samedi 25 décembre 2010

Cahier Guettée n°1 : SAINT PHOTIOS KONDOGLOU. La papauté & l'Orthodoxie.

PHOTIOS KONGOGLOU
LA PAPAUTE ET L'ORTHODOXIE
Chacun de nous devrait connaître la différence entre l'orthodoxie et la papauté, et être capable, même s'il est né orthodoxe, de comprendre et de défendre sa foi. La plupart d'entre nous ont souvent des idées trop vagues sur ces questions et c'est ce qui nous fait passer pour présomptueux aux yeux des hétérodoxes. Inversement quelques-uns, pour la même raison, deviennent la proie facile des croyances hérétiques.
Il est donc utile de définir pieusement et simplement ce qu'est l'orthodoxie et ce qu'est le papisme.
L'Église orthodoxe est l'Église du Christ ; elle garde sa Parole, elle n'a rien changé de ce que les Apôtres nous ont transmis. Pour cette raison, elle est appelée l'Église Apostolique. Telle est sa gloire : elle est demeurée inchangée dans un monde qui change constamment, elle guide le fidèle au sein de la nuit épaisse de l'athéisme et de l'erreur, comme l'étoile polaire est, pour le navigateur, le seul luminaire fixe qui puisse l'orienter.
L'orthodoxie est restée inchangée à travers les siècles, parce que la Vérité du Verbe de Dieu a été transmise scellée aux hommes ; on n'en peut rien retrancher ni rien y ajouter, car rien ne manque en elle, rien n'y est inutile.
Cette vérité de l'Évangile, les Pères de l'Église ont su la protéger contre les hérétiques qui, depuis les premiers siècles, n'ont cessé de vouloir interpréter l'Écriture selon leur esprit pécheur. Les dogmes de l'Église sont les dogmes véritables révélés aux hommes par Notre Seigneur Jésus Christ. Ils ont été confirmés par les sept Conciles Œcuméniques qui ont été réunis chaque fois que des impies ont osé appliquer leurs opinions personnelles à la foi. Les Saints Pères, réunis en concile, invoquaient le Saint Esprit et confirmaient la foi orthodoxe, scellant les vérités de la foi et rejetant toute formulation, toute interprétation non conformes aux décisions des Saints Conciles.
Quel malheur lorsque la Parole de Dieu est interprétée par chaque individu comme cela l'arrange ! Alors se produisent toutes les déceptions et les tromperies et un véritable chaos spirituel s'ensuit. Les Israélites, quand ils suivaient Moïse dans le désert, ne savaient pas dans quelle direction ils devaient aller ; mais Dieu les guidait par la colonne de feu ; ils ne s'égarèrent pas mais marchèrent jusqu'à ce qu'ils aient atteint la Terre Promise. Pour nous, les chrétiens, la colonne de feu, le guide de notre foi, est la demeure lumineuse de l'Église grâce à laquelle nous ne nous égarons pas.
Cette Église, dont les fondements ont été établis par le Christ, qui s'est construite et organisée ensuite selon l'enseignement des Apôtres et des Pères, est l'Église orthodoxe à laquelle, par la grâce de Dieu, nous appartenons. Elle est l'Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique telle que le Symbole de la foi l'expose.
C'est la véritable Épouse du Christ, sans tache ni faute, qui reste fidèle aux commandements du Seigneur et aux saintes traditions. Elle est, selon le saint psalmiste, la vigne plantée par Dieu et nous, le peuple élu, nous sommes les plants, les bons sarments qui portent du fruit. Notre race bénie a gardé cette vigne sacrée jusqu'à aujourd'hui, telle un centurion, sans se laisser jamais séduire par les renards ennemis de notre foi, qui tentent sans cesse de la fouler aux pieds, que ce soit par la force ou par la flatterie et l'amour hypocrite. Voyons maintenant ce qu'est le papisme.
Le papisme est le fruit de l'arrogance des hommes et de leur envie pécheresse de régner sur eux-mêmes comme ils le désirent ; de ce fait, la religion du Christ a été défigurée par leurs désirs mauvais, qui ont fabriqué de toutes pièces une fausse Église, dans laquelle chaque chose a été altérée pour se trouver en accord avec les tendances matérialistes et mondaines de ces pseudo-chrétiens auteurs de cette Église défigurée.
Le papisme, avec ses innovations et son absence de tout respect pour les Conciles et la tradition sacrée de l'Église Apostolique, a tellement distordu toute chose qu'il est devenu évident que, même dans son aspect extérieur, il n'a absolument rien à voir avec la Vérité chrétienne. II ne s'est pas contenté de promouvoir diverses innovations : il a créé un véritable labyrinthe d'innovations qui constituent un refus et une négation complète des bases de l'enseignement du Christ, La doctrine papale est le produit d'une affirmation de soi arrogante et irrespectueuse, qui a ses racines dans l'orgueil, sentiment opposé au christianisme. Cet orgueil maudit a poussé la papauté à se couper du saint corps de l'Église Apostolique pour devenir de plus en plus immodeste et débridée, recherchant toutes les occasions de manifester son orgueil et sa suffisance. L'impiété de ses partisans a atteint un degré tel, que certains ont même proclamé que les Saints Conciles ne servaient à rien.
Le pouvoir papal, après avoir été réduit, de religieux et spirituel qu'il était, à une puissance de ce monde et à une autorité politique – ce qui abolit le gouffre qui sépare ces deux pouvoirs, selon les paroles très claires du Seigneur : « Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Matt. 22,21) – fut conduit tout à fait logiquement à trahir tous les commandements du Christ et à faire tous les compromis possibles avec le péché puis, continuant sur cette lancée, le papisme alla plus loin encore que ce pouvoir exercé dans le monde et dans le péché et tomba dans les manœuvres de la ruse, de l'hypocrisie et de la subversion, au point que, chez les Latins eux-mêmes, le mot papiste en est venu à désigner quelque chose d'hypocrite, d'artificieux et de diabolique. Le papisme est le produit du Moyen Age le plus ténébreux.
Après sa séparation d'avec l'Église Apostolique, qui eut lieu après 900 ap. J.-C., il devint effréné et s'abandonna aux innovations anti-chrétiennes, prouvant par l'exemple le mot de Saint Ephrem le Syrien : « L'orgueil pousse à inventer des innovations, il ne supporte pas ce qui est ancien ». Le papisme inventa des innovations « selon la tradition des hommes, selon les éléments du monde, et non selon le Christ » (Col. 2,8). Les papistes se sont égarés hors de la voie de l'Évangile, comme ces impies dont parle saint Paul : « Car de tels hommes ne servent pas Notre Seigneur Jésus Christ mais leur propre ventre et par de belles paroles et des propos doucereux, ils égarent les cœurs des gens simples » (Romains 16, 18).
Qu'on n'aille pas croire que ce que nous disons ici tienne de l'exagération ou soit dicté par la haine du papisme. Qui disposerait de tout le temps nécessaire, et aurait assez de papier pour écrire l'histoire de la papauté dans ses moindres détails, obtiendrait que môme le juge le plus clément reconnaisse que les actes arbitraires et les innovations scandaleuses de ces nommes sont inimaginables. Durant des siècles, ils n'ont pas cessé de forger des nouveautés subtiles et artificieuses.
Voici un passage que nous extrayons d'un des innombrables livres écrits par de pieux hiérarques en réponse aux encycliques hypocrites du pape : « L'humilité est la fondation des vertus, dit le divin Photios, et ceux qui n'ont pas atteint un haut degré dans ce charisme premier au temps où il convenait de l'acquérir, ceux-là tombent, infectés de l'esprit de malice ». L'humilité, dit le saint, est la base des vertus : celui donc qui n'a pas posé cette fondation en lui-même ne tarde pas à tomber quand souffle l'esprit du Malin. La base même du papisme, toutefois, ainsi qu'en témoigne toute son histoire, c'est la morgue et l'ambition, qui, au cours du temps n'ont fait que croître, cherchant à soumettre toutes les Églises au pape et faisant ainsi sortir des millions et des millions de gens hors du sein de l'orthodoxie. L'Église orthodoxe, depuis le commencement, a toujours rejeté, tout comme elle refuse et condamne à présent, comme une innovation, cette confiscation de la suprême autorité dans l'Église, dont la vraie tête est le Christ et non le pape.
