vendredi 13 janvier 2012

Vie abrégée de Saint Séraphim de Sarov.

2 janvier (repos) - 19 juillet (invention)
SAINT PERE THEOPHORE SÉRAPHIM DE SAROV (1759 – 1833)
Ce grand témoin de la Lumière du Saint-Esprit s'est levé tel un astre nouveau sur la terre russe
le 19 juillet 1759 à l'époque où l'esprit des prétendues "Lumières" envahissait l'Europe et la
Russie, préparant de loin les temps sombres de l'athéisme et de la persécution. Fils de Pieux
Marchands de la ville de Koursk, il grandit dans la piété et l'Amour de l'Eglise et reçut dès son
jeune âge les Faveurs de la Mère de Dieu par une guérison miraculeuse. A dix-sept ans il
quitta le monde, muni de la bénédiction de sa mère et entra au Monastère de Sarov où il
devint rapidement un modèle d'obéissance et de vertus monastiques. Avec joie et bonne
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humeur, il s'acquittait de toutes les tâches les plus fatigantes pour le service des frères, jeûnait
pour vaincre les élans de la chair et gardait jour et nuit son intelligence fixée dans le Souvenir
de Dieu par la Prière de Jésus. Au bout de quelque temps il tomba très gravement malade et
malgré la douleur, il refusait l'aide des médecins, demandant uniquement le seul remède qui
convient à ceux qui ont tout abandonné pour Dieu : la Sainte Communion. Quand on lui
apporta les deux espèces, la Toute-Sainte Mère de Dieu lui apparut au sein d'une Intense
Lumière en compagnie des Saints Apôtres Pierre et Jean le Théologien et elle leur dit, en
montrant le jeune novice : "Celui-ci est de notre race!" Peu de temps après il guérit
complètement et fit construire une infirmerie sur l'emplacement de cette apparition.
Au bout de huit années de noviciat, il fut tonsuré Moine sous le nom de Séraphim
("flamboyant"), nom qui excitait encore davantage son zèle pour imiter ces Serviteurs de Dieu
incorporels et brûlants d'Amour. Ordonné Diacre, il passait les nuits entières en prière avant
de célébrer la Divine Liturgie et progressant sans cesse dans la vertu, le Seigneur lui accordait
en retour de nombreuses visions, extases et consolations spirituelles. Prudemment dirigé par
ses Anciens, il ne tirait cependant aucune vaine gloire de ces Faveurs Divines; elles lui étaient
au contraire l'occasion de s'enfoncer dans l'humilité et le blâme de soi et de rechercher
davantage la solitude.
Peu de temps après son ordination sacerdotale et la Naissance Céleste de son Père Spirituel, il
obtint la permission de se retirer en solitaire dans la forêt profonde à six ou sept kilomètres du
monastère et de se construire une petite cabane en bois entourée d'un jardinet sur une colline
qu'il nomma la "Sainte Montagne" (comme l'Athos). Il y restait toute la semaine, ne rentrant
au monastère que les Dimanches et les jours de Fêtes et passait tout son temps dans la prière,
la lecture et les labeurs corporels agréables à Dieu. Chacune de ses activités lui était une
occasion d'élever sa pensée vers Dieu. Il ne connaissait rien de profane ni de charnel et il
supportait avec patience les rigueurs de l'hiver et les assauts des insectes de l'été, heureux de
partager ainsi les souffrances du Seigneur pour la purification de son âme. Il portait
continuellement un gros Evangile attaché sur son dos comme le "Fardeau du Christ" et il se
rendait dans les endroits de la forêt auxquels il avait donné les noms de Lieux Saints :
Bethléem, le Jourdain, le Thabor ou le Golgotha afin d'y lire les péricopes correspondantes. Il
vivait ainsi intensément chaque jour la vie même et la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ.
La méditation continuelle de la Sainte Ecriture ne lui donnait pas seulement la Connaissance
de la Vérité mais elle lui procurait aussi la pureté de l'âme et la componction du coeur de sorte
qu'en plus de la récitation des Offices Divins aux temps fixés et de ses mille prosternations
quotidiennes, il pouvait prier sans relâche, l'intelligence unie au coeur. Il se nourrissait d'abord
du pain fourni par le monastère puis des seuls produits de son jardin mais il se privait bien
souvent de sa pitance pour la distribuer aux animaux qui aimaient venir près de sa cabane, en
particulier à un ours énorme devenu aussi docile qu'un chat.
En voyant ce mode de vie si agréable à Dieu et si proche de celui des êtres incorporels,
l'ennemi séculaire du genre humain, excité de jalousie, déclencha contre l'Ascète du Christ ses
attaques accoutumées : pensées d'orgueil, vacarmes, apparitions effrayantes etc mais le
Vaillant Athlète du Christ repoussait tous ses assauts par la prière et le Signe de la Croix.
Comme la guerre des pensées se faisait plus pressante, le Saint décida d'entreprendre un
combat digne des hauts faits des stylites de jadis : il passa mille jours et mille nuits debout ou
à genoux sur un rocher, en répétant sans cesse la prière du Publicain : "Ô Dieu, sois propice
au pêcheur que je suis!" (Luc 18:13). C'est ainsi qu'il fut définitivement délivré du combat des
pensées. Mais le diable ne s'en tenait pas encore pour vaincu : il envoya contre lui trois
brigands qui furieux de ne pas trouver sur le pauvre Moine l'argent qu'ils espéraient, le
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frappèrent à coups de bâtons et avec le revers de sa hache et le laissèrent à demi-mort, tout
ensanglanté et les os rompus. Bien que de forte constitution, le doux Séraphim ne chercha pas
à se défendre et s'offrit aux coups dans la pensée qu'il participait ainsi aux souffrances du
Seigneur. Malgré son état lamentable, il réussit à se traîner jusqu'au monastère où après cinq
mois de souffrances, il fut miraculeusement guéri par une Apparition de la Mère de Dieu en
tout point semblable à celle advenue lorsqu'il était novice. Il resta cependant voûté jusqu'à la
fin de ses jours et ne se déplaçait plus que péniblement, appuyé sur un bâton.
Cette infirmité lui permit de gravir un nouveau degré de l'échelle dressée pour lui vers le Ciel
et d'entreprendre de 1807 à 1810 le combat du silence dans la solitude. Aussitôt rétabli, il
regagna son Désert et ne pouvant plus retourner régulièrement au monastère, il cessa aussi de
recevoir ou d'adresser la parole à quiconque. Chaque fois qu'il rencontrait quelqu'un dans la
forêt, il se prosternait profondément à terre devant lui sans un mot jusqu'à ce que celui-ci
s'éloigne. Il pouvait garder ainsi son intelligence fixée en Dieu sans interruption ni distraction.
Entre temps l'Higoumène du monastère s'endormit et des Moines commencèrent à montrer
une animosité marquée à l'égard du Saint Ermite l'accusant de se séparer de la communion de
l'Eglise. Finalement on lui donna l'ordre de regagner le monastère. Séraphim se soumit sans
aucune opposition et s'installa dans une étroite cellule où il commença un nouveau stade de sa
vie ascétique : la réclusion. Dans le vestibule, il avait fait placer son cercueil dans lequel il
aimait prier et dans sa cellule où personne n'entrait jamais il n'avait qu'un sac de pierres pour
couche, un tronc d'arbre pour siège et une Icône de la "Vierge de tendresse" appelée par lui "la
Joie de toutes les joies" devant laquelle brûlait en permanence une veilleuse. Il vivait ainsi
dans le silence complet augmentant ses austérités, lisant et commentant pour lui-même chaque
semaine tout le Nouveau Testament, priant sans cesse, le coeur en veille et n'ayant que les
Anges et les Saints comme seuls témoins de ses fréquentes extases et ravissements de
l'intelligence dans les Demeures Célestes.
Au bout de cinq ans de réclusion, il ouvrit sa porte, laissant entrer ceux qui voulaient le voir
mais sans rompre cependant son silence même pour les visiteurs les plus importants. Puis en
1825, l'heure d'abandonner la vie hésychaste lui ayant été révélée par la Mère de Dieu, il
commença à faire profiter les autres hommes des fruits de son expérience : les Moines d'abord
qu'il exhortait à l'observance des Règles monastiques et au zèle dans l'Oeuvre de Dieu puis les
laïcs, en nombre rapidement croissant. Après avoir communié volontairement à la Passion du
Seigneur pendant quarante-sept ans de vie ascétique, en passant successivement par les états
de Cénobite, d'Hésychaste, de Stylite et de Reclus, ce petit Vieillard habillé de blanc et tout
courbé sur son bâton, se tournait vers les hommes rempli de la Grâce et de la Lumière du
Saint-Esprit afin de s'acquitter du ministère supérieur de la paternité spirituelle (starchestvo)
et de devenir pour tout le peuple russe un véritable Apôtre, témoin et prédicateur de la
Résurrection. Sa porte restait ouverte à tous jusqu'à la nuit. Il saluait ses visiteurs avec gaieté,
en leur disant : "Ma Joie, le Christ est ressuscité!" et il marquait une joie particulière envers
les pécheurs qui venaient vers lui repentants comme le Fils prodigue vers son Père (Luc 11).
Sa douceur surnaturelle convertissait les coeurs les plus durs, son humilité abaissait les plus
fiers et leur faisait verser des larmes comme des enfants. Pour les aristocrates comme pour les
hommes du peuple, la cellule du "pauvre" Séraphim était semblable à l'Antichambre du Ciel.
Une conversation avec lui ou une simple bénédiction devenait un véritable entretien avec
Dieu qui pouvait changer radicalement l'orientation de leur vie. Grâce à son don de
clairvoyance, il perçait les secrets des coeurs et les révélait aux pénitents qui n'osaient pas les
avouer, il répondait à des lettres sans avoir besoin de les ouvrir et savait donner à chacun le
conseil, la consolation, l'encouragement ou la réprimande qui convenait. Complètement
abandonné à la Volonté de Dieu, il leur disait sans examen la première parole que Dieu lui
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révélait et tombait toujours juste. Sa charité, c'est-à-dire l'Amour de Dieu en lui, consolait
tous, pardonnait tout et recouvrait tous. Il accomplissait un grand nombre de guérisons
miraculeuses en oignant les malades avec l'huile de la veilleuse qui brûlait dans sa cellule ou
en leur faisant boire de l'eau de la source appelée par la suite le "puits de Séraphim" et située à
peu de distance du monastère dans son Désert proche où il aimait passer ses après-midi. On
lui adressait tant de demandes de prières pour les vivants et pour les défunts qu'il lui était
impossible de commémorer tous les noms; aussi allumait-il pour chacun un cierge dans sa
cellule surchauffée et constamment illuminée de centaines de flammes comme autant d'âmes
vivantes. Dieu lui accorda aussi le charisme de la prophétie et il prédit des événements à venir
tant pour des individus que pour tout le pays comme la guerre de Crimée, la famine et la
terrible épreuve qui devait ravager l'Eglise et le peuple russes un siècle plus tard mais il
cachait ses prophéties derrière des paroles énigmatiques qu'on ne comprenait qu'après la
réalisation des événements.
Le riche propriétaire Motovilov qui avait été guéri miraculeusement par l'Homme de Dieu et
était devenu son ardent disciple, lui demanda un jour : "Quelle est le but de la vie chrétienne?"
Le Père Séraphim lui répondit : "C'est l'Acquisition du Saint-Esprit que l'on obtient par les
Oeuvres Saintes recommandées par l'Eglise et surtout par la prière." Comme son interlocuteur
le pressait de questions pour savoir plus précisément qu'est-ce que la Grâce du Saint-Esprit, le
Staretz le prit soudain dans ses bras, le regarda fixement —son visage était devenu plus
brillant que le soleil en plein midi— et il lui dit avec autorité : "Regardez-moi, Ami de Dieu,
ne craignez pas. J'ai demandé au Seigneur de tout mon coeur de vous rendre digne de voir de
vos yeux corporels la Descente du Saint-Esprit. Et voilà! Vous êtes devenu comme moi, tout
lumineux. Vous avez été aussi rempli de la Grâce du Saint-Esprit, sinon il vous serait
impossible de me voir ainsi dans cette Lumière. Que ressentez-vous?" Motovilov répondit :
"Un calme, une paix indicible. Mon coeur est rempli d'une joie inexprimable." "Et encore?" —
"Une chaleur et un parfum, tels que je n'en ai jamais ressentis." — "Ce parfum est la bonne
Odeur du Saint-Esprit, répondit le Saint et cette chaleur n'est pas extérieure puisque nous
sommes en plein hiver et que toute la forêt autour de nous est couverte de neige mais elle est
en nous, conformément à la Parole du Seigneur qui a dit : Le Royaume de Dieu est au-dedans
de vous (Luc 17:21)." Cet extraordinaire entretien dura encore longtemps et à la fin, Saint
Séraphim demanda à son disciple de le rédiger par écrit et de le transmettre au monde entier.
Le manuscrit de Motovilov ne fut retrouvé que bien plus tard en 1903 à la veille de la
Glorification du Saint. Il a connu depuis une diffusion considérable. C'est le message ultime
de lumière et d'espérance que le Prophète de Sarov laissait à la Russie et à l'Eglise tout entière
en vue des épreuves de ces temps qui sont les derniers.* Dans ses instructions, il disait aussi
souvent : "Ma Joie, acquiers l'esprit de paix et alors des âmes par milliers seront sauvées
autour de toi." Cette paix intérieure qu'il avait acquise au prix de tant de labeurs, se répandait
autour de lui comme joie et lumière; c'est pourquoi Saint Séraphim ne laissa pas à la postérité
un enseignement très développé mais plutôt un modèle de vie.
* L'Entretien avec Motovilov et les Instructions Spirituelles de Saint Séraphim sont traduits à la suite de sa
biographie par I. GoraÏnoff: collection "Théophanie," Desclée de Brouwer, Paris, 1979 (2e éd.).
Alors qu'il n'était encore que Diacre, la fondatrice du Couvent de Divéyevo, situé à quelques
kilomètres de Sarov, avait confié au Père Séraphim la direction spirituelle de sa communauté
naissante. Pendant toute sa vie, il montra une attention paternelle pour ses filles spirituelles.
