samedi 25 décembre 2010
Cahier Guettée : Article sur Saint Photios Kondoglou, Iconographe.
Anonyme, Cahier Guettée. N° 1, Fraternité saint Grégoire Palamas. article n° 3 . issn : 1247-3006,
Photios Kontoglou iconographe et théologien
N é en 1896 à Aïvali, en Asie Mineure, Photios Kontoglou a perdu son père Nicolas Apostolelli l'année même de sa naissance et a été élevé, avec ses frères, par leur mère Despina Kontoglou et leur oncle maternel, Stéphane Kontoglou, higoumène du Monastère de Sainte Parascève, qui appartenait à la famille.
Dès 1911, il fait paraître le périodique Mélissa, avec ses premiers dessins. Après ses études secondaires à Aïvali, il se rend à Athènes, où il étudie aux Beaux-Arts et fait la connaissance d'un peintre : Papoulakas. En 1914, il part pour l'Espagne et la France. A Paris, il collabore à l'Illustration, qui lui attribue son prix. II compose un récit : Pedro Cazas.
C'est en 1919 qu'il rentre dans sa ville natale. Il fonde un cercle spirituel, fait paraître son Pedro Cazas, et enseigne, au Lycée déjeunes filles, le français et l'histoire de l'art. En 1921, il participe à l'expédition grecque d'Asie Mineure. Après sa démobilisation, il reprend son poste au Lycée, puis va à Mytilène et enfin se fixe à Athènes, où il édite un journal d'art et de critique, l'« Hétairie » (Philiki Hetaireia), du nom de l'Association secrète qui avait joué un si grand rôle dans la régénération du peuple grec cl la préparation du soulèvement contre les Turcs. Ses collaborateurs sont K. Barnales, Stratis Doukas, à qui il a dédié sa Basantas, Dimitri Pikiones et Basile Daskalaki, qui devient le parrain de son mariage, en 1924 : Photios épouse Maria dans l'église de Sainte Glycérie de Galatsios.
Les années 30 sont des années de travail fécond. Photios a redécouvert, vers 1928, l'art traditionnel des icônes, son sens, sa profondeur. Il travaille dans divers musées, à Athènes, à Corfou, au Caire. Il restaure les icônes de Mistra, l'ancienne capitale de la Morée, autre nom du Péloponnèse, où s'était réfugiée la liberté de l'empire romain après la chute de Constantinople. Il décore, parfois entièrement, un grand nombre d'églises : citons seulement l'église de la Mère de Dieu Source de Vie de Paiana, qu'il commence à décorer en 1940, et l'église de Capnikaréa, dédiée à la Mère de Dieu et à Sainte Barbara, qu'il restaure et peint à partir de 1942. Il se consacre, surtout à partir de 1944, à la composition d'ouvrages religieux. A partir de 1950, il participe au journal Eleutheria (Liberté), et prend en 1952 la direction du mensuel l'Arche, avec Basile Moustaki. En 1960, l'Académie d'Athènes couronne son grand ouvrage sur l'iconographie, intitulé : Description (Ekphrasis) de l'iconographie orthodoxe.
Photios Kontoglou s'est endormi dans le Seigneur le 13 juillet 1965. Un témoin nous a dit que son corps, tel celui des saints, n'a pas connu la décomposition.
L'œuvre de Photios Kontoglou est immense. Comme il le disait lui-même, il était resté pauvre, quoiqu'il eût fait en une vie le travail de plusieurs.
Comme l'a bien souligné Constantin Cavarnos, qui, dans son livre Rencontres avec Kontoglou (Synanteseis me ton Kontoglou), a donné une sorte de biographie de Photios Kontoglou depuis les années 20 jusqu'à sa mort, ce qui caractérise cet auteur, c'est qu'il délivre son lecteur du vertige de la vie quotidienne et le met face à la réalité. Il ouvre les yeux de l'âme. Cette tâche, Photios Kontoglou l'a accomplie dans plusieurs domaines, comme penseur, comme écrivain, comme iconographe [ 1 ] .
Peintre d'icônes portatives et peintre d'églises, Photios Kontoglou a accompli un chemin analogue à celui de Wladimir Guettée : il a renoué avec la vraie tradition iconographique, dite byzantine. Il en non seulement repris les méthodes, mais retrouvé l'esprit.
