dimanche 26 décembre 2010

Vie de Sainte Photinie l'Ermite, par Joachim Spétsiéris. Traduction Saint Ambroise Fontrier. Ed. L'Age d'Homme. Extrait.

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LA SAINTE VIE DE PHOTINIE L’ERMITE 1860 - ?


Quelques extraits de la Vie d’une sainte ermite, encore inconnue, due a la plume du père Joakim l’Athonite, qui a découvert l’ermite dans le désert de Palestine. Dieu manifeste toujours aux hommes, ceux qui sur la terre ont tout fait pour Lui plaire. D’autres extraits, de cette Vie, ont été publiés dans la Catéchèse Orthodoxe N° 34. Nous avons choisi, pour le présent N° de la LUMIERE DU THABOR, les passages où Photinie parle de la prière et d’après lesquels elle appa­raît théodidacte, c’est à dire directement enseignée par Dieu. C’est pour les ermites comme Photinie, que le saint Mélode Théodore le Studite a écrit le 2ème Antiphone des Anavathmes du 1er ton :

Pour les solitaires du désert, le désir divin devient naturel et ininterrompu, car ils sont hors du monde et de la vanité.

Oui, c’est bien à ces "solitaires du désert" qui prient seuls, Dieu Seul, que notre Mélode dédie l’Antiphone ci-dessus.

Saint Théodore dit que l’amour des solitaires n’est attiré par rien de matériel ni de vain, qu’il n’est pas influencé ni égaré par les plaisirs, les voluptés, les richesses, la gloire, qui se corrompent et disparaissent, comme les fleurs du Printemps qui vivent peu de temps.

Les solitaires sont au-dessus et hors du monde éphémère et vain ; rien ne vient les importuner, fondés et affermis qu’ils sont dans le seul Bien vraiment supérieur et désirable : Dieu. "Si nous aimons vraiment Dieu, nous rejetons par cet amour les passions. L’Amour pour Dieu, consiste à préférer Dieu au monde et l’âme à la chair, à mépriser les choses d’ici-bas et à vivre dans la continence et l’amour, à nous occuper du Seigneur, par les prières, les psalmodies et les lectures." (Saint Maxime le Confesseur: Ch.50, Ille Centurie sur l’Amour).

Dieu étant par nature, infini et inaccessible, le désir des solitaires pour Dieu n’est jamais rassasié, il est toujours en mouvement, en croissance, montant toujours vers les cieux. Ce grand désir, l’Apôtre Paul le possédait, quand il disait : "Oubliant ce qui est en arrière et me portant vers ce qui est en avant, je cours vers le but, pour remporter le prix de la vocation de Dieu...." (Philippiens 3,14).

Le même désir de Dieu avait embrasé le cœur de saint Antoine, le coryphée des moines ; chaque jour il ajoutait désir à désir, amour à amour, au point qu’il pouvait dire : "moi, je ne crains pas Dieu, parce que je l’aime." Nous dirons, en un mot, que tous les ermites qui habitent le désert, possèdent le grand amour pour Dieu, amour qui les a poussés à quitter le monde et à le mépriser comme ordure et poussière. Ils ont quitté le monde pour aller habiter les lieux arides, les antres de la terre, les grottes, se nourrissant de pain et d’eau, de fruits à écailles, etc., vêtus de peaux de bêtes, couchant sur la terre battue et sur un peu de paille.
C’est d’eux que l’Apôtre Paul a dit qu’ils étaient "errants dans les déserts et les montagnes, dans les cavernes et les antres de la terre, qu’ils allaient ça et là vêtus de peaux de brebis, de peaux de chèvres, dénués de tout et maltraités, eux dont le monde n’était pas digne..." (Hébreux 11, 37).

