mercredi 11 janvier 2012

GUETTEE. DE LA PAPAUTE. Chap.II.

GUETTEE.


DE LA PAPAUTE.

CHAPITRE DEUX.

LES REGLES DE LA TRADITION.
SAINT CYPRIEN DE CARTHAGE.
SAINT VINCENT DE LERINS.


(P.47).
Quelle a été la doctrine suivie pendant les huit premiers siècles par les Eglises occidentales sur la constitution divine de l'Eglise?
Pour répondre à cette question, nous devons interroger les ouvrages des Pères que ces Eglises ont reconnus comme Orthodoxes.
Exposons leur doctrine.


1. SAINT CYPRIEN.

Dans son traité de l'Unité de l'Eglise, Saint Cyprien s'exprime ainsi:

« Le Seigneur dit à Pierre: « Je te dis que tu es Pierre, & sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, & les portes de l'Enfer ne la vaincront pas, & je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux; et ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le Ciel, & ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le Ciel. » Il lui dit de nouveau après Sa Résurrection: « Pais mes brebis »; Christ édifie Son Eglise sur Lui seul, & Il lui confie ses brebis pour les paître. Quoique, après Sa Résurrection, Il ait donné à tous les Apôtres le même pouvoir, & qu'Il leur ait dit: « Comme mon Père m'a envoyé, je vous envoie : Recevez le Saint-Esprit ; si vous remettez les péchés de quelqu'un, ils lui seront remis; si vous les retenez, ils seront retenus »; cependant, pour attester l'unité, Il établit une seule chaire, &, par son autorité, il établit que cette unité, à son origine, commencerait par un seul.
(Note de Guettée : Le texte de Saint Cyprien a été interpolé en plusieurs endroits, & les manuscrits ne s'accordent pas entre eux. On a cherché à y insérer des phrases favorables aux théories papales. C'est ainsi que, dans le texte que nous traduisons, on a intercalé ces mots : « La primauté est donnée à Pierre. » Ces mots sont évidemment ajoutés au texte, & ils rompent le sens de la phrase de Saint Cyprien. Les meilleurs manuscrits ne contiennent pas non plus les mots: « Il établit une seule chaire ». Nous consentons cependant à les admettre comme authentiques, parce qu'ils peuvent rentrer dans le sens général de la phrase du Saint Docteur.)
Certainement les autres Apôtres étaient ce que fut Pierre, & partagèrent avec lui le même honneur & le même pouvoir; mais ce pouvoir commun apparaît au début dans une unité, afin que l'Eglise du Christ parût une. Ainsi, tous sont pasteurs, & le troupeau paraît un, lequel est nourri par tous les Apôtres d'un commun accord, de sorte que l'Eglise du Christ apparaît dans son unité. »
(P.48).
Ainsi, selon Saint Cyprien, l'autorité & la dignité furent les mêmes dans tous les Apôtres; tous ensemble ne forment qu'une seule autorité, ou une seule chaire, & Saint Pierre ne fut pas plus que less autres dans l'Eglise. Si son apostolat eût été différent, il y eût eu deux chaires : la sienne & celle des autres Apôtres; mais il n'y en eut qu'une à laquelle Pierre & les autres Apôtres participaient également; & c'est par cette chaire unique qu'apparaît l'unité du troupeau de l'Eglise.
Les paroles adressées à Pierre avant la Résurrection n'ont pas été prononcées pour lui donner une autorité particulière, encore moins une autorité supérieure; mais elles lui furent adressées à lui seul, afin qu'elles fussent un symbole de l'unité qui devait exister dans la chaire unique occupée au même titre par Pierre & les autres Apôtres.
