dimanche 26 décembre 2010

Le Saint Père Justin Popovic, bouche de l'Orthodoxie.

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LE PERE JUSTIN POPOVIC

La Bouche de l’Orthodoxie

C’est l’heure maintenant qu’embrase l’agonie ultime, dernier silence du ciel en l’avancée du matin où s’égarent les hommes dans les ténèbres de l’apostasie et les tourments de la mort et du péché. Pourtant, au sein de ce grand suicide spirituel qui engouffre l’Occident et la terre entière, docile et inféconde, selon la vision du Prophète Isaïe : « La terre est dans le deuil, épuisée » Is. 24, 4, la parole de vérité n’a pas disparu de toute part, mais sourd, comme une rivière souterraine, de la bouche des hommes enseignés par Dieu, pour indiquer la route du salut. Une des lumières de ce monde fut, en notre temps, le Père Justin Popovic. Nul ne chanta plus joyeusement dans ses larmes d’angoisse la Bonne Nouvelle du Verbe Incarné qui transfigure et déifie l’homme que ce grand théologien serbe, et nul ne souffrit autant de la voir s’éteindre dans le coeur des hommes d’aujourd’hui.

Blessé dans les entrailles de miséricorde du Christ, il récapitula, avec une intensité et une acuité extrêmes l’enseignement que le Seigneur déposa dans Son Église, l’opposant, comme vérité une et unique, à tous les « humanismes » indigents où s’égare la pensée humaine, et, dans l’expérience tragique de ce siècle, il répéta inlassablement que l’énigme de l’homme et du monde ne trouve sa solution que dans le DIEU-HOMME.

« Éclairé par la lumière des Prophètes et celle de la Pentecôte », selon la parole d’un saint commentateur, il sût déceler derrière l’œcuménisme la forme la plus subtile et dangereuse du nihilisme contemporain et fut ainsi le premier à le dénoncer comme pan-hérésie et négation de l’Église. A la logique nihiliste de l’homme « centre et mesure de toutes choses » qui conduit à la ruine les Temps Modernes, il opposa la logique déifiante du Christ-Sauveur qui s’accomplit dans le Corps Théandrique, divino-humain, de l’Église Orthodoxe, Une, Sainte, Catholique et Apostolique et qui seule mène au salut.

Le Père Justin Popovic est ainsi apparu comme le premier théologien, égal aux anciens Pères Théophores, qui, ayant assumé tout l’héritage culturel occidental, l’a mesuré à l’aune de la philosophie du DIEU-HOMME pour en révéler le néant tragique et la déroute spirituelle. Incarnant la Conscience Orthodoxe des Pères, il réfuta, dans sa théologie sublime, la conception humaniste de l’homme et de l’Église, qui règne comme dernière victoire du nihilisme dans l’œcuménisme contemporain, s’armant dans ce combat de l’enseignement laissé par le Christ à Ses Apôtres et scellé par les Docteurs de la Foi dans les Saints Conciles Œcuméniques.

I

L’histoire, l’homme et le monde constituent autant d’obscures énigmes pour la conscience que n’éclaire pas le soleil de la divino-humanité du Christ ; c’est pourquoi seul l’être illuminé par la Grâce du Saint-Esprit, dans la Lumière du Verbe, parvient à la connaissance de ces Mystères et a droit au nom de « Pédagogue ».

Ce principe axiologique, qui gouverne la méthodologie théologique Orthodoxe est le gouvernail auquel s’est confié le Père Justin. Avec la règle d’or de la philosophie divino-humaine de l’Église, il mesura ce phénomène nouveau, unique dans l’histoire, qu’est l’abandon de l’homme loin de Dieu, autrement nommé par la philosophie : nihilisme. Qu’est-ce cela ?

Une lumière crépusculaire jette ses feux derniers sur le monde vieilli n’épargnant plus aucun rivage : celle de la tyrannie de l’homme « centre et mesure de toutes choses » qui s’érige unique origine – et non Dieu – des valeurs et s’assujettit la nature entière comme une terre soumise, disponible pour lui le Maître, le SUR-HOMME enfin libre. « Liberté » acquise par le rejet de Dieu (« Dieu est mort ») et de toute transcendance, vérité ou valeur divines. En cette époque nôtre, tout obstacle est levé pour le déploiement de ce que Nietzsche appelle la « Volonté de puissance » et la volonté de domination de l’homme pour la consommation et l’usure qui ne connaît plus de limites.

