jeudi 30 décembre 2010

Thabor n°1. Tout est accompli : Homélie sur le Grand & Saint Vendredi, de Saint Mgr Philarète de New York, 1973.

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« TOUT EST ACCOMPLI »

Homélie du Métropolite Philarète

Prononcée le Grand Vendredi de l’Année 1973

Hier, dans la lecture du IXe Evangile sur la souffrance du Sauveur, et ce matin lorsque, durant la IXe heure, l’Evangile de saint Jean a été lu, nous avons entendu l’exclamation faite sur la Croix, l’exclamation du Vainqueur d’Adès, de la Mort et du Diable : « TOUT EST ACCOMPLI » (Jean 19, 30). Qu’est-ce qui est accompli ?

Etait accompli ce qui était connu du Seigneur Tout-Puissant au moment de la création du monde. Etait accompli ce que le monde entier attendait ; accompli ce qui avait été prophétisé dès le Paradis à nos ancêtres qui avaient péché ; accompli ce qui avait été prédit aux prophètes et que les préfigu­rations de l’Ancien Testament désignaient ; accomplie la Rédemption de la race humaine, sa délivrance du péché, de la mort et de la condamnation.

Christ le Sauveur poussa cette exclamation, je le répète, déjà comme un Vainqueur qui avait rempli la mission pour laquelle il avait été envoyé. Avant cela, fut entendue de la Croix, une exclamation d’une nature entièrement différente : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi M’as-Tu abandon­né ? » (Mattieu 27, 46). Cette exclamation était encore celle d’un homme souffrant, non d’un Vainqueur. Cette exclamation nous dit la torture et la souffrance sans limites, et nous indique au prix de quelles souffrances terribles l’acte de notre Rédemption fut accompli. Mais comme les saints Pères théophores de l’Eglise nous le disent, et comme notre grand docteur et théologien de grande renommée, S.B. le Métropo­lite Antoine, l’exprime avec une précision particulière, notre Rédemption consista en deux parties, si l’on peut dire : d’abord, le Seigneur Sauveur prit sur Lui tout le poids de nos péchés, puis Il les cloua sur le bois de la Croix au Golgotha.

Lorsqu’il marcha avec les Apôtres, dans le Jardin de Gethsémani, eux qui étaient habitués à Le voir imperturbablement calme, le Maître de la création, le Roi et le Dominateur des éléments, et le Maître de la vie et de la mort, ils entendirent avec effroi des paroles jamais entendues de Lui auparavant : « Mon âme est triste jusqu’à la mort ». Puis le Sauveur demande à Ses disciples, Ses enfants spirituels bien-aimés, pendant ces moments décisifs et insupportablement difficiles de la Passion : « Restez ici et veillez avec Moi » (Mattieu26, 38). Ici commence la prière de Gethsémani. Dans cette prière, nous voyons que l’Agneau qui fut consacré au moment de la création du monde pour le salut de l’humanité, recule, comme terrifié par ce qui s’approche de Lui et ce qu’Il a à accepter et souffrir. Est-il effrayé de la souffrance physique ? Est-ce cela qui le fait reculer ? Non !
Par le récit de ses souffrances, nous voyons avec quel calme, quelle majesté, et avec quelle merveilleuse, ou pour mieux dire, quelle divine patience Il endura les terribles supplices physiques.
On doit garder à l’esprit qu’Il était pur et sans péché. La souffrance est caractéristique de la nature pécheresse. Aussi, la souffrance ne lui était pas naturelle, et, par conséquent, incomparablement plus perçante et pénible que pour nous. Et cependant, comment a-t-il enduré les supplices physiques ?

