samedi 3 mars 2012

CATECHISME ORTHODOXE.

Monseigneur Photios, Evêque-Exarque pour la France
Monseigneur Philarète, Métropolite de France




CATECHISME ORTHODOXE


Une réponse Orthodoxe au nouveau catéchisme catholique écrit contre la Foy des Pères.


Editions l'Age d'Homme.
Collection La Lumière du Thabor.










«  Il ne saurait y avoir de concession en matière de Foy ».

Saint Marc d'Ephèse.



«  Pour ma part, je n'ai jamais polémiqué, que je sache, ni avec les Grecs ni
avec personne. Je ne crois pas, en effet, que les hommes de bien aient rien de
mieux à souhaiter que de pouvoir, autant qu'ils le peuvent, & connaître &
exposer la Vérité en soi dans son authentique réalité. Dès le moment que
cette Vérité, quelle qu'elle soit, est démontrée avec rectitude & sans erreur,
dès lors qu'elle est clairement établie, par là même toute affirmation
étrangère, prît-elle le masque de la Vérité, sera réputée étrangère à la Vérité
telle qu'elle se présente en soi, dissemblable, spécieuse plutôt
qu'authentique. »

Saint Denys l'Aréopagite, Lettre à Polycarpe.





INTRODUCTION



Le critère de la Vérité permettant de distinguer, dans l'Eglise, la Vérité d'avec l'hérésie a été énoncé au Vème siècle par Saint Vincent de Lérins : «  Dans l'Eglise universelle elle-même, il faut veiller à s'en tenir à ce qui a été cru partout, toujours, & par tous ». ( Commonitorium, 2). Et le Synodikone de l'Orthodoxie, résumant l'oeuvre du Saint septième Concile oecuménique, a énoncé une fois pour toutes la norme de la Foy Orthodoxe, lorsqu'il a dit : «  Comme les Prophètes ont vu, comme les Apôtres ont prêché, comme les Pères ont dogmatisé, comme l'Eglise a reçu, nous aussi, nous croyons, nous prêchons, nous enseignons ».
Le Credo de Nicée-Constantinople résume le contenu de la Foy Chrétienne :
Je crois en un seul Dieu, le Père Tout-Puissant,
Créateur du Ciel & de la terre
et de toutes les choses visibles & invisibles.
Et en un seul Seigneur, Jésus-Christ, Fils unique de Dieu,
né du Père avant tous les siècles,
Lumière de Lumière, Vrai Dieu de Vrai Dieu,
engendré, non créé, consubsrantiel au Père,
par qui tout a été fait.
Qui, pour nous hommes, & pour notre Salut,
est descendu des Cieux,
s'est incarné du Saint Esprit & de Marie la Vierge,
& s'est fait Homme.
Il a été crucifié pour nous, sous Ponce Pilate,
a souffert & a été enseveli
& Il est ressuscité le troisième jour selon les Ecritures.
Et Il est monté au Ciel & siège à la Droite du Père,
d'où Il reviendra en Gloire juger les Vivants & les Morts,
& Son règne n'aura point de fin.
Et en l'Esprit Saint, Seigneur qui donne la Vie,
qui procède du Père,
qui est adoré & glorifié avec le Père et le Fils,
qui a parlé par les prophètes.
En l'Eglise Une, Sainte, Catholique & Apostolique.
Je confesse un seul baptême en rémission des péchés.
J'attends la résurrection des Morts
& la Vie du siècle à venir. Amen.


(p.10).
Ce Credo a été composé par les Pères réunis en Concile à Nicée (325), puis à Constantinople (381), & accepté par la conscience de l'Eglise. Les Conciles oecuméniques suivants - Ephèse (431), Chalcédoine (451), Constantinople (553), Constantinople (680) – l'ont confirmé, & ont interdit de faire la moindre modification matérielle à son texte, pour éviter toute déformation hérétique. Le Septième Concile Oecuménique, réuni à Nicée en 787, a déclaré: «  A tous les hérétiques, anathème », & « Si quelqu'un rejette une Tradition, quelle qu'elle soit, de l'Eglise, écrite ou non-écrite, qu'il soit anathème », car les Apôtres ont enseigné par leurs Ecrits, leurs Paroles, & leurs Actes (2 Thess.2,15). Enfin, le Saint Concile de 879, à Constantinople, qui a réuni, en personne ou par leurs légats, les cinq Patriarcats de l'Eglise – Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche, & Jérusalem – a condamné solennellement, sous peine de déposition & d'anathème, ceux qui oseraient faire la moindre addition, suppression, ou modification au Credo, dans lequel il a «  fondé & érigé la base & le fondement du Salut. »
L'auteur d'une innovation qui contredit, si peu que ce soit, la Foy reçue, accuse, par là-même, cette Foy des Apôtres d'être imparfaite ou insuffisante. Or, le jour de la Pentecôte, les Apôtres ont été conduits «  dans toute la Vérité ». Ils n'ont pas reçu un catalogue de dogmes, mais la Grâce de la Glorification, de la Déification. La dogmatique Orthodoxe n'a d'autre but que de protéger cette expérience, de la garder possible.
Au Credo, à tout le Dépôt de la Foy - ( cf : 1 Timothée. 6, 20 et 2 Tim. 1, 14) - transmis par le Christ à Son Eglise, défini par les Conciles & conservé par les canons de l'Eglise, & à toute la Tradition, l'Eglise Orthhodoxe adhère indéfectiblement. Si ces Vérités & ces Traditions étaient des choses humaines, le Temps les aurait fait perdre. Et quand nous disons l'Eglise, nous enendons la communion de tous, car, comme le rappelait l'Encyclique des Patriarches Orthodoxes, c'est à la communion d'amour de tout le corps du Christ qu'a été donné l'infaillible proclamation de la vérité: 
(p.11)
«  Chez nous, ni les Patriarches, ni les Synodes n'ont jamais pu introduire de nouveautés, parce que le défenseur de la religion, c'est le corps même de l'Eglise, ou le Peuple des Fidèles lui-même, qui veut que son culte demeure éternellement inchangé & identique à celui de ses Pères. » -( Cf: Encyclique de 1848, §17. Texte grec dans Jean Karmiris, Monuments dogmatiques & symboliques de l'Eglise universelle Orthodoxe, t.2, Athènes, 1953, p. 920. Textes français : Encycliques des Patriarches Orthodoxes de 1848 et 1895, Ed. Fraternité Orthhodoxe Saint Grégoire Palamas, Paris, 1988, p.40)-.
Il est vrai que, de nos jours, certains ne cessent de flétrir ceux qui se tiennent à la solidité de la Foy Orthhodoxe, comme s'ils étaient prétendument des retardataires, attachés à des formes surannées. Toutefois, les Vrais Chrétiens Orthodoxes savent que Jésus-Christ est le même hier, aujourd'hui, & éternellement ( Héb.13,8). Ils connaissent par expérience que « quiconque s'est uni à la Vérité, sait bien qu'il marche sur la Voie droite, même si la foule le rappelle à l'ordre...POur sa part, il a pleine conscience de ne pas être le fou que prétendent les autres, & il sait que la possession de la Vérité simple, perpétuelle, immuable, l'a délivré tout au contraire de la fluctuation instable & mobile à travers les multiples variations de l'erreur. » (- In Saint Denys l'Aréopagyte, Les Noms Divins, 7,4)-.
Le catéchisme de l'église catholique, que nous réfutons ici, repose sur deux idées : d'une part, le catéchisme se donne pour la transmission du « Dépôt de la Foy », & cette foi est unique ( §§172-175); d'autre part, le dogme catholique est un «  développement «  de la Foy Originelle, celle du premier millénaire Chrétien, à laquelle l'Eglise Orthhodoxe est restée fidèle – nul ne le conteste. - ( «  Pour l'intercommunion avec les Orthhodoxes, dit le cardinal Ratzinger, l'église catholique ne doit pas insister nécessairement sur l'acceptation des dogmes du second millénaire » ( Irénikon, 56, 1983, p.235). En effet, c'est à peu près à partir de l'an mil que les catholiques ont commencé d'introduire dans le dogme des innovations que refusent les Orthhodoxes)-. C'est dire que, à partir des grandes invasions, la foi chrétienne se serait épanouie dans des cadres historiques & culturels différents, en Orient, celui de l'Eglise Orthhodoxe grecque, & en Occident, celui de l'église catholique latine. Cette différenciation progressive aurait pour conséquence que ces mondes religieux auraient fini par ne plus se comprendre, & par se séparer.
(p.12).
-( «  Pendant plusieurs siècles, les Eglises d'orient & d'Occident suivirent chacune leur propre voie, unies cependant par la communion fraternelle dans la foi & la vie sacramentelle ». Décret sur l'oecuménisme, Unitatis Redintegratioe 1964, chap.3).)- C'est ce qu'on appelle l' « estrangement », ou éloignement culturel progressif, aboutissant au schisme de 1054. -( Cf. Yves Congar, Neuf Cents Ans Après, Notes sur le « Schisme oriental », extrait de l'ouvrage 1054-1954 L'Eglise & les Eglises, Chevetogne, 1954, p.7-8, & 94-95)-. Or, pour deux raisons essentielles, cette conception ne peut être acceptée:
Il est inexact de parler d'estrangement.
La dogmatique catholique n'est pas un développement de la Doctrine des Apôtres & des Pères, mais elle est en contradiction avec elle sur des points fondamentaux.
Le présent livre a pour but de démontrer le second de ces deux points. Sur le premier, nous ferons deux remarques.
1) Le dialogue n'a jamais cessé entre les deux parties de l'ancien Empire romain. Il n'est pas juste de dire qu'il renaît aujourd'hui après des siècles de silence.
2) Le « catholicisme » est le résultat d'un conflit qui a duré en Occident durant plusieurs siècles, du VIIème au XIème siècle à peu près. Ce conflit s'est déroulé non pas entre l'Orient & l'Occident, mais à l'intérieur de l'Occident. Après la rupture de communion entre l'Orient & l'Occident, les Pères de l'Eglise sont apparus comme une source continuelle de difficultés & d'opposition à la théologie occidentale.


1.Les rapports entre l'Orient & l'Occident.

Est-il exact de dire qu'il y a eu une coupure entre l'Orient & l'Occident, & que cette coupure a fait diverger les théologies?
En fait, les rapports n'ont jamais cessé entre les deux parties de l'Empire Romain, même après qu'elles ont été séparées politiquement à cause des invasions barbares. D'autre part, même si ces régions avaient été séparées bien plus gravement, était-ce une raison pour se mettre à avoir des théologies différentes? L'histoire de la Géorgie prouve que non. Elle a été complètement coupée du reste de l'Orthodoxie & est restée Orthhodoxe.
(p.13).
Ni les différences linguistiques, ni les différences culturelles n'imposent les innovations dogmatiques.
Plusieurs des textes dogmatiques importants de l'Eglise Orthhodoxe sont nés à l'occasion de rencontres dont chaque siècle a fourni sa moisson. Saint Photios, dans sa Mystagogie du Saint Esprit, -( cf : Saint Photios de Constantinople, La Mystagogie du Saint Esprit, Ed. Fraternité Orthhodoxe Saint Grégoire Palamas)-, répond aux arguments des carolingiens. Aux traités Contre les erreurs des Grecs, font pendant, durant le Moyen Age, les traités Contre les latins. Le Concile de Lyon (1274) est pour les Moines de l'Athos l'occasion de grandes lettres dogmatiques. Au XIVème siècle, Saint Grégoire Palamas dialogue avec le calabrais Barlaam, & provoque la convocation de trois Conciles qui rejettent la scolastique augustinisante de Barlaam. Thoams d'Aquin est traduit en grec, & Callixte Angélicoudès le réfute. -( Cf : Contre Thomas d'Aquin, voir La Lumière du Thabor n°25, Paris, 1999, p.32-46 & n°26, p.33-46)-. Lors du pseudo-concile de Florence (1439), les meilleurs théologiens des deux partis disputent du Purgatoire & du Filioque, avec des arguments subtils. En 1573, Jérémie II Patriarche de Constantinople, noue avec les luthériens de Tübingen une correspondance restée célèbre. A partir du XVIIème siècle, les voyages & les contacts se multiplient. Catholiques & protestants essayaient de tirer chacun à soi les Orthhodoxes, victimes d'une situation politique des plus difficiles, la turcocratie, qui entravait les études théologiques. Aux confessions de foi non-orthodoxes de Cyrille Loukaris & de Pierre Moghila ont répandu divers Conciles, tenus à Jérusalem ou à Constantinople. La querelle de l'eucharistie, qui divisait protestants & catholiques, & où s'illustrèrent surtout le pasteur Claude & le janséniste Nicole, fut arbitrée par le Patriarche Dosithée & le Concile de Jérusalem en 1672. Ce Concile eut plusieurs éditions à Paris, La Haye, Londres, etc. Citons enfin la réponse des Patriarches Orientaux aux Anglicans non-jureurs ( 1716-25), les Conciles de 1691, 1722, 1727, 1838, qui sont des réponses à la propagande uniate & aux principales questions soulevées par la théologie latine. Avec la réponse de Grégoire VI à Pie IX qui l'invitait au concile de Vatican I (1868) & l'Encyclique des Patriarches Orientaux répondant aux propositions de Léon XIII, en 1895, le dialogue s'établit très directement. De là qu'il est abusif de parler d'estrangement culturel.
(p.14).
Nous ne voulons pas nier les différences de mentalité qui affectent l'Orient & l'Occident, mais suggérer que ces différences sont plutôt le résultat que la cause d'une divergence qui est, dans son principe, théologique.


2.Les innovations occidentales au risque des Pères.


Au sein de la théologie occidentale s'est déroulée une véritable guerre civile. -( Cf : Patric Ranson, Richard Simon ou du caractère illégitime de l'augustinisme en théologie. Ed. L'Age d'Homme, 1990, qui introduit & justifie cette idée. Cf/ Michel Terestchenko, Amour et désespoir, Point-Seuil)-. En effet, chaque fois que les Pères anciens ont été édités, étudiés, & mieux connus, cette redécouverte du Christianisme Originel en ses Sources a provoqué une crise dans la théologie. L'opposition entre la Tradition ancienne, que l'église catholique prétend suivre, & les doctrines plus récentes qu'elle a admises ou même inventées, devient manifeste dès que l'on confronte la Doctrine des Pères grecs, latins, syriaques ou autres, aux enseignements des scolastiques quels qu'ils soient.
Pour le montrer, nous utiliserons trois exemples. Tout d'abord, la querelle qui a eu lieu, en France, pendant des siècles, autour de la conctitution de l'Eglise. Ensuite, la controverse de l'augustinisme. En troisième lieu, les débats sur la vision de Dieu, qui portent « sur la nature même des expériences spirituelles les plus élevées auxquelles les hommes sont appelés dans ce monde-ci & dans le monde à venir. » -(Cf/ Mgr Photios, Une lecture Orthhodoxe, Revue des Deux Mondes, avril 1993, p.80)-.


a) L'ecclésiologie de la papauté face à l'ancienne ecclésiologie.


La doctrine de l'église & celle du rôle du pape a été, dans l'Occident, la source d'un conflit qui a duré jusqu'au dix-neuvième siècle, & qui s'est achevé dans le schisme entre les ultramontains & les Vieux-Catholiques.
La lutte entre les deux conceptions de l'Eglise avait commencé sous les carolingiens, mais pour comprendre ce qui s'est passé à cette époque-là, il faut remonter aux évènements tragiques pour l'Eglise des Gaules qui l'ont précédée immédiatement.
(p.15).
Sous les rois mérovingiens, en effet, l'Eglise avait été décapitée, les maires du Palais ayant transformé les évêchés & les monastères en de simples fiefs, qu'ils attribuaient à des évêques & à des abbés ignorant tout de la religion.
« Aussi peut-on dire, écrit l'Abbé Guettée, que l'Eglise Franke n'eut bientôt plus d'évêques, & qu'elle n'eut pour chefs que des guerriers...Si ces prétendus évêques faisaient des visites pastorales, c'était pour piller les peuples & rançonner des prêtres qui n'étaient, à leurs yeux, que des vassaux; ils se croyaient non pas les pères, mais les maîtres du clergé; non pas les pasteurs du peuple, amis des seigneurs... » -( Cf: Abbé Guettée, Histoire de l'Eglise de France, p.III, Lyon-Paris, 1848, p.III. Sur l'Abbée Guettée, voir l'Appendice du présent ouvrage)-.
Cette décadence explique la suite. «  L'Eglise de France ayant abdiqué, pour ainsi dire, sa propre direction, après l'invasion des barbares qu'elle subit à la fin du VIIème siècle, la papauté la gouverna par les karolingiens...-( Nous gardons l'orthographe de l'auteur, qui se conforme aux règles de l'historien Augustin Thierry, soucieux de restituer la prononciation la plus juste des noms germaniques)- Il y eut des réclamations contre cette action immédiate de la papauté contre le gouvernement des Eglises particulières, & ce fut pour soutenir ses prétentions que l'on composa alors la collection des FAUSSES DECRETALES. Cette collection ne fut pas adoptée généralement en France. Les plus grands évêques, comme Agobard & Hincmar, réclamèrent énergiquement en faveur de l'ancien droit. La papauté soutint ses prétentions. De là, les premières luttes gallicanes & ultramontaines, qui se sont modifiées avec le Temps, mais qui durent encore. » -( Guettée, ibidem, p.VIII. Guettée, gallican, essaie de maintenir le principe du droit de l'Eglise locale, face à l'ultramontain, partisan du pouvoir du pape)-.
La dissension séculaire qui opposa les gallicans aux ultramontains, reposait donc sur cette usurpation première, contraire à l'ancien droit ecclésiastique, celui de la Tradition apostolique; & c'est la volonté paradoxale de maintenir des éléments d'ecclésiologie Orthhodoxe dans un contexte hérétique qui explique la chute des gallicans. «  Le gallican voulait une papauté soumise aux canons, soumise au concile oecuménique qui était la plus haute autorité dans l'Eglise.
(p.16).
Seulement, il admettait, en théorie, le pape comme chef de l'église de droit divin. C'était une inconséquence. » -( in W. Guettée, Souvenirs d'un prêtre catholique romain devenu Prêtre Orthodoxe, Paris 1889, p.180)-.
Cette lutte intestine sur la constitution même de l'Eglise, qui devait aboutir à la grande erreur de l'infaillibilité pontificale, définie en 1870, témoigne éloquemment de la résistance de l'élément traditionnel, en même temps que de sa faiblesse dès qu'on le détache de la pierre de la Vraie Foy Orthodoxe, de l'Eglise divino-humaine.


b) Le péché originel & la prédestination.


La doctrine augustinienne du péché originel & de la prédestination a été, elle aussi, la source d'innombrables conflits ou plutôt d'un conflit récurrent au cours de l'histoire de la théologie occidentale.
Pour résumer cette querelle, disons simplement que, face à Pélage qui affirmait que l'homme se sauve par son propre effort, Augustin en est venu à dire que Dieu seul sauve l'homme, & que l'homme ne peut pas vraiment collaborer àà son Salut en le voulant, parce que c'est Dieu même qui meut de l'intérieur la volonté humaine & lui fait désirer le Salut. Depuis qu'Adam est tombé par le péché, tous les hommes naissent dans le péché originel, & méritent justement l'Enfer. Dieu, dans Sa bonté, en sauve quelques-uns, sans mérite de leur part: les prédestinés. Bref, la liberté de l'homme disparaît, ou reste inopérante.
La doctrine d'Augustin a été perçue par les Chrétiens fidèles à la Tradition apostolique comme une hérésie inverse de celle de Pélage, mais aussi dangereuse pour la Foy & pour la Vie. Pour les Pères en effet, le Salut est le don gratuit de Dieu, mais l'homme créé libre & responsable de ses actes, peut & doit collaborer avec Dieu dans l'Oeuvre du Salut. C'est la doctrine de la synergie, de la coopération entre deux libertés, celle du Dieu créateur & celle de l'homme créé à Son image.
Au cinquième siècle, les Moines de Provence, Saint Jean Cassien, Saint Vincent de Lérins, Saint Fauste de Riez, ont lutté à la fois contre Pélage & contre Augustin & ses partisans. Au neuvième siècle, la querelle se ralluma avec plus de vigueur entre Hincmar de Reims & Godescale d'Orbais, & tous les théologiens de Gaule y participèrent.
(p.17).
Ce qui rendait, dès cette époque, le débat insoluble, c'est que plus personne ne soutenait la Vraie Doctrine des Apôtres & des Pères dans sa totalité. «  En résumé, l'épisode du IX)siècle contient en germe tous les débats ultérieurs. Deux conceptions étaient aux prises, & elles le restent encore aujourd'hui, exprimant chacune à sa manière quelque chose de l'incompréhensible mystère. » -( R. Garrigou-Lagrange, article Prédestination dans le Dictionnaire de théologie catholique, Paris 1903-1950, colonnes 2933-2935-2936)-. Ces lignes de Garrigou-Lagrange, que sont-elles, sinon un aveu clair & sans phrase de la permanence de cette « guerre civile dans la théologie occidentale »?
Sur les prolongements de cette polémique au Moyen-Age, l'on peut citer le même auteur, qui explique comment tous les grands scolastiques – Anselme, Pierre Lombard, Bonaventure, Albert le Grand, Thomas d'Aquin, Duns Scot – se sont donné pour tâche de concilier «  les deux aspects extrêmes du mystère », c'est-à-dire la Doctrine des Pères dont Saint Damascène offrait la meilleure formulation, & la doctrine augustinienne de la prédestination. Au seizième, puis au dix-septième siècle, la connaissance plus approfondie des Pères a fait resurgir la guerre. D'où, en particulier, la crise janséniste, qui n'est qu'un épisode des débats sur la Grâce, interminables, & parfois peu gracieux. -( Bossuet fit fermer par le Chancelier Le Tellier le séminaire de son ancien professeur, Jean de Launoy, parce que celui-ci enseignait la coopération de la Grâce & du libre-arbître à la manière des Pères de Provence, qui étaient, selon lui, Orthodoxes, & selon Bossuet, semi-pélagiens, donc hérétiques. Bossuet fit aussi brûler les oeuvres de l'anti-augustinien Ricahard Simon. Cf: Patric Ranson, Richard Simon ou du caractère illégitime de l'augustinisme en théologie, Ed. L'Age d'Homme, 1990)-.
Les auteurs des siècles suivants n'ont jamais trouvé la solution qui aurait échappé aux classiques. Cette querelle portait dans son sein le déisme, l'athéisme, & finalement le renoncement à tout dogmatisme qui caractérise notre époque. -(Ecrivant à Malebranche, un auteur du XVIIIème siècle, Robert Challe, justifie son déisme en traçant le portrait du Dieu augustinien : «  On ordonne d'aimer Dieu, & en même temps on le rend le plus odieux qu'il soit possible d'imaginer & de concevoir. On dit que le genre humain est une masse de perdition – la massa damnata- condamnée en des supplices horribles & éternels, dont Dieu n'a tiré qu'un très petit nombre par sa volonté absolue. En admettant cette supposition, je confesse que je suis de ce petit nombre, on peut me demander cet amour de Dieu, mais il y a cent mille fois plus à craindre qu'à espérer; ainsi, je suis presque sûr d'être réprouvé, & comment veut-on que j'aime celui qui vraisemblablement me prépare des tourments éternels & sans fin? Si vous étiez pris de par les Algériens, Mon Révérend Père, avec toute votre communauté, & que vous sussiez certainement que le Bey ordonne qu'on vous empalât tous, sauf un seul qu'il veut, de sa grâce spéciale & gratuite, qu'on renvoie en France avec des présents; jusqu'à l'exécution, aucun l'aimerait-il? &, après l'exécution, aimerait-on un homme si capricieusement cruel? » R. Mortier, édition, introduction, & annotation des Difficultés sur la religion proposées au P. Malebranche par Mr..., officier militaire dans la marine. Bruxelles, 1970, p. 92. Texte réédité par F. Deloffre & M. Menemencioglu : R. Challe, Difficultés sur la religion proposées au Père Malebranche, édition critique d'après un manuscrit inédit, Paris 1983)-.( La doctrine augustinienne trop bien prêchée serait l'une des causes de la déchristianisation selon certains auteurs comme Jean Delumeau, Le Péché & la Peur, Paris, 1983, qui conclut : «  On peut dès lors se demander si le rejet d'une pastorale trop lourde n'a pas constitué une des causes de la déchristianisation de l'Occident » (p.627).-)


(p.18)

c)La Vision de Dieu.

La volonté même de lier philosophie & théologie qui, nous l'avons dit, est au coeur de la théologie dite occidentale, entre en opposition avec le principe sacré des Pères, selon lesquels il vaut mieux se purifier pour Dieu que de parler de Dieu. La théologie philosophique de l'Occident a pris un autre point de départ que cette purification : elle identifie Dieu avec l'être, & elle pense qu'une Vision de l'Essence de Dieu est possible. -( Etienne Gilson exprime ces deux postulats dans son Introduction à la philosophie Chrétienne, Paris, 1960, p.16 : «  Moïse, écrit notamment Gilson, l'emporte sur les autres Prophètes par la Vue intellectuelle qu'il eut de Dieu puisque, comme plus tard Saint Paul dans son ravissement, il a vu l'essence même de Dieu ». « ...le théologien maintient que voir Dieu « face à face » signifie «  voir l'essence divine »...puisque l'essence divine est identiquement cet acte pur d'être, voir Dieu tel qu'il est consiste à voir cet esse (être), qui est en lui l'essence...Le mode d'être propre à l'objet définit du même coup la manière de voir « tel qu'il est » p.85-86, cf. Somme Théologique, Ia, q.1)-; Or, nous l'avons vu, l'expérience des Pères condamne absolument ce genre de démarche, qui conduit à remplacer le Dieu Vivant par un concept ou une idole de Dieu.
C'est pourquoi les maîtres de l'Université de Paris ont condamné la thèse patristique selon laquelle l'essence de Dieu est invisible même aux anges, même aux saints, & pour l'éternité.
(p.19).
-(Chartularium Universitatis Parisiensis, 1, Paris, 1889, n.128)-.
Thomas d'Aquin pensait que, dans la vie future, les bienheureux verraient l'essence de Dieu. Il essaya d'interpréter les Pères dans le sens de son système. -(Cf: Thomas d'Aquin, Somme Théologique, Ia, q.12, a.1.)-.
Lorsque les textes patristiques furent mieux connus, on s'aperçut de l'inutilité de ces efforts faits pour concilier les Pères avec les dogmes nouveaux issus de la spéculation philosophique. -( Voir Vasquez, Petau, Ruiz, cités par Vladimir Lossky, Vision de Dieu, Neuchatel, 1962, p.13-19)-. Au lieu d'en conclure que l'Occident s'était égaré en cessant de suivre les Pères, on affirma que ces derniers avaient une doctrine moins développée, moins parfaite, que celle des scolastiques. Dès lors, ceux qui les suivent, c'est-à-dire les Orthhodoxes, sont accusés d'être des retardataires.
Cette conception de l'histoire repose sur un préjugé : l'Eglise devrait évoluer pour parfaire l'intelligence qu'elle a des dogmes. Or, s'il est bien vrai que chacun, dans l'Eglise, progresse dans sa connaissance du dogme révélé, il est absolument contraire à l'essence de l'Eglise d'améliorer sa connaissance de la Vérité. Les trompettes du Sinaï, qui sonnaient de plus en plus fort, ont symbolisé la manifestation de plus en plus éclatante du dogme de l'Eglise. Mais l'Eglise, Corps du Christ, n'a pas à passer d'un stade imparfait à un stade plus parfait. En sa tête, qui est le Dieu-Homme, elle possède déjà la perfection.
D'où l'affiramtion constante des Pères, qu'il faut s'en tenir au Dépôt de la Foy, sans en rien ajouter ni rien retrancher. Certaines personnes accusent les Orthodoxes de chicaner ainsi sur des détails, alors qu'eux-mêmes, portés sur les ailes de l'amour, les survoleraient allègrement.
« Où sont-ils donc ceux qui nous accusent d'humeur querelleuse, parce que nous ne sommes pas d'accord avec les hérétiques? Où sont-ils maintenant ceux qui disent qu'entre nos adversaires & nous il n'y a point de différence de doctrine, mais que toute la lutte provient de notre esprit de domination?
(p.20).
Qu'ils écoutent les propres Paroles de Paul : D'après lui, celui qui veut introduire le plus mince changement dans l'Evangile, le renverse. «  -( Cf : Saint Jean Chrysostome, Commentaire de l'Epître aux Galates, 1, sur Gal. 1,7)-.
Nous plaçant dans cette perspective, au niveau bien modeste qui est le nôtre, nous espérons montrer que les dogmes du catéchisme catholique sont nouveaux par-rapport au Dépôt de la Foy, & en contradiction avec lui sur plusieurs points essentiels.
Et ceci ouvre à l'oecuménisme une perspective qui n'a guère été explorée. Au lieu d'essayer d'émettre des « communiqués communs », & de forger des formules « acceptables pour tous », & qui, tôt ou tard, révèleront l'erreur logique dont elles sont grevées, il serait plus simple & plus expédient de se rapporter aux Apôtres, aux Conciles, & aux Pères Saints anciens. Lorsque la foi de l'église catholique sera redevenue celle de Saint Ambroise, de Saint Jérôme, de Saint Hilaire de Poitiers, le Chrétien vivant en Occident se trouvera dans un accord immédiat & naturel avec ses frères, d'où qu'ils soient, d'Orient ou d'ailleurs, qui ont gardé la Foy droite. Et il aura, du même coup, réalisé le commandement du pape Célestin de Rome : « Desinat novitas incessere vetustatem, que l'innovation cesse d'attaquer l'antiquité. »




CHAPITRE I.


DOGME TRINITAIRE.


LA REAFFIRMATION DE L'HERESIE DU FILIOQUE.