La communauté grandit rapidement malgré les difficultés économiques. Saint Séraphim
l'organisa selon un mode strictement cénobitique avec la sentence : "En tout temps, ayez les
mains au travail et les lèvres à la prière." Sur l'Ordre de la Mère de Dieu, il fonda un second
monastère, dit du Moulin avec ses filles les plus chères auxquelles il donna une Règle de vie
centrée sur la Prière de Jésus. Malheureusement après la Naissance au Ciel du Staretz, satan
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suscita un Moine envieux et intrigant qui s'efforça par tous les
moyens de ruiner la réputation et l'oeuvre du Saint : il fit fermer
le Moulin et fit souffrir de nombreuses tribulations aux
Moniales.
Quelque temps avant la fin de son séjour terrestre, Séraphim fit
venir une Moniale de Divéyevo et lui annonça en la couvrant de
son manteau : "Nous allons avoir la Visite de la Mère de Dieu."
Le moment venu, il la releva et on entendit un bruit semblable à
celui d'un vent violent dans la forêt puis des Hymnes de l'église;
la porte s'ouvrit d'elle-même et la cellule fut soudain inondée de
Lumière et d'un Parfum Très Suave. Le Saint tomba à genoux et
la Mère de Dieu apparut précédée par deux Anges, Saint Jean le
Précurseur et Saint Jean le Théologien, suivie de douze Saintes
Martyres et Vierges. La Moniales tomba à terre croyant perdre
la vie alors que le Père Séraphim se tenait debout et s'entretenait
tendrement avec la Reine du Ciel comme un ami. Elle lui promit
de toujours prendre soin des soeurs de Divéyevo et en
disparaissant la Toute Sainte lui dit : "Mon Bien-Aimé, bientôt
tu seras avec nous!" Quand ils se retrouvèrent seuls, le Staretz
confessa à la Moniale que c'était la douzième Apparition Divine que le Seigneur lui accordait.
Parvenu à l'âge de soixante-dix ans, souffrant cruellement des suites de ses blessures mais
sans rien relâcher de son activité, Saint Séraphim parlait de plus en plus souvent de son
Départ prochain avec joie et le visage rayonnant. Le 1er janvier 1833 après avoir communié, il
vénéra toutes les Icônes de l'église en allumant devant chacune un cierge et bénit tous les
frères en disant : "Faites votre Salut! Veillez! Des couronnes vous sont préparées!" Puis après
avoir visité son tombeau, il s'enferma dans sa cellule et rendit son âme à Dieu la nuit même à
genoux en chantant les Hymnes de Pâque. Tout le peuple des environs se rassembla pour ses
funérailles. Par la suite, l'Homme de Dieu continua de visiter et de secourir ses enfants
spirituels par de nombreuses apparitions et guérisons et la dévotion du peuple ne cessa de
grandir, malgré les oppositions. Finalement, la Glorification de Saint Séraphim marqua son
triomphe le 19 juillet 1903 en présence de la famille impériale, de nombreux Evêques et d'une
foule de plusieurs centaines de milliers de personnes venues de toutes les régions de Russie.
Ce fut une dernière manifestation de l'unité du peuple russe et de la gloire de l'Eglise avant la
grande épreuve. Ses Précieuses Reliques alors portées en procession au-dessus de la foule et
accomplirent de nombreux Miracles. En 1926, les bolcheviks les confisquèrent en vue de les
exposer dans un "musée de l'athéisme" mais elles n'arrivèrent jamais à destination et l'on
suppose qu'elles sont aujourd'hui gardées par quelque Pieux Fidèle dans l'attente de jours
meilleurs.
ou
Saint Séraphim, Thaumaturge de Sarov, Grand Serviteur de Dieu et Intercesseur de la terre
russe appartient à la multitude des Ascètes russes du dix-neuvième siècle qui étaient animés
d’un désir insatiable de vie spirituelle, de perfection morale et d'un noble élan vers la liberté
véritable, liberté qui consiste avant tout en la libération de l’homme vis à vis du péché. Par
l’élévation et la force de sa Foi, le Staretz Séraphim reste pour les Russes orthodoxes le
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représentant le plus glorieux de son époque et sa vie par une ascension "de degré en degré" ne
cesse d’offrir un intérêt profondément édifiant.
Dans le monde Prokhore Isidorovitch Mochnine, le Père Séraphim naquit le 19 juillet 1759 à
Koursk, rue Saint Serge, près de l’église Saint Serge de Radonège. Ses parents, Isidore et
Agathe Mochnine, appartenaient à la célèbre et riche corporation des marchands de Koursk.
Ils avaient aussi un fils aîné Alexis qui par la suite reprit les affaires de son père et dont la
descendance subsiste encore de nos jours. Isidore Mochnine, propriétaire de briqueteries, était
un grand fournisseur de matériaux pour la construction d’églises et de maisons. Il s'endormit
alors que Prokhore n’était âgé seulement que de trois ans. C’est sa mère qui reprend alors la
direction de la maison orpheline mais se consacre surtout de l’éducation de ses enfants en leur
inculquant la Crainte de Dieu et le respect du prochain.
Il nous reste peu de renseignements sur l’enfance de Prokhore mais toutes ses biographies
rapportent deux évènements de sa jeunesse. Le premier alors qu’il avait sept, fut une grave
chute sur le chantier d’une église dont il se releva indemne. Sa mère persuadée qu’il était mort
et dans l’angoissant pressentiment de ce terrible malheur, descendit de l’échafaudage de
l’église mais Prokhore était sain et sauf. Par ce Miracle, sa mère ne pouvait pas encore
discerner la Protection Divine particulière envers son fils.
L’autre fait fut l’apparition miraculeuse qu’il eut de la part de la Mère de Dieu. A cette
époque, Prokhore âgé alors seulement de dix ans tomba gravement malade et vit en songe la
Très Sainte Mère de Dieu qui lui promit de le guérir. Quelque temps plus tard dans la ville,
une procession avec l’Icône de la Mère de Dieu de Koursk passait justement dans la rue où
habitaient les Mochkine. Comme il se mit à pleuvoir et pour prendre un raccourci, la
procession passa par la cour des Mochnine. La mère de Prokhore se pressa pour le présenter à
l’Icône et depuis ce jour, son état s’améliora. Cette maladie ainsi que sa chute n’ébranlèrent
nullement la solide santé de Prokhore. Le garçon grandissait en force avec une grande
sensibilité et il se faisait remarquer par sa très bonne mémoire ainsi que par ses vertus
d’humilité et de douceur qui chez lui paraissaient innées.
Il faut noter qu’à cette époque on apprenait à lire principalement dans le Psautier et la beauté
des églises avec leurs Offices imprimait dans l’âme des enfants chaleur, pureté et élévation de
pensées. Le jeune Prokhore se sentait attiré par ces sources salvatrices et prit goût à la lecture
des Saintes Ecritures à l’église ainsi que celles faites par les adultes. Ayant appris ensuite à
lire les Heures et le Psautier, la fréquentation des Offices devint pour lui d’une nécessité
vitale. Ce zèle pour l’Eglise et l’éducation de la Parole de Dieu eurent une grande influence
sur le futur destin de Prokhore. Fortifié spirituellement, il se formait en lui la décision de
quitter le monde pour se consacrer à la vie austère de Moine. Cette décision mûrit
complètement dans sa dix-septième année. Intelligente et favorable à la piété chrétienne, sa
mère ressentit dans son coeur maternel la vocation véritable de son fils et ne l’empêcha pas de
réaliser ses projets secrets.
II
Jadis, la vie des Orthodoxes russes dans ses nombreuses manifestations était remplie de
moeurs édifiantes et suscitait de touchantes coutumes solennelles si belles par leur simplicité.
Si un membre de la famille s’apprêtait à partir en voyage à pied ou en voiture, tout le monde
devait s’asseoir durant un silence plein de Grâces qui emplissait et ceux qui partaient et ceux
qui restaient. Durant ces minutes, une pensée terrible pouvait leur venir à l’esprit : n’avait-on
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rien oublié d’essentiel ou d’important et emportait-t-on aussi en soi la paix et la sérénité de
l’âme? Ainsi cette tradition russe était aussi fortement enracinée dans la famille Mochnine et
les adieux de son fils Prokhore furent émouvants quand celui-ci partit vénérer les Saints de
Kiev et là-bas dans le silence auprès des Saints et des Startzy, y éprouver sa décision de
quitter les vanités du monde.
Pendant les adieux, tous assis en silence durant ces secondes pensaient certainement à de
nombreuses choses, priaient Dieu quand Prokhore se prosterna devant sa mère qui lui fit
embrasser les Icônes du Sauveur et de la Mère de Dieu, le bénit en lui donnant une grande
Croix de cuivre. C'est seulement après qu'il partit. Il garda et porta cette Croix par-dessus son
vêtement ouvert sur la poitrine durant toute sa vie et jusqu’à sa Naissance au Ciel.
Accompagné de la bénédiction de sa mère et de ses proches, Prokhore arriva à Kiev. La
magnificence des églises et l’abondance des Lieux Saints et des monastères où vivaient de
nombreux Moines lui procurèrent une joie spirituelle ineffable.
Aussitôt, il alla trouver le Staretz Dosithée, un Reclus doué de clairvoyance et d’une très riche
expérience spirituelle qui vivait à cette époque dans le Désert de "Kitaïev" non loin de la
Laure des Grottes de Kiev. Le jeune Prokhore frappa avec crainte, joie et frémissement à la
porte de la cellule de Dosithée le Reclus. Il entra et s’agenouilla. Versant d’abondantes
larmes, il lui ouvrit son âme, ses pensées puis humblement lui demanda conseil. Ayant reçu sa
bénédiction, il lui demanda vers qui il convenait de se diriger pour une direction spirituelle
salutaire afin de combattre le mal et où il pourrait trouver ce lieu, cette cellule et ces pierres
d’église qui représenteraient pour lui des étapes sûres dans son cheminement spirituel.
Le Staretz Dosithée caressa le jeune garçon et lui indiqua le Désert de Sarov. Réjoui et rassuré
par l’ordre du Reclus après avoir apaisé sa faim spirituelle et vénéré les Vénérables Reliques
des Saints de Kiev, Prokhore revint pour peu de temps vers sa ville natale de Koursk dans sa
famille. Il quitta alors définitivement le nid familial pour les lointaines forêts de pins du
Désert de Sarov.
Le 20 novembre 1778, veille de la fête de la Présentation au Temple de la Très Sainte Mère de
Dieu, Prokhore alors âgé de dix-neuf ans parvint à Sarov. On peut imaginer avec quel
sentiment émouvant d’humilité le jeune pèlerin aperçut le monastère que Dieu lui destinait.
C’était en hiver et les frimas ne refroidissaient pas l’ardeur du pèlerin. L’épais blanc manteau
de neige correspondait bien à la pureté des désirs du jeune homme, la silhouette imposante
des pins et des sapins séculaires, par leur parure, disaient la Vie Eternelle que rien ne peut
emprisonner ni geler et des forces souterraines mystérieusement donnaient aux arbres une
vivante et verte beauté.
Il faut admettre que la seule vue du Désert de Sarov qui fait partie de l’histoire Sainte de
l’ascétisme donne à l’homme une chaleur toute particulière. Ce site très pittoresque avec le
monastère construit sur un escarpement élevé et les coupoles de l’église de la Dormition
visibles de loin dans les environs, attire le voyageur fatigué par son calme monastique et
accueillant. Là, au bas de la colline où se situe le monastère, les deux rivières Satis et Sarvka
se rejoignent et aux alentours s'étale l’épaisse forêt sans aucune habitation.
III
En ce temps-là, le Recteur du Désert était le sévère mais tendre Higoumène Pakhôme. Issu lui
aussi d’une famille de marchands, il connaissait les parents de Prokhore. Grâce à son regard
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expérimenté, il devina toute la force et la pureté d’intention du jeune homme puis le reçut
paternellement et le remit à l’obédience et aux soins du trésorier, le Hiéromoine Joseph.
Auprès de ce Staretz, Prokhore dut accomplir le service de la cellule puis comme novice, il fut
envoyé à la boulangerie pour les prosphores et à la menuiserie. Il devait aussi réveiller les
frères pour les Offices du matin et remplir la fonction de sacristain.
L’ensemble des activités du jeune novice ne s’arrêtait pas uniquement à l’exécution facile du
travail même fatigant. Avec son grand zèle, il fixa son attention sur sa propre vocation, sur ce
qui justement constitue le plus important et l’unique raison d’être du Moine. Il se mit à se
rééduquer, se surveillant constamment tout en aspirant à la perfection morale. C'est là que le
jeune homme élevé avec la Crainte de Dieu comme dans toute famille orthodoxe russe,
s’engagea avec vigueur et zèle sur le chemin de l’abnégation : obéissance dans le travail,
douceur et tempérance mais surtout la prière, voilà tout ce qu'était maintenant sa Règle de vie.
Il savait qu’ici, au monastère, sous la conduite rigoureuse de Startsy éprouvés dans leur vie
spirituelle, il lui était plus sûr de se garder des tentations du monde et qu’il y aurait plus de
possibilités d’exploits ascétiques pour découvrir totalement en lui-même l’esprit évangélique.
Fermement décidé à accomplir spirituellement son exploit, il s’engagea joyeusement sur ce
chemin d’accomplissement à partir des conseils de la vie monastique de Saint Jean Climaque :
"Comme le navire qui avec un pilote habile arrive sain et sauf au port avec l’Aide de Dieu,
ainsi en va-t-il de l’âme guidée par un bon pasteur; elle s’élève facilement vers le Ciel, bien
qu’elle fut auparavant pécheresse… Comme celui qui sans guide va sur un chemin inconnu et
peut facilement se perdre, bien qu’il soit raisonnable, de même en est-il dans le monachisme :
celui qui accomplit l’obédience de sa propre volonté périt facilement malgré la connaissance
de la sagesse du monde."
