samedi 21 janvier 2012

GUETTEE. DE LA PAPAUTE.VIII.

GUETTEE .
DE LA PAPAUTE.
CHAP.VIII.
LE SCHISME DE 1054.

(P.189).
En comparant les Patriarches de Constantinople avec les papes de Rome à la même époque, il est évident que le siège de Rome fut souillé de tous les vices, lorsque celui de Constantinople était occupé par des hommes vertueux. A part Théophylacte, fils d’empereur & placé irrégulièrement sur le siège de Constantinople, tous les autres Patriarches furent vertueux ; plusieurs ont mérité d’être placés parmi les Saints. Cependant, les circonstances étaient difficiles, & il leur fallut une Vertu peu ordinaire pour se maintenir dans la droite ligne de la Vertu.
Le successeur d’Alexis fut Michel, surnommé Cérulaire, en l’an 1043. Il entretint des relations avec les orientaux qui habitaient l’Italie méridionale, & se prononça contre certains usages occidentaux que l’on cherchait probablement à leur imposer. Les orientaux Italiens étaient restés fidèles aux usages de leur Eglise, & plusieurs d’entre eux s’étaient distingués par leur sainteté. Parmi eux était Saint Nil, qui jouissait d’une haute réputation de Sainteté. Ce Saint était né à Rossane, capitale de la Calabre. –( cf. Vis. S. Nil.Jun. ; Martyrol. Rom., 26 sept.)-. Dans sa jeunesse, il embrassa la Vie monastique. Il vécut plusieurs années dans un ermitage, puis dans un Monastère à Rossane, où il vécut avec quelques Disciples. Sa Vertu extraordinaire lui acquit une telle réputation que les plus hauts personnages cherchaient à le voir & à le consulter. Les Musulmans s’étant emparés de l’Italie méridionale, Saint Nil résolut de se retirer au Mont-Cassin où Saint Benoît avait établi comme le chef-lieu de son ordre. Les Moines vinrent au-devant de lui avec des cierges, & revêtus de leurs ornements sacerdotaux. On lui donna pour lui & pour ses Disciples un Monastère qui dépendait de l'illustre abbaye. Sur l'invitation des Moines du Mont Cassin, Nil se rendit avec ses Disciples à l'église de l'abbaye, où l'on célébra les offices selon le rite grec. Nil avait fait pour la circonstance une hymne à l'honneur de Saint Benoît. Ce fait prouve, sans en compter beaucoup d'autres, que, malgré certaines discussions soulevées entre les Eglises de Rome & de Constantinople, les Eglises d'Orient & d'Occident étaient unies, & que leurs membres étaient en parfaite communion.
Les Moines du Mont-Cassin eurent des conférences avec Saint Nil sur les Vertus monastiques; ils abordèrent même certaines questions agitées en Orient sur l'ascèse de l'Eglise occidentale. On reprochait spécialement aux occidentaux de faire abstinence le samedi, & l'on regardait cette abstinence comme une concession faite aux Juifs relativement à l'observation du Sabbat; Saint Nil répondit: «  Que celui qui observe l'abstinence, ne blâme pas celui qui ne l'observera pas; & que celui qui ne l'observe pas, ne blâme pas celui qui l'observe. Si vous nous blâmez de ce que nous n'observons pas l'abstinence du samedi, prenez garde de ne pas condamner ceux qui ont été les colonnes de l'Eglise: Athanase, Basile, Grégoire, Chrysostome, & avec eux les Conciles. Nous faisons bien en n'observant pas l'abstinence du samedi, parce que nous faisons ainsi opposition aux manichéens qui font pénitence ce jour là, en haine de l'Ancien Testament; mais, ce jour-là, nous travaillons, afin de ne pas nous montrer d'accord avec les Juifs. Quant à vous, on ne peut vous blâmer d'observer l'abstinence du samedi, dans le but de vous préparer à célébrer le dimanche ».
On peut croire que l'opinion de Saint Nil était partagée par un grand nombre de Grecs qui habitaient l'Italie, & qui avaient avec les Latins des relations fréquentes. Il pensait que ce détail ascétique, bien expliqué, n'avait pas assez d'importance pour empêcher entre Grecs & Latins les relations de communion.
