mercredi 29 décembre 2010

La Lumière du Thabor. Revue Internationale de Théologie. Editorial du n°1.

1

La Lumière du Thabor


Prêtres ou laïcs, professeurs ou étudiants, la plupart membres de la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas, nous avons décidé de fonder cette revue : LA LUMIÈRE DU THABOR, pour faire connaître, en langue française, d’une façon précise et authentique, la Théologie transmise par les Prophètes, les Apôtres, les Pères, les Conciles Œcuméniques, qui est le bien commun de tout chrétien confessant d’une façon orthodoxe le CREDO et que, malheureusement, les louvoiements et les contingences du "dialogue œcuménique" mutilent ou limitent, selon les exigences du jour.

Pour cela, l’œuvre de saint Grégoire Palamas, confirmée par les Conciles de 1341, 1347 et 1351 à Sainte Sophie de Constantinople, s’imposait comme la plus parfaite expression de la Théologie des Pères. Aussi, les Pères qui ont tout disposé avec sagesse pour notre édification et notre instruction en Christ, ont-ils recommandé de célébrer le Premier Dimanche du Grand Carême, une semaine après le Dimanche de l’Orthodoxie, la mémoire du saint archevêque de Thessalonique, « Luminaire de l’Orthodoxie, Maître et Appui de l’Église, Beauté monastique, Invincible athlète de la Théologie, Héraut de la Grâce ».

Récapitulation de l’œuvre des Pères, l’œuvre de saint Grégoire, le nouveau docteur, dépasse en effet, les limitations imposées par les circonstances ambiguës de l’œcuménisme, autant que la Lumière de la Gloire Incréée jaillie sur le Mont Thabor transcende la grâce créée et artificielle de la scolastique augustinienne et thomiste, fondée sur l’application des catégories platoniciennes et aristotéliciennes à la Sainte Trinité.

Or, toute limitation de la Théologie est une limitation de l’Église, une négation de la divino-humanité de l’Église qui, seule, nous assure en Christ, le salut et la victoire sur la mort. On ne s’étonnera donc aucunement, de voir que ceux qui nient que l’Église Orthodoxe soit l’Une, Sainte, Catholique et Apostolique, aient tout fait, pour limiter la Théologie au laboratoire des historiens, des érudits, des éditions critiques, des notes et des sous-notes, où l’on voit l’humanité pécheresse se faire juge des Prophètes et des Saints de Dieu.

La première limitation que nous rejetons, est celle des hétérodoxes qui affirment que le temps des Pères de l’Église s’achève avec saint Maxime le Confesseur, que la source patristique se tarit, pour faire place, selon Hans Urs von Balthasar par exemple, à la « décadence et à la stérilité de la scolastique byzantine ».

Cet arrêt brutal de la transmission de la Foi par les Pères, serait justifié, selon eux, par un progrès méthodologique lié à la nécessité « d’explorer l’essence de Dieu » au moyen des concepts de la philosophie.

Le projet reste « enfantin » avec Alcuin qui écrit ses livres sur la Trinité, pour montrer l’utilité d’Aristote et de la catégorie de la relation, pour comprendre les processions divines ; il devient « adolescent » avec Anselme qui applique à la Rédemption, la logique implacable de l’honneur offensé et un Dieu en colère ; il atteint l’âge mûr voire avancé, avec Thomas d’Aquin qui veut penser toute la théologie à partir de la philosophie, achevant un étrange et plutôt « descendant » progrès, puisque les conciles orthodoxes de Sainte Sophie, cités plus haut, ont clairement anathématisé les thèses principales du thomisme et de l’augustinisme.

En réalité, cette thèse de l’évolution du dogme et de la méthode théologique n’a été inventée que pour masquer cette réalité historique indiscutable : tous les Pères de l’Église après Maxime le Confesseur, ont explicitement condamné la doctrine hérétique et rationaliste du Filioque : saint Jean Damascène, saint Photius, saint Syméon le Théologien, saint Grégoire Palamas, saint Marc d’Éphèse, saint Maxime le Grec, et cette liste n’est pas exhaustive.

Or, avec la diffusion des textes, facilitée ou canalisée par l’œcuménisme, il est de plus en plus difficile de faire croire que l’inspiration de ces Pères n’est ni scripturaire, ni patristique, ni conciliaire. La question préalable à tout « dialogue » devrait être celle-ci : ou bien vous maintenez que ces Pères, et en particulier saint Grégoire Palamas, ne sont pas les héritiers fidèles des Pères de l’Église et alors, montrez-nous, sans être ridicules, que les carolingiens et les scolastiques qui revendiquent l’apport étranger de la philosophie à la Révélation le sont davantage ; ou bien limitons le dialogue œcuménique à une seule question : acceptez-vous la Foi de l’Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique, la Foi Orthodoxe, la Foi transmise, telle qu’elle est exposée par saint Grégoire Palamas et confirmée par les trois conciles de Constantinople de 1341, 1347, 1351 ?