Cette attention si sérieuse et réfléchie de lui-même sur son comportement de Moine se
reflétait par-dessus tout lorsque le jeune novice assistait avec assiduité aux Offices tout en
restant debout sans bouger et toujours à la même place du début jusqu’à la fin. Il
accomplissait aussi d’une manière stricte la Règle monastique dans sa cellule.
Bien entendu, il est difficile d’imaginer que Prokhore âgé de vingt ans ne pouvait avancer sur
cette voie monastique sans obstacle ni combat. Les pensées, les peines, l’ennui, l’abattement,
ces compagnons permanents du péché qui empoisonnent la vie quotidienne dans le monde,
passent aussi bien sûr aussi à travers les murs des monastères. Et le Moine Prokhore
repoussait victorieusement et avec force ces pièges diaboliques tout en menant le combat dans
une surveillance constante et en s’imposant une Règle de travail.
Chez lui, Prokhore lisait les Saintes Ecritures et accomplissait des travaux physiques. Il lisait
l’Evangile et les Epîtres des Apôtres toujours débout ainsi que l’Hexameron de Saint Basile le
Grand, les entretiens de Saint Macaire le Grand, l’Echelle Sainte de Saint Jean Climaque, la
Philocalie et beaucoup d’autres livres au contenu moral et religieux. Cette grande
connaissance des Saints Pères développa en lui la capacité d’appliquer tout ce qu’il lisait au
travers des comportements divers de l’être humain, de là son aptitude à éclaircir toute
situation par ses décisions claires et conformes à la Parole de Dieu.
Par son activité physique, il participait aux travaux en commun des Moines : flottage du bois,
préparation des bûches et pendant son repos, il sculptait des Croix en bois de cyprès pour les
distribuer aux fidèles. Mais la prière et l’abstinence était ce qu’il aimait par-dessus tout.
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Devenu un très grand Ascète, jeûnant et travaillant, le Moine Prokhore était déjà conscient du
sens de l’Ascèse et de la douceur de l’état monastique. Par la suite, sa vie fut un exemple
concret d’ascétisme, d’un constant travail sur soi, de négation de soi, d’abstinence, de
renoncement aux plaisirs et aux consolations du monde, tout ce qui constitue
malheureusement le lot d’un petit nombre de gens forts.
Actuellement et à diverses époques sont apparues de nombreuses associations sportives où
l’on exerce volontairement ses membres, ses muscles et développe la plastique et le rythme du
mouvement, ce qui aide au développement du corps, à la santé physique et procure du bienêtre
et la société approuve toute sortes de ces sports. Mais dans le même temps quelles vives
attaques n’a-t-on pas entendues et entendons-nous encore au sujet de l’ascétisme dans les
enseignements de l’Eglise qui est cependant l’essence et le fondement même de toute
spiritualité chrétienne.
Les livres et les journaux profanes principalement, s’indignent souvent avec méchanceté
contre l’ascétisme et le monachisme et s’opposent aux chercheurs de la Vérité et du
renouveau religieux. Pourquoi, pensent-ils, tous ces jeûnes, ces stations debout à l’église, ces
larmes de mortification, cette contrition des péchés alors qu’il est dit que le Christianisme est
la religion de la joie et de la gaieté et que le monachisme la recouvrirait de peine et d’un habit
noir? Dieu a donné à l’homme, l’univers, une famille, la vie pour se réjouir mais le
monachisme qui exige le refus austère de tous ces biens, cela pourrait paraître contre-nature.
Il nous a semblé nécessaire ici d’introduire cette courte réflexion sur le monachisme et
l’ascétisme car d’une part l’athéisme virulent et contemporain essaie d’effacer de la surface de
la terre l'idée même de monachisme et d’autre part parce que les Orthodoxes, par les
conditions de vie à l'occidentale, sont obligatoirement amenés à côtoyer d’autres conceptions
au sein de mouvements chrétiens à caractère sectaire qui n’ont aucun enseignement sur le
jeûne, l’Ascèse et les voeux monastiques.
Par ailleurs et en se reportant à des époques anciennes, nous découvrons que les Déserts
égyptiens qui se comptaient alors par dizaines de milliers, s’avéraient être le royaume des
Moines. L’histoire du peuple orthodoxe russe nous convaincra aussi par l’édification de
centaines de monastères qui dans le passé surgirent à l’extrême Nord dans des régions
absolument désertiques peuplées d’indigènes, telles les régions austères et sauvages
d’Arkhanjebsk, d’Oloretz, de Vologda, de Viatka, la région de Moscou de Iaroslav et de
Pochekhon. Ces monastères ont brillé comme des étoiles car les Moines et Ascètes qui
parcouraient les forêts impénétrables de ce Nord alors Désert, laissèrent partout des skites (ou
skètes) [=ermitages], des monastères et tant d’autres Lieux Saints.
Le monachisme a donc laissé dans la société russe et dans la vie privée des individus une
empreinte d’ordre, de paix, de pureté et a su inspirer l’obéissance envers les aînés, la bonté, la
patience, l’espérance en la Miséricorde et dans la Volonté de Dieu ainsi que l’indifférence aux
biens terrestres. Serait-ce mauvais? Il est vrai que les vertus chrétiennes exigent de chacun
cette vie d’Ascèse : patience et humilité, chasteté, douceur et abstinence. Ainsi par nature, des
hommes qui aspirent à un séjour paisible hors des bruits du monde, devenus étrangers à une
vie de famille, priant et contemplant les Choses Divines, deviennent-ils Moines.
Pourquoi les éloigner de l’Ascèse? Y-a-t-il si peu de circonstances dans la vie où les gens
fuient les obligations profanes par devoir? Ici, au contraire, une seule Règle : celui qui en est
capable, celui-ci doit accomplir l’exploit ascétique. Otez l’ascétisme de la religion et non
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seulement la force qui anime cette part de l’âme humaine fuira le monde mais se tarira aussi la
source de toute autre Infusion de l'Esprit de Dieu.
Le peuple orthodoxe russe a vénéré le Saint Ascétisme, a recherché la vie des monastères, a
fait de Pieux Pèlerinages pour vivre pendant de longues années auprès de Startsy connus et
devenir ainsi ce flambeau de Foi et de piété.
Voilà l’idéal de vie que le jeune Prokhore portait en son coeur. Il s’y appliquait de toutes ses
forces dans un grand élan spirituel et durant ses premières années au monastère, Prokhore
s’imposa un jeûne très sévère. Il ne mangeait ni le mercredi ni le vendredi et les autres jours
de la semaine, il ne prenait de la nourriture qu’une fois par jour. Avec la bénédiction et
l’autorisation de son Staretz Joseph, le jeune Prokhore se mit à rechercher la prière solitaire à
ses moments libres dans la forêt. Au plus profond de celle-ci, il se construisit une hutte pour
s'y abîmer dans la prière contemplative. Dans le silence et loin des hommes, il s’adonnait avec
amour à sa Règle de prière, entouré des splendeurs immuables de la nature qui lui dévoilait la
Grandeur du Créateur Tout Puissant.
En 1780, Prokhore tomba gravement malade. Son corps était enflé et la maladie ne cédait à
aucun traitement, sans doute une hydropisie qui dura trois ans et pendant laquelle il resta alité
un an et demi. Le respect inhabituel que les Startsy et les frères de Sarov avaient pour le jeune
Moine se manifesta aussi durant sa maladie. Le Staretz Joseph, l’Higoumène Pakhôme et le
Staretz Isaïe étaient constamment avec lui et les frères lui accordaient toute leur attention et
leur prière. Un jour, le Staretz Joseph pria pour la santé de Prokhore durant la Divine Liturgie.
Le malade se confessa et communia. Et voici que dans une Lumière ineffable la Mère de Dieu
lui apparut avec les Saints Apôtres Jean le Théologien et Pierre. Notre Souveraine montrant le
novice à Saint Jean le Théologien lui dit : "Celui-ci est de notre race." Elle posa Sa Main
Droite sur sa tête et avec le sceptre qu’Elle tenait dans Sa Main gauche, toucha le malade. Le
signe visible de ce contact fut une cavité sur la jambe de Prokhore à travers laquelle
s’écoulèrent de l’eau et du pus, ce qui le faisait tellement souffrir. Ensuite, Prokhore se trouva
guéri par Miracle.
On se mit bientôt à construire dans Sarov de nouveaux bâtiments. La cellule où vivait
Prokhore et dans laquelle avait eu lieu sa guérison miraculeuse fut détruite et sur son
emplacement, on construisit un hospice pour vieillards et une église à deux étages; celui du
bas fut placé sous l’invocation des Saints Zossisme et Savra de Solovki et celui du haut sous
l’invocation de la Transfiguration du Seigneur.
Désigné pour collecter les dons nécessaires à la construction de cette église, le Moine
Prokhore alla donc dans de nombreuses villes et villages de notre mère la Russie et comme le
dit Vekrassov : "Pour lui, rien n’est éloigné, il passait de Moscou à la Mer Caspienne et aux
bords de la Néva impériale…" Il séjourna aussi dans sa ville natale de Koursk chez son frère,
se rappela son enfance et de leur mère si tendrement aimée qui reposait en terre; il alla au
cimetière et resta longtemps à se recueillir dans la prière sur la tombe de ses parents. Son frère
Alexis qui gérait bien ses affaires, fit un don généreux pour l’église du monastère.
Dans certaines biographies de Saint Séraphim, on nous renseigne sur l’apparence extérieure
du novice à cette époque : "Pas beaucoup plus âgé de vingt-cinq ans, il était de grande taille
avec un visage pâle et rond, le nez droit et effilé, des yeux bleu clair expressifs et pénétrants,
des sourcils broussailleux, des cheveux épais de couleur châtain clair. Il était fort et robuste,
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possédait un discours attirant, une mémoire exceptionnelle et une faculté de compréhension
aiguë.
IV
Le 13 août 1786, Prokhore fut tonsuré et reçut le nom de Séraphim, ce qui signifie
"flamboyant." Celui qui reçut Prokhore voulait lui imprimer pour toute sa vie cette flamme
spirituelle qui se pressentait déjà dans le jeune novice. Un an plus tard, en décembre 1787, il
fut ordonné Hiérodiacre et depuis lors pendant six ans il participa presque toujours aux
Offices. Il renforça sa prière en cellule; la veille du dimanche et des fêtes, il priait debout
toute la nuit sans ressentir de fatigue et sans avoir besoin de repos. Grâce à de tels exploits, le
Père Séraphim eut le privilège de révélations particulières.
Parfois il voyait des Anges en vêtements blancs et or concélébrer avec les frères durant les
Offices monastiques. Le Hiérodiacre Séraphim eut le privilège particulier d’une vision
remarquable durant la Divine Liturgie du Grand Jeudi Saint : "Quand après la petite entrée, le
Hiérodiacre Séraphim proclama : "Seigneur, sauve les fidèles et écoute-nous" puis s’étant
adressé au peuple il termina en disant : "et dans les siècles des siècles," soudain il se produisit
en lui un changement car il ne pouvait plus bouger de sa place et dire un mot. Les célébrants
comprirent qu’il avait une vision. Les autres Hiérodiacres l’amenèrent dans le sanctuaire où il
resta trois heures, tantôt le visage tout illuminé, tantôt tout pâle, n’étant pas en état de
prononcer un seul mot. Quand il revint à lui, il raconta sa vision aux Pères Joseph et
Pakhôme, ses Startsy.
"Je venais de proclamer,"disait-il, " 'Seigneur, sauve les fidèles et écoute-nous' et levant
l’orarion sur le peuple, je terminais, 'et dans les siècles des siècles' quand soudain comme un
rayon de soleil m’éblouit et je vis Notre Seigneur Jésus-Christ comme le Fils de l’Homme en
Gloire, brillant d’une Lumière ineffable et entouré des Puissances Célestes, des Anges, des
Chérubins et des Séraphins, tels un essaim d’abeilles, s’élevant dans l’air à partir des portes
occidentales de l’église. Le Seigneur S’approcha de l’ambon, éleva Ses Mains Très Pures et
bénit les célébrants et les fidèles. Puis Il entra par les portes royales là où se trouve sa Sainte
Image et entouré d’une multitude d’Anges, Il fut transfiguré tandis qu’une Lumière Ineffable
remplissait toute l’église. Moi qui ne suis que terre et cendre, à cette Rencontre du Seigneur
Jésus-Christ, je fus trouvé digne de Sa Part d’une bénédiction particulière. Mon coeur se
réjouit de toute sa pureté, éclairé dans la douceur de l’Amour envers Dieu."
Cette apparition miraculeuse renforça son exigence de la prière solitaire et il alla plus souvent,
le soir dans son ermitage, en forêt, y priait toute la nuit et le matin repartait à Sarov.
V
Le 12 septembre 1793, appelé par son Evêque dans la ville de Tambov, le Hiérodiacre
Séraphim fut ordonné Hiéromoine et à partir de ce jour-là, vivant au Désert même, il
communia tous les jours. Investi de la Grâce du sacerdoce avec quelle dévotion et quel Amour
il accomplissait le Service de la Sainte Eglise! Comme un Séraphim Céleste, il se vouait
entièrement au Service de Dieu, se fortifiait par sa prière devant Lui nuit et jour; il ne pensait
plus ni à manger ni à boire et regrettait d’avoir besoin de repos et de ne pouvoir servir Dieu
sans interruption. La tâche de sa vie consistait dès lors, selon son expression personnelle "en
la construction définitive de la demeure de l’âme." Désormais sa poitrine porte un coeur
semblable à de la cire qui recèle dans une joie ineffable les Visions Célestes dont il est habité.
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A cette époque le Père Séraphim était déjà bien préparé pour le grand exploit ascétique
qu’était la vie d'Anachorète au Désert. Le Recteur du monastère, le Père Pakhôme, s'endormit
bientôt et avant de naître au Ciel, il lui donna sa bénédiction afin qu’il commence son activité
solitaire.