Nous avons raconté le voyage de Saint Nil à Rome pour réclamer son Moine Philagathos, qui avait eu le titre de pape, & avait été fort maltraité par Grégoire V & l'empereur Othon. -( cf: Pet. Damian, Epist. Lib.1, Epist. Ultim.). Malgré l'accueil qui lui fut fait, il refusa de rester à Rome au couvent grec de Saint Anastase, & s'en retourna, bien triste des nouveaux tourments qu'on avait infligés à son protégé. Il avait quitté son Monastère du Mont-Cassin, pour s'adonner à une plus grande pauvreté, & avait fondé un nouveau Monastère près de Gaëte. Il y reçut la visite de l'empereur Otton, auquel il ne voulut demander aucune grâce. Un jour, il partit, & se dirigea du côté de Rome. Il s'arrêta à Tusculum, & accepta du souverain de cette ville une maison à-demi détruite, qui avait été la maison de campagne de Cicéron. Ses Moines accoururent près de lui, mais il Mourut bientôt, à l'âge de quatre-vingt quinze ans.
Il conserva toujours les meilleurs rapports de communion avec les occidentaux, tout en conservant les traditions de l'Eglise orientale. Nous avons vu comment il répondit aux Moines du Mont-Cassin, touchant l'abstinence du samedi. Tous les orientaux n'étaient pas de son avis, & regardaient cette abstinence comme un reste de judaïsme. Il est probable que l'opinion de Saint Nil fut connue des Grecs qui habitaient l'Italie méridionale, & que l'évêque de Trani, qui appartenait à l'Eglise orientale, consulta à ce sujet le Patriarche de Constantinople. Michel Cérulaire, de concert avec le Métropolite Léon de Bulgarie, répondit à Jean évêque de Trani. Humbert, prêtre cardinal de Rome, étant allé dans cette ville, y vit leur lettre, la traduisit du grec en latin, -(N.d.a: Baronius a publié le premier cette lettre. Ann. 1054)-, & la remit au pape Léon IX, qui voulut lui répondre quoqiu'elle ne lui fût pas directement adressée.
Michel & Léon cherchent à prémunir les orientaux qui habitaient l'Italie contre des usages romains qu'ils considéraient comme opposés à l'ancienne ascèse:
(P.191)
mais leur lettre n'était pas simplement pour eux, & pouvait servir aux occidentaux, aux évêques, & au pape lui-même.
Ils reprochent aux Latins de se servir du pain azyme pour l'Eucharistie. Jésus-Christ, disent-ils, a célébré la Pâque juive avec du pain azyme, selon l'usage judaïque, mais il a célébré la Pâque nouvelle avec du pain levé, comme l'ancienne Eglise l'a toujours cru. Le pain levé, ajoutent-ils, est le seul vrai pain.
On peut croire que depuis les discussions qui s'étaient élevées en Occident, au sujet de l'Eucharistie, on avait admis des modifications dans la fabrication du pain eucharistique, & que l'on avait admis un pain qui se rapprochait de celui dont on se sert aujourd'hui dans l'Eglise romaine, & qui n'est que de la farine mouillée pressée entre deux fers chauds. Ce n'était pas sans raison que Michel & Léon ne regardaient pas ce produit comme vrai pain, pouvant servir à la célébration de l'Eucharistie. L'église primitive continuée par celle d'Orient s'est toujours servie de pain levé. Si, comme certains le prétendent, l'Eglise d'occident se servit toujours du pain azyme, ce qui n'est pas démontré, ce pain azyme était semblable à celui dont se servent les Juifs pour leur Pâque, & n'est pas cette farine mouillée & pressée dont se sert l'Eglise romaine depuis le moyen âge. Michel & Léon avaient donc raison de s'élever contre l'innovation occidentale, qui atteint l'Eucharistie elle-même dans son essence.
L'abstinence du samedi était le second reproche que les deux Evêques Orthodoxes faisaient à l'Occident. Cette abstinence était de nouvelle date en Occident, & ne remontait qu'à l'an 1033, selon Raoul Glaber. -( R. Glab, Lib.IV)-. A leurs yeux cette abstinence, contraires aux usages de l'Eglise orthodoxe Originelle, était une concession faite aux Juifs, très rigoureux sur l'observation du sabbat.
Ils s'élevèrent aussi contre la suppression de la loi apostolique concernant les animaux suffoqués. Il est incontestable que cette loi fut abolie dans l'Eglise occidentale, & que l'Eglise d'Orient, qui l'a toujours maintenue, pouvait légitimement en reprocher la suppression à l'Occident. Une loi d'une origine si haute & si vénérable ne pouvait être abolie que par un concile représentant l'Eglise universelle. Aucun concile ne l'avait abolie, & elle était seulement tombée en désuétude, en Occident.
Les Evêques Michel & Léon reprochent également à l'Eglise occidentale la suppression du chant de l'alleluia en carême. Sans doute, la chose en elle-même n'avait pas une haute gravité; mais c'était un signe de cette manie d'innovations contre laquelle l'Eglise immuable d4orient tenait à protester.
Le pae Léon IX voulut répondre au Patriarche de Connstantinople, & au Métropolite de bulgarie. Il commence sa lettre par de longues & vagues considérations sur la paix & ceux qui la troublent. Il pouvait dire cela plutôt pour l'Eglise romaine que pour l'Eglise Orthodoxe. Est-ce troubler la paix que de protester contre les innovations & les erreurs d'une église qui, par SES PRETENTIONS A UN ABSOLUTISME ANTI-CHRETIEN, détruisait autant qu'elle le pouvait la constitution apostolique de l'Eglise, & voulait mettre un évêque à la place de l'épiscopat? Léon IX ajoute que depuis plus de mille ans, l'Eglise romaine savait bien ce qu'elle devait faire au sujet de l'Eucharistie, & qu'elle n'avait besoin des remontrances de personne, puisqu'elle avait été instruite par Saint Pierre lui-même. Ce fait était faux & si l'Eglise de Rome avait reçu la doctrine de Saint Pierre, il lui aurait été bien impossible de prouver qu'elle l'avait conservée dans sa pureté.
Léon IX s'applique ensuite à relever les erreurs vraies ou prétendues de quelques Patriarches de Constantinople, qui avaient voulu juger le siège de Rome, qui ne doit, dit-il, être jugé par personne, & qui a, dans l'Eglise, l'autorité impériale avec toutes les prérogatives qui en découlent; il appuie cette doctrine anti-chrétienne sur le document apocryphe connu sous le titre de Donation de Constantin.
Il reproche à l'Eglise de constantinople d'admettre des eunuques pour évêques. Le pape était bien imprudent en soulevant cette question, car Michel aurait pu lui répondre que, surtout depuis un siècle, les évêques de Rome avaient trop prouvé qu'ils ne l'étaient pas assez. De ce que des évêques de Constantinople avaient été eunuques, il en conclut que certains avaient prétendu qu'une femme avait occupé ce siège. Il prenait ainsi l'avance pour reprocher à l'Eglise de Constantinople ce qui devait être reproché à celle de rome avec beaucoup plus de raison. Mais, en avançant ce fait, il déclare qu'il ne peut y croire. En effet, il n'aurait pu fournir aucune preuve, tandis que, pendant de longs siècles, l'Eglise romaine tout entière, y compris les papes, a cru à l'existence de la papesse Jeanne. En faisant allusion à un reproche que l'on aurait fait à l'Eglise de Constantinople, & dont on ne trouve trace nulle part, Léon IX voulait indirectement faire croire que celle de Rome pouvait prétendre n'avoir jamais encouru un reproche de même nature. C'était peut-être habile, mais peu concluant.
D'après Léon IX, Michel, en attaquant l'Eglise romaine, se montrait ingrat, puisque c'est cette Eglise qui avait donné au Patriarche de Constantinople les prérogatives d'Evêque de la ville impériale, sans préjudice, toutefois, des droits des Eglises d'Alexandrie & d'Antioche. Léon IX n'était pas, comme on voit, fort au courant de la question. «  On dit, continue le pape, que vous avez fermé les Eglises des Latins; que vous avez enlevé des monastères aux moines & aux abbés, pour les obliger à vivre selon vos idées. L'Eglise romaine est plus modérée; car, dans Rome & dans les environs, il existe plusieurs églises où des Grecs suivent librement les traditions de leurs Pères; on les encourage même à les suivre, car nous savons que les coutumes locales ne nuisent pas au salut, pourvu que l'union existe dans la Foy & la Charité. »
On sait que les papes n'attachent pas grande importance aux doctrines & à l'ascèse, & qu'il suffit, pour être en union, de se soumettre à leur autorité. Dans l'Italie méridionale, les orientaux suivirent, jusqu'aux temps modernes, leurs rites & leur ascèse; leurs Prêtres n'étaient pas célibataires; ils n'admettaient pas dans le symbole les mots filioque qui exprimaient cependant un dogme pour les Occidentaux. Les papes ne les tourmentèrent pas, parce qu'ils reconnaissaient leur autorité.
(193).
A la fin de sa lettre, Léon IX promet de traiter plus tard, d'une manière approfondie, la question du pain azyme. Il n'eut pas le temps de tenir sa promesse. Des historiens occidentaux fort peu sérieux ont dénaturé la lettre de Michel Cérulaire, & prétendent qu'il excommunia les occidentaux & décréta le schisme. Ces assertions sont fausses; le Patriarche Michel & le Métropolite de Bulgarie n'eurent pour but dans leur lettre que de prémunir les Orthodoxes de l'Italie méridionale contre les innovations des Eglises occidentales. Ils ne s'adressaient qu'à eux & non au pape ni aux occidentaux. Le schisme ne fut pas plus déclaré par eux que par Photios; les deux Eglises d'Orient & d'Occident, restèrent encore unies; malgré les conseils que donnait le premier Evêque de l'Eglise orientale aux Orthodoxes contre les usages occidentaux, on voulut considérer en Orient les luttes comme passagères, & on comptait toujours sur le rétablissement de la paix.
La lettre de Léon IX fut portée à Constantinople par trois légats: le cardinal Humbert, -( cf : Humb. Adv.Graec. Calomn.; Epist. Léon IX. Ap. Patrolog. Lat.t.CXLIII)-, l'archevêque d'Amalfi, & le cardinal Frédéric de Lorraine. Ils étaient porteurs, non seulement de la lettre du pape contre le Patriarche, mais d'une lettre pour l'empereur Constantin Monomaque, qui avait écrit au pape pour l'engager à rétablir les anciennes relations entre les Eglises d'Orient & d'occident, afin que toute la Chrétienté s'unît pour résister aux musulmans. Le Patriarche Michel, sur les instances de l'empereur avait écrit au pape dans le même sens. Le pape reconnaît, dans sa lettre à l'empereur, que l'Italie méridionale faisait partie de l'empire d'Orient: il se réjouit que l'empereur consente à s'entendre avec l'empereur d'Occident pour réduire les Normands qui avaient ravagé ces contrées déjà si éprouvées par les musulmans. Il convient que le siège de Rome avait été occupé avant lui par des papes qui ne recherchaient que leur intérêt, & non pas l'intérêt général de la Chrétienté; il se flatte qu'il réparera les maux causés par ses prédécesseurs, avec l'aide des empereurs; il n'oublie pas de demander la restitution des domaines accordés à l'Eglise romaine par les anciens empereurs de Constantinople dans leurs domaines italiens; il s'élève contre le patriarche Michel qui persécuterait les latins résidant en Orient, & les anathématisait s'ils communiaient avec le pain azyme; il reproche encore à Michel de vouloir étendre sa juridiction sur les Patriarches d'Alexandrie & d'Antioche.
