»
A Tubabao, Monseigneur Jean visitait sans relâche les malades, distribuant des évangéliaires de poche et de petites icônes. Un jour, comme il pénétrait dans l’hôpital russe, il entendit, venant de loin, des cris épouvantables. Une infirmière, interrogée, lui apprit qu’une malade, dont l’état était désespéré, dérangeait les autres patients avec ses hurlements et avait donc été transportée dans un bâtiment adjacent, celui d’un ancien hôpital militaire américain. Saint Jean décida sur-le-champ d’aller voir cette femme, mais l’infirmière voulut l’en dissuader : la malade exhalait une odeur écoeurante. «Cela ne veut rien dire», répondit-il et, à grandes enjambées, il se hâta vers le bâtiment voisin, accompagné du futur prêtre George Larin, témoin de cette histoire. L’infirmière avait dit vrai ; mais, sans être troublé par la puanteur, Vladika posa une croix sur la tête de la malheureuse et se mit à prier. Son compagnon quitta la pièce, tandis qu’il continuait sa prière ; puis il confessa la malade et lui donna la Sainte Communion. Au départ de l’archevêque, elle avait cessé de crier, se contentant de gémir faiblement. Quelque temps passa... L’évêque revint visiter l’hôpital ; à peine sa jeep pénétrait dans l’enceinte, qu’une femme sortit en courant et se jeta aux pieds du saint évêque. Celle que les médecins terrestres condamnaient avait recouvré la santé par les prières de son père selon l’Esprit.
Un plus grand exploit de prière l’attendait néanmoins. Nul n’ignore la rigueur avec laquelle les Etats Unis d’Amérique maintiennent leurs quotas d’émigration. Vladika fit le voyage des U.S.A. pour obtenir des puissants de ce monde l’accueil de ses petits orphelins et des autres réfugiés russes. Sur les marches du Congrès, il resta en prière, jusqu’à ce que Celui qui incline le coeur des rois à droite et à gauche l’ait exaucé et qu’une loi spéciale permît l’installation aux Etats Unis des protégés de Monseigneur Jean.
Nous ne saurions dire pourquoi la cathédrale où Vladika célébrait ne fut pas détruite par les communistes, ni pourquoi l’édifice, aujourd’hui, abrite une bourse de commerce, ni combien de temps cette situation durera. Le Seigneur le sait, qui tient les clefs de l’Histoire. Le sens des événements nous apparaît lorsque les ténèbres des hommes sont passées, de la même façon que l’icône révèle le visage d’éternité des saints. Ecoutons encore deux témoignages sur la liturgie de l’archevêque Jean de Shangaï : «Qui pourrait jamais oublier l’office de la nuit de Pâques dans la cathédrale ? De quel éclat brillait Vladika ! Spectacle qui n’était pas de ce monde ! A chaque encensement, il semblait faire d’un élan tout le tour de la cathédrale. Avec quelle joie exultante il clamait, ou plutôt, lançait à pleins poumons le salut pascal de la victoire ! Je n’avais jamais rien vu de tel nulle part...» Comment, se demande le prêtre George, expliquer «son visage littéralement transformé lors des grandes fêtes durant la Divine Liturgie, rayonnant d’une lumière qui n’était pas de ce monde ; et ses yeux, toujours débordant de divin amour, devenus clairs miroirs de l’ineffable joie -que nous pécheurs ne saurions atteindre- que donne la présence du Saint Esprit. Ou comment, lors de la nuit pascale, il volait à l’entour dans la vaste cathédrale de Shangaï -on l’eût dit porté par les anges- et dans son débordement d’allégresse, faisait retentir l’acclamation victorieuse : «Christ est Ressuscité ! Christ est Ressuscité !»

Confesseur de la foi

La fidélité de Monseigneur Jean à la hiérarchie non-sergianiste avait fait de lui un confesseur de la foi, éprouvé comme l’or au creuset des persécutions.
Toute sa vie durant, Monseigneur Jean lutta pour la foi que tout évêque orthodoxe s’engage à garder à tout prix. La Diaspora russe, en effet, se trouvait dispersée, surtout en Occident, au milieu de confessions hétérodoxes et la méconnaissance du dogme orthodoxe risquait d’entraîner les fidèles dans les hérésies, ou pire encore, dans l’indifférentisme dogmatique et dans l’oecuménisme qui commençait à se répandre.
Comme le disait saint Jean Chrysostome : «Celui qui est obligé, en qualité de pasteur, de corriger l’ignorance des autres et de les avertir que le démon s’avance pour les combattre, ne peut pas s’excuser sur son ignorance et venir dire : Je n’ai pas ouï la trompette, je n’ai pas prévu la guerre, puisque c’est à lui de leur servir de trompette...» Sentinelle vigilante de la maison d’Israël, Vladika Jean dénonça l’enseignement de Serge Boulgakov en rappelant le véritable enseignement patristique, cité dans les textes originaux. Ses écrits théologiques, comme le remarquait le Père Séraphim Rose de la Fraternité Orthodoxe Saint Germain d’Alaska, qui en a entrepris la publication en anglais, ne s’adressent pas aux savants, mais à la conscience orthodoxe non corrompue des fidèles. Les sources qu’ils citent sont la Sainte Ecriture, les Saints Pères et, avec plus d’abondance peut-être qu’aucun autre théologien, les saints offices de l’Eglise. Ce trait prouve combien Vladika était plongé dans la conscience priante de l’Eglise et confond l’orgueil des auteurs de «systèmes» anti-ecclésiaux.
Les écrits théologiques de l’archevêque Jean rappellent en effet aux enfants de l’Eglise les dogmes attaqués par les hérésies anciennes que rencontrait partout la Diaspora russe, ou par les hérésies nouvelles qui surgissaient dans son sein. Ainsi, dans son livre sur La Vénération Orthodoxe de la Mère de Dieu, l’Archevêque Jean réfute l’hérésie du catholicisme romain qui, par la doctrine de l’Immaculée Conception, tend à faire de la Mère de Dieu un dieu par nature, «un complèment de la Sainte Trinité» ; puis il ajoute : «Sont entrés sur le même chemin un groupe de penseurs qui, pour le moment, appartiennent à l’Eglise Orthodoxe, mais qui sont en train d’édifier un nouveau système théologique fondé sur la doctrine philosophique de la Sophia, la Sagesse, conçue comme une puissance particulière liant la Divinité et la création... Sur certains points, ils sont plus modérés que les théologiens latins, mais sur d’autres, permettez-moi de dire qu’ils les ont déjà largement dépassés... (ils disent que) dans la Personne du Christ a paru sur terre la Seconde Personne de la Sainte Trinité, le Verbe pré-éternel, le Fils de Dieu, tandis que le Saint Esprit est rendu manifeste à travers Marie la Vierge»...
La même Fraternité de Saint Germain écrivait encore ceci de la fermeté de l’Archevêque Jean : «Il interdisait à son clergé toute participation aux offices ’panorthodoxes’ à cause de la canonicité douteuse de certains participants ; et il secouait la tête en signe d’incrédulité devant les activités des ’oecuménistes’. Il était d’une rigueur absolue en ce qui concerne la sainte doctrine de l’orthodoxie... Quiconque l’a vu n’est pas près d’oublier le regard redoutable de Vladika abaissant les trikeria (chandeliers) épiscopaux lors de la proclamation des anathèmes contre les hérétiques, le Dimanche de l’Orthodoxie ; alors, il ne faisait qu’un avec l’Eglise excluant de son sein tous ceux qui rejettent la foi intègre et salvatrice de l’orthodoxie. Cette attitude procédait non de quelque ’pharisaïsme’ ou ’fanatisme’ étroit, mais de la même crainte de Dieu que Vladika conserva toute sa vie, et qui interdit à quiconque de transgresser la Loi de Dieu sinon au péril de son propre salut».