Le 20 novembre 1794, le Hiéromoine Séraphim âgé de trente-cinq ans partit dans l’épaisse
forêt à cinq ou six verstes du monastère près de la rivière Sarovka pour s’isoler dans sa cellule
au Désert. Le prétexte de ce départ fut qu’à cause de ses longues stations debout à l’église ou
de ses prières en cellule, ses jambes s’étaient mises à enfler et des ulcères s’étaient formés.
Sa cellule en forêt, une simple isba avec une entrée de quelques marches, comportait un poêle;
elle était entourée d’un potager que le père cultivait l’été. Il possédait aussi des ruches.
Il était habillé des vêtements des plus simples et des plus rudes avec sur la tête une petite
toque usée, sur ses épaules une soutane de lin blanc, aux mains des moufles en cuir et aux
pieds des sortes de bottes comme des chaussettes en cuir. On pouvait voir sur sa poitrine une
Croix en cuivre, celle que sa mère lui avait remise au moment de son départ et sur son dos un
sac qui renfermait toujours les Evangiles. Hiver comme été, il portait toujours les mêmes
habits. Au travail, il était toujours d’humeur joyeuse et radieuse. Il arrivait que pendant son
travail sa pelle ou sa bêche tombent soudain de ses mains tandis que son visage prenait une
expression extraordinaire et il restait ainsi debout et immobile, s’abîmant dans la
Contemplation des Mystères Divins.
Il travaillait toujours en entonnant des chants liturgiques qu’il connaissait par coeur comme le
dogmatique, ton 1 : " Gloire universelle… " et l’antiphone : "Les Anachorètes ont toujours
soif de Dieu." La Règle de prière au Désert était très importante et très stricte et souvent, à la
place des prières du soir, il faisait mille prosternations d’un seul coup. Le Père Séraphim ne se
nourrissait pour ainsi dire que de légumes et le dimanche il prenait du pain rassis et sec au
monastère pour toute la semaine mais le distribuait presque entièrement aux oiseaux et aux
animaux de la forêt qui venaient jusqu’à lui et qui l’aimaient. Il lui arrivait parfois de refuser
de prendre du pain au monastère. Il arriva à un tel degré de jeûne que pendant presque trois
ans, il ne se nourrissait que d’herbe, d’égopode qu'il cuisait dans un pot et faisait sécher pour
l’hiver.
Les Dimanches ainsi que la veille et les jours de Fêtes, le Père Séraphim se rendait au
monastère et durant les Offices restait debout puis communiait aux Saints Mystères. Ces
jours-là, il parlait avec les Moines qui avaient besoin de ses sages conseils et ensuite repartait
au Désert. En un mot, le Père Séraphim se consumant d’Amour pour Dieu, se livrait au Désert
à des formes d’oubli de soi et à la Règle de prière. "L’isolement, la prière, l’Amour et la
tempérance sont les quatre roues qui emportent l’esprit vers le Ciel" disait-il souvent et il était
le premier à l’appliquer.
Durant ces années, le Père Séraphim évitait les visiteurs par tous les moyens. D’habitude il
saluait humblement les gens qu’il rencontrait dans la forêt et aussitôt s’en écartait. Ceux qui
voyaient l’Ermite pour la première fois étaient fortement impressionnés. La seule vue de ce
Serviteur de Dieu habillé pauvrement touchait l’âme et témoignait de quelque chose de
sublime et de spirituel tout en inspirant de la vénération aux hommes mais aussi aux bêtes
sauvages. Quel tableau extraordinaire et touchant que l’Ascète Séraphim qui nourrit de ses
propres mains un ours de la forêt qui le regarde avec une tendresse toute particulière et qui lui
13
obéit ! A ce moment-là, regardez attentivement le visage du Père Séraphim qui brille d’une
Lumière Angélique de joie et de Miséricorde et vous pourrez y déchiffrer le secret de
l’humilité et de l’obéissance de l’ours.
Mais la vie intensive de l’Ascète excita la méchanceté cruelle du démon qui lui infligea
diverses épreuves. Un jour, pendant la prière, le Père Séraphim entendit un hurlement sauvage
à l’extérieur de sa cabane. Une autre fois, il sentit que toute une foule de personnes bruyantes
qui frappait à sa porte la brisa puis jeta à l’intérieur un énorme morceau de bois que huit
personnes auraient eu bien du mal à enlever. Parfois durant la prière, il lui semblait que sa
cellule s’effondrait et que des bêtes sauvages se jetaient sur lui en hurlant ou il voyait aussi un
cercueil ouvert d’où sortait un cadavre.
Le Père Séraphim surmontait toutes ces épreuves et visions extérieures par la puissance du
Signe de la Croix mais alors l’ennemi redoublait ses attaques avec une rage encore plus
grande; il soulevait l’Ascète et le jetait avec une telle force à terre que ses os auraient dû se
briser si l’Aide de Dieu ne l’avait pas préservé à cet instant. On peut penser que le Père
Séraphim éprouvait à sa mesure la force tentatrice des esprits du mal. A la question naïve d’un
laïc au sujet des démons, l’Ascète répondait en souriant : " Ils sont abjects. Ainsi qu’un
pécheur ne peut soutenir l’éclat d’un Ange, ainsi est-il terrible de voir les démons car ils sont
abjects."
Durant ces années, le Père Séraphim fut élu deux fois Higoumène et Archimandrite du
monastère mais par modestie il refusa ces propositions. Devant une telle humilité, le diable fit
s’abattre sur lui un nouveau malheur terrible encore plus puissant quand il suscita dans son
âme par de très fortes tentations un combat spirituel. Le Père Séraphim peinait; en effet celui
qui fixe son attention sur sa vie spirituelle peut contrôler plus sévèrement les mouvements de
son coeur par une conscience de plus en plus aiguë mais alors les agressions de l’ennemi se
feront de plus en plus fortes. Car dans le combat spirituel, l’ennemi souvent attaque là où se
trouvent concentrées les forces principales afin de mieux briser et détruire tout principe de
résistance. Invoquant le Secours du Christ Sauveur et de la Mère de Dieu, le Père Séraphim
décida de réaliser l’exploit des Stylites.
VI
Dans la forêt, à mi-chemin entre sa cabane et le monastère, se trouvait une très grande pierre
de granit. C’est à cet endroit le Père Séraphim décida de devenir Stylite. Chaque jour à la
tombée de la nuit, il restait en prière debout ou agenouillé sur la pierre et les bras levés il
répétait sans cesse : "Seigneur, aie pitié de moi grand pécheur…" Il déposa aussi dans sa
cellule une autre pierre sur laquelle il priait dans cette même attitude, durant tout le jour. Il
accomplit cette grande prouesse pendant mille jours et mille nuits. Un tel effort physique et
une prière ininterrompue lui procuraient de grandes consolations. Le malin arrêta d’éprouver
le Père Séraphim dont l’âme s’était forgée et les tentations cessèrent de troubler ses pensées.
Cependant, à cause de ces stations durant presque trois ans, son état physique s’était affaibli et
l’état de ses jambes de nouveau avait empiré. "Les forces humaines n’étaient pas suffisantes,"
dira à ce propos le Père Séraphim, "Je trouvais une force intérieure et un Don Céleste issu du
Père des Lumières qui me consolait. Quand notre coeur s’adoucit alors Dieu est présent."
Déjà âgé et peu de temps avant sa Naissance au Ciel, l’Ascète Séraphim se confia à ses frères
au sujet de ces longues stations. Les pierres sur lesquelles le Père Séraphim a prié existent
encore de nos jours mais il ne reste plus qu’un seul morceau de la grande pierre. Ceux qui
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venaient en pèlerinage à Sarov pour vénérer le Père Séraphim en emportaient des morceaux
en souvenir. Longtemps dans les familles orthodoxes russes, on gardait pieusement des
morceaux de granit sur lesquels était représenté le Père Séraphim en prière et qui furent
transmis à leurs descendants.
Un exemplaire de cette pierre est conservé à l’église de Saint Séraphim de Sarov, 91, rue
Lecourbe à Paris. C’est un don rapporté de Russie de Tsarskoïe Selo que fit Ekaterina
Serguievna Dokhtourosa à l’auteur de ces lignes. Là se trouve aussi une petite parcelle de la
mante de Saint Séraphim de Sarov (don de l’Archevêque Alexandre, un fervent admirateur de
Saint Séraphim qui l’invoquait avec force). Ces deux Saintes Reliques avec un peu de farine
donnée jadis à Sarov, ont été insérées dans l’Icône de Saint Séraphim qui repose sur l’analoï
devant laquelle une veilleuse brûle maintenant à Paris en l’honneur de l'Homme de Dieu,
depuis déjà plusieurs années ans.
Les épreuves du Père Séraphim n’étaient pas encore terminées. Le 12 septembre 1804, il était
en train de couper du bois en forêt lorsque trois paysans inconnus s’approchèrent de lui et lui
demandèrent de l’argent en l’insultant avec grossièreté. Sans se servir de sa hache pour se
défendre, bien au contraire, il la posa et croisant les bras leur dit : "Faites ce que vous devez."
Ils le frappèrent à la tête avec la hache, aussitôt du sang s’écoula de sa bouche et des oreilles
et il tomba raide mort. Enfin, ils le ligotèrent, voulurent le noyer dans la rivière mais pensant
qu’il était déjà mort, ils le jetèrent dans l’entrée de sa cellule qu’ils fouillèrent minutieusement
pour y chercher de l’argent. N’en trouvant pas, ils ne virent qu’une Icône et quelques pommes
de terre. Déçus, les brigands se mirent en colère, s’affolèrent puis prirent peur et s’enfuirent.
Peu de temps après, le Père Séraphim revint à lui, défit ses liens avec peine et avec l’Aide de
Dieu arriva le lendemain à Sarov pour la Divine Liturgie. A ce moment-là son aspect était
terrible, ses cheveux et sa barbe emmêlés tout couverts de poussière, étaient collés par le sang
coagulé. Ses mains et son visage étaient fortement ensanglantés quelques dents étaient cassées
et son habit tâché de sang collait par endroit aux plaies de son corps. Les médecins accourus
d’Arzamas trouvèrent des fractures du crâne, des côtes et la poitrine enfoncée et s’étonnèrent
de le voir encore en vie. Quand ils l’auscultèrent, le Père Séraphim s’endormit et eut une
vision de la Très Sainte Mère de Dieu qui s’approcha de son lit avec les Saints Apôtres Pierre
et Jean le Théologien et leur montrant l’Ascète dit : "Celui-ci est de notre race." Se réveillant,
le Martyrisé ressentit un soulagement et une joie intense de plénitude spirituelle. Le même
jour et pour la première fois depuis son agression, il s’alimenta d’un peu de pain et de chou
salé.
Sauvé par Miracle d’une mort inévitable, le Père Séraphim resta cependant cinq mois au
monastère jusqu’à son complet rétablissement puis retourna à son ermitage. Toutes ces
blessures ajoutées aux séquelles dues à la chute d’un arbre sur lui changèrent son apparence.
Jusque là élancé, il marche désormais courbé, appuyé sur un bâton, une hache ou une pioche.
Ses agresseurs, des serfs du Comte Takychev du village de Kremenok, furent rapidement
retrouvés et à sa demande on pardonna aux malfaiteurs qui vinrent le voir, se repentirent et lui
firent la promesse de se corriger d’autant que le Seigneur Lui-même incendia leur maison et
ainsi furent-ils châtiés.
VII
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En 1807, s'endormit le deuxième Recteur du Désert de Sarov, le Saint Higoumène Isaïe tant
aimé et vénéré par le Père Séraphim et son Départ Céleste fut une grande épreuve pour lui.
Ses trois Startsy tant aimés, Joseph, Pokhôme et Isaïe auxquels il devait son entrée au
monastère, reposaient déjà dans la tombe. Très ému, le Père Séraphim vénérait leur mémoire
à chaque fois qu’il allait au cimetière du monastère et se recueillait longtemps sur leurs
tombes.
Devenu orphelin, le Père Séraphim se trouva un nouvel exploit ascétique : le silence. Le désir
de passer par cette Ascèse s’emparait de lui avec insistance. Saint Ambroise de Milan en
parlait ainsi : "J’en ai vu beaucoup se sauver par le silence, pas un seul par le bavardage." Il se
rappelait aussi les paroles d’un autre maître : "Le silence est un mystère du monde à venir; les
paroles sont des outils pour ce monde" et par la suite, il dira lui-même : "La solitude et le
silence engendrent l’humilité et la douceur, ils disposent l’homme à la piété, le rapprochent de
Dieu et font de lui un Ange terrestre."
Sa vie au Désert s’avérait maintenant insuffisante quand il décida de faire voeu de silence. A
présent, il évitait les visiteurs, ne les recevait plus dans son ermitage et s’il rencontrait
quelqu’un dans la forêt, il tombait la face contre terre et ne se relevait que lorsqu’il n’y avait
plus personne auprès de lui. Les jours de fête qui avaient lieu en semaine, un des frères lui
apportait de la nourriture au Désert puisque le Père Séraphim avait cessé de se rendre au
monastère même ces jours-là. Un hiver, le Moine venu par un chemin enneigé arriva chez le
silencieux pour lui apporter du pain et quelques légumes. Dès son entrée dans l’antichambre
de la cellule, le Moine déposa par terre la nourriture. Sans lever les yeux sur lui, le Père
Séraphim le prit puis donna un morceau de pain ou de chou; par-là il signifiait au novice ce
qu’il devait lui apporter le lendemain. Voici en quoi il manifestait extérieurement son silence
tandis que la signification intérieure et l’essence même de cette Ascèse consistaient à un
renoncement de tous les soucis et biens de ce monde. Il vécut ainsi dans un tel silence environ
trois ans avant de s’engager sur une voie plus élevée : la réclusion.
Il avait alors cinquante ans quand l’assemblée des anciens Hiéromoines du monastère qui
commençaient à se soucier de ce taciturne afin qu’il puisse communier plus souvent aux
Saints Mystères du Christ, décida que le Père Séraphim viendrait soit à Sarov les dimanches
et jours de fête, soit qu’il devait revenir vivre au monastère. Au souvenir de ses voeux
monastiques qui l’engageaient à renoncer à sa volonté propre et à vivre l’obéissance, le
taciturne revint donc vivre au monastère.
