dimanche 9 janvier 2011
La Lumière du Thabor n°11. Chronique.
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CHRONIQUE
Cette année a vu le cinquantième anniversaire de la mort du Métropolite Antoine Khrapovitzky et le vingtième de l’Archevêque Jean Maximovitch. Nous réservons, pour le prochain numéro de LA LUMIERE DU THABOR, l’hommage à ces deux grands hiérarques de l’Eglise Russe.
Plusieurs lecteurs nous ont demandé la biographie du Métropolite Vitaly que nous publierons bientôt et nous ont remercié d’avoir publié ses écrits dont, dit une lettre, "le ton chez un hiérarque est relativement inhabituel en Europe Occidentale".
Le Mercredi 25 Juin, une délégation de la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas, composée des PP. Ambroise et Patric, s’est rendue au Monastère de Lesna, pour prendre la bénédiction apostolique du Métropolite Vitaly qui les a reçus pendant plus de deux heures. A cette occasion, l’édition française de la LETTRE sur l’UNlTE de L’EGLISE de Mgr Hilarion Troitsky, publiée par les presses de la Fraternité, a été offerte à Mgr Vitaly. C’est en parfaite union de pensée et d’esprit que s’est déroulé cet entretien. Peu de temps après, la Fraternité Saint Grégoire Palamas a eu la joie de recevoir la bénédiction de S. B. le Métropolite, dans une lettre d’encouragement : "Que le Seigneur vous accorde Sa bénédiction sur tous vos travaux pour la gloire de Son Eglise". C’est chaleureusement que nous le remercions
EVEQUES GRECS EN VISITE EN France
II est rarement question en France, dans la presse dite "orthodoxe" de la hiérarchie des Vrais Chrétiens Orthodoxes de Grèce, dont Mgr Averky de Jordanville, dans un article célèbre, comparait les oeuvres à celles de l’Eglise des Catacombes de Russie. La LUMIERE DU THABOR a pour vocation de faire connaître les catacombes modernes, celles cachées de Russie et celles "à ciel ouvert" de Grèce, qui sont sous les yeux de tous mais que personne ne veut voir , dont aucun journal, aucune revue ne parle pour ne pas troubler, par une fausse note, le concert œcuméniste.
Récemment, en juin et septembre de cette année, deux Evêques des Vrais Chrétiens Orthodoxes de Grèce, Mgr Calliope de la Pentapole et Mgr Callinique d’Achaïe, sont venus, pour la première fois, en visite pastorale sur le sol de notre pays. Mgr Calliope appartient à la première génération des Vrais Chrétiens Orthodoxes, celle qui a connu la persécution violente pour la défense de la Tradition et du calendrier de l’Eglise. En effet, huit fois Mgr Calliope a comparu devant les tribunaux, quatre fois il a été emprisonné, et pour nier son monachisme et son sacerdoce, on lui a coupé plusieurs fois la barbe et les cheveux. En un sens, cette épreuve est pire encore que celle des Catacombes, car, en Russie, la persécution vient de "l’Eglise" officielle sur l’instigation de l’Etat, alors qu’en Grèce elle vient de l’Etat sur instigation de la hiérarchie et du clergé œcuméniste et nouveau-calendariste.
Ainsi, s’est hélas, accomplie la prophétie de saint Cosmas d’Etolie : "En ces temps là, le clergé sera pire et plus impie que tous" Mgr Callinique appartient, lui, à la seconde génération des « Anciens-Calendaristes », celle qui est confrontée aux problèmes mondiaux que l’œcuménisme, religion mondiale, fait subir à l’Eglise Orthodoxe Cette nouvelle génération de hiérarques remarquables a connu la persécution, en particulier à l’époque de la dictature des Colonels, mais tend, au-delà de la lutte pour la Foi en Grèce, à interroger l’origine historique et théologique de la décadence spirituelle qui a conduit à l’œcuménisme . Aussi, Mgr Callinique est-il, non seulement un confesseur du Christ, mais également un théologien remarquable, attentif au caractère universel de la Foi Orthodoxe.
Admirant son zèle missionnaire, le Saint Synode de l’Eglise Grecque l’a donc désigné comme Exarque pour l’Europe Occidentale. En septembre, Mgr Callinique a visité quatre paroisses orthodoxes françaises, a ordonné un prêtre, le père Paul, de Tarbes, et un diacre, le père Nectaire de Toulouse. L‘un des moments les plus intéressants de ce voyage véritablement apostolique a, sans doute, été la découverte de la "Romanité Orthodoxe" de l’Occident par Mgr Callinique. Lors de son voyage, il eut, en effet, l’occasion de visiter des églises romanes, et en particulier, celle de Saint Sernin à Toulouse. Là, il se sentit "chez lui" dans un église qui avait été Orthodoxe et dont l’architecture est proche de celle des petites églises "byzantines" qu’il connaît.
