mercredi 12 mai 2010

Saint Grégoire Palamas, Homélie sur la Samaritaine.

Durant les cinquante jours que voici, nous célébrons la Résurrection d’entre les morts de Notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus Christ, manifestant par la prolongation de cette fête, sa suréminence sur toutes les autres1. Il est vrai que cette cinquantaine englobe aussi la mémoire annuelle de Son Ascension au ciel ; mais cette dernière montre elle-même la différence qui distingue le Seigneur Ressuscité d’avec tous ses serviteurs qui ont pu connaître aussi un retour à la vie. Tous ceux, en effet, qui ressuscitèrent d’entre les morts, durent ce bienfait à d’autres qu’eux-mêmes, puis moururent de nouveau et revinrent à la terre. Au contraire, Christ une fois ressuscité des morts, la mort n’a plus d’empire sur Lui (Rom. 6, 9). Seul, en effet, Il est ressuscité de Lui-même au troisième jour, et loin de retourner à la terre, Il est monté au ciel, pour asseoir notre pâte humaine sur le même trône que le Père et la rendre co-divine avec Lui. Pour la même raison, le Christ est le principe de la résurrection universelle à venir, puisque Il est seul devenu les prémices de ceux qui dorment (1 Cor. 15, 20), premier-né d’entre les morts (Col. 1, 18) et père du siècle à venir (Is. 9, 5). De même aussi que tous meurent en Adam, les pécheurs avec les justes, ainsi tous seront vivifiés en Christ, les pécheurs avec les justes, mais chacun dans son rang, le Christ comme prémices ; puis ceux qui Lui appartiennent, lors de Son avènement. Ensuite viendra la fin, quand Il aura détruit toute principauté, toute autorité et toute puissance, et qu’il aura mis tous ses ennemis sous ses pieds (Ps. 109, 1). Le dernier ennemi, c’est la mort, qui sera détruite dans la résurrection universelle, à la trompette finale. Car il faut que ce corps corruptible revête l’incorruptibilité et que ce corps mortel revête l’immortalité2.
Tel est le don admirable que nous procure la Résurrection du Seigneur, et c’est pourquoi sa célébration seule s’étend sur de si longs jours : n’est-elle pas immortelle, indéfectible et éternelle ? Ces jours forment aussi pour nous le prélude et l’esquisse de la béatitude future des saints, où il n’y a ni maux, ni peine, ni soupir, mais l’allégresse et les réjouissances à jamais inaltérables et toutes divines. Là règne le séjour de ceux qui goûtent la joie véritable.
Pour cette même raison, avant ce temps-ci, la grâce de l’Esprit nous a commandé de passer la quarantaine sacrée du Carême dans le jeûne, dans les veilles, dans la prière et dans les diverses formes de l’ascèse des vertus, afin de signifier par ces quarante jours la vie que mènent ici-bas les futurs sauvés et qui est toute entière pénitence et amour de Dieu. Dans la cinquantaine qui suit, et que nous sommes en train de vivre, la grâce a symbolisé le repos et la félicité dont jouiront ceux qui, sur terre, auront toute leur vie lutté pour Dieu.
Ainsi, la première période s’étend sur quarante jours, enveloppe l’anniversaire et la mémoire des Souffrances salvifiques du Seigneur et s’achève, la septième semaine écoulée, par le terme du jeûne. La seconde, de cinquante jours, inclut aussi le transfert du Seigneur de la terre jusqu’au ciel et la descente et communication de l’Esprit divin. C’est que le monde de la durée présente court sur sept jours et se compose de quatre éléments, de quatre points cardinaux et de quatre saisons, et à ceux qui, par leurs oeuvres, participent aux Souffrances du Christ, il apporte la fête de Pentecôte, c’est-à-dire de la Cinquantaine. Cette dernière, elle, commence au huitième jour et s’achève de même dans l’octave, dépassant à la fois le chiffre sacré de la semaine et toute idée quaternaire3 et, par la Résurrection et l’Ascension qui la suit, elle anticipe la Résurrection future du genre humain et son cortège : l’élévation des saints sur les nuées à la rencontre de Dieu, puis le repos et l’union avec Dieu pour tous les siècles.
Elle s’accomplira en son temps.
Pour le présent, le Seigneur, avant Sa Passion et Sa Résurrection, va prêchant l’Evangile du Royaume et, pour montrer à ses disciples que les hommes dignes d’embrasser la foi et d’obtenir l’héritage éternel qu’Il offre, seront choisis non seulement d’entre les Juifs, mais aussi d’entre les nations païennes, Il arrive, dit l’Evangile qu’on vient de lire aujourd’hui dans l’église, «dans une ville de Samarie, nommée Sichar, près du champ que Jacob avait donné à Joseph, son fils. Là se trouvait la source4 de Jacob». C’est le puits qu’il désigne ainsi, car l’eau y sortait en jaillissant, comme la suite le montre. On le disait de Jacob, parce que c’était lui qui l’avait creusé. Quant au champ donné par Jacob à Joseph, c’est le territoire de Sichem. Jacob, en effet, près de rendre le dernier soupir en Egypte, signifie ainsi ses ultimes volontés : «Voici que je vais mourir, mais Dieu vous fera remonter de cette terre dans celle de vos pères. Je te donne, de plus qu’à tes frères, Sichem que j’ai prise de la main des Amorrhéens par mon glaive et par mon arc» (Gen. 48, 22). Voilà pourquoi Sichem fut ensuite occupée par la tribu d’Ephraïm, fils premier-né de Joseph, tandis qu’alentour s’installèrent les dix tribus d’Israël sur lesquelles devait régner plus tard Jéroboam l’apostat.
Après avoir, souventes fois, offensé Dieu, et souventes fois s’être vues abandonnées de Lui, ces tribus furent à la fin emmenées en captivité avec toute leur population, si bien qu’à leur place le roi des Assyriens, rassemblant divers peuples, les fit habiter ce lieu où ils prirent le nom de Samaritains, d’après celui de la montagne de Somor.
Or, comme Jacob, à ce que dit l’histoire, soumit Sichem au cours de ses errances, ainsi le Christ, cheminant par la même route, fit la conquête de la Samarie. Le premier, cependant, l’avait emportée, comme il le dit de sa propre bouche, à la pointe de l’épée et par la force de son arc, cherchant évidemment la ruine et l’extermination des habitants, tandis que le Christ la gagna par sa parole et par son enseignement, Lui qui ne cherchait que leur salut : «Jésus, dit l’Evangéliste, fatigué de la route, était assis comme cela au bord de la source. C’était environ la sixième heure».
L’heure, la fatigue et l’endroit inclinait à s’asseoir Celui qui avait revêtu un corps semblable au nôtre. C’est donc pour nous en donner l’assurance et, en même temps, parce qu’il voyait le bien qui en viendrait, qu’Il restait assis, selon l’Ecriture, «comme cela, au bord de la source» : entendez, sans façons, à même la terre, tout seul, comme un quelconque voyageur. Ses disciples, en effet, étaient allés en ville pour acheter des provisions.
Tandis qu’Il était assis, solitaire, auprès de la fontaine, arrive une femme de Samarie qui s’en venait puiser de l’eau. Or le Seigneur, tout ensemble, avait soif en tant qu’homme, et voyait approcher celle qui pouvait, humainement parlant, apaiser sa soif, mais, en tant que Dieu, Il voyait aussi le coeur de cette femme assoiffé de l’eau du salut, alors qu’elle ignorait Celui qui pouvait l’en abreuver ; et, brûlant aussitôt de se révéler à l’âme qui aspirait à Lui -l’Ecriture dit bien qu’Il désire ceux qui Le désirent- il commence par le biais qui Lui ménagera le meilleur accueil, et Il lui dit : «Donne-moi de l’eau à boire». Elle, qui était fine et qui, rien qu’à son vêtement et à sa tenue, avait compris qu’Il était Juif et observateur de la Loi : «Je m’étonne, dit-elle, que tu demandes à boire à une Samaritaine», alors que les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains, les considérant comme des païens.
Saisissant l’occasion, le Seigneur entreprend de lui révéler Son identité, en disant : «Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dis : Donne-moi de l’eau à boire, tu lui en aurais toi-même demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive».
Ici, vous voyez que le Seigneur témoigne sur elle, que si elle l’avait connu, elle aurait aussitôt demandé et reçu sa part de l’eau vraiment vivante, qu’elle demanda ensuite et obtint justement, dès qu’elle en eut pris connaissance, au lieu que le sanhédrin des impies, après qu’il eut posé la question et entendu clairement la réponse, crucifia le Seigneur de Gloire5.