Saint Cyprien a donc donné aux paroles Evangéliques relatives à Saint Pierre une interprétation entièrement opposée à celle qui fut adoptée depuis par la papauté. C'est dans le sens qui vient d'être exposé qu'il ajoute:
« Cette Eglise une est désignée par le Saint Esprit dans ces paroles du Cantique des cantiques que le Seigneur prononce : « Ma colombe est une, ma parfaite est l'unique de sa mère, elle est sa préférée. » Celui qui n'appartient pas à cette unité de l'Eglise, croit-il posséder la Foy? Celui qui renie l'Eglise & lui résiste, qui abandonne la chaire de Pierre sur laquelle l'Eglise est fondée, peut-il espérer être dans l'Eglise? »
L'expression « chaire de Pierre » ne peut présenter aucune obscurité, après l'explication donnée auparavant par Saint Cyprien lui-même. Il est bien évident aussi qu'il ne la donne comme fondement de l'Eglise qu'en ce sens que l'unité de la chaire apostolique, qui en est la base véritable, a été d'abord symbolisée dans la personne de Pierre. L'auteur résume ces considérations en précisant, d'après Saint Paul, en quoi consiste l'unité: « Un seul corps, un seul Esprit, une seule espérance, un seul Seigneur, une seule fois, un seul Baptême, un seul Dieu. »
Il ne songe point à une unité résultant de l'union avec un pasteur souverain & universel; il exclut même formellement l'idée d'un tel pontificat, en faisant de tous les Apôtres une seule chaire, un corps unique investi d'un pouvoir commun, d'une dignité commune.
L'Apostolat dans son unité s'est perpétué dans un épiscopat un. Saint Cyprien expose ainsi cette doctrine, - in Cyp. De l'Unité de l'Eglise, § 5 - :
« Nous devons retenir fermement & venger cette unité, nous surtout qui somme Evêques, qui présidons dans l'Eglise, afin de prouver que l'Episcopat est aussi un & indivisé. Que personne ne trompe par le mensonge la société fraternelle, que personne ne corrompe la Vérité de la Foy par une perfide prévarication! L'Episcopat est un, & chacun en possède solidairement une partie. L'Eglise aussi est une, quelque éloigné que soit le pays où l'ait portée le progrès de sa fécondité, semblable au soleil dont les rayons sont multiples & la lumière une, à l'arbre dont les rameaux sont nombreux, & qui n'a qu'un tronc sur lequel il s'appuie, à une source dont les ruisseaux qui en découlent conservent l'unité en elle, malgré leur nombre & leur abondance.
(P.49).
Retranche un rayon du corps du soleil, ce rayon ne participera plus à l'unité de la lumière; coupe une branche d'un arbre, elle ne poussera plus; sépare un ruisseau de sa source, il se desséchera. Ainsi, l'Eglise de Dieu, foyer de Lumière de Gloire, envoie ses rayons dans tout l'univers; mais c'est une seule Lumière qui est répandue de toutes parts, & l'unité du corps lumineux n'est pas divisée. Dans sa fécondité, elle étend ses rameaux sur toute la terre, & d'elle coulent au loin des ruisseaux abondants; mais la source est une, & le tronc est un; elle est une mère féconde; nous naissons d'elle; nous sommes nourris de son lait; nous vivons de son esprit. »
Pour Saint Cyprien, l'Eglise est une, sous la présidence d'un Episcopat un. Au lieu de reconnaître dans l'Episcopat quelque degré hiérarchique, il affirme que l'Episcopat est possédé à un degré égal par tous ceux qui en ont été investis. Ainsi, unité & égalité dans l'Apostolat; unité & égalité dans l'Episcopat, telle est la doctrine exposée par Saint Cyprien, & admise, de son Temps, par toute l'Eglise occidentale qui l'a reconnu pour un Docteur très Orthodoxe, & qui a vénéré ses ouvrages aussi bien que sa personne. Si quelque réclamation s'est élevée contre son opinion touchant le baptême des hérétiques, jamais on n'a fait la moindre objection contre sa Doctrine sur l'Eglise. Des copistes, sentant combien cette Doctrine était contraire à la papauté, & ne pouvant en contester la valeur, ont falsifié l'oeuvre de Cyprien; mais l'érudition a découvert & signalé leurs fraudes. Du reste, les faussaires n'avaient pas été habiles, car leurs intercalations, ou gloses, font un effet tellement disparate dans l'ensemble des raisonnements du Saint Docteur, qu'il est impossible de ne pas en apercevoir, au premier coup d'oeil, la fausseté. Malgré les efforts de certains théologiens, on cmprend que la doctrine de l'égalité dans l'Apostolat, & dans l'Episcopat, exclut nécessairement toute distinction entre les Apôtres & les Evêques. Il est bien évident que Saint Cyprien ne voulait point parler des distinctions honorifiques, ou des prérogatives que l'Eglise pouvait établir parmi les Evêques. Il n'avait en vue que l'Epistolat & l 'Episcopat dans leur constitution divine.