A la suite de voyage, Mgr Callinique écrivit : "Gloire au Sauveur Ressuscité et Notre Seigneur Jésus Christ, et à Sa Très Sainte Eglise Orthodoxe. D’une part, parce qu’il nous a rendu digne d’arriver jusqu’à cette frontière du Sud-Ouest de la Romanité ; et d’autre part, parce qu’il nous a démontré encore une fois, que c’est la véritable Eglise du Christ dont ni le temps, ni l’Hadès lui-même ne peuvent prévaloir contre Elle. Ici, en ce lieu, préexistait l’Orthodoxie, lorsque la Romanité était maîtresse ; elle recula un peu lorsqu’elle fut soumise aux Francks ; mais elle renaît en plein XXème siècle, lorsqu’elle trouva des enfants dignes d’Elle. Nous croyons fermement que le Dieu Donateur de tout Bien va les fortifier pour l’œuvre d’une nouvelle prédication du Salut envers leurs Frères issus d’une même nation, laquelle ne peut être accomplie SEULEMENT que par l’Eglise Orthodoxe".
Dans une terre sanctifiée par les grands Hiérarques de la Romanité, Mgr Callinique est apparu comme leur héritier légitime et nécessaire, parce qu’il confesse fidèlement la Foi Orthodoxe qui fut la leur et dans laquelle la Gaule romaine fut évangélisée.
VINGT ANS DES PAROISSES FRANÇAISES
Les paroisses orthodoxes françaises ont, cette année, vingt ans d’existence et nous n’avons à en faire ici, ni la chronique ni l’histoire : Dieu seul connaît le zèle et l’amour désintéressé qui ont présidé à leur fondation et à leur développement, à une époque où le modernisme d’un côté, et le nationalisme religieux d’un autre, effritent la confession de Foi des Orthodoxes. Mais comment taire une oeuvre véritablement apostolique que nos yeux ont vu et que nos oreilles ont entendue ?
Cette œuvre est celle, commune, de l’Archimandrite Ambroise Fontrier et du Professeur Jean-Joseph Bernard Le père Ambroise a prêché, enseigné, voyagé, nuit et jour pendant plus de quarante ans - il est prêtre depuis plus de quarante-cinq ans - pour créer, et développer des paroisses missionnaires et francophones. Pour elles, il a traduit du grec la plupart des Offices de l’Eglise Orthodoxe, il a peint, dans la prière, les larmes et le jeûne, les icônes, à la facture ancienne, que les fidèles y vénèrent aujourd’hui. Dans un souci d’enseignement, il a donné chaque année des cours de théologie et publié, pendant vingt ans, la "CATECHESE ORTHODOXE" dont la LUMIERE DU THABOR s’est inspirée.
Le premier, il a traduit en français des écrits de saint Grégoire Palamas, de saint Marc d’Ephèse, de saint Nicodème de l’Athos, du père Justin Popovic, d’Alexandre Kalomiros et du Métropolite Philarète (de New York), pour ne citer que l’essentiel. Il a également fait connaître, en France, saint Nectaire d’Egine dont il a peint la première icône, et sur lequel il a écrit une biographie qui a été rééditée par les Editions de l’Age d’Homme en 1985. Du grand Thaumaturge d’Egine, il a , en outre, rapporté les reliques et la Bible en français. Lui rendant un jour hommage en privé, l’Archevêque Antoine de Genève dit au père Osios de Reval "qu’il ne connaissait pas, dans son diocèse, de prêtre qui eut tant travaillé la vigne du Seigneur".
Le professeur Jean-Joseph Bernard a fait une oeuvre de composition liturgique immense qui a maintenant dépassé largement le cadre des paroisses pour intéresser les musicologues aussi bien français qu’étrangers. Le professeur J.J.Bernard s’est inspiré de l’ancienne musique ecclésiastique russe, proscrivant l’italianisme de la musique russe plus moderne (un "opéra de curé"). Il explique les principes qui ont présidé à son travail, dans l’interview qu’il a accordé au journal "La Foi Transmise" que nous publions ci-dessous. A la qualité de ses œuvres liturgiques, il a su ajouter le soin d’une édition remarquable de sa musicologie. Il a également pris en charge l’édition de deux volumes de prières en français, les meilleurs actuellement en usage, et qui est souvent demandé à la Fraternité Saint Grégoire Palamas. Il a reçu les compliments, pour son œuvre, à la fois des Evêques russes, et notamment de feu le Métropolite Philarète, et des Evêques grecs.
Statutairement, les paroisses fondées par l’Archimandrite Ambroise sont francophones, mais elles ont accueillies en leur sein, ainsi à Montpellier, des fidèles russes et grecs, qui ont choisi la francophonie. Les exigences d’une mission sont les suivantes : prêcher l’Orthodoxie comme Véritable Foi, Véritable Eglise Universelle, dans laquelle "il n’y a ni juifs, ni grecs " et ne pas la réduire à une forme culturelle, politique ou nationale.
Quatre paroisses existent à ce jour, ainsi qu’un Baptistère "Saint Jean" à Giverny, où chaque année, les catéchumènes sont baptisés et reçus dans l’Eglise Orthodoxe, selon la règle des Pères. La Paroisse de Paris (30, Bd. de Sébastopol) est la plus importante ; celle de Lyon, dans le vieux Lyon, rend un témoignage Orthodoxe dans une ville où quasiment toutes les églises sont contaminées par l’oecuménisme ; elle est sise non loin de la cathédrale saint Jean où fut signée en 1274 la fausse union avec les Latins. A Montpellier, le père Joseph Terestchenko dessert la paroisse fondée par le père Ambroise. Récemment, une paroisse a été fondée à Dinan, grâce au dévouement de Romane et Panayota Petroff, et de leurs parents.