Le triomphe, en l’homme auto-divinisé, de la puissance, s’accomplit présentement dans le règne de la technique où tout est soumis à l’ordre du calculable et du consommable. Ce règne est imposé par l’homme, non seulement à la terre et aux extrémités du ciel, mais aussi à lui-même, sommé qu’il est d’être à son tour un objet rentable et productif. Cette logique de la domination, de la maîtrise et du progrès, exige que toute croyance en Dieu, en une essence spirituelle de l’homme, en un destin éternel de l’être soit abolie ; qu’il n’y ait pas d’autre horizon que cette vie, en laquelle seule se réalise la vocation humaine – bref, que toute éthique divino-humaine soit anéantie au profit d’un humanisme sans transcendance. Tel est le nihilisme achevé et sa douleur la plus extrême.

Existentiellement, le résultat, en effet, est que l’homme perçoit sa situation au monde comme absurde, voué qu’il est à la souffrance et à la mort. La philosophie s’est ainsi constituée au XXe siècle, comme « conscience tragique », conscience désespérée qui chevauche, entre deux néants, l’abîme d’une existence sans but ni pourquoi, et cherche, dans l’histoire, la réalisation de son destin ; mais l’histoire nous apparaît, à nouveau absurde, deux guerres mondiales ont cassé l’espérance : s’étant fait « dieu » lui-même, l’homme s’est réalisé, bête plus brutale qu’aucune autre, un être absurde seul capable d’en souffrir !

La grandeur de l’œuvre du Père Justin est d’avoir évalué à partir de la philosophie du Dieu-Homme cette détresse qu’engendre la philosophie de l’homme sans Dieu et le fardeau insupportable que devient alors pour l’homme sa pensée et son existence. Il écrit : « Scrutez les principes fondamentaux du progrès humaniste contemporain, sa métaphysique. Il est clair pour des yeux sains : la culture humaniste européenne émousse systématiquement en l’homme le sens de l’immortalité, jusqu’à l’avoir tout à fait détruit. L’homme de la culture européenne affirme avec Nietzsche, qu’il est corps et rien que corps. Et cela signifie, je suis mortel et rien d’autre que mortel. »

Cette philosophie qui nie l’existence de tout « arrière-monde », selon l’expression de Nietzsche, qui nie l’immortalité de l’âme, et ramène à la fluence inconsistante du devenir la totalité du réel (rien n’EST, au sens de quelque chose de permanent, d’éternel, tout est soumis à la naissance et à la mort, à la fugitivité vaine), cette philosophie au goût de néant engendre une existence qui ne peut se saisir qu’absurde : « Rien n’est plus tragique, écrit le Père Justin parlant de l’humanité sans le Christ, rien n’est plus affligé que le genre humain, il ploie sous le poids accablant du Temps et de l’Espace. Il trame le Temps sans en connaître la nature, le sens, le but. Il traîne aussi l’espace sans en connaître la nature, le sens et le but. Le gratuit est captif de l’absurde ! Le Gratuit et l’Absurde luttent ensemble et seul le Tragique l’emporte. »

La conséquence de la négation de Dieu est que l’existence individuelle, aussi bien que l’histoire de l’humanité en général, perdent sens, parce que S’IL N’Y A PAS DE DIEU, ALORS LA QUESTION DU SENS ELLE-MEME EST UNE QUESTION CADUQUE. C’est là le nihilisme extrême et sa définition même, selon Nietzsche : « Le nihilisme : la réponse au « pourquoi ? », au but fait défaut. Qu’est-ce que le nihilisme ? Les suprêmes valeurs se dévalorisent ». Mais la question du sens ne disparaît pas pour autant, ELLE NE CESSE DE NOUS REVENDIQUER AU-DELA OU EN-DEÇA DE SON ILLEGITIMITE THEORIQUE, comme question meurtrissante, incontournable : « Le monde… Qu’est-ce que le monde, demande le Père Justin, avec ses tourments, ses peines, ses tragédies, ses souffrances ? Rien d’autre qu’un moribond sans espoir qui râle dans une agonie sans fin et qui ne meurt jamais. Que nous reste-t-il ? Le grincement de dents et la révolte ? Contre qui ? ».

