vendredi 31 décembre 2010

La Lumière du Thabor n°2. Deuxième Conférence à la rue d'Ulm.

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CENTRE DE RECHERCHE THEOLOGIQUES
SAINT GEGOIRE PALAMAS

Deuxième Conférence : le schisme de 1054

Dans notre Première Conférence, nous avons montré, brièvement, que les nécessités du Dialogue Œcuménique, conduisaient à donner une explication insatisfaisante, tant pour la théologie que pour l’histoire, du « schisme de 1054 ».

Sur le plan théologique, le débat a été appauvri parce qu’il a été réduit à n’être qu’une querelle de mots ; en particulier, le Filioque est présenté comme le fruit heureux d’une approche purement latine et occidentale de la théologie qui, du fait des postulats fondamentaux qui y conduisent, ne met pas en danger la théologie classique des Pères. On emploie, dès lors, le vocabulaire vague des sentiments et de l’émotion, comme par exemple Olivier Clément qui parle de « la grandeur proprement religieuse du Filioque » et des « intuitions authentiques du Filioquisme ». Bref, faute d’un vocabulaire conceptuel suffisamment élaboré, l’Orient, moins spéculatif, et l’Occident trop rationaliste, peut-être, ne se seraient pas compris.

On est alors renvoyé aux causes purement historiques qui paraissent vite n’être qu’une somme de hasards malheureux ; l’interprétation psychologique prévaut et chacun se fait la politesse, toute question de fond étant mise entre parenthèses, de trouver son propre camp discourtois. Ainsi O. Clément écrit, du patriarche Michel Cérulaire : « Le patriarche byzantin Michel Cérulaire était un esprit abrupt, incapable de discerner l’essentiel de l’accessoire et de s’élever à une conception œcuménique de l’Église »; et Congar dit du cardinal Humbert qu’il était « un homme raide et combatif, dont la Bulle d’excommunication est un monument d’inimaginable incompréhension ». A force de « dialogue », c’est l’histoire qui risque de devenir incompréhensible, si l’on en reste à ces hautes sphères de la « causalité psychologique ».

En réalité, l’aspect historique et l’aspect théologique sont liés, et particulièrement à partir du VIIIe siècle, où la théologie du Filioque, de la Rédemption, et, d’une façon générale, la méthode théologique issue de l’augustinisme, apparaissent comme l’idéologie des Franks et des Germains, dont les ancêtres ont envahi la Romanité occidentale et qui ont mis trois siècles a se constituer en Etat. Le « schisme » n’est pas seulement une rupture, une déchirure dans le tissu chrétien, due à une séparation théologique entre Rome et l’Orient, mais, bien plutôt, l’usurpation du siège orthodoxe de l’Ancienne Rome par les germano-franks, aboutissant à l’enlèvement pur et simple du dernier Pape Orthodoxe et à son remplacement par un Pape germanique filioquiste, Serge IV.



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Ce sont les grandes étapes de cette usurpation que nous allons brièvement décrire, comme une lutte entre l’élément romaïque, gallo-romain, italo-romain et les barbares goths, lombards, vandales ou franks.

L’origine lointaine, la donnée fondamentale qui recelait, en germe, les divisions ultérieures, ce sont les invasions barbares non tant du fait du caractère hérétique arien de la religion de ces peuples que de leur incapacité à se constituer en Etat ou à modeler une religion puissante pour remplacer ce qu’ils voulaient détruire. Après les premiers massacres, et grâce à la résistance héroïque des évêques, des prêtres et de tout le peuple martyr gallo-romain, dès la mort du roi Euric, le projet de remplacer la « Romanie » par une « Gothie » dût être abandonné. Au contraire, même, de nombreux chefs barbares prirent les habits et les titres romains pour acquérir un peu de légitimité auprès des populations.