Protégeant son troupeau contre toutes les déviations, Monseigneur Jean «défendait avec fermeté le calendrier ecclésiastique (Julien) contre les innovateurs néo-calendaristes». Il savait, en effet, quel danger fait courir à l’orthodoxie le changement d’un seul point de la tradition. En 1938 se tint, en Yougoslavie, une importante réunion du Synode des évêques, sous la présidence du Métropolite Anastase, successeur du Métropolite Antoine. Monseigneur Jean, secrétaire de l’assemblée, présenta un rapport sur les Eglises Autocéphales. Il y décrivit notamment, sans complaisance, la marche du Patriarcat de Constantinople dans le XXème siècle : «L’autorité morale des Patriarches est tombée très bas en raison de leur extrême instabilité en matière ecclésiastique. Ainsi le Patriarche Mélétios IV a organisé un «Congrès Pan-Orthodoxe» comprenant des représentants de différentes Eglises, qui décréta l’introduction du Nouveau Calendrier. Le décret, reconnu seulement par une partie de l’Eglise, a introduit un schisme dramatique parmi les Chrétiens orthodoxes. Le Patriarche Grégoire VII a reconnu le décret du concile de l’Eglise Vivante portant la déposition du Patriarche Tykhon que, peu de temps auparavant, le Synode de Constantinople avait déclaré être un «confesseur», et le Patriarcat reste, encore à présent, en communion avec les rénovationnistes4 de Russie». Vladika Jean demandait aussi aux familles russes de ne pas suivre le calendrier civil quand il s’agissait de donner aux enfants des cadeaux de Noël : il fallait attendre la fête orthodoxe de la Nativité du Seigneur, le 25 décembre du calendrier ecclésiastique, 7 janvier du calendrier civil.
Monseigneur Jean avait mesuré exactement le sens de la politique du Patriarcat de Constantinople et les dangers qu’elle faisait courir à l’orthodoxie. La perte de la plus grande partie de son territoire et son humiliation politique en Turquie, expliquait-il devant le Sobor des évêques, a poussé ce patriarcat à tenter de s’étendre dans le monde entier. «Simultanément, ajoutait-il, l’on a procédé à l’assujettissement des différentes parties de l’Eglise Russe Orthodoxe qui avait été arrachée de Russie». C’est ainsi que la Finlande, l’Estonie, la Pologne, la Lithuanie passèrent sous la surveillance du Patriarcat oecuménique. «Au total, le Patriarcat Oecuménique, embrassant en théorie presque l’univers tout entier, et n’étendant en fait son autorité que sur quelques diocèses, n’ayant dans d’autres endroits qu’un droit de regard supérieur superficiel et recevant par ce moyen quelque revenu ; persécuté sur son territoire propre par le gouvernement turc, et ne jouissant, à l’étranger, d’aucun appui gouvernemental ; ayant perdu son rôle de pilier de la Foi et devenant lui-même cause de division ; possédé en même temps d’un amour démesuré du pouvoir -offre un spectacle désolant qui rappelle les pires périodes de l’histoire du Siège de Constantinople».
Par la modification du calendrier ecclésiastique et l’ambition de «ramasser toute la terre», le Patriarcat de Constantinople entrait dans la voie du modernisme et de la complaisance à l’égard du monde. C’est dans un sens diamétralement opposé que Monseigneur Jean comprenait le rôle universel de la Diaspora et celui de la mission.
Pour comprendre la grandeur, la hardiesse et la force de l’oeuvre missionnaire de Vladika Jean et le contexte dans lequel elle s’est déroulée, il convient de revenir sur l’origine de la diaspora russe et le sens spirituel de cet exil.
Dans un autre rapport au Synode de 1938, intitulé L’état spirituel du peuple russe dans la diaspora, Vladika Jean répond à trois questions : pourquoi le Seigneur a-t-il permis le châtiment qui s’est abattu sur le peuple russe ? qu’attend-Il, désormais, de son peuple, et particulièrement de ceux qui habitent le monde dit libre ? comment, enfin, les Russes ont-ils, jusqu’à présent, répondu à cet appel et que doivent-ils faire pour l’avenir ?
«Le peuple russe a, dans son ensemble, commis de grands péchés, qui sont la cause des malheurs présents : j’ai nommé la violation de son serment et le régicide... Coupables du péché de régicide sont non seulement ceux qui perpétrèrent effectivement ce crime, mais le peuple entier, qui se réjouit lorsque le Tsar fut renversé et qui accepta sa déposition, son arrestation, son exil, le livrant sans défense aux mains des assassins... Ainsi, la calamité qui atteint la Russie est une conséquence directe de péchés effroyables et sa renaissance ne sera possible que lorsqu’elle en aura été lavée... Tout en châtiant le peuple russe, le Seigneur, dans le même temps, lui indique le chemin du salut en faisant de lui le prédicateur de l’orthodoxie à travers le monde».
Avec les «grands yeux de la foi» Monseigneur Jean discerne donc, dans la présence des Russes sur tous les continents, à la fois une punition divine et une voie de pénitence et de salut, si le peuple russe, purifié par l’exil et la souffrance, accepte la nouvelle mission que Dieu lui confie.
Un orthodoxe a dit justement : «Notre Eglise est confessante et missionnaire, non qu’elle puisse faire un choix différent, mais de par sa nature même». Où qu’il soit, l’orthodoxe doit rayonner la lumière de la foi, tout en restant conscient de son caractère de «miroir indigne» de la Vérité.
Monseigneur Jean analyse aussi l’origine des déchéances spirituelles de la diaspora russe. «Un nombre important des Russes de l’émigration vient de la classe des intellectuels qui vivait naguère selon les idées de l’Occident. Quoique qu’ils appartinssent à l’Eglise orthodoxe et se reconnussent comme tels, les membres de cette classe s’étaient égarés loin de l’orthodoxie dans leur vision du monde. Leur péché principal était de ne pas fonder leurs croyances et leur manière de vivre sur les enseignements de la foi orthodoxe ; ils essayaient de concilier les règles et les doctrines de l’Eglise avec leurs propres désirs et habitudes. En conséquence, ils ne montraient, d’une part, qu’un intérêt très médiocre pour l’essence même de la doctrine orthodoxe, considérant même souvent les dogmes de l’Eglise comme quelque chose de tout-à-fait secondaire ; et, d’autre part, ils n’observaient les rites et les exigences de l’Eglise Orthodoxe que dans la mesure où cette pratique n’entrait pas en conflit avec leur mode de vie plus européen que russe. Cette attitude les conduisit à négliger les carêmes, à ne fréquenter l’église que brièvement et davantage pour des motifs esthétiques que par sens religieux, enfin à perdre toute conscience de la foi religieuse comme fondement principal de la vie spirituelle. Un grand nombre, assurément, avait d’autres dispositions intérieures ; mais peu montrèrent suffisamment de forces spirituelles et de capacités pour le manifester au grand jour dans leur mode de vie».
Avec clairvoyance, le saint Archevêque note toutes les conséquences du retour des intellectuels à l’Eglise : «Une partie de l’intelligentsia fut détruite, une autre assura son salut par la fuite à l’étranger... Se retrouvant hors de ses frontières, le peuple russe connut un grand ébranlement spirituel. Dans la plupart des âmes, ce fut une crise profonde, qui se traduisit par le retour massif des intellectuels à l’Eglise. Beaucoup d’églises à l’étranger sont pleines, avant tout, de ce type d’hommes... De nombreux cercles et sociétés se sont formés pour répandre la lumière de l’enseignement religieux. Leurs membres étudient les Saintes Ecritures, les oeuvres des Saints Pères, les points généraux de la vie spirituelle et de la théologie, et beaucoup d’entre eux entrent dans le clergé. Toutefois, ces manifestations encourageantes ont leur revers. Il s’en faut de beaucoup que tous ceux qui reviennent à la foi aient adopté l’enseignement orthodoxe dans sa plénitude. L’esprit d’orgueil ne saurait avouer qu’il s’est tenu, jusque là, sur un chemin erroné. Beaucoup ont déjà tenté un accommodement entre l’enseignement chrétien et leurs idées et opinions de naguère. D’où l’émergence de tout un éventail de nouveaux courants philosophico-religieux, dont certains sont complètement étrangers à la doctrine de l’Eglise. L’un de ces courants, particulièrement répandu, est la Sophiologie. Elle se fonde sur la reconnaissance d’une valeur de l’homme en lui-même et par lui-même. C’est l’expression de la psychologie des membres de l’intelligentsia. Comme doctrine précise, la Sophiologie n’est connue que d’un groupe relativement restreint et très peu nombreux sont ses adhérents déclarés. Néanmoins, une part importante des émigrés de l’intelligentsia entretient avec elle des liens spirituels, parce que la psychologie qu’elle reflète a pour base le culte de l’homme, non pas comme humble serviteur de Dieu, mais au contraire, comme petit dieu lui-même, qui n’a pas besoin d’obéir en aveugle au Seigneur Dieu. Un sentiment aigu d’orgueil, associé à la foi dans les capacités de l’homme qui vit de sa propre sagesse, tels sont les traits saillants d’un grand nombre de ces hommes que les critères du jour nous font qualifier de «gens cultivés». Ces personnes font de leurs propres raisonnements la norme suprême et ne consentent nullement à suivre en tout les préceptes de l’Eglise sur laquelle elles jettent un regard favorable mais condescendant. Il en est résulté, pour l’Eglise de la diaspora, les secousses des schismes successifs qui lui ont fait beaucoup de mal jusqu’à présent et ont même entraîné une partie de la hiérarchie».
Ces dernières phrases font allusion aux louvoiements du Métropolite Euloge, qui présidait au diocèse d’Europe d’Occidentale et avait son siège à Paris, dans la cathédrale de la rue Daru. Monseigneur Jean dévoile la racine de cette «politique ecclésiastique». En 1922, les soviétiques avaient relâché un groupe d’intellectuels orthodoxes, dont faisait partie le Père Serge Boulgakov. Celui-ci, devenu recteur de l’Institut de Théologie Saint-Serge de Paris, se mit à y enseigner ouvertement sa doctrine de la Sophia. C’est dans cette hérésie que Monseigneur Jean discerne le ferment d’orgueil qui devait conduire au schisme. En effet, au lieu de condamner la sophiologie de Boulgakov, Euloge devint l’otage de ses partisans. En 1926, lors d’une réunion du Synode des évêques de l’Eglise Hors Frontières, qui siégeait toujours en Yougoslavie, Euloge, craignant les critiques, le quitta brusquement. Il se rattacha alors à ce qu’il nommait «l’Eglise-Mère» de Moscou, laquelle, sous la conduite du Métropolite Serge devenait la vassale fidèle de l’Etat communiste athée. Selon les termes de la Déclaration de loyauté souscrite par Serge en 1927 et par Euloge après lui, ces loups-pasteurs exprimaient leur «reconnaissance au gouvernement soviétique pour son attention aux besoins spirituels du peuple orthodoxe» et partageaient de coeur les joies et les malheurs du régime. En 1930, exclu du sein de «l’Eglise-Mère» pour avoir prié avec les catholiques pour le salut de la Russie, le Métropolite Euloge fut reçu par le Patriarcat de Constantinople, qui prétendait, dans une sorte de néo-papisme, à une juridiction universelle sur les terres n’appartenant à aucune Eglise autocéphale. Les Russes de la diaspora se trouvaient donc, dès 1938, divisés en plusieurs groupes.
Or les propos de Monseigneur Jean, si pleins de grâce et de force qu’ils fussent, loin de s’imposer à tous, heurtaient de front deux maladies jumelles : le phylétisme, ou nationalisme religieux, et le libéralisme dogmatique, proche de l’oecuménisme. Beaucoup de Russes croyaient que la vocation de leur Eglise à l’étranger était de garder le troupeau russe afin de préparer le retour des exilés dans la Mère Patrie, mais nullement de jeter les bases d’une Eglise locale, occidentale ; le talent reçu de Dieu, enfoui dans la terre étrangère, Lui serait rendu intact lorsque les frontières de Russie se rouvriraient. Beaucoup aussi considéraient les schismes dus à de fausses conceptions ecclésiologiques ou théologiques comme des «coupures juridictionnelles» qui ne faisaient pas perdre la grâce aux corps qui les confessaient ; malgré leur chute dans le schisme sergianiste ou dans l’hérésie de l’oecuménisme Moscou et Constantinople conservaient, selon eux, la grâce sanctifiante. Cette mentalité à la fois tiède et nationaliste atteignait jusqu’à certains représentants de l’épiscopat. Monseigneur Jean fut donc persécuté, à l’intérieur de sa propre Eglise, par ceux qui n’appréciaient ni son zèle missionnaire et les économies qui l’accompagnaient, ni son intransigeance à l’endroit des schismes et des hérésies qui attaquaient la diaspora. Comme le dit Zénaïde, l’une de ses filles spirituelles qui servait l’église à Paris : «ce hiérarque était un authentique saint vivant, incompris de beaucoup d’hommes d’Eglise tout simplement parce qu’ils ne savaient pas ce que sont vraiment les saints et comment ils se comportent».
Continuant sa description de l’état spirituel de la diaspora, Monseigneur Jean traçait le portrait contrasté des divers types d’hommes qui la composait.
«D’anciens nobles, des généraux, sont devenus de simples ouvriers, artisans et commerçants, sans mépriser aucun genre de travail et se souvenant qu’il n’en est aucun de déshonorant, du moment qu’il n’implique rien d’immoral... L’école de la vie d’exilé a moralement régénéré et élevé une multitude de personnes... En vérité, beaucoup d’entre eux, hommes et femmes, ont plus de gloire à présent dans leur déshonneur qu’ils n’en possédaient dans leurs années brillantes. La richesse spirituelle qu’ils se sont acquise vaut mieux que la richesse matérielle qu’ils ont abandonnée dans leur patrie et leur âme, tel l’or épuré au feu, s’est purifiée au feu de la souffrance et brûle comme un flambeau qui luit avec éclat. Non sans tristesse, toutefois, nous devons dire que les souffrances sont loin d’avoir eu le même effet sur tous. A l’épreuve, certains se sont révélés n’être ni or ni métal précieux mais paille et chaume qui périt dans la flamme... Se croyant justes et s’imaginant souffrir en victimes innocentes, ces gens ont plus d’orgueil dans le coeur que le Pharisien qui se vantait, mais surpassent souvent le publicain dans leurs péchés...» Le saint évêque stigmatise les riches «qui ne s’occupent que d’accroître leur fortune et passent leur temps libre en divertissement» au lieu d’aider leurs compatriotes nécessiteux. Et, parlant de l’éducation des enfants, Monseigneur Jean ajoute des mots prophétiques :
«La génération future des enfants et des adolescents grandit en prenant de ses anciens des leçons d’immoralité. En outre, la présente génération pèche devant celle qui suit en prêtant si peu d’attention à l’éducation des enfants... les institutions éducatives que nous possédons doivent davantage leur existence aux dons des populations locales qu’à ceux des Russes... Beaucoup de parents ne se soucient absolument pas de la vision du monde qu’auront leurs enfants. Certains, grâce aux bourses, et d’autres, même parmi les gens très aisés, envoient leurs enfants dans des institutions qui ont pour but de les élever dans un esprit absolument contraire à l’orthodoxie». Evoquant les enfants abandonnés qui deviendront des criminels, le sage Archevêque ajoute que ces malheureux «dans la vie future ne seront pas aussi sévèrement traités que ceux qui, éduqués dans des collèges splendides, seront devenus ensuite les pires ennemis de la Russie. Déjà l’on voit poindre le temps où, de la Diaspora, sortiront les ouvriers qui travailleront sciemment contre la Russie Orthodoxe, s’efforçant soit de la convertir au catholicisme romain, soit de répandre le sectarisme dans ses frontières. Ces hommes, tout en demeurant extérieurement orthodoxes et russes, oeuvreront secrètement contre elle. D’entre les élèves que l’on forme aujourd’hui dans les écoles des divers pays, notamment les couvents, un nombre considérable -mais non pas tous, assurément- deviendront apostats et traîtres à la Russie Orthodoxe. Ils ne seront pas les seuls coupables ; leurs parents le seront davantage, qui ne les auront pas gardés d’un tel sentier ni n’auront inspiré dans leur âme un amour solide et fervent de l’Orthodoxie. Déployant tous leurs efforts pour assurer l’avenir de leurs enfants en cette vie et choisissant en conséquence les établissements les mieux à même, selon eux, de réaliser cet objectif, ces parents négligent l’âme de leurs enfants et portent donc la responsabilité de leur chute future hors de l’orthodoxie et de leur trahison à l’égard de leur patrie. De tels parents sont de plus grands criminels devant la Russie que leurs enfants, souvent gagnés à une autre religion dans un âge qui ne leur permet pas d’en être conscients et élevés ensuite dans un esprit hostile à l’Orthodoxie. Le mal est égal chez ceux qui abandonnent la foi orthodoxe et en embrassent une autre afin de s’assurer un style de vie plus confortable et un travail mieux rémunéré. Leur péché est celui de Judas, et le travail ou les autres avantages qu’ils reçoivent en échange de la trahison de leur Foi vaut les «trente pièces d’argent». Certains d’entre eux allégueront peut-être qu’ils ont agi ainsi par la conviction que l’Orthodoxie n’est pas la vérité, et qu’ils essaieront de servir la Russie tout en confessant leur foi nouvelle. La Russie a été fondée sur l’Orthodoxie, a fleuri par elle, et seule l’Orthodoxie sauvera la Russie».
Le saint évêque se demande avec angoisse : «Mais quelle contribution la Diaspora apportera-t-elle à l’avenir, vu son état présent de dégénération ? Ne deviendra-t-elle pas source d’une nouvelle infection spirituelle lorsque nous rentrerons dans notre patrie ?» Et il répond, en citant l’héroïsme de champions de la vérité, dont certains ont même donné leur vie pour recréer la vie ecclésiale en Russie : «Ces exemples, et d’autres semblables, ainsi que la voix de la conscience, que rien ne saurait baîllonner, nous donnent l’espérance qu’il se trouvera toujours les dix hommes pour lesquels le Seigneur consentait à épargner Sodome et Gomorrhe, et qui montreront le chemin à la Diaspora russe».
Monseigneur Jean conclut enfin en plaçant, comme autrefois Moïse, son peuple devant l’alternative décisive :
«Les Russes de l’étranger ont reçu pour mission de faire luire la lumière de l’Orthodoxie à travers le monde afin que les autres peuples, voyant leurs bonnes oeuvres, pussent glorifier Notre Père qui est aux cieux, et eux-mêmes, ce faisant, approcher du salut. Parce qu’elle n’a pas accompli cette tâche et qu’elle a même, par sa vie, déshonoré l’orthodoxie, la Diaspora ne voit que deux chemins devant elle : ou bien emprunter la voie du repentir, implorer le pardon de Dieu et se renouveler spirituellement pour se rendre capable de régénérer notre patrie souffrante, ou bien subir l’abandon final de Dieu et rester en exil, persécutée par tous, jusqu’à ce que, dans une dégénérescence graduelle, elle disparaisse de la surface de la terre».

Apôtre de l’Occident (1951-1966)

La situation difficile et d’extrême confusion décrite par Monseigneur Jean dans ce discours régnait toujours lorsque, après avoir accompli le transfert de son troupeau de Shangaï dans la libre Amérique, il fut placé par le Synode des évêques à la tête de l’archidiocèse d’Europe Occidentale. Dans cet Occident qui gisait depuis des siècles dans les ténèbres des hérésies et qui maintenant devenait le théâtre de divisions entre les orthodoxes, il déploya le zèle infatigable du pasteur et du missionnaire. En lui se réalisèrent ces autres paroles de saint Jean Chrysostome décrivant Timothée : «Ce que l’on doit surtout admirer dans cet illustre disciple, c’est qu’étant si faible, accablé de tant d’infirmités, il se soit montré plus actif que ceux même dont la constitution est la plus saine et la plus robuste. On le voit voler tantôt à Ephèse, tantôt à Corinthe, dans l’Italie, la Macédoine, accompagner son maître sur terre et sur mer, partager ses combats et ses périls, sans que la faiblesse du corps ralentisse jamais l’activité de l’âme : tant le zèle selon Dieu a de vertu ! Tant il donne des ailes légères à celui qu’il anime !»
Monseigneur Jean était au-dessus de tout phylétisme. Son amour sans borne de l’Orthodoxie dépassait les frontières humaines et sa connaissance de l’histoire de l’Eglise l’embrasait de désir pour les saints qui ont fleuri dans la Romanité, dans l’Empire chrétien, avant que celui-ci ne connût les drames des invasions puis des schismes et des hérésies qui en furent la conséquence. Depuis longtemps, il avait rassemblé les textes de leurs vies, parfois même leurs icônes ; et en 1952, il présida un synode rassemblant tous les évêques d’Europe Occidentale, qui décréta d’ajouter au calendrier de l’Eglise orthodoxe les saints occidentaux qui, à cause du schisme papal, n’avaient pas reçu de vénération dans la «partie orientale» de l’Empire Romain et ne figuraient pas dans les synaxaires slaves. Il rétablit ainsi la mémoire des Martyrs Victor de Marseille, Pothin, Blandine et ses compagnons, Alexandre et Epipode de Lyon, des saints hiérarques Anschaire d’Hambourg, Germain d’Auxerre, Loup de Troyes, Germain de Paris, Hilaire de Poitiers, Patric d’Irlande, Honorat de Lérins, de saint Vincent de Lérins, des saints confesseurs Colomban, Clodoald, Gall, Fridolin... Cette liste n’étant qu’une première et incomplète collection. Pour mieux faire comprendre le sens de cette manifestation des saints glorifiés par Dieu, nous citerons la conclusion du décret synodal, et quelques paroles extraites de l’homélie que Monseigneur Jean prononça à l’occasion de la glorification d’un saint russe nouvellement reconnu, Jean de Cronstadt5.
«Révérant la mémoire des saints qui ont plu à Dieu, et trouvant sur les lieux de notre Diaspora des missionnaires et des ascètes des temps anciens, dont les noms ne nous étaient pas connus, nous glorifions le Seigneur, admirable dans Ses saints, et vénérons ceux qui Lui ont été agréables, glorifiant leurs souffrances et leurs exploits ascétiques et les invoquant pour qu’ils intercèdent et soient nos ambassadeurs auprès de Dieu. Mus par ces considérations, nous instituons que les justes dont les noms précèdent soient vénérés par toute l’Eglise Orthodoxe, et nous invitons les pasteurs et le peuple à vénérer ces saints et à recourir à leur intercession».
«La Sainteté, dit Vladika Jean dans son Homélie sur Jean de Cronstadt, n’est point la simple justice, qui donne aux justes la récompense de la béatitude dans le Règne de Dieu ; elle représente un degré si haut de justice que ses possesseurs sont à ce point emplis de la grâce de Dieu qu’elle découle d’eux et se répand même au-dehors, sur ceux qui les approchent. Grande est leur félicité, qui provient de la contemplation immédiate qu’ils ont de la gloire de Dieu. Egalement pleins d’amour pour les hommes, cet amour qui vient de celui de Dieu, ils s’intéressent à leurs besoins et, à leur prière, jouent pour eux le rôle de médiateurs et d’intercesseurs auprès de Dieu. Tels étaient, en tout premier lieu, les justes de l’Ancien Testament, ceux que le Christ a libérés de l’Hadès et conduits dans le Paradis, et Jean le Baptiste, le plus grand parmi ceux qui sont nés de femmes. Puis vinrent les Apôtres et leurs successeurs immédiats. Nul d’entre les Chrétiens ne douta jamais de leur sainteté et, après leur départ de cette vie -la plupart moururent martyrs- ils commencèrent aussitôt à les vénérer et à les invoquer dans la prière. Tels furent aussi les martyrs des premiers siècles de persécution, quand la ferveur spirituelle abondait. La mort d’un martyr était, en soi, une porte qui s’ouvrait vers les demeures d’en-haut, et les chrétiens se mirent à les prier comme des hommes saints qui avaient plu à Dieu. Signes et miracles confirmèrent cette foi des chrétiens et manifesta clairement leur sainteté. De même, par la suite, les chrétiens commencèrent à vénérer les grands ascètes. Personne n’a pris de décret enjoignant que Antoine le Grand, Macaire le Grand, Basile le Grand, Grégoire le Théologien, Nicolas le Thaumaturge et une multitude de leurs pareils devraient être honorés comme saints, mais ils sont vénérés aussi bien par l’Orient que par l’Occident et leur sainteté ne peut être niée que par ceux qui ne croient pas à la sainteté. L’assemblée de ceux qui plaisent à Dieu croissait sans cesse ; partout où se tenaient des chrétiens, de nouveaux ascètes se manifestaient. Il arriva néanmoins un temps où la vie des chrétiens connut un certain déclin ; l’ardeur spirituelle commença de se refroidir ; l’on cessa de connaître distinctement ce qu’est la justice divine. Pour cette raison, la conscience collective des fidèles ne put toujours reconnaître qui était un authentique ascète, agréable à Dieu. Dans certains endroits surgirent des personnages douteux qui, simulant des exploits d’ascèse, dupèrent certains membres du troupeau. C’est pourquoi l’autorité ecclésiastique entreprit de superviser la vénération des saints, dans le souci de garder le troupeau de la superstition...»
Après avoir exposé l’origine des décrets de l’autorité épiscopale concernant la vénération des saints, Vladika Jean ajoute : «Après tout, l’autorité ecclésiastique ne fait qu’attester la sainteté. Les justes deviennent saints non pas en vertu d’un quelconque décret d’une autorité ecclésiastique terrestre, mais par la miséricorde et la grâce de Dieu. L’autorité ecclésiastique a simplement approuvé la glorification du nouveau saint dans l’Eglise et son invocation dans la prière».
Dans son archidiocèse européen, Vladika Jean se montra tel qu’il avait brillé à Shangaï -plus extraordinaire peut-être, compte tenu des difficultés de la mission. S’intéressant avec une sollicitude paternelle à tous ceux qui oeuvraient, en France, en Hollande, en Espagne pour le retour des peuples d’Occident à l’orthodoxie, il leur apporta son aide généreuse. Aux coeurs sincères qui voulaient entrer dans l’Eglise orthodoxe, il ouvrit évangéliquement la porte. Il préférait assurer, fût-ce dans des conditions difficiles, le gardiennage du troupeau plutôt que de laisser se perdre «un seul de ces petits qui croient» dans le Christ selon la foi pure et immaculée des orthodoxes.
Ceux qui l’ont connu nous ont transmis le témoignage de ses vertus, et tout d’abord de son amour de la rigueur dans tout ce qui touchait à l’ordre de l’Eglise. Durant un des offices de la Grande Semaine, il arriva qu’un laïc lisait une péricope de l’Ecriture qui lui parut un peu longue. Songeant que s’il tournait deux pages au lieu d’une, personne ne s’en apercevrait, il sauta un long passage ; mais ne put échapper à la vigilance de l’Archevêque debout au milieu de l’Eglise. Vladika fit entendre un petit «tst» désapprobateur et se mit à réciter de mémoire tout ce que le lecteur négligent avait omis -ce qui lui servit de leçon pour le reste de sa vie.
Un autre jour, alors qu’il arrivait de voyage, à peine il eut posé sa valise, qu’il se rendit à l’autel, pour voir si les prêtres qui avaient célébré en son absence avaient bien replié l’antimension sans laisser aucune miette.
Il fit un examen diligent d’une liturgie composée selon «le rite de saint Germain» pour savoir si elle méritait d’être appelée orthodoxe et célébrée comme telle. Nous tenons de la personne qui lui apporta le texte de cette liturgie en latin, en français et en russe, les détails suivants. Les séances duraient tard dans la nuit et quoique le Père Métrophane signalât qu’il était temps d’y mettre fin, Monseigneur Jean continuait sa lecture et son entretien. Il comparait avec diligence le texte latin et le texte français, signalant que ce dernier n’était pas une traduction de celui-là. Enfin, il constata que l’anaphore de ladite liturgie de saint Germain n’était rien d’autre que celle de la liturgie de saint Jacques qu’il célébrait lui-même tous les ans lors de la fête de l’Apôtre. Lorsque, pour cette raison, il eut donné sa bénédiction pour célébrer ce rite dit de saint Germain, la personne qui avait tant oeuvré pour le faire agréer était elle-même persuadée que ce rite ne représentait qu’une composition arbitraire, sans justification profonde...
Du temps qu’il présidait aux destinées du diocèse européen, Vladika prit divers décrets qui montrent l’amour de l’ordre ecclésiastique qui l’habitait et qu’il désirait transmettre aux serviteurs de l’autel, puis à tous les fidèles. Il rappelait que, durant les offices, personne ne doit parler, si ce n’est pour les besoins du service, et brièvement ; et il faisait appliquer avec soin cette règle dans le sanctuaire.
Une seconde éminente vertu de Monseigneur Jean était sa faculté de toujours être présent là où la lutte l’attendait. Il traversait la vie à la fois tout présent à la terre et à son entourage et, en même temps, au-dessus d’eux. Il était dans le monde sans être du monde. Il voyagea beaucoup, dans toute l’Europe. Souvent ses occupations lui créaient du retard ; plusieurs fois aussi, inexplicablement, les avions ou les trains qui devaient l’emmener prenaient, eux aussi, un retard suffisant pour que Vladika Jean pût les emprunter. Tout tournait à l’avantage du serviteur de Dieu.
Un jour, une de ses filles spirituelles, Zénaïde, s’était rendue au monastère de Lesna, établi alors à Provémont, en Normandie : Monseigneur Jean devait y célébrer la liturgie le lendemain matin. Elle s’était préparée pour la communion, lisant les prières préparatoires dans la soirée. Au matin, comme elle achevait ses prières, elle entendit un remue-ménage et apprit que l’Archevêque devait brusquement se rendre à Paris. Voyant que la liturgie n’aurait pas lieu au monastère, Zénaïde, dans son amertume, appela dans son coeur le secours de l’Archevêque : «Prends-moi avec toi» pensait-elle. Soudain les moniales vinrent la chercher : il fallait qu’elle-même se rendît d’urgence à Paris, où sa famille l’attendait. Or, il n’y avait aucun train à cette heure-là. Zénaïde prit donc rapidement place aux côtés de l’Archevêque dans la voiture, qui partit accompagnée du chant des moniales recommandant les voyageurs à la protection de leur ange gardien. Arrivé à Paris, Vladika célébra la liturgie et Zénaïde communia. Elle ressentit une joie infinie, la grâce surabondante... Alors seulement, ivre d’allégresse, elle retourna chez elle... où non seulement personne ne l’attendait, mais où sa famille s’étonna de la voir rentrer si tôt du monastère !
Vladika Jean se rendait parfois à Montpellier, pour y célébrer et aussi visiter un de ses frères qui s’y trouvait hospitalisé. Dans le train, il restait debout dans le couloir, en seconde classe, un sac de terre sainte pendant à son cou ; le moment venu, il célébrait les offices des heures. Il lui arriva de passer deux jours pleins à visiter les grands cimetières de la ville, cherchant, tombe par tombe, les noms des orthodoxes éventuellement enterrés là et qui attendaient ses prières. Un jour, descendant la rue, il ouvrit soudain sa valise et, dépliant ses ornements, commença de célébrer sur le trottoir l’office des défunts. Deux jours auparavant, à cet endroit, un motocycliste avait trouvé la mort ; mais nulle trace de l’accident ne subsistait. Qui, sinon l’Esprit Saint, l’en avait averti ?
La famille française qui l’accueillait savait qu’il ne mangeait que très peu, des légumes, une fois par jour, et qu’il demandait, pour la nuit, un fauteuil. Il ne s’y reposait guère pourtant ; une nuit, ils l’entendirent marcher sans cesse à travers toutes les pièces, priant et bénissant la demeure de ses hôtes.
La troisième haute vertu de Monseigneur Jean était son charisme de directeur des âmes. Il lisait dans les coeurs à livre ouvert et de sa bouche coulaient les paroles d’édification. Un Russe nommé Alliocha le suivait comme son père spirituel. Un jour, cet Alliocha vit s’ouvrir pour lui la possibilité d’un travail mieux payé et d’une carrière dans un des métiers du cinéma. Il s’en alla voir l’Archevêque et lui posa la question : «Que me conseilles-tu, Vladika ? Me donnes-tu ta bénédiction pour changer de métier ? Dois-je accepter cette offre, ou non ?» Alors -racontait Alliocha- sans me regarder, Vladika me dit : «Si cela ne fait point de mal à ton âme, pourquoi pas ?» Rentrant en moi-même, je songeai que ce nouvel emploi comportait de grands risques pour mon âme, et je ne les pris pas.
«Il est impossible, dit saint Jean Chrysostome, d’être bon de force» et les saints de Dieu, sans jamais accepter un rôle de dictateur infaillible ni participer au péché d’autrui, savent renvoyer chacun à cette liberté que le Créateur nous a donnée, «fardeau» pour les hommes, mais sans laquelle le salut ne serait pas.
Vladika Jean donnait ses conseils également par écrit. Un nombre croissant de fidèles lui écrivait. Il postait toujours lui-même ses lettres, sans oublier de faire le signe de croix sur elles. A Paris, la boîte aux lettres qui se trouvait non loin de son Eglise ayant été déplacée, Monseigneur Jean, de retour d’Amérique, se faisant accompagner de la fidèle Zénaïde, s’en alla asperger d’eau bénite la nouvelle boîte. Quand il souhaitait à quelqu’un sa fête, il écrivait la lettre le jour même où l’on célébrait le saint, sans céder à la coutume qui consiste à envoyer ses voeux à l’avance. Il n’oubliait personne ; aux moments de découragement, ses connaissances recevaient soudain un petit mot griffonné par lequel l’Archevêque les assurait de ses prières. Que d’enseignements il savait prodiguer en peu de mots ! Voici un billet qu’il écrivit à une de ses fidèles, Olga Makarova : «Le 24 février/9 mars 1954. Découverte du Précieux Chef de Saint Jean le Précurseur. A vous Olga, qui êtes dans l’affliction : que le Seigneur vous aide et vous guérisse. Le Seigneur permet nos souffrances pour que nous sentions notre faiblesse et que nous recherchions avec plus de ferveur la Source de tous biens, notre Créateur Qui donne à chacun ce qui lui convient. Que le Seigneur vous redonne donc des forces. J’ai déjà prié pour vous et je recommencerai durant la Divine Liturgie. Que le Seigneur vous pardonne aussi toutes vos transgressions. Allez vous confesser et recevez la Communion aux Saints Mystères. Que la Bénédiction du Seigneur soit avec vous, avec votre soeur Sophia et aussi avec votre nièce Gaïda pour qu’elle guérisse. Jean, Votre Archevêque».
Tout dans Vladika Jean, et jusqu’à son humour, était une manière d’enseignement. Certaines personnes ayant déposé auprès des autres évêques une plainte à propos de Monseigneur Jean parce qu’il marchait les pieds nus, le Saint Synode s’en émut. Il enjoignit à l’Archevêque de porter désormais des chaussures. Les paroissiens lui en offrirent une paire. L’on vit alors Vladika, poursuivant son ascèse, se mettre à circuler, une boîte de chaussures sous le bras. Et quand, après une nouvelle plainte, le Synode l’en eut réprimandé, il déclara qu’il mettrait les chaussures, en ajoutant pour se justifier : «Vous m’aviez dit de les porter...»
En 1962, Monseigneur Jean fut placé par le Synode à la tête du diocèse de San Francisco en Amérique du Nord. En effet, des dissensions déchiraient la communauté, formée en grande partie des anciens fidèles de Shangaï, et empêchaient les travaux de la grande cathédrale dédiée à la Mère de Dieu Joie des Affligés. L’archevêque retrouvait son troupeau de naguère, et des peines analogues à celles qu’il avait connues. Monseigneur Jean ramena la paix et acheva le temple, mais non sans douleurs. Accusé d’avoir couvert un détournement des fonds paroissiaux, il dut se justifier devant un tribunal civil, qui le reconnut innocent. A quelqu’un qui lui demandait qui était responsable de ces troubles et de ces divisions, Monseigneur Jean répondit brièvement : «Le démon». Il n’attribuait pas aux hommes ses malheurs et, en conséquence, ne gardait rancune à personne. Les paroles prononcées lors de son sacre épiscopal par Monseigneur Antoine trouvaient leur terme : Vladika Jean rencontrait l’ingratitude, les calomnies, la persécution, mais comme l’Apôtre, «injurié, il bénissait, calomnié, il parlait avec bonté» et nulle amertume n’avait la force de diminuer le soin qu’il prenait de son troupeau.
Le récit de L.A. Lu est un témoignage éloquent sur ces années de persécutions : «A San Francisco mon mari eut un accident de voiture et en sortit gravement blessé ; il ne pouvait plus contrôler son équilibre et en souffrait atrocement. A cette époque, Monseigneur lui-même avait beaucoup d’ennuis. Je connaissais la force de ses prières et je me disais : si j’invitais Vladika à venir voir mon mari, il le guérirait sûrement ; mais je n’osais le faire car il était très occupé. Deux jours passèrent quand tout à coup Vladika fit irruption chez nous en compagnie de M. B.M. Troyan qui l’avait conduit en voiture. Vladika ne resta chez nous que cinq minutes mais j’avais confiance que mon mari guérirait. C’était le moment le plus pénible de sa maladie et après la visite de l’évêque, il eut une crise à la suite de laquelle il commença de se rétablir ; il devait vivre encore quatre ans... Plus tard, je rencontrai B.M. Troyan dans une réunion de la paroisse et il me dit qu’il conduisait Vladika à l’aéroport lorsque, soudain, celui-ci lui avait dit : «Allons maintenant chez Lu». Il avait objecté qu’il risquait de manquer l’avion et qu’il ne pouvait pas à l’instant précis faire demi-tour en voiture. Alors Monseigneur lui avait dit : «Pouvez-vous prendre sur vous la responsabilité de la vie d’un homme ?» Il n’y avait rien à répliquer et il dut conduire Monseigneur chez nous. Néanmoins, Vladika ne manqua pas son avion car l’on en retarda le décollage à cause de lui...»
La prière de Vladika Jean transcendait l’espace et le temps. Tandis qu’il se trouvait aux U.S.A., son familier, le Père Métrophane, resté à Paris, eut un jour recours à lui. Voici comme il le raconte lui-même : «Aux confins de Paris, dans une grande impasse, gîtait, à l’écart, une paroisse de notre Eglise Russe Hors Frontières dédiée à Tous les Saints de Russie. Cette impasse était une rangée de garages, ou plutôt d’abris pour automobiles. Trouver un emplacement convenable pour une église dans la capitale se révélant difficile, l’on avait décidé de louer ces garages. Il n’avaient ni fondation, ni plafond, ni fenêtre, ni aération ; outre l’humidité, le froid régnait. Aucun habitant dans l’impasse, aucun téléphone près de l’église ni dans la ruelle (...) Il arriva que je tombai assez malade un jour d’hiver, avant une grande fête. Je pris toutes sortes de médicaments, mais rien n’y fit. Je restai ainsi quatre jours durant. Ma faiblesse était telle, que je n’avais pas la force de me lever ; néanmoins, je sentais très bien que l’une des douze grandes fêtes de l’Eglise était proche. Il n’existait qu’une seule paroisse de l’Eglise Russe Hors Frontières à Paris. Les fidèles s’en venaient non seulement de tous les coins de Paris, mais aussi de banlieue. Or la veille de la fête approchait et moi, j’étais cloué au lit. En outre, je me trouvais sans aide, seul dans une maison à un étage. Dans quelques heures seulement, il me faudrait prendre le train pour aller à l’église et commencer les Vigiles, et je ne pouvais même envoyer quelqu’un mettre une note sur la porte pour prévenir que j’étais malade et qu’il n’y aurait pas d’office ce jour-là. Je m’imaginais mes pauvres paroissiens, venus de loin, plantés, en ce jour désolé, dans le froid, la confusion et la tristesse, devant les portes closes de l’église -en vain. J’étais dans l’effroi. Que faire ? Soudain, comme un rayon de lumière dissipe l’obscurité, mes tristes réflexions furent chassées par un trait lumineux : j’avais omis la chose la plus importante, je ne m’étais pas tourné vers Monseigneur Jean pour implorer son secours. Il vivait alors en Amérique, à San Francisco, cherchant des fonds pour son précédent troupeau, afin de construire une église à Paris. Dès que je me souvins de lui, je sentis immédiatement un afflux de force. Je me levais, ce dont j’étais incapable jusque-là, m’assis à ma table et commençai la lettre suivante : «Cher Vladika, je t’écris une lettre non pour t’accabler ou t’affliger. J’ai été malade presque toute la semaine, cloué au lit, mais demain est une grande Fête pour l’Eglise, et dans quelques heures, il faudra que j’aille célébrer les Vigiles. Je suis absolument sans force. Aussi, j’ai la ferme conviction que, dès que je t’aurai écrit cette lettre, je serai en bonne santé».