Les partisans du pape, dans le dessein d'étayer la primauté non pas bénite, mais maudite qu'ils lui contèrent – et cela, hélas, dans une religion fondée sur l'humilité ! – invoquent une interprétation puérile des paroles du Christ à Pierre : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église » (Matt. 16,18), quoique par ces mots le Seigneur ait voulu dire que Son Église serait construite sur le roc de la foi, foi que Pierre avait manifestée par sa confession.
Mais les papistes, pour donner aussi la caution de l'histoire à la primauté papale prétendirent – de façon mensongère, selon leur coutume constante – que l'apôtre Pierre avait fondé l'Église de Rome, ce qui est parfaitement illusoire. L'apôtre Pierre a fondé bien d'autres Églises, en Orient, et elles n'ont jamais revendiqué pour cette raison la primauté, encore qu'il soit bien établi qu'elles ont Pierre pour fondateur. L'Église de Rome a été fondée par l'apôtre Paul, comme l'assurent les Actes des Apôtres : « Et Paul passa deux années entières dans sa propre maison, qu'il avait en location, recevant tous ceux qui venaient vers lui, prêchant le royaume de Dieu et enseignant ce qui concerne le Seigneur Jésus Christ, avec une pleine assurance, personne n'essayant de l'en empêcher » (Actes 28, 30-31).
Cependant les papistes n'avaient pas besoin de l'Apôtre Paul pour conforter la primauté qu'ils revendiquaient, mais bien de l'apôtre Pierre, auquel se rapportaient les paroles du Christ qu'on a citées, et qui leur étaient indispensables pour établir fallacieusement leur orgueilleuse prééminence. Ainsi, le témoignage historique sur la fondation de l'Église de Rome par Pierre faisant totalement défaut, ils le créèrent de toutes pièces. Paul ne convenait pas aux vues du pape, et c'est pourquoi le papisme s'attacha à minimiser le sens de l'œuvre de l'Apôtre des Nations, l'opposant à la supériorité de Pierre ; et c'est ainsi que l'Apôtre Paul devint le symbole des protestants et le modèle du contestataire opposé à ceux qui imitent l'apôtre Pierre. Toutes ces choses, qui sont toutes indignes de la sublimité de la religion chrétienne, n'exhalent-elles pas l'odeur infecte de la politique et d'un opportunisme anti-chrétien ?
Nous avons dit que le papisme, devenu un pouvoir mondain après s'être séparé de l'Église Apostolique, avait dénaturé l'enseignement chrétien pour le rendre compatible avec ses ambitions mondaines. De ces innovations papistes, nous allons passer en revue les plus importantes.
La première est le changement introduit dans le Symbole de la Foi ou Credo, à l'endroit où il est dit que le Saint Esprit procède du Père : « Qui procède du Père ». Les papistes ont ajouté les mots « et du Fils », de façon complètement arbitraire. Nulle part l'Évangile ne dit que le Parader procède du Fils. Voyons comment le Christ parle à ses disciples lors de la Cène Mystique : « Si vous m'aimez, gardez mes commandements. Et je prierai le Père et il vous donnera un autre Consolateur, qui sera avec vous pour toujours : l'Esprit de Vérité » (Jn. 14, 15). Un peu plus loin, Il dit : « Mais le Consolateur, qui est l'Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, lui vous apprendra toute chose et vous rappellera tout ce que je vous ai dit » (Jn. 14, 26). Et de nouveau peu après il reprend : « Mais quand sera venu le Consolateur, que je vous enverrai de la part du Père, l'Esprit de Vérité… il rendra témoignage de moi » (Jn. 15, 26). Eh bien, pourquoi le Christ, chaque fois qu'il parle du Saint Esprit, ne manque-t-il jamais de souligner que l'Esprit est envoyé par le Père ? Une seule fois il dit simplement à ses disciples : « II est avantageux pour vous que je m'en aille ; car si je ne m'en vais pas, le Consolateur ne viendra pas vers vous ; mais si je pars, je vous l'enverrai » (Jn. 16, 7). Il est clair que le Seigneur ne répète pas ici que l'Esprit procède du Père parce que cette répétition serait inutile, puisqu'il a déjà trois fois souligné le fait.
Maintenant, pourquoi l'Esprit Saint procède-t-il du Père et non du Fils ? C'est un mystère ineffable ; exactement comme est inexplicable la raison qui fait que le Christ devait quitter cette terre pour que le Saint Esprit pût venir sur les Apôtres, et le fait que si le Christ n'avait pas quitté ce monde, le Saint Esprit ne serait pas descendu sur eux, comme le dit le Seigneur dans le passage cité ci-dessus (Jn. 16, 7).
Telles sont les paroles prononcées par la bouche adorable du Christ et personne n'a autorité pour les changer selon son bon plaisir, comme l'a fait le papisme, montrant ainsi son immense impiété. Le but des papistes, en mettant en avant l'addition « et du Fils » au Symbole de la Foi scellé par le Saint Esprit, demeure inconnu.
Une autre innovation non moins étrange, quoique plus explicable que la précédente, est l'invention du Purgatoire, c'est-à-dire l'idée que les âmes des défunts passent par un état transitoire de châtiment et d'expiation, afin d'échapper à la condamnation ultime, à l'enfer. L'Évangile n'en parle nulle part. Le Seigneur dit seulement, parlant du Second Avènement et du Jugement Dernier, qu'il divisera les hommes en deux : les pécheurs et les justes, « comme un berger sépare ses brebis d'avec les boucs ».
Et ensuite, Il déclare qu'il attribuera du bien aux « bénis de Son Père » et les invitera à « hériter le Royaume qui leur a été préparé depuis la fondation du monde ». Puis, se tournant vers les pécheurs, le Seigneur s'adressera ainsi à eux : « Allez loin de moi, vous les maudits, clans le feu éternel ». En conclusion de ces passages, le Seigneur affirme clairement : « Et ceux-là s'en iront dans le châtiment éternel : mais les justes iront dans la vie éternelle » (Matt. 25, 32). Par conséquent, où les papistes ont-ils donc trouvé ce qu'ils disent sur le Purgatoire ? On voit qu'ils n'hésitent pas à ajouter ou à retrancher de l'Évangile tout ce qu'ils veulent, comme dans ce cas précis du Purgatoire. Conséquemment, ils complètent les paroles du Christ avec leur propre sagesse folle. Dans le cas du Purgatoire, ils semblent plus justes et plus miséricordieux que le Christ Lui-même. De telles conceptions sentimentales sont coutumières à ceux qui, en Occident, se mêlent de religion.
Dans une autre homélie encore, le Seigneur parle dans le même sens du Jugement à venir et dit : « Tous… sortiront ; ceux qui auront fait le bien, pour la résurrection de vie ; et ceux qui auront fait le mal, pour la résurrection de damnation » (Jn 5, 29).
De même, pour accentuer la vérité de Ses paroles, le Seigneur ajoute : « Je ne peux rien faire de moi-même : comme j'entends, je juge : et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma propre volonté, mais la volonté du Père qui m'a envoyé » (Jn. 5, 30). Le Jugement survenant à la fin, selon le Saint Évangile, il s'ensuit que personne, fût-il évêque, patriarche ou saint, personne ne peut le modifier selon son bon plaisir. Dans ses paraboles, quand Il traite du Châtiment, le Christ parle aussi d'un enfer éternel.
Notre Église orthodoxe enseigne que les services en mémoire des défunts, les prières et les œuvres de charité, soulagent certes leur état, mais ne changent pas le jugement de Dieu.
Une autre innovation impie est celle qui a trait à l'usage de pain non levé (azyme) dans le mystère de la Sainte Eucharistie, suivant la tradition judaïque. L'Évangile ne parle aucunement de pain non fermenté, mais de pain levé (artos) : « Et pendant qu'ils mangeaient, Jésus prit le pain (ton arton) et le bénît… et le donna aux disciples en disant : Prenez et mangez, ceci est mon corps » (Matt. 26, 26 ; Marc 14, 22 ; Luc 22, 19). Et l'apôtre Paul dit : « Car tout en étant nombreux, nous sommes un seul pain (eis artos) » (I Cor. 10, 17). Durant mille ans toute l'Église, Orient comme Occident, a célébré la liturgie avec du pain levé. Avant le schisme, le pain non levé n'était en usage nulle part dans l'Église.