Si Saint Pierre eût joui d'un honneur & d'une autorité supérieurs parmi les Apôtres, Cyprien l'eût dit en citant les textes évangéliques qui se rapportent à lui. Au lieu d'en déduire une telle idée, il affirme l'égalité des Apôtres.
Si, dans l'Episcopat, l'Evêque de Rome eût joui d'une supériorité quelconque, Saint Cyprien l'aurait mentionnée en parlant de l'Episcopat. Or, il affirme le contraire en enseignant l'égalité des Evêques. L'illustre Docteur, en s'appuyant sur les textes : « Tu es Pierre », et « Pais mes brebis », nie que Saint Pierre ait possédé des prérogatives supérieures à celles des autres Apôtres. Il nie par conséquent que ces prérogatives prétendues aient été transmises à un Evêque en particulier; il nie, en affirmant l'égalité des Evêques, les prérogatives réclamées en faveur d'un Evêque quelconque.
Dans le reste de son ouvrage, Cyprien s'attache à faire comprendre les conditions & la nécessité de l'unité dans l'Eglise.
C'était bien le cas d'indiquer le centre visible de cette unité si, en effet, il eût reconnu un tel centre.
(P.50).
Mais, il n'était pas inventé de son Temps. Il ne mentionne donc pas plus l'Evêque de Rome que l'Eglise romaine. Le centre de l'unité de l'Eglise est, selon le Saint Docteur, l'union de tous les membres dans la Confession de la même Foy, toujours conservée dans les Eglises. Tous ceux qui se séparent de cette Foy deviennent Hérétiques & Schismatiques, & n'appartiennent plus à l'Eglise.
L'Episcopat qui préside dans l'Eglise a pour devoir de maintenir cette unité & de la rétablir si ellee est attaquée, en maintenant & en restaurant la Foy Originelle & Apostolique de l'Eglise.
Si l'on conservait quelque doute sur l'interprétation que Saint Cyprien a donnée aux textes évangéliques relatifs à Saint Pierre, & sur les interpolations dont son livre a été l'objet, il suffirait de lire ce passage de la lettre vingt-septième:
« Notre Seigneur, dont nous devons observer les préceptes & les avertissements, fondant l'honneur de l'Evêque & la base (ou raison, « ratio ») de son Eglise, s'exprime ainsi dans l'Evangile, en s'adressant à Pierre: « Je te dis que tu es Pierre, & sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, & les portes de l'Enfer ne prévaudront pas contre elle; & je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux, & ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les Cieux, & ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les Cieux. » De là, à travers les vicissitudes des Temps & des successions, on t découlé: et l'ordination des Evêques, & la base (ratio) de l'Eglise, de telle sorte que l'Eglise soit établie sur les Evêques, & que tout acte de l'Eglise soit gouverné par les mêmes Evêques préposés. »
Ce texte est tiré d'une lettre dans laquelle Cyprien revendique les droits de l'Episcopat pour le gouvernement de l'Eglise. Il ne pouvait déclarer plus ouvertement que, dans les textes évangéliques relatifs à Saint Pierre, il n'y avait rien de personnel pour cet Apôtre, & que les paroles qui lui étaient adressées étaient pour ses collègues aussi bien que pour lui. Saint Cyprien explique ainsi lui-même son traité de l'unité & rejette les interpolations catholiques romaines.
Telle était la Doctrine de Saint Cyprien & de toute l'Eglise occidentale au troisième siècle. Au siècle précédent, Tertullien, le premier Père de l'Eglise occidentale, n'en professait pas d'autre. Quoiqu'il n'ait pas fait d'ouvrage spécial sur l'Eglise, on ne peut lire ses livres, & particulièrement celui qu'il intitula: « Des Prescriptions », sans y rencontrer des passages qui confirment la Doctrine enseignée ex professo par Saint Cyprien.

2. Saint Vincent de Lérins.
L'ouvrage de Vincent, Moine de Lérins au cinquième siècle, a toujours joui d'une haute réputation en Occident, & le cardinal Baronius lui-même l'appelait un « livre d'or ».
Le but que l'auteur s'y était proposé était d'établir ce que l'on appelle le « criterium » de la Foy Universelle, c'est-à-dire la règle qui doit diriger les membres de l'Eglise pour rester dans la pure Vérité Révélée & éviter toute erreur.