"Plus le solitaire est rempli de désir et d’amour pour Dieu, plus il a l’impression de ne rien posséder." Plus il monte vers les cimes de l’amour plus il se croit inférieur à tous dans l’amour pour Dieu. La Beauté infinie et plus que désirable de Dieu, est inconcevable pour l’esprit humain, l’Infini ne peut être contenu par le limité. C’est pourquoi Dieu se montre petit à petit à l’âme, et exerce celle-ci à le chercher, à le désirer, à jouir de lui. L’âme s’ef­force alors de s’élever jusqu’à la Beauté divine afin de la contenir tout entière. Mais en ne l’atteignant pas, elle pense que son objet est bien au-delà, bien plus au-dessus, bien plus désirable que ce qu’elle a atteint, qu’elle a contenu. L’âme s’étonne, puis s’émerveille, pleine d’érotisme divin, de désirs enflammés.

Dans le langage des solitaires, le désir concerne les objets ou les personnes absentes, tandis que l’éros, les objets ou les personnes présentes. Dieu étant par nature, invisible et non localisé, il est désirable et désiré, mais étant, en même temps, partout présent et participable dans ses énergies, par ceux qui en sont dignes, il est Eros. Voilà pourquoi notre Mélode emploie les deux termes Désir et Eros.

Ce désir de Dieu, cet éros pour Dieu, seul le silence le procure, selon notre poète. Le silence et la solitude permettent au solitaire, de ramener son intellect de la confusion, de le ramener dans le coeur, pour méditer et invoquer le Nom plus que désirable, plus qu’aimable du Très Doux Seigneur Jésus, en disant amoureusement: "Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi."

Cette prière perpétuelle, cette méditation continuelle du Nom de Jésus, embrase le coeur de l’ermite, et son âme portée par les ailes de l’Eros, s’élève jusqu’à la contemplation de la beauté divine plus que belle et, hors de lui, il oublie le boire et le manger, le vête­ment et toute autre nécessité corporelle.

Mais il est temps de céder la parole à notre sainte ermite Photinie et à son interlocuteur, le père Joakim.

--- Peux-tu me dire, Photinie, comment tu supportes la solitude? L’homme n’est-il pas, par nature, social ?
--- Je dois avouer, qu’au début, j’ai terriblement souffert. Souvent, alors que je rêvassais, la parole intérieure parlait seule, parce que l’homme qui est doué de parole, désire toujours parler. J’entendais, à l’intérieur de moi, la voix me dire souvent :

« Jean, Jean », c’était mon nom habituel. Cela se passait en moi, et moi je croyais que la voix venait de dehors. Je promenais mon regard de droite à gauche, pour voir qui par­lait. Ce n’est qu’après que j’ai su que la voix était intérieure. Alors j’ai commencé à psalmo­dier ou à crier à haute voix. Tu connais certainement Barnabé l’Ancien, qui est au monastère de saint Sabba ?
— Oui, je le connais très bien, puisque je suis du même monastère.
— Ne dit-on pas, qu’il n’est pas sorti du monas­tère depuis vingt ans ?
— Oui.
— Tu sais qu’il observe un silence absolu et qu’il ne parle jamais à personne ?
— Je suis au monastère depuis plus de deux ans et je ne l’ai jamais entendu parler à quelqu’un, ni avec moi, alors que l’on se rencon­tre à l’église et au réfectoire.
— Ne dit-on pas que la nuit il parle seul et crie fort ?
— Oui, je l’ai souvent entendu crier pendant la nuit lorsqu’il veille ; mais on dit qu’il lutte contre les démons.
— Non, dit Photinie, il ne lutte pas contre les démons, pas plus qu’il ne parle avec quelqu’un, mais il souffre comme moi, parce que l’homme désire parler à un autre homme. Et quand il n’a personne, il parle seul. Le Créateur sachant fort bien cela, dit : "II n’est pas bon que l’homme soit seul." Un jour, alors que je criais très fort, j’ai entendu les glapissements d’un renard. Lui aussi, me suis-je dis, doit être seul, comme toi. Puis je l’ai vu devant moi, devant ma grotte. Je me suis tue, craignant que d’autres bêtes sauvages viennent le rejoindre. Je ne te cacherai pas que pendant la première année j’ai beaucoup souffert, j’ai cru que j’étais devenue folle. Avec beaucoup de précautions, pour ne pas être vue des Bédouins semi-sauvages, j’allais jusqu’au Pont du Jourdain, qui se trouve à trois heures environ de marche, depuis ma grotte. Là, cachée derrière les buissons, je regardais les hommes passer sur le pont. Le soir, je retournais à ma grotte, je me prosternais devant l’Icône de la Mère de Dieu, que tu vois sur la paroi de ma grotte et je pleurais longtemps ; mes larmes me soulageaient beau­coup. Peu à peu, avec l’aide divine, je m’habi­tuais, et maintenant, gloire à Dieu ! je vis en paix, dans l’espérance que je trouverai grâce auprès du Juste Juge au Grand Jour de son Second .Avènement.
— Pendant tes luttes et tes souffrances, as-tu senti la grâce divine et le secours de la Mère de Dieu que tu implorais?
~ Certes, la Souveraine du monde que j’implorais, m’a secourue, m’a consolée, m’a sauvée de ce terrible combat contre les pensées, pensées envoyées par l’Ennemi du Bien qui me disaient: "En vain, tu es venue dans ce désert: Tu ne seras pas sauvée. Si tu étais restée dans le monde, dans le mariage, tu vivrais comme une vraie chrétienne et tu te serais plus facilement sauvée ! Qu’as-tu gagné dans ce désert ? Tu n’y fais rien de bien. Les bêtes sauvages vivent, elles aussi, dans le désert, mais elles restent toujours des bêtes. C’est dans le monde qu’on reçoit la couronne, c’est dans le monde que sont livrés les vrais combats. Tant et tant d’hommes se sont sauvés dans le monde ! " Conseils des démons, que tout cela, pour me conduire au désespoir, pour me faire aban­donner le désert, me ramener dans le monde, pour me piéger à leur aise.
— Tu as senti que cela venait du démon ?
— Oui, dans une certaine mesure, je savais que ces pensées étaient suggérées par le démon, pour me livrer à la lutte intérieure, mais je n’avais pas l’expérience que je possède aujourd’hui. Je voulais mourir, je suppliai la Souveraine du monde de m’enlever à ce monde. C’est alors, que la Souveraine du monde m’est apparue et que la Lumière Divine m’a enveloppée. Je l’ai vue, et dans le fond de mon âme, j’ai entendu sa voix me dire : « Ne crains pas, mets ta confiance en moi. ». Aussitôt, la ténèbre qui avait envahi mon âme se dissipa et les pensées me quittèrent. Mon coeur fût rempli d’allégresse. Après avoir beaucoup pleuré, je rendis grâces au Seigneur du ciel et de la terre et me mis à chanter::

« II est digne en vérité de te célébrer, toi qui enfantas Dieu. Bienheureuse à jamais et très Pure et Mère de notre Dieu. Toi plus vénérable que les Chérubins et incomparablement plus glorieuse que les Séraphins, qui sans tache, enfantas Dieu le Verbe, Toi véritablement la Mère de Dieu, nous te magnifions."
Depuis, je suis en paix et je bénis le jour où le Pè­re céleste m’a rendue digne de venir ici et m’a dé­livrée des péripéties de ce monde.
— Tu n’as pas eu d’autres apparitions depuis ?
— Aussi claires non. Mais quand je prie, je sens la joie dans mon coeur, quand je récite l’office de l’Acathiste à la Mère de Dieu, je suis remplie d’allégresse. Souvent, pendant la prière, mon esprit est enlevé au ciel où je peux contem­pler la beauté de la vie céleste, de la vie éternelle, et mon âme est ravie de joie. Mon bonheur est si parfait, dans ce désert, que je ne l’échangerai pas contre tous les royaumes de la terre, et ma grotte contre tous les palais du monde.
--- Vraiment, lui dis-je, tu es bienheureuse.
— Tu as dit "bienheureuse"! Mais l’homme n’a-t-il pas été créé pour la béatitude, pour la joie éternelle, pour l’allégresse éternelle Mais les divins Pères ne disent-ils pas que Dieu a créé même le Royaume des cieux pour l’homme ? Dieu n’a besoin de personne. L’univers que Dieu a créé, n’a rien ajouté à sa gloire. Dieu est la Vie éternelle, la Béatitude, la joie et l’allégresse sans fin ; Dieu est glorifié par Lui-même. Le Sauveur a dit : "Je suis sorti de mon Père et je suis venu dans le monde. A nouveau, je quitte le monde et je vais à mon Père." Le Sauveur parle ici de son humanité, car en tant que Dieu, II n’a jamais été séparé de son Père, selon la parole qui dit que " Le Fils Unique de Dieu, qui est dans le sein du Père, c’est Lui qui nous l’a révélé ." Pareillement, l’homme est venu de Dieu et c’est à Dieu qu’il doit retourner, mais le péché lui dresse des obstacles. Si l’homme connaissait sa vocation, il sacrifierait tout, pour ne pas être séparé du Père Céleste, en qui il a sa fin ultime.
— Dis-moi, Photinie, comment sens-tu la joie, comment te trouves-tu dans l’allégresse, quand tu pries ?
— Dieu est le Bien suprême. En s’approchant de Dieu, non pas localement, parce que Dieu en tant qu’Esprit absolu est partout présent, mais moralement, par la pratique des vertus, l’homme devient heureux et bienheureux.

C’est dans la prière qu’il converse et communique avec Dieu ; c’est quand il prie purement, dans l’Esprit et dans la Vérité, qu’il adore Dieu, devient heureux et bienheureux, selon la mesure de sa vertu. Souvent, quand l’orant prie dans l’Esprit et dans la Vérité, son esprit est ravi au ciel où il est gratifié de visions divines, où il voit, non par les yeux du corps mais par les yeux de l’âme les choses de Dieu, où il entend des paroles célestes qu’il ne peut répéter, parce que ceux qui n’ont pas atteint cette mesure, ne peuvent comprendre ces choses, qui, selon l’Apôtre, ne peuvent être ra­contées. Pourquoi? Parce que ceux qui n’ont pas atteint la mesure de l’Apôtre, ne peuvent les comprendre. C’est ce que le Sauveur dit à Nicodème : "Si vous ne croyez pas quand je vous parle des choses qui sont sur la terre, comment croirez-vous si je viens à vous parler de celles qui sont dans le ciel? "
— Es-tu arrivée à passer de longues heures en contemplation, comme saint Arsène ?
— Oui. Souvent, quand je suis en prière, mon esprit ravi s’abîme dans les contemplations divines ; pendant des heures je reste immobile, voyant par les yeux spirituels de mon âme, les biens que Dieu a préparés pour ceux qui l’aiment.
Les milices angéliques, les esprits des saints dans l’enthousiasme, tressaillant de joie, dans la surabondance de la gloire qui jaillit du trône de Dieu et qui bénissent, sans jamais se lasser, la Divinité aux Trois Hypostases. Je ne reste pas toute la nuit en contemplation, comme abba Arsène, parce que je n’ai pas sa force, lui qui dès le coucher du soleil élevait ses mains pour ne les baisser que le lendemain, quand l’astre du jour se levait. Je suis jeune et j’ai peur de m’égarer, et la fragilité de mon corps ne me permet pas cela.

Les saints Pères qui étaient forts et expérimen­tés, pouvaient tout se permettre. Nous, nous sommes faibles d’âme, et si Dieu qui aime les hommes, ne venait pas à notre aide, nous ne pourrions rien faire, "sans Moi, vous ne pouvez rien faire," a dit le Sauveur.
— Les pensées mises à part, as-tu d’autres ennuis de la part des démons ?
— Seuls des souvenirs, comme je l’ai dit, me font penser au monde et à ce qui est du monde, mais ils n’ont aucune action sur mon âme, qui ne se laisse pas entraîner par eux.
— Dis-moi, Photinie, quand tu pries, le feu de l’amour pour le Christ, dont le Sauveur a dit: "Je suis venu, allumer le feu sur la terre et qu’ai-je à désirer s’il est déjà allumé? " ce feu s’allume-t-il dans ton coeur ?
— Oh, ce feu brûle toujours dans mon coeur. Souvent il m’embrase à tel point, pendant la prière, que s’il y avait une persécution comme jadis, j’irai en courant au martyre, verser mon sang jusqu’à la dernière goutte, pour Jésus mon Sauveur.

Oh, que dirai-je de ce feu divin ! Il est infini et dévore mon coeur. Quelquefois, ne pouvant le supporter, je tombe à genoux, j’adore, je pleure et je crie: Christ mon Sauveur, mon Rédempteur, mon Epoux, ma Vie, mon Existence et beaucoup d’autres termes, dictés à ce moment là, par mon amour brûlant pour Jésus.
— Sens-tu, à ce moment là, un changement intérieur ?
— Oui, je sens un changement divin, et il me semble voir, dans le fond de mon coeur notre Sauveur et l’entendre me dire: " Ne crains pas, c’est Moi". Et aussitôt me reviennent à l’esprit ses paroles: "Moi et mon Père nous viendrons en lui et nous ferons en lui notre demeure". J’incline alors ma tête sur ma poitrine et je dis: Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi", sans rien imaginer d’autre que le Seigneur Jésus. Quand la flamme disparaît, je me lève et je chante un tropaire, ou un psaume puis je vais à mes occupations : cuisiner mes herbes ou aller en chercher, couper du bois, nettoyer mon palais etc. Les divins Pères disent que nous devons prendre soin de notre corps et veiller à ne pas le détériorer, parce qu’il est, pour l’âme, comme un instrument, avec lequel elle travaille. S’il manifeste certains élans, ont doit le tenir en brides mais pas le détruire. On doit user de discernement, comme le Seigneur le recom­mande: "Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu."

Tous ceux qui ont manqué à cette règle, se sont laissés aller aux élans de leur esprit et, poussés par les démons, les uns sont devenus fous, les autres sont morts de faim pour avoir refusé de goûter aux nourritures terrestres, comme le raconte saint Ephrem le Syrien à propos de deux moines ; d’autres encore sont tombés gravement malades et ont dû abandonner toute ascèse. Il faut, par-dessus tout du discerne­ment, comme le dit fort bien sainte Synclétique. Je me suis donc réglée pour éviter tout excès.

Quand je sors, pour un travail à l’extérieur, vers dix heures du matin, je reviens à ma grotte dès que la chaleur commence. Ma grotte, comme tu le vois, possède une grâce: pendant l’été elle est fraîche et chaude pendant l’hiver. Quand je retourne à mon palais, je lis les heures et je chante jusqu’à midi, ensuite je mange ce que le Père Céleste daigne m’envoyer, comme je te l’ai déjà dit.
— Comment connais-tu les heures ?
— J’ai pensé à cela aussi. J’ai apporté avec moi ce petit réveil. Dans la crainte qu’il ne s’arrête de fonctionner, bien qu’il marche encore, j’ai conçu et construit une horloge solaire qui fonctionne à merveille et qui me montre l’heure de midi ; comme base principale, j’ai adopté le système en usage à la Sainte Montagne de l’Athos, qui est le meilleur, parce qu’il indique, avec exactitude, les heures du jour et celles de la nuit. Au coucher du soleil, elle marque douze heures ; après le coucher, c’est la nuit qui commence et qui dure jusqu’à la douzième heure qui coïncide avec le lever de l’astre du jour, c’est l’équinoxe, c’est-à-dire, la nuit est égale au jour. Grâce à mon système, on peut suivre facilement la croissance et la diminution du jour, comme de la nuit.
-- Quand tu vas dans le désert, n’as-tu pas peur de rencontrer des Bédouins semi-sauvages
-- Bien sûr que j’ai peur, mais j’ai confiance en notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ. Je fais aussi très attention. L’arabe qui est ma langue maternelle m’aide beaucoup à com­prendre ce qu’ils disent. Comme tous les Arabes, ils parlent fort, si fort, que j’entends de loin leurs voix et je prends mes précautions.
-- As-tu trouvé, dans le désert, des ruches d’abeilles ?
-- Oui, j’ai trouvé dans les fentes et les creux des rochers, des ruches pleines de miel. J’en prends autant que je veux, sauf pendant l’été parce qu’il donne de la fièvre. Les abeilles aiment les lieux escarpés et inaccessibles aux animaux sauvages ; intelligentes, elles choisissent des demeures adéquates. Moi qui suis bonne grimpeuse, j’arrive facilement à prendre autant de rayons de miel que je veux. Ici, à cause de la chaleur, les abeilles ne chôment jamais; elles produisent du miel hiver comme été, ici est vraiment la terre où coulent le lait et le miel, comme dit l’Ecriture.
— Quelles sont tes pensées, aux heures de repos, c’est à dire quand tu ne pries pas ?
— Moi, je prie sans cesse, en mangeant, en marchant, en coupant le bois, quoi que je fasse, je dis toujours la prière : Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi. Même lorsque je dors, mon coeur continue de dire la prière. Oh, combien le Père Céleste est Bon. Qui pourra jamais saisir son amour infini pour l’homme sa créature. Quand on pratique ses commandements divins, il répand alors sur nous sa grâce. Sais-tu ce qu’est la grâce de Dieu ? La grâce de Dieu, c’est la béatitude même, c’est le bonheur, la joie, l’allégresse, comme Denys l’Aréopagite l’a fort bien dit dans ses écrits. De Dieu, dit-il, jaillit l’illumination ; elle éclaire et remplit de béatitude tous les ordres des esprits célestes et, en particulier, les saints, parce que l’homme a été créé, selon l’Ecriture, à l’image et à la ressemblance de Dieu.
— Ainsi Photinie, tu penses que les saints sont supérieurs aux anges célestes?
— Oui, de beaucoup supérieurs, parce que le Fils et Verbe de Dieu lui-même, la Seconde Personne de la Toute-Sainte Trinité, a pris chair humaine et s’est fait homme dans la Vierge Sainte. Et la Vierge Marie, la Mère de notre Dieu, est supérieure et au-dessus des puissances célestes; elle vient immédiatement après la Sainte Trinité, et c’est très justement, que l’Eglise Orthodoxe la louange, quand elle chante: "Toi plus vénérable que les Chérubins et incomparablement plus glorieuse que les Séraphins...", car elle a été le trône du Christ le Roi des cieux et elle a porté en elle le Verbe Dieu. Parmi toutes les générations, elle seule a été élue, comme la plus sainte, pour devenir la demeure du Sauveur notre Dieu, pour que vienne dans le monde le Salut.

— Oui, Photinie, la Vierge Marie a été choisie, parmi toutes les générations, pour être le pont par où devait passer le Salut du monde. Oui, moi aussi je crois cela, de même que tous les chrétiens orthodoxes. Mais je te demande de répéter clairement, ce que tu as dit, il y a un instant, que grande était la destination de l’homme.

-- L’homme est appelé à un grand destin, parce que créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, c’est-à-dire qu’il est venu de Dieu et doit retourner à Dieu, pour participer à la gloire divine et à la béatitude sans fin. Dieu étant la source de la béatitude, celui qui communie avec Dieu, devient, lui aussi, bienheureux. Vie éternelle, béatitude, royaume, joie, allégresse, paradis, félicité, c’est Dieu lui-même. "Je suis la Résurrection et la V(e" dit le Sauveur. Donc, celui qui communie à Dieu se trouve dans la béatitude. Quant à l’Enfer, que le Sauveur appelle "ténèbres extérieures, grincements de dents, tourments, feu inextinguible" etc., c’est la privation de la grâce divine, l’éloignement de Dieu, non pas spatial, mais moral. Là où la Lumière ne brille pas, il y a ténèbre. Qu’est-ce que la ténèbre ? C’est l’absence de la lumière. Il en est de même du Royaume des cieux. Le mot "Règne" que le Sauveur emploie, a le sens de béatitude. Dieu est le Bien Suprême.

Plus l’homme approche de Dieu, par les vertus, plus il devient heureux et bienheureux.
Le péché, c’est le mal suprême. Plus l’homme s’éloigne de Dieu, non pas spatialement, je le répète, mais moralement, à cause du péché, plus il devient malheureux. Qui grince des dents ? Celui qui se trouve dans le malheur, c’est à dire dans le péché. Qui brûle dans le feu inextinguible de la tyrannie ? Celui qui sait qu’il est la cause de son propre malheur. Où se trouve le centre du feu éternel ? Dans le coeur du pécheur, comme le Sauveur l’a révélé dans la Parabole du riche et de Lazare. L’Enfer n’est pas autre chose que la privation de la grâce divine. Qu’est-ce que la maladie si ce n’est la perte de la santé ? Qu’est-ce que la tristesse si ce n’est la perte de la joie. Les démons étaient, comme le raconte la Sainte Ecriture, des Anges lumineux et bons. En péchant, ils ont perdu la grâce divine et sont devenus ténébreux, malicieux, misérables. Pour avoir perdu l’éclat divin, qui éclaire et remplit de joie, ils se sont enténébrés. Comme l’ivrogne, qui souffre d’ivresse, veut toujours boire plus, de même ceux qui s’enivrent de péché, désirent de plus en plus le mal, croyant trouver, dans sa pratique, libération et repos. Ils se trompent. Ils seront toujours malheureux, parce que le mal les éloigne de la Lumière et les précipite dans le plus grand des malheurs, que le Sauveur appelle " le feu. éternel, préparé pour le diable et ses anges."

L’éloignement de Dieu, c’est le plus terrible des châtiments, éloignement moral et non spatial, je le répète. Chez ceux qui vivent, ici-bas, dans le péché, on voit le trouble, la peur, l’anxiété. Donc, la vocation de l’homme c’est de devenir Dieu, de participer à la gloire divine, par la Grâce de Dieu et la pratique des vertus.

— Dis-moi encore, Photinie, comment as-tu compris ce que tu dis, et comment l’homme vertueux sent-il la béatitude, dès ce monde, et comment celui qui fait mal, sent-il le malheur ?
— Tu as certainement lu, qu’Arsène le Grand élevait ses mains, pour la prière, lorsque le soleil se couchait, pour ne les baisser que lorsque le soleil se levait et éclairait son visage. Où donc pouvait bien se trouver l’esprit d’Abbas Arsène, pendant toute la nuit, pendant qu’il se tenait immobile, les mains tendues vers le haut ? Certainement au ciel. Que voyait-il ? Certainement la gloire du Père Céleste, et il se réjouissait, parce que son cœur l’informait, qu’un jour viendrait, où il participerait à cette gloire. Ainsi donc, celui qui prie en Esprit et en Vérité, traverse, avec son esprit, les cieux, monte et arrive jusqu’au trône de Dieu. Une fois là-haut, il ne veut plus en être séparé et désire y demeurer à jamais, dans la contemplation de la gloire du Père Céleste ; là est la source de la Vie, du Bonheur, de la Béatitude : Dieu. "Ce n’est pas le feu. qui aime la matière, qui me conduit au martyre, mais l’eau vive qui dit en moi: va vers le Père." Pendant qu’on le menait joyeux et dans la l’allégresse, pour le livrer en nourriture aux bêtes sauvages, Xerxès le roi des Perses, gémis­sait et se lamentait, assis sur son trône élevé...

— Encore une question, Photinie, dis-moi, ton esprit est-il ravi au cours de la prière, car pour parler, comme tu le fais, tu as certaine­ment été digne de l’illumination divine.

— Souvent mon esprit est ravi au ciel. Toute pensée de ce monde disparaît, mon cœur déborde de joie et d’allégresse. Le feu de l’amour pour le Christ embrase mon coeur, à tel point, que si je pouvais prendre des ailes, je m’envolerais pour être toujours dans la béatitude des lieux célestes. Quand le Roi-Prophète David les a vus, il s’est écrié: "Qui me donnera les ailes de la colombe, je m’envolerai et je trouverai le repos." Là-haut est la vraie Vie, là-haut le Repos, la Béatitude éternelle, là-haut le rayonnement de la Lumière divine du Père Céleste, non pour les yeux corporels mais pour ceux de l’âme, dans le coeur lui-même. L’ouvrier de la vertu, participe dès ce monde, à la béatitude, et cela il le sent en lui. Abba Pambô disait que si le ciel et la terre venaient à disparaître, son coeur n’aurait aucune crainte. Qui le poussait à parler ainsi ? La béatitude qui était en lui. Par la pratique de la vertu, il s’est uni à Dieu, il s’est identifié à Dieu, d’une manière toute spirituelle et toute amertume était bannie de son coeur rempli de joie spirituelle. "La vertu, dit le divin Chrysostome, unit à Dieu et hérite du Royaume des cieux." L’ouvrier de la vertu, participe dès ce monde au Bonheur et le sent en lui.

Par contre quand à cause du péché, la Lumière ne brille plus dans l’âme, il y a tristesse, affliction, gémissements, pleurs, crainte, ténèbres. J’ai connu, quand j’étais encore dans le monde, des hommes qui possédaient richesses et honneurs et d’autres biens encore mais qui étaient impuissants devant la maladie, désespérés devant la mort, dont le seul nom les remplissait d’effroi. J’en ai connu d’autres, qui à cause de leurs péchés, étaient dans une profonde obscurité intellectuelle et ne voulaient, à aucun prix, entendre parler de vie éternelle et d’immortalité, de Juste Juge et de Jugement. Le trouble et l’angoisse qui les dévoraient, étaient le signe de la privation de la grâce et les arrhes du malheur éternel, c’est à dire l’Enfer. Si l’homme savait quel est son véritable intérêt, il préférerait mille morts à la perte de la voie droite, que l’Evangile Saint et Sacré nous a montrée et qui mène à la Vie Bienheureuse et Eternelle.

Puis Photinie se tut; son cœur débordait d’amour; de ses yeux coulaient des larmes. Son émotion était profonde. Voulant la sortir de son silence, je lui posais à nouveau la même question:
— Pendant la prière, quand ton esprit est ravi, que vois-tu ?
— Tu m’interroges toujours sur les mystères ? Je t’ai déjà dit, qu’à ce moment-là, je ne me trouve plus en ce monde, bien que mon corps soit sur la terre. Je ne vois plus rien de matériel, je ne sens plus rien de terrestre, parce que mon esprit se trouve dans la Lumière Divine, où il entend, non avec les oreilles du corps, mais avec celles de l’esprit, les milices angéliques qui chantent le triple sanctus : "Saint, Saint, Saint le Seigneur Sabaoth; le ciel et la terre sont remplis de ta gloire !" Quand mon esprit est plongé dans cette contemplation, mon cœur se consume d’amour pour Jésus et, avec Paul, je m’écrie : "Je vis, non pas moi, c’est le Christ qui vit en moi". Quand je reviens à moi-même, mon coeur continue à brûler d’amour pour notre Sauveur, mes yeux de répandre des torrents de larmes....Puis je considère ma bassesse et je comprends, bouleversée, l’amour infini du Père Céleste, pour l’homme sa propre créature. J’incline la tête, je croise mes mains et je dis: "Que suis-je, moi pauvre et misérable ? Quel bien ai-je fait pour que le Seigneur me visite ? Aucun. Oh l je m’écrie, Seigneur plein de bonté. Oh l Bien suprême. Oh l Amour Céleste. Oh l Père céleste. Que Ton Nom Tout-Saint soit béni ; car si à moi, qui suis pauvre et indigente, tu montres tant de bonté, combien grande doit être celle que tu montres à tes vrais serviteurs. Et si moi, qui n’ai rien fait de bien, je suis remplie de joie divine, en entre­voyant ta beauté céleste et divine, quelle doit être la joie, quelle doit être l’allégresse de ceux qui ont vaincu le monde et son prince, et qui sont allés à Toi, portant la couronne de la victoire ?"

Puis Photinie se tut à nouveau. Moi j’étais bouleversé, mon esprit se trouvait hors du monde. Dans le silence, je regardais le visage de Photinie, ce n’était plus un visage humain mais celui d’un ange.

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