Écrivain, il a laissé des récits sur l'empire de Constantinople, sur l'Église ancienne, sur la Romanité. Et il a trempé sa plume dans les Synaxaires de l'Église, dans ces vies de saints, dont le style est plein de noblesse et de sobriété. De ce point de vue, la moindre page de Kontoglou donne à la langue grecque populaire, à la « démotique », ses lettres de noblesse [ 2 ] .
Enfin, comme penseur, il a confessé sans partage, sans altération ni diminution, la foi de l'Église. Il ne supportait pas qu'on rabaissât le Christ, le Dieu-Homme, et qu'on le rangeât à côté des « autres religions », comme s'il n'était pas le Seul et Unique Sauveur. Cette attitude, il l'a manifestée dans sa vie, lorsqu'il a écrit, par exemple, la préface du beau livre d'Alexandre Kalomiros intitulé Contre la fausse union. Et, dans sa vie, cette intransigeance de Photios Kontoglou lui a valu des ennemis. Il a lutté contre le patriarche Athénagoras qui, à ses yeux, était un loup-pasteur, introduisant l'hérésie dans le bercail du Christ. Photios Kontouglou disait que l'archange Michel protégeait particulièrement tous ceux qui se tenaient debout, avec crainte, dans la confession de la foi orthodoxe. La même rigueur, Photios l'a manifestée aussi dans ses ouvrages et dans son art : ce qui en fait un art puissant, ce qui fait de ses écrits des œuvres fortes, c'est justement cette colonne vertébrale du dogme, cette foi authentique, sans laquelle tout deviendrait flasque.
Kontoglou a été non seulement un grand peintre et un grand critique d'art, mais aussi un initiateur, un mystagogue. Car il s'est rapproché, plus qu'aucun autre, de cet art total, de cette unité de l'art, dont rêvent tous les grands modernes, en comprenant que c'était dans l'Église seulement qu'un tel art existait.
Les deux idées principales qui traversent l'œuvre de Kontoglou sont, premièrement, qu'il existe une différence d'essence entre ce que nous appelons « l'art sacré » et « l'art profane » et qu'il est peu légitime de les voir comme deux espèces à l'intérieur d'un genre qui serait celui de « l'Art », parce qu'ils ne s'accordent pas. La deuxième idée est que l'art chrétien, l'art liturgique, est un dans toutes ses manifestations : architecture, musique, iconographie, littérature. Il est un, parce que son but est un et qu'il se fonde sur la Pierre angulaire, le Christ.
Tout d'abord, Photios Kontoglou a souligné combien, jusque dans le vocabulaire, le Grec marquait la distance entre l'art ordinaire et celui de l'Église. On dit tragoudo, je chante – je chante une chanson, je chante à l'Opéra – mais psallo, je chante à l'Église – je prie, je psalmodie. De même, la nouveauté radicale de l'art pictural chrétien le sépare de toute forme d'art différente [ 3 ] . Photios Kontoglou était ainsi très critique à l'égard de l'art de la Renaissance, dans lequel il voyait, non une avancée de l'homme, mais une régression spirituelle, une incapacité à saisir la beauté véritable des modèles de l'iconographie traditionnelle. Ce n'est pas à dire que les peintres de la Renaissance aient manqué de talent : ce dont ils manquaient, c'est de foi. Us n'avaient pas la spiritualité des iconographes byzantins. N'osant pas renier le Christ ouvertement, ils représentaient des scènes de Sa vie, et des saints, mais avec l'esprit du monde. Pour Kontoglou, comme pour Ouspensky dont il avait traduit et annoté la brochure sur les icônes, l'art de la Renaissance était « un art profane à sujet religieux ».
Il ne faudrait pas croire que cette position fût, chez Kontoglou, la conséquence d'un quelconque chauvinisme artistique. Tout au contraire. Il a commencé par admirer la Renaissance italienne, et son amour exclusif de l'iconographie est venu d'un mouvement de retour et d'approfondissement. En même temps, cette recherche lui a fourni les critères pour apprécier le développement historique de la Renaissance. Pour lui, Cimabue peint encore de façon purement orthodoxe [ 4 ] ; Giotto (1276-1337) est à la frontière : quand il peint l'Entrée du Christ à Jérusalem, la représentation de l'âne est déjà une image naturaliste, tandis que le Christ est encore iconographie [ 5 ] . Ensuite, le goût tic la copie de la nature telle qu'elle se donne l'emporte. Ces œuvres naturalistes sont, dit Kontoglou, privées du mystère et du recueillement qui caractérisent les icônes. Le but du véritable art religieux est atteint par la sobriété, la simplicité, la force et la piété des icônes. « En les regardant, celui qui prie est apaisé et attendri [ 6 ] ».
Critique à l'égard d'un art qui oubliait sa raison d'être, pour tomber dans la distraction, Photios Kontoglou l'était aussi à l'égard des critiques d'art modernes qui, voulant juger des icônes avec les mesures de la Renaissance, n'aboutissaient à rien. Ainsi, André Grabar avait, selon lui, une méthode purement occidentale. Ce qui fait que les détails historiques ou archéologiques qu'il donne sont utiles, mais son jugement sur les œuvres est vide ; il est resté « en dehors du voile », il n'a pas pénétré dans le saint des saints de l'art orthodoxe [ 7 ] .
L'art, pour Kontoglou, vise donc quelque chose de plus que la nature ou les analogies naturelles. « La vérité dans l'art, observe-t-il, est plus profonde que les analogies et que la naturalité, elle se trouve dans l'essence de chacune des choses que fait l'artiste [ 8 ] ».
Photios Kontoglou oppose donc, de façon significative, le naturalisme et la vérité. Le réalisme n'est pas vrai, parce la nature que voient nos yeux pécheurs n'est pas la vérité, mais le masque de la vérité. En se renfermant dans la représentation de la vie dite naturelle, les peintres occidentaux, à partir de la Renaissance, ont manqué la vie surnaturelle qui sourd de la vision iconographique et du monde transfiguré. Ils ont lâché la proie pour l'ombre. Le résultat, c'est que les œuvres occidentales modernes sont « sans joie et sans âme ». Au contraire, « les œuvres de l'art byzantin sont les plus initiatiques (apokaluptika) que l'homme ait jamais faites, que ce soit dans l'architecture, dans la poésie, dans la musique, dans la peinture… Ce mysticisme n'a aucun rapport avec le mysticisme morbide du Nord, il est, au contraire, plein de santé, de bonheur et de richesse, quoiqu'il soit austère et ascétique [ 9 ] ».
Tout cela ne restait pas, chez Kontoglou, pure théorie. Non seulement il avait forgé ces idées en regardant les icônes et en les écrivant, mais il était aussi allé au Mont Athos, pour exhorter les moines, alors acquis aux techniques occidentales, à embrasser de nouveau la voie traditionnelle. Il avait obtenu à peu près autant de succès que saint Paul à l'Aréopage, Toutefois, son ascèse d'iconographe a porté ses fruits ; et si, un peu partout, on revient aujourd'hui à l'iconographie véritable, ce retour est dû en grande partie à ses efforts.
Photios Kontoglou a dépassé plus loin que cette théorie de l'opposition entre l'art que connaît l'Occident depuis la Renaissance et l'art ancien du christianisme, maintenu à Byzance. Pour lui, en effet, comme il l'expliquait un jour à Constantin Cavarnos, tous les arts de Byzance sont un, en réalité, dans leur essence intime. Tous expriment une seule et même chose. Ils diffèrent par les moyens mis en œuvre et par le sens auquel ils s'adressent : l'iconographie, à la vue, le chant à l'ouïe. C'est cette remarque de Kontoglou sur l'unité des arts liturgiques qui a incité Cavarnos à inclure dans son livre Byzantine Sacred Art, (New York, 1957, Belmont, 1985), qui est un recueil d'extraits de Kontoglou, des textes sur l'architecture et la musique, alors qu'il désirait d'abord se cantonner à l'iconographie. Cavarnos note aussi que Photios a écrit relativement peu de choses sur l'architecture orthodoxe, mais de très éclairantes.
Ce qui fait l'unité de l'art orthodoxe, de l'art chrétien, et lui donne sa lumière intérieure, c'est son but. C'est pourquoi Photios Kontoglou pouvait répondre à l'objection naïve que certains font à l'iconographie, en demandant comment les iconographes qui ont vécu très longtemps après le Christ, peuvent reproduire Ses traits exactement. « Les traits de la physionomie divine du Seigneur ne sont pas figurés de manière représentative par les hagiographies, d'après des informations historiques. En effet, la sainte apparence du Sauveur s'est formée par la piété et la prière, par la peine et par le recueillement de milliers de pieux hagiographes, qui travaillèrent avec crainte et effroi, jeûnant, priant, les larmes aux yeux ; et c'est ainsi que le caractère propre du Seigneur apparut aux yeux de leur âme, et qu'ils purent l'exprimer de leurs mains sur les icônes. Et cela se fit d'après la parole que le Seigneur Lui-même avait dite : « Celui qui m'aime sera aimé de mon Père, et je l'aimerai, et je me manifesterai à lui » (Jn. 14, 21). Cette manifestation n'est pas charnelle, elle est spirituelle, tout comme l'impression qui en est faite sur l'icône immaculée » (Ekphrasis, 2, Athènes, 1960, p. IX).
Et Photios Kontoglou aurait sûrement souscrit à l'opinion de saint Photios le Grand, son homonyme, qui eut à lutter contre les iconoclastes et à répondre à des objections semblables à celles des modernes. Certains iconoclastes, en effet, s'appuyaient sur les différences qui existent, dans la façon de représenter le Sauveur, entre les icônes romaines, grecques, indiennes, égyptiennes, éthiopiennes, etc. pour demander laquelle était la vraie image du Christ. Leur intention inavouée était évidemment de prouver, par cette diversité, que le Christ n'était pas venu sur terre, chacun l'imaginant à sa manière. Saint Photios, après avoir discuté et réfuté leurs opinions, fait la remarque suivante : « Celui qui est représenté dans l'icône n'est pas iconographié simplement par la reproduction d'un contour corporel et l'application d'un coloris à la forme ; Il l'est aussi par la manifestation de telle ou telle disposition intérieure, et des actes qui l'accompagnent, par l'expression des sentiments, par l'installation de l'icône dans les lieux sacrés, par le sens des paroles qui y sont inscrites, et par bien d'autres symboles admirables ; or il est bien impossible qu'un seul de ces symboles ne soit pas présent ou à tout le moins que la plupart ne se trouvent pas réunis, dans les icônes vénérées par les fidèles. Par les symboles présents, donc, non moins que s'ils étaient tous là, nous sommes élevés (anagometha) vers la connaissance et la vénération de Celui qui est iconographié, en quoi réside le but précis de l'art iconographique [ 10 ] ».
De cet art qui ne se donne pas pour une reproduction de la nature, ni pour une création qui se suffirait à soi seule, mais qui vise un but plus haut, Photios Kontoglou a été l'ouvrier, l'exégète et le théologien. Pour celui qui a des yeux pour voir la beauté intérieure et véritable, les autres arts, comparés à cet art spirituel, paraissent sans force. Résumant son expérience, Photios Kontoglou écrivait : « L'art de Byzance est, pour moi, l'art des arts… Seul, cet art nourrit mon âme de ses forces profondes et mystérieuses, seul il apaise la soif que je sens au milieu de ce désert aride qui nous encercle. Face à l'art byzantin, les autres me paraissent légers, « ils s'inquiètent pour beaucoup de choses », alors qu'« une seule chose est nécessaire ». Cet unique nécessaire, celui qui l'a compris, l'a vraiment compris [ 11 ] ».
1 Ce qui suit est tiré principalement du livre que nous venons de citer de Cavarnos, paru en grec à Athènes en 1985. Il vient compléter deux ouvrages de l'auteur également consacrés à Konloglou : Byzantine Sacred Art, New York, 1927 et La Grèce et l'Orthodoxie (Hellas kai Orthodoxia, paru en grec à Athènes en 1967).
2 Voyez, dans La Lumière du Thabor, n° 21, 1er trim. 89, p.11-15, raconté par Kontoglou, le récit d'une aventure vécue.
3 Voir Ph. Kontoglou, « L'iconographie orthodoxe : ce qu'elle est », en français dans La Lumière du Thabor, n°16, 4ème trim. 1987, p.76-80.
4 C. Cavarnos, op. cit., p. 133-135.
5 Ou hagiographie, représenté à la manière des saintes icônes. Ibid. p. 119-120.
6 C. Cavarnos,, op. cit, p.122.
7 Ibid, p. 52-53.
8 Ibid., p. 122.
9 Photios Kontoglou, La Romanité souffrante, Athènes, 1963, p.94.
10 Saint Photios, Amphilochia, 205, Migne, PG 101, Paris, 1860, (repr. Athènes, 1991) 947-952.
11 Ph. Konloglou, La Romanité souffrante, op. cit., p. 93.
Photios Kontoglou iconographe et théologien
N é en 1896 à Aïvali, en Asie Mineure, Photios Kontoglou a perdu son père Nicolas Apostolelli l'année même de sa naissance et a été élevé, avec ses frères, par leur mère Despina Kontoglou et leur oncle maternel, Stéphane Kontoglou, higoumène du Monastère de Sainte Parascève, qui appartenait à la famille.
Dès 1911, il fait paraître le périodique Mélissa, avec ses premiers dessins. Après ses études secondaires à Aïvali, il se rend à Athènes, où il étudie aux Beaux-Arts et fait la connaissance d'un peintre : Papoulakas. En 1914, il part pour l'Espagne et la France. A Paris, il collabore à l'Illustration, qui lui attribue son prix. II compose un récit : Pedro Cazas.
C'est en 1919 qu'il rentre dans sa ville natale. Il fonde un cercle spirituel, fait paraître son Pedro Cazas, et enseigne, au Lycée déjeunes filles, le français et l'histoire de l'art. En 1921, il participe à l'expédition grecque d'Asie Mineure. Après sa démobilisation, il reprend son poste au Lycée, puis va à Mytilène et enfin se fixe à Athènes, où il édite un journal d'art et de critique, l'« Hétairie » (Philiki Hetaireia), du nom de l'Association secrète qui avait joué un si grand rôle dans la régénération du peuple grec cl la préparation du soulèvement contre les Turcs. Ses collaborateurs sont K. Barnales, Stratis Doukas, à qui il a dédié sa Basantas, Dimitri Pikiones et Basile Daskalaki, qui devient le parrain de son mariage, en 1924 : Photios épouse Maria dans l'église de Sainte Glycérie de Galatsios.
Les années 30 sont des années de travail fécond. Photios a redécouvert, vers 1928, l'art traditionnel des icônes, son sens, sa profondeur. Il travaille dans divers musées, à Athènes, à Corfou, au Caire. Il restaure les icônes de Mistra, l'ancienne capitale de la Morée, autre nom du Péloponnèse, où s'était réfugiée la liberté de l'empire romain après la chute de Constantinople. Il décore, parfois entièrement, un grand nombre d'églises : citons seulement l'église de la Mère de Dieu Source de Vie de Paiana, qu'il commence à décorer en 1940, et l'église de Capnikaréa, dédiée à la Mère de Dieu et à Sainte Barbara, qu'il restaure et peint à partir de 1942. Il se consacre, surtout à partir de 1944, à la composition d'ouvrages religieux. A partir de 1950, il participe au journal Eleutheria (Liberté), et prend en 1952 la direction du mensuel l'Arche, avec Basile Moustaki. En 1960, l'Académie d'Athènes couronne son grand ouvrage sur l'iconographie, intitulé : Description (Ekphrasis) de l'iconographie orthodoxe.
Photios Kontoglou s'est endormi dans le Seigneur le 13 juillet 1965. Un témoin nous a dit que son corps, tel celui des saints, n'a pas connu la décomposition.
L'œuvre de Photios Kontoglou est immense. Comme il le disait lui-même, il était resté pauvre, quoiqu'il eût fait en une vie le travail de plusieurs.
Comme l'a bien souligné Constantin Cavarnos, qui, dans son livre Rencontres avec Kontoglou (Synanteseis me ton Kontoglou), a donné une sorte de biographie de Photios Kontoglou depuis les années 20 jusqu'à sa mort, ce qui caractérise cet auteur, c'est qu'il délivre son lecteur du vertige de la vie quotidienne et le met face à la réalité. Il ouvre les yeux de l'âme. Cette tâche, Photios Kontoglou l'a accomplie dans plusieurs domaines, comme penseur, comme écrivain, comme iconographe [ 1 ] .
Peintre d'icônes portatives et peintre d'églises, Photios Kontoglou a accompli un chemin analogue à celui de Wladimir Guettée : il a renoué avec la vraie tradition iconographique, dite byzantine. Il en non seulement repris les méthodes, mais retrouvé l'esprit.
Écrivain, il a laissé des récits sur l'empire de Constantinople, sur l'Église ancienne, sur la Romanité. Et il a trempé sa plume dans les Synaxaires de l'Église, dans ces vies de saints, dont le style est plein de noblesse et de sobriété. De ce point de vue, la moindre page de Kontoglou donne à la langue grecque populaire, à la « démotique », ses lettres de noblesse [ 2 ] .
Enfin, comme penseur, il a confessé sans partage, sans altération ni diminution, la foi de l'Église. Il ne supportait pas qu'on rabaissât le Christ, le Dieu-Homme, et qu'on le rangeât à côté des « autres religions », comme s'il n'était pas le Seul et Unique Sauveur. Cette attitude, il l'a manifestée dans sa vie, lorsqu'il a écrit, par exemple, la préface du beau livre d'Alexandre Kalomiros intitulé Contre la fausse union. Et, dans sa vie, cette intransigeance de Photios Kontoglou lui a valu des ennemis. Il a lutté contre le patriarche Athénagoras qui, à ses yeux, était un loup-pasteur, introduisant l'hérésie dans le bercail du Christ. Photios Kontouglou disait que l'archange Michel protégeait particulièrement tous ceux qui se tenaient debout, avec crainte, dans la confession de la foi orthodoxe. La même rigueur, Photios l'a manifestée aussi dans ses ouvrages et dans son art : ce qui en fait un art puissant, ce qui fait de ses écrits des œuvres fortes, c'est justement cette colonne vertébrale du dogme, cette foi authentique, sans laquelle tout deviendrait flasque.
Kontoglou a été non seulement un grand peintre et un grand critique d'art, mais aussi un initiateur, un mystagogue. Car il s'est rapproché, plus qu'aucun autre, de cet art total, de cette unité de l'art, dont rêvent tous les grands modernes, en comprenant que c'était dans l'Église seulement qu'un tel art existait.
Les deux idées principales qui traversent l'œuvre de Kontoglou sont, premièrement, qu'il existe une différence d'essence entre ce que nous appelons « l'art sacré » et « l'art profane » et qu'il est peu légitime de les voir comme deux espèces à l'intérieur d'un genre qui serait celui de « l'Art », parce qu'ils ne s'accordent pas. La deuxième idée est que l'art chrétien, l'art liturgique, est un dans toutes ses manifestations : architecture, musique, iconographie, littérature. Il est un, parce que son but est un et qu'il se fonde sur la Pierre angulaire, le Christ.
Tout d'abord, Photios Kontoglou a souligné combien, jusque dans le vocabulaire, le Grec marquait la distance entre l'art ordinaire et celui de l'Église. On dit tragoudo, je chante – je chante une chanson, je chante à l'Opéra – mais psallo, je chante à l'Église – je prie, je psalmodie. De même, la nouveauté radicale de l'art pictural chrétien le sépare de toute forme d'art différente [ 3 ] . Photios Kontoglou était ainsi très critique à l'égard de l'art de la Renaissance, dans lequel il voyait, non une avancée de l'homme, mais une régression spirituelle, une incapacité à saisir la beauté véritable des modèles de l'iconographie traditionnelle. Ce n'est pas à dire que les peintres de la Renaissance aient manqué de talent : ce dont ils manquaient, c'est de foi. Us n'avaient pas la spiritualité des iconographes byzantins. N'osant pas renier le Christ ouvertement, ils représentaient des scènes de Sa vie, et des saints, mais avec l'esprit du monde. Pour Kontoglou, comme pour Ouspensky dont il avait traduit et annoté la brochure sur les icônes, l'art de la Renaissance était « un art profane à sujet religieux ».
Il ne faudrait pas croire que cette position fût, chez Kontoglou, la conséquence d'un quelconque chauvinisme artistique. Tout au contraire. Il a commencé par admirer la Renaissance italienne, et son amour exclusif de l'iconographie est venu d'un mouvement de retour et d'approfondissement. En même temps, cette recherche lui a fourni les critères pour apprécier le développement historique de la Renaissance. Pour lui, Cimabue peint encore de façon purement orthodoxe [ 4 ] ; Giotto (1276-1337) est à la frontière : quand il peint l'Entrée du Christ à Jérusalem, la représentation de l'âne est déjà une image naturaliste, tandis que le Christ est encore iconographie [ 5 ] . Ensuite, le goût tic la copie de la nature telle qu'elle se donne l'emporte. Ces œuvres naturalistes sont, dit Kontoglou, privées du mystère et du recueillement qui caractérisent les icônes. Le but du véritable art religieux est atteint par la sobriété, la simplicité, la force et la piété des icônes. « En les regardant, celui qui prie est apaisé et attendri [ 6 ] ».
Critique à l'égard d'un art qui oubliait sa raison d'être, pour tomber dans la distraction, Photios Kontoglou l'était aussi à l'égard des critiques d'art modernes qui, voulant juger des icônes avec les mesures de la Renaissance, n'aboutissaient à rien. Ainsi, André Grabar avait, selon lui, une méthode purement occidentale. Ce qui fait que les détails historiques ou archéologiques qu'il donne sont utiles, mais son jugement sur les œuvres est vide ; il est resté « en dehors du voile », il n'a pas pénétré dans le saint des saints de l'art orthodoxe [ 7 ] .
L'art, pour Kontoglou, vise donc quelque chose de plus que la nature ou les analogies naturelles. « La vérité dans l'art, observe-t-il, est plus profonde que les analogies et que la naturalité, elle se trouve dans l'essence de chacune des choses que fait l'artiste [ 8 ] ».
Photios Kontoglou oppose donc, de façon significative, le naturalisme et la vérité. Le réalisme n'est pas vrai, parce la nature que voient nos yeux pécheurs n'est pas la vérité, mais le masque de la vérité. En se renfermant dans la représentation de la vie dite naturelle, les peintres occidentaux, à partir de la Renaissance, ont manqué la vie surnaturelle qui sourd de la vision iconographique et du monde transfiguré. Ils ont lâché la proie pour l'ombre. Le résultat, c'est que les œuvres occidentales modernes sont « sans joie et sans âme ». Au contraire, « les œuvres de l'art byzantin sont les plus initiatiques (apokaluptika) que l'homme ait jamais faites, que ce soit dans l'architecture, dans la poésie, dans la musique, dans la peinture… Ce mysticisme n'a aucun rapport avec le mysticisme morbide du Nord, il est, au contraire, plein de santé, de bonheur et de richesse, quoiqu'il soit austère et ascétique [ 9 ] ».
Tout cela ne restait pas, chez Kontoglou, pure théorie. Non seulement il avait forgé ces idées en regardant les icônes et en les écrivant, mais il était aussi allé au Mont Athos, pour exhorter les moines, alors acquis aux techniques occidentales, à embrasser de nouveau la voie traditionnelle. Il avait obtenu à peu près autant de succès que saint Paul à l'Aréopage, Toutefois, son ascèse d'iconographe a porté ses fruits ; et si, un peu partout, on revient aujourd'hui à l'iconographie véritable, ce retour est dû en grande partie à ses efforts.
Photios Kontoglou a dépassé plus loin que cette théorie de l'opposition entre l'art que connaît l'Occident depuis la Renaissance et l'art ancien du christianisme, maintenu à Byzance. Pour lui, en effet, comme il l'expliquait un jour à Constantin Cavarnos, tous les arts de Byzance sont un, en réalité, dans leur essence intime. Tous expriment une seule et même chose. Ils diffèrent par les moyens mis en œuvre et par le sens auquel ils s'adressent : l'iconographie, à la vue, le chant à l'ouïe. C'est cette remarque de Kontoglou sur l'unité des arts liturgiques qui a incité Cavarnos à inclure dans son livre Byzantine Sacred Art, (New York, 1957, Belmont, 1985), qui est un recueil d'extraits de Kontoglou, des textes sur l'architecture et la musique, alors qu'il désirait d'abord se cantonner à l'iconographie. Cavarnos note aussi que Photios a écrit relativement peu de choses sur l'architecture orthodoxe, mais de très éclairantes.
Ce qui fait l'unité de l'art orthodoxe, de l'art chrétien, et lui donne sa lumière intérieure, c'est son but. C'est pourquoi Photios Kontoglou pouvait répondre à l'objection naïve que certains font à l'iconographie, en demandant comment les iconographes qui ont vécu très longtemps après le Christ, peuvent reproduire Ses traits exactement. « Les traits de la physionomie divine du Seigneur ne sont pas figurés de manière représentative par les hagiographies, d'après des informations historiques. En effet, la sainte apparence du Sauveur s'est formée par la piété et la prière, par la peine et par le recueillement de milliers de pieux hagiographes, qui travaillèrent avec crainte et effroi, jeûnant, priant, les larmes aux yeux ; et c'est ainsi que le caractère propre du Seigneur apparut aux yeux de leur âme, et qu'ils purent l'exprimer de leurs mains sur les icônes. Et cela se fit d'après la parole que le Seigneur Lui-même avait dite : « Celui qui m'aime sera aimé de mon Père, et je l'aimerai, et je me manifesterai à lui » (Jn. 14, 21). Cette manifestation n'est pas charnelle, elle est spirituelle, tout comme l'impression qui en est faite sur l'icône immaculée » (Ekphrasis, 2, Athènes, 1960, p. IX).
Et Photios Kontoglou aurait sûrement souscrit à l'opinion de saint Photios le Grand, son homonyme, qui eut à lutter contre les iconoclastes et à répondre à des objections semblables à celles des modernes. Certains iconoclastes, en effet, s'appuyaient sur les différences qui existent, dans la façon de représenter le Sauveur, entre les icônes romaines, grecques, indiennes, égyptiennes, éthiopiennes, etc. pour demander laquelle était la vraie image du Christ. Leur intention inavouée était évidemment de prouver, par cette diversité, que le Christ n'était pas venu sur terre, chacun l'imaginant à sa manière. Saint Photios, après avoir discuté et réfuté leurs opinions, fait la remarque suivante : « Celui qui est représenté dans l'icône n'est pas iconographié simplement par la reproduction d'un contour corporel et l'application d'un coloris à la forme ; Il l'est aussi par la manifestation de telle ou telle disposition intérieure, et des actes qui l'accompagnent, par l'expression des sentiments, par l'installation de l'icône dans les lieux sacrés, par le sens des paroles qui y sont inscrites, et par bien d'autres symboles admirables ; or il est bien impossible qu'un seul de ces symboles ne soit pas présent ou à tout le moins que la plupart ne se trouvent pas réunis, dans les icônes vénérées par les fidèles. Par les symboles présents, donc, non moins que s'ils étaient tous là, nous sommes élevés (anagometha) vers la connaissance et la vénération de Celui qui est iconographié, en quoi réside le but précis de l'art iconographique [ 10 ] ».
De cet art qui ne se donne pas pour une reproduction de la nature, ni pour une création qui se suffirait à soi seule, mais qui vise un but plus haut, Photios Kontoglou a été l'ouvrier, l'exégète et le théologien. Pour celui qui a des yeux pour voir la beauté intérieure et véritable, les autres arts, comparés à cet art spirituel, paraissent sans force. Résumant son expérience, Photios Kontoglou écrivait : « L'art de Byzance est, pour moi, l'art des arts… Seul, cet art nourrit mon âme de ses forces profondes et mystérieuses, seul il apaise la soif que je sens au milieu de ce désert aride qui nous encercle. Face à l'art byzantin, les autres me paraissent légers, « ils s'inquiètent pour beaucoup de choses », alors qu'« une seule chose est nécessaire ». Cet unique nécessaire, celui qui l'a compris, l'a vraiment compris [ 11 ] ».
1 Ce qui suit est tiré principalement du livre que nous venons de citer de Cavarnos, paru en grec à Athènes en 1985. Il vient compléter deux ouvrages de l'auteur également consacrés à Konloglou : Byzantine Sacred Art, New York, 1927 et La Grèce et l'Orthodoxie (Hellas kai Orthodoxia, paru en grec à Athènes en 1967).
2 Voyez, dans La Lumière du Thabor, n° 21, 1er trim. 89, p.11-15, raconté par Kontoglou, le récit d'une aventure vécue.
3 Voir Ph. Kontoglou, « L'iconographie orthodoxe : ce qu'elle est », en français dans La Lumière du Thabor, n°16, 4ème trim. 1987, p.76-80.
4 C. Cavarnos, op. cit., p. 133-135.
5 Ou hagiographie, représenté à la manière des saintes icônes. Ibid. p. 119-120.
6 C. Cavarnos,, op. cit, p.122.
7 Ibid, p. 52-53.
8 Ibid., p. 122.
9 Photios Kontoglou, La Romanité souffrante, Athènes, 1963, p.94.
10 Saint Photios, Amphilochia, 205, Migne, PG 101, Paris, 1860, (repr. Athènes, 1991) 947-952.
11 Ph. Konloglou, La Romanité souffrante, op. cit., p. 93.
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