La Fraternité Orthodoxe saint Grégoire Palamas a demandé aux responsables de ces paroisses s’ils souhaitaient fêter les vingt années d’existence missionnaires. Ils ont refusé à cause des temps difficiles que nous vivons, ayant confiance dans la miséricorde du Seigneur qui a dit que subsisterait ce qui a été fondé sur Lui et sur Lui seul. LA LUMIERE DU THABOR est heureuse cependant de n’avoir pas caché cet événement.
ENTRETIEN SUR LE CHANT LITURGIQUE
F.T.- Les chants liturgiques sont certainement, avec les icônes, ce qui frappe le plus tout visiteur d’une église orthodoxe, au point que, dans l’esprit du grand public, orthodoxie est presque synonyme d’art raffiné. Le chant liturgique fait-il partie intégrante du culte orthodoxe au même titre que l’iconographie ?
J.J.B.- II y a effectivement une analogie entre ces deux modes d’expression, en ce sens que ni l’un ni l’autre ne sont une .simple décoration mais la projection sur les sens de la vue et de l’ouïe des réalités spirituelles : la procession et l’encensement des icônes expriment la présence des puissances célestes comme le chant des stichères et des tropaires exprime les vérités théologiques.
F.T.- L’interprétation des chants liturgiques orthodoxes relève-t-elle de règles aussi rigoureuses que l’exécution des icônes ?
J.J.B.- L’une et l’autre sont porteuses de dogmes, ce qui ne permet pas de laisser libre cours à l’imagination ou à la fantaisie : I’iconographie, comme la musique liturgique, doit suivre des lignes directrices définies et respecter certaines règles de construction, mais cela n’impose pas l’uniformité et ne supprime pas toute liberté d’expression : la comparaison des oeuvres des différentes écoles iconographiques et peut-être plus encore, des différentes traditions musicales le prouvent largement.
F.T.- Le développement des formes musicales liturgiques dans les différentes églises nationales a donc particulièrement profité de cette liberté d’expression ?
J.J.B.- La question ne doit pas être examinée sous l’angle de la liberté, mais au contraire sous celui des contraintes linguistiques En effet, les principaux offices orthodoxes (Vêpres, Office de minuit, Matines) ne sont pas seulement l’expression de la prière, mais aussi la base essentielle de l’enseignement théologique, ce qui implique deux conditions évidentes : compréhension et assimilation ; la première suppose la traduction en une langue nationale, la seconde, une technique de mémorisation, la plus ancienne (et peut-être la plus efficace) étant la récitation chantée et rythmée.
F.T.- En quoi la traduction complique-t-elle la composition musicale ?
J.J.B.- Dans toute civilisation écrite, la poésie a été primitivement chantée, et les métriques poétiques, inséparables de lignes mélodiques. Les textes liturgiques constituent une immense collection de poèmes écrits par les Saints Pères dans les huit modes poétiques grecs qui ne font pas exception à cette règle et correspondent à huit modes musicaux.
Toute traduction se trouve ainsi devant un dilemme : soit respecter scrupuleusement le texte original, ce qui rend la traduction plus ou moins incompatible avec la mélodie correspondante, soit conserver la mélodie, ce qui interdit pratiquement toute fidélité dans la traduction, seules des langues très voisines (français et italien par exemple) pourraient préserver cette compatibilité (au demeurant imparfaite comme le montrent les adaptations françaises de l’Opéra italien). Il est évident que le but didactique visé ne permet que la première solution et que le problème musical est ainsi posé.
F.T.- Dans ces conditions, est-il inconcevable que dans les langues liturgiques, les offices soient entièrement récités ?
J.J.B.- J’ai déjà évoqué l’utilité, pour une bonne assimilation des textes, de la forme chantée, mais il y a plus, et c’est très justement que vous avez employé l’expression "langue liturgique" : il est en effet capital de ne pas confondre langue nationale et langue vulgaire ; les vérités dogmatiques ne peuvent s’exprimer ni se transmettre fidèlement avec l’imprécision d’une langue familière qui, de surcroît, évolue rapidement ; la langue liturgique doit être nationale par ses structures et son vocabulaire de base, pour être compréhensible par tous ; mais le vocabulaire théologique ne peut être constitué que de mots choisis avec circonspection et, si nécessaire de néologismes, pour que chaque terme conserve une signification spécifique précise comme cela se pratique dans la documentation scientifique et technique. L’inconvénient d’un tel langage est sa difficulté à retenir longtemps l’attention des fidèles, difficulté accrue si les textes sont lus, car ils ne peuvent l’être que recto tono, toute déclamation devant être exclue pour éviter le risque d’une interprétation trop personnelle. Le chant devient ainsi une nécessité : il soutient l’attention tout en facilitant l’assimilation progressive des mots rares et difficiles. L’expérience montre que tout pays nouvellement orthodoxe a, le plus vite possible, adapté un système musical à sa version des offices, et je ne crois pas qu’une communauté orthodoxe puisse se maintenir et se développer sans cela.
F.T.- Quelles sont les structures directrices et règles de construction qui doivent être respectées dans l’élaboration d’une musique liturgique ?
