dimanche 9 janvier 2011

La Lumière du Thabor n°11. Notes de lecture.

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NOTES DE LECTURES

Trois Dogmatiques en anglais

1° P. Athanase S. Frangopoulos : Notre Foi Chrétienne Orthodoxe.

2° P. Michel Pomazansky : Théologie Dogmatique Orthodoxe.

3° P. Michel Azkoul : Les enseignements de la Sainte Eglise Orthodoxe.

A partir du XVIlème siècle, principalement en Russie, s’est produit une grande décadence théologique ; l’un des responsables de cette chute de l’ecclésiologie et de la théologie russes le reconnaissait : "Notre théologie est malade". Ce jugement demeure partiellement vrai jusqu’à aujourd’hui, en dépit du renouveau théologique et spirituel qui s’est opéré au début du siècle en Russie, puis en Grèce, mais qui n’a pas encore atteint, semble-t-il, la majorité des fidèles et des clercs.

La cause fondamentale de cette décadence tient au fait que la théologie orthodoxe a été exprimée de façon purement négative, par opposition tantôt avec le papisme, tantôt avec le protestantisme. Aussi, toutes les apories internes à Ia pensée augustinienne et occidentale ont pénétré dans l’orthodoxie avec leurs solutions oiseuses et gnostiques et leur expression scolastique. La conséquence en fut qu’en Russie - comme en Grèce influencée par la Russie – la théologie orthodoxe de la Rédemption et de la Grâce, l’Hésychasme, le sens orthodoxe du monachisme, l’ecclésiologie des Pères, ont été parfois ignorés, le plus souvent combattus et persécutés.

Certes, l’Eglise Orthodoxe ne devenait pas protestante à cause de l’argumentation scolastique, et elle ne devenait pas papiste à cause de l’influence protestante, mais protestantisme et papisme, sous les formes les plus variées, y ont ainsi pénétré. Cette grande misère de la confusion dogmatique a donc préparé l’œcuménisme, limitant à un catalogue d’oppositions livresques ce qui séparait l’orthodoxie des confessions hétérodoxes. L’étude méthodique de la grande et érudite dogmatique de Mgr. Macaire Boulgakov permet­trait sans doute de dresser la liste des erreurs symptomatiques qui ont permis à la maladie de se déclarer. Nous ne pouvons ici qu’en esquisser quelques grandes lignes :

1° Sur le Filioque, sans aucun doute, Mgr. Macaire suit la doctrine orthodoxe traditionnelle dont il trouve le résumé dans Théophane Procopovich et surtout dans Zernikaw.

2° De même, la critique de la papauté est fondée sur l’analyse précise des textes patristiques concernant la confession de foi de l’apôtre Pierre.

3° En revanche, la méthode de présentation de cette Dogmatique est scolaire, influencée par les Sommes scolastiques et certains manuels protestants. De même le nombre des sacrements et celui des conciles oecuméniques sont trop rigidement fixés à sept.
Le VIIIème Concile Œcuménique de 879, les conciles de Sainte Sophie au XIVème siècle, ne sont pas mentionnés. Le sommet de la théologie patristique, saint Grégoire Palamas, est ignoré.

4° Certains écrits non patristiques et peu orthodoxes sont reçus comme représentant l’opinion de l’Eglise Orthodoxe, par exemple la fameuse confession de Pierre Moghila.

5° La théologie orthodoxe de la Rédemption est quasiment ignorée au profit des doctrines d’Augustin et d’Anselme. Saint Jean Cassien, père orthodoxe et adversaire théologique d’Augustin et de ses innovations, est considéré par Mgr Macaire comme un hérétique, un "semi-pélagien". L’auteur, on le voit, adopte, et la problématique et le vocabulaire des hérésies issues de l’augustinisme ; de même il parle des "mérites" et de "l’offense" faite à Dieu ; il admet la théorie de la "justification" comme "satisfaction" de la colère divine.

6° Enfin, si Mgr Macaire ne reconnait pas de salut en dehors de l’Eglise et de l’Orthodoxie, son ecclésiologie est influencée par l’augustinisme, en particulier sur la question du baptême des hétérodoxes.

Dans l’émigration russe, en dépit des efforts divers du Métropolite Antoine Khrapovitzky, de Mgr Théophane de Poltava et aussi du P. Georges Florovsky, la plupart des écrits théologiques sont restés conservateurs, c’est-à-dire ne sont pas revenus sur les erreurs de Mgr. Macaire, tandis que les théologiens modernistes et œcuménistes ajoutaient encore des erreurs sur la papauté et le Filioque, sans en corriger fondamentalement les points erronés. Conservateurs et modernistes avaient oublié la vraie tradition apostolique et patristique.

C’est à partir de cet héritage dogmatique qu’il faut lire les Trois dogmatiques qui sont parues récemment en anglais. Toutes trois sont remarquables du point de vue de l’érudition et du zèle pour la foi orthodoxe, mais pour le fond, elles diffèrent véritablement.

A) Le père Athanase Frangopoulos, qui a écrit la plus courte de ces trois dogmatiques, est membre de la fraternité "Le Sauveur" a Athènes, à l’intérieur de l’Eglise grecque officielle et néo-calendariste. Son intention est d’expliquer dans le contexte désorientant de l’oecuménisme, la doctrine orthodoxe par rapport au protestantisme et au catholicisme.

1° Sur le Filioque, le père Athanase ne cède rien au modernisme : le Filioque est une hérésie : "le Saint-Esprit procède du Père, et non "et du Fils" (filioque) comme le soutiennent les papistes qui ont faussement dogmatisé cette doctrine hérétique, altérant la foi juste de la Sainte Eglise sur le Saint-Esprit. Nous ne pouvons pas considérer cette hérésie des papistes comme de peu d’importan­ce ; ce serait une grande et redoutable erreur, manifestement contraire aux paroles mêmes du Seigneur".

2° Sur la papauté, malgré le dialogue oecuménique dont l’Eglise grecque est membre, le père Athanase n’est pas moins sévère ; seule l’Eglise Orthodoxe est l’Eglise et "Hors de l’Eglise on ne peut pas trouver la voie...
…Hors de l’Eglise il n’y a pas de rémission des péchés, pas de justification, pas de salut." Ainsi l’œcuménisme et sa théorie des branches est une hérésie : "l’œcuménisme est une hérésie redoutable et dangereuse, loin de laquelle nous, orthodoxes devons nous tenir. Nous devons la combattre en apprenant aux orthodoxes qui l’ignoreraient quelle en est la nature...L’œcuménisme a été inventé soi-disant pour résoudre la division du christia­nisme. Mais ce qui est divisé ne peut pas être réuni et les œcuménistes ne réussiront jamais à faire "l’union des églises" parce qu’il n’y a pas plusieurs églises mais une seule Eglise de Jésus-Christ : l’Eglise Orthodoxe universelle que tous peuvent rejoindre en faisant pénitence de leurs erreurs, et en renonçant aux faux dogmes". On le voit, sur l’ecclésiologie, le père Athanase est encore plus rigoriste que Mgr Macaire, et davantage que son Eglise officielle grecque néo-calendariste et œcuméniste.

3° En revanche il adopte lui aussi la méthode scolastique d’expression de la foi en commençant par les "preuves" de "l’existence de Dieu". De même sur les sacrements, son exposé est très scolaire.

4° Comme Mgr Macaire, il reçoit comme autorité des auteurs étrangers à la théologie des Pères : Pierre Moghila, mais aussi Trembellas.

5° Sur le "péché originel" et la rédemption, le père Athanase est très influencé par Augustin qu’il cite plusieurs fois. Le "péché originel" est une offense à Dieu (p. 219) ; la faute d’Adam s’est transmise comme une faute personnelle à tous les descendants d’Adam.

Ainsi donc, si l’on peut admirer le zèle du père Athanase Frangopoulos pour l’orthodoxie, zèle dont de nombreux évêques grecs néo-calendaristes pourraient s’inspirer, sa dogmatique n’en arrive pas moins à une réduction de la foi orthodoxe. En le lisant, le fidèle ne peut renier l’orthodoxie, mais il ne saura pas quel est le sens de la lutte et de l’ascèse orthodoxe contre le diable, le péché et la mort pour parvenir à la déification.

B) Le père Michel Pomazansky appartient à l’ancienne éducation théologique russe, puisqu’il fut diplômé de l’Académie de Kiev en 1912. Dans l’émigration, il a enseigné au séminaire russe de Jordanville, dans l’Etat de New-York, où sa "Dogmatique" sert de manuel officiel. Son livre a été traduit par le regretté père Séraphim Rose de la communauté de saint Germain d’Alaska. Le père Séraphim a beaucoup fait pour la mission orthodoxe américaine, en particulier par l’entremise du journal "Orthodox Word" qui poursuit aujourd’hui encore sa publication mais en dehors de l’Eglise Russe à l’Etranger. On doit donc considérer la "Dogmatique" du père Michel Pomazansky comme l’expression officielle d’une partie de l’Eglise Russe à l’étranger.

La "Dogmatique" du père Michel se caractérise, elle aussi, par son zèle pour la foi orthodoxe :

1° Le Filioque est une déviation importante et substantielle hors de la Vérité orthodoxe.

2° "L’Eglise Orthodoxe du Christ refuse toute idée d’un "vicaire" du Christ comme tête de l’Eglise (p.228). Le père Michel affirme aussi que les confessions hétérodoxes n’appartiennent pas à l’Eglise : "Il est en un sens naturel de raisonner sur les organisations religieu­ses comme étant lointaines, proches, très proches, toutes proches même - quoiqu’elles soient aussi souvent hostiles - mais elles sont toutes en dehors de l’Eglise du Christ... Aucune d’entre elles ne vit sous le règne de la Grâce qui est vivante dans l’Eglise et tout particulièrement dans les saints mystères de l’Eglise".

3° Malheureusement, la méthode - et même le plan - de cette "Dogmatique" sont empruntés à celle de Mgr Macaire Boulgakov ; de même les sacrements y sont étudiés scolairement.

4° Pierre Moghila y est présenté comme une autorité orthodoxe. Notons que si le P. Michel a corrigé certaines erreurs, saint Grégoire Palamas n’est mentionné que dans l’Appendice, rédigé probablement par le P. Séraphim Rose.

5° Sur la rédemption, cette "Dogmatique" subit l’influence de la théologie juste du Métropolite Antoine Khrapovitzky, mais sans briser le cadre dogmatique de l’œuvre de Mgr Macaire. Ainsi le terme augustinien et non orthodoxe de "péché originel" est conservé ; mais l’augustinisme extrême est critiqué : "la théologie orthodoxe n’accepte pas les thèses extrêmes du bienheureux Augustin".

6° Mais la grande déception de cette dogmatique vient de l’ecclésiologie qui est formulée p.235, et dans la note de cette même page. On y voit, en effet, l’élaboration d’une notion totalement nouvelle, celle de "schisme politique". "Le lien entre les églises peut parfois être violé pendant une longue période du fait des conditions politi­ques, comme cela s’est produit souvent dans l’histoire. Dans un tel cas, la division ne touche que les relations externes, mais ne touche ni ne viole l’unité spirituelle interne".

Et la note donne l’exemple de l’autocéphalie de l’Eglise Grecque au XIXème siècle et surtout la séparation de l’Eglise Russe à l’Etranger et de l’Eglise des Catacombes d’avec le Patriarcat Soviétique : "Ces églises refusent jusqu’à aujourd’hui d’être en communion avec l’administration du Patriarcat de Moscou du fait de sa domination politique par les communistes ; mais les évêques de l’Eglise Russe Hors Frontières ne nient pas la Grâce des Mystères dans le Patriarcat de Moscou et se sent même en unité avec les fidèles et le clergé qui ne collaborent pas avec les communistes..."

Avant même d’étudier cette ecclésiologie novatrice et inconnue jusque-là dans l’Eglise du Christ, autorisant le "schisme politique", notons qu’il faut nuancer les dernières appréciations de cette note : en privé le Métropolite Philarète insistait sur le caractère parodique de l’Eglise Soviétique et doutait de la présence de la Grâce dans les mystères de cette église. Seulement il remarquait que l’Eglise ne pouvait pas encore constater si l’arbre était totale­ment mort ou si la vie demeurait dans les branches.




D’autre part, si les écrits du Père Gleb Yakounine, qui ont été publiés en Occident sont bien de lui, on ne voit pas sur quelle base on peut être uni spirituellement avec lui puisqu’il demande la bénédic­tion du Pape, fait l’éloge de Fatima, suggère à la Métropole moderniste d’Amérique d’établir une hiérarchie parallèle en URSS... Quelle unité spirituelle peut conférer l’anti-communisme ? On ne voit pas les Pères s’alliant avec les Nestoriens contre les Monophysites l

Sur le fond, les Pères n’ont jamais distingué plusieurs catégories de schismes. Selon eux la seule et unique raison valable de se séparer de sa hiérarchie est la foi, le dogme orthodoxe. Toute autre cause de séparation est alors un schisme et saint Basile dit que même le sang du martyre ne peut alors effacer ce péché Toute la première partie de la Lettre de Mgr Hilarion Troitsky, sur l’UNITE DE L’EGLISE est consacrée à ce point : le schisme fait sortir de l’Eglise, fait perdre la Grâce. Aussi, se définir comme un schisme politique, revient à se condamner soi-même ; le précédent de t’autocéphalie de l’Eglise grecque est illusoire : outre le fait que cette autocéphalie a conduit l’Eglise grecque à une grande décadence, au bout de quelques années le Patriarcat de Constantinople avec toutes les Eglises locales a reconnu cette situation désastreuse.

Mais aujourd’hui, officiellement, aucune Eglise orthodoxe n’est en communion avec l’Eglise Russe Hors Frontières. Aucune Eglise locale, sauf peut-être l’Eglise serbe, n’a, avec l’Eglise Russe Hors Frontières, le lien que celle-ci reconnaît avoir, selon le père Michel Pomazansky, avec les autres Eglises locales. Au contraire, si l’E.R.H.F. a ordonné des évêques pour l’Eglise des Vrais Chrétiens Orthodoxes de Grèce, dressant autel contre autel, si le Métropolite Vitaly a fait récemment un prêtre pour les zélotes de l’Athos, c’est à cause de la confession de foi, sur les traces de saint Maxime le Confesseur, en rupture avec toutes les églises "officielles" engagées dans l’œcuménisme.

Enfin, historiquement, le problème du communisme n’a pas été posé en termes purement politiques du fait de l’anathème du Patriarche Tykhon : c’est comme (en tant) qu’hérésie millénariste, liée au modernis­me, que le communisme a été condamné en Russie, selon l’Eglise des Catacombes, l’Eglise soviétique sous cet anathème redoutable. De même, le Patriarcat soviétique a été considéré par les premiers évêques des catacombes comme une prolongation, sous une forme nouvelle, de l’Eglise vivante. La suite leur a donné raison avec l’entrée de l’Eglise soviétique dans l’oecuménisme.

Enfin, si par delà le différend politique, l’unité spirituelle et sacramentelle demeu­rait avec certitude dans une telle église, on ne voit pas pourquoi les fidèles et les prêtres auraient affronté l’exil, la misère, les camps, les persécutions du K.G.B., pour fonder une église parallèle sans communion aucune avec l’Eglise soviétique officielle. Le livre d’Andreyev : Les Saints Russes des Catacombes, est rempli d’exem­ples de fidèles qui ont préféré rester vingt ans sans communion que de communier dans les églises soviétiques ; ces gens-là sont des fous si les sacrements de l’Eglise de Moscou sont avec certitude valables et il ne fallait pas les canoniser comme nouveaux-martyrs...


C) A lire la dogmatique du père Michel Azkoul, on comprendra que ce ne sont pas des motifs purement politiques qui l’ont amené à quitter les églises oecuménistes en Amérique pour rejoindre l’E.R.H.F. Le ton en est bien différent, en effet, de la "Dogmatique " du père M. .Pomazansky, et l’on devine l’unité de pensée et d’esprit avec le métropolite Vitaly. Ce premier volume qui doit être suivi de deux autres, a été édité avec soin et art par la Skite de la Dormition de la Mère de Dieu qui a aussi publié, récemment, une Vie des Trois Hiérarques.

Le père Michel Azkoul a véritablement rédigé la première Dogmatique en anglais qui soit fondée sur la théologie patristique et sur elle seule.

II est visiblement nourri des grandes oeuvres théologiques de ce siècle, celle du Métropolite Antoine Khrapovitzky, celle du père Justin Popovic, celle - qu’il ne nomme pas - du père Jean Romanides, et sans aucun doute des écrits d’Alexandre Kalomiros. Dans cette Dogmatique, les grandes œuvres théologiques de saint Grégoire Palamas et de saint Marc d’Ephèse ont enfin leur place, ce qui n’était pas le cas chez Pomazansky ni chez Frangopoulos. Aussi l’exposition des liens entre l’Ancien Israël et le Nouvel Israël, la chute et la rédemption y sont-ils exposés d’une façon à la fois toute nouvelle et très ancienne.

Un des éléments les plus importants de cette dogmatique - dont nous traduirons des extraits pour la LUMIERE DU THABOR - est la mise au point que fait le père Michel Azkoul sur la place d’Augustin dans l’Eglise orthodoxe : "il est inutile de rappeler que l’Eglise ortho­doxe a implicitement condamné les enseignements d’Augustin lorsqu’elle a rejeté toutes les innovations occidentales. Les conciles orthodoxes du XVIIème et du XVIIIème siècles ont donné sur ce point une expression indiscutable de la pensée de l’Eglise. Ne devons-nous pas voir dans le cas de Cyrille Loukaris, quel danger il y a à flirter avec l’augustinisme, que ce soit sous sa forme calviniste ou sous une autre forme. La condamnation du Patriarche Cyrille par les conciles de Bethléem et de Iassy constituent un clair rejet des principes de l’augustinisme sans lesquels il n’y aurait eu ni calvinisme, ni contamination calviniste de la confession de foi du Patriarche Cyrille. Pourquoi Augustin est-il rangé par quelques écrivains orthodoxes au rang des Pères de l’Eglise, cela est difficile à comprendre quoiqu’on puisse y voir la conséquence d’une lecture trop rapide de ses œuvres".

Souhaitons une parution proche des deux autres volumes de sa "Dogmatique".

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