Considérons un instant ces supplices : Il est couché sur la Croix, Ses pieds et Ses mains toutes pures sont percés par de terribles clous. Quel moment effrayant ! Mais Il ne pense pas à Lui-même, le Sauveur des pécheurs, qui est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, Il pense à eux, même ici, et prie son Père pour ses bourreaux : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc. 23, 34). A ce moment, Il ne pense pas à Lui-même, Il oublie ses propres souffrances. Il prie seule­ment que le Père soit miséricordieux, qu’Il pardonne le péché de Ses propres crucificateurs. C’est la manière par laquelle il sut accomplir Son action de servir et de sauver les pécheurs. Plus tard, quelques heures passeront et Il conduira encore une autre âme au salut : l’âme du bon larron.

Mais ici, nous voyons qu’il est à ce point frappé de crainte, qu’Il prie son Père : « Père, si Tu le veux, éloigne cette coupe de moi » (Luc 22, 42), et même d’une manière plus pénétrante selon Marc : « Abba, Père, toutes choses Te sont possibles » (Marc 14, 36). Toutes choses Te sont possibles ; Tu pourrais encore trouver un autre moyen. Laisse cette coupe s’éloigner de Moi. Elle était à ce point terrible qu’Il prie qu’elle s’éloigne de Lui.

L’Eglise nous dit que le Christ, le Sauveur est l’Agneau de Dieu qui prend sur Lui les péchés du monde entier. Oui, Il prit sur Lui-même, II prit comme Siens, tous nos péchés. Et, je vous en prie, souvenez-vous que cela n’est pas une phrase écrite sur du papier, cela n’est pas cette vibration de l’air que nous appelons son ; c’est la vérité.

Dans le Jardin de Gethsémani, durant cette lutte redoutable, Il reçut dans son âme, l’humani­té tout entière. Comme Dieu Omniscient, pour qui il n’y a ni futur ni passé, mais seule­ment un acte de l’Omniscience et de l’Intelligen­ce divines, Il connut chacun de nous, Il vit chacun de nous, et chacun de nous, Il le reçut dans Son âme, avec tous nos péchés, notre froide répugnance à nous repentir, avec toutes nos faiblesses et nos souillures morales. Et que voit-Il ? Afin de nous sauver, nous qu’Il aima tant et qu’Il reçut dans Son âme, Il doit se charger de tous nos péchés, comme s’Il les avait commis Lui-même. Et, dans son âme sainte, sans péché et pure, chaque péché brûle plus que le feu. C’est nous qui sommes devenus à ce point habitués au péché que nous péchons sans hésitation. Comme le prophète dit : « L’homme boit l’iniquité comme, l’eau » (Job. 15, 16) et ne compte pas ses péchés. Mais dans Son âme sainte, chaque péché brûle avec le feu insupporta­ble d’Adès, et, à ce moment, Il prend sur Lui les péchés de la race humaine tout entière.

Quel supplice ! Quel supplice marqué au fer rouge c’était pour Son âme toute sainte ! Mais de l’autre côté, Il voit que s’Il ne l’accomplit pas, s’Il ne prend pas sur Lui-même le poids des péchés humains, alors l’humanité périra pour les siècles, pour toujours, pour l’éternité sans fin.
Ici, Sa nature humaine, frappée d’horreur recule devant cet insondable abîme de souf­frances, mais Son amour infini, Son amour sans limites, Son amour d’une compassion inex­primable ne consent pas à ce que l’humanité périsse ; en Lui a lieu une lutte terrible.

Finalement, épuisé par ce combat, Il va vers ceux desquels Il attendait de la compassion et auxquels Il demanda de rester, et de veiller avec Lui, mais au lieu de commisération, Il les trouve endormis. Il s’adressa à eux – selon un des Evangélistes, Il s’adressa à Simon directement – vous dormez, vous qui, il n’y a pas longtemps, juriez que vous Me suivriez n’importe où, même à la mort ; vous dormez, vous n’avez même pas pu veiller avec Moi une heure ? « Veillez et priez » leur dit-Il « car l’esprit est prompt, mais la chair est faible » (Marc 14, 38). Il s’écarte d’eux et à nouveau commence Sa priè­re solitaire. Et, à la fin, Son amour sans limites l’emporte et Il prend sur Lui les péchés de toute l’humanité.