J.J.B.- La première ligne directrice est de ne pas chercher à innover, de toujours tenir compte des usages établis, surtout s’ils sont communs à plusieurs traditions : il n’est évidemment pas nécessaire d’adopter aveuglément toute coutume locale mais la pratique montre bien souvent que tel usage, apparemment insolite bien que très largement répandu dans l’Eglise Universelle, n’est nullement dépourvu d’intérêt ni de signification ; on peut citer comme exemple la succession des tons, certaines reprises de stichères, l’alternance des parties chantées et des parties récitées. La règle fondamentale de construction est l’adoption d’un système modal comportant huit tons .Cette division en huit tons n’est pas essentielle, mais elle existe dans la majorité des traditions musicales et permet, en outre, de transposer au moins sur le plan musical la diversité des modes originaux, en revanche l’adoption d’un système modal est essentielle car un tel système comporte toujours un ensemble de formules mélodiques brèves qui peuvent être juxtaposées et répétées, ce qui offre de nombreux avantages : facilité de déchiffrage, réduction de la monotonie quand le nombre des tons est suffisant (huit est très satisfaisant sur ce point), limitation de la fantaisie .
F.T.- Mais faut-il renoncer à toute composition originale ?
J.J.B.- Non, et ce que je viens de dire du système modal concerne surtout les très nombreux versets poétiques qui constituent la plus grosse part des vêpres et des matines. Pour ce qui est des autres chants, constituant par exemple le commun de ces offices, et plus particulièrement les chants de la Divine Liturgie qui sont presque immuables tout au long de l’année, il est permis d’utiliser des compositions libres, dans la mesure où celles-ci restent empreintes d’une suffisante sobriété, c’est-à-dire ne font pas intervenir des complications excessives de rythme, d’harmonie ou de contre-point. En cela, la règle peut être trouvée dans le prophète Amos : "Loin de moi le bruit de vos cantiques, Je ne veux plus entendre le son de vos harpes ", verset déjà mis en pratique par l’interdiction des instruments de musique dans les églises orthodoxes. En matière de composition musicale, il importe donc de ne pas confondre concert et liturgie !
F.T.- Concernant votre collection de chants en langue française, quel système modal avez-vous adopté ?
J.J.B.- Ce choix n’est pas évident car il n’y a pas de système modal propre au français, ce qui impose de faire appel à des modes étrangers adaptés au mieux. Si les modes hébraïques, arméniens, et, a fortiori, ceux des Indes et du monde arabe, s’éliminent d’eux-mêmes comme trop éloignés de la sensibilité européenne, trois systèmes restent en compétition : le Grégorien, le Byzantin et le Slave.
Le Grégorien serait plus logique et répondrait aux conditions évoquées, bien que la forme pratiquée il y a quelques années ne soit qu’une reconstitution tardive de la tradition authentique perdue au temps de la Renaissance. La tradition grégorienne est celle de l’unisson, qui demande une grande perfection d’exécution à laquelle suppléait très souvent un soutien à l’orgue ; le remplacement de ce soutien par une harmonisation à quatre voix a été expérimenté en langue française, non sans habilité, par Maxime Kovalevsky. A l’usage, il apparaît que ce mode, parfaitement adaptable à la psalmodie biblique et applicable (avec de sérieuses difficultés de composition) à la très pauvre hymnologie latine, est totalement impropre au chant des stichères.
Avec les modes byzantins, on retourne à la source, mais, contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’adaptation n’en est que plus difficile car, du fait de la traduction, il faut renoncer, pour le moindre stichère, à retrouver l’image musicale originale. Les quelques adaptations qui ont été faites, en français et en anglais, sont l’illustration du dilemme que nous avons posé : mieux est conservé la forme musicale, plus musicale ou infidèle est la traduction. Nous avons introduit, dans notre collection, quelques cathismes inspirés des modes byzantins, mais des altérations notables ont dû être concédées, pour rester dans le goût français.
C’est probablement un chemin analogue qui a conduit les slaves de l’héritage byzantin aux nombreuses formes de musique liturgique qu’on leur connaît aujourd’hui, mises à part les oeuvres religieuses de grands compositeurs russes qui ne sont pas toujours marquées de la sobriété souhaitable. Si nous avons utilisé, de manière quasi systématique, les modes slaves, c’est sans doute parce que la présence en France des nombreuses églises russes de l’émigration les ont rendus plus familiers aux oreilles françaises, mais aussi parce que cette modification profonde et nécessaire du style byzantin s’était déjà faite, au cours des siècles, en transitant par les pays slaves. Certes, les structures linguistiques sont, ici encore, trop différentes pour que les formes mélodiques soient directement transposables, mais leur adaptation s’est avérée moins difficile et je n’en veux pour preuve que l’expérience réitérée avec des chantres russes de bonne volonté qui se sont hasardés dans un choeur français après un court délai d’hésitation, ils chantent ces adaptations en français avec autant de spontanéité qu’en slave.
F.T. - Avez-vous introduit dans votre collection des compositions originales ?
J.J.B. - Oui, en particulier pour la divine liturgie où j’ai même essayé d’utiliser quelques thèmes français anciens. Pour les autres offices, j’ai bien entendu visé la sobriété et le caractère exceptionnel est certainement sauvegardé car il n’y a jamais plus d’une composition originale par cahier. En ce qui concerne la sobriété, je dois reconnaître que certains textes pousseraient facilement à un lyrisme excessif ce qui doit inciter à la plus grande prudence.