La seconde limitation que nous rejetons est celle qui consisterait à réduire l’œuvre des Pères déifiés à l’expression nationale et culturelle de leur « génie ». Nous la rejetons au nom de la Tradition Orthodoxe qui n’a jamais connu d’écoles de pensée ou de « penseurs », qui ignore tout « basilisme », tout « chrysostomisme », aussi bien que tout « palamisme », alors que l’Occident se complaît à distinguer, selon son éclectisme propre, des « augustinismes », « thomismes », et autres « jansénismes » et « cartésianismes ».

L’idée qu’il y aurait différentes traditions ou écoles théologiques dans l’Église Orthodoxe, vient des théologiens francs et scolastiques. Et si l’on rencontre une telle tendance, chez certains orthodoxes, elle leur a été inculquée par les Occidentaux qui les ont formés. En particulier certains œcuménistes ou semi-œcuménistes ont voulu limiter au conflit de deux hommes, de deux « pensées », la lutte qui opposa saint Grégoire Palamas et le moine calabrais Barlaam. Cette lutte est, en réalité, l’affrontement de deux théologies : celle des Pères déifiés et celle de la scolastique rationaliste.

La théologie des Pères est fondée sur l’expérience sensible de la Grâce Incréée, et, comme le dit saint Grégoire Palamas : « Nous, nous croyons ceux qui ont vu et nous rejetons Aristote ».
La théologie occidentale, représentée au XlVème siècle par Barlaam, ne peut au contraire s’appeler qu’improprement « théologie » : elle ne repose pas, en effet, sur l’expérience de la Révélation, puisqu’elle veut rationaliser, là où les Pères ont contemplé, dans Sa Gloire, le Mystère ineffable de notre salut, le Christ vrai Dieu et vrai Homme.

La théologie véritable, c’est la connaissance de notre salut, par contre, la théologie occidentale s’interdit elle-même de porter le nom de « théologie » parce que, enfermant l’homme dans les limites de son humanité pécheresse, elle lui interdit d’atteindre à la déification qui est, pour les Pères, la vie en Christ. Elle croit que la Grâce est créée, intermédiaire semblable à un « cadeau » donné par Dieu aux hommes qui veulent atteindre une certaine sagesse créée ; or les Pères nous appellent à une sagesse incréée, authentique participation à l’énergie incréée qui sourd de la Sagesse Divine pour nous déifier.

Or si la grâce est créée, adaptée aux différents hommes qui la reçoivent, on comprend l’importance des cultures, des peuples, et des caractères, tous faits à l’image de l’homme ; on comprend que le « schisme » puisse être l’affaire du Patriarche Michel Cérulaire ou de Humbert de Roman, personnages historiques que la psychologie ou l’ethnologie peuvent contribuer à connaître ; mais si la Grâce est incréée, si la vocation du chrétien c’est de devenir concorporel au Christ divino-humain, dans l’Église et le Christ Tête de l’Église, on voit mal comment la foi expérimentée et dogmatisée par les Pères, pourrait être victime de limites, alors même que la mort n’a pu retenir le Christ.

Nous rejetons enfin, une troisième limitation : celle qui consisterait à croire que l’opposition de la Théologie Orthodoxe des Pères déifiés à celle des hétérodoxes, peut se résumer à un catalogue d’erreurs ou de point conflictuels. Ce sont en fait deux méthodes théologiques opposées qui s’affrontent ; celle des hétérodoxes est fondée sur l’idée d’un progrès du dogme, semblable au développement psychologique particulier de tel ou tel individu et, par suite, d’une analogie entre l’Incréé et le créé, entre le Créateur et la créature. Or une telle idée semble blasphématoire aux Pères de l’Église qui confessent qu’est impossible aux anges même ce qu’Augustin et la scolastique accordent à l’homme. Le Filioque, les thèses d’Anselme et du Concile de Trente sur la Rédemption, l’Immaculée Conception, etc., ne sont pas des hérésies indépendantes les unes des autres, mais les conséquences d’une seule et même fausse approche de la théologie.

Cette méthodologie rationaliste trouve son origine dans l’enseignement d’Augustin d’Hippone, et l’un des buts de la création de cette Revue est de montrer qu’il n’y a aucune place pour les thèses d’Augustin dans l’Église Orthodoxe.