Mais nous voyons combien cette lutte lui coûta. Le Père céleste envoya un ange des cieux, pour Le soutenir, car Sa force humaine avait atteint Ses limites, et nous voyons qu’Il est exténué et couvert par une affreuse sueur sanglante qui, comme l’établit la médecine, arrive à la suite de luttes spirituelles intérieures qui ébranlent l’être tout entier. Saint Dimitri de Rostov, méditant sur les souffrances du Sauveur, dit : « Seigneur Sauveur, pourquoi es-tu tout en sang ? Il n’y a pas encore l’affreux Golgotha, ni couronnes d’épines, ni flagellations, pas de Croix, rien de tout cela encore, et cependant Tu es tout tâché de sang. Qui osa te blesser ? » Et le saint évêque répond lui-même à sa question : « L’amour T’a blessé ».

L’amour L’amena au supplice et à la souffrance ; de cette lutte, Il est couvert de sang, mais sort Vainqueur. Et dans son action héroïque, salvatrice, Il prit sur Lui-même nos péchés et les porta sur la Croix au Golgotha, tombant sous son poids. Et là, commença cette autre partie centrale de notre Rédemption : ayant pris tous nos péchés sur Lui-même à Gethsémani, Il les souffrit dans les terribles supplices de la Croix. Le saint Evangile lève un coin du voile couvrant Sa souffrance sur la Croix, par l’exclamation dont nous avons d’abord parlé : « Mon Dieu, mon Dieu ! Pourquoi m’as-Tu abandonné? » (Mattieu 27, 46). Car ceci était sa principale terreur. C’est pourquoi probablement Il recula, terrifié, au Jardin de Gethsémani, réalisant ce qui l’attendait : Il savait que le Père l’abandonnerait, tout couvert des taches des péchés humains. Par cette exclamation sortie de Ses lèvres, l’abîme de cette souffrance impossible à mesurer, nous est partiellement révélé. Si nous étions capables de regarder dans cet abîme, personne ne demeurerait en vie, parce que, à cause de cette souffrance surhumaine, non mesurable, notre âme fondrait, périrait.

Mais voilà ! À la fin, par Sa souffrance, II accom­plit toute la mission pour laquelle Il était venu. Comme Nouvel Adam, II devient le Pè­re de l’humanité nouvelle, renouvelée, remplie par l’Esprit, et comme Vainqueur Il s’écrie : « TOUT EST ACCOMPLI ». La souffrance est finie pour Lui maintenant et Il rend son esprit à son Père Céleste.

Pendant la souffrance sur la Croix, Il l’invoqua comme le dernier des pécheurs, immergé dans ses péchés, disant : « Mon Dieu ! Mon Dieu ! Pourquoi m’as-tu abandonné ? ».
Et maintenant, Il appelle à nouveau Son Père : « Père, Je remets Mon esprit entre Tes mains » (Luc 23, 46).

Comme dit un de nos grands prédicateurs : « La souffrance est finie, que les blessures soient guéries, que le sang cesse de couler ; approchez maintenant, toi Joseph d’Arimathée, et toi pieuse Madeleine, venez au Crucifié afin de lui rendre les derniers honneurs ».

Souvenons-nous bien, Frères bien-aimés, des sujets que j’ai effleurés dans mon sermon. Béni est l’homme qui sait lire l’Evangile, com­prend et médite sur ce qu’il nous enseigne.

Et maintenant, pendant que nous adorons le Sauveur dans Sa tombe, souvenez-vous que le Seigneur souffrit pour nos péchés, que toutes ces blessures furent infligées par nous, et embrassant avec respect les blessures du Crucifié dans la repentance et la gratitude, prions-Le qu’il nous enseigne par Sa grâce à Lui être fidèles dans tous les chemins de notre vie. Amen !

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