mercredi 29 décembre 2010

Préface aux Oeuvres de Saint Grégoire Palamas, par Saint Nicodème Aghiorite.

3

PRÉFACE AUX ŒUVRES DE
SAINT GRÉGOIRE PALAMAS

Par saint Nicodème l’Athonite

L’édition des œuvres de saint Grégoire Palamas, préparée par saint Nicodème ne vit jamais le jour, parce que les Autrichiens, on ne sait pas pourquoi, saccagèrent en ce temps là, les ateliers de l’imprimeur grec de Vienne. Les manuscrits furent détruits ou perdus, et seule la merveilleu­se introduction, que nous publions pour la première fois en français, ci-après, a été sauvée. En la lisant, on comprend que seul un hésychaste pouvait présenter l’œuvre d’un autre hésychaste…

Voici le texte de cette Introduction :

« Je déplore le temps, où les œuvres merveilleu­ses et pleines de sagesse de Grégoire le Grand, l’illuminateur de Thessalonique, n’étaient pas encore éditées. Maudite soit la jalousie ! Ou plutôt maudit soit le père de la jalousie (le diable), qui a laissé ces œuvres dans l’obscurité, à l’écart et de justesse sauvées de la destruction ; œuvres dignes, œuvres plus que dignes, pour ne pas dire dignes du ciel, de voir la lumiè­re dans ce monde. Aux malheurs qui ont frappé notre peuple est venu s’ajouter, pour nos frères, cet autre malheur, imposé par l’ennemi du Bien.

L’ÉTHIQUE qui purifie les passions, se lamente d’avoir été privée, par l’absence de ces œuvres, du discernement rigoureux et du cordeau des passions et des vertus. Se lamente aussi, la THÉOLOGIE de la nature qui éclaire l’âme et l’Écriture divine et inspirée, en quête de leurs raisons claires et vraies. Se lamente surtout la science THÉOLOGIQUE, qui mène à la perfection, et qui jusqu’ici quelque peu imprécise, cherchait son achèvement.

Je dirai en un mot, que toute l’Église du Christ, tout le plérôme orthodoxe, tout le clergé sacré qui entre dans le Sanctuaire et approche Dieu, tout le peuple qui se tient hors du Sanctuaire, ont été privés d’une grande gloire, d’une grande force, d’une immense richesse, par l’absence de ces trésors spirituels. Et je serai audacieux, en disant que sans les œuvres du divin Palamas, l’Église glorieuse aurait manqué de gloire, l’Église forte aurait manqué de force, l’Église qui dispense la richesse aurait été appauvrie.

Mais que soit béni pour tous les siècles, l’Intel­lect, le Verbe, le Fils du Père, l’Auteur et le Dispensateur de tout bien, en particulier pour ces œuvres, où Lui-Même est le sujet. Lui qui par sa volonté seule, change toute chose, a fait de notre siècle, un siècle bienheu­reux. Il a dissipé la haine, changé la tristesse en joie et donné à son Église l’éclat, par l’édition de ces écrits. Il a tout disposé, selon son économie, et fait en sorte, comme on va le voir, que les œuvres les plus pédagogiques d’au­tres théologiens, précédent afin de préparer les esprits à recevoir les œuvres sublimes de ce Père divin qui en sont la synopse, l’aboutissement et la confirmation.
Ceci est une loi, un ordre sacré, même pour le monde angélique, que ce qui est imparfait, élémentaire, précède ce qui est parfait, à cause de la faiblesse des réceptionnaires. La Loi de Moyse et l’Évangile confirment cette règle. La première qui était imparfaite, fut donnée à des hommes imparfaits ; le second qui était la perfection, fut révélé après la Loi à ceux qui étaient parfaits. Les trompettes dont le son devenait de plus en plus fort sur le Sinaï, ont préfiguré tout cela. (Exode XIX, 19.)

En outre, Dieu qui est Juste, ne pouvait tolérer que des œuvres où Lui-Même était le sujet, écrites sur les tables du cœur, non avec de l’encre mais par l’Esprit, fussent abandonnées à l’oubli, inconnues, sans gloire ; que les chrétiens d’aujourd’hui et ceux de demain, fussent privés de ce grand bienfait, et que fût outragé Grégoire son ami, qui avait tant peiné pour les écrire.