Les lois de l'Eglise & celles de l'empire avaient donné au Patriarche de Constantinople une haute inspection sur tout l'Orient. Les Patriarches d'Alexandrie & d'Antioche s'y étaient soumis. Les Evêques de Rome n'avaient pas le droit de s'occuper de cette question; mais, comme ils se prétendaient les chefs de l'Eglise universelle, ils la soulevaient lorsqu'ils voulaient donner au Patriarche de Constantinople une preuve de leur mauvaise volonté. Les Patriarches d'Alexandrie & d'Antioche ne refusaient pas d'entrer directement en relations canoniques avec le patriarche de Rome, & Léon IX lui-même en avait eu la preuve, mais les évêques de Rome voulaient davantage, & prétendaient COMMANDER à l'Orient comme à l'Occident.
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Leurs prétentions n'étaient pas admises en Orient, & les Patriarches d'Alexandrie & d'Antioche ne les avaient pas chargés de prendre leur parti contre celui de Constantinople. Ils observaient, vis-à-vis de ce dernier les lois des premiers Conciles Oecuméniques & celles de l'empire, & ne reconnaissaient nullement l'autorité du patriarche occidental.
La lettre de Léon IX à Michel Cérulaire était insolente, & même grossière. Il ne lui donne que le titre d'Archevêque de Constantinople, comme si le deuxième Concile Oecuménique n'avait pas accordé à l'Evêque de Constantinople le titre de second Patriarche de l'Eglise Orthodoxe universelle: «  Depuis longtemps, dit-il, j'ai appris des bruits fâcheux à votre sujet; on dit que vous êtes néophyte; que vous n'êtes pas monté à l'épiscopat par les degrés canoniques; que vous voulez priver les Patriarches d'Alexandrie & d'Antioche de leurs anciens privilèges, pour les soumettre à votre domination. Par une usurpation sacrilège, vous prenez le titre de Patriarche oecuménique, quoique Saint Pierre lui-même & ses successeurs n'aient jamais consenti à accepter ce titre monstrueux. »
Les prétendus successeurs de Saint Pierre avaient fait mieux; ils cherchaient à usurper une autorité universelle ou oecuménique, ce qui était pis qu'un simple titre honorifique qui ne conférait aux Patriarches de Constantinople qu'une haute surveillance pour l'exécution des canons dans l'Eglise orientale tout entière. C'était là le sens du titre de Patriarche oecuménique. On peut donc s'étonner que les Evêques de Rome se soient montrés si jaloux de ce titre, lorsqu'ils se prétendaient par droit divin les évêques-chefs & souverains de l'Eglise universelle, & qu'ils se proclamaient supérieurs à toutes les lois.
Léon IX termine sa lettre en reprochant au Patriarche Michel de persécuter les Latins qui se servent du pain azyme pour l'Eucharistie.
Peu de temps après avoir écrit ces lettres, Léon IX Mourut, en l'an 1054. Les légats, avec ses lettres, arrivèrent à Constantinople, où ils furent reçus très honorablement par l'empereur qui ne voulait pas s'occuper des discussions ecclésiastiques. Il n'avait en vue que de se servir du pape pour engager les occidentaux à venir en aide à l'empire d'Orient contre les musulmans.
Les légats arrivés à Constantinople publièrent une longue réponse à la lettre que le Patriarche Michel avait adressée aux Orthodoxes de la Pouille. -( Ap. Baron. Ann. 1054; Labb. Conc. t.IX; Allat. De Lib.Eccl.)-. Ils y traitent du pain azyme, de l'abstinence du samedi, de la manière de communier; sur ce point, ils disent: « Nous mettons sur l'autel des hosties minces faites de fleur de farine, saines & entières; &, les ayant rompues après la consécration avec le Peuple des Fidèles, ensuite nous prenons le sang tout pur dans le calice ».
L'usage n'est plus le même dans l'Eglise romaine d'aujourd'hui. Le prêtre communie avec une hostie qui a servi pour la consécration, & il distribue aux communiants de petites hosties conservées dans un ciboire. Les fidèles ne communient plus sous l'espèce du vin; le prêtre seul communie sous cette espèce. Les hosties ne sont plus confectionnées par les prêtres dans la sacristie, comme on le faisait au onzième siècle, d'après les légats.