C’est le 9 mai 1810 que Séraphim le Reclus, franchit à nouveau les portes du Monastère de
Sarov après quinze ans passés au Désert. Le Recteur et les frères l’accueillirent avec joie et
étonnement mais celui-ci fut d’autant plus grand quand le lendemain de son arrivée, le Staretz
après avoir communié aux Saints Mystères, s’enferma dans sa cellule sans en sortir ni
recevoir personne. Sa cellule était vide à part l’Icône près de laquelle brûlait une veilleuse
constamment et une bûche qui lui servait de chaise. Pour mortifier sa chair, il portait sous sa
chemise et attachée au cou une Croix en fonte de cinq verchoks [= 4,445 cm x 5]. Il ne portait
jamais de lourdes chaînes ni de cilice car il disait : "Si on nous a offensés en parole ou en
action et que nous supportons l’offense selon l’Evangile, voilà notre cilice."
A cette époque, il mangeait vraiment très peu et se nourrissait seulement de farine d’avoine,
de chou haché et ne buvait que de l’eau. Son voisin de cellule, Paul, était chargé de lui
procurer cette alimentation rudimentaire qu’il déposait à sa porte et repartait. Il arrivait que le
Père Séraphim ne prenne rien et alors le Moine Paul reprenait la nourriture.
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Sa Règle de prière demeurait aussi importante et difficile qu’auparavant. Dans la semaine, il
lisait tout le Nouveau Testament et pendant la lecture, il commentait à voix haute les Saintes
Ecritures. Venant près de sa cellule, de nombreux élus écoutaient de sa bouche même des
paroles édifiantes. Parfois, assis sur un livre comme s’il était en train de s’éteindre et abîmé
dans la contemplation, il s’arrêtait de lire les prières, se taisait tout en se tenant immobile
devant l’Icône. Tous les dimanches et jours de fête, il communiait aux Saints Mystères dans
sa cellule. Pour vivre toujours avec l’idée de la mort, le Père Séraphim avait déposé dans
l’entrée un cercueil en chêne près duquel il priait souvent, se préparant sans cesse à sa
dernière heure.
VIII
Passées cinq années d’austère réclusion, le Staretz Séraphim s’était un peu affaibli
physiquement mais la période de ses exploits n’était pas encore terminée. Il ne rompit ni son
silence ni sa réclusion même quand l’Archevêque du diocèse de Tambov, son Eminence Jonas
(futur Exarque de Géorgie) qui désirait le voir vint à Sarov. Son Eminence accompagnée de
l’Higoumène Niphonte s’approcha de la cellule du Père Séraphim mais la porte resta fermée.
L’Higoumène voulut insister pour que le Staretz leur ouvre la porte mais l’Archevêque n’y fut
pas favorable et plein de respect pour le Staretz, il dit : "Il ne faut pas insister, ce serait un
péché" et s’éloignant de la cellule, il laissa le Reclus en paix.
Puis après encore cinq années de réclusion, le Staretz Séraphim accepta de recevoir les frères
et les laïcs dans sa cellule et conversait volontiers avec eux, leur enseignant avec Amour la
Foi chrétienne et la piété. Le 25 novembre 1825, la Mère de Dieu lui apparut et lui ordonna de
sortir de sa clôture pour recevoir tous ceux qui auraient besoin de son soutien, de ses conseils
et de ses prières. A cette époque, le Père Séraphim qui avait alors soixante-six ans et avec sa
grande expérience de vie monastique d’un demi-siècle, s’engagea sur la voie du
"Starchestvo," à savoir la direction spirituelle des âmes.
Il faut préciser que le Starchestvo est le nerf le plus vital du véritable monachisme orthodoxe;
sans lui, il est impossible d’éduquer constamment l’esprit par le renoncement parfait à sa
propre volonté et à ses pensées. "Un Staretz au monastère, c’est une reine dans une ruche
d’abeilles auquel se soumet l’Higoumène lui aussi." Dans les écrits des Pères du Désert se
trouvent de nombreux exemples touchants d’humilité véritable envers le Staretz. Là où se
trouve un Staretz, c’est là que les Moines et les novices trouvent du réconfort, lui qui console
dans l’affliction, réconcilie dans la dispute, tranche les doutes, enseigne, édifie et prie avec le
Moine. Saint Séraphim disait au Père Antoine, l'Higoumène défunt de la Laure Saint Serge :
"Ne sois pas un père mais une mère pour les Moines." Et ceci s’appliquait bien plus au Staretz
qu’à l’Higoumène ou au Recteur. Un Recteur doit être parfois formellement sévère mais le
Staretz est toujours tendre et bon; l’Higoumène détient le pouvoir, le Staretz l’Amour; il peut
menacer : "Je te chasserai du monastère" quand le Staretz soupire, réfléchit et dit froidement :
"Fais comme tu l’entends" en faisant comprendre qu’il est offensé par la désobéissance et la
non-exécution de ses commandements. Aussi la menace : "Je ne t’aime plus, vis comme tu
l’entends," c’est bien plus que "je te chasserai" et devant une telle manifestation d’Amour, les
personnes sont prêtes à se prosterner et à verser des larmes de repentir afin que de nouveau il
leur pardonne et les aime.
Malheureusement dans la vie du monde on connaît peu la joie de la vie monastique mais
lorsqu’on s’approche de cette vie alors et par l’intermédiaire du coeur, on arrive à connaître la
joie du contact de l’esprit plein de Grâces du Starchesko et alors de nombreuses âmes aspirent
17
aux Saints Monastères afin de s’y désaltérer, de se renouveler spirituellement auprès du
Staretz bien aimé et ressentir la supériorité des valeurs spirituelles et intérieures sur la vanité
du monde. Et en effet ce contact spirituel et mystérieux près de tels Startsy ne cessera pas
après leur Naissance Céleste : l’Amour ne meurt jamais.
Il suffit de se rappeler ce que Saint Séraphim de Sarov disait à ses enfants spirituels : "Quand
vous serez affligés, venez sur ma tombe et racontez-moi tout comme si j’étais vivant et je
vous consolerai." Les âmes qui aiment de tels Startsy viennent sur leur tombe ou écrivent de
loin au monastère : "Vénérez-le, cher Père, allez sur sa tombe, murmurez-lui, ta fille, ton fils
est dans l’affliction, aide-nous Père très cher…" A partir de ces mots simples mais sincères,
dilués de larmes, on sent bien que l’on apprécie dans le Staretz son expérience spirituelle :
"La parole de l’expérience est une eau vive qui désaltère l’âme; la parole sans l’expérience est
une eau qui coule sur un mur; la parole de l’expérience c’est de l’or pur, sans l’expérience ce
n’est que du cuivre." Et des Startsy possèdent un tel trésor en abondance." Celui qui a été
tenté peut aider plus facilement celui qui est tenté." Voilà quelle force pleine de Grâce se
trouve dans le Starchesko et le Seigneur Dieu donne Sa Bénédiction au Père Séraphim sur ce
chemin.
IX
Le Père Séraphim aimait par-dessus tout converser avec les Moines. Il leur enseignait
l’exécution minutieuse de la Règle monastique, le zèle pour les Offices Divins. " Il faut
observer notre vie comme un cierge habituellement fait de cire et d’une mèche qui brûle "
enseignait l’Ascète Séraphim, " La cire, c’est notre Foi, la mèche l’Espérance et le feu
l’Amour qui les unit ensemble et la Foi et l’Espérance - comme la cire et la mèche-, brûlent
ensemble sous l’action du feu. Un cierge de mauvaise qualité émet une mauvaise odeur et
s’éteint, ainsi la mèche du pécheur devant Dieu répand une puanteur au sens spirituel. C’est
pourquoi en regardant un cierge qui brûle à l’église, nous pensons aussi au début, au
déroulement et à la fin de notre vie; comme le cierge fond allumé devant la Face de Dieu, de
minute en minute notre vie s’amenuise, nous rapprochant de la fin…"
"Cette pensée nous aidera ainsi à être moins distrait à l’église, à prier avec plus de ferveur et à
faire en sorte que notre vie devant Dieu soit semblable à un cierge de cire pure qui ne dégage
pas de mauvaises odeurs."
Dans l’oeuvre du Salut de l’âme, le Père Séraphim accordait une grande force à la
communion. Il conseillait aux Moines et aux laïcs de s’approcher de la Sainte Communion au
moment des douze grandes Fêtes et de ne pas oublier de jeûner pendant les Carêmes de
l’année. Il parlait de l’importance salutaire du Mystère de l’Eucharistie en ces termes : "Si
nous versions autant de larmes qu’un océan, nous pourrions comprendre le Seigneur pour la
vie qu’il nous a donnée en abondance par Son Sang et Son Corps Très Purs dont il nous
nourrit et qui nous lavent, nous purifient, nous vivifient et nous ressuscitent. Et approche-toi
sans douter, ne sois pas confondu et n’aies seulement que la Foi."
L’Amour et l’humilité étaient les qualités toutes particulières reprises dans les entretiens avec
le Père Séraphim. Quel que fût celui qui venait, pauvre hère ou homme riche quel que fût le
pécheur et l’état de sa conscience, il les recevait tous et tâchait de les aider et de les consoler
tous." Tous les jours dès la fin de la Liturgie du matin jusqu’à huit heures du soir, la cellule du
Père Séraphim était ouverte aux laïcs mais pour les Moines elle restait toujours ouverte. Seule
une veilleuse et des cierges allumés devant les Icônes éclairaient cette petite cellule et deux
18
fenêtres donnaient sur les herbages au loin. Par terre, il y avait des sacs de sable et de pierres
qui devaient certainement lui servir de lit.
Pendant ses entretiens, le Père Séraphim était vêtu comme à l’accoutumée de sa soutane
blanche et de sa mante et quand il communiait, il revêtait l’epitrakhil et des sur-manches. La
force de ses paroles venait surtout du fait que ce qu’il prêchait, il le mettait en pratique car
quels que soient les exercices spirituels qu’il recommandait aux autres, il les faisait lui-même
et les accomplissait avec l’Aide de la Grâce de Dieu.
"Enseigner aux autres," disait Père Séraphim, "c'est aussi facile que de jeter des pierres du
haut de notre église mais accomplir ce que tu enseignes, c’est porter des pierres au sommet de
l’église." Il accueillait avec un Amour tout particulier ceux qui voulaient se corriger et qui se
repentaient sincèrement de leurs péchés. Tout en parlant avec ces personnes, il leur imposait
l’epitrakhil et posant sa main droite sur leur tête il prononçait ces paroles : "J’ai péché,
Seigneur, j’ai péché en mon âme et en mon corps, en action, en pensée et par tous mes sens :
la vue, l’ouïe; l’odorat, le goût, le toucher, volontairement et involontairement." Ensuite il
prononçait la prière d’absolution habituelle, enduisait d’huile provenant de la veilleuse par un
Signe de Croix sur le front du visiteur et lui donnait, si c’était le matin, de l’eau bénite de la
Théophanie et du pain.
Les personnes repartaient remplis d’une joie inhabituelle dans l’âme. Le Père Séraphim
conseillait avec insistance d’avoir toujours dans le coeur la Prière de Jésus : "Seigneur Jésus-
Christ, Fils de Dieu vivant, aies pitié de moi, grand pécheur" "Toute ton attention et ton
éducation doivent être concentrées dans cette prière," enseignait-il. Mis à part cela, il insistait
surtout afin que chaque Chrétien suive au moins la petite Règle de prière. "Une fois éveillé,"
disait-il, "il faut dire trois fois le Notre Père, trois fois "Réjouis-toi Vierge Mère de Dieu" et
une fois le "Je crois en un seul Dieu." Ensuite au repos, en voyage ou au travail dire la Prière
de Jésus et en compagnie des autres, répéter en pensée : "Seigneur, aies pitié de moi;" avant le
repas, reprendre la Règle du matin; après le déjeuner jusqu’au soir, au lieu de la Prière de
Jésus dire : "Très Sainte Mère de Dieu, sauve-moi, pécheur;" avant de s’endormir, à nouveau
redire la Règle du matin. Celui qui n’a pas le temps, qu'il dise les Règles en chemin ou sur son
lit se souvenant que "tous ceux qui invoquent le Nom du Seigneur seront sauvés" et celui qui
a le temps qu’il lise aussi les versets de l’Evangile, les Acathistes et les Psaumes. Cette petite
Règle de prière a une grande qualité : la première prière du "Notre Père" est le modèle même
de la prière donnée par le Seigneur lui-même; la deuxième : "Réjouis-toi, Vierge Mère de
Dieu," fut celle prononcée par un Ange descendu du Ciel et la troisième, le Symbole de la Foi,
renferme tous les dogmes de la Foi.
Nous avons dit plus haut que la santé du Père Séraphim en ce temps-là était déjà bien
chancelante. A cause de ses nombreux travaux, des stations sur la pierre et de sa réclusion, il
souffrait des jambes et avait de forts maux de têtes, ce qui l’obligeait à respirer l’air pur et à
sortir souvent la nuit de sa cellule.
Depuis 1825 (après l’Apparition de la Mère de Dieu), depuis la bénédiction du Recteur, le
Père Séraphim allait tous les jours à deux verstes du monastère en un lieu qu’on appelait le
Désert proche, contrairement à son ermitage en forêt qui était le Désert lointain. Là il y avait
une source d’eau froide pure et fraîche près de laquelle un tronc d’arbre tenait lieu de chapelle
comme il en existait tant dans l’immensité de notre patrie à la croisée des chemins, près des
sources et des puits. Sur ce tronc, il y avait une Icône de Saint Jean le Théologien et c’est
pourquoi cette source s’appelait "Théologique." Autour de la source, il y avait des plates19
bandes que le Staretz dessinait tout en abaissant le fond de la source avec des pierres pour y
cultiver des légumes. Sur la colline, il y avait un abri où le Père Séraphim se protégeait de la
chaleur et le soir il rentrait à Sarov. Très tôt, vers quatre heures et même deux heures du
matin, il allait au Désert proche vêtu de sa soutane et de sa mante, portant une hache à la main
et un sac rempli de pierres ou de sable et surtout avec l’Evangile. Et quand on le questionnait
sur son sac, il donnait toujours en réponse ces paroles de Saint Ephrem le Syrien : "Je fatigue
celui qui me fatigue."