(p.21).
La doctrine la plus élevée de la Théologie Chrétienne est celle de la Tri-Unité Divine : Dieu se révèle comme Un en Trois Personnes, Père, Fils, & Saint Esprit. Ayant même Essence, les trois Personnes ou Hypostases sont un seul Dieu, mais elles diffèrent par des propriétés personnelles & ainsi sont la Trinité. Le Père est sans Principe, le Fils naît du Père, le Saint Esprit procède du Père. «  La propriété spécifique du Père est le non-engendrement, celle du Fils l'engendrement, & celle de l'Esprit Saint la procession ». -( Saint Grégoire le Théologien, Homélie 25, 15, 16, PG 35, 1220, 1221)-. «  C'est uniquement par ces propriétés personnelles que les trois Saintes Hypostases diffèrent entre elles ». -( Saint Jean Damascène, De la Foi, 1?8? PG 94, 824 B)-.
Dans la conscience bénie qu'ils avaient de cette Théologie à la fois unitive & distinctive, les Pères du Concile de Constantinople ont ainsi fixé la Foy dans le Saint Esprit : «  Je crois en l'Esprit Saint, Seigneur qui donne la vie, qui procède du Père, qui est adoré avec le Père et le Fils, qui a parlé par les prophètes ». En énonçant l'attribut propre de la Personne du Saint Esprit, ils n'ont rien ajouté à l'Evangile, où le Seigneur Jésus-Christ déclare de sa propre bouche : «  Lorsque sera venu le Consolateur, que je vous enverrai de la part du Père, l'Esprit de Vérité qui procède du Père, Il rendra témoignage de moi. » ( Jean 15, 26).
L'Eglise Orthodoxe n'a rien ajouté, rien retranché, ni rien modifié sur ce point : fidèle au Credo de Nicée-Constantinople, normatif pour toute l'Eglise, elle a toujours enseigné que le Saint Esprit procède du Père seul, comme elle a toujours enseigné que le Fils naît du Père seul, puisque le Credo dit de ce dernier : «  Né du Père avant tous les siècles ».
(p.22).
En disant que le Saint-Esprit procède du Père ET DU FILS ( en latin FILIOQUE), & en incorporant cette doctrine dans le Credo, l'église catholique a introduit une innovation qui est contraire à l'enseignement unanime des Apôtres, des Pères, & des Conciles. L'Eglise Orthodoxe lui reproche donc ici deux choses: a) l'insertion du Filioque au Credo de Nicée-Constantinople, alors que les Pères ont scellé le Credo, comme nous le verrons; b) le dogme lui-même, c'est-à-dire l'idée que le Saint Esprit procède du Père et du Fils, idée qui non seulement ne se trouve pas dans la Tradition apostolique, mais que les Ecrits des Pères Saints rejettent même explicitement.
Les papes Innocent III au Concile de Latran en 1215, Grégoire X au Concile de Lyon en 1274, & Eugène IV au Concile de Florence en 1439 ont proclamé le Filioque comme une vérité de foi. Ils pensaient que, sans elle, on ne pouvait être sauvé. -( Les anathèmes de ces deux conciles, ou plutôt de ces deux brigandages, n'ont jamais été levés par la papauté. Celui du 18 mai 1274 proclame : «  Nous condamnons & nous réprouvons ceux qui ont osé nier que le Saint Esprit procède éternellement du Père et du Fils »; celui du 4 février 1442, bulle d'union avec les coptes, condamne & déclare étrangers à l'Eglise tous ceux qui refusent de dire que le Saint Esprit procède éternellement & sans commencement du Père et du Fils.)-. C'est aussi parce qu'il accusait les Orthodoxes d'avoir retiré le Filioque du Credo que le légat du pape, le cardinal Humbert, avait déposé, en 1054, sur l'autel de Sainte-Sophie à Constantinople, un libelle excommuniant le Patriarche Orthodoxe de Constantinople, Michel Cérulaire, acte qui fut à l'origine du schisme définitif entre l'Eglise Orthodoxe & l'église catholique.
S'agissant d'un dogme aussi fondamental, qui touche à la Personne du Saint Esprit, on doit s'attendre à ce que le catéchisme catholique le reprenne, en l'expliquant plus clairement, & en le justifiant plus sûrement que ne l'ont fait les auteurs catholiques du passé, puisque, durant des siècles, l'église de Rome a essayé de légitimer sa position par toutes sortes d'arguments, que les théologiens orthodoxes ont, de leur côté, réfutés.
En ce qui concerne la première faute que représente le Filioque, c'est-à-dire la falsification du Credo, qu'enseignent les catéchistes catholiques?


(p.23)
1.Le Credo relativisé.


L'exposé historique des §§ 186 à 196 du catéchisme catholique omet la référence fondamentale, celle du IIIème Concile Oecuménique, qui a interdit de présenter à quiconque veut entrer dans l'Eglise un autre Credo que celui de Nicée-Constantinople. Et le Saint Ivème Concile Oecuménique, de Chalcédoine, dit dans sa cinquième session : «  Le Saint Concile Oecuménique a décidé qu'il ne serait permis à personne de publier, c'est-à-dire d'écrire, de composer, d'enseigner ou de présenter une autre foi. Quant à ceux qui oseraient écrire, composer, ou présenter une autre foi, s'ils sont évêques ou clercs qu'ils soient déchus, les premiers de l'épiscopat, les seconds de leur rang dans le clergé; s'ils sont laïcs, qu'ils soient anathématisés ». La raison pour laquelle le Concile a interdit de composer une autre foi, c'est-à-dire un autre texte du Credo, que celui de Nicée-Constantinople est que la présence de plusieurs formulaires favorisait les hérétiques, qui pouvaient subrepticement introduire leurs credos faussés. L'existence d'une seule formule de la Foy pour toute l'Eglise rend impossible cette manoeuvre. Saint Cyrille d'Alexandrie, participant du troisième Concile Oecuménique, a donné toutes les explications sur cette interdiction, dans sa lettre à Jean d'Antioche : «  Nous n'acceptons en aucune manière de voir ébranler la Foy, c'est-à-dire le Symbole de la Foy que nos Pères ont exposé, & nous n'autorisons ni nous-même ni personne d'autre à changer un mot de ce qui s'y trouve, voire même à en laisser tomber la moindre syllave, nous souvenant de Celui qui dit : «  Tu ne déplaceras pas les bornes éternelles que tes Pères ont fixées » ( Deutéronome 19, 14). Car ce n'était pas eux qui parlaient, mais l'Esprit de Dieu le Père, qui procède de Lui, & qui n'est pas étranger au Fils selon l'Essence. » ( Patrologie Grecque 77, 180 D).
Il est donc bien vrai qu'il y a eu, à l'origine, dans l'Eglise, plusieurs symboles vénérables, & qu'il reste permis d'expliciter le Symbole de Nicée-Constantinople; mais il est interdit de se référer à un autre Credo que ce dernier, si l'on entend parler au nom de l'Eglise.
Qui a donné aux auteurs du catéchisme catholique le droit de préférer le Symbole des Apôtres ( § 196), qui est vénérable, mais qui n'est pas le Credo?
(p.24).
Pourquoi mettre ainsi de côté l'oeuvre des Conciles, des Pères, & des papes antérieurs?


2.Le Credo descellé.


Le catéchisme catholique cite ensuite faussemnet, page 50, le Credo de Nicée-Constantinople. Un texte de l'ambition théologique du catéchisme de l'église catholique devrait pratiquer, à tout le moins, les règles de la stricte objectivité, & présenter les textes avec rigueur & exactitude. Or, la citation qui est donnée du Credo de Nicée-Constantinople ( Premier & Deuxième Conciles Oecuméniques, tenus en 325 & 381) y introduit, contre toute vérité hustorique, la double procession du Saint-Esprit du Père et du Fils, ou Filioque, (§ 184, p.50). Comment le catéchisme catholique peut-il, d'un côté, affirmer que le Symbole de Nicée-Constantinople «  demeure commun, aujourd'hui encore, à toutes les grandes Eglises de l'Orient & de l'Occident » ( § 195) & le citer dans une version inexacte, puisque le Filioque ne figurait pas dans le Symbole de Nicée-Constantinople, qu'il n'est apparu qu'autour du Vième siècle, qu'il fut combatti par les papes de Rome Léon III & Jean VIII, que son addition au Credo est jugée par l'Eglise Orthodoxe comme une hérésie, & qu'elle fut, au Xième siècle, la cause de la rupture de la communion avec Rome de tous les Patriarcats de l'Eglise?
Le catéchisme catholique se trahit d'ailleurs lui-même, car quelques pages après avoir cité le Symbole de Nicée-Constantinople, il reconnaît que le Filioque est une « tradition latine » ( § 246), qu'il ne figurait pas dans le symbole confessé en 381 », & qu'il «  a été peu à peu admis dans la liturgie latine ( entre le VIIIème & le IXème siècle) » ( § 247). Si, comme le reconnaissent les théologiens catholiques romains «  l'introduction du Filioque dans le Symbole de Nicée-Constantinople par la liturgie latine constitue cependant, aujourd'hui encore, un différend avec les Eglises Orthodoxes » ( § 247), comment les mêmes auteurs pouvaient-ils écrire quelques pages plus haut qu'il est «  commun, aujourd'hui encore, à toutes les Eglises de l'Orient & de l'Occident »? Car, ou bien il s'agit d'un article secondaire, &, dès lors, on ne comprend pas pourquoi il fut & demeure la cause principale de la séparation des Eglises d'orient & d'Occident depuis près de mille ans;
(p.25)
ou bien, il s'agit, ce qui est effectivement le cas, d'une question dogmatique qui porte sur l'essentiel, & l'on ne saurait prétendre que c'est le même Credo que nous confessons. La contradiction est aussi totale que subtilement dissimulée.
Le paragraphe 247 déclare que «  suivant une ancienne tradition latine & alexandrine, le pape Saint Léon l'avait déjà confessée ( l'affirmation du Filioque) dogmatiquement en 447, sans ajouter, ce qui aurait été honnête, que les historiens catholiques les plus éminents ont eux-même reconnu que cette tradition était une erreur. -( Le catéchisme catholique renvoie sur ce point ( note 4 de p. 62) au livre de H. Denziger, Enchiridion Symbolorum, § 284. Le texte de référence est une lettre censément écrite par Léon Ier à l'évêque Turrèbe ou Turribius d'Astorga le 21 juillet 447. Or, le savant éditeur signale lui-même que les plus grands doutes existent sur ce texte : «  Künstle dans Antipriscilliana ( livre paru à Fribourg en 1905) affirme que cette lettre a été composée par un faussaire après le Synode de Braga en 563, sur les anathèmes duquel elle est fondée ». Si ce texte est un faux, & si tout ce qu'on peut en dire est qu'il est postérieur à 563, il ne prouve rien ici.)-. L'historien du Filioque, Cyriaque Lampryllos renvoie sur ce point à Pagi & à Ffulkes. (-Cf : Cyriaque Lampryllos, La mystification fatale, Ed. L'Age d'Homme, nouvelle édition de 1987, p.23)-. Sans développer tous leurs arguments, nous citerons un texte incontestable, qui se trouve dans toutes les collections des Conciles, faisant partie de celui d'Aquisgrane, en 809. Charlemagne avait envoyé Smaragde & d'autres théologiens au pape Léon III. Or, la première chose qu'ils disent au pape est que la question du Filioque est née récemment (nuper exorta). Selon tous les chroniqueurs francs ( Adon de Vienne, etc), elle a été agitée pour la première fois en Concile en 767. Si le pape avait confessé cette doctrine en 447, comment pouvait-elle être récente en 809?
Le pape Léon III s'est opposé à l'addition du Filioque en faisant graver, sur deux tables d'argent, en latin & en grec, le Credo inaltéré de Nicée-Constantinople, avec ces mots : «  Moi, Léon, j'ai fait graver ceci par amour & sauvegarde de la Foy Orthodoxe ». -( Voir sur cette question primordiale, Cyriaque Lampryllos, La mystification fatale, Etude Orthodoxe sur le Filioque, cité ci-dessus; cf : Saint Photios, Oeuvres Trinitaires II, La Mystagogie du Saint Esprit, Paris 1991, Ed. Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas, Introduction du Père Patric Ranson, p. 16 sq.)-.
(p.26).
Les Orthodoxes s'en tiennent à la doctrine qui fut celle des papes Orthodoxes de Rome, ceux qu'énumère Saint Photios dans sa Mystagogie, Damase, Célestin, Léon le Grand, Vigile, Agathon, Grégoire, Zacharie, Benoît, Jean VIII, Adrien, & de tous jusqu'au IXème siècle au moins.
Citons, pour finir sur ce point, les mots du VIIème Concile Oecuménique : «  Nous gardons les lois de l'Eglise, nous conservons les définitions des Pères, nous anathématisons ceux qui ajoutent ou retranchent quelque chose de l'Eglise ».


3.Un dogme faux.


L'hérésie du Filioque est probablement née d'une interpolation, que les conciles de Tolède ont faite, en Espagne au Vième siècle, & que les théologiens carolingiens, puis les scolastiques des siècles suivants, se sont attachés à justifier dogmatiquement. Toutes leurs démonstrations ont été combattues par les théologiens Orthodoxes, dont le premier est Saint Photios qui écrivit La Mystagogie du Saint Esprit pour répondre aux arguments des carolingiens. Tous les Pères de l'Eglise qui sont venus par la suite, comme Saint Grégoire Palamas & Saint Marc d'Ephèse, ont confirmé cette condamnation du Filioque.
L'église catholique accepte-t-elle, ou conteste-t-elle la réfutation Orthodoxe? Le § 248 du catéchisme catholique nous éclaire sur ce point : «  La Tradition orientale exprime d'abord le caractère d'origine première du Père par rapport à l'Esprit. En confessant l'Esprit comme « issu du Père » ( Jn, 15, 26), elle affirme que celui-ci est issu du Père par le Fils. La tradition occidentale exprime d'abord la communion consubstantielle entre le Père & le Fils en disant que l'Esprit procède du Père et du Fils ( Filioque). Elle le dit «  de manière légitime & raisonnable » ( Concile de Florence, en 1439), car l'ordre éternel des personnes divines dans leur communion consubstantielle implique que le Père soit l'origine première de l'Esprit en tant que « principe sans principe », mais aussi qu'en tant que Père du Fils unique, Il soit avec Lui « l'unique principe d'où procède l'Esprit Saint » ( Concile de Lyon en 1274). Cette légitime complémentarité, si elle n'est pas durcie, n'affecte pas l'identité de la foi dans la réalité du même mystère confessé ». Que cache ce ton irénique?
Au concile de Florence, cité ci-dessus, les Orthodoxes ont, par la bouche de Saint Marc d'Ephèse, apporté tous les arguments conciliaires & patristiques qui prouvent que l'Esprit Saint procède du Père seul.
(p.27).
Les Pères du Concile de Constantinople, en effet, nous l'avons vu, n'avaient rien ajouté à l'Evangile, où le Seigneur dit : « Je vous enverrai le Saint Esprit, qui procède du Père ». ( Jn 15, 26). Saint Basile connaît un seul rapport entre le Fils & l'Esprit : «  Voici le signe qui fait connaître la propriété hypostatique ( personnele) de l'Esprit : c'est qu'il est connu après le Fils & avec Lui & qu'Il tire du Père Son existence. » -( Lettre à son frère Grégoire, sur la différence entre l'Essence & l'Hypostase. PG 32, 329 C)-. Donc, la seule relation personnelle de l'Esprit au Fils est d'être connu avec Lui, & Sa seule relation au Père, de procéder de Lui. Saint Basile & tous les Pères anciens ignorent tout d'une procession de l'Esprit «  hors du Père et du Fils ».
«  Si l'Eglise grecque, écrit Saint Marc, a toujours confessé que le Saint Esprit procède du Père, parce qu'elle a reçu cette doctrine du Christ Lui-même, des Saints Apôtres & des Pères des Conciles; & si elle n'a jamais confessé qu'Il procède du Fils, doctrine qu'elle n'a, en fait, reçu de personne; qu'a-t-elle depuis toujours affirmé, sinon que le Saint Esprit procède du Père seul? Car s'Il ne procède pas du Fils, il est clair qu'Il ne procède que du Père. » -( in Lettre Encyclique de Saint Marc d'Ephèse, publiée dans le tome 17 de la Patrologie Orientale, Paris 1923, ( repr. Brepols 1974), p. 313, & traduite en français dans La Lumière du Thabor, n°10, Paris 1986, p.21)-.
Loin de réfuter Saint Marc d'Ephèse, le catéchisme catholique prétend que la doctrine Orthodoxe est complémentaire de la doctrine catholique. C'est faire violence à toutes les règles de l'exégèse & même de la logique élémentaire. «  Si le dogme latin qui dit que l'Esprit Saint procède aussi du Fils est vrai, le nôtre est faux, puisque nous disons qu'Il procède du Père seul – telle est la raison de notre séparation d'avec eux. Si le nôtre est vrai, le leur sera forcément faux » ( Saint Marc d'Ephèse, Ibidem).
Sans entrer dans le détail des arguments de fond – on se référera aux Oeuvres de Saint Photios qui lutta contre les partisans du Filioque- (Voir Saint Photios, Oeuvres trinitaires I, Paris, 1989, Ed. Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas; Mystagogie du Saint Esprit, op. cit.)- une des raisons principales pour lesquelles le dogme de la double procession n'est pas admissible aux yeux des Chrétiens initié au Mystère ( comme le dit Saint Photios - «  La doctrine de la procession hors du Père se recommande d'abord de la Parole du Seigneur ( Jn 15-26), éclair & foudre qui surpasse toute clarté. Que ceux qui ont calomnié l'Esprit & Le font procéder du Fils acceptent donc de considérer cette Parole de l'Evangile. Ils quitteront l'erreur & la ténèbre où ils se débattent. Puissent-ils alors, brillants de vraie piété, s'abriter avec les hommes pieux dans les retraites où Il flamboie, dans son éclat sans crépuscule, la Lumière de l'Orthodoxie. Oui, qu'ils respectent, en premier lieu, Jean le Théologien, le mystique initié qui reposa la tête sur le sein du Seigneur, & qui nous guide dans la connaissance des mystères célestes qu'il y puisa; qu'ils s'en remettent à ses Prières pour obtenir le pardon de leur rebellion contre le Maître & contre Jean, le plus Théologien des Disciples. » Saint Photios, Lettre au Métropolite d'Aquilée, 8.)- est que ce dogme entraîne la définition des Personnes de la Trinité comme de simples relations. (- Cf: Thomas d'Aquin, Somme Théologique, I, q.29, a.4, q.30, a.1 & 2, q.40)-.
Le terme de relation est patristique, mais la réduction des Personnes à des relations subsistantes ne l'est pas. Or, une telle conception est à nouveau reprise par le catéchisme de l'église catholique: » Les personnes divines sont relatives les unes aux autres. Parce qu'elle ne divise pas l'unité divine, la distinction réelle des personnes entre elles réside uniquement dans les relations qui les réfèrent les unes aux autres : « Dans les noms relatifs des personnes, le Père est référé au Fils, le Fils au Père, le Saint Esprit aux deux » (§ 255).
Cette doctrine est totalement étrangère à l'Expérience Spirituelle des Déifiés, & à l'Enseigenement commun des Pères, à l'exception toutefois d'Augustin d'Hippone, lequel sur ce point, comme sur d'autres, a dangereusement innové : «  Ces termes ( Père, Fils, & Saint Esprit) sont utilisés dans leur réciprocité & leure relations mutuelles. » -( De Trinitate, 6, 5,6)-. Pour les Pères de l'Eglise, le caractère hypostatique des Personnes du Père, du Fils, & du Saint Esprit est absolu : le Père est source de la Divinité, le Fils est engendré du Père, le Saint Esprit procède du Père.
Les Personnes Divines ne sont ni de simples attributs de l'Essence Divine, ni des relations. -( Voir Vladimir Lossky, Essai sur la théologie mystique de l'Eglise d'Orient, Paris, Ed. Du Cerf, 1990, ch.II)-. L'on ne saurait dire que « tout est un ( dans les Personnes Divines) là où l'on ne rencontre pas l'opposition de relation (§ 255), que le Fils n'est Fils que par relation au Père, devenant, par rapport au Saint Esprit, «  un seul principe » avec le Père ( §246).
(p.29).
Le caractère de source, de cause, n'appartient qu'au Père, à titre personnel, comme Son Nom révélé l'indique : «  Ce Nom comprend en lui-même l'inengendrement, selon Basile le Grand, car celui qui est proprement & seulement Père ne naît d'aucun autre; &, à l'égard de l'Esprit, Il est dit Père en tant qu'Il le projette, selon l'Ecriture qui dit «  Père des Lumières » ( Jac. 1, 17) ». -( Cf: Marc d'Ephèse, PO 17, 84, &, pour la citation qui suit, 80)-. « Ainsi le Fils n'aura pas la causation, puisqu'Il doit être seulement causé & seulement Fils, de même que l'Esprit Saint doit être seulement l'Esprit du Seul Dieu et Père ». Ce que Saint Jean Damascène a exprimé une fois pour toutes: «  Le Père est cause & source du Fils & du Saint Esprit, Père du Fils unique & Projeteur de l'Esprit Saint. Le Fils est Fils, Verben Sagesse, Force, Figure, Eclat, Image du Père, venu du Père. L'Esprit Saint n'est pas le Fils du Père, mais l'Esprit du Père, en tant que Celui qui procède du Père. Mais Il est aussi l'Esprit du Fils, non qu'Il soit de Lui, mais parce que par Lui, Il procède du Père. Car il n'y a qu'une cause : le Père. » -( Saint Jean Damascène, De la Foy Orthodoxe, I, 12)-.
C'est ainsi que les Pères distinguent bien «  procéder du Père par le Fils », contrairement à ce que suggère le § 248 du catéchisme catholique. Le « par » indique l'accompagnement, non la cause. -( C'est donc en vain que le concile de Lyon se réfère à la « sentence vraie & immuable des Pères & Docteurs Orthodoxes tant grecs que latins » pour affirmer que le Saint Esprit « procède éternellement du Père et du Fils non comme de deux principes mais comme d'un seul principe » ( Concile de Lyon deuxième session, 18 mai 1274)-.
Réduire les Trois Saintes Hypostases à des relations pour prouver le contraire, ce n'est pas « confesser le même mystère » que les Orthodoxes, mais durcir une thèse philosophique au détriment de la Foy révélée.
«  Entends-tu parler de naissance? Ne te mêle pas inconsidérément de savoir de quelle manière cela se passe. Entends-tu dire que l'Etre qui procède du Père est l'Esprit? N'attache pas d'importance à la manière dont cela se passe...Il me suffit de savoir que le Fils existe & qu'Il est issu du Père, que l'Esprit existe & qu'Il procède du Père. Ne sois pas trop curieux...pour éviter de subir ce qui arrive...à la vue de ceux qui fixent les rayons du seleil »;-( In Saint Grégoire de Naziance, Homélie 20, 11, 10, PG 35, 1077 CB)-.


4.Importance vitale de la Confession Orthodoxe.


L'Eglise Orthodoxe considère la doctrine du Filioque comme un blasphème contre l'Esprit Saint : Ceux qui la confessent se trouvent «  dépossédés de tous les biens, & notamment de la Confession de Foy véritéble, & de l'Esprit Divin lui-même, qu'ils ont humilié en dogmatisant qu'Il procède du Fils ». -( in Saint Photios, Lettre au Métropolite d'Aquilée, 3; cf. sa Lettre Encyclique aux Patriarches Orientaux, 33)-.
Ayant amoindri la Personne du Saint Esprit, le dogme du Filioque ne voit plus le Saint Esprit que comme « l'unité » du Père & du Fils ( cf la doxologie du § 1065, « dans l'unité du Saint Esprit »), le lien d'amour qui les unit (cf §§ 850 & 221), & dès lors Sa présence & Son action parmi les hommes sont problématiques. -( Que signifie : «  Le terme de la mission de l'Esprit Saint dans toute action liturgique est de se mettre en communion avec le Christ pour former Son corps? » ( § 1108).- Si l'Amour est l'Essence Divine incommunicable ou la Personne Divine, également incommunicable, l'Amour pourra-t-il se communiquer aux hommes, comme cela est dit (§ 733)? Si oui, la Personne va devenir communicable, & les hommes seront Dieux par nature &non par Grâce. Si non, le Saint Esprit restera le « Divin méconnu » dont avait parlé Mgr Landrieux en 1921. Les deux solutions sont présentes dans le catéchisme catholique.
a) Le § 731 dit : «  Le jour de la Pentecôte ( au terme des sept semaines Pascales), la Pâque du Christ s'accomplit dans l'effusion de l'Esprit Saint qui est manifesté, donné, & communiqué comme Personne Divine : de Sa Plénitude, le Christ, Seigneur, répand à profusion l'Esprit ».
C'est une grave confusion théologique qui s'établit ici entre la Personne Divine du Saint Esprit & la Grâce. «  Dieu étant partout présent, é crit Saint Marc d'Ephèse, Il ne se transporte pas d'un lieu à l'autre, pour se trouver tantôt ici, tantôt là;
(p.31)
donc la Personne Divine de l'Esprit n'est ni envoyée, ni donnée, ni répandue, & elle ne jaillit pas non plus; mais c'est Sa Grâce manifestée & son Energie qui est sujet de tout cela ». ( Chapitres contre les Acindynistes, 51, W. Gass, Die Mystik des Nikolaus Cabasilas, Greifswald, 1849, & Leipzig, 1899, p. 229). Le Saint Esprit n'est donc pas communiqué comme Personne Divine.
b) Le § 687 dit : «  Nul ne connaît ce qui concerne Dieu, sinon l'Esprit de Dieu ( 1 Co 2, 11). Or, Son Esprit qui Le révèle nous fait connaître le Christ, Son Verbe, Sa Parole Vivante, mais ne se dit pas Lui-même. Celui qui « a parlé par les Prophètes » nous fait entendre la Parole du Père. Mais Lui, nous ne l'entendons pas. Nous ne Le connaissons que dans le mouvement où Il nous révèle le Verbe & nous dispose à L'accueillir dans la foi. L'Esprit de Vérité qui nous « dévoile » le Christ «  ne parle pas de Lui-même ». ( Jn 16,13). Un tel effacement, proprement Divin, explique pourquoi «  le monde ne peut pas Le recevoir, par ce qu'il ne llllLe voit pas ni ne Le connaît », tandis que ceux qui croient au Christ Le connaissent parce qu'Il demeure avec eux ( Jn 14, 17) ».
Ce passage applique aux textes de l'Ecriture un commentaire anti-patristique. Bornons-nous à deux remarques.
1)Le fait que l'Esprit Saint « ne parle pas de Lui-même » ne signifie pas une incapacité à s'exprimer, mais la consubstantialité des Personnes Divines, comme quand le Seigneur dit : «  Je n'ai pas parlé de moi-même » ( Jn 12, 49) : «  Car rien n'appartient en propre à aucun de la Sainte Trinité hormis l'innascibilité, la naissance, & la procession : tout lui est commun » dit Zigabène, résumant les Pères. ( Zigabène, Commentaire sur l'Evangile de Jean, chapitre 17, sur Jn 16,13).
2)« Mais Lui, nous ne l'entendons pas » disent les auteurs du catéchisme catholique. Mais Saint Ignace d'Antioche L'a entendu : » Mon Amour a été crucifié, & il n'est plus en moi de feu pour la matière, mais une eau vive qui parle en moi, & qui me dit intérieurement: Viens vers le Père! » ( Lettre aux Romains). Mais Saint Grégoire Palamas L'a entendu : «  C'est cet Esprit, à présent abondamment répandu, qui retentit du haut du Ciel avec Puissance au point d'être entendu de partout. Il appelle le monde entier &, tous ceux qui viennent avec Foy, Il les inonde de la Grâce. Impétueux, Il est vainqueur de tout; il passe par-dessus les murailles du Malin, & détruit les villes & les bastions de l'adversaire. Il abaisse les orgueilleux & élève les Humbles de Coeur.
(p.32)
Il rassemble ce qui était dispersé, brise les liens des péchés, défait ce qui lui résiste...Et même le nom qu'Il leur avait donné se révéla vrai, car par ce « bruit » céleste, les Apôtres devinrent des Fils du Tonnerre ». ( Saint Grégoire Palamas, Homélie sur la Pentecôte). Mais l'Eglise Orthodoxe continue de L'entendre : «  L'Esprit Saint est Lumière & Vie, Source Vivifiante & Spirituelle, Esprit de Sagesse, Esprit d'Intelligence, Bon, Droit, Souverain, Il purifie les péchés. Il est Dieu & Déifie, Feu qui procède du Feu. Il parle, agit, distribue les dons. Par Lui, ont été couronnés tous les Prophètes de Dieu, les Apôtres, les Martyrs. Prodige étrange à entendre, étrange à voir : le Feu se divise & se partage en Dons! » ( Laudes de la Pentecôte).
Heureux ceux qui comprendront quel enjeu vital réside dans la question du Filioque! C'est toute la différence entre une Trinité philosophique & abstraite & la Trinité Principe de Vie expérimentée par les Pères qui sépare les deux dogmes. Dieu, en effet, nous a révélé très peu de choses sur Lui, & seulement ce qui était indispensable pour notre Salut. C'est ainsi qu'Il nous a enseigné le baptême «  au nom du Père, du Fils, & du Saint Esprit, & nous adit l'attribut personnel qui les distingue. Nous n'en savons pas plus &, à trop vouloir scruter l'inscrutable, nous vantant d'être sages, nous serons fous ( Rom 1, 22). L'Eglise Orthodoxe se garde de considérer comme complémentaire, acceptable, ou indfférente, une doctrine inconnue, non attestée par la Tradition, & qui entame, si peu que ce soit, la Foy que nous confessons dans le baptême.
«  Chrétiens, comment le sommes-nous? Par la Foy, n'importe qui le dirait. Mais de quelle manière sommes-nous sauvés? Parce que c'est évident, nous sommes nés à nouveau par la Grâce du baptême...Le dommage est égal, de partir sans baptême ou d'en avoir reçu un auquel fasse défaut un seul point de la Tradition...La Tradition qui m'a fait entrer dans la lumière, qui m'a accordé la faveur de la connaissance de Dieu, par laquelle je suis devenu Enfant de Dieu, moi qui jusque-là en étais l'ennemi à cause du péché, cette Tradition je la trahirais, détourné par les spécieux discours de ces gens-là?...Foy & baptême sont deux modes de Salut, liés entre eux & qu'on ne peut diviser. La Foy reçoit son accomplissement du baptême, le baptême est fondé sur la Foy, & c'est aux mêmes Noms que l'une & l'autre doivent leur plénitude : on croit dans le Père, le Fils, & le Saint Esprit, & c'est de même aussi qu'on est baptisé dans le nom du Père, du Fils, & du Saint Esprit. Ce qui vient en premier, c'est la profession de Foy qui mène au Salut. Le baptême suit de près & scelle notre assentiment »/ ( Saint Basile, Traité du Saint Esprit, 10 & 12).
(p.33).
Il faut choisir! Ou bien les Personnes Divines sont des relations à l'intérieur d'une Essence Divine sur lesquelles on spécule philosophiquement. Ou bien Elles sont « Père Tout-Puissant, Verbe, & Esprit, Nature unique en trois hypostases, Essence & Divinité plus-que-Dieu, en Toi nous avons été baptisés & nous Te bénissons pour l'Eternité ». ( Office de Pâques).



CHAPITRE II.


UNE ECCLESIOLOGIE
ETRANGERE A LA TRADITION DE L'EGLISE.



(p.34).
Un auteur Orthodoxe contemporain a discerné le lien qui existe entre la philosophie religieuse qu'implique la doctrine filioquiste & la théorie de la papauté telle que la présente le catéchisme catholique. «  Le Dieu de cette « théologie » est une essence abstraite qui ne se communique pas uax hommes dans ses Energies; c'est un Dieu philosophique, imaginaire, qu'on ne peut pas prier, auquel on ne peut pas s'unir. Dans une telle conception, l'homme ne peut s'unir réellemnt à Dieu, & le Saint Esprit ne communique pas aux hommes la Force Déifiante sans laquelle notre Salut est impossible. Telle est la raison qui a poussé les Latins à inventer des intermédiaires créés entre Dieu & les hommes ; le pape de Rome, le « vicaire » de Dieu sur terre, en offre un exemple. » -( Cf : Père Patric Ranson, «  Conférence sur le Filioque », La Lumière du Thabor, n°24, Paris, 1989, p.46)-.
Jésus Christ n'ayant pas établi de vicaire ou de remplaçant sur terre, pour la simple raison qu'il est resté sur terre, pour la simple raison qu'Il est resté sur terre, présent dans Son Corps qui est l'Eglise, comment les historiens du pape ont-ils réussi ont-ils réussi à trouver des témoignages en faveur de leur système dans l'antiquité Chrétienne? En modifiant matériellement certains textes, & en changeant l'interprétation de certains autres, contre la Tradition apostolique, contre les Pères, & contre les Conciles. Leur principale erreur consiste à faire passer tous les textes qui témoignent en faveur d'une primauté d'honneur de l'évêque de Rome, pour des témoignages en faveur de la primauté de pouvoir que le pape revendique. Tous les Evêques, en effet, institués par les Apôtres sont égaux dans l'épiscopat; mais l'Evêque de Rome, capitale de l'Empire, jouissait d'une primauté d'honneur. Cette primauté était de droit impérial ou ecclésiastique, mais non de droit divin, & n'impliquait pas de pouvoir universel sur l'Eglise. Le troisième canon du Deuxième Concile Oecuménique, celui de Constantinople, réuni en 381, est clair sur ce point :
(p.35)
«  Que l'Evêque de Constantinople ait la primauté d'honneur après l'Evêque de Rome, parce que Constantinople est la Nouvelle Rome ». Si l'Evêque de la Nouvelle Rome s'est vu attribuer les mêmes prérogatives que celui de l'Ancienne Rome, n(est-ce pas dire que ce dernier ne les tenait que du Premier Concile ( canon 6), & qu'elles n'étaient qu'honorifiques?
Pierre a été le premier à recevoir la bénédiction & à entendre la promesse du Seigneur : » Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : Ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les Cieux » ( Matt. 16, 19). Cependant, lorsque le Seigneur accomplit cette promesse, il donne évidemment le même pouvoir à tous les Apôtres, disant : «  Je vous le dis en Vérité, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le Ciel, & tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le Ciel » ( Matt. 18, 18). On ne peut rien tirer d'autre du texte de l'Evangile qu'une primauté d'honneur de l'Apôtre Pierre, primauté que l'Eglise Orthodoxe lui a toujours reconnue. L'Ecriture ne dit pas un mot d'un pouvoir qui lui serait particulier, ni d'une suprématie qu'il aurait exercée sur les Apôtres, ni d'une transmissibilité de sa primauté. L'Evangile, les Actes des Apôtres, & l'Histoire de l'Eglise Orthodoxe originelle témoignent en faveur de l'égalité des membres du collège apostolique. -( Comme le dit le Patriarche de Constantinople Grégoire VI aux envoyés du pape Pie IX en 1868, affirmer l'inégalité des Apôtres, c'est faire injure au Saint Esprit qui les a tous également éclairés)-. La base même du système papal est une interprétation que rien n'autorise.


1.La primauté du pouvoir du pape
est-elle dans la Tradition apostolique?

En divers endroits du catéchisme catholique le principe de la primauté du pape comme sucesseur de Pierre & chef de l'Eglise universelle est réaffirmé : «  Le pape, évêque de Rome & successeur de Saint Pierre, est principe perpétuel & visible & fondement de l'unité qui lie entre eux soit les évêques, soit la multitude des fidèles ». «  En effet, le pontife romain a sur l'Eglise, en vertu de sa charge de vicaire du Christ & de pasteur de toute l'Eglise, un pouvoir plénier, suprême & universel qu'il peut toujours librement exercer ». ( § 882).
(p.36).
Le pape est « signe & serviteur de l'unité universelle » ( § 1369) & il n'y a d'Eglise que si elle est en communion avec le successeur de Pierre : «  Les Eglises particulières sont pleinement catholiques par la communion avec l'une d'entre elles : l'Eglise de Rome «  qui préside à la charité » (§§ 833, 816). Est également affirmée la supériorité du pape sur les Conciles Oecuméniques : «  Il n'y a pas de Concile Oecuménique s 'il n'est comme tel confirmé ou tout au moins accepté par le successeur de Pierre » ( §884).
Or, ces principes contredisent aussi bien les Ecritures, les commentaires des Pères, les canons des Conciles Oecuméniques que le mode d'organisation de l'Eglise ancienne, attesté par l'Histoire. -( Voir, pour une plus ample réfutation, le Père Wladimir Guettée, De la papauté, textes choisis & présentés par Père Patric Ranson, coll. La Lumière du Thabor, Ed. L'Age d'Homme, 1990)-.
Le catéchisme catholique présente les raguments habituels de l'église catholique, à savoir la parole du Christ à Saint Pierre : «  Tu es Pierre, & sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise » ( Matthieu 16,18) (§881), un texte de Saint Irénée de Lyon (§834) & un autre de Saint Maxime le Confesseur( Ibidem).
Or, pour tous les Pères aussi bien latinophones qu'hellénophones de l'Eglise Orthodoxe, la promesse du Christ à Pierre n'est pas un charisme spécial à cet Apôtre, mais repose uniquemnt sur la confession de Sa Divinité. Comme l'écrit le Père Wladimir Guettée : «  Il est plusieurs fois parlé, dans les Saintes Ecritures, de la pierre, d'une manière figurative. Ce mot désigne toujours Jésus-Christ, & jamais, ni de près ni de loin, Saint Pierre. Le meilleur interprète de l'Ecriture est l'Ecriture elle-même. C'est donc avec raison que l'immense majorité des Pères & anciens Docteurs ont donné au passage en question l'interprétation que nous avons exposée, en faisant rapporter, soit à Jésus-Christ, soit à la foi en Sa Divinité, le mot de pierre dont le Sauveur s'est servi ». -( W. Guettée, De la papauté, Ed. L'Age d'Homme, 1990, p. 39)-. Parmi les Pères qui ont donné cette interprétation, citons : Saint Hilaire de Poitiers -( De la Trinité, livre 6)-; Saint Grégoire de Nysse -( De l'Avènement de notre Seigneur-);
(p.37)
Saint Ambroise -( Traité sur l'Evangile de Saint Luc, livre 6, sur Luc 9, & Commentaire sur l'Epître aux Ephésiens, sur le chapitre 2)-; Saint Jérôme -( Commentaire sur l'Evangile de Saint Mathieu, livre 3, sur Mathieu 16, 18)-; Saint Jean Chrysostome -( Commentaire sur Saint Mathieu, Homélies 55 & 83, & Commentaire sur l'Epître aux Galates, 1)-; Augustin d'Hippone -( Traités 7 & 123 sur Saint Jean, Sermon 13 sur les paroles du Seigneur tirées de Saint Mathieu, & livre 1 des Rétractations)-; Acace -( Homélie prononcée au Concile d'Ephèse)-; Saint Cyrille d'Alexandrie -( Commentaire sur Isaïe, livre 4, De la Trinité, livre 4)-; Saint Léon Ier -( Sermons 2 & 3 Sur son élévation à l'épiscopat, Sermon sur la Transfiguartion de notre Seigneur, Sermon 2 Sur la Nativité des Apôtres Pierre & Paul)-; Saint Grégoire le Grand -( Lettres, livre 3, 33)-; Saint Jean Damascène -( Homélie sur la Transfiguration de notre Seigneur)-.
L'autre référence scripturaire du catéchisme catholique, habituelle dans la justification de la souveraineté du pape sur l'Eglise universelle, est le passage de l'Evangile de Saint Jean ( 21, 15 sq) où le Seigneur dit par trois fois à Pierre : «  Pais mes agneaux », «  Pais mes brebis » ( § 881, n.5). Or, selon le commentaire unanime des Pères, la triple attestation d'amour correspond au triple reniement, & réintroduit simplement l'Apôtre dans la communauté apostolique. -( Voir W. Guettée, op. cit., p.43 sq)-
S'agissant de la Doctrine des Pères de l'Eglise, le catéchisme catholique cite trois auteurs : Saint Ignace le Théophore, Saint Irénée de Lyon, & Saint Maxime le Confesseur, trois colosses de la Théologie. Il suffit de se reporter aux textes originaux pour dissiper tout malentendu.
a) Ecrivant à l'Eglise de Rome où il allait consommer son Martyre & s'offrir comme le froment de Dieu à la dent des lions, Ignace, le Saint Martyr Théophore -porteur de Dieu- écrit à l'Eglise de Rome «  qui préside à la charité ».
(p.38).
Il n'y parle pas une seule fois du pape. Il y dit ces mots remarquables : «  Dans vos prières, souvenez-vous de l'Eglise de Syrie qui, au lieu de moi, a Dieu désormais pour pasteur. Seul Jésus-Christ veillera sur elle, ainsi que votre charité » ( chapitre 9). Confiant Son Eglise au Pasteur Céleste & aux prières de ses frères de Rome, Ignace, dont les archives étaient la Croix du Christ, ignorait donc que « l'Evêque de l'Eglise de Rome, en qui demeure la charge que le Seigneur a donnée d'une manière singulière à Pierre, premier des Apôtres, & qui doit être transmise à ses successeurs, est le chef du Collège des Evêques, vicaire du Christ & pasteur de l'Eglise tout entière sur cette terre; c'est pourquoi il possède dans l'Eglise, en vertu de sa charge, le pouvoir ordinaire, suprême, plénier, immédiat & universel qu'il peut toujours exercer librement » ( Code de droit canonique de 1983, canon 331).
b) Les catéchistes catholiques citent ensuite un passage de Saint Irénée dans une traduction erronée que le Père Wladimir Guettée avait déjà réprouvée en son temps: «  Car toute Eglise, c'est-à-dire les fidèles qui sont de partout, sont obligés de se rendre vers cette Eglise, à cause de la plus puissante principauté », dit le texte original. -( Wladimir Guettée, opus cité, p.64)-. «  Les théologiens catholiques romains, explique le Père Wladimir, affectent de mal traduire ce passage pour y trouver un argument en faveur de la souveraineté papale. Au lieu de dire que les fidèles du monde entier étaient obligés de se rendre à Rome, parce qu'elle était la capitale de l'empire, le siège du gouvernement & le centre des affaires politiques & civiles, ils traduisent les mots « convenire ad » par ces mots « s'accorder avec », ce qui est un contre-sens. » -( Op. cit. p.64-65)-. Le raisonnement de Saint Irénée vise à démontrer que, soumise au contrôle constant des fidèles venus de tout l'Empire, la foi de la capitale n'a pas, de fait, dévié. Loin de prouver le système selon lequel Rome possède la vérité par droit divin, ce raisonnement le réfute.
Comme nous l'avons vu, c'est parce que Rome était la capitale de l'empire qu'elle jouissait d'une primauté d'honneur & non de droit; c'est encore pour cette raison que, la capitale ayant été déplacée de Rome à Constantinople, au Ivème siècle, la primauté d'honneur fut accordée à rang égal à Constantinople par le Concile Oecuménique de Constantinople, puis par celui de Chalcédoine ( canon 28).
(p.39).
Le canon 36 du VIème Concile Oecuménique le répète : «  Renouvelant les décrets des cent cinquante Pères Saints assemblés dans cette ville royale & bénie de Dieu, & des six cent trente assemblés à Chalcédoine, nous décrétons que le siège de Constantinople jouira des mêmes prérogatives que celui de l'ancienne Rome; qu'il sera aussi grand que lui dans les affaires ecclésiastiques, étant le second après lui. Après eux seront les sièges d'Alexandrie, d'Antioche, enfin celui de la ville de Jérusalem ».
c)«  On ne s'attendait guère à voir Maxime en cette affaire. » Les catéchistes catholiques citent le passage d'une lettre à Marin, Prêtre à Chypre : «  En effey, dès la descente vers nous du Verbe incarné, toutes les Eglises Chrétiennes de partout ont tenu & tiennent la grande Eglise qui est ici ( à Rome) pour unique base & fondement, parce que, selon les promesses mêmes du Sauveur, les portes de l'Enfer n'ont jamais prévalu sur elle ». Le catéchisme catholique renvoie au tome 91 de l'édition de Migne des oeuvres de Saint Maxime, colonne 137. Nous demandons humblement qu'on veuille bien regarder aussi la colonne 136, qui contient le début de la letre à Marin, & où nous lisons que les Romains de cette époque, accusés par les gens de Constantinople d 'avoir confessé le Filioque, se défendirent en produisant des textes des Pères Romains & de Saint Cyrille d'Alexandrie : «  Par ces références, ils montrèrent qu'ils ne faisaient pas du Fils la cause de l'Esprit; car ils savent que le Père est cause unique du Fils & de l'Esprit : du Premier, par génération, du Second, par procession. Mais ils veulent exprimer que l'Esprit jaillit par le Fils, & par là établissent la conjonction & l'identité absolue d'Essence ». - ( Ce « Filioque »-là était d'une Orthodoxie si incontestable que les Grecs, au Concile de Florence, ont cité la lettre à Marin, & ont dit aux Latins : «  Si vous l'acceptez, l'union est faite ». Ce sont les Latins qui ont refusé cette interprétation Orthodoxe du Filioque.)-. Ce passage de la lettre à Marin prouve trois choses :
1) que pour Saint Maxime, la justesse doctrinale de Rome, moin d'être une chose nécessaire & nécessairement admise par tous, pouvait être mise en cause par d'autres Eglises;
2) que pour la justifier, il fallait alors en appeler aux Pères & à la Foy commune, & pas du tout à un prétendu charisme d'infaillibilité dont l'idée même n'existait pas à cette époque;
(p.40)
3) que l'Eglise de Rome était alors, de fait, non de droit, parfaitement Orthodoxe, & méritait les éloges que lui prodigue Saint Maxime, car une Eglise locale qui confesse la Vérité est véritablement l'Eglise fondée par Jésus Christ contre laquelle les portes de l'Enfer, c'est-à-dire, les bouches des hérétiques, ne prévalent pas.
Les auteurs partisans de la papauté moderne ont transformé les éloges donnés à l'Eglise de Rome & à l'Orthodoxie de sa Foy en assertions doctrinales garantissant qu'elle ne tomberait jamais dans les siècles des siècles. Or Saint Maxime dit qu'elle n'est pas, à l'époque où il écrit, encore tombée. Ce qui n'est pas la même chose.
Le Père Wladimir Guettée a, en outre, publié les lettres que le pape Grégoire le Grand envoya au patriarche Jean de Constantinople, lui reprochant de se donner le titre de « patriarche oecuménique » ou « universel », & de se dresser, avec orgueil, au-dessus des évêques : «  La première idée, écrit Guettée, d'un pouvoir central & universel dans l'Eglise est donc venue de Constantinople; ce fut de Rome que s'éleva la première opposition contre cette prétention ambitieuse, & de la part d'un des plus grands papes qui se soient assis sur la chaire apostolique de Rome ». -( Op. cit., p.116)-. Il ne s'agissait nullement pour le pape Grégoire de défendre sa cause particulière, mais de protéger l'autorité ecclésiastique qui réside dans l'épiscopat, & non dans tel évêque en particulier -( W. Guettée, op. cit., p.121)-: «  L'épiscopat est un & indivisé », dit Saint Cyprien ( Unité de l'Eglise, § 5).
Le critère de validité d'un Concile Oecuménique n'est pas, contrairement à ce qu'affirment les catéchistes catholiques, sa reconnaissance par le souverain pontife : «  Il n'y a pas de Concile Oecuménique s'il n'est pas comme tel confirmé ou tout au moins accepté par le successeur de Pierre » ( § 884). Le Concile de 879, considéré par l'Eglise Orthodoxe comme le Huitième Concile Oecuménique, a été rejeté de la liste des conciles reconnus par l'Eglise catholique, quoique le pape Jean VIII, & tous les Patriarches orientaux l'aient accepté. Ce Concile a affirmé l'immutabilité du Credo, donc l'impossibilité du Filioque. Pour se montrer fidèle à Jean VIII, Rome devrait reconnaître ce Concile. D'autre part, au Deuxième Concile Oecuménique, il n'y avait pas même un représentant de l'Eglise de Rome - & néanmoins le Concile a été oecuménique.
(p.41).
Ce n'est qu'ensuite qu'il a été aussi reconnu à Rome.
Selon Saint Nicodème, le grand commentateur des canons, qui s'appuie sur l'Histoire de l'Eglise, un Concile Oecuménique se distingue par trois critères :
1) le fait qu'il porte sur une matière dogmatique;
2) qu'il soit en accord avec toutes les décisions des précédents Conciles;
3) qu'il soit réuni par l'empereur ( critère moins important, correspondant à l'histoire);
4) enfin, qu'il soit accepté & reconnu par tous les patriarches Orthodoxes & les prélats de l'Eglise ( & non simplement par le pape de Rome), -( Saint Nicodème Haghiorite, Le gouvernail de l'Eglise Orthhodoxe, Prolégomène au Premier Concile Oecuménique, note 1)-, & par la conscience de l'Eglise.


2. Conséquences de cette doctrine.


La conséquence spirituelle de la fausse doctrine de la primauté de pouvoir détruit l'Eglise comme communauté divino-humaine. Aucun des régimes politiques humains – monarchie, où c'est un seul qui décide, oligarchie, où quelques-uns décident, démocratie, où la majorité décide- ne convient à l'Eglise, où l'unanimité des Fidèles unis au Christ décide. Or cette mentalité collégiale qui était celle des Apôtres, cette unité du choeur apostolique, disparaît dans l'église catholique, remplacée par une monarchie, celle du pape, qui peut décider seul (motu proprio) ou comme tête du corps épiscopal, mais qui reste toujours l'instance suprême &, en définitive, au-dessus de la communauté des fidèles.
«  Si quelqu'un dit que le pontife romain a seulement un office d'inspection & de direction, mais non le plein & suprême pouvoir de juridiction sur l'Eglise universelle, non seulement en matière de foi & de moeurs, mais également en ce qui touche à la discipline & au gouvernement de l'Eglise répandue sur toute la terre; ou que ce pontife ne possède que la principale part de ce pouvoir suprême, mais non la plénitude totale; ou encore que ce pouvoir qu'il n'a pas exercé de façon ordinaire & directe sur toutes les Eglises & sur chacune d'elles, sur tous les pasteurs & tous les fidèles, sur chacun des fidèles & chacun des pasteurs : qu'il soit anathème ».
(p.42).
(Concile de Vatican I, session 4, Pastor aeternus, chap.3, canon).
Si l'on accepte ce genre de théorie, le sens d l'unanimité qui se manifeste dans l'Eglise Orthodoxe originelle est perdu de vue, & avec lui c'est la Vie Divino-Humaine dans le Corps du Christ, Vrai Dieu & Vrai Homme, qui devient impossible. Le Christ n'a pas établi de vicaire sur terre, Il est resté présent dans l'Esprit Siant. Cette présence du Christ agit dans la vie synodale, conciliaire, de l'Orthodoxie. Toute l'expérience de l'Eglise l'atteste. Citons le Canon 34 des Saints Apôtres, base de l'organisation ecclésiale Orthodoxe : «  Les Evêques de chaque nation doivent connaître celui d'entre eux qui sera leur premier ou leur chef, le considérer comme leur tête, & s'abstenir de rien faire en dehors de leur diocèse sans son avis & son accord; mais chacun ne doit agir que pour ce qui est nécessaire dans sa paroisse & dans les territoires qui dépendent de luiMais que ce premier lui-même ne fasse rien sans l'avis, le consentement & l'approbation de tous. Car ainsi régnnera la concorde, & Dieu sera glorifié dans le Seigneur & dans le Saint Esprit, Père, Fils, & Saint Esprit ». L'équilibre entre le principe hiérarchique & le principe communnautaire existe pour que la concorde règne, de même que la volonté divine & la volonté humaine de notre Seigneur Jésus Christ concourent& ne s'opposent pas.
«  Les Orthodoxes sont Orthodoxes en ce qu'ils ont continuellement cette connaissance de l'universalité divino-humaine, qu'ils conservent & avivent par leur prière & par l'humilité. Ceux-là ne proclament jamais leur moi propre, ils ne se glorifient jamais dans l'homme, ils ne restent jamais seulement dans la nature humaine nue; ils ne font jamais de l'humain une idole. Les Saints Apôtres Christophores – porteurs du Christ- ont donné une fois pour toutes la définition de la vie ecclésiale Orthodoxe : « Il a plu au Saint Esprit & à nous » ( Actes des Apôtres, 15,28). D'abord le Saint Esprit, puis nous; mais pour autant que nous faisons place à l'Energie du Saint Esprit en nous ». -( Père Justin Popovitch, L'Homme et le Dieu-Homme, L'Age d'Homme, 1989, p.127)-.
La vie ecclésiale Orthodoxe est ainsi conciliaire. C'est pourquoi il y a dans l'Orthodoxie une réelle synergie, une collaboration, entre la hiérarchie & le peuple des fidèles. J.C. Périsset, commentant le nouveau code du droit canonique catholique, utilise aussi le mot de « synergie » :
(p.43)
«  C'est la synergie ou interaction dynamique des principes communautaire & hiérarchique qui constitue l'Eglise partculière qu'est le diocèse, &, de façon dérivée, la cellule du diocèse qu'est la paroisse » -( J.C. Périsset, La paroisse, Le nouveau droit ecclésial, Commentaire du Code de droit canonique, Tardy, 1989, p.16)-. Toutefois cette « synergie » entre la communauté & son pasteur est comme éteinte & sans énergie dans le catholicisme, puisque les fidèles n'ont qu'un rôle de soumission. Au contraire, dans l'Eglise Orthodoxe, aucun Evêque, aucun Prêtre ne peut être consacré sans l'accord du Peuple qui crie: « Il est digne! (Axios), le jour de la consécration. Sans cet accord, ils ne sont pas ordonnés. L'Evêque ou le Prêtre doivent être voulus ou acceptés par la communauté, & consacrés par la hiérarchie. La synergie est donc effective & vivante dans l'Eglise Orthodoxe de nos jours comme elle l'était du temps des Apôtres.


3.L'infaillibilité du Magistère.


De la doctrine erronée d'un centre divin de l'Eglise suit naturellement celle de l'infaillibilité pontificale, proclamée au Concile de Vatican I en 1870. -(«  Dès que la papauté est le centre divin de l'Eglise, il faut absolument, sous peine de ne plus appartenir à l'Eglise, lui être uni; or, comme on ne peut pas s'unir avec l'erreur, l'union étant nécessaire, il est nécessaire aussi que la papauté ne puisse errer. C'est ainsi que l'infaillibilité de la papauté est la conséquence directe, logique, de ce principe constitutif de cette papauté : qu'elle est le centre de l'Eglise de droit divin ». L'abbé Guettée, Lettre à M. Dupanloup, évêque d'Orléans, Paris, 1868)-.
La doctrine de l'infaillibilité du Magistère est réaffirmée par le catéchisme catholique : infaillibilité du pontife romain, seul ou avec le collège des évêques en union avec le successeur de Pierre, infaillibilité des évêques en communion avec le pape; infaillibilité dans la définition définitive d'un point de doctrine touchant la foi & les moeurs, infaillibilité dans l'exercice du Magistère ordinaire, infaillibilité dans l'interprétation de l'Ecriture, dans la détermination de la loi morale & même des préceptes de la loi naturelle ( §§ 85, 100, 891, 892, 2034, 2036). «  Le degré suprême dans la participation à l'autorité du Christ est assuré par le charisme de l'infaillibilité.
(p.44).
Celle-ci s'étend aussi loin que le Dépôt de la Révélation Divine; elle s'étend encore à tous les éléments de doctrine, y compris morale, sans lesquels les vérités salutaires de la foi ne peuvent être gardées, exposées, ou observées » ( §2305).
Cette doctrine, si elle était vraie, serait la plus tranquillisante des doctrines. Mais elle s'oppose à la Parole de Dieu, à la Vie de l'Eglise, à la loi que Dieu a inscrite dans le coeur de chacun.


a) La doctrine de l'infaillibilité est contraire à l'Ecriture & aux Pères. Le Christ a envisagé explicitement la possibilité, pour les pasteurs, de se tromper. «  Méfiez-vous des faux prophètes, qui viennent à vous sous des vêtements de brebis, mais qui au-dedans sont des loups rapaces. A leurs fruits vous les reconnaîtrez ». ( Matt. 7, 15).
L'Apôtre suit son Maître en nous enseignant la vigilance : «  Quand nous-mêmes, quand un ange du Ciel annoncerait un autre Evangile que celui que nous vous avons prêché, qu'il soit anathème! » ( Gal. 1, 8). «  Il veut montrer, dit Saint Jean Chrysostome, que 'autorité des personnes n'est rien, quand il s'agit de la vérité » (Commentaire sur l'Epître aux Galates). Saint Jérôme n'est pas moins affirmatif: «  Il place sous le coup de cet anathème à la fois sa propre personne, lui que les Juifs accusaient de prêcher parmi les Gentils une doctrine contraire à la conduite qu'il tenait dans la Judée, & un ange même, supérieur, de l'aveu de tous, aux Apôtres ses prédécesseurs, afin qu'on n'élevât pas outre mesure l'autorité de Pierre & de Jean, puisqu'il n'était pas permis ni à lui qui les avait enseignés, ni à un ange lui-même de leur prêcher une autre doctrine que celle qu'ils avaient d'abord reçue. Il se nomme lui-même personnellement ainsi que l'ange; il désigne les autres sans les nommer : si quelqu'un vous annonce un autre Evangile. Il se sert d'une expression générale pour ne point blesser ses prédécesseurs, tout en les désignat d'une manière indirecte ». -( Commentaire sur l'Epître aux Galates, livre 1, 1, éd. Bareille, 1884, t.10, 233)-.
Embarrasé par des paroles si nettes, le catéchisme catholique en restreint la portée. «  Le scandale, dit le § 2285, est grave lorsqu'il est porté par ceux qui, par nature ou par fpnction, sont tenus d'enseigner & d'éduquer les autres.
(p.45).
Jésus en fait le reproche aux scribes & aux Pharisiens : Il les compare à des loups déguisés en agneaux ». Ainsi, le commandement de l'Evangile n'a plus d'application; il ne visait que les Pharisiens; les évêques unis à Rome sont infaillibles : dormons en paix. Pourtant, les lois de l'Eglise exhortent à la vigilance permanente à l'égard des faux-évêques.
Le canon 31 des Apôtres condamne à la déposition le prêtre qui se sépare de son évêque «  alors qu'il ne trouve en lui aucune faute en ce qui concerne la rectitude de la foi & la justice », & le canon 15 du Concile Premier-Second confirme ainsi le canon apostolique : «  Les règles établies à l'égard des prêtres, des évêques, & des métropolites sont à plus forte raison encore applicables aux patriarches. Donc, au cas où un prêtre, un évêque, ou un métropolite ose se séparer ou s'éloigner de la communion de son patriarche, & cesse de mentionner son nom comme le veut la ciutume dûment fixée & ordonnée, au cours de la Divine Liturgie, &, avant qu'une décision conciliaire soit rendue, & que le patriarche soit jugé & condamné, crée un schisme, le Saint Concile a décrété que l'auteur d'un tel acte doit être considéré comme étranger à toute fonction sacerdotale, s'il est seulement convaincu d'avoir commis cette transhression de la loi. Semblablement, cette règle a été scellée & décidée à l'égard de ceux qui, sous prétexte de griefs contre leurs primats, s'isolent & font un schisme, rompant ainsi l'unité de l'Eglise. En revanche, pour ceux qui, d'une part, à cause d'une hérésie condamnée par les Saints Conciles ou par les Saints Pères, se séparent de la communion de leur primat qui prêche l'hérésie publiquement & l'enseigne tête nue dans l'Eglise, ceux-là non seulement n'encourent aucune sanction canonique pour avoir coupé toute communion avec leur soi-diant évêque, avant même qu'une décision synodale ou conciliaire quelconque ait été rendue; tout au contraire, ils sont dignes de l'honneur qui leur revient parmi les Chrétiens Orthodoxes. Car ils se sont opposés, non à des évêques, mais à de faux-évêques & à de faux-docteurs; loin d'avoir nui en rien à l'unité de l'Eglise par un schisme, ils ont au contraire fait tous leurs efforts pour préserver l'Eglise des schismes & des divisions ». ( Canon 15 du Concile Premier-Second). On voit quelle distinction les Conciles établissent entre le péché personnel de l'évêque, qui ne justifie pas qu'on se sépare de lui, & le péché d'hérésie, qui le fait cesser d'être évêque. La doctrine de l'église catholique est donc, sur ce point, contraire à ce que l'Eglise Orthodoxe fidèle aux Apôtres, aux Conciles, & aux Pères, a toujours cru & pratiqué.
(p.46).
Ignace le Théophore disait à Polycarpe : «  Quiconque parle contre les ordonnances, quand même il serait digne de foi, jeûnerait, resterait vierge, ferait des miracles ou des prophéties, qu'il soit pour toi un loup, travaillant sous une peau de brebis, à la Mort du troupeau ».
La coupure entre épiscopat & fidèles ( Eglise enseignate & Eglise enseignée) résultant du Magistère infaillible est contraire à l'enseigenement de l'Ecriture, qui attribue l'autorité infaillible à tout le Corps du Christ ayant pour tête la Vérité. «  Nous rendons continuellement grâces à Dieu de ce qu'en recevant la Parole de Dieu, que nous vous avons fait entendre, vous l'avez reçue, non comme la parole des hommes, mais, ainsi qu'elle l'est véritablement, comme la Parole de Dieu, qui agit en vous qui croyez ». ( 1 Thess. 2, 13). La Parole de Dieu est agissante en ceux qui croient. L' »Esprit de Vérité » n'est pas l'apanage de quelques-uns dans l'Eglise. Les fidèles peuvent voir quand un pasteur s'égare. Ce n'est pas l'individu qui juge de la Foy de l'Eglise; mais au contraire, c'est la Foy Orthodoxe vivante en ceux qui ont cru, qui juge ceux qui s'en écartent.
b) La doctrine de l'infaillibilité est contredite par le témoignage de l'histoire. Que l'on se propose d'étudier n'importe quelle période de cette histoire divino-humaine, & que l'on en juge : les évènements auraient-ils été ce qu'ils ont été si un des partis en présence, lorsque l'Eglise a été attaquée par les schismes & les hérésies, avait cru qu'il se trouvait à Rome un centre infaillible? Comment se fait-il que les Pères, dans toutes leurs polémiques, n'aient jamais mentionné ce point?
Saint Paul écrit, à propos de Saint Pierre : «  Je lui ai résisté en face » ( Gal. 2, 11). Etait-ce un moyen de donner une idée correcte du dogme papal à ses auditeurs, si un tel dogme eût existé?
Hilaire de Poitiers croyait-il le pape infaillible quand il écrivait sur le pape Libère : «  Je t'ai dit anathème, à toi Libère & à tes complices. Je te dis à nouveau anathème; je te le dis une troisième fois, à toi, Libère, prévaricateur »? -( Fragments, cités par W. Guettée, De la papauté, op. cit. p. 69).
Il faut rappeler qu'il y eut des papes de Rome qui furent condamnés par des Conciles pour hérésie.
(p.47).
Citons la décision du VIème Concile Oecuménique relative à Honorius : «  Ayant examiné les prétendues lettres dogmatiques de Sergius de Constantinople à Cyrus, & les réponses d'Honorius à Sergius, & les trouvant opposeés à la doctrine des Apôtres, aux décrets des Conciles & aux sentiments de tous les Pères, conformes, au contraire, à la fausse doctrine des hérétiques, nous les rejetons entièrement & les détestons comme propres à corrompre les âmes. En rejetant leurs dogmes impies, nous croyons aussi que leurs noms doivent être bannis de l'Eglise, savoir : de Sergius, autrefois évêque de cette ville de Constantinople, lequel a le premier écrit sur cette erreur; de Cyrus d'Alexandrie; de Pyrrhus, Paul, & Pierre, évêques de Constantinople; de Théodore, évêque de Pharan; de tous lesquels le pape Agathon a fait mention dans sa lettre à l'empereur, & qu'il a rejetés. Nous les déclarons tous frappés d'anathème. Avec eux, nous croyons devoir chasser de l'Eglise & anathématiser Honorius, autrefois évêque de l'ancienne Rome, parce que nous avons trouvé, dans sa lettre à Sergius, qu'il suit en tout son erreur & qu'il autorise sa doctrine impie. » -( Session 1 », Collection des Conciles du P. Labbé, t.6)-.
Enfin, la Vie même de Saint Maxime le Confesseur présente une circonstance remarquable. On était venu lui dire que les cinq patriarcats étaient unis dans l'hérésie : Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche, & Jérusalem. Et les envoyés de l'Empereur lui demandèrent avec qui il allait communier, persuadés que s'ils gagnaient Maxime, tous les Orthodoxes d'Orient & d'Occident se rallieraient. Que répondit-il? Dit-il qu'il marchait avec Rome? Non, il répondit : «  Aucune puissance ne pourra m'amener à faire ce que vous désirez ». Si Saint Maxime avait suivi l'infaillibilisme enseigné par le catéchisme catholique, toute l'Eglise serait devenue monothélite. La séparation d'avec l'évêque qui ne prêche pas la VERITE a toujours été une règle, un droit pour tout clerc, pour tout moine ou laïc.
c)La doctrine catholique de l'infaillibilté risque d'anéantir la conscience morale.
En effet, il y a une contradiction à dire:
- d'une part : «  Par sa raison, l'homme connaît la voix de Dieu qui le presse d'accomplir le bien & d'éviter le mal » ( §1706);
(p.48)
présente au coeur de la personne, la conscience morale lui enjoint, au moment opportun, d'accomplir le bien & d'éviter le mal ( §§ 1776 & 1777); l'être humain doit toujours obéir au jugement certain de sa conscience ( §1800); l'homme ne doit pas être contraint d'agir contre sa conscience (§1782); présente dans le coeur de chaque homme & établie par la raison, la loi naturelle est universelle en ses préceptes, & son autorité s'étend à tous les hommes (§1956); Dieu touche imméditaement & meut directement le coeur de l'homme ( § 2002) »
- et d'autre part : « Il ne convient pas d'opposer la conscience personnelle & la raison à la loi morale ou au Magistère de l'Eglise » ( § 2039).
Par cette dernière phrase, la distinction entre « l'obéissance de la foi » & « l'assentiment religieux » (§§ 891-892) s'estompe. Le Magistère de l'Eglise est-il le critère ultime? Est-il plus haut que Dieu qui parle directement à la conscience?
Que les catéchistes catholiques supposent que le Magistère ne donne jamais que de bons ordres, c'est leur droit; même alors, la phrase «  il ne convient pas d'opposer la conscience personnelle & la raison au Magistère de l'Eglise » ne peut être acceptée. «  L'homme, écrit Wladimir Guetée, dans le domaine de l'intelligence, ne reconnaît réellement que Dieu pour Maître. En dehors des vérités révélées, il conserve toute sa liberté, & c'est une impiété d'oser porter atteinte à cette liberté que Dieu a écrite dans le coeur de tout homme, comme le caractère nécessaire & sacré de tout être intelligent. Sans la liberté, sans la noble indépendance de toute autre autorité que de celle de Dieu, dans le domaine de la pensée, l'homme ne serait plus homme; sa conscience & sa raison seraient annulées; il ne serait plus qu'un être passif que l'autorité formerait à son image, une table rase sur laquelle l'autorité écrirait ses principes... Lesgrands écrivains de l'antiquité Chrétienne ont parfaitement compris les droits de la raison humaine, tout en respectant ceux de l'autorité. Qu'on lise le traité des Prescriptions de Tertullien, ou l'Avertissement de Saint Vincent de Lérins; l'on y trouvera toute la doctrine que nous venons d'exposer...La Foi, appuyée sur une telle autorité, est bien cette obéissance raisonnable qu'exige Saint Paul de tout fidèle :
(p.49)
Rationabile obsequium » -( W. Guettée, La papauté hérétique, Paris, 1874, p. 271-272)-. La faculté d'opposer la conscience personnelle & la raison au Magistère simplement authentique de l'Eglise est la seule garantie d'une obéissance véritable, c'est-à-dire éclairée. Une obéissance aveugle & sans liberté, quand même elle ne porterait pas de fruits extérieurement mauvais, reste mauvaise. Car le bien n'est pas un bien s'il n'est pas bien fait. Ne lit-on pas aussi : «  Une obéissance aveugle ne suffit pas à excuser ceux qui s'y soumettent ». (§ 2313). Le catéchisme catholique se corrige, on le voit, lui-même; la contradiction est donc patente.
Les oustachis de la seconde guerre mondiale suivaient un cardinal en communion avec le pape. Les catéchistes catholiques les blâmeraient, certainement, de leurs crimes, l'extermination d'un peuple étant un péché mortel (§ 2313); mais un criminel pourrait répondre hypocritement : «  J'entends vos blâmes & ma raison les approuve, mais j'ai cru qu'il ne convenait pas d'opposer ma conscience personnelle au Magistère de l'église, représenté à l'époque & en ce lieu par Mgr Stepinac. » La formulation du paragraphe 2039 est donc malheureuse, puisque des gens malintentionnés & de mauvaise foi pourraient s'en servir contre l'église catholique elle-même.


4.La véritable infaillibilité.


Pour les Orthodoxes, l'Eglise seule, & non pas tel ou tel de ses organes, est infaillible – l'Eglise, en tant que Corps divino-humain du Seigneur Jésus-Christ qui est sa tête. Tel est le sens du dogme des deux natures défini par le Ivème Concile Oecuménique de Chalcédoine en 451. En disant que le Christ était une Personne unique en deux natures, à la fois vrai Dieu & vrai Homme, «  le même parfait dans la Divinité, & le même parfait dans l'humanité », semblable à nous en tout sauf le péché, les Pères ont défini l'Eglise & notre rapport à elle. Aucun homme n'a reçu mission ni pouvoir pour légiférer au-dessus & en-dehors du Corps de l'Eglise.
(p.50).
Le non et consensu Ecclesiae ( c'est-à-dire sans avoir besoin du consentement de l'Eglise) qui définit l'infaillibilité du pape, place ce dernier dans une position que nul n'occupe. -( Le pontife romain, quand il parle ex cathedra, c'est-à-dire, quand, remplissant la fonction de pasteur & docteur de tous les Chrétiens, en vertu de sa suprême autorité apostolique, il définit une doctrine en matière de foi ou de moeurs comme obligatoire pour l'Eglise universelle, jouit, en vertu de l'assistance divine qui lui a été promise dans le bienheureux Pierre, de l'infaillibilité même que le divin Rédempteur a voulu conférer à Son Eglise dans la définition des doctrines touchant la foi ou les moeurs; il s'ensuit que les définitions de ce genre faites par le pontife romain sont irréformables par elles-mêmes, & non par le consentement de l'Eglise. ( Concile de Vatican I, 4ème session)-. Il n'y a rien au-dessus du consentement de l'Eglise, Corps du Christ : les deux natures sont unies sans confusion ni séparation.
«  L'Evêque est en même temps le maître & le disciple de ses ouailles » a dit l'évêque Innocent d'Alaska.
C'est bien à l'Eglise toute entière que le Christ a promis son assistance : «  Je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde » ( Matt. 28, 20), même s'il arrive que le nombre de ceux qui la composent sur terre soit réduit. Quand Saint Maxime commença la lutte contre le monothélisme, l'Eglise se réduisait au groupe infime formé par lui & ceux qui le suivaient. L'important, pour chacun de nous, est de savoir où se trouve l'Eglise – surtout lorsque la structure officielle de celle-ci n'est plus qu'une coquille vide. Cela s'est produit plusieurs fois dans l'histoire, lors des grandes hérésies. Les croyants n'allaient plus aux liturgies de l'église officielle; Chrétiens sans églises, ils priaient chez eux. Cette attitude s'est vue au temps du monothélisme, au temps de l'iconoclasme, & plus près de nous, sous le communisme, en Russie, avec l'Eglise des Catacombes. -( Cette attitude est impossible dans le catholicisme, d'abord à cause de l'infaillibilité, ensuite à cause de la théorie des sacrements, comme nous le verrons ci-après.
L'église latine place le croyant dans un faux dilemme : Ou bien le pape est infaillible, ou l'église est faillible. Accepter la seconde hypothèse, c'est réduire l'Eglise à une société humaine ou à un parti politique. Décréter le pape infaillible, c'est mettre l'homme à la place du Dieu-Homme. L'Eglise Orthodoxe ne connaît pas d'intermédiaire entre Dieu & l'Homme : «  Le Pasteur est au Ciel, le troupeau sur la terre ».


(p.51).



CHAPITRE III.
LES MYSTERES DE L'EGLISE.


La doctrine des sacrements -( le terme latin de sacrement est peu employé par les Théologiens Orthodoxes, qui lui préfèrent le terme de mystère)- que présente le catéchisme catholique a été élaborée au Moyen Age par les scolastiques & diffère totalement de celle qu'on trouve dans l'Eglise Orthodoxe originelle, & dans l'Eglise Orthodoxe d'aujourd'hui qui la continue fidèlement.
Pour les Pères, dans tout sacrement, c'est la Grâce du Saint Esprit, c'est-à-dire l'Energie de la Sainte Trinité qui opère. L'Eglise, le Corps du Christ, demande à Dieu, & Dieu exauce sa prière. Tout mystère de l'Eglise, du plus petit au plus grand, est un divin échange entre Dieu & les hommes : «  Nous t'offrons l'encens, ô Christ Dieu, en odeur de parfum spirituel. Reçois-le à ton autel céleste & envoie-nous la Grâce de Ton Saint Esprit ».
Se fondant sur cette Tradition Apostolique, l'Eglise considère la notion de sacrements, telle que le catéchisme catholique le développe, comme une innovation qui s'écarte de la vraie notion des mystères de l'Eglise.


1.Le nombre infini des sacrements.


L'Eglise ne compte pas les sacrements comme l'a fait, le premier, Pierre Lombard au XIIème siècle. Il est l'inventeur de la théorie des sept sacrements. Le concile de Trente anathématise celui qui reconnaît un autre nombre de sacrements: «  Si quelqu'un dit que les sacrements de la Loi nouvelle n'ont pas tous été institués par notre Seigneur Jésus Christ, ou que leur nombre est plus ou moins grand que sept, à savoir : baptême, confirmation, eucharistie, pénitence, extrême-onction, ordre & mariage, ou que l'un de ces sept n'est pas vraiment & proprement un sacrement : qu'il soit anathème ». Les catéchistes catholiques reprennent cette doctrine comme si elle allait de soi ( §§ 1113, 1117 & 1210).
(p.52).
L'anathème que nous venons de citer se trouve bien dans le catéchisme catholique, caché dans la note 1 de la page 245, car il faut savoir que DS 1601 = concile de Trente, session 7 du 3 mars 1547, canon 1 sur les sacrements. Or, si l'on suit l'enseigenement du Christ, on peut aussi bien dire : » Il y a un seul sacrement : l'Eglise » que: «  Il y a soixante-dix sept mille sacrements : tous les actes de l'Eglise ».
Saint Denys l'Aréopagyte, disciple de l'Apôtre Paul en qui le Christ vivait, s'exprime ainsi : «  Ayant eux-mêmes reçu de la Théarchie suressentielle la plénitude du don sacré, chargés par la Bonté théarchique de répandre ce don au-dehors, il a bien fallu par conséquent que, dans leur ardent & généreux désir d'élever spirituellemnt leurs subordonnés à la déification qu'ils avaient eux-mêmes reçue, les premiers chefs de notre hiérarchie nous transmissent à travers des images sensibles des secrets qui sont plus hauts que le ciel, à travers la variété & la multiplicité des formules un mystère qui est unique ». ( La Hiérarchie ecclésiastique, 1, 5).
D'autre part, la bénédiction des saintes huiles, par exemple, que le catéchisme catholique relègue au rang des «  sacramentaux » (§1672) est un sacrement au même titre que l'eucharistie : «  On l'a dit déjà, le saint rite liturgique dont nous chantons à présent les louanges est si haut placé, il possède un tel pouvoir qu'on l'utilise pour les consécrations hiérarchiques. Aussi bien, considérant que sa dignité est égale & son pouvoir identique à ceux des saints mystères de la communion, nos divins précepteurs ont-ils prescrit pour lui à peu près les mêmes images, les mêmes cérémonies mystiques & les mêmes formules sacramentelles ». ( Ibidem, 4,3,3). Et après avoir parlé de la consécration de l'autel par l'huile sainte, l'aigle de la théologie ajoute : «  Ayant reçu de Dieu même l'intelligence des symboles hiérarchiques, les divins promoteurs de la hiérarchie humaine appellent ce rite liturgique si parfaitement saint le sacrement des saintes huiles en raison de son action perfectionnante » ( Ibidem, 4, 3, 12).

Limiter à sept les sacrements, c'est restreindre la puissance du Saint Esprit au nom d'une philosophie tout humaine.

(p.53).


2.Les sacrements n'agissent pas automatiquement.


L'Orthodoxie refuse la théorie scolastique de l'ex opere operato & les distinctions qui en résultent. -( On peut y rattacher tout l'enseigenement latin sur les sacrements, la distinction entre sacrements & sacramentaux (§1667 & suiv.), les notions de forme & de matière des sacrements, de transsubstantiation ( § 1376). Ces catégories sont étrangères aux Pères)-. Fondées sur la synergie, la coopération de la volonté divine & de la volonté humaine, comme l'Incarnation elle-même, qui a eu lieu par la descente du Verbe & le oui de Marie la Vierge, les sacrements n'agissent pas ex opere operato, c'est-à-dire par le fait même que l'action est accomplie (§1128).
Une des conséquences les plus absurdes de cette doctrine est qu'elle rend le sacrement indépendant de la prière & de l'humble supplication de l'Eglise. Selon cette théorie, en effet, il suffit qu'un prêtre prononce les Paroles du Seigneur : «  Ceci est mon Corps... » sur du pain & du vin, avec l'intention d'en faire le Corps & le sang du Christ, pour que cela soit. Thomas d'Aquin tire la conséquence inévitable de cette doctrine lorsqu'il dit qu'un prêtre peut consacrer le Corps & le Sang du Seigneur en dehors du contexte liturgique, en signalant toutefois qu'un tel prêtre « pécherait gravement ». -(Somme théologique, IIIa, q.78, a.1, ad 4)-.
Fidèle ici à la Parole du Seigneur : «  Si deux d'entre vous s'entendent sur terre sur toute chose qu'ils demanderont, elle leur sera accordée par mon Père qui est dans les Cieux. Car, là où deux ou trois sont réunis en accord sur mon nom, je suis au milieu d'eux » ( Matt. 18, 19-20), l'Eglise Orthodoxe enseigne que le prêtre ne peut célébrer en dehors du contexte de la liturgie. Il ne peut célébrer seul. Tout acte d'Eglise requiert la présence d'au moins deux ou trois. Et bien sûr, s'ils n'ont pas l'intention d'agir selon la piété, le Saint Esprit n'opère pas le sacrement : pourquoi serait-il forcé d'obéir à Ses créatures?
C'est le Saint Esprit qui accomplit les sacrements, en réponse à la prière & à l'invocation de l'Eglise. Cette invocation, ou épiclèse, le catéchisme catholique en parle souvent ( §§ 1105-1106, 1353), mais non de façon conséquente.
(p.54).
Entre la doctrine de l'épiclèse & celle de l'ex opere operato, en effet, la contradiction est totale. Comment peut-on présenter l'une comme l'explication de l'autre? Le paragraphe 1128 dit le contraire du paragraphe 1127. La doctrine des Pères est donc affirmée, puis annulée. Précisons ce point.


3.In persona Christi.


Selon le catéchisme catholique, le prêtre agit «  en la personne du Christ, in persona Christi » (§ 875, 1548), & les évêques jouent le rôle du Christ in Eius persona agant (§1558).
L'Eglise Orthodoxe confesse, avec Saint Maxime le Confesseur que «  si le prêtre, dans le sacrement, est image du Christ, il n'est absolument pas un « vice-Christ », &, avec Saint Jean Chrysostome: «  Ce n'est pas le prêtre seulement qui touche la tête (du baptisé), c'est aussi la droite du Christ. Et cela ressort des mots mêmes de celui qui baptise, car il ne dit pas : » Je baptise un tel », mais «  Un est baptisé », montrant qu'il n'est que le serviteur ( le diacre) de la Grâce, & qu'il ne fait que prêter sa main, parce qu'il a été établi dans ce rôle par l'Esprit » -(Huit catéchèses baptismales, 2,26, coll. Sources Chrétiennes, Paris, 1970, p.147-8)-.
Le Chrétien Orthodoxe croit & confesse que le mystère de l'Eucharistie s'accomplit non par les seules paroles de l'Institution & par leur vertu propre proférée par le prêtre in persona Christi, mais par tout l'ensemble de la prière eucharistique par la Force, l'Effet, & la Grâce du Saint Esprit.
D'où la nécessité de l'épiclèse. Elle est mentionnée déjà par Saint Hippolyte de Rome, & par l'anaphore des Apôtres. Saint Formilien (+256), Evêque de Césarée de Cappadoce, Saint Irénée, Saint Julien, Saint Cyprien, Saint Basile, Saint Jean Chrysostome, Saint Ephrem le Syrien sont absolument explicites sur cette question. Citons simplement Saint Cyrille de Jérusalem : «  Après nous être sanctifiés par les chants spirituels, nous supplions le Dieu de Miséricorde d'envoyer le Saint Esprit sur les offrandes pour qu'Il transforme le pain en Corps du Christ & le vin en Sang du Christ. Ce qu'a touché le Saint Esprit est, en effet, totalement sanctifié & transformé ».
(p.55).
En 1968, alors que le pape Paul VI faisait connaître sa profession de foi connue sous le nom de « Credo de Paul VI », un hiérarque Orthodoxe s'exprima ainsi à propos de la conception papale du rôle du prêtre dans la consécration des Saints Dons : «  Le rôle du prêtre dans l'Eucharistie apparaît dans le terme d' »anaphore ». Au nom du Peuple de Dieu en prière, le prêtre prononce les paroles du Seigneur : Ceci est mon Corps; ceci est mon Sang...prenez & mangez...prenez & buvez en tous. Il ne prononce pas ces paroles comme le Christ, mais comme historien. Il se réfère à ces paroles dans sa prière à Dieu telles qu'elles ont été dites par le Christ, & il aspire à la descente de l'Esprit Saint pour opérer le changement des éléments en Corps & Sang du Seigneur. A aucun moment l'Eglise n'identifie le linistre du sacrement avec le Christ. Le prêtre ou l'évêque ne représentent jamais la personne de notre Seigneur dans le sens où le soutient le credo du pape. C'est ainsi que le rôle du prêtre a toujours été compris dans l'Eglise d'Orient. Jamais dans le culte le prêtre n'est considéré comme représentant notre Seigneur. C'est pourquoi les prières eucharistiques emploient toujours le pluriel & non le singulier. «  Nous t'offrons encore... » Dans l'église d'Occident, c'est la raison de l'absence de l'épiclèse, de l'innovation du Saint Esprit sur les dons; en effet, comment le prêtre peut-il appeler l'Esprit Saint s'il est lui-même le Christ? »
Comme le prêtre agit in persona Christi, il s'ensuit donc logiquement que l'invocation du Saint Esprit devant sanctifier les offrandes est rendue inutile. Dans l'ancienne messe ( dite de Pie V), si des allusions au Saint Esprit existent, elles sont noyées dans le texte et perdent leur caractère & leur sens de prière sanctifiante. Il n'est pas question d'épiclèse. Da,s la nouvelle messe de Paul VI que certains, dans son église, ont accusé de tendances protestantisantes & désacralisantes, elle semble faire une apparition dans les quatres nouvelles prières eucharistiques : «  Sanctifie ces offrandes en répandant sur elles ton Esprit (2ème prière), «  Sanctifie-les par ton Esprit » ( 3àme prière). Les catéchistes catholiques reconnaissent l'importance de l'épiclèse : «  L'Epiclèse est au coeur de chaque célébration sacramentaelle, plus particulièrement de l'Eucharistie » ( § 1106). Le sens de ces réformes est-il orthodoxisant? Malheureusement non. Outre le fait qu'une pratique tirée de l'Orthodoxie ne rend pas Orthodoxe un ministre qui ne l'est ni ne veut l'être, le sens de cette épiclèse est dénaturé.
(p.56).
Il ne ressemble en rien à l'épiclèse Orthodoxe. En effet, pour sauvegarder le principe du prêtre agissant in persona Christi, cette « épiclèse » est placée avant les paroles de l'institution, contrairement à l'épiclèse Orthodoxe, qu'une allusion discrère rappelle au §1353. Pourquoi ce déplacement, sinon pour conserver le principe papal que ce sont les paroles Ceci est mon Corps...Ceci est mon sang qui opèrent la transsubstantiation? La « réforme » reste donc conforme au décret du pape Eugène pour les Arméniens : «  La forme même de ce sacrement, ce sont les paroles du Sauveur sur lesquelles Il opère ce sacrement; -( cf Catéchisme du concile de Trente : «  La forme d'un sacrement consiste dans les paroles qui expriment l'effet produit par ce sacrement » (chap. 18)-: c'est en effet le prêtre parlant en la personne du Christ qui opère ce sacrement. Ainsi, par la vertu de ces paroles, la substance du pain se convertit en Corps du Christ, & la substance du vin en Son Sang » ( Bulle Exsultate Deo de 1439=. Le catéchisme de Pie X, à la question : «  Quelle est la forme du sacrement de l'Eucharistie? » répond : «  La forme consiste dans les paroles employées par Jésus Christ : ceci est mon corps; ceci est mon sang ». Très différent est l'enseignement de Saint Jean Chrysostome, selon lequel c'est la parole du Seigneur dite une fois pour toutes qui «  achève la perfection du sacrifice » -( PG 49, 380. Ce texte complète utilement celui que cite le catéchisme catholique au §1375)-, parce que cette parole garde à jamais son efficacité, comme le verbe créateur. La répétition de ces paroles par le prêtre à chaque liturgie n'a pas d'action ni de « vertu » propres. Sans la prière & la présence du Saint Esprit, le sacrement ne saurait avoir lieu. Les membres de l'église du pape qui se disent en recherche sur l'action du Saint Esprit dans la confection des sacrements, ne pourront guère trouver de réponse dans une liturgie qui vide l'épiclèse de son contenu véritable.


4.La confession.

Naguère encore, la pénitence, telle qu'elle était vécue dans l'église catholique, avait été très critiquée parce que, conçue de façon juridique, elle pouvait devenir une école d'immoralité, les casuistes ayant édifié des livres détaillant les «  circonstances aggravantes » des péchés connus d'eux. -( Voir W. Guettée, La papauté hérétique, Paris, 1874, p. 200-202)-.
(p.57).
Aujourd'hui, un changement s'est opéré, manifesté par le fait qu'au nom de « pénitence » est venu s'adjoindre celui de « réconciliation », comme désignation usuelle de ce sacrement.
Toutefois, cette modofication a-t-elle une signification profonde & prouve-t-elle un désir réel, dans l'église catholique, de retour à l'enseignement & à la pratique des Pères théophores? L'avenir le dira; mais le catéchisme catholique témoigne que, pour le moment, les conseptions de base de l'église latine sont restées celles du concile de Trente. La rénovation apparente n'est ici que du « plaqué or », non de l'or véritable, & cela pour deux raisons. La première est qu'on ne peut retrouver la Grâce « en faisant comme » les Orthodoxes, mais en se rattachant de la manière la plus concrère à l'Eglise Orthodoxe par le saint baptême. La seconde est que la volonté de changer risque de n'e^tre qu'une vélleité & une simple tentative pour rendre plus acceptable ce que le concile de Trente a posé sur des bases faussées.
Cela est évident si l'on considère la formule d'absolution : «  Que Dieu notre Père vous montre Sa miséricorde; par la Mort & la Résurrection de Son Fils, Il a réconcilié le monde avec Lui & Il a envoyé l'Esprit Saint pour la rémission de spéchés : par le ministère de l'église, qu'Il vous donne le pardon & la paix. Et moi, au nom du Père & du Fils & du Saint Esprit, je vous pardonne tous vos péchés » (§1449). Le prêtre latin usurpe ici audacieusement la place du Seigneur.
Selon la Foy des Apôtres, Dieu seul remet les péchés & le prêtre ne saurait se substituer à Lui. -( Matt. 9,2 et Marc 2,(. Selon Zigabène, en disant au paralytique «  les péchés te sont remis », le Christ a montré qu'Il était Dieu : «  Car guérir des maladies du corps, était aussi le lot des Saints, tandis que remettre les péchés n'appartient qu'à Dieu seul. D'où les hauts cris poussés par les cribes » ( Commentaire sur Saint Matthieu, chap. 13)-. Dans l'économie que les Apôtres nous ont transmise pour la remise des fautes commises après le bapt$eme, l'aveu de nos péchés nous libère en effet, mais non par magie ni par la seule formule d'absolution. Les mots mêmes que le prêtre utilise, dans l'Eglise Orthodoxe, révèlent une autre compréhension du sacrement :
(p.58)
«  Que Celui qui a pardonné à David par Nathan son prophète, à Pierre qui pleura son reniement, qui remit leur dette aux deux débiteurs, qui accueillit les larmes de la courtisane, te pardonne aussi tous tes péchés volontaires & involontaires, commis en paroles, en pensée, en conscience & par ignorance...Pour les péchés que tu confesses, n'en aie aucune crainte : la Grâce du Saint Esprit te pardonne dans ce monde et dans l'autre. Va en paix, au Nom du Père, du Fils, & du Saint Esprit ».
Le prêtre Orthodoxe ne dit pas « je te pardonne », parce qu'il n'est pas le Saint Esprit. Sans la présence du Saint Esprit, tous les Mystères de l'Eglise se vident & se transforment en mascarade ou en abus de pouvoir de la part du clergé. La rémission des péchés, en particulier, n'est pas un acte extérieur qui s'opère en vertu d'une formule. Elle a lieu dans le coeur brisé & confiant qui pleure, si l'on peut dire, contre la poitrine du Seigneur. Ici, le prêtre n'agit pas in persona Christi, parce que le Christ Lui-même est présent.
Loin de s'en remettre à l'homme, le fidèle sait quand il a été pardonné. Il n'est ni dans l'incertitude, ni dans une fausse assurance reposant sur l'absolution du prêtre. Le critère du croyant, c'est le Saint Esprit. Les Pères qui ont l'expérience de l'Esprit disent que l'on acquiert la certitude que les péchés sont pardonnés lorsque les passions cessent de jaillir en nous. -( «  On demanda à quelqu'un : Quand un homme peut-il connaître qu'il a reçu le pardon de ses péchés? Il répondit : Quand il sent dans son âme qu'il les hait totalement du fond du coeur, & que, dans ses actes extérieurs, il se gouverne d'une manière opposée à son ancien genre de vie. Un tel homme, qui a conçu la haine de son péché, a confiance d'avoir reçu la rémission de ses péchés grâce au bon témoignage de sa conscience, qu'il a désormais acquis, selon la Parole de l'Apôtre qui dit : la conscience qui n'est pas condamnée témoigne d'elle-même » ( Saint Isaac le Syrien, Homélies Ascétiques, 28, éd. Anglaise Holy Transfiguration Monastery, Boston, 1984, p. 141)-. Pour cette raison, la vigilance est requise. -( «  Chacun d'entre nous, dit Saint Macaire, doit chercher s'il a trouvé le trésor dans ce vase d'argile ( cf.2 Cor. 4,7), s'il a revêtu la pourpre de l'Esprit, s'il a vu le Roi & trouvé le repos tout près de lui, ou bien s'il sert encore dans les demeures les plus extérieures. En effet, l'âme possède beaucoup de membres, & une grande profondeur. Le péché y est entré & a pris possession de tous ses membres & des espaces du coeur. Ensuite, quand l'homme recherche la Grâce, elle vient à lui, & prend possession, par exemple, de deux membres de l'âme. C'est ainsi que l'homme inexpérimenté, étant consolé par la Grâce, s'imagine qu'en venant, elle a pris possession de tous les membres de son âme, & que le péché est déraciné. Mais la plus grande partie en est encore au pouvoir du péché, & une partie seulement est au pouvoir de la Grâce. Et il est trompé, & il ne le sait pas ». ( Saint Macaire, Homélies Spirituelles, 50, 4)-.
(p.59).
Il est bien dommage que le catéchisme catholique cite une formule « byzantine » altérée au §1481. Aussi bien ne pouvait-il citer la formule complète que nous lui avons donnée, parce qu'elle témoigne clairement contre lui.
N'y a-t-il pas, du reste, quelque chose de fallacieux dans la manière dont cette formule est introduite : «  La liturgie byzantine connaît plusieurs formules d'absolution, de forme déprécative, qui expriment admirablement le mystère du pardon ». La tromperie réside en ceci : l'église du pape ne tient absolument pas pour suffisante à remettre les péchés cette formule « déprécative », c'est-à-dire cette prière. Ainsi le concile de Trente dit : «  Le saint synode enseigne que la forme du sacrement de pénitence, en laquelle réside principalement sa force, repose dans ces mots du ministre : Je te pardonne, etc; auxquels, certes, la coutume de la sainte église ajoute, demanière louable, certaines prières, sans cependant qu'elles aient rien à voir avec l'essence même de la forme du sacrement, ni qu'elles soient nécessaires pour l'administrer » -( Concile de Trente, 14ème session, chap.3)-. Donc la formule «  déprécative » ( c'est-à-dire de prière & d'imploration) est, en réalité, pour les auteurs du catéchisme catholique, non nécessaire. Il suit de là que, pour eux, les Orthodoxes n'ont pas la forme correcte du sacrement, ni de rémission des péchés! -( Benoît XII condamnait déjà les formules déprécatives, comme inefficaces ( Décret d'août 1341 sur les Arméniens, 40). Point peu soulevé dans les discussions oecuméniques! On y parle beaucoup de baptême, d'eucharistie, & de ministère; mais de la pénitence rarement...)-. La louange de l'Orthodoxie cache ici sa condamnation dans la pratique.
En accolant une formule de sens Orthodoxe («  Que Dieu notre Père vous montre Sa miséricorde... ») à la formule déclarative qu'il juge indispensable : «  Je te pardonne... », le catéchisme catholique réfute donc de faire confiance au Saint Esprit & dissimule, plutôt qu'il ne l'efface, l'erreur du concile de Trente, qui a fait de l'absolution un «  acte judiciaire » -( Concile de Trente, 14ème session, canon 9)-.
(p.60).


5.Quels sacrements hors de l'Eglise?


La seconde conséquence inacceptable de l'opus operatum, c'est qu'elle déclare valides les sacrements accomplis par des schismatiques ou des hérétiques, en dehors de l'Eglise Orthodoxe.
Ici, il faut relever une ambiguïté dans la formulation : «  Dès lors qu'un sacrement est célébré conformément à l'intention de l'église, la puissance du Christ & de Son Esprit agit en lui & par lui, indépendamment de la sainteté personnelle du ministre » ( §1128). Que signifie, en effet, «  conformément à l'intention de l'église »? Si cela veut dire : «  en ayant l'intention de faire ce que veut l'église », la formule est assurément Orthodoxe, & alors les catéchistes catholiques auraient dû dire que l'église catholique a renoncé à l'ex opere operatio. Si cela veut dire : «  en ayant l'intention de faire ce que fait l'église », la formule rejoint la théorie scolastique, mais le lecteur français moderne a droit à une explication de cette théorie, à laquelle le catéchisme catholique se réfère. Pour l'éclairer, citons les décrets des papes, car ce sont eux qui utilisent cette distinction subtile entre « vouloir faire ce que fait l'église » et «  vouloir faire ce que veut faire l'église ».
Voyez la réponse que fit Pie IX, le 18 décembre 1872, par son Saint Office, à un vicaire apostolique qui lui demandait si le baptême administré par les méthodistes était valide, vu que ceux-ci sont des hérétiques qui disent qu'il n'a aucun effet sur l'âme. Le Saint Office répond que la question a déjà été tranchée par Benoît XIV, qui estime valide le baptême conféré par des hérétiques, du moment que les formes sont respectées, quelles que soient les intentions du ministre. Il cite ensuite le cardinal Bellarmin qui dit que le concile de Trente ( canon 11, session 7) ne demande pas que le ministre ait l'intention de faire ce que veut l'église, mais simplement ce que fait l'église. « C'est pour cela, ajoute le Saint Office, qu' Innocent IV, au chap.2 de son De baptismo, n°9, dit que le baptême conféré par un Sarrasin est valide, alors que l'on sait très bien que le Sarrasin ne croit pas que l'immersion ait d'autre effet que de mouiller le baptisé. Il suffit qu'il ait voulu faire ce que font les autres baptiseurs ».
Léon XIII, dans sa lettre Apostolicae curae et caritatis, confirme cette doctrine, en disant que l'église ne juge pas de l'esprit & de l'intention en soi, qui est une chose intérieure, mais de la réalisation extérieure du sacrement :
(p.61).
« Lorsque quelqu'un, pour confectionner & conférer un sacrement, a employé avec ordre & sérieux la matière & la forme dues, il est réputé par là-même avoir évidemment voulu faire ce que fait l'église. C'est sur ce principe que repose la doctrine immuable qu'un sacrement est véritablement conféré, même par le ministère d'un hérétique ou d'un non-baptisé, pourvu seulement qu'il ait suivi le rite catholique ».
Telle est la doctrine sous-jacente à cette affirmation des catéchistes catholiques : «  En cas de nécessité, toute personne, même non baptisée, ayant l'intention requise, peut baptiser. L'intention requise, c'est de vouloir faire ce que fait l'église en baptisant, & appliquer la formule baptismale trinitaire ». (§1256).
Il suffit de connaître les canons des Apôtres, base de toute l'organisation de l'Eglise Orthodoxe du Christ, pour réfuter cette théorie selon laquelle un baptême donné dans le schisme ou l'hérésie pourrait être valide. «  Nous ordonnons que tout évêque ou prêtre qui a accepté le baptême ou le sacrifice d'hérétiques, quelq qu'ils soient, soit déposé. Car quelle entente y a-t-il entre le Christ & Bélial? Ou quelle part le fidèle a-t-il avec l'infidèle? » (Canon 46). Les Chrétiens Orthodoxes doivent avertir les hérétiques de leurs erreurs & non leur laisser croire qu'ils les accpetent. «  Si un évêque ou un prêtre baptise de nouveau quelqu'un qui a reçu un vrai baptême, ou ne baptise pas quelqu'un qui a été souillé par celui des impies, qu'il soit déposé, comme insultant à la Croix & à la Mort du Seigneur, & comme ne sachant pas distinguer entre les prêtres & les faux-prêtres. (Canon 47).



6.Le caractère sacramentel.


La notion de caractère sacramentel, inventée par Augustin dans sa lutte contre les Donatistes, n'appartient pas à la Tradition de l'Eglise.
«  Les trois sacrements du baptême, de la confirmation, & de l'ordre confèrent, en plus de la grâce, un caractère sacramentel ou « sceau » par lequel le Chrétien participe au sacerdoce du Christ & fait partie de l'église selon des états & des fonctions diverses. Cette configuration au Christ & dà l'église, réalisée par l'Esprit, est indélébile, elle demeure pour toujours dans le Chrétien comme disposition primitive pour la grâce, comme promesse & garantie de la protection divine & comme vocation au culte divin & au service de l'église. Ces sacrements ne peuvent donc jamais être réitérés » (§1121, §1582).
(p.62).
Que les sacrements ne soient pas réitérés, c'est une chose; qu'ils donnent, en plus de la grâce, c'est-à-dire, en plus de l'énergie déifiante de la Trinité, en plus du Saint-Esprit (!) un caractère, c'est une théorie, rationaliste dans son principe et fausse dans ses conséquences.
La grâce du baptême, par exemple, reste auprès du baptisé qui l'a perdue par son péché, prête à revenir en lui s'il fait pénitence. Aucun Père n'a parlé ici de caractère. Les historiens catholiques eux-mêmes reconnaissent d'ailleurs ce fait. C'est Augustin d'Hippone qui, le premier, a inventé la notion, pour expliquer de manière démonstrative ce que la raison humaine ne peut comprendre qu'en acceptant son impuissance devant le mystère.
Et la conséquence, anti-traditionnelle, c'est que, selon cette doctrine, un prêtre qui quitte l'Eglise reste prêtre, emportant avec lui le pouvoir de consacrer! Cela ressort clairement de la lettre de Léon XIII que nous avons citée, où il parle des ordinations anglicanes. Elles ne sont pas valables, dit-il – mais pourquoi? Parce qu'ils ont quitté l'Eglise? Non, selon lui. Mais parce que la formule employée par leeurs évêques n'était pas ce qu'elle doit être! Dès lors, dit Léon XIII, les évêques ainsi ordonnés ne sont pas évêques, & ne peuvent plus, même s'ils se mettent à employer la bonne formule, consacrer d'évêques.
A la suite des Apôtres, l'Eglise Orthodoxe a toujours estimé que la succession apostolique qui fait l'Evêque ne réside pas simplement dans l'imposition des mains par deux ou trois Evêques, ni dans l'usage d'une formule, mais dans la confession de la Vérité. Il en va de même pour l'ordination sacerdotale. Un prêtre ou un évêque qui cesse de «  dispenser fidèlement la Parole de Vérité » cesse ipso facto d'être prêtre ou évêque. Il devient un faux-pasteur.
Dire que le Christ peut agir à travers un ministre, même indigne personnellement, c'est une chose. Dire qu'il peut y avoir des sacrements hors de l'Eglise, c'est autre chose. La première affirmation signifie que la prière de l'Eglise netière dépasse le prêtre seul, & elle est vraie. La seconde affirmation attribue aux sacrements une efficacité en eux-mêmes, indépendamment de la Vérité, du Corps de la Vérité, qui est l'Eglise du Christ.
(p.63).
Or le catéchisme catholique professe que : «  Attacher à la seule matérialité des prières ou des signes sacramentels leur efficacité, en dehors de dispositions intérieures qu'ils exigent, c'est tomber dans la superstition » (§ 2111). L'Eglise Orthodoxe considère comme relevant de la même superstition le fait de croire en l'efficacité d'une formule en soi. Saint Firmilien & Saint Athanase le Grand disent que les noms plus que divins des trois Personnes de la Sainte Trinité sont vides & sans effet dans la bouche d'un hérétique.


7.Les rites transmis dans le secret.


L'église catholique a condamné, dans le passé, les usages Orthodoxes. L'étude de l'histoire, qui s'est développée depuis le XVIIème siècle, avec ce qu'on a appelé « la théologie positive » a permis aux occidentaux de se rendre compte que, sur tous les points en litige, les Orthodoxes restaient fidèles à l'ancienne Tradition apostolique. C'est pourquoi le catéchisme catholique reconnaît que l'Eglise Orthodoxe est dans le vrai quand elle baptise par triple immersion (§1239), quand elle autorise le prêtre à donner ordinairement la chrismation ( §§1290, 1292, 1312), quand elle fait communier les petites enfants (§1233, 1244), quand elle donne aux fidèles le Corps & le Sang du Christ (§1390). Cependant, le même catéchisme catholique maintient comme légitimes les usages latins. Certes, les rites n'ont pas la même importance que les dogmes. On remarque, toutefois, que les arguments du catéchisme catholique sont faibles ou contradictoires :
(a) «  Le baptême est accompli de la façon la plus significative par la triple immersion dans l'eau baptismale. Mais depuis l'antiquité, il peut aussi être conféré en versant par trois fois l'eau sur la tête du candidat » (§1239). N'est-ce pas avouer que l'Occident a généralisé une économie, un accommodement, & qu'il se trouve posséder un rite moins significatif? -( Précison que ce n'est pas la seule différence de rite qui rend, pour l'Eglise Orthodoxe, le baptême des latins ineffectif. C'est d'abord l'absence de la foi juste. En effet, conformément au canon 47 des Apôtres cité plus haut, aucun sacrement célébré par un hérétique (c'est-à-dire un non-orthodoxe) ne peut être valide, quand bien même il suivrait le rituel Orthodoxe. L'usage de l'aspersion est une manifestation supplémentaire de l'éloignement des latino-francs par rapport à la Tradition. Précisons aussi que Saint Basile appelle un « dogme »  la Tradition reçue de baptiser par triple immersion, dans son Traité du Saint Esprit. Dans ce traité, il définit le « dogme » comme une instruction « transmise dans le secret ». Pour les Pères Orthodoxes, la forme même du baptême remonte aux Apôtres & elle est d'institution divine.
(p.64).
(b) Si «  aux premiers siècles, la confirmation constitue généralement une unique célébration avec le baptême, formant avec celui-ci, selon l'expression de Saint Cyprien, un «  sacrement double » (§1290) & si « la pratique des Eglises d'Orient -( c'est-à-dire la pratique consistant à faire donner la confirmation par le prêtre)- souligne davantage l'unité de l'initiation chrétienne » ( §1292, cf.1312), le pape ne devrait-il pas abroger l'anathème du concile de Trente : «  Si quelqu'un dit que le ministre ordinaire de la sainte confirmation n'est pas l'évêque seul, mais n'importe quel simple prêtre, qu'il soit anathème » (Sess.7, canon 3 sur la confirmation)? -( Anathème que le catéchisme catholique dissimule mais n'annule point. (§1313,1318)-.
(c)«  Les Eglises orientales gardent une conscience vive de l'unité de l'initiation chrétienne en donnant la sainte communion à tous les nouveaux baptisés & confirmés, même aux petits enfants, se souvenat de la parole du Seigneur : «  Laissez venir à moi les petits enfants, & ne les en empêchez pas ». ( Mc 10, 14). L'église latine, qui réserve l'accès à la sainte communion à ceux qui ont atteint l'âge de raison, exprime l'ouverture du baptême sur l'eucharistie en approchant de l'autel l'enfant nouveau baptisé pour la prière de Notre Père » (§1244). Nos catéchistes, étrangement, reconnaissent ici que l'Eglise Orthodoxe est restée fidèle à la parole du Seigneur, tandis que l'église latine ne s'est pas souvenue de cette même parole & a remplacé la pratique Orthodoxe par un rite de substitution accompli au baptême. Jusqu'à six ou sept ans les enfants seraient donc empêchés d'approcher du Christ, au mépris du précepte divin, que les Orthodoxes, de leur côté, ne se croient pas en devoir d'abolir! -( Dans l'église d'Occident, l'interdiction de communier faite aux enfants ne date que du XIIème siècle. Auparavant, on croyait la communion nécessaire aux enfants, pour développer en eux la Vie en Christ, comme en témoigne Saint Innocent, pape de Rome ( lettre 26)-.
(d)«  Grâce à la présence sacramentelle du Christ sous chacune des espèces, la communion à la seule espèce du pain permet de recevoir tout le fruit de grâce de l'Eucharistie.
(p.65).
Pour des raisons pastorales, cette manière de communier s'est légitimement établie comme la plus habituelle dans le rite latin. «  La sainte communion réalise plus pleinement sa forme de signe lorsqu'elle se fait sous les deux espèces. Car, sous cette forme, le signe du banquet eucharistique est mis plus pleinement en lumière ». C'est la forme habituelle de communion dans les rites orientaux » (§ 1390). Quoique le catéchisme catholique se serve d'un vocabulaire non orthodoxe ( « espèces », « réalise sa forme de signe »), il reconnaît ici le bien-fondé du rite Orthodoxe. Complétons ce point : L'Eglise Orthodoxe suit purement & simplement le précepte donné par le Sauveur Lui-même : «  Buvez-en tous » (Matt. 26, 27-28). Contre ce précepte divin, le catéchisme catholique dit que l'autre manière de communier s'est établie «  légitimement ». En quoi est-ce légitime? «  De quel droit un théologien peut-il prétendre que la participation au corps suffit, lorsque Jésus-Christ a établi la participation au sang? De quel droit décide-t-il que le sacrement est complet, lorsqu'on n'accomplit que la moitié de ce qu'a établi Jésus Christ? » -( in W. Guettée, La papauté hérétique, p. 179)-.


8.Une théorie des sacrements
peut-elle fonder l'oecuménisme?


La théorie des sacrements fonde une unité problématique des sectes & des hérésies avec l'Eglise. «  Le baptême constitue le fondement de la communion entre tous les chrétiens, aussi avec ceux qui ne sont pas encore en pleine communion avec l'église catholique » ( §1271).
Cette doctrine est répétée plusieurs fois, d'abord à propos du baptême, ensuite, pour l'Eglise Orthodoxe, à propos du sacerdoce & de l'eucharistie. «  Les Eglises orientales (- En parlant ici d'Eglises orientales, au pluriel, les catéchistes catholiques a) manifestent leur opposition à l'Eglise Orthodoxe qui est essentiellement une; b) la groupent avec les hérésies monophysite et nestorienne; c) se déclarent unis sacramentellement à ces mêmes hérésies)- qui ne sont pas en pleine communion avec l'église catholique célèbrent l'eucharistie avec un grand amour. « Ces Eglises, bien que séparées, ont de vrais sacrements, -principalement en vertu de la succession apostolique:
(p.66)
le sacerdoce & l'eucharistie, - qui les unissent intimement à nous » Une certaine communion in sacris, donc, dans l'eucharistie, est «  non seulement possible, mais même recommandée, lors de circonstances favorables & avec l'approbation de l'autorité ecclésiastique » (§ 1399).
Quelle est la nature de cette union?
Premièrement, elle a ce qu'on pourrait appeler une « hérédité chargée ». En effet, selon la pure doctrine augustinienne, il ne fait aucun doute que les sacrements de ceux qui sont séparés de l'Eglise sont valides comme sacrements ; toutefois cela ne rend pas moins coupables ceux qui les administrent. Ils commettent une sorte de sacrilège. «  Chez ceux qu'ils baptisent, les donatistes guérissent la blessure de l'idolâtrie ou de l'infidélité, mais ils leur infligent une blessure plus grave, celle du schisme ». -( in Augustin, De Baptismo, dans Traités Antidonatistes 2, Bibliothèque Augustinienne 29, Paris, 1964, p.83. Le schisme, séparation d'avec l'Eglise, est défini par le cétchisme catholique en référence au pape : «  Le schisme est le refus de la soumission au souverain pontife ou de communion avec les membres de l'église qui lui sont soumis » (§2089)-. C'est en vertu de cette doctrine que les protestants ont été persécutés aux XVIème et XVIIème siècles : c'est parce que leur baptême était valide qu'on jugeait indispensable de les intégrer, par la force, pour les sauver, à l'église catholique. Tel a été l'argument de leurs persécuteurs. Il est clair que le catéchisme catholique ne tire pas cette conclusion; toutefois, on pourrait craindre que, la doctrine de base subsistant, quelqu'un ne la tire de nouveau, comme l'avaient fait la plupart des catholiques français au XVIIème siècle ( Bossuet, Arnauld, Thomassin etc...) : «  C'est, en effet, par la seule église catholique du Christ, laquelle est « moyen général de salut », que peut s'obtenir toute la plénitude des moyens de salut. Car c'est au seul collège apostolique, dont Pierre est le chef, que le Seigneur confia, selon notre foi, toutes les richesses de la Nouvelle Alliance, afin de constituer sur la terre un seul Corps du Christ auquel il faut que soient pleinement incorporés tous ceux qui, d'une certaine façon, appartiennent déjà au Peuple de Dieu » (§816). Il faut!
En second lieu, cette unité est paradoxale. Voici comment le catéchisme catholique la décrit : «  Avec ceux qui, étant baptisés, portent le beau nom de chrétiens sans professer pourtant intégralement la foi ou sans garder l'unité de communion avec le successeur de Pierre, l'église se sait unie pour de multiples raisons » (§838).
(p.67)
«  Justifiés par la foi reçue au baptême, incorporés au Christ, ils portent à juste titre le nom de chrétiens, & les fils de l'église catholique les reconnaissent à bon droit comme des frères dans le Seigneur » (§818). Cette unité atteint à son comble avec les «  Eglises orientales » : «  Ces Eglises, bien que séparées, ont de vrais sacrements, - principalement, en vertu de la succession apostolique : le sacerdoce & l'eucharistie- qui les unissent intimement à nous » (§1399). Or, quel lien plus étroit & plus éternel peut-il y avoir que le Corps & le Sang du Christ? Si un tel lien existait entre l'église catholique & l'Eglise Orthodoxe, assurément, il n'en faudrait pas chercher d'autre! Le paradoxe est donc de prétendre à la fois que ce lien existe & que l'unité n'est pas néanmoins parfaite. Que peut-il bien manquer? « Avec les Eglises Orthodoxes, cette communion est si profonde «  qu'il lui manque bien peu pour qu'elle atteigne la plénitude autorisant une célébration commune de l'eucharistie du Seigneur » «  (§838). Est-ce la reconnaissance du pape qui fait défaut? Le pape est-il plus haut que le Corps & le Sang du Christ? Pourra-t-il parfaire une unité que le Seigneur n'a pu rendre totale par Son propre Corps & Sang, & n'y a-t-il pas quelque chose de blasphématoire dans cette conception? -(Le catéchisme catholique parle « d'éléments de sanctification ». S'il y a des éléments de sanctification, c'est-à-dire, de déification, hors de l'église catholique, on peut dire que Rome n'est plus dans Rome & que les appels à rentrer dans l'unité du siège papal ne servent à rien)-.
En troisième lieu, cette unité n'existe que dans l'imagination. En effet, quand deux s'unissent, il y a un troisième terme par lequel ils s'unissent. Ici, quel est ce troisième terme? Les sacrements? Mais nous venons de montrer suffisamment que la doctrine des sacrements de l'église latine diffère totalement de celle de l'Eglise Orthodoxe. Dès lors comment peut-on appeler « profonde » une communion supposée avec des gens qui n'en ont même pas entendu parler?
Ainsi comprise, l'idée augustinienne que ce sont « les sacrements qui font l'Eglise » (§1118) apparaît donc comme une contre-vérité. «  Le sabbat a été fait pour l'homme & non l'homme pour le sabbat » (Mc 2, 27). Les catégories de forme & de matière, les notions de caractère, opus operatum, transsubstantiation, «  sacrements » & « sacramentaux » n'ont aucune existence évangélique, apostolique ou patristique, & conduisent à la négation même de l'Eglise. La porte d'entrée de celle-ci est la Vérité, le Christ, non la manipulation de cérémonies privées de leur authenticité.





CHAPITRE IV.



L'ECONOMIE DE NOTRE SALUT.


(p.68).

L'économie de notre Salut commence par la Création. La doctrine que les Pères, avec leur esprit purifié, ont lue dans l'Ecriture, c'est que Dieu n'est aucunement l'auteur du mal. Malheureusement, cette doctrine est obscurcie dans le catéchisme catholique.


1.Hésitations sur l'origine du mal.

L'Eglise Orthodoxe enseigne que Dieu crée le monde par amour, & qu'Il n'a pas créé le mal. A la question posée par le catéchisme aux §§ 284, 309, & 385, « d'où vient le mal », les Pères ne donnent qu'une seule réponse, que voici : «  Nous ne connaissons rien de mauvais par essence, ni d'autre principe du mal que l'écart commis par les êtres raisonnables lorsqu'ils utilisent mal l'autorité sur eux-mêmes que Dieu leur a donnée ». -(Saint Grégoire Palamas, Confession de foi, PG 151, col.766)-.
Le mal physique n'est que le remède du mal moral, selon Saint Basile : «  Dieu soigne les vices collectifs par des châtiments collectifs » -(in Que Dieu n'est pas l'auteur du mal,5)-, & Saint Jérôme : «  Ce que l'on considère comme un châtiment se révèle un remède » -(Sur Ezéchiel, 1)-, & tous les Saints.
Le catéchisme catholique dit au § 295 que « Dieu crée par sagesse & par amour », au § 299 que « L'église a dû, à maintes reprises, défendre la bonté de la création, y compris du monde matériel » & au § 311 que «  Dieu n'est en aucune façon, ni directement ni indirectement, la cause du mal moral », mais il oublie ensuite cette doctrine & fait de Dieu l'auteur du mal physqiue & du mal moral :
a) Au § 310 : «  Pourquoi Dieu n'a-t-il pas créé un monde aussi parfait qu'aucun mal ne puisse y exister? Selon Sa puissance infinie, Dieu pourrait toujours créer quelque chose de meilleur. Cependant dans Sa sagesse & Sa bonté infinie, Dieu a voulu librement créer un monde «  en état de cheminement » vers sa perfection ultime. Ce devenir comporte, dans le dessein de Dieu, avec l'apparition de certains êtres, la disparition d'autres, avec le plus parfait aussi le moins parfait, avec les constructions de la nature aussi les destructions. Avec le bien physique existe donc aussi le mal physique, aussi longtemps que la création n'a pas atteint sa perfection ». C'est-à-dire que Dieu est responsable du mal physique parce qu'il n'a pas voulu créer un monde où tout soit parfait, alors que cela Lui était possible.
Jamais la Bible ni les Pères n'ont dit cela. La création a atteint sa perfection du jour où elle est sortie des mains du Seigneur. C'est l'homme qui, en péchant, l'a enracinée dans sa chute. La présence du péché dans le monde ne nous permet pas de le voir tel qu'il a été créé. C'est pourquoi la pensée humaine, si elle n'est éclairée par Dieu, est incapable d'associer perfection & cheminement, perfection & hiérarchie. Nous citerons donc Saint Jean Chrysostome, dont tous les discours sur la Providence dissipent cette fausse idée de mal physique développée par le catéchisme catholique. «  Moïse, voulant supprimer toute curiosité impudente de la part de ceux qui, dans la suite, devaient jouir de la création, a proclamé & dit que Dieu vit ces choses & les loua & décréta qu'elles étaient bonnes & non seulement bonnes, mais tout-à-fait bonnes ». (4,9).
b) Au § 412, le catéchisme catholique demande : « Pourquoi Dieu n'a-t-il pas empêché le premier homme de pécher? » Et il répond que « rien ne s'oppose à ce que la nature humaine ait été destinée à une fin plus haute après le péché » (Thomas d'Aquin).
Que Dieu puisse, du mal, tirer le bien, c'est une chose que nous confessons; mais l'idée que le bien de la nature humaine compense le malheur éternel de ceux qui sont damnés sonne étrangement. Dire qu'en agissant ainsi Dieu a laissé l'homme pécher pour en tirer un plus grand bien, c'est avouer qu'il a agi exactement comme le réprouve le catéchisme catholique : « Il n'est jamais permis de faire le mal pour qu'il en résulte un bien » (§§ 1789 & 1756). Car laisser faire un mal qu'on pourrait empêcher, c'est le faire.
La réponse des Pères à ce dilemme, c'est que Dieu a limité Sa toute-puissance pour laisser l'homme libre. Le catéchisme catholique semble enseigner cela au § 311, où il dit que Dieu permet le péché « respectant la liberté de Sa créature »,
(p.71)
mais le § 308 fait perdre tout sens à cette affirmation & rend Dieu tout-à-fait odieux : «  Dieu agit en tout agir de Ses créatures. Il est la cause première qui opère dans & par les causes secondes : «  Car c'est Dieu qui opère en nous à la fois le vouloir & l'opération même, au profit de Ses bienveillants desseins (Phil.2,13). Ce totalitarisme métaphysique est réfuté par Saint Jean Chrysostome, interprète fidèle des mots de l'Apôtre Paul : «  Si Dieu opère en nous la volonté même, sans aucune coopération de notre part, pourquoi Saint Paul nous exhorte-t-il à vouloir? Si c'est Dieu qui fait toute notre volonté, tu as tort, ô grand Apôtre, de nous dire : Vous avez obéi, car ce n'est plus nous qui obéissons; en vain tu ajoutes : Avec crainte & tremblement : tout est de Dieu! - L'Apôtre vous répond : Ce n'est pas dans ce sens que je vous ai dit : Dieu opère en nous le vouloir & le faire; je n'ai voulu qu'apaiser votre inquiétude. Si vous le voulez, Dieu opérera en vous le vouloir...Dès que nous aurons voulu, il augmentera, il accomplira notre bon vouloir...Quand l'Apôtre déclare que Dieu opère en nous le vouloir même, il n'entend pas nous priver de notre libre-arbitre, mais il nous montre qu'en faisant le bien nous acquérons plus encore l'inclination à bien vouloir. Car, comme en faisant on apprend à faire, ainsi en ne faisant pas on désapprend...D'après la bonne volonté, dit Saint Paul, c'est-à-dire, selon votre charité, selon votre soin à lui plaire & à produire les oeuvres qu'il aime, & qui sont en harmonie avec sa sainte loi...Vous voyez donc que Paul ne détruit pas ici notre liberé ». -(Commentaire sur l'Epître aux Philippiens, Homélie 8)-.


2.Le péché originel.

Le Seigneur est venu, selon les Pères, pour nous sauver du Diable, du péché & de la Mort. Or le catéchisme catholique, à la suite d'Augustin & du concile de Trente, altère la notion du Salut en changeant celle du péché. -(La doctrine classique de l'église catholique est celle qui a été exprimée par Augustin d'Hippone, à l'occasion de sa réfutation de l'hérésie de Pélage, notamment dans Du don de la persévérance, De la prédestination des saints, De la corruption & de la grâce. C'est de là que vient la conception du « péché originel » comme une offense faite à Dieu ( le catéchisme catholique accepte cette définition au § 1850) qui rend la nature humaine porteuse d'une culpabilité héréditaire, en conséquence de laquelle toute l'humanité devient une massa damnata, une massa perditionis : » Ce n'est pas injustement, mais par une juste sentence que le péché d'un seul a entraîné la condamnation de tous » ( Du don de la persévérance, VIII,)-.


a) La Mort, punition de la désobéissance d'Adam.


«  Bien que l'homme possédât une nature mortelle, Dieu le destinait à ne pas Mourir » (§ 1008). Selon le catéchisme catholique, l'homme était dans un état de « sainteté & de justice originelle », de « participation à la vie divine » défini comme « harmonie intérieure de la personne humaine », harmonie du premier couple, harmonie entre celui-ci & la création, & collaboration avec Dieu dans le perfectionnement de la création visible (§§ 375 à 379).
Les Pères n'interprètent pas la Bible en termes de «  sainteté & justice originelle ». Selon eux, l'homme a été créé avec un but précis : la déification, qu'il ne possédait donc pas originellement, pas plus qu'il ne possédait « une nature mortelle » (§1008). « Si le Créateur l'avait fait immortel dès le début, Il l'aurait fait dieu. S'Il l'avait fait Mortel, Il aurait été cause de sa Mort. Ce qu'Adam a perdu par sa désobéissance, Dieu le lui procure par Sa particulière bienveillance » -( in Théophile d'Antioche, Livres à Autolycos, 2, 27 & 2,24)-; L'homme a été créé dans un état intermédiaire, non simplement pour perfectionner la création visible, mais pour se parfaire lui-même en aimant Dieu & le prochain. La chute n'a pas été simplement une perte de la « justice originelle » & des biens du Paradis, mais un détournement du but premier.
Le catéchisme catholique écrit : «  Enfin la conséquence explicitement annoncée pour le cas de la désobéissance se réalisera : l'homme « retournera à la poussière de laquelle il est formé » ( Genèse 3, 19). La Mort fait son entrée dans l'histoire de l'humanité » (§ 400). Que signifie cette formule : «  La conséquence explicitement annoncée »? Comme nous y invitent les notes 1 à 5 de la page 91, rapportons-nous en au concile de Trente : «  Si quelqu'un ne confesse pas que le premier homme Adam, ayant transgressé dans le Paradis le précepte divin,
(p.73)
a perdu aussitôt la sainteté & la justice dans laquelle il avait été établi, & a encouru par cette prévarication coupable la colère & l'indignation de Dieu, & par suite la Mort dont Dieu l'avait auparavant menacé, & avec elle la servitude sous le pouvoir de celui qui, dès lors, eut l'empire de la Mort, c'est-à-dire du Démon, & que, par ce péché, Adam subit une détérioration dans tout son être, corps & âme, qu'il soit anathème » (Session V, canon 1). Malgré le Livre de la Sagesse, qui dit bien que Dieu n'a pas fait la Mort (§ 413), le catéchisme catholique admet cette doctrine anti-patristique de la colère de Dieu, puisque pour lui la Mort est une des « conséquences dramatiques » ( § 399) de la perte de la « justice originelle » ( § 400), comme l'enseignait Augustin : «  La Mort ne peut être une peine légitime qu'autant qu'elle est la conséquence du péché ». -( Opus imperfectum contre Julien, 6, 37)-. Doctrine répétée au § 1008 qui continue d'employer le terme neutre de « conséquence » & au § 602 : «  Les péchés des hommes, consécutifs au péché originel, sont sanctionnés par la Mort ».
Les Pères ont une toute autre vision de la Mort, & des rapports entre Dieu & l'homme. Que Dieu n'ait jamais concidéré l'homme avec colère, c'est évident pour tous, & il suffit de citer la liturgie de Saint Basile, qui, après avoir raconté la désobéissance de l'homme, continue : «  Dieu bon, tu ne t'es pas détourné pour toujours de Ta créature, tu n'as pas abandonné l'oruvre de tes mains, mais de nombreuses manières tu l'as visitée ».
Pour l'esprit purifié des Pères, la Mort n'est pas cette « conséquence dramatique » du catéchisme catholique : «  Dieu n'a pas fait la Mort. C'est nous qui, par nos mauvaises dispositions, l'avons attirée sur nous. Sans doute Dieu n'a pas empêché la dissolution de se produire : en cela son but a été de nous préserver d'une maladie immortelle ». -( Saint Basile, Que Dieu n'est pas l'auteur des maux, 7)-. Dieu a permis la Mort, la séparation de l'âme & du corps, pour que le mal réel, qui est la séparation d'avec Dieu, ne devînt pas immortel.
«  Voilà pourquoi l'homme retourne à la terre en se décomposant, à la façon d'un vase de terre cuite, pour qu'une fois débarrassé de l'impureté qu'il renferme actuellement, il soit restauré par la résurrection dans sa forme primitive » dit Saint Grégoire de Nysse. -( Discours catéchétique, 8, 3. Le même auteur donne cette interprétation des « tuniques de peau » que Dieu donne à Adam & Eve après la chute ( Genèse 3,2) : «  La condition mortelle, jusque là réservée à la nature privée de raison, fut désormais appliquée aux hommes, dans une pensée de sollicitude prévoyante, par le médecin qui soignait notre disposition au mal, sans être destinée par lui à subsister éternellement. En effet, le vêtement fait partie des choses extérieures, qui à l'occasion offrent leur utilité au corps, sans être inhérentes à sa nature » ( ibid, 8,4).
(p.74).
La Mort est pour l'homme un remède. Elle le purifie. En cela, elle vient de la bonté, non de la colère de Dieu. On trouve cette doctrine chez Théophile d'Antioche, -( A Autolycos, 2, 26)-, chez Irénée de Lyon, -(Contre les hérésies, 3, 23, 6)-, chez Méthode -( De resurrectione, 1, 36, 2, & passim), & chez beaucoup d'autres de nos Saints Pères. Tous les fidèles Orthodoxes la connaissent bien, parce qu'elle irrigue d'espérance nos prières : «  Seigneur Notre Dieu, qui dans Ta sagesse ineffable as créé l'homme de la poussière & lui as conféré forme & beauté, Toi qui l'as paré comme un bien céleste & précieux, pour qu'il fît la louange & l'ornement de Ta gloire & de Ta royauté, en le faisant à Ton image & à Ta ressemblance ; puis, lorsqu'il eut transgressé le commandement que Tu lui avais prescrit, & qu'il eut altéré Ton image au lieu de la conserver, pour cette raison, afin que le mal ne devînt pas immortel, Tu as ordonné, dans Ton amour des hommes, cette dissolution, & Tu as voulu que ce lien indicible, ô Dieu des Esprits, soit rompu par Ton décret divin...Oui, Maître Seigneur Dieu, écoute-moi encore à cette heure, moi pécheur & indigne serviteur, & délivre ton serviteur ici présent de cette douleur intolérable, & de l'amère maladie qui le tient, & fais-le reposer là où sont les esprits des justes » -(Extrait de la prière pour les agonisants, qui se trouve dans tous les rituels Orthodoxes)-. Cette espérance donne son vrai sens au « châtiment » subi par Adam pour sa transgression, prouvant que, même lorsque sa créature s'attire sur elle-même un châtiment pour sa faute, Dieu reste plein de tendresse envers elle.


(p.75).


b) La transmission du péché originel.


Le catéchisme catholique demande au §404 « Comment le péché d'Adam est-il devenu le péché de tous ses descendants? » & répond en citant Thomas d'Aquin : «  Tout le genre humain est en Adam «  comme l'unique corps d'un homme unique ». Le péché originel se transmet « par propagation » à toute l'humanité. C'est ce qui fait que les petits enfants ont besoin du baptême « pour la rémission des péchés » (§ 403).
Cette théorie de la transmission du « péché originel » par la génération est incompatible avec la bonté & la justice de Dieu. Jamais les Pères n'ont professé une telle doctrine qui fait naître tous les hommes « dans la faute », passibles de châtiment pour un péché que seul leur ancêtre a commis. « Apprenez ceci, dit Saint Cyrille de Jérusalem : l'âme n'a point péché avant d'entrer dans ce monde. Nous sommes venus sans péché, & c'est par le libre arbitre que nous péchons ». (Catéchèses, 4, 19).
Inventée – le catéchisme catholique dit « précisée » § 406 – par Augustin d'Hippone, la doctrine du péché originel repose essentiellement sur un texte de saint Paul, Romains 5,12, qu'il comprenait ainsi : «  De même que par un seul homme le péché est entré dans le monde, & par le péché la Mort, & qu'ainsi la Mort a passé en tous les hommes, (cet homme) en qui tous ont péché... » C'est ce texte, ainsi traduit & interprété qui sert de justificatif au concile de Trente : «  Si quelqu'un soutient que la prévarication d'Adam n'a été préjudiciable qu'à lui seul, & non pas à sa postérité; & qu'il a perdu pour lui seul, & non pas aussi pour nous, la justice & la sainteté qu'il avait reçues; ou qu'étant souillé lui-même par le péché de désobéissance, il n'a transmis au genre humain que la Mort & autres peines du corps, & non pas le péché, qui est la Mort de l'âme : qu'il soit anathème. Car il contredit ouvertement l'Apôtre disant que le péché est entré dans le monde par un seul homme, & la Mort par le péché, & qu'ainsi la Mort est passée dans tous les hommes, tous ayant péché dans un seul ». ( Concile de Trente, 5ème session, canon 2, auquel renvoie le catéchisme catholique notes 1 & 4 de p.91 & 2 de p.92).
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Il est impossible d'interpréter le texte original grec de l'Apôtre Paul comme l'a fait Augustin & les Pères n'ont jamais donné son interprétation. -( Tous les interprètes le reconnaissent aujourd'hui. A l'article «  Péché originel », le Dictionnaire de théologie catholique, op. cit., col. 308, écrit : «  Les exégètes catholiques les plus autorisés pensent aujourd'hui que « eph'ô » ne peut signifier « dans lequel », mais seulement «  parce que »- « Nous ne faisons pas dire à Paul que tous les hommes ont péché en Adam. La formule peut-être très théologique, & il en fournit quelque part le modèle en disant que « tous meurent en Adam »; mais enfin elle n'est pas de lui & il ne faut pas songer à traduire le texte grec...ni même le latin par « en qui tous ont péché » (F. Prat, La théologie de Saint Paul, 1, 7ème éd., p.258).
Les textes cités § 402, Romains 5, 19 & Romains 5, 12, sont expliqués ainsi par Saint Jean Chrysostome : «  Que veulent dire les mots «  du fait que tous ont péché »? Ils signifient que, par suite de la chute d'Adam, ceux même qui n'ont pas mangé du fruit de l'arbre sont devenus mortels...Le texte «  comme par la désobéissance d'un seul beacoup ont été constitués « pécheurs » soulève une grave question...Que veut dire le mot « pécheurs »? Il me semble devoir être traduit par « condamnés au supplice &à la Mort » ( Homélies sur l'Epître aux Romains, 10, 163). Nous sommes coupables de nos propres péchés, nous péchons comme Adam, mais non pas en lui. Ce qu'Adam a transmis à ses descendants, c'est une faiblesse, une maladie, non une faute; & ce sont les démons qui profitent de cette faiblesse, notre mortalité, pour nous faire pécher. Saint Justin écrit ainsi dans son Dialogue avec Tryphon : «  Jésus a accepté d'être crucifié pour le genre humain qui, à la suite d'Adam, é tait tombé au pouvoir de la Mort & dans l'erreur du serpent, chacun ayant commis le mal par sa propre faute » (88,4). Saint Clément 'Alexandrie dit : «  Nous sommes soumis au péché d'Adam selon la ressemblance du péché » ( Esquisses, sur l'épître de Jude), & : «  Le même séducteur qui a jadis conduit Eve à la Mort y conduit le reste des hommes » ( Cohortation, 1. 7, 6). Saint grégoire de Nazianze parle de la participation à Adam dont nous héritons la Mort ( Discours, 33? 9), non la faute.
Le texte signifie donc : «  Par un seul homme, la Mort est entrée dans le monde, & par le péché la Mort, parce que tous ont péché ». Saint Photios propose cette interprétation, dans la 84ème réponse à Amphiloque, où il écrit : «  Le sens même du passage montre que le « eph'ô » est à prendre au sens causal. Il dit, en effet, qu'Adam ayant péché, puis ayant été condamné à Mort, la race issue de lui fut aussi condamnée à Mort,
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mais non pas pour rien ni pour une raison inconsidérée, mais «  eph'ô pantes hemarton », c'est-à-dire parce que tous ont péché comme leur ancêtre. C'est cela qui leur a fait partager son châtiment, car la communauté d'action les a entraînés dans la communauté de condamnation ». -( Amphilochia 84, PG 101, col. 553-556. Ed. B. Laourdas, L.G. Westerink, Photii...Epistulae et Amphilochia, vol.2, lettre 152, Teubner, Leipzig, 1984)-.
Tout en citant le texte de Saint Paul dans la traduction inspirée de Saint Photios (§402), les auteurs du catéchisme catholique se réfèrent néanmoins au concile de Trente qui, nous l'avons vu, s'appuyait sur un contresens - &c'est le canon cité ci-dessus qu'ils considèrent comme l'exégèse autorisée de ce passage ( note 1 de p.91)! Comprenne qui pourra.
Voici comment s'exprime à ce sujet Saint Cyrille d'Alexandrie : «  Comment « tous ont péché en Adam »? En quoi les péchés de celui-ci nous regardent-ils? Comment nous tous & ceux qui ne sont pas encore nés, avons-nous été condamnés avec lui? Et cela, bien que Dieu ait dit que les pères ne mourraient pas pour leurs enfants, ni les enfants pour leurs pères : « L'âme qui aura péché, c'est elle qui mourra » ( Deutéronome 24,16)? N'est-ce pas l'âme qui a péché qui doit Mourir?...Nous avons encouru la peine d'Adam parce que nous avons tous imité sa transgression en ce sens que tous ont péché...Voici donc comment nous sommes devenus pécheurs à la suite de la faute de notre premier père...Quand il eut désobéi & qu'il fut condamné à la loi de la corruption, les volontés impures entrèrent dans sa nature, & la loi des membres fit son apparition en nous. La maladie du péché s'est emparée de notre nature par suite de la faute d'Adam. Beaucoup sont devenus pécheurs, non parce qu'ils ont péché avec Adam, mais parce qu'ils ont la même nature qu'Adam, c'est-à-dire une nature qui est sous la loi du péché » (Commentaire sur l'épître aux Romains,5).
Tel est l'enseignement de l'Eglise Orthodoxe sur le péché des ancêtres. Ce qu'Adam a transmis à ses descendants, c'est une nature malade & usée, non pas une « absence de justice&& » & une culpabilité méritant une punition. Les offices Orthodoxes témoignent clairement de cette vérité, qui fait partie de la conscience de l'Eglise : «  Tu es notre Dieu qui par l'eau & l'Esprit as renouvelé notre nature usée par le péché »-( Prière pour la bénédiction des eaux, au jour de la Théophanie)-.
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Pourquoi donc les Orthodoxes baptisent-ils les petits enfants? « Alors que beaucoup croient, dit Saint Jean Chrysostome, que le don (du baptême) ne comporte que la rémission des péchés, nous avons compté jusqu'à dix honneurs conférés par lui. C'est pour cette raison que nous baptisons même les petits enfants, bien qu'ils n'aient pas de péchés, pour que leur soit ajouté la justice, la filiation, l'héritage, la Grâce d'être frères & membres du Christ, & de devenir la demeure du Saint-Esprit ». -( Huit catéchèses baptismales, op. cit., 3 ,6)-.
Il faut ici noter une chose digne d'être méditée par tous ceux qui s'intéressent à l'évolution de l'église catholique & au dialogue entre catholiques & Orthodoxes. Selon l'augustinisme le plus strict, on le sait, les âmes des petits enfants Morts sans baptême vont en Enfer. Augustin écrivait, dans sa lettre à Vital, que la Mort de ces petits, survenant quelquefois malgré les efforts & la hâte des parents & du prêtre, manifestait leur réprobation devant Dieu, & en concluait qu'il ne faut pas prendre à la lettre Saint Paul quand il dit que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés (1 Tim.2,4). «  Plusieurs hommes sont damnés, écrit Augustin, Dieu le voulant, les hommes ne le voulant pas ». Ce blasphème augustinien, réfuté par Saint Fauste de Riez -(dans son traité De la Grâce de Dieu & du libre-arbitre, 1, 13, éd. Engelbrecht, Leipzig 1891, p.56 : «  Tu dis : s'il n'y a pas de prédestination, pourquoi, parmi les enfants, les uns sont-ils baptisés, les autres emportés sans avoir reçu la sanctification du baptême. Ruse de serpent!...Tu proposes une dispute sur le libre-arbître, puis, tombant dans une erreur fatale, tu tires argument de l'état d'enfance, où ne se voit pas la moindre trace de libre-arbître, ni le plus petit soupçon de volonté propre »-, mais renforcé par Fulgence de Ruspe -( Au Vième siècle, dans son De veritate praedestinationis et gratiae Dei, il écrit que les enfants Morts sans baptême sont condamnés au « feu de la géhenne, aux peines infinies du feu éternel » ( 1, 11, 31, PL 65, 619 & Ep. 17, 28, col.469, cité par Dictionnaire de théologie catholique, op. cit., art. Péché originel, col. 408). Augustin a hésité sur le point de savoir quelle peine attendait les petits enfants : voir Dictionnaire apologétique de la foi catholique, Paris 1913-1931, art. Prédestination, col.265)-, est, en quelque sorte, la source empoisonnée à laquelle a bu la conscience religieuse occidentale. Or, lorsqu'il s'est agi, à Lyon en 1274,
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de « réunir les Grecs » à l'église latine, c'est l'augustinisme sous cette forme radicale que l'on a fait contresigner à l'empereur Michel VIII qui cherchait l'union avec le pape : «  Les âmes de ceux qui Meurent en état de péché mortel ou avec le seul péché originel, descendent imméditament en Enfer, pour y être toutefois punies de peines inégales » ( 4ème session, Confession de Michel Paléologue). Et au concile de Florence, en 1439, la doctrine est répétée mot pour mot dans la bulle d'union. On sait que ce concile a été rejeté, comme celui de Lyon, par l'Eglise Orthodoxe, mais qu'il forme un concile oecuménique de l'église catholique. C'est pourquoi cette doctrine paraissait obligatoire à beaucoup de catholiques logiques, comme Petau, Bellarmin, Bossuet, etc. Ce dernier dénonça au pape Innocent XII un livre du cardinal Célestin Sfondrate, « le noeud de la prédestination dénoué », parce que l'auteur y envisageait la possibilité d'un certain bonheur pour les enfants Morts sans baptême. -( Sur Petau, Bellarmin, & Bossuet, voir Dictionnaire de théologie catholique, art. Prédestination, col. 552-554)-.
Cependant, le faux ne peut pas satisfaire. Epouvantés des conséquences de leur propre doctrine, les occidentaux l'ont atténuée par l'invention des limbes. Dans les limbes, les enfants ne voient pas Dieu ( c'est la peine du dam, la privation), mais ils ne souffrent aucunement ( ils n'ont pas la peine du feu). Voir Dante, in La divine comédie. Pie VI a donné du crédit à la thèse des limbes en condamnant le concile de Pistoie. -( Constitution Auctorem fidei de 1794. Ce pape condamne la condamnation des limbes faite par ce synode de tendance augustinienne radicale ( erreur n°26). Donc il laisse entendre qu'il accepte les limbes)-. La doctrine officielle de l'église catholique tient donc dans les deux propositions suivantes : 1. «  Il est certain que ces enfants n'ont aucun droit à l'héritage du royaume céleste, autrement dit à la vision de Dieu ». Mais 2. «  Il est vraisemblable qu'en outre de la peine du dam ( privation de la vue de Dieu), ces enfants ne souffrent aucune peine sensible ». -(A. d'Alès, Dictionnaire apologétique de la foi catholique, op. cit., t.4, art. Prédestination, col.264-265)-.
Cette doctrine parait-elle même rude à la conscience moderne, aussi le catéchisme catholique l'atténue-t-il encore : «  La grande miséricorde de Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés, & la tendresse de Jésus envers les enfants,
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qui Lui a fait dire : «  Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas » ( Marc 10, 14), nous permettent d'espérer qu'il y ait un chemin de salut pour les enfants Morts sans baptême » (§1261).
Que prouve cette évolution de l'église catholique, dont on ne peut que se réjouir? Premièrement, que cette église a été dans l'erreur pendant plusieurs siècles, & qu'elle n'est donc pas l'Eglise. Deuxièmement, que pour se rapprocher des Orthodoxes, il suffit aux catholiques de revenir à leur ancienne doctrine. Que doit faire, en effet, le catholique cohérent qui accepte le catéchisme catholique? Il doit condamner les propositions contraires de Lyon & de Florence, & rejoindre l'Eglise Orthodoxe qui a gardé la vraie attitude sur le point dont nous parlons. Il retrouvera la foi ancienne, cette «  croyance moins sévère (qui) préexistait à celle d'Augustin, & n'a jamais disparu de l'Eglise » -( A. d'Alès, op. cit, col.266)-. On pourrait citer, à l'appui de cette affirmation, plusieurs textes des Pères. -( Saint Grégoire de Nysse ne distingue même pas entre enfants baptisés & enfants non baptisés dans son livre « Sur les enfants Morts prématurément ». Tous les enfants peuvent jouir de la connaissance & de la participation de Dieu ( PG 46, 168-9 & 177-9). Saint Grégoire de Naziance dit que les enfants qui Meurent sans le sceau du baptême « ne seront ni châtiés, ni récompensés par le juste Juge », car dans leur impuissance à faire le bien comme à faire le mal, ils ne sont dignes nid'honneur, ni de déshonneur. ( Discours 11, 23, PG 36, col.389). Toutefois, il faut noter que l'Eglise Orthodoxe n'a jamais voulu dogmatiser sur des points que l'Evangile ne nous révèle pas)-. Cependant, il n'est pas nécessaire de citer les Pères : en ce domaine, les pierres crient, surtout l'inscription tombale du petit Théodose, qui prouve qu'au Vème siècle après Jésus Christ, les Chrétiens étaient encore loin d'Augustin :
Ce gracieux enfant muni du signe de la croix
dont l'innocence n'était souillée d'aucun péché
l'enfant Théodose que ses parents, d'un coeur pur,
désiraient plonger dans la source du saint baptême
Mort l'insatiable l'a ravi; mais le Maître du Ciel suprême
accordera le repos à ses membres où le noble signe
de la croix a été apposé &il sera appelé héritier du Christ.
(p.81).
-(Cf Diehl, Inscriptiones latinae christinae veteres, n°1512, inscription gallo-romaine de la Cayole, qui existe aujourd'hui au musée de Brignoles, citée par Jean Delumeau, Le péché & la peur, Paris, 1983, p.314)-.


3.La satisfaction.


A la suite d'Augustin, d'Anselme, & de Thomas d'Aquin, l'église catholique a éléboré la doctrine de la « satisfaction vicaire » : Dieu, dont l'honneur a été lésé par le péché originel, attend de l'homme une satisfaction, que seule lui apporte la Mort de Son Fils sur la Croix. Thomas d'Aquin, dans la continuité de la lecture d'Anselme de Cantorbéry, «  Pourquoi Dieu s'est fait homme », explique que l'offense faite à un Dieu infini exigeait une satisfaction infinie. -( Thomas d'Aquin, Somme théologique, III a, q.1 a 2 ad 2m, & q.48.)- Et Léon XIII, dans son Encyclique « Tamestsi Futura » résuma toute la doctrine : «  Quand fut accompli le Temps marqué dans le conseil divin, le Fils de Dieu fait homme, offrit pour les hommes à la majesté offensée de son Père, la satisfaction surabondante & très précieuse de son sang, & rachetant d'un si grand prix le genre humain, le réclama comme sien » -( Leonis XIIIpontificis maximi acta, 20, p.298, Rome, 1901. Cité par A. d'Alès, art. Rédemption, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, art. Rédemption, col.557)-. Le catéchisme catholique reprend cette doctrine, § 615 : «  Jésus a réparé pour nos fautes & satisfait au Père pour nos péchés » ( citation du concile de Trente) & §§ 616-617.
Pour les Orthodoxes, le Père n'était point irrité -( La dogmatique augustinienne prend au pied de la lettre les expressions métaphoriques de la « colère » de Dieu)- & n'exigeait point de satisfaction. C'est nous qui avions besoin de réconciliation, car c'est l'homme qui s'est éloigné de Dieu. Le Seigneur est descendu battre le Diable, fouler la Mort aux pieds, prendre sur ses épaules la brebis égarée de l'humanité, & nous ramener au Père & à Sa volonté. Il n'est pas venu «  satisfaire au Père pour nos péchés ». Comme le dit Saint Grégoire le Théologien : «  N'est-il pas évident que le Père accepte le sacrifice non parce qu'Il l'exigeait ou en éprouvait quelque besoin, mais par économie :
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il fallait que l'homme fût sanctifié par l'humanité de Dieu, il fallait que Lui-même, Il nous libérât en triomphant du tyran par Sa propre force, qu'Il nous rappelât vers Lui par Son Fils qui est le Médiateur accomplissant tout pour l'honneur du Père, auquel Il est obéissant en tout ...Que le reste soit vénéré par le silence... » -( in Saint Grégoire de Naziance, Homélie sur la Pâque, 45, 22, PG 36, 653 AB)-.
Le Seigneur Incarné s'est offert en rançon pour tous. Le Diable accepta d'échanger le genre humain contre l'être extraordianire qu'il avait vu faire tant de miracles, mais il se brisa sur la divinité du Christ qu'il n'avait pas vue sous la chair. Le Diable n'a pas été trompé par Dieu : il s'est trompé lui-même : «  L'auteur du mal se croyait invincible parce qu'il nous avait trompés en se servant comme d'un appât de la promesse de la divinité. A son tour, il est pris au piège par l'apparence de la chair, car en se précipitant sur cet Adam, il est tombé sur Dieu ». -( Saint Grégoire de Naziance, Discours, 39, 13)-. Cet enseignement se trouve chez Saint Grégoire de Nysse, -( Grande Catéchèse, 24-26)-, Saint Ambroise -( Commentaire sur Luc, 4, 11-12)-, Saint Grégoire le Grand : «  Notre Seigneur, venant pour la rédemption du genre humain, se fit lui-même une sorte d'hameçon pour tuer le Diable...Il ( Béhémoth, le Diable) fut pris à l'hameçon de l'Incarnation parce que, en se précipitant sur l'appât du corps, il fut percé par l'aiguillon de la divinité » -( Morales sur Job, 33)-, & chez beauxoup d'autres de nos Saints Pères.
La doctrine de la satisfaction apparaît donc comme une réduction rationaliste & juridique du mystère de la rédemption. Comme l'ancien paganisme, elle admet un Dieu irrité & vengeur, & il faut la condamner si l'on veut avoir des opinions vraies sur Dieu & agir en conséquence. Le serviteur qui imaginait son maître comme un homme dur s'en alla cacher son talent.


(p.83).
4.La prédestination.


Selon l'Ecriture & selon les Pères, l'homme a été créé libre, capable de collaborer à l'oeuvre divine, & ainsi de participer à son Salut. Les Pères distinguent ainsi l'énergie créatrice de Dieu de son énergie salvifique. Car nous sommes créés indépendamment de notre volonté, mais nous ne pouvons être sauvés sans y consentir. La seule chose que l'homme puisse, avec tous ses efforts, apporter à Dieu, c'est son consentement, son action de grâces. Dieu sauve l'homme par sa Grâce, mais Il respecte absolument la liberté de celui qui la refuse. Il est une chose que Dieu tout-puissant ne peut pas faire : s'unir à celui qui est impur, tant qu'il n'a pas fait pénitence. Toute l'ascèse, toutes les prières, ont pour but de préparer le Chrétien à recevoir la Grâce divine.
Contre cette doctrine de la coopération de la volonté divine & de la volonté humaine dans l'oeuvre du Salut, Pélage a soutenu que l'homme pouvait se sauver par sa seule ascèse. Pour lutter contre Pélage, Augustin d'Hippone, d'abord partisan de la doctrine traditionnelle des Pères, a élaboré l'idée que Dieu fait tout dans l'oeuvre du Salut, que la Grâce meut entièrement la volonté. Cette doctrine implique que personne n'est responsable de son sort final, & que Dieu décide arbitrairement, par sa simple volonté, du Salut des uns & de la perte des autres.
La doctrine que le catéchisme catholique présente sur cette question, bien que d'une façon suffisamment vague pour qu'elle soit acceptable pour les hommes d'aujourd'hui, est celle d'Augustin d'Hippone & de Thomas d'Aquin auxquels les notes ne cessent de renvoyer les lecteurs. Certes, peu d'entre eux iront regarder ce que ces auteurs ont réellement dogmatisé. On s'étonnera donc du grand flou dogmatique qui entoure les questions de la liberté & de la Grâce, de la prédestination des élus ' dont il est très vaguement fait mention, §§1037 & 2005) & de la préscience des mérites, toutes questions qui furent pourtant au coeur des plus grandes controverses à l'intérieur même de l'église catholique, notamment au XVIIème siècle, comme l'ont rappelé récemment les travaux du regretté Père Patric Ranson -(Cf : Patric Ranson, Richard Simon ou du caractère illégitime de l'augustinisme en théologie, coll. La Lumière du Thabor, Lausanne, Ed. L'Age d'Homme, 1990)-.
(p.84).
Ne pouvant entrer dans l 'analyse approfondie de chacun de ces points, nous nous en tiendrons à la question de la liberté & de la Grâce. La conséquence majeure de la chute, d'après Augustin, c'est que la volonté humaine ne peut plus coopérer à la volonté divine. Toute l'humanité est donc devenue une massa damnata, masse damnée justement, d'où la seule bonté de Dieu va tirer les élus, « utilisant bien même les maux, pour la damnation de ceux qu'Il a justement prédestinés au châtiment & pour le Salut de ceux qu'Il a tendrement prédestinés à la grâce » -( Enchiridion, 26, PL 40, 279)-. Le Salut ne dépend plus, comme l'enseignait l'ensemble des Pères, de notre libre-arbitre, mais seulement de l'élection divine qui prédestine les âmes de façon aussi infaillible qu'arbitraire : «  Depuis la chute de l'homme, au contraire, Dieu veut que ce soit à Sa grâce seule qu'il doive de ne pas Le quitter ». -( Ibid, 7,13)-.
Cette doctrine de la prédestination a soulevé de très vives critiques dès l'époque d'Augustin aussi bien chez les Moines d'Afrique du Nord que parmi ceux de Provence, & notamment Saint Jean Cassien, disciple des Pères du désert d'Egypte & Diacre de Saint Jean Chrysostome ( Conférences, 13). Les scolastiques élaboreront des solutions diverses – distinction entre prédestination & réprobation, etc.- sans pouvoir jamais résoudre la difficulté fondamentale de cette doctrine qui, attribuant le tout du bien à Dieu, lui impute tout le mal. «  Mais pourquoi a-t-Il élu ceux-ci dans la gloire, & réprouvé ceux-là. La seule cause en est la volonté divine...de même qu'il dépend de la simple volonté du maçon que cette pierre-ci soit à tel endroit du mur, & celle-là à un autre » -( Thomas d'Aquin, Somme théologique, Ia, q.23, a.5, ad 3m)-. La prédestination fera encore au XVIIème siècle l'objet d'innombrables controverses aussi bien dans le monde catholique, entre jésuites & jansénistes notamment, que dans le monde protestant ( au sein des divers courants calvinistes & luthériens, sociniens & arminiens, etc.). La redécouverte des Pères de l'Eglise, dans la théologie positive du Grand Siècle, eut pour effet
(p.85)
de révéler l'opposition de la doctrine des Pères, aussi bien d'Orient que d'Occident, à l'enseignement novateur de l'évêque d'Hippone.
La doctrine du catéchisme catholique frappe par son manque de rigueur sur ces questions théologiques fondamentales. Elle affirme tout à la fois que « La préparation de l'homme à l'accueil de la grâce est déjà une oeuvre de la grâce. Celle-ci est nécessaire pour susciter & soutenir notre collaboration » (§2001) & que « La libre initiative de Dieu réclame la libre réponse de l'homme » (§2002). Ces formulations sont susceptibles d'une interprétation aussi bien Orthodoxe (« synergie » entre la volonté divine & la volonté humaine dans la recherche du Salut) que strictement augustinienne ( surdétermination de la volonté humaine par la volonté arbitraire & toute-puissante de Dieu dans la prédestination des élus). Nous ne savons guère sur quel pied danser, puisque les deux doctrines sont tour à tour soutenues : «  l'homme est raisonnable, & par là semblable à Dieu, créé libre & maître de ses actes » (Saint Irénée, cité par le §1730); mais « Il (Dieu) commence en faisant en sorte, par Son opération, que nous voulions : Il achève, en coopérant avec nos vouloirs déjà convertis » (Augustin, cité par le §2001). Et encore : «  Dieu nous a créés sans nous, Il n'a pas voulu nous sauver sans nous » (Augustin, §1847); mais « l'initiative divine dans l'oeuvre de la grâce prévient, prépare & suscite la libre réponse de l'homme » (§2022). Dans ces passages, le nom de la liberté se vide de sens.
«  L'action paternelle de Dieu est première par son impulsion, & le libre agir de l'homme est second en sa collaboration, de sorte que les mérites des oeuvres bonnes doivent être attribués à la grâce de Dieu d'abord, au fidèle ensuite. Le mérite de l'homme revient, d'ailleurs, lui-même à Dieu, car ses bonnes actions procèdent dans le Christ, des prévenances & des secours de l'Esprit Saint » (§2008). Les mérites sont donc attribuables a) à la grâce b) à l'homme, mais le mérite de ces mérites dans le cas b revient lui-même à Dieu (cf. §§2011, 2025).
Pour éviter toute vaine polémique, nous demanderons simplement dans quel sens le catéchisme catholique emploie le mot de coopération & de collaboration. « On peut dire qu'une chose coopère avec une autre de deux manières, dit Thomas d'Aquin dans son Contra Errores Graecorum. La première, en travaillant au même but, mais par un autre moyen, comme le serviteur avec son maître, en obéissant à ses ordres, & comme l'instrument entre les mains de l'ouvrier.
(p.86).
D'une autre façon, en tant que faisant la même oeuvre avec lui, comme font deux hommes qui portent ensemble un fardeau, ou plusieurs qui remorquent un navire. On peut dire que la créature coopère avec le créateur, de la première manière, par rapport à quelques effets qui sont produits par le moyen de la créature, mais non quant à ceux qui appartiennent immédiatement à Dieu, comme la création & la sanctification. Mais selon la seconde manière, la créature ne coopère pas avec le créateur... » (chap.24). Si l'on entend collaboration dans le premier sens, l'on est augustinien. Si on l'entend de la seconde manière, qui est Orthodoxe, on doit renoncer nettement à la dogmatique thomiste qui a été & qui reste celle de l'église catholique.
L'effort du catéchisme catholique pour dissimuler la terminologie augustinienne & tridentine est notable – la colère & l'indignation de Dieu n'apparaissent plus qu'en filigrane. Toutefois, si le « retour aux Pères «  doit être effectif, il faut rejeter clairement le concile de Trente & l'oeuvre d'Augustin d'Hippone. Certains théologiens Orthodoxes font même de ce rejet la base & la condition de tout dialogue Orient-Occident. En tout cas, celui qui l'accomplit, revient à la doctrine des Pères apostoliques & des anciens docteurs de l'Eglise. Il se trouve dès lors en accord avec l'Eglise Orthodoxe, sans avoir besoin de créer une unité artificielle en composant des formules ambiguës & à long terme insatisfaisantes pour tout le monde.


5.L'Immaculée Conception
& l'Assomption de la Mère de Dieu.


Ces deux dogmes récents – la Conception Immaculée proclamée en 1854, l'Assomption en 1950 – sont les rejetons de la doctrine du péché originel & de celle de la prédestination.
Le § 491 énonce le dogme de la conception sans péché : «  La bienheureuse Vierge Marie a été, au premier instant de sa conception, par une grâce & une faveur singulière du Dieu Tout-Puissant, en vue des mérites de Jésus Christ Sauveur du genre humain, préservée intacte de toute souillure du péché originel ».
Comme W. Guettée l'a montré, -( cf Wladimir Guettée, De la papauté, ed. L'Age d'Homme)-, cette doctrine a contre elle tous les Pères de l'Eglise, qui déclarent que seul notre Seigneur Jésus Christ a été conçu sans le péché des ancêtres. Saint Léon le Grand, par exemple, disait souvent : «  Jésus-Christ,
(p.87)
seul entre tous les enfants des hommes, a conservé son innocence en naissant, parce que lui seul a été conçu sans concupiscence charnelle ». -( Sermon 1, 2, 5, Sur la Nativité du Seigneur. Cité par W. Guettée, De la papauté, op. cit., p.228, extrait de Le nouveau dogme en présence de l'Ecriture Sainte & de la Tradition catholique, ou Lettre à Mgr Malou, Paris, 1859)-. Saint Grégoire le Grand : «  Celui-là seul est véritablement Saint qui, pour vaincre la nature corrompue, n'a pas été conçu par la voie ordinaire » -( Morales sur Job, 18)-.
Supprimant toute liberté de dire non, l'Immaculée Conception ôte aussi touta valeur au oui de la Mère de Dieu : « Cette « sainteté absolument unique » dont elle est « enrichie dès le premier instant de sa conception » lui vient tout entière du Christ : elle est « rachetée de façon éminente en considération des mérites de son Fils ». (§§ 148 968) est totalement conditionnée par la grâce (§ 490 : «  Pour être la Mère du Sauveur, Marie « fut pourvue par Dieu de dons à la mesure d'une si grande tâche ». L'Ange Gabriel, au moment de l'Annonciation la salue comme « pleine de grâce ». En effet, pour pouvoir donner l'assentiment libre de sa foi à l'annonce de sa vocation, il fallait qu'elle fût toute portée par la grâce de Dieu »)-.
D'autre part, puisque la Mort est entrée dans le monde par le péché, selon Saint Paul dans l'épître aux Romains, si la Mère de Dieu était sans le péché originel, comment a-t-elle pu Mourir? -(comme l'attestent les paroles des Pères & les chants des Offices de l'Eglise)-. Dire qu'elle est Morte volontairement serait faire d'elle un second Sauveur. D'où le dogme de l'Assomption, qui insinue l'idée que la Mère de Dieu serait montée de la terre au Ciel avec son corps sans passer par la Mort : « Il (le prince de ce monde) se lance à la poursuite de la Femme », mais il n'a pas de prise sur elle : la nouvelle Eve « pleine de grâce » de l'Esprit Saint, est libérée du péché & de la corruption de la Mort ( Conception immaculée & Assomption de la très Sainte Mère de Dieu, Marie, toujours vierge) » (§ 2853).
La Mère de Dieu est-elle Morte & ressuscitée, comme l'enseigne la Tradition que l'Eglise Orthodoxe conserve fidèlement, ou est-elle montée directement au Ciel, comme le voudraient les partisans de l'Assomption?
(p.88).
Pie XII n'a pas tranché entre les deux opinions puisque l'expression « élevée corps & âme à la gloire du Ciel » (§966) peut s'appliquer aussi bien à l'une qu'à l'autre. Néanmoins le catéchisme catholique semble comprendre à la manière Orthodoxe, puisqu'il parle de résurrection & cite le tropaire de la Dormition de la Mère de Dieu (§ 966). Il donne moins des définitions de foi que des définitions bifides. Complétons en citant cet autre chant de la fête de la Dormition, que tous les Orthodoxes savent par coeur : «  Apôtres rassemblés ici, des confins de la terre, au village de Gethsémani, ensevelissez mon corps. Et toi, mon Fils et mon Dieu, reçois mon esprit ».
Enfin, le catéchisme catholique cite les Pères de la Tradition orientale à propos de l'Immaculée Conception, comme pour les appeler à témoigner en faveur de l'innovation : «  Les Pères de la Tradition orientale appellent la Mère de Dieu « la Toute Sainte » (Panaghia); ils la célèbrent comme « indemne de toute tache de péché, ayant été pétrie par l'Esprit Saint, & formée comme une nouvelle créature ». Par la grâce de Dieu, Marie est restée pure de tout péché personnel tout au long de sa vie » (§ 493).
A propos de cet appel aux « Pères de la Tradition orientale », il faut noter deux choses :
a) Il n'y a pas de « Pères de la Tradition orientale »; il n'y a que des Pères de l'Eglise, qui est aussi bien de l'Orient que de l'Occident, du Nord & du Midi. Tous les Pères, qu'ils soient latinophones comme Saint Ambroise, Saint Hilaire ou Saint Jérôme, hellénophones comme Saint Irénée, Saint Basile ou Saint Jean Chrysostome, coptophones, arabophones, ou de toute autre langue, n'ont parlé qu'un même langage de la foi. -( Les innovations propres à Augustin ont entraîné l'Occident dans une voie différente de celle que tous avaient suivie jusque-là, lorsque cet auteur a été considéré comme le sommet des Pères, & le critère de l'intereprétation de tous les autres.)-.
b) Dès le XIXème siècle, certains catholiques eux-mêmes avaient dénoncé comme erroné le recours aux Pères pour justifier le nouveau dogme de l'Immaculée Conception. Les louanges données à Marie ne vont pas dans ce sens. Certes Marie a été pétrie par l'Esprit Saint comme une nouvelle créature, purifiée dès le sein de sa mère; mais ces expressions ne remettent pas en cause l'affirmation constante des Pères,
(p.89)
selon laquelle seul le Seigneur a été conçu sans péché. « Parmi tous ceux qui sont nés des femmes, dit Saint Ambroise, il n'y a de parfaitement Saint que le Seigneur Jésus : lui seul, par la manière ineffable dont Il a été conçu, & la puissance infinie de la divine Majesté, n'a point éprouvé la contagion du vice qui corrompt la nature humaine. » ( Sur Luc, 2, 55).
Que la Mère de Dieu ait été sans péché personnel, c'est une chose que les Orthodoxes confessent. Par contre, ils ne la disent pas préservée du péché originel, mais victorieuse du péché. La place unique de Marie ne tient pas à une exemption miraculeuse, mais à sa victoire hors du commun. Le pélagien annule, au nom de la liberté individuelle, la solidarité des hommes dans la nature héritée d'Adam. L'augustinien annule, au nom de cette solidarité naturelle, la liberté de décision personnelle. L'Orthodoxie maintient les deux principes : et solidarité et liberté. Dès lors, la Mère de Dieu n'est plus sauvée du péché commun par un deus ex machina, le dogme spécial de l'Immaculée Conception. Alors que le péché avait proliféré, & que la solidarité de tous les hommes dans la nature déchue d'Adam rendait la victoire presque impossible, la liberté de chacun subsistait, & les potentialités de la nature humaine étaient restées intactes. C'est en faisant, de ces potentialités, un usage agréable à Dieu, que la Mère de Dieu a triomphé du péché. Voici comment Nicolas Cabasilas, récapitulant ce que les Pères ont dit, explique l'inexplicable miracle : «  Il faut bien admettre que le pouvoir de lutter contre le péché a été déposé dans la nature humaine...Mais personne n'a mis en oeuvre le pouvoir de lutter contre le péché...& la maladie inaugurée par le premier des hommes & partagée par tous régna sur tous...Mais la Vierge très-pure, sans avoir le Ciel pour cité – car elle ne provenait pas des corps célestes mais de la terre, de la manière qui nous est commune à tous en cette race déchue oublieuse de sa propre nature – seule parmi les hommes a tenu, du début jusqu'à la fin, contre toute méchanceté. Seule elle a rendu à Dieu intacte la beauté qu'Il nous avait donnée, seule elle a usé de toute la puissance & de toutes les armes qu'Il nous avait remises...D'où la Vierge tint-elle donc sa victoire?...Dieu ne l'avait pas préparée particulièrement pour cette sagesse, pas plus qu'en lui offrant autant qu'aux autres Il ne l'avait jugée digne d'une assistance plus grande; c'est seulement en usant d'elle-même & des moyens communs donnés à tous pour la vertu qu'elle a remporté cette victoire inouïe & au-dessus de la nature. » -( Nicolas Cabasilas, La Mère de Dieu, «  Homélie sur la glorieuse Nativité de la Très Sainte Mère de Dieu », Lausanne, 1992, p.36-37)-.
(p.90).


6.La présence du Christ après son Ascension.

Les §§ 659 & 665 parlent ainsi de l'Ascension : «  L'ascension du Christ marque l'enytée définitive de l'humanité de Jésus dans le domaine céleste de Dieu d'où Il reviendra, mais qui entre-temps Le cache aux yeux des hommes (Cf. Col,3,3) ». «  Ce n'est que d'une manière tout-à-fait exceptionnelle & unique qu'Il se montrera à Paul « comme à l'avorton » (1 Co. 15, 8) en une dernière apparition qui le constitue Apôtre ».
Ainsi donc, le Christ resterait désormais invisible, sauf le cas exceptionnel de l'apparition à Paul. Cette doctrine contredit :
a) l'Evangile : «  Encore un peu & le monde ne me verra plus, mais vous me verrez, parce que je vis & que vous vivez...Un peu de temps & vous ne me verrez pas, & encore un peu de temps & vous me verrez de nouveau, parce que je vais au Père ». (Jn 14, 19 & 16,16). Promesse accomplie, selon les Pères, le jour de la Pentecôte, où le Saint Esprit survenat, le Christ s'est manifesté à Ses disciples pour faire d'eux Sa demeure & être toujours avec eux. (Jn 14-16, passim).
b) l'expérience & l'enseignement constants de l'Eglise. Tous les Saints sont Saints parce qu'ils ont vu le Christ.
c)le texte cité en référence Col.3,3, qui dit ceci : «  Car vous êtes Morts, & votre vie est cachée avec Jésus Christ en Dieu ». L'Apôtre vient de dire : «  Cherchez les choses d'en-haut, là où est le Christ siégeant à la droite de Dieu. Songez aux choses d'en-haut, non à celles de la terre ». Saint Jean Chrysostome commente : « Perçant à travers les anges, les archanges, les trônes, les seigneuries, les principautés, les pouvoirs, toutes les puissances invisibles, les chérubim & les séraphim, Il fixe la pensée des fidèles devant le trône même du Roi, & par son enseignement, Il persuade ceux qui sont en chemin sur la terre de s'affranchir des liens du corps, de prendre leur vol, & de se tenir par la pensée devant le Seigneur même de l'univers. -( Huit catéchèses baptismales, op. cit., 8, 20)-.
(p.91).
C'est aux yeux des hommes imparfaits que le Christ reste caché (cf. Col.1, 28). Le kondak -(hymne chanté originellement dans l'Eglise, le kondak est maintenant réduit à un court morceau, qu'on chante aux Matines & qui résume le sens de la Fête)- de la fête de l'Ascension résume ce sens :
« Ayant accompli l'économie de notre Salut & uni la terre au Ciel, Tu es monté en Gloire, Christ notre Dieu. Tu ne T'es pas séparé de ceux qui T'aiment auxquels Tu cries : Je suis avec vous, & nul ne peut rien contre vous! ».


7.Le Sacré-Coeur.


L'adoration du Sacré-Coeur est opposée à l'enseignement des Conciles Oecuméniques, qui ont établi, conformément à la Tradition ancienne & apostolique de l'Eglise, que le Verbe de Dieu fait chair devait être adoré d'une seule adoration : «  Si quelqu'un dit que le Christ est adoré en deux natures, d'où suivent deux adorations, l'une propre à Dieu le Verbe, l'autre propre à l'homme; ou si quelqu'un, supprimant la chair ou mêlant la divinité à l'humanité, forge une nature ou une essence unique des deux qui se sont rencontéres, & adore iansi le Christ, au lieu d'adorer d'une seule adoration Dieu le Verbe incarné avec Sa propre chair comme l'Eglise de Dieu l'a reçu depuis le commencement – qu'il soit anathème » (Vème Concile oecuménique).
La doctrine du Sacré-Coeur tombe sous le coup de cette condamnation parce qu'elle introduit le culte d'une partie du Corps de Jésus-Christ. «  Les cordicoles, écrit W. Guettée, cherchent à échapper à cette condamnation, en prétendant que leur adoration ne s'adresse au coeur qu'à cause de l'union hypostatique de l'humanité avec la divinité. Nestorius avait recours au même subterfuge, comme le lui reprochait Théodote d'Ancyre en plein Concile d'Ephèse, mais ce subterfuge n'empêcha pas les Pères de condamner ses erreurs, car il n'y avait recours que pour dissimuler la division qu'il établissait dans la personne unique du Verbe incarné ». -( De la papauté, op. cit. p.256)-.
(p.92).
Or Pie XII a dit, dans son Encyclique Haurietis aquas du 15 mai 1956 : «  On sait que la cause pour laquelle l'église a attribué un culte de latrie -( Le culte de latrie, ou adoration proprement dite, est celui qui convient à Dieu seul, par opposition au culte des Saints & des choses sacrées, dit culte relatif ou culte de doulie. Pour être juste, notons que l'Encyclique en question ne réclame pas un culte de latrie pour le coeur de la Vierge Marie, tout en recommandant d'associer le culte du Coeur de la Mère de Dieu à celui du Coeur de Jésus-) au coeur du Divin Rédempteur esr double : l'une, qui s'applique aussi aux autres membres sacro-saints du corps de Jésus-Christ, se fonde sur le principe, selon lequel nous savons que Son Coeur, comme partie la plus noble de la nature humaine, est joint hypostatiquement à la personne du Verbe divin; & c'est pourquoi il faut lui attribuer le même culte d'adoration dont l'Eglise honore la personne du Fils de Dieu incarné lui-même... » Le catéchisme catholique ne reprend cette raison que sous la forme du titre du § 478 : «  Le Coeur du Verbe incarné ».
La seconde raison est reprise littéralement par le catéchisme catholique : «  Le Coeur sacré de jésus, transpercé par nos péchés & pour notre Salut (cf. Jn 19, 34), « est considéré comme le signe & le symbole éminents...de cet amour que le divin Rédempteur porte sans cesse au Père éternel & à tous les hommes sans exception » (§ 478). Les Pères n'ont jamais parlé ainsi. L'Amour du Christ vivait en eux. Qu'auraient-ils fait d'un symbole?
« De même qu'Eve a été formée du côté d'Adam endormi, ainsi l'église est née du coeur transpercé du Christ Mort sur la Croix (cf. Saint Ambroise, Luc 2, 85-89) » (§ 766). Saint Ambroise, dans le passage cité, comme Saint Jean, parle du côté percé du Christ, non du coeur.
«  La prière de l'église vénère & honore le coeur de Jésus, comme elle invoque Son très Saint Nom. Elle adore le Verbe incarné & Son Coeur qui, par amour des hommes, s'est laissé transpercer par nos péchés » ( § 2669). Ici le Coeur est même personnifié, puisqu'il « se laisse transpercer par nos péchés ». Le catéchisme catholique va plus loin encore que Pie XII dans la division de la Personne du Christ. Est-ce là ce qu'il convient de nommer un «  développement dogmatique »?
(p.93).
Pourquoi fonder un culte si évidemment contraire à tout ce qu'enseignent l'histoire & la Tradition de l'Eglise? Ne serait-ce pas qu'après avoir séparé les fidèles, par toutes sortes de faux dogmes, de la Grâce incréée de Dieu & de la communion vivante avec le Fils & l'Esprit, l'église catholique a dû admettre un nombre croisant d'intermédiaires créés, substituts de Celui qui leur manque, mais auquel leur coeur continue d'aspirer?




CHAPITRE V.


LA VIE SPIRITUELLE.


(p.94).
Un auteur contemporain a très bien défini ce que les Chrétiens Orthodoxes entendent par les mots de Vie Spirituelle. Commentant le titre du livre célèbre de Nicolas Cabasilas, La Vie en Christ -( PG 150, 493-725; & coll. Sources Chrétiennes, n° 355, Paris, 1989)-, le Saint Père Ambroise Fontrier écrivait : «  La Vie Spirituelle est, pour Cabasilas, notre Vie en Christ, autrement dit la Vie même du Christ, la Vie de Sa chair spirituelle, qui est aussi la Vie du Saint Esprit & qui se manifeste comme Amour. Cette Vie est la seule Vraie, la seule Authentique. Elle n'existe & n'est offerte qu'en Christ seulement, dans le Corps du Christ qui est l'Eglise. Aussi le Mystère de l'Eglise est-il le Mystère même du Christ, manifesté, étendu, perpétué dans le temps, & réalisé dans les offices & les sacrements. Ce Mystère, est en son essence l'Union la plus profonde, le Mariage de Dieu & de la créature, le « Mélange » sans confusion, mais total & parfait, du créé & de l'incréé ».
La Vie Spirituelle, la Vie en Christ est naturellement fondée sur la Foy. «  Le fondement de la piété, dit Saint Jean Chrysostome aux catéchumènes, est la Foy »; ce n'est qu'une fois ce fondement posé qu'on peut « en sûreté élever tout l'édifice » -(Huit catéchèse baptismales, op. cit., 1, 20)-. Donc, si la Foy n'est pas juste, l'édifice ne pourra être que branlant.
Notre Seigneur Jésus Christ a promis de donner à ceux qui croient en Lui la Vie éternelle. «  Celui qui croit en moi a la Vie éternelle » (Jn 6, 47) & Il dit être venu pour que les brebis aient la Vie, & qu'elles l'aient en abondance. Et Il demande à Ses fidèles : «  Soyez parfaits comme votre Père des Cieux est parfait ». (Matt. 5, 48). En quoi consiste la Vie éternelle, & en quoi consiste la perfection, voilà deux choses importantes à savoir, & auxquelles répondent les Ecritures, les Vies des Saints, les Paroles des Pères & des Conciles. Quant au catéchisme catholique, il donne sur ces deux points des réponses différentes :
(p.95)
1)Il nous fait espérer pour après la Mort une communion d'essence avec la Divinité, ce qui est à la fois une impossibilité & un blasphème.
2)Il nous prive de la communion réelle selon la Grâce, à laquelle nous pouvons & devons aspirer dès cette vie.


1.La participation à l'essence divine.


« L'Esprit, dit Saint Paul, sonde les profondeurs de Dieu » (1 Cor.2, 10). Selon les Pères, Dieu est inaccessible dans Son Essence. Aucune créature, pas même les anges les plus élevés, n'a vu ni ne verra jamais l'Essence ou plutôt la Suressence Divine. « Nul n'a jamais vu Dieu » dit Saint Jean (Jn 1, 18) & Saint Paul Le dit invisible, qu'aucun n'a vu ni ne peut voir (1 Tim. 1, 17 & 6, 16). Saint Moïse, qui a vu Dieu, nous a appris aussi qu'aucune créature ne le voyait dans Son Essence : «  Tu ne pourras pas voir ma face, car l'homme ne peut me voir & vivre » (Ex. 33, 20). Saint Jean Chrysostome s'exprime ainsi : «  Nous L'appellerons donc Dieu ineffable, insaisissable, inconcevable, invisible, incompréhensible, passant la force du langage humain, L'emportant sur la prise de la pensée mortelle, qui n'est ni suivi à la trace par les anges, ni scruté par les archanges, ni contemplé par les Séraphim, ni pénétré par les Chérubim, invisible aux Dominations, aux Puissances & aux Vertus, en un mot, à toute la création, connu enfin seulement par le Fils & l'Esprit. » -( Troisième homélie contre les Anoméens)-.
Cette théologie apophatique ou négative est l'expérience de tous les Pères & elle fait partie de la prière de tous les Chrétiens Orthodoxes. L'Eglise, qui ne peut nous tromper, nous l'enseigne. Ainsi, dans la Liturgie de Saint Jean Chrysostome: » Tu es un Dieu inexprimable, inconcevable, invisible, incompréhensible, existant de toute éternité, identique à Toi-même, Toi, Ton Fils Unique & Ton Saint Esprit ».
Citons encore quelques auteurs sur ce point capital. Saint Grégoire le Théologien : «  En me penchant un peu, j'ai vu le dos de Dieu, non la nature première & pure & connue d'elle-même, je veux dire de la Trinité ». -(Discours 28, Sur la Théologie)-.
(p.96).
Saint Grégoire de Nysse : «  Le Parfum même de la Divinité, ce qu'elle est par Essence, surpasse tout concept & tout nom » -( Sur le Cantique, Homélie 1)-. Et : «  Le sublime Jean, qui a pénétré dans cette Ténèbre Lumineuse, dit que nul n'a jamais vu Dieu, définissant par cette négation que la connaissance de l'essence divine est impossible à atteindre, non seulement aux hommes, mais à toute nature spirituelle » -( Id., Vie de Moïse, 2, 163, coll. Sources Chrétiennes, n°1 bis, Paris, 1955, p.81)-. Saint Ambroise : «  Mais pourquoi parler des hommes, quand nous lisons, à propos même des vertus célestes & des puissances, que personne n'a jamais vu Dieu? » -(Traité sur l'Evangile de Luc)-. Saint Jérôme : » Voir Dieu tel qu'Il est dans Sa nature, l'oeil de l'homme ne le peut; non seulement l'homme, mais ni les Anges, ni les Trônes, ni les Puissances, ni les Dominations, ni aucun nom qui est nommé. Car la créature ne peut regarder son Créateur ».-( Saint Jérôme, dans les lettres d'Augustin, 111. Augustin d'Hipppone, qui croyait Dieu visible dans Son essence, a tenté d'interpréter les Pères à sa manière. Pour lui, quand les Pères disent qu'on ne peut voir Dieu, cela veut dire qu'on ne peut le voir avec les yeux de la chair. Et les scolastiques ont soutenu de même que les Pères n'avaient déclaré impossible que la vision totale & compréhensive de l'essence de Dieu, non pas toute vision de l'essence. Les citations faites ci-dessus, que l'on pourrait multiplier, prouvent cependant que, pour les Pères, l'essence de Dieu est non seulement incompréhensible, mais inaccessible & impossible à atteindre pour tout intellect créé)-.
Quelle vision de Dieu les Pères reconnaissent-ils donc? Invisible par nature, Dieu se rend visible par volonté à qui Il veut, dit Saint Ambroise : « On ne voit pas de la même manière les choses sensibles & Celui à la volonté duquel il appartient d'être vu & qui est invisible par nature, visible par volonté » -( Traité sur l'Evangile de Luc, 1,24)-. Il est alors perçu non selon Son Essence, mais selon Ses Energies, comme l'enseigne Saint Basile : » Nous connaissons Dieu par Ses Energies, mais nous sommes incapables d'approcher Son Essence.
(p.97).
Car Ses Energies descendent jusqu'à nous, mais Son Essence demeure inaccessible » -(Lettre 234 à Amphiloque, 2)-. Cet enseignement, les Pères ne l'ont pas tiré de la spéculation philosophique, mais de leur expérience spirituelle. Il a été répété d'âge en âge par ceux qui ont fait cette expérience, & s'oppose absolument à la vision per essentiam des scolastiques augustiniens de l'Occident.
Or, contrairement à l'enseignement du Seigneur, le catéchisme catholique promet de voir l'essence divine : «  De notre autorité apostolique, écrit le pape Benoît XII, cité au §1023, nous définissons que, d'après la disposition générale de Dieu, les âmes de tous les Saints...ont été, sont, & seront au Ciel, au Royaume des Cieux & au Paradis Céleste avec le Christ, admis dans la société des Saints Anges. Depuis la passion & la Mort de notre Seigneur Jésus Christ, elles ont vu & voient l'essence divine d'une vision intuitive & même face à face sans la médiation d'aucune créature ».
Le catéchisme catholique suit ici la doctrine de l'hérétique Eunome qui pensait que Dieu avait révélé aux hommes son essence profonde. C'est là qu'on mesure pleinement l'effet de l'hérésie du Filioque : Dieu se définit comme « échange d'amour » : «  Saint Jean ira encore plus loin lorsqu'il atteste : »Dieu est Amour » (1 Jn 4, 8 & 16 : L'Etre même de Dieu est Amour. En envoyant dans la plénitude des temps Son Fils unique & l'Esprit d'Amour, Dieu révèle son secret le plus intime : Il est Lui-même éternellement échange d'amour : Père, Fils, & Esprit Saint, & Il nous a destinés à y avoir part ».(§ 221). « Le but dernier de la mission n'est autre que de faire participer les hommes à la communion qui existe entre le Père & le Fils dans leur Esprit d'amour » (§ 850).
Les Pères étaient loin de penser que Dieu puisse révéler « son secret le plus intime ». « Un Dieu qui peut être compris n'est pas Dieu » dit Saint Athanase; -( Réponses à Antiochius 1)-. Et encore plus loin de croire que l'homme puisse participer à la communion qui existe entre les Hypostases. La communion avec la Trinité à laquelle nous sommes appelés n'est pas celle qui est entre les Personnes divines. Car cette dernière se ramène à l'Essence :
(p.97)
« Dans la divinité trinitaire, ce qui est commun est l'Essence » -( Saint Basile, Lettres, 38, 5. En Dieu, l'Essence & les Energies incréées sont communes aux Trois Personnes, & les attributs personnels sont propres, chacun à Une d'Elles. Les Energies sont dans l'Essence, étant une chose avec elle, quoique n'étant pas la même chose qu'elle. « Tout ce que l'on peut envisager ou énoncer relativement à la Toute Sainte, Connaturelle & Suressentielle Trinité est ou bien une chose qui appartient en commun à Toutes les Personnes, ou bien une chose qui appartient à une & une seule des Trois. » (Saint Photios, Lettre encyclique aux Patriarches Orientaux, 22, cf.12)-. « Il est normal que l'Essence (de Dieu) soit invisible à qui que ce soit, excepté au Fils unique & au Saint Esprit ». -(Saint Basile, Contre Eunome, 1, 14)-.
Le catéchisme catholique va plus loin encore. Il ne se contente pas de promettre aux hommes la vision intuitive de l'Essence de Dieu. Il ouvre encore la Divinité inaccessible à toutes les créatures : «  La fin ultime de toute l'économie divine, c'est l'entrée des créatures dans l'unité parfaite de la Bienheureuse Trinité (Cf Jean 17, 21-23) » (§ 260). Autrement dit, les créatures deviendront Dieu par essence, puisqu'elles entreront dans la Tri-Unité divine : les chiens, les mouches, les oiseaux...pléthore de dieux à fair pâlir le paganisme & l'hindouisme.
Admettons qu'il faille entendre par « créatures » les Anges & les Saints seulement. Même ainsi, la doctrine présentée n'a rien à voir avec la déification de l'homme dont parlent les Pères, & selon laquelle les hommes qui se sont purifiés pour Dieu deviennent dieux par la Grâce. Il s n'entrent pas dans « l'intimité de la vie trinitaire » (§1997), ni dans « l'unité parfaite de la Trinité », parce qu'ils n'entrent pas dans l'Essence de Dieu. Et s'appuyer sur Saint Jean pour prouver cette « entrée des créatures » dans la Trinité, c'est abandonner les Pères, & notamment Saint Jean Chrysostome qui avertit au moins cinq fois dans son Commentaire de ne pas prendre à la lettre le mot comme dont se sert l'Apôtre «  Qu'ils soient un comme nous sommes un » (Jn 17,22). Ce mot a été dit par manière de parabole. Car il n'y a aucune analogie, aucune comparaison, aucun rapprochement possible entre nous & la Sainte Trinité.
Saint Grégoire Palamas voyait une analogie entre le péché de ceux qui disent que l'homme communie à l'essence divine & celui d'Adam :
(p.99).
« Les hétérodoxes qui sont apparus de notre temps ressemblent à l'ancien Adam qui, ayant reçu de Dieu la liberté de manger de tout bois qui se trouvait dans le Paradis, ne s'est pas contenté de ce verger splendide, mais, séduit par le conseil du serpent, prince de la malice, a mangé du seul bois qu'il avait reçu l'ordre de ne pas toucher. Ilm en va de même pour les biens qui sont en Dieu & les donc véritablement dignes de Sa bonté qu'il partage généreusement à tous ceux qui les désirent, selon le mot de celui qui a dit : «  Tout ce que Dieu est, le déifié le sera par la Grâce, sans devenir d'Essence identique ». Or, il en est qui enseignent que nous participons à l'Essence suressentielle même, & qui prétendent pouvoir lui donner son nom propre &, à l'imitation du serpent & prince de la malice, qui invoquait l'autorité des paroles de Dieu, ils citent à l'appui de leurs dires les paroles des Saints, dont ils torturent le texte & faussent l'interprétation. » (Homélie sur la Foy).


2.La Vie en Christ.


Quel est le but de la Vie chrétienne?
Les Orthodoxes répondront, avec Saint Séraphim de Sarov : l'acquisition du Saint Esprit. Saint Jean Cassien l'explique clairement, en distinguant la fin ultime du Christianisme de l'objectif que doit toujours garder devant ses yeux celui qui se propose cette fin : » Tout art, enseigne l'Abba Moîse, toute discipline, requiert premièrement un but, c'est-à-dire une visée de l'âme, une application incessante de l'esprit. Faute d'y être fidèle en toute ardeur & persévérance, on ne parviendrait pas à la fin désirée...La fin ultime de notre profession, comme nous l'avons dit, consiste dans le Royaume de Dieu ou Royaume des Cieux, il est vrai; mais notre but à viser est la pureté du coeur, sans laquelle il est impossible que personne atteigne à cette fin ». (Première Conférence).
Autrement dit, le Chrétien Orthoodoxe sait qu'il est destiné à voir le Christ dans la vie future, mais qu'il doit ici-bas purifier son coeur pour le rendre capable de cette vision. Nicolas Cabasilas exprime la même idée : «  La corruption morale ne peut hériter de l'incorruptibilité du Ciel, cette incorruptibilité que Paul désirait, au point de vouloir quitter ce monde, pour être toujours avec le Christ (Phil. I, 23). Mais tous ceux qui quittent la terre, sans provision de forces spirituelles & dépourvus de sens spirituels – indispensables pour vivre dans les Cieux- ceux-là perdront la béatitude éternelle,
(p.100)
& vivront, malheureux & morts spirituellement, dans le monde sans fin. Et pourquoi ne jouiront-ils pas de la Vie du Ciel? Parce qu'ils ne pourront plus acquérir les yeux spirituels qui leur eussent permis de contempler la Lumière éternelle, que rayonnera dans toutes les directions le Christ Soleil de Justice. Le Parfum du Saint Esprit, qui sera abondamment répandu partout, inondera tout & tous, sauf ceux qui n'auront pas acquis l'odorat spirituel...Ce n'est que dans l'ouvroir de la vie présente que le Chrétien peut les acquérir. Celui qui quitte ce monde, nu & sans ces bagages, ne pourra participer à la Vie incorruptible des Cieux. » ( La Vie en Christ, début). Tel est le sens de l'Ascèse Orthodoxe.
Le catéchisme catholique ne parle pas de l'acquisition de ces sens spirituels, mais de l'acquisition des mérites. De ces notions résultent deux formes de vie tout-à-fait différentes.
Au § 2007, le catéchisme catholique écrit : «  A l'égard de Dieu, il n'y a pas, au sens d'un droit strict, de mérite de la part de l'homme. Entre Lui & nous l'inégalité est sans mesure, car nous avons tout reçu de Lui, notre Créateur ». Toutefois, le § 2008 réintroduit le mérite de l'homme : «  Le mérite de l'homme auprès de Dieu dans la vie chrétienne provient de ce que Dieu a librement disposé d'associer l'homme à l'oeuvre de sa grâce ». «  Personne ne peut mériter la grâce première, à l'origine de la conversion, du pardon & de la justification. Sous la motion de l'Esprit Saint & de la charité, nous pouvons ensuite mériter pour nous-mêmes & pour autrui les grâces utiles pour notre sanctification, pour la croissance de la grâce & de la charité, comme pour l'obtention de la vie éternelle » (§ 2010).
La vie catholique consiste donc à mériter, « sous la conduite du Saint-Esprit », « les grâces utiles pour parvenir à la vie éternelle, comme aussi les biens temporels nécessaires » (§ 2027). D'où les grâces abondantes : grâce première, grâce habituelle, grâce actuelle, grâce sanctifiante ou déifiante, grâces sacramentelles, grâces spéciales, grâces d'état, grâce de la persévérance finale. Mais n'est-ce pas l'inversion des moyens & des fins (voir § 1887) proposés par la Vie en Christ, telle que les Pères l'ont vécue & transmise?
Avec la doctrine des actions méritoires, s'institue une sorte de commerce entre le Créateur & Sa créature. Le péché, « offense à l'égard de Dieu » (§1850) est balancé par les mérites des bonnes oeuvres, ces grâces accumulables qui sont « utiles pour l'obtention de la vie éternelle » (§ 2008-2010).
(p.101).
C'est une vision anthropomorphique de Dieu. Comment croire que le salut s'achète au prix d'un tel trafic?
La Vie Orthodoxe ne connaît qu'une seule Grâce, la Grâce incréée de Dieu. Omniprésente, elle ne se manifeste qu'à ceux qui se sont rendus purs, car Dieu ne peut pas s'unir à ce qui est impur. Toute l'Ascèse Orthodoxe & la Prière n'ont pour but que de purifier le coeur, & ne servent jamais à mériter «  les grâces utiles pour notre sanctification » (§ 2010) ni même « les biens temporels eux-mêmes, comme la santé, l'amitié » (Ibid.).
Les Pères ne nous exhortent nullement à « mériter » les biens temporels, mais, fidèles à l'Evangile, à tendre vers le Royaume de Dieu & Sa Justice (cf. Matt.6,33). « C'est pour cela que le Christ a dit : Là où est le trésor de l'homme, là aussi est son coeur. En effet, une fois que l'âme a conçu l'idée de ces biesn ineffables, elle est comme délivrée des liens du corps, elle prend pour ainsi dire son essor; & comme elle se peint chaque jour la jouissance de ces biens, elle n'est plus capable de garder l'idée des choses de la terre, mais elle les dépasse toutes, comme un songe ou comme une ombre; sans cesse tendue en esprit vers les biens d'En-Haut, croyant presque les voir avec les yeux de la Foy, elle est à tout moment poussée à y goûter » -( Saint Jean Chrysostome, Huit catéchèses baptismales, 7,15, op. cit., p.236)-. Dieu nous donne tout sans mérite de notre part : «  Cherchez, dit l'Ecriture, le Royaume de Dieu & Sa Justice, & tout cela vous sera donné par surcroît. Ce n'est donc pas ce que Dieu a promis de nous donner par surcroît que nous devons chercher en premier lieu, de peur qu'en agissant à l'encontre de ce qu'a prescrit le Maître, nous ne soyons frustrés des deux côtés...Il sait ce dont nous avons besoin avant que nous le lui ayons demandé. Si donc Il voit que notre empressement va aux biens célestes, Sa Grâce nous donnera d'en jouir, & Il nous procurera en abondance les autres, ceux qu'Il a promis d'octroyer par mesure de surcroît ». (- Ibidem, 7, 16, p.236-7)-.
« Marie a choisi la bonnepart » dit le Seigneur (Luc 10,42) & Saint Jean Cassien commente : «  Vous voyez que le Seigneur établit le bien principal dans la seule théoria, c'est-à-dire dans la contemplation divine ». « Ce doit être le but premier de nos efforts, l'immuable dessein & la passion constante de notre coeur d'adhérer toujours à Dieu & aux choses divines.
(p.102).
Tout ce qui s'éloigne de là, quelque grand qu'il puisse être, ne doit tenir dans notre estime que le second ou même le dernier rang, voire être considéré comme un danger ». « Je déclare qu'il dépend de nous , pour une grande part, de hausser le ton de nos pensées, & qu'elles soient Saintes & Spirituelles, ou terrestres & charnelles. Aussi bien, la lecture assidue & la continuelle méditation des Ecrtitures n'a-t-elle point d'autre but que de procurer l'éclosion dans notre mémoire des pensées divines; le chant répété des psaumes est destiné à nourrir un recueillement continuel; & notre empressement aux veilles, aux jeûnes, & à la Prière a pour dessein d'affiner tellement l'âùe qu'elle perde le goût des choses terrestres & ne veuille plus contempler que les célestes ». (Saint Jean Cassien, Première Conférence).
Les citations que nous avons faites montrent suffisamment qu'il existe une Vie en Christ, & que les distinctions & les catégories du catéchisme catholique ne plongent pas en elle leurs racines. En effet, dans la Vie Spirituelle, au sens des Pères, il n'y a pas d'actions méritoires que l'homme puisse accumuler. Il y a des expériences de purification, d'illumination, mais pas de mérites.
Les catéchistes catholiques prétendent aussi définir, au nom de l'église, les doctrines économiques & sociales : «  Afin de favoriser la participation du plus grand nombre à la vie sociale, il faut encourager la création d'associations & d'institutions d'élection à buts économiques, culturels, sociaux, sportifs, récréatifs, professionnels, politiques, aussi bien à l'intérieur des communautés politiques que sur le plan mondial » (§ 1882). L'Eglise doit donc, selon eux, faire entendre sa voix dans les questions politiques : «  La doctrine de l'église a élaboré le principe dit de subsidiarité » (§ 1883). «  Le principe de subsidiarité s'oppose à toutes les formes de collectivisme. Il trace les limites de l'intervention de l'Etat. Il vise à harmoniser les rapports entre les individus & les sociétés. Il tend à instaurer un véritable oredre international » (§ 1885). Voici ce que Wladimir Guettée écrivait à Mgr Dupanloup, évêque d'Orléans, qui soutenait les mêmes prétentions : « Vous affirmez, Monseigneur, que le concile – (de Vatican I, qui allait se réunir)- enseignera les vraies doctrines politiques & économiques.
(p.103).
Votre Grandeur ignorerait-elle que ces questions ne sont pas de sa compétence? Lisez les Actes des vrais Conciles Oecuméniques, c'est-à-dire de ceux qui ont été tenus pendant les premiers siècles de l'Eglise, & vous serez persuadé que ces saintes assemblées n'ont que ce double but : attester la doctrine Chrétienne toujours admise comme de foi dans toutes les Eglises, afin d'opposer leur témoignage aux hérétiques, c'est-à-dire à ceux qui contestaient les dogmes révélés; puis faire des lois pour le bon gouvernement de l'Eglise. Quant à la politique & à l'économie sociale, les anciens Evêques comprenaient trop bien la nature de leur autorité pour s'en occuper. Ils laissaient ces questions dans le domaine de celles que Dieu a abandonnées à l'activité de l'intelligence humaine, & ils se contentaient de conserver INTACT LE DEPOT DE LA REVELATION. » -( W. Guettée, Lettre à M. Dupanloup, évêque d'Orléans, à propos de sa Pastorale au clergé & aux fidèles de son diocèse à l'occasion des fêtes de Rome & pour leur annoncer le futur concile oecuménique, Paris, 1868.)-.
Fondées ainsi sur des principes humains & non divino-humains, les autres notions propres au catéchisme catholique apparaissent comme des imaginations étrangères à la Révélation. Il en est ainsi de la distinction, selon la gravité, entre péchés mortels & péchés véniels, le péché mortel causant seul « l'exclusion du Royaume du Christ & la Mort éternelle de l'Enfer » -(On voit qu'il importe, pour chaque fidèle, de se demander si les trois conditions qui font le péché mortel sont remplies : «  Pour qu'un péché soit mortel, trois conditions sont requises : «  Est péché mortel tout péché qui a pour objet une matière grave, & qui est commis en pleine conscience & de propos délibéré » (§ 1857))-. Péché mortel & péché véniel entraînent, en outre, une « peine temporelle ». Découlant, comme la peine éternelle, «  de la nature même du péché » (§ 1472), elle n'est pas effacée par le pardon divin : «  Le pardon du péché & la restauration de la communion avec Dieu entraînent la remise des peines éternelles du péché. Mais des peines temporelles du péché demeurent. » (§ 1473). D'où la notion d'indulgences : le mérite infini du Christ & les mérites surérogatoires des saints forment un trésor, dans lequel le pape puise pour remettre les peines temporelles du péché. Cette remise de peine ou indulgence est attachée à des pratiques pieuses (§ 1478). Par ces indulgences, le fidèle peut alléger aussi la peine temporelle des âmes du purgatoire (§ 1479).
(p.104).
Or, rien de tout cela ne se trouve dans l'enseignement des Conciles. N'est-ce pas introduire dans le sanctuaire de la Foy, comme le disait Khomiakov, tout le mécanisme d'une maisosn de banque? -( A. S. Khomiakov ou Khomiakoff, L'Eglise latine & le protestantisme au point de vue de l'Eglise d'Orient, Lausanne & Vevey, 1872, p.39)-.
La doctrine du feu purgatoire (§§1030-1032) n'est pas biblique. Depuis toujours l'Eglise prie pour les défunts, & nul n'avait jamais mis en doute le fait que Dieu puisse pardonner les péchés après la Mort. Mais par rationalisme, les théologiens occidentaux ont décidé, au Moyen Age, que les âmes imparfaitement purifiées allaient finir leur pénitence dans un feu spécial, différent de l'Enfer.
Les textes scripturaires cités pour légitimer la naissance du purgatoire sont de nul effet. -(Nous reprenons le mot de Jacques Le Goff, La Naissance du Purgatoire, Paris, 1981)-. Ainsi, celui de Saint Mathieu (12-32), cité au § 1031 : «  Celui qui blasphèmera contre l'Esprit Saint, il ne lui sera pardonné ni dans ce siècle, ni dans le siècle à venir » prouve bien qu'il y a pardon de certains péchés après la Mort, mais nullement peine (§ 1472) & comme le dit Marc d'Ephèse : «  Qu'y a-t-il de commun entre la rémission & une purification par le feu & le châtiment? Il est besoin ou de pardon ou de punition, & jamais des deux ensemble ».
La prière pour les défunts, & l'espoir que Dieu leur remette les péchés, voilà tout ce que l'on tire de l'exemple de Judas Maccabée (§ 1032). Le catéchisme catholique se trahit d'ailleurs naïvement ici en disant : «  Cet enseignement s'appuie aussi sur la pratique de la prière pour les défunts dont parle déjà la Sainte Ecriture ». Que veut dire ce déjà sinon que le dogme du Purgatoire n'est apparu que par la suite?
De même, le passage de Saint Paul : «  Si l'oeuvre de quelqu'un est consumée, il perdra sa récompense; pour lui, il sera sauvé, mais comme au travers du feu » (1 Cor. 3, 15). Saint Marc d'Ephèse a démontré, au concile de Ferrare-Florence, que l'interprétation patristique de ce texte excluait toute idée de purgation post mortem.
(p. 105).
Szlon Saint Jean Chrysostome, il s'agit du feu éternel de l'Enfer. Pour que personne ne s'imagine que ce feu détruit le corps des damnés avec leur oeuvre, mettant fin au châtiment, il dit : «  Si leurs oeuvres doivent devenir flammes, eux-mêmes ne seront pas pourtant sauvés ( conservés), & continueront d'xister dans le feu. » -(Op. cit,9)-. Sauvés veut dire ici maintenus à l'être. Le dogme du purgatoire n'a donc aucun fondement scripturaire ni patristique.
Confessant la communion qui lie entre eux tous les membres de l'Eglise, ceux qui vivent encore ici-bas & ceux qui se sont endormis, les Pères recourent à une image : «  Comme le vin dans le tonneau qui, lorsque les vignes sont en fleur, le sent & fleurit en même temps, ainsi en est-il de l'âme des pécheurs. Elles reçoivent soulagement du sacrifice non sanglant, offert pour elles avec charité ». (Saint Athanase). « Si une telle sensibilité mutuelle existe même chez les plantes, dit Saint Ephrem le Syrien, comment ceux qui sont partis ne sentiraient-ils pas plus vivement encore les prières & les sacrifices que l'on fait pour eux? »-( Ces deux textes sont cités par Nicolas Vélimirovitch, Prologue d'Ochrid, vol.3. Au 1er juillet, Lazarica Press, Birmingham, 1986)-.
Un des critères les plus importants de la vie chrétienne se trouve comme engourdi par les innovations du catéchisme catholique & sa doctrine de la grâce. Voici comment Nicolas Cabasilas s'exprime au début de son traité sur la Vie en Christ : « Comme la nature prépare, pour vivre dans la lumière, l'embryon qui se trouve encore dans le ventre de sa mère, de même les Chrétiens se forment, dès ici-bas, & se préparent à l'autre Vie. « Mes enfants, pour qui j'éprouve de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous » (Gal. 4, 19). L'image de l'embryon n'est certes pas d'une analogie parfaite, parce que l'embryon, avant de naître, n'a aucune idée ni aucune perception de notre vie...Mais il n'en est pas de même pour le Chrétien que pour l'embryon, parce que la vie future n'est pas absolument inconnue ni étrangère à la vie présente, l'une & l'autre ne sont pas sans un certain lien. Le Christ Soleil Spirituel, dans Son Amour infini pour les hommes & par Son abaissement, a resplendi chez nous.
(p. 106).
Le Parfum plus que céleste du Saint Esprit a été répandu sur la terre, malgré la puanteur qu'exhale le péché...Voilà pourquoi les Chrétiens ont la possibilité, non seulement de se préparer à la vie future, mais aussi de vivre dès ici-bas & d'agir comme citoyen du Ciel. «  Saisis la Vie éternelle » écrit Paul à Timothée (1 Tim. 6, 12). Et dans une autre de ses épîtres : «  Je vis, mais ce n'est pas moi, c'est le Christ qui vit en moi. » (Gal. 2, 20) ».
La version que le catéchisme catholique propose de la vie chrétienne est diamétralement opposée, car pour lui, cette vie s'accomplit dans l'incertitude, puisqu'on n'est jamais sûr d'avoir la grâce, sino d'une manière indirecte. « Etatnt d'ordre surnaturel, la gâce échappe à notre expérience & ne peut être connue que par la foi. Nous ne pouvons donc nous fonder sur nos entiments ou nos oeuvres pour en déduire que nous sommes justifiés & sauvés. Cependant, selon la parole du Seigneur : «  C'est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez » (Matt. 7, 20), la considération des bienfaits de Dieu dans notre vie & dans la Vie des Saints, nous offre une garantie que la grâce est à l'oeuvre en nous, & nous incite à une foi toujours plus grande & à une attitude de pauvreté confiante. On trouve une des plus belles illustrations de cette attitude dans la réponse de sainte Jeanne d'Arc à une question piège de ses juges eccmésiastiques; « Interrogée si elle sait qu'elle soit en la grâce de Dieu, elle répond : Si je n'y suis, Dieu m'y veuille mettre; si j'y suis, Dieu m'y veuille garder » (§ 2005). Elle aurait eu la grâce à son insu.
Il s'en faut de beaucoup que les Pères, qui avaient l'expérience de la Grâce, aient enseigné cette grâce inconsciente.
Saint Macaire dit : « Si tu es devenu un trône de Dieu, si le Céleste conducteur te dirige, si ton âme est devenue tout oeil spirituel & toute lumière, si tu t'es nourri de ces aliments spirituels & désaltéré avec l'eau vive, si tu as revêtu les vêtements de la lumière ineffable, si ton homme intérieur s'est établi dans l'expérience & la certitude de tout cela, alors tu vis vraiment la vie éternelle, & dès maintenant ton âme repose en Dieu. Voici que tu as obtenu & reçu tout cela de Lui en vérité, pour que tu vives de la vraie Vie. Mais si tu n'as conscience de rien de cela en toi, alors pleure, livre-toi à la tristesse & aux lamentations, parce que tu n'as pas encore reçu le trésor éternel & spirituel, ni la Vie véritable ».
(p.107).
-( Première Homélie Spirituelle, 12. Lors du faux concile de 869, comme Saint Photios ne répondait rien aux accusations mensongères portées contre lui, on lui demanda la raison de ce mutisme, & il répondit simplement : « Dieu entend la voix des silencieux ». Les émissaires du pape lui rétorquèrent : « Mais ton silence ne te gardera pas de la condamnation! » A quoi le Saint Patriarche répondit : « Le silence de Jésus ne le garda pas non plus d ela condamnation ».
Ainsi, toute la vie chrétienne est changée dans le catéchisme catholique. La prière qu'il décrit n'a rien à voir avec celle de la Tradition des Pères. « Mais on ne peut pas prier « en tout temps » si l'on ne prie pas à certains moments, en le voulant : ce sont les temps forts de la prière chrétienne, en intensité & en durée. » (§ 2697). Comment une prière volontaire & limitée dans le temps peut-elle être un temps fort « en durée » par-rapport à la Prière perpétuelle du Coeur? Et comment peut-elle l'être « en intensité », alors que la Prière incessante est un charisme haut & élevé, quand l'autre est possible à tous? Nous n'avons pas trouvé cette doctrine des « temps forts » chez les Pères de la Philocalie, eux qui se souvenaient de Dieu plus souvent qu'ils ne respiraient, selon le précepte de Saint Grégoire le Théologien.
Les §§ 2705-2708 parlent de la méditation : «  La méditation met en oeuvre la pensée, l'imagination, l'émotion & le désir ». Cependant les Pères sont unanimes à dénoncer l'imagination comme le plus grand danger dans la Vie spirituelle, & loin de lui donner une place dans la prière, ils disent qu'il faut s'en défaire, comme de la source de toutes les illusions. «  Cette faculté n'est pas donnée à l'homme lors de sa création, mais « après le péché ». L'imagination-mémoire « est une marque irrationnelle & grossière de nos cinq sens ». Or, dans la lutte spirituelle dont la victoire nous procure l'Esprit Saint & l'union avec Dieu, non seulement elle n'est d'aucun secours, mais nuisible, Dieu étant « hors de la portée de tous les sens, hors du sensible, hors de toute figure, couleur, espace, lieu, forme, genre, bien que partout présent & transcendant l'univers, échappant aux prises de l'imagination...puissance de l'âme qui, à cause de ses propres insuffisances, ne possède pas la propriété de s'unir à Dieu. » -(Père Ambroise Fontrier, Commentaire inédit de Saint Nicodème l'Hagiorite, Le combat spirituel)-. Les Pères attribuent à l'imagination la chute du Diable.
(p.108).
Quand les catéchistes catholiques parlent de la prière du coeur (§§ 435, 2016, 2667-8, 2562, 2717), se rendent-ils compte qu'elle implique d'abord une lutte contre l'imagination? « Conserver l'intellect hors de toute couleur, de toute forme, de tout genre, le conserver pur, tel qu'il est sorti des mains de Dieu. Pour y parvenir, il n'est qu'un moyen : faire entrer l'intellect, le rassembler dans le lieu étroit qu'est le coeur, au-dedans de l'homme intérieur... » -(Ibidem. Pour le vrai sens de la méditation selon les Pères, voir Nicolas Cabasilas, La Vie en Christ, op. cit., livre 6)-.
Ici nous mesurons la tragédie spirituelle de ceux qui veulent considérer comme complémentaires des traditions qui sont, en fait, incompatibles. Leur désir est de s'approprier les richesses de la Tradition Orthodoxe sans renoncer aux leurs. Ce désir, bien compréhensible, part d'un bon sentiment. -(Le décret de Vatican II sur l'oecuménisme déclare en effet : «  En Orient aussi, on trouve les richesses de ces traditions spirituelles, qui s'expriment surtout par le monachisme. Là, depuis le temps glorieux des Saints Pères, en effet, a fleuri la spiritualité monastique, qui s'est répandue en Occident, devenant pour ainsi dire la source de l'organisation religieuse latine & lui conférant par la suite une nouvelle vigueur. Par conséquent, on recommande instamment aux catholiques d'accéder plus fréquemment à ces richesses spirituelles des Pères Orientaux qui élèvent l'homme tout entier à la contempaltion des mystères divins » ( décret Unitatis Redintegratio, §15)-. Cependant, il faut prendre garde que cette démarche n'a rien de l'ascèse spirituelle des Pères. Les richesses dont ils parlent n'existent que dans l'imagination. Et c'est justement d'elle qu'il faut se purifier pour rencontrer notre Dieu : «  Anéantir jusqu'à la racine les prétentions pernicieuses & les idoles de l'imagination & de la mémoire », voilà en quoi consiste tout le labeur de l'ascète, qui est semblable au «  serpent qui, pour se dépouiller de sa vieille peau, va passer par un endroit très étroit ». C'est la porte étroite de l'Evangile, pour celui qui veut se dépouiller du vêtement de l'iamgination pour parvenir à l'union avec Celui qui échappe à toute connaissance, au Dieu apophatique de la Tradition théologique Orthodoxe ». -(Père Ambroise, Ibidem)-.
La notion de spiritualités, au pluriel, paraît ainsi extrêmement étrange. « Dans la communion des saints se sont développés tout au long de l'histoire des Eglises diverses spiritualités.
(p.109).
Le charisme personnel d'un témoin de l'amour de Dieu pour les hommes a pu âtre transmis, tel « l'esprit » d'Elie à Elisée & à Jean-Baptiste pour que des disciples aient part à cet esprit » (§ 2684). On parle, il est vrai, dans le catholicisme romain, de « spiritualité dominicaine », « cistercienne », « franciscaine », selon les divers « ordres monastiques » de l'Occident, & de même, de la spiritualité d'un Jean de la Croix, d'un Bérulle, ou d'une Marguerite-Marie Alacoque. L'apparition des stigmates chez François d'Assise ou l'échange des coeurs qui s'opéra dans la poitrine de Marguerite-Marie Alacoque ont, certes, alimenté une mentalité doloriste ou une adoration du Sacré-Coeur tout-à-fait particulières; mais ces spiritualités particulières sont des formes de vie étrangères à la Tradition, & par là-même suspectes. Comment un seul & même Esprit donnerait-Il des spiritualités différentes? Que les charismes soient multiples, que les cultures soient diverses, tout le monde l'accepte sans difficulté; mais un des critères de l'expérience spirituelle est précisément son identité à travers le temps & l'espace. Dans les vies des Saints les plus éloignées par le temps, le lieu, la culture, nous reconnaissons les mêmes traits spirituels, qui permettent justement de les reconnaître comme des Saints Chrétiens. Au contraire, les contradictions des faux mystiques de l'Occident sont une preuve de leur délire mental, comme le savent ceux qui ont lu leurs ouvrages. « J'eus même la patience de lire attentivement les livres de la soeur Emmerich & de Marie d'Agréda, afin de les mettre en contradiction l'une avec l'autre. On croirait que les livres de ces deux hystériques ont été faits pour se contredire; elles se contredisent en effet même sur les plus petits faits & les plus petites circonstances de la Vie de Jésus Christ & de la famille à laquelle il appartenait. » -(W. Guettée, Souvenirs d'un prêtre romain devenu Prêtre Orthodoxe, Paris-Bruxelles, 1889, p. 270.)-.
Quant à l'esprit d'Elie, dont Elisée reçut une portion double '2 Rois 2, 9 & 15), il n'est pas lié à la personne d'Elie, celle-ci n'étant pas multipliable par deux. Pour les Pères, il s'agit de la Grâce incréée du Saint Esprit, qui a commandé aux eaux.
Enfin, le mode même de la participation des Saints au Saint Esprit exclut la pluralité spirituelle. Etant Dieu, l'Esprit se communique sans se diviser. A la Pentecôte, Il s'est posé tout entier sur les Apôtres, tout en restant inaccessible dans Sa Personne.
(p.110).
Sans quoi, il y aurait eu une spiritualité pétrinienne, une spiritualité paulinienne, & finalement, aucune spiritualité, car un Dieu qui se morcelle n'est pas Dieu. Les spiritualités ne seraient-elles pas des contrefaçons de l'esprit du mensonge? « Les mots 3il se posa » ne manifestent pas seulement la dignité seigneuriale, mais également l'indivisibilité de l'Esprit Saint. « Et Il se posa sur chacun d'eux & ils furent tous remplis du Saint Esprit » Quand l'Esprit se partage dans ses diverses forces & énergies, Il demeure cependant tout entier, présent & opérant en chacune d'elles. Il est partagé tout en demeurant entier & la participation à lui est totale, à l'image du rayon du soleil ». -(Saint Grégoire Palamas, Homélie sur la Pentecôte)-.
Le catéchisme catholique s'accorde avec l'Evangile pour dire que tous sont appelés à la sainteté (§ 2013). Mais il donne des Saints une idée réductrice : «  En canonisant certains fidèles, c'est-à-dire en proclamant solennellement que ces fidèles ont pratiqué héroïquement les vertus & vécu dans la fidélité à la grâce de Dieu, l'Eglise reconnaît la puissance de l'Esprit de sainteté qui est en elle & elle
soutient l'espérance des fidèles en les leur donnant comme modèles & intercesseurs » (§ 828). « ...un saint, c'est-à-dire...un disciple qui a vécu une vie de fidélité exemplaire à son Seigneur » '§ 2156). Mais un serviteur obéissant vit aussi dans la fidélité à son Seigneur & il n'en hérite pas. Qu'est-ce qui distingue le Christianisme de toute autre croyance? «  Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître; mais je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j'ai appris de mon Père ». (Jn 15,15).
Quand l'Eglise Orthodoxe canonise un Saint, elle ne manifeste pas simplement qu'il a été vertueux, mais aussi que, devenu dieu par la Grâce, il est uni pour toujours au Christ. « Par le Saint Esprit les Saints t'appartiendront éternellement, ô Christ, comme des fils à leur père, comme le fruit des entrailles. » -(Anavathmi du ton 4)-.
Qu'est-ce que le Paradis, sinon cette union au Christ, cette participation à l'Amour incorruptible & cette montée sans fin dans l'Amour infini de Dieu? Etriquée & désolante paraît, à côté, l'image de l'agir chrétien & de l'amour énoncée par le catéchisme catholique : «  La Tradition a toujours vu dans le Cantique des cantiques une expression unique de l'amour humain, pur reflet de l'amour de Dieu ». (§ 1611).
(p.111).
De quelle « tradition » s'agit-il? Quel Père dit cela? Ce que les Apôtres, les prophètes & les Pères ont vécu & enseigné, c'est l'amour divino-humain dont ils ont vu l'expression dans le Cantique. Ce livre ne raconte rien de moins que l'union au Christ. « La Samaritaine, entendant du Christ ces Paroles merveilleuses & divines, que Dieu ne doit être adoré en nul lieu selon la vérité, sinon dans Son Esprit & dans Sa Vérité, comme l'âme épouse de Dieu qu'on voit dans le Cantique des cantiques, reçoit des ailes en entendant la voix du bien-aimé, l'époux incorruptible... » -( Saint Grégoire Palamas, Homélie sur la Samaritaine, PG 151, 260. Voir les Homélies sur le Cantique des Cantiques de Saint Grégoire de Nysse.)-.
Toute la différence entre la Vie Orthodoxe en Christ & la vie selon les catéchistes catholiques se résume dans leur vision faussée de l'amour humain & de l'amour de Dieu. Un reflet reste extérieur; tandis que le Fils de Dieu est venu dans la chair, Il a dressé Sa tente parmi nous & Il demeure dans Son Eglise Orthodoxe. La Vie en Christ est un mariage & non un reflet. « Du début jusqu'à la fin, la Vie du Chrétien est « Vie en Christ ». Mais plus encore, le Christ est « notre Vie ». Voilà quelle est la Vie, voilà son terme : le Christ = la Vie. Si tu le vis, tu le crois, tu le sais, tu es Chrétien. » -( Père Justin Popovic, L'Homme & le Dieu-Homme, L'Age d'Homme, Lausanne, 1989, p.187)-.
De la même façon, le catéchisme catholique juxtapose, à propos de la Vie éternelle, deux idées différentes. La première est la Vie avec le Christ dont parlent les Saints : « la Vie, c'est d'être avec le Christ » (Saint Ambroise, cité § 1025) & « Quelle ne sera pas ta gloire & ton bonheur : être admis à voir Dieu, avoir l'honneur de participer aux joies du salut & de la lumière éternelle dans la compagnie du Christ le Seigneur ton Dieu... » (Saint Cyprien, cité § 1028). La seconde est une vision béatifique dont les amoureux du Christ que sont les Saints n'ont jamais parlé : «  A cause de sa transcendance, Dieu ne peut être vu tel qu'Il est que lorsqu'Il ouvre Lui-même son mystère à la contemplation immédiate de l'homme & qu'Il lui en donne la capacité. Cette contemplation de Dieu dans sa gloire céleste est appelée par l'Eglise la « vision béatifique ». (§ 1028).
(p.112).
Quelle représentation de ce bonheur les catéchistes catholiques proposent-ils? Ils le définissent ainsi : «  Le ciel est la fin ultime ² la réalisation des aspirations les plus profondes de l'homme, l'état de bonheur suprême & définitif ». (§ 1024). Cette béatitude nous est en effet décrite au § 260 comme un état statique : «  O mon Dieu, Trinité que j'adore, aidez-moi à m'oublier entièrement pour m'établir en Vous, immobile & paisible comme si déjà mon âme était dans l'éternité; que rien ne puisse troubler ma paix ni me faire sortir de Vous, ô mon Immuable, mais que chaque minute m'emporte plus loin dans la profondeur de votre mystère! Pacifiez mon âme. Faites-en votre ciel, votre demeure aimée & le lieu de votre repos. Que je ne Vous y laisse jamais seul, mais que je sois là, tout entière, tout éveillée en ma foi, tout adorante, toute livrée à votre action créatrice ». Nous avons parlé plus haut de la plongée «  dans la profondeur du mystère » de Dieu, interdite à toute créature – seul « l'Esprit sonde les profondeurs de Dieu » (1 Cor. 2, 10). Croire que l'a^me soit immobile dans l'éternité, dans la « vision béatifique », c'est une imagination d'homme. Les Saints qui, dès cette Vie, ont expérimenté Dieu, en parlent autrement : «  Le divin seul est véritablement doux, désirable & aimable, & sa jouissance, lorsqu'elle est devenue éternelle, excite en nous une plus grande soif, parce qu'en nous unissant à ces Biens, elle augmente dans la même mesure notre désir de les goûter...L'âme qui s'est jointe à Dieu n'est jamais rassasiée de jouissance; plus elle abonde & regorge de beauté, plus elle fleurit dans la vigueur de ses désirs ». -(Saint Grégoire de Nysse, Première Homélie sur le Cantique des Cantiques, PG 44, 777b)-. «  Le mouvement amoureux qui nous porte vers le Bien, puisant en Lui la racine de son être, simple, incessant & jaillissant du Bien, fait aussitôt retour vers le même Bien, de sorte que ce mouvement n'a ni fin ni commencement, ce qui explique notre désir toujours en mouvement vers le divin & l'union à Lui. » -(Saint Maxime le Confesseur, Chapitres sur la théologie & l'économie, cinquième centurie, PG 90, 1385 c)-. Où est ici l'immobile éternité?
La façon dont le catéchisme catholique conçoit le Paradis semble donc un assemblage hétéroclite de doctrines diverses, la première Orthodoxe – Vie éternelle & bienheureuse avec le Christ-, les autres hérétiques – vision de l'essence divine, immobilité de l'âme...
(p. 113).
L'Eglise Orthodoxe a également une conception tout autre de l'Enfer que celle rappelée par les théologiens catholiques romains, selon laquelle « la peine principale de l'enfer consiste en la séparation éternelle d'avec Dieu » (§ 1035), l'enfer étant « auto-exclusion définitive de la communion avec Dieu & avec les bienheureux » (§ 1033) & «  les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent immédiatement après la mort dans les enfers, où elles souffrent les peines de l'enfer, « le feu éternel ». (§ 1035).
Le théologien grec contemporain, Alexandre Kalomiros, a réfuté cette doctrine. Selon l'enseignement des Ecritures, tous se tiendront dans la Gloire & l'Amour de Dieu, «  Dieu sera tout en tous », mais il y a une double énergie de l'Amour : « Le Paradis & l'Enfer sont le même Fleuve de Dieu, un Feu d'Amour qui embrasse & recouvre tout de la même volonté bienveillante, sans différence, ni discrimination. La même eau vivifiante est Vie éternelle pour les fidèles, & Mort éternelle pour les infidèles; elle est l'élément vital des premiers & l'instrument de suffocation éternelle des seconds; le Paradis des uns est l'Enfer des autres. Ne vous étonnez pas. Le fils qui aime son père est heureux dans ses bras, alors que l'accolade aimante du père sera un tourment pour son fils qui ne l'aime pas. » (Le Fleuve de Feu). Et Kalomiros de citer Saint Isaac le Syrien : «  Ceux qui souffrent en Enfer souffrent d'être fouettés de l'Amour de Dieu. L'Amour est un enfant de la connaissance, & est indubitablement donné à tous de la même façon. Mais la puissance de l'Amour agit de deux façons : il tourmente les pécheurs alors qu'il fait les délices de ceux qui ont vécu en accord avec lui ». -(Homélies ascétiques, 84.)-.
Une telle doctrine de l'Amour de Dieu qui ne déteste jamais, ne se venge jamais, ne condamne personne rend à tout jamais impossible le juridisme de la conception augustinienne dont a hérité l'Occident, & qui a engendré les doctrines du « péché originel », de la satisfaction, du mérite, de la prédestination, des « indulgences », du Purgatoire & de l'Enfer créé. Si l'Enfer était un feu créé, Dieu pourrait l'éteindre un jour, car ce qui est créé n'est pas éternel par nature. Mais l'Enfer est une Energie Divine, l'Amour de Dieu; & le Chrétien tremble de se trouver non préparé à l'heure où le Dieu d'Amour Se révélera & où les Justes brilleront comme des soleils dans la Lumière du Christ, Soleil de Justice.
(p.114).
Oui, quand on est soi-même Mort à la Vie de l'Amour, «  c'est une chose terrible que de tomber entre les mains du Dieu Vivant ». (Héb. 10, 31).


(p.115).
Que notre Dieu très bon qui veut que toute âme arrive à la connaissance de la Vérité éclaire tous ceux de nos lescteurs qui nous liront avec désir spirituel.
Par les Prières de nos Pères Saints, Seigneur Jésus Christ notre Dieu, aie pitié de nous.
Amin.


FIN.

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