(P.195).
On les achète chez des fabriquants qui, pour les rendre plus blanches, y mélangent parfois du lait. C'est plus mal que d'acheter du pain levé chez les boulangers, au lieu que le Prêtre Orthodoxe confectionne lui-même les prosphores.
Les légats affirment que la loi apostolique sur les viandes suffoquées était respectée en Occident. On doit en conclure que l'Eglise romaine a varié sur ce point, puisque cette loi n'y existe plus.
Les légats reprochent aux Grecs certaines coutumes, en particulier l'usage du mariage pour les Prêtres. En Occident, les prêtres n'usaient pas du mariage légal, mais étaient, pour la plupart, concubinaires, & vivaient avec leur femme & leurs enfants. Nous verrons cette question du concubinage des prêtres agitée principalement sous le pape Grégoire VII.
Un moine de Stude, Nicétas, avait composé un ouvrage dans lequel il attaquait les Latins sur les mêmes points que le Patriarche Michel. Il y ajoutait même plusieurs reproches.
Les légats lui répondirent avec acrimonie, & s'élevèrent contre les coutumes les plus respectables & les plus antiques de l'Orient. Ils terminèrent leur réponse en menaçant Nicétas d'excommunication.
Les attaques des légats contre l'Eglise Orthodoxe furent tolérées par l'empereu, qui ne songeait qu'à ses projets de gagner les Occidentaux à la cause de son empire. Nicétas eut peur des menaces des légats & abandonna son ouvrage; mais le Patriarche Michel refusa d'entrer en relation avec ses ennemis. Ceux-ci, assurés de la protection de l'empereur, osèrent se rendre à l'église de Sainte-Sophie, & déposèrent sur l'autel une sentence d'excommunication contre le Patriarche, après quoi ils sortirent de Constantinople.
Le Patriarche ne s'émut ni de leur excommunication, ni de leurs écrits. Cependant l'empereur n'aurait pas voulu que les choses se terminassent ainsi. Il engagea donc le Patriarche à entrer en relation avec les légats. Il y consentit & l'empereur se hâta d'en avertir les légats qui rentrèrent à Constantinople.
Le Patriarche Michel ne voulut voir les légats que dans un concile où l'on discuterait de la valeur de leur excommunication. L'empereur s'y refusa, pensant que le Peuple des fIdèles prendrait parti pour Michel, & ferait aux légats un fort mauvais parti. Les légats se retirèrent donc de nouveau, & se dirigèrent vers le pays des Russes. A Constantinople, on reprochait à l'empereur d'avoir favorisé les légats, & l'on fit une émeute qu'il ne put apaiser qu'en faisant fouetter & emprisonner ceux qui avaient servi d'interprètes aux légats.
Dans leur excommunication, les envoyés de Rome attribuaient au Patriarche Michel toutes les hérésies; ils lui reprochaient en particulier d'avoir prétendument ôté du symbole le filioque. On peut juger d'après cela des autres accusations.
Le Patriarche Michel répondit à l'excommunication des légats par un décret signé de lui, de douze Métropolites, & de deux Archevêques. Il y répond fort clairement aux accusations des légats; il leur reproche même de n'avoir apporté de Rome que des lettres apocryphes. L'acte d'excommunication, traduit du latin en grec, fut déposé dans les archives de l'Eglise de Constantinople, pour l'éternelle confusion de ceux qui l'avaient rédigé.
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Interrogé par Pierre, Patriarche d'Antioche, sur ce qui s'était passé à Constantinople avec les légats, le Patriarche Michel lui fit le récit de ce qui s'était passé entre Rome & Constantinople. -(cf: Cotel. Monument. Graec.)- La lettre qu'il avait écrite au pape, lorsque l'empereur lui-même lui avait écrit, avait été interceptée par Argyre, duc d'Italie, & c'était ce traître qui avait fait écrire des lettres attribuées au pape, & en avait chargé trois prétendus légats. Michel cite les preuves sur lesquelles il s'appuie, & en particulier le témoignage de l'évêque de Trani, qui avait été au courant de toute l'intrigue.