La méthode théologique de l’évêque d’Hippone qui consiste à chercher l’analogie psychologique de Dieu en l’homme et à scruter la vie éternelle et intime de la Sainte Trinité, a trouvé son aboutissement dans la scolastique, qui a fait fleurir les fleurs empoisonnées de l’hérésie. Résumons l’opposition des Pères à une telle conception, par ce texte du grand théologien Joseph Bryennios, le maître de saint Marc d’Éphèse :

« C’est par la foi que nous acceptons les choses divines et non par la science ; c’est par la Puissance de l’Esprit et non par la force de la dialectique… La piété ne peut être démontrée par les syllogismes humains. La foi est la substance des choses que l’on espère, une conviction de celles que je ne vois pas (Hebr. XI, 1). Quand les syllogismes humains sont appliqués aux dogmes divins, ils semblent d’une part dire la vérité, alors qu’ils mentent, et, de l’autre, quand ils sont justes, ils paraissent faux. Tandis que les démonstrations des Saints sont la vérité parfaite, une grande lumière qui brille sur toute la terre et au-dessus de toute tromperie. Les syllogismes indiscrets obscurcissent l’esprit, mais les sentences des Saints éclairent l’âme. Les syllogismes sont souvent des inventions d’hommes incrédules et malins, tandis que les syllabes elles-mêmes, de la Sainte Écriture, sont des fruits du Saint Esprit. Croyez-moi, acceptez avec simplicité, ce qui a été écrit, et ne l’éprouvez pas par une curiosité indiscrète. Si vraiment vous croyez, vous n’éprouvez pas ; si vous éprouvez, c’est que vous ne croyez pas…

C’est une tradition ancienne et apostolique, de fuir toute alliance entre les syllogismes et la Révélation de Dieu ; c’est une alliance fragile, porteuse de mensonges et qui n’apporte rien, si ce n’est la destruction de la force de la Croix. En livrant aux syllogismes les choses de la foi, nous perdons nos couronnes, car ce n’est plus en Dieu que nous croyons, mais dans les hommes… Je crois, je ne cherche pas à savoir. Je crois, je ne cherche pas à saisir Celui qui est insaisissable ; je crois et je ne cherche pas à mesurer Celui qui est Infini. Si je crois, je suis illuminé en mon âme, si j’examine avec indiscrétion, mes pensées s’obscurcissent. Si je crois justement, je m’élève vers le ciel ; si j’examine avec indiscrétion, je tombe dans l’abîme… Ne cherche donc pas ce qui est plus profond que toi ; n’examine pas ce qui est plus fort que toi. Prends ce que l’on te donne et ne cherche pas plus loin, ne pars pas à la conquête de l’inaccessible. Notre dogme est une doctrine simple, crois-le. Le Christ nous l’a révélé, les Apôtres l’ont prêché, les Docteurs l’ont affermi et cela nous suffit…

L’âme qui cherche, c’est qu’elle est emprisonnée et tourmentée ; quand elle est en bonne santé, elle ne cherche pas, mais elle accueille la Foi. L’assemblée des orthodoxes obéit à la Foi, elle se laisse conduire par elle, sans le concours des syllogismes. Nous avons appris à garder la foi et non à la discuter. Par la Grâce du Saint-Esprit, nous n’avons rien perdu de la Foi et nous ne cherchons rien… Celui qui croit, ne cherche pas ; celui qui cherche ne croit pas… Là où il y a recherche, il n’y a pas de foi ; là où est la foi, nulle recherche. »