Outre cela, le papisme inaugura une distinction arbitraire entre la communion des prêtres et la communion du peuple, le saint corps seul étant donné aux fidèles, comme si le Seigneur n'avait pas dit à tous les chrétiens sans distinction : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui » (Jn. 6, 56).
Et lors de la Cène Mystique Il dit : « Buvez-en tous ; car ceci est mon sang, le sang de la Nouvelle Alliance… » (Matt. 26, 27-28). « Buvez-en tous », a-t-il dit. « Buvez-en tous, prêtres et laïcs, grands et humbles ». Toutefois, la folie novatrice du papisme est sans borne, et l'on s'en aperçoit surtout quand on voit jusqu'à quel point il manque de respect même pour les redoutables mystères de notre religion. Toujours en ce qui concerne la Sainte Communion, le papisme a également introduit, pour sa honte, l'usage de donner la communion aux fidèles sous forme d'hostie, c'est-à-dire de cachet, et cela afin d'éviter les maladies contagieuses au lieu de se servir de la cuillère sacrée, comme le font les orthodoxes, qui la reçoivent de cette cuillère, assurés par leur toi que le Saint Corps et Sang du Seigneur sont un feu consumant et « une protection contre les maladies ».
Sans aucun doute, par les innovations papistes que nous venons d'énumérer, inimaginables et blasphématoires, la religion du Christ se trouva réduite à un système anti-chrétien et devient une cible de choix pour les moqueries des incroyants. Et après tout cela, il existe aujourd'hui des gens, soi-disant orthodoxes, dont certains font même partie du clergé, qui prétendent que les différences entre l'orthodoxie et le papisme sont insignifiantes, qu'elles sont seulement une affaire d'intérêts temporels et n'ont rigoureusement rien à voir avec la vérité en Christ ! Quand ils disent que les divergences qui nous séparent de l'impiété et de l'arrogance papistes sont insignifiantes, ne touchant qu'à des questions humaines, à des choses de ce monde, cela signifie ou bien que ces prétendus orthodoxes manquent de foi et ne connaissent pas bien la vérité orthodoxe, ou qu'ils s'aveuglent volontairement eux-mêmes, avides qu'ils sont de la gloire qui vient des hommes, ne cherchant pas la gloire qui vient de Dieu. Sans quoi, ce qu'ils disent les ferait trembler.
L'apôtre Paul, écrivant aux Corinthiens, dit ceci : « Car j'ai reçu du Seigneur ce que je vous ai aussi transmis, à savoir que le Seigneur Jésus, dans la nuit où Il fut livré, prit du pain : et après avoir rendu grâces, il le rompit et dit : Prenez et mangez, ceci est mon corps rompu pour vous ; faites ceci en mémoire de moi. De même il prit aussi la coupe, disant ; Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang : faites ceci, aussi souvent que vous y boirez, en mémoire de moi. Car chaque fois que vous mangez ce pain et buvez de cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne. Par conséquent, tout homme qui mangera ce pain et boira cette coupe indignement sera coupable du corps et du sang du Seigneur. Mais que chacun s'examine puis qu'il mange de ce pain et boive de celte coupe. Car celui qui mange et boit indignement mange et boit sa propre condamnation, ne discernant pas le corps du Seigneur » (I Cor. 11,2.3). Eh bien, regardons : l'apôtre fait-il la moindre distinction entre fa communion du clergé et celle des laïcs ? Il dit : « et qu'il boive cette coupe ». Dans l'Église ancienne, les fidèles buvaient directement au calice, ce que montrent évidemment les icônes antiques où les apôtres sont représentés communiant directement au calice et non à la cuillère. Les papistes, cependant, en sont venus au point de distribuer le Corps du Seigneur, qui ainsi n'a plus rien à voir avec du pain, sous forme de capsules ou de comprimés comme s'il s'agissait d'une drogue médicinale. Innovation vraiment barbare ! N'est-ce pas la preuve de l'impiété papale et de son rationalisme délirant ?
Voyons à présent le mystère du Saint Baptême. « Baptême » est un mot grec qui veut dire « immersion », « plongée », « submersion ». Le Christ Lui-même a été baptisé par Saint Jean le Précurseur dans le fleuve du Jourdain, nous enseignant ainsi le mystère du Baptême et commandant à ses disciples de baptiser tous ceux qui croiraient en Lui : « Allez et enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit » (Matt. 28, 19). « Celui qui croira et se fera baptiser sera sauvé » (Marc 16, 16). Le baptisé est immergé trois fois dans l'eau, chaque immersion étant accompagnée de l'invocation récitée par le prêtre qui célèbre le baptême : « Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit ». Ce rite du Baptême, que le Seigneur nous a transmis, l'Église l'a conservé sans altération durant dix siècles, et l'Église de Rome, avant le schisme, ne faisait pas exception. A partir du schisme, l'hérésie de la papauté séparée de l'Église se manifesta : au lieu du baptême, l'aspersion – probablement parce qu'elle est plus facile et plus acceptable, surtout pour les candidats au baptême les plus âgés, qui répugnent à se déshabiller et à se plonger dans l'eau. Ce qui caractérise le papisme, c'est son esprit d'accommodement politique, par lequel il adapte les rites qui pèsent aux fidèles arrangeant tout à leur convenance.
Saint Athanase le Grand dit que les premiers inventeurs de l'aspersion sont les Ariens. Et le pape Pelage 1er dit : « Le commandement du Seigneur dans l'Évangile, c'est la pratique de la triple immersion faite au nom de la Sainte Trinité ». Il est prouvé que le baptême était bien accompli en Occident selon la forme ancienne et donnée par Dieu, comme en témoignent, entre autres, les fonts baptismaux subsistants des anciens baptistères ou les anciennes icônes trouvées dans les vieilles églises de l'Occident qui montrent les baptisés plongés dans la piscine baptismale. Ce rite donné par Dieu a été gardé jusqu'à aujourd'hui dans le baptême de toutes les anciennes Églises d'Orient, chez les Coptes, les Éthiopiens, les Arméniens, les Nestoriens, les Jacobites, les Maronites, etc. Mais, en Occident même, dans beaucoup d'endroits, le vrai rite du baptême, l'immersion, survécut après le schisme, jusqu'au XVIème siècle, voire même jusqu'au XVIIème siècle.
Il faut maintenant parler de l'infaillibilité du pape, qui est la plus récente et la plus scandaleuse des inventions vicieuses du papisme, la cime de ses blasphèmes contre la religion du Christ.
L'infaillibilité pontificale est la conséquence naturelle de l'insolente prétention à la primauté et la racine de ces deux idées est l'arrogance, qui pousse l'homme à toutes les folies.
Cet étrange et nouveau dogme du papisme est le tout dernier fruit de l'impiété papale, c'est un enfant du dix-neuvième siècle. Des jésuites rusés, valets de la papauté, l'embrassèrent pour la première fois aux alentours de 1870 et le monde entier fut abasourdi devant cette nouvelle trouvaille, cette invention sans précédent du césaro-papisme.
L'Écriture Sainte ne mentionne nul autre infaillible que le Christ, le Fils incarné et Verbe de Dieu. L'apôtre Pierre même, dont le pape prétend être le successeur, loin d'être infaillible, se trompait fréquemment, comme le prouve le reproche que le Seigneur lui fait à plusieurs reprises, lui disant par exemple : « Passe derrière moi, Satan : tu m'es un objet de scandale » (Matt. 16, 23). Il se vit de môme reprendre par le Christ lors de l'arrestation, quand il tira son épée et coupa l'oreille du serviteur Malchus. Enfin, il renia trois fois le Christ, et quand le coq chanta, il se repentit et pleura amèrement, se souvenant de la prédiction du Christ, qui lui avait dit, alors que Pierre jurait qu'il donnerait sa vie pour son Maître : « Tu me renieras ». Et l'apôtre Paul dut critiquer l'apôtre Pierre sur la question extrêmement grave de la circoncision des fidèles, parce que Pierre soutenait qu'il fallait continuer d'imposer la pratique juive de la circoncision aux chrétiens issus des Gentils ou païens. Pierre abandonna la décision de ce dilemme à un concile général, auquel prirent part tous les Apôtres et les Anciens de Jérusalem et dont la sentence fut rendue non en vertu d'une déclaration de l'apôtre Pierre, mais au nom de tous les présents. Où donc l'Écriture Sainte confère-t-elle à ce saint personnage, à saint Pierre, une telle suprématie spirituelle, dont le pape pourrait tenir – par une dérivation dont la logique reste d'ailleurs à prouver – son infaillibilité ? « Toute fausseté, écrit un pieux hiérarque orthodoxe, est révélée par la pierre de touche de l'Écriture Sainte ; toutes les œuvres provenant du mensonge étant filles de l'ignorance profonde et de l'arrogance sans frein ».