La boîte aux lettres était en bas, contre le mur de notre maison. Je m’habillai prestement, descendis l’escalier et postai ma lettre ; j’avais oublié mon mal comme s’il n’eût jamais existé et je remontai dans ma chambre avec entrain. Je pris le nécessaire pour célébrer et, tout-à-fait remis, je me rendis à l’église. L’évêque avec son coeur infiniment aimant, tel un père, avait entendu l’appel affligé de son fils spirituel et, comme bien des années plus tôt, il s’était empressé de l’aider. Il m’avait entendu encore, malgré les onze mille kilomètres qui nous séparaient. Ayant brisé les barrières du temps et de l’espace, ce saint Père m’avait non seulement entendu, de quelque endroit qu’il fût, mais dans le moment même, il m’avait également procuré la grâce de Dieu ; la force et la santé étaient entrées en moi à flots, triomphant ainsi de toutes les lois de notre nature humaine et de notre existence terrestre».
A San Francisco, Monseigneur Jean demeurait dans une petite cellule de l’asile Saint-Tykhon-de-Zadonsk. Il continuait de prendre un soin tout particulier des enfants et des adolescents. Lisons plutôt le sermon qu’il adressa aux orphelins de Saint-Tykhon en 1952, alors qu’il se trouvait en Europe, à l’occasion de la fête de l’Entrée au Temple de la Mère de Dieu :
«Mes chers enfants !
Dès aujourd’hui, nous chantons dans les offices de l’Eglise : «Le Christ est né, rendez-Lui gloire !» C’est pour nous l’annonce de la venue du Seigneur et une invitation à nous préparer pour Le rencontrer. Que signifie cette préparation ? Elle signifie qu’il faudrait conditionner notre âme de telle sorte qu’elle puisse devenir, pour ainsi dire, une crèche pour le Christ. La fête doit nous y aider. A la fin de ce carême de la Nativité, l’Eglise célèbre tout particulièrement les trois Adolescents et Daniel le Prophète, qu’elle nous offre comme des modèles à imiter. Et comment sont-ils devenus illustres ?
Voyez-vous, tout jeunes encore, ils furent élevés à la cour du roi Nabuchodonosor et, dès leur enfance, ils se privèrent de tous les mets superflus de la table royale, ne mangeant que des légumes pour ne pas transgresser la Loi de l’Eglise de l’Ancien Testament. Voyant que leur abstinence et leur obéissance à la Loi de Dieu était si grande, le Seigneur les récompensa et leur donna une sagesse par laquelle ils surpassèrent leurs pairs. Par l’expérience du jeûne, leur âme fut affermie et ainsi, ils eurent la force de refuser d’obéir au roi qui leur ordonnait de se prosterner devant une idole. Et lorsqu’à cause de ce refus, les trois Adolescents furent jetés dans une fournaise ardente et Daniel dans la fosse aux lions, le Seigneur les préserva de tout mal. On chante d’ailleurs tous les jours aux Matines des hymnes qui nous remémorent la vaillance de ces Adolescents et les désignent comme des exemples pour nous.
Mes enfants ! Vous vous trouvez aujourd’hui devant une situation identique à celle des Adolescents de Babylone. Nous sommes entourés de gens qui ne connaissent pas l’Eglise Orthodoxe et qui ne se soumettent pas à ses lois. Vous avez un choix à faire : soit vous vous gavez de toutes les nourritures interdites par l’Eglise, soit comme Ananias, Misaël et Azarias, vous rejetez librement ce qui est interdit. Quel parti prenez-vous : voulez-vous suivre l’exemple de ces divins Adolescents ou préférez-vous marcher avec ceux qui s’opposent à eux ? Voulez-vous marcher dans la voie large en dédaignant toutes les règles ? Il a fallu beaucoup de maturité et une grande force de caractère à ces enfants pour accomplir les Lois de l’Eglise et les Traditions patristiques : après tout, ils n’étaient que quatre face à une multitude innombrable d’incroyants ! Et pour cela, le Seigneur, dans Sa miséricorde, les a glorifiés devant le monde entier et pour tous les siècles. Le Seigneur récompensera aussi chacun d’entre vous de la même manière si vous suivez l’exemple de ces enfants.
Chaque fois que vous êtes tentés de vous faire plaisir en mangeant la même nourriture que ceux qui ne connaissent pas les lois divines de l’Eglise du Christ, souvenez-vous de Daniel et des trois Adolescents ; et répondez ensuite à cette question : êtes-vous avec eux, êtes-vous prêts à les suivre pour être sous la protection divine, ou préférez-vous la jouissance des choses agréables qui peut-être, paraissent innocentes, mais qui font de nous les transgresseurs de ce qui rendit les Adolescents forts, glorieux et invincibles ? Avec qui êtes-vous mes enfants et qui voulez-vous suivre ?
Que le Seigneur vous protège des tentations et qu’Il vous affermisse. Que saint Tykhon de Zadonsk vous enseigne à marcher dans la voie droite.
Que la bénédiction du Seigneur soit sur vous tous, mes chers enfants.
Votre archevêque Jean qui vous aime».
Cette homélie montre quelle conscience aigüe Monseigneur Jean avait des difficultés rencontrées par les orthodoxes dans la «Babylone» des rites et des coutumes du monde.
La veille du dimanche 19 octobre/2 novembre 1964, où l’Eglise devait, pour la première fois, célébrer solennellement la mémoire de saint Jean de Cronstadt, Monseigneur Jean constata, aux Vêpres, l’absence de beaucoup de paroissiens. En effet, ce dimanche coïncidait avec la fête catholique de tous les saints et une tradition veut que la veille, les forces du mal célèbrent leur propre cérémonie noire, appelée Halloween. Déguisés en diables et en sorciers, les jeunes s’adonnent à des danses et à des réjouissances qui sont une parodie du christianisme. Or un groupe de Russes avaient organisé une telle mascarade. Après l’office vespéral, Monseigneur Jean dit à son fidèle acolyte, Paul Loukianoff : «Maintenant, emmène-moi au bal». Avec son bâton d’évêque à la main, Monseigneur Jean fit irruption dans la pièce et, lentement, foudroyant du regard l’assistance, sans prononcer un mot, il fit le tour de la pièce. La musique avait cessé. Sous le regard de leur maître, les yeux de la conscience s’ouvraient et chacun des danseurs connaissait qu’il était nu spirituellement. Le lendemain, en chaire, Vladika Jean, cet ange de douceur, tonna tel un nouveau Moïse chantant le cantique de pénitence. Saint Tykhon de Zadonsk avait, en son temps, mit fin de même, par sa seule présence, à une célébration païenne.
Il est trop tôt pour énumérer tous les fruits de l’oeuvre missionnaire de l’Archevêque Jean, mais l’on peut affirmer que son exemple, ses paroles et ses miracles ont jeté de profondes racines dans bien des endroits du monde. Prédicateur de la Diaspora russe et missionnaire de l’Occident, Monseigneur Jean annonce clairement dans sa vie le temps où il n’existera plus aucune structure ni étatique ni sociale qui puisse s’appeler «orthodoxe». Les orthodoxes du monde entier, qu’ils appartiennent à des pays d’ancienne culture orthodoxe, à des pays tombés dans l’hérésie ou dans l’athéisme, ou à des pays païens ne doivent-ils pas tous affronter la grande apostasie et la culture unique qui recouvrira le monde ? «Malheur à celles qui seront enceintes en ces jours-là» c’est-à-dire aux âmes qui, connaissant la Vérité qui sauve, ne la prêcheront pas. Monseigneur Jean La prêchait à temps et à contretemps ; il n’avait pas soin de lui-même, l’Eglise universelle était son seul souci.
De ce désintéressement sublime, il donna une preuve supplémentaire en 1964, quand le Métropolite Anastase dut se retirer. Les évêques réunis pour élire son successeur partagèrent leurs voix entre deux candidats, dont Monseigneur Jean. Celui-ci, néanmoins, persuada le plus jeune d’entre les hiérarques, Monseigneur Philarète, d’accepter la redoutable charge. Et, rejetant l’un et l’autre des deux candidats, les évêques du Synode élirent à l’unanimité celui que la Providence leur désignait par l’entremise de Vladika Jean.