Pour présenter quelque peu l’homme, comme d’après les griffes le lion, je dirai ceci : que nul autre comme Grégoire, n’a atteint la cime la plus élevée dans l’action et la contemplation. Retiré dans un lieu inaccessible de l’Athos sacré, loin du tumulte du monde, cet homme trois fois heureux, s’éleva au-dessus de tout le sensible et, pour parler comme saint Maxime, non seulement au-dessus des passions, mais encore au-dessus de leurs causes ; non seulement au-dessus de la nature, mais encore au-dessus des raisons de la nature et, en général, au-dessus des choses intellectives qu’on ne saurait imaginer, et au-dessus de leurs raisons. Et c’est alors qu’il reçut, dans son cœur, la Lumiè­re Hypostatique de la Grâce Divine, qu’il découvrit en lui un autre ciel, un autre soleil et le silence spirituel, que l’Apôtre Justus appelle « silence sacré », où agit, ce qu’on appelle selon Grégoire le Sinaïte, l’éros merveilleux du cœur. Marchant ainsi dans la voie de la Lumière Divine, comme Paul, il est ravi, non seulement avec son esprit, mais aussi avec toutes les puissances de l’âme, avec aussi sa sensation (le souffle excepté), d’un rapt total et surnaturel, au cours duquel naît l’éros extatique, selon l’expression du même Grégoire du Sinaï. Puis, il gravit les montagnes éternelles, porté non par l’imagination de la pensée, mais par la force indicible de l’Esprit, ne sachant pas si c’est avec ou sans son corps. Et, ô mer­veille ! il devient épopte de choses qui sont au-delà du monde, il entend des paroles ineffa­bles, qu’on ne peut ni démontrer, ni exprimer, ni atteindre.

Parvenu dans la ténèbre plus que lumineuse de la Source Divine, selon Denys l’initiateur aux secrets divins, là où sont voilés les Mystères simples, absolus et inaltérables de la Théologie, il est fait digne de voir dans l’invisibilité, et de connaître dans l’incognoscibilité, Celui qui est au-delà de toute vision, de toute connais­sance. Voilà ce qu’est en vérité, « voir et connaître ».

Et pour parler d’une manière synoptique, il reste tout entier homme : âme et corps, selon la nature, et devient tout entier Dieu : âme et corps, par la Grâce infinie de la déification, selon Maxime le Théophore, « uni à Dieu selon la Grâce, il connaît Celui qui le connaît, et il est connu par Celui qu’il connaît. »

On peut citer ici, son homonyme et théologien : « II voit le dos de Dieu, mais ne peut nullement en contempler la Face ; comme Moyse, il devient son ami, et se tient spirituellement face à face. » (Exode 33, 11).
Mais, puisque selon le proverbe, tout est commun entre amis, Dieu révèle ses Mystères à son ami, il lui révèle les raisons secrètes de la nature et ôte pour lui, le voile qui recouvre certaines significations de la Sainte Écriture. Il ne lui donne pas seulement le charisme de la diorasis (don de voir les réalités spirituelles ou ce qui se passe à distance), de lire dans les êtres présents, ni le charisme du discernement des esprits et des choses, mais aussi le plus grand, celui de la pro-orasis, de voir à l’avance ce qui doit arriver beaucoup plus tard.

Plus qu’à n’importe quel autre saint, Il lui donne, avec abondance, le don des miracles, qu’il fera pendant sa vie et après sa mort, au point que l’Église lui donnera le surnom de Thaumaturge. Et sa dépouille intacte et embaumante, est un miracle que l’on peut voir, aujourd’hui encore à Thessalonique.