Mais quel est ce don de Dieu ? Car le Seigneur dit : «Si tu savais le don de Dieu». Eh ! bien, sans parler du reste, voici des gens que les Juifs tiennent en horreur au point même de ne partager avec eux ni le toit ni la boisson, et voici que le Dieu fait homme ne s’en détourne point ! Quel don, quelle grâce immense ne leur fait-il pas ? Bien mieux, Il les chérit d’une telle tendresse, que non seulement Il reçoit leurs présents, mais leur communique Ses propres charismes divins ; et que dis-je Ses charismes ? Il Se donne en personne. Oui, qu’il fasse de ceux qui croient en Lui des vases capables de recevoir Sa Divinité -seule manière pour eux d’avoir en eux-mêmes une source qui jaillit jusque dans la vie éternelle, comme Il le leur promet prophétiquement- cela, quelle intelligence pourrait le saisir ? Quelle langue exprimerait la grandeur insurpassable de ce don ?
La Samaritaine, qui ne saisit pas encore la sublimité de l’eau vive, hésite d’abord, ne sachant où son interlocuteur trouvera l’eau qu’Il promet, n’ayant pas même de quoi puiser -et le puits est profond... Elle tente ensuite de le mesurer à Jacob, qu’elle nomme son père, tirant gloire de ce lieu en faveur de son peuple, et elle vante l’eau de ce puits, estimant qu’il n’en est point de meilleure. Cependant, quand elle entend le Seigneur dire : «L’eau que je donnerai deviendra chez ceux qui la recevront une source jaillissant jusque dans la vie éternelle», elle laisse échapper le cri d’une âme ardente de désir et qui se laisse guider vers la foi, quoique encore incapable de regarder purement la lumière : «Donne-moi, Seigneur, de cette eau, dit-elle, afin que je n’aie plus soif et que je ne vienne plus puiser ici». Or le Seigneur, toujours désireux de se révéler graduellement, lui enjoint de faire aussi venir son mari. Elle, voulant à la fois cacher son passé et recevoir plus vite le cadeau, répond qu’elle n’a pas de mari et s’entend dire le nombre de maris qu’elle a eus depuis sa jeunesse et reprocher de vivre maintenant avec un homme qui n’est pas son mari. Loin de se fâcher de la réprimande, comprenant sur-le-champ que celui qui s’entretient avec elle est un prophète, elle en vient aussitôt à de plus hautes préoccupations.
Voyez-vous ? Quelle noble douceur, chez cette femme, et quel goût pour la science ! «Nos pères, dit-elle, ont adoré sur cette montagne et vous dites que c’est à Jérusalem que se trouve le lieu où il faut adorer». Regardez quel souci elle couvait dans son coeur, et quelle profonde connaissance elle avait de l’Ecriture ! Combien il en est à présent, parmi les orthodoxes de naissance et les nourrissons de l’Eglise, qui ignorent ce que savait la Samaritaine : que nos pères, c’est-à-dire Jacob et les patriarches issus de lui, avaient adoré Dieu sur la montagne en question !
Ce savoir et ce soin diligent pour connaître l’Ecriture inspirée de Dieu, le Christ les reçoit comme un parfum d’odeur agréable et Il prend plaisir à poursuivre son entretien avec la Samaritaine. Mettez du parfum sur des braises, vous intéressez et vous retenez la compagnie qui d’aventure se tient là ; jetez-y quelque essence lourde et désagréable, vous ferez détourner les têtes et partir. Ainsi de notre esprit : une méditation sainte et soutenue te rend digne de la visite divine, car ce soin sacré est le parfum d’odeur agréable que sent le Seigneur ; mais si tu nourris en toi des pensées impures, terrestres et malicieuses, tu écartes la visitation de Dieu et tu te rends, hélas, digne de son aversion ! «Les transgresseurs de la loi ne subsisteront pas devant tes yeux», dit le prophète des psaumes, s’adressant à Dieu (Ps 5, 6). Or, du moment que la loi prescrit : «Tu te souviendras en tout temps du Seigneur Dieu, assis, en marche, couché et debout» (Deut. 6, 7), que l’Evangile déclare : «Scrutez les Ecritures» (Jn 5, 39) et vous y trouverez la vie éternelle, et que l’Apôtre donne ce mot d’ordre : «Priez sans cesse» (1 Thes. 5, 17), celui qui s’attarde dans les pensées d’ici-bas est déjà certainement coupable ; combien plus, si elles sont impures et malicieuses !