Michel avait eu connaissance d'une lettre que Pierre d'Antioche avait écrite à l'évêque d'Aquilée. Il lui fait, à propos de cette lettre, les observations suivantes: "Vous parlez longuement des azymes, mais vous ne dites rien des autres erreurs des Romains qui sont beaucoup plus importantes, & qui obligent à se séparer d'eux. Ils mangent des viandes suffoquées; ils se rasent; ils observent le sabbat; leurs moines mangent de la viande; ils n'observent l'abstinence ni le mercredi ni le vendredi, jours auxquels ils mangent des aliments gras, c'est-à-dire des oeufs & du lait. Ils ont ajouté au symbole des mots hérétiques; ils ne veulent pass que les hommes mariés soient soumis à l'ordination; ils respectent si peu le mariage que deux frères peuvent épouser les deux soeurs. Leurs évêques portent des anneaux au doigt, sous prétexteque leurs églises sont leurs épouses; ils font la guerre & se souillent de sang humain. On nous a assuré que les prêtres donnent le baptême par une seule immersion, & qu'ils mettent du sel dans la bouche des nouveaux baptisés.
Ce qu'il y a de plus étonnant, ajoute Michel, c'est que les légats sont venus ici dans le but de nous instruire, & de nous faire accepter leurs erreurs."
D'après cette lettre du Patriarche, on peut fixer l'époque oùle baptême fut modifié en Occident. On commença par une seule immersion, & l'on arriva bientôt à une simple infusion.
Le Patriarche d'Antioche répondit au Patriarche Michel une lettre très remarquable. Il lui fait observer que, dans les reproches qu'il faisait aux Latins, il y en avit qui n'étaient pas graves, & que l'on pouvait tolérer; que d'autres n'étaient peut-être pas suffisamment prouvés; que sur la question de l'addition faite au symbole, il fallait adresser aux Latins les observations les plus graves, car cette addition ne pouvait être admise. Il engage le Patriarche Michel à tolérer certains usages qui s'expliquaient par l'ignorance où étaient les Latins, qui n'étaient pas civilisés, & à traiter avec eux avec douceur, afin de ne pas provoquer entre les Eglises une division qui aurait les résultats les plus déplorables.
Le Patriarche répondit à Pierre d'Antioche pour lr mrttre au courant de ce qu'avaient fait les légats à Constantinople, & lui envoya des lettres analogues pour les Patriarches d'Alexandrie & de Jérusalem.
Les choses en étaient là lorsque Mourut Constantin Monomaque. Il fut remplacé par l'impératrice Théodora, à laquelle succéda Isaac Commène.
(P.197)
Sous cet empereur Mourut le Patriarche Michel. On ignore ce qu'il fit pendant les dernières années de sa vie.
Des historiens occidentaux ont cherché à le rabaisser. Sans songer qu'ils avaient fait déjà Photios auteur du schisme entre Grecs & Latins, ils décorent du même titre le Patriarche Michel Cérulaire. On doit constater que ce Patriarche ne provoqua pas les discussions qui eurent lieu de son temps entre Rome & Constantinople. Il adressa simplement ses conseils aux Orthodoxes de l'Italie méridionale, qui reconnaissaient sa haute juridiction. Il était bien dans son droit en les engageant à suivre les Traditions Orthodoxes plutôt que les traditions romaines. C'est le cardinal Humbert qui fit tout le mal, en traduisant en latin la lettre du Patriarche Michel, & en se prononçant contre les Traditions grecques, plus anciennes & plus respectables que celles de Rome. Il mit beaucoup de passion dans ses attaques, injustes ou exagérées pour la plupart, & provoqua ainsi une lutte qui, sans lui, n'aurait pas existé.
Le Patriarche Michel était bien dans son droit en lui répondant. Il mit, dans ses réponses, autant de calme que HUmbert avait mis de passion dans ses attaques.
(Note: On voit que; pour l'historien exact qu'est Wladimir Guettée, le schisme de 1054 est en réalité le constat final de l'éloignement de l'Occident par-rapport à la Vérité de la Doctrine Orthodoxe).

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