Les Pères n’ont pas pensé avec les catégories rationnelles, parce qu’ils sont montés sur le Sinaï spirituel et sur le Thabor, ou devenus comme Moïse, théodidactes, après s’être peu à peu dépris du sensible, ils ont vu la Gloire Incréée de Dieu ; vivant en Christ, ils ont été déifiés. Comme le dit encore Joseph Bryennios : « Ce n’est pas par les syllogismes que nous avons été initiés au Mystère de la Trinité... notre dogme n’est pas fondé sur le raisonnement. »
Les Pères Orthodoxes n’ont pas eu besoin d’une méthode rationnelle, car Dieu n’était pas pour eux un objet extérieur à la pensée qu’il s’agissait de scruter, mais par l’œil de l’intellect, purifié dans le silence de « l’hésychia », Dieu se manifesta à eux et ils virent la Lumière Incréée, qui brilla aux yeux des Apôtres Pierre, Jacques et Jean sur le MONT THABOR.
La condamnation de la méthode théologique hétérodoxe est une vérité confirmée par l’Église et sur laquelle il est impossible de revenir. Le grand Concile de 879 de Constantinople, sous saint Photius et le pape Jean VIII de Rome, qui réunit tous les Patriarcats, que de nombreux Pères considèrent comme VIIIème œcuménique, a rejeté le Filioque ; le Synodikon de l’Orthodoxie, énumère les erreurs des philosophes latinisants et scolastiques, les conciles sur la Grâce que nous avons cités plus haut, rejettent les doctrines de Barlaam sur la grâce créée et sur les théophanies de l’Ancien Testament ; le Concile de 1368, anathématise à travers Prochore Kydonès, les thèses thomistes de la « Somme contre les Gentils » ; le Concile de 1722 à Constantinople critique l’idée augustinienne d’une analogie entre l’Incréé et le créé et nous pourrions citer bien d’autres textes, comme les discours de saint Marc d’Éphèse au concile de Florence, qui sont des monuments dogmatiques de l’Église orthodoxe.

Cette condamnation de la théologie hétérodoxe est à ce point entrée dans la conscience orthodoxe, que l’on voit depuis quelques années, des Icônes représentant les Trois Nouveaux Docteurs de l’Église : saint Photius, saint Grégoire Palamas et saint Marc d’Éphèse, qui ont porté à son accomplissement, sans la dénaturer, toute la théologie des Pères déifiés et des Conciles Œcuméniques. Nous ne doutons pas de voir un jour l’Église concrétiser leur rôle de pédagogues sublimes de la Foi Orthodoxe, par une fête commune de ces Trois Nouveaux Docteurs, semblable à celle qui existe depuis longtemps pour saint Basile le Grand, saint Grégoire le Théologien et saint Jean Chrysostome.

On nous demandera peut-être, pourquoi nous avons choisi saint Grégoire Palamas et non pas les Trois Nouveaux Docteurs, comme symbole de notre résistance ; c’est, d’une part, qu’il résume le plus parfaitement possible, l’enseignement de la théologie antérieure, et qu’il est le maître de saint Marc d’Éphèse et de tous les Pères qui l’ont suivi.

C’est aussi, pour une autre raison, liée au contexte actuel de l’étude de l’Orthodoxie en Occident : les œcuménistes parlent de « spiritualité » ou de « mystique » supérieure aux dogmes chrétiens ; le sentiment de la vie divine dépasserait, en droit, une connaissance toujours imparfaite ! On voit aussi, par une sorte de schizophrénie spirituelle, des catholiques (papistes) condamnant leur propre dogme pour sauver leur « spiritualité » ou s’intéressant à la « spiritualité » orthodoxe sans chercher à vivre la foi orthodoxe à l’intérieur de l’Église. Or, nul autre mieux que saint Grégoire Palamas n’a montré combien la vie spirituelle est ancrée dans le dogme. La spiritualité orthodoxe est toujours restée étrangère aux mystiques affectives et sentimentales qui aiment à auto-analyser les états surnaturels.

Les saints orthodoxes cherchaient en pleurant la Lumière, voyant une promesse dans les paroles de la Grande Doxologie : « Dans ta Lumière nous verrons la Lumière », mais se considéraient indignes de toute vision. Ils se lamentaient pour que vienne les illuminer la ténèbre plus que lumineuse et l’on sait que saint Grégoire Palamas priait la Mère de Dieu, avec des larmes perpétuelles : « Éclaire mes ténèbres, éclaire mes ténèbres ». C’est ainsi que les solitaires du désert, atteignant le désir ininterrompu de Dieu, étaient éclairés par Sa Gloire Incréée.
Quand Barlaam tenta d’attaquer, sur le terrain mystique la foi, des moines orthodoxes, saint Grégoire Palamas, abandonnant le désert et ses contemplations ineffables transporta le débat sur le terrain dogmatique, refusant de traiter la « spiritualité » hors de la Foi Orthodoxe. Face à Barlaam, saint Grégoire Palamas nous enseigne donc que toute distinction de la spiritualité et du dogme est une hérésie, la négation même de l’enseignement des Pères et des Conciles Œcuméniques.

Mais si nous apprenons à vivre toutes les exigences du dogme orthodoxe, nous dépassons les limites que nous disons être celles que présuppose l’œcuménisme et qui, au fond, sont celles de la raison humaine laissée à elle-même, et nous pouvons suivre le Christ, Vrai Dieu et Vrai Homme, qui a dit « JE SUIS LA LUMIÈRE DU MONDE ! 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire