mardi 17 janvier 2012
GUETTEE. DE LA PAPAUTE. Chap.VI.
GUETTEE.
DE LA PAPAUTE.
CHAP.VI.
LA CRISE DU IXème SIECLE.
(P.148).
L’empereur Théophile avait laissé un fils du nom de Michel, surnommé Porphyrogénète, qui n’avait que trois ans à la Mort de son père. Sa mère, Théodora, fut reconnue comme régente. Elle suivait surtout les conseils du chancelier Théoctiste, de Manuel, chef de l’armée, & de Bardas, son frère. Ces conseillers étaient Orthodoxes, & contribuèrent puissamment au rétablissement du culte des images.
Le Saint Patriarche Méthodius étant Mort en 846, l’impératrice choisit pour Patriarche, Nicétas, fils de l’empereur Michel Rhangabé. Il s’était fait Moine, et avait pris le nom d’Ignace, sous lequel il est connu dans l’histoire. Son zèle pour les icônes & sa Sainteté lui avaient acquis le respect de Théodora. Cette princesse ayant été obligée de remettre le pouvoir à son fils, celui-ci se laissa diriger par son oncle Bardas, qui aurait voulu que sa sœur entrât dans un couvent, & que le Patriarche Ignace lui en donnât le conseil. Ignace refusa, & se fit un ennemi du puissant Bardas, qui était plus empereur que l’empereur lui-même. Il était doué d’une énergie peu commune, & ne savait reculer devant aucune difficulté. Il y avait au palais un autre homme de génie, d’une science étonnante, ami passionné de l’étude, & qui seconda Bardas dans ses efforts pour la restauration des études : C’était Photios, d’une famille illustre, alliée à celle de l’empereur, & secrétaire d’Etat. Bardas & Photios étaient très liés ; leurs goûts littéraires étaient les mêmes, & ils dépassaient tous leurs contemporains par la hauteur de leur génie. « Photios, dit un écrivain qui s’est appliqué à le diffamer, est un des caractères les plus fiers & un des esprits les plus extraordinaires qui aient figuré dans l’histoire des révolutions religieuses. » -(Jager, Histoire de Photius, introd. Note : Pour tout ce chapitre sur Saint Photios de Constantinople, voir Saint Photios, Œuvres Trinitaires, t.1. Ed. de la Fraternité Saint Grégoire Palamas, Paris, 1989. ( Traduction des écrits de Photios, avec la vie et une introduction sur l’historiographie du grand Patriarche)-. Il faut ajouter qu’il était vertueux, & que son amour pour l’étude l’absorbait au point qu’il ne songea pas même à se marier.
Il fut secrétaire d’Etat tout le temps que l’impératrice Théodora gouverna au nom de son fils. Ni Bardas ni Photios ne s’opposèrent au choix qu’elle avait fait d’Ignace pour le siège patriarcal.
Pendant que les empereurs iconoclastes ravageaient l’Eglise, Ignace menait une vie pieuse dans son Monastère dont il était devenu higoumène. –(Cf Nicétas. Vie de Saint Ignace)-.
(P.149).
Les Orthodoxes venaient à lui de toutes parts pour écouter ses exhortations & lui demander ses conseils. Le nombre de ses disciples s’étant accru d’une manière considérable, il fonda des Monastères dans les îles dites des Princes, & qui portaient les noms de Platos, Hyatros, & Thérébinthe. Des Evêques exilés par les iconoclastes engagèrent Ignace à entrer dans le Sacerdoce, quoiqu’il fût eunuque, ce qui était un empêchement canonique à la réception des ordres sacrés. On tint compte, sans doute, de cette circonstance, que cette infirmité était la suite des violences de l’empereur iconoclaste qui avait détrôné son père.
Les vertus d’Ignace avaient attiré sur lui l’attention de l’impératrice Théodora. Il fut consacré Patriarche le 4 juillet 846. Il était dans sa quarante-huitième année.
L’on peut croire que l’impératrice Théodora, en choisissant Ignace, voulut réparer autant qu’il était en elle, le mal que le père de son mari avait fait à lui & à toute sa famille, lorsqu’il avait détrôné Michel Rhangabé ; mais sa pitié l’inspira mal. Ignace était un Saint ; nous n’irons pas contre la voix des siècles qui l’ont honoré d’un culte public ; mais la sainteté ne détruit pas la nature. On peut donc croire qu’Ignace ne voyait pas sans peine occupé par un autre ce trône impérial sur lequel il se serait assis à la Mort de son père. A ses yeux, l’empereur régnant ne pouvait être qu’un usurpateur de ses droits, & tous ceux qui brillaient à la cour impériale ne pouvaient être que des ennemis.
Parmi les Evêques qui se présentèrent pour assister à sa consécration était l’Archevêque de Syracuse, qui s’était réfugié à Constantinople lorsque les Mahométans s’étaient emparés de sa ville épiscopale. Il se nommait Grégoire Asbesta.
Le siège de Syracuse dépendait-il du siège de Constantinople ou de celui de Rome ? Les deux Patriarches étaient depuis longtemps en discussion à ce sujet, & aucune décision n’avait encore était prise. Grégoire Asbesta était connu d’Ignace qui ne l’aimait pas ; on ignore ce que le nouveau Patriarche avait à lui reprocher ; mais un fait certain, c’est qu’il s’opposa à ce que l’Archevêque de Syracuse assistât à sa consécration. Cet Archevêque était déjà à l’église, un cierge à la main, lorsque Ignace lui défendit d’assister à la cérémonie. Outré de colère, Grégoire jeta son cierge à terre & jura de se venger. Une lutte très vive s’engagea entre les deux évêques ; elle dura pendant tout le pontificat d’Ignace. Quoique l’Archevêque de Syracuse ait été mêlé à toutes les discussions qui eurent lieu dans la suite, on n’a jamais relevé contre lui aucun crime qui ait légitimé l’injure publique que lui fit Ignace. –(Note : L’abbé Jager a osé s’exprimer ainsi : « Il y avait contre lui(Grégoire) des choses graves que l’histoire a laissées sous le secret, mais que le nouveau Patriarche connaissait parfaitement ». Qui a dit à Jager qu’Ignace connaissait des choses graves que l’histoire n’a jamais connues ? C’est ainsi que les hommes passionnés écrivant l’histoire. Héfélé, §464, dit : « qu’on ne sait pourquoi Ignace n’avait pas voulu que Grégoire assistât à la cérémonie. »)-. Malgré sa Sainteté, le Patriarche ne fut peut-être pas aussi modéré & aussi prudent qu’il aurait pu l’être. Il en donna une preuve nouvelle dans sa conduite à l’égard de Bardas.
Cet homme, si digne d’admiration sous tant de rapports, eut une faiblesse impardonnable.
(P.150).
Il devint éperdument amoureux de la femme de son propre fils. Il répudia donc sa femme légitime & vécut maritalement avec sa belle-fille. Cette liaison n’était pas assez secrète pour que le Patriarche n’en fût pas averti. Il fit à Bardas des remontrances qui ne furent pas écoutées. Bardas n’en continuait pas moins à se montrer très religieux, & le jour de l’Epiphanie de l’an 857, il se présenta à l’église pour y recevoir la communion. Ignace la lui refusa. L’empereur intervint ; mais ni ses promesses ni ses menaces ne purent vaincre le patriarche. Dès lors Bardas résolut de se venger. Il accusa Ignace d’être entré dans une conspiration dont le chef était un moine nommé Gelon. Pendant que Bardas dirigeait cette intrigue, Grégoire Asbesta avec deux autres évêques, Eulampius d’Apamée & Pierre de Sardes, élevaient contre lui les accusations les plus graves. Ils attaquaient la légitimité de sa consécration, parce qu’il n’avait pas été élu selon les canons, mais simplement choisi par l’autorité impériale. Ignace réunit quelques évêques, ses partisans, & il déposa Grégoire. Cette sentence ne pouvait pas être valable aux yeux des évêques de Rome, qui prétendaient que le siège de Syracuse relevait de leur patriarcat. La cause fut donc portée à Rome, d’abord sous Léon IV, qui ne prit aucune décision, & sous Benoît III, qui refusa de se prononcer, à moins que les deux antagonistes ne se présentassent à Rome, soit en personne, soit par des délégués, avec promesse de se soumettre au jugement qui serait prononcé. –(cf : Nicol., Epist.9 ad Imperat. Mich.- Stylian., Epist. Ad Pap. Steph.)-. Ignace envoya donc à Rome le moine Lazare, mais, lorsqu’il y arriva, le patriarche était déposé. Sur ces entrefaites, Benoît III mourut, & fut remplacé par Nicolas Ier sur le siège de Rome.
Bardas avait assemblé les Evêques qui se trouvaient à Constantinople, afin de juger Ignace, & d’examiner les accusations portées contre lui ; Tous, excepté cinq, jugèrent qu’il devait être déposé, & ils choisirent Photios pour lui succéder. Parmi les cinq opposants étaient Métrophane de Smyrne, & l’évêque de Néo-Césarée nommé Stylianos. Ils consentaient bien à la déposition d’Ignace, mais ils demandaient que Photios promît de rester en communion avec lui. Photios le promit. La paix semblait faite lorsque le décret de déposition fut notifié. Photios ne pouvait s’y opposer, puisqu’il ne devait pas être Patriarche si Ignace n’était pas déposé. Mais, en adhérant au décret de déposition, Photios n’attaquait pas l’Orthodoxie d’Ignace, & il restait en communion avec lui. Les cinq opposants lui reprochèrent cependant d’avoir manqué à sa promesse, & se déclarèrent contre son élection. –(Cf : Métroph., Epist. Ap. Labb. Conc., tVIII)-. Tous les autres évêques n’en persistèrent pas moins dans le choix qu’ils avaient fait.
Ignace avait occupé près de douze ans le trône patriarcal. Il avait soixante ans quand il fut déposé.
Nous admettons sans difficulté qu’Ignace n’eut que de bonnes intentions & des motifs de conscience en tout ce qu’il fit ; mais la justice veut que l’on reconnaisse qu’il n’imita ni la prudence d’un Tarasios, ni la sublime abnégation d’un Chrysostome.
(P.151).
On peut croire que le souvenir de la puissance impériale dont son père avait été privé violemment ne le disposait pas à ménager ceux qui occupaient une position élevée qu’il regardait comme un bien injustement ravi à sa famille. La cour l’accusa d’avoir pris parti pour un aventurier qui se croyait des droits à la couronne impériale, & il fut exilé.
Un grand nombre d’Evêques, avant lui, avaient eu à supporter cet arbitraire de la cour. Parmi ses prédécesseurs, & même sur le siège de Rome, Ignace eût trouvé des Evêques qui aimèrent mieux renoncer à une dignité qu’ils ne pouvaient plus exercer utilement pour l’Eglise, que d’exciter, par une opposition inutile, des troubles qui ont toujours pour l’Eglise de déplorables conséquences. Il ne jugea pas à propos d’imiter ces exemples, & refusa de renoncer à sa dignité, malgré les instances de plusieurs Evêques.
La cour ne pouvait céder. C’est ainsi que Saint Photios fut appelé au trône patriarcal.
Photios était neveu du Patriarche Taraise. Voici le portrait qu’en a tracé Fleury, en son Histoire Ecclésiastique – (Livre L.§ », ann. 858)-. « Le génie de Photios était encore au-dessus de sa naissance. Il avait l’esprit grand, & cultivé avec soin. Ses richesses lui faisaient facilement trouver toutes sortes de livres ; & sa passion pour la Gloire allait jusqu’à lui faire passer les nuits à la lecture. Aussi devint-il le plus savant homme, non seulement de son siècle, mais des précédents. Il savait la grammaire, la poétique, la rhétorique, la philosophie, la médecine, & toutes les sciences profanes ; mais il n’avait pas négligé la science ecclésiastique, & quand il se vit en place, il s’y rendit très savant ».
Dans un ouvrage composé dans ces derniers temps par la cour de Rome, -(L’Eglise orientale, ouvrage publié sous le nom de M. Pitzipios, Ière partie, ch.IV)-, on a été obligé de dire de Photios : « Sa vaste érudition, son caractère insinuant, souple & ferme à la fois, & sa capacité dans les affaires politiques, & jusqu’à sa douce physionomie & ses manières nobles & attrayantes, le faisaient remarquer parmi ses contemporains ».
Nous devions d’abord tracer le caractère de Photios d’après des écrivains non suspects de lui être favorables.
Photios reçut la consécration épiscopale le jour de Noël 858.
A peine était-il élu & consacré, que Bardas soumit Ignace & ses partisans aux traitements les plus cruels. Il affectait de ne voir en eux que les membres d’un parti dont le chef avait été condamné pour crime de haute trahison.
Photios ne pouvait voir ces atrocités sans en ressentir une profonde douleur. Il écrivit à Bardas : « Quand je vois des prêtres tourmentés ; quand je vois qu’on les frappe, qu’on les enchaîne, qu’on va jusqu’à leur couper la langue, n’ai-je pas raison de croire que ceux qui sont Morts sont plus heureux que moi. N’ai-je pas raison de regarder comme une punition pour mes péchés le fardeau qui m’a été imposé malgré moi ?
(P.152).
Un homme pauvre, sans protection, n’ayant pas même l’usage complet de sa raison, & dont on aurait dû avoir pitié, a souffert d’une manière horrible ; il a été vendu comme esclave, frappé de verges, emprisonné, & on lui a coupé la langue ; et cet homme était Prêtre ! Plusieurs fois, j’ai intercédé pour lui, & je n’ai rencontré que de l’indifférence & de l’insensibilité. »
Bardas n’accorda pas à Photios ce qu’il demandait. Aussi le pieux Patriarche cessa-t-il toute relation avec lui, comme il l’en avait prévenu dans sa lettre, pour le cas où il resterait insensible à ses supplications. Il s’adressa à l’empereur qui, malgré ses vices, n’était pas méchant. Mais Bardas était plus que l’empereur, & il tenait ce prince sous sa tutelle. Il se vengeait d’Ignace & de ses partisans, & les cruautés qu’il exerçait contre eux retombaient sur l’empereur lui-même.
Les ennemis passionnés de Photios les faisaient retomber sur ce doux Patriarche, qui les condamnait si énergiquement.
Dans l’année qui suivit sa consécration, Photios envoya aux Patriarches une lettre synodale, comme ces hauts représentants de l’Eglise avaient l’habitude d’en envoyer en signe de communion, après leur consécration. Voici l’exemplaire envoyé au Patriarche de Rome, le pape Nicolas Ier :
« Au très Saint, très Sacré, & très Révérend co-Ministre Nicolas, pape de l’ancienne Rome, Photios, Evêque de Constantinople, nouvelle-Rome.
« Lorsque la grandeur du Sacerdoce se présente à mon esprit, lorsque je pense à la distance qui existe entre sa perfection & la bassesse de l’homme ; quand je mesure la faiblesse de mes forces, & que je me rappelle la pensée que j’eus toute ma vie touchant la sublimité d’une telle dignité, pensée qui m’inspirait de l’étonnement, de la stupéfaction, en voyant des hommes de notre Temps, pour ne pas parler des Temps Anciens, accepter le joug terrible du pontificat, &, quoique étant des hommes enlacés dans la chair & le sang, entreprendre, à leur grand péril, de remplir le Ministère des Chérubins purs Esprits ; lorsque mon esprit s’attache à de telles pensées, & que je me vois moi-même engagé dans cet état qui me faisait trembler pour ceux que j’y voyais, je ne puis dire combien j’éprouve de douleur, combien je ressens de chagrin. Dès mon enfance, j’avais pris une résolution qui n’a fait que se fortifier avec l’âge, celle de me tenir éloigné des affaires & du bruit, & de jouir de la douceur paisible de la vie privée ; cependant ( je dois l’avouer à Votre Sainteté, puisqu’en lui écrivant je lui dois la vérité), j’ai été obligé d’accepter des dignités à la cour impériale, & de déroger ainsi à mes résolutions. Toutefois, je n’ai jamais été assez téméraire pour aspirer à la dignité du sacerdoce. Elle me semblait trop vénérable & trop redoutable, surtout lorsque je me rappelais l’exemple de Pierre, coryphée des Apôtres, qui, après avoir donné à notre Seigneur & notre vrai Dieu Jésus-Christ, tant de témoignages de sa Foy, & après lui avoir montré qu’il l’aimait si ardemment, a regardé comme le couronnement de toutes ses bonnes œuvres l’honneur d’avoir été élevé par le Maître au sacerdoce. Je me rappelle aussi l’exemple de ce serviteur auquel un talent avait été confié, & qui, l’ayant caché pour ne pas le perdre, à cause de la sévérité de son maître, fut obligé d’en rendre compte, & fut condamné au feu & à la géhenne pour ne l’avoir pas fait valoir.
(P.153).
« Mais pourquoi vous écrire ainsi, renouveler ma douleur, aggraver mon chagrin, & vous rendre confident de mes peines ? Le souvenir des choses pénibles aigrit le mal sans y apporter de soulagement. Ce qui s’est passé est comme une tragédie qui a eu lieu sans doute, afin que, par vos prières, nous puissions bien gouverner un troupeau qui nous a été confié je ne sais comment ; que le nuage de difficultés qui s’offrent à nous soit dissipé, que l’atmosphère sombre qui nous environne soit éclaircie. De même qu’un pilote est joyeux lorsqu’il voit son navire bien dirigé poussé par un vent favorable, ainsi une Eglise est la joie du pasteur qui la voit croître en piété, en vertus ; elle dissipe les inquiétudes qui sont autour de lui comme des nuages, & les craintes que lui inspire sa propre faiblesse.
« Dernièrement, lorsque celui qui remplissait avant nous la charge épiscopale eut quitté cet honneur, je me suis vu attaqué de toutes parts, sous je ne sais quelle impulsion, par le clergé & par l’assemblée des évêques & des métropolites, & surtout par l’empereur qui est plein d’amour pour le Christ, qui est bon, juste, humain, et (pourquoi ne pas le dire ?) plus juste que ceux qui ont régné avant lui. Il n’a été que pour moi inhumain, violent, & terrible. Agissant de concert avec l’assemblée dont j’ai parlé, il ne l’a pas laissé de répit, prenant pour motif de ses instances la volonté & le désir unanimes du clergé qui ne me laissait aucune excuse, affirmant que, devant un tel suffrage, ilne pourrait, même quand il le voudrait, condescendre à ma résistance. L’assemblée du clergé étant considérable, mes supplications ne pouvaient être entendues d’un grand nombre ; ceux qui les entendaient n’en tenaient aucun compte ; ils n’avaient qu’une intention, une résolution arrêtée : celle de me charger, même malgré moi de l’épiscopat. »
« La voie de la supplication m’étant fermée, mes larmes jaillirent ; le chagrin qui, au-dedans de moi, ressemblait à un nuage, & me remplissait de ténèbres & d’anxiété, se fondit tout-à-coup en un torrent de larmes qui déborda par mes yeux. Lorsqu’on voit ses paroles impuissantes pour obtenir le Salut, il est dans la nature même d’avoir recours aux prières & aux larmes ; on en espère encore quelque secours, alors même que l’on ne peut plus se flatter d’en obtenir. Ceux qui me faisaient violence ne me laissèrent aucun repos jusqu’à ce qu’ils eussent obtenu ce qu’ils voulaient, quoique ce fût contraire à ma volonté. Ainsi, me voilà exposé à des tempêtes, à des jugements que dieu seul, qui sait tout, connaît. Mais, c’en est assez, comme dit le proverbe.
« Or, comme la Communion de la Foy est la meilleure de toutes, & comme elle est par excellence la source de la vraie dilection, afin de contracter avec Votre Sainteté un lieu pur & indissoluble, nous avons résolu de garder brièvement, comme sur le marbre, notre Foy qui est aussi la vôtre. Par là, nous obtiendrons plus promptement l’effet de vos ferventes prières, & nous vous donnerons le meilleur témoignage de notre affection. »
Photios fait ensuite sa profession de foy avec une exactitude & une profondeur dignes du plus grand théologien. Il y rapporte les vérités fondamentales du Christianisme aux mystères de la Trinité, de l’Incarnation & de la Rédemption.
(P.154).
Il accepte les Sept Conciles Œcuméniques, & il expose, en peu de mots, mais avec une remarquable justesse, la doctrine qui y a été définie ; Puis il ajoute :
« Telle est la profession de ma Foy, touchant les choses qui lui appartiennent, & qui en découlent ; c’est dans cette Foy qu’est mon espérance. Elle n’est pas à moi seul, mais elle est partagée par tous ceux qui veulent vivre avec piété, qui ont en eux l’Amour divin, qui ont résolu de maintenir la pure & exacte doctrine Chrétienne. En consignant ainsi par écrit notre profession de Foy, & en faisant connaître à Votre Très Sacrée Sainteté ce qui nous concerne, nous avons comme gravé sur le marbre ce que nous avons exprimé par nos paroles ; comme nous vous l’avons dit, nous avons besoin de vos prières, afin que Dieu nous soit propice & bon dans toutes nos entreprises ; afin qu’Il nous accorde la grâce d’arracher toute racine de scandale, toute pierre d’achoppement, de l’ordre ecclésiastique ; afin que nous paissions bien ceux qui nous sont soumis ; afin que la multitude de nos péchés ne retarde pas les progrès de notre troupeau dans la Vertu, & ne rende ainsi nos fautes encore plus nombreuses ; afin que je fasse & que je dise aux fidèles toujours ce qui convient ; afin que, de leur côté, ils soient toujours obéissants & dociles pour ce qui concerne leur Salut ; afin que, par la Grâce & la Bonté du Christ qui est la tête de tous, ils croissent sans cesse en Lui, auquel soient la Gloire & le Règne avec le Père & le Saint Esprit, Trinité consubstantielle & principe de Vie, maintenant & toujours dans les siècles des siècles. Amen. »
Cette lettre est un beau monument d’Orthodoxie, & elle est digne à tous égards d’un grand écrivain & d’un grand Evêque.
Elle fut apportée à Rome avec une lettre de l’empereur. Nicolas Ier profita de cette occasion pour faire acte d’autorité suprême dans l’Eglise. Ce pape est un de ceux qui ont le plus contribué à développer l’œuvre d’Adrien Ier, qui, le premier, conçut le projet de faire de l’évêque de Rome l’empereur souverain de l’Eglise. Le jésuite Maimbourg – ( cf Maimb., Histoire du schisme des Grecs)-, voulant louer Nicolas affirme que : « pendant son pontificat de neuf années, il avait élevé le pouvoir papal à un degré qu’il n’avait point encore atteint, surtout à l’égard des empereurs, rois, princes, & patriarches, qu’il traita avec plus de rudesse qu’aucun de ses prédécesseurs, à chaque fois qu’il se crut lésé dans les prérogatives de son pouvoir pontifical. » Ce fait est incontestable, mais le P ; Maimbourg n’a aperçu ni l’importance historique de ce qu’il constatait, ni les funnestes conséquences de ce développement du pouvoir papal. Il n’a pas vu non plus que ce développement prétendu n’était qu’un changement radical, & que, au neuvième siècle, la papauté n’était plus le patriarcat romain des huit premiers siècles.
Nicolas ignorait ce qui s’était passé à Constantinople lors de la déposition d’Ignace & de l’élection de Photios. Il sut seulement que Photios était laïque au moment de cette élection. Il est certain que plusieurs canons en Occident interdisaient les consécrations précipitées ;
(P.155)
ces canons n’étaient pas reçus en Orient, & quoique l’usage y fût en faveur des ordinations données par degrés, l’Histoire de l’Eglise prouve, par de nombreux exemples, qu’on s’élevait parfois au-dessus des canons ou de l’usage, en faveur d’hommes d’un mérite distingué & en des circonstances graves. Il suffit de rappeler les noms d’Ambroise de Milan, de Nectaire, de Taraise, & de Nicéphore, de Constantinople, pour prouver que la consécration de Photios n’était pas sans précédents très vénérables. Mais Nicolas voulait se poser en arbître suprême. Au lieu de différer modestement d’entrer en relation avec le nouveau patriarche jusqu’à plus ample informé, il répondit ainsi aux lettres de l’empereur & de Photios :
« Le Créateur de toutes choses a établi le Principat du divin pouvoir que le Créateur de toutes choses a accordé à ses Apôtres choisis ; il en a établi la solidité sur la Foy solide du Prince des Apôtres, c’est-à-dire de Pierre, auquel Il a accordé par excellence le premier siège. Car il lui a été dit par la voix du Seigneur : « Tu es Pierre, & sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise, & les portes de l’Enfer ne prévaudront pas contre elle. » Pierre, qui a été nommé ainsi à cause de la solidité de la pierre qui est le Christ, ne cesse point d’affermir par ses prières l’édifice inébranlable de l’Eglise universelle, de manière qu’il s’empresse de réformer, par la règle de la vraie Foy, la folie de ceux qui tombent dans l’erreur, &qu’il soutient ceux qui la consolident de peur que les porets de l’Enfer, c’est-à-dire les suggestions des malins esprits & les attaques des hérétiques, ne parviennent à rompre l’unité de l’Eglise… » -( cf : Nicolas I, Epistolae 2 et 3, in la Collection des Conciles, par le P. Labbe, t. VIII ; & Nat. Alexand., Hist. Eccl. Dissert., t. IV, in Saecul.,IX.)-
Nicolas feint de croire ensuite que si Michel est envoyé à Rome, c’est qu’il voulait observer ce règlement établi par les Pères : « Que, sans le consentement du siège romain & du pontife romain, on ne devait rien terminer dans les discussions ».
Ce principe était admis en ce sens qu’une question de Foy ne pouvait être définie sans l’adhésion des Eglises occidentales, qui était transmise ordinairement par le premier siège de ces contrées, mais non pas en ce sens que le consentement du siège particulier de Rome ou de son évêque était rigoureusement nécessaire. Nicolas s’appuyait ainsi sur une erreur, & supposait à tort qu’elle était admise par l’empereur d’Orient. Sur ce dernier point, surtout, il savait à quoi s’en tenir. Il attaque ensuite l’élection de Photios en vertu des canons du Concile de Sardique & des Décrétales des papes Célestin, Léon, & Gélase, qu’il appelle Docteurs de la Foy catholique. Il aurait pu remarquer qu’il ne s’agissait pas de la Foy, mais d’une question disciplinaire, & que l’Orient n’avait pas, & avait le droit de ne pas avoir, sur ce point, la discipline de l’Occident. Adrien Ier avait défendu d’élever à l’avenir un laïc à l’épiscopat. Nicolas s’appuie sur ce précédent. Mais il n’examine pas si Adrien avait plus que lui, Nicolas, le droit de faire une pareille défense. « Nous VOULONS, ajoute-t-il, qu’Ignace se présente devant nos envoyés, afin qu’il déclare pourquoi il a abandonné son peuple sans tenir compte des prescriptions de nos prédécesseurs les saints pontifes Léon & Benoît…
(P.156).
Le tout sera transmis à notre autorité supérieure, afin que nous définissions par l’autorité apostolique ce qu’il y aura à faire, afin que votre Eglise, qui est si ébranlée, soit à l’avenir stable & paisible. »
Suivant un usage qui était dès lors établi dans l’Eglise romaine, Nicolas n’était pas tellement préoccupé de ses devoirs de pontife suprême qu’il ne songeât aux intérêts matériels de son siège ; c’est pourquoi il écrit à l’empereur : « Rendez-nous le patrimoine de Calabre & celui de Sicile, & tous les biens de notre Eglise, dont la possession lui était acquise, & qu’elle était dans l’usage de régir par ses propres mandataires ; car il est déraisonnable qu’un bien ecclésiastique servant au luminaire & aux offices de l’Eglise de Dieu nous soit ravi par un pouvoir terrestre ».
Voici donc le temporel déjà investi d’une consécration religieuse.
« NOUS VOULONS, ajoute Nicolas ( ce mot coule naturellement de sa plume à tout propos, NOUS VOULONS que la consécration soit donnée par notre siège à l’archevêque de Syracuse, afin que la Tradition établie par les Apôtres ne soit pas violée de notre temps. » Ce motif est vraiment singulier, pour ne pas dire plus. La Sicile fut soumise au patriarcat romain au quatrième siècle ; depuis la chute de l’Empire, cette région était restée dans le domaine de l’empereur de Constantinople. Or, selon la règle admise de tout temps dans l’Eglise, les circonscriptions ecclésiastiques devaient donc, en vertu de cette règle, relever de Constantinople, & non de Rome ; Nicolas ne le voulait pas ; mais les Apôtres auxquels il en appelait n’avaient certainement jamais soumis le siège de Syracuse à celui de Rome. –(Note : Si le siège de Syracuse dépendait de Rome, Grégoire, évêque de ce siège n’avait pu être ni jugé ni condamné par Ignace. Ainsi tombent les récriminations élevées contre le consécrateur du patriarche Photios)-.
La lettre à Photios n’est que l’abrégé de celle qui était adressée à l’empereur. Seulement, Nicolas évite de se servir des expressions ambitieuses que nous avons signalées dans cette dernière. Il ne s’adressa à Photios que comme à un simple laïc, sans lui donner aucun titre épiscopal, quoiqu’il le sût légitimement sacré. Cette affectation cachait cette pensée : qu’aucun évêque ne pouvait avoir le caractère de son ordre que par le consentement du pontife romain.
Les anciens papes ne tenaient un langage pareil ni aux empereurs, ni à leurs frères les Evêques. Dans les circonstances où ils étaient obligés d’intervenir pour la Défense de la Foy ou de l’Ascèse, ils ne se posaient pas en arbitres souverains, & ne s’attribuaient pas une autorité suprême ; ils en appelaient à la Tradition, aux canons ; ne faisaient rien sans Concile, & ne mêlaient point les choses temporelles aux spirituelles. Nous avons remarqué les premiers pas de la papauté dans ses voies nouvelles, & ses tentatives pour abolir l’ancien droit ecclésiastique. Nicolas Ier se crut en état de faire, de ses nouvelles prétentions, autant de prérogatives anciennes & incontestables. Aussi mérite-t-il d’être placé entre Adrien Ier, le vrai fondateur de la papauté moderne, & Grégoire VII, qui l’a élevée à son plus haut période.
(P.157).
Mais les Fausses Décrétales n’étaient pas connues en Orient. Nicolas Ier, au lieu d’invoquer les principes généraux des Conciles Œcuméniques, en appelait aux Décrétales de ses prédécesseurs, comme si les évêques de Rome avaient pu établir des lois universelles. Photios lui rappela les vrais principes avec autant d’exactitude que de modération, dans sa deuxième lettre.
Les légats de Nicolas étant arrivés à Constantinople, on assembla, dans cette ville, un concile où se trouvèrent trois cent dix-huit évêques, & auquel les légats assistèrent. Ignace comparut dans cette assemblée, & il y fut solennellement déposé : 1° parce qu’il avait été choisi par la puissance temporelle, & non pas élu selon les canons ; 2° parce qu’il était entré dans des complots & conjurations contre l’empereur. Les ennemis de Photios font de ces trois cent dix-huit évêques, qui délibérèrent en public, & en présence d’une foule considérable, autant de traîtres vendus à la cour. Nous avons peine à croire que tant d’évêques aient ainsi prostitué leur conscience, sans qu’un seul d’entre eux n’ait eu de remords, sans que le peuple ait protesté contre une telle infamie. Il est difficile de croire à cette connivence de trois cent dix-huit évêques, entourés de la foule du clergé & du peuple ; il nous semble plus admissible de croire qu’Ignace, malgré ses vertus, avait été élevé au patriarcat moins par élection que par une influence puissante, & à cause de sa noblesse, comme on le lui reprochait, & qu’il s’était trouvé compromis, sans doute malgré lui, dans des intrigues politiques. Nous ne voyons aucune raison de suspecter la pureté de ses intentions, mais n’a-t-il pas été le jouet de quelques ambitieux ? Et n’est-ce pas à cause de leur funeste influence qu’il n’a pas imité la grandeur d’âme, & l’abnégation vraiment épiscopale d’un Chrysostome ?
Ignace fut déposé ainsi pour la seconde fois par un grand concile, en 861. Il en appela au pape. Mais sa requête ne fut signée que de six métropolitains & de quinze évêques.
Dans ce concile, on condamna de nouveau les Iconoclastes, & l’on fit plusieurs canons relatifs au clergé & aux moines.
Après le concile, les légats retournèrent à Rome. Peu de temps après leur arrivée, une ambassade impériale apporta les Actes du concile, & une lettre de Photios, conçue en ces termes :
« Au très saint entre tous & très sacré frère & co-ministre Nicolas, pape de l’ancienne Rome, Photios, Evêque de Constantinople, la nouvelle Rome.
« Rien n’est plus vénérable & plus précieux que la Charité, c’est l’opinion commune confirmée par les Saintes Ecritures. Par la Charité, ce qui est séparé est uni ; les luttes sont pacifiées ; ce qui est déjà uni & intimement lié est uni plus étroitement encore ; la Charité ferme toute issus aux séditions & aux querelles intestines ; car « la Charité ne pense pas le mal, mais elle souffre tout ; elle espère tout, elle supporte tout, & jamais, selon le Bienheureux Paul, elle n’est épuisée ». Elle réconcilie les serviteurs coupables avec leurs maîtres, en faisant valoir, pour atténuer la faute, l’identité de la nature. Elle apprend aux serviteurs à supporter avec douceur la colère de leurs maîtres, & les console de l’inégalité de leur condition, par l’exemple de ceux qui ont également à en souffrir.
(P.158).
Elle adoucit la colère des parents contre leurs enfants, & contre les murmures de ces derniers ; elle fait de l’amour paternel une arme puissante qui leur vient en aide, & empêche au sein des familles ces déchirements dont la nature a horreur. Elle arrête facilement les discussions qui s’élèvent entre amis, & elle les engage à conserver les bons rapports de l’amitié ; quant à ceux qui ont les mêmes pensées sur Dieu & sur les choses divines, quoiqu’ils soient séparés par l’espace, & qu’ils ne se soient jamais vus, elle les unit & les identifie par la pensée, & elle en fait de vrais amis ; & si par hasard l’un d’entre eux a élevé d’une manière trop inconsidérée des accusations contre l’autre, elle y remédie, & rétablit toutes choses, en resserrant le lien de l’union. »
Ce tableau des bienfaits de la Charité était à l’adresse de Nicolas, qui ne l’avait pas observée à l’égard de Photios, & qui avait montré trop d’empressement pour lui faire des reproches. Le Patriarche de Constantinople continue :
« C’est cette charité qui m’a fait supporter sans peine les reproches que Votre Sainteté Paternelle m’a lancés comme autant de traits ; qui m’ a empêché de considérer ses paroles comme les fruits de la colère, ou d’une âme avide d’injures & d’inimitiés ; qui me les a fait envisager, au contraire, comme la preuve d’une affection qui ne sait rien dissimuler, & d’un zèle scrupuleux pour l’ascèse ecclésiastique, zèle qui voudrait que tout fût parfait. Car si la charité ne permet pas de considérer même le mal comme mal, comment permettra-t-elle de juger que telle chose est mal ? Telle est la nature de la vraie charité, qu’elle va jusqu’à regarder comme un bienfait, même ce qui nous cause de la peine. Mais puisque rien ne s’oppose qu’entre frères, ou pères & fils, on se dise la vérité ( qu’y-a-t-il en effet de plus amical que la vérité), qu’il me soit permis de vous parler & de vous écrire en toute liberté, non par le désir de vous contredire, mais avec l’intention de me défendre.
« Parfait, comme vous l’êtes, vous auriez dû considérer d’abord que c’est malgré nous que nous avons été traînés sous le joug, &, par conséquent, avoir pitié de nous, au lieu de nous faire des reproches ; ne pas nous mépriser, mais compatir à notre douleur. On doit en effet à ceux qui ont été violentés, pitié & bonté, & non pas injure & mépris. Or, nous avons souffert une violence telle que Dieu seul, qui connaît les choses les plus secrètes, la connaît ; nous avons été retenu malgré nous ; nous avons été gardé à vue, espionné, comme un coupable ; on nous a donné, malgré nous, des suffrages ; on nous a créé Evêque, malgré nos larmes, nos plaintes, notre affliction, notre désespoir. Tout le monde sait qu’il en a été ainsi : car les choses ne se sont pas passées en secret, & l’excès de la violence que j’ai subie a été si public que tout le monde en a eu connaissance. Quoi ! ne faut-il pas plaindre & consoler autant que possible ceux qui ont souffert de telles violences, plutôt que de les attaquer, de les maltraiter, de les charger d’injures ? J’ai perdu une vie tranquille & douce ; j’ai perdu ma gloire ( puisqu’il en est qui aiment la gloire mondaine), j’ai perdu mes chers loisirs, mes relations si pures & si agréables avec mes amis, ces relations d’où le chagrin, la ruse, & les reproches étaient exclus. Personne ne m’avait pris en haine ;
(P.159)
moi, je n’accusais, je ne haïssais personne, ni étrangers, ni indigènes ; je n’avais rien contre ceux qui avaient le moins de rapports avec moi, à plus forte raison contre mes amis. Je n’ai jamais causé à personne un chagrin qui ait donné occasion de me faire un outrage, excepté dans les dangers que j’ai courus pour la cause de la religion. –(Photios fait allusion ici à la résistance qu’il opposa aux empereurs iconoclastes & à leurs partisans)-. Personne non plus ne m’a offensé assez gravement pour que je me sois porté à son égard jusqu’à l’injure. Tous étaient bons pour moi. Quant à ma conduite, je dois garder le silence, mais chacun proclame ce qu’elle a été. Mes amis m’aimaient plus que leurs parents ; quant à mes parents, ils m’aimaient plus que les autres membres de la famille, & savaient que c’était moi qui les aimais le mieux. »
Les ennemis de Photios eux-mêmes sont forcés de convenir que sa vie était celle d’un homme dévoué à l’étude ; qu’il était en possession, comme premier secrétaire d’Etat, des plus grands honneurs qu’il pût ambitionner. Comment concilier ces aveux avec cet amour effréné de l’épiscopat que ses ennemis lui prêtent mensongèrement ? On est mieux dans la vérité en acceptant ses lettres comme la véritable expression de ses sentiments ; Il a résisté autant qu’il a pu à sa promotion sociale, & ce n’est que la volonté de l’empereur & celle de Bardas, qui l’ont obligé d’accepter un siège que personne, mieux que lui, ne pouvait occuper. –(Note de Guettée : Lorsque nous analyserons la Correspondance de Photios, on ne pourra plus douter de la noblesse de sentiments du Saint & Docte Patriarche)-.
Photios, après avoir fait un parallèle aussi vrai qu’éloquent entre les douceurs de sa vie de savant, & les soucis de la vie nouvelle qu’on lui avait imposée, poursuit ainsi ;
« Mais pourquoi revenir sur ces choses que j’ai déjà écrites ? Si l’on m’a cru, on m’a fait injure en n’ayant pas pitié de moi ; si l’on ne m’a pas cru, on ne m’a pas fait une moindre injure, en n’ajoutant pas foi à mes paroles lorsque je disais la vérité. D’un côté comme de l’autre, je suis donc malheureux. Je reçois des reproches d’où j’attendais de la consolation & des encouragements : la douleur s’ajoute ainsi à la douleur.- Il ne fallait pas, me dit-on, que l’on vous fît injure. Mais dites cela à ceux qui me l’ont faite.- Il ne fallait pas que l’on vous fît violence.- La maxime est bonne, mais qui mérite votre reproche ? Ne sont-ce pas ceux qui ont fait violence ? Qui sont ceux qui méritent pitié ? Ne sont-ce pas ceux qui ont été violentés ? Si quelqu’un laissait en paix ceux qui ont fait violence pour retomber sur celui qui l’a subie, je pouvais espérer de votre justice que vous le condamneriez.
« Les canons de l’Eglise, dit-on, ont été violés parce que, du rang des laïcs, vous êtes monté au faîte du sacerdoce. Mais qui les a violés ? Est-ce celui qui a fait violence, ou celui qui a été entraîné de force & malgré lui ?-Mais, il eût fallu résister.- Jusqu’à quel degré ?- J’ai résisté, & plus même qu’il n’eût fallu. Si je n’avais craint d’exciter de plus grandes tempêtes, j’eusse résisté encore, & jusqu’à la Mort. Mais quels sont ces canons que l’on prétend avoir été violés ? Ce sont des canons que, jusqu’à ce jour, l’Eglise de Constantinople n’a pas reçus. On transgresse des canons quand on a dû les observer;
(P.160)
mais, lorsqu’ils ne vous ont pas été transmis, vous ne commettez aucun péché en ne les observant pas.
« J’en ai assez dit, & même plus qu’il n’était opportun. Car je ne prétends ni me défendre ni me justifier. Comment vouloir me défendre, lorsque la seule chose que je désire est d’être délivré de la tempête, d’être déchargé du poids qui m’accable ? C’est à ce point que j’ai désiré ce siège, à ce point que je veux le retenir.- mais si le siège épiscopal vous est à charge aujourd’hui, il n’en a pas été ainsi au commencement ? – Je m’y suis assis malgré moi, j’y reste malgré moi. La preuve, c’est que, dès le commencement, on me fit violence ; c’est que, dès le commencement, j’ai voulu, comme je voudrais aujourd’hui le quitter. – Mais si l’on devait m’écrire des choses polies, on ne pouvait m’écrire avec bonté & me louer. – Nous avons reçu tout ce qui nous a été dit avec joie, & en rendant grâces au Dieu qui gouverne l’Eglise. – On m’a dit : « Vous avez été tiré de l’ordre des laïcs, ce n’est pas là un acte louable ; c’est pourquoi nous sommes indécis, & nous avons ajourné notre consentement jusqu’après le retour de nos apocrisiaires. » Il valait mieux écrire : « Nous ne consentons pas du tout, nous n’approuvons pas, nous n’acceptons pas, & nous n’accepterons jamais. Celui qui s’est offert pour ce siège, qui a acheté l’épiscopat, qui n’a pas eu pour lui de vrais suffrages, c’est un homme mauvais sous tous rapports. Quitte ce siège & la charge d’Evêque ». Celui qui m’eût écrit ainsi, m’eût écrit des choses agréables, quoique fausses pour la plupart. Mais fallait-il que celui qui avait souffert l’injure en entrant dans l’épiscopat, la souffrît encore en le quittant ? que celui qui y avait été poussé violemment en fût repoussé avec plus de violence encore ? Celui qui aurait de tels sentiments, de telles pensées, n’aurait guère souci de repousser la calomnie, qui n’a d’autre but que de lui arracher le siège épiscopal. Mais c’est assez sur ce sujet. »
Dans le reste de sa lettre, Photios explique fort au long qu’une Eglise ne doit pas condamner les usages d’une autre, pourvu que ces usages ne soient contraires ni à la foi ni aux canons des conciles généraux. Il justifie son ordination par cette règle, & par l’exemple de ses Saints prédécesseurs, Nectaire, Taraise, Nicéphore, & par ceux de Saint Ambroise ; de Saint Grégoire, père de Saint Grégoire le Théologien ; de Thalassius de Césarée. Il expose à Nicolas que dans le dernier concile tenu en présence de ses légats, on a adopté plusieurs des règles ascétiques qu’il avait indiquées, & qui ont paru utiles. Il loue le pape de son amour pour le maintien des canons, & l’en félicite d’autant plus, qu’ayant la primauté, son exemple était plus puissant. Il prend de là occasion pour lui exposer, en finissant, qu’un grand nombre de coupables s’enfuient à Rome, sous prétexte de pèlerinage, pour y cacher leurs crimes sous une fausse apparence de piété. Il le prie donc d’observer sur ce point les canons qui prescrivent à chaque évêque de ne recevoir à la communion que ceux qui sont munis des lettres de recommandation de leur propre Evêque.
Dans tous les temps on a ainsi reproché à Rome de servir de refuge aux criminels hypocrites. L’Eglise de France écrivit souvent aux papes dans le même sens que le fit Photios en cette occasion.
(P.161).
La lettre de ce Patriarche ne pouvait pas être agréable à Nicolas ; car, sous des formes polies & élégantes, elle contenait de justes leçons. Photios n’y dit pas un mot blessant ; il n’use pas de son titre honorifique de Patriarche œcuménique ; il reconnaît la primauté du siège de Rome ; mais il ne flatte point l’ambition de la papauté nouvelle ; il ne s’abaisse pas, & sa douceur n’exclut point la fermeté. Un tel adversaire était plus redoutable pour Nicolas qu’un homme emporté & ambitieux. Au lieu de lui disputer les droits qu’il s’attribuait sur certaines Eglises du Patriarcat de Constantinople, il lui dit : » Nous vous les aurions cédées si cela eût dépendu de nous ; mais, comme il s’agit de pays & de limites, c’est une affaire qui regarde l’Etat. Pour moi, je voudrais non seulement rendre aux autres ce qui leur appartient, mais céder encore une partie des anciennes dépendances de ce siège. J’aurais obligation à celui qui me déchargerait d’une partie de mon fardeau. »
On ne pouvait mieux répondre à un pape qui ne songeait qu’à étendre son pouvoir par tous les moyens. Mais Nicolas ne profita pas de cette leçon aussi juste que modérée. Il ne voulut croire ni à ses légats, ni aux actes du concile qui lui furent présentés. Il déclara même à l’ambassadeur Léon, qui lui avait été envoyé, qu’il n’avait pas envoyé ses légats pour déposer Ignace ou pour approuver la promotion de Photios ; qu’il n’avait jamais consenti & ne consentirait jamais ni à l’un ni à l’autre.
Nicolas se posait ainsi en arbitre de la légitimité des Evêques, oubliant que, d’après les canons, il n’avait que la liberté d’entrer en communion avec l’un ou avec l’autre. On comprenait qu’avant d’entrer en relation avec Photios, il avait besoin de renseignements positifs sur la légitimité de son élection ; mais, suivant les lois de l’Eglise, cette légitimité ne dépendait pas de la volonté papale, mais bien du jugement prononcé contre Ignace, & de l’élection régulière de Photios ; Un concile de trois cent dix-huit évêques avait publiquement approuvé cette élection & la déposition d’Ignace. Les légats en avaient été témoins ; ils rendaient témoignage de ce qu’ils avaient vu & entendu : C’était bien assez, ce semble, pour décider Nicolas à accorder sa communion à un Evêque qui, par ses meurs vénérables & sa science, était bien digne de l’épiscopat. Mais, en prenant le parti d’Ignace, Nicolas faisait acte d’autorité souveraine. Cette perspective flattait trop ses penchants pour qu’il pût y renoncer. Il réunit donc le clergé de Rome pour désavouer solennellement ses légats. Il adressa ensuite à l’empereur, à Photios, & à toute l’Eglise orientale, des lettres qui sont autant de MONUMENTS DE SON ORGUEIL. Nous devons les faire connaître, afin que l’on puisse en comparer la doctrine avec celle des huit premiers siècles, & acquérir ainsi la conviction que la papauté avait abandonné cette dernière pour y substituer un SYSTEME AUTOCRATIQUE que l’Eglise orientale ne pouvait accepter. –(cf : Nicol., Epist.5 et 6.)- Au commencement de sa lettre à l’empereur Michel, il suppose que ce prince s’est adressé : « à la sainte, catholique, & apostolique Eglise romaine, chef ( tête) de toutes les Eglises, qui suit dans tous ses actes les pures autorités des Saints Pères », afin de savoir à quoi s’en tenir dans les affaires ecclésiastiques.
(p.162)
Nicolas ne laissait échapper aucune occasion de répéter ces phrases sonores qui prouvent tout le contraire de ce qu’il affirmait, car les Pères les ignoraient complètement. Venant à la cause d’Ignace, il se plaint « de ce que l’on avait prononcé contre lui une sentence contrairement à ses ordres ; que non seulement on n’avait rien fait de ce qu’il avait prescrit, mais qu’on avait fait tout le contraire. Donc, ajoute-t-il, puisque vous soutenez Photios, & que vous rejetez Ignace sans le jugement de notre Apostolat, nous voulons que vous sachiez bien que nous ne recevons pas Photios, & que nous ne condamnons pas le patriarche Ignace ».
C’était bien là parler en maître. Il s’applique ensuite à trouver des différences de détail entre la promotion de Nectaire & d’Ambroise, & celle de Photios. Mais ces différences, alors même qu’on les admettrait telles qu’il les présente, n’étaient pas de nature à annuler une loi positive, si on l’avait considérée comme absolue & non susceptible d’exceptions.
Sa lettre « au très prudent homme Photios » commence de cette manière solennelle :
« Après que notre Seigneur et Rédempteur Jésus-Christ, qui était vrai Dieu avant tous les siècles, eut daigné sortir du sein de la Vierge pour notre rédemption, & apparaître vrai homme dans le monde, Il confia au Bienheureux Pierre, prince des Apôtres, le pouvoir de lier & de délier au Ciel & sur la terre, & le droit d’ouvrir les portes du Royaume Céleste ; Il a daigné établir sa Sainte Eglise sur la solidité de la foi de cet Apôtre, selon cette parole de vérité : « En vérité, je te le dis : Tu es Pierre, & sur cette pierre je construirai mon Eglise, & les portes de l’Enfer ne prévaudront jamais contre elle ; & je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux ; & tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les Cieux, & tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les Cieux. »
Tel est le grand argument sur lequel la papauté moderne s’est toujours appuyée. Elle rejette ouvertement l’interprétation traditionnelle & Orthodoxe de ces paroles divines ; elle fait, de droits accordés à tous les Apôtres en commun, un droit exclusif & personnel pour Saint Pierre ; elle se pose, contrairement à toutes les règles ecclésiastiques, & en vertu d’UN ARBITRAIRE SACRILEGE, comme unique héritière de prérogatives chimériques, & elle prétend, sur ces bases mensongères & fragiles, établir l’édifice de SON AUTOCRATIE UNIVERSELLE. Telle était la prétention que Nicolas opposait à Photios ; & l’on voudrait que ce Patriarche, qui connaissait l’antiquité ecclésiastique, se fût soumis à une telle autorité ! Son devoir était de protester comme il le fit ; & plût à Dieu que tous les évêques de l’Eglise Orthodoxe universelle eussent imité son courage aussi ferme que modéré & pur !
Voici le commentaire que fait Nicolas des paroles évangéliques qu’il a citées : « Selon cette promesse, par le ciment de la sainte institution apostolique, les fondements de l’édifice, composés de pierres précieuses, commencèrent à s’élever ; &, grâce à la clémence divine, & par le zèle des constructeurs, & la sollicitude de l’autorité apostolique, à s’élever jusqu’au faîte pour durer toujours, sans avoir rien à craindre de la violence des vents. Le Bienheureux Pierre, prince des Apôtres & portier du Royaume Céleste, a mérité dans cet édifice la primauté, comme tous les Orthodoxes le savent, & comme il a été déclaré tout à l’heure ».
(P.163)
Personne, en effet, parmi les Orthodoxes, ne nie la primauté de Saint Pierre ; mais cette primauté li donnait-elle une autorité suprême ? Non, répond la Tradition Orthodoxe universelle. Oui, répond Nicolas, qui continue ainsi : » Après lui ( Saint Pierre), ses « Vicaires » servant Dieu avec sincérité, délivrés des ombres des ténèbres qui empêchent de marcher dans le droit chemin, ont reçu d’une manière plus élevée le soin de paître les brebis du Seigneur, & ont accompli ce devoir avec soin. Parmi eux, la miséricorde du Dieu Tout-Puissant a daigné compter Notre Petitesse ; mais nous tremblons à la pensée que nous répondrons avant tous & pour tous à Jésus-Christ, lorsqu’il demandera compte à chacun de ses œuvres.
« Or, comme tous les croyants demandent la doctrine à cette sainte Eglise romaine qui est le chef ( la tête) de toutes les Eglises ; qu’ils lui demandent l’intégrité de la foi ; que ceux qui en sont dignes, & qui sont rachetés par la grâce de Dieu, lui demandent l’absolution de leurs crimes, il faut que nous, qui en avons reçu la charge, nous soyons attentifs, que nous ayons toujours l’œil sur le troupeau du Seigneur, d’autant plus qu’il en est qui veulent toujours le déchirer par des morsures cruelles…Il est constant que la Sainte Eglise romaine, par le Bienheureux Apôtre Pierre, prince des Apôtres, qui a mérité de recevoir de la bouche du Seigneur la primauté des Eglises, est le chef ( la tête) de toutes les Eglises ; que c’est à elle qu’il faut s’adresser pour connaître la rectitude & l’ordre qui doivent être suivis en toutes choses utiles, & dans les institutions ecclésiastiques qu’elle maintient d’une manière inviolable & irréfragable dans le sens des règles canoniques & synodales des Saints Pères. Il suit de là que ce qui est rejeté par les Recteurs de ce siège, de leur pleine autorité, doit être rejeté nonobstant toute coutume particulière ; & que ce qui est ordonné par eux doit être accepté fermement & sns hésitation. »
Ainsi, Nicolas opposait SON AUTORITE SOUVERAINE aux règles suivies de touta antiquité par l’Eglise, & que Photios lui avait exposées. Il cherche ensuite à trouver des différences de détail dans les élections de Nectaire, d’Ambroise & de Taraise, & celle de Photios. Il ne réussit pas mieux sur ce point que dans sa lettre à l’empereur Michel, & il passe sous silence les autres exemples mentionnés par Photios.