CHRONIQUE
Cette année a vu le cinquantième anniversaire de la mort du Métropolite Antoine Khrapovitzky et le vingtième de l’Archevêque Jean Maximovitch. Nous réservons, pour le prochain numéro de LA LUMIERE DU THABOR, l’hommage à ces deux grands hiérarques de l’Eglise Russe.
Plusieurs lecteurs nous ont demandé la biographie du Métropolite Vitaly que nous publierons bientôt et nous ont remercié d’avoir publié ses écrits dont, dit une lettre, "le ton chez un hiérarque est relativement inhabituel en Europe Occidentale".
Le Mercredi 25 Juin, une délégation de la Fraternité Orthodoxe Saint Grégoire Palamas, composée des PP. Ambroise et Patric, s’est rendue au Monastère de Lesna, pour prendre la bénédiction apostolique du Métropolite Vitaly qui les a reçus pendant plus de deux heures. A cette occasion, l’édition française de la LETTRE sur l’UNlTE de L’EGLISE de Mgr Hilarion Troitsky, publiée par les presses de la Fraternité, a été offerte à Mgr Vitaly. C’est en parfaite union de pensée et d’esprit que s’est déroulé cet entretien. Peu de temps après, la Fraternité Saint Grégoire Palamas a eu la joie de recevoir la bénédiction de S. B. le Métropolite, dans une lettre d’encouragement : "Que le Seigneur vous accorde Sa bénédiction sur tous vos travaux pour la gloire de Son Eglise". C’est chaleureusement que nous le remercions
EVEQUES GRECS EN VISITE EN France
II est rarement question en France, dans la presse dite "orthodoxe" de la hiérarchie des Vrais Chrétiens Orthodoxes de Grèce, dont Mgr Averky de Jordanville, dans un article célèbre, comparait les oeuvres à celles de l’Eglise des Catacombes de Russie. La LUMIERE DU THABOR a pour vocation de faire connaître les catacombes modernes, celles cachées de Russie et celles "à ciel ouvert" de Grèce, qui sont sous les yeux de tous mais que personne ne veut voir , dont aucun journal, aucune revue ne parle pour ne pas troubler, par une fausse note, le concert œcuméniste.
Récemment, en juin et septembre de cette année, deux Evêques des Vrais Chrétiens Orthodoxes de Grèce, Mgr Calliope de la Pentapole et Mgr Callinique d’Achaïe, sont venus, pour la première fois, en visite pastorale sur le sol de notre pays. Mgr Calliope appartient à la première génération des Vrais Chrétiens Orthodoxes, celle qui a connu la persécution violente pour la défense de la Tradition et du calendrier de l’Eglise. En effet, huit fois Mgr Calliope a comparu devant les tribunaux, quatre fois il a été emprisonné, et pour nier son monachisme et son sacerdoce, on lui a coupé plusieurs fois la barbe et les cheveux. En un sens, cette épreuve est pire encore que celle des Catacombes, car, en Russie, la persécution vient de "l’Eglise" officielle sur l’instigation de l’Etat, alors qu’en Grèce elle vient de l’Etat sur instigation de la hiérarchie et du clergé œcuméniste et nouveau-calendariste.
Ainsi, s’est hélas, accomplie la prophétie de saint Cosmas d’Etolie : "En ces temps là, le clergé sera pire et plus impie que tous" Mgr Callinique appartient, lui, à la seconde génération des « Anciens-Calendaristes », celle qui est confrontée aux problèmes mondiaux que l’œcuménisme, religion mondiale, fait subir à l’Eglise Orthodoxe Cette nouvelle génération de hiérarques remarquables a connu la persécution, en particulier à l’époque de la dictature des Colonels, mais tend, au-delà de la lutte pour la Foi en Grèce, à interroger l’origine historique et théologique de la décadence spirituelle qui a conduit à l’œcuménisme . Aussi, Mgr Callinique est-il, non seulement un confesseur du Christ, mais également un théologien remarquable, attentif au caractère universel de la Foi Orthodoxe.
Admirant son zèle missionnaire, le Saint Synode de l’Eglise Grecque l’a donc désigné comme Exarque pour l’Europe Occidentale. En septembre, Mgr Callinique a visité quatre paroisses orthodoxes françaises, a ordonné un prêtre, le père Paul, de Tarbes, et un diacre, le père Nectaire de Toulouse. L‘un des moments les plus intéressants de ce voyage véritablement apostolique a, sans doute, été la découverte de la "Romanité Orthodoxe" de l’Occident par Mgr Callinique. Lors de son voyage, il eut, en effet, l’occasion de visiter des églises romanes, et en particulier, celle de Saint Sernin à Toulouse. Là, il se sentit "chez lui" dans un église qui avait été Orthodoxe et dont l’architecture est proche de celle des petites églises "byzantines" qu’il connaît.