Ce que le Père Justin met en évidence, c’est que le nihilisme ontologique ne peut contourner la question cruciale de sens, parce que C’EST PRECISEMENT LE FAIT DE POUVOIR POSER CETTE QUESTION QUI CONSTITUE L’HOMME. C’est pourquoi d’ailleurs le Surhomme, selon Nietzsche, est celui qui se tient en cette position de fol orgueil d’être au-delà du sens et de la vérité, d’être au-delà de la question de l’être : à l’égal de Dieu. Mais cette tenue « d’indifférence » est ontologiquement impossible parce que l’homme n’est ce qu’il est, que par ces questions qui se posent à lui et DONT IL NE DECIDE PAS. Le nihilisme aboutit nécessairement à l’épreuve d’une existence insoutenable que tourmente une pensée retournée contre elle-même, crucifiée par un paradoxe qui est son impasse, d’un côté elle affirme qu’il n’y a ni être, ni vérité, ni Dieu, qu’il n’y a pas de sens à ce qui est, d’autre part, cette absence de sens lui est source de souffrances indicibles, auxquelles elle ne peut se résoudre. Mais si rien n’est, pourquoi ce mal de l’être ?

Sans le Christ la pensée est condamnée à cette auto-torture, selon les analyses très profondes du Père Justin : « La conscience, sembla-t-il, a été donnée aux hommes pour les tourmenter dans une certaine mesure en vain, en leur faisant sentir la tragique impasse des misérables conditions de leur existence. La conscience humaine, c’est comme une toute petite luciole au milieu, de l’épaisse nuit, tout autour c’est obscurité dense et impénétrable. Poussée par je ne sais quelle inquiétude intérieure, la malheureuse luciole va d’une obscurité à l’autre, d’une petite à une plus grande. Mais l’effroi atteint le sommet, quand la grande obscurité apparaît toute petite devant une plus grande encore. Et ainsi, à l’infini. Une conscience développée à l’excès… A quoi me sert-elle ? Je ne veux plus rien sentir. Le tourment le plus insupportable, c’est de penser à l’absurdité de la pensée. La pensée, c’est ce qu’il y a de plus absurde. Oh ! Si l’homme avait invente la pensée, il aurait facilement trouvé le Paradis. Comment ? – En détruisant la pensée ! Mais la pensée est imposée à l’homme. C’est elle qui réfléchit même quand l’homme ne le veut pas… Vous qui êtes les victimes de la pensée, sentez-vous cela ? »

Ce tourment, ce mal de l’être qui calcine la pensée moderne dans ses oriflammes les plus lucides (Nietzsche, Artaud, Cioran, etc.,) le Père Justin le comprit comme le résultat LOGIQUE de la négation par l’homme moderne de Celui qui est le Sens de tout être : le Verbe Incarné, le Dieu-Homme. La question du sens ne trouve sa justification ontologique et sa réponse totale que dans le Christ-Sauveur qui est Lui-même le Sens et la Vérité, la source au-delà de l’être, de tout ce qui est l’unique solution à l’énigme de l’homme : « Qu’est-ce qui est essentiel, important dans la vie de l’homme ? demande le Père Justin. C’est sans doute donner un sens à sa vie, sens perdu ontologiquement et phénoménologiquement à cause de la mort, c’est-à-dire du pèche. Car seuls le péché et la mort ôtent tout sens à la vie, ôtent toute raison d’être à l’homme et à la création ».

Ce tragique de l’existence de l’homme qui s’est fait « centre et mesure de toutes choses » est ainsi engendré, selon le Père Justin, par ce qu’il appelle la « philosophie selon l’homme » et qu’il oppose, en d’admirables textes, à la philosophie du DIEU-HOMME. Nul ne mesura avec autant de lucidité l’opposition absolue, sans compromis possible, entre ces deux « logiques », l’une qui mène à la mort, l’autre qui conduit à la vie et dépasse toutes les incertitudes qui limitent la pensée contemporaine. D’un côté la philosophie humaniste nihiliste, de l’autre la philosophie divino-humaine du Verbe Incarné.

Mais ce que le Père Justin a également montré avec une rigueur logique extrême, c’est que le nihilisme n’est pas un événement hasardeux dans l’histoire et la pensée occidentales : C’EST SON RESULTAT ULTIME ET SA VERITE MEME parvenue à la clarté en cette fin du jour. Cette philosophie tardive n’est que l’expression d’une réalité philosophique très ancienne en chemin depuis des siècles : « philosophie selon l’homme » où la raison se fait critère de la Vérité, qui jaillit dans les oeuvres d’Augustin pour constituer toute la méthode théologique scolastique ; qui s’élabore philosophiquement dans le cartésianisme et s’achève avec le Zarathoustra de Nietzsche où l’homme triomphe de toutes les vérités, c’est-à-dire ultimement de Dieu.

II

On voit que pour le Père Justin Popovic le nihilisme n’est que la forme achevée de l’humanisme, qui caractérise selon lui la pensée théologico-philosophique occidentale. C’est-à-dire, et le point est d’importance essentielle, que le nihilisme n’est pas tant la négation de Dieu que le produit d’une certaine méthode théologique qui exclut Dieu et met l’homme en avant-garde.

Nietzsche ne dit pas, d’ailleurs, « Dieu n’existe pas », mais « Dieu est mort », ce qui est tout autre et nouveau : Dieu a cessé d’être le principe, l’arche qui gouverne toute chose dans la pensée et l’histoire occidentales, et ceci depuis des siècles : « Où est allé Dieu ? (...) Je vais vous le dire ! Nous l’avons tué vous et moi ! Nous sommes tous ses meurtriers ». Le Gai Savoir, §.125. Cette théologie humaniste-nihiliste trouve son origine et son expression la plus manifeste, selon le Père Justin, dans le DOGME DE L’INFAILLIBILITE PONTIFICALE. Son entreprise d’évaluation du nihilisme à partir de la philosophie du Théanthrope, du Dieu-Homme, se resserre ici avec une logique irréfutable pour en découvrir le fondement dans le papisme :

« En s’éloignant du Dieu-Homme, chaque humanisme se transforme progressivement en un anéantissement. La banqueroute contemporaine de tous les humanismes le prouve, avec en tête le papisme, le père direct ou indirect, conscient ou inconscient de tous les humanismes européens. Quant à la banqueroute désastreuse du papisme, elle réside dans le dogme même de l’infaillibilité papale. Ce dogme est précisément le sommet de l’anéantissement. Par lui, l’homme de l’Europe a proclamé de façon décisive et dogmatique sa suffisance (autarcie), a définitivement proclamé qu’il n’avait pas besoin du Dieu-Homme, qu’il n’y avait pas de place pour Lui sur la terre. Le Vicaire du Christ Le remplace pleinement. En réalité, chaque, humanisme contemporain vit, suit et confesse obstinément ce dogme… L’infaillibilité est un attribut théandrique de l’Église en tant que Corps Divino-Humain du Christ dont la Tête éternelle est la Vérité, la Toute-Vérité, la Seconde Personne de la Toute-Sainte Trinité, le Dieu-Homme, le Seigneur Jésus-Christ. Par le dogme de l’infaillibilité papale, le pape s’est proclamé Église, le pape-homme a pris la place du Dieu-Homme, c’est le triomphe de l’humanisme, et du même coup, la « seconde mort » (Apocalypse XX, I4 – XXI, 18) du papisme et après lui et avec lui de tout humanisme. »

L’analyse logique du Père Justin le conduit ainsi à dévoiler l’identité fondamentale de trois réalités : humanisme = nihilisme = papisme. Il n’y a ici nul coup de force, ni fanatisme théologique, mais le dévoilement d’une réalité évaluée par la mesure souveraine de la philosophie divino-humaine du Christ, à savoir l’essence nihiliste du dogme central de la papauté. « Le dogme de l’infaillibilité papale du XXe siècle, écrit le Père Justin, n’est pas autre chose que la renaissance de l’idolâtrie et du polythéisme. Il est la renaissance de l’axiologie et de la critériologie païennes… C’est le paganisme érigé en dogme. C’est la suffisance de l’homme européen faite dogme ».

L’axiologie qui institue l’homme comme critère unique de la Vérité dans ce qu’on appelle l’HUMANISME est un nihilisme, « une révolte contre le Christ Dieu-Homme » qui trouve son expression absolue dans le principe de l’infaillibilité papale – telle est la conclusion rigoureuse du Père Justin. Mais il n’y a pas, selon le Christianisme, trois voies, celle de Dieu, de l’homme et du diable. Tout ce qui n’est pas de Dieu est du diable, nous révèlent les Ecritures. C’est pourquoi le Père Justin peut logiquement conclure :
« L’anthropocentrisme humaniste est, en son essence, un diabolocentrisme : l’un et l’autre ne visent qu’à une chose : n’appartenir qu’à eux-mêmes, n’être qu’à eux-mêmes par eux-mêmes : mais ils ne font en réalité que se livrer au royaume de la « seconde mort », où il n’y a pas de Dieu, ni rien de Dieu. (Apoc. XX, 14) ». C’est pourquoi le fondement ontologique du papisme – l’instauration de l’homme comme critère absolu, « pan critère » – est la négation du Dieu-Homme : « Ce dogme est d’une signification cosmo-historique, écrit-il, pour le sort de l’Europe, surtout en ces temps apocalyptiques dans lesquels elle est déjà entrée. » Ce dogme, forme nouvelle selon le Père Justin, de la négation de la divinité du Christ, de l’arianisme, est le prélude de l’arrivée de l’Antichrist : « Le Dieu-Homme est expulsé du ciel. Nous avons ici une espèce de désincarnation du Christ Dieu-Homme. »

Cette analyse conduit le Père Justin à reconnaître dans le papisme une nouvelle chute, identique aux deux anciennes : « L’histoire de l’humanité a connu trois principales chutes : celle d’Adam, celle de Judas, celle du Pape.
La cause de la chute dans le péché est au fond toujours la même : c’est vouloir devenir bon par soi-même; c’est vouloir devenir parfait par soi-même. Mais en agissant ainsi, l’homme sans s’en rendre compte devient l’égal du diable ; car, lui aussi a voulu devenir dieu par lui-même et prendre la place de Dieu. » Selon l’Évangile et l’enseignement des Pères Théophores, le but de l’existence n’est pas de devenir un homme aux vertus excellentes, un, « sage », mais de devenir « à la mesure de la stature parfaite du Christ ». C’est pourquoi « l’humanisation » n’est autre, en vérité, qu’une diabolisation de l’être humain, selon cet axiome : « L’anthropocentrisme humaniste est, par essence, un diabolocentrisme ». Le principe de l’infaillibilité du Pape est ainsi, en son fond caché, l’avènement dogmatique et théologique de cette « diabolisation » de l’être humain.

Cette apostasie, philosophiquement pensée dans le nihilisme et théologiquement dogmatisée par la papauté, n’est cependant pas une fatalité qui pèserait comme un « destin » sur l’homme européen sans qu’il puisse s’en sortir. Le Père Justin ne cesse, au contraire de répéter que ce péché absolu, ce « pan-péché » qui résume tous les autres et constitue la culture européenne moderne, peut être lavé en un instant dans l’eau de la pénitence : « Existe-t-il, demanderez- vous, une issue à ces innombrables enfers humanistes ? Y a-t-il une résurrection de ces innombrables sépulcres européens ? Y. a-t-il un remède à ces innombrables .maladies mortelles ? Certes oui : la Pénitence… La Pénitence est devant le Dieu-Homme le seul remède contre le péché, le seul remède contre tout péché, même contre le pan-péché du papisme, contre le dogme orgueilleux de l’infaillibilité papale ; elle est le remède contre le péché de chaque humanisme et de tous les humanismes à la fois. » Ainsi l’unique solution au mal européen est le retour, par la pénitence, à l’Église Orthodoxe du Christ, au « Théo-humanisme évangélique, apostolique, patristique et orthodoxe » qui seul peut redresser les voies agonales de l’humanisme. Or, c’est exactement la voie inverse qui est suivie présentement : au lieu que les divers hérétiques soient sanctifiés -par le retour à la vraie Église du Christ- CE SONT LES TRADITIONNELLES ÉGLISES ORTHODOXES QUI SONT « INFERNALISEES » PAR LE RELATIVISME THEOLOGIQUE OECUMENISTE.

C’est pourquoi le Père Justin, se hissant à la mesure des confesseurs des vérités divino-humaines de l’Église, lutta de toutes ses forces spirituelles contre l’œcuménisme qu’il dénonça comme hérésie des hérésies, « pan-hérésie », victoire ultime du nihilisme : « Pourquoi ? Parce qu’au cours de l’histoire, répond-il, les diverses hérésies ont nié ou déformé certains attributs du Seigneur Jésus le Dieu-Homme et mis à Sa place l’homme européen. Ici, il n’y a. pas de différence essentielle entre le papisme, le protestantisme et d’autres hérésies dont le nom est LEGION. Le dogme orthodoxe, ou plutôt le dogme absolu sur l’Église, a été rejeté et remplacé par le dogme absolu et hérétique de la Suprématie et de l’Infaillibilité du Pape, c’est-à-dire de l’homme. »

L’œcuménisme s’inscrit ainsi, selon le Père Justin, dans la logique même du papisme, en raison de son soubassement ontologique : le nihilisme. Pourquoi ? Parce que l’œcuménisme professe que nulle part il n’y a de vérité absolue, pleine et totale, mais qu’elle est à chercher ; aucune « église » n’a la plénitude du Dépôt Apostolique, mais toutes ses « branches » en possèdent une parcelle.


Aussi doit-elle être cherchée par la réunion dans l’amour, de toutes ces « branches » et, par-delà même les chrétiennes, de toutes les religions, particulièrement judaïque – telle est la grande entreprise spirituelle de nos temps qui marquera la victoire de l’homme sur l’idéologie et le fanatisme qu’exacerbèrent autrefois les divergences théologiques plus ou moins indifférentes. Mais ce relativisme théologique est en réalité, la négation de l’essence même de l’Église en tant que Corps divino-humain du Christ, négation, selon le Père Justin, du « témoignage apostolique et patristique de l’orthodoxie, en tant que mystère divino-humain du Christ et mystère du salut du monde dans Son Corps ».

Dieu est absent, Dieu qui s’appelle Lui-même la Vérité, ne peut nulle part être trouvé dans Sa plénitude et Sa totalité – telle est l’affirmation principielle de l’œcuménisme – est-ce autre chose que de dire qu’il est mort ? La nuance papiste, c’est de professer qu’il nous a laissé Son délégué, Son représentant en la personne du Pape, « Vicaire du Christ ». C’est pourquoi l’œcuménisme, en son vide théologique extrême, repose sur le dogme fondamental de l’infaillibilité du Pape : « Jamais et sous aucun prétexte, écrit le Père Justin, le pape ne le reniera, tant qu’il sera le pape de l’humanisme papal. » L’œcuménisme en tant que nihilisme théologique intégral engendre ainsi une ecclésiologie anti-apostolique, anti-conciliaire, une théologie de l’Anti-Christ.

Dans de nombreux textes, le Père Justin dénonça ce « déicide » qu’est l’œcuménisme papo-centriste. Mais plus encore il s’inquiéta de voir les Orthodoxes s’engager dans la voie de cette apostasie, particulièrement sous la conduite du Patriarcat de Constantinople dont il critiqua, avec beaucoup de clairvoyance, les visées néo-papistes à vouloir « imposer définitivement ses conceptions et sa conduite aux Églises Orthodoxes Autocéphales et en général au monde Orthodoxe ainsi qu’à toute la diaspora orthodoxe » dans un concile pan-orthodoxe pour organiser l’union avec Rome.

« Il serait contraire à l’Evangile, écrit-il, de permettre à Constantinople, à cause des difficultés dans lesquelles elle se débat actuellement, de pousser toute l’Orthodoxie au bord de l’abîme, comme cela s’est produit une fois, lors du pseudo-concile de Florence, ou bien d’entériner canoniquement et dogmatiquement certaines formes historiques qui, à un moment donné, pourraient, au lieu d’être des ailes, devenir des chaînes pour l’Église et Sa présence transfiguratrice dans le monde. Soyons sincères : on ressent dans la conduite des représentants du Patriarcat de Constantinople de ces dernières décennies la même inquiétude malsaine et le même état d’esprit maladif qui, au XVe siècle, ont conduit l’Église à la trahison et à la honte de Florence. »

L’oecuménisme et toute forme de papo-centrisme sont dénoncés par le Père Justin au nom de l’organisation conciliaire de l’Église : « L’Église Orthodoxe, écrit-il, de par sa nature et sa structure dogmatiquement immuable est épiscopale et centrée sur l’évêque. L’évêque et l’ensemble des fidèles autour de lui sont l’expression et la manifestation de l’Église en tant que Corps du Christ, particulièrement dans la Sainte Liturgie : l’Église n’est apostolique et catholique que par les évêques qui sont à la tête des communautés ecclésiales vivantes : les évêchés. »


III

En tant qu’ontologie de la déification qui ne peut se réaliser que dans la vie mystérielle de l’Église, le Christianisme ne connaît d’autre centre que le Christ, Dieu parfait et Homme parfait, le Verbe Incarné qui a assumé toute notre nature, sauf le péché. C’est pourquoi l’Église ne peut être comparée à une « institution » soumise aux faiblesses humaines qu’une règle sociologique pourrait mesurer, à l’instar des partis et des syndicats : l’Église est le Corps Théandrique qui récapitule « toutes choses en Christ, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre » (Ephésiens 1, 10).

On peut dire du Père Justin qu’il fut vraiment le Docteur de l’Église que Dieu suscita, en nos temps où le dernier article du Credo, après tous les autres, est attaqué. Les anciens Pères défendirent la divinité du Christ, puis la divinité du Saint-Esprit, notre nouvelle figure patristique défendit le Corps Théandrique de l’Église contre les hérésies néo-ariennes qui la relativisent : « L’Église, écrit-il, n’est pas simplement le sens et le but de tous les êtres et de toutes les créatures, depuis les anges jusqu’aux atomes, elle est aussi leur sens total et unique ». Pour expliquer cette définition ontologique fondamentale de l’Église comme unité de la totalité de l’être en Christ, le Père Justin forgea le concept de « Logosité » : « Toute la création a été créée comme Église et forme l’Église et Lui est la Tête du Corps de l’Église » (Col.I, 18).

Il s’agit ici de la PAN-UNITE « logifiée » de la création, de la PAN-TELEOLOGIE « logifiée » de la création. Le péché a coupé de cette Pan-Unité logifiée et pan-téléologie, une partie de la création et l’a précipitée dans un malheur insensé : la mort, le châtiment, les tourments. Et le Verbe s’est fait chair, dans notre monde terrestre, et comme Dieu-Homme, Il a sauvé du péché le monde. Le but de son économie théandrique et rédemptrice, c’est de purifier du péché tout l’univers, de le sanctifier, de le ramener à son état « logique », de l’incorporer à Son Corps Théandrique qui est l’Église et de restaurer la Pan-Unité logifiée et la Pan-Téléologie « Iogifiée ».

Dans l’Église, l’homme retrouve sa relation « d’amitié » avec les choses et les êtres, franchissant le fossé inséparable qui paraissait l’enfermer en lui-même et lui interdire tout accès aux autres ; ce sentiment de clôture du moi sur soi, ce sentiment de la solitude absolue, ontologique de l’homme n’est que le résultat du péché « En vivant dans le péché, écrit le Père Justin, l’homme s’isole, ne reconnaît plus que lui-même et s’érige centre de l’univers. Plus il s’enfonce dans péché, plus il agrandit dans sa conscience et dans son coeur, le gouffre entre le temps et l’éternité. Tourné vers le monde extérieur, l’homme du péché sent et voit un fossé redoutable entre lui et les autres hommes, entre lui et les autres créatures. Plongé dans son isolement égoïste, il perd graduellement, puis complètement, le sentiment de l’unité universelle du genre humain. Entre lui et la créature, le gouffre devient sans fond, sans fin ». Telle est exactement la définition de l’absurde, selon Camus : « Je suis fondé à dire que le sentiment de l’absurdité ne naît pas du simple examen d’un fait ou d’une impression, mais qu’il jaillit de la comparaison entre un état de fait et une certaine réalité, entre une action et le monde qui la dépasse. L’ABSURDE EST ESSENTIELLEMENT UN DIVORCE. Il n’est ni dans l’un ni dans l’autre des éléments comparés. Il naît de leur confrontation.