Dormition et glorification de Vladika Jean

Ayant gardé la foi et combattu le bon combat, Vladika achevait maintenant sa course terrestre. Dieu lui révéla l’heure de son départ de ce monde. Au printemps de 1966, comme il s’entretenait avec le directeur de l’orphelinat Saint-Tykhon d’une réunion diocésaine qui devait avoir lieu à trois ans de là, il précisa : «Alors, je n’y serai plus». En mai 1966, une femme qui connaissait Vladika depuis douze ans et dont le témoignage, au dire du Métropolite Philarète, est digne de toute confiance, fut stupéfaite de l’entendre dire : «Je vais mourir bientôt, fin juin... non à San Francisco, mais à Seattle». L’adieu qu’il fit au Métropolite Philarète lors du dernier synode où ils se virent sortait de l’ordinaire : au lieu de s’asperger lui-même d’eau bénite, à la suite d’un moleben, Vladika Jean demanda à Monseigneur Philarète de le faire et il lui embrassa les mains sans lui laisser baiser la sienne. A la veille de son départ pour Seattle, quatre jours avant sa mort, il dit à un fidèle : «Tu n’embrasseras plus ma main désormais». Le samedi 19 juin/2 juillet 1966, il célébra la liturgie, puis resta trois heures dans le sanctuaire. Il passa ensuite quelque temps chez un fidèle, Yury K. Khruschoff, qui l’interrogea, entre autres, sur son prochain voyage au Canada. «Dieu seul, répondit-il, sait ce qui va m’arriver aujourd’hui ou demain». Il retourna vers l’église -il devait aller voir un malade avec l’icône de la Mère de Dieu de Koursk- et rendit quelque temps après le dernier soupir dans sa cellule, devant l’icône miraculeuse. Vladika Jean s’était endormi comme son saint patron Jean de Tobolsk.
Des pannykhides eurent lieu d’abord à Seattle, puis à San Francisco où le corps de Vladika fut ramené dès le lendemain de sa mort. «Dès le premier jour de la vigile, il apparut qu’il ne s’agissait pas d’un adieu ordinaire, même s’agissant d’un hiérarque. Nous avions l’impression d’assister à la révélation d’un mystère, le mystère de la sainteté. Tous les présents étaient ardemment convaincus d’être venus pour enterrer un saint. Dans toutes ces journées, il y eut une extraodinaire effusion d’amour...» écrit un témoin de ces jours mémorables.
L’évêque Ignace Brianchaninov, dans ses Pensées sur la mort, écrit : «Avez-vous vu le corps d’un juste que son âme a quitté ? Nulle odeur de décomposition ne s’en dégage ; il n’y a point de crainte à l’approcher. Lors de ses funérailles, le chagrin se dissout dans une inexplicable joie». Cette joie, continue saint Ignace, est un signe que «le défunt a obtenu du Seigneur grâce et miséricorde». Ces impressions, tous ceux qui accompagnèrent avec piété l’Archevêque Jean au lieu de son repos les ressentirent.
A peine Monseigneur Jean se fut-il endormi, que des miracles manifestèrent sa sainteté à l’univers, confirmant les sentiments des pieux fidèles. Ceux qui venaient lire les psaumes dans la crypte de la cathédrale de la Mère de Dieu Joie des Affligés, à San Francisco, repartaient le coeur illuminé, et voyaient leur demande exaucée : l’un trouvait la guérison, un autre une épouse, le troisième du travail, certains mêmes étaient guidés vers la vraie foi par la prière du hiérarque. Une infirmière devenue aveugle d’un oeil vint supplier le saint ; ouvrant une nuit au hasard le saint Evangile, elle tomba sur le miracle de l’aveugle-né et s’exclama : «Seigneur, si seulement je pouvais aller en Terre Sainte, laver mes yeux au réservoir de Siloé, ou du moins obtenir ne fût-ce qu’une goutte de cette eau, je verrais de nouveau !» Au matin, elle retourna au sépulcre du saint Archevêque, où une inconnue lui dit qu’elle revenait de Terre Sainte, apportant une bouteille d’eau de Siloé, et que le Métropolite lui-même viendrait le lendemain célébrer la liturgie dans la crypte. Le désir de la jeune femme s’exauçait : après avoir communié et appliqué de l’eau sur ses yeux malades, la vue lui fut rendue par Celui qui ouvre les yeux des aveugles.
Grand est le nombre de ces miracles... souhaitons qu’à la gloire du saint ils soient un jour tous racontés par écrit. En 1993, des évêques examinèrent les reliques de Monseigneur Jean et les trouvèrent incorrompues ; et une grande cérémonie de glorification eut lieu le 19 juin/ 2 juillet 1994. En canonisant saint Jean Maximovitch, l’Eglise Russe Hors Frontières confirmait le sentiment unanime des chrétiens pieux et orthodoxes. Dès avant cette date, les fidèles orthodoxes le vénéraient, peignaient son icône, donnaient son nom à leurs enfants... Reprenant les mots qu’il adressait aux fidèles lors de la glorification de saint Jean de Cronstadt, l’on pourrait dire que la sainteté de Jean ne sera mise en doute par aucun de ceux qui croient à la sainteté...
A la sainteté et à la lumière. Peu après la dormition de saint Jean, plusieurs fidèles l’ont contemplé en songe -ou en vision- environné de la lumière de la Résurrection. Ainsi, le Père Amvrossy P., qui ne l’avait aperçu qu’une fois de son vivant, le vit revêtu des ornements de Pâques, éclatant de lumière ; il encensait la cathédrale et lui lança ce cri de joie tout en le bénissant : «Heureux !» Un autre de ses proches, directeur de l’orphelinat Saint-Tykhon de Zadonsk, rêva d’une foule transportant le cercueil de Vladika dans l’église Saint-Tykhon ; saint Jean ressuscita et, se tenant au centre des portes royales, dit à la foule : «Dites au peuple : quoique mort, je suis toujours vivant !»
Par les prières de notre saint Père Jean de Shangaï et de San Francisco, Seigneur Jésus Christ Notre Dieu ait pitié de nous !


Tropaire, Ton 5

Ta sollicitude pour ton troupeau dans son exil a préfiguré les prières que tu fais monter sans cesse pour le monde entier. Ayant connu ton amour, nous avons confiance, O hiérarque Jean. Pleinement sanctifié par Dieu dans la célébration des très purs mystères et t’étant, par eux, fortifié toi-même, tu t’empressais vers les souffrants, médecin réconfortant. Hâte-toi de nous secourir, nous aussi qui t’honorons de tout coeur.

Kondak, Ton 4

Par tes affectueuses prières, O hiérarque Jean, ton coeur se répand sur ceux qui célèbrent ta vie remplie de labeurs et ta facile dormition sans douleur, fidèle serviteur de la Toute-pure Conductrice.


Note sur les sources

La présente biographie a été composée principalement à partir des livres suivants :
- Bishop Savva, Blessed John. The Chronicle of the veneration of Archbishop John Maximovitch, Platina, Californy, Saint Herman of Alaska Brotherhood, 1979. Ecrit par l’évêque Savva d’Edmonton, qui fit connaître la vie et les miracles de saint Jean, ce livre contient aussi l’hymne acathiste à saint Jean Maximovitch.
- Father Seraphim Rose and Abbot Herman, Blessed John the Wonderworker. 3rd ed. Platina, 1987.
- Archbishop John Maximovitch, The Orthodox Veneration of the Mother of God. Tr. by F.Seraphim Rose, St Herman of Alaska Brotherhood, 1987.
- Man of God. Saint John of Shangaï and San Francisco, compiled by Archpriest Peter Perekrestov, Nikodemos Orth. Pub. Society, Redding, CA, 1994.
Les textes en anglais ont été traduits par Sylvie Dubuisson, qui prépare l’édition des miracles, et par Jean Béziat. Nous avons également mis à profit les témoignages de personnes qui ont connu l’Archevêque, tels Joëlle Tarroux, Lazare Audié et Jean-Joseph Bernard. Que tous soient remerciés de leur collaboration. Signalons que la revue du Père Quentin, La Voie Orthodoxe, a publié dans son numéro 7 (Lyon, 1995) une vie de Monseigneur Jean accompagnée de la traduction française de son acathiste.

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