Dans ses lettres aux patriarches & aux fidèles de l’Orient, -( cf. Nicol, Epist 1 et 4)-, Nicolas exprime la même doctrine sur SON AUTOCRATIE. Il ORDONNE aux Patriarches d’Alexandrie, d’Antioche, & de Jérusalem, de faire connaître à leurs fidèles la décision du siège apostolique.
Ignace, en appelant à Nicolas du jugement rendu contre lui, avait trop FLATTé L’ORGUEIL de ce pape. Il suffira, pour le prouver, de citer cette suscription de son acte d’appel : » Ignace, opprimé par la tyrannie, etc., à Notre Très Saint Seigneur & très bienheureux président, patriarche de tous les sièges, successeur de Saint Pierre, prince des Apôtres, Nicolas, pape œcuménique, & à ses très saints évêques, & à la très sage Eglise romaine universelle. » -(Cf. Libel. Ignat., in la collection des Conciles du P. Labbe, T.VIII. Plusieurs érudits doutent de l’authenticité de cette pièce. Nous avons peine à croire qu’Ignace, malgré ses bons rapports avec Rome, ait pu s’adresser au pape dans la forme qu’on vient de lire.)-
(P.164)
Saint Grégoire le Grand eût rejeté de pareils titres comme autant d’inventions diaboliques ; nous l’avons vu par ses lettres à Jean le Jeûneur ; mais la papauté de Saint Grégoire le Grand n’existait plus : Elle avait cédé la place à UNE INSTITUTION POLITICO-ECCLESIASTIQUE DONT LE POUVOIR ETAIT L’UNIQUE PREOCCUPATION. Ignace, en flattant l’ambition de Nicolas, ne pouvait qu’avoir raison aux yeux de ce pape. Photios, qui s’en tenait à l’ancienne Doctrine, la Doctrine Orthodoxe Originelle, qui regardait l’Evêque de Rome uniquement comme premier Evêque, sans lui accorder aucune autorité personnelle, devait, selon lui, avoir tort. Aussi, sans autre examen, Nicolas prononça-t-il anathème & déposition contre lui, dans un concile qu’il tint à Rome au commencement de l’année 863. « Nous te déclarons, dit-il, privé de tout honneur sacerdotal, & de toute fonction cléricale, par l’autorité du Dieu Tout-Puissant, des Apôtres Saint Pierre & Saint Paul, de tous les Saints, des six conciles généraux & du JUGEMENT QUE LE SAINT-ESPRIT PRONONCE PAR NOUS. » -(Cf : Collection des conciles du P. Labbe, t.VIII)-. Il osa, dans la sentence, accuser Photios lui-même des mauvais traitements dont Ignace avait été l’objet ; C’était une calomnie, puisée dans les dénonciations des ennemis de Photios, & qui a été répétée depuis par tous les écrivains catholiques romains papistes qui ont eu à parler des différends entre ce Patriarche & Nicolas. ( N.d.a : Nous n’avons pas tenu compte de tout ce qui est raconté par les ennemis de Photios, touchant les souffrances d’Ignace : 1° parce que ces détails ne font rien à la question principale ; 2° parce que ces récits sont empreints d’une évidente exagération ; 3° parce que Photios n’en doit pas être responsable vis-à-vis de l’Histoire. Ignace ne s’est-il pas attiré la haine de Bardas pour son zèle trop peu prudent, par ses procédés à l’égard de Grégoire de Syracuse, par ses sentiments hostiles au gouvernement ? Ce sont là autant de questions sur lesquelles on ne pourrait l’innocenter complètement, même à l’aide des récits de ses partisans. On peut même dire que ces récits passionnés le compromettent par leurs exagérations. Le refus qu’il fit de se démettre a provoqué contre lui les violences de Bardas, nous ne le nions pas, quoique les détails de ces violences présentent un caractère peu propre à nous les faire admettre tout-à-fait. Mais Photios a-t-il été complice de ces violences ? Nous répondons négativement. D’abord, parce que les écrivains impartiaux ne les lui attribue d’aucune façon, & parce que lui-même a protesté, dans ses lettres à Bardas, contre les violences exercées contre ses adversaires. Nous avons donné une de ces lettres, & nous en trouverons de nouvelles preuves en analysant la Correspondance entière si digne d’un Grand & Saint Evêque. N’y aura-t-il que pour Photios qu’une correspondance intime ne sera pas un document digne de foi ? Les historiens catholiques romains prétendent qu’il a écrit ses lettres à Bardas par hypocrisie. Mais les écrivains impartiaux & indépendants qui les confirment étaient-ils aussi des hypocrites ? Croira-t-on que les ennemis déclarés de Photios aient eu seuls le privilège de dire la vérité en parlant de lui ? S’il lui faut juger l’homme sur le témoignage de ses ennemis, qui aura jamais été innocent ? par ce système, on prouverait que le Christ Lui-même a été digne de Mort.)- On voit, du reste, par tout ce que fit ce pape, qu’il était décidé à ne tenir compte, en faveur de Photios, d’aucune preuve, d’aucune considération. Pour lui, quelques moines, partisans d’Ignace, qui étaient venus à Rome, étaient une autorité plus grande qu’un Concile composé de trois cent dix-huit Evêques, d’un grand nombre d’ecclésiastiques & de moines, & délibérant en présence d’une foule immense de Peuple de Fidèles. Il faut bien convenir que la conduite de Nicétas avait un tout autre motif que la défense d’Ignace ou la justice de sa cause. Il se croyait dépositaire de l’autorité divine & l’organe du Saint-Esprit. A ce titre, il s’attribuait tous les droits. Mais, les Conciles généraux qu’il invoquait pour appuyer sa condamnation avaient statué qu’un évêque ne pouvait être jugé ni condamné que par ses comprovinciaux, & ils n’avaient pas attribué à celui de Rome plus d’autorité qu’aux autres.
(P.165).
Quant aux PRETENTIONS de Nicolas A L’AUTORITE DIVINE, on sait à quoi s’en tenir sur ce point, & ses raisonnements sont dignes de la thèse qu’il voulait établir.
L’empereur Michel, en apprenant la décision du concile de Rome, écrivit à Nicolas une lettre pleine de menaces & de mépris(864). Il va sans dire que les ennemis de Photios la lui attribuent sous prétexte que l’empereur ne songeait qu’à ses plaisirs. Cette raison, à leurs yeux, est démonstrative. Nicolas répondit à l’empereur d’Orient une lettre fort longue, pleine de faits apocryphes, de faux raisonnements, & des erreurs historiques les plus grossières. On voit, par cette lettre, que l’empereur avait opposé aux prétentions papales une foule de faits qui réduisaient la primauté de l’évêque de Rome à ses justes proportions ; Nicolas les discute d’une manière superficielle ; ses raisonnements portent à faux, & il confond quelques démarches de circonstance avec la reconnaissance de L’AUTORITE ABSOLUE QU’IL S’ATTRIBUait. Voici un exemple de ses faux raisonnements :
« Il faut observer que le concile de Nicée, non plus que tout autre concile, n’a accordé aucun privilège à l’Eglise romaine, laquelle savait que, dans la personne de Pierre, elle avait mérité les droits de tout pouvoir d’une manière complète, & qu’elle avait reçu le gouvernement de toutes les brebis du Christ. » Il appuie cette opinion sur un témoignage du pape Boniface. « Si, continue-t-il, on examine attentivement les décrets du concile de Nicée, on trouvera certainement que ce concile n’a concédé aucune augmentation à l’Eglise romaine ; mais que, plutôt, il a pris exemple sur elle dans ce qu’il accordait à l’Eglise d’Alexandrie. » Nicolas n’ajoute pas que le Concile avait regardé l’autorité du siège romain sur les Eglises suburbicaires comme fondée uniquement sur la coutume, & non sur le droit divin ; il ne remarque pas non plus que si l’on accordait à l’Eglise d’Alexandrie une autorité analogue à celle de Rome, on convenait par là même que cette dernière n’avait rien de divin, puisqu’un Concile ne peut accorder d’autorité deivine.
C’est avec cette force de raisonnement que Nicolas répond à toutes les objections de son adversaire contre L’AUTOCRATIE PAPALE.
Il termine en distinguant les deux domaines dans lesquels devaient agir le sacerdoce & l’empire. Si Michel avait besoin de savoir qu’il n’avait aucun droit sur les choses ecclésiastiques, la papauté elle-même ne devait-elle pas comprendre qu’elle n’avait aucun droit sur les choses temporelles ?
L’Eglise Orthodoxe orientale devait protester contre les entreprises de Nicolas. Elles étaient contraires à l’ancien droit. Les ultramontains sont obligés d’en convenir, quoique d’une manière indirecte. Un écrivain qui se prétend historien de Photios –(Cf Jager, Histoire de Photios, liv. IV, p.134, édit. 1854)-, & qui n’a accepté comme véridiques que les assertions des ennemis déclarés de ce Patriarche, a été obligé, par l’évidence, de s’exprimer ainsi :
(P.166)
« Le schisme a mis au grand jour les doctrines relatives à la primauté du Saint-Siège. Jamais ses prérogatives n’ont été mieux établies que dans la lutte du pape Nicolas…contre les schismatiques photiens . » Peut-on croire que, jusqu’au neuvième siècle, il ne s’était présenté aucune occasion de mettre en évidence ces prérogatives, si elles avaient, en effet, appartenu au siège de Rome ? Les faits que nous avons exposés précédemment répondent assez éloquemment à cette question. Certes, des questions plus importantes que la déposition d’un évêque avaient été agitées entre l’Orient & l’Occident, depuis l’origine de l’Eglise, & ces questions, au lieu de mettre en relief l’autorité papale, l’avaient réduite à ses justes limites. Mais, au neuvième siècle, les circonstances étaient changées ; la papauté avait sacrifié l’ancienne Doctrine Orthodoxe à ses rêves AMBITIEUX, & elle profitait de toutes les circonstances pour faire passer en usage une autocratie spirituelle aussi contraire aux Saintes Ecritures qu’à l’Enseignement des Pères & des Conciles.
Fort de l’ancien droit ecclésial, Photios regarda comme nulles les excommunications de Nicolas, & continua à remplir ses devoirs épiscopaux avec un zèle & un dévouement que ses ennemis dénaturent avec une insigne mauvaise foi.
Dès que Photios fut assis sur sa chaire patriarcale, il s’appliqua à réparer les ruines dont les iconoclastes avaient couvert Constantinople. Les églises & les monastères avaient été ravagés, les vases & les ornements sacrés avaient été dispersés & détruits ; les images avaient été profanées & brûlées. Une opinion qui avait été si longtemps triomphante n’avait pu disparaître tout-à-coup, malgré les anathèmes dont elle avait été frappée. Beaucoup d’iconoclastes secrets existaient encore, & se contentaient de dissimuler leurs erreurs ; quelques-uns mêmes osaient élever des objections théologiques contre le culte des images, comme on le voit dans la correspondance du grand Patriarche ; ces iconoclastes ne virent pas avec satisfaction élever sur le siège de Constantinople, le neveu de Taraise leur grand adversaire, un membre d’une famille qui s’était toujours distinguée par son amour pour l’Orthodoxie. Photios, ainsi que son père, avait souffert pour la Foy.
Le nouveau Patriarche montra donc un zèle fort actif pour réparer les dévastations dont les iconoclastes s’étaient rendus coupables. Il se fit ainsi beaucoup d’ennemis ; mais il ne s’en préoccupait guère, & continuait avec persévérance une Œuvre à laquelle il attachait la plus haute importance.
Le pape chargea ses légats pour Constantinople, de huit lettres, datées du 13 novembre 866 ; elles sont autant de monuments d’orgueil. -( cf., Epist. Nicol. IX et sq. dans la Collection des conciles du P. Labbe, t.VIII.)-. Il y menace Michel de faire brûler ignominieusement la lettre qu’il lui avait adressée contre les prérogatives romaines, s’il ne la désavoue pas. Il écrit au clergé de Constantinople qu’il dépose tous les adhérents de Photios, & qu’il rétablit les partisans d’Ignace. Il notifie à Ignace qu’il l’a rétabli sur son siège, & qu’il a anathématisé Photios & ses adhérents ; il flatte l’impératrice-mère Théodora, & s’applaudit d’avoir pris la cause d’Ignace, qu’elle soutenait elle-même ; il prie l’impératrice Eudocie de prendre le parti d’Ignace auprès de l’empereur ;
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Il engage tous les sénateurs de Constantinople à se séparer de la communion de Photios, & à se déclarer pour Ignace.
Sa lettre à Photios, qui est la troisième de la collection, mérite une mention spéciale : Il lui donne seulement le titre d’homme. Il écrit : « Nicolas à l’homme Photios. » Il lui reproche d’avoir « violé avec impudence les vénérables canons, les définitions des Pères & les préceptes divins ». Il l’appelle « voleur, adultère » ; il prétend qu’il a manqué à ses propres engagements ; qu’il a corrompu les légats ; qu’il a exilé les évêques qui refusaient d’entrer en communion avec lui ; il affirme qu’il peut l’appeler avec justice « homicide, vipère, Cham, Juif ». Il revient sur les canons de Sardique &sur les Fausses Décrétales de ses prédécesseurs, & finit enfin par le menacer de le frapper d’une excommunication qui durera jusqu’à la Mort.
Une lettre si pathétique ne pouvait, comme on pense, produire qu’un effet : celui d’inciter Photios à condamner le pape.
Les légats étant arrivés en Bulgarie, tous les Prêtres grecs furent chassés de ce pays, & l’on reconnut comme invalide les sacrements qu’ils y avaient administrés. C’était lancer à l’Eglise Orthodoxe orientale l’insulte la plus grossière, en foulant aux pieds les premiers principes de la Théologie Chrétienne. Photios ne put tolérer ni cette erreur mêlée d’injure, ni les entreprises de Nicolas. Il convoqua à Constantinople (867) un concile auquel il invita, non seulement les Patriarches & les Evêques orientaux, mais trois Evêques d’Occident, qui s’étaient adressés à lui pour obtenir un appui contre le despotisme de Nicolas. C’étaient l’Evêque-Exarque de Ravenne & les Archevêques de Trèves & de Cologne. Les légats des trois sièges sièges patriarcaux de l’Orient, une foule d’Evêques, de Prêtres, & de Moines, les deux empereurs, & le sénat, assistèrent à cette assemblée. –(Note : Il s’agit des deux empereurs Michel & Basile qu’il avait associé à l’empire)-. On y lut les lettres de Nicolas ; d’un avis unanime, on le reconnut indigne de l’épiscopat, & on prononça contre lui l’excommunication & l’anathème. Cette décision fut remise à Nicolas lui-même par Zacharie, métropolite de Chalcédoine, & Théodore de Cyzique. Anastase-le-Bibliothécaire dit que sur mille signatures dont ce document était couvert, il n’y en avait que vingt-et-une d’authentiques. On sait ce que vaut le témoignage de cet homme. Un fait certain, c’est que le document fut connu en Orient ; que le Concile de Constantinople, qui plus tard l’annula, ne regarda pas les signatures comme supposées. Ce fait en dit plus que le témoignage d’un écrivain menteur. La sentence du concile contre Nicolas était plus canonique que celle de ce dernier contre Photios, car elle n’était, car elle n’était qu’une excommunication, & non pas une déposition ; or, une Eglise a droit de séparer de sa communion ceux qu’elle juge coupables, & de ne plus les regarder comme évêques.
Photios donna connaissance des décisions du concile dans une lettre Encyclique qu’il adressa aux Patriarches d’Orient. –( cf : Phot. Epist.2 ad Thron. Patriarch. Edit. Londin)-. Les combats de la vérité contre l’erreur, dit-il, semblent apaisés. Les Arméniens qui avaient résisté depuis le Concile de Chalcédoine, s’étaient rangés sous l’Orthodoxie ;
(P.168)
les bulgares avaient abandonné les erreurs de leurs ancêtres, lorsque, d’occident, sont venues des bêtes sauvages qui ont déchiré la foi qu’ils professaient depuis deux ans à peine, & leur ont enseigné leurs faux dogmes & leurs erreurs. Ils leur ont imposé l’abstinence du samedi, contrairement aux canons. C’est peu de chose en apparence, mais la plus petite infraction a des conséquences graves. C’est ainsi qu’ils ont été amenés à transgresser les lois relatives au carême, en acceptant des adoucissements anti-canoniques ; ils ont ensuite attaqué le mariage légitime des Prêtres au nom d’un prétendu célibat, qui n’est qu’un moyen de couvrir les désordres de leurs mœurs, & leurs tendances manichéennes. Ils ne craignent pas de donner de nouveau la chrismation à ceux qui l’ont reçue du Prêtre, sous prétexte qu’elle ne peut être donnée que par l’Evêque. Quelle insanité ! En vertu de quelle loi parlent-ils ainsi ? Sur quel Père de l’Eglise, sur quel concile peuvent-ils s’appuyer ? Comment peut-on croire que celui qui consacre le pain eucharistique, & nourrit les fidèles du corps & du sang du Christ, n’aura pas le droit de consacrer avec l’huile le corps du baptisé ? Ils sont allés plus loin encore, en prétendant que le Saint Esprit procède du Père et du Fils, et non du Père seul.
Qui n’a jamais énoncé un tel dogme ? Quel serpent a parlé par leur bouche ? Quel vrai Chrétien reconnaît dans la Trinité un double principe, une double cause ? Emettre une semblable opinion, n’est-ce pas dire que le Père est cause du Fils et du Saint Esprit, et que le Fils est aussi cause du Saint Esprit ? On fait ainsi deux dieux, & l’on renouvelle la mythologie. Pourquoi le Saint Esprit procèderait-il du Fils, si la procession du Père est parfaite ? Qu’est-ce donc que cette procession du Fils, & pourquoi l’inventer ? C’est certainement une chose utile & futile.
Photios réfute admirablement l’erreur occidentale au moyen des Doctrines Orthodoxes comparées entre elles, des principes de la philosophie, & de l’Enseignement des Pères de l’Eglise. Dans cette réfutation, il fait preuve d’une grande profondeur en théologie ; il établit que la doctrine occidentale détruit la juste notion de Trinité, en confondant les propriétés de chaque personne, & en les accordant à la Trinité entière. Aux yeux du savant Patriarche, la nouvelle hérésie est le prélude de la grande Apostasie, dont l’Anti-Christ sera le chef.
L’illustre Photios voyait clair dans l’avenir de l’église catholique occidentale ; les faits donnent raison à ses prévisions ; il a été prophète.
Dans le reste de son Encyclique, Photios fait connaître aux Patriarches ce qui a été fait dans le concile qu’il avait tenu à Constantinople, & dans lequel on avait condamné la nouvelle hérésie, & renouvelé les anciens canons. Il mentionne les lettres qui lui étaient venues d’Occident, & dans lesquelles on le priait de condamner les erreurs acceptées dans ces régions ; il termine sa lettre en priant les Patriarches de faire recevoir dans leurs Eglises le septième Concile Œcuménique tenu contre les iconoclastes.
Cette Encyclique, répandue en Occident, mit le pape Nicolas dans un grand embarras. Ne pouvant y répondre, il s’adressa aux évêques franks, qui jouissaient encore d’une grande réputation, quoique le mouvement intellectuel créé par Charlemagne fût en décadence.
(P.169).
Hincmar, archevêque de Reims, était alors le plus grand homme de l’Eglise de France. Nicolas s’adressa à lui, pour l’appeler à son aide contre le Patriarche de Constantinople. Il n’ose même pas nommer son savant adversaire, & attribue aux empereurs Michel & Basile les attaques dont l’église occidentale était l’objet. « De toutes nos peines, dit-il –( Nicol., Epist.70 ap. Labb. Conc., t.VIII ; Flodoard, III, 17 ; Annal. Bertin.)-, celle qui nous est le plus sensible, c’est que les empereurs Michel & Basile nous accusent d’hérésie. Ils sont poussés par la haine & l’envie ; leur haine vient de ce que nous avons condamné l’ordination de Photios ; leur envie vient de ce que le roi des Bulgares nous a demandé des missionnaires & des instructions ; car, sous prétexte de religion, ils voulaient asservir le peuple. Ils nous reprochent de faire abstinence le samedi, & de dire que le Saint Esprit procède du Père et du Fils. Ils disent que nous condamnons le mariage parce que nous défendons aux prêtres de se marier ; ils trouvent mauvais que nous défendions aux prêtres de se marier ; ils trouvent mauvais que nous défendions aux prêtres de faire aux baptisés l’onction du Saint Chrême sur le front ; ils ajoutent faussement que nous faisons le Chrême avec de l’eau. »
Ce dernier reproche ne se trouve pas dans la lettre de Photios aux Patriarches. Photios ne reprochait pas non plus aux Occidentaux de condamner le mariage ; il disait seulement qu’en défendant le mariage aux prêtres, on lui portait atteinte, & on semblait faire une concession au manichéisme.
Nicolas continue à enregistrer les divers reproches que les Grecs faisaient aux Latins, en s’appuyant sur divers écrits. Photios n’a pas ainsi la responsabilité de tout ce qui était écrit ; la polémique était engagée, & chacun disait son mot. Les Grecs attaquaient le clergé latin même dans sa mise extérieure, & lui reprochaient de se raser la barbe. Tous les reproches enregistrés par Nicolas étaient fondés ; mais il soutenait que l’on n’avait pas le droit de faire ces reproches.
Il Est certain, dit-il, que l’Occident a toujours été d’accord avec le siège de Saint Pierre sur tous ces points ; il faut donc nous unir pour repousser les calomnies. Les métropolites devront assembler leurs suffragants pour examiner ce que l’on doit répondre et nous adresser leurs observations que nous joindrons à celles que nous ferons nous-mêmes. Il est évident que les reproches qui nous sont adressés sont faux, en partie, & que les autres ont toujours eu pour eux la pratique de l’église de Rome & de tout l’Occident.
Cependant, le faux dogme du Filioque n’était pas si vieux, & l’église de Rome ne l’avait pas encore admis dans le Credo.
Il ne faut pas s’étonner, continue Nicolas, que les Grecs fassent opposition à nos Traditions, puisqu’ils osent dire que la primauté de l’église romaine a passé à l’Eglise de Constantinople, depuis que les empereurs y ont fixé leur résidence. -(N.d.a : Fleury, in son Histoire Ecclésiastique, livre 51, § VI, en analysant la lettre de Nicolas, dit avec beaucoup de candeur : « C’est la première fois que je trouve nettement exprimée cette « prétention » que les Grecs n’ont jamais eue ; car ils n’ont jamais contesté la primauté du siège romain ; ils l’ont admise dans les termes des conciles œcuméniques, & leur prétendu « schisme » consiste en ce qu’ils sont toujours restés fidèles aux conciles, sur ce point comme sur les autres.)-
(P.170)
C’est pour cela que Photios, dans ses écrits, se qualifie d’Archevêque et Patriarche œcuménique. Nous avons fait observer que, pour ménager la susceptibilité de Nicolas, Photios n’avait pas pris son titre de Patriarche œcuménique dans les lettres qu’il lui avait adressées. Il y avait droit, & ce titre n’avait pas le sens que lui donne Nicolas. Il est probable qu’il le prit lorsqu’il n’eut plus rien à ménager avec le Patriarche de Rome.
Après avoir dit que les circonstances seules l’empêchaient de réunir tous les Evêques à Rome, Nicolas ajoute : « Avant que nous eussions envoyé nos légats à Constantinople, les Grecs nous comblaient de louanges, & exaltaient l’Eglise romaine ; mais, depuis que nous les avons condamnés, leur langage est tout autre, & ils nous accablent d’injures. Ne pouvant rien reprendre à notre personne, ils s’attaquent à nos traditions contre lesquelles leurs ancêtres n’ont jamais osé s’élever. »
Nicolas n’était pas fort instruit de l’Histoire des Eglises ; le concile In Trullo contient, dans ses canons, des attaques assez formelles contre les fausses traditions romaines ; Photios n’y ajoutait que sa protestation contre des erreurs que l’Occident n’avait admises que postérieurement à ce concile. Nicolas écrivit aux évêques de Germanie dans le même sens qu’aux évêques franks. Le résultat de tout ce bruit fut la composition de quelques ouvrages dont nous parlerons.
Nicolas Mourut peu de Temps après avoir écrit ces lettres. On ignorait encore sa Mort à Constantinople, lorsque Basile-le-Macédonien fit tuer l’empereur Michel son bienfaiteur, & se proclama seul empereur. Quoiqu’il fût déjà Auguste, c’est-à-dire empereur du vivant de Michel, il voulut se faire couronner de nouveau par Photios, mais le grand Patriarche refusa ; c’est pourquoi Basile l’exila, & rappela Ignace sur le siège de Constantinople. Les ennemis de Photios furent dans la joie, les iconoclastes surtout, qui voyaient dans le Docte Patriarche leur plus redoutable ennemi. Il avait consacré sa fortune à restaurer les églises qu’ils avaient dévastées. Ils se jetèrent de nouveau sur ces églises, cachant leurs sacrilèges sous le masque d’un beau zèle pour Ignace.
Basile envoya à Rome des ambassadeurs avec des lettres pour le pape Nicolas. Ignace envoya également ses représentants & des lettres. Photios entreprit de défendre sa cause à Rome même. Ses envoyés firent naufrage, excepté le Moine Méthodios. Celui-ci ne jugea pas à propos de se présenter en voyant la passion avec laquelle on traita tout d’abord le Patriarche dont il était le Défenseur. Lorsque les envoyés de l’empereur & d’Ignace arrivèrent à Rome, Nicolas était Mort, & avait été remplacé par Adrien II. Le nouveau pape reçut les envoyés, qui lui remirent les présents & les pièces destinées à son prédécesseur. Parmi ces pièces étaient les actes des conciles tenus par Photios contre Nicolas. Ils étaient écrits en double exemplaire. Photios en avait adressé un à Ludwig II, empereur d’occident & roi d’Italie. On vola cet exemplaire à ceux qui en étaient porteurs, & on traouva l’autre parmi les papiers que Photios avait emportés en allant en exil. L’un fut lacéré à Constantinople, & l’autre fut envoyé à Rome.
(P.171).
L’envoyé de Basile, dans un beau zèle, le frappa du pied & de son épée en présence du pape ; on le brûla, & l’on condamna à être brûlés tous les exemplaires qui pourraient exister. C’était un excellent moyen pour pouvoir en dire tout ce que l’on voudrait. Le pape, dans un concile qu’il réunit à Rome, é leva contre Photios toutes les accusations qu’il voulut ; personne n’était là pour le défendre. Il fit connaître ce qui avait été décidé aux envoyés d’Ignace & de l’empereur, & écrivit à l’un & à l’autre des lettres pour le leur notifier. Tous les envoyés retournèrent à Constantinople avec trois légats du pape : Donat, Etienne, & Marin, qui devaient tenir un synode avec Ignace, afin de mettre à exécution les décisions papales.
Le concile fut assemblé. On n’y admit que ceux qui signaient une espèce de formulaire envoyé de Rome. Les amis & défenseurs de Photios en étaient ainsi exclus. Les actes que l’on possède viennent d’Anastase-le-Bibliothécaire. L’exemplaire que les légats emportèrent de Constantinople leur fut volé en route par des brigands qui les dévalisèrent. Anastase-le-Bibliothécaire en avait fait une copie. Les actes que l’on possède de cette assemblée appartiennent donc exclusivement à cet écrivain. Lorsqu’il les publia, il y ajouta une préface dans laquelle il reconnaît avoir modifié plusieurs documents pour les rendre plus exacts.
C’est donc sur la parole d’un écrivain qui avait mérité l’anathème & l’excommunication, même à Rome, que l’on accepte les actes d’un concile que l’on ose appeler en Occident huitième œcuménique. -(N.d.a : La condamnation d’Anastase-le-Bibliothécaire est mentionnée par les Annales de Saint-Bertin, rédigées sous les yeux d’Hincmar, archevêque de Reims. Après l’avoir reconnue, Héfélé (liv. XXIII,§484) inventa, d’après d’autres modernes, un certain cardinal Anastase, qui aurait été excommunié. Ces modernes savent donc mieux que les contemporains ce qui s’est passé à Rome ?)-. Il convient d’avouer qu’il ne faut pas être difficile pour reconnaître l’infaillibilité aux récits d’un écrivain menteur. C’est donc sous bénéfice d’inventaire que nous raconterons ce qui s’est passé à ce fameux concile. –(Les actes grecs sur lesquels Anastase prétend avoir fait sa traduction, ont disparu ; on ne possède plus que sa traduction latine. Le jésuite Mathieu Rader a retrouvé quelques extraits grecs se rapportant à ce concile. Ils ne sont pas conformes à la traduction latine d’Anastase)-.
Il faut avoir perdu toute notion de ce que doit être un concile œcuménique, pour attribuer cette qualification à l’assemblée qui déposa Photios. Un concile ne peut être œcuménique que s’il s’agit d’une question de foi sur laquelle il est nécessaire de recevoir le témoignage de toutes les Eglises pour en déterminer le véritable sens. A l’assemblée de Constantiople, il ne s’agissait que d’une question de personne, & les Evêques n’avaient point à attester la foi constante de leurs Eglises respectives. Ils n’étaient alors que de simples théologiens plus ou moins instruits, plus ou moins indépendants, qui avaient à énoncer une opinion sur la personne & les actes de l’un d’entre eux. La qualification d’œcuménique n’a donc été donnée à cette assemblée que pour faire illusion aux simples, & satisfaire la haine des ennemis du respectable Patriarche.
(P.172).
Le concile fut ouvert le 5 octobre 869 dans l’église de Sainte Sophie. –( cf : Labb., Conc., t.VIII)-. Outre les légats du pape, on y vit Elie, légat du Patriarche de Jérusalem, & Thomas, archevêque de Tyr. Le patriarche d’Antioche était Mort. Les envoyés d’Alexandre n’arrivèrent qu’à la fin du concile. Elie pouvait bien se dire légat du patriarche de Jérusalem, mais Thomas ne l’était pas du patriarche d’Antioche, puisque ce patriarche était Mort. Dès qu’Elie & Thomas furent arrivés à Constantinople, on leur raconta ce qui s’était passé à propos de Photios & d’Ignace ; Ils admirent ce qui leur était exposé par les ennemis de Photios, & rédigèrent une déclaration dans laquelle ils admettaient tout ce que le pape Nicolas avait fait. Cette déclaration fut lue dans la première session du concile. On lut également les lettres d’Adrien II à l’empereur Basile & Ignace, en réponse à celles qu’ils avaient écrites au pape Nicolas. Dans sa lettre à basile, Adrien II disait : « Nous voulons que vous fassiez célébrer un concile nombreux, qui sera présidé par nos légats, & dans lequel on examinera les fautes commises par les adhérents de Photios. On pourra, à leur égard, user d’indulgence, excepté Photios, dont l’ordination doit être absolument condamnée. Dans ce concile, on brûlera publiquement tous les exemplaires du faux concile tenu contre le Saint-Siège, & on défendra d’en conserver, sous peine de déposition & d’anathème. Les décrets du concile de Rome contre Photios seront signés par tous les membres de votre concile, & seront déposés dans les archives de toutes les églises. Il demande qu’on lui envoie quatre prêtres-moines romains qui avaient été en correspondance avec Photios, afin de les punir comme ils le méritaient. » -(N.d.a. : Outre ces hiéromoines, d’autres Occidentaux étaient en correspondance avec Photios, en particulier Jean, évêque-exarque de Ravenne, qui maintenait contre Rome l’indépendance de son siège.)-
Dix-huit personnes seulement se trouvèrent à la première réunion du concile : douze évêques orientaux, qui s’étaient prononcés contre Photios, Ignace, les trois légats du pape, Elie, syncelle de Jérusalem, & Thomas, archevêque de Tyr.
Photios ne pouvait reconnaître pour juges ceux qui ne voulaient pas le juger, & le considéraient comme irrévocablement condamné. Il ne pouvait donc se présenter volontairement devant des ennemis pour être jugé ; il ne pouvait qu’obéir si on le forçait à se présenter. Il répondit donc : « Vous ne m’avez pas encore appelé devant votre assemblée ; pourquoi m’y appelez-vous aujourd’hui ? Je ne m’y rendrai pas de plein gré ; « j’ai posé une garde à ma bouche »(Psalm.38) ; vous pouvez lire vous-même le reste du texte. Ce texte est celui-ci : « Parce que l’impie est contre moi, j’ai résolu de me taire devant votre conventicule impie ».
On lui envoya une seconde délégation laïque chargée de ce texte biblique, en réponse à celui qu’il avait cité : « Avec la bride & le frein, tu devras maîtriser la bouche de celui qui ne veut pas s’approcher de toi. » On ajoutait que cela serait fait au moyen de l’autorité impériale. Il faut avouer que si l’empereur avait compté sur les légats pour faire rendre un jugement équitable, il s’était bien trompé. Du reste, les légats de Rome répétaient à satiété qu’il ne s’agissait pas de rendre un jugement, mais de faire connaître une condamnation.
(P.173).
Forcé de s’y présenter, il imita l’exemple de Jésus-Christ devant le tribunal judaïque qui voulait, non pas le juger, mais le condamner.
Quand on l’eut introduit dans le local de l’assemblée, on le mit à la dernière place. Alors, un des légats demanda : « Quel est cet homme qui se tient debout à la dernière place ? » -C’est Photios, dirent les sénateurs.
Le légat reprit : « Est-ce là ce Photius qui a causé tant de peine à l’Eglise romaine depuis sept ans, bouleversé l’Eglise de Constantinople, fatigué les Eglises d’Orient ? » On ne sait sur quoi s’appuyaient les légats dans leur dernière accusation, car, à part les lettres encycliques envoyées par Photios aux Patriarches d’Orient, on ne connaît absolument aucun fait, aucun document des Eglises orientales relativement à Photios. Les légats ayant demandé à Bahanès si Photius acceptait les décisions des papes ; - il faut l’interroger lui-même, répondit-il.
Georges, concierge du palais impérial, fut chargé de lui poser la question ; Photios ne répondit pas. Les légats la posèrent pour la seconde fois ; Photios garda le silence. Alors les légats l’injurièrent, le traitant de malfaiteur, d’adultère. Photios se contenta de dire : » Je n’ai pas besoin de parler pour que Dieu entende ce que je réponds ». –Ton silence ne te sauvera pas, dirent les légats. Photios répondit : « Le silence du Christ ne l’a pas sauvé non plus ».
Il ne répondit pas un seul mot à toutes les diatribes que se permirent contre lui les légats romains & les prétendus légats des patriarches d’Orient. Bahanès prit enfin la parole. « Seigneur Photios, dit-il, vous pouvez vous justifier. Si vous continuez à garder le silence, le concile ne sera pas miséricordieux pour vous. A qui voudriez-vous en appeler ? Rome et l’Orient sont ici qui vous condamnent. Homme de Dieu, justifiez-vous ».
« Ma justification n’est pas de ce monde, répondit Photios ; si elle était de ce monde, je vous la ferais voir ». Comment, en effet, aurait-il pu convaincre de son innocence des gens qui l’avaient condamné sans l’entendre ? De Rome, on n’avait apporté que sa condamnation ; d’Orient, ilne voyait que deux fanatiques qui mentaient & l’insultaient ; la cour l’avait chassé de son siège sans jugement, & avait rappelé son antagoniste, sans respect pour un grand concile qui avait prononcé sa déchéance. Sa justification n’était donc pas de ce monde. Bahanès l’engagea à réfléchir, & lui annonça qu’on le ramènerait à la prochaine séance ; allez, dit-il, on vous fera revenir. Photios lui répondit : » Oh ! je n’ai pas besoin de Temps pour réfléchir ; quant à me renvoyer, vous en avez le pouvoir ».
En réalité, le fameux concile que les Occidentaux appellent huitième œcuménique ne fut composé que de dix-huit membres, dont plusieurs n’étaient pas évêques.
Dans la dernière séance, on lut vingt-sept canons. La plupart sont insignifiants. Dans ceux qui avaient quelque signification, on avait l’intention d’atteindre PHOTIOS 1 SES AMIS ;
On peut les résumer ainsi :
Les décrets des papes Nicolas & Adrien contre Photios sont confirmés ;
(P.174)
Photios n’a prétendument jamais été Evêque. Toutes les ordinations qu’il a faites, est-il prétendu, sont nulles, les églises & les autels qu’il a consacrés doivent recevoir une nouvelle consécration.
Cependant, Photios avait été ordonné & consacré par des Evêques qui avaient reçu eux-mêmes la consécration d’une manière légitime ; par conséquent, il avait reçu le caractère sacerdotal & épiscopal. En n’écoutant que leur passion, les légats qui étaient tout dans le concile, sont tombés dans une erreur grave qu’aucune Eglise, même occidentale, n’a soutenue. Si l’effet d’un sacrement dépend de la situation morale de celui qui l’administre, personne ne sera certain d’avoir reçu un seul sacrement ; on voit où cela pourrait conduire.
La doctrine émise par le prétendu huitième concile œcuménique est tout simplement une hérésie, dont aucune Eglise n’a accepté la responsabilité ; qui a même été condamnée par toutes les Eglises.
On anathématise Photios parce que, étant Patriarche, il enseignait les sciences, & faisait prendre à ses disciples certains engagements. Il lui est défendu, ainsi qu’aux autres excommuniés, d’enseigner les sciences, & de peindre de saintes icônes. Cela était dirigé contre Grégoire de Syracuse qui était artiste.
Les légats romains qui n’étaient ni savants ni artistes ne comprenaient pas que de tels canons les rendaient ridicules.
Ils défendent d’attaquer les cinq patriarches, & d’écrire contre celui de Rome comme l’avait fait Photios.
Celui-ci aurait pu répondre qu’il était, lui aussi, patriarche, lorsque celui de Rome lui avait écrit des lettres insolentes sans avoir examiné sa cause, comme il le disait.
Avant de se séparer, le concile fit lire une ample profession de foi, dans laquelle tous les hérétiques étaient condamnés. Parmi ces hérétiques anathématisés était le pape Honorius, classé parmi les monothélites.
On reconnaît les sept conciles œcuméniques, & l’on a la modestie de déclarer que le présent concile serait classé comme le huitième. Il fallait au moins attendre qu’il fût admis par toutes les Eglises ; ce qui n’a jamais eu lieu. On termina la profession de foi, en confirmant la condamnation de Photios par les papes Nicolas & Adrien. Pourquoi confirmer cette condamnation, puisque les légats avaient déclaré à satiété qu’ils n’étaient venus que pour l’exécuter ; qu’ils ne voulaient pas juger les inculpés, mais recevoir seulement leur soumission ?
Après l’adoption des canons, l’empereur engagea tout le monde à se soumettre,& fit entendre que tous les insoumis seraient punis rigoureusement. Personne ne fit d’observation, & l’on procéda à la signature des actes. Les trois légats romains signèrent les premiers, sous la réserve de l’approbation du pape ; puis signèrent : Ignace, & les légats d’Alexandrie, d’Antioche, & de Jérusalem ; l’empereur fit une croix en guise de signature. Son fils Constantin fit deux croix, l’une pour lui, l’autre pour son frère Léon, & écrivit au-dessus des trois croix les noms des trois princes. Signèrent ensuite, cent deux évêques. Quand ils seraient authentiques, ce serait peu en comparaison des nombreux sièges épiscopaux qui existaient dans l’empire.
(P.175).
Nicétas, dans sa Vie d’Ignace, dit que les signataires trempèrent leur plume dans le sang du Sauveur. Cependant, il en doute. Il fait vraiment bien d’en douter.
Plusieurs lettres furent écrites par l’empereur & le concile, pour notifier aux patriarches & à toutes les Eglises ce qui avait été fait.
On doit remarquer que, dans les actes, les Evêques, anciens amis de Photios, n’avaient pris aucune part à ce qui s’était passé dans le concile. Ignace lui-même n’y avait eu qu’un rôle fort insignifiant.
Après le concile, Photios avait été exilé. On ne lui avait laissé aucun moyen d’existence ; on lui avait enlevé ses livres ; ses amis & ses parents étaient persécutés. Il écrivit alors à l’empereur Basile : -( in Phot., Epist.97. Edit. Lond.)-« Ecoute-moi, Très Clément Empereur ; je ne veux te rappeler ni nos anciennes liaisons, ni les serments qui t’ont lié à moi, ni l’onction que je t’ai donnée, ni les Saints Mystères auxquels je t’ai fait participer, -(N.d.a :Basile avait été sacré lorsqu’il fut associé à l’empereur, & il participa aux Saints Mystères sous Photios, jusqu’au jour où il rappela Ignace)- ; je te demande seulement pourquoi on m’a exilé sans l’avoir mérité ; pourquoi on m’a fait un exil pire qu’aux autres. On m’a même privé de mes livres ; c’est un supplice nouveau & bien extraordinaire qu’on a inventé pour moi. Dans quel but ? Sans doute pour que je n’entende plus la Parole Divine. Veux-tu donc que l’on applique à ton règne cette Parole de l’Ecriture : « Dans ces jours, on aura faim de pain, & faim de la Parole de Dieu ». Si, en écrivant, j’ai commis des erreurs, qu’on me donne un plus grand nombre de livres pour m’instruire. Si je n’ai blessé personne par mes erreurs, pourquoi me blesse-t-on moi-même ? Jamais les Orthodoxes n’ont été traités par les hérétiques aussi cruellement que je le suis ; jamais ils n’ont été privés de leurs livres. Les hérétiques n’avaient pas à souffrir dans leur exil ce qu’on me fait souffrir. Arius lui-même avait des moyens d’existence & ses livres. On a inventé pour moi de nouveaux supplices ; je suis séquestré de mes parents, de mes amis, de mes serviteurs. Au lieu de clercs chantant les saints offices, je n’ai autour de moi que des soldats. Si tu veux alléger mon supplice, condamne-moi à Mort ; la Mort sera du moins la fin de mes tourments. Tout empereur que tu es, tu es Mortel comme moi, tu as la même nature que moi, tu as le même Maître & le même Juge que moi. Je ne te demande ni le trône patriarcal, ni le bonheur, ni la gloire ; je ne désire que la paix & un traitement conforme aux mœurs civilisées du Peuple romain. »
Il écrivit avec énergie aux officiers de la cour qui le persécutaient. –(in Phot., Epistolae 22, 49)-. A un de ces officiers, nommé Michel, il fait observer que dans toutes les condamnations dont on accable lui & ses parents, on ne trouve aucun témoin, aucun juge, aucun accusateur. –(in Pho., Epistola 85)-. Dans cette lettre, il se plaint à nouveau qu’on lui ait enlevé ses livres. C’était là la chose qui lui causait le plus de peine.
Il est certain que l’immense majorité des évêques & des fidèles lui restèrent unis dans la persécution qu’il endurait.
(P.176).
L’empereur lui-même avait vu de près les intrigues dont Photios avait été victime ; les exagérations des légats l’avaient choqué ; Ignace était vieux & malade, & son ministère était complètement nul. En réalité, Photios n’avait été jugé que par le pape Nicolas qui, ne connaissant pas un mot de grec n’avait pu juger en connaissance de cause, surtout lorsque l’accusé était absent, & ne pouvait se défendre. En présence de tels procédés, l’empereur Basile n’hésita plus. Il avait sans doute attendu la Mort d’Ignace pour prendre une décision ; mais, voyant que sa vieillesse se prolongeait plus qu’on eût pensé, il fit revenir Photios à Constantinople, & lui donna pour demeure un des plus beaux palais de la ville. Photios laissa Ignace fort tranquille, & se contenta d’entretenir les relations les plus intimes avec l’empereur. Ignace étant Mort en l’an 879, on n’élut pas un autre évêque à sa place, & Photios fut de nouveau reconnu pour Patriarche.
-(N.d.a. : L’historien sérieux ne peut tenir compte des fables ridicules inventées par le biographe d’Ignace pour expliquer le retour de Photios, & la position indépendante qu’il avait après son retour, vis-à-vis du Patriarche Ignace. L’écrivain injuste & passionné s’y montre tout-à-fait à découvert ; son témoignage dénué de preuves ne peut être accepté que par les ennemis de Photios qui trouvent bon tout ce qui peut servir leur haine aveugle)-.
Sur ces entrefaites, deux légats romains étaient arrivés à Constantinople. Ils étaient envoyés par le pape Jean VIII, qui avait succédé à Adrien II. Ces légats trouvèrent Ignace Mort. Ils hésitèrent d’abord à entrer en relation avec Photios ; mais, après réflexion, ils n’y trouvèrent pas grand inconvénient, puisqu’ils avaient été envoyés à Constantinople pour mettre à exécution les menaces d’excommunication faites à Ignace à cause des affaires de Bulgarie. Photios les reçut avec aménité, & s’engagea à envoyer à Rome des légats pour prier le pape Jean de rendre enfin la Paix à l’Eglise de Constantinople, en le reconnaissant pour Patriarche. Il y envoya, en effet, Théodore Métropolite de Patras, qu’il chargea d’une lettre que signèrent avec lui les Métropolites dépendant du siège de Constantinople. La plupart des Métropolites & des Evêques lui étaient restés fidèles, même pendant son exil ; tous désiraient la Paix & la réconciliation avec le siège romain. Photios avait obtenu des Patriarches d’Alexandrie, d’Antioche, & de Jérusalem, des lettres dans lesquelles on le reconnaissait pour Patriarche de Constantinople. Théodore fitt un heureux voyage, grâce au pape qui l’avait recommandé à tous ceux qui pouvaient le protéger. Il arriva à Rome au printemps de l’année 879. Au mois d’août de la même année, le pape Jean le renvoya à Constantinople, avec des lettres favorables à Photius, dont Pierre, cardinal-prêtre, était porteur. Jean s’y montrait disposé à reconnaître Photius pour Patriarche, quoiqu’il fût remonté sur sa chaire sans avoir préalablement consulté le Saint-Siège. La Mort d’Ignace & les circonstances étaient, à ses yeux, des motifs suffisants pour en finir avec une affaire qui troublait l’Eglise depuis trop longtemps. Jean VIII ne mentionnait plus ni les anathèmes de Nicolas & d’Adrien, ni ceux du conciliabule ridicule des Dix-Huit, dont on a fait depuis, en Occident, un concile œcuménique. Tout cela était considéré comme non advenu. Dans la lettre à l’empereur Basile, il dit que les Patriarches d’Alexandrie, d’Antioche, & de Jérusalem, tous les Métropolites, tous les Evêques, tout le Clergé de Constantinople, tous ceux qui ont été ordonnés par Méthode & Ignace, étant unanimes pour reconnaître Photios, il le reçoit aussi comme évêque, confrère, & collègue, à condition qu’il demande pardon en plein synode, selon la coutume.
(P.177).
Jean VIII, tout en ne tenant pas compte des actes passionnés de ses prédécesseurs, ne pouvait pas officiellement les désavouer. C’est pourquoi il suppose un acte de soumission de la part de Photius, puis, il ajoute : « Afin qu’il ne reste plus aucune discussion dans l’Eglise, nous absolvons de toute censure ecclésiastique, lui, Photius, les évêques, les ecclésiastiques, les laïcs qui en ont été frappés, en vertu de la puissance qui, selon la croyance de toute l’Eglise, nous a été donnée par Jésus-Christ, en la personne du prince des Apôtres, & qui s’étend à tout sans exception ». –( Voir pour tout ce que nous relatons les Lettres du pape Jean VIII, dans la collection des conciles du père Labbe, t.VIII ; & dans la collection du père Hardoin, t.VI)-.
Cette doctrine était dès lors acceptée sans contestation à Rome. Depuis un siècle, la notion papale s’était développée & affermie, & le pape Jean s’imaginait que toute l’Eglise lui reconnaissait une autorité absolue qui lui serait venue de Jésus-Christ par Saint Pierre. Cette erreur ne fit que s’accentuer depuis, & les papes ne négligèrent aucune occasion de la mettre en relief. Mais, dans l’Eglise orientale, on n’a jamais admis de telles prétentions, & lorsque dans leurs lettres, les papes s’attribuaient des prérogatives considérées comme illégitimes, on pouvait les modifier avant d’en donner communication aux conciles, afin de ne pas soulever des discussions trop vives de la part des membres de l’assemblée.
-(N.d.a : Les lettres du pape Jean Viii ont pu être ainsi modifiées. Naturellement on a reproché à Photios de les avoir falsifiées. Ne pourrait-on pas admettre aussi qu’à Rome on en fabriquait plusieurs, les unes pour l’Orient , les autres pour l’Occident. Un fait certain, c’est que, au douzième siècle, Yves de Chartres cite la lettre de Jean VIII à l’empereur Basile d’après un texte latin conforme à la lettre grecque que l’on dit avoir été falsifiée par Photios. Pourrait-on dire d’où tenait cette lettre Yves de chartres, un des plus doctes canonistes du douzième siècle ? Cette lettre était connue en Occident, c’est évident ; Venait-elle de Photios ?-).
Jean VIII écrivit une seconde lettre aux Patriarches orientaux, & à tous les Evêques du Patriarcat de Constantinople. C’est une réponse à toutes les lettres qu’il avait reçues, & dans lesquelles on le suppliait de reconnaître Photios pour patriarche, afin de pacifier l’Eglise. –(N.d.a : Les ennemis de Photios prétendent qu’il a falsifié cette lettre. Ils sont cependant obligés de reconnaître qu’il existe deux lettres en latin, l’une conforme à la traduction grecque, l’autre qui en diffère, & dans laquelle les prétentions papales sont plus accentuées. Photios aurait-il composé une lettre latine conforme à la traduction grecque ? On n’a pas eu jusqu’ici l’impudence de le prétendre -). Dans sa leyytre à Photius, Jean Viii le reconnaît pour Patriarche, & l’engage à travailler à l’union, en traitant ses adversaires avec mansuétude. Il écrivit une quatrième lettre aux ennemis de Photios, les patrices Jean, Léon, & Paul, & les métropolites Stylianos, Jean, & Mitrophane, pour les engager à se réconcilier avec leur Patriarche Photios. « Si vous refusez d’en agir ainsi, ajoute-t-il, les légats sont chargés de vous exclure de la communion de l’Eglise, jusqu’à ce que vous obéissiez. Nul ne doit prétexter qu’il ne peut faire ce que nous demandons, parce qu’il aurait signé queqlue document contraire, car l’Eglise a le droit de délier de toutes sortes de liens. »
(P.178).
La cinquième lettre de Jean VIII est adressée à ses légats.
Les légats habiteront à Constantinople le logement qui leur sera assigné par l’empereur. Ils ne remettront les lettres apostoliques qu’après avoir été reçus en audience par l’empereur ; Quand ils lui remettront ces lettres, ils lui diront : » Ton Père spirituel le pape apostolique Jean te salue, ô empereur institué par Dieu ». Si, avant la remise des lettres, l’empereur interroge les légats sur son contenu, ceux-ci répondront qu’elles contiennent des salutations à son adresse, & des instructions pour le rétablissement de la paix. Le lendemain de l’audience impériale, ils iront saluer le très Saint Photius, & en lui remettant la lettre du pape, ils lui diront ; » Notre maître, le pape apostolique Jean te salue, & veut te reconnaître comme son frère & son collègue dans le sacerdoce. » Photius devra comparaître devant un concile en présence des légats ; Toute l’Eglise devra, conformément à nos instructions, le reconnaître ; lui, de son côté, devra se montrer reconnaissant, & louer la bonté de l’Eglise romaine. A la fin de la réception, les légats diront à Photios : « Le pape ordonne que tu t’efforces de ramener à l’union les évêques & les clercs qui ne voudraient pas entrer en communion avec toi ». Les légats célébreront un concile avec Photius ; on y lira d’abord la lettre du pape à l’empereur, & on demandera si l’on veut s’y conformer. Ceux qui ne voudront pas entrer en communion avec le Patriarche Photius, recevront les trois avertissements canoniques, & seront excommuniés s’ils persistent. Après la Mort du Patriarche Photius, on n’élira plus de laïc pour occuper la chaire patriarcale de Constantinople. Pendant le concile, les légats engageront Photius à se désister de toute juridiction sur la Bulgarie, sous peine d’être frappé selon les canons. La même menace avait été faite à Ignace qui n’en tint aucun compte. Les légats déclareront devant le concile, que les synodes tenus sous le pape Adrien, soit à Rome, soit à Constantinople contre Photios sont & demeureront annulés. Les légats ne devront ni se laisser corrompre, ni se laisser épouvanter.
Ce commonitorium avait été arrêté en concile à Rome, & était signé des membres de ce concile & du pape.
DE LA PAPAUTE.
CHAP.VI.
LA CRISE DU IXème SIECLE.
(P.148).
L’empereur Théophile avait laissé un fils du nom de Michel, surnommé Porphyrogénète, qui n’avait que trois ans à la Mort de son père. Sa mère, Théodora, fut reconnue comme régente. Elle suivait surtout les conseils du chancelier Théoctiste, de Manuel, chef de l’armée, & de Bardas, son frère. Ces conseillers étaient Orthodoxes, & contribuèrent puissamment au rétablissement du culte des images.
Le Saint Patriarche Méthodius étant Mort en 846, l’impératrice choisit pour Patriarche, Nicétas, fils de l’empereur Michel Rhangabé. Il s’était fait Moine, et avait pris le nom d’Ignace, sous lequel il est connu dans l’histoire. Son zèle pour les icônes & sa Sainteté lui avaient acquis le respect de Théodora. Cette princesse ayant été obligée de remettre le pouvoir à son fils, celui-ci se laissa diriger par son oncle Bardas, qui aurait voulu que sa sœur entrât dans un couvent, & que le Patriarche Ignace lui en donnât le conseil. Ignace refusa, & se fit un ennemi du puissant Bardas, qui était plus empereur que l’empereur lui-même. Il était doué d’une énergie peu commune, & ne savait reculer devant aucune difficulté. Il y avait au palais un autre homme de génie, d’une science étonnante, ami passionné de l’étude, & qui seconda Bardas dans ses efforts pour la restauration des études : C’était Photios, d’une famille illustre, alliée à celle de l’empereur, & secrétaire d’Etat. Bardas & Photios étaient très liés ; leurs goûts littéraires étaient les mêmes, & ils dépassaient tous leurs contemporains par la hauteur de leur génie. « Photios, dit un écrivain qui s’est appliqué à le diffamer, est un des caractères les plus fiers & un des esprits les plus extraordinaires qui aient figuré dans l’histoire des révolutions religieuses. » -(Jager, Histoire de Photius, introd. Note : Pour tout ce chapitre sur Saint Photios de Constantinople, voir Saint Photios, Œuvres Trinitaires, t.1. Ed. de la Fraternité Saint Grégoire Palamas, Paris, 1989. ( Traduction des écrits de Photios, avec la vie et une introduction sur l’historiographie du grand Patriarche)-. Il faut ajouter qu’il était vertueux, & que son amour pour l’étude l’absorbait au point qu’il ne songea pas même à se marier.
Il fut secrétaire d’Etat tout le temps que l’impératrice Théodora gouverna au nom de son fils. Ni Bardas ni Photios ne s’opposèrent au choix qu’elle avait fait d’Ignace pour le siège patriarcal.
Pendant que les empereurs iconoclastes ravageaient l’Eglise, Ignace menait une vie pieuse dans son Monastère dont il était devenu higoumène. –(Cf Nicétas. Vie de Saint Ignace)-.
(P.149).
Les Orthodoxes venaient à lui de toutes parts pour écouter ses exhortations & lui demander ses conseils. Le nombre de ses disciples s’étant accru d’une manière considérable, il fonda des Monastères dans les îles dites des Princes, & qui portaient les noms de Platos, Hyatros, & Thérébinthe. Des Evêques exilés par les iconoclastes engagèrent Ignace à entrer dans le Sacerdoce, quoiqu’il fût eunuque, ce qui était un empêchement canonique à la réception des ordres sacrés. On tint compte, sans doute, de cette circonstance, que cette infirmité était la suite des violences de l’empereur iconoclaste qui avait détrôné son père.
Les vertus d’Ignace avaient attiré sur lui l’attention de l’impératrice Théodora. Il fut consacré Patriarche le 4 juillet 846. Il était dans sa quarante-huitième année.
L’on peut croire que l’impératrice Théodora, en choisissant Ignace, voulut réparer autant qu’il était en elle, le mal que le père de son mari avait fait à lui & à toute sa famille, lorsqu’il avait détrôné Michel Rhangabé ; mais sa pitié l’inspira mal. Ignace était un Saint ; nous n’irons pas contre la voix des siècles qui l’ont honoré d’un culte public ; mais la sainteté ne détruit pas la nature. On peut donc croire qu’Ignace ne voyait pas sans peine occupé par un autre ce trône impérial sur lequel il se serait assis à la Mort de son père. A ses yeux, l’empereur régnant ne pouvait être qu’un usurpateur de ses droits, & tous ceux qui brillaient à la cour impériale ne pouvaient être que des ennemis.
Parmi les Evêques qui se présentèrent pour assister à sa consécration était l’Archevêque de Syracuse, qui s’était réfugié à Constantinople lorsque les Mahométans s’étaient emparés de sa ville épiscopale. Il se nommait Grégoire Asbesta.
Le siège de Syracuse dépendait-il du siège de Constantinople ou de celui de Rome ? Les deux Patriarches étaient depuis longtemps en discussion à ce sujet, & aucune décision n’avait encore était prise. Grégoire Asbesta était connu d’Ignace qui ne l’aimait pas ; on ignore ce que le nouveau Patriarche avait à lui reprocher ; mais un fait certain, c’est qu’il s’opposa à ce que l’Archevêque de Syracuse assistât à sa consécration. Cet Archevêque était déjà à l’église, un cierge à la main, lorsque Ignace lui défendit d’assister à la cérémonie. Outré de colère, Grégoire jeta son cierge à terre & jura de se venger. Une lutte très vive s’engagea entre les deux évêques ; elle dura pendant tout le pontificat d’Ignace. Quoique l’Archevêque de Syracuse ait été mêlé à toutes les discussions qui eurent lieu dans la suite, on n’a jamais relevé contre lui aucun crime qui ait légitimé l’injure publique que lui fit Ignace. –(Note : L’abbé Jager a osé s’exprimer ainsi : « Il y avait contre lui(Grégoire) des choses graves que l’histoire a laissées sous le secret, mais que le nouveau Patriarche connaissait parfaitement ». Qui a dit à Jager qu’Ignace connaissait des choses graves que l’histoire n’a jamais connues ? C’est ainsi que les hommes passionnés écrivant l’histoire. Héfélé, §464, dit : « qu’on ne sait pourquoi Ignace n’avait pas voulu que Grégoire assistât à la cérémonie. »)-. Malgré sa Sainteté, le Patriarche ne fut peut-être pas aussi modéré & aussi prudent qu’il aurait pu l’être. Il en donna une preuve nouvelle dans sa conduite à l’égard de Bardas.
Cet homme, si digne d’admiration sous tant de rapports, eut une faiblesse impardonnable.
(P.150).
Il devint éperdument amoureux de la femme de son propre fils. Il répudia donc sa femme légitime & vécut maritalement avec sa belle-fille. Cette liaison n’était pas assez secrète pour que le Patriarche n’en fût pas averti. Il fit à Bardas des remontrances qui ne furent pas écoutées. Bardas n’en continuait pas moins à se montrer très religieux, & le jour de l’Epiphanie de l’an 857, il se présenta à l’église pour y recevoir la communion. Ignace la lui refusa. L’empereur intervint ; mais ni ses promesses ni ses menaces ne purent vaincre le patriarche. Dès lors Bardas résolut de se venger. Il accusa Ignace d’être entré dans une conspiration dont le chef était un moine nommé Gelon. Pendant que Bardas dirigeait cette intrigue, Grégoire Asbesta avec deux autres évêques, Eulampius d’Apamée & Pierre de Sardes, élevaient contre lui les accusations les plus graves. Ils attaquaient la légitimité de sa consécration, parce qu’il n’avait pas été élu selon les canons, mais simplement choisi par l’autorité impériale. Ignace réunit quelques évêques, ses partisans, & il déposa Grégoire. Cette sentence ne pouvait pas être valable aux yeux des évêques de Rome, qui prétendaient que le siège de Syracuse relevait de leur patriarcat. La cause fut donc portée à Rome, d’abord sous Léon IV, qui ne prit aucune décision, & sous Benoît III, qui refusa de se prononcer, à moins que les deux antagonistes ne se présentassent à Rome, soit en personne, soit par des délégués, avec promesse de se soumettre au jugement qui serait prononcé. –(cf : Nicol., Epist.9 ad Imperat. Mich.- Stylian., Epist. Ad Pap. Steph.)-. Ignace envoya donc à Rome le moine Lazare, mais, lorsqu’il y arriva, le patriarche était déposé. Sur ces entrefaites, Benoît III mourut, & fut remplacé par Nicolas Ier sur le siège de Rome.
Bardas avait assemblé les Evêques qui se trouvaient à Constantinople, afin de juger Ignace, & d’examiner les accusations portées contre lui ; Tous, excepté cinq, jugèrent qu’il devait être déposé, & ils choisirent Photios pour lui succéder. Parmi les cinq opposants étaient Métrophane de Smyrne, & l’évêque de Néo-Césarée nommé Stylianos. Ils consentaient bien à la déposition d’Ignace, mais ils demandaient que Photios promît de rester en communion avec lui. Photios le promit. La paix semblait faite lorsque le décret de déposition fut notifié. Photios ne pouvait s’y opposer, puisqu’il ne devait pas être Patriarche si Ignace n’était pas déposé. Mais, en adhérant au décret de déposition, Photios n’attaquait pas l’Orthodoxie d’Ignace, & il restait en communion avec lui. Les cinq opposants lui reprochèrent cependant d’avoir manqué à sa promesse, & se déclarèrent contre son élection. –(Cf : Métroph., Epist. Ap. Labb. Conc., tVIII)-. Tous les autres évêques n’en persistèrent pas moins dans le choix qu’ils avaient fait.
Ignace avait occupé près de douze ans le trône patriarcal. Il avait soixante ans quand il fut déposé.
Nous admettons sans difficulté qu’Ignace n’eut que de bonnes intentions & des motifs de conscience en tout ce qu’il fit ; mais la justice veut que l’on reconnaisse qu’il n’imita ni la prudence d’un Tarasios, ni la sublime abnégation d’un Chrysostome.
(P.151).
On peut croire que le souvenir de la puissance impériale dont son père avait été privé violemment ne le disposait pas à ménager ceux qui occupaient une position élevée qu’il regardait comme un bien injustement ravi à sa famille. La cour l’accusa d’avoir pris parti pour un aventurier qui se croyait des droits à la couronne impériale, & il fut exilé.
Un grand nombre d’Evêques, avant lui, avaient eu à supporter cet arbitraire de la cour. Parmi ses prédécesseurs, & même sur le siège de Rome, Ignace eût trouvé des Evêques qui aimèrent mieux renoncer à une dignité qu’ils ne pouvaient plus exercer utilement pour l’Eglise, que d’exciter, par une opposition inutile, des troubles qui ont toujours pour l’Eglise de déplorables conséquences. Il ne jugea pas à propos d’imiter ces exemples, & refusa de renoncer à sa dignité, malgré les instances de plusieurs Evêques.
La cour ne pouvait céder. C’est ainsi que Saint Photios fut appelé au trône patriarcal.
Photios était neveu du Patriarche Taraise. Voici le portrait qu’en a tracé Fleury, en son Histoire Ecclésiastique – (Livre L.§ », ann. 858)-. « Le génie de Photios était encore au-dessus de sa naissance. Il avait l’esprit grand, & cultivé avec soin. Ses richesses lui faisaient facilement trouver toutes sortes de livres ; & sa passion pour la Gloire allait jusqu’à lui faire passer les nuits à la lecture. Aussi devint-il le plus savant homme, non seulement de son siècle, mais des précédents. Il savait la grammaire, la poétique, la rhétorique, la philosophie, la médecine, & toutes les sciences profanes ; mais il n’avait pas négligé la science ecclésiastique, & quand il se vit en place, il s’y rendit très savant ».
Dans un ouvrage composé dans ces derniers temps par la cour de Rome, -(L’Eglise orientale, ouvrage publié sous le nom de M. Pitzipios, Ière partie, ch.IV)-, on a été obligé de dire de Photios : « Sa vaste érudition, son caractère insinuant, souple & ferme à la fois, & sa capacité dans les affaires politiques, & jusqu’à sa douce physionomie & ses manières nobles & attrayantes, le faisaient remarquer parmi ses contemporains ».
Nous devions d’abord tracer le caractère de Photios d’après des écrivains non suspects de lui être favorables.
Photios reçut la consécration épiscopale le jour de Noël 858.
A peine était-il élu & consacré, que Bardas soumit Ignace & ses partisans aux traitements les plus cruels. Il affectait de ne voir en eux que les membres d’un parti dont le chef avait été condamné pour crime de haute trahison.
Photios ne pouvait voir ces atrocités sans en ressentir une profonde douleur. Il écrivit à Bardas : « Quand je vois des prêtres tourmentés ; quand je vois qu’on les frappe, qu’on les enchaîne, qu’on va jusqu’à leur couper la langue, n’ai-je pas raison de croire que ceux qui sont Morts sont plus heureux que moi. N’ai-je pas raison de regarder comme une punition pour mes péchés le fardeau qui m’a été imposé malgré moi ?
(P.152).
Un homme pauvre, sans protection, n’ayant pas même l’usage complet de sa raison, & dont on aurait dû avoir pitié, a souffert d’une manière horrible ; il a été vendu comme esclave, frappé de verges, emprisonné, & on lui a coupé la langue ; et cet homme était Prêtre ! Plusieurs fois, j’ai intercédé pour lui, & je n’ai rencontré que de l’indifférence & de l’insensibilité. »
Bardas n’accorda pas à Photios ce qu’il demandait. Aussi le pieux Patriarche cessa-t-il toute relation avec lui, comme il l’en avait prévenu dans sa lettre, pour le cas où il resterait insensible à ses supplications. Il s’adressa à l’empereur qui, malgré ses vices, n’était pas méchant. Mais Bardas était plus que l’empereur, & il tenait ce prince sous sa tutelle. Il se vengeait d’Ignace & de ses partisans, & les cruautés qu’il exerçait contre eux retombaient sur l’empereur lui-même.
Les ennemis passionnés de Photios les faisaient retomber sur ce doux Patriarche, qui les condamnait si énergiquement.
Dans l’année qui suivit sa consécration, Photios envoya aux Patriarches une lettre synodale, comme ces hauts représentants de l’Eglise avaient l’habitude d’en envoyer en signe de communion, après leur consécration. Voici l’exemplaire envoyé au Patriarche de Rome, le pape Nicolas Ier :
« Au très Saint, très Sacré, & très Révérend co-Ministre Nicolas, pape de l’ancienne Rome, Photios, Evêque de Constantinople, nouvelle-Rome.
« Lorsque la grandeur du Sacerdoce se présente à mon esprit, lorsque je pense à la distance qui existe entre sa perfection & la bassesse de l’homme ; quand je mesure la faiblesse de mes forces, & que je me rappelle la pensée que j’eus toute ma vie touchant la sublimité d’une telle dignité, pensée qui m’inspirait de l’étonnement, de la stupéfaction, en voyant des hommes de notre Temps, pour ne pas parler des Temps Anciens, accepter le joug terrible du pontificat, &, quoique étant des hommes enlacés dans la chair & le sang, entreprendre, à leur grand péril, de remplir le Ministère des Chérubins purs Esprits ; lorsque mon esprit s’attache à de telles pensées, & que je me vois moi-même engagé dans cet état qui me faisait trembler pour ceux que j’y voyais, je ne puis dire combien j’éprouve de douleur, combien je ressens de chagrin. Dès mon enfance, j’avais pris une résolution qui n’a fait que se fortifier avec l’âge, celle de me tenir éloigné des affaires & du bruit, & de jouir de la douceur paisible de la vie privée ; cependant ( je dois l’avouer à Votre Sainteté, puisqu’en lui écrivant je lui dois la vérité), j’ai été obligé d’accepter des dignités à la cour impériale, & de déroger ainsi à mes résolutions. Toutefois, je n’ai jamais été assez téméraire pour aspirer à la dignité du sacerdoce. Elle me semblait trop vénérable & trop redoutable, surtout lorsque je me rappelais l’exemple de Pierre, coryphée des Apôtres, qui, après avoir donné à notre Seigneur & notre vrai Dieu Jésus-Christ, tant de témoignages de sa Foy, & après lui avoir montré qu’il l’aimait si ardemment, a regardé comme le couronnement de toutes ses bonnes œuvres l’honneur d’avoir été élevé par le Maître au sacerdoce. Je me rappelle aussi l’exemple de ce serviteur auquel un talent avait été confié, & qui, l’ayant caché pour ne pas le perdre, à cause de la sévérité de son maître, fut obligé d’en rendre compte, & fut condamné au feu & à la géhenne pour ne l’avoir pas fait valoir.
(P.153).
« Mais pourquoi vous écrire ainsi, renouveler ma douleur, aggraver mon chagrin, & vous rendre confident de mes peines ? Le souvenir des choses pénibles aigrit le mal sans y apporter de soulagement. Ce qui s’est passé est comme une tragédie qui a eu lieu sans doute, afin que, par vos prières, nous puissions bien gouverner un troupeau qui nous a été confié je ne sais comment ; que le nuage de difficultés qui s’offrent à nous soit dissipé, que l’atmosphère sombre qui nous environne soit éclaircie. De même qu’un pilote est joyeux lorsqu’il voit son navire bien dirigé poussé par un vent favorable, ainsi une Eglise est la joie du pasteur qui la voit croître en piété, en vertus ; elle dissipe les inquiétudes qui sont autour de lui comme des nuages, & les craintes que lui inspire sa propre faiblesse.
« Dernièrement, lorsque celui qui remplissait avant nous la charge épiscopale eut quitté cet honneur, je me suis vu attaqué de toutes parts, sous je ne sais quelle impulsion, par le clergé & par l’assemblée des évêques & des métropolites, & surtout par l’empereur qui est plein d’amour pour le Christ, qui est bon, juste, humain, et (pourquoi ne pas le dire ?) plus juste que ceux qui ont régné avant lui. Il n’a été que pour moi inhumain, violent, & terrible. Agissant de concert avec l’assemblée dont j’ai parlé, il ne l’a pas laissé de répit, prenant pour motif de ses instances la volonté & le désir unanimes du clergé qui ne me laissait aucune excuse, affirmant que, devant un tel suffrage, ilne pourrait, même quand il le voudrait, condescendre à ma résistance. L’assemblée du clergé étant considérable, mes supplications ne pouvaient être entendues d’un grand nombre ; ceux qui les entendaient n’en tenaient aucun compte ; ils n’avaient qu’une intention, une résolution arrêtée : celle de me charger, même malgré moi de l’épiscopat. »
« La voie de la supplication m’étant fermée, mes larmes jaillirent ; le chagrin qui, au-dedans de moi, ressemblait à un nuage, & me remplissait de ténèbres & d’anxiété, se fondit tout-à-coup en un torrent de larmes qui déborda par mes yeux. Lorsqu’on voit ses paroles impuissantes pour obtenir le Salut, il est dans la nature même d’avoir recours aux prières & aux larmes ; on en espère encore quelque secours, alors même que l’on ne peut plus se flatter d’en obtenir. Ceux qui me faisaient violence ne me laissèrent aucun repos jusqu’à ce qu’ils eussent obtenu ce qu’ils voulaient, quoique ce fût contraire à ma volonté. Ainsi, me voilà exposé à des tempêtes, à des jugements que dieu seul, qui sait tout, connaît. Mais, c’en est assez, comme dit le proverbe.
« Or, comme la Communion de la Foy est la meilleure de toutes, & comme elle est par excellence la source de la vraie dilection, afin de contracter avec Votre Sainteté un lieu pur & indissoluble, nous avons résolu de garder brièvement, comme sur le marbre, notre Foy qui est aussi la vôtre. Par là, nous obtiendrons plus promptement l’effet de vos ferventes prières, & nous vous donnerons le meilleur témoignage de notre affection. »
Photios fait ensuite sa profession de foy avec une exactitude & une profondeur dignes du plus grand théologien. Il y rapporte les vérités fondamentales du Christianisme aux mystères de la Trinité, de l’Incarnation & de la Rédemption.
(P.154).
Il accepte les Sept Conciles Œcuméniques, & il expose, en peu de mots, mais avec une remarquable justesse, la doctrine qui y a été définie ; Puis il ajoute :
« Telle est la profession de ma Foy, touchant les choses qui lui appartiennent, & qui en découlent ; c’est dans cette Foy qu’est mon espérance. Elle n’est pas à moi seul, mais elle est partagée par tous ceux qui veulent vivre avec piété, qui ont en eux l’Amour divin, qui ont résolu de maintenir la pure & exacte doctrine Chrétienne. En consignant ainsi par écrit notre profession de Foy, & en faisant connaître à Votre Très Sacrée Sainteté ce qui nous concerne, nous avons comme gravé sur le marbre ce que nous avons exprimé par nos paroles ; comme nous vous l’avons dit, nous avons besoin de vos prières, afin que Dieu nous soit propice & bon dans toutes nos entreprises ; afin qu’Il nous accorde la grâce d’arracher toute racine de scandale, toute pierre d’achoppement, de l’ordre ecclésiastique ; afin que nous paissions bien ceux qui nous sont soumis ; afin que la multitude de nos péchés ne retarde pas les progrès de notre troupeau dans la Vertu, & ne rende ainsi nos fautes encore plus nombreuses ; afin que je fasse & que je dise aux fidèles toujours ce qui convient ; afin que, de leur côté, ils soient toujours obéissants & dociles pour ce qui concerne leur Salut ; afin que, par la Grâce & la Bonté du Christ qui est la tête de tous, ils croissent sans cesse en Lui, auquel soient la Gloire & le Règne avec le Père & le Saint Esprit, Trinité consubstantielle & principe de Vie, maintenant & toujours dans les siècles des siècles. Amen. »
Cette lettre est un beau monument d’Orthodoxie, & elle est digne à tous égards d’un grand écrivain & d’un grand Evêque.
Elle fut apportée à Rome avec une lettre de l’empereur. Nicolas Ier profita de cette occasion pour faire acte d’autorité suprême dans l’Eglise. Ce pape est un de ceux qui ont le plus contribué à développer l’œuvre d’Adrien Ier, qui, le premier, conçut le projet de faire de l’évêque de Rome l’empereur souverain de l’Eglise. Le jésuite Maimbourg – ( cf Maimb., Histoire du schisme des Grecs)-, voulant louer Nicolas affirme que : « pendant son pontificat de neuf années, il avait élevé le pouvoir papal à un degré qu’il n’avait point encore atteint, surtout à l’égard des empereurs, rois, princes, & patriarches, qu’il traita avec plus de rudesse qu’aucun de ses prédécesseurs, à chaque fois qu’il se crut lésé dans les prérogatives de son pouvoir pontifical. » Ce fait est incontestable, mais le P ; Maimbourg n’a aperçu ni l’importance historique de ce qu’il constatait, ni les funnestes conséquences de ce développement du pouvoir papal. Il n’a pas vu non plus que ce développement prétendu n’était qu’un changement radical, & que, au neuvième siècle, la papauté n’était plus le patriarcat romain des huit premiers siècles.
Nicolas ignorait ce qui s’était passé à Constantinople lors de la déposition d’Ignace & de l’élection de Photios. Il sut seulement que Photios était laïque au moment de cette élection. Il est certain que plusieurs canons en Occident interdisaient les consécrations précipitées ;
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ces canons n’étaient pas reçus en Orient, & quoique l’usage y fût en faveur des ordinations données par degrés, l’Histoire de l’Eglise prouve, par de nombreux exemples, qu’on s’élevait parfois au-dessus des canons ou de l’usage, en faveur d’hommes d’un mérite distingué & en des circonstances graves. Il suffit de rappeler les noms d’Ambroise de Milan, de Nectaire, de Taraise, & de Nicéphore, de Constantinople, pour prouver que la consécration de Photios n’était pas sans précédents très vénérables. Mais Nicolas voulait se poser en arbître suprême. Au lieu de différer modestement d’entrer en relation avec le nouveau patriarche jusqu’à plus ample informé, il répondit ainsi aux lettres de l’empereur & de Photios :
« Le Créateur de toutes choses a établi le Principat du divin pouvoir que le Créateur de toutes choses a accordé à ses Apôtres choisis ; il en a établi la solidité sur la Foy solide du Prince des Apôtres, c’est-à-dire de Pierre, auquel Il a accordé par excellence le premier siège. Car il lui a été dit par la voix du Seigneur : « Tu es Pierre, & sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise, & les portes de l’Enfer ne prévaudront pas contre elle. » Pierre, qui a été nommé ainsi à cause de la solidité de la pierre qui est le Christ, ne cesse point d’affermir par ses prières l’édifice inébranlable de l’Eglise universelle, de manière qu’il s’empresse de réformer, par la règle de la vraie Foy, la folie de ceux qui tombent dans l’erreur, &qu’il soutient ceux qui la consolident de peur que les porets de l’Enfer, c’est-à-dire les suggestions des malins esprits & les attaques des hérétiques, ne parviennent à rompre l’unité de l’Eglise… » -( cf : Nicolas I, Epistolae 2 et 3, in la Collection des Conciles, par le P. Labbe, t. VIII ; & Nat. Alexand., Hist. Eccl. Dissert., t. IV, in Saecul.,IX.)-
Nicolas feint de croire ensuite que si Michel est envoyé à Rome, c’est qu’il voulait observer ce règlement établi par les Pères : « Que, sans le consentement du siège romain & du pontife romain, on ne devait rien terminer dans les discussions ».
Ce principe était admis en ce sens qu’une question de Foy ne pouvait être définie sans l’adhésion des Eglises occidentales, qui était transmise ordinairement par le premier siège de ces contrées, mais non pas en ce sens que le consentement du siège particulier de Rome ou de son évêque était rigoureusement nécessaire. Nicolas s’appuyait ainsi sur une erreur, & supposait à tort qu’elle était admise par l’empereur d’Orient. Sur ce dernier point, surtout, il savait à quoi s’en tenir. Il attaque ensuite l’élection de Photios en vertu des canons du Concile de Sardique & des Décrétales des papes Célestin, Léon, & Gélase, qu’il appelle Docteurs de la Foy catholique. Il aurait pu remarquer qu’il ne s’agissait pas de la Foy, mais d’une question disciplinaire, & que l’Orient n’avait pas, & avait le droit de ne pas avoir, sur ce point, la discipline de l’Occident. Adrien Ier avait défendu d’élever à l’avenir un laïc à l’épiscopat. Nicolas s’appuie sur ce précédent. Mais il n’examine pas si Adrien avait plus que lui, Nicolas, le droit de faire une pareille défense. « Nous VOULONS, ajoute-t-il, qu’Ignace se présente devant nos envoyés, afin qu’il déclare pourquoi il a abandonné son peuple sans tenir compte des prescriptions de nos prédécesseurs les saints pontifes Léon & Benoît…
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Le tout sera transmis à notre autorité supérieure, afin que nous définissions par l’autorité apostolique ce qu’il y aura à faire, afin que votre Eglise, qui est si ébranlée, soit à l’avenir stable & paisible. »
Suivant un usage qui était dès lors établi dans l’Eglise romaine, Nicolas n’était pas tellement préoccupé de ses devoirs de pontife suprême qu’il ne songeât aux intérêts matériels de son siège ; c’est pourquoi il écrit à l’empereur : « Rendez-nous le patrimoine de Calabre & celui de Sicile, & tous les biens de notre Eglise, dont la possession lui était acquise, & qu’elle était dans l’usage de régir par ses propres mandataires ; car il est déraisonnable qu’un bien ecclésiastique servant au luminaire & aux offices de l’Eglise de Dieu nous soit ravi par un pouvoir terrestre ».
Voici donc le temporel déjà investi d’une consécration religieuse.
« NOUS VOULONS, ajoute Nicolas ( ce mot coule naturellement de sa plume à tout propos, NOUS VOULONS que la consécration soit donnée par notre siège à l’archevêque de Syracuse, afin que la Tradition établie par les Apôtres ne soit pas violée de notre temps. » Ce motif est vraiment singulier, pour ne pas dire plus. La Sicile fut soumise au patriarcat romain au quatrième siècle ; depuis la chute de l’Empire, cette région était restée dans le domaine de l’empereur de Constantinople. Or, selon la règle admise de tout temps dans l’Eglise, les circonscriptions ecclésiastiques devaient donc, en vertu de cette règle, relever de Constantinople, & non de Rome ; Nicolas ne le voulait pas ; mais les Apôtres auxquels il en appelait n’avaient certainement jamais soumis le siège de Syracuse à celui de Rome. –(Note : Si le siège de Syracuse dépendait de Rome, Grégoire, évêque de ce siège n’avait pu être ni jugé ni condamné par Ignace. Ainsi tombent les récriminations élevées contre le consécrateur du patriarche Photios)-.
La lettre à Photios n’est que l’abrégé de celle qui était adressée à l’empereur. Seulement, Nicolas évite de se servir des expressions ambitieuses que nous avons signalées dans cette dernière. Il ne s’adressa à Photios que comme à un simple laïc, sans lui donner aucun titre épiscopal, quoiqu’il le sût légitimement sacré. Cette affectation cachait cette pensée : qu’aucun évêque ne pouvait avoir le caractère de son ordre que par le consentement du pontife romain.
Les anciens papes ne tenaient un langage pareil ni aux empereurs, ni à leurs frères les Evêques. Dans les circonstances où ils étaient obligés d’intervenir pour la Défense de la Foy ou de l’Ascèse, ils ne se posaient pas en arbitres souverains, & ne s’attribuaient pas une autorité suprême ; ils en appelaient à la Tradition, aux canons ; ne faisaient rien sans Concile, & ne mêlaient point les choses temporelles aux spirituelles. Nous avons remarqué les premiers pas de la papauté dans ses voies nouvelles, & ses tentatives pour abolir l’ancien droit ecclésiastique. Nicolas Ier se crut en état de faire, de ses nouvelles prétentions, autant de prérogatives anciennes & incontestables. Aussi mérite-t-il d’être placé entre Adrien Ier, le vrai fondateur de la papauté moderne, & Grégoire VII, qui l’a élevée à son plus haut période.
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Mais les Fausses Décrétales n’étaient pas connues en Orient. Nicolas Ier, au lieu d’invoquer les principes généraux des Conciles Œcuméniques, en appelait aux Décrétales de ses prédécesseurs, comme si les évêques de Rome avaient pu établir des lois universelles. Photios lui rappela les vrais principes avec autant d’exactitude que de modération, dans sa deuxième lettre.
Les légats de Nicolas étant arrivés à Constantinople, on assembla, dans cette ville, un concile où se trouvèrent trois cent dix-huit évêques, & auquel les légats assistèrent. Ignace comparut dans cette assemblée, & il y fut solennellement déposé : 1° parce qu’il avait été choisi par la puissance temporelle, & non pas élu selon les canons ; 2° parce qu’il était entré dans des complots & conjurations contre l’empereur. Les ennemis de Photios font de ces trois cent dix-huit évêques, qui délibérèrent en public, & en présence d’une foule considérable, autant de traîtres vendus à la cour. Nous avons peine à croire que tant d’évêques aient ainsi prostitué leur conscience, sans qu’un seul d’entre eux n’ait eu de remords, sans que le peuple ait protesté contre une telle infamie. Il est difficile de croire à cette connivence de trois cent dix-huit évêques, entourés de la foule du clergé & du peuple ; il nous semble plus admissible de croire qu’Ignace, malgré ses vertus, avait été élevé au patriarcat moins par élection que par une influence puissante, & à cause de sa noblesse, comme on le lui reprochait, & qu’il s’était trouvé compromis, sans doute malgré lui, dans des intrigues politiques. Nous ne voyons aucune raison de suspecter la pureté de ses intentions, mais n’a-t-il pas été le jouet de quelques ambitieux ? Et n’est-ce pas à cause de leur funeste influence qu’il n’a pas imité la grandeur d’âme, & l’abnégation vraiment épiscopale d’un Chrysostome ?
Ignace fut déposé ainsi pour la seconde fois par un grand concile, en 861. Il en appela au pape. Mais sa requête ne fut signée que de six métropolitains & de quinze évêques.
Dans ce concile, on condamna de nouveau les Iconoclastes, & l’on fit plusieurs canons relatifs au clergé & aux moines.
Après le concile, les légats retournèrent à Rome. Peu de temps après leur arrivée, une ambassade impériale apporta les Actes du concile, & une lettre de Photios, conçue en ces termes :
« Au très saint entre tous & très sacré frère & co-ministre Nicolas, pape de l’ancienne Rome, Photios, Evêque de Constantinople, la nouvelle Rome.
« Rien n’est plus vénérable & plus précieux que la Charité, c’est l’opinion commune confirmée par les Saintes Ecritures. Par la Charité, ce qui est séparé est uni ; les luttes sont pacifiées ; ce qui est déjà uni & intimement lié est uni plus étroitement encore ; la Charité ferme toute issus aux séditions & aux querelles intestines ; car « la Charité ne pense pas le mal, mais elle souffre tout ; elle espère tout, elle supporte tout, & jamais, selon le Bienheureux Paul, elle n’est épuisée ». Elle réconcilie les serviteurs coupables avec leurs maîtres, en faisant valoir, pour atténuer la faute, l’identité de la nature. Elle apprend aux serviteurs à supporter avec douceur la colère de leurs maîtres, & les console de l’inégalité de leur condition, par l’exemple de ceux qui ont également à en souffrir.
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Elle adoucit la colère des parents contre leurs enfants, & contre les murmures de ces derniers ; elle fait de l’amour paternel une arme puissante qui leur vient en aide, & empêche au sein des familles ces déchirements dont la nature a horreur. Elle arrête facilement les discussions qui s’élèvent entre amis, & elle les engage à conserver les bons rapports de l’amitié ; quant à ceux qui ont les mêmes pensées sur Dieu & sur les choses divines, quoiqu’ils soient séparés par l’espace, & qu’ils ne se soient jamais vus, elle les unit & les identifie par la pensée, & elle en fait de vrais amis ; & si par hasard l’un d’entre eux a élevé d’une manière trop inconsidérée des accusations contre l’autre, elle y remédie, & rétablit toutes choses, en resserrant le lien de l’union. »
Ce tableau des bienfaits de la Charité était à l’adresse de Nicolas, qui ne l’avait pas observée à l’égard de Photios, & qui avait montré trop d’empressement pour lui faire des reproches. Le Patriarche de Constantinople continue :
« C’est cette charité qui m’a fait supporter sans peine les reproches que Votre Sainteté Paternelle m’a lancés comme autant de traits ; qui m’ a empêché de considérer ses paroles comme les fruits de la colère, ou d’une âme avide d’injures & d’inimitiés ; qui me les a fait envisager, au contraire, comme la preuve d’une affection qui ne sait rien dissimuler, & d’un zèle scrupuleux pour l’ascèse ecclésiastique, zèle qui voudrait que tout fût parfait. Car si la charité ne permet pas de considérer même le mal comme mal, comment permettra-t-elle de juger que telle chose est mal ? Telle est la nature de la vraie charité, qu’elle va jusqu’à regarder comme un bienfait, même ce qui nous cause de la peine. Mais puisque rien ne s’oppose qu’entre frères, ou pères & fils, on se dise la vérité ( qu’y-a-t-il en effet de plus amical que la vérité), qu’il me soit permis de vous parler & de vous écrire en toute liberté, non par le désir de vous contredire, mais avec l’intention de me défendre.
« Parfait, comme vous l’êtes, vous auriez dû considérer d’abord que c’est malgré nous que nous avons été traînés sous le joug, &, par conséquent, avoir pitié de nous, au lieu de nous faire des reproches ; ne pas nous mépriser, mais compatir à notre douleur. On doit en effet à ceux qui ont été violentés, pitié & bonté, & non pas injure & mépris. Or, nous avons souffert une violence telle que Dieu seul, qui connaît les choses les plus secrètes, la connaît ; nous avons été retenu malgré nous ; nous avons été gardé à vue, espionné, comme un coupable ; on nous a donné, malgré nous, des suffrages ; on nous a créé Evêque, malgré nos larmes, nos plaintes, notre affliction, notre désespoir. Tout le monde sait qu’il en a été ainsi : car les choses ne se sont pas passées en secret, & l’excès de la violence que j’ai subie a été si public que tout le monde en a eu connaissance. Quoi ! ne faut-il pas plaindre & consoler autant que possible ceux qui ont souffert de telles violences, plutôt que de les attaquer, de les maltraiter, de les charger d’injures ? J’ai perdu une vie tranquille & douce ; j’ai perdu ma gloire ( puisqu’il en est qui aiment la gloire mondaine), j’ai perdu mes chers loisirs, mes relations si pures & si agréables avec mes amis, ces relations d’où le chagrin, la ruse, & les reproches étaient exclus. Personne ne m’avait pris en haine ;
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moi, je n’accusais, je ne haïssais personne, ni étrangers, ni indigènes ; je n’avais rien contre ceux qui avaient le moins de rapports avec moi, à plus forte raison contre mes amis. Je n’ai jamais causé à personne un chagrin qui ait donné occasion de me faire un outrage, excepté dans les dangers que j’ai courus pour la cause de la religion. –(Photios fait allusion ici à la résistance qu’il opposa aux empereurs iconoclastes & à leurs partisans)-. Personne non plus ne m’a offensé assez gravement pour que je me sois porté à son égard jusqu’à l’injure. Tous étaient bons pour moi. Quant à ma conduite, je dois garder le silence, mais chacun proclame ce qu’elle a été. Mes amis m’aimaient plus que leurs parents ; quant à mes parents, ils m’aimaient plus que les autres membres de la famille, & savaient que c’était moi qui les aimais le mieux. »
Les ennemis de Photios eux-mêmes sont forcés de convenir que sa vie était celle d’un homme dévoué à l’étude ; qu’il était en possession, comme premier secrétaire d’Etat, des plus grands honneurs qu’il pût ambitionner. Comment concilier ces aveux avec cet amour effréné de l’épiscopat que ses ennemis lui prêtent mensongèrement ? On est mieux dans la vérité en acceptant ses lettres comme la véritable expression de ses sentiments ; Il a résisté autant qu’il a pu à sa promotion sociale, & ce n’est que la volonté de l’empereur & celle de Bardas, qui l’ont obligé d’accepter un siège que personne, mieux que lui, ne pouvait occuper. –(Note de Guettée : Lorsque nous analyserons la Correspondance de Photios, on ne pourra plus douter de la noblesse de sentiments du Saint & Docte Patriarche)-.
Photios, après avoir fait un parallèle aussi vrai qu’éloquent entre les douceurs de sa vie de savant, & les soucis de la vie nouvelle qu’on lui avait imposée, poursuit ainsi ;
« Mais pourquoi revenir sur ces choses que j’ai déjà écrites ? Si l’on m’a cru, on m’a fait injure en n’ayant pas pitié de moi ; si l’on ne m’a pas cru, on ne m’a pas fait une moindre injure, en n’ajoutant pas foi à mes paroles lorsque je disais la vérité. D’un côté comme de l’autre, je suis donc malheureux. Je reçois des reproches d’où j’attendais de la consolation & des encouragements : la douleur s’ajoute ainsi à la douleur.- Il ne fallait pas, me dit-on, que l’on vous fît injure. Mais dites cela à ceux qui me l’ont faite.- Il ne fallait pas que l’on vous fît violence.- La maxime est bonne, mais qui mérite votre reproche ? Ne sont-ce pas ceux qui ont fait violence ? Qui sont ceux qui méritent pitié ? Ne sont-ce pas ceux qui ont été violentés ? Si quelqu’un laissait en paix ceux qui ont fait violence pour retomber sur celui qui l’a subie, je pouvais espérer de votre justice que vous le condamneriez.
« Les canons de l’Eglise, dit-on, ont été violés parce que, du rang des laïcs, vous êtes monté au faîte du sacerdoce. Mais qui les a violés ? Est-ce celui qui a fait violence, ou celui qui a été entraîné de force & malgré lui ?-Mais, il eût fallu résister.- Jusqu’à quel degré ?- J’ai résisté, & plus même qu’il n’eût fallu. Si je n’avais craint d’exciter de plus grandes tempêtes, j’eusse résisté encore, & jusqu’à la Mort. Mais quels sont ces canons que l’on prétend avoir été violés ? Ce sont des canons que, jusqu’à ce jour, l’Eglise de Constantinople n’a pas reçus. On transgresse des canons quand on a dû les observer;
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mais, lorsqu’ils ne vous ont pas été transmis, vous ne commettez aucun péché en ne les observant pas.
« J’en ai assez dit, & même plus qu’il n’était opportun. Car je ne prétends ni me défendre ni me justifier. Comment vouloir me défendre, lorsque la seule chose que je désire est d’être délivré de la tempête, d’être déchargé du poids qui m’accable ? C’est à ce point que j’ai désiré ce siège, à ce point que je veux le retenir.- mais si le siège épiscopal vous est à charge aujourd’hui, il n’en a pas été ainsi au commencement ? – Je m’y suis assis malgré moi, j’y reste malgré moi. La preuve, c’est que, dès le commencement, on me fit violence ; c’est que, dès le commencement, j’ai voulu, comme je voudrais aujourd’hui le quitter. – Mais si l’on devait m’écrire des choses polies, on ne pouvait m’écrire avec bonté & me louer. – Nous avons reçu tout ce qui nous a été dit avec joie, & en rendant grâces au Dieu qui gouverne l’Eglise. – On m’a dit : « Vous avez été tiré de l’ordre des laïcs, ce n’est pas là un acte louable ; c’est pourquoi nous sommes indécis, & nous avons ajourné notre consentement jusqu’après le retour de nos apocrisiaires. » Il valait mieux écrire : « Nous ne consentons pas du tout, nous n’approuvons pas, nous n’acceptons pas, & nous n’accepterons jamais. Celui qui s’est offert pour ce siège, qui a acheté l’épiscopat, qui n’a pas eu pour lui de vrais suffrages, c’est un homme mauvais sous tous rapports. Quitte ce siège & la charge d’Evêque ». Celui qui m’eût écrit ainsi, m’eût écrit des choses agréables, quoique fausses pour la plupart. Mais fallait-il que celui qui avait souffert l’injure en entrant dans l’épiscopat, la souffrît encore en le quittant ? que celui qui y avait été poussé violemment en fût repoussé avec plus de violence encore ? Celui qui aurait de tels sentiments, de telles pensées, n’aurait guère souci de repousser la calomnie, qui n’a d’autre but que de lui arracher le siège épiscopal. Mais c’est assez sur ce sujet. »
Dans le reste de sa lettre, Photios explique fort au long qu’une Eglise ne doit pas condamner les usages d’une autre, pourvu que ces usages ne soient contraires ni à la foi ni aux canons des conciles généraux. Il justifie son ordination par cette règle, & par l’exemple de ses Saints prédécesseurs, Nectaire, Taraise, Nicéphore, & par ceux de Saint Ambroise ; de Saint Grégoire, père de Saint Grégoire le Théologien ; de Thalassius de Césarée. Il expose à Nicolas que dans le dernier concile tenu en présence de ses légats, on a adopté plusieurs des règles ascétiques qu’il avait indiquées, & qui ont paru utiles. Il loue le pape de son amour pour le maintien des canons, & l’en félicite d’autant plus, qu’ayant la primauté, son exemple était plus puissant. Il prend de là occasion pour lui exposer, en finissant, qu’un grand nombre de coupables s’enfuient à Rome, sous prétexte de pèlerinage, pour y cacher leurs crimes sous une fausse apparence de piété. Il le prie donc d’observer sur ce point les canons qui prescrivent à chaque évêque de ne recevoir à la communion que ceux qui sont munis des lettres de recommandation de leur propre Evêque.
Dans tous les temps on a ainsi reproché à Rome de servir de refuge aux criminels hypocrites. L’Eglise de France écrivit souvent aux papes dans le même sens que le fit Photios en cette occasion.
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La lettre de ce Patriarche ne pouvait pas être agréable à Nicolas ; car, sous des formes polies & élégantes, elle contenait de justes leçons. Photios n’y dit pas un mot blessant ; il n’use pas de son titre honorifique de Patriarche œcuménique ; il reconnaît la primauté du siège de Rome ; mais il ne flatte point l’ambition de la papauté nouvelle ; il ne s’abaisse pas, & sa douceur n’exclut point la fermeté. Un tel adversaire était plus redoutable pour Nicolas qu’un homme emporté & ambitieux. Au lieu de lui disputer les droits qu’il s’attribuait sur certaines Eglises du Patriarcat de Constantinople, il lui dit : » Nous vous les aurions cédées si cela eût dépendu de nous ; mais, comme il s’agit de pays & de limites, c’est une affaire qui regarde l’Etat. Pour moi, je voudrais non seulement rendre aux autres ce qui leur appartient, mais céder encore une partie des anciennes dépendances de ce siège. J’aurais obligation à celui qui me déchargerait d’une partie de mon fardeau. »
On ne pouvait mieux répondre à un pape qui ne songeait qu’à étendre son pouvoir par tous les moyens. Mais Nicolas ne profita pas de cette leçon aussi juste que modérée. Il ne voulut croire ni à ses légats, ni aux actes du concile qui lui furent présentés. Il déclara même à l’ambassadeur Léon, qui lui avait été envoyé, qu’il n’avait pas envoyé ses légats pour déposer Ignace ou pour approuver la promotion de Photios ; qu’il n’avait jamais consenti & ne consentirait jamais ni à l’un ni à l’autre.
Nicolas se posait ainsi en arbitre de la légitimité des Evêques, oubliant que, d’après les canons, il n’avait que la liberté d’entrer en communion avec l’un ou avec l’autre. On comprenait qu’avant d’entrer en relation avec Photios, il avait besoin de renseignements positifs sur la légitimité de son élection ; mais, suivant les lois de l’Eglise, cette légitimité ne dépendait pas de la volonté papale, mais bien du jugement prononcé contre Ignace, & de l’élection régulière de Photios ; Un concile de trois cent dix-huit évêques avait publiquement approuvé cette élection & la déposition d’Ignace. Les légats en avaient été témoins ; ils rendaient témoignage de ce qu’ils avaient vu & entendu : C’était bien assez, ce semble, pour décider Nicolas à accorder sa communion à un Evêque qui, par ses meurs vénérables & sa science, était bien digne de l’épiscopat. Mais, en prenant le parti d’Ignace, Nicolas faisait acte d’autorité souveraine. Cette perspective flattait trop ses penchants pour qu’il pût y renoncer. Il réunit donc le clergé de Rome pour désavouer solennellement ses légats. Il adressa ensuite à l’empereur, à Photios, & à toute l’Eglise orientale, des lettres qui sont autant de MONUMENTS DE SON ORGUEIL. Nous devons les faire connaître, afin que l’on puisse en comparer la doctrine avec celle des huit premiers siècles, & acquérir ainsi la conviction que la papauté avait abandonné cette dernière pour y substituer un SYSTEME AUTOCRATIQUE que l’Eglise orientale ne pouvait accepter. –(cf : Nicol., Epist.5 et 6.)- Au commencement de sa lettre à l’empereur Michel, il suppose que ce prince s’est adressé : « à la sainte, catholique, & apostolique Eglise romaine, chef ( tête) de toutes les Eglises, qui suit dans tous ses actes les pures autorités des Saints Pères », afin de savoir à quoi s’en tenir dans les affaires ecclésiastiques.
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Nicolas ne laissait échapper aucune occasion de répéter ces phrases sonores qui prouvent tout le contraire de ce qu’il affirmait, car les Pères les ignoraient complètement. Venant à la cause d’Ignace, il se plaint « de ce que l’on avait prononcé contre lui une sentence contrairement à ses ordres ; que non seulement on n’avait rien fait de ce qu’il avait prescrit, mais qu’on avait fait tout le contraire. Donc, ajoute-t-il, puisque vous soutenez Photios, & que vous rejetez Ignace sans le jugement de notre Apostolat, nous voulons que vous sachiez bien que nous ne recevons pas Photios, & que nous ne condamnons pas le patriarche Ignace ».
C’était bien là parler en maître. Il s’applique ensuite à trouver des différences de détail entre la promotion de Nectaire & d’Ambroise, & celle de Photios. Mais ces différences, alors même qu’on les admettrait telles qu’il les présente, n’étaient pas de nature à annuler une loi positive, si on l’avait considérée comme absolue & non susceptible d’exceptions.
Sa lettre « au très prudent homme Photios » commence de cette manière solennelle :
« Après que notre Seigneur et Rédempteur Jésus-Christ, qui était vrai Dieu avant tous les siècles, eut daigné sortir du sein de la Vierge pour notre rédemption, & apparaître vrai homme dans le monde, Il confia au Bienheureux Pierre, prince des Apôtres, le pouvoir de lier & de délier au Ciel & sur la terre, & le droit d’ouvrir les portes du Royaume Céleste ; Il a daigné établir sa Sainte Eglise sur la solidité de la foi de cet Apôtre, selon cette parole de vérité : « En vérité, je te le dis : Tu es Pierre, & sur cette pierre je construirai mon Eglise, & les portes de l’Enfer ne prévaudront jamais contre elle ; & je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux ; & tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les Cieux, & tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les Cieux. »
Tel est le grand argument sur lequel la papauté moderne s’est toujours appuyée. Elle rejette ouvertement l’interprétation traditionnelle & Orthodoxe de ces paroles divines ; elle fait, de droits accordés à tous les Apôtres en commun, un droit exclusif & personnel pour Saint Pierre ; elle se pose, contrairement à toutes les règles ecclésiastiques, & en vertu d’UN ARBITRAIRE SACRILEGE, comme unique héritière de prérogatives chimériques, & elle prétend, sur ces bases mensongères & fragiles, établir l’édifice de SON AUTOCRATIE UNIVERSELLE. Telle était la prétention que Nicolas opposait à Photios ; & l’on voudrait que ce Patriarche, qui connaissait l’antiquité ecclésiastique, se fût soumis à une telle autorité ! Son devoir était de protester comme il le fit ; & plût à Dieu que tous les évêques de l’Eglise Orthodoxe universelle eussent imité son courage aussi ferme que modéré & pur !
Voici le commentaire que fait Nicolas des paroles évangéliques qu’il a citées : « Selon cette promesse, par le ciment de la sainte institution apostolique, les fondements de l’édifice, composés de pierres précieuses, commencèrent à s’élever ; &, grâce à la clémence divine, & par le zèle des constructeurs, & la sollicitude de l’autorité apostolique, à s’élever jusqu’au faîte pour durer toujours, sans avoir rien à craindre de la violence des vents. Le Bienheureux Pierre, prince des Apôtres & portier du Royaume Céleste, a mérité dans cet édifice la primauté, comme tous les Orthodoxes le savent, & comme il a été déclaré tout à l’heure ».
(P.163)
Personne, en effet, parmi les Orthodoxes, ne nie la primauté de Saint Pierre ; mais cette primauté li donnait-elle une autorité suprême ? Non, répond la Tradition Orthodoxe universelle. Oui, répond Nicolas, qui continue ainsi : » Après lui ( Saint Pierre), ses « Vicaires » servant Dieu avec sincérité, délivrés des ombres des ténèbres qui empêchent de marcher dans le droit chemin, ont reçu d’une manière plus élevée le soin de paître les brebis du Seigneur, & ont accompli ce devoir avec soin. Parmi eux, la miséricorde du Dieu Tout-Puissant a daigné compter Notre Petitesse ; mais nous tremblons à la pensée que nous répondrons avant tous & pour tous à Jésus-Christ, lorsqu’il demandera compte à chacun de ses œuvres.
« Or, comme tous les croyants demandent la doctrine à cette sainte Eglise romaine qui est le chef ( la tête) de toutes les Eglises ; qu’ils lui demandent l’intégrité de la foi ; que ceux qui en sont dignes, & qui sont rachetés par la grâce de Dieu, lui demandent l’absolution de leurs crimes, il faut que nous, qui en avons reçu la charge, nous soyons attentifs, que nous ayons toujours l’œil sur le troupeau du Seigneur, d’autant plus qu’il en est qui veulent toujours le déchirer par des morsures cruelles…Il est constant que la Sainte Eglise romaine, par le Bienheureux Apôtre Pierre, prince des Apôtres, qui a mérité de recevoir de la bouche du Seigneur la primauté des Eglises, est le chef ( la tête) de toutes les Eglises ; que c’est à elle qu’il faut s’adresser pour connaître la rectitude & l’ordre qui doivent être suivis en toutes choses utiles, & dans les institutions ecclésiastiques qu’elle maintient d’une manière inviolable & irréfragable dans le sens des règles canoniques & synodales des Saints Pères. Il suit de là que ce qui est rejeté par les Recteurs de ce siège, de leur pleine autorité, doit être rejeté nonobstant toute coutume particulière ; & que ce qui est ordonné par eux doit être accepté fermement & sns hésitation. »
Ainsi, Nicolas opposait SON AUTORITE SOUVERAINE aux règles suivies de touta antiquité par l’Eglise, & que Photios lui avait exposées. Il cherche ensuite à trouver des différences de détail dans les élections de Nectaire, d’Ambroise & de Taraise, & celle de Photios. Il ne réussit pas mieux sur ce point que dans sa lettre à l’empereur Michel, & il passe sous silence les autres exemples mentionnés par Photios.
Dans ses lettres aux patriarches & aux fidèles de l’Orient, -( cf. Nicol, Epist 1 et 4)-, Nicolas exprime la même doctrine sur SON AUTOCRATIE. Il ORDONNE aux Patriarches d’Alexandrie, d’Antioche, & de Jérusalem, de faire connaître à leurs fidèles la décision du siège apostolique.
Ignace, en appelant à Nicolas du jugement rendu contre lui, avait trop FLATTé L’ORGUEIL de ce pape. Il suffira, pour le prouver, de citer cette suscription de son acte d’appel : » Ignace, opprimé par la tyrannie, etc., à Notre Très Saint Seigneur & très bienheureux président, patriarche de tous les sièges, successeur de Saint Pierre, prince des Apôtres, Nicolas, pape œcuménique, & à ses très saints évêques, & à la très sage Eglise romaine universelle. » -(Cf. Libel. Ignat., in la collection des Conciles du P. Labbe, T.VIII. Plusieurs érudits doutent de l’authenticité de cette pièce. Nous avons peine à croire qu’Ignace, malgré ses bons rapports avec Rome, ait pu s’adresser au pape dans la forme qu’on vient de lire.)-
(P.164)
Saint Grégoire le Grand eût rejeté de pareils titres comme autant d’inventions diaboliques ; nous l’avons vu par ses lettres à Jean le Jeûneur ; mais la papauté de Saint Grégoire le Grand n’existait plus : Elle avait cédé la place à UNE INSTITUTION POLITICO-ECCLESIASTIQUE DONT LE POUVOIR ETAIT L’UNIQUE PREOCCUPATION. Ignace, en flattant l’ambition de Nicolas, ne pouvait qu’avoir raison aux yeux de ce pape. Photios, qui s’en tenait à l’ancienne Doctrine, la Doctrine Orthodoxe Originelle, qui regardait l’Evêque de Rome uniquement comme premier Evêque, sans lui accorder aucune autorité personnelle, devait, selon lui, avoir tort. Aussi, sans autre examen, Nicolas prononça-t-il anathème & déposition contre lui, dans un concile qu’il tint à Rome au commencement de l’année 863. « Nous te déclarons, dit-il, privé de tout honneur sacerdotal, & de toute fonction cléricale, par l’autorité du Dieu Tout-Puissant, des Apôtres Saint Pierre & Saint Paul, de tous les Saints, des six conciles généraux & du JUGEMENT QUE LE SAINT-ESPRIT PRONONCE PAR NOUS. » -(Cf : Collection des conciles du P. Labbe, t.VIII)-. Il osa, dans la sentence, accuser Photios lui-même des mauvais traitements dont Ignace avait été l’objet ; C’était une calomnie, puisée dans les dénonciations des ennemis de Photios, & qui a été répétée depuis par tous les écrivains catholiques romains papistes qui ont eu à parler des différends entre ce Patriarche & Nicolas. ( N.d.a : Nous n’avons pas tenu compte de tout ce qui est raconté par les ennemis de Photios, touchant les souffrances d’Ignace : 1° parce que ces détails ne font rien à la question principale ; 2° parce que ces récits sont empreints d’une évidente exagération ; 3° parce que Photios n’en doit pas être responsable vis-à-vis de l’Histoire. Ignace ne s’est-il pas attiré la haine de Bardas pour son zèle trop peu prudent, par ses procédés à l’égard de Grégoire de Syracuse, par ses sentiments hostiles au gouvernement ? Ce sont là autant de questions sur lesquelles on ne pourrait l’innocenter complètement, même à l’aide des récits de ses partisans. On peut même dire que ces récits passionnés le compromettent par leurs exagérations. Le refus qu’il fit de se démettre a provoqué contre lui les violences de Bardas, nous ne le nions pas, quoique les détails de ces violences présentent un caractère peu propre à nous les faire admettre tout-à-fait. Mais Photios a-t-il été complice de ces violences ? Nous répondons négativement. D’abord, parce que les écrivains impartiaux ne les lui attribue d’aucune façon, & parce que lui-même a protesté, dans ses lettres à Bardas, contre les violences exercées contre ses adversaires. Nous avons donné une de ces lettres, & nous en trouverons de nouvelles preuves en analysant la Correspondance entière si digne d’un Grand & Saint Evêque. N’y aura-t-il que pour Photios qu’une correspondance intime ne sera pas un document digne de foi ? Les historiens catholiques romains prétendent qu’il a écrit ses lettres à Bardas par hypocrisie. Mais les écrivains impartiaux & indépendants qui les confirment étaient-ils aussi des hypocrites ? Croira-t-on que les ennemis déclarés de Photios aient eu seuls le privilège de dire la vérité en parlant de lui ? S’il lui faut juger l’homme sur le témoignage de ses ennemis, qui aura jamais été innocent ? par ce système, on prouverait que le Christ Lui-même a été digne de Mort.)- On voit, du reste, par tout ce que fit ce pape, qu’il était décidé à ne tenir compte, en faveur de Photios, d’aucune preuve, d’aucune considération. Pour lui, quelques moines, partisans d’Ignace, qui étaient venus à Rome, étaient une autorité plus grande qu’un Concile composé de trois cent dix-huit Evêques, d’un grand nombre d’ecclésiastiques & de moines, & délibérant en présence d’une foule immense de Peuple de Fidèles. Il faut bien convenir que la conduite de Nicétas avait un tout autre motif que la défense d’Ignace ou la justice de sa cause. Il se croyait dépositaire de l’autorité divine & l’organe du Saint-Esprit. A ce titre, il s’attribuait tous les droits. Mais, les Conciles généraux qu’il invoquait pour appuyer sa condamnation avaient statué qu’un évêque ne pouvait être jugé ni condamné que par ses comprovinciaux, & ils n’avaient pas attribué à celui de Rome plus d’autorité qu’aux autres.
(P.165).
Quant aux PRETENTIONS de Nicolas A L’AUTORITE DIVINE, on sait à quoi s’en tenir sur ce point, & ses raisonnements sont dignes de la thèse qu’il voulait établir.
L’empereur Michel, en apprenant la décision du concile de Rome, écrivit à Nicolas une lettre pleine de menaces & de mépris(864). Il va sans dire que les ennemis de Photios la lui attribuent sous prétexte que l’empereur ne songeait qu’à ses plaisirs. Cette raison, à leurs yeux, est démonstrative. Nicolas répondit à l’empereur d’Orient une lettre fort longue, pleine de faits apocryphes, de faux raisonnements, & des erreurs historiques les plus grossières. On voit, par cette lettre, que l’empereur avait opposé aux prétentions papales une foule de faits qui réduisaient la primauté de l’évêque de Rome à ses justes proportions ; Nicolas les discute d’une manière superficielle ; ses raisonnements portent à faux, & il confond quelques démarches de circonstance avec la reconnaissance de L’AUTORITE ABSOLUE QU’IL S’ATTRIBUait. Voici un exemple de ses faux raisonnements :
« Il faut observer que le concile de Nicée, non plus que tout autre concile, n’a accordé aucun privilège à l’Eglise romaine, laquelle savait que, dans la personne de Pierre, elle avait mérité les droits de tout pouvoir d’une manière complète, & qu’elle avait reçu le gouvernement de toutes les brebis du Christ. » Il appuie cette opinion sur un témoignage du pape Boniface. « Si, continue-t-il, on examine attentivement les décrets du concile de Nicée, on trouvera certainement que ce concile n’a concédé aucune augmentation à l’Eglise romaine ; mais que, plutôt, il a pris exemple sur elle dans ce qu’il accordait à l’Eglise d’Alexandrie. » Nicolas n’ajoute pas que le Concile avait regardé l’autorité du siège romain sur les Eglises suburbicaires comme fondée uniquement sur la coutume, & non sur le droit divin ; il ne remarque pas non plus que si l’on accordait à l’Eglise d’Alexandrie une autorité analogue à celle de Rome, on convenait par là même que cette dernière n’avait rien de divin, puisqu’un Concile ne peut accorder d’autorité deivine.
C’est avec cette force de raisonnement que Nicolas répond à toutes les objections de son adversaire contre L’AUTOCRATIE PAPALE.
Il termine en distinguant les deux domaines dans lesquels devaient agir le sacerdoce & l’empire. Si Michel avait besoin de savoir qu’il n’avait aucun droit sur les choses ecclésiastiques, la papauté elle-même ne devait-elle pas comprendre qu’elle n’avait aucun droit sur les choses temporelles ?
L’Eglise Orthodoxe orientale devait protester contre les entreprises de Nicolas. Elles étaient contraires à l’ancien droit. Les ultramontains sont obligés d’en convenir, quoique d’une manière indirecte. Un écrivain qui se prétend historien de Photios –(Cf Jager, Histoire de Photios, liv. IV, p.134, édit. 1854)-, & qui n’a accepté comme véridiques que les assertions des ennemis déclarés de ce Patriarche, a été obligé, par l’évidence, de s’exprimer ainsi :
(P.166)
« Le schisme a mis au grand jour les doctrines relatives à la primauté du Saint-Siège. Jamais ses prérogatives n’ont été mieux établies que dans la lutte du pape Nicolas…contre les schismatiques photiens . » Peut-on croire que, jusqu’au neuvième siècle, il ne s’était présenté aucune occasion de mettre en évidence ces prérogatives, si elles avaient, en effet, appartenu au siège de Rome ? Les faits que nous avons exposés précédemment répondent assez éloquemment à cette question. Certes, des questions plus importantes que la déposition d’un évêque avaient été agitées entre l’Orient & l’Occident, depuis l’origine de l’Eglise, & ces questions, au lieu de mettre en relief l’autorité papale, l’avaient réduite à ses justes limites. Mais, au neuvième siècle, les circonstances étaient changées ; la papauté avait sacrifié l’ancienne Doctrine Orthodoxe à ses rêves AMBITIEUX, & elle profitait de toutes les circonstances pour faire passer en usage une autocratie spirituelle aussi contraire aux Saintes Ecritures qu’à l’Enseignement des Pères & des Conciles.
Fort de l’ancien droit ecclésial, Photios regarda comme nulles les excommunications de Nicolas, & continua à remplir ses devoirs épiscopaux avec un zèle & un dévouement que ses ennemis dénaturent avec une insigne mauvaise foi.
Dès que Photios fut assis sur sa chaire patriarcale, il s’appliqua à réparer les ruines dont les iconoclastes avaient couvert Constantinople. Les églises & les monastères avaient été ravagés, les vases & les ornements sacrés avaient été dispersés & détruits ; les images avaient été profanées & brûlées. Une opinion qui avait été si longtemps triomphante n’avait pu disparaître tout-à-coup, malgré les anathèmes dont elle avait été frappée. Beaucoup d’iconoclastes secrets existaient encore, & se contentaient de dissimuler leurs erreurs ; quelques-uns mêmes osaient élever des objections théologiques contre le culte des images, comme on le voit dans la correspondance du grand Patriarche ; ces iconoclastes ne virent pas avec satisfaction élever sur le siège de Constantinople, le neveu de Taraise leur grand adversaire, un membre d’une famille qui s’était toujours distinguée par son amour pour l’Orthodoxie. Photios, ainsi que son père, avait souffert pour la Foy.
Le nouveau Patriarche montra donc un zèle fort actif pour réparer les dévastations dont les iconoclastes s’étaient rendus coupables. Il se fit ainsi beaucoup d’ennemis ; mais il ne s’en préoccupait guère, & continuait avec persévérance une Œuvre à laquelle il attachait la plus haute importance.
Le pape chargea ses légats pour Constantinople, de huit lettres, datées du 13 novembre 866 ; elles sont autant de monuments d’orgueil. -( cf., Epist. Nicol. IX et sq. dans la Collection des conciles du P. Labbe, t.VIII.)-. Il y menace Michel de faire brûler ignominieusement la lettre qu’il lui avait adressée contre les prérogatives romaines, s’il ne la désavoue pas. Il écrit au clergé de Constantinople qu’il dépose tous les adhérents de Photios, & qu’il rétablit les partisans d’Ignace. Il notifie à Ignace qu’il l’a rétabli sur son siège, & qu’il a anathématisé Photios & ses adhérents ; il flatte l’impératrice-mère Théodora, & s’applaudit d’avoir pris la cause d’Ignace, qu’elle soutenait elle-même ; il prie l’impératrice Eudocie de prendre le parti d’Ignace auprès de l’empereur ;
(P.167)
Il engage tous les sénateurs de Constantinople à se séparer de la communion de Photios, & à se déclarer pour Ignace.
Sa lettre à Photios, qui est la troisième de la collection, mérite une mention spéciale : Il lui donne seulement le titre d’homme. Il écrit : « Nicolas à l’homme Photios. » Il lui reproche d’avoir « violé avec impudence les vénérables canons, les définitions des Pères & les préceptes divins ». Il l’appelle « voleur, adultère » ; il prétend qu’il a manqué à ses propres engagements ; qu’il a corrompu les légats ; qu’il a exilé les évêques qui refusaient d’entrer en communion avec lui ; il affirme qu’il peut l’appeler avec justice « homicide, vipère, Cham, Juif ». Il revient sur les canons de Sardique &sur les Fausses Décrétales de ses prédécesseurs, & finit enfin par le menacer de le frapper d’une excommunication qui durera jusqu’à la Mort.
Une lettre si pathétique ne pouvait, comme on pense, produire qu’un effet : celui d’inciter Photios à condamner le pape.
Les légats étant arrivés en Bulgarie, tous les Prêtres grecs furent chassés de ce pays, & l’on reconnut comme invalide les sacrements qu’ils y avaient administrés. C’était lancer à l’Eglise Orthodoxe orientale l’insulte la plus grossière, en foulant aux pieds les premiers principes de la Théologie Chrétienne. Photios ne put tolérer ni cette erreur mêlée d’injure, ni les entreprises de Nicolas. Il convoqua à Constantinople (867) un concile auquel il invita, non seulement les Patriarches & les Evêques orientaux, mais trois Evêques d’Occident, qui s’étaient adressés à lui pour obtenir un appui contre le despotisme de Nicolas. C’étaient l’Evêque-Exarque de Ravenne & les Archevêques de Trèves & de Cologne. Les légats des trois sièges sièges patriarcaux de l’Orient, une foule d’Evêques, de Prêtres, & de Moines, les deux empereurs, & le sénat, assistèrent à cette assemblée. –(Note : Il s’agit des deux empereurs Michel & Basile qu’il avait associé à l’empire)-. On y lut les lettres de Nicolas ; d’un avis unanime, on le reconnut indigne de l’épiscopat, & on prononça contre lui l’excommunication & l’anathème. Cette décision fut remise à Nicolas lui-même par Zacharie, métropolite de Chalcédoine, & Théodore de Cyzique. Anastase-le-Bibliothécaire dit que sur mille signatures dont ce document était couvert, il n’y en avait que vingt-et-une d’authentiques. On sait ce que vaut le témoignage de cet homme. Un fait certain, c’est que le document fut connu en Orient ; que le Concile de Constantinople, qui plus tard l’annula, ne regarda pas les signatures comme supposées. Ce fait en dit plus que le témoignage d’un écrivain menteur. La sentence du concile contre Nicolas était plus canonique que celle de ce dernier contre Photios, car elle n’était, car elle n’était qu’une excommunication, & non pas une déposition ; or, une Eglise a droit de séparer de sa communion ceux qu’elle juge coupables, & de ne plus les regarder comme évêques.
Photios donna connaissance des décisions du concile dans une lettre Encyclique qu’il adressa aux Patriarches d’Orient. –( cf : Phot. Epist.2 ad Thron. Patriarch. Edit. Londin)-. Les combats de la vérité contre l’erreur, dit-il, semblent apaisés. Les Arméniens qui avaient résisté depuis le Concile de Chalcédoine, s’étaient rangés sous l’Orthodoxie ;
(P.168)
les bulgares avaient abandonné les erreurs de leurs ancêtres, lorsque, d’occident, sont venues des bêtes sauvages qui ont déchiré la foi qu’ils professaient depuis deux ans à peine, & leur ont enseigné leurs faux dogmes & leurs erreurs. Ils leur ont imposé l’abstinence du samedi, contrairement aux canons. C’est peu de chose en apparence, mais la plus petite infraction a des conséquences graves. C’est ainsi qu’ils ont été amenés à transgresser les lois relatives au carême, en acceptant des adoucissements anti-canoniques ; ils ont ensuite attaqué le mariage légitime des Prêtres au nom d’un prétendu célibat, qui n’est qu’un moyen de couvrir les désordres de leurs mœurs, & leurs tendances manichéennes. Ils ne craignent pas de donner de nouveau la chrismation à ceux qui l’ont reçue du Prêtre, sous prétexte qu’elle ne peut être donnée que par l’Evêque. Quelle insanité ! En vertu de quelle loi parlent-ils ainsi ? Sur quel Père de l’Eglise, sur quel concile peuvent-ils s’appuyer ? Comment peut-on croire que celui qui consacre le pain eucharistique, & nourrit les fidèles du corps & du sang du Christ, n’aura pas le droit de consacrer avec l’huile le corps du baptisé ? Ils sont allés plus loin encore, en prétendant que le Saint Esprit procède du Père et du Fils, et non du Père seul.
Qui n’a jamais énoncé un tel dogme ? Quel serpent a parlé par leur bouche ? Quel vrai Chrétien reconnaît dans la Trinité un double principe, une double cause ? Emettre une semblable opinion, n’est-ce pas dire que le Père est cause du Fils et du Saint Esprit, et que le Fils est aussi cause du Saint Esprit ? On fait ainsi deux dieux, & l’on renouvelle la mythologie. Pourquoi le Saint Esprit procèderait-il du Fils, si la procession du Père est parfaite ? Qu’est-ce donc que cette procession du Fils, & pourquoi l’inventer ? C’est certainement une chose utile & futile.
Photios réfute admirablement l’erreur occidentale au moyen des Doctrines Orthodoxes comparées entre elles, des principes de la philosophie, & de l’Enseignement des Pères de l’Eglise. Dans cette réfutation, il fait preuve d’une grande profondeur en théologie ; il établit que la doctrine occidentale détruit la juste notion de Trinité, en confondant les propriétés de chaque personne, & en les accordant à la Trinité entière. Aux yeux du savant Patriarche, la nouvelle hérésie est le prélude de la grande Apostasie, dont l’Anti-Christ sera le chef.
L’illustre Photios voyait clair dans l’avenir de l’église catholique occidentale ; les faits donnent raison à ses prévisions ; il a été prophète.
Dans le reste de son Encyclique, Photios fait connaître aux Patriarches ce qui a été fait dans le concile qu’il avait tenu à Constantinople, & dans lequel on avait condamné la nouvelle hérésie, & renouvelé les anciens canons. Il mentionne les lettres qui lui étaient venues d’Occident, & dans lesquelles on le priait de condamner les erreurs acceptées dans ces régions ; il termine sa lettre en priant les Patriarches de faire recevoir dans leurs Eglises le septième Concile Œcuménique tenu contre les iconoclastes.
Cette Encyclique, répandue en Occident, mit le pape Nicolas dans un grand embarras. Ne pouvant y répondre, il s’adressa aux évêques franks, qui jouissaient encore d’une grande réputation, quoique le mouvement intellectuel créé par Charlemagne fût en décadence.
(P.169).
Hincmar, archevêque de Reims, était alors le plus grand homme de l’Eglise de France. Nicolas s’adressa à lui, pour l’appeler à son aide contre le Patriarche de Constantinople. Il n’ose même pas nommer son savant adversaire, & attribue aux empereurs Michel & Basile les attaques dont l’église occidentale était l’objet. « De toutes nos peines, dit-il –( Nicol., Epist.70 ap. Labb. Conc., t.VIII ; Flodoard, III, 17 ; Annal. Bertin.)-, celle qui nous est le plus sensible, c’est que les empereurs Michel & Basile nous accusent d’hérésie. Ils sont poussés par la haine & l’envie ; leur haine vient de ce que nous avons condamné l’ordination de Photios ; leur envie vient de ce que le roi des Bulgares nous a demandé des missionnaires & des instructions ; car, sous prétexte de religion, ils voulaient asservir le peuple. Ils nous reprochent de faire abstinence le samedi, & de dire que le Saint Esprit procède du Père et du Fils. Ils disent que nous condamnons le mariage parce que nous défendons aux prêtres de se marier ; ils trouvent mauvais que nous défendions aux prêtres de se marier ; ils trouvent mauvais que nous défendions aux prêtres de faire aux baptisés l’onction du Saint Chrême sur le front ; ils ajoutent faussement que nous faisons le Chrême avec de l’eau. »
Ce dernier reproche ne se trouve pas dans la lettre de Photios aux Patriarches. Photios ne reprochait pas non plus aux Occidentaux de condamner le mariage ; il disait seulement qu’en défendant le mariage aux prêtres, on lui portait atteinte, & on semblait faire une concession au manichéisme.
Nicolas continue à enregistrer les divers reproches que les Grecs faisaient aux Latins, en s’appuyant sur divers écrits. Photios n’a pas ainsi la responsabilité de tout ce qui était écrit ; la polémique était engagée, & chacun disait son mot. Les Grecs attaquaient le clergé latin même dans sa mise extérieure, & lui reprochaient de se raser la barbe. Tous les reproches enregistrés par Nicolas étaient fondés ; mais il soutenait que l’on n’avait pas le droit de faire ces reproches.
Il Est certain, dit-il, que l’Occident a toujours été d’accord avec le siège de Saint Pierre sur tous ces points ; il faut donc nous unir pour repousser les calomnies. Les métropolites devront assembler leurs suffragants pour examiner ce que l’on doit répondre et nous adresser leurs observations que nous joindrons à celles que nous ferons nous-mêmes. Il est évident que les reproches qui nous sont adressés sont faux, en partie, & que les autres ont toujours eu pour eux la pratique de l’église de Rome & de tout l’Occident.
Cependant, le faux dogme du Filioque n’était pas si vieux, & l’église de Rome ne l’avait pas encore admis dans le Credo.
Il ne faut pas s’étonner, continue Nicolas, que les Grecs fassent opposition à nos Traditions, puisqu’ils osent dire que la primauté de l’église romaine a passé à l’Eglise de Constantinople, depuis que les empereurs y ont fixé leur résidence. -(N.d.a : Fleury, in son Histoire Ecclésiastique, livre 51, § VI, en analysant la lettre de Nicolas, dit avec beaucoup de candeur : « C’est la première fois que je trouve nettement exprimée cette « prétention » que les Grecs n’ont jamais eue ; car ils n’ont jamais contesté la primauté du siège romain ; ils l’ont admise dans les termes des conciles œcuméniques, & leur prétendu « schisme » consiste en ce qu’ils sont toujours restés fidèles aux conciles, sur ce point comme sur les autres.)-
(P.170)
C’est pour cela que Photios, dans ses écrits, se qualifie d’Archevêque et Patriarche œcuménique. Nous avons fait observer que, pour ménager la susceptibilité de Nicolas, Photios n’avait pas pris son titre de Patriarche œcuménique dans les lettres qu’il lui avait adressées. Il y avait droit, & ce titre n’avait pas le sens que lui donne Nicolas. Il est probable qu’il le prit lorsqu’il n’eut plus rien à ménager avec le Patriarche de Rome.
Après avoir dit que les circonstances seules l’empêchaient de réunir tous les Evêques à Rome, Nicolas ajoute : « Avant que nous eussions envoyé nos légats à Constantinople, les Grecs nous comblaient de louanges, & exaltaient l’Eglise romaine ; mais, depuis que nous les avons condamnés, leur langage est tout autre, & ils nous accablent d’injures. Ne pouvant rien reprendre à notre personne, ils s’attaquent à nos traditions contre lesquelles leurs ancêtres n’ont jamais osé s’élever. »
Nicolas n’était pas fort instruit de l’Histoire des Eglises ; le concile In Trullo contient, dans ses canons, des attaques assez formelles contre les fausses traditions romaines ; Photios n’y ajoutait que sa protestation contre des erreurs que l’Occident n’avait admises que postérieurement à ce concile. Nicolas écrivit aux évêques de Germanie dans le même sens qu’aux évêques franks. Le résultat de tout ce bruit fut la composition de quelques ouvrages dont nous parlerons.
Nicolas Mourut peu de Temps après avoir écrit ces lettres. On ignorait encore sa Mort à Constantinople, lorsque Basile-le-Macédonien fit tuer l’empereur Michel son bienfaiteur, & se proclama seul empereur. Quoiqu’il fût déjà Auguste, c’est-à-dire empereur du vivant de Michel, il voulut se faire couronner de nouveau par Photios, mais le grand Patriarche refusa ; c’est pourquoi Basile l’exila, & rappela Ignace sur le siège de Constantinople. Les ennemis de Photios furent dans la joie, les iconoclastes surtout, qui voyaient dans le Docte Patriarche leur plus redoutable ennemi. Il avait consacré sa fortune à restaurer les églises qu’ils avaient dévastées. Ils se jetèrent de nouveau sur ces églises, cachant leurs sacrilèges sous le masque d’un beau zèle pour Ignace.
Basile envoya à Rome des ambassadeurs avec des lettres pour le pape Nicolas. Ignace envoya également ses représentants & des lettres. Photios entreprit de défendre sa cause à Rome même. Ses envoyés firent naufrage, excepté le Moine Méthodios. Celui-ci ne jugea pas à propos de se présenter en voyant la passion avec laquelle on traita tout d’abord le Patriarche dont il était le Défenseur. Lorsque les envoyés de l’empereur & d’Ignace arrivèrent à Rome, Nicolas était Mort, & avait été remplacé par Adrien II. Le nouveau pape reçut les envoyés, qui lui remirent les présents & les pièces destinées à son prédécesseur. Parmi ces pièces étaient les actes des conciles tenus par Photios contre Nicolas. Ils étaient écrits en double exemplaire. Photios en avait adressé un à Ludwig II, empereur d’occident & roi d’Italie. On vola cet exemplaire à ceux qui en étaient porteurs, & on traouva l’autre parmi les papiers que Photios avait emportés en allant en exil. L’un fut lacéré à Constantinople, & l’autre fut envoyé à Rome.
(P.171).
L’envoyé de Basile, dans un beau zèle, le frappa du pied & de son épée en présence du pape ; on le brûla, & l’on condamna à être brûlés tous les exemplaires qui pourraient exister. C’était un excellent moyen pour pouvoir en dire tout ce que l’on voudrait. Le pape, dans un concile qu’il réunit à Rome, é leva contre Photios toutes les accusations qu’il voulut ; personne n’était là pour le défendre. Il fit connaître ce qui avait été décidé aux envoyés d’Ignace & de l’empereur, & écrivit à l’un & à l’autre des lettres pour le leur notifier. Tous les envoyés retournèrent à Constantinople avec trois légats du pape : Donat, Etienne, & Marin, qui devaient tenir un synode avec Ignace, afin de mettre à exécution les décisions papales.
Le concile fut assemblé. On n’y admit que ceux qui signaient une espèce de formulaire envoyé de Rome. Les amis & défenseurs de Photios en étaient ainsi exclus. Les actes que l’on possède viennent d’Anastase-le-Bibliothécaire. L’exemplaire que les légats emportèrent de Constantinople leur fut volé en route par des brigands qui les dévalisèrent. Anastase-le-Bibliothécaire en avait fait une copie. Les actes que l’on possède de cette assemblée appartiennent donc exclusivement à cet écrivain. Lorsqu’il les publia, il y ajouta une préface dans laquelle il reconnaît avoir modifié plusieurs documents pour les rendre plus exacts.
C’est donc sur la parole d’un écrivain qui avait mérité l’anathème & l’excommunication, même à Rome, que l’on accepte les actes d’un concile que l’on ose appeler en Occident huitième œcuménique. -(N.d.a : La condamnation d’Anastase-le-Bibliothécaire est mentionnée par les Annales de Saint-Bertin, rédigées sous les yeux d’Hincmar, archevêque de Reims. Après l’avoir reconnue, Héfélé (liv. XXIII,§484) inventa, d’après d’autres modernes, un certain cardinal Anastase, qui aurait été excommunié. Ces modernes savent donc mieux que les contemporains ce qui s’est passé à Rome ?)-. Il convient d’avouer qu’il ne faut pas être difficile pour reconnaître l’infaillibilité aux récits d’un écrivain menteur. C’est donc sous bénéfice d’inventaire que nous raconterons ce qui s’est passé à ce fameux concile. –(Les actes grecs sur lesquels Anastase prétend avoir fait sa traduction, ont disparu ; on ne possède plus que sa traduction latine. Le jésuite Mathieu Rader a retrouvé quelques extraits grecs se rapportant à ce concile. Ils ne sont pas conformes à la traduction latine d’Anastase)-.
Il faut avoir perdu toute notion de ce que doit être un concile œcuménique, pour attribuer cette qualification à l’assemblée qui déposa Photios. Un concile ne peut être œcuménique que s’il s’agit d’une question de foi sur laquelle il est nécessaire de recevoir le témoignage de toutes les Eglises pour en déterminer le véritable sens. A l’assemblée de Constantiople, il ne s’agissait que d’une question de personne, & les Evêques n’avaient point à attester la foi constante de leurs Eglises respectives. Ils n’étaient alors que de simples théologiens plus ou moins instruits, plus ou moins indépendants, qui avaient à énoncer une opinion sur la personne & les actes de l’un d’entre eux. La qualification d’œcuménique n’a donc été donnée à cette assemblée que pour faire illusion aux simples, & satisfaire la haine des ennemis du respectable Patriarche.
(P.172).
Le concile fut ouvert le 5 octobre 869 dans l’église de Sainte Sophie. –( cf : Labb., Conc., t.VIII)-. Outre les légats du pape, on y vit Elie, légat du Patriarche de Jérusalem, & Thomas, archevêque de Tyr. Le patriarche d’Antioche était Mort. Les envoyés d’Alexandre n’arrivèrent qu’à la fin du concile. Elie pouvait bien se dire légat du patriarche de Jérusalem, mais Thomas ne l’était pas du patriarche d’Antioche, puisque ce patriarche était Mort. Dès qu’Elie & Thomas furent arrivés à Constantinople, on leur raconta ce qui s’était passé à propos de Photios & d’Ignace ; Ils admirent ce qui leur était exposé par les ennemis de Photios, & rédigèrent une déclaration dans laquelle ils admettaient tout ce que le pape Nicolas avait fait. Cette déclaration fut lue dans la première session du concile. On lut également les lettres d’Adrien II à l’empereur Basile & Ignace, en réponse à celles qu’ils avaient écrites au pape Nicolas. Dans sa lettre à basile, Adrien II disait : « Nous voulons que vous fassiez célébrer un concile nombreux, qui sera présidé par nos légats, & dans lequel on examinera les fautes commises par les adhérents de Photios. On pourra, à leur égard, user d’indulgence, excepté Photios, dont l’ordination doit être absolument condamnée. Dans ce concile, on brûlera publiquement tous les exemplaires du faux concile tenu contre le Saint-Siège, & on défendra d’en conserver, sous peine de déposition & d’anathème. Les décrets du concile de Rome contre Photios seront signés par tous les membres de votre concile, & seront déposés dans les archives de toutes les églises. Il demande qu’on lui envoie quatre prêtres-moines romains qui avaient été en correspondance avec Photios, afin de les punir comme ils le méritaient. » -(N.d.a. : Outre ces hiéromoines, d’autres Occidentaux étaient en correspondance avec Photios, en particulier Jean, évêque-exarque de Ravenne, qui maintenait contre Rome l’indépendance de son siège.)-
Dix-huit personnes seulement se trouvèrent à la première réunion du concile : douze évêques orientaux, qui s’étaient prononcés contre Photios, Ignace, les trois légats du pape, Elie, syncelle de Jérusalem, & Thomas, archevêque de Tyr.
Photios ne pouvait reconnaître pour juges ceux qui ne voulaient pas le juger, & le considéraient comme irrévocablement condamné. Il ne pouvait donc se présenter volontairement devant des ennemis pour être jugé ; il ne pouvait qu’obéir si on le forçait à se présenter. Il répondit donc : « Vous ne m’avez pas encore appelé devant votre assemblée ; pourquoi m’y appelez-vous aujourd’hui ? Je ne m’y rendrai pas de plein gré ; « j’ai posé une garde à ma bouche »(Psalm.38) ; vous pouvez lire vous-même le reste du texte. Ce texte est celui-ci : « Parce que l’impie est contre moi, j’ai résolu de me taire devant votre conventicule impie ».
On lui envoya une seconde délégation laïque chargée de ce texte biblique, en réponse à celui qu’il avait cité : « Avec la bride & le frein, tu devras maîtriser la bouche de celui qui ne veut pas s’approcher de toi. » On ajoutait que cela serait fait au moyen de l’autorité impériale. Il faut avouer que si l’empereur avait compté sur les légats pour faire rendre un jugement équitable, il s’était bien trompé. Du reste, les légats de Rome répétaient à satiété qu’il ne s’agissait pas de rendre un jugement, mais de faire connaître une condamnation.
(P.173).
Forcé de s’y présenter, il imita l’exemple de Jésus-Christ devant le tribunal judaïque qui voulait, non pas le juger, mais le condamner.
Quand on l’eut introduit dans le local de l’assemblée, on le mit à la dernière place. Alors, un des légats demanda : « Quel est cet homme qui se tient debout à la dernière place ? » -C’est Photios, dirent les sénateurs.
Le légat reprit : « Est-ce là ce Photius qui a causé tant de peine à l’Eglise romaine depuis sept ans, bouleversé l’Eglise de Constantinople, fatigué les Eglises d’Orient ? » On ne sait sur quoi s’appuyaient les légats dans leur dernière accusation, car, à part les lettres encycliques envoyées par Photios aux Patriarches d’Orient, on ne connaît absolument aucun fait, aucun document des Eglises orientales relativement à Photios. Les légats ayant demandé à Bahanès si Photius acceptait les décisions des papes ; - il faut l’interroger lui-même, répondit-il.
Georges, concierge du palais impérial, fut chargé de lui poser la question ; Photios ne répondit pas. Les légats la posèrent pour la seconde fois ; Photios garda le silence. Alors les légats l’injurièrent, le traitant de malfaiteur, d’adultère. Photios se contenta de dire : » Je n’ai pas besoin de parler pour que Dieu entende ce que je réponds ». –Ton silence ne te sauvera pas, dirent les légats. Photios répondit : « Le silence du Christ ne l’a pas sauvé non plus ».
Il ne répondit pas un seul mot à toutes les diatribes que se permirent contre lui les légats romains & les prétendus légats des patriarches d’Orient. Bahanès prit enfin la parole. « Seigneur Photios, dit-il, vous pouvez vous justifier. Si vous continuez à garder le silence, le concile ne sera pas miséricordieux pour vous. A qui voudriez-vous en appeler ? Rome et l’Orient sont ici qui vous condamnent. Homme de Dieu, justifiez-vous ».
« Ma justification n’est pas de ce monde, répondit Photios ; si elle était de ce monde, je vous la ferais voir ». Comment, en effet, aurait-il pu convaincre de son innocence des gens qui l’avaient condamné sans l’entendre ? De Rome, on n’avait apporté que sa condamnation ; d’Orient, ilne voyait que deux fanatiques qui mentaient & l’insultaient ; la cour l’avait chassé de son siège sans jugement, & avait rappelé son antagoniste, sans respect pour un grand concile qui avait prononcé sa déchéance. Sa justification n’était donc pas de ce monde. Bahanès l’engagea à réfléchir, & lui annonça qu’on le ramènerait à la prochaine séance ; allez, dit-il, on vous fera revenir. Photios lui répondit : » Oh ! je n’ai pas besoin de Temps pour réfléchir ; quant à me renvoyer, vous en avez le pouvoir ».
En réalité, le fameux concile que les Occidentaux appellent huitième œcuménique ne fut composé que de dix-huit membres, dont plusieurs n’étaient pas évêques.
Dans la dernière séance, on lut vingt-sept canons. La plupart sont insignifiants. Dans ceux qui avaient quelque signification, on avait l’intention d’atteindre PHOTIOS 1 SES AMIS ;
On peut les résumer ainsi :
Les décrets des papes Nicolas & Adrien contre Photios sont confirmés ;
(P.174)
Photios n’a prétendument jamais été Evêque. Toutes les ordinations qu’il a faites, est-il prétendu, sont nulles, les églises & les autels qu’il a consacrés doivent recevoir une nouvelle consécration.
Cependant, Photios avait été ordonné & consacré par des Evêques qui avaient reçu eux-mêmes la consécration d’une manière légitime ; par conséquent, il avait reçu le caractère sacerdotal & épiscopal. En n’écoutant que leur passion, les légats qui étaient tout dans le concile, sont tombés dans une erreur grave qu’aucune Eglise, même occidentale, n’a soutenue. Si l’effet d’un sacrement dépend de la situation morale de celui qui l’administre, personne ne sera certain d’avoir reçu un seul sacrement ; on voit où cela pourrait conduire.
La doctrine émise par le prétendu huitième concile œcuménique est tout simplement une hérésie, dont aucune Eglise n’a accepté la responsabilité ; qui a même été condamnée par toutes les Eglises.
On anathématise Photios parce que, étant Patriarche, il enseignait les sciences, & faisait prendre à ses disciples certains engagements. Il lui est défendu, ainsi qu’aux autres excommuniés, d’enseigner les sciences, & de peindre de saintes icônes. Cela était dirigé contre Grégoire de Syracuse qui était artiste.
Les légats romains qui n’étaient ni savants ni artistes ne comprenaient pas que de tels canons les rendaient ridicules.
Ils défendent d’attaquer les cinq patriarches, & d’écrire contre celui de Rome comme l’avait fait Photios.
Celui-ci aurait pu répondre qu’il était, lui aussi, patriarche, lorsque celui de Rome lui avait écrit des lettres insolentes sans avoir examiné sa cause, comme il le disait.
Avant de se séparer, le concile fit lire une ample profession de foi, dans laquelle tous les hérétiques étaient condamnés. Parmi ces hérétiques anathématisés était le pape Honorius, classé parmi les monothélites.
On reconnaît les sept conciles œcuméniques, & l’on a la modestie de déclarer que le présent concile serait classé comme le huitième. Il fallait au moins attendre qu’il fût admis par toutes les Eglises ; ce qui n’a jamais eu lieu. On termina la profession de foi, en confirmant la condamnation de Photios par les papes Nicolas & Adrien. Pourquoi confirmer cette condamnation, puisque les légats avaient déclaré à satiété qu’ils n’étaient venus que pour l’exécuter ; qu’ils ne voulaient pas juger les inculpés, mais recevoir seulement leur soumission ?
Après l’adoption des canons, l’empereur engagea tout le monde à se soumettre,& fit entendre que tous les insoumis seraient punis rigoureusement. Personne ne fit d’observation, & l’on procéda à la signature des actes. Les trois légats romains signèrent les premiers, sous la réserve de l’approbation du pape ; puis signèrent : Ignace, & les légats d’Alexandrie, d’Antioche, & de Jérusalem ; l’empereur fit une croix en guise de signature. Son fils Constantin fit deux croix, l’une pour lui, l’autre pour son frère Léon, & écrivit au-dessus des trois croix les noms des trois princes. Signèrent ensuite, cent deux évêques. Quand ils seraient authentiques, ce serait peu en comparaison des nombreux sièges épiscopaux qui existaient dans l’empire.
(P.175).
Nicétas, dans sa Vie d’Ignace, dit que les signataires trempèrent leur plume dans le sang du Sauveur. Cependant, il en doute. Il fait vraiment bien d’en douter.
Plusieurs lettres furent écrites par l’empereur & le concile, pour notifier aux patriarches & à toutes les Eglises ce qui avait été fait.
On doit remarquer que, dans les actes, les Evêques, anciens amis de Photios, n’avaient pris aucune part à ce qui s’était passé dans le concile. Ignace lui-même n’y avait eu qu’un rôle fort insignifiant.
Après le concile, Photios avait été exilé. On ne lui avait laissé aucun moyen d’existence ; on lui avait enlevé ses livres ; ses amis & ses parents étaient persécutés. Il écrivit alors à l’empereur Basile : -( in Phot., Epist.97. Edit. Lond.)-« Ecoute-moi, Très Clément Empereur ; je ne veux te rappeler ni nos anciennes liaisons, ni les serments qui t’ont lié à moi, ni l’onction que je t’ai donnée, ni les Saints Mystères auxquels je t’ai fait participer, -(N.d.a :Basile avait été sacré lorsqu’il fut associé à l’empereur, & il participa aux Saints Mystères sous Photios, jusqu’au jour où il rappela Ignace)- ; je te demande seulement pourquoi on m’a exilé sans l’avoir mérité ; pourquoi on m’a fait un exil pire qu’aux autres. On m’a même privé de mes livres ; c’est un supplice nouveau & bien extraordinaire qu’on a inventé pour moi. Dans quel but ? Sans doute pour que je n’entende plus la Parole Divine. Veux-tu donc que l’on applique à ton règne cette Parole de l’Ecriture : « Dans ces jours, on aura faim de pain, & faim de la Parole de Dieu ». Si, en écrivant, j’ai commis des erreurs, qu’on me donne un plus grand nombre de livres pour m’instruire. Si je n’ai blessé personne par mes erreurs, pourquoi me blesse-t-on moi-même ? Jamais les Orthodoxes n’ont été traités par les hérétiques aussi cruellement que je le suis ; jamais ils n’ont été privés de leurs livres. Les hérétiques n’avaient pas à souffrir dans leur exil ce qu’on me fait souffrir. Arius lui-même avait des moyens d’existence & ses livres. On a inventé pour moi de nouveaux supplices ; je suis séquestré de mes parents, de mes amis, de mes serviteurs. Au lieu de clercs chantant les saints offices, je n’ai autour de moi que des soldats. Si tu veux alléger mon supplice, condamne-moi à Mort ; la Mort sera du moins la fin de mes tourments. Tout empereur que tu es, tu es Mortel comme moi, tu as la même nature que moi, tu as le même Maître & le même Juge que moi. Je ne te demande ni le trône patriarcal, ni le bonheur, ni la gloire ; je ne désire que la paix & un traitement conforme aux mœurs civilisées du Peuple romain. »
Il écrivit avec énergie aux officiers de la cour qui le persécutaient. –(in Phot., Epistolae 22, 49)-. A un de ces officiers, nommé Michel, il fait observer que dans toutes les condamnations dont on accable lui & ses parents, on ne trouve aucun témoin, aucun juge, aucun accusateur. –(in Pho., Epistola 85)-. Dans cette lettre, il se plaint à nouveau qu’on lui ait enlevé ses livres. C’était là la chose qui lui causait le plus de peine.
Il est certain que l’immense majorité des évêques & des fidèles lui restèrent unis dans la persécution qu’il endurait.
(P.176).
L’empereur lui-même avait vu de près les intrigues dont Photios avait été victime ; les exagérations des légats l’avaient choqué ; Ignace était vieux & malade, & son ministère était complètement nul. En réalité, Photios n’avait été jugé que par le pape Nicolas qui, ne connaissant pas un mot de grec n’avait pu juger en connaissance de cause, surtout lorsque l’accusé était absent, & ne pouvait se défendre. En présence de tels procédés, l’empereur Basile n’hésita plus. Il avait sans doute attendu la Mort d’Ignace pour prendre une décision ; mais, voyant que sa vieillesse se prolongeait plus qu’on eût pensé, il fit revenir Photios à Constantinople, & lui donna pour demeure un des plus beaux palais de la ville. Photios laissa Ignace fort tranquille, & se contenta d’entretenir les relations les plus intimes avec l’empereur. Ignace étant Mort en l’an 879, on n’élut pas un autre évêque à sa place, & Photios fut de nouveau reconnu pour Patriarche.
-(N.d.a. : L’historien sérieux ne peut tenir compte des fables ridicules inventées par le biographe d’Ignace pour expliquer le retour de Photios, & la position indépendante qu’il avait après son retour, vis-à-vis du Patriarche Ignace. L’écrivain injuste & passionné s’y montre tout-à-fait à découvert ; son témoignage dénué de preuves ne peut être accepté que par les ennemis de Photios qui trouvent bon tout ce qui peut servir leur haine aveugle)-.
Sur ces entrefaites, deux légats romains étaient arrivés à Constantinople. Ils étaient envoyés par le pape Jean VIII, qui avait succédé à Adrien II. Ces légats trouvèrent Ignace Mort. Ils hésitèrent d’abord à entrer en relation avec Photios ; mais, après réflexion, ils n’y trouvèrent pas grand inconvénient, puisqu’ils avaient été envoyés à Constantinople pour mettre à exécution les menaces d’excommunication faites à Ignace à cause des affaires de Bulgarie. Photios les reçut avec aménité, & s’engagea à envoyer à Rome des légats pour prier le pape Jean de rendre enfin la Paix à l’Eglise de Constantinople, en le reconnaissant pour Patriarche. Il y envoya, en effet, Théodore Métropolite de Patras, qu’il chargea d’une lettre que signèrent avec lui les Métropolites dépendant du siège de Constantinople. La plupart des Métropolites & des Evêques lui étaient restés fidèles, même pendant son exil ; tous désiraient la Paix & la réconciliation avec le siège romain. Photios avait obtenu des Patriarches d’Alexandrie, d’Antioche, & de Jérusalem, des lettres dans lesquelles on le reconnaissait pour Patriarche de Constantinople. Théodore fitt un heureux voyage, grâce au pape qui l’avait recommandé à tous ceux qui pouvaient le protéger. Il arriva à Rome au printemps de l’année 879. Au mois d’août de la même année, le pape Jean le renvoya à Constantinople, avec des lettres favorables à Photius, dont Pierre, cardinal-prêtre, était porteur. Jean s’y montrait disposé à reconnaître Photius pour Patriarche, quoiqu’il fût remonté sur sa chaire sans avoir préalablement consulté le Saint-Siège. La Mort d’Ignace & les circonstances étaient, à ses yeux, des motifs suffisants pour en finir avec une affaire qui troublait l’Eglise depuis trop longtemps. Jean VIII ne mentionnait plus ni les anathèmes de Nicolas & d’Adrien, ni ceux du conciliabule ridicule des Dix-Huit, dont on a fait depuis, en Occident, un concile œcuménique. Tout cela était considéré comme non advenu. Dans la lettre à l’empereur Basile, il dit que les Patriarches d’Alexandrie, d’Antioche, & de Jérusalem, tous les Métropolites, tous les Evêques, tout le Clergé de Constantinople, tous ceux qui ont été ordonnés par Méthode & Ignace, étant unanimes pour reconnaître Photios, il le reçoit aussi comme évêque, confrère, & collègue, à condition qu’il demande pardon en plein synode, selon la coutume.
(P.177).
Jean VIII, tout en ne tenant pas compte des actes passionnés de ses prédécesseurs, ne pouvait pas officiellement les désavouer. C’est pourquoi il suppose un acte de soumission de la part de Photius, puis, il ajoute : « Afin qu’il ne reste plus aucune discussion dans l’Eglise, nous absolvons de toute censure ecclésiastique, lui, Photius, les évêques, les ecclésiastiques, les laïcs qui en ont été frappés, en vertu de la puissance qui, selon la croyance de toute l’Eglise, nous a été donnée par Jésus-Christ, en la personne du prince des Apôtres, & qui s’étend à tout sans exception ». –( Voir pour tout ce que nous relatons les Lettres du pape Jean VIII, dans la collection des conciles du père Labbe, t.VIII ; & dans la collection du père Hardoin, t.VI)-.
Cette doctrine était dès lors acceptée sans contestation à Rome. Depuis un siècle, la notion papale s’était développée & affermie, & le pape Jean s’imaginait que toute l’Eglise lui reconnaissait une autorité absolue qui lui serait venue de Jésus-Christ par Saint Pierre. Cette erreur ne fit que s’accentuer depuis, & les papes ne négligèrent aucune occasion de la mettre en relief. Mais, dans l’Eglise orientale, on n’a jamais admis de telles prétentions, & lorsque dans leurs lettres, les papes s’attribuaient des prérogatives considérées comme illégitimes, on pouvait les modifier avant d’en donner communication aux conciles, afin de ne pas soulever des discussions trop vives de la part des membres de l’assemblée.
-(N.d.a : Les lettres du pape Jean Viii ont pu être ainsi modifiées. Naturellement on a reproché à Photios de les avoir falsifiées. Ne pourrait-on pas admettre aussi qu’à Rome on en fabriquait plusieurs, les unes pour l’Orient , les autres pour l’Occident. Un fait certain, c’est que, au douzième siècle, Yves de Chartres cite la lettre de Jean VIII à l’empereur Basile d’après un texte latin conforme à la lettre grecque que l’on dit avoir été falsifiée par Photios. Pourrait-on dire d’où tenait cette lettre Yves de chartres, un des plus doctes canonistes du douzième siècle ? Cette lettre était connue en Occident, c’est évident ; Venait-elle de Photios ?-).
Jean VIII écrivit une seconde lettre aux Patriarches orientaux, & à tous les Evêques du Patriarcat de Constantinople. C’est une réponse à toutes les lettres qu’il avait reçues, & dans lesquelles on le suppliait de reconnaître Photios pour patriarche, afin de pacifier l’Eglise. –(N.d.a : Les ennemis de Photios prétendent qu’il a falsifié cette lettre. Ils sont cependant obligés de reconnaître qu’il existe deux lettres en latin, l’une conforme à la traduction grecque, l’autre qui en diffère, & dans laquelle les prétentions papales sont plus accentuées. Photios aurait-il composé une lettre latine conforme à la traduction grecque ? On n’a pas eu jusqu’ici l’impudence de le prétendre -). Dans sa leyytre à Photius, Jean Viii le reconnaît pour Patriarche, & l’engage à travailler à l’union, en traitant ses adversaires avec mansuétude. Il écrivit une quatrième lettre aux ennemis de Photios, les patrices Jean, Léon, & Paul, & les métropolites Stylianos, Jean, & Mitrophane, pour les engager à se réconcilier avec leur Patriarche Photios. « Si vous refusez d’en agir ainsi, ajoute-t-il, les légats sont chargés de vous exclure de la communion de l’Eglise, jusqu’à ce que vous obéissiez. Nul ne doit prétexter qu’il ne peut faire ce que nous demandons, parce qu’il aurait signé queqlue document contraire, car l’Eglise a le droit de délier de toutes sortes de liens. »
(P.178).
La cinquième lettre de Jean VIII est adressée à ses légats.
Les légats habiteront à Constantinople le logement qui leur sera assigné par l’empereur. Ils ne remettront les lettres apostoliques qu’après avoir été reçus en audience par l’empereur ; Quand ils lui remettront ces lettres, ils lui diront : » Ton Père spirituel le pape apostolique Jean te salue, ô empereur institué par Dieu ». Si, avant la remise des lettres, l’empereur interroge les légats sur son contenu, ceux-ci répondront qu’elles contiennent des salutations à son adresse, & des instructions pour le rétablissement de la paix. Le lendemain de l’audience impériale, ils iront saluer le très Saint Photius, & en lui remettant la lettre du pape, ils lui diront ; » Notre maître, le pape apostolique Jean te salue, & veut te reconnaître comme son frère & son collègue dans le sacerdoce. » Photius devra comparaître devant un concile en présence des légats ; Toute l’Eglise devra, conformément à nos instructions, le reconnaître ; lui, de son côté, devra se montrer reconnaissant, & louer la bonté de l’Eglise romaine. A la fin de la réception, les légats diront à Photios : « Le pape ordonne que tu t’efforces de ramener à l’union les évêques & les clercs qui ne voudraient pas entrer en communion avec toi ». Les légats célébreront un concile avec Photius ; on y lira d’abord la lettre du pape à l’empereur, & on demandera si l’on veut s’y conformer. Ceux qui ne voudront pas entrer en communion avec le Patriarche Photius, recevront les trois avertissements canoniques, & seront excommuniés s’ils persistent. Après la Mort du Patriarche Photius, on n’élira plus de laïc pour occuper la chaire patriarcale de Constantinople. Pendant le concile, les légats engageront Photius à se désister de toute juridiction sur la Bulgarie, sous peine d’être frappé selon les canons. La même menace avait été faite à Ignace qui n’en tint aucun compte. Les légats déclareront devant le concile, que les synodes tenus sous le pape Adrien, soit à Rome, soit à Constantinople contre Photios sont & demeureront annulés. Les légats ne devront ni se laisser corrompre, ni se laisser épouvanter.
Ce commonitorium avait été arrêté en concile à Rome, & était signé des membres de ce concile & du pape.
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