Sur le plan de l’intelligence, je puis donc dire que l’absurde n’est pas dans l’homme (si pareille métaphore pouvait avoir un sens), ni dans le monde, mais dans leur présence commune ». (Le Mythe de Sisyphe).

L’unique réponse à ce sentiment de l’absurde réside dans le Dieu-Homme qui unit en Lui la totalité de l’être : « Le Dieu-Homme qui ôte le péché, est celui qui a comblé le fossé entre le Temps et l’Eternité, entre l’homme et Dieu, entre l’homme et les autres créatures. Il a ainsi rétabli, dans la conscience et la sensation de l’homme, l’unité entre ce dernier et Dieu, entre le Temps et l’Eternité, entre ce monde et l’autre. C’est pourquoi les hommes qui possèdent l’esprit et la foi du Christ, dans leur lutte contre le péché luttent pour restaurer en eux et dans sa totalité l’image du monde et atteindre ainsi l’homme total »… « Seule la divino-humanisation de l’homme dans le Christ, le délivre du satanisme, de l’isolement et de l’égoïsme. Par la divino-humanisation de l’homme sont rétablis, l’auto-sensation et l’auto-conscience de l’homme et sa sensation du monde. L’homme sent et reconnaît que son être est tissé avec tous les êtres et toutes les créatures. L’unité universelle est la plus réelle et la réalité la plus proche pour sa conscience et sa sensation. Un tel être rassemble, sans relâche, son être en Dieu par la prière, la foi, l’amour, la justice, la miséricorde, la vérité et par toutes les autres ascèses et vertus évangéliques. Cette concentration dans le Dieu-Homme, forme en lui, à un degré inimaginable la sensation et la conscience de la PAN-UNITE du macrocosme ».

Telle est l’expression la plus profonde de ce Mystère des Mystères qu’est l’Église, Corps divino-humain du Christ. Mais que nul ne se méprenne, le Père Justin Popovic ne fait nullement ici oeuvre « originale ». L’Église Orthodoxe ignore les « penseurs », et les Docteurs qu’elle vénère ne sont pas les rhéteurs d’une doctrine nouvelle, « personnelle ». Si le Père Justin se mesure aux plus grands théologiens, c’est parce qu’il sut, comme eux, opposer l’unique réponse du Dépôt Apostolique aux problèmes et hérésies de l’heure. C’est en cela que l’expression de la Foi est à la fois historiquement déterminée, et au-delà de toute détermination, culturelle et au-delà, en tant que Vérité absolue, de toutes les cultures. Elle doit se couler dans les formes que lui imposent les déviations théologiques à combattre – mais celles-ci ne la déterminent nullement, car Sa réponse est la Révélation qui a été donnée aux Apôtres le Jour de la Sainte Pentecôte et qui ne peut reconnaître, ni ajout, ni retrait, ni progrès. Il n’y a donc pas de « philosophie » du Père Justin, mais seulement la « philosophie » du Dieu-Homme qui constitue l’enseignement salvifique de l’Église Orthodoxe Sainte, Catholique et Apostolique dont il fut le pédagogue. Il sut l’opposer comme seule issue à toutes les impasses où aboutit l’esprit humain lorsqu’il s’égare du Corps Théandrique de l’Église Orthodoxe qui seule porte en Elle la Grâce de la Divine Trinité Grâce qui, selon les paroles de notre saint docteur, « sauve du péché, de la mort et du diable ; Grâce qui régénère, nous transfigure, nous sanctifie, nous christifie, nous déifie et nous trinifie. »

Et maintenant ce chantre du Mystère de l’Église qui lutta avec la Théologie des Pères contre la nouvelle invention du Malin pour détruire l’Église Orthodoxe, l’œcuménisme est notre modèle. Que ses prières nous gardent fidèles à la doctrine de notre Sauveur. Amen !

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