Mais cela ne veut pas dire que le sentiment national des populations asservies ait disparu rapidement, comme l’ont affirmé certains historiens (Fustel de Coulange). En fait, après l’effondrement du pouvoir politique romain en Occident, la représentation légale, comme l’autorité morale sur le peuple romain se trouve alors assumées par l’Eglise, qui devient le lieu de résistance de tous ceux qui veulent conserver la tradition et l’identité romaines. Dans cette période tourmentée, outre le rôle des grands évêques du Ve et VIe siècles, comme Faust de Riez ou Césaire d’Arles, le patriarche de l’Ancienne Rome assume la fonction d’Ethnarque du peuple romain d’Occident. C’est lui qui demeure en contact avec l’Empereur romain de Constantinople. On sait ainsi combien Grégoire le Grand sut préserver les droits des romains dans cette époque si troublée et dramatique, au point qu’il n’hésitait pas, dans ses Morales, à comparer la Romanité Occidentale à Job.

Certes, l’Empire Romain d’Orient n’avait jamais cessé de revendiquer, malgré les difficultés, sa partie occidentale. Les romains d’Orient et d’Occident étaient solidaires, mais, de Justinien à Basile 1er, la fortune militaire de Constantinople ne fut pas toujours favorable. Les divisons internes des barbares et la période sombre que fut l’époque mérovingienne assurèrent, cependant, à l’Eglise une très relative tranquillité : les barbares ne pouvaient accéder facilement à la cléricature, et la synodicité de l’Église, conforme aux Canons Apostoliques, était respectée, du fait de la grande majorité des romains libres dans les cités gallo-romaines. Il faudra l’immense système de déportation et de mise en esclavage des romains, que l’on nomme la féodalité, pour que les Franks soient majoritaires dans l’élection des évêques.

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Déjà les écoles monastiques qui, – jadis fondées par les disciples de saint Jean Cassien, d’Honorat d’Arles et Fauste de Riez, formaient les évêques romains – se trouvaient, par les soins de Charles Martel et de Pépin le Bref, anéanties. Du fait de l’anarchie politique mérovingienne, le caractère synodal de l’Eglise fut partiellement supprimé pour n’être rétabli qu’en faveur de l’épiscopat frank. La grande crise iconoclaste qui ébranla l’Empire en Orient, permit aux Franks de jouer des divisions internes des romains d’Orient et d’Italie du Sud.


En effet, depuis le début du VIIIe siècle, l’Italie romaine et l’Eglise Orthodoxe de l’ancienne Rome étaient dangereusement isolées ; car, sous le principal de Léon l’Isaurien, puis sous ses successeurs, les Icônes furent brisées et les iconophiles persécutés. Le Pape Grégoire II refusant de promulguer les édits impériaux ordonnant la destruction des Icônes, l’Italie fut isolée de l’Orient et prise, comme en un étau, entre les empereurs hérétiques et les Franks. Les franks étaient iconoclastes sur le fond, de même que l’étaient les Lombards et certains évêques de l’Italie du nord, tel Claude de Turin. Cependant, les orthodoxes partisans des Icônes, étaient nombreux en Gaule dans le clergé et l’épiscopat romaïque. En Orient, grâce à l’impératrice Irène, ils réussiront à l’emporter et à imposer le VIIe Concile Œcuménique que les évêques franks de Charlemagne ne reconnaîtront pas et contre lequel ils s’élèveront.

La question du Filioque fut aussi grave. Le Filioque n’est pas une formulation ancienne, comme on l’affirme généralement, qui remonterait au IIIe Concile de Tolède. Mais il date de la fin du VIIe siècle ou du début du VIIIe, et il était très contesté en Occident au début du IXe par les évêques gallo-romains ; au contraire, les Franks en faisaient le symbole d’une renaissance intellectuelle qui apparaît bien modeste. Le Concile d’Aix-la-Chapelle est un témoignage remarquable de cette lutte entre l’élément romain et l’élément frank. Tout d’abord, ce Concile montre à l’évidence le caractère récent du Filioque. En effet, les représentants du Concile d’Aix informèrent le Pape que le Symbole de la Foi avait commencé à être chanté avec le Filioque dans le Palais de Charlemagne et qu’il s’agissait d’un dogme nouveau.

Le Concile d’Aix ne put rien conclure et il se divisa en deux parties contraires. Charlemagne, le champion du Filioque, ne put, en effet, imposer son opinion et le Concile se disloqua avant la fin. Comme l’écrit Adam Zernikaw : « Les conférences sur le Saint-Esprit furent nombreuses, les uns disant que l’Esprit procédait aussi du Fils, d’autres contredisant les premiers ». Chacun des deux partis fit appel au Pape Léon III qui, non seulement s’opposa à l’addition du Filioque, mais, en outre, ordonna que le Credo de Nicée-Constantinople fut gravé sur deux plaques d’argent, en grec et en latin, dans l’église Saint Pierre. Cette défaite de Charlemagne montre que le pouvoir des Franks échouait devant l’autorité du Pape Orthodoxe de l’Ancienne Rome. Il faut bien comprendre que, pour Charlemagne, le contenu dogmatique n’était pas essentiel, mais que le Filioque était, pour lui, le symbole du progrès accompli sur les « Grecs » en théologie, grâce à l’application de catégories rationnelles à la Sainte Trinité. C’était pour lui, la preuve de la supériorité culturelle des Franks sur ceux qu’il nommait de façon méprisante les « Grecs ».

Si le vieux Léon III sut résister sur la Foi, il avait cependant permis à Charlemagne de remporter une victoire décisive sur le plan politique, en se faisant couronner « Empereur des Romains », c’est-à-dire en le laissant usurper officiellement la légitimité de l’empereur de Constantinop1e sur les populations romaïques d’Occident. La version germano-francque du couronnement de Charlemagne, que l’on trouve dans les manuels d’histoire occidentaux, est une véritable mystification, puisqu’elle est fondée uniquement sur le récit de l’idéologue frank Eginhard qui affirme que ce serait Léon III qui, de son propre gré, aurait couronné un Charlemagne réticent.

En fait, par cette cérémonie, où la puissance du roi frank fit violence au Pape Orthodoxe Léon III, c’était une nouvelle conception de la légitimité que Charlemagne voulait instaurer. Le récit d’Eginhard qui n’ose pas donner à Charlemagne la responsabilité de l’événement prouve, a contrario, qu’au IXe siècle les barbares n’avaient pas réussi à instaurer, en Occident, une autre légitimité que celle du peuple romain. Mais la prétentieuse théologie du Filioque et la conception carolingienne du pouvoir, jointe au fait que la croyance augustinienne à une prédestination absolue semblait porter sur la race prédestinée des Franks, ont jeté les principes fondamentaux du Moyen-âge occidental.

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La nécessité de lutter contre les arabes en Italie du Sud et l’occupation militaire par les Franks de l’Ancienne Rome y avait fait naître, en microcosme, une situation similaire à celle de l’Occident : un parti frank et un parti romain s’y combattaient. De la mort de Léon III à l’année 858, le peuple orthodoxe de Rome réussit à imposer un candidat du parti romaïque, malgré les menaces des empereurs germaniques. Déjà lors de l’élection de Léon III, selon son biographe, l’anxiété et la terreur furent grandes à Rome de représailles francques. L’élection de Benoît III fut interrompue par le parti germanique qui imposa, un instant, son candidat Anastase, mais la foule assiégea les portes de la basilique constantinienne où se tenait le synode chargé d’élire le nouveau pape.

A la mort de Benoît, fut élu le premier pape germanophile, Nicolas Ier. L’empereur germanique Louis II accourut, dès la mort de Benoît, à Rome et fit procéder à l’élection en sa présence. Très vite Nicolas Ier voulut imposer son autorité sur toute l’Eglise et il appliqua, à sa propre tiare et à son règne, la doctrine de la prédestination. Il écrivit au patriarche de la Nouvelle Rome, saint Photios le Grand, que « l’Église romaine avait mérité les droits de tout pouvoir d’une manière totale et avait reçu le gouvernement de toutes les brebis du Christ ». Un peu plus tard, furieux de ne pas obtenir la reconnaissance de ses innovations par saint Photios, il écrivit directement au peuple, au clergé et à l’empereur de Constantinople, des lettres hostiles et haineuses où le saint patriarche est appelé « Monsieur Photios », « adultère », « homicide » et « juif ». En Bulgarie il bénissait la mission de l’évêque Formose, un chef du parti philo-germanique, et autorisait l’addition du Filioque au Credo, ainsi que d’autres réformes ou pratiques, propres aux églises francques.

Cette attitude provoqua la réaction de l’Église de Constantinople et Saint Photios, en accord avec son Synode, envoya une encyclique à toutes les Eglises dans laquelle il dénonçait la situation créée en Bulgarie et le dogme du Filioque. Un concile se tint à Constantinople, en 867, en présence des légats des patriarches orientaux, et anathématisa les doctrines que dénonçait saint Photios, en particulier l’hérésie du Filioque et son addition au Credo de Nicée-Constantinople, en Bulgarie. Plus de mille signatures témoignèrent contre le dogme frank qui, comme l’affirme saint Photios, scindait la Sainte Trinité en deux, puisqu’il instaurait deux sources à la Divinité, aboutissant ainsi au paganisme. Après l’exil du patriarche Photios, le pape Nicolas Ier fit organiser à Constantinople en 869, un concile de dix-huit évêques où la personne de saint Photios fut condamnée, sans qu’aucune hérésie n’ait pu lui être reprochée.

Il faut dire que Nicolas Ier, à Rome même, n’osa jamais imposer le Filioque, par peur du peuple romain fidèle à la Foi Orthodoxe. Nicolas Ier ne cessait d’ailleurs de rencontrer des difficultés avec les romains de l’Italie du sud et même avec ceux des Gaules que sa conception totalitaire de l’ancienne « ethnarchie » choquait. Lorsqu’il mourut, il n’était soutenu que par les théologiens franks favorables au Filioque, qu’il avait mobilisés contre le patriarche et l’empereur de Constantinople, sans pour autant nommer saint Photios dont la science et la sainteté étaient connues des romains orthodoxes de la Gaule.

Après un pape de transition, Hadrien, le parti romain l’emporta à nouveau et l’archidiacre Jean, devenu Jean VIII, accéda au trône patriarcal de Rome. Jean VIII, que l’historiographie occidentale a laissé longtemps de côté – en partie du fait de la falsification des sources, aujourd’hui admise par les savants – a été un grand pape de la Romanité, de la stature des Léon le Grand et des Grégoire le Grand. Hiérarque rusé et prudent, jusqu’à la mort de l’empereur Louis II en 875, il sut utiliser le parti germanique, sans lui donner un rôle décisif. Mais dès que la menace germanique, avec la mort de l’empereur, eut disparue, il déposa, excommunia et anathématisa les évêques « nicolaïtes » qui avaient ajouté le Filioque en Bulgarie, et en particulier Formose. Il choisit un candidat à l’empire parmi les carolingiens, le roi de « France » Charles le Chauve, qui était le plus modéré et le plus éloigné de l’Italie et lui imposa une « donation » qui libérait les élections des papes de la présence des légats de l’empereur.

Ainsi il tentait de préserver Rome d’un second Nicolas imposé par le parti germanophile. Après la défaite et la mort de Charles le Chauve, il laissa en suspend la succession qu’il essayait de contrôler, jouant les différents prétendants les uns contre les autres. Il échoua finalement, puisque le roi Charles le Gros finit par envahir Rome et par faire assassiner, un an plus tard, Jean VIII empoisonné et achevé à coups de hache. Mais ce délai que sut imposer Jean VIII au trône de l’ancienne Rome, s’il fit entrer la capitale dans une période de troubles et d’incertitudes, devait contribuer à changer la face des choses. D’une part la désorganisation politique en Italie, provoquée par la vacance de l’empire occidental, permit aux troupes de Basile Ier de progresser de façon décisive en Italie du sud et de libérer momentanément les romains de la région. D’autre part, les légats de Jean VIII purent assister et reconnaître les décisions du Concile de 879 présidé par saint Photios, de nouveau en possession de son trône patriarcal.

A ce concile, tous les patriarches furent représentés et saint Photios fut reconnu par tout le monde comme Patriarche de la Nouvelle Rome. C’était l’œuvre de Nicolas Ier qui s’effondrait. L’inaltérabilité du Symbole de la Foi et la condamnation de toute addition furent officiellement proclamées, bien que Jean VIII ait demandé que, par prudence, les Franks ne soient pas nommés. Les légats de l’Eglise de Rome nommèrent l’addition une « inqualifiable insulte aux Pères ». Jean VIII écrivit une lettre à saint Photios où il condamne, en termes voilés mais fermes, les germano-franks et l’addition du Filioque : « Nous les mettons du côté de Judas, puisqu’ils ont déchiré les membres du Christ ». Ce concile de 879 qui reconnut l’oecuménicité du VIIe Concile eut tous les caractères d’un Concile Œcuménique et l’Église Orthodoxe le reconnaît désormais comme VIIIe œcuménique.


Le pontificat de Jean VIII marque donc un moment décisif et mal connu de l’histoire du « schisme », parce qu’il représente la dernière grande résistance des romains de l’ancienne Rome et de l’Occident à la poussée germano-francque contre le trône orthodoxe de Rome.

La période qui va de la mort de Jean VIII au début du XIe siècle est systématiquement représentée, en Occident, comme une période de corruption et d’anarchie du fait du rôle des laïcs dans le choix des papes. Les seuls papes qui trouvent grâce aux yeux des historiens sont ceux qui se sont tournés vers les royaumes issus des carolingiens. En réalité, cette période est présentée comme une période particulièrement trouble, parce que les romains de l’ancienne Rome gardaient un contrôle relatif de leur Église. Comme l’écrit J. Romanidis : « Pendant deux siècles, de 784 à 809, quand les Franks condamnèrent le VIIe Concile Œcuménique, jusqu’en 1019 ou 1014 quand fut définitivement introduit le Filioque au symbole à Rome, les Orthodoxes Latins luttèrent durement en Italie pour garder la Foi des VIIe et VIIIe Conciles Œcuméniques ».

Effectivement, jusqu’au début du XIe siècle, le Filioque ne fut jamais ajouté au Credo et tant que Rome reconnut les VII et VIIIe Conciles Œcuméniques, la communion ne fut pas rompue entre les sièges orientaux et l’ancienne Rome. Durant cette période, les Franks, qui craignaient une révolte de tous les romains de l’Occident, n’osèrent pas toucher directement au patriarche de l’ancienne Rome. Mais lorsque l’empire germanique fut rétabli, le dernier pape orthodoxe Jean XVIII lut déporté dans un monastère de l’Italie du Sud et Serge IV qui devait son trône à l’empereur germanique Henri II, confessa le Filioque dans sa lettre d’intronisation qu’il adressa au patriarche de Constantinople Serge II. Ce dernier, par décision conciliaire, effaça alors le nom du pape des diptyques de la Grande Eglise et il n’y fut jamais rétabli. A Rome même, le Filioque fut officiellement ajouté par le pape Benoît VIII, le neveu de l’empereur germanique. Encore une fois le clergé et le peuple réagirent mais ils durent, cette fois-ci, s’incliner devant l’autorité de Benoît VIII, parce que ce fut pendant le couronnement de Henri II le germanique, que le Credo fut lu avec l’addition.

L’usurpation du trône orthodoxe de l’ancienne Rome s’achevait et le peuple romain d’Occident, sans tête ni défense, dût supporter les persécutions que lui firent subir les grands papes de la féodalité, comme Grégoire VII. Cependant, il y eut longtemps encore, d’une façon éparse, des résistances, et l’on sait par un texte d’Alexandre d’Haies, qu’en 1240, soit 226 ans après l’addition du Filioque par Benoît VIII, on chantait encore dans certaines églises le Credo sans l’addition. On peut en dire cependant, qu’en 1014, la résistance de quatre siècles des romains de l’Occident s’achève et qu’une nouvelle structure ecclésiale, totalement étrangère à l’ancienne, et qui porte tous les caractères de la féodalité, remplace la papauté orthodoxe des Léon, Grégoire et Jean VIII.

L’incident de 1054 à Constantinople, qui donne son nom au « schisme » lui-même, n’est donc, comme on l’a dit, que le permis d’inhumer. On sait que le 15 Juillet 1054, au moment de la Liturgie, célébrée en présence du Patriarche Michel Cérulaire, Humbert, légat du pape Léon IX, fit irruption à Sainte Sophie et déposa sur l’autel un libellé où il reprochait aux « orientaux » d’avoir ôté le Filioque du Credo !!!

Il accusait aussi le patriarche Michel d’être pneumatomaque et théomaque. Le patriarche réunit un concile et anathématisa « cet écrit impie et stupide ». Le patriarche Pierre d’Antioche, auquel Cérulaire écrivit, confirma la décision de l’Eglise de Constantinople et tous les autres patriarches orientaux firent de même, suivant en cela ce qu’ils avaient décidé lors du Concile de 879.

Les événements ultérieurs confirment que la notion d’usurpation est la plus adéquate pour décrire la politique ecclésiastique des Franks et des Germains. Les Croisades sont, en effet, d’une façon encore plus nette, des tentatives pour remplacer les évêques orthodoxes des sièges orientaux par des évêques « latins », c’est à dire Franks. L’uniatisme fut également la continuation, par des moyens plus ou moins directs, de la même politique, et ce n’est que récemment que la connaissance et l’étude des textes ont permis une approche défavorable à l’Occident, du « schisme ». C’est cette restitution des faits que l’œcuménisme, s’appuyant sur une hostilité ou un mépris quasi-héréditaire de tout ce qui est « byzantin » ou « grec », tente de relativiser. Mais, oubliant la résistance héroïque de ses ancêtres romains orthodoxes, il ne peut justifier cette relativisation qu’au prix d’un obscurcissement des faits historiques et d’un mépris quasi-total de la lutte politique et théologique des romains orientaux lors des croisades et aux XIV et XVe siècles, lorsque saint Grégoire Palamas et saint Marc d’Ephèse se présentèrent comme les champions de la Tradition Romaine Orthodoxe, face à la théologie orgueilleuse des Franks, fondée sur la raison et l’imagination.

A notre époque, où la civilisation issue de la prétendu « Renaissance » est partout contestée, l’œcuménisme apparaît à beaucoup d’Orthodoxes comme une ultime tentative de la papauté, îlot féodal au milieu du monde moderne, de sauver « l’infaillibilité » de l’homme européen et d’empêcher le retour des « romains » d’Occident à la théologie romaïque des Orthodoxes, à la théologie des TROIS DOCTEURS. Aussi étudierons-nous, lors de notre prochaine conférence, le rejet au Concile de Ferrare-Florence, au XVe siècle, de la méthode rationaliste des Franks, par le grand et trop méconnu, saint Marc d’Ephèse, surnommé l’Atlas de l’Orthodoxie.

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