A la suite de voyage, Mgr Callinique écrivit : "Gloire au Sauveur Ressuscité et Notre Seigneur Jésus Christ, et à Sa Très Sainte Eglise Orthodoxe. D’une part, parce qu’il nous a rendu digne d’arriver jusqu’à cette frontière du Sud-Ouest de la Romanité ; et d’autre part, parce qu’il nous a démontré encore une fois, que c’est la véritable Eglise du Christ dont ni le temps, ni l’Hadès lui-même ne peuvent prévaloir contre Elle. Ici, en ce lieu, préexistait l’Orthodoxie, lorsque la Romanité était maîtresse ; elle recula un peu lorsqu’elle fut soumise aux Francks ; mais elle renaît en plein XXème siècle, lorsqu’elle trouva des enfants dignes d’Elle. Nous croyons fermement que le Dieu Donateur de tout Bien va les fortifier pour l’œuvre d’une nouvelle prédication du Salut envers leurs Frères issus d’une même nation, laquelle ne peut être accomplie SEULEMENT que par l’Eglise Orthodoxe".
Dans une terre sanctifiée par les grands Hiérarques de la Romanité, Mgr Callinique est apparu comme leur héritier légitime et nécessaire, parce qu’il confesse fidèlement la Foi Orthodoxe qui fut la leur et dans laquelle la Gaule romaine fut évangélisée.
VINGT ANS DES PAROISSES FRANÇAISES
Les paroisses orthodoxes françaises ont, cette année, vingt ans d’existence et nous n’avons à en faire ici, ni la chronique ni l’histoire : Dieu seul connaît le zèle et l’amour désintéressé qui ont présidé à leur fondation et à leur développement, à une époque où le modernisme d’un côté, et le nationalisme religieux d’un autre, effritent la confession de Foi des Orthodoxes. Mais comment taire une oeuvre véritablement apostolique que nos yeux ont vu et que nos oreilles ont entendue ?
Cette œuvre est celle, commune, de l’Archimandrite Ambroise Fontrier et du Professeur Jean-Joseph Bernard Le père Ambroise a prêché, enseigné, voyagé, nuit et jour pendant plus de quarante ans - il est prêtre depuis plus de quarante-cinq ans - pour créer, et développer des paroisses missionnaires et francophones. Pour elles, il a traduit du grec la plupart des Offices de l’Eglise Orthodoxe, il a peint, dans la prière, les larmes et le jeûne, les icônes, à la facture ancienne, que les fidèles y vénèrent aujourd’hui. Dans un souci d’enseignement, il a donné chaque année des cours de théologie et publié, pendant vingt ans, la "CATECHESE ORTHODOXE" dont la LUMIERE DU THABOR s’est inspirée.
Le premier, il a traduit en français des écrits de saint Grégoire Palamas, de saint Marc d’Ephèse, de saint Nicodème de l’Athos, du père Justin Popovic, d’Alexandre Kalomiros et du Métropolite Philarète (de New York), pour ne citer que l’essentiel. Il a également fait connaître, en France, saint Nectaire d’Egine dont il a peint la première icône, et sur lequel il a écrit une biographie qui a été rééditée par les Editions de l’Age d’Homme en 1985. Du grand Thaumaturge d’Egine, il a , en outre, rapporté les reliques et la Bible en français. Lui rendant un jour hommage en privé, l’Archevêque Antoine de Genève dit au père Osios de Reval "qu’il ne connaissait pas, dans son diocèse, de prêtre qui eut tant travaillé la vigne du Seigneur".
Le professeur Jean-Joseph Bernard a fait une oeuvre de composition liturgique immense qui a maintenant dépassé largement le cadre des paroisses pour intéresser les musicologues aussi bien français qu’étrangers. Le professeur J.J.Bernard s’est inspiré de l’ancienne musique ecclésiastique russe, proscrivant l’italianisme de la musique russe plus moderne (un "opéra de curé"). Il explique les principes qui ont présidé à son travail, dans l’interview qu’il a accordé au journal "La Foi Transmise" que nous publions ci-dessous. A la qualité de ses œuvres liturgiques, il a su ajouter le soin d’une édition remarquable de sa musicologie. Il a également pris en charge l’édition de deux volumes de prières en français, les meilleurs actuellement en usage, et qui est souvent demandé à la Fraternité Saint Grégoire Palamas. Il a reçu les compliments, pour son œuvre, à la fois des Evêques russes, et notamment de feu le Métropolite Philarète, et des Evêques grecs.
Statutairement, les paroisses fondées par l’Archimandrite Ambroise sont francophones, mais elles ont accueillies en leur sein, ainsi à Montpellier, des fidèles russes et grecs, qui ont choisi la francophonie. Les exigences d’une mission sont les suivantes : prêcher l’Orthodoxie comme Véritable Foi, Véritable Eglise Universelle, dans laquelle "il n’y a ni juifs, ni grecs " et ne pas la réduire à une forme culturelle, politique ou nationale.
Quatre paroisses existent à ce jour, ainsi qu’un Baptistère "Saint Jean" à Giverny, où chaque année, les catéchumènes sont baptisés et reçus dans l’Eglise Orthodoxe, selon la règle des Pères. La Paroisse de Paris (30, Bd. de Sébastopol) est la plus importante ; celle de Lyon, dans le vieux Lyon, rend un témoignage Orthodoxe dans une ville où quasiment toutes les églises sont contaminées par l’oecuménisme ; elle est sise non loin de la cathédrale saint Jean où fut signée en 1274 la fausse union avec les Latins. A Montpellier, le père Joseph Terestchenko dessert la paroisse fondée par le père Ambroise. Récemment, une paroisse a été fondée à Dinan, grâce au dévouement de Romane et Panayota Petroff, et de leurs parents.
La Fraternité Orthodoxe saint Grégoire Palamas a demandé aux responsables de ces paroisses s’ils souhaitaient fêter les vingt années d’existence missionnaires. Ils ont refusé à cause des temps difficiles que nous vivons, ayant confiance dans la miséricorde du Seigneur qui a dit que subsisterait ce qui a été fondé sur Lui et sur Lui seul. LA LUMIERE DU THABOR est heureuse cependant de n’avoir pas caché cet événement.
ENTRETIEN SUR LE CHANT LITURGIQUE
F.T.- Les chants liturgiques sont certainement, avec les icônes, ce qui frappe le plus tout visiteur d’une église orthodoxe, au point que, dans l’esprit du grand public, orthodoxie est presque synonyme d’art raffiné. Le chant liturgique fait-il partie intégrante du culte orthodoxe au même titre que l’iconographie ?
J.J.B.- II y a effectivement une analogie entre ces deux modes d’expression, en ce sens que ni l’un ni l’autre ne sont une .simple décoration mais la projection sur les sens de la vue et de l’ouïe des réalités spirituelles : la procession et l’encensement des icônes expriment la présence des puissances célestes comme le chant des stichères et des tropaires exprime les vérités théologiques.
F.T.- L’interprétation des chants liturgiques orthodoxes relève-t-elle de règles aussi rigoureuses que l’exécution des icônes ?
J.J.B.- L’une et l’autre sont porteuses de dogmes, ce qui ne permet pas de laisser libre cours à l’imagination ou à la fantaisie : I’iconographie, comme la musique liturgique, doit suivre des lignes directrices définies et respecter certaines règles de construction, mais cela n’impose pas l’uniformité et ne supprime pas toute liberté d’expression : la comparaison des oeuvres des différentes écoles iconographiques et peut-être plus encore, des différentes traditions musicales le prouvent largement.
F.T.- Le développement des formes musicales liturgiques dans les différentes églises nationales a donc particulièrement profité de cette liberté d’expression ?
J.J.B.- La question ne doit pas être examinée sous l’angle de la liberté, mais au contraire sous celui des contraintes linguistiques En effet, les principaux offices orthodoxes (Vêpres, Office de minuit, Matines) ne sont pas seulement l’expression de la prière, mais aussi la base essentielle de l’enseignement théologique, ce qui implique deux conditions évidentes : compréhension et assimilation ; la première suppose la traduction en une langue nationale, la seconde, une technique de mémorisation, la plus ancienne (et peut-être la plus efficace) étant la récitation chantée et rythmée.
F.T.- En quoi la traduction complique-t-elle la composition musicale ?
J.J.B.- Dans toute civilisation écrite, la poésie a été primitivement chantée, et les métriques poétiques, inséparables de lignes mélodiques. Les textes liturgiques constituent une immense collection de poèmes écrits par les Saints Pères dans les huit modes poétiques grecs qui ne font pas exception à cette règle et correspondent à huit modes musicaux.
Toute traduction se trouve ainsi devant un dilemme : soit respecter scrupuleusement le texte original, ce qui rend la traduction plus ou moins incompatible avec la mélodie correspondante, soit conserver la mélodie, ce qui interdit pratiquement toute fidélité dans la traduction, seules des langues très voisines (français et italien par exemple) pourraient préserver cette compatibilité (au demeurant imparfaite comme le montrent les adaptations françaises de l’Opéra italien). Il est évident que le but didactique visé ne permet que la première solution et que le problème musical est ainsi posé.
F.T.- Dans ces conditions, est-il inconcevable que dans les langues liturgiques, les offices soient entièrement récités ?
J.J.B.- J’ai déjà évoqué l’utilité, pour une bonne assimilation des textes, de la forme chantée, mais il y a plus, et c’est très justement que vous avez employé l’expression "langue liturgique" : il est en effet capital de ne pas confondre langue nationale et langue vulgaire ; les vérités dogmatiques ne peuvent s’exprimer ni se transmettre fidèlement avec l’imprécision d’une langue familière qui, de surcroît, évolue rapidement ; la langue liturgique doit être nationale par ses structures et son vocabulaire de base, pour être compréhensible par tous ; mais le vocabulaire théologique ne peut être constitué que de mots choisis avec circonspection et, si nécessaire de néologismes, pour que chaque terme conserve une signification spécifique précise comme cela se pratique dans la documentation scientifique et technique. L’inconvénient d’un tel langage est sa difficulté à retenir longtemps l’attention des fidèles, difficulté accrue si les textes sont lus, car ils ne peuvent l’être que recto tono, toute déclamation devant être exclue pour éviter le risque d’une interprétation trop personnelle. Le chant devient ainsi une nécessité : il soutient l’attention tout en facilitant l’assimilation progressive des mots rares et difficiles. L’expérience montre que tout pays nouvellement orthodoxe a, le plus vite possible, adapté un système musical à sa version des offices, et je ne crois pas qu’une communauté orthodoxe puisse se maintenir et se développer sans cela.
F.T.- Quelles sont les structures directrices et règles de construction qui doivent être respectées dans l’élaboration d’une musique liturgique ?
J.J.B.- La première ligne directrice est de ne pas chercher à innover, de toujours tenir compte des usages établis, surtout s’ils sont communs à plusieurs traditions : il n’est évidemment pas nécessaire d’adopter aveuglément toute coutume locale mais la pratique montre bien souvent que tel usage, apparemment insolite bien que très largement répandu dans l’Eglise Universelle, n’est nullement dépourvu d’intérêt ni de signification ; on peut citer comme exemple la succession des tons, certaines reprises de stichères, l’alternance des parties chantées et des parties récitées. La règle fondamentale de construction est l’adoption d’un système modal comportant huit tons .Cette division en huit tons n’est pas essentielle, mais elle existe dans la majorité des traditions musicales et permet, en outre, de transposer au moins sur le plan musical la diversité des modes originaux, en revanche l’adoption d’un système modal est essentielle car un tel système comporte toujours un ensemble de formules mélodiques brèves qui peuvent être juxtaposées et répétées, ce qui offre de nombreux avantages : facilité de déchiffrage, réduction de la monotonie quand le nombre des tons est suffisant (huit est très satisfaisant sur ce point), limitation de la fantaisie .
F.T.- Mais faut-il renoncer à toute composition originale ?
J.J.B.- Non, et ce que je viens de dire du système modal concerne surtout les très nombreux versets poétiques qui constituent la plus grosse part des vêpres et des matines. Pour ce qui est des autres chants, constituant par exemple le commun de ces offices, et plus particulièrement les chants de la Divine Liturgie qui sont presque immuables tout au long de l’année, il est permis d’utiliser des compositions libres, dans la mesure où celles-ci restent empreintes d’une suffisante sobriété, c’est-à-dire ne font pas intervenir des complications excessives de rythme, d’harmonie ou de contre-point. En cela, la règle peut être trouvée dans le prophète Amos : "Loin de moi le bruit de vos cantiques, Je ne veux plus entendre le son de vos harpes ", verset déjà mis en pratique par l’interdiction des instruments de musique dans les églises orthodoxes. En matière de composition musicale, il importe donc de ne pas confondre concert et liturgie !
F.T.- Concernant votre collection de chants en langue française, quel système modal avez-vous adopté ?
J.J.B.- Ce choix n’est pas évident car il n’y a pas de système modal propre au français, ce qui impose de faire appel à des modes étrangers adaptés au mieux. Si les modes hébraïques, arméniens, et, a fortiori, ceux des Indes et du monde arabe, s’éliminent d’eux-mêmes comme trop éloignés de la sensibilité européenne, trois systèmes restent en compétition : le Grégorien, le Byzantin et le Slave.
Le Grégorien serait plus logique et répondrait aux conditions évoquées, bien que la forme pratiquée il y a quelques années ne soit qu’une reconstitution tardive de la tradition authentique perdue au temps de la Renaissance. La tradition grégorienne est celle de l’unisson, qui demande une grande perfection d’exécution à laquelle suppléait très souvent un soutien à l’orgue ; le remplacement de ce soutien par une harmonisation à quatre voix a été expérimenté en langue française, non sans habilité, par Maxime Kovalevsky. A l’usage, il apparaît que ce mode, parfaitement adaptable à la psalmodie biblique et applicable (avec de sérieuses difficultés de composition) à la très pauvre hymnologie latine, est totalement impropre au chant des stichères.
Avec les modes byzantins, on retourne à la source, mais, contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’adaptation n’en est que plus difficile car, du fait de la traduction, il faut renoncer, pour le moindre stichère, à retrouver l’image musicale originale. Les quelques adaptations qui ont été faites, en français et en anglais, sont l’illustration du dilemme que nous avons posé : mieux est conservé la forme musicale, plus musicale ou infidèle est la traduction. Nous avons introduit, dans notre collection, quelques cathismes inspirés des modes byzantins, mais des altérations notables ont dû être concédées, pour rester dans le goût français.
C’est probablement un chemin analogue qui a conduit les slaves de l’héritage byzantin aux nombreuses formes de musique liturgique qu’on leur connaît aujourd’hui, mises à part les oeuvres religieuses de grands compositeurs russes qui ne sont pas toujours marquées de la sobriété souhaitable. Si nous avons utilisé, de manière quasi systématique, les modes slaves, c’est sans doute parce que la présence en France des nombreuses églises russes de l’émigration les ont rendus plus familiers aux oreilles françaises, mais aussi parce que cette modification profonde et nécessaire du style byzantin s’était déjà faite, au cours des siècles, en transitant par les pays slaves. Certes, les structures linguistiques sont, ici encore, trop différentes pour que les formes mélodiques soient directement transposables, mais leur adaptation s’est avérée moins difficile et je n’en veux pour preuve que l’expérience réitérée avec des chantres russes de bonne volonté qui se sont hasardés dans un choeur français après un court délai d’hésitation, ils chantent ces adaptations en français avec autant de spontanéité qu’en slave.
F.T. - Avez-vous introduit dans votre collection des compositions originales ?
J.J.B. - Oui, en particulier pour la divine liturgie où j’ai même essayé d’utiliser quelques thèmes français anciens. Pour les autres offices, j’ai bien entendu visé la sobriété et le caractère exceptionnel est certainement sauvegardé car il n’y a jamais plus d’une composition originale par cahier. En ce qui concerne la sobriété, je dois reconnaître que certains textes pousseraient facilement à un lyrisme excessif ce qui doit inciter à la plus grande prudence.
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