Si l'on voulait encore battre encore en brèche la notion d'infaillibilité papale, comme si elle en valait la peine, nous pourrions faire remarquer que, si l'Église avait reconnu l'infaillibilité de l'évêque de Rome, il n'aurait servi à rien de convoquer les Conciles Œcuméniques ; bien plutôt, l'opinion et la décision de l'oracle romain eussent été suffisantes pour mettre un terme aux disputes dogmatiques ; elles eussent dispensé de toute argumentation et eussent éteint tous les motifs de querelles.
La Sainte Tradition enseigne que l'Église tout entière est le critère de la vérité ; c'est elle qui, sous l'illumination du Saint Esprit, définit l'enseignement orthodoxe par les Symboles ou Credos et les confessions de foi des Conciles Œcuméniques. Un attribut aussi prétentieux que celui de l'infaillibilité, l'Église d'avant le schisme l'ignorait totalement. L'effronterie du pape est si incroyable que même les papistes les plus fanatiques hésitent à défendre son infaillibilité ! Le papisme a exposé la religion du Christ au ridicule le plus éclatant, avec ses inventions multiples, insensées et délirantes, et il a donné aux athées de quoi alimenter leurs moqueries.
Les anciens papes, sollicités à propos du dogme, demandaient la convocation de synodes pour décider sur ces questions. De fait, il y eut des cas où l'opinion des papes fut rejetée comme non-orthodoxe et hérétique, comme pour le pape Vigile, que le Cinquième Concile Œcuménique condamna pour hérésie1, ou pour le pape Honorius qui fut de même condamné comme hérétique par le Sixième Concile Œcuménique au VIIème siècle. D'autres papes encore sont connus pour avoir eu une doctrine fausse, comme Zosime, Libère et d'autres. Plus de cinquante papes approuvèrent et soutinrent le système effroyable de la Sainte Inquisition, certains inquisiteurs, il n'y a pas très longtemps, ayant même été déclarés saints par la monarchie papale ; ce qui signifie que les fidèles de Rome n'ont pas le droit de douter de la sainteté de l'Inquisition. Bref, le lecteur reconnaîtra que je n'exagérai pas en écrivant, au début de cet modeste travail, qu'il serait absolument stupéfié et horrifié d'entendre les distortions inconcevables et incompréhensibles que la papauté a fait subir à la religion chrétienne.
Il convient de noter que le papisme, cherchant à justifier, après-coup, ses inventions malicieuses, a recours aux mensonges les plus éhontés, n'hésitant pas à fabriquer de toutes pièce des documents faux. Il a donc créé des textes apocryphes et des faits historiques imaginaires. Toujours et partout, le mensonge ! Il a forgé de fausses décisions et encycliques des Pères anciens, de prétendus canons des anciens Conciles, de prétendues lois des anciens empereurs et ainsi de suite. Parmi ces forgeries, se trouve l'absurde assertion historique selon laquelle Constantin le Grand, au IVème siècle, aurait fait don de la ville de Rome à son évêque ! Faut-il en rire ou en pleurer ? Mais le mensonge est allé plus loin encore. Il présente comme un fait historique la remise entre les mains d'un certain pape, d'une lettre écrite par l'apôtre Pierre et envoyée par lui du Paradis ! Le Pape Stéphane, pour recevoir un appui militaire du roi Pépin, prétendit qu'il avait reçu une lettre autographe de l'apôtre Pierre, où l'apôtre donnait aux princes franks l'ordre de venir en toute hâte sauver l'Église Romaine. Et, de fait, Pépin, après avoir reçu du pape l'onction qui le sacrait roi et monarque, envahit l'Italie et renversa l'Exarchat de Constantinople, pour le livrer au pape. C'est ainsi qu'il fonda les « Etats Pontificaux », qui comprenaient plus de vingt cités, avec le pape pour prince. Ensuite, vers 754 ap. J.-C., le pape devint un prince temporel. C'est alors qu'il fabriqua la Donation de Constantin le Grand, dont nous avons parlé plus haut, par laquelle l'empereur octroyait au pape la primauté sur le trône de Pierre, ainsi que le Palais du Latran, les honneurs royaux et l'autorité sur Rome et sur toutes les provinces occidentales ; en sus, selon le même document, Constantin déclarait qu'il déplaçait sa capitale et s'installait à Byzance, parce qu'il n'était pas convenable que l'autorité politique siégeât dans la même ville que l'autorité d'un roi céleste.
C'est sur ce curieux genre de faux que la papauté a essayé d'asseoir sa double autorité. Je ne rentrerai pas dans le détail des écrits apocryphes des Saints Pères que l'atelier romain a forgés pour seconder ses desseins infernaux.
Un tel manque de retenue a même fini par réveiller bon nombre de clercs latins qui, craignant de voir leur souverain et sa cour se couvrir d'un complet ridicule, curent assez d'audace pour condamner ces agissements. L'un de ces hommes courageux écrivait dans sa correspondance : « Face à tant de preuves manifestes d'imposture, on a envie de se voiler la face, avec douleur et affliction, devant l'avilissement de l'Église papale. Sous de faux semblant de la liberté spirituelle, se trouvent en réalité la fraude, la supercherie, la contrainte spirituelle et l'oppression délibérée. En ce qui concerne les questions dogmatiques, il a toujours été clair et net pour moi que tout l'édifice du pouvoir absolu du pape et de son impeccabilité est fondé sur la duplicité et la tromperie, la violence et la contrainte, et que cette omnipotence repose, comme sur son fondement, sur une perfidie et une manigance perpétuelles » (Doellinger, Lettre à l'Archevêque Steichele). De surcroît, le grand homme d'Etat anglais Gladstone écrivait : « Rome possède en propre ce trait distinct, qu'elle s'intéresse de près à toutes les affaires qui sont strictement de ce monde et tombe ainsi inévitablement sous le coup des reproches qu'on lui fait souvent, de déformer la religion dans les luttes qu'elle soutient contre l'État et à cause des intérêts de sa politique… Notre Seigneur a prêché la séparation des deux royaumes de l'État et de l'Église – À César ce qui est à César ; à Dieu ce qui est à Dieu – et n'a jamais enseigné que les autorités religieuses eussent le droit d'imposer, en dehors de leur sphère propre, des prescriptions aux puissances du siècle… Seule l'Église de Rome, au contraire de toutes les autres Églises chrétiennes, porte cet insigne, pour sa fierté et son malheur, d'avoir autorisé l'usage et l'abus sans limite du pouvoir temporel dans la poursuite des buts spirituels ». Et peu après, Gladstone explique que, ayant perdu son pouvoir séculier, le papisme « est dans l'attente ; et les partisans de l'État romain ont la ferme intention de réaliser par la force, pour peu que l'occasion s'en présente, leur dessein chéri de restaurer le trône temporel du pape, quitte à asseoir ce trône, s'il le faut, sur les cendres de la cité et sur les os calcinés du peuple ». (Cf. W.E. Gladstone, Clearings of Past Years, 1851-1875, vol. 4, London, 1879, pp. 173, 202, 241 passim.)
Que le lecteur me pardonne d'avoir quitté le sujet de l'infaillibilité pour revenir à la question du pouvoir temporel du pape. Ces deux choses sont indissolublement liées. Le pape n'abandonnera jamais sa primauté ni son infaillibilité, car sur elles repose son pouvoir. Niez-les, et tout le système croule. Le pape est un monarque et un dictateur, et tout dictateur impose à ses sujets le fait de son infaillibilité – il ne se trompe jamais – comme l'ont fait Hitler et Mussolini. C'est pour cette raison que, à peine dégagé de l'accolade qu'il venait d'échanger avec le Patriarche Athénagoras, dont les yeux innocents étaient encore humides de larmes d'humilité, le pape déclara, de façon à ce que les choses fussent bien nettes, que la porte du repentir était ouverte pour recevoir le troupeau égaré ; entendez pour nous recevoir, nous, ses orthodoxes bien-aimés.