Dieu lui révèle les symboles du « DOS » divin, c’est à dire sa puissance divine, ses énergies, sa sagesse, sa bonté, sa gloire, son immensité, en un mot, tout ce qui est autour de sa nature divine et qui peut être contemplé, et que tout esprit théologien se doit de rechercher, car seules ces choses sont accessibles. Quant à ce qu’on appelle symboliquement « FACE de DIEU », c’est à dire son essence, il est interdit à l’homme de chercher à l’examiner, parce qu’elle est absolument inabordable, inacces­sible à tout esprit créé ; elle est inexprimable, totalement anonyme et inconnaissable, « au-delà même de toute suressentialité. »

En plus de tous ces charismes, Dieu lui donne de théologuer avec sûreté et impeccabilité, don plus que désirable et au-dessus de tous les dons qui élève jusqu’à l’amour divin. La Mère de Dieu et Jean, le premier des théologiens, ont intercédé pour que ces charismes lui fussent donnés. C’est Jean, lors d’une apparition mysti­que qui a révélé cela à Grégoire en état de veille. Le même Jean, lors d’une autre apparition l’exhorta de rédiger, dans l’intérêt des chrétiens, « tout ce que l’Esprit avait murmuré aux oreilles de son cœur. »

Ce qui fait la supériorité exceptionnelle des œuvres de mon théologien, et le place au-dessus des autres théologiens, c’est qu’il a commencé à écrire, non par désir personnel, sans la volonté divine, mais sur un ordre, sur une révélation de Dieu.

Grégoire n’a pas seulement appris les choses divines, mais il les a aussi vécues, et, pour m’exprimer comme l’Aréopagite, uni à elles et à leur science, il s’est parfait. Il appartient désormais, non à la classe de ceux qui se puri­fient, mais à celle de ceux qui sont déjà purifiés de la purification plus que parfaite du cœur et de l’esprit, et jouit de révélations qui sont au-delà de la théologie transmise par la parole. Il avait appris de son homonyme théologien (saint Grégoire le Théologien), que la chose n’était pas aisée et qu’il n’appartenait pas à n’importe qui de théologuer en toute vérité, mais aux purifiés d’âme et de corps, ou au pis aller, à ceux qui étaient en cours de purification.

Appuyé sur ces données, il écrit les dogmes indicibles de la piété, et du haut de la chaire des presbytres et des évêques, il loue le Seigneur dans l’Église des Thessaloniciens, dans l’Église entière, devant le Sénat, honoré par la présence des Empereurs.
En de nombreux conciles importants par le nombre des participants, ne le cédant en rien aux Œcuméniques, il expose les Mystères de Dieu, s’oppose avec courage aux innovations des « antithéïstes », des hérétiques, et par des preuves logiques et scripturaires, il les défait par la force de sa « main théophore » et dresse le trophée.

Il monte en première ligne et combat pour la Foi, il lutte pour l’orthodoxie des Pères théologiens et va, pour elle, jusqu’à être jeté en prison et s’apprête à mourir. Tous ceux qui l’entendaient et le voyaient, l’admiraient sans le connaître, sentant en lui un vrai théolo­gien, nullement inférieur aux grands et illustres comme Basile le Grand, Grégoire le Théologien, Jean Chrysostome, Athanase et Cyrille et les autres.

Devenu Lumière, il voit dans la Lumière et demeure dans la Lumière (c’est dans la Lumière en effet, que sont manifestées toutes choses), et c’est dans la Lumière qu’il comprend, parle et écrit toutes ses œuvres que j’appelle « lumiè­res théurgiques », œuvres qui conduisent les sages dans la Lumière où ils se transfigurent et se déifient, selon Maxime le Divin.

Dans ses écrits, il traite de l’Éthique, de la Théologie de la nature, de l’Exégèse Scripturaire, de la Théologie Mystique, de la Purification…

Dieu qui ne pouvait supporter – je l’ai déjà dit – de voir ces œuvres demeurer dans l’obscuri­té, les jugea dignes d’être portées au grand jour et, par l’édition, d’être connues de tous. Devenues ainsi plus que lumineuses, elles n’au­ront désormais besoin d’aucune autre lumière pour être manifestées.

Et voici comment Dieu a agi. Par sa Grâce illuminative, qui attire et met tout en mouve­ment, il a éclairé l’esprit et a touché le cœur du saint et savant évêque d’Héliopole et Thyatire, le seigneur Léonce, originaire de Thessalonique. Cet homme de Dieu, ce fidèle économe de ses Mystères, a assumé les frais de l’édition, pour le grand bien des frères dont il était l’ami. Il était normal que le hiérarque honorât le hiérarque et le théologien le théologien, en faisant connaître ses œuvres théologiques. Comme autrefois Esdras le Pontife qui restitua la Loi au peuple des Juifs (II Esdras 9, 40), lui aussi offrait maintenant ces écrits à toute l’Église, à toutes les âmes du temps présent et futur, comme des Lois divines écrites par Dieu, colonne portant l’Orthodoxie, trésors appartenant à tous.

Venez donc, vous tous qui participez à la vocation céleste (Hébreux 3,1), à ce banquet spirituel, abondant et varié. Le restaurateur et préparateur c’est Grégoire le Grand, le Thaumaturge, ou plutôt le Paraclet qui a parlé par Grégoire. Celui qui invite, c’est l’évêque d’Héliopole, qui appelle tout le monde, par les paroles du Cantique : « Mangez mon pain avec mon miel, buvez mon vin avec mon lait ; mes proches, mangez, mes frères, enivrez-vous ». (Cant. 5, 2).
Vous donc, novices et commençants, buvez le lait pur et sans mélange de la doctrine éthique, et purifiez vos âmes et vos corps. Et vous qui progressez, régalez-vous, régalez-vous du miel du travail neptique qui purifie l’in­tellect, travail qui apporte le deuil béni et la volupté spirituelle qui jaillit, ineffablement du cœur où le Seigneur Jésus fait connaître aux sens spirituels, combien Il est doux et Bon, selon le prophète. (Ps. 38, 8)
Et vous, qui êtes au milieu, qui courez vers la perfection, initiés aux paroles profondes des Écritures Divines, mangez la nourriture solide, je veux dire le pain de la contemplation de la nature. Et vous aussi, les parfaits, buvez le vin qui vous plonge dans l’extase de la Théolo­gie surnaturelle ou Vision de Dieu ; je pourrai dire avec plus de justesse, enivrez-vous de l’ivresse de la déification, devenez dans la Grâce, de parfaits extatiques, et vous monterez, non seulement au-dessus de toute signification, mais aussi vous serez hors de vous-mêmes, pour vous unir entiers à Dieu, dans l’union surnaturelle, appelée aussi « anacrase ». Toujours est-il, que tous, vous vous régalerez dans ce fastueux banquet de délices, jamais limité, jamais consommé ; banquet immortel et profitable à l’âme immortelle. Je cite ici l’Évangile qui dit : « Beaucoup de sages, de docteurs, de théologiens, ont désiré voir ce que nous voyons et jouir de ce que nous jouissons, et ils n’ont pas été exaucés ». (cf. Matth. 13, 17).

En buvant le bon vin offert par ces écrits, n’accusez pas de négligence celui qui vous a conviés à ce symposium et ne lui faites pas les reproches de l’ordonnateur du repas : « tout homme sert d’abord le bon vin, puis le moins bon après qu’on s’est enivré. Toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à présent » (Jean 2, 10). Si telle est la règle des hommes, la règle de Dieu lui est contraire : Dieu offre d’abord le vin qui est moins bon et ensuite II sert le « meilleur », « qui a été gardé jusqu’à présent », pour être offert aux fidèles, par l’évêque d’Héliopole, comme un présent exceptionnel, donné à lui par Dieu.

Si à ce festin spirituel, je devais, moi aussi offrir quelque chose d’agréable, je dirais aux bons convives, en peu de mots, le plaisir et la grâce qu’on trouve dans ces écrits, afin de les inciter à les lire.

Quand je lis l’Éthique de Grégoire le Grand, je renonce à la chair et au monde, je hais les passions et j’embrasse la vie des moines qui est cachée en Christ. Par la pratique des commandements, je me purifie, je veux vivre avec les vertus et m’élever vers ce qu’il y a de parfait, devenir Temple de Dieu, Demeure du Saint-Esprit.

Quand je lis les Neptiques ou purifications, je suis initié aux secrets mêmes de la purifica­tion sacrée et de la vertu désirable : j’apprends comment l’Intellect retourne complètement dans l’homme intérieur, que son mouvement est circulaire et immobile, et qu’il est tout tendu vers le divin. J’entre dans l’enceinte de la véritable hésychie (silence) où je me découvre ou plutôt je découvre Dieu en moi, et L’approche, par la prière brève du cœur et la contrition ardente qu’engendre la prière. J’apprends ce qu’est la pureté durable de l’intel­lect et du cœur; j’apprends aussi les lois du retour de l’intellect dans le cœur et les démon­strations théoriques tirées de l’Écriture, de la nature, de l’expérience, pour la justesse de cette occupation.

Convaincu par ces éléments probants, je me moque des contradicteurs sans sagesse et non initiés, qu’ils soient anciens ou contemporains.

Quand je me penche sur les écrits qui traitent de la Théologie de la nature, de l’Exégèse Biblique, je trouve certains d’entre eux, comparés à tout ce qui a été dit par les saints anciens, fort originaux, par leur élaboration herméneutique où la lettre acquiert une profon­deur inattendue.
Ce Père saint a brisé l’écorce des expressions extérieures et a révélé la beauté secrète des raisons de la nature corporel­le et incorporelle, c’est à dire des dessins du Saint-Esprit. Et moi, en découvrant cette beauté, comme une perle précieuse cachée dans une huître, je suis envahi de joie, je deviens plus que contemplatif, je descends de profondeur en profondeur, je vais d’un abîme à un autre abîme.

Dans ses Physika et dans ses Commentaires, je trouve des arguments sûrs et irréfutables, la mœlle, la profondeur même de tout ce qui est examiné avec justesse et rigueur.

Mais quand il s’agit des admirables œuvres Théologiques et Antihérétiques de Grégoire le Grand, ma raison aime à les appro­cher, mais quant à les étudier, elle a le vertige, vu leur hauteur, leur profondeur, leur longueur et leur largeur, en vérité inexprimables.

Devenu vraiment esprit théologien, à cause de la pureté de son cœur, non seulement en puissance, mais aussi en acte, il a rassemblé en une unité parfaite, tout ce que les autres Pères Théologiens avaient écrit sporadiquement, et a glané ce qu’il avait trouvé de plus théologi­que, et tout ce qui pouvait paraître, aux yeux de ses ennemis cacodoxes, d’une orthodoxie floue et répréhensible, « il l’expliquait avec une sagesse toute divine, dans l’esprit de la plus haute piété », et c’est ainsi qu’il a sauvé l’autorité des Pères.

En outre, le divin Grégoire devait y ajouter tout ce que Dieu lui avait révélé surnaturellement, « lors de la passion bienheureuse, au cours de son rapt indicible, dans la ténèbre plus que lumineuse » après l’avoir élaboré et incorporé en une unité d’une réelle beauté théologique, formant un édifice parfait, qui provoque vraiment l’admiration de toute ouïe, de toute pensée.

En me penchant sur ces œuvres, je deviens aussitôt un vrai théologien. Oh ! à combien de Mystères, en un clin d’œil, je suis initié, à quels concepts spirituels je parviens ! Je saute par-dessus les choses humaines, je fends l’air qui entoure la terre, je dépasse l’éther, je traverse le ciel de feu et j’arrive presque au troisième ciel.

L’enthousiasme m’envahit, je monte au-dessus des puissances angéliques, je pénètre le Mystère de la Monade de l’Indivisible Trinité, le Mystère du Dieu Unique, Un et Trois. Un selon la Divinité c’est à dire l’Essence, Trois selon les Personnes. J’apprends, qu’arithmétiquement, UNE est l’Essence des Trois hypostases, qu’elle est simple, inconcevable, sans nom, absolument imparticipable par la créature. Des Trois Hypos­tases, j’apprends que seul le Père est Principe, cause, racine de la Divinité contemplée dans le Fils et le Saint-Esprit ; que le Fils n’est que Causé=Effet, engendré par le Père et nullement cause de l’Esprit ; que l’Esprit est également Causé=Effet, Seul procédant du Père Seul et non du Fils. Je rejette l’innovation qui supprime la Monarchie dans la Divinité et introduit, nécessairement, la dyarchie, le double principe, dans la Trinité.

Je n’y apprends pas que des choses qui sont communes à tous les Pères Théologiens, car je suis aussi initié à la connaissance de la Théologie de Palamas le Grand, pour laquelle il s’est battu jusqu’à la fin de sa vie, par ses discussions et ses écrits.
J’apprends également, et d’une manière concrète, que ce qui se trouve entre l’Essence imparticipable de Dieu et les hommes créés et à quoi ils participent, communiant ainsi à Dieu Lui-Même : ce sont les Énergies naturelles, les forces de Dieu, différentes entre elles et différentes de l’Essence. J’apprends aussi, que les Énergies sont incréées, que Dieu n’est pas composé, que sa Nature est UNE et ses Énergies multiples.

Dieu, en son Essence, et comme Cause des énergies incréées, est au-delà de toutes les Énergies et Forces éternellement contemplées.

Il m’est enseigné que ce qui est vu et participé par les Saints, ne peut être participé ni vu par ceux qui ne sont pas saints. Là, j’apprends que ce qui est participable est incréé, mais qu’il n’est pas, bien qu’incréé, l’Essence même de l’Esprit ; et que pour n’être pas l’Essence de l’Esprit, il n’est pas, pour cela, séparé de Lui et lui reste inséparable.

Et maintenant, conduit dans la Lumière, j’ap­prends que le Don gratuit, l’énergie déifiante, participée par les Saints, est appelée Divinité, que ce Don déifiant enrichit le Nom surnaturel de l’Essence de Dieu, de laquelle il jaillit naturellement. Me voici maintenant illuminé par ce Don gratuit, qui n’est pas créé et qui n’a aucun rapport avec les phénomènes de la nature. Il est hors des limites de la nature et, cette Énergie, cette Grâce de l’Esprit est vue comme Lumière, par ceux qui en sont dignes.

Cette Grâce est une Énergie commune de la Sainte Trinité, une selon le nombre : elle jaillit du Père, seule Cause, elle vient par le Fils et elle est manifestée dans le Saint-Esprit. Quand le Divin est séparé selon les Personnes, il reste cependant indivisible en ses énergies. Et quand selon ses Forces et ses Énergies le Divin se sépare, il reste indivisible en ses Hypostases.

Et aussi, selon l’esprit vraiment sublime et théophore des Saints Pères, on appelle orthodoxement Oussie=Essence, chaque énergie de Dieu. Grégoire le Divin, pas moins que ceux-ci christophore, pneumatophore et théophore, dit que l’on peut appeler Essences, les Énergies de Dieu, non en les comparant à l’Essence Une et suressentielle, en laquelle elles prennent leur source, mais par rapport aux effets et aux créatures qu’elles substantifient ou essencifient. Car si les créatures sont aussi des essences, combien plus le sont les Énergies Incréées.

De plus, j’apprends de ce seul Théologien précis, que les Personnes Théarchiques de la Très Royale Trinité, sont appelées, en Théologie, quant à leur mode d’existence, autohypostases, chose que nul autre Père Théologien n’avait dite jusqu’ici.

En plus de tout ce qui précède, j’apprends encore, que la Lumière qui a resplendi sur le Mont Thabor, n’est ni un simulacre ni une créature, ni quelque chose d’inférieur à l’intelli­gence humaine, ni non plus l’Essence de Dieu, deux maux diamétralement opposés et égaux dans l’impiété, mais que cette Lumière est incréée, qu’elle est une énergie naturelle de Dieu, qu’elle est Divinité, Royauté, Splendeur, et tous les autres noms qui lui sont donnés par les Pères Théophores.


Je laisse de côté les autres visions théologiques, et les révélations sublimes et magnifiques, que seule une expérience profonde dans l’Esprit pouvait formuler, afin qu’elles ne fussent pas prises pour des produits de la nature humaine mais de la nature surnaturelle et céleste.

Face à ces révélations, les hérétiques qui vont à leur perte, n’ont pu se tenir debout, pour voir et entendre, eux qui dans leur impiété, ont osé pénétrer dans les lieux sacrés. Ils ont été foudroyés, ils sont restés sans voix et sont retournés dans leurs antres obscurs d’où ils étaient sortis. Ils ont prouvé qu’ils n’étaient, selon le proverbe, que des singes devant un lion, des moustiques devant un éléphant. Ils n’ont pu résister à la science théologi­que, à la rigueur des démonstrations, et aux discours sacrés de Grégoire le Grand.

Et ce n’est pas pour aujourd’hui seulement, et je le sais fort bien, mais pour toujours, qu’ils resteront cachés dans leurs cavernes, dans leurs antres, dans leurs tanières, pour se coucher, ces animaux de la forêt ; je parle des adeptes, des disciples, des fils spirituels de ces hérétiques, qui après le lever du Soleil spirituel de la Théologie, après l’édition de ses œuvres, ne pourront ni attaquer, ni persifler, ni crier, devant celui qui possède en abondance la Lumière. Le divin David a dit d’eux, d’une manière figurée : « Le Soleil se lève, ils se retirent et se couchent dans leurs tanières » (Ps. 103, 23).

Ces œuvres, je les comparerai très volontiers, à la Tente de Moyse, qui était une figure de la terre, du ciel et des choses supra-célestes. Son Éthique, ressemble au parvis de la Tente qui figurait la terre. Ses œuvres Neptiques, Physiques et Herméneutiques, ressemblent au Sanctuaire qui figurait le Ciel, et les Théologiques, ressemblent, selon David le Mystagogue, au Saint des Saints, figure des choses impénétrables qui sont au-dessus des cieux.

Si quelqu’un veut étudier la forme de son style, qu’il sache – à moins que je ne sois mauvais juge en la matière – que le verbe de cet homme ne manque pas de beauté. Instruit de toute la philosophie profane, exercé aux figures de la rhétorique, il ne manque ni du miel, ni de la grâce attiques. Ni la finesse du discours ni l’élégance du langage ne lui ont fait défaut. Partout son discours est symétrique dans ses périodes, mais davantage dans ses Commentaires, ses Panégyriques et ses Réfutations. Il fut par-dessus tout, créateur de clarté, d’un vocabulaire précis, de termes expressifs ; observateur scrupuleux de la syntaxe, il évite les figures excessives et elliptiques, les méta­phores et les périodes interminables.

Ainsi, son discours n’est jamais prosaïque et il obtient toujours un heureux mélange de clarté et d’élévation, de gravité, sans ellipses, sans excès, se mouvant dans un juste milieu. Et c’est ainsi qu’il arrive à rendre accessible, ce qui dans sa Théologie Trinitaire et dans son Économie Mystique du Verbe-Dieu, est élevé et difficile à examiner. « Mon rhéteur plus que doux qui m’exhorte à la mort » se distingue par sa grande facilité à retenir en sa mémoire les textes, ce qui contribue à la richesse et à la rigueur de ses discours. Dogmaticien, raisonneur, syllogiste, sentencieux, il se plaît en tout ce qui concerne la Purification et la Théologie. Le cube et le carré sont la base de ses écrits.

Aussi est-il plus qu’efficace, et peut servir aux écrivains de modèle à imiter. Seul notre auteur, avec quel­ques autres, est merveilleusement doué pour exprimer sa pensée avec beauté. Il aurait pu changer son discours en massif de rosiers ou en lyre harmonieuse, ou en flûte douce, s’il n’avait renoncé depuis longtemps à tout cela pour l’ascèse et la prière, comme lui-même le dit.

Tout ce que je viens de dire est confirmé par le saint et savant Patriarche Philothée, qui parlant des œuvres de Grégoire le divin, surtout des Neptiques et des Théologiques, dit : « Ô tête sainte et divine, que peut-on dire de tes écrits sacrés. Ils doivent, en vérité, être appelés sacrés. Sacré est en effet, tout ce qui a trait aux choses saintes. Tes œuvres ne sont pas sacrées comme le sont les autres, mais par leur contenu et leur étendue, elles sont sacrées parmi les sacrées, à la manière du Saint des Saints du Temple et du Cantique des cantiques… »

« …Soyons reconnaissants, écrit Théoclète le moine, envers ce Théologien de l’Orthodoxie, « Beauté des moines », « Docteur et affermissement de l’Église », « fleur embaumée de l’Athos sacré, le Paradis de Marie la Mère de Dieu ». Mais avant tout, soyons reconnaissants, envers le Seigneur, qui a donné à son Église, la Théologie Mystique, « écrite par Lui-Même, sur les tables du cœur de Grégoire le divin. »

En effet, grâce à l’esprit de Palamas, que Dieu a éclairé, nous avons connu les trésors du Saint-Esprit, les dons divins déposés dans notre Église Orthodoxe, comme Grâce Incréée, comme Lumière Divine, comme Énergies substantifiées de Dieu, comme Communion directe avec le Soleil Suressentiel de Justice, par la participation à ses rayons.

Nous devons comprendre, en profondeur, jusqu’à ses extrêmes conséquences, le froid, l’anti-palamite, l’anti-orthodoxe et inhumain Actus Purus, pour apprécier à sa juste valeur, le Message renouvelé à l’Église, à savoir, les énergies Incréées, la Grâce déifiante, prophétiquement apportées, de la part de Dieu, par le grand parmi les Pères : Grégoire Palamas.

Si l’Orthodoxie se sent baignée dans la Lumière Incréée, ce lien vrai et permanent avec Dieu, elle le doit aux Énergies Incréées qui sont participables, et que Grégoire le Théophore a révélées, avec tant de clarté, par la distinction fondamentale qu’il a faite, entre l’Essence de Dieu et ses Énergies Essentielles. De ceci on peut déduire l’abîme qui sépare l’Orthodoxie du Catholicisme romain (Papisme), qui nie cette distinction en Dieu et digne de Dieu, et rejette de ce fait, toute relation réelle entre le Créateur et sa créature raisonnable. Combien cet Actus Purus a appauvri la vie, combien il a éloigné Dieu de l’homme, combien il a plongé dans le désespoir les êtres raisonnables, qui ne sentent pas sur eux, l’Amour agissant du Père ; on peut le mesurer par l’incommunicabilité de Dieu avec sa créature, à laquelle elle est condamnée.

« Le Dieu des latins et des Philosophes est si inaccessible, si imparticipable, que tout contact réel avec ses créatures est absolument impensable. Dieu est exclu, sans pouvoir agir dans le monde, par ses Énergies naturelles ; se voit obligé d’utiliser « de très loin », des grâces non pas divines mais créées. »
« Alors qu’il suffit à l’orthodoxe, de vouloir scintiller dans les rayons déifiants, que Dieu émet en permanence pour les âmes pures, pour se trouver dans la Lumière éblouissante et incréée, tout entier déifié âme et corps. Par contre, celui qui nie la Grâce déifiante demeure froid, sous la « Loi », non aimé et triste, sentant son Dieu absent de sa vie, condamné à vivre dans des limites naturelles, extraordinairement étriquées, en attendant que la Grâce lui soit octroyée. »

« On pourrait tenter la comparaison suivante : le Dieu des Orthodoxes ressemblerait au soleil éclatant, dont la lumière et les rayons repose­raient avec béatitude sur les fidèles, selon leur capacité réceptrice. Tandis que le Dieu des Latins et des Philosophes, ressemblerait au disque solaire, voilé de nuages, qui n’étant, selon eux, qu’Essence, se trouve hors de la création, création qui en conséquence, se trouve sans lumière. Et ceci est une véritable tragédie qui faisait peur au divin Palamas. « Si tu ôtes, écrit-il, ce qui se trouve entre l’Essence imparticipable de Dieu et les fidèles, c’est à dire les Énergies incréées, Ô quel malheur ! tu nous a séparés de Dieu. Tu as chassé les Énergies incréées qui unissent Dieu et les fidèles, tu as créé un abîme grand et infranchissable entre Dieu, sa créature et sa Providence pour les hommes. »

Voila la conséquence de l’absence de Dieu dans la vie des fidèles. Dans ce climat de deuil et d’orphelinat, dans ce climat glacial dû à l’absence de l’Amour Divin, dans la sensation que Dieu se trouve hors de la vie, l’Occident a eu besoin d’un certain « consolateur », pour combler le vide. La consécration du Pape – de qui découle toute grâce – ne serait-elle pas la réponse aux questions ci-dessus ?

L’Orthodoxie n’a jamais eu besoin d’un être humain comme intermédiaire, puisqu’elle est en relation permanente et ininterrompue avec Dieu, par ses rayons incréés, et nous, en tant « qu’enfants lumineux de l’Église », nous nous trouvons comblés de la « Grâce qui jaillit de Dieu », « brillants, scintillants, transfigurés. »

Nous devenons des dieux par la Grâce et par la participation, selon le psalmiste sacré : « J’ai dit vous êtes des dieux, vous êtes fils du Très-Haut... » (Ps. 81,6).

Théoclète le Moine : Saint Grégoire Palamas, Thessalonique, 1976.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire