mardi 10 janvier 2012

Guettée. De la papauté. Chap.5.

Guettée . DE LA PAPAUTE. CHAPITRE V.
LA PAPAUTE MODERNE CONDAMNEE
AU VIème SIECLE
PAR LE PAPE SAINT GREGOIRE LE GRAND.

INTRODUCTION.
Si l’on jette un coup d’œil franc & impartial sur la société catholique, on ne peut s’empêcher d’avouer que le niveau intellectuel ne peut guère y tomber plus bas. On comprend que nous ne voulons pas parler de l’intelligence en général, mais de l’intelligence de la Vérité Religieuse. Tant d’écrivains & d’auteurs ecclésiastiques catholiques, se sont appliqués, pour des motifs plus ou moins honorables, se sont appliqués à fausser les croyances Orthodoxes universelles, à répandre leurs systèmes, à remplacer la pure & simple Vérité Chrétienne par leurs théories de circonstance, que l’on rencontre à peine parmi ceux qui s’honorent du titre d’Orthodoxe, quelques personnes qui aient une notion exacte des principes de leur foi. L’immense majorité n’a qu’une foi de convention, où le divin & l’humain, les dogmes & les opinions, forment un mélange confus, un chaos sur lequel planent les plus épaisses ténèbres. Si encore les catholiques avaient conscience de leur ignorance ! mais non ; ils se croient forts, solides dans la connaissance des vérités de la religion, & sont tous disposés à vous lancer des anathèmes, si vous hésitez tant soit peu à partager leurs théories. Cette intolérance, jointe à l’ignorance & à l’entêtement, forme le caractère distinctif du catholique ; formé à l’école ultramontaine, il ne souffre aucune objection. Si vous élevez quelque difficulté touchant ses Systèmes, il vous regarde comme un Hérétique ; si vous osez faire observer que l’on n’enseignait pas autrefois comme aujourd’hui ; que l’on doit, dans l’Eglise, s’en tenir à ce qui fut toujours cru depuis les Apôtres, il vous signale comme un novateur dangereux ; si vous demandez la raison, la preuve de ces nouveaux dogmes que nous voyons éclore chaque jour sous l’action de la cour de Rome, on fait de vous un libre penseur, assez osé pour ne pas s’en rapporter à la parole du pape. Que cette parole existe ou non, qu’elle soit claire ou obscure, le catholique s’en autorise toujours. Le pape, disent-ils, est infaillible ; je suis avec le pape, donc je suis infaillible moi-même. C’est à peu après à ce syllogisme que se réduit toute la logique du catholique. Et malheur à vous si vous n’êtes pas subjugué par un argument aussi concluant ; vous n’êtes alors qu’un révolté ; vous n’êtes plus catholique, & si l’Inquisition, dite la sainte Inquisition, ressuscitait, on vous livrerait à ses saintes rigueurs pour le salut de votre âme.
(P.115).
Comment faire pénétrer la Vérité Orthodoxe jusqu’en ces esprits cuirassés d’ultramontanisme, qui se refusent obstinément, & PAR SYSTEME, à tout éclaircissement ?
Nous ne savons.
Cependant, il nous a semblé que s’il existait quelque moyen de les éclairer, ce serait l’enseignement d’un pape reconnu pour un des plus grands & des plus Saints qui se soient assis sur le siège de Rome. Nous avons donc recueilli, dans les œuvres de Saint Grégoire le Grand, ce qu’il a écrit sur la papauté, sur ses droits & ses prérogatives dans l’Eglise. Ce grand pape, qui ne mourut qu’au commencement du VIIème siècle, résume parfaitement la Tradition Orthodoxe universelle de l’Eglise originelle. Sa parole, à ce titre, doit jouir d’une haute autorité ; la science, la Sainteté du Saint Docteur, la position élevée qu’il occupa, l’influence qu’il exerça dans la société Chrétienne, tout concourt à donner à sa parole un caractère exceptionnel d’exactitude & de vérité.
Les catholiques ne peuvent la récuser.
Saint Grégoire le Grand fut pape ; si les papes jouissent, par droit divin prétendu, d’une autorité absolue dans l’Eglise, il en a joui ; si les papes sont, prétendument, infaillibles, il l’a été ; si c’est un devoir rigoureux d’accepter l’enseignement papal, nous devons accepter son enseignement. Il posséda tous les droits dont les papes modernes peuvent jouir légitimement, en vertu de leur titre, puisqu’il fut pape comme eux ; & il a, de plus qu’eux, une auréole de science & de Sainteté que les papes modernes ultramontains n’ont pas encore méritée.
Que les catholiques veuillent bien nous dire s’ils rejettent ou s’ils admettent la doctrine du pape Saint Grégoire le Grand sur la papauté. S’ils prétendent que nous l’avons mal exposée, qu’ils reconnaissent que nos croyances n’ont rien que de très Orthodoxe, puisqu’elles sont conformes à cette doctrine ; s’ils la rejettent, qu’ils daignent nous dire pourquoi le pape Saint Grégoire le Grand ne mérite pas autant de créance que les papes ultramontains.
La thèse est assez importante pour que les partisans de l’ultramontanisme nous disent ce qu’ils en pensent.
I.
Au commencement de son Episcopat, Grégoire adressa une lettre de communion aux patriarches Jean de Constantinople, Euloge d’Alexandrie, Grégoire d’Antioche, Jean de Jérusalem, à Anastase, ancien Patriarche d’Antioche, son ami.
(P.117).
S’il se fût considéré comme le chef & le souverain de l’Eglise, s’il eût cru qu’il l’était de droit divin, il se fût certainement adressé aux Patriarches comme à des subordonnés ; on trouverait, dans cette circulaire, quelques traces de sa supériorité. Il en est tout autrement. Il s’y étend longuement sur les devoirs de l’Episcopat, & ne songe pas même à parler des droits que lui eût conférés sa dignité. Il y insiste particulièrement sur le devoir, pour l’Evêque, de ne point se laisser préoccuper par le soin des choses extérieures, & il finit sa circulaire en faisant sa profession de Foy, afin de prouver qu’il était en communion avec les autres Patriarches, &, par eux, avec toute l’Eglise. –( cf : S. Grég., pap., Epist. 25, livre 1)-. Ce silence de Saint Grégoire sur les prétendus droits de la papauté est déjà très significatif par lui-même, & les ultramontains auraient de la peine à l’expliquer. Que pourraient-ils donc opposer aux lettres que nous allons traduire, & dans lesquelles Saint Grégoire condamne, de la manière la plus expresse, l’idée fondamentale que les ultramontains voudraient nous donner de la papauté, c’est-à-dire le caractère universel de son autorité ?
L’occasion de ces lettres fut l’ambition du Patriarche jean de Constantinople, qui prétendit que sa ville épiscopale étant devenue la capitale de l’empire, il devait être reconnu universellement comme le premier Evêque de l’Eglise. A cette fin, il inventa le titre de Patriarche œcuménique ou universel, & se l’attribua. La première idée d’un pouvoir central & universel dans l’Eglise est donc venue de Constantinople ; ce fut de Rome que s’éleva la première opposition contre cette prétention ambitieuse, & de la part d’un des plus grands papes qui se soient assis sur la chiare apostolique de Rome.
Saint Grégoire ayant appris que Jean de Constantinople s’attribuait le titre de Patriarche œcuménique ou universel, écrivit plusieurs lettres qui méritent d’être lues & méditées, surtout de nos jours, où l’on cherche à nous imposer, comme étant DE DROIT DIVIN, UN DESPOTISME PAPAL aussi opposé à la Parole de Dieu qu’à l’ascétisme général de l’Eglise. Voici celle que Grégoire écrivit à Jean lui-même. Nous la traduisons textuellement -( in Lettres de Saint Grégoire pape, livre V, lettre 18) :
II.

« Grégoire à jean , Evêque de Constantinople.
Sa Béatitude se souvient de la Paix & de la Concorde dont jouissait l’Eglise lorsqu’elle fut élevée à la dignité sacerdotale. Je ne comprends donc pas comment elle a osé suivre l’inspiration de l’orgueil, & essayé de prendre un titre qui peut occasionner du scandale dans l’esprit de tous les frères. J’en suis d’autant plus étonné, que je me souviens que vous aviez pris la fuite pour éviter l’Episcopat. Pourtant, vous voulez l’exercer aujourd’hui comme si vous aviez couru au-devant, sous l’empire de désirs ambitieux.
(P.117).
Vous qui disiez bien haut que vous étiez indigne de l’épiscopat, vous y avez à peine été élevé que, méprisant vos frères, vous avez ambitionné d’avoir seul le titre d’Evêque. Pélage, mon prédécesseur de Sainte Mémoire, avait adressé à Votre Sainteté des observations fort graves à ce sujet. Il a rejeté, à cause du titre orgueilleux & superbe que vous y aviez pris, les actes du synode que vous avez assemblé dans la cause de notre frère & coévêque Grégoire, & il défendit de communiquer avec vous, à l’archidiacre que, selon l’usage, il avait envoyé à la cour de l’empereur. Après la Mort de Pélage, ayant été élevé, malgré mon indignité, au gouvernement de l’Eglise –( Note de Guettée : Selon Saint Grégoire, tout Evêque prend part au gouvernement de l’Eglise, l’autorité résidant dans l’Episcopat)- j’ai eu soin d’engager Sa Béatitude, non par écrit, mais de vive voix, d’abord par mes envoyés, & ensuite par l’entremise de notre commun fils le Diacre Sabinien, de renoncer à une telle présomption. –( L’Evêque de Rome avait des envoyés à la cour de Constantinople depuis que cette ville était la résidence des empereurs.)- J’ai défendu à ce dernier de communiquer avec vous si vous refusiez d’obtempérer à ma demande, afin d’inspirer à Votre Sainteté de la honte de son ambition, avant de procéder par les voies canoniques, si la honte ne vous guérissait pas d’un orgueil aussi profane, aussi coupable. Comme avant de faire l’amputation, il faut palper doucement la plaie, je vous prie, je vous supplie, je demande avec le plus de douceur qu’il m’est possible que Sa Béatitude s’oppose à tous les flatteurs qui lui donnent un titre erroné, & qu’elle ne consente pas à s’attribuer un titre aussi sot qu’orgueilleux. En vérité, je pleure, &, du fond du cœur, j’attribue à mes péchés que mon frère n’ait pas voulu revenir à l’Humilité, lui qui n’a été établi dans la dignité épiscopale que pour ramener les âmes des autres à l’Humilité ; je déplore que celui qui enseigne aux autres la Vérité n’ait voulu ni l’enseigner à lui-même, ni consentir, malgré mes prières, à ce que je prisse ce soin.
» Réfléchissez donc, je vous en prie, que, par cette présomption téméraire, la paix de l’Eglise entière est troublée, & que vous êtes Ennemi de la Grâce qui a été donnée à tous en commun. Plus vous croîtrez en cette Grâce, plus vous serez humble à vos yeux ; vous serez d’autant plus grand que vous serez éloigné d’USURPER CE TITRE ORGUEILLEUX & extravagant. Vous serez d’autant plus riche que vous chercherez moins à dépouiller vos frères à votre profit. Donc, très cher frère, aimez l’humilité de tout votre cœur ; c’est elle qui maintient la Concorde entre les frères, & qui conserve l’unité dans la Sainte Eglise universelle.
» Lorsque l’Apôtre Paul entendait certains fidèles dire : Moi, je suis disciple de Paul, moi d’Apollo, moi de Pierre, il ne pouvait voir sans horreur déchirer ainsi le Corps du Seigneur, en rattacher les membres à plusieurs têtes, & il s’écriait : « Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? Ou bien avez-vous été baptisés au nom de Paul ? S’il ne voulait pas que les membres du Corps du Seigneur fussent rattachés par parties à d’autres têtes qu’à celle du Christ, quoique ces têtes fussent des Apôtres, vous, que direz-vous au Christ, qui est la tête de l’Eglise Orthodoxe universelle, que lui direz-vous au Jugement Dernier, vous qui, par votre titre d’universel, voulez vous soumettre tous ses membres.
(P.118).
Qui, dites-le moi, je vous prie, qui imitez-vous par ce titre pervers, si ce n’est celui qui, méprisant les légions des Anges qui étaient ses compagnons, s’efforça de monter au faîte pour n’être soumis à personne & être seul au-dessus des autres ; qui dit : Je monterai dans le Ciel ; j’élèverai mon trône au-dessus des astres du Ciel ; je placerai mon siège sur la montagne de l’alliance, dans les flancs de l’aquilon. Je monterai au-dessus des nuées ; je serai semblable au Très-Haut ?
» Que sont vos frères, tous les Evêques de l’Eglise Orthodoxe universelle, si ce n’est les astres du Ciel ! Leur Vie & leur Enseignement brillent, en effet, à travers les péchés & les erreurs des hommes, comme les astres à travers les ténèbres de la nuit ; Lorsque, par un titre ambitieux, vous voulez vous élever au-dessus d’eux, & rabaisser leur titre en le comparant avec le vôtre, que dites-vous, si ce n’est ces paroles : Je monterai dans le Ciel ; j’élèverai mon trône au-dessus des astres du Ciel ? Tous les Evêques ne sont-ils pas les nuées qui versent la pluie de l’Enseignement Spirituel, & qui sont sillonnés par les éclairs de leurs Œuvres Bonnes. Sa Béatitude, en les méprisant, en s’efforçant de les mettre à ses pieds, que dit-elle, si ce n’est cette parole de l’antique Ennemi, le Diable : Je monterai au-dessus des nuées ? Pour moi, quand je vois tout cela à travers mes larmes, je crains les Jugements secrets de Dieu ; mes larmes coulent avec plus d’abondance, mes gémissements débordent de mon cœur, de ce que le Seigneur Jean, cet homme si saint, d’une si grande abstinence & humilité, séduit par les flatteries de ses familiers, a pu s’élever jusqu’à un tel degré d’orgueil, que, par le désir d’un TITRE PERVERS , il s’efforce d’être semblable à celui qui, en voulant être orgueilleusement semblable à Dieu, perdit la Grâce de la ressemblance divine qui lui avait été accordée, & qui perdit la vraie béatitude, parce qu’il AMBITIONNA UNE FAUSSE GLOIRE. Pierre, le premier des Apôtres, & membre de la Sainte Eglise Orthodoxe universelle ; Paul, André, Jean, ne sont-ils pas les chefs de certaien Peuples ? et cependant, tous sont membres sous un seul chef. Pour tout dire en un mot, les Saints avant la loi, les saints sous la loi, les Saints sous la Grâce, ne forment-ils pas tous le Corps du Seigneur ? Ne sont-ils pas membres de l’Eglise Orthodoxe ? Et, il n’en est aucun parmi eux qui ait voulu être appelé universel. Que Votre Sainteté reconnaisse donc combien elle s’enfle en elle-même lorsqu’elle revendique un TITRE QU’AUCUN N’A EU LA PRESOMPTION DE S’ATTRIBUER.
« Sa Béatitude le sait, le vénérable Concile de Chalcédoine n’a-t-il pas donné honorifiquement le titre d’universels aux Evêques de ce siège apostolique dont je suis le serviteur, par la volonté de Dieu ? Et cependant, aucun n’a voulu permettre qu’on lui donnât ce titre ; aucun ne s’attribua ce titre téméraire, de peur qu’en s’attribuant un honneur particulier dans la dignité de l’Episcopat, il ne semblât la refuser à tous les Frères.
« Je sais bien que ce titre a été donné à Votre Sainteté par DES FAMILIERS QUI LA FLATTENT & LA TROMPENT ; c’est pourquoi je demande que Sa Béatitude veille avec soin sur eux, & qu’elle ne se laisse pas tromper par leurs flatteries ; vous devez les considérer comme des Ennemis d’autant plus dangereux qu’ils vous donnent de plus grandes louanges. Chassez de telles gens ; & s’ils doivent nécessairement tromper, qu’ils trompent plutôt le cœur des hommes terrestres que ceux des Prêtres. Laissez les Morts ensevelir leurs Morts.
(P.119).
Dites plutôt avec le Prophète : « Qu’ils se retirent couverts de honte ceux qui me disent ; Eh bien ? Eh bien ? » ou encore ses paroles : « L’huile du pécheur ne parfumera pas ma tête. » Le Sage a bien eu raison de donner ce conseil : « Sois en Paix avec tout le monde. Mais choisis ton conseiller entre mille, car les mauvaises paroles corrompent les bonnes qualités. » Lorsque l’antique Ennemi, le Diable, ne peut pénétrer directement dans un cœur robuste, il cherche de petites gens, &, par leur moyen, il y monte ; de même que, par le moyen d’une échelle, on escalade une muraille. C’est ainsi qu’il trompa Adam par une femme ; c’est ainsi qu’il tua les fils du Bienheureux Job, & qu’il lui laissa une faible femme, afin d’arriver par elle jusqu’à un cœur qui avait été jusqu’alors à l’abri de ses atteintes. Chassez donc les familiers qui vous flattent & vous trompent, car leurs douceurs, qu’ils voudraient vous donner comme des preuves d’attachement, ne peuvent que vous attirer la haine éternelle de Dieu.
« Autrefois, l’Apôtre Jean s’écriait : « Mes petits enfants, voici la dernière heure. Cette prédiction de la Vérité se réalise. La peste & l’épée sévissent contre le monde ; les nations se lèvent contre les nations ; l’univers est ébranlé, la terre s’entr’ouvre pour engloutir ses habitants. Tout ce qui a été prédit arrive. Satan, le roi de l’orgueil est proche, &, ce qui est horrible à dire, les Prêtres se disposent à lui former une armée ; car ils ne songent qu’à s’élever, ceux qui n’ont été établis que pour conduire les autres à l’Humilité. Mais, quoique notre langue ne s’oppose pas à l’orgueil, celui-là en tirera vengeance, qui s’est élevé par toute sa vie contre ce vice ; car il est écrit : « Dieu résiste aux orgueilleux superbes, & Il donne Sa Grâce aux Humbles. » Cet autre oracle a été aussi prononcé : « Celui qui s’enorgueillit dans son cœur est immonde aux yeux de Dieu. » C’est à l’homme superbe & orgueilleux qu’il a été dit : « Pourquoi t’enorgueillir, terre & poussière ? » C’est pour nous amener à la voie de l’Humilité que le Christ nous l’a montrée en Sa Personne, & nous a dit : « Apprenez de moi que je suis Doux & Humble de Cœur ». Pourquoi le Fils unique de Dieu a-t-Il pris la forme de notre faiblesse ? Pourquoi l’Invisible a-t-il voulu être non seulement visible, mais méprisé ? Pourquoi a-t-il souffert les injures, les outrages, les tourments, si ce n’est pour que l’homme apprît d’un Dieu Humble à ne pas être orgueilleux ? Elle est donc très grande, la Vertu d’Humilité, puisque, pour nous l’enseigner, Celui qui, pour Sa Grandeur, ne peut être comparé à quoi que ce soit, s’est fait petit jusqu’à souffrir la Mort ! L’orgueil du Démon ayant été l’origine de notre perte, l’HUMILITE DE DIEU a été le moyen de notre rachat & de notre rédemption. Notre Ennemi le Malin a voulu s’élever au-dessus des créatures au milieu desquelles il avait été placé. Notre Rédempteur qui, par sa nature, est plus grand que tout, a voulu être le plus petit parmi les créatures.
« Pourquoi nous disons-nous Evêques, nous qui n’avons notre dignité que grâce à l’Humilité de notre Rédempteur, & qui cependant imitons L’ORGUEIL DU DIABLE Son Ennemi ? Nous savons que notre Créateur s’est abaissé, par la divine Kénose, du sommet de la Grandeur, pour donner de la Gloire au genre humain ; et nous, créatures infirmes, nous nous attribuons de la fausse gloire humaine en humiliant des frères ! Dieu s’est abaissé, il est descendu jusqu’à notre poussière ; cette poussière humaine veut s’élever jusqu’au Ciel, effleurer à peine la terre, & elle ne rougit pas !
(P.120).
L’homme, qui n’est que souillure, le fils de l’homme, qui est un vermisseau, n’a pas craint de s’élever ! Rappelons-nous, très cher frère, ce qui a été dit par le très sage Salomon : « L’éclair possède le tonnerre ; ainsi le cœur de l’homme s’élèvera avant de tomber. » Puis, il ajoute cette autre Vérité : « Avant d’arriver à la Gloire Divine, il s’humiliera. » Humilions-nous donc dans notre cœur si nous voulons arriver à une grandeur réelle ; Que les yeux de notre cœur ne soient point obscurcis par la fumée de l’orgueil : Plus la fumée s’élève, plus tôt elle est dissipée. Réfléchissons à ces Paroles de notre Rédempteur : « Bienheureux ceux qui sont pauvres en esprit, parce que le Royaume des Cieux est à eux. » Il ajoute, par la bouche du Prophète : « Sur qui reposera mon Esprit, si ce n’est sur l’Homme Humble, Pacifique, qui Vénère mes Paroles ? » Le Seigneur, voulant rappeler à l’Humilité les cœurs encore faibles de Ses Disciples, leur dit : « Si quelqu’un veut obtenir la première place parmi vous, il sera le plus petit de tous » ; ce qui nous fait connaître clairement que celui qui est véritablement élevé est celui qui s’Humilie dans ses Pensées. Craignons donc d’être du nombre de ceux qui cherchent les premières places dans les synagogues, les salutations sur la place publique, & qui aiment à être appelés maîtres parmi les hommes. En effet, le Seigneur a dit à Ses Disciples : « Ne vous faites pas appeler maîtres ; car vous n’avez qu’un seul Maître, & vous êtes tous Frères. Ne vous faites pas non plus appeler pères, car vous n’avez qu’un seul Père. »
« Que diriez-vous donc, très cher frère, au Terrible Jugement à venir, vous qui désirez non seulement être appelé Père, mais Père universel du monde ? Prenez donc garde aux mauvaises suggestions ; fuyez tout conseil de scandale. Il est nécessaire, il est vrai, que les scandales arrivent ; mais pourtant, malheur à celui par qui le scandale arrive ! Par suite de votre titre criminel & plein d’orgueil, l’Eglise est divisée, & les cœurs de tous les frères sont scandalisés. Avez-vous donc oublié cette Parole de la Vérité : « Celui qui aura scandalisé un de ces petits qui croient en moi, il est utile qu’on lui suspende une meule au cou, & qu’il soit plongé au fond de la mer. » Il est écrit : « La Charité ne cherche point ce qui ne lui appartient pas », & voici que Sa Béatitude s’arroge le bien d’autrui. Il est encore écrit : « Honorez-vous mutuellement ; et vous, vous cherchez à enlever l’honneur de tous, en voulant l’usurper illicitement pour vous seul. Qu’avez-vous fait, très cher frère, de cet oracle : « Ayez envers tous cette Paix, & cette Charité, sans laquelle personne ne Verra Dieu ; » et cet autre : « Bienheureux les Pacifiques, parce qu’ils seront appelés Enfants de Dieu ! »
« Vous devez réfléchir mûrement à ce qu’une racine d’amertume croissant de nouveau dans votre cœur, ne vous arrête pas, & que, par elle, un grand nombre ne soient souillées. Si nous négligeons d’y apporter l’attention nécessaire, les Jugements d’En Haut veillent sur LES PRETENTIONS D’UN SI GRAND ORGUEIL ; et nous, contre qui on pèche par une entreprise aussi coupable, nous suivrons ces préceptes de la Vérité : « Si ton frère a péché contre toi, va, et reprends-le en particulier. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère. S’il ne les écoute pas, dis-le à l’Eglise. S’il n’écoute pas l’Eglise, qu’il soit à tes yeux comme un païen & un publicain. »
(P.121).
« C’est pourquoi j’ai cherché, une fois et deux fois, par mes envoyés & par d’humbles paroles, à corriger le péché qui est commis contre toute l’Eglise ; aujourd’hui, j’écris moi-même. Je n’ai rien omis de ce que l’humilité me faisait un devoir de faire. Si je ne recueille de ma correction que du mépris, il ne me restera que la ressource d’en appeler à l’Eglise.
« Que le Dieu Tout-Puissant vous fasse connaître combien, en vous parlant ainsi, je vous aime d’un Amour ardent ; & combien en cette occasion je pleure, mais, pour vous, & non contre vous. Mais, lorsqu’il s’agit des préceptes de l’Evangile, des institutions canoniques, de l’avantage des frères, je ne puis préférer une personne, même celle que j’aime ardemment.
« J’ai reçu de votre Sainteté des lettres très douces & très agréables touchant la cause des Prêtres Jean & Athanase ; Dieu aidant, je vous répondrai plus tard ; car, pour aujourd’hui, je suis en de si grandes tribulations, je suis tellement pressé par l’épée des Barbares, qu’il ne m’est pas permis, non seulement de traiter de beaucoup d’affaires, mais même de respirer.
« Donné aux calendes de janvier, indiction XIII ».

III.

On voit par cette première lettre du pape Saint Grégoire le Grand : 1°) que l’autorité ecclésiastique réside dans l’Episcopat, et non dans tel Evêque, quelque élevé que soit son rang dans la Hiérarchie Ecclésiastique ; 2°) que ce n’était point sa cause particulière qu’il défendait contre Jean de Constantinople, mais celle de toute l’Eglise ; 4°) que le titre d’Evêque universel est contraire à la Parole de Dieu, orgueilleux, criminel, sot, & inepte ; 5°) qu’aucun Evêque, malgré l’élévation de son rang dans la Hiérarchie Ecclésiastique, ne peut prétendre à une autorité universelle sans entreprendre sur les droits de l’Episcopat entier ; 6°) qu’aucun Evêque dans l’Eglise ne peut se prétendre père de tous les Chrétiens sans s’attribuer un titre contraire à l’Evangile, orgueilleux, sot, & criminel.
Nous prions les catholiques de réfléchir sérieusement à ces vérités exprimées si clairement dans cette première lettre, & qui apparaîtront avec une nouvelle évidence dans celles qui suivront.
Saint Grégoire avait ménagé Jean de Constantinople, tout en lui disant la vérité sur ses PRETENTIONS AMBITIEUSES. Le motif de cette réserve avait été le respect qu’il portait à l’empereur Maurice, que Jean avait gagné à sa cause. Jean avait persuadé à Maurice que, la ville de Constantinople ayant remplacé Rome comme capitale de l’empire, le titre de premier Evêque de l’Eglise lui appartenait, puisque les Conciles ne l’avaient accordé à celui de Rome qu’à cause de l’importance de son siège, et uniquement parce que cette ville était la première de l’empire romain. C’était d’après cette prétention qu’il avait USURPE LE TITRE d’œcuménique ou universel. Il avait même engagé Maurice à s’interposer auprès de Grégoire, afin que ce dernier fermât les yeux sur SES PRETENTIONS, & vécût avec lui en bonne intelligence. Nous trouvons ces détails dans la lettre de Saint Grégoire, au Diacre Sabinien, qui était alors son agent auprès de l’empereur, & qui fut depuis son successeur sur le siège de Rome. Voici cette lettre : -(cf : Lettres de Saint Grégoire le Grand, livre V, lettre 19° ( édition bénéd).

IV.

« Grégoire au Diacre Sabinien,
» Je n’ai pas voulu écrire deux lettres relativement à la cause de notre frère, très révérend homme, Jean, Evêque de Constantinople. J’en ai écrit une assez courte, qui contient ce qui aurait fait l’objet de deux, c’est-à-dire la Vérité & la Douceur. Que Ta Dilection lui remette donc cette lettre, que j’ai écrite pour obéir à l’empereur. Par la suite, j’en enverrai une autre qui sera telle que son orgueil n’aura pas sujet de s’en réjouir. Il est en effet arrivé au point de profiter de l’occasion qui s’est présentée pour lui de nous écrire au sujet des affaires du Prêtre Jean, afin de prendre, pour ainsi dire, dans chaque phrase le titre de Patriarche Œcuménique. J’espère du Dieu Tout-Puissant que la majesté impériale abattra son hypocrisie. Je m’étonne qu’il ait pu tromper Ta Dilection au point de persuader à l’empereur qu’il devait me transmettre ses écrits touchant cette affaire, écrits dans lesquels il prétend que j’aurais dû conserver la Paix avec lui. Si l’empereur veut être juste, il devra l’avertir de RENONCER A SON TITRE ORGUEUILLEUX, ET AUSSITOT LA PAIX SERA FAITE ENTRE NOUS. Je suis persuadé que vous n’avez pas aperçu la ruse à laquelle notre frère Jean a eu recours en cette circonstance. Il en a agi ainsi afin que, si j’obéissais au seigneur empereur, je parusse approuver sa vanité ; & que, si je n’obéissais pas, l’empereur fût irrité contre moi. Mais, nous tiendrons ferme dans le droit chemin, ne craignant rien, en cette circonstance, si ce n’est le dieu Tout-Puissant. Ainsi, que Ta Dilection ne se laisse pas effrayer ; qu’elle méprise, pour la Vérité, les choses les plus relevées de ce monde qui sont contraires à la Vérité ; qu’elle ait confiance dans la Grâce de Dieu Tout-Puissant, & dans le secours du Bienheureux Apôtre Pierre ; qu’elle se rappelle cette Parole de la Vérité : « Celui qui est en vous est plus grand que celui qui est dans le monde. » Agissez donc en toutes choses avec une autorité supérieure ; car, lorsqu’ils ne peuvent pas nous défendre contre le glaive des ennemis ; lorsque, pour l’amour de la république, nous avons perdu notre argent, notre or, nos biens, nos vêtements, il serait par trop ignominieux si, par eux, les Grecs, nous perdions la Foy ; car, adhérer à ce titre coupable, ce n’est rien de moins que perdre la Foy.
(P.123).
C’est pourquoi, comme je le lui ai écrit précédemment, ne conserve pas de relations avec lui. »
Ainsi, selon le Saint pape Grégoire le Grand, c’est perdre la Foy que d’adhérer à un titre que les ultramontains prétendent appartenir au pape DE DROIT DIVIN, & qui est la base & le fondement de toutes les prétentions ambitieuses qu’ils considèrent comme autant de droits de la papauté.
En sa qualité de premier Evêque de l’Eglise, Saint Grégoire devait prendre l’initiative de l’opposition à ce titre ambitieux ; mais nous avons déjà vu, & nous verrons encore que ce n’était pas sa cause qu’il défendait en attaquant Jean de Constantinople, mais celle de l’Episcopat tout entier, celle de l’Eglise.
Jean de Constantinople, ayant eu recours à l’empereur pour faire autoriser son titre d’universel , Saint Grégoire le Grand écrivit la lettre suivante à ce prince –(in Lettres de Saint Grégoire, livre V, lettre 20° ( édition bénéd.) :

V.
« Grégoire à Maurice Auguste.
« Notre très pieux seigneur établi par Dieu, au milieu de ses autres augustes fonctions, veille avec un soin particulier à conserver la Charité Sacerdotale, considérant, avec Piété & Sagesse, que personne ne peut gouverner avec Justice les choses de la terre, s’il ne sait pas traiter les choses de Dieu, & que la paix de la république dépend de la Paix de l’Eglise Orthodoxe universelle. Quelle puissance humaine, sérénissime seigneur, quelle force temporelle oserait élever les mains contre votre trône très Chrétien, si les prêtres, comme c’est leur devoir, s’unissaient pour adresser au Rédempteur, en commun, leurs Prières, & leurs Œuvres Bonnes ? L’épée des nations féroces immolerait-elle cruellement tant de fidèles, si notre vie, à nous qui sommes prêtres de nom, mais qui ne le sommes pas en réalité, n’était viciée par tant d’œuvres mauvaises ? En laissant de côté nos devoirs pour nous occuper de ce qui ne nous convient pas, nous unissons nos péchés aux forces des Barbares ; nos fautes aiguisent l’épée des ennemis, & entravent les forces de la république. Que dirons-nous, nous qui chargeons du poids de nos péchés le Peuple de Dieu que nous dirigeons indignement ? Nous qui détruisons par nos exemples ce que nous enseignons de bouche ? Nous qui enseignons l’iniquité par nos œuvres, & qui ne prêchons la justice que de bouche ? Nos os sont brisés par les jeûnes, & notre esprit est gonflé d’orgueil. Notre corps est couvert de pauvres vêtements, &, par son enflure, notre cœur surpasse l’éclat de la pourpre. Nous dormons sur la cendre, & nous méprisons les choses les plus élevées. Nous enseignons l’humilité, & nous donnons l’exemple de l’orgueil ; nous cachons des dents de loup sous un masque de brebis. Qu’en résulte-t-il ? C’est qu’en faisant illusion aux hommes, nous n’en sommes pas moins connus de Dieu.
(P.124).
Notre très pieux seigneur agit donc sagement, en cherchant à procurer la Paix de l’Eglise pour arriver à pacifier son empire, en daignant engager les Prêtres à la Concorde & à l’Union. Je la désire ardemment, et, autant qu’il est en moi, j’obéis à ses ordres sérénissimes. Mais, comme il ne s’agit pas de ma cause, mais de celle de Dieu ; comme ce n’est pas moi seul qui suis troublé, mais que toute l’Eglise est agitée ; comme les canons, les vénérables Conciles, & les commandements & préceptes de notre Seigneur Jésus-Christ lui-même sont attaqués par l’invention d’un certain mot pompeux & orgueilleux ; que le très pieux seigneur coupe ce mal ; & si le malade veut résister, qu’il l’enlace dans les liens de son autorité impériale. En enchaînant de telles choses, vous donnez de la liberté à une république ; & par des incisions de ce genre, vous diminuez le mal de votre empire.
« Tous ceux qui ont lu l’Evangile savent que le soin de toute l’Eglise a été confié par le Seigneur Lui-même à Saint Pierre, premier de tous les Apôtres. En effet, il lui a été dit : « pierre, m’aimes-tu ? Pais mes brebis. » Il lui a été dit encore : « Satan a désiré te cribler comme du blé ; mais j’ai Prié pour toi, afin que ta Foy ne défaille pas ; donc, étant converti, affermis tes Frères. » Il lui a été dit aussi : « Tu es Pierre, & sur cette pierre, je bâtirai mon Eglise, & les portes de l’ Enfer ne prévaudront pas contre elle ; & je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux ; et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le Ciel ; et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans le Ciel. » Il a donc reçu les clefs du Royaume Céleste ; le pouvoir de lier & de délier lui a été donné ; on lui a confié le soin de toute l’Eglise & la primauté, & cependant il ne s’est pas appelé Apôtre universel. Or, le très Saint homme Jean, mon Frère dans le Sacerdoce, s’efforce de prendre le titre d’Evêque universel. Je suis obligé de m’écrier & de dire : O temps ! ô mœurs ! »
Nous ne voulons pas laisser passer ces paroles de Saint Grégoire sans en faire ressortir toute l’importance. Ce grand Docteur entend, comme on voit, les textes de l’Evangile relatifs à Saint Pierre, dans le sens le plus favorable à cet Apôtre. Il exalte Pierre comme ayant la primauté dans le Collège Apostolique, comme ayant été chargé par le Seigneur Lui-même du soin de toute l’Eglise. Qu’en conclut-il ? Depuis que les papes ont abusé des textes qu’il cite pour s’attribuer dans l’Eglise une autorité universelle & absolue, on sait comment ils raisonnent. Ils donnent d’abord aux paroles évangéliques le sens le plus large, le plus absolu, & se les appliquent ensuite en qualité de successeurs de Saint Pierre. Mais Saint Grégoire agit tout autrement : il rapproche des prérogatives de Pierre SON HUMILITE qui L’A EMPECHE DE S’ATTRIBUER UNE AUTORITE UNIVERSELLE ; il songe même si peu à se donner comme héritier de Pierre, qu’il ne cite l’exemple de cet Apôtre que pour confondre l’orgueil de Jean de Constantinople, & de tous ceux qui, dans l’Eglise, voudraient S’ATTRIBUER UNE AUTORITE UNIVERSELLE. Il attaque donc, par l’exemple de Saint Pierre l’autorité que les papes se sont attribuée au nom de Saint Pierre & comme successeurs de Saint Pierre.
Contentons-nous d’avoir fait cette simple remarque, & rendons la parole au Saint Docteur :
« Voici qu’en Europe tout est livré aux Barbares ;
(P.125)
Les villes sont détruites ; les forts sont renversés ; les provinces sont dépeuplées ; il n’y a plus personne pour cultiver la terre ; les adorateurs des idoles dominent sur les fidèles, les accablent de violences & les menacent ; & les prêtres, qui devraient dormir sur la cendre, & arroser le sol de leurs larmes, aspirent à des titres pleins de vanité, & SE GLORIFIENT DE TITRES NOUVEAUX ET PROFANES ! Est-ce ma cause, très pieux seigneur, que je défends en cette circonstance ? Est-ce d’une injure particulière que je veux me venger ? Non, il s’agit de LA CAUSE DE DIEU TOUT-PUISSANT, de LA CAUSE DE L’EGLISE ORTHODOXE UNIVERSELLE.
« Quel est celui-là qui, contrairement aux préceptes de l’Evangile, aux décrets des canons, a la présomption d’usurper un nouveau titre ? Plût au Ciel qu’il n’y en ait qu’un seul qui, sans vouloir amoindrir les autres, désirât être universel !
« L’Eglise de Constantinople a fourni des évêques qui sont tombés dans l’abîme de l’Hérésie, & qui sont même devenus Hérésiarques. C’est de là qu’est sorti Nestorius, qui, pensant qu’il y avait deux personnes en Jésus-Christ, Médiateur entre Dieu & les hommes, parce qu’il ne crut pas que Dieu pouvait se faire homme, descendit ainsi jusqu’à la perfidie, des Juifs. C’est de là qu’est sorti Macédonius, qui nia que l’Esprit-Saint fût un Dieu consubstantiel au Père & au Fils. Si donc quelqu’un usurpe dans l’Eglise un titre qui résume en lui tous les fidèles ; l’Eglise universelle, ô blasphème ! tombera donc avec lui, puisqu’il se fait appeler l’universel ! Que tous les Chrétiens rejettent donc ce titre blasphématoire, ce titre qui enlève l’honneur sacerdotal à tous les prêtres, dès qu’il est follement usurpé par un seul.
« C’est une chose certaine que ce titre a été offert au pontife romain par le vénérable pontife de Chalcédoine, pour honorer le Bienheureux Pierre, prince des Apôtres. Mais, aucun d’eux n’a consenti à se servir de ce titre particulier, de peur que, si l’on devait donner quelque chose de particulier à un seul, tous les prêtres fussent privés de l’honneur qui leur est dû. Comment, lorsque nous n’ambitionnons pas la gloire d’un titre qui nous a été offert, un autre a-t-il la présomption de le prendre, lorsqu’il ne lui a été offert par personne ? »
Ce passage de Saint Grégoire est très remarquable. Il affirme d’abord que c’est un Concile qui a offert aux Evêques de Rome l’honneur d’être appelés universels ; ce Concile en eût-il agi ainsi dans le but d’honorer ces évêques, s’il eût cru que de droit divin, ils avaient une autorité universelle ? Saint Grégoire assure de plus que le Concile voulut honorer les Evêques de Rome, par honneur pour Saint Pierre ; il ne croyait donc pas que l’autorité universelle leur vînt par succession de cet Apôtre. L’Eglise de Rome se glorifie avec raison de Saint Pierre, parce qu’il l’a illustrée par son Martyre. Ce fut donc en souvenir de ce Saint Martyre, & pour honorer le premier des Apôtres que le Concile général de Chalcédoine offrit aux Evêques de Rome un titre honorifique. Comment concilier, avec ces faits constatés par le pape Saint Grégoire, les prétentions des évêques actuels de Rome, qui SE CROIENT INVESTIS DE DROIT DIVIN, non pas seulement du titre d’évêque universel, de Père commun des fidèles, mais d’une SOUVERAINETE UNIVERSELLE ?
Continuons la lettre de Saint Grégoire :
« Celui-là donc doit fléchir sous l’ordre du très pieux seigneur, qui refuse obéissance aux préceptes canoniques. On doit réprimer celui qui fait injure à la Sainte Eglise universelle, qui s’enfle dans son cœurs, qui veut jouir d’un titre qui le distingue des autres, qui, par ce titre particulier s’élève même au-dessus de votre empire.
« Cette AMBITION nous scandalise tous. Que l’auteur de ce scandale revienne à une vie juste, & toute querelle cessera entre les prêtres. Pour moi, je suis le serviteur de tous les Prêtres, tant qu’ils mènent une Vie digne de leur Sacerdoce. Quant à celui qui, par L’ENFLURE D’UNE VAINE GLOIRE, élève sa tête contre le Seigneur Tout-Puissant, & contre les décrets des Pères, celui-là n’abaissera pas ma tête devant lui, lors même qu’il aurait recours pour cela au glaive ; je mets ma confiance dans le Seigneur Tout-Puissant.
« J’ai fait connaître au Diacre Sabinien, mon envoyé, les détails de ce qui a été fait à Rome lorsque nous avons appris que l’on usurpait le titre en question. Que la piété de mes seigneurs ait donc bonne opinion de moi ; je suis à eux, ils m’ont toujours comblé, plus que tous les autres, de leurs faveurs ; je désire leur conserver obéissance, & je crains seulement d’être accusé de négligence au Terrible Jugement Dernier ; que le très pieux seigneur daigne juger lui-même le différend, selon la demande que lui en a faite le Diacre Sabinien, & forcer l’homme dont je vous ai tant parlé à RENONCER A SON AMBITION. Si, par le très juste jugement de Votre Piété, ou par ses ordres cléments, il y renonce, nous rendrons grâce au Dieu Tout-Puissant, & nous nous réjouirons de la pai que vous aurez rendue à toute l’Eglise. Si, au contraire,il persiste dans ses desseins, nous suivrons à ce sujet le sentiment de la Vérité qui a dit : « Quiconque s’élève sera abaissé. » Il a été écrit aussi : « Le cœur s’élève avant de tomber . »
« Obéissant aux ordres de mes Seigneurs, j’ai écrit avec douceur à mon frère dans le sacerdoce, & je l’ai averti humblement de ce corriger de ce désir de VAINE GLOIRE. S’il veut m’écouter, il a en moi un frère dévoué. Mais s’IL PERSISTE DANS SON ORGUEIL, je vois déjà la route à suivre, car il a dès lors pour adversaire Celui dont il est écrit : « Dieu résiste aux superbes, mais Il donne Sa Grâce aux Humbles. »

VI.

Ces lettres de Saint Grégoire sont d’irrécusables monuments, qui attestent que l’Eglise Orthodoxe universelle s’émut, dès qu’elle vit poindre dans son sein la première lueur d’un pouvoir universel résidant en un seul évêque. L’Eglise entière comprit qu’une telle autorité ne pouvait s’établir sans que l’épiscopat tout entier fût privé de ses droits ; en effet, d’après l’institution divine, LE GOUVERNEMENT DE L’EGLISE EST CONCILIAIRE ; l’autorité ne peut donc résider que dans le Corps des EVEQUES LEGITIMES, ET NON DANS UN EVEQUE PARTICULIER. On ne peut se prononcer pour l’autorité universelle d’un seul, sans détruire le principe divin de l’organisation de l’Eglise.
Cette Vérité ressort avec évidence des écrits du pape Saint Grégoire le Grand.
(P.127).
Ce pape illustre, après avoir écrit à Jean, patriarche de Constantinople, pour le supplier de ne pas outrager plus longtemps l’Episcopat & l’Eglise, en s’attribuant le titre d’œcuménique ou universel ; après avoir écrit à l’empereur Maurice, pour l’engager à REPRIMER L’ORGUEIL & L’AMBITION du patriarche, Saint Grégoire, disons-nous, s’adressa aux deux autres Patriarches de l’Eglise, ceux d’Alexandrie & d’Antioche. Il leur envoya une lettre commune, que nous allons traduire. Elle prouvera, comme les précédentes, que le pape Saint Grégoire le Grand, qui ne Mourut qu’au commencement du VIIème siècle, IGNORAIT LA PAPAUTE TELLE QU’ON VEUT NOUS L’IMPOSER AUJOURD’HUI. Voici cette lettre –( in Lettres de Saint Grégoire, livre V, lettre 43° ( édition bénéd.)- :

VII.

« Grégoire à Euloge, Evêque d’Alexandrie, & à Anastase, Evêque d’Antioche.
« Lorsque Saint Paul, l’Apôtre, le Prédicateur par excellence disait : « Tout le Temps que je serai l’Apôtre des nations, j’honorerai mon Ministère ; » -( in Epître de Saint Paul aux Romains, XI, 13)- ; lorsqu’il disait ailleurs : « Nous sommes devenus comme des Enfants au milieu de vous-),-(in 1ère Epître de Saint Paul aux Thessaloniciens, II, 7)-, il nous donnait, à nous qui sommes venus après lui, l’exemple d’être en même temps Humbles en Esprit & Fidèles à conserver en honneur la dignité de notre Ordre Sacerdotal, de manière que notre Humilité ne soit pas de la timidité, & que notre élévation ne soit pas de l’orgueil.
« Il y a huit ans, lorsque vivait encore notre prédécesseur Pélage, de Sainte Mémoire, notre confrère & coévêque Jean, prenant occasion d’une autre affaire, assembla un synode dans la ville de constantinople, & s’efforça de prendre le titre d’universel ; dès que mon prédécesseur en eut connaissance, il envoya des lettres par lesquelles, en vertu de l’autorité de l’Apôtre Saint Pierre, il cassa les actes de ce synode. »
Les ultramontains ont étrangement abusé de ce passage en faveur de leur système. S’ils l’avaient comparé aux autres textes de Saint Grégoire qui ont trait au même sujet, & à l’ensemble de sa doctrine, ils se seraient convaincus de deux choses : 1°) que Saint Grégoire n’entendait ici que la primauté accordée à l’Evêque de Rome par les conciles, à cause de la dignité de son siège, illustré par le Martyre de saint Pierre, premier des Apôtres ; 2°) qu’il ne s’agissait, dans le synode de Constantinople, que d’une affaire particulière concernant l’ascèse, & dans laquelle le prêtre inculpé avait eu recours à Rome, comme il le pouvait d’après les canons du Concile de Sardique. L’Evêque de Rome, Pélage, était donc juge en dernier ressort dans cette affaire ; il l’était en vertu de la primauté accordée à son siège à cause de Saint Pierre, le concile de Chalcédoine avait aussi, pour honorer Saint Pierre, offert aux Evêques de Rome le titre d’universels, comme nous l’apprend Saint Grégoire. Mais IL Y A LOIN DE LA A UNE SOUVERAINETE DE DROIT DIVIN appartenant aux papes par succession de Saint Pierre.

Les ultramontains ont vu tout cela dans le texte ci-dessus de Saint Grégoire ; mais ils ont soigneusement évité, pour atteindre leur but, de citer les autres textes qui déterminent le sens de ce dernier, & nous font connaître la vraie doctrine du Saint pape.
(P.128).
Les ultramontains ont toujours usé de ce procédé dans leurs citations empruntées, soit aux Conciles, soit aux Pères de l’Eglise.
Poursuivons la lettre de Saint Grégoire le Grand :
« J’ai eu soin d’adresser à Votre Sainteté des copies de ces lettres ; Quant au Diacre qui, selon l’usage, est attaché à la suite des très pieux empereurs pour les affaires ecclésiastiques, Pélage lui défendit de communiquer, à la liturgie, avec notre susdit coévêque. Suivant les traces de mon prédécesseur, j’ai écrit à notre coévêque des lettres dont j’ai cru devoir envoyer des copies à Votre Béatitude. Notre principale intention était, dans une affaire qui, à cause de son orgueil, trouble l’Eglise jusqu’en ses entrailles, de rappeler l’esprit de notre frère à la modestie & à l’humilité, afin que, s’il ne voulait rien céder à la rigueur de son orgueil, nous pussions plus facilement, avec le secours de Dieu Tout-Puissant, traiter des moyens de le réprimer.
« Comme Votre Sainteté, que je vénère d’une manière particulière, le sait, ce titre d’Universel a été offert par le Saint Concile de Chalcédoine à l’Evêque du siège apostolique, dont je suis le serviteur, par la grâce de Dieu. Mais aucun de mes prédécesseurs n’a voulu se servir de ce mot profane ; parce que, en effet, si un patriarche est appelé Universel, on ôte aux autres le titre de patriarche. Loin, bien loin de toute âme Chrétienne la volonté d’usurper quoi que ce soit qui puisse, tant soit peu, diminuer l’honneur de ses frères ! Lorsque nous, nous refusons un honneur qui nous a été offert, réfléchissez combien il est ignominieux de le voir usurper violemment par un autre. »
Les ultramontains se sont bien gardés d’attirer l’attention sur ce passage, où Saint Grégoire se considère comme un patriarche égal aux autres patriarches ; dans lequel il dit clairement que si un des patriarches SE PRETEND UNIVERSEL, les autres, par là même, ne sont plus Patriarches. Cette doctrine s’accorde fort bien avec celle de la primauté accordée au patriarche de Rome, à cause de Saint Pierre & en souvenir du Martyre que ce premier des Apôtres souffrit à Rome ;mais peut-elle s’accorder avec une SOUVERAINETE UNIVERSELLE venant DE DROIT DIVIN aux évêques de Rome, par Saint Pierre, leur prétendu prédécesseur ? Non évidemment. Saint Grégoire continue à exposer une DOCTRINE OPPOSEE AU SYSTEME PAPAL ACTUEL.
« C’est pourquoi, dit-il, que Votre Sainteté ne donne à personne, dans ses lettres, le titre d’Universel, afin de ne pas se priver de ce qui lui est dû, en offrant à un autre un honneur qu’elle ne lui doit pas. En cela, ne concevez aucune crainte des sérénissimes seigneurs ; car l’empereur craint le Dieu Tout-Puissant, & il ne consent point à ce que l’on viole les commandements évangéliques & les très saints canons. Pour moi, quoique je sois séparé de vous par de longs espaces de terre & de mer, je vous suis cependant étroitement uni de cœur. J’ai confiance que tels sont aussi les sentiments de Votre Béatitude à mon égard ;
(P.129)
Dès que vous m’aimez comme je vous aime, l’espace ne nous sépare plus. Grâces donc à ce grain de sénevé, à cette graine qui en apparence était petite & méprisable, & qui, en étendant de toutes parts ses rameaux sortant de la même racine, a formé un asile à tous les oiseaux du Ciel ! Grâces aussi à ce levain qui, composé avec trois mesures de farine, a formé en unité la masse du genre humain tout entier ; grâces encore à cette petite pierre qui, détachée sans efforts de la montagne, a occupé toute la surface de la terre ; qui s’est étendue au point de faire, du genre humain amené à l’unité, le corps de l’Eglise universelle ; qui a fait même que la distinction des différentes parties servît à resserrer les liens de l’unité !
Il suit de là que nous ne sommes pas éloignés de vous, puisque nous sommes un en Celui qui est partout. Rendons-lui donc grâces d’avoir détruit les inimitiés au point que, dans son humanité, il n’y eût plus dans tout l’univers qu’un seul troupeau & une seule bergerie sous un seul berger qui est Christ Lui-même. Souvenons-nous toujours de ces avertissements du Prédicateur de la Vérité : « Soyez vigilants à conserver l’unité de l’Esprit dans le lien de la Paix. » -( Epître de Saint Paul aux Ephésiens, IV, 3) : « Cherchez à avoir avec tout le monde la Paix & la bonne Harmonie, sans laquelle personne ne verra Dieu. »-(Epître de Saint Paul aux Hébreux, XII, 14). Le même Apôtre Paul disait à ses Disciples : « Si cela est possible, autant qu’il est en vous, ayez la Paix avec tout le monde. » (- Epître de Saint Paul aux Romains, XII, 18)-. Il savait que les Bons ne pouvaient avoir la Paix avec les Mauvais ; c’est pourquoi il dit d’abord, comme vous le savez : Si cela est possible. »
Arrêtons-nous un instant sur ce passage de la lettre de Saint Grégoire. N’est-il pas remarquable qu’en parlant de l’Eglise comme d’un seul troupeau sous la conduite d’un seul Berger, qui est Jésus-Christ, il dise expressément que Jésus-Christ est le seul Berger visible de l’Eglise, ou, ce qui est lamême chose qu’il en est le pasteur dans Son Humanité, dans sa chair, selon toute la force de l’expression « in carne sua » ? N’est-ce pas là exclure toute idée de pasteur universel remplaçant & représentant & représentant Jésus-Christ ? N’est-ce pas là, par conséquent, détruire, d’un seul mot, toutes LES PRETENTIONS DE LA PAPAUTE MODERNE, & réduire la vraie papauté à une primauté établie par l’Eglise ?
Nous remarquons encore que Saint Grégoire, en citant l’Epître aux Romains, appelle ces Romains les Disciples de Saint Paul. Saint Paul n’écrivit son Epître aux Chrétiens de Rome que l’an 58 de Jésus-Christ ; il n’y avait alors, à Rome, que peu de Chrétiens, qui ne formaient pas d’Eglise proprement dite, & qui se réunissaient chez l’un d’eux, Aquilas. Ils étaient venus à Rome de divers pays évangélisés par Saint Paul ; c’est pourquoi Saint Grégoire les appelle les Disciples de cet Apôtre. Ils lui écrivirent pour le prier de venir les visiter & les instruire. Paul leur répondit par son Epître, dans laquelle il leur promet d’évangéliser Rome. Il y alla deux ans après. Il y trouva des Juifs qui ne connaissaient encore les Chrétiens que de nom, qui n’avaient pas encore été, par conséquent, évangélisés par Saint Pierre, leur Apôtre exprès. Paul forma une Eglise à Rome, & y mit pour Evêque lin, son Disciple, que Tertullien, Saint Irénée & Eusèbe comptent comme le premier Evêque de Rome.
(P.130).
Que devient, devant ces faits, le prétendu épiscopat de Saint Pierre à Rome, sur lequel les ultramontains appuient tous leurs SYSTEMES ? Saint Pierre n’est évidemment venu à Rome que peu de Temps avant d’y souffrir le Martyre. Ce fut à cause du Martyre du premier des Apôtres, et non à cause de son Episcopat à Rome, que les Conciles, comme ceux de Chalcédoine & de Sardique, par exemple, accordèrent à l’Evêque de Rome des privilèges spéciaux.
Aussi, Saint Grégoire, dans la lettre que nous traduisons, ne cherche-t-il pas à s’attribuer, comme étant de succession apostolique par Saint Pierre, une autorité qu’il n’avait pas ; il fait même remonter, avec raison, son Eglise à Saint Paul, & non à Saint Pierre. Donc s’il appelle dans un autre endroit l’autorité de son prédécesseur l’autorité de Saint Pierre, il n’entend par là que les droits que les Evêques avaient reçus des Conciles, de celui de Sardique en particulier, pour l’honneur de Saint Pierre, qui avait illustré l’Eglise de Rome par sa Mort glorieuse. Continuons la lettre du Saint pape :
« Mais parce que la Paix ne peut exister entre deux partis opposés, dès que les mauvais la fuient,
les Bons doivent y tenir du fond de leurs entrailles. Aussi Saint Paul dit-il admirablement : « Autant qu’il est en vous », pour nous faire comprendre qu’elle doit se maintenir en nous, même lorsque les hommes pervers la repoussent de leur cœur. Nous conservons véritablement la Paix lorsque nous poursuivons les faute des orgueilleux sous l’impulsion de la charité & de la justice ; lorsque nous aimons leurs personnes, & que nous haïssons leur vices, car l’homme est l’œuvre de Dieu, mais le vice est l’œuvre de l’homme. Distinguons, par conséquent, ce que Dieu a fait de ce que fait l’homme ; ne haïssons pas l’homme à cause de son erreur, & n’aimons pas l’erreur à cause de l’homme.
Poursuivons donc, dans l’homme, le mal de son orgueil, en lui restant uni en esprit, afin que cet homme soit délivré de son ennemi, c’est-à-dire de son erreur. Notre Rédempteur Tout-Puissant donnera des forces à notre charité & à notre justice ; Il nous donnera l’unité de Son Esprit, à nous qui sommes séparés de vous par une grande étendue de terre, car c’est Lui qui a construit Son EGLISE COMME UNE ARCHE, en lui donnant pour ses quatre côtés les quatre parties du monde ; Il l’a faite d’un bois incorruptible ; Il l’a enduite du bitume de la charité, de manière qu’elle n’ait rien à craindre, ni du côté des vents, ni du côté des flots. Nous devons le Prier de tout notre Cœur, très chers frères, afin que, sous le gouvernement de la Grâce, l’eau du dehors ne la trouble pas, & que la droite de la Providence tienne en bon état le fond du vaisseau ; car le Diable, notre Ennemi, en sévissant contre les Humbles & en tournant autour d’eux, comme un lion rugissant qui cherche à les dévorer, ne se contente pas, comme nous le voyons, de tourner autour, mais il a planté si profondément ses dents dans certains membres nécessaires de l’Eglise que, sans aucun doute, ( ce qu’à Dieu ne plaise) ! Le troupeau sera bientôt ravagé si les autres bergers ne s’entendent entre eux pour le secourir, sous les auspices du Seigneur. Songez, très chers frères, à ce que fera bientôt celui qui, de prime abord, a soulevé de si détestables projets contre le sacerdoce. Il est près de nous celui dont il a été écrit : « Celui-là est Roy sur tous les enfants d’orgueil. »
(P.131).
Je ne puis le dire sans être accablé de douleur, notre frère & coévêque Jean cherche à s’élever jusqu’à ce titre, en méprisant les commandements du Seigneur, les préceptes apostoliques, & les préceptes des Pères.
« Que le Dieu Tout-Puissant fasse connaître à Votre Béatitude combien je gémis profondément en pensant à celui qui me semblait autrefois le plus modeste des hommes, celui que j’aimais le mieux, qui ne semblait occupé que d’aumônes, de prières, de jeûnes, a tiré sa jactance de cette cendre sur laquelle il était assis, de cette humilité dont il se faisait gloire, au point de chercher à tout s’attribuer, & par l’orgueil d’un titre pompeux, à subjuguer tous ceux qui sont attachés au chef unique qui est le Christ, c’est-à-dire les membres de ce même Christ. Il n’est pas étonnant que le Tentateur, qui sait que l’orgueil est le commencement de tout péché, qui s’en est servi d’abord contre le premier homme, cherche, par ce vice, à détruire les vertus de certaines personnes, qu’il tende un piège, & qu’il mette un obstacle à toute œuvre bonne, dans les vertus mêmes de ceux qui sembleraient avoir échappé à ses mains cruelles.
C’est pourquoi il faut Prier beaucoup ; nous devons adresser au Dieu Tout-Puissant de continuelles Prières, pour qu’il détourne l’erreur de l’esprit de notre frère, qu’il écarte de l’unité & de l’humilité de Son Eglise ce mal d’orgueil & de trouble. Avec la Grâce de Dieu, il faut recourir à toutes ses forces, pour empêcher que, par le poison contenu dans un seul titre, les membres qui vivent dans le Corps du Christ ne soient frappés de Mort ; car, PERMETTRE CE TITRE, C’EST DETRUIRE LA DIGNITE DE TOUS LES PATRIARCHES ; ET S’IL ARRIVE QUE CELUI QUI SE DIT UNIVERSEL TOMBE DANS L’ERREUR, IL N’Y A PLUS AUCUN EVEQUE QUI SOIT RESTE FERME DANS LA VERITE.
« Il faut donc que vous conserviez dans leur intégrité les Eglises, telles que vous les avez reçues, & que cette tentation d’usurpation diabolique ne trouve chez vous aucun appui. Tenez bon, & soyez tranquilles ; ne donnez & ne recevez jamais d’écrits qui porteraient ce faux titre d’universel ; empêchez tous les Evêques qui vous sont soumis de se souiller en adhérant à cet orgueil, & que toute l’Eglise sache que vous êtes Patriarches non seulement par vos œuvres bonnes, mais encore par une autorité véritable. S’il nous en arrive quelque malheur, nous le supporterons ensemble ; & notre devoir sera de montrer, même par notre Mort, que nous n’avons rien qui nous soit cher dès qu’il en résulte du dommage pour l’universalité. Disons avec Paul : « Le Christ est ma vie, & mourir m’est un gain » -( Epître aux Philippiens I, 21)-. Ecoutons ce que le premier de tous les bergers a dit : « Si vous souffrez quelque chose pour la justice, vous serez heureux. »
Ces dernières Paroles citées par Saint Grégoire se trouvent dans l’Evangile de Saint Matthieu ( V, 10), & y sont prononcées par Jésus-Christ. Elles ont été répétées par Saint Pierre, dans sa première Epître (III, 14). On peut donc appliquer soit à Jésus-Christ, soit à Saint Pierre, le titre de premier de tous les pasteurs. Nous croyons que, par ce titre, Saint Grégoire voulait désigner Jésus-Christ Lui-même ; mais lorsqu’on soutiendrait qu’il entendait Saint Pierre, il ne s’ensuivrait rien en faveur des PRETENTIONS PAPALES ; car, de ce que Saint Pierre a été le premier des Apôtres, on ne peut en conclure que les Evêques de Rome soient les souverains de l’Eglise universelle, comme les ultramontains voudraient le faire croire.
Saint Grégoire termine ainsi sa lettre :
« Croyez bien que la dignité que j’ai reçue pour prêcher la Vérité, nous l’abandonnons tranquillement pour cette même Vérité, si cela est nécessaire ; Priez pour moi, comme il convient à Votre très chère béatitude, afin que mes œuvres soient en rapport avec les Paroles que j’ai osé vous adresser. »
VIII.
Nous demandons si c’est là le langage d’un supérieur à l’égard de ses subordonnés ? Saint Grégoire, en sa qualité de premier Evêque de l’Eglise, de premier des Patriarches, prend l’initiative, appelle l’attention des autres Patriarches, ses frères, sur LES USURPATIONS de l’un d’entre eux ; il les prie de s’unir à lui pour résister à ce qu’il regarde comme un malheur pour l’épiscopat tout entier, même pour l’Eglise universelle ; Il ne fait pas la plus légère allusion à l’autorité supérieure qu’il aurait possédée ; il n’en appelle qu’aux préceptes divis & aux canons contre une usurpation qu’il qualifie de diabolique. Encore une fois, est-ce là le langage d’un chef, d’un monarque universel ? Non, évidemment. On ne peut lire cette belle lettre de Saint Grégoire aux Patriarches d’Antioche & d’Alexandrie sans être persuadé que la papauté, telle qu’on la prétend être aujourd’hui de droit divin, lui était inconnue ; qu’il s’éleva contre les premiers essais de cette papauté, dans la personne de Jean de Constantinople ; qu’il considéra ces premiers essais comme l’effet d’un orgueil qui ne pouvait venir que du Diable, comme une entreprise capable de bouleverser l’Eglise, attentatoire aux droits du Sacerdoce tout entier, sacrilège, impie, & inepte.
Si Saint Grégoire considérait ainsi les premières tentatives d’une papauté universelle, que dirait-il de cette papauté elle-même, avec toutes ses prétentions modernes, Il s’en montrerait, avec raison, le plus grand ennemi, & il verrait en elle la source de tous les maux dont l’Eglise est accablée depuis des siècles.
Nous avons traduit les lettres par lesquelles le pape Saint Grégoire le Grand combattit, par tous les moyens en son pouvoir, la première tentative qui ait été faite dans l’Eglise pour USURPER UN TITRE qui pouvait faire supposer UNE AUTORITE UNIVERSELLE. Quant à cette autorité en elle-même, personne n’y prétendait alors, pas plus le pape Saint Grégoire, Evêque de Rome, que Jean, Evêque de Constantinople.
Il est remarquable que les premières attaques contre la simple apparence de cette autorité dont les papes, depuis LES FAUSSESE DECRETALES, ont fait une si triste réalité, il est remarquable, disons-nous, que ces premières attaques soient parties de Rome, & d’un des papes les plus Saints & les plus Doctes. On serait bien aveugle si l’on ne voyait pas là une disposition de la Providence, qui voulait condamner d’avance, & par l’organe d’un grand pape, écho fidèle des doctrines des six premiers siècles de l’Eglise, les usurpations sacrilèges des papes postérieurs, & les pièces mensongères sur lesquelles ils ont prétendu les appuyer.
(P.133).
Il n’est pas moins remarquable que ce soit en Orient que l’on ait cherché à légitimer un titre qui était le premier pas vers L’ABSOLUTISME RELIGIEUX. Jean de Constantinople, qui l’avait fait, persista dans ses AMBITIEUSES PRETENTIONS, malgré les lettres de Saint Grégoire, & grâce à l’appui de l’empereur Maurice. Le Patriarche d’Alexandrie ne lui ayant pas répondu, Grégoire lui écrivit pour le prier de lui faire connaître son opinion. –(cf/ Lettres de Saint Grégoire, livre VI, lettre 60° ( édit. Bénéd.)-.
Sur ces entrefaites, Jean de Constantinople Mourut. Grégoire écrivit aussitôt à Cyriaque, successeur de cet Evêque, qui lui avait envoyé une lettre de communion. Il le félicite de sa Foy, mais il ajoute, au sujet du titre d’universel qu’il avait pris à l’exemple de son prédécesseur :
« Nous aurons véritablement la Paix entre nous, lui dit-il –( in Lettres de Saint Grégoire, livre VII, lettre 4)-, si vous renoncez à l’orgueil d’un titre profane, selon la Parole de Saint Paul, Maître des Gentils : « O TIMOTHEE ! CONSERVE LE DEPOT DE LA FOY, évitant les profanes nouveautés de paroles. –( in Paul, Ière Epître à Timothée, VI, 20)-. Il est trop injuste, en effet, que ceux qui sont devenus les prédicateurs de l’humilité se glorifient d’un vain titre d’orgueil ; le Prédicateur de la Vérité ayant dit : « Loin de moi de me glorifier en quoi que ce soit, si ce n’est dans la Croix de notre Seigneur Jésus-Christ », -( in Saint Paul, Epître aux Galates, VI, 14)-, celui-là donc est vraiment glorieux qui se glorifie, NON de LA PUISSANCE TEMPORELLE, mais de ce qu’il souffre pour le Nom du Christ. C’est en cela que nous vous embrassons de tout cœur ; c’est encela que vous reconnaissons pour Prêtre, si, REPOUSSANT LA VANITE DES TITRES, vous occupez un siège de Sainteté avec une Sainte Humilité.
« Car nous avons été scandalisés à propos d’un titre coupable ; nous en avons gardé rancune, & nous nous sommes prononcés hautement à ce sujet. Mais Sa Béatitude sait que la Vérité a dit : « Si tu apportes ton offrande devant l’autel, & que tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande, & va d’abord te réconcilier avec ton frère ; puis, reviens, & fais ton offrande. » - ( Evangile de Saint Matthieu, V, 23-24)-. Ainsi, bien que toute faute soit effacée par le sacrifice, le mal du scandale dont on est cause est si grand que le Seigneur n’accepte pas de celui qui en est coupable le sacrifice qui d’ordinaire remet la faute. Hâtez-vous donc de purifier votre cœur de ce scandale, afin que le Seigneur puisse avoir pour agréable le sacrifice de votre oblation ».
Grégoire ayant eu occasion d’écrire une seconde lettre à Cyriaque, il y revint sur le même sujet, tant il y attachait d’importance :
« Je ne pourrais, dit-il, - (Ibidem, Livre VI, lettre 5)-, vous exprimer dans cette lettre combien mon âme est liée à Votre Charité ; mais je prie que le Dieu Tout-Puissant, par le Don de la Grâce, augmente encore cette union entre nous, & détruise toute occasion de scandale, afin que LA SAINTE EGLISE, UNIE PAR LA CONFESSION DE LA VRAIE FOY, dont les liens sont resserrés par les sentiments réciproques des Fidèles, ne souffre aucun dommage des discussions que les prêtres pourraient avoir entre eux.
(P.134).
Quant à moi, malgré tout ce que je dis, & dans l’opposition que je fais à certains actes orgueilleux, je conserve, grâce à Dieu, la Charité au fond de mon cœur, & en soutenant au-dehors les droits de la Justice, je ne repousse pas intérieurement ceux de l’Amour & de l’affection.
« Pour vous, payez mes sentiments de retour, & respectez les droits de la paix & de l’affection, afin que, restant unis en esprit, nous ne laissions exister entre nous aucun sujet de division. Nous pourrons plus facilement obtenir la Grâce du Seigneur si nous nous présentons devant Lui avec des cœurs unis. »
IX
On doit croire que Cyriaque ne se laissa pas toucher par les tendres exhortations de Grégoire. En effet, le grand pape écrivit quelque temps après au Patriarche d’Antioche pour lui reprocher amicalement de ne pas attacher assez d’importance à l’usurpation de leur frère de Constantinople. On voit, par cette lettre, que le Patriarche d’Antioche craignait de s’attirer la disgrâce de l’empereur s’il se prononçait contre le Patriarche de Constantinople. Il écrivit à Grégoire, son ami, une lettre très flatteuse ; « mais, lui répondit le Saint pape –(in Lettres de Saint Grégoire, Livre Vii, lettre 27)-, Votre Sainteté, comme je le vois, a voulu que sa lettre fût semblable à l’abeille qui porte du miel &un aiguillon, afin de me rassasier de miel & de me piquer. Mais j’y ai trouvé une occasion de méditer cette parole de Salomon : « Les blessures d’un ami sont meilleures que les baisers d’un ennemi hypocrite. » -( Proverbes XXVII, 6)-.
« Quant à ce que vous me dites au sujet du titre qui m’a scandalisé, que je dois céder, parce que la chose n’a pas d’importance, l’empereur m’a écrit la même chose. Ce qu’il m’a dit en vertu de son pouvoir, je sais que vous me le dites par attachement. Je ne m’étonne point de trouver dans votre lettre les mêmes expressions que dans celle de l’Empereur, car l’amour& la puissance ont entre eux beaucoup de rapports ; tous deux sont au premier rang, & ils parlent toujours avec autorité.
Lorsque je reçus la lettre synodique de notre frère & co-évêque Cyriaque, je n’ai pas cru devoir différer de lui répondre malgré le titre profane qu’il y prenait, de peur de troubler l’unité de la Sainte Eglise : j’ai eu soin cependant de lui faire connaître mon avis touchant ce titre superbe & superstitieux ; je lui ai dit qu’il ne pourrait avoir la paix avec nous s’il ne s’abstenait de prendre ce titre d’orgueil qui n’était qu’une invention du Premier Apostolat. Vous ne devez pas considérer cette même affaire comme étant sans importance, parce que, si nous la tolérons, nous corrompons la Foy de toute l’Eglise. Vous savez combien, non seulement d’hérétiques, mais d’hérésiarques sont sortis de l’Eglise de Constantinople.
(P.135).
Pour ne rien dire de l’injure qui est faite à votre dignité, on ne peut disconvenir que si un évêque est appelé universel, toute l’Eglise s’écroule si cet universel tombe. Mais, loin de moi de prêter l’oreille à une telle folie, à une telle légèreté, je mets ma confiance dans le Seigneur Tout-Puissant qui accomplira cette promesse qu’Il a faite : « Quiconque s’élève sera abaissé. » ( Ev. Luc. XIV, 11, & XVIII, 14).
On ne pouvait apprécier plus sainement que ne le fait Saint Grégoire le Grand les inconvénients graves qui pouvaient résulter pour l’Eglise d’une autorité centrale qui prétendrait la résumer & la représenter. L’homme quel qu’il soit, & souvent à cause même de la dignité supérieure dont il est revêtu, est sujet à l’erreur ; s’il résume l’Eglise, l’Eglise tombe avec lui. Tel est le raisonnement de Saint Grégoire. Il a été trop clairvoyant, & nous voyons non l’Eglise universelle, mais L’EGLISE ULTRAMONTAINE TOMBER AVEC LE PAPE qui prétend résumer l’Eglise entière en sa personne, en être l’infaillible personnification. Le pape a osé mettre au rang des dogmes l’opinion de l’Immaculée-Conception, & les évêques contemporains, qui devraient être les échos de la Foy permanente & universelle, ont déclaré se soumettre, au nom de leurs églises, à son jugement PRETENDU INFAILLIBLE ; il fait de SES PREROGATIVES ILLEGITIMES autant de conditions nécessaires de l’unité de l’ église ; & les évêques contemporains adhèrent avec bruit à ces prétentions, encore au nom de leurs églises. Le pape cherche à élever jusqu’à une question catholique celle de son temporel, & les évêques contemporains tombent avec lui dans cette erreur, & y entraînent les catholiques. Un seul est tombé, &parce qu’il se prétend universel & la personnification de l’église, L’EGLISE ULTRAMONTAINE qu’il résume EST TOMBEE AVEC LUI.
Heureusement que l’Eglise de Jésus-Christ n’est pas plus celle d’une époque que celle d’un dieu, & qu’on peut toujours la distinguer au moyen du critère universel, si nettement formulé par les Pères de l’Eglise. Autrement, il ne faudrait plus croire aux promesses de Jésus-Christ ; il faudrait dire d’une manière absolue ce que disait Saint Grégoire d’une manière relative : L’universel est tombé, toute l’Eglise est tombée.
On disait à la cour de Constantinople que Grégoire ne faisait une si rude guerre au titre d’universel que par jalousie contre l’Evêque de Constantinople-Nouvelle Rome, & pour le rabaisser. L’empereur & Cyriaque lui écrivirent en ce sens avec tout le respect qu’il méritait ; mais Grégoire fit bien comprendre à Cyriaque qu’on l’avait mal jugé. Il lui envoya, ainsi qu’à l’empereur, le diacre Anatolius pour les détromper, & le chargea de lettres pour l’empereur & pour le Patriarche. Il dit à ce dernier, après l’avoir remercié de paroles flatteuses –( Ibidem, Livre VII, lettre 31)- : « Il faut que ce soit, non pas seulement par des paroles, mais par des actes que vous témoigniez à moi & à tous vos frères l’éclat de votre charité, en vous hâtant de renoncer à un titre d’orgueil, qui a été une cause de scandale pour toutes les Eglises. Accomplissez cette parole de l’Apôtre Paul : « Appliquez-vous à conserver l’unité de l’esprit dans le lieu de la paix ( Ephésiens, IV, 3) ; et cette autre : « Ne donnez à votre ennemi aucune occasion de médire de vous. » -(in 1ère Epître à Timothée, V, 14). Votre Charité éclatera s’il n’existe pas de division entre nous à propos d’un titre orgueilleux.
(P. 136).
J’en appelle, du fond de mon âme, à Jésus, que je ne veux causer de scandale à personne, depuis le plus petit jusqu’au plus grand. Je désire que tous soient grands & comblés d’honneur, pourvu que cet honneur n’ôte rien à celui qui est dû au Dieu Tout-Puissant. En effet, quiconque veut être honoré contre Dieu n’est point honorable à mes yeux…En cette affaire, je ne veux nuire à personne, je veux seulement défendre l’humilité qui plaît à Dieu, & la concorde de la Sainte Eglise. Donc, que les choses qui ont été introduites nouvellement soient abrogées de la même manière qu’elles ont été établies, & nous conserverons entre nous la paix la plus pure dans le Seigneur. Quels bons procédés peuvent-ils exister entre nous, si nos sentiments ne sont qu’en paroles, & que nous nous blessions par nos actes ? »
Dans la lettre à l’empereur, Grégoire réfute fort bien l’argument que l’on tirait de la frivolité d’un titre honorifique auquel on affectait, à Constantinople, de ne pas attacher une grande importance. « Je prie Votre Piété Impériale, dit-il, - in Lettres de Saint Grégoire, livre VII, lettre 33)-, de bien remarquer qu’il y a des choses frivoles qui sont inoffensives, mais qu’il en est aussi de très nuisibles. Lorsque l’Anti-Christ viendra, & qu’il se dira Dieu, ce sera une chose parfaitement frivole, mais qui sera très pernicieuse. Si nous ne voulons apercevoir dans ce mot que la quantité des syllabes, nous n’en trouverons que deux ( De-us) ; mais si nous supposons le poids d’iniquité de ce titre, nous le trouverons énorme. Moi, je dis sans la moindre hésitation, que quiconque s’appelle l’évêque universel, ou désire ce titre, est, par son orgueil, le précurseur de l’Anti-Christ, parce qu’il prétend ainsi s’élever au-dessus des autres. L’erreur où il tombe vient d’un orgueil égal à celui de l’Anti-Christ, parce que, comme ce pervers veut être regardé comme élevé au-dessus des autres hommes comme un Dieu, de même, quiconque désire être appelé « seul évêque » s’élève au-dessus des autres. »

X.
On enseigne aujourd’hui, au nom de l’Eglise, & en faveur de l’évêque de Rome, cette doctrine que Saint Grégoire flétrissait avec tant d’énergie. C’est ainsi que M. l’abbé Bouix, dans son cours de droit canonique composé à Rome, & publié avec approbation de Rome ; que M. Parisis, évêque d’Arras, dans un cours de droit canonique qu’il a approuvé pour l’enseignement de ses clercs, & qui est suivi dans plusieurs autres séminaires ; que le journal Le Monde, qui est le journal le plus autorisé du pape & de sa cour ; c’est ainsi que cent autres écrivains ultramontains, enseignent à tout propos que le appe a une autorité universelle ;
(P.137)
qu’il est l’évêque universel ; qu’il est le seul évêque à proprement parler ; la source d’où découle toute dignité ecclésiastique, y compris l’épiscopat, qui n’est qu’indirectement & médiatement de droit divin.
Tel est l’enseignement que l’on voudrait nous donner aujourd’hui comme l’enseignement universel. Les modernes novateurs savent-ils que le pape Saint Grégoire le Grand eût regardé une pareille doctrine comme diabolique, & qu’il a appelé d’avance Anti-Christ ce pape revêtu d’un prétendu épiscopat universel ?
Saint Grégoire ne prenait aucune détermination importante sans en donner connaissance aux autres Patriarches. Il écrivit donc à ceux d’Alexandrie & d’Antioche pour leur apprendre comment il s’était conduit à l’égard du nouveau patriarche de Constantinople. Euloge, patriarche d’Alexandrie, se laissa persuader par Saint Grégoire, & lui annonça qu’il ne donnait plus à l’Evêque de Constantinople le titre d’universel ; mais, croyant flatter Grégoire, qu’il aimait & qui lui avait rendu service en plusieurs occasions, il lui donna ce titre à lui-même, & écrivit que s’il ne le donnait pas à l’évêque de Constantinople, c’était pour se soumettre aux ordres de Grégoire. Celui-ci lui répondit aussitôt, & nous trouvons dans sa lettre le passage suivant, qui montrera quelle idée Saint Grégoire avait de son autorité comme Evêque de Rome : « Sa Béatitude a pris soin de nous dire qu’en écrivant à certains, elle ne leur donnait plus des titres qui n’avaient que l’orgueil pour origine, & elle se sert de ces expressions à mon égard : comme vous l’avez ordonné. Je vous en prie, ne me faites jamais entendre ce mot d’ordre, car je sais qui je suis, & qui vous êtes. Par votre place, vous êtes mes frères ; par vos vertus, vous êtes mes pères. Je n’ai donc point ordonné ; j’ai pris soin seulement d’indiquer des choses qui m’ont paru utiles. Je ne trouve pas cependant que Sa béatitude ait voulu parfaitement retenir ce que précisément je voulais confier à sa mémoire, car j’ai dit que vous ne me deviez pas plus donner ce titre à moi qu’à d’autres ; et voici que, dans la suscription de votre lettre, vous me donnez, à moi qui les ai proscrits, les titres orgueilleux d’universel & de pape ! Que votre Douce Sainteté n’en agisse plus ainsi à l’avenir, je l’en prie ; car vous vous ôtez à vous-même ce que vous donnez de trop à un autre. Je ne demande pas à croître en titres, mais en vertus. Je ne regarde pas comme un honneur ce qui fait perdre à mes frères leur propre dignité. Mon honneur, c’est celui de toute l’Eglise. Mon honneur, c’est la fermeté inébranlable de mes frères. Je me regarde comme véritablement honoré lorsqu’on ne refuse à qui que ce soit l’honneur qui lui est dû. Si Votre Sainteté me dit pape universel, elle nie qu’elle soit ce que je serais tout entier. A Dieu ne plaise qu’il en soit ainsi ! Loin de nous des mots qui enflent la vanité, & qui blessent la charité ! Il est vrai que, dans le Saint Concile de Chalcédoine, & depuis par les Pères qui sont venus ensuite, ce titre a été offert à mes prédécesseurs, comme Votre Sainteté le sait ; mais aucun d’eux n’a voulu le prendre, afin qu’en aimant en ce monde la dignité de tous les Prêtres, ils conservassent la leur aux yeux du Tout-Puissant. »
Le pape Saint Grégoire condamnait donc, même dans la personne des Evêques de Rome, le titre de pape universel ;
(P.138)
Il reconnaît que le patriarche d’Alexandrie est son égal, qu’il n’a pas d’ordre à lui donner, qu’il n’a pas par conséquent d’autorité sur lui.
Comment concilier cette doctrine orthodoxe du pape Saint Grégoire le Grand avec cette doctrine moderne qui attribue au pape une autorité universelle de droit divin ? C’est aux ultramontains à répondre à cette question.
Dans la discussion touchant le titre d’universel, Saint Grégoire s’exprimait ainsi dans une lettre adressée aux Patriarches d’Alexandrie & d’Antioche : « J’ai admis à la communication de la liturgie des envoyés de Cyriaque, parce qu’ils m’en prièrent humblement, & parce que aussi, comme je l’ai écrit au sérénissime empereur, les envoyés de notre frère & coévêque Cyriaque ont dû communiquer avec moi, par la raison que je ne suis point, grâce à Dieu, tombé dans l’erreur de l’orgueil. Mais mon Diacre n’a pu communiquer à la liturgie avec notre frère Cyriaque, par la raison qu’il est tombé & qu’il persiste dans la faute de l’orgueil en prenant un titre profane. » -( in lettres de Saint Grégoire, livre VII, lettre 34ème ( édit. Bénéd.)-.
Ainsi, d’après Saint Grégoire, les envoyés du Patriarche de Constantinople auraient manqué à leur devoir si, à Rome, ils eussent communiqué avec lui, dans le cas où il aurait pris le titre d’universel. Il suit de là que la communication avec l’évêque de Rome n’est pas une condition nécessaire pour appartenir à l’Eglise ; que cet évêque peut être lui-même en dehors de l’Eglise ; qu’il lui suffit, pour être en dehors de l’Eglise, de prendre le titre d’universel.
De là une question fort grave : l’évêque de Rome appartient-il à l’Eglise si, non content du vain titre d’universel, il prétend avoir L’AUTORITE UNIVERSELLE, qui est le titre mis en pratique, Celui qui usurpe cette autorité n’usurpe-t-il pas plus que celui qui s’empare simplement d’un mot qui n’en est que le signe ?
Nous laissons au lecteur le soin de tirer toutes les conséquences qui découlent des principes de Saint Grégoire sur ce dernier point, & nous le prierons seulement de remarquer ce grave enseignement du grand pape en ce qui touche à la communion avec l’évêque de Rome.
Il est évident qu’à ses yeux, l’on peut appartenir à l’Eglise sans être en communion avec lui. L’enseignement de Saint Grégoire est formel sur ce point.

XI.
Anastase le Jeune, ou le Sinaïte, ayant succédé à Anastase le Grand, sur le siège patriarcal d’Antioche, en 599, envoya à Grégoire, comme aux autres principaux Evêques, sa lettre synodale ou de communion. Grégoire, dans sa réponse, exposa les conditions nécessaires pour appartenir à l’Eglise. Voici comment il s’exprime –(in Lettres de Saint Grégoire, livre VII, lettre 34° ( édit. Bénéd.)- :
(P.139) :
« J’ai reçu les lettres de Sa Béatitude, dans lesquelles vous professez la vraie Foy ; j’ai rendu Grâce au Dieu Tout-Puissant, qui, en changeant les bergers de son Eglise, conserve immuable la Foy qu’Il a donnée pour toujours aux Saints Pères. Le prédicateur par excellence, Paul, l’Apôtre, a dit : « Personne ne peut poser d’autre fondement que celui qui a été posé, c’est-à-dire Jésus-Christ. » ( 1ère Epître aux Corinthiens, III, 11) ; donc, quiconque garde fermement la Foy qui est en Jésus-Christ, avec l’Amour de Dieu & du prochain, a posé en soi pour fondement le même Jésus-Christ, Fils de Dieu & de l’homme. Or, il faut espérer que, où le Christ est fondement, l’édifice des œuvres bonnes sera construit dessus. La Vérité a dit elle-même : « Celui qui n’entre pas par la porte dans la bergerie, mais qui y entre par ailleurs, celui-là est un voleur & un larron ; mais celui qui entre par la porte est le berger des brebis. » Elle ajoute un peu après : « C’est moi qui suis la porte. » -(Evangile de Saint Jean, X, 9)-. Celui-là donc entre par la porte dans la bergerie, qui y entre par Jésus-Christ. Et celui-là y entre par Jésus-Christ, qui pense & enseigne la Vérité touchant le Dieu Créateur & Rédempteur du genre humain, & qui observe ce qu’il prêche. »
Telles sont les conditions auxquelles les prêtres & les fidèles sont dans l’Eglise de Jésus-Christ. Saint Grégoire ne parle point de la nécessité d’être uni au siège de Rome.
Dans sa réponse à la lettre de communion d’Isace, Evêque de Jérusalem, il enseigne la même doctrine, & se sert des mêmes expressions. –( cf : Lettres à Saint Grégoire, livre XI ; lettre 46° ( édit. Bénéd.)-. Il y compare, en outre, l’Eglise à l’arche que Noé construisit avec des bois incorruptibles : « Notre arche, ajoute-t-il, est aussi composée de bois incorruptibles, puisqu’elle est bâtie avec des âmes fortes qui persévèrent dans le bien. » Grégoire se tient toujours ferme dans cette doctrine, & ne fait jamais la plus légère illusion à la nécessité d’être en communion avec l’église de Rome.
Il ne faut pas, du reste, s’en étonner ; en effet, il ne considérait point le siège de Rome comme le siège unique de Saint Pierre ; il reconnaissait expressément que les sièges d’Alexandrie & d’Antioche étaient, aussi bien que celui de Rome, le siège du premier des Apôtres, & que ces trois sièges n’en faisaient qu’un. Citons ces paroles ; il écrit ainsi à Euloge, Patriarche d’Alexandrie : -(cf/ Lettres de Saint Grégoire, livre VII ; lettre 39° ( édition bénéd.)- :
« Votre très douce Sainteté m’a beaucoup parlé dans sa lettre de la chaire de Saint Pierre, prince des Apôtres, disant que cet Apôtre y vit encore lui-même dans ses successeurs. Or, je me reconnais indigne non seulement de l’honneur des chefs, mais d’être compté au nombre des fidèles. Cependant, j’ai accueilli volontiers tout ce que vous avez dit, parce que vos paroles touchant la chaire de Pierre venaient de celui qui occupe cette chaire de Pierre. Un honneur particulier n’a aucun charme pour moi, mais je me réjouis beaucoup de ce que vous, qui êtes très Saints, ne m’attribuez que ce que vous vous donnez à vous-mêmes. Qui ne sait, en effet, que la Sainte Eglise a été affermie sur la solidité du prince des Apôtres, dont le nom est le signe de la fermeté de son âme, & qui a pris, de la pierre, son nom de Pierre ?
(P.140).
Que c’est à lui qu’il a été dit par la Vérité : « Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux…quand tu seras converti, affermis tes frères…Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? Pais mes brebis. » C’est pourquoi, quoiqu’il y ait de nombreux Apôtres, le seul siège du prince des Apôtres a prévalu par sa principauté, lequel siège existe en trois lieux ; car c’est lui qui a rendu glorieux le siège dans lequel il a daigné se reposer (quiescere), & finir la vie présente. C’est lui qui a illustré le siège où il envoya l’évangéliste son disciple. C’est lui qui a affermi le siège dans lequel il s’est assis pendant sept ans, quoiqu’il ait dû le quitter. Donc, puisqu’il n’y a qu’un siège unique du même Apôtre, & que trois évêques sont maintenant assis sur ce siège, par l’autorité divine, tout ce que j’entends dire de bien de vous, je me l’impute à moi-même. »
On doit remarquer que Saint Grégoire, en parlant de Rome, dit seulement que Saint Pierre s’y reposa & qu’il y Mourut ; à Alexandrie, il n’envoya que son disciple ; mais, à Antioche, il siégea sept ans. Si un Evêque a hérité du siège de Pierre, dans la rigoureuse acception du mot, ce serait donc, d’après Saint Grégoire, celui d’Antioche. Le grand pape n’ignorait pas que Saint Pierre n’était venu à Rome que pour y Mourir ; que l’Eglise Orthodoxe romaine était alors fondée & gouvernée par un Evêque ; aussi se contente-t-il de dire qu’il a rendu glorieux le siège de Rome par le Martyre qu’il a souffert, tandis qu’il désigne Antioche comme la vraie chaire épiscopale de Pierre. Nous croyons que Saint Pierre ne fut pas plus Evêque d’Antioche que de Rome, dans la stricte acception du mot ;mais il nous suffit de constater l’opinion de Saint Grégoire, & cette opinion, quelle qu’elle soit, n’en est pas moins un argument foudroyant contre les prétentions de la cour de Rome.
Ecrivant à Anastase le Grand ou l’Ancien, Patriarche d’Antioche, pour le consoler dans ses souffrances, Grégoire lui disait : -( Lettres de Saint Grégoire, livre VIII, lettre 2° ( édit. bénéd.)- :
« Voici que Votre béatitude est accablée de nombreuses tribulations dans sa vieillesse ; mais qu’elle songe à ce qui a été dit de celui dont elle occupe le siège. N’est-ce pas de lui que Christ, la Vérité elle-même a dit : « Lorsque tu seras vieux, un autre te ceindra, & te mènera où tu ne voudrais pas ? » ( Evangile de Saint Jean, XXI, 18).
On sait que ces Paroles furent adressées par Jésus-Christ à Saint Pierre.
Dans une autre lettre, au même Anastase, Saint Grégoire s’exprimait ainsi, après avoir cité des paroles qu’il croyait être de Saint Ignace d’Antioche :
« J’ai placé dans ma lettre ces paroles puisées dans vos écrits, afin que Votre Béatitude sache que Saint Ignace est aussi à nous. Car, de même que nous avons en commun le maître, le prince des Apôtres, ainsi nous ne devons nous attribuer exclusivement, ni l’un ni l’autre, le disciple de ce prince des Apôtres. » -( in Lettres de Saint Grégoire, livre XI ; lettre 39° ( édit. bénéd.)-.
Saint Grégoire écrivait à Euloge, Patriarche d’Alexandrie :
(P.141).
« Nous avons reçu avec la même douceur qu’elle nous a été donnée la bénédiction de l’évangéliste Saint Marc, ou, pour parler plus exactement, de l’Apôtre Saint Pierre. » -(Ibidem, livre VIII, lettre 39°)-
Il écrivait au même, après l’avoir félicité de la réfutation qu’il avait faite des erreurs des monophysites :
« Louange et Gloire soient dans les Cieux à mon très Saint frère, grâce auquel la voix de Marc se fait entendre sur le siège de Pierre ; dont l’enseignement résonne sur l’Eglise comme la cymbale dans le tabernacle, lorsqu’il approfondit les Mystères, c’est-à-dire lorsque, Prêtre du Très-Haut, il entre dans le Saint des Saints. » -(Ibidem, livre X, lettre 35)-.
A-t-on jamais dit aux Evêques de Rome quelque chose de plus flatteur que ce que Saint Grégoire dit ici à Euloge d’Alexandrie ? Le Saint pape ne semble-t-il pas copier les paroles du Concile de Chalcédoine : « Pierre a parlé par la bouche de Léon » ? Pourquoi tirer tant de conséquences des Paroles des Pères de Chalcédoine, prononcées à la louange de l’évêque de Rome, & n’en tirer aucune des Paroles du grand pape adressées au Patriarche d’Alexandrie. Il écrivait même une autre fois : -( Ibidem, livre XII, lettre 50°)- :
« Les porteurs de la présente lettre étant venus en Sicile, se sont convertis de l’erreur des monophysites, & se sont unis à la Sainte Eglise Orthodoxe universelle. Voulant se rendre à l’Eglise du bienheureux Pierre, prince des Apôtres, ils m’ont prié de leur donner des lettres de recommandation pour Votre Béatitude, afin que vous leur prêtiez secours contre les violences des hérétiques leurs voisins. »
Dans une autre lettre, où il l’entretenait de la simonie, Grégoire écrivait à Euloge : « Arrachez cette hérésie simoniaque de votre très saint siège qui est aussi le nôtre. » Il appelle l’Eglise d’alexandrie, une Eglise très Sainte. –( Ibidem, livre XIII, lettres 41°, & 42°)-.
Peut-on, en présence de pareils témoignages, tirer quelque conclusion favorable au siège de Rome, des expressions de siège apostolique ou de saint siège, employées pour le désigner ? Ces qualifications étaient communes, pendant les huit premiers siècles, à toutes les Eglises fondées par les Apôtres, & jamais on ne les employait exclusivement pour désigner le siège de Rome.

XII.
D’après ce que nous avons exposé sur la doctrine de Saint Grégoire touchant la chaire de Saint Pierre, on comprend sans peine qu’on ne peut pas donner, de bonne foi, un sens absolu à des expressions comme celles-ci : « Mon fils, le seigneur Venantius est venu vers le Bienheureux Apôtre Pierre, pour me prier de vous recommander sa cause, etc. » -(Ibidem, livre II, lettre 53°)-.
(P.142).
« Le soin de toute l’Eglise a été confié à Pierre, prince des Apôtres » -( Ibidem, livre V, lettre 20°)-. « Il a reçu les clefs du Royaume Céleste ; le pouvoir de lier & de délier lui a été donné ; le soin de toute l’Eglise & le principat lui ont été confiés. » -(Ibidem)-. –« Qui ne sait que la Sainte Eglise a été affermie par la solidité du prince des Apôtres ? » ( Ibidem, livre VII, lettre 40°).
Ces expressions appartiennent bien à Saint Grégoire. Mais, doit-on les citer isolément, & leur donner un sens absolu ? C’est le PROCEDE que les ULTRAMONTAINS ont appliqué non seulement aux ouvrages du pape Saint Grégoire, mais encore à tous ceux des autres Pères de l’Eglise. Par ce moyen, ils sont parvenus à TROMPER un certain nombre de FIDELES, et même un grand nombre de théologiens sincères ; ces derniers ne pouvaient soupçonner une si étrange mauvaise foi, dans des écrivains qui exaltent à tout propos leur dévouement à la cause de l’Eglise & de la Vérité, & ils ont cru pouvoir citer d’après eux, SANS REMONTER AUX SOURCES.
Nous n’avons pas suivi cet exemple ; nous avons consulté Saint Grégoire lui-même ; nous avons présenté l’ensemble de sa doctrine sur la papauté, nous n’avons pas cité quelques lignes, séparées de leur contexte, - décontextualisés-, mais les passages en entier, & nous sommes arrivés à cette conséquence : c’est qu’on ne pouvait attribuer au pape Saint Grégoire le Grand le système ultramontain, sans torturer sa pensée, sans la dénaturer, sans lui faire dire ce qu’il n’a pas dit, sans donner à ses paroles un sens forcé, contraire au véritable sens qui était dans l’esprit du vénérable & savant docteur.
Ceux qui ont lu attentivement ce travail, savent ce que Saint Grégoire entendait par chaire de Saint Pierre, par les titres de premier & de prince des Apôtres, qu’il donne à Saint Pierre. Mais afin d’entourer sa pensée de plus vives lumières, nous citerons quelques autres textes décisifs & clairs qui détermineront le sens précis de ces expressions dont les ultramontains font un si condamnable abus.
Saint Grégoire, dans son livre sur la Règle pastorale, émet ce principe : que les Prêtres de l’Eglise ne doivent pas user de leur autorité envers les Fidèles irréprochables, mais seulement envers les pécheurs que la douceur n’a pu corriger. Il cite à l’appui de ce principe, l’exemple des Apôtres Pierre & Paul : « Pierre, dit-il, le premier berger, occupant le principat de la Sainte Eglise, par la volonté de Dieu ( auctore Deo), se montra Humble envers les Fidèles, mais montra combien il avait de puissance au-dessus des autres, lorsqu’il punit Ananie & Saphire ; il se souvint qu’il était le plus élevé dans l’Eglise (summus) lorsqu’il fallut punir les péchés, &, en tirant vengeance du délit, il exerça le droit de son pouvoir. » -(in Saint Grégoire, Règle pastorale, 2°partie, chap. 6)-.
Au même endroit, il prouve par l’exemple de Saint Paul, aussi bien que par celui de Saint Pierre, que le pasteur doit être humble envers les fidèles, & n’exercer son pouvoir que s’il est obligé de prendre en main la cause de la Justice. Ainsi, Saint Paul se proclama le Serviteur des Fidèles, & le plus petit d’entre eux ; mais, ajoute Saint Grégoire : « S’il trouve une faute à corriger, il se souvient qu’il est maître, & dit :
(P.143).
« Que voulez-vous ? Je viendrai à vous avec une verge de fer. » Donc, conclut Saint Grégoire, on remplit bien la place la plus élevée ( summus locus), lorsque celui qui préside domine plutôt sur les vices que sur les frères. Mais, lorsque ceux qui président corrigent ceux qui leur sont soumis, il leur reste un devoir, etc., etc. »
On voit que Saint Grégoire considère SAINT PAUL AUSSI BIEN QUE SAINT PIERRE & leurs successeurs, comme occupant la place la plus élevée dans l’Eglise, comme présidant dans l’Eglise. S’il dit que Saint Pierre occupe le principat, il dit en même temps que Saint Paul est maître ; il se sert du même mot, summus, pour exprimer l’autorité de Saint Pierre & celle de Saint Paul, & de tous ceux qui ont le droit d’exercer l’autorité dans l’Eglise. Se serait-il exprimé de cette manière générale si, par le mot de principat, il avait voulu désigner une autorité supérieure exclusivement attribuée à Saint Pierre ? De même que, sous la domination de chaire de Saint Pierre, il entend le premier degré de l’épiscopat représenté par les Patriarches ; de même, par le mot d’autorité supérieure, il n’entend que celle de l’Episcopat, dont les pasteurs de l’Eglise ont hérité.
Plus on approfondit les ouvrages des Pères de l’Eglise, plus on est convaincu de leur accord à considérer l’autorité dans l’Eglise comme une & possédée SOLIDAIREMENT par les premiers bergers ou les Evêques. Au premier abord, on pourrait croire que le mot de principat ou celui de prince des Apôtres accordé à Saint Pierre dérogerait à ce principe. Saint Grégoire a pris soin de nous prémunir contre cette fausse interprétation. Le Saint Docteur, en attribuant à Saint Pierre le principat dans l’Eglise, ne l’a PAS PLUS ELEVé QUE SAINT PAUL. Il va nous le dire lui-même de la manière la plus claire. Nous lisons dans ses Dialogues-(Saint Grégoire, Dialogues, livre Ier, chap.12)- :
- « Pierre : Comment pourriez-vous me prouver qu’il en est qui ne font pas de miracles, & qui cependant ne sont pas inférieurs à ceux qui en font ?
- « Grégoire : Ne sais-tu pas que l’Apôtre Paul est le Frère de Pierre, premier des Apôtres, dans le principat ?
- « Pierre : Je le sais parfaitement, etc. ».
Ainsi, Paul a été l’égal ou le frère de Pierre dans le principat apostolique ; il fut au même titre que Pierre, premier & prince des Apôtres. Pouvait-on dire plus clairement que, par ces titres, on ne voulait pas exprimer une dignité particulière, personnelle, exclusive ?
Dans un autre endroit, Saint Grégoire regarde Saint Paul comme ayant droit, aussi bien que Saint Pierre, au titre de premier Apôtre. En rapportant, dans ses Dialogues, la Mort du Prêtre Martin, il raconte que ce Saint homme voyait Pierre & Paul qui l’appelaient au Ciel : « Je vois, je vois, disait Martin, je vous remercie, je vous remercie. » Comme il répétait souvent ces paroles, ses amis qui étaient autour de lui, lui demandaient à qui il parlait. Il fut étonné de cette demande, & dit : « Est-ce que vous ne voyez pas ici les Saints Apôtres, N’apercevez-vous pas Pierre & Paul, les premiers des Apôtres ? » -(in Saint Grégoire, Dialogues, livre IV, chap.11)-.
(P.144).
Le même Docteur de l’Eglise ne regardait pas Saint Pierre comme infaillible ; même après qu’il eut reçu le Saint Esprit. Voici un passage qui le prouve suffisamment : « Il n’y a personne, dit-il, qui vive de telle manière qu’il ne pèche quelquefois. Celui-là donc désire que la Vérité soit plus aimée que lui-même, qui ne veut être épargné par personne au détriment de la Vérité. C’est ainsi que Pierre reçut volontiers la correction de Paul. »-( in Saint Grégoire, Règle pastorale, 2° partie, chap.8)-.
On voit par ce passage de Saint Grégoire que le Céphas repris par Saint Paul était bien Saint Pierre. Si SAINT PIERRE ETAIT FAILLIBLE & PECCABLE, à quel titre ses prétendus successeurs veulent-ils être infaillibles ? Le pape Saint Grégoire a-t-il fait une exception en faveur des évêques de Rome à la règle qu’il a établie ?
Saint Pierre était-il du moins chef de l’Eglise ? Saint Grégoire ne le pensait pas. On a pu en remarquer la preuve dans sa lettre à Jean, Patriarche de Constantinople, traduite par nous précédemment. Nous en citerons de nouveau ce court passage : « Certainement Pierre, premier des Apôtres & membre de l’Eglise Sainte & Universelle ; Paul, André, Jean, ne sont-ils pas les chefs de certains Peuples ? Et cependant, tous sont membres sous un seul chef. »-( in Lettres de Saint Grégoire, livre V, lettre 18°).
Il dit, d’une manière positive et absolue, que le Christ « est le seul, l’unique chef de l’Eglise. »-(Ibidem, lettre 43°). Il parle de l’Eglise comme d’un troupeau sous un seul pasteur.-(Ibidem-). Ces expressions sont absolues, & nous avons vainement cherché dans Saint Grégoire un seul mot qui pût nous donner à penser qu’il se considérait, en qualité d’Evêque de Rome, comme chef visible de l’Eglise. Nous avons surtout approfondi sa correspondance, où il pouvait mieux qu’ailleurs parler de ses droits, puisqu’il était souvent appelé à les défendre. Nous y avons rencontré des preuves que l’Evêque de Rome exerçait certains droits sur des Eglises particulières relevant de son patriarcat ; qu’il leur accordait des faveurs, qu’il exerçait une surveillance utile sur elle par ses envoyés ; mais Saint Grégoire ne fait pas même la plus légère allusion au titre de chef de l’Eglise universelle, qu’il aurait possédé de droit divin, d’après les ultramontains. Jamais il ne donne à penser que Saint Pierre ait été Evêque de Rome. Il s’exprime même de manière à obliger de croire que, à son avis, il ne l’avait pas été. Nous avons déjà cité des textes positifs. En voici un autre qui vient les confirmer : « Il est certain, dit-il, qu’au Temps où les Saints Apôtres Pierre & Paul souffrirent le Martyre, des Fidèles vinrent d’Orient pour redemander les corps de ces Apôtres, qui étaient leurs compatriotes. On conduisit les corps jusqu’au deuxième mille, & on les déposa à l’endroit dit les Catacombes. Mais, lorsqu’on voulut les soulever pour continuer le chemin, le tonnerre & la foudre jetèrent une telle épouvante parmi ceux qui essayaient de le faire, que jamais depuis on n’a osé essayé de les en emporter. » -(in Lettres de Saint Grégoire, livre IV, lettre 30°)-.
Nous n’avons pas à examiner si ce fait est authentique ; mais une vérité qui ressort évidemment de ce récit, c’est que les orientaux pouvaient revendiquer le corps de Saint Pierre, parce qu’il était de leur pays, & que les Romains ne songeaient même pas à leur répondre que son corps leur appartenait à meilleur titre, puisqu’il avait été leur Evêque.
Du reste, la Doctrine entière de SAINT GREGOIRE le Grand sur l’Eglise Orthodoxe universelle DETRUIT pièce à pièce toutes les parties du SYSTEME ULTRAMONTAIN. On peut défier les catholiques de trouver dans les écrits du grand pape un seul mot qui puisse donner idée de cette monarchie universelle, dont le centre serait l’Eglise de Rome, dont le chef souverain serait l’Evêque de cette ville. Cette doctrine est en complète contradiction avec celle de Saint Grégoire. L’unité de l’Eglise ressort, d’après le Saint Docteur, des rapports réciproques de ses chefs. « Que votre charité, écrivait-il à Anastase, Archevêque de Corinthe, -( in Lettres de Saint Grégoire, livre I, lettre 27°)-, réponde à nos lettres par lesquelles nous lui avons notifié notre ordination, & nous donne la joie, par sa réponse, de savoir que l’Eglise est unie. »
Il définit « l’unité de l’Eglise universelle : l’ensemble du corps du Christ » -( Ibidem, livre II, lettre 47°)- ; il ne sort pas de cette idée : les Eglises particulières sont les membres de l’Eglise ; chaque Eglise est gouvernée par ses Evêques ; l’autorité est la même, de droit divin, dans tous les Evêques de l’Eglise ; l’édifice entier est appuyé sur la chaire de Pierre, c’est-à-dire sur les trois patriarcats d’Alexandrie, d’Antioche, & de Rome, qui exercent, de droit ecclésiastique, une protection sur l’Eglise entière.
Nous demandons s’il est possible de concevoir une doctrine plus opposée que celle du pape Saint Grégoire au système ultramontain.

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