Outre ces innovations aussi impies que ridicules inventées par le papisme, nous allons en évoquer encore quelques autres – un petit nombre au milieu d'une foule innombrable. Il deviendra ainsi clair comme l'eau de roche que le papisme est une pitoyable distorsion et une défiguration de la religion du Christ, dont le fondement authentique est l'amour et la « simplicité de cœur », et non la force brutale et la sournoiserie.
Selon le papisme, le Christ n'est plus la tête de l'Église ; le pape le remplace. C'est lui qui est le grand Souverain. Il est le médiateur entre Dieu et l'homme, en dépit du fait que, d'après l'Écriture, le Christ est l'unique médiateur entre Dieu et l'homme, comme l'enseigne l'Apôtre Paul : « Un seul Dieu, un seul médiateur entre Dieu et l'homme, Jésus Christ homme, qui s'est donné Lui-même en rançon pour tous » (1 Tim. 2, 5).
Ainsi, les motifs des paroles et des actes du pontife romain ne sont pas « l'amour et le zèle pour le salut commun de tous », comme il le dit souvent, mais des désirs humains et la recherche de la gloire des hommes avant celle qui vient de Dieu. Citons plutôt, en guise de complément, d'autres inventions insolites de la papauté. De ce nombre sont : les indulgences, conséquence naturelle du dogme du purgatoire ; l'altération du rite de l'onction ; et aussi le célibat forcé de tous les prêtres en général, malgré ce que saint Paul écrit à Tite : « Si je t'ai laissé en Crète, c'est pour que tu y ordonnes des prêtres… Si quelqu'un est sans reproche, mari d'une seule femme, ayant des enfants pieux » (Tite 1, 5-6). Dans l'ancienne Église, les prêtres étaient libres de se marier ; de même, le Premier Concile Œcuménique permit au clergé l'union du mariage ; et, jusqu'à aujourd'hui, cette coutume est restée intacte dans l'Église orthodoxe d'Orient.
La plus sinistre singularité des papistes est sans doute leur tendance maladive au prosélytisme, qu'ils assouvissent par tous les moyens. Le très avisé Adamantios Koraïs écrit à leur propos que « ils ont tout fait, avec la manière passionnée qui les caractérise, pour convertir les Grecs et les gagner à la souveraineté papale ». Le même auteur nous apprend que, pour convertir le peuple et les gens simples, les Latins fabriquaient divers stratagèmes sentant le théâtre, tel le culte du cœur de Jésus : « Le culte du cœur de Jésus, écrit Koraïs, commença il y a un siècle, sous l'égide d'un jésuite qui en avait reçu l'idée d'une de ses filles spirituelles, une nonne. On y adjoignit, toujours par le fait des jésuites, la vénération du cœur de Marie, et il s'en fallut de peu que le Christ et Marie ne fussent divisés en mille morceaux, et qu'on introduisît dans le christianisme autant de nouveaux cultes qu'il y aurait eu de parties du Christ et de sa toute pure Mère, Marie ». Koraïs continue : « Tels une menace toujours présente, les jésuites représentent un danger pour nous et nous devons nous attendre à tout de leur part. Pour que vous compreniez bien cela – je veux dire, ce qu'ils sont capables de tramer contre la liberté en Grèce – songez, mes chers compatriotes, à ce qui se passait en Grèce lorsqu'elle était toujours sous la tyrannie des Latins. Deux ou trois ans avant la première attaque contre Chios, on vit apparaître, sur cette malheureuse île, un missionnaire jésuite envoyé de Rome, le Père Ph., qui introduisit le culte du cœur de Marie dans les églises de nos frères non-orthodoxes ; et il enseignait la nouvelle dévotion en pervertissant si habilement la vraie théologie, que beaucoup de jeunes hommes et de jeunes femmes renoncèrent au monde pour rechercher refuge dans ce culte du cœur comme s'il était leur seule planche de salut ! » Plus loin, il remarque que les papistes ont employé deux méthodes pour semer les graines de la haine parmi les Grecs apostats devenus catholiques romains, à l'égard des orthodoxes. « Le premier, expose-t-il, consistait à grossir leur propre troupeau, en entraînant, avec un zèle tout spécial, autant de fidèles qu'ils pouvaient en séduire du nôtre, ainsi que des Juifs et des Turcs, tous ceux qu'ils pouvaient convertir. Mais cette méthode ne leur fut pas d'un grand profit, car ils ne trouvèrent pas chez nous la même folle facilité que celle qu'ils avaient trouvée chez les malheureux Arméniens. Ils recoururent donc à leur méthode numéro deux, consistant à enjoliver leur culte au moyen d'ornements de théâtre, pour le démarquer et le distinguer de la forme orientale du culte, ayant appris qu'en accentuant les différences dans le culte, ils attireraient certainement ceux qui n'appréciaient pas les rites orientaux ».
Le sage Koraïs écrit ces choses dans l'introduction de son Atakton, et sa vision des papistes est de grand intérêt pour nous, justement parce qu'il n'était nullement un orthodoxe fanatique, mais un intellectuel et, dans la mesure où il était de formation scientifique, un esprit rationaliste. Il est donc opportun de citer encore quelques autres extraits de ses textes sur les papistes. Écrivant sur la décadence du clergé à la fin de l'époque byzantine, il note : « Et s'il faut satisfaire à la justice, reconnaissons ce que les hétérodoxes mêmes ne contestent point : que les moines comme les prêtres de l'Église Orientale, comparés à leurs contemporains et leurs successeurs occidentaux, papes, hiérarques (évêques), prêtres et moines, apparaissent comme des saints ». Parlant de l'état spirituel de Byzance, il dit : « Les Grecs de cette époque, quoique considérablement éloignés de la sagesse hellénique, n'en étaient pas moins, à bien juger des choses, infiniment savants en comparaison des Croisés. S'ils n'écrivaient pas comme les Anciens, ni ne possédaient plus d'artistes de la stature des Anciens, du moins ils révéraient les quelques restes de science et d'art, au point que leur superstition même ne saurait être placée sur un rang d'égalité avec les dénaturations théologiques des Occidentaux ».
Il faut tenir compte de ces pages de Koraïs pour comprendre l'aversion que la population orthodoxe manifesta à l'égard de l'union avec les papistes après 1440, aversion dont saint Marc d'Éphèse est le symbole : tout cela comporte, en effet, une signification particulière à notre époque, à cause des jours mauvais que notre Église et notre peuple souffrent actuellement. Et puissent les observateurs superficiels qui parlent si à la légère d'une union de l'Église orientale avec le papisme, faire attention à ces paroles de Koraïs. Il dit, pour finir, que les rapports noués entre les Orthodoxes et les Latins après l'occupation franque de l'état romain (byzantin) (1204-1261), « ont dû naturellement accroître l'ignorance du peuple grec et ce qui en est la suite inéluctable, la superstition. De fait, ils nous insultent et nous reprochent cette superstition, dans laquelle ils voient la cause de l'obstination du commun peuple dans son refus de s'unir aux papistes et dans son opposition inébranlable à tout empereur désireux de les faire entrer dans une telle union. A cette superstition cependant, s'il peut jamais sortir quelque chose de bon de la superstition, nous, les Grecs, devons d'exister encore. Sans cette très bénéfique opiniâtreté de la part de nos ancêtres, et l'ultime sursaut de cette superstition, les hordes des moines occidentaux eussent déferlé, confisquant les terres de la Grèce affligée. Les juges, dignes de Néron, appartenant à la Sainte Inquisition, auraient brûlé les Grecs comme ils ont brûlé en Occident des foules innombrables de condamnés. Et l'Église orientale eût été réduite en esclavage, avec le pape à sa tête ». Ailleurs il écrit « Une chose effroyable, mes chers compatriotes, menace non seulement les enseignements de l'Orient, qui nous viennent par tradition du plus lointain passé, mais jusqu'à notre jeune État encore dans les langes. El la crainte de cette chose affreuse m'oblige de condamner formellement les multiples ordres de moines aux titres bigarrés, venus d'Occident, et de mettre en garde nos propres moines… » Concluant son texte, Koraïs, en véritable amoureux de la patrie, s'écrie : « De tous les ordres monastiques de l'Église occidentale, c'est avant tout aux jésuites que nous devons fermer les ports de notre Grèce, ni plus ni moins que devant les pirates… Prenez garde à eux, ô mes chers concitoyens, avec une vigilance plus grande encore que celle que le Christ a commandée à ses Apôtres à l'endroit des Pharisiens. Car les jésuites les dépassent non seulement par l'ambition et la cupidité, mais ils l'emportent même en hypocrisie sur les Pharisiens de jadis ».