A cette époque de nombreux Orthodoxes russes de tous les lieux habités de notre patrie
désiraient voir le Père Séraphim et suivre ses conseils. Son nom commençait à circuler par le
bouche-à-oreille bien au-delà des limites gouvernementales de Tambov et des régions
voisines. On pouvait observer en ce temps-là à Sarov, durant les jours de fêtes, un très grand
spectacle particulièrement solennel quand le Père Séraphim revenait de l’église après avoir
communié aux Saints Mystères. Le Staretz voûté et vêtu de sa mante, de l’épitrakhile et de ses
sur-manches marchait lentement avec la marque d’une joie particulièrement radieuse sur son
visage de vieillard.
Partout sur la route du monastère ou du Désert, une foule de gens l’attendait. Ses entretiens
avec les visiteurs étaient remplis d’une grande force spirituelle, ses paroles enlevaient comme
un bandeau sur les yeux et ouvraient de nouveaux horizons. Il disait toujours ce qui était le
plus important et le plus utile dans des circonstances données. Ses paroles réchauffaient le
coeur, amenaient à la repentance, engendraient le désir de se corriger et de s’améliorer. Il
pénétrait l’âme des personnes et réveillait leur conscience endormie.
L’Ascète de Sarov a laissé un très grand testament spirituel aux jeunes générations, aux
enfants dans leurs rapports avec leurs parents. A l’époque actuelle alors que parmi les jeunes
générations on en voit beaucoup oublieux de leur devoir filial envers les parents et tandis que
les bons conseils et l’éducation reçus des parents ne trouvent pas de terre réceptive dans l’âme
de leurs enfants, le testament du Père Séraphim à une valeur toute particulière. Le Grand
Ascète enseignait aux enfants le respect envers les parents même si ces derniers avaient des
faiblesses qui les rabaissaient. Quant à l’oubli du devoir filial de ces jeunes, l’exemple suivant
est particulièrement instructif : un homme arriva chez le Staretz avec sa mère qui était
alcoolique. Il allait informer le Père Séraphim de la faiblesse de sa mère quand le Staretz posa
un instant sa main droite sur ses lèvres et ne lui permit pas de lui dire un seul mot à ce sujet.
Ainsi les fidèles orthodoxes se nourrissaient du réconfort plein de Grâce du Staretz Séraphim.
Parfois venaient à lui plus de deux mille personnes. Son Amour réchauffait chacun avec une
telle force que souvent des torrents de larmes coulaient des yeux de ceux dont le coeur qui
était dur comme la pierre se brisait en ce jour.
Le Staretz, Grand Zélateur de l’Orthodoxie, vénérait surtout la mémoire de ceux qui en
avaient expliqué et institué l’essence et il portait une grande attention aux oeuvres du Saint
Pape Clément, celles de Saint Jean Chrysostome, de Saint Basile le Grand, de Saint Grégoire
le Théologien [de Naziance] et aussi de Saint Athanase d’Alexandrie, de Saint Cyrille de
Jérusalem, de Saint Epiphane de Chypre et de Saint Ambroise de Milan. Il aimait se souvenir
de leur solide persévérance dans la Foi. Pour sauvegarder les dogmes de l’Orthodoxie, le
persuasif Staretz donnait l’exemple du Bienheureux Marc d’Ephèse qui avec un courage
inébranlable avait su défendre l’Orthodoxie au concile de Florence. Le Père Séraphim aimait
aussi à dire en quoi consistait la Véritable Orthodoxie et se réjouissait de ce que notre Eglise
renfermât en elle-même la Vérité du Christ dans toute sa plénitude et son intégrité.
20
L’Ascète avait aussi une très Grande Vénération pour nos Saints russes et il parlait de leur vie
et en tirait des exemples à imiter. En général, la vie des Saints représentait pour lui des lettres
vivantes dont il se servait pour enseigner le peuple. On a même conservé pour la postérité de
nombreux cas où par de simples conversations, il exerçait une influence étonnante sur des
visiteurs indifférents.
"Nous avons trouvé le Staretz qui travaillait au Désert," écrit par la suite un visiteur, "il
défaisait une plate-bande avec sa pioche. Quand nous nous sommes prosternés devant lui, il
nous a bénis et posant les mains sur ma tête, il a dit le Tropaire de la Dormition : "Dans la
Naissance, elle a gardé Sa Virginité…" Ensuite il s’est assis sur la plate-bande et il nous a
ordonné de nous asseoir mais nous sommes restés à genoux devant lui sans le pouvoir et nous
avons écouté ce qu’il disait sur la vie future, la vie des Saints, l’Intercession et la Protection
de Notre Souveraine la Mère de Dieu pour nous pécheurs et au sujet de ce qui est nécessaire
en cette vie pour la Vie Eternelle. Cet entretien ne dura pas plus d’une heure mais cette heure
n’a aucune comparaison avec toute ma vie passée. Tout au long de l’entretien, je sentais dans
mon coeur une Douceur Céleste Inexplicable sans aucun rapport avec quelque chose de
terrestre. Dieu Seul sait comme elle me fut infusée. Auparavant, tout le monde spirituel
m’était indifférent. Le Père Séraphim fut le premier à me faire éprouver Toute la Puissance du
Seigneur Notre Dieu, Sa Miséricorde Inépuisable et Sa Suprême Perfection."
Par dessus-tout, il possédait le don de clairvoyance à un niveau très élevé. Il disait lui-même à
l’un de ses enfants spirituels : "Ce que m’ordonne le Seigneur comme à un serviteur, je le
retransmets à celui qui le demande comme une chose utile. Je considère la première pensée
qui me traverse l’esprit comme un Signe de Dieu et je parle sans savoir ce que mon
interlocuteur a sur le coeur mais je crois seulement que c’est ainsi que Dieu me dévoile Sa
Volonté. Je n’ai pas de volonté propre et à qui semble bon, je le transmets." C’est pourquoi
grâce à ce sens mystérieux du don de clairvoyance, le Père Séraphim, sans avoir lu les lettres,
en connaissait le contenu et y répondait. Ainsi après sa Naissance au Ciel, on a trouvé
beaucoup de lettres non ouvertes mais les réponses avaient été données de son vivant.
Il a aussi prédit les années terribles de la campagne de Crimée et il disait que "Trois
puissances se monteront contre la Russie, ce qui l’épuisera énormément mais le Seigneur aura
pitié d’elle et la protégera grâce à l’Orthodoxie."
Le Staretz au regard juste avait aussi prédit la Glorification de Saint Mitrophane de Voronèze
et à l’occasion de l’Invention des Remarquables Reliques du Saint, il adressa une lettre de
félicitation à l’Archevêque de Voronèze alors qu’il n’y avait eu à cette époque aucune
révélation et aucun Miracle sur la tombe du Saint.
Le Père Séraphim connaissait par l’esprit de nombreux Ascètes avec lesquels il communiquait
quoiqu’ils fussent loin de lui et que jamais ils ne le virent. Par exemple, on connaît bien sa
relation remplie de clairvoyance merveilleuse avec Georges le Reclus du Don du Monastère
de la Mère de Dieu qui avait eu secrètement le projet de s’isoler encore plus. Personne à part
lui-même, ne connaissait cette hésitation secrète quand soudain un Staretz arriva chez lui et
lui dit : "Le Père Séraphim m’a ordonné de te dire : "N’as-tu pas honte, tu es resté tant
d’années en réclusion et tu serais vaincu par de telles pensées ennemies pour quitter cette
place? Ne va nulle part ailleurs : la Très Sainte Mère de Dieu t’ordonne de rester ici."
Par ce don de clairvoyance, le Père Séraphim communiquait spirituellement avec le Reclus
Daniel d’Atchinsk, retiré en Sibérie. En effet le Staretz Séraphim avait su lire de ses yeux
21
spirituels en quoi consistait le bonheur familial d’un officier propriétaire de la région de
Riazan. Celui-ci alla à Sarov et lui demanda de lui accorder sa bénédiction pour son mariage.
Le Père Séraphim lui indiqua une fiancée que Dieu lui avait désignée. Elle vivait non loin du
propriétaire et le Staretz lui dit son nom. Mais l’officier lui dit que c’est une autre qu’il devait
épouser. "Ceci ne t’apportera pas la joie mais le chagrin et les larmes," lui répondit le Staretz.
L’officier se maria selon ce qu’il avait choisi et moins d’un an après il devint veuf. Il retourna
chez le Staretz puis épousa ensuite celle qu’il lui avait indiquée la première fois et ils vécurent
heureux.
Le Père Séraphim avait aussi le don de guérison. Il enduisait les malades qui venaient à lui
avec de l’huile de la veilleuse qui brûlait dans sa cellule devant l’Icône de la Mère de Dieu de
Tendresse qu’il appelait "Joie de Toutes les Joies" et quand on lui demandait pourquoi il le
faisait, il répondait habituellement : "Nous lisons dans les Saintes Ecritures que les Apôtres
enduisaient d’huile les malades et que beaucoup étaient guéris. Qui faut-il suivre, sinon les
Saints Apôtres?" Et ceux qui recevaient de lui l’Onction guérissaient. Par les prières du Père
Séraphim, une telle vertu miraculeuse se transmettait aussi sur l’eau de la source du Désert
proche. Cette eau restée pure de nombreuses années, les malades venaient s’y lavaient toute
l’année et même durant l’hiver et obtenaient la guérison. Dans les vies écrites sur le Père
Séraphim, on rapporte de nombreux cas de guérisons miraculeuses grâce à cette eau bénite.
En effet en 1830, un jeune officier à cheval passa près de Sarov pour son activité militaire et
entendant en chemin les récits sur le Staretz, il désira aller le voir mais n’arrivait pas à se
décider, ayant peur que le Staretz dévoilât ses péchés devant les autres et surtout ses pensées
sur les Icônes. Il lui semblait que l’oeuvre des mains d’homme, souvent pécheresse, ne pouvait
contenir la Grâce et être un objet de Vénération. Mais peu après il dut repasser avec une
équipe de subordonnés près de Sarov et là, suivant le conseil de son père, il décida d’aller voir
le Staretz et voici que qui se passa par la suite.
"Près de la cellule, il y avait beaucoup de monde qui était venu chercher une bénédiction.
Bénissant quelques-uns, le Père Séraphim me regarda," écrivit ensuite l’officier, "et il me fit
signe de la main de m’approcher de lui. Je lui obéis avec crainte et avec Amour je me
prosterna devant lui demandant sa bénédiction pour suivre la route et partir, à l’époque à la
guerre avec ses prières pour la sauvegarde de ma vie. Le Père Séraphim me bénit avec sa
Croix de cuivre qui pendait sur sa poitrine, m’embrassa commença à me confesser, me disant
lui-même mes péchés comme si je les avais commis devant lui. A la fin de cette confession
consolatrice, il me dit : "Il ne faut pas céder à la peur que le diable imprime aux jeunes gens
mais il faut alors affermir son esprit et se souvenir que malgré nos péchés, nous sommes
couverts par la Grâce de Notre Rédempteur sans la Volonté Duquel pas un seul cheveu ne
tombe de notre tête."
Après cela il se mit à me parler de mon erreur à propos de la Vénération des Icônes : "Comme
il est mauvais et nuisible de vouloir pénétrer les Mystères Divins inaccessibles au faible esprit
humain et par exemple savoir comment agit la Grâce Divine à travers les Icônes comment elle
guérit les pécheurs comme nous," ajouta le Staretz ," et non seulement le corps mais aussi
l’âme, de telle sorte que les pécheurs trouvant en eux-mêmes la Grâce du Christ, soient sauvés
et obtiennent le Royaume des Cieux." Ecoutant le Père Séraphim, j’en oubliais mon existence
terrestre. Les soldats qui revenaient avec moi du régiment furent eux aussi dignes de recevoir
sa bénédiction et il nous prédit qu’aucun d’entre nous ne périrait au combat, ce qui se révéla
vrai.
22
Quittant le Père Séraphim, je déposais à côté de lui trois roubles pour le cierge. Mais l’ennemi
m’inspira cette pensée : pourquoi laisser tant d’argent au Saint Père? Cette pensée me troubla
et je me dépêchai de la lui dire. J’entrais en priant chez le Staretz et lui, prévoyant mes
paroles, me dit la chose suivante : "Pendant la guerre avec les Gaulois, un chef de guerre allait
perdre sa main droite mais celle-ci avait fait don à un Anachorète pour l’Eglise et par les
prières de la Sainte Eglise, le Seigneur la sauva. Comprends-le bien et dorénavant ne regrette
pas tes bonnes actions. Ton argent servira à la construction du Monastère de Divievo pour ta
santé!" Ensuite le Père Séraphim me confessa encore une fois, m’embrassa et me bénit, me
donna quelques morceaux de pain sec et de l’eau bénite qu’il me versa dans la bouche en
disant : "Que la Grâce Divine chasse l’esprit malin qui se trouve dans le Serviteur de Dieu,
Jean." Le Staretz me donna du pain sec pour la route, de l’eau bénite et surtout une prosphore
qu’il mit lui-même dans ma casquette. Enfin recevant sa dernière bénédiction, je lui
demandais de prier pour moi. Et là il dit : "Mets ton espoir en Dieu et demande-Lui Son Aide,
apprends à pardonner à ton prochain et tu obtiendras tout ce que tu n’oses pas demander."
Durant toute la compagne militaire, je combattis plusieurs fois et partout le Seigneur me
gardait par les prières de Son Juste."
Et voici qu’un jour un général arrive chez le Staretz et raconte : "Vos prières m’ont sauvé
pendant la campagne de Turquie. Cerné par les régiments ennemis, je suis resté seul avec le
mien. Il n’y avait aucun espoir de Salut. Je priais avec ferveur et continuellement : "Seigneur,
prends pitié par les prières du Staretz Séraphim," et je mangeais le pain sec que vous m’aviez
donné en bénédiction et buvais l’eau, ainsi Dieu me garda intact de l’ennemi. Le Staretz me
répondit : "La Foi et surtout la prière du coeur incessante sont un très grand moyen de Salut."
Parfois il se montrait un véritable pacificateur pour la vie conjugale des époux déjà séparés.
Une mère ayant perdu de vue son fils et venue se prosterner aux pieds du Staretz, le retrouva
trois jours après à Sarov.
A cette époque l’aménagement de sa cellule faisait penser à une iconostase. Il y avait des
Icônes et beaucoup de veilleuses brûlaient ainsi que des centaines de cierges posés sur des
plateaux ronds pour les Chrétiens vivants et défunts. Le Staretz lui-même expliquait de cette
manière pourquoi il y avait une telle quantité de veilleuses et de cierges : "J’ai beaucoup de
personnes," disait-il à Motovilov qui le vénérait, "qui me sont dévouées et qui comblent de
bienfaits mes orphelines (les Moniales du Monastère de Divievo). Elles m’apportent de l’huile
et des cierges et me demandent de prier pour elles. Et voilà quand je lis ma Règle, je les
mentionne chaque jour. Et parce que je ne pourrais pas dire à chaque paragraphe de la Règle,
à l’endroit qu’il convient, les très nombreux noms et que le temps me manquerait pour
l’exécuter entièrement, je mets un cierge pour chacune d’elles en sacrifice à Dieu; pour
d’autres, pour plusieurs personnes, je mets un grand cierge; pour d’autres encore j’entretiens
les veilleuses et là où il faut je les mentionne dans la Règle en disant : "Seigneur, souviens-
Toi de tous Tes Serviteurs; pour leur âme, j’allume, moi Ton Serviteur Séraphim, ces cierges
et cet encensoir." Ce n’est pas une fantaisie humaine qui vient de moi-même, serviteur
Séraphim, ni un zèle sans fondement mais je vous citerai les mots de l’Ecriture Sainte. Dans
la Bible il est dit que Moïse entendit la Voix du Seigneur lui dire : "Moïse, Moïse, dis à ton
frère Aaron qu’il élève jour et nuit devant moi un encensoir. Cela est bon à mes yeux et ce
sacrifice m’est agréable!" Et c’est pourquoi la Sainte Eglise a pris l’habitude d’allumer des
encensoirs ou des veilleuses posées devant les Icônes dans les Saints Temples et dans la
maison des fidèles.
23
Arrivant au terme de sa vie, le Père Séraphim n’adoucissait pas l’austérité de son mode de vie.
Il ne mangeait qu’une fois par jour. Il portait une soutane de tissu noir et épais et pour se
protéger de la pluie ou de la chaleur, il revêtait une petite mante de cuir épais avec une
ouverture pour la tête et les bras. Par-dessus son vêtement, il se ceignait d’un tissu blanc et
portait la Croix de sa mère. Un riche homme lui demanda : "Pourquoi portez-vous de tels
haillons?" Le Staretz répondit : "Le Tsarévitch Saint Joséphat considère le vêtement que lui
avait donné un Anachorète bien plus précieux que la pourpre impériale."
Il dormait assis par terre le dos appuyé contre le mur et les jambes étirées. Il se mettait
souvent sur des briques ou sur des bûches et les derniers temps, il se mettait à genoux et
dormait le visage contre terre, se tenant la tête dans ses mains ce qui procurait à l’Ascète une
tension particulière propice à la contemplation et c’était comme si déjà il avait quitté la terre.
A un officier qui lui demandait s’il pouvait transmettre de sa part quelque chose à un parent
de Koursk, le Père Séraphim en montrant le Visage du Sauveur et de la Mère de Dieu lui fit à
l’époque, cette réponse caractéristique : "Voici mes parents mais pour mes parents en vie, je
suis déjà un mort vivant."
En ce temps-là, la Russie entière vénérait déjà le Père Séraphim et les Ascètes contemporains
le considéraient comme une grande figure spirituelle. Certains Evêques lui écrivaient pour
demander conseil. L’Archevêque Antony de Voronèze que le Staretz appelait "Grand
Archevêque de Dieu," le vénérait tout particulièrement. Et en effet l’Archevêque Antony avait
une réserve inépuisable de charité envers les autres. Lui-même confirmait cette idée :
"L’affliction pour les autres est parfois plus utile à l’âme que l’affliction pour soi-même."
Les infirmités séniles affaiblissaient déjà le Père Séraphim à tel point qu’il ne pouvait plus
aller tous les jours au Désert proche et y recevoir les visiteurs mais son apparence extérieure
était radieuse et joyeuse. Jusqu’à ses derniers jours, il garda un esprit clair et large. Les
personnes bien éduquées le considéraient comme un homme doué, sentaient son esprit
puissant et une source vive créatrice. Son visage était resté pâle, son regard limpide et
pénétrant et une rougeur comme enfantine aux joues sous son épaisse chevelure grise.
Quand les derniers mois de la vie du Staretz arrivèrent, il se mit à parler de la mort. On le
voyait souvent debout dans l’entrée de sa cellule près du cercueil de chêne qu’il avait préparé.
Là il méditait sur la vie de l’au-delà et son cheminement terrestre lui semblait si imparfait
qu’il pleurait amèrement. Faisant ses adieux, le Staretz disait : "Nous ne nous verrons plus."
Quand certains émettaient le désir de venir à Sarov pour le Grand Carême, le Staretz
répondait : "Alors mes portes seront fermées. Vous ne me verrez plus."
Au mois d’août, son Eminence l’Archevêque Arsène de Tambov qui deviendra le Métropolite
de Kiev, vint rendre visite au Père Séraphim quatre mois avant sa Naissance Céleste. Le
Staretz lui donna un chapelet quelques cierges enveloppés dans de la toile, une bouteille
d’huile à brûler et un pantalon de laine. Ensuite il lui apporta à part une bouteille de vin
d’église. Tout ceci signifiait que le Staretz demandait qu’il priât pour lui après sa Naissance
au Ciel. A l’annonce de son Endormissement, les cierges, l’huile et le vin que l’Archevêque
avait gardés furent utilisés à la Divine Liturgie qu’il célébra pour le Repos de l’âme du
Staretz. Le Père Séraphim avait ordonné d’envoyer à plusieurs personnalités des lettres les
invitant à venir vite le voir et confia à d’autres la mission de leur transmettre des conseils
utiles. "Eux-mêmes ne me verront pas," expliquait le Staretz.
24
Son dernier entretien avec un laïc fut sans doute très émouvant et très riche. Les Chrétiens qui
vénèrent la mémoire de notre très cher Homme de Dieu devraient surtout se souvenir de cet
entretien.
"Fais le bien… on te réprimande; ne réprimande pas. On te chasse, supporte; on t’insulte,
loue; condamne-toi toi-même, ainsi Dieu ne te condamnera pas; soumets-toi à la Volonté du
Seigneur; ne mens jamais; pense au Bien et au mal que tu as fait : bienheureux l’homme qui
sait cela. Aime ton prochain : il est ta propre chair. Si tu vis selon la chair alors tu perdras ton
âme et ton corps mais si tu vis selon Dieu, tu sauveras les deux. Beaucoup ont péri pour avoir
cédé au monde; celui qui ne fait pas le Bien, celui-là pèche.
Il faut aimer tout le monde et surtout Dieu. Sois bon avec tes subordonnés en allégeant leurs
travaux et non pas avec du mal. Donne à boire et à manger, sois juste, le Seigneur est patient,
Dieu sait peut-être et Il supportera encore longtemps. Fais ainsi : puisque Dieu pardonne,
pardonne aussi… Tout ce que la Sainte Eglise a accepté et embrassé doit être cher au coeur du
Chrétien. N’oublie pas les jours de fête; sois sobre, va à l’église, …/…, prie pour tous : ainsi
tu leur feras beaucoup de bien; donne des cierges, du vin, de l’huile à l’église, la générosité te
fera beaucoup de bien. Mange peu durant le Carême. Le pain et le vin ne font de mal à
personne. Ainsi des gens ont vécu cent ans. L’homme ne vit pas que de pain. Ce que l’Eglise
a fixé aux Sept Conciles Oecuméniques, observe-le. Malheur à celui qui ajoutera ou
retranchera un seul mot à cela. Ce que les médecins disent à propos des Justes qui guérissent
des plaies infectées par le seul contact; le Seigneur nous interpelle mais nous ne voulons pas
nous-mêmes.
Acquiers l’humilité par le silence. Dieu a dit au Prophète Isaïe : "Qui regarderai-je prier sinon
qui est doux, silencieux et qui tremble à Mes Paroles?" "Celui qui communie sera sauvé
partout mais celui qui ne communie pas, n’est pas avec Moi."
Cet entretien eut lieu le 25 décembre 1832, le jour de la Nativité. Ce grand jour, il assista
debout à la Divine Liturgie célébrée par Niphonte, l’Higoumène du monastère. Le Père
Séraphim communia comme à l’accoutumée et après la Divine Liturgie parla longuement
avec l’Higoumène. Il le questionna sur beaucoup de Moines, surtout les jeunes. Alors le
Staretz lui rappela qu’on le déposa à sa Naissance Céleste dans le cercueil en chêne qu’il avait
lui-même réalisé. Ce même jour, le Staretz donna au Hiéromoine Jacques l’Icône en émail de
l’Apparition de la Mère de Dieu à Saint Serge de Radonèze et demanda qu’à sa Naissance au
Ciel celle-ci soit mise dans son cercueil. C’est l’Archimandrite Antony dont il a été parlé plus
haut et qui avait envoyé cette Icône de la Laure de la Trinité Saint Serge.
La fin de l’année 1832 arriva. La nouvelle année 1833 commençait un dimanche. Pour la
dernière fois, le Staretz alla à la Divine Liturgie à l’église de l’hôpital des Thaumaturges de
Solovki qui lui était si cher et où se trouvait avant sa cellule dans laquelle il avait reçu la
Grâce de la guérison miraculeuse et l’Apparition de la Mère de Dieu. Il avait lui-même
rassemblé les dons pour la construction de cette église et avait lui-même réalisé de ses mains
un Autel en cyprès.
Le Père Séraphim arriva à l’église et embrassa toutes les Icônes en y allumant des cierges. Il
resta debout durant la Divine Liturgie, communia aux Saints Mystères et fit ensuite ses adieux
à tous les frères présents, les bénissant et les embrassant, il leur dit : "Sauvez-vous, ne vous
attristez pas, soyez vigilants. Aujourd’hui des couronnes nous sont préparées." Au moment
des adieux, il se prosterna devant la Croix et l’Icône de la Mère de Dieu, ensuite il fit le tour
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de l’Autel et sortit de l’église par les portes Nord comme s’il voulait dire que l’homme vient
au monde en naissant et le quitte en mourant.
Après la Divine Liturgie, le Staretz reçut la soeur du Monastère de Divievo Irène Vassilievna,
à laquelle il donna deux cents roubles en assignats pour l’achat de pain pour sa communauté.
Ensuite il alla chez le Hiéromoine du Désert de la Haute Montagne d’Arzamas, Theoktisk. En
le quittant, le Staretz lui dit : "Reste célébrer ici." N’ayant pas le temps de rester à Sarov et
n’ayant pas compris les paroles du Père Séraphim, le Hiéromoine s’en alla. Mais le Staretz lui
dit encore : "Alors demain tu célèbres à Divievo." Et en effet le Hiéromoine Théoktisk reçut
la nouvelle de la Naissance au Ciel du Père Séraphim à Diviévo et y célébra pour lui une
Panikhide.
Ce jour-là aussi, il y avait chez le Staretz une autre Moniale de Diviévo à laquelle il dit :
"Matouchka, quelle nouvelle année aurons-nous maintenant, la terre versera des larmes." La
soeur ne comprit pas que le Staretz parlait de sa Naissance au Ciel. Comment le Père Séraphim
passa-t-il le dernier soir de sa vie? Nous ne le savons que grâce à son voisin de cellule, le frère
Paul; sa cellule avait une entrée commune avec celle du Père Séraphim et les cellules ellesmêmes
étaient séparées par un mur sans porte. Le Père Paul était un bon Moine, humble, ne
condamnant jamais personne et le Staretz qui avait confiance en lui disait à son sujet : "Le
frère Paul grâce à la pureté de son coeur entrera sans peine dans le Royaume de Dieu. Il ne
juge ni n’envie jamais personne mais ne connaît que ses propres péchés et sa nullité." Bien
qu’il ne fût pas à proprement parler un aide de cellule puisque le Père Séraphim n’en avait
pas, il arrivait que le Père Paul étant son voisin, l’aidât en lui rendant quelques services. Le
Père Paul avait prévenu le Staretz à plusieurs reprises que son habitude de laisser brûler dans
sa cellule pendant son absence de nombreux cierges pouvaient provoquer un incendie. Mais le
Père Séraphim lui répondait toujours à cela : "Tant que je serai en vie, il n’y aura pas
d’incendie mais quand je mourrai, un incendie révélera ma mort."
Le 1er janvier, le Père Paul avait remarqué que le Père Séraphim était sorti trois fois de sa
cellule pour aller à l’endroit qu’il avait choisi pour son ensevelissement et en y restant debout,
il regarda longtemps la terre et le soir il chanta dans sa cellule les chants de Pâque : "Ayant vu
la Résurrection du Christ… Brille, brille Jérusalem. Ô Grande et Très Sainte Pâque du
Christ!" Ces chants solennels entrecoupés d’autres prières triomphantes prouvaient que
l’esprit du Père Séraphim s’était élevé vers les Demeures Célestes déjà prêtes pour lui.
Le matin du 2 janvier, sortant de sa cellule pour se rendre au premier Service Divin, le Père
Paul sentit une odeur de fumée dans l’entrée qui venait de la cellule du Père Séraphim. Le
Père Paul essaya d’ouvrir la porte qui était fermée de l’intérieur par un crochet. Il dit alors la
prière habituelle de visite aux frères. Il n’y eut aucune réponse. Alors le Père Paul sortit sur le
perron et voyant dans l’obscurité les frères qui allaient à l’église, il les appela pour vérifier ce
qu’il avait prédit à propos de l’incendie, pensant en même temps que le Père Séraphim était
certainement parti au Désert lointain. L’un des frères qui passaient, le novice Anikita, se
précipita sur la porte de cellule du Père Séraphim et la secouant violemment fit arracher le
crochet intérieur. Puisque le jour se levait à peine et qu’il faisait sombre dans la cellule, on ne
pouvait rien voir dans l’obscurité; on ne sentait que l’odeur des coupons de tissu qui
commençaient à brûler à l’entrée de la porte mais personne ne voyait ni entendait le Staretz.
Le Père Paul et le novice Anikita se mirent à chercher le Père Séraphim à tâtons, allumèrent
ensuite un cierge et virent alors que le Staretz se tenait à sa place habituelle à genoux près de
l’analoï, la tête nue et sa Croix de cuivre sur la poitrine; ses yeux étaient fermés, ses bras
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croisés reposaient sur l’analoï, sur le livre de prière où se trouvait sa Règle de prière et devant
l’Icône de la Mère de Dieu de Tendresse. Sa tête penchée en prière reposait sur ses bras. La
première impression des deux Moines étant que le Staretz s’était endormi dans le sommeil de
cette vie, ils essayèrent de le réveiller doucement mais aussitôt ils comprirent que le Père
Séraphim avait émigré vers le Seigneur que son âme s’était envolée vers un autre monde, un
monde Eternel tandis que son visage continuait à refléter la prière élevée et la joie spirituelle
du défunt.
Cette nuit-là, revenant des Mâtines, le Staretz Philarète qui s’était illustré au Désert de Glinka
dans le gouvernement de Koursk, montra à ses frères une Lumière inhabituelle dans le Ciel et
dit : "Voici comment s’élèvent les âmes des Justes. Aujourd’hui à Sarov, l’âme du Père
Séraphim s’élève au Ciel."
On lava selon l’habitude monastique le front et les genoux du Staretz, on le revêtit de ses
habits monastiques et on le déposa dans le cercueil qu’il avait préparé; on y mit l’Icône
émaillée de Saint Serge et on l’emmena aussitôt à l’église.
La nouvelle de la Naissance Céleste de l’extraordinaire Staretz se répandit rapidement de tous
côtés. Une multitude de personnes arriva à Sarov. Si l’on prend en compte l’affection sans
bornes que le Père Séraphim portait aux êtres et qui envahissait chaleureusement ceux qui
l’aimaient alors on comprendra l’effet que son Départ Céleste produisit. Ses paroles : "La
terre gémira de pleurs et de larmes" se réalisaient dans toute leur mesure. Le cercueil resta
ouvert durant huit jours. Le jour de l’ensevelissement, des milliers de personnes se
retrouvèrent à Sarov pour ressentir encore plus fortement dans leur prière leur parenté
spirituelle envers celui qui vivait maintenant dans l’éternité et déjà illuminé par la Bénédiction
Divine.
Le déroulement rigoureux de l’Office monastique des funérailles, la profondeur des chants
liturgiques et les sonorités pleines de componction des chants funèbres accompagnèrent
dignement le défunt dont les Chers et Précieux Restes furent descendus dans le tombeau
l’église de la Dormition du Désert de Sarov.
Dans l'église Saint Vladimir de Kiev, notre peintre russe Vasnietsov a peint autour de la
coupole une oeuvre au contenu spirituel appelée "Les Morts du Paradis." Cette oeuvre
remarquable reproduit avec une force extraordinaire l'aspiration des âmes des Saints vers Dieu
et leur joie pour l'Eternité de l'Union Divine.
C'est dans ce tel envol si joyeux vers Dieu que l'âme du Juste de Sarov s'éleva vers les
Demeures Célestes pour annoncer ensuite au monde et par-dessus tout au peuple russe une
source inépuisable de Miracles et la grande intercession du Serviteur de Dieu Saint Séraphim
par sa Glorification.
ou
http://orthodoxie.centerblog.net/553118-Saint-Seraphin-de-Sarov :
Parmi toutes les belles figures de l’Orthodoxie, nous avons choisi la vie de Séraphim de
Sarov, éminent Ermite, purifié par L’Esprit Saint. Il devint le Père Spirituel (Staretz) d’une
multitude. Il est fêté le 2 janvier et le 19 juillet.
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Naissance et jeunesse
Son vrai nom Prokhore Mochnine. Il naquit le 19 juillet 1759. Il appartenait à la classe
marchande traditionaliste de Koursk. Divers faits miraculeux lui sauvèrent la vie. Il tomba du
haut d’une église en construction et se releva indemne. Lorsqu’une maladie faillit l’emporter à
l’âge de dix ans, il fut guéri miraculeusement lors d’une procession de l’Icône de la Mère de
Dieu de Koursk.
1779-1793 : Moine et Hiéromoine
Sur le conseil d’un Ancien (Staretz) il entra au Monastère du "Désert de Sarov" le 20
novembre 1778, âgé de dix-neuf ans. Toute sa vie il y vécut une intimité avec Dieu et un
amour indéfectible à l’égard de ses proches. Moine modèle, boulanger au monastère,
menuisier, sacristain, bûcheron, il lit la Bible et les écrits mystiques des Pères. A tout cela il
unit la Prière de Jésus et se retire dans la forêt pour prier. Malade au monastère pendant trois
ans, terrassé par une hydropisie, il se remet au seul médecin des corps et des âmes, Notre
Seigneur Jésus-Christ et Sa Sainte Mère. Il fut guéri un jour de façon miraculeuse par la Mère
de Dieu venue cette fois-ci en personne accompagnée des Saints Apôtres Pierre et Jean, lui
adressant les mêmes paroles entendues jadis pendant sa maladie d’enfance : "Celui-ci est de
notre race."
1794-1810 : Ermite au Désert de Sarov
Il se retira au Désert de Sarov avec au coeur le leitmotiv de la prière orthodoxe : "Seigneur
Jésus-Christ, Fils de Dieu vivant, aies pitié de moi, grand pécheur." Cette prière l’habitait et le
conduit à la paix intérieure, le calme, la tranquillité. Retiré dans une skète (ermitage) il y
connut une ascension spirituelle dans les sphères dont la plupart des hommes ne soupçonnent
guère l’existence. Le dimanche il revient au monastère pour y participer à la Divine Liturgie.
Un ours sauvage qu’il nourrit devint son ami. Un jour qu’il reçut un hôte, il demanda à l’ours
d’aller chercher du miel pour l’offrir en guise d’accueil. Ce que l’ours fit aussitôt et il revint
porteur d’un rayon de miel marchant sur ses pattes de derrière.
Un incident tragique clôt cette période. Comme il recevait des visiteurs, des bandits
l’assaillent et le ruent de coups. Ils croyaient qu’il avait beaucoup d’argent. Il ne se remettra
pas entièrement de ces blessures car depuis lors il marchera courbé, appuyé sur un bâton. A
nouveau il reçoit la Visite de la Mère de Dieu.
Lorsque les brigands sont arrêtés, il leur pardonne et s’oppose à ce qu’ils soient châtiés et
demande aux autorités de les gracier.
A partir de 1807 et jusque 1810 il prend sur lui la Croix du silence complet ne recevant plus
personne, se purifiant intérieurement pour Dieu.
1810 – 1825 : Reclus au monastère.
En 1810 un ordre de l’Higoumène de Sarov l’oblige à revenir au monastère. Dieu ne lui
permet pas encore de rompre le silence et avec l’accord de son supérieur, il vit en Reclus dans
une cellule étroite où ne pénètre personne et dont il ne sort jamais. Il prie et lit l’Evangile;
chaque semaine le Nouveau Testament en entier. Une seule petite lumière brille devant
l’Icône de la Mère de Dieu de la Tendresse. Petit à petit sa réclusion s’atténue et en 1825 il
reçoit l’Ordre de la Mère de Dieu de sortir de sa cellule pour servir les hommes.
1825 – 1833 : Séraphim en plein soleil. "Ma joie" – "Le Christ est ressuscité."
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Ceci est le début de la dernière période de sa vie. Il devient "Père" et conseiller spirituel de
milliers de Moines et de laïcs. Sa vie apparaît maintenant comme une révélation "de la vie du
siècle à venir." Il accueille chacun chaleureusement l’appelant "ma joie" – "le Christ est
ressuscité." Des centaines de cierges reçus de ses visiteurs brûlent maintenant dans sa cellule
devant l’Icône de la Mère de Dieu
Il eut aussi des "enfants spirituels" laïcs, entre autres Nicolas Motovilov qu’il guérit
miraculeusement de ce qu’on appellerait aujourd’hui la sclérose en plaques et qu’il choisit
comme porte-parole pour laisser un message au monde entier. Le thème de ce message était :
"Le but de la vie chrétienne consiste en l’acquisition de l’Esprit Saint." Motovilov certifie
avoir vu de ses propres yeux lors de cet entretien avec lui, le rayonnement de la Lumière
ineffable dont le Saint était la source.
2 Janvier 1833.
Séraphim est trouvé inanimé dans sa cellule. Il remit son âme au Seigneur à genoux devant
l’Icône de la Mère de Dieu de Tendresse. En 1903, il fut glorifié.
La personnalité et la spiritualité de Saint Séraphim
Saint Séraphim était un prieur. Il n’a presque rien écrit lui-même à part quelques instructions
spirituelles mais il a demandé à Nicolas Motovilov d’être son porte-parole. Il disait qu’il avait
un message à transmettre au monde. Il se résume en ceci : le but de la vie chrétienne consiste
en l’acquisition de l’Esprit Saint. Motovilov consignait tout cela dans un cahier, ses
mémoires. Il le confia à sa femme lorsqu’il s'endormit et elle le mit au grenier. Sentant sa fin
proche, celle-ci le confia à un écrivain, Serge Milus qui le publia dans le "Journal de
Moscou." Nous sommes en 1903, année de la Glorification de Saint Séraphim.
L’acquisition de l’Esprit Saint présuppose la Foi en Jésus-Christ Sauveur. Quel que soit notre
état, la prière est toujours à notre disposition et nous donne la Grâce de l’Esprit de Dieu. Dans
le silence, ne laissant rien d’impur entrer en nous, nous cédons le pas à la prière indicible de
l’Esprit. Comment reconnaître la présence du Saint Esprit en nous, demande Motovilov. Il
répond que cette présence est lumière, silence, paix intérieure, une douceur extraordinaire et
une joie indescriptible, parfum : la bonne odeur du Saint Esprit.
Séraphim avait une dévotion toute particulière pour la Mère de Dieu. Celle-ci lui rendit
plusieurs fois visite accompagnée des Saints Apôtres Pierre et Jean. Ils conversaient ensemble
en toute simplicité. Lors de ses maladies et de son attaque par les brigands, elle vint en
personne pour le guérir.
Un deuxième document de sa main sont ses "Instructions Spirituelles." Avec l’acquisition de
l’Esprit Saint, coeur de son enseignement, il ajouta "Acquiers la paix intérieure et des âmes
par milliers trouveront auprès de toi le Salut.."Le thème de la paix revient très souvent. Tout y
est subordonné : l’Amour de l’Eglise, la vraie espérance, abstinence du jugement sur le
prochain et surtout le silence intérieur. L’âme en paix dans la prière se remplit de la chaleur
spirituelle et la Lumière du Christ inonde l’homme tout entier. Il était un Staretz expérimenté
et sage, ne recommandant aucun excès.
Beaucoup de Miracles suivirent sa Naissance au Ciel. Le peuple accourut pour le vénérer (non
pas adorer : ce n'est que Dieu que l'on adore mais on vénère Ses Saints). Le Saint Tsar Martyr
Nicolas II insista auprès du Saint Synode, malgré l’opposition du Procurateur Général du
Saint Synode pour qu’il soit glorifié.
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La date fut fixée au 19 juillet 1903. Dans le style des grandes festivités escortées par les
Icônes, les Métropolites, Archimandrites et nombreux Evêques ainsi que le Tsar et son
épouse, Saint Séraphim fut porté sur les Autels.
Dès 1904 les terribles perspectives prédites par Séraphim commencèrent à se réaliser : guerre
du Japon, première guerre mondiale en 1914, la révolution en 1917 avec le martyre du
régicide impie du Tsar et de toute la famille impériale.
Séraphim avait promis de prier pour ce peuple russe qu’il aimait tant, prosterné devant le
Trône du Très Haut.
Nous recommandons vivement le livre d’Irina Goraïnoff dont nous tirons l’essentiel qui
contient la biographie de Saint Séraphim, l’Entretien avec Motovilov et les Instructions
spirituelles : Irina Goraïnoff, Séraphim de Sarov : Sa Vie, Entretien avec Motovilov et
Instructions spirituelles. Abbaye de Bellefontaine/Desclée de Brouwer (Collection
Théophanie), 1995
Tropaire de Saint Séraphim de Sarov ton 4
Tu aimas le Christ dès ton enfance, Ô Saint bénit,
Et tu brûlas du désir d'oeuvrer pour Lui Seul,
Tu combattis dans la prière incessante et l'effort dans le Désert!
Tu gagnas l'Amour du Christ par la componction de ton coeur,
Et fus manifesté comme l'Elu de la Mère de Dieu.
C'est pourquoi nous te crions :
Sauve-nous par tes prières, Ô Notre Père Séraphim!
Kondakion de Saint Séraphim de Sarov ton 2
Renonçant à la beauté et à la corruption de ce monde, Ô Saint,
Tu partis pour Sarov où tu vécus comme un Moine et un Ange.
Tu devins le chemin du Salut pour un grand nombre,
C'est pourquoi le Christ t'a glorifié, Ô Père Séraphim,
T'enrichissant par d'abondantes guérisons et nombre de Miracles;
Voilà pourquoi nous te chantons :
Réjouis-toi, Ô Séraphim, Notre Saint Père

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