Or, maintenant, quand donc nos pères ont-ils adoré Dieu sur cette montagne ? Lorsque le patriarche Jacob, fuyant la jalousie de son frère Esaü et docile aux conseils de son père Isaac, se retira en Mésopotamie et qu’il en revint avec ses femmes et ses enfants. Lors de son retour, en effet, il planta ses tentes à peu près à l’endroit où le Seigneur rencontre la Samaritaine et, après l’affaire de Dina et la prise de Sichem, Dieu dit à Jacob, comme il est écrit dans la Genèse : «Lève-toi, monte à Béthel et fais-y un autel au Dieu qui t’apparut lorsque tu fuyais de devant la face d’Esaü, ton frère» (Gen. 35, 1). Sur cette parole, Jacob se leva et gravit la montagne qui se trouvait non loin de là ; il y dressa, dit l’Ecriture, un autel et appela ce lieu du nom de Béthel, car c’était là que Dieu lui était apparu.
C’est pourquoi la Samaritaine dit : «Nos pères ont adoré sur cette montagne», fidèle qu’elle demeure à ces anciens usages. Les ordonnances relatives au Temple de Jérusalem sont, en effet, postérieures. Et puisque cet endroit fut appelé par Jacob «Maison de Dieu», car tel est le sens du mot Béthel, la Samaritaine doute et désire savoir ceci : «Pourquoi dites-vous que ce n’est point dans ce lieu, mais à Jérusalem que se trouve la maison de Dieu, où vous jugez légal d’offrir à Dieu le sacrifice et l’adoration ?»
Le Seigneur alors explique tout-à-fait l’objet qu’il avait en vue, en même temps qu’il prophétise que cette femme deviendra telle que Dieu le demande et l’agrée, et qu’il répond à la question qu’elle vient de poser, en disant : «Femme, crois-moi, l’heure vient où ce n’est ni sur cette montagne, ni dans Jérusalem que vous adorerez le Père», en ajoutant peu après : «tels sont les adorateurs que Dieu demande».
Vous voyez qu’il confirme qu’elle sera telle que Dieu le veut et qu’elle adorera le Père Très Haut non point localement mais évangéliquement -car c’est elle que visent les mots : «Ce n’est ni sur cette montagne, ni dans Jérusalem que vous adorerez le Père», en même temps qu’Il lui prédit clairement que la loi sera changée ? Car qui dit changement d’adoration dit aussi, nécessairement, changement de loi.
Dans le passage intermédiaire : «Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas, nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le Salut vient des Juifs», Il répond à l’interrogation de la Samaritaine, en même temps qu’il poursuit Son propos. Voici, dit-Il, nous les Juifs -il se compte avec eux, comme issu d’eux selon la chair- nous, donc, qui ne faisons pas mentir notre nom mais connaissons ce qui nous revient, nous différons, pour l’adoration, de vous les Samaritains, en ceci que nous savons pourquoi la loi impose de l’offrir en Judée : c’est que des Juifs viendra le Salut du monde entier, le Christ. Or, comme il ne s’agit plus du futur, puisqu’Il est d’ores et déjà là, Il ne dit point : «Le Salut viendra des Juifs», mais «il vient».
Puis Il déclare : «L’heure vient, et elle est déjà venue». Ces mots sont prophétiques. Le terme «vient» signifie que cette heure n’est pas encore accomplie, mais qu’elle va l’être ; tandis que l’expression «elle est déjà venue» indique qu’Il voyait déjà la Samaritaine tout près de croire et d’adorer en esprit et en vérité.
Il déclare donc : «L’heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en Esprit et en vérité». Le Père Très Haut et adorable est, en effet, Père de la Vérité en soi, qui est le Fils Unique, et Il a un Esprit de vérité, l’Esprit Saint, et ceux qui L’adorent dans le Fils et l’Esprit, L’adorent ainsi à la fois parce que telle est leur foi, et que le Fils et l’Esprit leur en donnent l’énergie. Car, selon l’Apôtre, c’est par l’Esprit que nous adorons et que nous prions6, et «nul ne vient au Père que par moi» (Jn 14, 6) a dit le Fils Unique de Dieu.
Les vrais adorateurs sont ainsi ceux qui adorent le Père Très Haut en Esprit et en Vérité. Cependant, comme il venait de rejeter Jérusalem et la Samarie, pour ne pas laisser croire qu’il allait introduire un autre lieu de culte, il poursuit en écartant toute idée matérielle de lieu et d’adoration : «Dieu, dit-Il, est Esprit et ceux qui L’adorent doivent L’adorer en Esprit et en Vérité», c’est-à-dire en concevant l’Incorporel comme absolument distinct des corps. Ainsi Le verront-ils vraiment partout dans Son Esprit et dans Sa Vérité. Etant Esprit, en effet, Dieu est sans corps et le sans corps n’est pas dans un lieu, ni borné par des limites spatiales. Celui donc qui prétend que l’on doit adorer Dieu dans les seules frontières de Jérusalem ou de la montagne de Samarie, ou dans quelque lieu que ce soit, du ciel ou de la terre, celui-là ne dit point vrai et n’adore pas non plus véridiquement. Comme incorporel, Dieu n’est nulle part, et comme Dieu, Il est partout. S’il se trouvait, en effet, un lieu, une limite ou une créature où Il ne fût point, il apparaîtrait encore comme limité par quelque chose. Dieu est donc à la fois partout et en tout. Comment est-Il partout et en tout ? Serait-ce comme contenu, non par des parties du tout, mais par le tout ? Jamais de la vie ! Car il serait, encore une fois, un corps. C’est en tant qu’Il enveloppe et contient le tout qu’Il est en Lui-même à la fois partout et au-dessus de tout, adoré par les vrais adorateurs dans Son Esprit et dans Sa Vérité.
Omniprésent, non seulement sur terre, mais aussi dans les hauteurs, Dieu sera adoré par ceux qui ont cette foi véritable et divine, Père incorporel et infini dans le temps et l’espace, adoré dans l’Esprit Saint et éternel et dans le Fils et Verbe coéternel, qui est la Vérité hypostatique du Père.
Remarquons que l’âme et l’ange, en tant qu’incorporels, ne sont pas non plus dans un lieu physique, sans toutefois posséder l’ubiquité. Car loin de maintenir le tout, ils ont au contraire besoin de maintenance, et se trouvent donc eux-mêmes dans Celui qui maintient et contient le tout, délimités par Lui de la manière qui sied à leur nature. Pour l’âme, néanmoins, comme elle maintient le corps avec lequel elle a été co-créée, elle existe en tout lieu du corps, non comme attachée à un lieu matériel, ni comme contenue, mais comme enveloppant et contenant le corps -signe de l’image de Dieu.
Or la Samaritaine, entendant le Christ prononcer ces paroles extraordinaires et dignes d’un Dieu, et lui dire que Dieu ne doit, à la vérité, être adoré nulle part ailleurs que dans Son Esprit et dans Sa Vérité, la Samaritaine, donc, telle l’âme épouse de Dieu du Cantique des Cantiques, reçoit de la voix de son fiancé les ailes d’incorruptibilité et elle évoque Celui qu’elle espère, qu’elle aime ardemment et dont elle ignore encore la présence auprès d’elle : «Je sais, dit-elle, que le Messie vient, que l’on appelle le Christ. Lorsqu’il sera venu, il nous annoncera tout». Voyez-vous ? Elle était fin prête pour la foi ; pour elle, le Messie attendu était tout proche, et elle nourrissait la plus belle espérance. Ne pouvait-elle pas dire avec David : «Mon coeur est prêt, ô Dieu, mon coeur est prêt ; je chanterai et je te célébrerai dans ma gloire» ? (Ps. 56, 8).
D’où lui venait si certaine et si solide connaissance et qui avait rendu son âme si dispose ? Sinon la lecture, poursuivie avec la plus extrême et pénétrante attention, des livres prophétiques ? Par ce moyen, son esprit tenait déjà son vol au haut, imprégné du désir divin. Oui, lorsque je vois la Samaritaine brûler d’un tel amour spirituel du Christ, ébloui, je sens de nouveau monter sur mes lèvres les paroles du Cantique : «Quelle est celle qui s’élève comme l’aurore, belle comme la lune, resplendissante comme le soleil ?» (Cant. 6, 10)
La Samaritaine, en effet, annonce l’apparition prochaine du Christ, le Soleil spirituel de Justice, et elle figure l’Eglise des nations, qui va prendre sa source en elle et jaillir de la piscine sacrée du baptême comme de cette fontaine auprès de laquelle elle se tenait et recevait, catéchumène, l’enseignement du Sauveur ; aussi je la vois se lever telle une aurore ardemment chérie.
Puis, elle est belle comme la lune parce qu’elle commence à luire au coeur de la nuit de l’impiété.
Enfin, elle resplendit comme le soleil, et c’est pourquoi le Seigneur l’a appelée Photinie, et l’a inscrite au nombre de ceux qui brilleront comme le Soleil, selon les paroles de l’Evangile, pour la lumière qu’elle allait répandre dans sa vie couronnée du bienheureux martyre, non moins que pour la connaissance qu’elle prit, dès cet instant, du Christ comme Dieu véridique, qu’elle célébra en théologienne accomplie, et pour les paroles qu’elle prononça alors -les propres mots, en effet, qu’il dirait un jour à Ses disciples au sujet de l’Esprit consubstantiel et co-honoré, que, lorsqu’Il viendrait, Il leur enseignerait la vérité, la Samaritaine ici les dédie la première au Christ : «Lorsqu’Il viendra, Il nous annoncera tout» (Cf Jn 16, 13).
La voyant si parfaite, Christ l’époux mystique, sans plus dissimuler, lui dit : «Je le suis, moi qui te parle». Elle, alors, de devenir aussitôt un évangile vivant7 et, laissant sa cruche, de courir vers la ville pour y convertir tous les habitants par ses paroles et les conduire à la foi de Celui qui vient d’apparaître, en leur tenant ce discours : «Venez et voyez un homme qui m’a dit tout ce que j’ai fait. Ne serait-Il pas le Christ ?» Si elle parle de la sorte, ce n’est pas qu’elle garde elle-même le moindre doute ; elle pense plutôt que les autres Samaritains en croiront aussi davantage leurs yeux et qu’ils se laisseront plus aisément persuader s’ils rencontrent personnellement le Seigneur ; ce que les faits démontrèrent.
Eh ! bien, pour moi, qui n’ai fait jusqu’ici que survoler cet évangile, je vais passer la suite du texte sans la commenter, parce que je me rends compte qu’il est grand temps pour vous de vaquer aux travaux de cette vie et de satisfaire aux nécessités du corps. Et cependant ! Regardez cette femme de Samarie !
A peine elle entendit les paroles de l’Evangile, que nous sommes justement en train d’annoncer à votre charité, qu’elle dédaigna aussitôt les besoins du corps les plus impérieux. Oubliant immédiatement sa cruche et sa famille, elle se met à courir vers la ville, et va chercher les Samaritains pour revenir avec eux vers le Christ. Tel est bien le sens de ses paroles : «Venez et voyez», autrement dit : «Suivez-moi, je vais vous conduire et je vous montrerai dès maintenant le Sauveur descendu des cieux et apparu dans le monde !»
Elle les incita donc ainsi et les conduisit au Christ, mais elle nous enseigne aussi, par l’abandon de sa cruche et de sa maison, à préférer même aux choses nécessaires le profit tiré de l’enseignement, ce bien plus précieux, que le Seigneur, dans l’Evangile, appelle la bonne part, lorsqu’il répond à Marthe au sujet de Marie, qui écoutait Sa parole (Luc 10, 42). Or, si l’on doit mépriser même le nécessaire, combien davantage le reste ! Quelles contraintes te détournent de venir écouter ce qui nourrira ton âme ? Le soin de ta maison, de tes enfants, de ta femme ? Un deuil ou une joie familiale ou domestique ? Quelque achat ou vente de biens ? L’usage de ce que tu possèdes ou, pour mieux dire, son abus ? Bien ! Prête plutôt une oreille intelligente aux instructions de l’Apôtre : «Frère le temps qui reste se fait court, de sorte que ceux qui ont une femme soient comme n’en ayant point, que ceux qui pleurent soient comme s’ils ne pleuraient point, ceux qui se réjouissent, comme s’ils ne se réjouissaient point, ceux qui achètent, comme ne possédant point, enfin que ceux qui usent de ce monde, comme n’en abusant point ; car elle passe, la figure de ce monde» (1 Cor. 7, 29-31).
Que veulent dire les mots : «le temps se fait court ?» Brève est notre vie et la mort prochaine ; ce monde-ci se corrompt, autre est celui qui dure à jamais. Or, ce qui nous assure de gagner certainement ce monde qui vient, c’est le mépris du premier et la préparation à l’autre. Nous devons vivre, autant que possible, des biens d’à-présent selon les critères de la vie future et fuir, de tout notre pouvoir, ce qui peut nous nuire ici-bas. Lorsque l’ennemi multiplie les assauts aux abords de la Ville, alors, en vérité, nous possédons nos campagnes comme si nous ne les possédions pas et, le plus clair du temps, nous fuyons nos fermes pour nous abriter à l’intérieur en sécurité ; advient-il que l’ennemi se retire pour un temps, nous jouissons alors un peu des alentours de la cité ; mais, loin d’en abuser, nous abrégeons la promenade, sachant que le temps dont nous disposons se fait court. De même, l’Apôtre nous commande avec justesse d’user de ce monde sans en abuser. C’est qu’il aperçoit les ennemis invisibles déchaînant leur assaut terrible et la ruine totale qui menace : «Elle passe, dit-il, la figure de ce monde».
Toutefois, étant donné que les choses présentes n’ont pas d’existence ni de consistance réelles, mais qu’elles ne sont, comme il le dit, qu’une figure passagère, et qu’elles appartiennent au devenir, non à l’être, paraissant pour un bref instant avant de disparaître, quand bien même on voudrait les retenir, on en serait incapable, ni plus ni moins qu’on ne saurait retenir l’ombre d’un nuage d’été, duvet chassé par le vent et qui s’évanouit vite. Le seul but de son exhortation est donc ici de révéler les intentions de chacun et de faire symboliquement connaître les enseignements divins.
Oui, quand même on voudrait s’en saisir, comme je viens de le dire, les choses présentes resteraient insaisissables, et doublement insaisissables. Ce n’est pas simplement ce monde, en effet, qui passe, ce sont aussi ses usagers, nous-mêmes, qui disparaissons d’aventure avant les choses de ce monde que nous avions en main. Tout homme est un voyageur qui marcherait sur une route elle-même mobile en divers sens, et qui rivaliserait de vitesse avec lui, de sorte qu’il ne peut échapper à l’alternative suivante : ou bien les objets fugaces du chemin le devancent et ce qu’il détenait le fuit irrésistiblement, ou bien lui-même l’emporte à la course sur la route de cette vie, et en atteint le terme, où il ne saurait retenir les biens qu’il a croisés. Mortel, l’homme est lié aux choses de cette vie, elles-mêmes fluentes et incertaines. Celui donc qui s’attache au tournoi des choses passagères passe lui-même par mille tours et détours, et se retrouve privé de ce qu’il avait, soit richesse, splendeur ou belle humeur ; ou bien, il meurt auparavant, mettant lui-même, par ce dernier tour, un terme à son tournis ; et s’en retourne nu, laissant les biens d’ici-bas, avec les espérances qu’il y attachait. Ses enfants, d’aventure, en hériteront ? Mais, pour lui, à quoi bon ? Il n’a plus sentiment des choses d’ici-bas ; et ses enfants aussi vont choir, ainsi ou autrement.
Le terme de cette vie tombe toujours comme un malheur pour les hommes attachés à ce monde, d’où la mort les arrache pour les jeter nus dans la tombe, privés de tout ce qui charmait leur coeur. Rien de tel pour les contempteurs des choses d’ici-bas, qui aspirent à la connaissance du monde qui vient. Ces derniers s’empressent d’accomplir les oeuvres qui portent du fruit pour le siècle futur et le trépas, lorsqu’il arrive, ne leur cause nul dommage : ce n’est qu’un passage des choses vaines et fluentes jusqu’au jour sans crépuscule de la vie immortelle, de la richesse inépuisable, des délices infiniment pures, de la gloire éternelle, en un mot jusqu’aux choses qui sont vraiment et qui demeurent inaltérablement.
Puissions-nous tous en hériter, par la grâce et l’amour de Celui qui inclina les cieux et s’abaissa jusqu’à nous et, bien davantage encore, descendit jusqu’aux âmes captives des profondeurs, d’où Il est remonté par la Résurrection et la vie nouvelle, et qui nous a accordé en Lui-même la lumière, la science et l’espérance des biens célestes et éternels, dans lesquels Il est glorifié pour les siècles des siècles. Amen.

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