D'après les citations que nous avons faites, chacun peut se former une idée claire de ce qu'est l'Orthodoxie et de ce qu'est le papisme. Celui qui ne veut pas voir ces choses a clos ses yeux, parce la lumière lui fait mal. Eh bien, qu'il demeure dans ses ténèbres, collé à ses imaginations pleines de turpitude.
On pourrait aussi comparer le papisme au Protée de la fable, qui changeait subitement de formes. Le papisme ne ressent aucune gène à travestir son apparence et à offrir un visage tout différent, tel un Janus à double face, dès que les circonstances te demandent. Après avoir, durant des siècles, déchaîné ses foudres rageuses contre la science, comme le montre la condamnation de Galilée comme hérétique, le pape, ces dernières années, tient à se présenter comme un mécène ami des sciences, ouvrant d'innombrables centres d'études, patronnant des bibliothèques, des laboratoires et mille choses de ce genre – tout cela pour attirer à lui le monde moderne, qui montre un si grand respect pour la science et pour les connaissances en général. Le clergé du pape est confit en mathématiques, en astronomie, en archéologie, en philosophie, en histoire et que sais-je encore ! Avec leur sagesse livresque, ils essayent d'éblouir les orthodoxes qui, dans l'humilité du Christ, possèdent la vraie sagesse et non la « vaine illusion », comme l'appelle saint Paul, qui est l'apanage des Latins.
Qu'on nous permette d'ajouter à ces remarques les paroles sublimes que l'héroïque patriarche Cyrille Loukaris écrivait sur le pape et sa cour : ses mots méritent d'être inscrits, de façon indélébile, dans le cœur de tous les chrétiens orthodoxes : « Qu'ils réfléchissent à ceci : si nous n'avons pas la sagesse qui se voit, nous avons, par la grâce du Christ, la sagesse intérieure de l'Esprit, qui orne notre foi orthodoxe, et en vertu de cette foi nous l'emportons sur les Latins par l'épreuve, par les afflictions, par la Croix que nous portons, par le sang que nous versons pour la foi et pour l'amour de Notre Seigneur Jésus Christ. Si les Turcs avaient régné sur les Franks seulement dix ans, il ne se trouverait plus un seul chrétien parmi eux. Mais trois cents ans se sont écoulés en Grèce, et il y a toujours un peuple qui souffre l'oppression et la torture pour garder sa foi ; là brillent d'un éclat jumeau la foi en Christ et le mystère de la vraie piété ; et vous me dites que nous n'avons pas de sagesse ? Je n'en veux pas de votre sagesse ; en avant vers la Croix du Christ ! »
Il est maintenant devenu évident que la rencontre entre le Patriarche Œcuménique et la papauté (Athénagoras et Paul VI) ne pourra mener qu'à une fausse alliance, et comme leur quête assoiffée de l'union achoppera immanquablement sur les différences dogmatiques, ils en seront finalement réduits à déclarer : « L'union entre les deux Églises est chose faite, mais chacun restera fidèle à ses propres dogmes et traditions ».
A quelle sorte d'union aurions-nous alors affaire ?
La réponse à cette question se trouve déjà dans la réplique du Patriarche Œcuménique Anthime et de son Saint Synode à l'encyclique sur l'Union émise par le Pape Léon XIII en 1895. Considérons ce que le Patriarche de bienheureuse mémoire écrivait, entre autre choses, dans sa réponse :
« Comme nous l'avons déjà dit, l'Église Sainte, Catholique, Orthodoxe et Apostolique nourrit le désir intime et sacré de voir les Églises séparées s'unir avec elle-même dans une seule règle de foi. Hors d'une telle unité de foi, néanmoins, l'union désirée devient chose impossible. Or tel est le cas, et c'est pourquoi nous sommes ici, à la vérité, dans l'étonnement, ne comprenant pas comment sa Sainteté, le Pape Léon XIII, reconnaissant lui-même cette vérité, peut tomber dans une contradiction si manifeste, déclarant d'un côté, que la véritable union réside dans l'unité de la foi, et, d'un autre côté, que chaque Église pourra, même après l'union, conserver ses propres définitions dogmatiques et canoniques, quand bien même elles différeraient de celles de l'Église papale, comme sa Sainteté l'expose dans une encyclique précédente, datée du 30 novembre 1894. Il est évidemment contradictoire que, dans une seule et même Église, l'un croit que l'Esprit Saint procède du Père, tandis que l'autre tienne qu'il procède du Père et du Fils ; que l'un pratique l'aspersion, l'autre la triple immersion dans l'eau ; que l'un se serve de pain levé dans le Mystère de la Sainte Eucharistie, l'autre du pain azyme ; que l'un fasse communier le peuple au Calice, l'autre au saint Pain seulement ; bref, on pourrait énumérer de même toutes les autres différences. Nous ne savons pas le sens de cette contradiction interne – s'il s'agit d'un respect pour les vérités évangéliques de la Sainte Église du Christ que le Pape reconnaîtrait et approuverait ainsi indirectement… ou de tout autre chose.
Quoi qu'il en soit, la réalisation effective de cette pieuse aspiration à l'union des Églises exige en premier lieu qu'on pose, comme base de l'union, un point de départ accepté par les deux partis ; et il ne peut y en avoir d'autre que l'enseignement de l'Évangile et des Sept Conciles Œcuméniques, Retournons-nous vers la doctrine commune à l'Église d'Orient et d'Occident d'avant le schisme et, dans un désir sincère de connaître la vérité, examinons ce que l'Église Une, Sainte, Catholique, Apostolique et Orthodoxe du Christ croyait et confessait, alors que l'Orient et l'Occident était « le môme corps » : acceptons alors cette foi dans sa totalité et sans l'altérer. Et tout ce qui a, dans les temps suivants, été ajouté ou retranché – tout cela, nous avons, chacun d'entre nous, le devoir sacré ut catégorique, s'il est vrai que nous cherchons la gloire de Dieu plutôt que la nôtre, de le corriger avec un esprit de piété, sachant que, si nous persistons par orgueil dans la perversion de !a vérité, nous porterons une lourde responsabilité devant le tribunal impartial du Christ […] Ajoutons, bien sûr, que pour le but sacré de l'union, l'Église orientale, l'Église Orthodoxe et Catholique du Christ, est de tout son cœur prête à embrasser tout ce que les deux Église d'Orient et d'Occident professaient unanimement avant le neuvième siècle ».
La réponse du Patriarche énumère ensuite, une par une, les corruptions introduites par le papisme dans les dogmes, les canons et les traditions de l'Église Apostolique, puis il déclare :
« C'est donc à juste titre que l'Église orthodoxe orientale se glorifie dans le Christ d'être l'Église des Sept Conciles et des neuf premiers siècles du christianisme, et donc d'être l'Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique, « colonne et fondement de la vérité » (I Tint 3, 15). Mais l'Église Romaine actuelle est l'Église des innovations, de la falsification des écrits des Saints Pères de l'Église, de la fausse interprétation de la Sainte Écriture et des décrets des Saints Conciles, et pour cette raison, elle a été condamnée et elle le demeure, tant qu'elle persiste dans son erreur. « Mieux vaut, écrit en effet le divin Grégoire de Nazianze, une guerre louable qu'une paix qui sépare de Dieu… ».
« [Peuples amis du Christ des glorieux pays d'Occident,] combien il vous est nécessaire de revenir et faire retour aux anciennes doctrines de l'Église dans leur intégrité, afin d'atteindre le salut en Christ après lequel vous courez, vous le saisirez sans peine si vous considérez intelligemment le commandement que l'apôtre Paul, cet hôte des deux, fait aux Thessaloniciens : « Ainsi donc, chers frères, tenez ferme, et gardez les traditions que vous avez reçues, soit oralement, soit par notre lettre » (I Thess. 2, 15). Prêtez aussi attention à ce que le même divin apôtre écrit aux Galates : « Je m'étonne que vous vous détourniez si vite de Celui qui vous a appelé dans la grâce du Christ, pour passer à un autre évangile ; non qu'il y en ait un autre, mais il y a des gens qui vous troublent et voudraient pervertir l'Évangile du Christ » [Gal. 1, 6-7]. Mais fuyez de tels pervertisseurs de la vérité de l'Évangile, « car ils sont de ceux qui ne servent pas notre Seigneur Jésus Christ, mais leur propre ventre ; et par de belles paroles et ces discours agréables, ils égarent les cœurs simples » (Rom. 16, 8). et revenez dans le sein de l'Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique, de l'Église de Dieu, qui se compose de toutes les Églises locales de Dieu qui, telles des vignes plantées par Dieu et florissantes, à travers tout le monde orthodoxe, sont inséparablement unies les unes aux autres dans l'unité d'une seule foi salvatrice en Christ, et dans le lien de la paix et de l'Esprit, afin que vous obteniez le salut désiré en Christ, et que le nom loué et glorifié par-dessus tout de Notre Seigneur Dieu et Sauveur Jésus Christ, qui a souffert pour le salut du monde, soit aussi vraiment glorifié parmi vous.
Quant à nous, qui par la grâce et la bénédiction de notre Dieu de Bonté, sommes les précieux membres du Corps du Christ, c'est-à-dire de son Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique, attachons-nous fermement à la piété de nos Pères, qui s'est transmise depuis les Apôtres jusqu'à nous. Prenons garde aux faux apôtres qui, venant à nous sous des toisons de brebis, tentent de séduire les plus simples d'entre nous par toute sorte de promesses fallacieuses, autorisant et considérant tout comme légitime, en vue de l'union, pourvu que tous reconnaissent le pape de Rome comme le souverain suprême et infaillible et le monarque absolu de l'Église universelle, l'unique représentant et vicaire du Christ sur la terre, et la source de toute grâce ! Et nous surtout, qui, par la grâce et la miséricorde de Dieu, avons été établis évêques, pasteurs et docteurs des Saintes Églises de Dieu, « prenons garde à nous-mêmes, et à tout le troupeau dont l'Esprit Saint nous a institués les surveillants, pour paître l'Église de Dieu, qu'il s'est acquise par Son propre Sang » (Actes 20, 28), comme étant de ceux qui auront des comptes à rendre. « C'est pourquoi, consolez-vous les uns les autres et instruisez-vous mutuellement » (1 Thess. 5, 11). « Et le Dieu de toute grâce, qui vous a appelés à sa gloire éternelle par le Christ Jésus… vous rende parfaits, stables, forts et solides » (1 Pi. 5, 10), et qu'il fasse que tous ceux qui errent loin du bercail de l'Église Une, Sainte, Catholique et Orthodoxe de ses brebis raisonnables, soient éclairés par la lumière de Sa grâce et de la connaissance de la vérité. À Lui la gloire et la royauté aux siècles des siècles. Amen.
Fait dans le Palais Patriarcal, au mois d'août de l'An de grâce 1895.
+ Anthime de Constantinople, frère chéri et intercesseur en Christ Notre Dieu. (Suivent les signatures des hiérarques du Saint Synode).
Toutes les réponses des divers patriarches aux encycliques papales sont marqués au même coin que celle-ci : elles respirent le calme, le désir de paix, la modération et une certaine élévation chrétienne dans leur ton. On y sent toujours une piété profonde, la crainte de Dieu, une sagesse accomplie, une crainte révérencielle et un immense respect pour les saints et divins canons de l'Église, pour les préceptes de l'Évangile, pour les Conciles, pour les Pères et pour la Tradition sacrée.
En même temps, ces textes patriarcaux illustrent la douleur et l'horreur que l'on ne peut manquer de ressentir devant la légèreté avec laquelle les papistes proposent chacune de leurs innovations et de leurs fausses interprétations de la parole divine !
La réponse du Patriarche de Constantinople Grégoire VI aux ouvertures faites par le Pape Pie IX manifeste plus amplement la fermeté et la solidité de la foi orthodoxe, non moins que sa clarté lumineuse. En regard, les quelques réponses glaciales émises par les représentants du pape étalent au grand jour leur orgueil atroce. Voici cet échange de propos historique :
« Jeudi dernier (3 octobre 1868) deux clercs de l'entourage du Très Révérend Brunoni, vicaire (locum tenens) à Constantinople de Sa Sainteté, le pape de Rome, vint vers le Grand Chancelier, pour solliciter la date et l'heure d'une audience avec Sa Toute-Sainteté, le Patriarche, de la part de Dom Testas, porte-parole officiel du Très Révérend Brunoni. La date fut fixée au samedi (5 octobre), entre trois et cinq heures de l'après-midi. Dom Testas arriva vers quatre heures le samedi, en compagnie de trois autres clercs, dont l'un parlait un peu le grec, les autres s'exprimant en français. Après avoir été salué et courtoisement accueillis dans la Chancellerie, ils furent introduits par le Grand Chancelier auprès dé Sa Toute-Sainteté.
Après un premier échange de salutations, ils embrassèrent la main du Patriarche qui les fit asseoir et leur souhaita cordialement la bienvenue. Et comme il en était encore aux politesses d'usage, les Latins se levèrent tout d'un bloc et Dom Testas, tirant de sa poche intérieure une petite brochure dorée sur tranche et couverte d'une reliure de couleur pourpre roussâtre, essaya de la glisser entre les mains du Patriarche. Le clerc qui accompagnait Dom Testas dit, en grec :
- Vu l'absence du Très Révérend Brunoni, nous sommes venus inviter Votre Sainteté à un concile œcuménique qui doit se tenir dans Rome l'année prochaine, au 8 décembre. Nous vous demandons donc d'accepter cette lettre d'invitation.
Sa Toute-Sainteté, priant d'un geste de main Dom Testas de reposer sur le divan la brochure qu'il brandissait, et de se rasseoir, commença à parler d'une manière plus sobre, montrant l'amour et l'affection paternels qui l'animaient :
- Si la presse vaticane suivant son guide et les autres journaux, n'avaient publié la lettre par laquelle Sa Sainteté prétend inviter à ce que vous appelez concile œcuménique, qui doit se tenir à Rome, et si nous n'avions, par conséquent, pas su le but et le contenu de cette lettre, ainsi que la position adoptée par Sa Sainteté, nous aurions accepté avec joie une lettre venant du patriarche de l'Ancienne Rome et précédant ses paroles. Mais puisque Sa Sainteté a exposé ses vues en distribuant sa lettre d'invitation à la presse, et qu'elles apparaissent comme tout à fait inacceptables aux yeux de l'Église orthodoxe orientale, nous devons déclarer à Votre Révérence, avec tristesse, et en toute sincérité, que nous ne pouvons ni accepter une telle invitation, ni agréer une telle lettre de Sa Sainteté, mais seulement répéter que ces manières de faire et de penser sont contraires à l'esprit de l'Évangile et aux enseignements des Conciles Œcuméniques et des Saints Pères.
- Sa Sainteté reprend le chemin qu'elle a déjà emprunté en 1848, quand elle a invité l'Église orthodoxe orientale à lui répondre par une lettre encyclique : or cette lettre fit la démonstration claire et distincte de l'opposition qui existe entre les vues romaines et la pensée de la tradition patristique et apostolique ; ce qui déplut à Sa Sainteté, voire même l'offensa. De ce mécontentement pontifical, je ne veux pour preuve que sa contre-réponse à notre réplique. A présent, puisque apparemment Sa Sainteté n'a pas dévié du tout de ces idées, et que nous-mêmes, par la grâce de Dieu, n'avons pas davantage renoncé aux nôtres, nous ne sommes ni enclins à créer de nouveaux heurts inutiles sur cette question, ni disposés à retourner le fer dans la plaie et à rallumer une haine ancienne par des débats et des disputes, qui, trop souvent, se terminent dans des querelles et des haines, alors que, maintenant plus que jamais, nous avons besoin de charité évangélique, d'amour mutuel et compatissant, face aux nombreux périls de toute espèce et aux mille épreuves (peimsmous) qui enveloppent l'Église du Christ. La compréhension réciproque et le dialogue qui conviennent à la tenue d'un concile ne sont pas non plus possibles, car il n'y aucun point de départ commun sur les questions fondamentales en dispute. En outre, nous estimons que la solution la plus impartiale et la plus efficace de ce genre de problèmes réside dans l'histoire ; je veux dire que, dans la mesure où, pendant dix siècles, il a existé une Église ayant les mêmes dogmes aussi bien en Orient qu'en Occident, dans l'Ancienne comme dans la Nouvelle Rome, chacun de nous doit se reporter à cette Église et voir qui des deux s'en rapproche, et qui s'en éloigne. Toute addition, si addition il y a, et quelle qu'elle soit, doit être retranchée. Toute suppression, si suppression il y a, et quelle qu'elle soit, doit être restituée. Alors nous nous retrouverons insensiblement tous à la même place, comme étant, tous, l'Orthodoxie Universelle, dont Rome s'est, au cours des siècles, de plus en plus éloignée, élargissant à plaisir le gouffre de séparation en inventant sans cesse de nouveaux dogmes et décrets qui font sortir de la Sainte Tradition.
- Dom Testas : Et quels points précisément de désaccord Votre Sainteté perçoit-elle ?
- Le Patriarche : Sans entrer dans les détails, je dirai que nous, qui formons l'Église du Sauveur sur la terre, ne pouvons accepter qu'il existe au-dessus de toute l'Église du Christ un seul évêque donné comme son maître et sa tête, autre que le Seigneur : qu'il y ait un seul patriarche qui soit infaillible et impeccable et qui, lorsqu'il parle ex cathedra, soit supérieur aux Conciles Œcuméniques – dans lesquels seuls, pourvu qu'ils se conforment à l'Écriture et à la Tradition Apostolique, réside infaillibilité – que les Apôtres n'aient pas été égaux, doctrine injurieuse au Saint Esprit qui les a tous également éclairés ; ou encore que tel ou tel pape ou patriarche jouisse d'une autorité suréminente dans son siège, non en vertu d'un droit humain ou d'une décision conciliaire, mais par un prétendu droit divin ; et d'autres choses semblables.
- Le quatrième clerc : Rome n'a pas l'intention de changer ses vues.
- Le second clerc : Étant donné que le Concile de Florence, ayant examiné ce genre de questions, a fait l'union des deux Églises, et que certains sont restés en dehors de cette union, le Saint Père appelle maintenant ces derniers au futur concile œcuménique afin qu'eux aussi puissent recevoir la lumière et rentrer dans l'union.
- Le Patriarche : Tant de choses ont été dites et écrites sur le Concile de Florence, que seul un homme sans instruction peut ignorer ce qui le concerne. Or tel n'est pas le cas de Votre Révérence. Des la session finale de ce concile de la contrainte, l'union forcée, de toute part rongée par des désaveux, était morte dans ses langes. Un concile réuni pour des motifs politiques, pour des raisons d'intérêt uniquement temporel, et qui s'acheva dans une résolution que l'on finit par arracher à un petit nombre des nôtres en les affamant et on les soumettant à toute sorte de violences et de menaces, sur l'ordre du pape de cette époque ; une telle assemblée, dis-je, ne mérite même pas le saint nom de « concile ». Pour nous, un concile œcuménique – au sens de l'Église œcuménique, la vraie catholicité – ne peut appartenir qu'à un corps saint et sans tache dans lequel, indépendamment du nombre de ceux qui le composent, la pure doctrine des Apôtres et la foi de toutes les Églises locales est récapitulée, raffermie et mise à l'épreuve de l'Église dont les fondations ont été posées durant les huit premiers siècles de la chrétienté, quand les Pères d'Orient et d'Occident et les Sept Très Saints, Très Inspirés Conciles – les seuls à être Œcuméniques – parlaient d'une seule et même bouche la grande voix céleste de l'Évangile. Ces conciles et ces Vénérables Pères, que tous connaissent, doivent être nos critères et devenir les guides sûrs et infaillibles de tout chrétien ou évêque d'Occident qui cherche sincèrement et aspire à la vérité de l'Évangile. Voilà les modèles qui doivent servir de règle et de mesure suprême pour la vérité chrétienne, voilà le sentier fidèle sur lequel nous pourrions échanger le saint baiser de l'unité de foi. Et tout homme qui fait route hors de ce chemin, nous le considérerons comme quelqu'un qui se fourvoie et qui n'a aucun titre à rassembler autour de lui des membres de l'Église orthodoxe universelle. S'il se trouve toutefois des évêques, parmi les occidentaux, qui, nourrissant des doutes sur certains dogmes, désirent s'assembler, qu'ils le fassent et qu'ils révisent leur dogmatique tous les jours, s'ils le veulent. Pour nous, nous n'avons pas le moindre doute à l'égard des dogmes immuables de la foi que les Pères nous ont transmis. De plus, Révérends Pères, concernant le concile œcuménique que vous proposez, vous ne pouvez manquer de vous rappeler que les conciles œcuméniques ont été convoqués d'une manière très différente de celle que Sa Sainteté vient de promouvoir. Si, en effet, Sa Sainteté le Pape de Rome, agissait selon l'égalité d'honneur et la parité entre les frères que nous ont léguées les Apôtres, il aurait été plus séant pour lui, comme un égal écrivant à ses égaux en honneur et, en même temps, le premier par le rang de son siège, en vertu du droit des canons, (primus inter pares), d'adresser à titre privé une lettre à chacun des patriarches et synodes d'Orient, plutôt que d'imposer autoritairement sa volonté par le moyen d'encycliques et de communications de presse, comme s'il était le maître et seigneur de tous ; non, il aurait dû s'adresser à ses frères fraternellement, comme entre personnes de même rang et de même honneur, et leur demander de bien vouloir, de concert avec lui, s'accorder sur le lieu et la manière de convocation d'un concile éventuel, et sur le style de concile souhaitable. Ainsi donc, à considérer ces faits, nous n'avons que deux voies possibles : ou bien vous devez vous-mêmes vous retourner vers l'histoire et vers les Conciles Œcuméniques afin d'établir sur la base de l'histoire la vraie union de la société chrétienne chère à tous les cœurs ; ou nous devrons continuer de nous contenter des prières et des supplications que nous offrons constamment pour la paix du monde entier, la stabilité des saintes Églises de Dieu et pour l'union de tous. Bref, dans la circonstance actuelle, je dois vous dire nettement, avec tristesse, que, à notre avis, tant l'invitation que la brochure contenant la lettre que vous avez apportée, sont inutiles et superflues.
- Le quatrième clerc : Je m'étonne : est-il possible à la seule prière d'amener l'union ? Quand un homme est malade, nous pouvons espérer que Dieu le guérira et adresser ainsi de longues prières et des supplications instantes a Dieu ; mais nous n'omettons pas pour autant de guérir le médecin ni de lui donner des médicaments.
- Le Patriarche : En ce qui regarde les maladies religieuses et spirituelles, seul l'Omniscient, qui a fondé et qui rend parfaite l'Église qui est Sienne, le Seigneur Jésus Christ, sait précisément qui est malade, à quel degré il l'est, de quel mal il souffre et quel remède lui convient. C'est pourquoi, répétons-le, toutes ces choses réclament la prière – et une prière fervente et continuelle – adressée à Notre Seigneur qui est l'Amour Même, pour inspirer aux cœurs ce qui plaît à Dieu et pour nous sauver.
Sa Toute-Sainteté, ayant ainsi parlé, se tourna vers le Grand Chancelier pour qu'il traduisît ce qu'il venait de dire en français pour ses hôtes. Puis, prenant la brochure qui contenait la lettre d'invitation, sur le canapé, il la rendit au vicaire du Très Révérend Brunoni, béant de stupeur. Les représentants se levèrent et après avoir échangé les salutations d'usage et reçu un cordial adieu de Sa Toute-Sainteté, se retirèrent. Le Grand Chancelier accompagna jusqu'à l'escalier les visiteurs, qui s'en allèrent ».

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