L'ouvrage entier est consacré à établir : 1°) que, pour éviter l'erreur & persévérer dans la Vérité, il ne faut admettre que ce qui a été cru Universellement, &, dans tous les Temps; 2°) que les premiers Conciles oecuméniques n'ont eu d'autre souci que de suivre cette règle, en proclamant, pour répondre aux Hérétiques, ce que toutes les Eglises avaient cru comme Révélé depuis les Temps Apostoliques.
Citons quelques extraits de cet ouvrage si important. L'auteur commence ainsi:
« L'Ecriture nous donne cet avis : « Interroge les Pères, & ils te parleront; tes ancêtres, & ils te répondront. Mon fils, prête l'oreille aux paroles des hommes sages. Mon fils, n'oublie pas ces discours, & conserve mes paroles dans ton coeur ». ( Deut. XXXIII, 7; XXII, 17; III, 1).
« Il m'a donc semblé, à moi, pauvre pèlerin en ce monde, & le plus petit des serviteurs de Dieu, il m'a semblé qu'il me serait très utile d'écrire, avec l'aide du Seigneur, ce que j'ai appris dans les Livres des Saints Pères. Ce travail est bien nécessaire à ma faiblesse, &, en le relisant souvent, je suppléerai à mon peu de mémoire.
« Non seulement l'utilité que je tirerai de ce livre me détermine à l'entreprendre, mais aussi la pensée du Temps qui s'envole avec rapidité, & la facilité que me procure la solitude où j'ai fixé ma demeure. Le Temps! Il emporte si vite toutes les choses humaines! Ne devons-nous pas lui ravir quelques-uns de ses instants, afin de les utiliser pour la Vie éternelle? Aujourd'hui surtout que le Jugement de Dieu, qui approche, demande de nous plus de zèle, & que l'artificieuse subtilité des nouveaux hérétiques nous impose l'obligation d'avoir plus de soin & de vigilance.
« Où trouverai-je plus de facilité, pour écrire, que dans ce village où n'arrive jamais le bruit des cités; que dans ce Monastère, cette silencieuse demeure où l'on se trouve dans l'état que veut le Psalmiste : « Placez-vous à l'écart, & voyez que je suis le Seigneur. » ( Psalm., XLV, 10.) C'est un avantage de la Vie nouvelle que j'ai embrassée. Quelque Temps, je fus ballotté au milieu des tourbillons tristes & changeants de la vie du monde; mais enfin, par l'Inspiration du Christ, je me suis réfugié dans le port de la religion, qui offre à tous un si sûr asile. Là, j'ai déposé les inspirations de la vanité & de l'orgueil, je cherche à me rendre Dieu favorable par le sacrifice de l'humilité, & à éviter, non seulement le naufrage de la vie présente, mais aussi les feux du siècle futur. »
Voici comment Vincent expose la raison de la Foy Universelle:
Cf: Vincent de Lérins : Comm.,§2 :
« Souvent, & avec zèle & sollicitude, j'ai demandé à des hommes éminents en science & en sainteté, comment je pourrais, à l'aide d'une règle générale, distinguer la Vérité de la Foy Universelle, des erreurs de l'Hérésie.
(P.52).
« Tous m'ont répondu que si, moi ou tout autre, voulions découvrir les pièges des hérétiques, éviter les erreurs & conserver notre Foy pure & dans toute son intégrité, il fallait, avec l'aide du Seigneur, affermir notre croyance de deux manières : d'abord par l'autorité de la loi divine, ensuite par la Tradition de l'Eglise Universelle.
« Quelqu'un me dira peut-être: Puisque la règle des Ecritures est parfaite, & qu'elle est, par elle-même, plus que suffisante, pourquoi y joindre l'autorité de l'intelligence de l'Eglise? Parce que l'Ecriture, à cause de sa profondeur, ne peut être interprétée, par tous, d'une manière identique. Ses paroles sont diversement entendues par les uns & par les autres, au point qu'on peut dire : autant d'hommes, autant de sentiments. Autre est l'interprétation de Novatien, autre celle de Photin, de Sabellius, de Donat, d'Arius, d'Eunomius, de Macedonius, d'Apollinaris, de Priscillien, de Jovinien, de Pélage, de Célestius, & enfin de Nestorius. Il est donc absolument nécessaire, à cause de ces graves & nombreuses erreurs, d'interpréter les livres prophétiques & apostoliques, selon le sens ecclésiastique & universel; & dans l'Eglise universelle elle-même, l'on doit avoir un soin extrême de ne s'attacher qu'à ce qui a été cru, « en tout lieu, toujours, et par tous ».
C'est là, en effet, la seule règle qu'il soit raisonnable de suivre dans l'examen des Vérités Chrétiennes; la seule qui soit en rapport avec la nature du Christianisme. Les Dogmes Chrétiens nous ayant été donnés par Dieu Lui-même, l'on ne peut, évidemment, dans le doute, que se faire cette question de fait: Tel dogme a-t-il été révélé de Dieu? Et on ne peut résoudre cette question que par le témoignage des Saintes Ecritures qui contiennent la Parole Divine, ou par le Témoignage universel & permanent de l'Eglise. Quand, à l'aide d'un tel Témoignage, nous suivons un Dogme jusqu'aux Temps Apostoliques, nous devons nécessairement conclure qu'il a toujours été regardé dans la société Chrétienne comme Révélé, & qu'elle l'a reçu de Son Divin Fondateur, le Christ.
Après avoir clairement exposé que le témoignage de l'Ecriture Sainte, interprétée suivant la Tradition Universelle, est la raison de notre Foy, & la seule règle à suivre pour ne pas tomber dans l'erreur, Saint Vincent de Lérins démontre que toujours, dans l'Eglise, on a suivi cette règle, dans la condamnation des hérétiques. Il fait voir l'autorité de l'Eglise, n'inventant aucun nouveau dogme; gardant scrupuleusement le Dépôt de la Foy que lui a confié Jésus-Christ; se contentant de définir clairement sa Foy, & de formuler la croyance universelle. Il la surprend à l'oeuvre dans la condamnation de Donat, d'Arius, & des Rebaptisants; & prouve qu'en dehors de la règle universelle, on ne peut que tomber dans l'erreur. La science même ne peut en garantir; ainsi Nestorius, Photin, Apollinaris le vainqueur de Porphyre, étaient des hommes remarquables, & sont pourtant devenus hérétiques; ainsi Tertullien & Origène, deux puissants génies, ont perdu l'ancienne Foy, parce qu'ils se sont éloignés de la Trdition universelle.
L'exemple de ces grands hommes, qui ont erré dans l'hérésie, ne doit pas être pour nous une tentation. Dieu a permis, ajoute Vincent, qu'ils se soient trompés, pour nous faire comprendre combien nous devons être fidèles à cette règle en dehors de laquelle il n'y a qu'hésitation & erreur. Appuyés sur elle, les Vrais Chrétiens Orthodoxes sont en Paix, sont fermes en Jésus-Christ;
(P.53.).
Les autres, au contraire, ressemblent à des pailles légères, emportées au gré des vents.
« Que leur état est déplorable! » s'écrie Vincent de Lérins, in Comm.,§20, « Quels soucis, quelles tempêtes les agitent! Tantôt poussés au gré du vent impétueux de l'erreur, tantôt refoulés sur eux-mêmes, ils se choquent & se brisent comme des vagues opposées. Aujourd'hui, avec une téméraire & étrange présomption, ils adoptent des choses incertaines; demain, sous l'impression d'une folle défiance, ils refusent de croire ce qu'il y a de plus certain. Ils ne savent pas où marcher, par quel chemin revenir, ce qu'ils doivent chercher ou fuir, admettre ou rejeter.
« Ce malheur d'un coeur qui doute & hésite entre la Vérité & l'erreur de l'Hérésie doit être, pour eux, un remède de la Divine Miséricorde, s'ils ont un peu de sagesse. Si, en dehors du port assuré de la Foy universelle, ils sont agités, bouleversés, presque engloutis par les orages de leurs pensées, c'est afin qu'ils abaissent les voiles de l'orgueil, qu'ils avaient imprudemment déployées aux vents des nouveautés; qu'ils se réfugient dans l'asile assuré que leur offre leur bonne & douce mère; qu'ils vomissent les flots troubles & amers de l'erreur, pour boire les eaux vives & pures de la Vérité; c'est afin qu'ils désapprennent bien ce qu'ils avaient mal appris, & que, dans la Doctrine de l'Eglise, ils se contentent de comprendre ce qui peut-être compris, & croient ce qui passe l'intelligence.
« Quand j'y réfléchis, (-Ibidem, §21-), je m'étonne toujours davantage de la folie de certains hommes, de leur impiété, de leur passion pour l'erreur de l'Hérésie, qui les porte à ne pas se contenter d'une règle de Foy donnée & reçue anciennement; à chercher sans cesse du nouveau; à vouloir toujours ajouter, changer, retrancher dans la Religion. Comme si elle n'était pas une Doctrine Céleste, comme s'il ne suffisait pas qu'elle ait été Révélée une fois, comme si elle était une institution humaine qui ne pût arriver à sa perfection que par des réformes & des corrections continuelles.
« Quelqu'un (– Ibidem §23-) dit, peut-être : Ne peut-il donc y avoir aucun progrès religieux dans l'Eglise du Christ? Je souhaite qu'il y en ait un, & un très grand. Pourrait-il y avoir quelqu'un assez ennemi de Dieu & des hommes pour le comprimer, pour l'arrêter? Mais il faut que ce soit un vrai Progrès Spirituel, & non un changement de doctrine. Ce qui constitue le progrès d'une chose quelconque, c'est qu'elle croisse en elle-même & sans changer d'esssence. Ce qui constitue son changement, c'est qu'elle passe d'une nature à une autre. Qu'elles croissent donc, & avec force & vigueur, l'Intelligence Spirituelle, la Science Spirituelle, la Sagesse de chacun & de tous, de l'individu comme de l'Eglise; qu'elles croissent en raison des âges & des siècles, mais qu'elles ne sortent pas de leur être; que toujours le Dogme soit le même, que le sens du Dogme ne change pas de nature.
« Le progrès religieux dans les âmes doit se modeler sur celui des corps, qui, en grandissant avec les années, restent cependant les mêmes.
(P.54).
Il y a une différence immense entre la fleur de la jeunesse & la maturité de la vieillesse. Cependant, ceux qui aujourd'hui sont vieillards, sont les mêmes qui furent jadis adolescents; & le même homme, en changeant d'état & de manière d'être, conserve toujours sa même nature, reste la même personne.
« Que la religion suive ces mêmes lois de progrès;qu'avec les années, elle devienne plus forte, qu'elle se développe avec le Temps, qu'elle grandisse avec l'âge, mais qu'elle se maintienne pure & sans tâche, qu'elle reste en pleine & parfaite possession de toutes ses parties, qui sont comme ses membres & ses sens, qu'elle ne souffre aucun changement, ne perde rien de sa nature, ne subisse aucune variation dans sa doctrine. Nos Pères ont semé dans l'Eglise le pur froment de la Foy; que la culture donne à cette semence une nouvelle Beauté Spirituelle, mais n'en changeons pas l'espèce; que les rosiers du sens universel ne deviennent pas des ronces & des épines; que jamais, dans ce Paradis Spirituel, l'ivraie & les plantes vénéneuses ne sortent des racines du baume & du cynnamome! Ce qui a été semé par nos Pères, il faut le cultiver, l'entretenir, il faut que, par nos soins, il fleurisse, croisse, & arrive à sa maturité. Il est permis de soigner, de polir, de limer avec le Temps ces Dogmes anciens d'une philosophie en Christ qui nous est venue du Ciel; mais il est défensu de les changer, de les tronquer, de les mutiler. Qu'on les entoure d'évidence, de lumière, de clarté, mais qu'ils gardent leur plénitude, leur intégrité, leur essence. Si une fois on se permet une fraude impie, je frémis du péril que courra la Religion. Une partie quelconque du Dogme Orthodoxe universel rejetée, on en rejettera une autre, puis une autre, & encore une autre; ce sera bientôt chose licite & habituelle. Or, en rejetant les unes après les autres toutes les parties, où arrivera-t-on enfin? A rejeter le tout.
« D'un autre côté, si aux dogmes anciens l'on mêle des opinions nouvelles, aux choses sacrées des choses profanes, on comprend que, de toute nécessité, s'établira la coutume générale de ne rien laisser, dans l'Eglise, d'intact, d'inviolable, d'intègre, de pur. On n'aura plus qu'un cloaque d'erreurs honteuses & impies, au lieu d'un sanctuaire de chaste & pure vérité.
« L'Eglise du Christ, gardienne vigilante & soigneuse du Dépôt des dogmes qui lui ont été confiés, n'y change rien, n'en retranche rien, n'y ajoute rien; elle ne tronque pas les choses nécessaires, n'en introduit pas de superflues; elle ne laisse rien perdre de ce qui est à elle, & n'usurpe rien d'autrui. Elle met toute son industrie à conserver avec sagesse les choses anciennes, à façonner, & polir ce qui fut autrefois commencé, ébauché; à consolider & affermir ce qui fut exprimé, éclairci; à garder ce qui fut confirmé & défini. Quel fut le but de ses efforts dans les Conciles? De faire croire plus fermement ce qui auparavant était prêché plus paisiblement; de faire vénérer avec plus de soin ce qui était déjà l'objet d'une vénération non contestée. L'unique but que l'Eglise, troublée par les nouveautés hérétiques, s'est proposé dans les décrets de ses Conciles, a été de transmettre par écrit à la postérité ce qu'elle avait reçu des Anciens par la seule Tradition, en renfermant beaucoup de choses en peu de mots, & désignant sous un nom nouveau une vérité qui n'était pas nouvelle; et cela, pour aider l'intelligence. »
(P.55).
Après une exhortation pathétique à éviter toute nouveauté profane – Saint Vincent de Lérins, Comm. §§21 à 29 -, à garder fidèlement le Dépôt Sacré des Vérités que nous donna Jésus-Christ, à éviter les faux prophètes qui viennent à nous couverts de peaux de brebis & sous des dehors hypocrites, Saint Vincent termine son premier avertissement en nous donnant les moyens d'éviter leurs pièges. Pour les vérités définies, on doit s'en tenir scrupuleusement aux décisions des Conciles universels de l'Eglise Orthodoxe universelle; pour les questions non encore définies, au sentiment commun des Pères qui sont Morts dans la Foy. Les Pères sont, en effet, les plus sûrs témoins de la Foy de leur Temps, &, en suivant leur sentiment unanime, l'on ne peut s'éloigner de la Vérité Orthodoxe universelle.
Dans le second avertissement – Saint Vincent de Lérins, §29 jusqu'à la fin -, dont nous n'avons plus qu'un résumé, Saint Vincent avait pour but de démontrer que l'Eglise, dans la condamnation de Nestorius à Ephèse, avait suivi la règle de Foy expliquée dans le premier avertissement.
Dans cet ouvrage, Saint Vincent de Lérins n'a pas même mentionné l'Eglise de Rome. Nous le demandons à tout homme de bonne foi: Pouvait-il ne pas parler de l'autorité doctrinale de l'Evêque de cette Eglise, s'il en eût possédé? Si cet Evêque eût été regardé, au cinquième siècle, comme le centre d'unité, l'interprète infaillible de la Doctrine, l'écho de la Parole Divine, le chef des Eglises & des Conciles, Saint Vincent de Lérins aurait-il gardé à son sujet un silence aussi absolu?
Non seulement ce silence équivaut à une négation, mais tous les développements donnés par le docte & profond écrivain & auteur ecclésiastique sont la réfutation péremptoire de tous les systèmes sur les prérogatives de la papauté, par rapport à la Doctrine. « L'unique source de la vérité, dit-il, c'est la Parole de Dieu, écrite ou conservée par Tradition; l'unique moyen d'être dans la Vérité Révélée, c'est d'être en communion de Foy avec toutes les Eglises Orthodoxes Apostoliques. » Il nie l'existence de toute autre règle universelle.
Que devient l'autorité doctrinale du pape de telle ou telle époque en présence de cet enseignement si précis? Une seule autorité existe, celle de l'Eglise entière professant sa Foy depuis les Apôtres.
Nous pouvons donc résumer ainsi la Doctrine de l'occident Chrétien, pendant les cinq premiers siècles, au sujet de l'Eglise :
1°) Il n'y a dans l'Eglise qu'un seul épiscopat, comme il n'y eut au commencement qu'un seul apostolat; il est le même dans tous les Evêques, & il est possédé solidairement par tous, sans distinction;
2°) De même que les Apôtres possédèrent une seule & unique dignité ou autorité, de même tous les Evêques possèdent une seule & unique dignité ou autorité;
3°) Aucun Evêque en particulier ne possède de prérogative divine sur les autres Evêques;
4°) L'unité de l'Episcopat est le signe de l'unité de l'Eglise;
(P.56).
5°) L'Eglise seule conserve infailliblement les vérités qui lui ont été confiées dès le commencement par les Prédications & par les Ecrits Apostoliques.
6°) Les Evêques n'ont que le devoir de veiller à ce que ces vérités ne soient point altérées dans les Eglises qui sont confiées à leur sauvegarde;
7°) Dans les Conciles, ils ne peuvent que constater la Foy toujours admise par leurs Eglises respectives;
8°) Aucune Eglise particulière, à plus forte raison aucun Evêque, ne possède d'autorité ni de supériorité doctrinale;
9°) La seule condition pour être membre de l'Eglise Orthodoxe universelle, c'est d'être en communion avec toutes les Eglises Orthodoxes apostoliques qui n'ont point innové dans la doctrine.
Nous pourrions citer, en dehors des écrivains dont nous avons examiné les ouvrages, un grand nombre de textes à l'appui de ces neuf affirmations; nous pourrions également réfuter les assertions des théologiens catholiques romains qui ont abusé de textes isolés de quelques auteurs en faveur du Système papal. Mais il semble qu'il vaut mieux nous en tenir à ce que nous avons établi d'après des ouvrages dans lesquels des écrivains d'une Orthodoxie & d'un mérite incontestés avaient l'intention de traiter ex professo les questions de l'Eglise, de l'épiscopat & de l'autorité doctrinale.
Cette Doctrine ancienne des Eglises occidentales, est-elle celle que professe aujourd'hui l'église catholique romaine?
Non. Elle en professe une toute contraire.

3. Conclusion : Le Témoignage des monuments dogmatiques.

Lorsque, sans prévention & sans préjugés, on a fait une étude approfondie & comparative des monuments historiques & dogmatiques des premiers siècles de l'Eglise, on ne peut lire qu'avec un sentiment pénible les travaux des théologiens catholiques romains en faveur de l'autorité papale. Nous avons eu la patience de lire la plupart de ceux qui font autorité, tels que Bellarmin, Rocaberti, André Duval, Zacaria, & plusieurs des théologiens modernes les plus en renom qui les ont pris pour guides, tel que Gerdil, Perrone, Passaglia. Nous avons lu les principaux ouvrages des gallicans modernes, c'est-à-dire des dix-septième, & dix-huitième siècles, en particulier ceux de Bossuet, de Nicole, de Tournely, de la Chambre. Nous avons été convaincu que ces derniers ont emprunté aux ultramontains leurs textes, les plus forts en apparence, en restreignant à la primauté de droit divin & à l'autorité limitée du pape, le sens que les autres étendent jusqu'à l'autorité absolue & à l'infaillibilité. Chez tous, nous avons remarqué : 1°) une foule de textes tronqués, dénaturés, détournés de leur véritable sens, isolés du contexte tout exprès pour leur donner une fausse interprétation. Nous avons remarqué : 2°) que les textes d'un Père en particulier sont isolés des autres textes du même Père touchant le même point de doctrine, quoique les derniers modifient ou détruisent absolument le sens attribué aux premiers.
(P.57).
Nous avons remarqué : 3°) que ces écrivains tirent, des textes, des conséquences d'une fausseté évidente & qui n'en découlent pas logiquement.
Le docteur Launoy, comme nous l'avons dit, a fait le dépouillement de la Tradition Orthodoxe universelle touchant l'interprétation du texte de l'Evangile : Tu es Pierre, etc...Il n'a trouvé que dix-sept Pères ou Docteurs de l'Eglise qui aient appliqué à Saint Pierre le mot la pierre; il en a indiqué plus de quarante qui l'ont entendu de la Confession de Foy faite par Saint Pierre, c'est-à-dire de la Divinité de Jésus-Christ. Les ultramontains ne peuvent le contester; mais ils prétendent que, en donnant pour base à l'Eglise la Foi de Pierre, le Seigneur a nécessairement accordé à cet Apôtre non seulement une foi indéfectible, mais l'infaillibilité, privilèges qui auraient passé à ses successeurs. Or, tous les Pères de l'Eglise, cités pour la seconde interprétation, n'ont entendu par la confession de Saint Pierre que la croyance qu'il avait confessée, sa foi objective, ou l'objet de cette foi, & non la foi subjective ou l'adhésion personnelle qu'il y aurait donnée. La croyance confessée par Saint Pierre étant la Divinité de Jésus-Christ, les Pères dont il est parlé ont interprété le texte Tu es Pierre, etc..., en ce sens : que la Divinité de Jésus-Christ est le rocher sur lequel l'Eglise entière repose. Tous parlent en ce sens de la manière la plus explicite. Aucun d'eux ne parle d'un privilège quelconque accordé à Saint Pierre lui-même personnellement; à plus forte raison ne parlent-ils pas d'un privilège qui aurait passé en héritage aux évêques de Rome comme à ses successeurs.

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